mAHIOCorg Bibliothèque Alexandre Franconie
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EN
VENTE
A
LA
DES MÊMES
NOS SAINT-PIERRE —
OBOCK.
ET MIQUELON. —
—
MADAGASCAR. —
TAÏTI
PETITES
MAYOTTE. —
MÊME
AUTEURS
COLONIES LE GABOX.
— NOSSI-BÉ.
ÉTABLISSEMENTS
ET SES DÉPENDANCES.
LIBRAIRIE
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— LA C Ô T E D ' O U . SAINTE-MARIE-DE-
FRANÇAIS
DANS
LES M A R Q U I S E S .
L'INDE. — LES
TUAMOTU. — LES GAMBIERS.
8 édition, un fort volume in-12, contenant 7 cartes et 30 gravures, broché. 3 50 e
En NOS
préparation.
GRANDES
COLONIES
AFRIQUE
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Vue du littoral de Saint-Pierre Ă la Martinique
FERNAND HUE & GEORGES HAURIGOT
NOS
COLONIES
GRANDES
AMÉRIQUE
LES A N T I L L E S : La Martinique. — La Guadeloupe. — MarieGalante. — Les Saintes. — L a Dés i r a d e . — S a i n t - M a r t i n . — SaintBarthélemy. LA GUYANE.
PARIS H.
LUCÈNE 17,
ET
H.
OUDIN.
EDITEURS
R U E BONAPARTE, 17
1886 (Tous droits de
reproduction
et.de
traduction
réservés
NOS
GRANDES
LES
COLONIES
ANTILLES
POSITION. —
ÉNUMERATION.
On désigne sous le nom d'Antilles un g r o u p e d'îles situé entre les deux immenses presqu'îles américaines, et qui, par leur
réunion, constituent un
des
grands archipels connus. Elles forment une chaîne
arrondie
depuis
l'extrémité
plus
longue
orientale
du
Yucatan et le sud de la Floride, jusqu'au littoral du Venezuela,
sur
une longueur
de 3 . 4 5 0 kilomètres.
Leur superficie; totale est de 2 4 7 . 5 0 0 kilomètres carrés,
et
leur
population
de
3.700.000
habitants
environ. Ce g r o u p e s'est d'abord appelé archipel de San
Sal-
vator, n o m donné par Christophe C o l o m b à la p r e mière terre qu'il découvrit. Plus tard, les îles turent désignées par le nom de leurs habitants : on les appela îles des Caraïbes.
Enfin on les a encore appelées îles du
Vent et îles Sous-le- Veut, à cause des vents alizés, q u i , pendant une partie
de l'année, soufflent
dans
ces
parages ; mais nous rappelons seulement pour mémoire NOS GRANDES COLONIES.
1
2
NOS GRANDES COLONIES.
cette
désignation qui est défectueuse, car elle ne s'ap-
plique pas chez toutes les nations aux mêmes groupes d'îles. L'archipel
se divise en quatre parties : les
les Grandes
Lucayes,
et les Petites Antilles,
la
îles
Chaîne
du Sud.
Les
Grandes
Jamaïque
et
Antilles
sont :
Cuba,
Haïti,
la
Porto-Rico.
Toutes ces terres, grandes ou petites, appartiennent à l'Angleterre, à la F r a n c e , à l ' E s p a g n e , au D a n e mark, à la S u è d e , à la Hollande et à la République de Venezuela, sauf pourtant Haïti ou Saint-Domingue, qui est indépendant depuis 1 8 6 5 . Les Petites Antilles
sont innombrables ; c'est de
ces dernières seulement, ou plutôt
do quelques-unes
d'entre elles, que nous avons à nous o c c u p e r i c i . L a F r a n c e , en effet, après avoir conquis ou créé, dans la m e r des Antilles, un empire colonial
remar-
quable par son étendue et sa richesse, n ' y c o m p t e plus maintenant que quelques
rares établissements,
importants sans aucun doute, mais qui ne sont que les débris d'une puissance disparue. N o u s avons p o s sédé et perdu Tabago, Grenadilles,
la
Saint-Christophe,
Antigoa,
que la Guadeloupe
(Marie-Galante, Martinique,
les Saintes
Saint-Martin
et
les
Grenade,
Mont-Serrah,
e t c . , sans compter la
Sainte-Croix,
plus belle moitié de Saint-Domingue. aujourd'hui
la
Sainte-Lucie,
Dominique,
Il ne nous reste et ses dépendances
et la Désiradè), Saint-Barthélemy.
—
la
HIST0IRE
GÉNÉRALE
HISTOIRE
DES
3
ANTILLES,
GÉNÉRALE DES
A N T I L L E S (1625-1793)
En
1625,
Belain
d'Enambuc
gentilhomme dieppois, fréta
ou
d'Esnambuc,
un brigantin, et fit voile
vers le nouveau monde, en quête d'aventures. Attaqué dans le golfe du Mexique par un navire espagnol, il lui échappa après pour réparer
une lutte béroïq.ue. Mais il d u t ,
de graves
avaries, relâcher à la
pre-
mière terre qu'il rencontra : c'était l'île de Saint-Christophe. E n m ê m e temps que lui A n g l a i s , sir W a r n e r .
Ils
y
trouvèrent
débarquait l'île
un
ocoupée
déjà par quelques Français qui vivaient en parfaite intelligence avec les Caraïbes, 6t ils en partagèrent par moitié la possession et le g o u v e r n e m e n t . D ' E s n a m b u c organisa de son mieux la partie
qui
lui était é c h u e , favorisa surtout la culture du tabac, et put, dès 1 6 2 6 , revenir en F r a n c e avec un précieux chargement. Il profita de son v o y a g e
pour
obtenir
de Richelieu l'autorisation de fonder une colonie. L e cardinal lui accorda la possession des îles Saint-Christophe et autres, « et c e , pour y trafiquer et négocier desdenrées et marchandises qui se pourraient recueillir et tirer desdites îles et autres » . A son retour à Saint-Christophe, d ' E s n a m b u c c h a r gea un sieur d ' O r a n g e de visiter les îles environnantes encore inoccupées. Celui-ci, à son retour,signala f a v o -
4
NOS GRANDES C O L O N I E S .
rablement la Martinique, la Dominique et surtout la Guadeloupe. D ' E s n a m b u c nant Liénard
confia alors à son
de l'Olive la mission de se
France pour y traiter avec la
lieute-
rendre
Compagnie, en
noms à tous d e u x , de l'exploitation de ces
en
leurs
différentes
terres. L'Olive se laissa séduire à Dieppe par Duplessis, sieur d'Ossonville,
et
passa bien le contrat désiré,
mais pour son propre compte et celui
de
Duplessis.
D'après les statuts de la C o m p a g n i e , les gens
qui
voulaient se rendre aux îles, et qui ne pouvaient pas payer leur passage, devaient servir pendant trois ans ceux qui en avaient fait les frais, c'est-à-dire la S o ciété ou les colons. Ce laps de temps écoulé, ils r e c e vaient une concession de terre, ou étaient libres d'aliéner à nouveau leur liberté. C'est ce qu'on a appelé les engagés ou les trente-six embauchèrent
dans
ces
mois. L ' O l i v e et Duplessis conditions
5 5 0 individus,
parmi lesquels 4 0 0 laboureurs environ, et l'expédition quitta Dieppe le 25 mai 1 6 3 5 . Parvenu dans la mer des Antilles, on essaya d'abord de débarquer à la Martinique ; mais on dut en r e p a r tir aussitôt, tant fut grande la frayeur
inspirée
aux
engagés par la vue d'innombrables serpents. On atterrit à la Guadeloupe le 27 j u i n , un mois et deux jours après avoir quitté la F r a n c e .
Les deux
chefs se partagèrent les h o m m e s , les provisions, les outils, la terre, et s'établirent sur les points qui depuis reçurent pointe
les noms suivants: l'Olive à l'ouest de la
Allègre
et sur
la
rivière
du
Vieux-Fort
Duplessis à l'est de cette même pointe, sur la
;
—
rivière
du P e t i t - F o r t . Ils entendaient gouverner chacun par une méthode absolument différente :1e premier ne c o m p tait que sur la force et les mesures énergiques, s o u -
HISTOIRE
GÉNÉRALE
DES
5
ANTILLES.
vent cruelles : le second employait toujours la d o u ceur et la persuasion. Duplessis l'Olive, resté
mourut seul,
six
mois
après
son
arrivée,
et
S'abandonna à son caractère violent.
Le but de toute sa vie devait être désormais l ' e x termination des Caraïbes, dont les réserves de patates
Case et groupe de Caraïbes. et de manioc
suppléeraient avantageusement,
pen-
sait-il, à l'insuffisance de ses provisions. U n j o u r , des
Caraïbes s'étant emparés d'un hamac abandonné sur le r i v a g e , fruits,
en laissant
le cruel
en échange un porc
et dés
capitaine trouva là le prétexte d ' u n
guet-apens suivi de massacre.
L a guerre était a l l u -
m é e , guerre d ' e m b û c h e s , terrible des d e u x c ô t e s , qui ne devait finir que de longues années après par l'extermination des plus faibles.
6
NOS
GRANDES
COLONIES.
A p r è s l'Olive, vint une série de gouverneurs, sous l'administration desquels il n'y a rien d'important signaler,
sauf
pourtant
la
à
colonisation des d é p e n -
dances d e la Guadeloupe, dont nous dirons quelques mots en nous occupant de chacune d'elles. Pendant que ces faits s'accomplissaient à la G u a d e loupe, Belain d'Esnambuc, désireux de faire tout au moins aussi bien que son
infidèle lieutenant,
avait
pris possession de la Martinique, à la tête d'une c e n taine d'hommes. Il y jeta les fondations de la ville de Saint-Pierre en juillet 1635 ; puis, ayant confié à son second Dupont la direction du nouvel
établissement,
il retourna à Saint-Christophe. De
1636 à
1 6 4 2 , trois compagnies
possédèrent
successivement la Guadeloupe et la Martinique. A u cune d'elles ne sut comprendre qu'il importait de remplacer dans la pratique le droit exclusif de commerce, par un droit de simple préférence. Elles auraient dû, moyennant redevance, laisser toute liberté aux transactions ; loin de là, de peur qu'il n'entrât aux îles une seule marchandise qui ne fût expédiée par ellesmêmes, e l l e s préférèrent y entretenir une innombrable armée de commis qui, après avoir épuisé l e s c o l o n s , finirent par dévorer aussi les compagnies. Toutes trois furent ruinées par leur propre avidité, et aussi par les luttes incessantes qu'il leur fallut soutenir
contre
les indigènes. E n 1649, le marquis de Boisseret, agent de la d e r nière c o m p a g n i e , acquit d'elle, pour lui et son frère H o u e l , la propriété de la Guadeloupe dépendances.
Le
prix d'achat
beau-
et de s e s
fut de 60.000 livres
tournois une fois payées, plus une redevance annuelle de 300 kilogrammes de sucre.
7
HISTOIRE GÉNÉRALE DES ANTILLES.
C'est de cette époque que date la prospérité de l'île. Elle fut quelque peu entravée par une nouvelle p é riode de la guerre contre les Caraïbes, qui se ralluma à la Martinique en 1 6 5 3 ( 1 ) ; niais, pendant les hostilités, un grand événement
s'accomplit
à la G u a d e -
loupe. Neuf cents Hollandais, suivis de douze esclaves,
cents
chassés du Brésil par la persécution reli-
gieuse, se présentèrent
dans notre î l e , où H o u e l les
accueillit avec empressement; ils débarquèrent le 28 février 1 6 5 4 , date mémorable pour l'île, car ces étrangers devaient y introduire la culture du cacaoyer et de la canne à sucre, et y établir les premières sucreries. Malheureusement les successeurs de Boisseret, loin de suivre les exemples de justice et de sage a d m i n i s tration qu'il leur avait laissés, se signalèrent à l'envi par leurs exactions et leur impéritie. Aussi, en 1 6 6 4 . Colbert,fatigué des plaintes qu'ils provoquaient, décida Louis X I V à racheter la Martinique, la Guadelonpe et ses dépendances. Il est à regretter que le ministre ait c r u devoir confier alors l'exploitation des îles à une nouvelle c o m p a g n i e ,
la Compagnie
des Indes
Occi-
dentales.
Il semble que celle-ci ait pris à tâche de commettre exactement les mêmes fautes que les précédentes. A cette é p o q u e , les colons eurent beaucoup à souffrir, car la compagnie se trouva au début dans l'impossibilité d'envoyer aux îles aucune d e n r é e ; d'autre
part, sous
prétexte que la peste exerçait ses ravages à A m s terdam, elle avait interdit
tout
commerce
avec la
(1) c'est dans cette guerre que Duparquet commit un acte atroce : il envoya aux sauvages du tafia empoisonné, a dont crevèrent un grand nombre » , dit le l'ère Dutertre.
8
NOS
GRANDES
COLONIES.
Hollande. L a vérité, c'est que les Hollandais se rendaient un peu partout maîtres des marchés, par leur bonne foi commerciale et les bas prix auxquels ils livraient leurs marchandises. La Hollande, notre alliée depuis 1 6 6 2 , venait de recommencer la guerre contre les A n g l a i s , et la flotte ennemie, enlevant les navires de la compagnie, s'apprêtait à diriger une attaque contre nos colonies. Complètement abandonnées par la métropole, nos possessions n'avaient pas de forces régulières ; le soin de la défense reposait entièrement sur les habitants, et encore étaient-ils insuffisamment armés. Les g o u verneurs, à la vérité, recevaient des fusils, mais avec ordre de les vendre aux colons. Cependant, ces milices organisées à la hâte ne tardèrent pas à devenir des troupes redoutables, et c'était un dicton courant chez l'ennemi, que mieux valait avoir affaire à deux diables qu'à un seul habitant français. A u mois de juillet 1 6 6 6 . l'amiral anglais Willougby, qui croisait dans la mer des Antilles avec une flotte composée de 14 vaisseaux et 3 barques portant 2.000 soldats, envoya cinq de ses navires attaquer les Saintes. Malgré une brillante défense de Baron et D e s m e u riers,viles s'emparèrent du fortin qui commandait la position. Le lendemain, un orage épouvantable dispersa la flotte ennemie, et la détruisit en partie ; deux navires seuls échappèrent au naufrage. Dulion attaqua alors le fortin, et, grâce à l'aide de 200 Caraïbes venus de la Dominique pour offrir leurs services, les soldats anglais durent se rendre à discrétion. Dulion était si heureux de sa victoire, qu'il assura aux Pères Jacobins une rente de 1.000 kilogrammes
HISTOIRE GÉNÉRALE DES
ANTILLES.
9
de sucre, à charge par eux de chanter annuellement un Te
Deum.
E n 1 6 7 4 , la Martinique, qui prospérait sous l'habile direction de son gouverneur M . de la Barre, fut subitement attaquée par la flotte hollandaise sous les ordres de l'amiral R u y t e r . Malgré une défense héroïque, les milices ne purent empêcher le débarquement et, sans une circonstance fortuite, c'en était fait de la M a r t i nique. A peine débarqués, les Hollandais occupèrent l'entrepôt, qui contenait une quantité considérable de r h u m ; quelques heures après, tous les marins étaient ivres :les défenseurs de l'île fondirent immédiatement sur e u x , en massacrèrent un grand n o m b r e , et le reste dut r e g a g n e r a la hâte les vaisseaux qui s'éloignèrent. Dans le courant de mars 1 6 9 1 , les Anglais débarquèrent à Marie-Galante et s'en emparèrent, car ses habitants, trop faibles pour résister, abandonnèrent l'île sans combat et se replièrent sur la Guadeloupe. Deux mois après, l'ennemi parut devant la BasseTerre, conduit par Codrington le père. A cette époque, la guerre se faisait aux îles presque c o m m e aux temps les plus reculés de l'antiquité. U n e position prise, les plantations étaient dévastées, les esclaves enlevés, etc. La seule différence, c'est que les blancs étaient chassés, au lieu d'être réduits en esclav a g e . Aussi le premier soin de Hincelin, alors g o u verneur de la Guadeloupe, fut-il de mettre en sûreté les femmes, les enfants, les vieillards et le gros des esclaves dans le réduit de la colonie, qui était alors le Dos d'âne, position à peu près inaccessible. U n e ardeur incomparable animait tous les habitants et même quelques esclaves fidèles auxquels on avait confié des armes. 1*
10
NOS
Les
Anglais
GRANDES
COLONIES.
concentrèrent
leurs
efforts
sur
le
fort Saint-Charles, commandant le b o u r g de SaintFrançois et celui de la Basse-Terre
proprement dit,
séparés par la Rivière aux Herbes, qui plus tard, par leur réunion, ont formé le chef-lieu actuel. A p r è s bien des feintes pour
amener Hincelin à
dégarnir
un point de la côte, C o d r i n g t o n , n'y ayant pas réussi, se
décida
Barque,
enfin
à prendre
terre
à l'Anse à la
distante de la Basse-Terre d'environ 15 k i l o -
mètres, à vol d'oiseau. L'aide-major Bordenave, à la tête de 25 hommes et de quelques esclaves connaissant bien le terrain, y d'ennemis.
mit hors de combat
une
centaine
Malheureusement il fut tué, et les survi-
vants de sa petite troupe se replièrent alors jusqu'à la rivière Beaugendre, où ils rencontrèrent le major Ducler, commandant cent h o m m e s . Là eut lieu un c o m bat meurtrier, où les Anglais perdirent beaucoup de monde ; mais ils
étaient
infiniment
plus
nombreux
que nous, et continuaient toujours à avancer, brûlant et pillant tout sur leur passage. U n troisième combat, à la
rivière
Duplessis,
leur
enleva
encore
300
hommes ; mais on ne put les empêcher de s'établir à terre. N o s forces alors se partagèrent. Hincelin tint la c a m p a g n e , harcelant sans cesse l'ennemi, et pendant ce temps le chevalier
de la Malmaison,
avec une p o i -
gnée de braves, occupait le gros de leurs troupes au siège du fort Saint-Charles. Il résista pendant trentesix jours à leurs efforts les plus acharnés, ainsi au marquis d ' E r a g n y , gouverneur
et donna général, le
temps d'arriver de la Martinique avec des forces suffisantes, composées de flibustiers et de quelques soldats de marine. Codrington se rembarqua avec précipitation, abandonnant ses canons et même quelques bles-
HISTOIRE GÉNÉRALE DES
ANTILLES.
11
ses; mais il trouva le temps, en se retirant, d'incendier les bourgs de Saint-François, de la Basse-Terre, du Bailli, et toutes les habitations qu'il rencontra sur son chemin. De nouvelles épreuves étaient encore
réservées à
la Martinique, devenue l'objet de la convoitise de toutes les nations maritimes de l ' E u r o p e . L e 1 une flotte anglaise
avril 1 6 9 3 ,
er
commandée par l'animal
Veller
pénétrait dans la rade de Saint-Pierre, tandis que le colonel Faulk débarquait à la tête de quinze
cents
hommes et essayait de s'emparer de la ville ; il ne put y réussir, mais ses
troupes se répandirent dans les
campagnes et causèrent les plus grands
dommages
aux récoltes. La guerre se termina le 3 0 septembre 1697 par le traité de R y s w i c k ,
Malheureusement la paix
pas de longue durée, car en
1703 nous
ne fut
retrouvons
l'Europe de nouveau coalisée contre la France, dans la guerre de la Succession d'Espagne. Les hostilités contre nos colonies
recommencèrent
par une attaque de Codrington le fils contre la G u a d e loupe, il s'empara
de
Marie-Galante,
échoua dans
une tentative contre les Saintes, et le 20 juillet il p a rut devant la Basse-Terre, où il débarqua 4 0 0 hommes au quartier de la Bouillante.
Anger,
gouverneur de la
Guadeloupe, ne les attendait pas sur ce
point ; ils se
livrèrent au pillage et à l'incendie, puis se
rembar-
quèrent, non sans laisser quelques hommes que leur tuèrent des vieillards et des esclaves embusquée d e r rière les halliers. Le 22,ils débarquèrent aux
Habitants,
mais furent presque aussitôt rejetés à la mer ; le 2 3 , toutes leurs forces atterrirent simultanément au François,
au Val de l'Orge et aux Habitants.
Gros-
Sur ces
12
NOS GRANDES COLONIES.
deux derniers points, ils ne rencontrèrent presque pas de résistance, mais au premier on leur livra un combat qui dura deux heures et où ils perdirent 3 0 0 hommes. A y a n t réussi à s'établir à terre, ils mirent le siège devant le fort Saint-Charles. On les fatiguait par des sorties continuelles, on les usait dans des c o m bats de détail, et enfin sur 4 . 0 0 0 Anglais qui avaient débarqué, 2 . 0 0 0 seulement survivaient : les autres avaient été enlevés par les maladies ou les escarmouches : Codrington, désespérant de faire avec la m o i tié de ses forces ce qu'il n'avait pu mener à bonne fin avec la totalité, se rembarqua le 1 8 mai, deux mois juste après son arrivée. La Guadeloupe, débarrassée de ses ennemis, souffrit longtemps encore de la pénurie de vivres : le peu de navires qui échappaient aux croiseurs anglais se r e n daient à la Martinique. Aussi le chiffre de la population resta stationnaire, l'agriculture ne fit aucun p r o grès, et cet état pénible dura jusqu'au traité d'Utrecht en 1 7 1 3 . Cette année-là m ê m e , la Guadeloupe fut ravagée par un ouragan terrible. En revanche, du traité d ' U t r e c h t à la guerre de la Succession d'Autriche ( 1 7 1 3 - 1 7 4 1 , s'étend une longue période de paix, pendant laquelle la colonie fit de sensibles progrès. Ils furent dus en grande partie à l'introduction du café que le commandant de Clédieu avait apporté à la Martinique. C'est aussi dans cette période que disparaissent les engagés, dont il n'est plus fait mention à dater de 1 7 3 5 . Les capitaines furent tenus désormais de transporter à leur p l a c e un même nombre de soldats et d'ouvriers d e s tinés au service des colonies. En 1 7 4 1 , éclata la guerre de la Succession d ' A u t r i -
HISTOIRE
GÉNÉRALE
DES
13
ANTILLES.
che ; la prospérité de la colonie se trouva de nouveau arrêtée, parce que les habitants employèrent tous leurs capitaux à armer des corsaires qui donnèrent la chasse à l ' A n g l a i s . Chasse fructueuse, à vrai d i r e , car les corsaires des îles réunies prirent neuf cent cinquante bâtiments, dont la valeur a été estimée à 3 0 . 0 0 0 . 0 0 0 de francs. La guerre se termina en 1748
par le traité
d'Aix-la-Chapelle. Quelques années de paix s'écoulèrent bien rapidement, et la guerre de Sept A n s éclata en 1 7 5 6 . Trois ans après, l'amiral anglais John Moore reçut l'ordre de s'emparer de la Martinique. L'attaque, dirigée contre F o r t - R o y a l et le morne B o u r b o n , demeura sans
succès ; grâce à la vigoureuse
résistance
milices, les Anglais durent se retirer.
des
L'amiral
se
dirigea alors sur la Guadeloupe,qui devait être moins heureuse. Certains auteurs affirment bien à tort que les habitants n'opposèrent à l'ennemi qu'une molle résistance. C'est là une opinion e r r o n é e , que réfutent amplement les termes mêmes de la capitulation
que
nous citons plus loin, et les détails suivants qui m o n trent aussi à qui incombent les responsabilités de la défaite. La flotte ennemie comptait 12 vaisseaux
de
haut
bord, 0 frégates, 4 galiotes à bombes et 80 bateaux portant 8.000 hommes de troupes. Or, combien de défenseurs l'île pouvait-elle opposera ces forces r e d o u tables? Quatre mille en tout, composés de 2.000 miliciens et de 2.000 esclaves qu'on avait enrégimentés. Ce dernier fait, qui est prouvé par l'article 20 de la capitulation, démontre clairement
combien les habi-
tants étaient désireux de vaincre une fois de plus : car i était fort à craindre q u e , sous le feu de l'étran-
14
NOS
ger,
GRANDES
COLONIES.
les esclaves ne tournassent contre leurs maîtres
les armes qu'on leur avait confiées. Les A n g l a i s , arrivés le 22 janvier,
commencèrent
l'attaque dès le lendemain. Ils s'établirent à terre et remportèrent plusieurs avantages, car ils étaient n o m breux et bien commandés ; les Français, au contraire, avaient à leur tête deux chefs incapables, qui ne s'entendaient pas entre eux : de la Poterie, lieutenant du roi,
et Nadau du Treil, gouverneur de l'île.
La Guadeloupe résista désespérément pendant trois La même ardeur animait tous les habitants et
mois. s'était
emparée
même de quelques femmes c o u r a -
geuses : une dame Ducharniov, à la tête de ses esclaves,
repoussa
plusieurs détachements
anglais, qui
voulaient s'emparer de son habitation. A u bout de ce temps, la famine se faisait cruellement sentir dans l'île, surtout au réduit du Trou-au-Chien,
et la démoralisa-
tion commençait à exercer ses tristes effets: on était las d'attendre en vain les secours que le gouverneur général aurait dû envoyer de la Martinique. A
l'ori-
gine, il est vrai, les moyens de transport avaient
pu
manquer au marquis de Beauharnais ; mais on savait que depuis le 8 mars il avait à sa disposition la flotte de Boni pars. On ne comprenait rien à son inaction et on s'en désespérait. La Guadeloupe fut obligée de se rendre le j o u r même où apparurent à l'horizon les voiles des navires que M . de Beauharnais
s'était enfin décidé à e x p é -
dier. Hâtons-nous de citer, à l'honneur
des c o l o n s ,
l'article 1 d e l'acte de capitulation: e r
Article 1 , — « er
postes
avec deux
Les habitants sortiront de leurs pièces
de
canon
de campagne ,
leurs armes, enseignes déployées , tambour battant,
HISTOIRE
GÉNÉRALE
15
DES ANTILLES.
mèche allumée, et recevront tous les honneurs de la guerre. » En marge
est
écrit
de la main du
commodore :
« Accordé en considération de la belle défense que les habitants ont faite pendant
3 mois de
siège».
L e dénouement de cette affaire fut à la fois triste et comique : d'une part, Nadau du Treil fut
mis en
jugement, dégradé, et condamné' à la prison perpétuelle ; d'autre
part, le roi crut devoir rendre une o r -
donnance par laquelle il faisait défense à tout g o u v e r neur, commandant, ou autre chef dans les colonies, d'y acquérir des
biens-fonds
ni d'y contracter mariage
avec aucune créole. E n 1 7 6 2 , les Anglais firent une nouvelle tentative contre la Martinique.
Ils échouèrent une première
fois, mais le 16 janvier 1762 ils débarquèrent des forces imposantes à la pointe des Nègres et à Case Pilote ; 1 2 . 0 0 0 hommes donnèrent l'assaut au morne Bourbon et à Tartenson, et, malgré une défense digne
d'un
meilleur sort, ces deux positions furent enlevées. L ' e n nemi se dirigea alors sur F o r t - d e - F r a n c o dont il s'empara et occupa Saint-Pierre qui était à peine fortifié. L e 12 février, Levassor de la Touche traita de la reddition de l'île, qui passa aux mains de l'Angleterre. Le traité de Paris, qui porta un c o u p
si fatal
à
notre puissance coloniale, rendit cependant la Martinique et la Guadeloupe à la France. La Guadeloupe fut à ce moment dotée d'une constitution indépendante. C'est à cette
date
également
que fut fondée la ville de la Pointe-à-Pitre. En 1769. on replaça encore la Guadeloupe sous la dépendance de la Martinique. Les considérations stratégiques qui inspirèrent cette mesure n'avaient pourtant
plus a u -
16
NOS GRANDES
COLONIES.
cune raison d'être, puisque les Anglais étaient devenus possesseurs de la D o m i n i q u e , placée
entre les
deux
îles. On finit par s'en apercevoir, et en 1775 la G u a deloupe fut
définitivement
affranchie de toute
tu-
telle. N o s colonies avaient à peine eu le temps
de r e -
prendre possession d'elles-mêmes, et de travailler à réparer les désastres causés par la dernière guerre et l'occupation anglaise, qu'une parole imprudente du maréchal Biron ramenait les flottes ennemies devant les Antilles. L'amiral anglais dettes, s'écriait un j'étais libre, je
Rodney,
retenu
à Paris
pour
jour devant le maréchal : «
voudrais
anéantir
jusqu'au
Si
dernier
vaisseau de la marine française » . — « V o u s êtes libre, M o n s i e u r » , répondit le maréchal ; et il paya les dettes de l'amiral. Ce trait chevaleresque
devait coûter cher
à la F r a n c e . De retour en A n g l e t e r r e , Rodney, à la tête de vingt vaisseaux, se dirigea vers les Antilles, détruisant sur son passage tous les navires français
qu'il
rencon-
trait. Le 19 mai 1 7 8 0 , il se présente devant la M a r t i nique ; mais l'amiral
français Guichen
lui
infligea
des pertes sérieuses. D e 1781 à 1 7 8 4 , la guerre se continua,
acharnée
de part et d'autre, et se termina par la défaite,
dans
les eaux des Saintes, de notre flotte c o m m a n d é e
par
de Grasse. française.
Un
premier décret rendu par l'Assemblée nationale
Nous voici arrivés à la Révolution
dé-
clara que les hommes de couleur
étaient les
égaux
des blancs ; un second, dû à la Convention, devait, le 16 pluviôse an I I ( 4 février 1 7 9 4 ) , donner la
liberté
HISTOIRE G É N É R A L E
aux nègres. Ces mesures
17
DES ANTILLES.
de justice
et d'humanité,
inspirées par les sentiments les plus nobles et les plus généreux, furent malheureusement une précipitation si maladroite
avec
appliquées
qu'elles
eurent pour
premier résultat de faire éclater la guerre civile. Des désordres épouvantables ensanglantèrent la Guadeloupe, mais plus encore Saint-Dominique et la Martinique. Dans cette dernière î l e , après un apaisement passager obtenu par l'énergie de D u g o m m i e r , recommencèrent des scènes de carnage et d'horreur que
nous c r o y o n s plus
telles
patriotique de ne pas
in-
sister. Les Anglais ne pouvaient manquer de mettre à profit nos discordes. Le 10 janvier 1794, John Jervis, avec 31 vaisseaux et six canonnières, arrivait devant la Martinique. Sir Grey
débarqua six mille hommes à la Trinité,
s'en
empara, malgré la belle défense du mulâtre Belgrade, commandant de la milice
des gens
de
couleur.
14 janvier, Fort-Royal était bloqué e t , le
Le
22 mars,
Rochambeau signait la reddition de l'île ; le 2 1 avril, c e fut la Guadeloupe qui tomba aux mains des raux Graham et Prescott,
Deux
géné-
commissaires en-
voyés par la Convention et arrivés en j u i n , Chrétien et Victor H u g u e s , accomplirent de tels prodiges de valeur, qu'avec 2 frégates et 1.550 hommes ils réussirent à expulser 8 . 0 0 0 A n g l a i s soutenus par une escadre considérable. Il convient d'ajouter qu'ils furent puissamment secondés par les habitants, et que les en particulier, ces nouveaux
citoyens
noirs
français, pri-
rent à la lutte une part très glorieuse. Victor H u g u e s était heureusement parvenu à leur inspirer une terreur salutaire. Telle était sa réputation d'énergie et
18
NOS G R A N D E S COLONIES.
de sévérité, que son nom seul suffisait à faire rentrer les rebelles dans le devoir. Après la paix d'Amiens, qui en 1801 nous rendit nos colonies, éclata une nouvelle g u e r r e c i v i l e . H u g u e s n'était plus là : il rendait à Cayenne des services analogues à ceux que nous venons de rappeler. E n 1 8 0 2 , le premier consul commença par
rétablir
l'esclavage
par décret, et, l'année suivante, il envoya à la deloupe 3.500 hommes sous
Gua-
le commandement du
général Richepanee. Les noirs, ayant à leur tête
des
chefs mulâtres, défendirent vigoureusement leur
li-
berté ; la lutte dura plusieurs mois, et quand ils s u c combèrent à la fin, ils avaient fait couler des flots de sang. A ce moment, la colonie se serait trouvée
dans
un état de pauvreté extrême, si les corsaires de la Point-à-Pitre n'avaient fait des courses, d'où ils r a p portaient presque toujours de grands
approvisionne.-
ments de vivres et d'argent. L e 24 février 1809, la Martinique retomba
encore
une fois aux mains des Anglais commandés par C o chrane. Pareil sort échut en 1810 à la Guadeloupe, qui fut cédée à la Suède. Nos
colonies, qui nous furent
rendues en 1814 par le traité de Paris, subirent pendant les cent jours un nouvel envahissement, et nous revinrent enfin en 1 8 1 6 , pour ne plus nous être e n levées. Malgré la période extraordinairement agitée qu'elles venaient de traverser, nos colonies se trouvaient, à ce moment, dans un état de prospérité
relative, et
la
dernière occupation anglaise leur avait m ê m e , j u s q u ' à un certain point, profité. A leur arrivée dans les îles, les Anglais ne modifièrent en rien l'administration les fonctionnaires furent conservés et les créoles g a -
HISTOIRE GÉNÉRALE
19
DES ANTILLES.
gnèrent à la fréquentation continuelle
de
ces h o m -
mes pratiques, laborieux et économes. L e soin des plantations, négligées pour la course, r e devint la seule occupation des colons, qui ne tardèrent pas à renouer des relations commerciales avec l ' E u r o p e . Malheureusement, les rivalités de races, sur lesquelles nous donnerons plus loin des détails, devaient amener de graves conflits à l'intérieur. Les noirs, qui sentaient leur supériorité numérique — à la Martinique, par e x e m p l e , ils étaient 8 0 . 0 0 0 environ, tandis que
les blancs ne représentaient
que
1 0 . 0 0 0 individus, et les mulâtres 1 1 . 0 0 0 — les noirs, depuis longtemps, cherchaient une
occasion
de s e -
couer le j o u g pesant de l'esclavage. U n complot fut organisé à la Martinique et dirigé par
quatre n è g r e s : Narcisse, J e a n - L o u i s ,
B a u g i o ; il éclata dans la nuit du 13 au 14
Jean et octobre
1 8 2 2 ; des colons furent assassinés, leurs demeures pillées, les récoltes incendiées. C'était le signal d'une révolte, que
les noirs espéraient
rendre générale ;
mais, grâce à l'énergie du gouverneur et des autorités militaires, le soulèvement fut réprimé dès son début. Soixante nègres furent arrêtés et livrés aux tribunaux : sept des accusés eurent la tête tranchée, quatorze furent pendus et dix subirent le supplice du Ces exécutions jetèrent la terreur parmi les
fouet. nègres,
et tout rentra bientôt dans l'ordre. Cependant, depuis cette époque jusqu'en 1 8 3 3 , il y eut encore bien des révoltes; la plus fameuse est
celle
des mulâtres en 1824. Le chef
était
du
un h o m m e de couleur du n o m de
mouvement Bisette ; son
était de chasser tous les blancs de l'île.
La
but
conspi-
ration fut découverte, et Bisette arrêté avec treize des
20
NOS GRANDES COLONIES.
mulâtres les plus notables de Saint-Pierre. On les i n terna à F o r t - d e - F r a n c e . Traduit devant les tribunaux, le chef de la révolte fut condamné, avec trois de ses complices, aux travaux forces, trente-sept autres au bannissement. Citons encore la révolte de 1833 dirigée par R o s e mond et L o u i s - A d o l p h e , sous-officiers de la milice mulâtre, qui, à cette occasion, fut licenciée. Le 27 avril 1848, la République proclama de n o u veau l'abolition de l'esclavage, qui cette fois devait être définitive. L'expérience faite en 1794 ne servit absolument à rien, et les nouveaux législateurs s'y prirent aussi maladroitement que les anciens. Il eût été facile de préparer cette modification si profonde de tout un monde en poussant les colons à faire des affranchissements multipliés, alors même qu'on eût dû les provoquer à prix d'or, puisqu'on était décidé à leur accorder une indemnité. Il eût été absolument nécessaire, avant de disperser d'un seul c o u p toute la classe d e s travailleurs, d'introduire aux Antilles d e s immigrants destinés à les remplacer; la chose était possible, puisqu'elle fut faite à la R é u n i o n . La j u s tice et l'humanité qui réclamaient impérieusement le décret rendu le 27 avril 1 8 4 8 , n'auraient rien perdu à ces deux précautions. Les désordres les plus graves éclatèrent à la Martinique c o m m e à la Guadeloupe : principalement à la Grande-Terre et à Marie-Galante. Nous n'en r a c o n terons pas les détails, car nous pourrions être accusés de charger à plaisir le tableau. Citons seulement un incendie qui, le 12 mai 1 8 5 0 , dévora soixante maisons de la P o i n t e - à - P i t r e ; le 1 9 , le feu reprit à l'endroit où il s'était arrêté, sept jours
21
HISTOIRE GÉNÉRALE DES ANTILLES.
auparavant, et consuma encore une douzaine de mais o n s . On se décida à faire un
exemple : un nègre
nommé Sixième, q u ' o n avait pris la mèche à la main, fut décapité sur la place de la Victoire; de plus, la P o i n t e - à - P i t r e et son arrondissement furent mis en état de s i è g e , et la tranquillité finit par se rétablir. Ce qui mit beaucoup plus de temps à revenir dans nos colonies, ce fut la prospérité et la richesse ; les y rencontre-t-on même aujourd'hui ? Hélas !... Les citoyens de la métropole, qui n'ont d'autres bases d'appréciation que des renseignements presque toujours inexacts, peuvent se laisser égarer par des apparences
trom-
peuses ; mais nous savons bien quelle réponse feraient les habitants des Antilles, si on les interrogeait. Les propriétaires d'esclaves commencèrent par être tous Il se
à peu près ruinés par l'émancipation rencontre
des hommes sérieux pour
que la possession d'esclaves
même. déclarer
étant chose contraire au
b o n droit, il n'y a pas lieu de plaindre ceux qui, ayant placé leurs capitaux sur une marchandise les ont subitement répéter
perdus.
