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Guadeloupe/Guyane: 2,30 euros - France; 2,60 euros - C.P.0515 l 86520-ISSN : 0757 555 N° 1676 -
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7 août 2015 - 2,20 € - ... Antilla, depuis 1981...
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Jean Bernbé prend ses distances avec la Créolité
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ACTUALITÉS
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La Créolité remise en cause ?...
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Jean BERNABÉ prend ses distances avec la Créolité Cela s’est passé il y a déjà plus d’un mois. C’est au cours d’une émission de RLDM que l’un des trois écrivains de «L’ÉLOGE DE LA CRÉOLITÉ» a précisé comment et pourquoi il en est arrivé là. Il sera interressant de croiser ce qu’il dit dans cet interview avec les précisions que ne devraient pas manquer d’apporter ses deux amis: MM. Confiant et Chamoiseau...
Extrait de rémission «- La parole au peuple » du 28 juin 2015 (RLDM)
Jean BERNABE : L’Eloge de la créolité n’aurait jamais été possible si nous n’étions pas passés par la négritude, parce que si on n’assume pas la négritude césairienne, on peut toujours dire : « on nous traite de nègres, etc. », mais je suis désolé, Césaire dit : « mwen nèg é byen wi man nèg », donc je reconnais que je suis un nègre et j’appelle ma philosophie, mon idéologie, la négritude ; c’està-dire que je prends conscience de tout un passé. Je suis en train, personnellement, de revisiter l’Eloge de la créolité dans un ouvrage que je suis en train d’écrire en ce moment. C’est vrai que je prends un peu de la distance par rapport à l’affirmation emblématique initiale : ni africain, ni européen, ni asiatique, nous nous proclamons créoles. Je crois que cette formule est identitariste parce que nous ne sommes pas créoles ; ce n’est pas parce que l’on parle créole que nous sommes créoles. Qu’est-ce qu’un créole ? Le mot « créole » s’est auto-appliqué au départ par les colons qui se sont désignés comme créoles.
«Concernant le livre « Eloge à la créolité » écrit avec Raphaël Confiant et Patrick Chamoiseau, il y a 26 ans pouvez-vous faire un état des lieux ? Qu’en est-il aujourd’hui avec la négritude, l’antillanité et notamment la créolisation, avec également le nouveau mouvement « Moun tou ». Quelle est votre position concernant le mouvement « Tous créoles » ; sur le livre de Dominique Monotuka « Créolité : une idéologie raciste répandue par l’Europe coloniale »...
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Ce n’est que plusieurs décennies après que le mot « créole » a été appliqué aux animaux, aux plantes Je suis en train, personnellement, de revisiter l’Eloge de la créolité locales et aux descendants d’esclaves. Le mot « créole » désignait au départ en quelque sorte le colon, mais qui finit par désigner, comme disait Loulou au départ, celui qui est installé, quelles que soient les conditions, dans le pays. Donc il devient un créole, mais pour moi ce n’est pas une raison de se définir comme créole. Je
construction de leur association, de l’erreur que nous avons commise en disant : nous sommes tous créoles. Je leur dis, si vous considérez qu’être créoles c’est un moyen de nous rassembler en dehors (et j’aime bien l’expression de quelqu’un qui l’a dit tout à l’heure) des races, parce qu’il y a une seule race, c’est la race humaine, en dehors des différents phénotypes, si on peut se rassembler, eh bien je suis d’accord qu’on dise qu’on est créoles. Si au-delà de la Martinique on veut avoir un rapport avec l’ensemble de la Caraïbe où il y a une créolisation - même si c’est une créolisation francophone, anglophone, hispano-
(«Tous Créoles»)...ils ont été quelque part victimes, dans la l’erreur que leur association, de de construction nous avons commise... crois que le mouvement « Tous créoles » auquel je ne participe pas, mais avec qui je dialogue est un mouvement à qui je dis : évitez le communautarisme, évitez l’identitarisme. Il faut vraiment faire attention. Autrement dit, ils ont été quelque part victimes, dans la Antilla 7 août 2015- Page 12 - N° 1676
phone, etc. -, oui, je veux bien dire que nous sommes créoles. Cela veut dire quoi ? Etre créoles, cela doit être en quelque sorte vouloir se rassembler, c’est vouloir partager notre ancestralité, partager les ancêtres, ne pas stigmatiser celui qui a un ancêtre africain ou indien,
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etc. Quand Monotuka critique la créolité, sur ce point, je pense qu’il a raison. La créolisation est-elle une alternative à la mondialisation ? C’est vrai, j’ai écrit cet article. Man ékri artik tala man paka sonjé dépi konbyen tan é man pa té dako épi sa. Parce que la position de Glissant, auteur du Tout Monde ; Glissant dit que le monde va en se créolisant, je pense que c’est une erreur de penser cela, intellectuellement. Pourquoi ? Parce que c’est une conception non adéquate du phénomène de créolisation. Parce que pour qu’il y ait créolisation, il faut qu’il y ait mélange des cultures, que les cultures se rencontrent ; c’est ce que l’on appelle - et je ne l’ai pas en créole - hybridation, quand on parle de plantes hybrides. La créolisation nécessite l’hybridation, mais toute hybridation n’est pas une créolisation. Pour qu’il y ait créolisation, il faut qu’il y ait à un moment donné une rupture quelque part. Or la rupture n’est pas chez les colons, ils sont arriGlissant dit que le monde va en se créolisant, je pense que c’est une erreur de penser cela, intellectuellement.
vés aux Antilles, ils n’ont pas eu de rupture culturelle ; ceux qui ont eu une rupture culturelle, ce sont les esclaves. Evidemment cette rupture n’a pas été totale, ils ont conservé leur langue, leur culture un certain temps. Ils ont constitué avec les colons, à partir de cette rupture, une nouvelle langue, une nouvelle culture, etc. Donc je pense que la mondialisation actuelle conduit les peuples à se rencontrer de manière beaucoup plus large, et beaucoup plus intense que cela ne se faisait précédemment. Or, de quoi se rend-t-on compte ? On se rend compte que la mondialisation soutenue par les
technologies modernes de la communication sont telles que même si un groupe humain quitte l’Asie ou l’Afrique ou un autre continent et vient en Europe, il ne va pas couper d’avec sa propre culture. Le communautarisme actuel des migrations est du au fait qu’il n’y a pas eu de rupture. Quand vous voyez par exemple un certain nombre de musulmans qui viennent s’installer en France, ils ne viennent pas comme esclaves. Bien sûr c’est souvent des gens « Je ne peux pas dire que la créolisation est une alternative à la mondialisation».
qui ont des besoins économiques, mais quand ils arrivent en France, heureusement pour eux, ils ne sont pas arrivés comme sont arrivés les esclaves chez nous. Ils n’ont pas eu de rupture anthropologique ; il peut y avoir des mécanismes de métissage, mais il n’y a pas de créolisation. J’ai dit dans cet article que la créolisation n’est pas une alternative à la mondialisation ; que la mondialisation, au contraire, au lieu d’entraîner souvent les métissages provoque souvent le contraire du métissage, c’est-à-dire le communautarisme, le renfermement sur soi-même. C’est pourquoi j’ai été très sensible aux propos de notre ami Duville qui est un propos que je considère vraiment comme devant être le socle d’une véritable vision politique de nos pays. Cette espèce de solidarité, de rapport au sol, au terroir qui exclut tout racisme, toute xénophobie, etc. et qui en fait est pour moi fondamental. Je ne peux pas dire que la créolisation est une alternative à la mondialisation. ■
« Eloge de la Créolité » élaborée par Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant a été publié en 1989.
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