Francophonies, bibliotheque et developpement durable

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DÉCRYPTAGES

JOURNÉES DE L’AIFBD

PHOTOS VÉRONIQUE HEURTEMATTE

Des bibliothèques vertes

Les congressistes à Sainte-Luce.

Pour son second congrès, organisé en Martinique du 9 au 11 août, l’Association internationale francophone des bibliothécaires et des documentalistes s’est penchée sur les problématiques du développement durable. Une rencontre qui fut aussi l’occasion de relancer la dynamique de cette jeune organisation qui œuvre pour la langue française et la coopération Nord-Sud.

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rganisé pour la seconde fois depuis la création de l’association en 2008, le congrès de l’Association internationale francophone des bibliothécaires et des documentalistes (AIFBD) a attiré à La Martinique du 9 au 11 août une centaine de professionnels venus de 22 pays. Une fréquentation jugée très satisfaisante par les organisateurs, compte tenu du contexte économique peu favorable. Le choix des Antilles françaises s’était imposé car ces journées constituaient une manifestation satellite du congrès de l’International Federation of Libraries Associations (Ifla), organisé à Porto Rico la semaine suivante. Mais il s’agit d’une destination chère qui pouvait dissuader les établissements d’y envoyer leurs collaborateurs. L’AIFBD a dû elle-même batailler afin de boucler le budget nécessaire à l’organisation des journées. Elle a notamment eu la mauvaise surprise de ne pas obtenir de subvention de l’Organisation internationale de la francophonie, une institution qui soutenait pourtant l’association depuis son origine. Une recherche intensive de sponsors a néanmoins permis de réunir les fonds nécessaires, en particulier pour prendre en charge la participation d’une dizaine de bibliothécaires de pays d’Afrique.

Les congressistes qui ont fait l’effort de venir n’ont pas regretté leur séjour. Le cadre enchanteur, la qualité globale des interventions, la taille humaine du groupe, favorable aux échanges, ainsi que l’accueil chaleureux et la grande efficacité du comité d’organisation ont assuré la réussite de l’événement. Fait suffisamment rare pour être souligné, le congrès a consacré une table ronde aux professionnels de la documentation scolaire (généralement peu représentés dans les associations généralistes) qui ont pu dialoguer avec leurs confrères exerçant dans d’autres types de structures.

Solutions vertes. Le développement durable, sujet fédérateur, a été abordé sous ses multiples aspects, de l’architecture à la conservation des documents en passant par le numérique ou l’informatique « verte », un courant qui fait la promotion de solutions permettant de limiter l’impact écologique des ordinateurs. Contrairement aux idées reçues, les problématiques environnementales ne sont pas seulement « des soucis de pays riches », comme l’ont démontré plusieurs interventions relayant des initiatives menées dans des pays africains, même si elles demeurent encore rares. Ouverte en 2000, la bibliothèque centrale de l’université Cheik Anta Diop à Dakar, au Sénégal, a bénéficié d’un projet arLivres Hebdo n° 874 - Vendredi 26 août 2011


DÉCRYPTAGES

et en VF VÉRONIQUE HEURTEMATTE chitectural reconnu sans impact environnemental. Les choix des matériaux et des équipements y prennent en compte les particularités climatiques de la région. A Yaoundé, au Cameroun, le Centre de lecture et d’activités culturelles (Clac), structure associative qui a réussi le tour de force d’être aujourd’hui l’une des bibliothèques les plus actives du pays, n’hésite pas descendre dans la rue pour informer les habitants, organise des conférences et même des travaux d’intérêt général où la population est invitée à participer à des opérations d’amélioration du cadre de vie. Le congrès a également été l’occasion de don-

ner un nouvel élan à l’association et de fixer les priorités pour les années à venir. Créée officiellement en 2008, l’AIFBD s’est dotée d’une double mission. La première est de promouvoir la langue française et le monde francophone dans les instances professionnelles internationales, largement dominées par les pays anglo-saxons et nord-européens. « Malgré une avancée certaine, les francophones ne sont pas encore suffisamment présents sur la scène internationale, a souligné Réjean Savard, président de l’AIFBD. Or, pour beaucoup de professionnels dans le monde, en particulier en Afrique, le français est la langue de la communication

et donc de la voie d’accès au développement. » L’autre grand champ d’action de l’association est la coopération avec les pays francophones du sud. Un axe que l’AIFBD compte renforcer, notamment avec le programme « Vice versa » qui devrait permettre dès 2012 à des professionnels d’échanger leur poste pendant plusieurs semaines. Infléchir la suprématie de la langue anglaise dans l’univers professionnel des bibliothèques, la tâche paraît ardue pour une association de petite taille et aux moyens financiers limités. Mais en trois ans, l’AIFBD a obtenu des résultats, certes modestes mais significatifs. <

« LE FRANÇAIS OCCUPE TOUJOURS UNE PLACE IMPORTANTE AU NIVEAU INTERNATIONAL »

« L’AIFBD A UN RÔLE STRATÉGIQUE ET GÉOPOLITIQUE »

« C’EST POUR LE MULTILINGUISME QU’IL FAUT MILITER »

Charles Kamden Poeghela, directeur du Clac de Yaoundé, vice-président de l’AIFBD.

Jacques Hellemans, responsable de la bibliothèque d’économie et gestion à l’université libre de Bruxelles, trésorier de l’AIFBD.

« Au Cameroun, 80 % de la population est francophone. Le français est la langue du travail et des échanges. A l’Ifla, la quasi-totalité des communications se fait en anglais. Ce qui veut dire que les professionnels francophones n’ont pas accès aux expériences innovantes. Le rôle de l’AIFBD n’est pas de se poser en concurrente de l’Ifla, mais de donner des outils aux francophones, notamment en traduisant les textes des conférences de l’Ifla, comme elle le fait depuis plusieurs années, et en travaillant pour que le français ait une meilleure visibilité au sein de la fédération internationale. L’AIFBD a un positionnement stratégique et géopolitique fort. »

« Pour les professionnels francophones, il est fondamental d’être présents dans les organisations internationales telles que l’Ifla pour avoir accès aux bonnes pratiques et participer aux grands projets qui s’y décident. Les choses évoluent positivement. Il y a désormais une quarantaine de francophones dans les différentes sections de l’Ifla, et cette dernière a créé des bureaux régionaux, notamment celui de Dakar qui traduit en français les principaux textes stratégiques. Mais au-delà du français, c’est en faveur du multilinguisme qu’il faut militer. Dans les commissions de l’Ifla, quelle que soit sa nationalité, les échanges se font en anglais, or il est difficile de défendre un point de vue dans une langue qui n’est pas la sienne. »

Matthew Loving, responsable des collections en langues romanes à la bibliothèque de l’université de Floride.

« Nos fonds en français donnent aux étudiants et aux chercheurs l’occasion de s’ouvrir à un autre modèle de pensée. Car le français conserve un statut important au niveau international, en particulier dans les grandes instances comme l’Onu. C’est important de maintenir cette diversité, même si actuellement nous devons nous battre pour défendre la place de ces collections face à un président d’université peu francophile. Le fait de parler moi-même français me permet d’échanger directement avec mes collègues étrangers et de mettre plus facilement en place des partenariats comme celui que nous avons avec le portail Manioc de l’université Antilles-Guyane. » Livres Hebdo n° 874 - Vendredi 26 août 2011

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