Nous ne
humaine,
saurions trop
à ces philanthropes que donner satisfaction à
la morale et à l'humanité, c'est bien, mais que ruiner les gens en leur n o m ,
c'est, pour détruire un abus,
commettre une iniquité. Mais, répliquent-ils, on a indemnisé les propriétaires d'esclaves ! — E n effet, nous soumettons à leurs méditations les chiffres suivants. D'après la loi votée par la Chambre le 30 avril 1849, le gouvernement do rente 5 %
acheta pour 6 millions de francs
partageable entre toutes les colonies,
et leur alloua en outre en c o m m u n une autre somme d e 6 millions. L a Guadeloupe, pour sa part, toucha 1 . 9 4 7 . 1 6 4 fr. 8 5 , et chaque propriétaire eut environ
22
NOS
GRANDES
COLONIES.
5 0 0 fr. par tête d'esclave. O r , le prix brut d'un esclave variait de sept cent à
DEUX
MILLE
francs, et sa valeur
devait être en outre augmentée de ce qu'il avait coûté en nourriture, médicaments, soins, éducation, e t c . . . . Enfin, ce qu'il travail
fut
y eut de plus g r a v e , c'est que le
absolument
désorganisé ,
l'agriculture
manqua de bras pendant près de deux ans, et j u s q u ' à présent, la question du travail aux colonies est encore très grosse d'embarras. P o u r parler plus c a t é g o r i q u e ment, aujourd'hui la Martinique ne bat plus que d'une aile
et
la Guadeloupe
notonie de la vie n'y
est
presque morte : la m o -
est plus
guère
rompue que
par l'imprévu et l'importance des catastrophes
com-
merciales. E n résumé, l'émancipation était souhaitée par tous les esprits justes, elle s'imposait à l'humanité, et
l'on
ne saurait trop louer ceux à qui on la doit ; mais .l'application de cette mesure généreuse fut si maladroite qu'elle constitua, nous avons le
regret
de le
dire,
cette chose grave que qualifiait si sévèrement Talleyrand : — une faute.
C
A RT
E
DE L A
M A R T I N I Q U E (ANTILLES)
LA
MARTINIQUE
CHAPITRE
1.
Asptet général de l'île. — Situation géographique. — Découverte.— Les montagnes.— Les rivières. — Descentes. — Les deux saisons. — L'hivernage : maladies ; phénomènes du ciel, des eaux et de la terre.— Température. — Les nuits. — Le drap mortuaire.
Quand un navire
a franchi le
canal de Sainte-
Lucie pour aller à F o r t - d e - F r a n c e , Dominique, passage dangereux,
ou celui de la
aux lames
courtes
et pressées, s'il se rend à Saint-Pierre, un aspect des plus pittoresques séduit le regard du
voyageur,
grave dans son esprit une impression qui ne
et
saurait
plus s'effacer. Sous un ciel d'une pureté merveilleuse, dont celui de l'Italie peut seul donner une idée, au milieu d'une mer diaprée de mille couleurs et que l'on croirait toujours calme et tranquille, si le mot du poète : a perfide comme l'onde », ne revenait à la mémoire, la M a r tinique se dresse brusquement, semblable à une sirène qui étale sa chevelure humide en restant à moitié dans l'eau. L ' î l e , généralement très escarpée sous l e v e n t , est couverte d'une végétation vigoureuse, d'un vert f o n c é , tranchant avec crudité sur le cadre
24
NOS
GRANDES
COLONIES.
azuré qui l'environne. Quand on y descendit pour la première fois, elle était tellement boisée, les arbres de ses forêts étaient si touffus qu'on ne pouvait apercevoir la terre. La situation géographique exacte de la Martinique est entre 14° 2 3 ' 4 3 " et 14° 5 2 ' 4 7 " de latitude nord, — 63° 6' 1 9 " et 63° 3 1 ' 3 4 " de l o n g i tude ouest. Elle fut découverte par Christophe C o l o m b à son quatrième voyage, en novembre 1 4 9 3 , le j o u r de la fête de saint Martin ; c'est de cette circonstance qu'elle a tiré son n o m . Quand on approche de la Martinique, le premier point qui attire le regard est le sommet du Vauclin. Puis surgissent les pitons du Carbet, la Caravelle, pointe avancée qui ouvre la baie du Galion et de la Trinité, et enfin la montagne Pelée, géant de la chaîne centrale. Peu après, les yeux distinguent les cultures variées, les champs immenses de cannes à sucre, les bouquets de palmiers et de cocotiers aux panaches élégants. Puis se déroulent les côtes sous le vent, minées par la mer qui s'y brise en grondant. Quelques bâtiments légers animent ce tableau: goëlettes paresseusement appuyées sur une hanche, pirogues minces et élancées que conduisent hardiment des nègres, presque tous marins de naissance. L'ensemble de l'île forme deux péninsules réunies par un isthme. Sa superficie totale est de 98.000 hectares. L e sol
semble être le
produit d anciennes
érup-
tions volcaniques des montagnes de l'intérieur. La montagne Pelée pitons du Carbet
1.207
atteint environ 1.650 m. ; les m.
Les Roches
Carrées,
le
NOS G R A N D E S
COLONIES.
1**
Rivière Malame, à Fort-de-France.
LA
27
MARTINIQUE.
Vauclin, le Cratère du Marin
et le
la
Morne
Plaine
sont des volcans éteints. L e cratère de la montagne Pelée s'est ranimé au mois d'août 1 8 5 1 . A la base de ces m o n t s , lave
maintenant
s'élèvent
recouvertes
de
des collines de
bois
et
que l'on
appelle Mornes. L'île mesure environ seize lieues de
long
et
qua-
rante-cinq de circuit. La c ô t e , aux découpures
pro-
fondes,
mer,
généralement élevée
est d'un
au-dessus de
abord d a n g e r e u x ; cependant
la
un
certain
nombre de ports et de havres offrent un asile sûr aux navires de m o y e n tonnage. Les principaux sont : la rade de Port-de-France, havres du Robert, du Marin,
du
la rade de
case an Navire et la
L'île
le port de la Vauclin
Saint-Pierre,
la baie
case Pilote,
la
Grande-Anse.
est arrosée par
peu près desséchées
la
les
Trinité,
et du François,
soixante-quinze
pendant les
rivières. à
chaleurs, mais qui,
pendant la saison des pluies, deviennent de véritables torrents. L e s principaux cours d'eau sont, au vent de l ' î l e : le Lorrain,
qui à son embouchure se divise
bras: le Lorrain
et le Masse ; le
qui reçoit la Falaise,
la
le Macouba,
Galion,
en deux
la
Capote,
la Grande-Anse
et
Sainte-Marie. Sous le vent de l ' î l e : la rivière Pilote qui, ainsi que
la rivière Salée,
est navigable ; la Lézarde,
bette, la rivière
de
Monsieur,
passe à F o r t - d e - F r a n c e ; l e Carbet, Saint-Pierre
Les
et la
pluies
la
celle de Madame,
la rivière du
Jamqui
Fort-
Case-Navire,
torrentielles, qui
montagneuse surtout, produisent
inondent
la région
souvent un p h é n o -
mène terrible que les habitants appellent descente. L e s
28
NOS GRANDES COLONIES.
premières pluies forment des amas d'eau considérables dans les inimmenses cuvettes naturelles des rochers ; quand surviennent les secondes pluies, les pierres qui tonnaient un barrage sont emportées, et la masse d e s eaux se précipite,
entraînant
pêle-mêle
des arbres
arrachés, des quartiers de roches déracinés, jusqu'à ce qu'un accident de
terrain, arrêtant ces débris, l'orme
une nouvelle digue qui contient un instant les eaux bouillonnantes. Mais que les pluies augmentent, etalors rien ne peut plus retenir le flot menaçant ; il s'élance impétueux, grossit
se jette dans quelque cours
d'eau qu'il
démesurément, et ce torrrent furieux, sortant
de son lit. dévaste en quelques heures tout un pays. Ce terrible phénomène se produit presque exclusivement pendant l'hivêrnage. Il n'y a aux Antilles que deux saisons : colle que nous venons de nommer, qui dure de la mi-juillet à la m i - o c t o b r e , et la saison fraîche, qui occupe le reste du temps. Cette dernière, p e n dant, laquelle la température varie de 21 à 29° suivant les heures de la journée, est la plus favorable à l'acclimatation des E u r o p é e n s . Pendant
l'hivernage,
le thermomètre marque de 25 à 37 degrés.C'est l ' é p o que où les maladies ges,
tant
celles
exercent leurs plus cruels rava-
qui sont plus spéciales aux
pays
chauds, c o m m e le choléra, la cachexie alcoolique, lièvre paludéenne et la terrible fièvre jaune,
la
— que le
Père Dutertre appelait le coup de barre, — que celles qui se rencontrent malheureusement partout : la d y s senterie, l'hépatite,
les
fièvres
éruptives, la
fièvre
typhoïde et même la phthîsie ; cette dernière, qu'on ne devrait pas rencontrer
aux Antilles, y devient pres-
que toujours galopante. L'hivernage est aussi la saison des pluies torrentiel-
]***
Fort-de-France.
LA MARTINIQUE.
31
les, des violents orages, celle enfin où se produisent le plus fréquemment les phénomènes désastreux qui b o u leversent trop fréquemment les Antilles. N o u s c i t e rons, pour aller du moins mauvais au pire, d'abord les raz de marée, houles monstrueuses produites par la collision de deux courants opposés, qui se jettent avec violence sur la terre, enlevant quelquefois les plus gros navires, pour les transporter au milieu d'une ville et les y abandonner en se retirant. Viennent ensuite les coups de vent qui emportent les toitures des maisons, parfois les renversent, dévastent les plantations, et causent enfin des ravages de toute nature, dont il est impossible de se faire une idée en E u r o p e ; nous mentionnerons entre autres le c o u p de vent de 1 8 2 5 , qui détruisit de fond en c o m b l e le G r a n d - B o u r g de Marie-Galante et qui fit plusieurs centaines de victimes. L e plus redoutable de beaucoup entre ces phénomènes est sans contredit le tremblement de terre. Il ne se produit pas dans une saison plutôt que dans une autre, on peut toujours l'attendre, et il ne se passe point d'année où l'on ne ressente quelques secousses qui causent des dégâts plus ou moins graves. Nous les décrirons dans la partie de cet ouvrage relative à la Guadeloupe, parce que c'est cette île qu'ils ont le plus éprouvée. Nous nous contenterons de signaler ici, puisque nous sommes à la Martinique, celui de 1737 auquel on attribue la destruction de tous les cacaoyers, qui étaient jusqu'alors une des principales exploitations agricoles de l'île. Quant à la pluie, la quantité moyenne qui en tombe annuellement est de 2 1 7 centimètres au niveau de la mer. La différence entre les années pluvieuses et les années sèches est d'environ 33 centimètres.
32
NOS GRANDES
Malgré
cette eau,
COLONIES.
qui est véritablement un bien-
fait de la nature, la température moyenne de la Martinique, à l'ombre et à deux mètres au-dessus du niveau de la mer, n'atteint pas moins de 26° centigrades ; elle monte quelquefois jusqu'à
35° et son minimum est
rarement inférieur à 25°. E n revanche, au sommet des montagnes les plus élevées (le
Carbet et la m o n t a -
gne P e l é e ) , pendant les mois de février et d'avril, elle descend souvent jusqu'à 18°, même aux heures où le soleil est le plus ardent. Mais il n'est pas facile, on le comprendra, d'aller à une altitude aussi considérable j o u i r de cette fraîcheur bienfaisante. Aussi, les j o u r s paraissent-ils horriblement longs dans cette atmosphère
surélevée. E t de fait,
ils le sont vraiment, car ils ne durent jamais moins de onze heures en décembre où ils sont le plus courts, et en juin ils atteignent jusqu'à douze heures et c'est
demie.
donc avec bonheur que les habitants des villes
saluent l'arrivée de la nuit. Les nuits de la Martinique sont admirables. A un jour qui fuit sans crépuscule succède brusquement une obscurité profonde. Bientôt l'immense voile bleu du ciel se pique d'innombrables étoiles d'un éclat extraordinaire, formant entre elles des constellations bizarres, inconnues
du vieux continent.
A l o r s la brise se lève
fraîche et parfumée et permet d'oublier un instant les souffrances d'un jour trop ardent. C'est l'heure où la vie
est d o u c e ,
longues galerie» far
où
les créoles
se
livrent,
sur les
( l ) , aux joyeuses causeries et au doux
niente. Sur les bords de la mer et dans toute la partie éle-
(1) Balcons de bois qui entourent presque toutes les maisons.
La place Bertin, Ă Saint-Pierre.
35
LA MARTINIQUE.
vée, le climat de la Martinique est suffisamment sain ; mais il n'en est pas de même dans les régions
infé-
rieures, où l'humidité est excessive. Des plaines et des bas-fonds marécageux, s'élèvent dans les airs des buées de vapeurs, et ces tristes nuages portent dans leurs flancs les germes des dyssenteries et des fièvres si justement redoutées. Les premiers colons donnaient un n o m horrible au brouillard compact et nauséabond qui les couvre souvent vers le milieu de la nuit : ils l'appelaient le drap mortuaire des savanes. Nous avons dépeint l'aspect général de l'île, indiqué sa situation
g é o g r a p h i q u e , décrit
ses montagnes
et
ses rivières, son climat et ses saisons, il ne nous reste plus qu'à donner à nos lecteurs une idée exacte des deux principales villes de la Martinique : Saint-Pierre et F o r t - d e - F r a n c e . F o r t - d e - F r a n c e , autrefois F o r t - R o y a l , prend
son
nom du fort qui la domine et en défend l'approche. Il s'élève au fond d'une baie profonde qui constitue
une
rade sûre et d'un accès facile. La ville, assez j o l i e , est surtout remarquable par le cachet colonial que
lui donnent ses
grandes
rues
larges, tirées au cordeau et bordées de maisons néralement en bois et à
gé-
un seul étage : précautions
indispensables contre les tremblements de terre. Les fenêtres qui éclairent ces maisons sont d é p o u r vues de vitres et ne sont closes que par des jalousies, qui permettent d'établir des courants d'air continuels pendant la chaleur du j o u r , et qui, la nuit, laissent pénétrer la brise fraîche de la mer. F o r t - d e - F r a n c e est la ville administrative, c'est là qu'est le siège du g o u v e r n e m e n t , du tribunal et
de
36
NOS
GRANDES
COLONIES.
toutes les autorités civiles et militaires
de l'île.
Sa
population est d'environ 2 4 . 0 0 0 habitants. A sept lieues à l'ouest de
Fort-de-France, s'élève
la jolie ville de Saint-Pierre, dont les premières
mai-
sons, qui s'étendent jusqu'à l'Océan, sont baignées par les vagues. Saint-Pierre se divise en trois paroisses ou quartiers : le F o r t , le Centre et le M o u i l l a g e . L e F o r t , situe du côté opposé à la m e r , monte
ra-
pidement jusqu'à une éminence appelée Tivoli ; sa p o sition élevée e t les ombrages qui défendent
ses habi-
tations contre les ardeurs du soleil, tout en les laissant exposées à la brise de m e r , en ont t'ait un endroit très recherché
de ceux que leurs affaires
n'appellent pas
journellement sur les quais, o ù est le centre de
la
ville commerciale. Des hauteurs de Tivoli, on embrasse un coup d'œil merveilleux ; à g a u c h e r i e s campagnes
couvertes de
riches cultures, et qui s'étendent jusqu'au le morne calebasse toujours couronné de
Prêcheur,
verdure, la
savane et le jardin des plantes ; à droite : la
paroisse
du M o u i l l a g e et les p i t o n s du Carbet qui ferment l ' h o rizon du côté de la terre : à ses pieds : la rade remplie de navires ; au loin,la mer resplendissante,sur laquelle se détachent les voiles blanches de nombreux bateaux. La paroisse du Mouillage s'étend le l o n g de la mer et de là à pic qui
monte
en amphithéâtre jusqu'au morne taillé
domine la ville.
Les quais et les rues du bord de la mer sont o c c u pes par les commissionnaires, les commerçants magasins où sont exposées les marchandises
et les venant
de F r a n c e . L a place Bertin, sur le p o r t , plantée
de
tamarins
NOS G R A N D E S
COLONIES.
2
Jardin botanique de Saint-Pierre.
LA
39
MARTINIQUE.
qui l'ombragent, est le lieu de réunion de tous les négociants de la ville ; c'est là que se tient la Bourse. Les
rues
perpendiculaires
à la
mer
sont m o n -
tueuses, raides et presque impraticables ; dans c e r tains endroits même,elles se terminent en escaliers. Les voies parallèles sont bordées de chaque côté de
larges
dalles qui remplacent les trottoirs : des ruisseaux p r o fonds, où court une eau v i v e , entretiennent les rues dans un état de fraîcheur et de propreté indispensables sous ce climat brûlant. D u reste, l'eau est répandue dans la ville en abondance, et presque toutes les maisons sont pourvues de fontaines. A u c u n édifice public à signaler, à part le théâtre, qui, sans être un monument remarquable, est moins laid cependant qu'on ne pourrait s'y attendre ; il est, du reste, dans une position exceptionnelle, et on y jouit d'une vue magnifique, car le regard embrasse la ville, le Trou-Vaillant et la savane immense qui se déploie jusqu'au bout de l'horizon. Les appartements sont généralement peu meublés ; le rez-de-chaussée, que l'on n o m m e aussi galerie et qui rappelle le parloir
anglais, est le lieu de réunion ; on n'y
trouve guère que des canapés, meuble très
apprécié
des créoles. Dans les chambres à coucher sont de larges lits à colonnes, disposés pour recevoir les moustiquaires. Le jardin des plantes est admirablement situé et il offre aux y e u x étonnés de l'Européen la collection la plus complète de toutes les plantes
tropicales ; une
végétation vigoureuse produit des ombrages épais ; d'abondantes
cascades ménagées avec art
répandent
autour d'elles une délicieuse fraîcheur, et des oiseaux au plumage multicolore, inconnus sur notre continent,
40
NOS GRANDES
COLONIES.
viennent é g a y e r la verdure des feuilles aux formes étranges des cannes à sucre, des bananiers, des p a l miers et de gigantesques mimosas. Malheureusement, sous ces feuilles si belles, sous ces fruits aux couleurs si engageantes, sous la mousse que foulent nos pieds.se cachent des serpents, hôtes dangereux, dont nous parlerons tout à l'heure. F o r t - d e - F r a n c e et S a i n t - P i e r r e sont, à proprement parler, les seules villes de la Martinique ; le V a u c l i n , le P r ê c h e u r , le Carbet, etc., ne sont que des bourgs ou des villages sans importance. L a population totale de l'île est d'environ 1 6 0 . 0 0 0 habitants. Telle est, fidèlement
décrite, cette île de la Marti-
nique, que l'on a cru devoir surnommer
la reine des
Antilles françaises, titre à la fois mérité et injuste, car la Martinique y a tous les droits, il est vrai, mais sa sœur la Guadeloupe
porte c o m m e elle une triple
couronne de richesse, de poésie et de beauté.
Groupe de cases
de cultivateurs.
LA
MARTINIQUE.
CHAPITRE LA P O P U L A T I O N
43
II.
E T L E S MŒURS.
Petite rectification. — T y p e s originaux et variétés. — Le créole. — Questions de couleur. — Hier et aujourd'hui. — Un bal. — La vie. — Une singulière habitude. — Zombis et soucougnant. — Le langage créole ; les bambous.
L a population se compose des mêmes éléments, à peu de chose près, dans toutes les Antilles françaises ; si nous plaçons sous la rubrique Martinique un aperçu des différents types qui la constituent, c'est que dans cette île la question des couleurs a subsisté plus vivace qu'ailleurs, et parfois encore y passionne les esprits. A vrai dire, nous n'abordons point ce chapitre sans quelque appréhension, tant nous savons chatouilleux les épidemies de toutes couleurs de nos excellents compatriotes ; mais notre bonne foi et notre impartialité nous mettront, il faut l'espérer, à l'abri de toute récrimination. D'une façon générale, on distingue aux Antilles ceux qui sont blancs et ceux qui ne le sont pas. Les blancs se divisent en Européens et en créoles. C'est tout à fait à tort que l'on emploie, en F r a n c e , ce dernier mot, pour désigner indifféremment tous les habitants des îles. On peut dire, il est vrai, un nègre créole, pour distinguer un noir né aux Antilles, d'un Africain, par exemple ; mais, prise seule, cette expression un créole ne s'applique avec justesse qu'à l ' i n d i vidu ne aux colonies de parents appartenant à la race
44
NOS GRANDES
caucasienne.
— Les Européens s'assimilent, très vite
COLONIES.
aux créoles en adoptant leurs m œ u r s , leurs habitudes, et même leurs idées. Tout le reste de la population se rattache à une des catégories que nous allons indiquer.
Elles sont très
nombreuses, mais on ne rencontre en réalité, outre les blancs, que trois types originaux : les Africains,
les
et les Chinois. Quant aux habitants primitifs
Indiens
de l'île, les Caraïbes,
ils
ont
complètement
Les violences et les cruautés inséparables,
disparu. paraît-il,
de toute conquête, ont détruit la vaillante race de ces hommes au teint cuivré
qui, forts et braves, actifs et
adroits, nous prêteraient un concours précieux, a u j o u r d'hui que la grande culture dépérit dans nos colonies. Ils étaient, il est vrai, polygames et antropophages ; mais il eût été possible de les ramenera des mœurs plus rationnelles, et la destruction est, à coup sûr, le plus déplorable m o y e n de civilisation. Les quatre mariant
races que nous avons indiquées, en se
entre elles
ou en se
croisant, donnent les
résultats suivants : L e s blancs, entre e u x , donnent les créoles. Les Africains, entre eux, produisent ceux que, après deux
ou trois
générations, on appelle
nègres
des
colonies. Le
croisement
de la race blanche
avec
la race
indienne donne naissance au métis ou métif ; avec la race noire, au
mulâtre.
Celui-ci, à son t o u r , toujours avec le blanc, e n g e n dre les quarterons
; si
croise, il produira le
c'est avec le nègre qu'il
se
câpre.
Enfin, le nègre, en s'alliant avec les derniers descendants des Caraïbes, produit le griffe.
LA
45
MARTINIQUE.
Ces nombreuse? variétés ne diffèrent guère entre elles que par la nature des cheveux plus ou moins crépus, et par la couleur de l'épiderme plus ou moins foncé, suivant le nombre de générations qui séparent l'individu du blanc. Le créole est généralement bien fait, de taille moyenne, mais de constitution peu robuste, ruinée qu'elle est par une anémie quasi-héréditaire. Ses principales qualités sont la générosité et la bravoure. A v a n t 1 8 4 8 , chaque planteur tenait table ouverte sur son habitation; quiconque y entrait était certain d'y trouver l'hospitalité la plus cordiale et en même temps la plus luxueuse : maison, chevaux, esclaves, argent même, tout était mis immédiatement à sa disposition, et l'étranger, qui croyait n'être venu chez un colon que pour quelques heures, y demeurait parfois plusieurs semaines. Nous avons parlé de bravoure. Les luttes acharnées dont il est question dans la partie historique de cette étude témoignent suffisamment du courage des créoles. A un autre point de vue. nous n'étonnerons personne en disant qu'aux Antilles on a la tête chaude. Les duels y sont fréquents et se terminent rarement par de simples égratignures ; ils ont souvent lieu à la carabine de précision, à courte distance. E n revanche, le créole a de nombreux défauts : il est orgueilleux, vantard et frivole ; enfin l'on pourrait appliquer presque à chaque habitant cette expression pittoresque fréquemment usitée là-bas : « Il marche avec un pistolet dans sa poche pour tuer celui qui a inventé le travail » . Quant aux femmes créoles, nous ne saurions trouver de termes assez flatteurs pour louer leur beauté, leur 2*
46
NOS GRANDES
COLONIES.
grâce et leur douceur. Les perfections les plus c o m munes chez elles sont la richesse de la chevelure, la blancheur mate du teint, la finesse des mains et des pieds, l'éclat du regard. Les Africains sont des hommes de moyenne taille, vigoureusement découplés et d'une force musculaire peu c o m m u n e . Par contre, ils ont les traits grossiers : le front, bas et fuyant, est recouvert d'une forêt de cheveux crépus ; sa seule qualité est d'avoir la dureté de la pierre ; les y e u x sont petits et bridés ; l'os nasal extérieur n'existe presque pas, et l'on n ' a perçoit, c o m m e appareil olfactif, que deux énormes trous noirs. N'en déplaise aux romanciers, qui gratifient généralement leurs personnages nègres de lèvres rouges comme du corail, elles sont d'un noir violacé ; épaisses, lippues, n'étant point cachées par la barbe, qui fait presque absolument défaut, elles donnent à l'Africain une bouche repoussante. Les nègres des colonies, descendants des Africains, sont leur reproduction affaiblie, et le type va s'adoucissant à chaque génération nouvelle. A u j o u r d ' h u i il faut les diviser en deux catégories : d'une part, ceux qui sont restés la classe inférieure : domestiques, petits artisans, etc. ; d'autre part, ceux qui, pouvant mettre à profit les b i e n f a i t s de l'éducation, franchissent rapidement tous les degrés de l'échelle sociale, et semblent avoir adopté pour devise le « quo non ascendant » de F o u q u e t . Il ne faudrait pas conclure du portrait peu flatteur que nous avons tracé de leurs pères que les nègres sont inintelligents : loin de là ! leur boite crânienne, énorme,contient un cerveau que la culture peut rendre puissant ; et c o m m e ils sont doués d'une volonté particulièrement, tenace, presque tous ceux
LA
MARTINIQUE.
47
qui reçoivent de l'instruction deviennent des hommes supérieurs. Quant aux nègres de la première catégorie, il semble que l'esprit du bien et celui du mal se livrent en eux un combat perpétuel. Ils sont menteurs, voleurs, vaniteux (farandoleurs), et paresseux ; la locution « travailler c o m m e un nègre » a certainement été trouvée par un homme qui n'avait jamais quitté la France. A u x heures mauvaises, il se réveille en eux on ne sait quelle haine féroce du blanc. E n revanche, ils constituent, c o m m e cultivateurs, des auxiliaires précieux, doux et remplis de bonne volonté : c o m m e domestiques, ceux qui se mêlent d'être bons et dévoués sont vraiment remarquables, et il n'est pas rare de rencontrer encore dans les familles créoles des serviteurs que leurs qualités ont fait élever pour ainsi dire au rang de membres de la famille. Le portrait moral que nous venons de tracer du nègre des colonies, peut s'appliquer également bien au mulâtre, son rival d'hier, son allié aujourd'hui. Issus du blanc et du noir, les mulâtres présentent à des degrés divers les qualités et les défauts des deux races, en accentuant,, c o m m e il arrive presque toujours, de préférence les mauvais côtés. Placés, à tous les points de v u e , dans une position meilleure que celle des n è g r e s , ils ont moins souffert que ces derniers, et pourtant ils ont gardé de l'ancien état de choses des souvenirs plus vivaces, une aversion plus profonde contre le blanc : aux jours de guerre civile, ce sont eux, toujours, qui ont montré le plus d'acharnement et de cruauté. Quelles sont les raisons de cette apparente anomalie ? Nous en v o y o n s deux. La première, c'est Que, plus rapproché du blanc, le mulâtre s'est
48
NOS GRANDES
COLONIES.
jugé plus tôt son égal et a entamé de très bonne heure une lutte où il était soutenu par l'envie et la jalousie.
Indienne.
La seconde, c'est que le mulâtre, esprit plus délié que le descendant de l'Africain, était mieux capable de ressentir toutes les injures qui pouvaient lui être faites, et dont sa naissance m ê m e était la première.
LA
MARTINIQUE.
49
Arrivons maintenant à ceux qui ne se rencontrent dans nos colonies que c o m m e immigrants. Le nom d'Indien n'appartient en propre qu'aux habitants des Indes Orientales. C'est en cherchant un chemin direct pour parvenir à ces contrées que Ton trouva le N o u v e a u - M o n d e , et il en résulta que les navigateurs, croyant être arrivés au terme de leur voyage, appliquèrent, à tort, cette dénomination aux aborigènes de l'Amérique. Ce n'est pas de c e u x - c i qu'il est question. N o s Indiens viennent bien des Indes. Ils sont grands, minces, élancés, avec des attaches légères et des traits d'une finesse extrême. Leurs cheveux plats sont longs et rudes, et d'un noir terne. Ils sont en général doux et adroits, s o u mis, obséquieux même. Ils forment une caste distincte qui se mêle peu aux autres habitants et constituent ainsi un élément à part, un noyau nouveau de populat i o n . E n revanche, ilssonttrès vicieux. Quand ilsont, ou croient avoir un motif de haine, ils se montrent e x t r ê mement rancuniers et vindicatifs, incendiant au moindre prétexte les magasins de chauffage appelés cases à bagasse. Sur dix crimes jugés par la cour d'assises, neuf sont commis par des Indiens. Cet assemblage bizarre de qualités et de défauts fait qu'ils ont dans nos colonies des partisans et des détracteurs acharnés. Il ne nous reste plus à parler que des Chinois. Les fils du Céleste-Empire sont généralement bien pris dans leur petite taille. A v e c leur tête de forme conique, leur figure triangulaire au teint jaune, leurs yeux obliques, leurs sourcils droits et élevés, leur nez écrasé, leur lèvre supérieure faisant saillie sur l'autre, ils paraissent étranges, un peu effrayants, promenant en silence, au milieu de nos nègres méfiants, leur appendice capillaire vrai ou p o s t i c h e .
50
NOS
GRANDES
COLONIES.
Nous ne voulons pas j u g e r le peuple chinois
d'après
les quelques convois qui sont arrivés aux colonies. Ils étaient en effet toujours composés d'individus ramas-
Mulâtresse.
ses dans les tavernes et les cloaques de leurs
villes
natales. D ' u n e façon générale, on accusait les Chinois d'être voleurs et perfides ; mais nous devons dire aussi qu'ils
étaient
industrieux,
laborieux
et économes.
LA
MARTINIQUE.
51
Quoi qu'il en soit, on a dû renoncer à l'importation de l'élément chinois, et les Célestiaux deviennent de plus en plus rares aux Antilles. Ceux qu'on y rencontre aujourd'hui sont petits commerçants. Poussons un peu plus avant l'étude des rapports qu'ont entre eux les élément si divers de cette p o p u l a tion bigarrée. Il faut d'abord éliminer les Indiens et les Chinois, qui demeurent à peu près indifférents aux affaires d'un pays qui n'est pas le leur. Il reste en présence : les blancs, les nègres et les mulâtres. Leurs relations ne sont malheureusement pas amicales et fraternelles c o m m e devraient l'être celles des enfants d'une même patrie. Loin de la, blanes d'un coté, nègres et mulâtres de l'autre, forment deux camps absolument opposés, et les rapports sont parfois tellement tendus qu'ils se brisent avec une violence dont on est loin de se douter en F r a n c e . Tout récemment encore, en 1 8 8 2 , la ville de Saint-Pierre a été b o u l e versée par des troubles qui ont gravement compromis la sécurité publique. Deux maisons ont été détruites de fond en c o m b l e , plusieurs personnes se sont trouvées en danger de mort. L'esprit dans lequel est conçu cet ouvrage ne nous permet pas de nous aventurer sur le terrain de la politique : nous nous contentons d'indiquer l'état des esprits, et surtout de signaler les causes les plus vraies, les plus sérieuses des dissentiments entre les blancs et leurs antagonistes, qu'on g r o u p e le plus souvent sous l'appellation générique de gens de couleur ( 1 ) ; (1) En réalité, on ne désigne sous ce nom aux Antilles que les mulâtres; mais nous trouvons plus commode et plus logique de L'appliquer, dans nos explications, aux nègres comme aux mulâtres.
52
NOS GRANDES
causes
bien connues
COLONIES.
des habitants du p a y s ,
mais
extrêmement délicates à déduire. Les blancs étaient autrefois les maîtres absolus du pays et n'estimaient nègres ou mulâtres q u ' à leur v a leur vénale, c'est-à-dire qu'ils ne les estimaient point du
tout,
les considérant
purement
et
simplement
connue des bêtes de somme susceptibles de produire un revenu plus ou moins élevé. D e fait, les esclaves, sans état civil, sans famille, propriété absolue du maître qui les avait payés, dégradés souvent par les c h â timents corporels
et les traitements les
plus vils,
n'étaient guère en état d'inspirer la considération : et le seul sentiment qu'ils pussent éveiller dans l'âme, même des meilleurs, était celui
d'une pitié un peu
méprisante. Les temps et les choses ont bien changé. U n des plus beaux titres de gloire des hommes de 1 8 4 8 , c'est, à coup
sûr, l'émancipation
des
esclaves. N o u s
nous
sommes déjà permis de dire que ce grand acte de l'affranchissement
a été accompli avec une précipita-
tion
nous ajouterons
rendu
regrettable;
un nouvel hommage
aux
ici, après nobles
avoir
sentiments
qui ont inspiré cette mesure, que cette précipitation est expliquée, sinon tout à fait excusée, par les e n traînements de la lutte et de la victoire. Le principe a triomphé, et les colonies n'ont pas péri, il est vrai ; mais nous défions quiconque les a habitées et les c o n naît, de nier que leurs intérêts, dont la mère-patrie est si profondément solidaire, n'aient été en un j o u r gravement c o m p r o m i s , sinon tout à fait perdus. Quoi qu'il en soit, la folie des premières heures
de
liberté une fois apaisée, les plus intelligents des n è gres et des mulâtres envisagèrent froidement la situa-
LA
MARTINIQUE.
53
tion, et, de ce j o u r , ils se proposèrent, avec la ténacité qui leur est propre, d'atteindre deux buts essentiels :
Négresse.
l'instruction et la fortune. Nous ne les suivrons pas dans les longues et difficiles étapes qu'ils ont eu à franchir ; il nous suffit de constater qu'aujourd'hui beaucoup ont obtenu le résultat tant désiré.
54
NOS GRANDES
COLONIES.
Les blancs n'ont fait d'abord que rire des efforts de leurs esclaves d'hier. Ils ont persisté dans mépris,
sans
leur
daigner s'apercevoir que le vieux monde
créole s'était écroulé, et qu'un j o u r prochain viendrait où le sol de l'île, c o m m e aussi les situations honorifiques, appartiendraient à ceux qui sauraient les c o n quérir et les garder. Ils se sont abandonnés, c o m m e par le passé, aux engourdissements d'une vie p a r e s s e u s e et facile, dissipant avec insouciance les restes de leurs fortunes à peu près détruites, et un beau j o u r ils se sont réveillés plus faibles que les déshérités de la veille. V o i c i donc une première cause de discorde : chez les uns, orgueil i m m o d é r é , inspiré par les positions conquises ; chez les autres, colère et désespoir de les avoir laissé conquérir. L'exercice des droits politiques est venu compliquer la situation. Les gens de couleur, nègres et mulâtres, sont naturellement très attachés au régime qui leur a rendu leur
dignité
d ' h o m m e ; les créoles, au c o n -
traire, par essence et par tradition, sont conservateurs; o r , c o m m e les premiers sont dix fois, v i n g t fois plus n o m b r e u x que les seconds, la victoire leur est toujours restée sur le champ de bataille des élections, et aujourd'hui les blancs ne prennent même plus la peine de voter, se dérobant, par avance,
à une lutte où
ils sont sûrs d'être vaincus. Voilà un second motif très sérieux pour qu'il n'y ait pas, entre blancs et gens de couleur, une s y m p a thie très vive. Quand on voit cette antipathie se transformer parfois en haine, haine violente, implacable, on s'étonne, on s'inquiète, et l'on se dit qu'il doit y avoir une autre cause à ce déplorable état des esprits; on la cherche et on ne la trouve pas. Ceux-là seuls la connais-
LA
MARTINIQUE.
55
sent, qui ont longtemqs habité et pratiqué les colonies. A u x Antilles françaises, la question de la femme, dont personne ne parle, est la question qui au fond passionne le plus les esprits. Beaucoup de n è g r e s et de mulâtres, avons-nous dit, ont acquis la richesse et l'instruction ; ils retournent aujourd'hui dans leur pays natal, après de brillantes études faites en France, c o m m e médecins, comme avocats, c o m m e magistrats ; quelques-uns deviennent gouverneurs de l'île où leur grand-père a reçu le fouet. H o n n e u r aux travailleurs courageux, dont le succès a récompensé les efforts ! Malheureusement il manque une chose essentielle pour que la population des colonies soit h o m o g è n e , unie et parfaitement heureuse: c'est que les nouveaux venus soient vraiment acceptés par la société créole. On les estime à leur valeur, on les salue dans la rue, on les reçoit dans quelques maisons, mais seulement dans des maisons de fonctionnaires, et enfin — là est la g r o s s e question — il n'y a pas dix créoles qui consentiraient à donner leur fille en mariage à un nègre ou à un mulâtre. D e leur côté, les jolies créoles éprouvent une horreur incroyable, qui semble instinctive, pour tout ce qui est de sang mêlé, même à un degré très faible. O r , s'unir à elles, est justement l'ambition éternelle des nègres et des mulâtres. Ils se présentent, mais ils sont éconduits, et les échecs répétés leur inspirent contre les blancs une haine p r o fonde, dont rien ne saurait faire comprendre la violence aux lecteurs européens. Il y a quelques années, un gouverneur de la Martinique eut l'idée désastreuse, — et pourtantellelui avait été inspirée par un vieux créole très expérimenté,
56
NOS
GRANDES COLONIES.
qu'aveuglait sans doute son grand désir de conciliation! — de donner à Saint-Pierre un bal magnifique, où il convia, en même temps
que
les
blancs, les p r i n -
cipaux d'entre les nègres et les mulâtres. Qu'arrivat-il
C'est qu'à peine entrés dans l'immense salle du
bal, les arrivants formèrent trois camps bien distincts, noirs et blancs aux deux extrémité?, mulâtres
entre
les deux : les jeunes filles créoles avaient eu le soin de promettre, longtemps à l'avance, toutes leurs dansesà leurs frères, cousins et amis : et nous renonçons à peindre le sourire dédaigneux avec lequel elles annonçaient la nouvelle aux cavaliers bronzés qui
s'aventuraient
à leur adresser une invitation. Il ne résulta d e c e t t e fête que d e s provocations, des duels et un redoublement d e haine. Mais, diront les Européens, ce sont les créoles qui ont tort ; pourquoi cet
ostracisme
dont
ils frappent
leurs compatriotes d e sang m ê l é ? Eh q u o i !
voici un
homme d e bonne éducation, instruit, médecin
distin-
gué ou magistrat détalent, e t . parce qu'il a sous l'épiderme quelques molécules colorantes de plus ou d e moins, vous aimeriez mieux, suivant l'un d'entre vous, enterrer
votre
l'expression de
fille
vivante que de
la lui accorder en mariage ! c'est de la folie pure. Ce raisonnement paraît tout d'abord d'une justesse indiscutable. Mais, pour Comprendre les sentiments des créoles, il est bon de connaître
et de
peser
les
considérations suivantes. V o i c i un h o m m e , nègre ou mulâtre, d'une
parfaite honorabilité ; très b i e n ! il
est de plus, dites-vous, médecin detalent, ou magistrat distingué, ou commerçant d'une probité à toute é p r e u v e : de mieux
en mieux. Malheureusement il n'est pas
seul au monde ; il sort d'une
famille
nouvellement
LA MARTINIQUE.
constituée, où un état civil régulier, la
57
fidélité
aux
principes de la morale et de l'honneur, e t c . , sont d'in-
V i e i l l e négresse.
troduction trop récente. Il traîne c o m m e un
boulet,
l'infortuné! ou un oncle qui aura été condamné vol sur une habitation, ou une cousine qui
pour
court
les
rues de la ville portant sur un madras crasseux
un
58
NOS GRANDES
COLONIES.
trait chargé de morue fraîche ou salée, ou parente
moins
d'habitants
avouable
de L y o n ,
quelque
encore. Combien y
de Marseille,
a-t-il
de Paris, qui
repousseraient avec horreur tout projet d'union dans les conditions que nous venons
de
dire!
Personne
plus que nous ne désire la fusion des races : elle est logique, indispensable, et elle se fera ; mais ceux qui la veulent immédiate,instantanée, sont des utopistes ou des ignorants. Il faut attendre qu'un demi-siècle, et plus, ait effacé dans nos colonies j u s q u ' a u x vestiges d'un
esclavage et
d'une
derniers
dégradation
qui
étaient la honte de l'humanité. A part ces rivalités, la vie est tout à et douce à la
Martinique.
Les dames
préférant rester à l'abri d'un maisons
soleil
rendues aussi fraîches
avec peine qu'elles se décident
fait
paisible
sortent peu,
de feu dans
que
à dépouiller le
peignoir créole, et à quitter la berceuse ou le aux balancements qui endorment.
les
possible ; c'est
Les
large hamac
hommes
vont à leurs affaires, en général, que jusqu'à
ne
onze
heures du matin, et à partir de trois heures de l'aprèsmidi ; dans l'intervalle, ils
s'abandonnent
aux d o u -
ceurs de la sieste. Leur costume est des plus simples et ne se compose que de vêtements de nankin.
coutil ou de
La coiffure universellement portée, par le
gouverneur c o m m e par le dernier nègre de
l'île, est
le panama aux larges bords. Le seul costume pittoresque est celui des négresses. Il se compose d'une chemise
brodée
jupe aux bandes de couleurs
voyantes, attachée
très fine, d'une très
haut, à la manière des robes premier empire, d'un m a dras j a u n e , vert et r o u g e , posé au sommet de la tête de la manière la plus originale, le tout surchargé
d'é-
LA
53
MARTINIQUE.
pingles d'or, de broches, de pendeloques de toute nature, biles sont d'une propreté remarquable, et ne prennent pas moins de trois ou quatre bains par j o u r . Elles sont presque constamment armées brosse à dents qu'elles agitent
d'une
vivement dans
leur
bouche, préalablement remplie de tabac en poudre. Ce sont là, en effet, deux des traits caractéristiques du caractère nègre : l'amour de la propreté et celui des couleurs éclatantes. Les mœurs sont douces, et la religion catholique est universellement pratiquée. les nègres d'être
Cela n'empêche pas
extraordinairement
Ils ont une multitude
d'amulettes
superstitieux.
ou de gris-gris :
ils croient aux mauvais sorts, — aux sorciers, volants,
soucouyans ou soucougnans, — a u x philtresOuquimbois, — aux revenants, qu'ils appellent des zombis. On s'est habitué, en F r a n c e , sur la foi de romanciers peu soucieux de l'exactitude, à croire que le n è g r e des Antilles parle u n e sorte de langage télégraphique dont voici un échantillon : nègre dire à blanc li vouloir tafia. L a vérité est que le patois créole est presque une langue, langue absolument incompréhensible à qui n'en a pas l'habitude.
Elle
est faite de
mots
•empruntés à presque tous les idiomes connus : anglais, espagnol, hollandais, danois, etc. L e s mots français qui s'y rencontrent sont presque tous méconnaissables à force d'être défigurés ; quelques-uns sont tirés du langage particulier
à telle ou telle province.
Parmi
ces derniers, nous en citerons un bien j o l i , qui est une sorte d'onomatopée imitative du chant des oiseaux au matin. La pointe du j o u r , en vieux langage bas-breton, s'appelait la piperette ; les nègres en ont fait le pipirit
chantant.
NOS GRANDES COLONIES.
60
C o m m e preuve de ce que nous avançons, nous d o n nons à l'appendice
une fable empruntée
à un petit
c h e f - d ' œ u v r e , dont l'auteur est M . E . M a r b o t , c o m missaire de la marine, qui lût ordonnateur aux
co-
lonies ( 1 ) . (1) Les Bambous, fables de La Fontaine, travesties en patois créole par un vieux commandeur. 1869 Fort-le-France, librairie de Frédéric Thomas, rue Saint-Denis. (Voir à l'appendice )
LA
61
MARTINIQUE.
CHAPITRE III. Le règne animal. — Les serpents. — Renvoi à la Guadeloupe. — Histoire du café. — Une réputation usurpée.
La mer des Antilles est riche en animaux de toutes sortes, g r o s et petits. On y trouve quelques haleines dont, malheureusement, la pêche est négligée par les Français et est devenue le monopole presque exclusif des Américains. On y rencontre aussi des requins, des marsouins, et une espèce d'énorme brochet de mer. I ta y pêche le thon, la raie, le rouget, le balaou. l'orphi, dont la mâchoire forme à elle seule le quart de la l o n gueur ; la bonite, la dorade, ce poisson aux formes élégantes et aux couleurs diaprées qui changent mille fois dès qu'on l'a retiré de l'eau. La galère, cette vessie qui semble inanimée, y sécrète son poison v i o l e n t ; le poisson volant y prend ses ébats, trop souvent interrompus par la dentvorace d'un congénère peu scrupuleux, ou vient quelquefois, trahi par ses forces au milieu d'un bond mal calculé, tomber et expirer sur le pont d'un navire mouillé dans la rade. A la Martinique, les huîtres et les écrevisses sont abondantes et savoureuses. Les crabes n'y manquent pas non plus. Signalons encore les tortues de mer, dont la chair est un aliment délicat, la carapace une matière industrielle précieuse, et les petites tortues de terre, assez insignifiantes, qu'on n o m m e Les animaux NOS
molokoies.
domestiques sont les mêmes qu'en
GRANDES
COLONIES.
2**
62
NOS
GRANDES COLONIES.
F r a n c e , et les animaux sauvages sont peu n o m b r e u x . Ce sont le manicou, l' agouti et le rat
L e rat musqué, qu'il
possède
remarquable
et qui sécrète
musqué.
par la petite
une liqueur
poche
fortement
imprégnée d'odeur de musc, est connu de nos lecteurs : son espèce est du reste répandue à profusion
dans
l ' A m é r i q u e du Nord. L'agouti est un r o n g e u r , de la famille des caviens, dont on connaît trois espèces : l'agouti simple,
l'agouchi
et l'agouti huppé. Les agoutis sont de j o l i s
animaux,
de la taille et presque de la forme de nos lapins. Ils vivent dans les bois, mais ne se creusent pas de terriers, préférant
se
retirer dans les troncs d'arbres
c r e u x . Ils se nourrissent d'écorces et de fruits ; on les considère c o m m e un gibier p r é c i e u x , car ils fournissent des rôtis succulents, fort appréciés des g o u r m e t s . L e manicou
est un animal du
genre
sarigue, à
oreilles bicolores. Il a le museau assez semblable à celui du sanglier, la queue raide et assez étendue, le poil rude et l o n g ,
de couleur brun fauve. Les petits
séjournent, pendant cinquante jours après leur naissance, dans la poche que le m a n i c o u femelle porte c o m m e la sarigue. C'est un ennemi dangereux pour les oiseaux et les habitants des basses-cours. Les rats ordinaires pullulent à la Martinique, et la canne à sucre est leur aliment f a v o r i ; aussi leur faiton une guerre acharnée avec
des Bull-terriers. Il y
avait même autrefois une prime par queue présentée. Les serpents en détruisent
aussi de grandes
quan-
tités. Malheureusement, l'auxiliaire est pire que l'ennemi, et nous voici amenés à parler de ce qui constitue une véritable plaie à la Martinique.
LÀ
MARTINIQUE.
63
On y rencontre une grande quantité de reptiles venimeux de toutes les tailles et de toutes les c o u leurs. Les plus communs sont les trigonocéphales, dénomination générale sous laquelle se rangent cinq ou six espèces de serpents à la tête triangulaire, extrêmement dangereux, parmi lesquels se distingue surtout la vipère fer de lance. Sa piqûre est mortelle, et presque sans remède. On prétend que les nègres charmeurs ou panseurs s'enduisent les mains et le corps d'un jus qu'ils tirent de la racine du citronnier mâchée ; mais nous ne conseillerions à personne d'expérimenter la vertu plus ou moins réelle de ce spécifique. Le moyen le plus efficace que nous ayons vu employer par les nègres consiste à sucer immédiatement la plaie ; mais le danger n'en est pas moins très g r a n d , car la moindre écorchure dans la bouche de l'opérateur suffit pour provoquer un empoisonnement presque f o u droyant. Par malheur, ce n'est pas seulement dans les campagnes que l'on est exposé aux morsures fatales. A u mois d'août 1876, nous avons vu tuer dans une des rues les mieux fréquentées de Saint-Pierre, où il y a plusieurs pensionnats de jeunes filles, une femelle pleine de v i n g t - c i n q serpenteaux. N o u s lisons dans le Propagateur de la Martinique du 28 octobre de la même année : « On n'a jamais vu tant de serpents ni si g r o s , et si l'on ne se décide à leur faire une guerre sérieuse, ce n'est pas seulement dans les bois, dans les champs de cannes, sur les grands chemins que ces immondes et malfaisantes bêtes seront redoutables ; non, elles envahiront nos villes en maîtres, et on se rangera sur leur passage, en leur tirant le chapeau à distance, comme aux grands seigneurs d'autrefois. »
64
NOS GRANDES COLONIES.
Viennent alors des citations de nombreux accidents, Nous aimons mieux ne rapporter
suivis de mort. que l'aventure
suivante, qui
s'est
terminée
ici
d'une
façon moins tragique: « Il y
a quelques jours, M .
intérim du Jardin
Gr....
directeur par
des Fiantes, venait de faire visite
à un voisin, M . Ma
avec ses deux enfants, et un
j e u n e h o m m e tenant un fanal, car la nuit commençait. Tout à c o u p , sur l'avenue, qui a deux mètres
envi-
ron de largeur, il aperçut un serpent qui barraittotalement le passage, sans qu'il fût possible de distinguer la tête de la queue, les extrémités étant dans les herbes des deux côtés. Sachant que les coups sont
plus
terribles près de la tête, il frappa là où il la c r o y a i t . Malheureusement, il avait frappé la queue ; aussitôt, le monstre se redressa, cherchant à s'élancer sur Le jeune homme qui portait le fanal s'étant le pauvre père
resta dans
lui.
éloigné,
l'obscurité, poussant ses
deux filles derrière lui de la main g a u c h e , droite s escrimant avec son bâton
contre
qui finit par disparaître, et qui est
et de la
le
reptile,
mort peut-être,
mais qui peut-être aussi est vivant, bien que le bâton soit taché de sang. O r , la maison qu'habite M . M a . . . est à cinquante pas du repaire du monstre, et cinq ou six
il y a
petit! enfants qui jouent là, toute la
journée, e t c . . » E n résumé, la Martinique paie chaque
année un
tribut de victimes à ces Minotaures. T o u t le
monde
n'est pas mordu, c'est évident, mais tout le
monde
supporte mille vexations diverses à cause de cet e n nemi redoutable.
Il
vous prive des promenades n o c -
turnes, vous empêche de poser le pied dans les herbes ou de vous asseoir dans les champs, vous oblige à tenir
2***
Pointe du Carbet,
près de Saint-Pierre.
LA MARTINIQUE.
67
toujours le milieu de la route, vous empoisonne le plaisir si grand des bains de rivière, car il est bien avéré que le serpent se cache sous les pierres pour pêcher ; on hésite m ê m e , quand on a l'innocente fantaisie de cueillir une fleur ou un fruit, car le serpent aime à se cacher sur les arbres et les arbustes, depuis les jours primitifs du Paradis terrestre. Enfin l'on ne peut même pas goûter en paix les douceurs du s o m meil, car la colonie abonde en récits, à faire dresser les cheveux sur la tête, sur le danger qu'ont couru des enfants dans leur lit, couchés sur des serpents qui les auraient mordus au moindre mouvement, si la tendresse maternelle n'avait trouvé le m o y e n , presque miraculeux, de les enlever sans toucher à l'horrible bête endormie. Est-ce vivre cela? Nos lecteurs se demanderont comment les habitants de la Martinique n'ont pas fait cesser immédiatement un état de choses aussi déplorable. Si un département français avait le malheur d'être ainsi infesté de monstres, on voterait immédiatement une prime considérable par chaque tête de serpent détruit, et de plus on y acclimaterait d'autres animaux destinés à détruire les premiers. Quoi de plus facile que de transporter à la Martinique quelques couples de ces vaillants oiseaux du cap q u ' o n nomme indifféremment secrétaires ou serpentaires ! Secrétaires parce qu'ils ont un bouquet de plumes occipitales s'allongeant en arrière de la tête et simulant assez bien la plume que les commis aux écritures ont l'habitude de mettre sur l'oreille d r o i t e ; serpentaires, à cause de la guerre acharnée qu'ils font aux reptiles. Démarche lente et majestueuse, œil brillant de l'oiseau de proie, b e c recourbé servi par de puissants ressorts, corps de
NOS GRANDES COLONIES.
68
vautour monte sur de longues pattes, tel est gnifique
échassier. Dès que
le
un serpent, il fond sur lui et griffes
puissantes ;
ce ma-
secrétaire aperçoit
le fixe au sol
de ses
le reptile se redresse, siffle,
mord les pattes; mais il ne
peut entamer
sa
lui peau
rugueuse, et il est bientôt haché en quelques coups de bec. Le serpentaire est en outre
un
grand
destruc-
teur de rongeurs, et il aurait encore droit de cité, à ce titre, dans les champs de
cannes à sucre.
Pour-
quoi donc les habitants de la Martinique n'en font-ils pas immédiatement venir une centaine ? Nous avions promis une preuve irréfutable de la paresse, de l'incurie
des créoles, nous ne
en donner de meilleure, puisque
nous les
pouvons montrons
ici laissant en danger chaque j o u r , et par pure apathie, non seulement leur propre
v i e , dont ils peuvent
faire bon marché, mais encore celle de leurs femmes, de leurs enfants, sans parler de celles de cultivateurs à leur service. C'est là qui ne tend à rien moins qu'à
malheureux
une indifférence
rendre
inhabitable un
des plus beaux pays du m o n d e . Mais nous nous sommes assez étendu sur ce triste sujet, laissons de côté les reptiles et parlons des oiseaux. On
retrouve
d'abord
à
la
Martinique
presque
tous les oiseaux de France. Ceux qui sont particuliers, sinon à l'île m ê m e , du moins aux Antilles françaises, sont les suivants: les g o b e - m o u c h e s , prochent
beaucoup
de
l'ibis ; les
quelques
flamands, mais assez
qui
se rap-
hérons crabiers :
rares : les
oiseaux dont les ailes atteignent jusqu'à
frégates,
huit pieds
d'envergure. Pendant l'hivernage, îles vols
considé-
rables de pluviers viennent
l'île, et
deviennent aussitôt la
s'abattre dans
cible des chasseurs ; ils
ne
69
LA MARTINIQUE.
sont pourtant qu'un butin peu désirable, harassés et amaigris déjà p a r l e s fatigues d'une route parfois très longue et toujours très
tourmentée.
Citons
encore
les colibris et les oiseaux-mouches, ces j o y a u x animés de l'écrin des Antilles, si proches
parents
entre eux
que les mêmes compliments et les mêmes
reproches
peuvent s'adresser aux uns et aux autres. Ce sont les plus
petits des oiseaux.
L ' é m e r a u d e , le rubis, la
topaze, a dit Buffon, brillent sur leurs habits. Ils ne les souillent jamais de
la poussière de la terre,
et,
dans leur vie aérienne, on les voit à peine toucher le gazon par instants.
Ils
sont
toujours
en
l'air, et
vivent du nectar des fleurs que leur permet de
pom-
per l'organisation particulière de leur langue.
Mais
leur petite taille et leur grâce brillante ne les empêchent pas d'avoir un naturel des plus emportés ; ils se battent entre eux avec acharnement et ne
cessent
queter le chasseur qui s'en est rendu le plus
remarquable
de
de
bec-
maître. Enfin,
tous est peut-être l'oiseau
moqueur, car à un plumage aussi magnifique il joint une voix qui n'est pas
sans
agrément.
Sa robe est
d'or, de pourpre et d'azur, et il semble poursuivre voyageur égaré dans les bois d'accords
qu'il
le
module
d'un ton vraiment railleur. Viennent ensuite les insectes, qui sont innombrables à la Martinique, et des plus i n c o m m o d e s . d'abord
les abeilles,
Ce sont
presque toutes à l'état sauvage.
Aussitôt après le coucher du soleil, les
maringouius.
placés sur les pointes des hautes herbes, commencent un concert assourdissant. Plus sont leurs frères les
insupportables encore
moustiques.
Dans l'intérieur des habitations, nous trouvons les ravets, insectes coléoptères,
longs à peu près
d'un
70
NOS GRANDES
COLONIES.
p o u c e , dont l'odeur forte est encore plus désagréable que celle de la punaise. Ils volent audacieusement de tous côtés, pénètrent dans les armoires et les bibliothèques, rongent le linge et les livres, vont
partout
se multipliant, infects et dégoûtants. L e s variétés de fourmis sont si nombreuses que le moindre aliment oublié sur une table est immédiatement pris d'assaut, et sur les habitations il faut parfois se défendre vahissements
d'en-
subits qui prennent les proportions de
véritables invasions. N o u s ne saurions oublier le scorpion, pieds,
hideux scolopendre
la bête à mille
dont la piqûre occasionne
une brûlure cuisante, suivie d'inflammation et souvent de fièvre. La chique, qui dépose une
s'introduit sous la peau, y
grande abondance
d'œufs qui
éclosent
presque instantanément, et qu'on ne saurait, sans d a n g e r , négliger d'extraire aussitôt. Terminons par un insecte plus g r a c i e u x , la
luciole,
q u i , dans le patois c r é o l e , répond au doux n o m de la belle ou clindindin.
Ses y e u x phosphorescents p r o j e t -
tent une clarté verdâtre, d'un effet saisissant quand elle voltige le soir dans les jardins. L a végétation de la Martinique, c o m m e celle de la Guadeloupe, est d'une
d'ailleurs
richesse et d'une
vigueur étonnantes. C'est en nous occupant de cette dernière colonie que nous étudierons le règne
végétal
aux Antilles. Nous ferons seulement exception
pour
le café, non point parce que la Martinique en produit plus que sa voisine ( o n verra plus loin la vérité à ce sujet, qui surprendra bien des gens), mais uniquement parce que cette île est la première où l'on introduisit la plante précieuse, et que c'est de là qu'elle se répandit dans les colonies voisines.
LA
MARTINIQUE.
71
C'est des plateaux de l'Abyssinie qu'est originaire la plante à laquelle nous devons cette liqueur délicieuse, qui donne de l'énergie, stimule l'esprit et le pousse à la gaieté, s qui manquait à V i r g i l e , et qu'adorait Voltaire » . Lorsque le commandant Clédieu quitta la F r a n c e en 1 7 2 7 , Jussieux lui remit trois petits plants de café pour les introduire à la Martinique. La traversée fut pénible et l o n g u e ; quelques jours avant d'atteindre le but du v o y a g e , l'eau manqua à bord, et l'on fut obligé de réduire à la demi-ration matelots et passagers. Clédieu préféra souffrir de la soif que de laisser m o u rir les plantes qui lui avaient été confiées, et il se priva de sa ration d'eau pour les arroser. Cependant, sur trois plants, il eut la douleur d'en voir mourir deux pendant le v o y a g e : il ne put en sauver qu'un seul. C'est ce petit pied de café, cultivé avec soin par lui, qui produisit à la longue toutes les riches plantations des Antilles. Que de richesse et de bien-être d a n s c e s e u l arbuste confié aux soins d'un homme intelligent! P o u r quoi faut-il qu'aujourd'hui la négligence et la paresse des planteurs laissent dépérir cette plante précieuse au point qu'elle ne tardera pas à disparaître c o m p l è tement de la M a r t i n i q u e ? L'auteur du mal, qu'une longue incurie a rendu presque irrémédiable, est un simple puceron, qu'à l'origine il eût peut-être été facile d e combattre v i c t o rieusement. On a bien fait quelques tentatives, mais comme on n'a pas remporté du premier c o u p un succès éclatant, on a tout abandonné ; et on a préféré se livrer exclusivement à la culture de la canne à sucre, peut-être à cause de l'espèce d'idée aristocratique qui s'attache là-bas au titre de sucrier.
72
NOS GRANDES COLONIES.
L e café
Martinique
continue à jouir à Paris et dans
le monde entier d'une réputation hors ligne. bien peu de personnes pourtant peuvent
se
Comvanter
d'avoir dégusté une tasse de ce café au g o û t exquis, au parfum délicieux ! Le nombre en est bien petit en France, et dans la colonie m ê m e , seuls les
gourmets
acharnés parviennent à se procurer une provision
de
cette précieuse fève, qui tend à disparaître tout à t'ait. L'immense
majorité de
la population
boit du
importé des colonies voisines; quant aux
café
consomma-
teurs de la métropole, on leur sert sous le nom de café Martinique du café de toutes les provenances, excepté de la vraie. Le café que l'on rencontre dans les différents marchés avec l'étiquette Martinique en dire autant
du r h u m ) — est
— (nous en
pourrions
réalité du
café
Guadeloupe. En Fonauce et dans Paris, tout patout, dans boutique, Yo qua faire passé pour Café Martinique, — (Qui pas dans moune encor). — Café Guadiloupien, Qui sel qua validé et qui tout partout plein. »
Ce n'est pas d'aujourd'hui que la Martinique b é n é ficie de la réputation
de produits qui ne sont pas les
siens: le t'ait date de l'époque déjà lointaine OÙ, de par la volonté de la métropole, toutes les autres îles reconnaissaient la suzeraineté de
la reine
des Antilles ».
Elle seule commerçait directement avec l ' E u r o p e , et les denrées des colonies voisines, en passant par ses ports, prenaient assez naturellement
son n o m , qu'on
leur a conservé par la force de la routine.
CARTE DE
LA
G U A D E L O U P E (ANTILLES)
Imp. F. Menétrier, P a r i s .
LA
GUADELOUPE
CHAPITRE
1 . er
Découverte. —Trois étymologies pour une — Situation — Structure. — Configuration, côtes, anses, pointes, etc. — Les moutagnes. — Les rivières. — Produits minéraux et sources. — Le tremblement de terre de 1843.
Christophe C o l o m b a fait quatre voyages on A m é rique ; c'est au s e c o n d , le 4 novembre 1493, qu'il d é couvrit la Guadeloupe. C o m m e cette île, heureusement pour
elle, n'offrait aucun vestige
de
filons
aurifères, elle fut complètement négligée parles E s p a gnols. Il serait
même permis de croire qu'on oublia
pendant plus d'un siècle qu'elle avait été découverte ; c'est seulement en 1635 que les Français devaient en prendre possession : nous verrons au chapitre suivant dans quelles circonstances. Les Caraïbes, qui seuls habitaient l'île lors du p a s sage de C o l o m b ,
l'appelaient Karukéra.
lèbre navigateur
a-t-il tiré le nom île Guadeloupe
D'après les uns, il voulut,
en
D ' o ù le c é -
le choisissant,
hommage à N o t r e - D a m e de Guadelupe,
?
rendre
madone v é -
nérée en E s p a g n e , et sous les auspices de laquelle il avait c o m m e n c é son v o y a g e . D'après les autres, il fut NOSGRANDESCOLONIES.
3
71
NOS GRANDES
COLONIES.
seulement frappé de la ressemblance que présentaient les montagnes de l'île avec la Sierra
de Guadalupe,
dans les provinces de l'Estramadure. Il existe une troisième explication, peu sérieuse à vrai d i r e ,
mais que nous
rapportons parce
qu'elle
renferme un anachronisme assez amusant de certains auteurs espagnols. Ils racontent que le célèbre L o p e de V é g a
poète
jouissait en son temps d'une telle p o -
pularité q u ' o n en était arrivé à se servir de son nom même c o m m e de l'épithète la plus élogieuse qui se pût trouver. O n disait, par exemple,
un château de
L o p e , une pierrerie de L o p e , pour désigner un palais splendide, ou un diamant de très grande valeur. les premiers navigateurs
qui passèrent dans
Or
notre
île firent aux eaux douces qu'on y trouvait une telle réputation, que
les galions espagnols revenant des
Antilles eurent Tordre de s'y arrêter pour l'eau,
et
que , suivant la mode
appela cette
eau
délicieuse Agua
serait dérivée par corruption
faire de
de l'époque , de Lope
l'appellation
on
; de là de
Gua-
deloupe. La vérité est que les eaux de la Guadeloupe
sont
exquises pour la plupart, et q u ' u n cours d'eau y porte encore le n o m de rivière des Galions. Malheureusement cette ingénieuse é t y m o l o g i e pèche par un point capital : L o p e de V é g a ne vint au monde qu'en 15b'2, et sa réputation ne s'établit qu'à la fin du
seizième
siècle, c'est-à-dire plus de cent ans après que la G u a deloupe eût été découverte et baptisée. La Guadeloupe se trouve située dans tlantique, entre 15° 5 9 ' — 1 6 °
l'océan
A-
3 1 ' latitude nord, et
63° 3 2 ' — 04° 9' longitude ouest du méridien de P a ris. Sa circonférence est de 4 4 4 kilomètres, sa super-
75
ficio de 160.262 hectares. L'île est divisée en deux parties inégales par un canal long de neuf kilomètres et demi, large de 30 à 120 mètres, qu'on appelle la Rivière salée. C o m m e ce bras de mer est très sinueux et ne présente jamais plus de 5 mètres de profondeur, il n'est accessible qu'aux bâtiments de petit tonnage employés à la navigation intérieure. L a portion de terre placée à l'ouest de la Rivière salée est la Guadeloupe proprement dite ; celle de l'est s'appelle la Grande-Terre. Nous appliquerons désormais chacune de ces appellations à la partie qui lui est propre. La Guadeloupe mesure 180 kilomètres de tour, 46 de long, et 27 de large. Le sol, d'origine volcanique, est tourmenté et montagneux ; c'est là que se trouve notamment le volcan de la Soufrière. La Grande-Terre, de forme triangulaire, a 65.631 hectares de superficie. A u contraire de la Guadeloupe, c'est une terre plate, d'origine calcaire et de formation récente ; on y remarque au nord les Hauteurs de l'Anse-Bertrand, plateau de 95 mètres d'altitude ; au
sud
les
Grands-Fonds
de
Sainte-Anne,
petite
chaîne de mornes taillés à p i c , haute de 115 mètres en moyenne. L'extrémité de la Grande-Terre se n o m m e P o i n t e des-Châteaux ; c'est une langue de terre couverte de falaises. D e ce point au port de la P o i n t e - à - P i t r e , la côte méridionale est généralement basse. D e la P o i n t e Parry, la côte, profondément découpée, suit une direction sud, d'abord, jusqu'à la pointe de Capesterre, puis oblique au sud-ouest jusqu'à la pointe du V i e u x Fort qui forme l'extrémité méridionale de la G u a d e loupe. Elle se termine au nord par la pointe Allègre ; de ce point, elle s'infléchit au sud-est jusqu'à la
NOS GRANDES COLONIES.
76 Rivière
salée, présentant des terres basses, couvertes
de palétuviers ; puis le rivage remonte aller former
la pointe
au nord pour
de la G r a n d e - V i g i e ,
extrême
nord de la G r a n d e - T e r r e . U n e ligne de côtes basses, décrivant une grande
courbe du nord au sud-est, va
rejoindre la Pointe-des-Châteaux. Citons,parmilesansesetlesbaies remarquables,l'Anseà-Pistolet et la pointe des Gros-Caps, trouvent les rochers du Piton,
entre lesquels s e
de la Porte-d'Enfer
(1)
et du Souffleur, dont les grottes vomissentà près de dix mètres la houle qui s'y engouffre ; l'anse à la la pointe
et l'anse des Corps,
le Moule,
l'anse
Parque,
Sainte-Marguerite,
le seul véritable port de la côte d u Vent ; le
rocher très caractérisé de la Couronne,
de nouvelles
P o r t e s - d ' E n f e r , un second Souffleur ; la pointe l'Eau,
la baie Sainte-Marie,
herbe,
Panse à
Gourde
( 1 0 n i . ) , enfin, les roches magnétiques
Pointe-des-Châteaux,
Mal-
l'îlet
à
de la
semblables à de vieilles fortifica-
tions, cap oriental de la G r a n d e - T e r r e . L e s principales montagnes de la Guadeloupe, qui forment une chaîne présentant à peu près la forme d'un Y , sont les suivantes. D'abord le massif de Toucher, le Grand tique,
et le Petit-Sans-Toucher,
et le Morne
la Soufrière, 4 m. que le
Gourbeyre
le Piton
ou Matélyane.
du
Mous-
P u i s c'est
volcan e n c o r e en activité, plus élevé de massif précédent.
piton de Sainte-Rose,
au-Chien,
Sans-
1.480 mètres, c o m p o s é de quatre sommets :
440 m.,
Viennent
ensuite le
3 5 8 m , et la m o n t a g n e du
Trou-
qui se détachent symétriquement
de la chaîne centrale ; la Grosse-Montagne,
volcan
(1) Cette porte formant voûte a été atteinte par le tremblement de terre en 1843 ; la voûte s'est effondrée, il ne reste plus que les deux rochers qui la soutenaient.
LA
éteint, 7 2 0 Mamelles,
m.
; le piton
les Sauts
77
GUADELOUPE.
Baille-Argent,
de Bouillantes,
610
m. ; les
la Madeleine,
etc.
Presque tous ces pics sont des volcans éteints. De ces montagnes descendent soixante-dix rivières ou cours d'eau. Elles sont très poissonneuses, mais deux seulement sont navigables : la Lézarde et la Goyave. Les plus importantes d'entre elles sont : le Coin ; la rivière de Capesterre qui, à sa sortie de la Soufrière, forme une magnifique cascade de 600 mètres : la rivière des Bananiers ; la rivière des Galions ; la rivière des Herbes ; la rivière du Bon-Goût, qui d é b o u che dans la Rivière salée ; enfin la Grande-Rivière, qui reçoit plusieurs affluents, est redoutable par ses crues irrégulières, et g a g n e chaque année une d o u zaine de mètres sur la mer par ses dépôts d'alluvions. On rencontre à la Guadeloupe plusieurs sources minérales ; nous citerons les suivantes : les sources du Matouba, de Sophaia, de Saint-Charles, le Bain du Curé, la Fontaine Bouillante à la lame, etc.... Le sous-sol de la Guadeloupe contient le fer s u l furé, le manganèse, le basalte, l'ocre, la silice, l'argile que l'on emploie pour la poterie, la fabrication des tuiles et des briques, — l a lave, que l'on utilise p o u r le pavage des rues, — et le soufre, que l'on ne se donne pas la peine de recueillir, parce que la Soufrière en produit trop peu. Parmi les phénomènes qui jettent si souvent la perturbation dans nos colonies des Antilles, il en est un dont nous avons réservé l'étude pour la Guadeloupe, et dont le nom seul est redoutable. Le tremblement de terre est un cataclysme dont nous ne rechercherons pas ici les causes, sur la nature desquelles la science n'est pas absolument fixée, mais
78
NOS GRANDES COLONIES.
qu'il est assez facile de décrire. Il consiste en m o u v e ments convulsifs du sol. Ces mouvements se produisent soit dans un sens horizontal, et la terre a. dans ce cas, des ondulations semblables à celles de la mer ; soit dans
un sens vertical,
quand
une partie du sol se
soulève, tandis que l'autre s'enfonce : soit enfin dans un sens circulaire, lorsque maisons, arbres, rochers, montagnes, e t c . , se mettent à tournoyer c o m m e autour d'un
invisible
catastrophe
pivot.
Rien n'annonce à l'avance la
qui se prépare. Sans doute le baromètre
tombe tout à coup très bas, sans doute quelques animaux donnent des signes manifestes de terreur, sans doute enfin on entend un bruit mystérieux semblable au grondement d'un tonnerre souterrain ; mais au m o m e n t même où l'on constate ces accidents, le b o u leversement de la nature a déjà commencé. Un
tremblement de terre qui aura toujours une
triste célébrité dans les annales de la colonie, est celui qui se produisit
le 8 février
1 8 4 3 . date à jamais
néfaste ! V o i c i quelques extraits du rapport officiel adressé le j o u r même par le gouverneur : « Basse-Terre, le 8 février 1843, 3 heures du soir.
« U n tremblement de terre dont la durée a été de soixante-dix secondes vient d e jeter la Guadeloupe dans une consternation profonde. Cet événement a eu lieu ce matin, à 10 heures 112 environ
A u m o m e n t où
j e vous écris, j'apprends que la Pointe-à-Pitre
n existe
plus. J e monte à cheval, j e vais me transporter sur le lieu du désastre. »
LA GUADELOUPE.
79
« Du 9, à 3 heures, à la Pointe-à-Pitre.
« La Pointe-à-Pitre est détraite de fond en c o m b l e . Ce qui a été épargné par le tremblement de terre a été dévoré par l'incendie qui a éclaté peu de moments après celui où les maisons se sont écroulées. « J e vous écris sur les ruines de cette malheureuse cité, en présence d'une population sans pain et sans asile, au milieu des blessés, dont le nombre est considérable ( o n dit 15 à 1.800 !) et des morts ( e n c o r e sous les d é c o m b r e s ) , qu'on porte à plusieurs milliers. L'incendie dure toujours. « Tous les quartiers de la colonie ont souffert c o m m e les dépendances. La ville du
Moule détruite...
Les
bourgs de Saint-François, Sainte-Anne, P o r t - L o u i s , Anse-Bertrand,
Sainte-Rose,
ont été renversés
« Signé : GOURBEYRE. » Dans ce cataclysme, la terre avait le mouvement horizontal dont nous parlions plus haut ; elle allait par ondulations, do l'est à l'ouest, vers la mer. On assure également que la terre s'entr'onvrit en plusieurs endroits, laissant voir d'horribles abîmes d'où s'échappaient des flammes bleuâtres, mais qui se refermèrent presque aussitôt. L a Soufrière perdit, dans ce bouleversement, le plus élevé de ses pitons, qui déliassait les autres de 29 mètres, et dont on ne retrouve plus que quelques débris. Il fut impossible de combattre l'incendie, dont les nombreux barils de rhum consignés dans les magasins augmentaient encore l'intensité, parce que les pompes avaient été détruites ou perdues sous la chute des
80
NOS GRANDES
COLONIES.
maisons qui les contenaient. L e nombre des m o r t s , brûlés ou écrasés sous les d é c o m b r e s , fut d e plusieurs milliers; celui des blessés fut presque aussi
considé-
rable. O n les jetait pêle-mêle sur des matelas, et les chirurgiens
ne
pouvaient
suffire
aux amputations
multiples qu'il y avait à pratiquer: leurs
instrumenta
émoussés, ils durent se servir d'égohines. Los détails horribles se pressent sous notre plume, impossible de les reproduire toutes
parts
les appels
tous.
mais il est
On entendait de
désespérés des
agonisants
sous les décombres : le père de l'un des auteurs de ce livre demeura près d'une demi-journée suspendu par unej a m b e prise entre deux pierres; on trouva 23 jeunes filles écrasées côte à cote sous les ruines de leur pensionn a t ; une autre, la tille d'un médecin très populaire, M
l l e
Amélie L . , était devenue subitement folle et p a r -
courait les ruines en criant : «
Comment
peut-on
avoir peur d'un tremblement de terre? est-ce que je ne suis pas dans la maison de ma m è r e ? » L e malheur public fut encore
augmenté par un
nouveau fléau dont les conséquences possibles étaient fort redoutables : sous l'action d'un soleil de feu, les corps entassés de toutes parts entrèrent rapidement en décomposition et répandirent dans l'atmosphère une odeur pestilentielle; il fallut verser de la chaux vive aux endroits où les plus gros essaims de mouches signalaient la présence
d'un plus grand nombre de
cadavres. On trouva, en déblayant les décombres, une grande quantité de picces d'or et d'argent, les unes intactes, les autres transformées en lingots. Il se rencontra des pillards q u i , m e t t a i t à profit cet horrible désastre, e m plirent
leurs pochée de doublons, Ils furent arrêtés, et
LA
81
GUADELOUPE.
nous sommes heureux d'avoir à constater que c'étaient, pour la plupart, des matelots étrangers. A part ces malfaiteurs, t o u s
les hommes restés
valides, d e p u i s le gouverneur jusqu'au dernier marin, firent preuve d ' u n admirable dévouement. Le gouvernement français a c c o r d a à la c o l o n i e u n
crédit de 2.500.000
f r a n c s , et
des
souscriptions
s'ou-
v r i r e n t de t o u s les côtés, même c h e z les n a t i o n s étran-
gères, pour venir en aide aux v i c t i m e s d e la terrible catastrophe.
Grâce à c e s s e c o u r s e f f i c a c e s , la ville d e
la Pointe-à-Pitre sortit bientôt de ses décombres plus jeune et p l u s
belle
qu'auparavant.
3*
82
NOS GRANDES COLONIES.
CHAPITRE
II.
La Basse-Terre. — La Pointe-à-Titre. — Les Ilots. — Une ascension à la Soufrière.
Les principales villes de la Guadeloupe, les seules peut-on d i r e , sont la Basse-Terre et la Pointe-à-Pitre. La Basse-Terre est située à l'extrémité occidentale de l'île. C'est son chef-lieu,le siège du gouvernement, la ville des fonctionnaires. La Basse-Terre a été très é p r o u v é e , elle fut saccagée et presque entièrement détruite par les A n g l a i s en 1 6 6 6 , 1 6 9 1 , 1703 et 1759, — consumée en partie par l'incendie du 15 août 1 7 8 2 , — désolée par la guerre civile en 1794, 1802 et 1808, — enfin aux trois quarts renversée par les coups de vent de 1 8 2 1 , 1 8 2 5 et 1 8 6 5 . C'est aujourd'hui une ville assez laide et fort triste ; dans bien dos rues, l'herbe croît en toute liberté. Signalons cependant le Cours Nolivos, auquel le voisinage du port donne une certaine gaieté, et le Champ d'Arbaud, planté d'arbres magnifiques et bordé des principaux établissements publics de la colonie. On peut encore citer deux églises : Notre-Dame
de la Guadeloupe
et
Notre-Dame
du Mont-Carmel. S o m m e toute,la Basse-Terre ne doit son animation factice qu'à la présence des fonctionnaires, et deviendrait un véritable cimetière si le siège du gouvernement venait à être transféré à la P o i n t e à-Pitre, c o m m e il en a été plusieurs fois question. N o u s ne donnons ici aucun détail sur l'administration, puisqu'il en sera traité dans un chapitre spécial.
LA GUADELOUPE.
83
L a ville est arrosée par la rivière aux Herbes, déjà citée, et par les trois ravines à l'Espérance, à Billaud et à Saint-Ignace. Les habitants n'ont aucun respect pour les eaux de ces malheureuses ravines, qui c h a r rient des débris bien singuliers. La rade de la Basse-Terre est ouverte à tous les vents, et fréquemment bouleversée par les raz de marée pendant l'hivernage. La Pointe-à-Pitre est située sur la pointe n o r d o u e s t du M o r n e - L o u i s . Cette position la fit appeler le Morne-Renfermé jusqu'en 1772 e n v i r o n ; mais, à partir de cette époque, la désignation actuelle prévalut, du nom du pécheur hollandais Peters qui avait été un des premiers à bâtir là sa cabane. Cette ville» a été encore plus éprouvée que la BasseTerre. L'énumération des ouragans, des coups de vent, des raz de marée qui l'ont bouleversée, serait trop l o n gue ; elle fut détruite de fond en comble par un incendie en 1 7 8 0 , et en 1 8 4 3 par un tremblement de terre que nous avons longuement décrit (1) ; près de 80 maisons furent dévorées par un autre incendie en 1850, et celui du 18 juillet 1871 n'a laissé debout que deux faubourgs. La Pointe-à-Pitre est sortie chaque fois de ses ruines avec de nouveaux avantages. Elle forme le c e n tre d'un mouvement commercial assez actif. Sa rade est une des plus belles du golfe du M e x i q u e , où elle n'a guère de rivales que celles de la Havane et de Fort-de-France ; et encore ces dernières ne doiventelles la sécurité dont y jouissent les bâtiments qu'à des travaux exécutés de main d ' h o m m e . Elle reçoit (1) Voir le chapitre précédent, page 78.
84
NOS
GRANDES
COLONIES.
actuellement chaque année une centaine de
navires
de 5 0 0 tonneaux au minimum et un nombre infini de caboteurs ; mais nous espérons qu'elle ne tardera pas à prendre une importance beaucoup plus considérable aussitôt après le percement de l'istme de Panama. La l ' o i n t e , c o m m e on dit aux Antilles, est une ville assez coquette, dont les rues, bien percées, sont bordées de maisons de bois à deux étages, quelques-unes fort b e l l e s . Citons parmi les principaux édifices les casernes, l'hôpital de la Marine, l'hospice Saint-Jules sur la route d e s A b y m e s ,
et le musée l ' H e r m i n i e r . N o u s
ne pouvons passer s o u s silence la Place foire : c'est
de la
Vie
un Carré parfait, qui a un de ses côtés
formé par la mer, et les trois autres par des allées de sabliers séculaires ; au milieu s'étend la Savane,
sur
laquelle s'élevait le théâtre, avec une jolie salle d'ordre corinthien-; ce monument a brûlé isolément en 1 8 8 3 . Il faut mentionner encore, non c o m m e édifices, mais c o m m e lieux de réunion ayant bien leur côté pittoresque, le marché et la poissonnerie. c'est là que les c u i sinières se rendent à la provision ; le moindre
détail
sert de prétexte à d e s batailles ou à des disputes h o mériques. U n e des incommodités dé la P o i n t e , c'est le voisinage
du canal Vatable,
canal qui ne sert absolument
à rien et qui est un véritable
foyer d'infection. Il
été décidé en principe qu'on le comblerait,
a
mais la
dépense est évaluée à un million, et les moyens b u d g é taires de la colonie n'ont pas permis jusqu'ici de c o m mencer les travaux. On peut citer encore c o m m e troisième ville de la Guadeloupe,
le Moule,
sur la côte orientale
seul port
qu'on
rencontre
de la Grande-Terre. La ville a
La Pointe-à-Pitre après l'incendie
île 1871.
LA
87
GUADELOUPE.
1 1 . 0 0 0 habitants ; on y remarque quelques établissements de c o m m e r c e et plusieurs usines centrales. Les principaux Sainte-Anne, Bertrand,
bourgs
Gozier, Grippon
le
sont :
Canal,
ou
Bardeaux-Bovry,
l'Eau, etc., à la G r a n d e - T e r r e ; le Mahault,
le Lamentin,
Pointe-Noire, Dolé,
les
les Habitants,
Trois-Rivières, Vieux-Fort,
la
,
l'AnseMorne-à-
Petit-Bourg,
Sainte-Pose, le
Saint-François
le Port-Louis,
la
Capesterre,
Baillif,
Bàiela
Bouillante,
e t c . , à la G u a d e -
loupe proprement dite. Les créoles, et principalement les femmes, quittent aussi souvent que faire se peut les villes, où la température est élevée, c o m m e nous l'avons v u , pour aller en changement d'air. Les déplacements se font un peu partout, sur les hauteurs ; mais les endroits les plus fréquentés sont d'une part les îlets, et d'autre part les différentes sources que nous avons signalées en énumérant les richesses minérales de la Guadeloupe. E n outre, on va rarement au C a m p - J a c o b et au M a touba sans faire par la même occasion une excursion à la Soufrière. L e genre de la villégiature aux îlets varie suivant le nombre et l'humeur des familles qui s'y rencontrent. Parfois l'existence y est calme et paisible c o m m e la mer endormie qui chante aux rochers de la côte sa plainte monotone ; parfois, au contraire, c o m m e cette mer encore quand un vent de tempête bouleverse ses flots bleus, la vie y est agitée, tumultueuse. Les nuits s'y passent en j e u x de toutes sortes, en danses interminables, en pêches aux flambeaux ; les jours se suivent et se ressemblent par la quantité des plaisirs que chacun d'eux apporte. Pour
se rendre de la Pointe-à-Pitre à la Basse-
88
GRANDES
NOS
COLONIES.
Terre, trois m o y e n s de transport
sont offerts
aux
excursionnistes: la diligence, les bateaux à vapeur de la compagnie D e b o n n e , et les caboteurs. Cette d e r nière voie» est des moins sûres. C'est une histoire, à la Pointe, que celle
d'un
légendaire
certain nombre
de daines de la ville qui, devant aller au bal à la Basse-Terre, prirent passage à bord de /'Actif, c a p i taine X . . . Le malheureux bâtiment justifia bien mal son n o m , car, pris par des courants contraires, chassé par le vent, il lut obligé d é t e n i r un mois la mer, et finalement de relâcher à Saint-Thomas. Quand on se rend à la Soufrière, on c o m m e n c e par gravir le Crève-Cœur, tend
le
plateau
du
le bien n o m m é . Au-dessus s'éMatouba, lieu
m o n d e , avec ses cinq tentes
unique dans le
de verdure superposées
l'une à l'autre : au-dessus du caféier, le bananier jette
1
c o m m e une mante sa feuille de satin vert : l'oranger, plus
haut,
balance
ses
pommes
d'or ; plus
haut
encore, les élégantes colonnettes du bambou dressent leurs feuilles étroites, longues et droites c o m m e un faisceau
d'épées ;
enfin,
au-dessus de tout ce
murmurant, le palmiste, ce
peuple
géant g r ê l e , agite sa fré-
missante chevelure. A droite» et à gauche de la route qui mène à la rivière Rouge, des habitations charmantes s'offrent de 1
toutes parts, au milieu de jardins coquets et d'arcades de verdure. Partout on respire une odeur fraîche et capiteuse. «
L e s mille encensoirs des roses, dit M .
Rosemond
de Beauvallon ( 1 ) , unissent leur griserie troublante, (1) George Audran. Pointe-à-Pitre, 1883. Imprimerie du Courier de la Guadeloupe.
LA
GUADLLOPE,.
89
corrigée par les suaves émanations des plantes vertes, par les délicates douceurs des bégonias, des gloxinias, des kalmias, cette pluie d'étincelles blanches et roses brillant dans un feuillage sombre et délicat c o m m e la plume. » Du point qui unit les deux Matouba, celui de la montagne et celui du plateau, on admire « les eaux fraîches, limpides et abondantes de la rivière R o n g e la reine des rivières de la Guadeloupe. D e ce point on les voit tomber en cascades sonores, s'étendre en bassins transparents, et aller, dans leur course vagabonde, se séparant, se réunissant, se séparant e n c o r e , pour former de riants îlots semblables à des corbeilles de verdure nageant sur les ondes » . Mais qui dira la sensation éprouvée lorsqu'on se plonge dans ces eaux qui, sortant de la m o n t a g n e , sont pures et glacées ? U n seul mot peut la rendre : c'est un « supplice délicieux ! » U n e partie à la Soufrière n'est pas chose facile à préparer, quoique bien des gens y montent au débotté et sans aucune précaution ; mais ils peuvent dire au retour ce qu'ils ont eu à souffrir et combien peu ils ont profité de leur excursion. Lorsqu'il y a des dames surtout, il faut avoir le soin de s'adresser à quelques personnes ayant l'habitude de ces parties. Alors, si les fatigues sont les mêmes, les dispositions prises évitent les écoles et rendent moins pénibles les v o y a g e s et les haltes. La première chose est de faire construire un bon ajoupa aux Bains jaunes. Ensuite il faut constituer d'abondantes provisions en liquides aussi bien qu'en solides, et ne pas négliger les éléments du coucher, c'est-à-dire des laines et des molletons en suffisante
90
NOS
GRANDES COLONIES.
quantité. Chaque v o y a g e u r
doit
se munir de deux
vêtements, également chauds : l'un léger pour l'ascension, l'autre plus lourd pour le c o u c h e r . Mais l'essentiel est d'être irréprochablement chaussé. On doit choisir c o m m e porteurs des hommes v i g o u reux,
sobres,
et se bien garder de
mener avec soi
des novices ou des ivrognes. De l'entrée des bois aux Bains jaunes,
le chemin est
plein de crevasses et de troncs d'arbres tombés en travers. On chevauche au hasard par une voie à peine tracée, qui, à tous les désagréments des sentiers
de
montagnes, joint celui encore plus grand de ne pas courir en ligne droite On gravit
d'abord le morne
G o y a v i e r , qui sem-
ble ne plus finir, puis on attaque la Savane à mulets, ainsi nommée parce que aucun animal de cette espèce n'y a jamais
brouté.
Cette partie de la
route est si dépourvue de ver-
dure et d'originalité que l'œil se fatigue vite à suivre un développement plat et uniforme ; mais le pied rencontre à chaque instant des flaques d'eau boueuse où il s'enfonce et des racines contre lesquelles il se heurte. L'air fétide de
ces eaux
bonne odeur des bois, et
croupissantes
remplace la
aux chansons variées
des
oiseaux succèdent les cris monotones et incessants de la gent amphibie. Après
la P o r t e - d ' E n f e r on passe entre le volcan
du Sud et le volcan N a p o l é o n ,
dont
on entend les
sourds g r o n d e m e n t s , semblables au bruit d'un
ton-
nerre lontain. La Soufrière, avec sa plaie-forme vaste .et inégale surmontée de deux
petites éminences, est au milieu
de l'île, tirant un peu vers le
midi. Son
pied foule
LA
91
GUADELOUPE.
le sommet des autres montagnes.
L e terrain, b o u -
leversé en tous sens, est un composé de terre brûlée et de pierres calcinées ; il fume endroits,
dans
bien
des
et surtout dans ceux où il y a des fentes.
Le plateau est partagé en deux par une énorme c r e vasse appelée la Grande-Pente
; ses deux bords sont
reliés ensemble, en certains endroits, par des c o m m u n i cations que la nature a établies et qui portent des noms différents ; ce sont le Pont nois et le Pont
du Diable.
on contemple le paysage le plus et le plus étendu.
naturel,
le Pont
chi-
Des hauteurs de cet A r a r a t ,
varié, le plus riche
O n a sous les pieds, d'un côté, la
rade et la baie de la Basse-Terre, puis la ville ellemême se groupant en amphithéâtre autour
de sa
jeune cathédrale ; de l'autre, le magnifique port de la P o i n t e - à - P i t r e , et, c o m m e
une toile d'araignée, les
mâts et les vergues de ses navires, dont les corps s e m blent des insectes noirs qui y seraient enlacés. Aucun détail n'échappe à l'œil : voilà les îlets avec leurs cocotiers, et la R i v i è r e salée avec ses sinuosités. La vue embrasse par-dessus la cime des monts une vaste plaine de verdure où partout le palmier balance sa tête royale au-dessus des cultures
qui
succèdent
à d'autres cultures. C o m m e une carte de géographie, s'étalent aux r e gards les fertiles champs de cannes
de la G r a n d e -
Terre, du Lamentin, de Sainte-Rose, de la Capesterre, enfin de la colonie entière. O n découvre c o m m e un chapelet égrené sur ses flots étincelants les Saintes, la Désirade, Marie-Galante, la Dominique, la Martinique, Mont-Serrah, A n t i g o a , Nièvres Christophe.
et
Saint-
92
NOS GRANDES COLONIES.
CHAPITRE III. Le règne végétal. — Habitations vivrières ; le manioc. — Le paradis des gourmands.— Les forêts vierges. — Le mancenillier ; Millevoye et l'Africaine. — Grandes habitations. — Hier et aujourd'hui. — Le sucre. — Le rhum. — Autres produits. —Triste constatation. — Les travailleurs; l'immigration.
Ce que nous allons dire d u règne
végétal
de la
Guadeloupe s'applique également à celui de la M a r tinique. Si nous avons place de préférence cette étude sous la rubrique Guadeloupe, c'est uniquement
pour
réparer, autant qu'il dépendra d e nous, l'injustice c o m merciale dont c e t t e île a toujours été victime et que nous avons signalée précédemment.
Nous ne man-
querons pas, d'ailleurs, de faire au passage les quelques remarques qui peuvent être spéciales à la Martinique. Pour
bien
étudier
les productions multiples de
notre île, il faut les diviser en deux catégories : p r o ductions de petite
culture
et
productions
de
grande
culture.
Ce qui correspond à la banlieue maraîchère de Paris porte aux Antilles le nom d'habitations vivrières. situées
principa-
lement sur la route des A b y m e s , pour la
A la Guadeloupe, elles se trouvent
Pointe-à-
Pitre : aux environs de la Basse-Terre, plus n o m breuses parce que l'eau est plus abondante près du chef-lieu, elles sont disséminées un peu partout,
mais
se rencontrent de préférence sur la route du C a m p Jacob,
93
LA GUADELOUPE. Elles
sont cultivées soit pur des nègres,
propriétaires, soit
petits
par des ouvriers européens
qui
ont fini par acquérir un lopin de terre, et qu'en
pa-
tois du pays on appelle blancs paubans.
Ils recueillent
là toutes les racines si nombreuses du pays : des
pa-
tates, espèce de p o m m e de terre d o u c e , — d e s
ignames,
—
couscous,
des malangas
— des madères, mais non
ou
choux caraïbes,
—
farineux de la
etc.,
des
même famille,
sucrés ; de nombreuses variétés de pois ;
presque tous les légumes connus en F r a n c e ,
des ba-
nanes, etc. Ces légumes sont portés chaque matin à la ville par des nègres
ou des négresses, qui placent
leur chargement, suivant son importance tance à parcourir, soit sur
ou la dis-
un bourriquet bâté, soit
dans une boîte plate découverte, nommée trait, qu'ils prononcent tré.
en équilibre sur un linge quelconque ronne sont
roulé en c o u -
sur la tête du porteur ; nègres d'une adresse
ils arrivent à
mot
Ce trait est simplement posé: et
négresses
extrême à ce genre d'exercice :
porter
ainsi, sans
aucun
accident,
même une bouteille remplie d'eau. D e u x plantes appartenant à la petite culture m é ritent une mention spéciale.
C'est d'abord le tabac,
qui malheureusement a été tout à fait n'en produit même pas assez pour locale. C'est ensuite et surtout le
la
négligé ; l'île ;
eonsommatiem
manioc.
De nombreuses erreurs ont été commises par presque tous les auteurs qui ont décrit la préparation du manioc ; voici exactement
c o m m e n t se pratique cette opération :
On recueille la racine, on l'épluche, on la râpe, et le produit ainsi obtenu est placé dans des sacs en feuille de latanier. Ces sacs sont d'abord mis à la presse, et l'on recueille, dans de grandes bailles, l'eau
qui en
94
NOS GRANDES COLONIES.
découle. Cette eau est un mais nous verrons tout
poison
des plus violents ;
à l'heure pourquoi on
n'a
Plant de Manioc.
garde de la laisser perdre. On répand ensuite la pulpe pressée sur une plaque de tôle
recouvrant
un
four
95
LA GUADELOUPE. chauffé à petit feu, on la remue
avec
constamment
des râteaux de bois, et lorsqu'elle
est
parfaitement
sèche, elle constitue ce qu'on appelle la farine de m a nioc. Les habitants des colonies en consomment une grande
quantité, car
tous leurs
ils la
mélangent
aliments ; quant
à
presque
aux nègres, c'est
cette
farine qui constitue leur véritable pain. Qu'est-ce maintenant que la cassave, fond souvent avec le friandise,
produit
que l'on c o n -
précédent ? C'est une
composée de la pulpe avant sa cuisson et du
résidu déposé par l'eau que nous avons vu
recueillir
tout à l'heure. Ce résidu prend le n o m de moussache.
Pur,
il est
employé c o m m e amidon dans le pays ; préparé, il vient le
de-
tapioca.
Toutes les opérations que nous venons de exigent un personnel assez n o m b r e u x , parce demandent à être faites sans interruption
décrire qu'elles
et qu'elles
ne se pratiquent que la nuit, pour les deux
raisons
suivantes : d'abord grager (râper) serait trop
fatigant
pendant la grande chaleur du j o u r , détournerait les travailleurs portantes. Aussi est-il d'un nègres des habitations
et ensuite
cela
d'occupations plus
im-
usage
voisines
se
constant
que les
réunissent, vers
huit heures du soir, sur celle où l'on va
travailler
le
manioc. C'est une véritable fête, car c e u x qui viennent d'être relayés se reposent
de leurs fatigues en
tant, en buvant du tafia et en dansant des A notre avis, la culture
du manioc
chan-
bamboulas.
devrait
être
encouragée aux Antilles ; la G u y a n e et le Brésil ont jusqu'ici le monopole de l'exportation du tapioca. L e s arbres fruitiers se rencontrent en nombre i n fini à la Guadeloupe et sont répandus dans toutes les
96
NOS GRANDES
COLONIES.
parties de l'île. Les principaux sont
les suivants : le
Arbre, à pain.
bananier,
qui c o m p o r t e des variétés infinies: bananes
proprement dites, qu'on m a n g e le plus souvent cuites,
LA
et figues-bananes, figue sucrée,
GUADELOUPE.
97
qui se mangent crues
figue-nain,
porte de Taïti ; —
etc.) ; —
le cocotier,
(figue-pomme,
l'arbre
im-
à pain,
dont on ne connaît en
France que l'amande sèche, mais dont la n o i x , cueillie un peu avant sa complète maturité, contient une et une crème délicieuses (cocos
manguier, sur lequel nous reviendrons l'oranger et le citronnier,
eau
à la cuiller) ; —
dont
on
plus
le
bas ; —
compte
de
très
nombreuses espèces ; — l'abricotier, dont le fruit, gros comme une tête d'enfant,
a la propriété
donner la lièvre quand on quantité ; — le sapotiller,
à la forme
au fruit justement renommé ; — deux fruits
bizarre de
en inange une l'acajou,
superposés : une p o m m e
certaine
pyramidale
et
qui porte
tantôt jaune,
tantôt r o u g e , surmontée d'une noix à tonne bizarre, qui, fraîche ou grillée, constitue un manger — le tamarinier,
au feuillage curieusement
délicat; découpé,
dont le fruit, généralement très acide, sert surtout à préparer des confitures ou des boissons ; —
la pomme
rose-, la chair de son fruit a la couleur et le parfum de la rose ; — le pommier de Cythère,
ainsi n o m m é sans
doute parce que son fruit est délicieux mais par un noyau épineux tapi sous
défendu
la pulpe et q u e ,
si
l'on y mord imprudemment, on le rejette aussitôt, les lèvres ensanglantées ; — Yavocatier,
dont le fruit est
une sorte de beurre végétal entourant un gros appelé procureur
noyau
: les gens de la Martinique disent :
on mange l'avocat et on jette le procureur à la porte ; — le palmier,
qui, lisse et d r o i t , s'élance jusqu'à
30
mètres de hauteur ; les nègres ont le talent de se hisser jusqu'au front du géant, dont la tige nue est glissante c o m m e un mât de c o c a g n e , pour lui arracher sa fleur et quelquefois aussi son bourgeon NOS
GRANDES
COLOIES.
terminal,
nommé 3**
98
NOS GRANDES
chou-palmiste
; l'un et l'autre donnent une salade des
COLONIES.
plus délicates, mais d ' u n prix tort élevé, et malheureusement,
quand le bourgeon a été arraché, l'arbre
ne tarde pas à m o u r i r . Quand cet accident s'est p r o duit, il se développe à la base du tronc sans vie une multitude de vers blancs, à tête noire, courts et gros c o m m e le p o u c e , qui ont à peu près l'apparence d'une chenille, et que les gastronomes
intrépides
recher-
chent avec avidité pour les manger en brochette. On assure que les vers-palmistes ont tout à l'ait le même g o û t que le chou et les fleurs, mais nous nous sommes toujours refusés à en faire
personnellement
rience. — Citons encore le pommier-cannelle goyavier,
le papayer,
le corossolier,
Il faut encore mentionner,
d'une
l'expé; — le
le grenadier,
etc.
part, îles arbres
qui ont des propriétés médicales bien connues, c o m m e l'aloès, le cassier,
etc. ; d'autre part, des fruits (pli ne
viennent pas sur des arbres, c o m m e la barbadine, la pomme
liane, les ananas,
etc.
Grâce au climat exceptionnel des Antilles, il n ' y a jamais disette de fruits : chaque mois apporte les siens, et cette abondance dure d'un bout de l'année à l'autre. On le comprendra
d'autant
plus facilement
quand
on saura que tous les fruits viennent à l'état sauvage, sans être l'objet d'aucun soin. D e u x
seulement
font
exception à la règle : le mangot et l'ananas. Le manguier
est originaire
naturel, le mangot,
de l'Inde ; son fruit
est filamenteux et a un goût de
térébenthine très prononcé ; mais il perd ses défauts par le m o y e n de la greffe, prend le nom de mangotine ou de mangue, et donne alors
un manger
sous les appellations de mangue
d'or, mangue
mangue
divine,
délicieux, Amélie,
e t c . Les mangues de la Martinique
LA
GUADELOUPE.
99
sont particulièrement renommées. L e manguier n'est cultivé que c o m m e arbre d'agrément. L ananas a mérité d'être
appelé le roi des fruits.
.Mulâtresse de la Guadeloupe.
Sa culture a pris une grande extension dans les d e r nières années, et il est devenu un article d'exportation très demandé.
100
NOS GRANDES COLONIES.
On peut encore citer c o m m e relevant
de la petite
culture» les épices, telles que la girofle, la cannelle, muscade,
le poivre,
e t c . , qui malheureusement
la sont
presque tout à fait délaissés. E n f i n , bien que ceci ne rentre pas dans notre classification, nous ne pouvons manquer de signaler au passage les forêts de la Guadeloupe, qu'on peut encore aujourd'hui appeler des forêts vierges, car les voies et moyens ont toujours manqué pour leur exploitation. C'est une source de grandes richesses que l ' o n néglige ainsi, car ces forêts contiennent des bois véritablement précieux ; le peu qu'on a coupé
suffit à le démontrer.
La colonie a envoyé à l'exposition universelle de 1878 106 échantillons de bois différents. Citons parmi les plus c o m m u n s le laurier-rose
Antilles,
l'ébène
verte, très
montagne,
le noyer
recherchés
par
des
l'ébé-
nisterie. V i e n n e n t ensuite
le callebassier,
qui fournit aux
nègres de n o m b r e u x ustensiles d é m é n a g e ; le fromager ou cotonnier
mapore,
fort bel a r b r e , au bois m o u et
poreux, aux cônes cylindriques s'ouvrant
en cinq
valves capitonnées, d'une matière fine et soyeuse, c o u leur nankin; le gaïac, dont le bois sans a u b i e r , si dur qu'il émousse les instruments les mieux trempés, sert à faire des roues de moulins, et dont l'écorce bouillie donne un sudorifique très puissant; le campêche,
qui
fournit une teinture noire ou violette; le courbaril, l'écorce
à
noire et raboteuse, au bois résineux, très
employé pour la charpente, et qui remplace quelquefois sur les navires les cabilots de fer. Les bambous sont de véritables graminées, dont les chaumes noueux s'élancent en fusées dans les airs jusqu'à cinquante ou soixante pieds de h a u t e u r ; bercés par la brise, ils
101
LA GUADELOUPE.
chantent sans arrêt une chanson m o n o t o n e ,
et les
lianes sans nombre qui embrassent leurs troncs rendent
leurs
bouquets
impénétrables.
Les
fougères
arborescentes, les balisiers, les acacias, les caratas, les catalpas, e t c . . . , se j o i g n e n t enfin à tous les précédents pour couronner d'une verdure éternelle les mornes et les montagnes de la Guadeloupe. Faisons une place à part au mancenillier
légendaire,
dont l'ombre même passe pour être mortelle. L'insulaire t r e m b l a n t e A l l a s'asseoir s o u s le m a n c e n i l l i e r , E t c o m m e n ç a d ' u n e voix faible et lente
Ce c h a n t l u g u b r e et qui fut
le dernier,
a dit Millevoye. C'est un arbre de belle taille, qui ressemble assez, pour le port et le feuillage, à un noyer
ou à un très
grand poirier. L'histoire de l'ombre mortelle doit être mise sur le compte d e l'exagération habituelle aux v o y a geurs; mais il est
certain
que toutes les parties
du
mancenillier renferment un suc laiteux, acre et caustique, qui
constitue un poison violent. Le cœur de
ce bois est dur, c o m p a c t , admirablement veiné ; mais il n'a jamais été que peu e m p l o y é , à cause des p r é c a u tions q u ' e x i g e son exploitation, et aujourd'hui on le détruit à peu près partout où on le rencontre. Disons en terminant qu'il ne croît qu'aux Antilles et dans les parties les plus chaudes de l'Amérique du Sud ; c'est par une pure licence poétique, et pour les besoins de la mise en scène, que les auteurs de l'Africaine ont placé un de ces arbres à Madagascar, où ils n'ont jamais existé. Ce qui correspond aux
fermes, aux
exploitations 3***
102
NOS GRANDES COLONIES.
rurales de F r a n c e , s'appelle aux colonies
une habi-
tation ; c'est là que se cultivent ou se cultivaient le cacaoyer, le
r o u c o u y e r , le caféier
et
la canne
à
sucre. Le cacaoyer
a le même port à peu près que le
cerisier : niais il est toujours couvert de feuilles et de petites fleurs inodores; son fruit, qu'on appelle cabosse, a la forme d'un c o n c o m b r e , et cette capsule coriace, raboteuse, sont
contient v i n g t - c i n q à trente amendes qui
le cacao
proprement dit, base
chocolat. 11 y avait autrefois beaucoup
principale du de cacaoyers
à la Martinique; mais ils ont été presque tous détruits par le tremblement de terre de 1 7 3 7 . Le peu de cacao qu'on y récolte aujourd'hui est généralement acre et amer. Dans notre île, 8 0 0 travailleurs environ sont employés à la culture du d'habitations
cacao sur
une
centaine
situées presque toutes à la Guadeloupe
proprement dite. Cette plante précieuse, qui donné deux
récoltes par an, a été introduite aux Antilles,
en 1664, par le J u i f Dacosta; elle mérite à tous égards d'être encouragée. En 1878, on en a exporté 2 3 3 . 8 1 2 k i l o g r a m m e s ; mais il faut que ce chiffre a u g m e n t e c o n sidérablement
encore. Nous
ne devons
pas oublier
que le cacao est un des principaux éléments de» richesse à la Trinitad et au
Venezuela.
Le r o u c o u y e r est une plante de l'Amérique méridionale,
qui
donne annuellement
deux
récoltes de
petites baies renfermant des graines d'un rouge orangé. C'est la pellicule, séparée de la graine par des lavages successifs, qui fournit le roucon, essence tinctoriale et médicament
fébrifuge.
En
1 8 8 3 , on
en a exporte
3 0 0 . 4 9 0 kilogrammes ; mais sa culture est intermittente et diminue chaque j o u r , parce que les nouvelles
LA
103
GUADELOUPE.
découvertes do la science tendent à faire baisser c o n s tamment le prix du r o u c o u . L e cotonnier
est un
arbuste
dont
suivant l'espèce. Son fruit, appelé est une capsule ronde
la taille varie
coque ou
gousse,
renfermant des graines noires
perdues dans un flocon de duvet qui est le coton.
Sa
culture a été autrefois une des principales causes de richesse
des Antilles ; mais elle
a considérablement
diminué depuis le x v i i i e siècle. E n 1 8 8 2 , tation
a
été seulement
encore chaque kilo coûte habitations cotonnières
de
1.337
l'expor-
kilogrammes,
et
plus qu'il ne rapporte. Les se trouvent
principalement
dans leS communes du Baillif et des V i e u x - H a b i t a n t s ; on en rencontre aussi plusieurs dans les dépendances de la Guadeloupe. L e cafier ou caféier est un petit arbre toujours vert, de vingt à trente pieds de haut, que les créoles plantent en allées. Ses rameaux opposés en sautoir forment une cime pyramidale, d'un aspect très pittoresque. Ses fleurs, qui naissent par paquets à l'aisselle des feuilles, répandent un parfum délicieux ; leur corolle, assez semblable à celle du jasmin d ' E s p a g n e , contraste agréablement, par sa blancheur, avec le vert sombre du feuillage ; mais elle ne dure que peu de jours. Le fruit est une baie de la forme et du volume du c o r nouille ; d'abord d'un beau rouge vermeil, il prend une teinte brune lors de sa parfaite maturité. Son intérieur renferme deux graines accolées face à face, et chacune d'elles n'est autre chose que ce qu'on appelle couramment un grain de café. La récolte du café c o m m e n c e généralement en août et se termine en décembre. La Guadeloupe en produit
NOS GRANDES COLONIES.
104
environ
de
7 à 800.000
kilogrammes par
an ( 1 ) .
C'est dans les caféières que pousse, sans frais ni soins particuliers, une orchidée odorante, que la suavité de son parfum
fait rechercher
pour
la confiserie,
les liqueurs, les entremets, etc. Nous avons
nommé
la vanille, que tout le monde c o n n a î t . La Guadeloupe, qui en produit
chaque année pour près
de
200.000
francs, trouverait là une précieuse ressource, si les planteurs voulaient bien laisser complètement de côté le vanillon et consacrer quelques soins
intelligents à la
vanille du Mexique. La canne à sucre est aujourd'hui la base presque unique sur laquelle repose la fortune des Antilles ; base bien chancelante, hélas ! et qui cause de cuisants soucis à nos compatriotes d'outre-mer. La canne appartient à la précieuse famille des graminées
Les racines
produisent à la fois
t i g e s articulées, lisses, luisantes,
plusieurs
hautes environ
de
dix à douze pieds ; chacune d'elles porte de quarante à cinquante nœuds d'où sortent des feuilles longues de quatre pieds, larges d'un à deux pouces, sur leurs
bords, d'un
beau
dentelées
vert, dont une
partie
embrasse la t i g e , tandis que l'autre s'étend avec élégance en forme d'éventail.
Ces feuilles
tombent à
mesure que la canne mûrit ; elles servent aux nègres pour la toiture de leurs cases, et les animaux s'en montrent aussi très friands. La tige
de la canne à sucre
se termine par un jet sans n œ u d s , n o m m é flèche, de (1) Récompenses à l'Exposition universelle de 1878 : médaille d'or à M. Beleurgey ; médaille d'argent à MM. Le Dentu ; médaille de bronze à M. Longueteau, etc. Nous prions le lecteur de se reporter aux détails que nous avons déjà donnés en étudiant la Martinique, à la fin du chapitre I I I .
LA
105
GUADELOUPE.
quatre à cinq pieds, surmonté lui-même d'un panicule de v i n g t p o u c e s , composé de ramifications aussi grêles que nombreuses, qui portent une multitude de petites fleurs blanches et soyeuses. C'est dans les entre-nœuds que le sucre s'élabore. On voit que cette plante si précieuse
est
temps d'une grande magnificence : port
en même majestueux
de la t i g e , beauté du feuillage, élégance de la
fleur,
elle réunit tout. Sa recolte ne dure pas moins de cinq ou six mois, qui sont les premiers de l'année. La canne fait trois étapes dans les différents bâtiments d'exploitation, qui sont : les moulins, rie, la
la sucre-
vinaigrerie.
Rien de particulier à dire des premiers, si ce
n'est
qu'ils sont m u s , suivant les localités et la richesse de leurs propriétaires, par le vent, ou par des animaux, ou par l'eau, ou par la vapeur. La
canne, coupée au
pied, débarrassée de ses feuilles, est portée au moulin, où, pressée entre deux gros cylindres de fonte, elle rend un jus aqueux et sucré, le vesou. Ce j u s est conduit par un canal à la sucrerie, où on le recueille dans un bac. La sucrerie tient au moulin. C'est généralement un bâtiment en maçonnerie, élevé et très aéré, qui c o n tient des chaudières en fer ( 1 ) , dont le nombre varie entre quatre et sept. Le vesou dans l'autre,
doit
passer
et les chaudières étagées
de l'une
vont
dimi-
nuant de diamètre et de profondeur à mesure qu'on approche de celle où il recevra la dernière cuisson. Leur ensemble constitue ce qu'on appelle un
équipage.
(1) Au début, elles étaient en cuivre rouge et pesaient 150 k°s.
1O6
NOS GRANDES COLONIES.
Dans la première chaudière, on purifie le vesou au moyen d'un mélange de cendre et de c h a u x , et on l'écume. La seconde se n o m m e propre ; pourquoi ? parce que le vesou n'y arrive qu'à travers une toile et déchargé de ses plus grosses impuretés. La troisième s'appelle la lessive, du nom de la composition qu'on y jette pour purger le vesou et faire monter à sa surface le restant des i m m o n d i c e s , qu'on enlève avec une écumoire. La quatrième est le flambeau ; le vesou s'y purifie encore davantage, diminue, devient plus clair, et cuit à un feu plus vif, qui le couvre de bouillons transparents. Il passe à l'état de sirop dans la cinquième chaudière, à laquelle il donne ce nom ; c'est là qu'il acquiert de la consistance, du corps. Enfin, dans la sixième, il achève de se débarrasser de toute impureté, grâce à une nouvelle lessive de chaux et d'alun, et arrive au point de cuisson définitif. E n approchant du ternie de l'opération, il a des bouillons d'une telle violence qu'il se répandrait à terre, si on n'avait soin de l'aérer en L'élevant très haut avec une écumoire. Ce m o u v e m e n t , qui pourrait faire croire de loin qu'on fouette le sirop, a valu à la sixième chaudière le nom de batterie. Dans les sucreries à sept chaudières, il existe un grand et un petit flambeau : dans celles à cinq, on ne trouve pas de lessive : dans celles à quatre, la propre sert en même temps de lessive et de flambeau. L e sirop est ensuite d é v e r s é , pour être cristallisé, dans d'énormes chaudières où l'on produit le vide. Enfin, par une dernière opération, le turbinage, on
Habitation sucrière pendant la rÊcolte.
LA
109
GUADELOUPE.
décolore et on dessèche les cristaux au m o y e n des toupies métalliques mues à la vapeur. « Rien de curieux, dit avec raison M . Gaffarel (1),comme l'aspect d'une sucrerie au moment du grand travail, de la r o u laison. Chauffeurs qui jettent la bagasse sous les chaudières, écumeurs, décanteurs :c'est une mêlée étourdissante. L e bruit des cylindres, la ronde des turbines, les sifflements de la vapeur, le hennissement des chevaux et le chant des ouvriers qui reviennent de la plantation, tout se mêle et se confond. Pendant ce temps, les immenses cheminées de l'usine vomissent des torrents de fumée, et le directeur, le sucrier, c o m m e on le n o m m e , escompte en espérance les produits de sa récolte ( 2 ) . » Jusqu'en 1843, on ne voyait aux Antilles que des habitations-sucreries, récoltant la canne et la transformant en sucre, accomplissant à la fois la production agricole et le travail industriel. L e tremblement de terre de cette année terrible en détruisit un grand nombre, et c'est lorsqu'il s'agit de les reconstruire qu'on introduisit, et généralisa les moulins à vapeur. E t ceci produisit une véritable révolution, qui n'avait pas été prévue dans toutes ses conséquences. Cette entreprise fut vigoureusement poussée par une Société a n o n y m e , patronnée par le gouvernement, la Compagnie des Antilles. C'est elle qui établit les premières usines centrales, où les habitants, se contentant désormais de produire la canne, vinrent appor(1) Les Colonies françaises. (2) La nature de cet ouvrage nous oblige à nous borner à ces détails sommaires ;nous renvoyons les lecteurs curieux d'en avoir de plus circonstanciés aux mémoires et rapports de M M . Jules Ballet et A . de La Valette. NOS G R A N D E S C O L O N I E S .
4
110
NOS GRANDES
ter leurs récoltes. Ebranlée
COLONIES.
par les événements de
1848, la Compagnie des Antilles fut dissoute,
puis
reconstituée sur une autre base
s'ap-
en 1853. Elle
pela alors Société des Usines centrales de la Guadeloupe.
E n trois ans, cette Société avança 6.334.000 francs aux trois colonies à sucre. Elle ne devait pas tarder à augmenter
considérablement le chiffre
de ses opéra-
tions, car M . de Chasseloup-Laubat ayant autorisé la création du Crédit
Colonial,
elle fusionna avec lui en
1863. Il est incontestable que l'on doit à ce système la transformation de la plus grande partie de l'outillage industriel, que les usines centrales sont merveilleusement organisées j o u r de nouveaux
et qu'elles apportent
chaque
perfectionnements à la fabrication
du sucre. Mais en revanche les habitants prétendent que les usines, qui n'ont jamais cessé de leur faire des avances énormes dans les moments critiques, leur ont causé,
somme toute, beaucoup plus de mal que de
bien. L'usinier,
à vrai dire, aide l'habitant le plus
qu'il peut, car son intérêt est de ne pas produire la canne, mais de l'acheter, et d'expédier ensuite directement ses produits ; malheureusement, l'habitant, à force
d'être
aidé, finit par être pris dans un e n g r e -
nage dont il est bien rare de le voir sortir entier. Il lui faut abandonner,
sur le prix de sa récolte, tant
pour l'amortissement du capital, tant pour les intérêts, tant pour les bénéfices, e t c . ; si peu lui reste, que les ventes forcées se font de plus en plus fréquentes, et que chaque usine
finit
par devenir propriétaire de
toutes les habitations qui l'entourent. Est-il besoin de dire que cet état de choses crée entre l'usinier et l'habitant un antagonisme profond et tout à fait funeste à l'intérêt g é n é r a l ?
Usine Darbousier, à l'entrée du port, à la Pointe-à-Titre.
LA
GUADELOUPE.
113
A l'industrie du sucre se rattache celle de la guildiverie, n o m donné à la distillerie où l'on convertit en rhum les écumes et les gros sirops. On l'appelle aussi vinaigrerie, nous ne savons pourquoi. Les ustensiles de la vinaigrerie consistent en bacs de bois qui s'imbibent de jus aigri, ce qui aide beaucoup à la fermentation ; en une ou deux chaudières avec leurs chapiteaux et leurs couleuvres ; une écumoire, quelques jarres, des pots, des cuvettes, e t c . . Le rhum est la liqueur tirée du jus de la canne ou vesou : le tafia est une liqueur de même nature, mais provenant du vesou qui n'a pu cristalliser, et qu'on nomme mélasse. L e tafia coloré, et de qualité supérieure, prend aussi le n o m de rhum en vieillissant. Cette industrie a suivi les progrès de l'industrie sucrière, et les hautes récompenses accordées en 1878 aux rhums de la Guadeloupe exposés montrent le degré de prospérité qu'elle a pu atteindre. Les rhums les plus appréciés sont ceux de M M . Lacaze, Pouncou (médaille d'or en 1 8 7 8 ) , Roussel-Bonneterre, C h e r puy (médaille d'argent), E . L e Dentu (médaille de bronze), e t c . . . Les industries moins importantes qui se rattachent aux deux premières, d'une façon indirecte, sont celle des conserves de fruits (les ananas notamment), celle des confitures, enfin celle des sirops et liqueurs. Citons les confitures de g o y a v e , de shadek, de barbadine, etc. ; les sirops ou crème de n o y a u , de vanille, de monbin, de cacao, le vin d'orange, e t c . . La Guadeloupe produit, année moyenne, 3 3 . 5 0 0 . 0 0 0 k i l o g . de sucre et 15.000 hectolitres de rhum ; la Martinique, 2 4 . 5 0 0 . 0 0 0 kilog. de sucre et 8 5 . 0 0 0 h e c tolitres de rhum.
114
NOS GRANDES COLONIES.
Les chiffres de production sont bien inférieurs à ceux que l'on atteignait autrefois. Les causes de c e t t e décadence sont multiples et de natures fort diverses : nous c r o y o n s néanmoins avoir signalé les principales en i n d i q u a n t : l'antagonisme
fâcheux qui existe entre
les habitants et les usiniers; l'absorption lente mais ininterrompue des premiers par les d e r n i e r s ; l'élévation extravagante des droits qui pèsent sur les sucres ; enfin, le manque de bras, par suite de l'insuffisance de l'immigration. Les travailleurs employés sur les habitations sont ou des nègres, soit du pays, soit de la
côte d'Afrique
( C o n g o ) — ou des immigrants. L'immigration date de 1 8 4 8 . A p r è s l'émancipation, les propriétaires cherchèrent
vainement
divorce
à retenir les affranchis ; il y eut
entre la propriété et
le travail
: la G u a d e -
loupe, par exemple, qui avait produit 38 millions de kilogrammes de sucre en 1847, vit le chiffre s'abaisser à 20 millions en
1848 et à 17 millions l'année sui-
vante. Il fallait aviser immédiatement, on fit appel aux immigrants. Les
fils
de l'aventureuse G a s c o g n e
et des Pyré-
nées accoururent les premiers : mais on ne tarda pas à reconnaître que l'Européen
le travail de la terre est interdit à
sous le ciel des Antilles,
et on demanda
d e s travailleurs à Madère : deux cents ouvriers furent ainsi introduits
en
1854.
—
Qu'est-ce que cela
?
Madère, épuisée déjà par l'émigration de ses enfants dans les colonies anglaises, dut bientôt nous refuser des bras. O n eut alors recours à l ' I n d e , à l ' A f r i q u e , à la Chine, et diverses compagnies furent chargées d'opérer le recrutement. Les expériences furent aussi malheureuses que nombreuses, et
l'on n'a plus
aujourd'hui qu'à l'élément indien.
recours
LA
GUADELOUPE.
U n e convention signée le 1
e r
115
juillet 1861 entre la
France et l'Angleterre a réglé le mode de recrutement, d'introduction et de rapatriement des travailleurs. Le contrat est volontaire, et ne peut excéder une durée de cinq années. U n agent français, le gouvernement
anglais, préside aux
agréé par
engagements
d'après le règlement établi pour le recrutement des travailleurs destinés aux colonies anglaises. Le rapatriement de l'Indien, alors même qu'il s'est rengagé et a de ce chef touché une prime, — celui de sa f e m m e , de ses enfants nés aux colonies ou ayant quitté l'Inde avant l'âge de dix ans, — nement français.
est à la charge du g o u v e r -
Le mari ne peut être séparé de sa
femme ni de ses enfants. L'Indien ne peut passer d'un patron à un autre sans le consentement du premier. Un agent britannique exerce dans chaque colonie une surveillance spéciale, reçoit les réclamations et préside aux départs, qui ont lieu du 1
e r
août au 15 mars ; un
médecin et un interprète accompagnent le convoi ; les conditions hygiéniques à bord sont sévèrement r é g l e mentées. Enfin, le traité que nous résumons peut être dénoncé chaque année. Divers décrets ou arrêtés règlent ensuite la situation de l'Indien dans l'intérieur de la colonie. Les h e u res de travail, la nourriture, les conditions
du
logement,
soins médicaux, les
e t c . , sont soigneusement
déterminés. U n personnel spécial, d'inspection
et
divisé en service
service sédentaire, et des syndicats
protecteurs veillent à l'observation des règles édictées. Un propriétaire n'a droit qu'à dix coolies par convoi, au m a x i m u m , et celui qui manque à ses engagements ou exerce des sévices contre ses Indiens ne reçoit plus d'immigrants.
116
NOS GRANDES
COLONIES.
L ' I n d i e n coûte environ 5 0 0 francs de frais d'introduction ; la moitié de ces frais est à la charge du b u d get, l'autre moitié à la charge de l'engagiste. L e reng a g e m e n t , qui a lieu devant le maire et le syndic de l'immigration, revient à la colonie à 244 francs, et l'engagiste débourse de 2 0 0 à 250 fr. La journée de l'Indien, suivant l'étude faite par une Commission présidée par M . de Chamelles, revient à 2 fr. 10, en tenant c o m p t e de la prime p a y é e , de la
nourriture, des vêtements, des soins d'hôpital, des
non-valeurs et de la mortalité. Résumons maintenant les opinions les plus i m p o r tantes pour et contre le maintien de Au
l'immigration.
point de vue social, disent les uns, on introduit
dans la colonie une race nouvelle, infectée de vices, susceptible d'amener avec elle le choléra asiatique ; au point de vue é c o n o m i q u e , on détourne la population indigène de la culture du sol, on néglige la recherche d'instruments perfectionnés, on fait concurrence au travail indigène et l'on distribue aux coolies des salaires qu'ils emportent au loin, on met la production à la merci d'une puissance étrangère qui peut dénoncer le traité ; enfin l'Indien est payé par tous, et un petit nombre profitent de son introduction, e t c . , etc. Les partisans de l'immigration répondent : les habitants du pays, pour des causes diverses, fournissent à la culture un n o m b r e de bras infiniment trop restreint ; faut-il d o n c , en l'absence de travailleurs créoles, laisser la grande culture péricliter et disparaître ? L ' i m m i g r a t i o n ne fait pas concurrence au travail créole, ce dernier étant toujours préféré ; les salaires n'ont pas baissé depuis l'introduction des immigrants, ils ont au contraire augmenté progressi-
LA
GUADELOUPE.
117
vement, et le journalier créole g a g n e maintenant l fr. 7,5 par jour et gagnerait davantage, si la r é g u larité de son travail était assurée. L'introduction de l'Indien est, à vrai dire, payée en partie par le budget, mais tous en profitent ; d'ailleurs, les charges du budget tombent surtout sur la grande propriété. A u point de vue social enfin, l'immigration arrache à la famine toute une population qui périrait sans cela : une sage proportion des sexes peut diminuer les vices reprochés ; les précautions sanitaires rendent illusoire la menace du choléra asiatique, etc., etc. A ces deux écoles, dont l'une demande la suppression complète de l'immigration, l'autre son maintien et son élargissement, s'en ajoute une troisième, qui, sans repousser l'immigration, demande qu'elle soit libre et ne figure plus au budget colonial. Nous avouons ne pas même comprendre comment l'on peut discuter la question, et voici notre opinion brièvement formulée : Quels sont les S E U L S travailleurs aux Antilles ? les immigrants. A - t - o n trouvé quelqu'un ou quelque chose pour les remplacer? personne — rien. Les Antilles françaises sont aujourd'hui bien affaiblies ; supprimez l'immigration, elles sont mortes.
4*
118
NOS
GRANDES
COLONIES.
CHAPITRE
IV.
Dépendances de la Guadeloupe. — Marie-Galante.
Marie-Galante on G a l a n d e est la plus grande des dépendances de la Guadeloupe. Elle fut découverte par Christophe C o l o m b à son second v o y a g e , en 1493, d'après certains auteurs ; au troisième seulement, en 1 4 9 4 , d'après certains autres. Nous nous rangeons à la première opinion. Son nom est probablement celui du navire qui portait C o l o m b , à moins qu'elle ne le doive à l'impression agréable qu'elle produisit sur l'esprit de l'illustre navigateur. Son histoire peut tenir en quelques lignes. O c c u pée pour la première l'ois par des Français en 1(547, prise et reprise plusieurs fois par les Anglais ou les Hollandais, restituée définitivement à la F r a n c e en 1763, au traité de Paris, elle a constamment subi les mêmes vicissitudes de fortune que sa sœur aînée, la Guadeloupe. Marie-Galante est située à 27 kilomètres sud-ouest de la Capesterre, à 4 8 kilomètres sud de la P o i n t e - à - P i t r e , par 16° latitude nord et 63° 3 0 ' longitude ouest, entre la Guadeloupe et la D o m i n i q u e , dont elle est séparée par un canal de 33 kilomètres. L'île, de forme arrondie, a 87 kilomètres de tour, et compte environ l 6 . 5 0 0 habitants. Elle appartient au même soulèvement volcanique que la G u a d e l o u p e . Ses côtes sont bordées par de hautes falaises qui surplombent à pic l'Océan, de
119
MARIE-GALANTE. la pointe
du Nord
à la pointe
du Gros-Cap,
au
sud-
est, et par des plages de sable depuis la pointe Saragot. Elles sont défendues presque partout par plusieurs rangs de cayes, récifs à fleur d'eau qui rendent l'abordage des plus d a n g e r e u x , et sur lesquels, même par les temps les plus calmes, les lames se brisent avec un bruit terrible. L'extrémité méridionale de l'île est marquée par la pointe des Basses.
Marie-Galante a une petite chaîne de mornes qui ne dépassent pas 205 mètres d'altitude, mais qui envoient presque jusqu'à la côte de n o m b r e u x contreforts. Ils s'étagent du nord au sud en formant deux plateaux. De ces ondulations de terrain s'élancent une foule de ruisseaux, dont les lits sont le plus souvent à sec, mais qui se transforment pendant l'hivernage en t o r rents impétueux. Citons entre autres la rivière du Vieux-Fort
et la rivière
Saint-Louis.
Ses habitants ne
peuvent compter sur ces auxiliaires capricieux, et l'on a d û , pour suppléer à leur insuffisance, creuser de vastes citernes où s'emmagasinent les eaux de pluie. L e sol de l'île est d'une grande fertilité. D u sommet des collines descendent vers la plaine de vertes et vigoureuses forets, où se pressent des arbres aux riches essences tinctoriales, et les vallées produisent du tabac, de l'indigo, e t c . . La culture de la canne à sucre a remplacé presque complètement celle du café, qui fut la principale jusqu'en 1 7 8 9 . C'est à tort, on le voit, que les colons des îles v o i sines se permettent de plaisanter les habitants de celle-ci sur une pénurie de produits végétaux qui n'existe que dans leur imagination. A les en croire, il ne pousserait à Marie-Galante que des sapotilliers, et,
120
N O S G R A N D E S COLONIES.
dans le langage familier, c'est une injure plaisante à faire à un Marie-Galantais que de l'appeler mangeur de sapotilles en daube. L e sarcasme est assez comique, mais il porte à faux. Dans la partie sud-ouest, malheureusement maréc a g e u s e et malsaine, on rencontre de riches pâturages, où s'élève
d'elle-même
et dans une liberté presque
absolue, une race particulière de petits chevaux justement
renommés.
Le Père
Labat disait de Marie-
Galante qu'elle produisait à peu près tout ce qui est nécessaire à la vie, et que si l'on voulait
en prendre
soin, il s'y ferait une très belle c o l o n i e . L e climat ne diffère de c e l u i de la Guadeloupe que par une élévation de température un peu plus grande ; le thermomètre marque
souvent, à l ' o m b r e , de 3 3 à
35° C . ; la m o y e n n e est de 26° 5. L'établissement
principal
appelé indifféremment,
ou
Grand-Bourg
nation subsiste gracieuse
;
de
Marigot
Marie-Galante s'est ou ville de
Joinville
maintenant cette dernière dénomi-
à peu près
seule.
C'est une assez
petite ville, avec une dizaine de rues
bien
percées, quelques places spacieuses et une jolie église. Elle doit son importance à ce fait que sa rade est le point
par où les navires peuvent le plus facilement
aborder toute
et qu'il
leur est permis
d'y mouiller
en
sécurité. P a r c o n t r e , G r a n d - B o u r g est entouré
de terres basses et marécageuses, qui en rendent le séjour malsain. A p r è s G r a n d - B o u r g , c'est la terre, au centre
Capes-
d'une longue plage de sable, sur un
sol calcaire et madréporique. C'est dans ce
bourg,
composé d'une seule r u e , qu'on charge les sucres du nord et de l'est de l'île. On rencontre ensuite, sur la côte
ouest, le b o u r g
MARTE-GALANTE.
121
de Saint-Louis et la baie du même n o m , que fréquentent surtout les navires de guerre. « Entre ce village et le Grand—Bourg s'étend une grande plaine couverte de raisiniers et de mancenilliers, véritable nid à fièvres (1). » Enfin, avant d'arriver à la pointe du N o r d , nous r e marquons le bourg du Vieux-Fort, en face duquel est l'îlot de ce n o m . L e quartier du V i e u x - F o r t est sans aucune importance ; situé sous le vent et couvert de palétuviers et de marais, il est extrêmement insalubre. située à Signalons en dernier lieu la Petite-Terre, 3 kilomètres environ de la Pointe-des-Châteaux. Cette terre, d'une contenance de 343 hectares, est formée de deux îles : Terre de Haut et Terre de Bas, séparées par un canal d'une largeur minimum de 200 mètres, élevées à 12 mètres au-dessus du niveau de la m e r . On y remarque un feu fixe, blanc, élevé de 36 mètres et ayant une portée de 15 milles. L ' î l e , couverte d'arbres, très sèche, produit des cocos et quelques vivres; ses habitants y vivent de la pêche. (1) A. Bouillais, Guadeloupe politique,
économique, p. 58.
LES
SAINTES
« Les Saintes, composées de cinq îlots p r i n c i p a u x : Terre
de Haut,
Terre
de
Bas,
Grand-Ilet,
la Coche
et Ilet à Cabrits, dont trois seulement sont occupés (Terre de Haut, Terre de Bas et Ilet à Cabrits), sont situées à 19 kilomètres sud-est de la Guadeloupe, entre la Guadeloupe et la D o m i n i q u e , par 15° 5 4 ' latitude n o r d et 64° 1' longitude ouest. L e u r superficie est de 1.422 hectares. « Les Saintes furent découvertes par Christophe Colomb le 4 novembre 1493 et tirèrent leur nom de la Toussaint, célébrée quatre jours auparavant. Elles furent occupées pour la première fois par les Français le 18 octobre 1618, sous le g o u vernement de H o u e l , abandonnées à cause de leur manque d'eau, et occupées de nouveau en 1 6 5 2 , sous le même g o u v e r n e m e n t . Depuis lors, les Saintes ont subi toutes les vicissitudes de la Guadeloupe. C'est dans leurs eaux que le comte de Grasse fut battu par Rodney en « L e sol des Saintes, formé de rochers, est aride et présente une succession de mornes dont le plus élevé (Terre de Haut) ne dépasse pas 316 mètres. « La Terre de Haut, la plus à l'est, est de forme irrégulière et très découpée ; un canal navigable pour les
LES
SAINTES.
123
plus grands vaisseaux la sépare de la Terre de forme carrée. Entre la Terre de Cabrits, sur lequel se trouvent un
Haut
de
Bas,
et l'Ilet à
pénitencier et un
lazaret pour les quarantaines, est une baie
profonde,
où depuis 1 7 7 5 , à la suite d'un raz de marée survenu à la Basse-Terre, les bâtiments de guerre
en
station
à la Guadeloupe ont l'ordre de se réfugier, en cas de mauvais temps. La
passe des
vaisseaux
venant
du
nord est marquée par un récif appelé la Baleine. « L e climat des Saintes est très salubre et l'on y e n voie en convalescence les dyssentériques. « La population totale des Saintes est de 1.705 âmes, dont l'industrie principale
est la
pêche.
On
récolte
aux Saintes (Terre de Bas) un café estimé et du coton. On y fait aussi des poteries et on s'y livre à l'élève des volailles ( 1 ) . » Parmi les fruits que produisent les Saintes, il accorder une
mention
spéciale à un raisin
exquis, c o m m e on n'en mange pas même à
faut
muscat
P a r i s ; il
se paie, à la vérité, au prix de 2 fr. 50 la livre. Enfin, les Saintes méritent surtout d'être signalées comme point stratégique. L'Ilet à Cabrits forme avec la Terre de Haut, qui lui fait face, une vaste rade qui pourrait offrir un asile sûr à une flotte considérable. Aussi les gouverneurs de la Guadeloupe se sont-ils p r é o c cupés de tout temps de fortifier cette position,
et
les
travaux qu'ils y firent exécuter valurent de bonne heure aux Saintes le nom de Gibraltar des Indes
Occidentales.
Malheureusement ce Gibraltar-là.
admettant
en
qu'il soit aujourd'hui imprenable, ne l'a pas toujours
( 1 ) A . Bouinais. p. 53 à 55
124
NOS GRANDES
COLONIES.
été. Les Anglais réussirent à s'en emparer en 1 7 9 4 , et quand ils nous le restituèrent en 1 8 0 7 , soin d'en
ils avaient
eu
raser au préalable toutes les fortifications.
Six cents soldats des compagnies de discipline de la marine ont travaillé pendant vingt ans à les réédifier et à les augmenter encore. Ce sont d'abord le fort
José-
phine, sur l'Ilet à Cabrits — ( il sert surtout de
péni-
tencier) — et un blockaus en pierre juché sur le Chameau,
morne de la Terre de Haut, dépassant de
mètres le niveau de la m e r . Ce
sont
surtout
316
le fort
Napoléon, qui a probablement changé de n o m , etlabatterie du Morne-Rouge. par leurs feux
Ces forteresses
commandent
convergents toutes les passes pouvant
donner accès dans le port, et font de ce point stratégique une position
à peu près
inexpugnable.
A v a n t de quitter ce groupe d îlots, nous indiquerons, sans nous y appesantir, que dans les Antilles on fait, à tort sans doute, à ses habitants, une réputation équivalente à celle dont jouissent
en F r a n c e les naturels
de Falaise, Martigues, Landerneau, etc. Dans les histoires qui se racontent aux heures de loisir, c'est toujours à eux qu'arrivent les mésaventures les plus extraordinaires, et on leur prête des traits d'une véritablement surprenante.
naïveté
LA
DÉSIRADE
Colomb naviguait, d i t - o n , depuis plusieurs jours sans découvrir aucune terre, et son équipage inquiet commençait à murmurer, quand soudain, le 3 n o v e m bre 1 4 9 3 , une île surgit de l'immensité des flots. Colomb la baptisa Deseada, la Désirée, d'où nous avons fait la Désirade. C'est ce que dit Pierre d'Avisy : « Soudain qu'il l'eut vue, il la nomma la Désirée, pour le désir qu'il avait de voir la terre » . E t cependant l'aspect de cette terre n'était et n'est encore rien moins qu'enchanteur. Ce qui frappe en arrivant, ce sont les têtes grises des récifs, autour desquels l'eau forme de dangereux tourbillons. Puis le regard se porte sur les collines du centre, mais elles sont abruptes et désolées. On ne voit d'abord aucun arbre, et la vérité est qu'il en émerge fort peu du sol aride et sablonneux. A u s s i , quand on s'éloigne de l'île, elle produit à peu de distance l'effet d'un immense navire rasé par la tempête. La Désirade est située à 11 kilomètres nord-est de la Pointe-des-Châteaux, par 15° 5 7 ' et 16° 3 1 ' de latitude nord, 63° 3 2 ' et 64° 9' de longitude ouest. Elle a 2.600 hectares de superficie. Signalons la Pointe du Nord, l'embouchure de la ruisseau t o r r e n t u e u x , l'anse à Galet ( l e Rivière,
120
Nos
GRANDES
COLONIES.
meilleur mouillage de l'île, bien qu'il soit bouleversé par de fréquents raz de marée), le b o u r g de la GrandeAnse, avec son petit port, enfin la baie Mahault, où se jette une rivière minuscule, qui a pourtant exercé une certaine influence dans les destinées de la colonie. Cette rivière coulait autrefois à travers d'innombrables racines de gaïac ; les eaux, en s'imprégnant de leur s u c , devenaient une sorte de tisane sudorifique naturelle, très efficace dans le traitement des maladies de peau, et notamment de la lèpre. Cela suffit pour procurer à la Désirade l'avantage ou l'inconvénient d'être transformée, dans le courant de 1 7 2 8 , en l é p r o serie des Antilles. Aujourd'hui les racines de gaïac n'existent plus, car on a eu la fâcheuse idée de les brûler pour faire de la chaux ; les lépreux, heureusement, ont aussi presque tout à fait disparu ; mais la léproserie dresse toujours au soleil sa petite chapelle et ses deux séries de cases parallèles. — U n médecin de la marine et quelques Sœurs de Saint-Paul de Chartres y donnent leurs soins à une centaine d'indigents des deux sexes. La Désirade a 1.315 habitants : ils s'adonnent surtout à la culture du coton, favorisée par une sécheresse presque continuelle. Leurs ressources consistent encore dans la pêche, à laquelle ils se livrent avec ardeur, dans la récolte de quelques fruits assez estimés, dans l'élève des moutons et de la volaille ; la ponte des poules est très abondante, et l'on peut presque dire que les œufs sont la monnaie courante dans les achats de la vie usuelle. Parmi les innombrables parasites de la mer que r e -
LA
127
DÉSIRADE.
cueillent les Désiradiens, nous croyons de toute justice
d'accorder une mention spéciale à un crabe particulier On le désigne sous le nom de tourlourou, sans doute parce qu'il prend à la cuisson la couleur garance du pantalon
de
nos
soldats.
Le
tourlourou
trous qu'il creuse au s o m m e t des pluie a rempli
d'eau leurs
réunissent
bandes
en
falaises.
habite des Quand
la
demeures, ces crabes
se
considérables pour
descendre
Vers la mer; leur marche produit un bruit formidable,
qui s'entend à de très grandes distances, peut, sans exagération, torrent en fureur.
et que l'on
comparer au grondement d'un
SAINT-MARTIN.
L'île de Saint-Martin fait partie du groupe des îles V i e r g e s . Elle est située à 2 3 3 kilomètres nord-nordouest de la Guadeloupe, par 18° 3' de latitude nord et 65° 3 4 ' de longitude ouest, entre l ' A n g u i l l e ,
pos-
session anglaise, et Saint-Barthélemy, qui a fait récemment retour à la F r a n c e . C'est d'abord par des Espagnols que cette île fut o c c u pée presque aussitôt après sa d é c o u v e r t e . Ils y construisirent un fort ; mais en 1 6 4 8 , trouvant leur résidence trop pauvre, ils se décidèrent à l'abandonner. Dans cette même a n n é e , le 23 mars, Saint-Martin vit débarquer en même temps des Français et des Hollandais, qui, au lieu de s'exterminer, eurent la bonne idée de partager fraternellement cette t e r r e ; la partie nord, comprenant les deux tiers environ, échut aux Français, la partie sud aux Hollandais. Depuis cette époque, l'entente la plus cordiale n'a jamais cessé de régner entre les présentants des deux peuples, quel que fût le
re-
maître
aux mains duquel les destinées jetaient ce coin de terre. Saint-Martin devint propriété de l'Ordre de Malte en 1 6 5 1 , fut
acheté
par la deuxième
Compagnie,
et
entra dans le domaine de la couronne en 1 6 7 4 . Les A n g l a i s s'emparèrent de la partie française de l'île, en 1 7 4 4 , mais la restituèrent peu de temps après; en 1800,
129
SAINT-MARTIN.
ils l'occupèrent encore une fois; en 1 8 0 8 , 45 Français s'y défendirent vigoureusement qu'ils forcèrent
à la
fuite.
contre 2 0 0 A n g l a i s ,
D e leur occupation
a
subsisté cette anomalie, q u e , dans les deux parties de l'île, on parle anglais. Saint-Martin suivit le sort de la Guadeloupe en 1810 et ne nous fut rendu qu'en 1814. L'île a la forme d'un triangle équilatéral au sud. La partie française a 39 kilomètres de tour et une superficie de 5 . 1 7 7 hectares. Sur la côte nord-est, on voit l'annexe de Tintamarre, îlot absolument désert. SaintMartin et Tintamarre sont de formation calcaire. La partie centrale de l'île est traversée par une chaîne de montagnes, dont les contreforts descendent jusqu'à la mer, et dont le sommet le plus élevé est le ( 4 1 5 mètres). De nombreux ruisselets
pic du Paradis
y prennent naissance; mais il n ' y a pas de véritables cours d'eau, et les habitants — ( 3 . 4 6 3 dans la partie française, 2 . 8 0 0 dans la partie hollandaise) — sont le plus souvent réduits à l'eau des citernes. Sur les côtes, on remarque une série d'étangs salins, dont les p r i n cipaux sont le lac Simpson, rigot, l' Étang
Salin,
et le
au fond de la baie du lac
de la Grande-
Case,
Maau
fond de l'anse de ce n o m . L e c h e f - l i e u de la partie hollandaise est et celui de la partie française, le Marigot.
Philipsbourg, Son port est
dominé par un morne de 95 mètres d'altitude, que couronne un fort en ruines. L e climat de
Saint-Martin
est très salubre et son
ciel extrêmement pur. L e sol est léger et sablonneux. L'île a produit autrefois du sucre de bonne qualité et du rhum aussi r e n o m m é mais il n'en est plus ainsi
que celui de la Jamaïque ; aujourd'hui, et les seules
productions sont quelques fruits et légumes, du coton
130
NOS
GRANDES
COLONIES.
et du tabac assez estime. On y élève beaucoup de bêtes à cornes, en particulier des chèvres et des moutons ; citons encore des chevaux de petite taille,
mais vifs
et bien faits. La volaille, le gibier et le poisson sont assez attendants.
Saint-Martin
est favorisé par un
régime de c o m m e r c e particulier, et ses habitants ne paient aucun
impôt.
officielles avec
Les
communications
Saint-Barthélemy et la
postales
Basse-Terre
n'ont lieu que deux fois par mois. La plupart des habitants sont protestants et appartiennent à la C o m m u nion méthodiste ; aussi voit-on un Consistoire à côté de l'église catholique. Avant que nous n'eussions repris possession de SaintBarthélemy,
Saint-Martin avait un j u g e
de paix à
compétence étendue ; depuis 1 8 7 7 , il a cédé la place à un tribunal de première instance, composé d'un juge titulaire et d'un j u g e suppléant, d'un commissaire du gouvernement et d'un greffier.
SAINT-BARTHÉLEMY.
Eu 1648, une troupe de 50 à 60 Français, conduits par le sire de Gentès, e n v o y é par Louvilliers
de
Poincy,
capitaine général des îles pour le roi et la compagnie, prit possession de Saint-Barthélémy. L ' O r d r e de Malte l'acheta en 1651, et y fonda un premier établissement qui entrait en bonne voie de prospérité, lorsque, en 1650, une irruption de Caraïbes, venus de la D o m i nique et de Saint-Vincent, détruisit ce commencement de colonisation. Après de nouveaux essais qui ne furent guère plus heureux, les colons découragés se réfugièrent à Saint-Martin. En 1664, l'île devint la propriété de la seconde compagnie française. E n 1674, elle fut réunie au gouvernement de la Guadeloupe. Il a été constaté qu'en 1775 sa population consistait en 427 blancs et 345 esclaves. Les Anglais s'en sont emparés à deux reprises différentes, en 1689,puis en 1763. et l'ont rendue chaque fois dans un état de complète dévastation. E n 1784, la France, pour obtenir un droit d'entrepôt à G o t h e m b o u r g , céda Saint-Barthélemy à la Suède, qui l'a conservé jusqu'en ces derniers temps. A u mois de janvier 1877, des négociations furent entamées avec cette puissance, pour répondre au vif désir exprimé par les colons de rentrer dans le sein de la première patrie. Un traité fut conclu à Paris, le 10
132
NOS GRANDES COLONIES.
août suivant,
qui réunissait Saint-Barthélemy à la
F r a n c e ; on le soumit à l'approbation des habitants, et ils votèrent leur annexion à l'unanimité voix.
moins une
Ce traité a été ratifié par le parlement le 14
janvier
1 8 7 8 , promulgué le
M . Couturier, g o u v e r n e u r é p o q u e , a pris
1
e r
mars
suivant, et
de la Guadeloupe à cette
solennellement possession de
Saint-
Barthélemy le 16 du même m o i s . Nous devions verser à la Suède : 1° 8 0 . 0 0 0 francs pour prix des édifices
publics et de leur mobilier ;
2° 3 2 0 . 0 0 0 francs pour indemniser les fonctionnaires de l'île de la perte de leur emploi. Nous avons été dispensés du paiement de la première s o m m e , à charge pour nous de fonder un hospice à Gustavia.
Nous
avons fait distribuer aux pauvres un secours de 4.000 francs le j o u r de notre prise de possession. Saint-Barthélemy
est
situé à 175 kilomètres au
nord-ouest de la G u a d e l o u p e , par 65° 10' 3 0 " gitude ouest et 17° 5 5 ' 3 5 " de latitude
de lon-
n o r d , dans
le cercle formé par Saint-Eustache, Saint-Christophe, la Barbade et Saint-Martin. Elle s'étend de l'est à l'ouest
sur une longueur de 9 kilomètres ; elle a 25
kilomètres de tour et une superficie d'environ
2.114
hectares. Saint-Barthélemy
n'est autre chose qu'un
som-
met montagneux é m e r g é . Aussi ses contours sont-ils très
accidentés
et
d'une
grande
irrégularité.
îlots sans importance, appartenant
au
même
Des sys-
t è m e , en rendent l'accès difficile ; ce sont le Goat, la Frégate,
le Toc-Vert,
la Fourche,
grand et le p e t i t ) , le Grenadier,
les Boulangers
Surgatoa,
(le
etc.
D'après ce que nous venons de d i r e , il ne faut pas s'attendre à
rencontrer dans cette île de forts acci-
S A I N T - B A R T H É L E M Y V.
133
dents de t e r r a i n ; quelques mornes, irrégulièrement reliés entre e u x , s'élèvent à peine j u s q u ' à 3 0 0 mètres. Les deux seuls établissements de l'île sont via et
Gusta-
Lorient.
Gustavia, le chef-lieu, se trouve à l'est de l'île. Son port se creuse en forme de fer à cheval, et son entrée est gardée par deux forteresses placées à ses extrémités : le fort
Oscar et la fort
Gustave.
Le pre-
mier est élevé de 41 mètres, et le second de 78 mètres au-dessus du niveau de la mer. C'est à ce port que Gustavia doit toute son i m p o r tance. L e P è r e Dutertre le décrivait ainsi : « C'est un havre qui pénètre de plus d'un quart de lieue dans la terre par une entrée large de cinquante pas ; il en a plus de 300 de longueur en quelques endroits, et aux plus étroits 200 ; il est accessible en toute saison, même pour les plus grands navires. » C'est à cette appréciation, déjà bien lointaine et assez peu claire, que s'en étaient tenus jusqu'à ce j o u r les différents auteurs. A vrai dire, la seule partie de la baie qui puisse être considérée c o m m e un port est un petit bras de m e r , n o m m é le Carénage, mesurant 700 mètres de long sur 200 de large. Il ne peut admettre que les navires
tirant
de 1m50 à 1 80 m
d'eau
(1). I l est a l i -
menté par le petit cabotage qui se fait avec toutes les îles voisines. L a partie la plus extérieure de la baie offre, il est vrai, un mouillage c o m m o d e , mais ouvert et peu sûr à certaines époques de l'année, avec un fond de 5 20 au m a x i m u m . Les côtes du nord et de l'est sont bordées de récifs de corail toujours à sec,qui constituent des écueils dangereux. m
(1)
R a p p o r t a d r e s s é au S é n a t p a r M. le v i c o m t e d e la J a i l l e .
NOS G R A N D E S
COLONIES.
4**
134
NOS GRANDES COLONIES.
Les habitants de Gustavia avaient adressé une pétition à la Diète suédoise pour obtenir
l'établissement
de docks de réparation ; il n'y a pas été fait droit ; cette création a paru inutile, quand il existe déjà d'excellents docks de cette
nature
dans les autres Antilles,
notamment à la Martinique et à
Saint-Thomas, qui
ont des communications plus fréquentes avec
l'Eu-
rope. On leur a également refusé une avance de fonds pour l'exploitation de leurs salines, parce que celles de Saint-Martin et de Saint-Christophe, qui se trouvent à proximité, fournissent du sel en abondance et à très bon marché. « L a ville de L o r i e n t (1), située au vent de l'île sur le bord de la mer, est abritée par un bois de cocotiers, au milieu duquel s'éparpillent
des maisons de bois,
entourées de murs en pierres sèches. Ses habitants, qui descendent des anciens N o r m a n d s , et qui n'ont conservé de leurs ancêtres que le g o û t des travaux agricoles et quelques vieux mots usités au dix-septième siècle, parlent tous le français, à l'encontre des habitants de Gustavia, qui parlent généralement l'anglais. Ils sont au n o m b r e de quatre ou cinq cents. « On trouve encore au nord la vaste baie de SaintJean. » La population totale de l'île s'élève de deux mille cinq cents à trois trois à
mille habitants, parmi
quatre cents protestants. Ils n'ont,
lesquels comme
ceux de Saint-Martin, aucun impôt à payer. Il y a à Saint-Barthélemy un tribunal de première instance, comprenant
un j u g e président, un c o m m i s -
(1) A. Bouinais, p. 49 et 50.
S AI N T - B ARTHÉL
135
MY.
saire du gouvernement et un greffier. Les principaux produits de l'île sont des légumes, des fruits, n o t a m ment des ananas ; le tabac, l'indigo, la casse et le bois de sassafras. L e c o m m e r c e jusqu'ici n'a pris que peu d'extension. Saint-Barthélemy, cependant,
est susceptible
de
développement à ce point de vue, et l'île a j o u i pendant un temps d'une certaine richesse. Si, dans la dernière période, elle coûtait annuellement 6 8 . 0 0 0 fr. à la Suède, en revanche, de 1812 à 1 8 1 6 , elle a payé à la métropole un tribut 1830,
elle
lui
de 4 8 6 . 6 7 5 en a
rixdalers, et de 1819 à
encore
envoyé
291.294.
Grâce aux avantages qu'offre la proximité de la G u a deloupe et de la Martinique, il serait possible de faire renaître cette ère de prospérité. Il faudrait pour cela : 1° encourager vigoureusement la culture du tabac d'une part, et d'autre part la pêche, notamment celle de la tortue ; 2° avancer aux colons des capitaux qui permissent l'exploitation des mines de zinc et de plomb, car on a récemment découvert de riches filons de ces deux métaux,
L A
G U Y A N E
GUYANE
FRANÇAISE ET
TERRITOIRE CONTESTÉ
PLAN
DE L'ILE DE CAYENNE ET DR SES ENVIRONS
par
HENRI MAGER
PLAN DE LA VILLE DE CAYENNE
CAYESNE.
—Laplace du Gouve rnement.
LA
GUYANE
CHAPITRE
I.
Découverte. — Christophe Colomb. — Vincent Pinçon. —Gonzalo Pizarr Ravardière — La Compagnie de Rouen. — Brétigny. — Fondation de Cayenne. — Les Douze Seigneurs. — Occupation de Cayenne par les Hollandais.
Grâce à un concours de circonstances exceptionnelles, la G u y a n e française a toujours été une de nos colonies les plus ignorées. Quand, à de rares intervalles, l'écho de son n o m parvenait jusqu'à la métropole, c'était a c c o m p a g n é de la nouvelle d'un insuccès, ou même d'un désastre. De nos jours e n c o r e , la G u y a n e a conservé sa terrible réputation, et, pour le plus grand nombre, elle reste complètement inconnue. Peu de gens se doutent des richesses qu'elle renferme ; ils savent bien qu'il y a une Guyane française, ils connaissent peut-être sa situation g é o g r a p h i q u e ; mais c'est tout. Que si, au contraire, on parle de la capitale de notre colonie, le nom de Cayenne évoque chez eux l'idée de bagne ;
142
NOS GRANDES
COLONIES.
ils se figurent une ville peuplée de convicts, un climat meurtrier, un pays malsain, bon tout, au plus pour y reléguer des forçats. Cette sorte d'abandon de la part de la mère-patrie a eu pour conséquence de laisser notre colonie à peu près étrangère aux grands faits de notre histoire. A part les événements
de 1 7 9 1 et la catastrophe
de
1 8 0 9 , elle n'a pas, c o m m e nos autres possessions, subi le c o n t r e - c o u p des crises que traversait la France. E t cependant, la G u y a n e aussi a son histoire : histoire souvent tragique,
et
qui,
dénaturée, faussée
pour servir des intérêts privés, n'a pas peu contribué à perpétuer la réputation déplorable que l'on a faite, bien à tort, à notre colonie. C'est Christophe C o l o m b qui. le premier, prit connaissance des G u y a n e s , quand il aborda sur le delta de l'Orénoque, le 1
e r
août 1498.
U n an plus tard, cette partie du continent américain était visitée par Alfonse Ojedo et Jean de la Cosa ; ces navigateurs ne firent que passer, ils avaient un autre objectif.
A p r è s avoir reconnu la c ô t e ,
ils
remontaient au nord, se dirigeant vers le golfe du Mexique. L e véritable honneur de la découverte des Guyanes
appartient à Vincent Janes Pinçon. Anciens
compagnons
de C o l o m b à son
premier
v o y a g e , P i n ç o n et ses deux frères, enhardis par les succès de leur chef, résolurent de chercher
aventure
pour leur propre c o m p t e . Ils quittèrent Palos au c o m mencement de l'année 1 4 9 9 , sur une flottille composée de quatre caravelles. Après avoir touché aux Canaries, relevé les îles du Cap V e r t , ils firent route au sud-
LA
GUYANE.
143
ouest, et, franchissant l'équateur, abordèrent, le 20 janvier 1 5 0 0 , au cap Saint-Augustin. D e ce point, se dirigeant vers le nord, ils repassèrent la ligne, et arrivèrent à un endroit où l'eau de la mer était si douce que P i n ç o n en fit remplir ses barriques. C'était les bouches de l ' A m a z o n e . Surpris de ce phénomène, les navigateurs s'approchent de terre, et mouillent près d'un groupe d'îles verdoyantes situées à l'entrée d'un fleuve dont l'embouchure avait plus de trente lieues de large. Ses eaux, poussées par une force irrésistible, pénétraient à quarante lieues dans la mer, sans se mêler aux flots de l'Océan, sans en prendre l'amertume. La flotte éprouva dans ce mouillage un mouvement de marées et de courants qui la mit en péril ; ce p h é nomène, produit par la rencontre des eaux de l ' A m a Prororoca. zone avec la marée montante, se n o m m e Abandonnant au plus vite cette station dangereuse, Pinçon longe la côte américaine pendant plus de trois cents lieues, et atteint l'Orénoque, après avoir visité plusieurs points sur lesquels il n'a malheureusement pas laissé de détails. Quelques années plus tard, Gonzalo Pizarre, frère du conquérant du P é r o u , explorait ces régions. U n prisonnier lui apprit qu'au centre de cette contrée b o i sée que l'on désignait sous le n o m de Guyana, habitait un prince couvert d'or de la tête aux pieds. A u dire de l'Indien, la poudre d'or était fixée sur le corps du monarque au m o y e n d'une résine odorante ; il h a b i tait une ville aux palais faits du précieux métal ; a u tour de cette fantastique cité, la nature avait semé les pierres les plus précieuses de son riche écrin, et les eaux du lac Parimé, au milieu duquel s'élevait la capi-
144
NOS
GRANDES
COLONIES.
tale du souverain, roulaient sur un lit de perles et de diamants. Les E s p a g n o l s désignèrent ce roi métallique sous le n o m de Eldorado,
l'homme d o r é , et le pays qu'il ha-
bitait fut appelé l ' E l d o r a d o . Pizarre se mit à la recherche du prince merveilleux, mais il ne put découvrir sa d e m e u r e . Malgré son invraisemblance, la légende ne tarda pas à se répandre, et l'on vit de toute part accourir de hardis aventuriers. U n des premiers dont le n o m nous soit parvenu est l'illustre sir Walter Raleigh, le favori de la reine Elisabeth. Il avait formé le projet de pénétrer dans le domaine d ' E l d o r a d o en suivant l'Orénoque. Il quitta Londres en 1 5 9 4 et tenta de remonter le fleuve ; mais les sauts et les rapides n o m b r e u x cours
l'arrêtèrent
dans
qui coupent
son v o y a g e .
son
U n an après,
Raleigh était de retour en A n g l e t e r r e . E n 1 5 9 6 , il entreprit une deuxième
exploration,
qui n'eut pas plus de succès. L a même a n n é e , le capitaine R o b e r t - D u d l e y ( 1 ) ,
commandant
l'Ours,
était
à la Trinité, lorsqu'il entendit parier de l'Eldorado. Il e n v o y a aussitôt à la découverte une embarcation montée par douze h o m m e s . La petite expédition visita la Mana,
d'où elle rapporta, d i t - o n , de l'or en assez
grande quantité. V e r s la même é p o q u e , Laurent K e y m i s et le capitaine Berrie firent une tentative qui ne fut pas plus heureuse. Ces v o y a g e u r s
s'étaient dirigés vers l ' O y a p o c k ,
où
ils supposaient rencontrer la ville d'or. Ils nous apprennent qu'il y
avait déjà en
Guyane
des F r a n -
çais, qu'avait attirés la recherche du bois r o u g e . Ces (1) Hackluyt, T. III, p. 576.
LA
145
GUYANE.
Français devaient venir du Brésil : en effet, Thevet (1), dans la relation de son v o y a g e , raconte qu'un de ses Compatriotes, longtemps prisonnier des sauvages, lui parla d'un pays très fertile appelé Ouyana, auquel on parvenait en remontant la rivière
Kourou.
E n 1 6 0 4 , Charles L e i g h , en 1 6 0 8 , R o b e r t H a r court pénétrèrent en Guyane pour atteindre l ' E l d o rado ; ils ne furent pas plus favorisés que leurs devanciers. Ces voyages eurent au moins pour résultat de faire connaître
la côte. Enfin, pour clore la liste des
étrangers, citons la dernière tentative
de
Walter
Raleigh en 1 6 1 6 . A son retour à L o n d r e s , en 1 6 1 7 , le roi Jacques I
e r
le fit décapiter c o m m e
imposteur.
Cependant, en France aussi on avait entendu p a r ler du souverain d ' o r . L e
roi H e n r i I V chargea un
gentilhomme poitevin, le sieur de la Ravardière, de visiter la G u y a n e et de faire un rapport sur l ' o p p o r tunité qu'il y aurait d'y créer une colonie. De la Ravardière s'embarqua au Havre le 12 j a n vier 1 6 0 4 ; il était de retour le 15 août de la même année. Jean M o q u e t ,
qui a écrit la relation d e c e
voyage, nous apprend que si l'envoyé du roi ne d é c o u vrit pas l ' E l d o r a d o , il rapporta du moins des détails tellement intéressants sur la fertilité du pays et sur ses habitants, que l'on décida d ' y fonder un établissement colonial. En effet,
e n 1 6 2 6 , des marchands de R o u e n
en-
voyèrent un premier convoi de vingt-six personnes sous la conduite de
Chantail et de Chambault ( 2 ) .
Les
colons s'établirent à Sinnamary. D e u x ans plus tard, ( 1 ) Manuscrit de la Bibliothèque Nationale. (2) Malouet, Mémoires NOS
GRANDES
sur les colonies,
COLONIES.
t. I, p. 111.
5
146
NOS GRANDES COLONIES.
le capitaine Hautépine amenait à Canamona quatorze hommes
commandés
par
un
nommé
Lafleur.
En
1630 arrivaient de nouveaux immigrants, et en 1634, quelques-uns d'entre e u x , venus dans l'île de Cayenne, défrichaient et mettaient en culture la côte de Rémire; en 1 6 3 7 , ils y construisaient un village et un fort. L'impulsion était donnée. Suivant
l'exemple de
n é g o c i a n t s de R o u e n
ces
particuliers
isolés, les
se réunirent et formèrent une
compagnie. Ils obtinrent la concession de tout le pays compris entre l'Océan, l'Orénoque et l ' A m a z o n e . E n 1 6 3 8 , Richelieu confirma ce privilège en y ajoutant le monopole
du c o m m e r c e : la nouvelle
compagnie
s'engageait, en retour, à créer plusieurs établissements, notamment sur le Maroni. Elle expédia aussitôt soixante-six nouveaux colons. V e r s la même é p o q u e , quelques-uns des hommes le hasard tain
les
ayant
mis en
relation
avec un
cer-
Poncet, seigneur de Brétigny, ils lui firent une
description si magnifique de la G u y a n e et des richesses qu'elle renfermait, que celui-ci résolut de s'y rendre. Aussitôt, il vend ses biens, offre ses services à la compagnie, qui les accepte, et prend le commandement d'un
convoi en formation. A son titre d'envoyé
de
la c o m p a g n i e , de B r é t i g n y ajouta celui de gouverneur et de lieutenant
général pour le roi.
P . B o y e r , sieur du P e t i t - P u y , qui faisait partie de l'expédition et en écrivit la relation,
nous
apprend
qu'à part les officiers, le personnel était fort mal c o m posé : presque
il n'y
avait ni ouvriers
ni cultivateurs, mais
uniquement des gardes et des soldats
qui
devaient former la maison militaire de M . le g o u v e r -
147
LA GUYANE.
neur.
Ces g e n s , des aventuriers pour
la
plupart,
avaient été racolés un peu partout. L'expédition
gagna
le
H a v r e , en
Seine, et s'embarqua le 1
er
navires le Saint-Jean bre,
descendant
la
septembre 1643 sur les
et le Saint-Pierre.
L e 25 n o v e m -
on jetait l'ancre non loin de C a y e n n e , devant
l'habitation M a h u r y .
Dès les premiers jours de leur
arrivée, les colons eurent à souffrir du terrible c a r a c tère du chef : tout le monde dut plier sous son j o u g tyrannique. Les infractions les plus légères aux règlements qu'il avait promulgués étaient l'objet de châtiments sévères. Outrés d'un tel despotisme, les officiers se révoltèrent ; le 4 mars 1 6 4 4 , de B r é t i g n y fut mis en prison et remplacé par un Conseil de surveillance placé sous la présidence de M . de S a i n t - R e m y . Cependant, cédant aux prières du chef, le Conseil lui rendit la liberté et l'administration de la colonie. Aussitôt rentré en possession
du pouvoir, de B r é t i -
gny rédigea un règlement en cent quarante articles, dont quelques-uns paraissent être l'œuvre d'un tique ou d'un fou : le
fana-
blasphémateur avait la langue
brûlée avec un fer rouge ; on tranchait le poignet à celui qui frappait un de ses c o m p a g n o n s , etc. Sous l'empire d'une sorte de folie furieuse, le g o u verneur se livrait à toutes sortes de cruautés : huit innocents furent rompus par ses ordres, et il fit charger de fer et emprisonner les missionnaires capucins qui lui adressaient de justes reproches. A u matin, il interrogeait les et ceux
hommes sur leurs rêves de la nuit ;
dont les songes n'avaient pas l'heur de lui
plaire, étaient marqués au front avec un fer rouge à ses initiales. V o i c i en quels termes B o y e r rapporte ce fait monstrueux : « Sa tyrannie le faisait bien passer
148
NOS GRANDES COLONIES.
plus outre ; car il voulait matins chez lui pour lui
que chacun
allât tous les
rendre compte de tous
les
songes q u ' o n aurait faits pendant la nuit et de toutes pensées q u ' o n aurait eues pendant la précédente j o u r née, desquels et desquelles il nous faisait punir avec des extraordinaires cruautez. Les Nérons et les Caligulas ne firent jamais rien de semblable ( 1 ) . » A u milieu de toutes ces extravagances, de Brétigny lit cependant construire le fort
Cépérou et le village
qui depuis est devenu C a y e n n e . Des
Indiens,
particulièrement
tyran, cherchèrent une
maltraités par
occasion favorable
ce
pour tirer
vengeance d e ses mauvais traitements ; l'événement ne se fit pas longtemps attendre. U n j o u r qu'il faisait une
reconnaissance
en terre
ferme,
Brétigny
fut
attaqué, et périt massacré avec tous ceux qui l ' a c c o m pagnaient. Malheureusement les naturels ne se t i n rent pas pour satisfaits par la mort du chef; ils prirent aux colons des souffrances durées, et ravagèrent
qu'ils avaient
les établissements de
s'en en-
Berbice,
du Maroni et de S u r i n a m . Ils attaquèrent ensuite le fort Cépérou, et celui-ci serait entre leurs
mains, sans
certainement
tombé
l'intervention des mission-
naires qui, grâce à leur influence sur les indigènes, les dissuadèrent de continuer la guerre et les entraînèrent à K o u r o u . U n e partie des colons échappés au massacre les accompagna ; un certain n o m b r e resta dans le fort, d'autres
enfin, réfugiés
sur le
navire
du capitaine
Mirebault, qui croisait dans ces parages,
gagnèrent
Saint-Christophe.
(1) P. Boyer, Véritable relation de tout ce qui s'est passé au, voyage de M. Brétigny, p. 192 (Paris, in-8°, 1654).
LA
149
GUYANE.
Malgré le peu de succès de ces tentatives, une n o u velle c o m p a g n i e se formait. M .
de
Royville, l'abbé
de la Boulaye, l'abbé de l'Isle de Marivaux, et quelques autres au n o m b r e de douze, tondaient, sous le nom de Compagnie
des Douze
Seigneurs,
une Société dont le
capital versé était de huit mille écus minime, si l'on songe aux
: somme
frais de transport,
tallation et aux nombreux travaux
bien d'ins-
à exécuter pour
rendre la colonie productive. Il est vrai qu'on n'allait pas à la G u y a n e pour travailler, mais pour des richesses subsistait
imaginaires ; la c r o y a n c e à
recueillir l'Eldorado
toujours, et c'est en entretenant cette lé-
gende que les organisateurs de Sociétés réussissaient à entraîner à leur suite quelques malheureux trompés par des promesses mensongères. L'expédition
quitta
Paris
le
18
mai 1 6 5 2 ,
et,
c o m m e les précédentes, se dirigea sur le Havre par la Seine. L e j o u r même du départ, l'abbé de Marivaux, voulant
passer d'un
dans le
fleuve
la Conférence. 500
bateau
dans un autre, tomba
et se noya en face Le
tonneaux, et la
du transport des
de la
Grand-Saint-Pierre, Charité,
de
colons, quittèrent
porte
de
navire
de
400, la
chargés
France
le
3 juillet. Dès le début de la traversée, des discussions s'élevèrent au sujet du c o m m a n d e m e n t , que M. de R o y v i l l e entendait conserver
tout entier, tandis que
chacun
voulait en avoir sa part. On relâcha à Madère, où l'on séjourna huit jours : les associés profitèrent de cette escale pour se et former un c o m p l o t
réunir
dont le but était de supprimer
M. de Royville. Ses compagnons lui reprochaient de s'être vendu à la Compagnie de R o u e n , et ils allèrent
150
NOS
GRANDES
COLONIES.
jusqu'à l'accuser de méditer leur
mort pour
garder
un p o u v o i r sans partage. O n reprit la mer ; quelques j o u r s après, le 18 septembre, les conjurés pénétrèrent
dans la cabine
du
chef, le poignardèrent et jetèrent son corps par-dessus b o r d . Réunissant ensuite tous les passagers sur le pont, ils licencièrent la c o m p a g n i e des gardes, destituèrent les officiers et se partagèrent l'autorité. de l'expédition
fut confiée
La direction
à M . de Bragelone, qui
devait exercer son commandement sous
le
contrôle
d'un Conseil de surveillance. D i x j o u r s après ces
événements, les navires arri-
vaient en vue de C a y e n n e . L e s chef- croyaient t r o u ver un
établissement
en ruine, un village
ils furent fort étonnés d'apercevoir
un fort
désert : recons-
truit, sur lequel flottait le drapeau blanc. Les veaux arrivants firent au c o m m a n d a n t de la gnie de R o u e n sommation
de se rendre
;
nou-
compacelui-ci,
n o m m é de Navarre, n'ayant à sa disposition que
soi-
xante hommes, ne crut pas devoir tenter une résistance inutile ; il capitula,
consacrant ainsi l'autorité
de la C o m p a g n i e des D o u z e S e i g n e u r s . L e débarquement c o m m e n ç a
aussitôt, et l'on se
mit à construire tant bien que mal quelques maisons. Mais l'expédition ne comptait que fort peu d'ouvriers, et la plupart des colons durent rester sans abris ; elle n'avait pas non plus de cultivateurs : aussi no put-on songer à défricher et à cultiver les terres environnantes. Tous les bras étaient,d'ailleurs, employés à l'édification d'un fort en pierre, M. de V e r t a u m o n t , n o m m é commandant militaire, ayant déclaré que sa dignité ne lui permettait pas d'exercer son pouvoir sur des fortifications
de bois. Bientôt les
vivres manquèrent ; on
LA
151
GUYANE.
n'eut pas même la ressource de se nourrir de poisson ; car, dans
leur
incroyable imprévoyance, les chefs
avaient oublié d e se munir d'engins de pêche ! A c c a blés de fatigues, affaiblis par les privations et la m i s è r e , les nouveaux colons devinrent fièvres pernicieuses
bientôt
ou d'autres
la p r o i e de
maladies mortelles.
« Il semble, dit Biet dans son récit, que l'on n'avait embarqué tout
ce peuple que p o u r
ramener
dans
ce p a y s et l ' y f a i r e périr ( 1 ) . »
Cependant, un des associés,
M.
Duplessis, visita
l'île, et désigna Rémire pour y créer un établissement définitif.
Durant
son exploration
pirogue montée par quatorze
il r e n c o n t r a une
blancs
et un n o m b r e
égal de noirs, sous le commandement d'un F r a n ç a i s o r i g i n a i r e d e Gonesse. Ces hommes étaient des pirates de Fernambouc avec leurs esclaves ; ils f u i e n t prisonniers.
De ce j o u r
date
faits
l'introduction
des
p r e m i e r s nègres dans la colonie. De graves discussions ne tardèrent p a s à s'élever e n t r e les a s s o c i é s . Quelques-uns
d'entre
eux ,
ayant
pour chef un n o m m é Isambert, formèrent l e projet d'assassiner leurs camarades pour s'emparer de l'autorité. L e c o m p l o t fut découvert : on j u g e a les c o n jurés, et Isambert, condamné à m o r t , 25 décembre
1 6 5 2 . Cet e x e m p l e
fut exécuté le
ne ramena pas le
calme, et les discussions continuèrent
; de V e r t a u -
m o n t , c o m p r o m i s dans l'affaire Isambert, m a i s m é n a g é à cause de son c o m m a n d e m e n t e t des forces
dont
il
disposait, s'enfuit e t réussit à gagner Surinam. L e s Galibis, tribu indienne
occupant une portion
(1) Biet, cité par Nouvion, dans ses Extraits, chap. ix.
p. 42, livre I I I ,
152
NOS GRANDES
COLONIES.
de l'île de C a y e n n e , avec lesquels les douze
seigneurs
avaient eu plusieurs querelles, profitèrent du désarroi complet où se trouvait l'établissement p o u r l'attaquer; la plupart des malheureux colons furent é g o r g é s . Ceux qui avaient pu échapper à la mort furent
recueillis
le
27 décembre 1653 par deux navires qui les transportèrent aux A n t i l l e s ; peu d'entre eux, cependant, revirent leur patrie; ils succombèrent presque
tous aux
suites des fatigues endurées et des maladies contractées Dans leur fuite précipitée, les
associés
abandonnaient pour plus de vingt mille livres
à Cayenne.
d'armes,
de vivres et de munitions, que de Vertaumont
tenait
en réserve dans le fort. Après le désastre de la c o m p a g n i e des douze seigneurs, l'île resta à peu près inhabitée, jusqu'à ce q u ' u n
cer-
tain Guérin Spranger, j u i f hollandais expulsé d u Brésil p a r l e s Portugais, vînt s'y installer avec quelques-uns des siens.
Son habile direction mit l'île en si bonne
réputation que la plupart des juifs, chassés c o m m e lui du Brésil par la persécution religieuse, s'empressèrent de le rejoindre.
U n de
ses coréligionnaires,
Nasty, se fit donner à A m s t e r d a m le titre de
David patron
maître de la colonie de Cayenne, il s'y rendit en 1 5 6 9 . Sous le g o u v e r n e m e n t de ces commerçants, la colonie atteignit un degré de prospérité jusqu'alors i n c o n n u . Telle est, brièvement
résumée, l'histoire
des
mières tentatives de colonisation faites à la et dont l'honneur, c o m m e on
le voit, revient
plutôt à des étrangers qu'à nos compatriotes.
pre-
Guyane bien
LA
153
GUYANE.
CHAPITRE
II.
De la Barre. — Expulsion des Hollandais. — La France Equinoxiale. — Prise de Cayenne par les Anglais.— Paix de Bréda.— Prise de la Guyane par les Hollandais. — Suppression des Compagnies. — Reprise de Cayenne. — M. de Jennes. — Les PP. Lombard et Ramette. — Pierre Barrère.
Jusqu'en 1 6 6 3 , on s'occupa
peu de Cayenne,
en
F r a n c e . L'issue fatale des entreprises dirigées sur ce point n'était pas faite pour encourager de
nouvelles
tentatives. Cependant, un sieur Lefebvre de la Barre rêvait de reprendre l'œuvre de ses devanciers.
Grâce
à de hautes protections, il obtenait du roi, par l'entremise
de Colbert,
la concession du pays qui s'étend
entre l ' A m a z o n e et l'Orénoque, et des îles qui en d é pendent, sous le n o m de France Equinoxiale. Il formait une Société composée de vingt
membres, v e r -
sant chacun un capital de dix mille livres, avec l'engagement de doubler la s o m m e , au besoin. L'expédition devait être accompagnée par la flotte de M . de Prouville, qui allait prendre le g o u v e r n e ment des Antilles. Celui-ci, avec douze cents hommes embarqués à cet Hollandais, et
effet, avait mission d'expulser les de remettre Cayenne aux mains de
M . de la Barre. L e convoi
se composait
du Brézé
et du
Tenon,
vaisseaux du roi, et de quatre navires appartenant à la C o m p a g n i e . Partie le 26 février 1 6 6 4 , la flotte arrivait le 11 5*
154
NOS GRANDES
COLONIES.
m a i devant Cayenne. M . de T r a c y ,
qui connaissait le
pays, fut envoyé en parlementaire. Guérin comprit
qu'il
ne
pouvait
résister
Spranger
aux forces
qui
venaient l'attaquer ; il capitula d o n c , en demandant toutefois
à sortir du fort Cépérou avec les honneurs
de la guerre. Cette concession lui fut a c c o r d é e . L e 27 mai 1664, les Hollandais abandonnèrent Cayenne pour aller s'établir à S u r i n a m , colonie
anglaise fondée d e -
puis peu; ils n'avaient pas à redouter
là les persécu-
tions religieuses. E n débarquant, la nouvelle c o m p a g n i e trouvait une situation prospère, plusieurs sucreries organisées, un grand n o m b r e de noirs occupés à la culture du c o t o n , du roucou et de l ' i n d i g o , toute une colonie enfin
res-
pirant la richesse et le bien-être. L e premier acte de M . de la Barre fut d'entrer
en
relations avec les Galibis et de leur proposer un traité de paix. Le g o u v e r n e u r leur promettait la tranquillité et le r e s p e c t
de leurs personnes,
en échange que d'abandonner
ne leur
demandant
l'île pour se retirer
en
terre ferme, et d'aider les c o l o n s , le cas échéant, à r e prendre leurs n o i r s évadés,
Le
traité fut signé à la
S o u s la sage administration
du nouveau g o u v e r -
grande joie des indigènes. neur, qui sut tirer parti de l'impulsion donnée à la c o lonie par les Juifs hollandais, on la C o m p a g n i e de la F r a n c e
pouvait croire
que
Equinoxiale allait enfin
donner les résultats que ses prédécesseurs avaient v a i nement poursuivis. Tout à c o u p , les colons apprirent que le
gouverne-
ment venait d'autoriser la création d'une vaste C o m pagnie destinée à englober les autres. Sous le n o m de
Compagnie
des
Indes
Occidentales,
cette
nouvelle
LA
155
GUYANE.
institution devait monopoliser tout le commerce des Antilles et de la Guyane. Effrayé,
pour
l'établissement qu'il dirigeait, des
conséquences probables
de cette
création, M . de la
Barre prétexta du mauvais état de sa santé,
et quitta
Cayenne, laissant le commandement des établissements à son frère, M . de L é z y . Celui-ci, homme irrésolu et sans énergie, n'avait aucune des
nécessaires
qualités
pour administrer la colonie et la guider dans la voie de prospérité où elle était entrée. Ce choix était d'autant plus
regrettable que le nouveau directeur allait
avoir à lutter contre des difficultés extérieures. La nouvelle de la formation
de la Compagnie des
Indes occidentales était vraie : pour mettre un terme aux désordres occasionnés par les rivalités continuelles qui s'élevaient entre les particuliers fondateurs d'établissements privés, le ministère s'était décidé à les r é unir tous sous une seule et même administration; pour atteindre ce but, il créait une grande compagnie à l a quelle des lettres patentes conféraient la propriété de toutes les terres et îles habitées par les Français dans l'Amérique
méridionale.
La
nouvelle
choisit M . de la Barre pour lieutenant heureusement celui-ci
était
loin
Compagnie
général ; mal-
d'être rendu à son
poste. Par une c o ï n c i d e n c e fatale, le roi, vers la
même
époque,prit parti pour la Hollande contre l'Angleterre, et déclara la guerre à cette dernière
puissance le 25
janvier 1 6 6 6 . A u x premiers bruits de guerre, c o m m e on supposait,avec raison, que les Anglais tourneraient leurs efforts vers nos colonies tants renforts
furent
d'Amérique,
d'impor-
envoyés aux Antilles; m a i s ,
c o m m e il fallait toujours que l'on commît
quelques
156
NOS GRANDES
COLONIES.
fautes, on négligea de p o u r v o i r Cayenne des moyens de défense indispensables. Repoussée devant la Martinique et la Guadeloupe, l ' A n g l e t e r r e tourna ses efforts contre la G u y a n e ; le 22 o c t o b r e , sa flotte arrivait en vue de notre possession. M . de L é z y , en t o u r n é e à M a h u r y , est aussitôt prévenu; il g a g n e à la hâte le fort Cépérou et se prépare à la résistance; malheureusement l'ennemi, son attente, se dirige
trompant
sur R é m i r e et y opère un débar-
quement. L e g o u v e r n e u r a c c o u r t avec ses troupes sur le point menacé, et livre un c o m b a t acharné; mais il est blessé dans la lutte, et les Français, écrasés sous le nomb r e , battent en retraite. Ce premier échec fait perdre complètement la tête à M . de L é z y , et, au lieu de se retirer dans le fort Cépér o u , a v e c les habitants et la garnison, il passe; en terre ferme et g a g n e Surinam. Cependant, le sergent Ferrand, resté à
Cayenne
avec une poignée d ' h o m m e s , veut rassembler tous les colons dans le fort pour résister à l'Anglais. Bien pourvue de vivres et de munitions, la place, peut tenir longtemps encore ; les
déclare-t-il,
habitants
refusent
de se rallier au brave sergent ; ils s'enfuient, et Ferrand est obligé de livrer le fort au chevalier H a r m a n , commandant des forces britanniques. Les troupes anglaises se répandent dans la colonie, pillent les habitations, brûlent les récoltes, détruisent les fortifications, et enfin abandonnent l'île dévastée, p o u r se diriger sur Surinam. Les habitants et la garnison furent transportés à la B a r b a d e ; à leur arrivée, l'amiral anglais venait d'apprendre
Willougby
la conclusion de la paix par le
traité de Bréda ; il dirigea les prisonniers sur la Marti-
LA
nique. A
157
GUYANE.
quelque temps de l à , le P . Morellet, de
l'Ordre des Jésuites, fit savoir à M . de la Barre, g o u verneur des Antilles, que des Français réunis par ses soins étaient restés à Cayenne ; de la Barre envoya M . de L é z y pour reconstituer la colonie. Quelques années plus tard, en 1 6 7 6 , de nouveaux événements venaient encore bouleverser Cayenne, à peine remise de l'attaque des A n g l a i s . Les Hollandais n'étaient plus nos alliés, et, le 5 mai, l'amiral Binks, à la tête de onze vaisseaux, s'emparait de nos possessions. Il respectait du moins absents dont
les habitations : à part les
les biens furent mis sous
séquestre,
chacun p u t , malgré l'occupation étrangère, j o u i r en paix de sa propriété. Cependant,
le gouvernement
venait
encore
de
modifier le système c o l o n i a l : les compagnies s u p p r i mées, chacune de nos possessions
d'outre-mer était
placée sous le c o m m a n d e m e n t d'un officier n o m m é par le roi. Le ministère de la marine centralisait les services des colonies. E n même temps, l'amiral d'Estrées recevait ordre
de
se diriger avec
sa flotte
sur la
Guyane et d'en chasser les Hollandais. L e 11 d é c e m bre 1 6 7 6 ,
les vaisseaux du
roi arrivaient
devant
Cayenne, et en reprenaient possession. Depuis cette époque,
réduite aux limites qu'elle a encore
aujour-
d'hui, notre colonie ne fut plus troublée, jusqu'à la Révolution, et pendant cette période on vit se créer quelques entreprises agricoles particulières, qui d o n nèrent plus tard au gouvernement l'idée de faire, lui aussi, un grand essai de colonisation. En 1696. M . fonda
un
de Jennes obtint une concession et
grand établissement
sur le cours
d'une
rivière qui porte encore son n o m . Deux Jésuites, les
NOS GRANDES COLONIES.
158
P.P.
L o m b a r d et R a m e t t e , vinrent en 1 7 0 9 se fixer
sur l e fleuve K o u r o u . Ils réunirent quatre ou cinq cents néophytes avec l'aide
assez rapidement
indiens ; plus
des nègres, ils créèrent
tard,
les raffineries les
plus importantes de la contrée. La
moitié
deuxième
du
XVIII
e
siècle
fut,
pour
notre empire colonial, une époque désastreuse : une à une, nos plus belles possessions passaient a u x mains de l ' é t r a n g e r : l ' A c a d i e , l ' I n d e , le Canada étaient cédés à l'Angleterre.
A
la suite de ces pertes successives,
l'attention du g o u v e r n e m e n t fut de nouveau appelée sur la G u y a n e , et en 1 7 6 3 on résolut d'y fonder une vaste exploitation a g r i c o l e .
A v a n t de faire le récit de l'Expédition de Kourou, justement qualifiée de «
rapidement quel était E n 1 7 4 3 , Pierre
sinistre aventure
» , voyons
alors l'état de notre colonie.
Barrère, médecin d u r o i , fit un
v o y a g e à C a y e n n e . V o i c i ce qu'il dit de la prospérité de notre établissement : « Il n ' y a g u è r e aujourd'hui dix habitants
blancs.
plus de quatre-vingt-
O n comptait, il y a quelques
années, dans le recensement
général, cent vingt-cinq
Indiens esclaves, tant h o m m e s que femmes et enfants; quinze cents nègres travaillant et payant soixante roucouries (sic),
capitation,
dix-neuf sucreries et quatre
indigoteries. « Tous les esclaves au-dessous de soixante ans et au-dessus de quatorze payent sept livres et demie pour la capitation annuelle, q u ' o n fait monter à six ou sept mille
livres,
qui est payée avec les denrées d u pays.
L e c o m m e r c e d'aujourd'hui, dans cette c o l o n i e , roule sur beaucoup de rocou (sic), assez de sucre et peu d'ind i g o , de café et de c a c a o . L a culture d u café n'a été
LA
159
GUYANE.
introduite qu'en 1721
Celle du cacao est plus
nouvelle encore ; cependant il y
avait en
1735
des
colons qui en expédiaient jusqu'à trois barriques : mais le manque
d'esclaves
arrête
tous les
progrès
que
pourrait faire la colonie. Quelque petit que soit le c o m merce de C a y e n n e , les marchandises qui s'y t'ont tous les ans sont estimées à deux cent cinquante mille livres ou cent mille
écus
»
L'auteur entre ensuite dans des considérations très développées sur le tort que cause à l'agriculture le petit nombre d'esclaves, puis il ajoute : « Les terres que les Hollandais font
valoir à Surinam, et dont la
colonie tire toutes ses richesses, ne sont que les terres basses et inondées de mer haute. Ne
pourrions-nous
pas ainsi, à leur exemple, dessécher et cultiver celles de Cayenne qui sont noyées » ( 1 ) ? Avant Malouet et Guisan, Barrère avait compris que l'agriculture seule pouvait rendre notre
colonie
véritablement prospère ; que tous les efforts devaient tendre vers ce but ; qu'il fallait à tout prix conquérir des terres fertiles sur la mer, et surtout amener
en
Guyane de n o m b r e u x noirs pour leur faire exécuter les travaux auxquels, sous ce climat débilitant, les Européens ne peuvent se livrer impunément. (1) P. Barrère, Description et suivantes.
de la France équinoxiale, pages 97
160
NOS GRANDES
COLONIES.
CHAPITRE
III.
Expédition de Kourou (1). — Bessner. — Malouet et Guisan.— Villeboi. — Révoltes à Gayenne. en 1793. — Emancipation des noirs. — Réquisition forcée. — Victor Hugues. — Prise de Cayenne par les Portugais. - - Traité de 1814. — Colonisation de la Mana. — M Javouhey. — 1848. — Abolition de l'esclavage. — Situation actuelle. m e
Après la signature du traité de
Paris
( 1 7 6 3 ) , qui
enlevait le Canada et les Indes à la F r a n c e , le roi rêva de créer, dans
la F r a n c e Equinoxiale, un centre de
population blanche, qui pût contrebalancer, dans l ' A mérique du Sud. les immenses possessions des Anglais dans l'Amérique du Nord, et, au besoin, concourir à la défense des Antilles, objectif avoué de la politique britannique. C'est dans ce but que l'on organisa l'expédition de K o u r o u . Afin d'obtenir le concours du public, on fit croire à la fondation, en Guyane, d'une agricole et commerciale ;
pour
vaste exploitation augmenter
encore
cette c r o y a n c e , on demanda des projets d'organisation à des hommes compétents : le c o m m e r c e fut appelé à donner son avis.
Tous les mémoires présentés
cluaient à l'introduction dans
con-
la colonie de l'élément
noir. M . d'Orvillers, fils du gouverneur de ce nom, qu'un séjour de quarante-sept ans
en Guyane avait
(1) Si nous nous étendons longuement sur cette expédition malheureuse, c'est que, jusqu'ici, les différents auteurs qui ont traité de la Guyane ont presque passé sous silence cette tentative de colonisation.
LA
161
GUYANE.
mis à même d'en connaître à fond les besoins, et dont l'opinion
pouvait être
considérée c o m m e
celle de la
majorité des colons, insistait d'une façon toute particulière sur ce point.
Est-il besoin de dire
qu'on ne
tint aucun compte de ces
avis? E n haut lieu, on se
préoccupait
la question
fort
peu
de
coloniale,
on
obéissait à un tout autre ordre d'idées. Tout le m o n d e , colons et agents, faussement renseigné, fut
absolu-
ment trompé:alléchées par des promesses magnifiques, les familles partaient, croyant qu'à jouir des richesses digue.
Aussi,
la
n'avoir,
en
arrivant,
procurées par un climat p r o -
plupart se
lancèrent-ils avec une
légèreté inouïe dans cette entreprise; et, le croirait-on? dans cette
expédition, qui pour réussir exigeait une
race dure au travail, sobre, laborieuse, c o m m e celle dés puritains qui les premiers peuplèrent les solitudes de l'Amérique du N o r d , on engagea en grande quantité des soldats, des musiciens et des comédiens ! Cependant, on concédait à M . de Choiseul et à son cousin M. de Choiseul-Praslin
tous les terrains c o m -
pris entre le Maroni et le K o u r o u , avec droit de pêche, de chasse, de nomination d'officiers municipaux et de justice ; les propriétaires pouvaient donner aux villes et aux villages à construire, leurs noms et ceux des membres de leur famille. Ils s'obligeaient en retour à faire cultiver les terres les plus éloignées, à peupler la région voisine des frontières : « la population n o u velle, disait l'acte, devant servir de barrière » . M . de T u r g o t , homme ignorant, et
esprit
superficiel
sans suite, fut nommé gouverneur ; il désigna
comme
intendant
général M .
Thibault
ment impartial: ses plans furent toujours
de contrariés,
Cha
162
NOS GRANDES
COLONIES.
et il eut à lutter contre d'insurmontables M . de Chanvalon
eut
à supporter
difficultés.
tout le poids de
fautes qu'il n'avait pas commises, et si on lui reprocha avec raison beaucoup d'actes au moins inconsidérés, on ne tint pas assez c o m p t e , à notre avis, de la situation particulière dans laquelle il se trouvait. L ' E t a t affectait à la nouvelle c o m p a g n i e un capital de un million
cinq
cent
mille livres,
répartis comme
suit: 3 0 0 . 0 0 0 livres pour frais de premier
établisse-
m e n t ; 4 0 0 . 0 0 0 livres destinées à payer le fret de 4 . 0 0 0 tonneaux pour le transport de deux mille individus, v i v r e s , outils, e t c . ; les 8 0 0 . 0 0 0 livres restantes étaient appliquées aux frais g é n é r a u x
de la colonie.
A u c o m m e n c e m e n t de 1 7 6 3 , M . Bruletout de P r é fontaine, ancien officier de marine, p r o m u au grade de commandant,
reçut la mission d'aller à K o u r o u ,
d'y établir un c a m p , et d ' y faire construire le plus de locaux
possible.
R o c h e f o r t le 1
e r
Cet officier
devait s'embarquer à
mars pour être rendu à Cayenne en
avril, c'est-à-dire à la fin de la saison des pluies; il ne put mettre à la voile que le 1 7 mai. L e c o n v o i se c o m posait de trois navires : la Comtesse
le
de Grammont,
Jason et l'Américain. Outre un important chargement de vivres et d'outils, la flottille emportait 1 2 7 colons; elle atteignit Cayenne le 1 4 juillet. M . de Béhague, M . Morisse,
gouverneur
de la G u y a n e ,
et
ordonnateur, firent à M . de Préfontaine
un assez mauvais a c c u e i l ; leur exemple fut suivi par les habitants : ils refusèrent aux colons l'aide ceux-ci avaient si grand besoin.
Arrivé
dont
à Kourou,
le commandant obtint de l'établissement des Jésuites quatre-vingts noirs pour l'aider dans ses travaux d'installation. A la fin d'octobre, les constructions les plus
163
LA GUYANE.
indispensables
n'étaient
pas
terminées : et
quand
M . de Chanvalon débarqua le 22 décembre avec 1.429 passagers, rien n'était prêt pour les recevoir. L'attitude du gouverneur
et de l'ordonnateur vis-
à-vis de M , de Chanvalon fut plus hostile encore q u ' à l'égard de M. de Préfontaine. M. Morisse n'avait pris aucune mesure pour recevoir les colons et
faciliter
leur passage à K o u r o u , malgré les ordres qu'il avait reçus de la métropole.
Dans
une entrevue qu'il eut
avec M . de B é h a g u e , l'intendant général, sommé de montrer ses p o u v o i r s , s'y refusa; c'était une rupture. Les émigrants étaient restés à bord des navires qui les avaient amenés, et il fallait les mettre à terre au plus vite, car les capitaines avaient hâte de repartir. F o r c e fut d o n c à M. de Chanvalon de faire au débarquement. Il se rendit à K o u r o u
procéder dans une
pirogue ; après avoir éprouvé les plus grands dangers pour franchir la barre du fleuve, il atteignit le c a m p . Ce c a m p , établi par les soins de M . de Préfontaine, était situé sur la rive gauche du fleuve K o u r o u , à un tiers de lieue environ
de l'embouchure ( 1 ) . On avait
défriché les bords de la rivière sur une longueur de quatre cents toises, et une profondeur de deux cents environ; dans cet espace s'élevaient
une
église,
un
hôpital, et autour, quatre rangées de carbets dont disposition
la
formait des rues. Ces constructions r u d i -
mentaires étaient presque toutes occupées par les v o y a geurs du premier convoi ; celles restantes étaient bien insuffisantes pour abriter les émigrants que l'intendant avait laissés à Cayenne. (1) Plan du camp de la nouvelle colonie de la Guyane çaise.
fran-
164
NOS GRANDES COLONIES.
Il fallait agir au plus t ô t . M .
de
Chanvalon cal-
cule que pour transporter les colons de Cayenne au c a m p , avec les moyens insuffisants dont
il dispose,
il lui faudra trois mois (1); ce temps lui suffira
pour
construire de nouveaux; abris, mais il manque de bras: il s'adresse aux h o m m e s déjà installés, ceux-ci refusent leur
concours.
L'intendant
visite les environs du
c a m p , les trouve parfaitement disposes p o u r y créer un établissement ; puis il retourne à Cayenne
pour
procéder au transport des é m i g r é s . Il installe aussi bien que possible tout son monde dans l'île de C a y e n n e , et les départs pour
Kourou
c o m m e n c e n t . A peine un petit nombre est-il expédié, q u ' o n lui annonce un nouveau
convoi
treize hommes venant sur la Ferme,
de quatre
cent
capitaine d'Ambli-
mont. R i e n n'est disposé pour leur réception ; l'encomb r e m e n t , déjà excessif à Cayenne, va s'accroître d'autant. C'est alors que l'idée vient à M. de Chanvalon d'utiliser Diable
les îles du Salut,
(il les débaptisa
alors nommées îles du
pour la c i r c o n s t a n c e ) , s i -
tuées à neuf lieues au nord-ouest de Cayenne, et à trois lieues en face de K o u r o u . Il les visite, fait tracer un chemin, déblayer u n e source et dresser des tentes (2). L e 19 mars 1764, la Ferme quer quatre cent treize passagers (maintenant
(3) vient
débar-
sur l'îlot principal
l'île R o y a l e ) . E n m ê m e
temps, le capi-
taine de c e navire avise M . de Chanvalon de l'arrivée prochaine de deux mille nouveaux colons. Que faire en cette occurrence ? L'intendant n'a pu
(1) Défense de M. de Chanvalon. ( 2 ) Correspondance de l'intendant, lettre n° 52. (3) Etat des bâtiments expédiés du port de Rochefort.
LA
165
GUYANE.
prévenir en F r a n c e Je l'état de l'établissement, et faire suspendre les envois
d'hommes ; dès son
arrivée il
avait voulu écrire, mais M . Morisse avait
refusé de
retarder le départ du bateau qui aurait pu emporter ses lettres. Dans son embarras, M . de Chanvalon retourne au camp de K o u r o u et se décide à utiliser les bords
de
la rivière ; il remonte son cours pendant environ v i n g t lieues, trace les limites des premières concessions, fait construire quelques carbets et y envoie des vivres. Ces concessions
s'étendaient
jusqu'au
Château- Vert,
à
douze lieues de la mer ; on n'alla pas au delà à cause d'un saut qui
rend la navigation
difficile. E n terre
ferme, un peu au-dessus de la zone des palétuviers, là où sont situées les premières concessions, le fleuve tourne brusquement, et sa
rive
forme
c o m m e une
presqu'île ; cet endroit est choisi pour y jeter les f o n dations d'une
ville
au centre du
pays c o n c é d é . On fait c o m m e n c e r en
importante
(1)
qui doit s'élever
même temps les premiers défrichements, depuis l ' e m bouchure du K o u r o u jusqu'à l'éminence qui domine toute la région des palétuviers ; deux habitations, qui prirent les noms de la Liberté
et la Franchise,
y
sont
créées. Elles étaient à une lieue de la mer, sur la rive gauche du fleuve et au-dessus du camp (2). A ce m o m e n t , M . de Chanvalon apprenait l'arrivée de douze cent treize personnes, hommes et femmes ( 3 ) ; et pas un endroit pour les r e c e v o i r ,
pas une habita-
tion pour les abriter, pas m ê m e de tentes !
(1) Note du plan de la rivière Kourou.
(2) Ibid.
(3) Défense de M. de Chanvalon, pages 243 et suivantes.
166
NOS GRANDES
COLONIES.
Les îles du Salut étaient encombrées par les passagers de la F e r m e : sur avait pas malades,
d'hôpital
;
ces roches dénudées, il celui
du
n'y
c a m p regorgeait de
et sur l'île de Cayenne gisaient 1 5 0 indi-
vidus abandonnés, presque sans secours,
et
n'ayant
d'autre abri que la toile ! Le
c o n v o i annoncé arriva, amenant 1.887
gers : on les dirigea sur les îles du Salut,
passa-
et l'on en-
tassa deux mille trois cents individus, là où quatre cent treize hommes avaient peine à se m o u v o i r ! Profitant du adressa
départ de la flotte, M . de Chanvalon
des représentations
au ministère et à M . de
T u r g o t , q u i , malgré son titre de g o u v e r n e u r , s'obstinait à rester à Paris ; l'intendant demandait que l'on suspendît, momentanément du m o i n s , l'envoi de nouveaux é m i g r a n t s .
Ces réclamations
parvinrent
tard, paraît-il, car au mois d'avril le Centaure quait 3 4 8 individus : en mai, les Georges, l' Amphitryon,
la
Deux-Amis,le
Balance
et le
trop
débarPrince
Parham
amenaient 9 6 0 . Enfin, pendant le courant de
en
l'année
1764, des convois successifs transportèrent en Guyane NEUF MILLE personnes !
Bientôt le désordre
se mit dans l'administration :
les malades mouraient l'auto de soins ; les vivres, g a s pillés ou gâtés pendant la traversée, s'épuisaient rapidement, et ce n'est qu'avec des peines infinies que l'on arrivait à nourrir tout le m o n d e . Chanvalon, v o y a n t le désespoir s'emparer de ces infortunés, chercha-t-il à réagir, ou bien obéit-il à un a u tre m o b i l e ? ce qui est certain, c'est q u e , sous prétexte de distraire et d'étourdir les c o l o n s , Chanvalon donna des fêtes, organisa des banquets ; il assistait aux riages et leur donnait par sa présence
une
ma-
sorte de
Il
167
LA GUYANE.
solennité. « C'est avec la même adresse et la même i n suffisance
de moyens que j'ai osé faire chez moi la
noce des premières
personnes honnêtes q u i se s o n t
mariées dans la colonie
J e conduisis la mariée
à l'autel. Les p r o p o s , les distinctions, tout fut ployé, et j e réussis : l'exemple prit
em-
Il nous reste
encore plusieurs hommes à marier. J'écris à la Martinique d'engager quelques d e m o i s e l l e s bien nées de ce pays-là, à passer dans celui-ci, quoiqu'elles n'aient pas de fortune, pour s'y établir (1)
» Il fit construire
un théâtre; ce n'était à la vérité qu'un hangar à peine couvert ; mais on reprocha à Chanvalon de consacrer à des amusements un local dont les habitants avaient si grand besoin ; l'abbé Brouet se plaignait
que p e n -
dant que l'on élevait un abri à des comédiens, le clergé était sans asile, et le médecin Chambon réclamait cet emplacement pour ses malades. Des signes de révolte ne tardèrent pas à se manifester parmi les colons. Convaincus qu'on les avait amenés là pour ne rien faire, ces hommes se
refu-
saient à tout travail. Les plus turbulents, gens sans aveu, recrutés principalement en A l l e m a g n e ,
furent
transportés sur la rive droite du fleuve ; rien n'était organisé pour qu'ils pussent s ' i n s t a l l e r ;
abandonnés
et livrés à eux-mêmes, ils périrent, pour la plupart, victimes
de leur paresse et de
la rigueur du cli-
mat ( 2 ) . Le premier départ des colons pour les terrains c o n cédés sur les rives du K o u r o u était fixé au 1
e r
juin.
ne put avoir lieu, une épidémie d'une extrême v i o (1) Correspondance de M. de Chanvalon, lettre n° 19. (2) Défense de M. de Chanvalon, p . 218.
168
NOS GRANDES
COLONIES.
lence s'étant déclarée. On ne commença à diriger les concessionnaires sur leurs propriétés respectives qu'aux premiers jours de septembre. Cette opération dura jusqu'en n o v e m b r e . Il est impossible de décrire le désespoir et le découragement qui s'emparèrent de ces malheureux quand ils se virent seuls, abandonnés et c o m m e perdus au milieu des grands bois où tout pour eux était sujet de crainte. P e u d'entre eux étaient cultivateurs : au lieu de c o m m e n c e r leurs défrichements, ils se mirent à errer d'une habitation à l'autre. Bientôt les vivres manquèrent, et la faim amena plusieurs suicides. Les chefs d'exploitation chargés de venir Chercher les rations pour eux et leurs travailleurs s'attardaient à K o u r o u , car, malgré la misérable situation de ses habitants, le c a m p semblait un lieu de délices, c o m p a r é aux concessions. B e a u c o u p prolongèrent tellement leur absence, qu'à leur retour ils trouvèrent des hommes morts de faim. Ces faits se représentèrent si souvent, que l'on défendit aux colons de quitter les habitations ; un entrepôt fut installé sur la pointe du fleuve o ù l'on avait projeté de construire une ville, et c'est là qu'ils venaient se ravitailler. E n résumé, la position des émigrés répartis sur la rive du K o u r o u était aussi misérable, plus peut-être que celle de leurs c o m p a g n o n s restés au c a m p . Cependant, s'ils avaient voulu travailler, s'ils s'étaient mis courageusement à défricher, ils seraient arrivés à créer des établissements agricoles riches et productifs. N'avait-on pas c o m m e exemple l'exploitation des J é suites — il est vrai qu'ils employaient des noirs ; — (1) Défense de M. de Chanvalon, p 248.
169
LA GUYANE.
celle du baron d ' H a u g w i t z , située sur la rive g a u c h e ? N'eut-on pas plus tard celle du baron Bessner qui i n s talla dix familles alsaciennes sobres et laborieuses, dont les efforts furent récompensés par le succès (1)? A u c a m p , de nouveaux troubles venaient d'éclater : les colons se plaignaient de l'irrégularité dans les distributions de viande fraîche, de l'insuffisance d'eau potable, et, poussés par un esprit d'injustice, e x c u sable chez des hommes aussi éprouvés, ils firent retomber sur M . de Chanvalon la responsabilité de toutes leurs souffrances. La nouvelle du désastre était enfin parvenue en F r a n c e , l'opinion s'en était vivement émue; mais, ainsi qu'il arrive souvent en semblable circonstance, au lieu de chercher un m o y e n de soulager au plus tôt ces misères, on commença par chercher un coupable. M. de T u r g o t profita de l'occasion qui se présentait pour satisfaire ses rancunes personnelles contre M . de Chanvalon : il rejeta sur lui le poids de toutes les fautes commises. L e g o u v e r n e u r dut se rendre immédiatement en Guyane p o u r prendre possession du poste qu'il n'aurait jamais dû quitter. A son départ, au lieu de lui fournir les m o y e n s de réparer une partie du mal, il reçut la mission de vérifier les registres de comptabilité, d'examiner soigneusement ce qui avait été fait, et d'ouvrir une enquête sévère sur les agissements de M . Chanvalon. Il est juste d'ajouter que l'on donnait aussi au gouverneur de précieux conseils pour agir de telle sorte que, quoi qu'il advînt, les bons rapports avec les nations voisines ne fussent pas altérés (1) Défense de M. de Chanvalon, p. 253. NOS G R A N D E S
COLONIES.
5**
NOS GRANDES COLONIES.
170 et que leur
amour-propre
fût
avant
tout m é n a g é .
M. de T u r g o t arriva à Cayenne à la fin du mois de décembre 1 7 6 4 . La mer était houleuse et le débarquement présentait quelque danger. F o r t effrayé, le g o u verneur fit un vœu
( 1 ) pour obtenir du ciel une h e u -
reuse traversée depuis son navire jusqu'à terre. L e premier soin de T u r g o t fut de de témoignages
possibles
contre
réunir
le plus
Chanvalon;
point
n'est besoin de dire qu'il trouva dans M M . de Béhag u e et Morisse deux auxiliaires d é v o u é s , et dans tous les malheureux des accusateurs
fort
animés contre
l'intendant g é n é r a l . Celui-ci, arrêté aussitôt, fut e n voyé en F r a n c e . On usa vis-à-vis de lui et de sa famille d'une dureté excessive. L e
prudent
gouverneur
garda bien d'aller j u g e r par lui-même
se
du désastre;
il refusa de se rendre au c a m p , craignant les fatigues du v o y a g e et l'épidémie qui sévissait à K o u r o u . Son séjour fut du reste de peu de durée. Après avoir réuni les chefs d'accusation
qu'il jugeait nécessaires à ses
projets contre Chanvalon ( 2 ) , et
récompensé par ses
largesses ceux qui l'avaient aidé ( M . de Béhague reçut quarante mille livres et M . Morisse soixante-quatre mille) ( 3 ) , il repartit pour la F r a n c e , où, il après une absence d'environ On embarqua
et l'on ramena à
de quitter la Guyane, T u r g o t oublia trier les n o m b r e u x colons
rentrait
six mois. Saint-Jean-d'Angély de
faire
rapa-
disséminés sur les rives du
fleuve K o u r o u . (1) (2) (3) l'avis
Défense de M. de Chanvalon, p. 245. Id. p 216. Résumé de toute l'administration de M. de Turgot, avec du rapporteur et des commissaires.
l
LA
GUYANE.
171
Des quatorze mille émigrants q u i , selon Malouet, furent transportés en G u y a n e , neuf cent dix-huit seulement revirent la F r a n c e ; quelques-uns avaient d e mandé à rester, ils s'établirent sur le Sinnamary. A son arrivée à Paris, M . de Chanvalon fut jeté à la Bastille, j u g é , et condamné à une détention p e r pétuelle; ses biens, séquestrés, furent vendus au profil des colons qui avaient survécu. Chanvalon en appela : il réussit , sinon à prouver son innocence , du moins à établir qu'il avait été victime des é v é n e ments. E n 1 7 7 6 , un nouveau jugement cassa le p r e mier ; ses biens lui furent rendus ; on lui donna une indemnité de cent mille livres , une pension annuelle de mille livres et la charge de commissaire général des colonies; puis, d'accusé devenant accusateur, il o b tint que Turgot fût enfermé à la Bastille sous l'inculpation d'abus de pouvoir et d'incurie. Quand ce d e r nier sortit de prison, le ministre vint, au n o m du r o i , lui offrir une pension de douze mille livres. T u r g o t r e fusa. « J e remercie Sa Majesté, dit-il, mais j e ne puis accepter une pension que vous ne m'avez pas laissé le temps de mériter. » I l finit ses j o u r s dans une retraite obscure, e t , en mourant, r e c o m m a n d a à ses enfants de ne pas laisser faire l'éloge de leur père. Ce soin était au moins inutile. Ainsi s'éteignit le dernier écho de l'expédition de K o u r o u qui coûta la vie à treize mille hommes, et à la France plus de trente millions. Ceux qui l'entreprirent, et c e u x qui furent chargés de la diriger, ont devant l'histoire une lourde responsabilité ; leur conduite a été sévèrement j u g é e par Malouet , l'homme qui a le mieux compris et le mieux étudié les intérêts de la G u y a n e française.
172
NOS GRANDES
COLONIES.
« Il paraît incroyable qu'un homme de beaucoup d'esprit ait adopte le projet de faire cultiver les marais de la zone torride par des paysans d'Alsace et de Lorraine. Mais l'impéritie, l'imprévoyance dans les détails d'exécution, surpassaient encore l'extravagance du plan C'était un spectacle déplorable que celui de cette multitude d'insensés de toutes classes qui comptaient tous sur une fortune rapide, et parmi lesquels, indépendamment des travailleurs p a y sans, on comptait des capitalistes, des jeunes gens bien élevés, des familles entières d'artisans, de b o u r geois, de gentilshommes, une foule d'employés civils et militaires , enfin une troupe de comédiens, de musiciens destinés à l'amusement de la nouvelle colonie ( 1 ) . » Jusqu'aux événements de 1793, l'histoire de notre colonie n'offre rien de saillant ; et nous n'avons à noter que quelques essais isolés de colonisation, t o u jours infructueux. C'est d'abord un nommé D u b u c q , qui fonde une société au capital de 800.000 fr. pour exploiter la concession de M . de Choiseul. C'est ensuite M. de Bessner, auteur d'un projet lors de l'organisation de l'expédition de K o u r o u ; il réussit à gagner à sa cause de hautes influences et de nombreux actionnaires ; son but était d'attirer dans la colonie les nègres évadés des possessions h o l landaises, au nombre de 20.000, et 100.000 Indiens. L e seul résultat de ce projet fut d'amener Malouet dans notre colonie ; celui-ci, chargé d'examiner le plan de Bessner, vint à Cayenne en 1777. Tout d'a(1) Malouet, Mémoires
sur les Colonies, t. 1 . p. 36.
LA
173
GUYANE.
bord il reconnut que le projet était impraticable, en ce qui touchait les nègres : recueillir ces révoltés eût amené une rupture immédiate avec la Hollande. C'est alors que, voulant faire sortir la colonie de l'état misérable où il la trouva, « Malouet se rendit à Surinam afin d'étudier le système d'agriculture auquel ses habitants devaient leur merveilleuse Il obtint du g o u v e r n e m e n t hollandais
prospérité.
l'autorisation
d'attacher au service de la France un ingénieur habile, capable de le seconder dans ses projets d'amélioration agricole ; ce fut Guisan, auquel il donna le titre d'ingénieur en chef pour la partie agraire. A p r è s
avoir
travaillé à l'assainissement de Cayenne qui était j u s que-là resté à l'état de marécage, et fait quelques explorations dans les terres n o y é e s , Guisan
s'occupa
de tracer un canal qui devait réunir le Mahuri à la rivière K a w , de
faire opérer
le desséchement
des
pinotières de l ' A p p r o u a g u e , d'établir des chemins et d'enseigner aux blancs l'art de tirer parti de
l'admi-
rable fertilité des Terres-Basses ( 1 ) . » Malouet séjour en
ne
put malheureusement
prolonger son
G u y a n e , le mauvais état de
sa santé le
força de rentrer en F r a n c e ; mais, en amenant san dans notre colonie, il avait rendu à signalé
Gui-
celle-ci un
service : « J'obtins la permission
d'amener
avec moi et d'attacher au service du roi un ingénieur habile qui était de plus excellent h o m m e , M .
Guisan.
C'est le service le plus important que j'aie rendu à la Guyane
» (2).
( 1 ) Nouvion, Extrait des auteurs qui ont écrit Guyane, p. 1 5 3 . (2) Malouet, Mémoires sur les Colonies, t. I , p. 6.
sur
er
5***
la
174
NOS GRANDES
COLONIES.
Bessner profita du départ de Malouet pour se faire nommer gouverneur ; il échoua complètement vis-àvis des I n d i e n s , et mourut de chagrin un an après son arrivée à Cayenne. Quelques années plus tard ( 1 7 8 5 ) , M. de Villeboi, alors g o u v e r n e u r , fonda
sur la rive droite de l ' A p -
prouague un vaste établissement n o m m é B o u r g - V i l leboi, qui ne donna jamais de grands résultats. La Révolution venait d'éclater en F r a n c e . Aussitôt que la nouvelle en fut connue à la Guyane, les esprits s'exaltèrent, un vent de révolte et
d'insubordination
souffla sur la colonie, et on dut s'attendre à de graves événements. M . de B o u r g o n , chargé en 1 7 9 1 de r e m placer M . de V i l l e b o i , trouva à son arrivée l'émeute dans Cayenne : les troupes se mutinaient, le canon retentissait dans la v i l l e ; les nègres de plusieurs habitations de l ' A p p r o u a g u e entraient en rébellion contre leurs maîtres, et de petits soulèvements partiels d o n naient la mesure de l'état des esprits. U n décret de l'Assemblée nationale avait ordonné la formation d'une Assemblée coloniale. C o m m e devait s'y attendre, ce nouveau pouvoir voulut échec à l'autorité du gouverneur
on
faire
; de graves dissen-
sions en résultèrent. Devant cette attitude du Conseil, M . de B o u r g o n quitta Cayenne, laissant le c o m m a n dement par intérim de la colonie au major Benoît. L e 26 septembre 1 7 9 2 , l'escadre française a m e nait
M.
F. G u y o t ,
l'Assemblée
commissaire
nationale,
civil, délégué par
M . d'Allais, n o m m é g o u v e r -
neur, et M . L e q u o de Montgirault, ordonnateur. Ces changements dans le haut personnel de l'administration, pas plus que l'adjonction d'un commissaire civil, ne modifièrent
l'attitude hostile de l'Assemblée colo-
LA
175
GUYANE.
niale ; la situation était aussi
tondue quand, le 11
avril 1793, Jeannet Oudin, neveu de Danton, vint remplacer Guyot.
L a colonie
traversait
une crise
monétaire ; la pénurie du numéraire était telle, que le nouveau commissaire dut créer
des bons de c a i s s e ,
à l'instar des assignats. Peu à peu, les esprits se calmèrent ; tout rentrait dans l'ordre, et la colonie reprenait son aspect a c c o u tumé, lorsque, le 27 prairial an II (14 juin 1794), le brick de guerre l'Oiseau apporta à Jeannet Oudin le texte de la loi décrétant l'affranchissement
des es-
claves. A u lieu d'user de ménagements pour annoncer aux noirs leur mise en liberté, de les préparer à recevoir cette nouvelle, le commissaire civil la fit immédiatement publier à son de t r o m p e . Pris d'une délire, les nègres quittent les ateliers,
sorte de
abandonnent
les habitations, les récoltes que l'on est à la veille de rentrer, et, se répandant parla ville, se livrent, à toutes les extravagances d'une j o i e
folle.
Cependant, les
colons se plaignent, ils demandent des ouvriers ; on prie les noirs offre
de reprendre leurs
travaux, on leur
un salaire ; ils refusent : ils craignent,
s'ils
retournent aux habitations, d'être réduits de nouveau en esclavage. E n présence
de cette situation, le gouverneur est
obligé de prendre des mesures coercitives. Il rend, le 20 messidor an I I (8 juillet 1794), une ordonnance mettant en réquisition pour la récolte tous les ouvriers cultivateurs,
déclarant
malintentionné,
et devant être
traité c o m m e tel, quiconque refusait de se soumettre à cette injonction. Cette décision produisit peu d'effet, et le 19 pluviôse an I I I (7 février 1795) l'Assemblée d u t ,
176
NOS GRANDES
COLONIES.
par un nouveau décret, déclarer que tout citoyen qui ne pourrait justifier ni d'un métier, ni d'une tion, serait considéré
1
c o m m e vagabond.
occupa-
Ce
n'eut pas plus de succès que le précédent.
décret Cointet,
alors commissaire, eut recours à la force pour c o n traindre les noirs au travail ; il y eut des révoltes, on les réprima
sévèrement, et tout rentra dans
l'ordre.
E n 1 7 9 7 , la G u y a n e vit débarquer sur ses rives les seize déportés du 18 fructidor. L'année suivante, plus de cinq cents nouveaux exilés y arrivèrent successivement ; la majeure partie de ces malheureux périrent de dénuement ou de maladie dans les déserts de
Sin-
namary, d ' A p p r o u a g u e et de Conamana. Nous reviendrons sur ces faits, dans le chapitre que
nous consa-
crons aux pénitenciers. A la fin de l'année 1 7 9 9 , les Anglais s'emparèrent de Surinam
et vinrent o c c u p e r les îles du
Salut.
Burnel, agent particulier du Directoire, craignant une attaque, proclama l'état de siège à Cayenne, prit des mesures pour la défense de la ville et forma une mi lice composée des gens de couleur. A
peine
armés,
ceux-ci s'insurgèrent ; ils demandaient la suppression de la réquisition forcée. L'attitude énergique de dix grenadiers et d'un officier suffit pour les faire rentrer dans le devoir. Pendant que ces événements se passaient à Cayenne, la France assistait au
18 B r u m a i r e .
Le g o u v e r n e -
ment consulaire se hâtait d ' e n v o y e r e n G u v a n e V i c t o r H u g u e s , avec le titre de commandant en chef. E n d é barquant, le nouveau gouverneur proclama la constitution de l'an I I I . La seule réputation attachée à son nom suffit à rétablir l'ordre : son règlement sur la r é quisitionet le confinement des travailleurs dans les habi-
177
LA GUYANE.
tations furent fidèlement respectés. Enfin, le 30 floréal an X (20 mai 1 8 0 2 ) , l'esclavage fut rétabli dans toutes les colonies rendues à la France par le traité d ' A m i e n s . A la Guyane, qui était toujours restée française, on crut devoir procéder par degrés ; un arrêté du 16 frimaire an X I ( 7 décembre 1 8 0 2 ) régla
officiellement
cette question. Les esclaves reprirent le j o u g sans r é clamations, les travaux ne furent et la colonie
plus abandonnés,
revint à sa vie habituelle jusqu'à son
occupation par les P o r t u g a i s . Pendant quelque temps la Guyane
profita des richesses enlevées aux A n g l a i s
par les corsaires armés à Cayenne ; cette prospérité fut de courte durée ; là c o m m e à la Martinique, elle nuisit plutôt à la fortune future de la colonie, éloignant
de n o m b r e u x habitants de la culture
en des
terres. Depuis quelques années déjà, les Portugais
se l i -
vraient à
de
fréquentes incursions sur notre
toire ; en
1 7 9 4 , une petite troupe, venue du Brésil,
plantait, sur la rive droite de l ' O y a p o c k ,
terri-
un poteau
aux armes du P o r t u g a l . L'année suivante, une e x p é dition débarquait dans la haie de l ' O y a p o c k
et
rava-
geait quelques habitations. E n 1 8 0 1 , deux goëlettes pillaient les établissements situés sur le même
fleuve
et sur l'Ouanasi. Enfin, en 1 8 0 2 , une flottille s'avançait sur le B o u r g - V i l l e b o i ; elle ne se retira velle de la paix
d'Amiens.
qu'à la n o u -
Ces attaques
n'étaient que le prélude de la c a m p a g n e que
partielles les A n -
glais, alliés aux P o r t u g a i s , allaient diriger contre notre colonie. E n 1 8 0 9 , la
flotte
portugaise, a c c o m p a g n é e de la
corvette anglaise la Confiance,
débarquait, la nuit, cinq
cents hommes à l'embouchure de la rivière Mahury.
178
NOS GRANDES
COLONIES.
Surpris par la soudaineté de l'attaque, V i c t o r H u g u e s ne put se défendre : il capitula, stipulant
toutefois
que la colonie serait livrée aux mains des Portugais, et non des A n g l a i s .
Cayenne
leur fut livrée le 12
janvier 1809. Sous l'administration
de Manuel
Marques
et de
Petro da Souza, gouverneurs pour le prince du Brésil, les colons furent bien traités, leurs propriétés respectées, et aucune modification ne fut apportée dans l'administration intérieure de la colonie. La Guyane fut rendue à la F r a n c e par le traité de 1814 ; le gouvernement attachait si peu d'importance à cette possession, que c'est le 8 novembre 1 8 1 7 seulement qu'on y envoya c o m m e gouverneur le général de Cara Saint-Cyr. Il résulte
des documents officiels fournis à cette
é p o q u e par l'administration de la colonie, que la p o pulation de la G u y a n e
ne dépassait pas seize
cinq cents habitants, ainsi
divisés : sept
huit cents affranchis et quinze
mille
cents blancs,
mille esclaves travaillant
ou marrons. C'est également sous le gouvernement de M . de Cara Saint-Cyr qu'eut lieu pour la première fois l'introduction dans la colonie de l'élément Vingt-sept Chinois furent amenés de Manille,
chinois. à titre
d'essai, pour la culture du thé ; presque tous périrent peu de temps après leur arrivée. E n 1 8 1 9 , M . Portai, ministre de la marine et des c o lonies, conçut le projet de donnera la culture des p r o duits dits denrées coloniales
un développement c o n s i -
dérable. L'abolition de la traite des noirs interdisant l'introduction à la G u y a n e de la population esclave nécessaire à cette culture, le ministre tenta de reprendre sur de nouvelles bases
l'essai
de création d'un
179
LA GUYANE.
centre (le population blanche. Telle est l'origine de la colonisation de la Mana. Voulant s'entourer de toutes les garanties, M . P o r tai chargea M . C a t i n e a u - L a r o c h e , ancien g o u v e r n e u r de la colonie,
de préparer un
p r o j e t , pendant
que
M . Laussat, g o u v e r n e u r en fonction, ferait étudier une région propre à l'établissement d'une grande exploitation.
L'endroit
choisi fut
celui
situé au nord du
Sinnamary, et arrosé par la M a n a , le Maroni,
l'Ira-
coubo et la Courienne, entre les hauteurs et le littoral. Après bien des tergiversations
sur le n o m b r e et le
choix des c o l o n s , on se décida à e n v o y e r dans les deux postes de
la N o u v e l l e - A n g o u l ê m e
et de P o r t de la
N o u v e l l e - A n g o u l ê m e , une c o m p a g n i e d'ouvriers militaires, des sapeurs
et des orphelins des deux sexes.
Peu de temps après, il fallut rapatrier les
ouvriers
militaires ; mais tout était prêt pour recevoir les n o u veaux c o l o n s , qui arrivèrent à P o r t de la
Nouvelle-
A n g o u l ê m e le 5 décembre 1824. c'était trois familles du Jura, se composant en tout de
27 personnes ; le
gouvernement les avait entièrement défrayés
depuis
leur village jusqu'aux bords de la Mana, et leur f o u r nissait le logement, les outils, le bétail, les graines, etc. Tout marcha à souhait pendant les deux premières années ; m a i s , dans le cours de la troisième, ils abandonnèrent le travail auquel ils s'étaient livrés avec trop d'ardeur, et finirent par demander leur rapatriement. Sur ces entrefaites, M
m e
J a v o u h e y , supérieure des
Sœurs de Saint-Joseph de C l u n y , proposa à M . de Chabrol de continuer l'œuvre c o m m e n c é e , avec des orphelins et des orphelines. L e g o u v e r n e m e n t prenait à sa charge le transport
des
émigrants, fournissait
180
NOS GRANDES
COLONIES.
diverses allocations et prestations en nature ou en arg e n t , abandonnait à la communauté 15 hectares de t e r rains défrichés et les constructions en bois existant à Portde la N o u v e l l e - A n g o u l ê m e . L'administration s'engageait en outre à ne pas s'immiscer dans la gestion de l'exploitation, qui restait tout entière à la charge de Javouhev. Pendant les deux premières années,
M
me
l'établissement suivit une marche ascendante ; on d e manda même un nouvel envoi d'orphelins. En 1 8 3 2 , le terme stipulé pour tions
er
la fin des
des subsides étant arrivé, M
m e
subvenJavouhev
acheta 32 nègres, et la prospérité de l'établissement alla
sans cesse
l'exploitation
grandissant ;
aujourd'hui
est des plus prospères.
Aux
encore, environs
s'élève le b o u r g de la Mana. La cessation complète de la traite, l'imminence de l'émancipation des esclaves, et l'avilissement du prix des denrées de culture, amenèrent successivement un grand état de gène dans la colonie. La révolution de 1 8 4 8 , en décrétant l'abolition de l'esclavage et l'expropriation forcée, vint encore a g g r a v e r
la
situation:
aussi, depuis lors, vit-on l'activité et la vie s'éteindre de j o u r en j o u r à la G u y a n e . Pour essayer d'arrêter ce mouvement de recul, le gouvernement établit à Cavenue, en 1 8 5 2 , le centre de la transportation. C'est de cette époque, sur laquelle nous reviendrons avec plus de détails au chapitre X I I , que date également l'immigration
en
Guyane
des
coolies hindous. En
1855,
la découverte
de
gisements
aurifères
appela de nouveau l'attention sur notre c o l o n i e . Si cette découverte fut pour quelques-uns une source de richesses, elle eut pour résultat immédiat
d'arrêter
LA
GUYANE.
l'extension de l'agriculture, du
c o m m e r c e et de
181 l'in-
dustrie, en leur enlevant les travailleurs que l'on ne se procurait que très difficilement. Ainsi que nos lecteurs ont pu s'en convaincre par les pages qui p r é c è dent, le manque de bras a toujours été le principal obstacle à la prospérité de la G u y a n e française.
NOS G R A N D E S
COLONIES
6
182
CHAPITRE
IV.
Situation. — Limites anciennes. — Limites actuelles. — Aspect général.— Territoire contesté. — Fleuves. — Montagnes.— Les grands bois. — Le littoral. — Les îles. — Division administrative.— Cayenne. — La Mana. — Approuague.— Population. — Climat. — Moyenne de la mortalité.
La Guyane française est une portion
de la région
qui s'étend, dans l'Amérique méridionale, entre l'océan Atlantique, l'Orénoque et le fleuve des
Amazones.
Quatre nations se partagent aujourd'hui ce vaste territoire :1e Brésil revendique le pays situé entre l ' A m a zone et l'Oyapock ; la France possède l'espace pris entre ce dernier fleuve et le Maroni ; les
com-
posses-
sions de la Hollande sont limitées par le Maroni et le Corintyn ; et la contrée
qui va de ce fleuve à l ' O r é -
noque appartient à l'Angleterre. Notre colonie est l'océan
donc
bornée au
Atlantique ; à l'ouest
nord-est
par
par le Maroni ;
au
sud par les monts T u m u c - H u m a c : à l'est, la limite n'est pas exactement déterminée. Dans l'origine, la G u y a n e française
s'étendait au
midi jusqu'à l ' A m a z o n e . L e traité d'Utrecht ( 11 avril 1713)
réservait
exclusivement au Brésil le droit de
navigation sur ce fleuve, et lui donnait
la
propriété
des terres situées entre l ' A m a z o n e et le Japock ou Vincent Pinçon ; cette dernière
rivière devenait d o n c la
ligne d e division des possessions
françaises
et portu-
gaises. Depuis lors, cette délimitation a été un
sujet
de contestations continuelles. A Lisbonne, on feignait
LA GUY AXE.
188
Je confondre le J a p o c k et l ' O y a p o c k , quoique celui-ci soit situe à 3° plus au nord que le V i n c e n t P i n ç o n . L e traite conclu à Madrid le 29 septembre 1 8 0 1 fixa la frontière des deux colonies limitrophes à la rivière Parapanatuba, par 0° 1 0 ' de latitude nord ; le traité d ' A m i e n s , tout en reportant cette limite plus au nord, lui fit suivre le cours de l'Araguari, dont l ' e m bouchure est au sud du cap Nord, par 1° 1 5 ' de latitude septentrionale. Quoi qu'il en soit, aux termes de l'article 107 du traite de Vienne ( 9 juin 1 8 1 5 ) et par suite de la convention passée à Paris le 28 août 1817 pour l'exécution provisoire des stipulations de cet a r ticle, la G u y a n e française nous fut remise jusqu'à l'Oyapock seulement, sauf décision ultérieure relativement au territoire contesté. Malgré les n o m breuses notes échangées depuis lors entre les d i p l o mates des deux puissances, la question n'est pas e n core tranchée : adhuc subjudice lis est. « V u e à vol d'oiseau, la G u y a n e apparaît c o m m e une mer de feuillage. C'est l'expression la plus c o m plète de la puissance de la sève tropicale. A part q u e l ques contreforts éloignés de la grande chaîne des Andes, qui coupent à angle droit les rivières et en interrompent le cours à une vingtaine de lieues de leur embouchure, la G u y a n e est un pays de plaines d'où s'élèvent quelques sommets isolés, semblables à des îles sortant de la m e r ( 1 ) . » Malouet compare les basses terres du littoral, c o u pées par une foule de petits bassins, formant entre e u x de séminences peu élevées, à un plat d'oeufs au miroir. L'ingénieur Guisan disait qu'en coupant par le milieu (1) Bouyer, — Voyage en Guyane (Tour du monde.l866 .
184
NOS GRANDES
COLONIES.
des poires de toutes grandeurs
et
figures,
dans leur largeur, les autres en travers, et
les unes qu'en
les
posant sur leur coupe en les disposant sur un plan i n cline vers la mer, on se formerait en petit une idée de la plupart des cantons de la G u y a n e française, toute la partie qui borde la
mer, jusqu'à
dans
douze
ou
quinze lieues dans les terres ( 1 ) . On divise le
territoire
de
la
G u y a n e en
terres
hautes et enterres basses. Les terres hautes c o m m e n cent aux premières cataractes des
rivières, et
vont
s'élevant graduellement dans l'intérieur jusqu'à chaîne de montagnes (les monts
une
T u m u c - H u m a c ) , qui
occupe toute la partie méridionale des G u y a n e s . Cette chaîne se d é v e l o p p e entre les bassins du M a r o n i et du Yary, qu'elle sépare; sa profondeur est de dix à douze mille mètres. « Elle est moins i m p o r t a n t e
qu'on
ne
l'avait cru généralement, écrit le docteur J . Crevaux . L e baromètre ne nous a pas i n d i q u é de hauteur
dé-
passant quatre cents mètres au-dessu s du niveau de la mer. L'altitude de ces montagnes est si faible que température que nous y avons observée n'est
la
que de
2° ou 3° au-dessus de celle de la pla ine. La végétation des points les plus élevés est celle de la zone torride. L'ananas,
que
les
Roucouyennes
appellent
croît spontanément au sommet de ces montagnes Les terres basses occupent le littoral et
nana, (2).»
s'étendent
jusqu'aux premiers sauts des rivières ; elles sont c o m posées de terres d'alluvion, dont une vée, tandis que l'autre constitue
partie est c u l t i -
des plaines
tantôt
sèches, tantôt noyées, connues sous le nom de savanes.
(1) Cité par Gaffarel, Colonies françaises. (2) J . Crevaux, Voyages dans l' Amérique du Sud. p. 90 et 91.
LA
185
GUYANE.
Elles sont, sur b e a u c o u p de points, couvertes de marais où croissent de véritables forets de palétuviers rouges Rizophora
mangiez).
Cet
arbre, d'une
vigueur
croyable, pousse sans cesse des racines
in-
qui étendent
indéfiniment leurs a r c e a u x , sortent du t r o n c , descendent des b r a n d i e s , et, prenant racine à leur t o u r , d e viennent arbres elles-mêmes, atteignant souvent une hauteur de trente pieds. B e a u c o u p de ces marais sont toujours inondés, on les n o m m e
; ceux
pripris
sont desséchés forment d'immenses prairies où
qui pous-
sent en abondance les palmiers pinots, d'où leur de pinotières.
nom
On trouve e n c o r e , entre les rivières de
K a w et de M a h u r y , ainsi
que
Sinnamary,
formées
des plaines
dans la c o m m u n e de par
l'assemblage
d'herbes aquatiques reposant sur un fond de m o l l e : ce sont de véritables
tourbières
formation ; on les appelle savanes
vase
en voie de
tremblantes.
A soixante ou quatre-vingts kilomètres, c o m m e n cent les grands bois qui recouvrent la G u y a n e
et se
prolongent dans l'intérieur du continent jusqu'à distances inconnues, interrompus
des
seulement par
de
nombreux cours d'eau ou de rares éclaircies. C'est la forêt vierge dans toute sa puissance,
mais une
forêt
qui ne ressemble en rien au fouillis de verdure, à l'entassement d'arbrisseaux, à l'enchevêtrement de lianes et de plantes g r i m p a n t e s , telle qu'elle existe au Brésil, par exemple. « La foret v i e r g e , le grand on l'appelle en G u y a n e , se
présente
bois, c o m m e
sous un aspect
froid et sévère. Mille colonnades ayant trente-cinq quarante mètres do haut
s'élèvent
au-dessus de
têtes pour supporter un massif de verdure cepte presque complètement les rayons
qui
à vos
inter-
du soleil.
A
vos pieds, vous ne voyez pas un brin d ' h e r b e , à peine
186
NOS
GRANDES
COLONIES.
quelques arbres grêles et élancés, pressés
d'atteindre
la hauteur de leurs voisins pour partager l'air et la lumière qui leur manquent.... S u r le sol, à part q u e l ques fougères et d'autres plantes sans des feuilles et des branches
mortes
fleurs, gisent recouvertes de
moisissures. « L'air y manque.
« On y sent la fièvre » , me d i -
sait un de mes c o m p a g n o n s . L a vie paraît avoir quitté la terre pour se transporter dans les hauteurs, sur le massif de verdure qui forme le d ô m e de cette immense cathédrale... A niveau des cours d'eau, la végétation perd sa sévérité pour g a g n e r en élégance et en pittoresque- Les herbes, les arbrisseaux, prenant tout leur développement, sont couverts de fleurs et de fruits aux couleurs éclatantes. L e hideux c h a m p i g n o n , l'obscure fougère font place à des plantes
a u x feuilles
riches
en couleurs, aux fleurs élégantes. La lumière, également partagée, engendre l' harmonie, non seulement dans le règne végétal, mais encore dans le règne
animal.
Là-bas. c'est la bête fauve et le hideux crapaud ; ici, ce sont les animaux
de toutes
espèces qui viennent
partager tous ensemble les bienfaits de la nature ( 1 ) . » L e système fluvial de la G u y a n e est remarquable par l'abondance de ses eaux et la direction uniforme qu'elle- suivent. U n grand nombre de fleuves p a r c o u rent la contrée, se dirigeant perpendiculairement à la mer ;ils sont reliés entre eux par une infinité de petites rivières appelées sont : le Maroni, Cayenne,
le
criques.
Les
principaux
la M a n a , l e Sinnaniary,
Mahury,
l'Approuague,
l'
le
Ouanary
et
l'Oyapock, sur la limite du territoire contesté. ( 1 ) J. Crevaux. déjà cité, p. 20.
fleuves
le Kourou,
187
LA GUYANE.
L e Maronisépare la G u y a n e
française et
daise ; c'est le fleuve le plus important de
hollan-
la c o l o n i e ,
tant par sa largeur que par l'abondance de ses eaux ; il est comparable au Rhin. Il n'a pas moins de douze à quinze cents mètres de large jusqu'à une
distance
de v i n g t lieues de son embouchure, et quatre à cinq cents mètres à quatre-vingt-dixlieues dans l'intérieur. Sa longueur n'est pas en proportion avec le ses eaux : il n'a g u è r e , en comptant les
débit de
détours, que
six cent quatre-vingts kilomètres depuis son e m b o u chure jusqu'à sa source aux
monts
Tumuc-Humac,
d'où il sort sous le n o m d'Itany, pour prendre ensuite celui d'Aoua et devenir enfin le Maroni. Sa
direction
est nord quart nord-ouest. A droite et à gauche il r e çoit de n o m b r e u x affluents, dont quelques-uns ne sont que des criques ou ruisseaux. L a hauteur d u fleuve au-dessus du
niveau
de la
mer est de cent dix mètres environ ; son cours est e n travé par plusieurs îles et par un
grand n o m b r e
sauts ou rapides qui font de son lit un l o n g plutôt Guyane
qu'un
plan incliné. Tous les fleuves de
ne sont navigables, pour
de
escalier la
les bateaux à va-
peur, que jusqu'à douze ou quinze lieues de leur e m b o u chure ; plus haut, des blocs durs, souvent granitiques, opposent dans le lit même
mille obstacles à l ' é c o u l e -
ment des eaux ; des rochers disposés dans le sens courant rétrécissent la rivière et forcent
sa masse
du à
couler d'autant plus vite que l'espace est plus resserré ; c'est ce qui constitue un
rapide ; dans ce rapide, des
roches transversales forment un
barrage
lequel l'eau se précipite pour retomber
par-dessus
en cascades :
c'est ce qu'on appelle un saut. « Les sauts, dit M . V i d a l , établissent une série de
188
NOS GRANDES COLONIES.
bassins dont ils constituent eux-mêmes les digues de retenue. L e courant, d'une rapidité vertigineuse dans les sauts, est faible et quelquefois presque nul entre deux de ces obstacles. C'est grâce à ce régime tout à fait spécial aux rivières de la G u y a n e que le Maroni peut retenir ses eaux, malgré la pente sensible et disproportionnelle qu'offre le profil de son lit ( 1 ) . » V e r s son embouchure, le Maroni reçoit plusieurs petites criques, qui ne sont, à proprement parler, que des bras du fleuve, formant des îles de palétuviers noyées à la haute mer ; ce n'est guère qu'à une v i n g taine de milles que le sol se raffermit et permet la culture sans nécessiter un travail de drainage et de desséchement. E n venant du large, la montagne Gros-Bois et la Pointe française servent à reconnaître l'entrée du fleuve. Outre ces deux points très remarquables sur la c ô t e , on a placé deux phares, celui de Galibi sur la rive hollandaise, et celui des Hattes sur le territoire français. D e u x grosses bouées, mouillées entre deux bancs très dangereux, indiquent le chenal. En remontant le cours du fleuve, on rencontre d'abord le village des Hattes, puis le Pénitencier de Saint-Laurent. V i e n e n t ensuite l'ancien Pénitencier de Saint-Louis et le chantier forestier de Sparvine, autrefois exploité pour le compte du gouvernement par les transportés, et maintenant concédé à une société privée. E n t r e Saint-Laurent et la crique Sparvine se trouve l'île Portai, ou de B a r , admirablement cultivée : on y
(1) Vidal, V o y a g e d'exploration dans
maritime et coloniale,
1862).
le Haut M a r o n i
Renie
6*
EntrĂŠe d'une crique.
LA
191
GUYANE.
voit des plantations de café, des prairies artificielles pour
de canne à sucre, et
l'élève du bétail. Cette
exploitation est l'œuvre de trois Français, trois frères qui sont
fixés
là depuis vingt
ans. Notons
encore
l'habitation Lalanne, également à Sparvine, et l'habitation Tollinche, située un peu plus haut. A u t o u r de la demeure de M . Tollinche s'élèvent quelques misérables carbets servant d'asile à des Galibis qui vivent du c o m m e r c e
des boites de fer-blanc
serves) qu'ils vendent
(boîtes de c o n -
a u x ouvriers
remontant
les
criques pour g a g n e r les placers. Quelques milles après Sparvine, on rencontre le premier saut du Maroni, le saut Hermina. La Mana prend sa source dans le pays des E n i é r i l lons ; elle
est navigable pour les grands
bâtiments
jusqu'à 16 kilomètres de son embouchure ; les petites goölettes peuvent
remonter son cours pendant u n e
Quinzaine de lieues. C'est sur ses rives que se trouve l'exploitation fondée par M
me
Jahouvey.
L e Sinnamary et le K o u r o u , dont les rives virent périr tant de malheureux
en 1765 et 1 7 9 8 , sont de
moindre importance. Le Cayenne, grossi du Tonnegrande, du Tour de l'île et du
Montsinery,
de la rivière
f o r m e la rade
Cayenne, et baigne la ville construite
de
à son e m b o u -
chure. L'Approuague
o c c u p e la troisième place dans les
cours d'eau de la G u y a n e ; il prend
sa source dans
les régions du centre, et descend de cascade en cascade jusqu'au saut Maparou, o ù il devient navigable. Des îles nombreuses divisent son cours en plusieurs bras. Ses rives et celles de ses affluents
sont riches en
placers. Les bords du Courouaï, une des rivières les
192
NOS
GRANDES COLONIES.
plus riches en o r , possèdent aussi un sol privilégié ; on y voit de belles cultures et plusieurs sucreries. L'Oyapock
sépare la G u y a n e française du
terri-
toire contesté. C'est, après le Maroni, le fleuve le plus important de la colonie. C o m m e le Maroni, l ' O y a p o c k
est formé
par une
infinité de criques qui descendent des monts T u m u c H u m a c et se réunissent à quelques lieues de leurs s o u r c e s . Son cours est de quatre cent
quatre-vingt-cinq
kilomètres en comptant les détours. Malgré son peu de l o n g u e u r , considérable
l ' O y a p o c k a un débit d'eau bien plus que le R h ô n e
ou
la Loire ; le D J .
Crevaux attribue ce phénomène
à l'abondance des
r
pluies et à l'imperméabilité du sol argileux qui constitue ses berges et son lit. Le fleuve débouche dans une vaste baie, large de 15 milles environ, dont les extrémités sont formées par le cap
dernière canon
d'Orange
et la montagne
d'Argent.
Cette
doit son nom à la grande quantité de bois
dont elle est couverte : le feuillage blanc de
cet arbre, agité par la brise, ressemble, surtout aux premières heures du j o u r , à d e s lames d'argent. D'après une autre version, « la montagne d ' A r g e n t son n o m d'une
tirerait
mine que l'on prétend y être, et que
les Hollandais, du temps qu'ils s'étaient emparés de la colonie, avaient fait fouiller » . Dans
la baie de l ' O y a p o c k
s'élèvent
trois
îles :
l'îlot P e r r o q u e t , l'îlot Biche et l'îlot Humilia. E n remontant le cours de l ' O y a p o c k , on rencontre le petit village de Malouet, puis la rivière Gabaret,
sur le territoire contesté,
sur la rive g a u c h e . On passe
ensuite devant le Pénitencier de S a i n t - G e o r g e s , abandonné depuis 1 8 6 9 ; un peu plus haut, à un coude de
LA
193
GUYANE.
la rivière, sur des roches cachées sous les eaux, a s o m bré, il y a vingt ans, le vapeur de guerre l'Eridan. Sa coque en tôle d'acier
a fourni des dards
de flèches,
des fers de lances et des harpons à tous les Indiens de la contrée. Quelques centaines de mètres plus l o i n , s'élève l'île de Casfesoca,
qui fut le théâtre d'un sombre
drame où nous n'eûmes pas le beau rôle, mais
que
nous croyons cependant devoir raconter. Les B o n i s , nègres évadés des possessions daises, s'étaient tinrent contre
hollan-
fait, pendant la guerre qu'ils leurs anciens
maîtres,
une
sou-
terrible
réputation de barbarie et de cruauté. Ils cherchaient à entrer en relations avec nous pour se procurer des produits européens ; quelques-uns même s'étaient établis non loin de l'île. Les colons, effrayés de ce voisinage, demandèrent au g o u v e r n e u r la création d'un poste sur l'îlot, pour les protéger contre les incursions probables des noirs. L e poste fut accordé. A quelque temps de là, des Bonis vinrent avec leurs femmes proposer des échanges ; ils parlementèrent avec l'officier commandant la petite garnison, et, sur l'assurance formelle qu'ils ne couraient aucun risque, s'avancèrent en toute sécurité. Arrivés à quelques pas du fortin, ils furent accueillis par une grêle de balles. Ceux qui ne tombèrent pas à la première décharge tentèrent de gagner la rive du fleuve à la nage, mais ils furent
tués avant d'avoir abordé.
Pleins de c o n -
fiance dans la parole d'un chef blanc, ces malheureux s'étaient
laissés é g o r g e r sans tirer une flèche, sans
donner un coup de sabre. N o n loin de là, se trouve des Grandes-Roches.
le premier saut, le saut
A u milieu de cette cataracte en
miniature s'élève un îlot, habité longtemps
par
un
194
NOS GRANDES COLONIES.
ancien soldat de Villars, blessé à Malplaquet. Il était plus que centenaire quand Malouet vint le visiter. V o i c i comment Malouet raconte son entrevue avec Jacques : « A six lieues du poste d ' O y a p o c k , j e trouvai sur un îlot placé au milieu du
fleuve,
qui
forme
en cette partie une magnifique cascade, un soldat de Louis X I V , qui avait été blessé à la bataille de Malplaquet, et obtenu alors ses invalides. Il avait 110 ans en 1777, et vivait depuis
4 0 ans dans ce désert. Il
était aveugle et nu, assez droit, très ridé. La décrépitude était sur sa figure, mais point dans ses m o u v e ments. Sa marche, le son de sa v o i x homme robuste. U n e longue
étaient
d'un
barbe le couvrait j u s -
qu'à la ceinture. D e u x vieilles négresses composaient sa société et le nourrissaient du produit de leur pêche et d'un petit jardin qu'elles travaillaient sur les bords du fleuve. C'est tout
ce qui lui restait d'une planta-
tion assez considérable et de plusieurs esclaves qui l'avaient
successivement abandonné.
Les
gens
qui
m'accompagnaient l'avaient prévenu de ma visite, ce qui le rendit heureux, car il m'était facile de pourvoir à ce que le bon vieillard
ne manquât
de rien, et il
y avait vingt-cinq ans qu'il n'avait mangé de pain ni bu de vin. Il
éprouva une sensation délicieuse du
bon repas que j e lui fis faire. Il me parla de la perruque noire de Louis X I V , qu'il appelait un beau et grand prince ; de l'air martial du maréchal de Villars; de la contenance modeste du maréchal de Catinat ; de la bonté de Fénelon, à la porte duquel il avait été en sentinelle à Cambrai. Il était venu à Cayenne en 1 7 3 0 . Il
avait été é c o n o m e chez les Jésuites, qui
étaient alors les seuls propriétaires opulents, et il était lui-même un homme aisé lorsqu'il s'établit à Oyapock.
LA
195
GUYANE.
J e passai deux heures dans sa cabane, étonné, attendri du spectacle de cette ruine vivante
Lorsque
je fus pour le quitter, son visage vénérable se couvrit de larmes.
11 me saisit par mon habit, et, prenant
ce ton do dignité qui va si bien à la vieillesse, il me dit : « Attendez
» , puis il
se mit à g e n o u x ,
pria
Dieu, et, m'imposant ses mains sur ma tête, me donna sa bénédiction ( 1 ) . » L ' î l o t habité
jadis par Jacques
Blaisonneau
est
connu des Indiens sous le n o m d'île d ' A c a j o u . A partir des Grandes-Boches,
les rives vont
s'éle-
vant sensiblement, j u s q u ' à une hauteur de cent c i n quante à deux cents mètres. Toujours en
remontant,
on atteint l'ancienne mission Saint-Paul, abandonnée au siècle dernier. Nulle trace de culture n'a subsisté ; la forêt a repris possession des terrains que les d é f r i chements lui avaient enlevés ; une
croix vermoulue
reste seule pour indiquer le passage de la civilisation. Quelques lieues plus haut, le Camopi débouche
dans
l ' O y a p o c k ; c'est vers cet endroit que l'on supposait, d'après K e y m i s , qu'habitait l ' E l d o r a d o . D e ce point, l ' O y a p o c k va se rétrécissant, j u s q u ' à ce qu'il s e divise en un grand n o m b r e de ruisseaux,
ainsi que nous
l'avons indiqué. A p r è s la saison des pluies, le volume des rivières augmente notablement ; des criques, desséchées pendant la belle saison, se gonflent et deviennent de petits torrents ; mais il y a loin de là à la description que nous
fait M a l t e - B r u n des inondations en Guyane :
« Grossies rivières
par des
débordent
(1) Malouet, déjà cité.
pluies
continuelles, toutes les
toutes les forêts, avec
leurs
NOS GRANDES COLONIES.
196
immenses troncs, leurs labyrinthes d'arbustes,
leurs
guirlandes de lianes, flottent dans l'eau. L e s quadrupèdes sont obligés de se réfugier sur le haut des arbres
les poissons abandonnent
ordinaire, et mangent
leur
nourriture
les baies des fruits
arbustes parmi lesquels ils nagent (1). »
et des
L'éminent
géographe donne la même description des inondations annuelles du P é r o u . D u cap d'Orange à l'embouchure
d u Maroni, le
littoral se développe bas et uniforme sur une étendue de 3 2 0 kilomètres environ. Il est formé de terres d'alluvion couvertes de n o m b r e u x palétuviers que la mer baigne à marée haute, et coupé de distance en distance par les fleuves, dont les bouches forment de petites baies et des caps sans importance ; les principaux, après le cap d ' O r a n g e , s o n t : la pointe Béhague, à l'embouchure de l ' A p p r o u a g u e , la pointe Macouria en face de C a y e n n e , sur la rivière de ce n o m , et la pointe Française, à l'entrée du Maroni. Quoique parfaitement unies, les côtes ne sont pas d'un abord facile. « La mer épaisse, opaque,
y est
d'une couleur jaune, qui vers la côte anglaise prend des tons de sépia ; ce ne sont plus les eaux bleues et l i m pides de l'Océan
D e s bancs s'étendent fort loin au
large, et souvent on ne voit que très imparfaitement la terre, alors que le peu de profondeur de l'eau d é fend de s'en approcher davantage
11 s'est produit
depuis plusieurs années un curieux phénomène. A u t r e fois, si grand que fût le vent, il soulevait à peine ses eaux b o u e u s e s ; aujourd'hui, les dépôts des vases se sont solidifiés en plusieurs endroits, et ont formé des 1) Malte-Brun, Géographie universelle,
t. V I , pages 243-244.
LA
197
GUYANE.
bancs de vase dure qui gênent le m o u v e m e n t de la mer. «. Sur cette arène inégale et accidentée,
les
cou-
rants qui charrient le limon bourbeux des rivières luttent avec les lame.- de l'Atlantique, et de cette rencontre résultent des ressacs tumultueux
qui se tra-
duisent en raz de marée et en barres partielles. Les petits navires s'y trouvent parfois c o m p r o m i s ( 1 ) . » E n avant, et à peu de distance du rivage, s'élèvent un certain nombre d'ilots : le Grand nétable. Rémire, l' Enfant
les îles
Perdu,
et le Petit
Con-
les îles du Salut
et
Vertes.
L e Grand
Connétable
se dresse en face de la rivière
A p p r o u a g u e ; c'est une roche nue et escarpée,
haute
cent mètres. A son sommet, on a tout
d'environ
récemment installé un mât de signaux
et une m a i -
sonnette pour le gardien, seul habitant du rocher solitaire. Les îles
Rémire
sont au nombre
de quatre : le
Père, la Mère et les deux Frères ou les deux
Mamelles.
L'îlot le Père est le poste des pilotes qui entrent les navires à Cayenne. Sur l'îlot la Mère on a établi l'infirmerie des transportés. L'Enfant P e r d u , rocher isolé à huit kilomètres de Cayenne,
sert
de repère pour l'entrée du port ; on y
a construit en 1864 un phare à feu fixe avec charpente de fer. Les îles du Salut, appelées autrefois îles du Diable, furent débaptisées par M . de Chanvalon quand il dut y débarquer les colons qu'on
l
e r
lui envoyait de France
(1) Bouger, Voyage dans la Guyane française (Tour du monde. semestre 1866).
198
NOS
GRANDES
COLONIES.
à destination de K o u r o u . Elles comprennent trois îles : l'île du Diable,
l'île Royale,
et l'île Saint-Joseph.
Sur
l'île R o y a l e , la plus importante est le pénitencier c e n tral où sont internés, à leur arrivée, les condamnés à la transportation. Nous y reviendrons au chapitre que nous consacrons au pénitencier. A u point de vue
administratif,
la G u y a n e
divisée, depuis le 15 octobre 1 8 7 7 , en dix
est
communes
désignées, à l'exception de celle de C a y e n n e , sous le nom do communes
rurales.
Ce sont :
V i l l e de Cayenne, avec une superficie de Oyapock
234 hectares —
103,950
Kaw-Approuague
320,900
Bonra
90,400
Ile de C a y e n n e , Tour de l'Isle
—
60,300
TonnegrandeMontsinéry
—
63,470
Makouria
42,310
Kourou
80,000
SinnamaryIracoubo Mana
—
90,675
et dépen-
dances
387,100 1,299,339
A l'extrémité o c c i d e n t a l e d e l'île, formée
par les
r i v i è r e s C a y e n n e , d u T o u r d e l ' I s l e et M a h u r i , s ' é l è v e la c a p i t a l e d e la G u y a n e .
La
ville
est
dominée
par
u n m o n t i c u l e , le M o n t - C é p é r o u , b e r c e a u d e la c o l o n i e ,
LA
199
GUYANE.
fortifié, on s'en souvient, par son premier g o u v e r n e u r . M. de B r é t i g n y . D u côté o p p o s é , s'étendent le
port
et la rade, sorte de bras de mer formé par un coude du Cayenne à son e m b o u c h u r e ; les navires de
cinq
cents tonneaux ayant un tirant d'eau de 4
peu-
25
m
vent y e n t r e r sans danger. U n e jetée, récemment c o n s truite, s'avance dans l'intérieur de la rade et r e n d débarquement
facile
s'ouvre la rue du aboutir à la place gouverneur
et
à toute
marée.
Sur
le
le quai
P o r t qui traverse la v i l l e et vient d ' A r m e s , où
plusieurs
s'élèvent
établissements
l'hôtel
du
publics; à
droite s'étend le canal Laussat. Vue de la rade, la ville offre un c o u p d'oeil des plus pittoresques; des bouquets de palmiers et de c o c o tiers s'élèvent au-dessus
des toits
des m a i s o n s ;
les
palétuviers qui s'étendent sur la plage, et les hauteurs verdoyantes qui bornent l'horizon, lui font un e n c a d r e ment des plus riants. Lorsqu'on pénètre dans la plus grande
encore: comme
sons n'ont qu'un é t a g e ,
ville, l'impression est aux Antilles, les
et sont absolument
mai-
dépour-
vues de vitres ; les appartements, au lieu d'être p r o tégés contre le soleil et la pluie par de simples j a l o u sies, sont ornés de larges galeries extérieures fermées par des nattes vertes o ù l'air circule librement. C'est plus confortable qu'à la Martinique. Les rues, au moins les principales, sont larges, bien pavées et éclairées la nuit ; elles se coupent à angles droits et forment à leur j o n c t i o n
des
petites places
bordées de maisons. U n e eau c l a i r e et limpide, a m e née
des cratères
éteints de Rémire, coule dans les
ruisseaux et alimente abondamment
chaque habita-
tion. Toutes ces rues ont conservé leurs
anciennes
200
NOS GRANDES
COLONIES.
dénominations : ce sont d'abord les rues R o y a l e , de B e r r y , d ' A r t o i s , de P r o v e n c e ,
d'Angoulême,
puis
vient la rue Voltaire ; les autres portent les noms de gouverneurs ou d'ordonnateurs qui ont services
signalés
à
rendu
des
la c o l o n i e : Malouet, Mentelle,
Maillard, le Boulevard Jubelin ; puis deux noms
qui
évoquent un passé douloureux, la rue de Choiseul et la rue Praslin. Quant au nettoyage de la voie publique, ce sont les Urubus, sortes de vautours noirs, qui en sont chargés. C o m m e les zopilotes de M e x i c o , ces oiseaux immondes l'ont disparaître les ordures qui encombrent les rues; ajoutons, cependant, que depuis quelque n'ont
pas
passent
seuls cette
le
matin
et
temps ils
attribution ; des tombereaux enlèvent les i m m o n d i c e s , au
moins dans les principales rues. Grâce
aux services
qu'ils rendent, l'existence de ces oiseaux est protégée par l'autorité. Ils sont l'objet d'un respect tout particulier de la part des nègres ; c e u x - c i , n'ayant jamais vu le nid ou les œufs d'un u r u b u , affirment q u e , semblables au phœnix qui renaît de ses cendres, ces oiseaux naissent des cadavres de leurs congénères. L'endroit les plus curieux de Cayenne est assurément la place de 1 Esplanade ou
place des Palmistes,
immense quinconce planté de quatre cent hauts palmiers qui dressent j u s q u ' à trente rante mètres leurs troncs droits et
cinquante ou qua-
dénudés, pour se
terminer, à une hauteur presque uniforme, par une couronne de longues feuilles dentelées. A u centre de la savane s'élève la fontaine Merlet. Sur le côté nord de cette magnifique promenade on voit l'hôpital civil et militaire,
vaste,
bien aéré,
avec une
chapelle
fort élégante ; du côté opposé à la m e r , les Frères; le
LA
201
GUYAXE.
couvent des Sœurs de S a i n t - J o s e p h ;
la
demeure du
commandant militaire, et le palais de justice, qui p o s sède une bibliothèque
assez, importante. Sur la face
opposée, s'ouvre la place d ' A r m e s , où se trouvent le palais du gouverneur et une fort belle fontaine tant cette inscription : « A u c o n t r e - a m i r a l travel » . D e chaque côté sont
de
porMon-
le logement du p r é s i -
dent de la C o u r et la gendarmerie.
Citons encore la
Mairie, dont la grande salle est ornée des bustes
de
Guisan et de Mentelle. Dans ces rues larges, bordées de maisons à un étage, ombragées par les arbres des tropiques : palmiers, b a naniers, citronniers, e t c . . circule la population la plus variée que l'on puisse rêver : soldats coiffés du casque indien, créoles vêtus de blanc, femmes noires ou m u lâtresses couvertes
de la gaule et du madras m u l t i c o -
lore coquettement incliné sur le côté de la tête ; figurez-vous cette foule b i g a r r é e , et vous aurez une idée des rues de Cayenne quand vient la fraîcheur du soir. Cayenne compte environ dix mille habitants, y c o m pris les employés, les fonctionnaires
et la garnison.
Les communes les plus importantes sont celle de la Mana ; c'est
aussi la
d'abord
plus étendue.
embrasse tout le pays compris entre la
rivière
Elle Orga-
nabo et le Maroni ; elle comprend le pénitencier Saint-Laurent et plusieurs exploitations fondées depuis
quelques
années
de
forestières
sur les rives
du
Maroni. O n compte aussi, sur son territoire, quelques gisements aurifères, et
l'établissement des Sœurs de
Saint-Joseph de C l u n y . A p p r o u a g u e , outre des mines d'or très productives, possède les principales sucreries du pays, un
certain
nombre d'établissements industriels et des roucouries.
202
NOS GRANDES
Toutes les communes
COLONIES.
sont reliées
entre elles par
des routes de grande c o m m u n i c a t i o n , dites «
routes
coloniales » , et des voies de moindre importance ou chemins vicinaux. L e dernier recensement fait dans la colonie ( 1
e r
janvier 1 8 8 1 ) indique pour la G u y a n e française une population de vingt-six mille cent
seize
habitants, se
répartissant c o m m e s u i t : Habitants sédentaires Tribus indiennes
17,301 2,000
Réfugiés brésiliens
300
Militaires
1,005 20,606
Personnel du service médical, d'administration
et agents
divers
227
Religieuses de Saint-Joseph de Cluny et de Saint-Paul de Chartres
71
Frères de P l o ë r m e l
16
Prêtres
23
Emigrants africains
304
—
indiens
—
chinois
2,894 170
—
annamites
381
Transportés hors pénitencier
1424 26,115
Ce chiffre
est bien m i n i m e ,
l'étendue du territoire
si l'on considère
et
et les éléments divers dont se
c o m p o s e la population ; les créoles ne dépassent pas deux
mille.
LA
203
GYANE.
A quelle cause faut-il attribuer le nombre restreint de nos nationaux
établis en Guyane?
Ces causes
sont multiples ; mais une des principales, assurément, est due à la réputation d'insalubrité que Ton s'est plu à faire à notre colonie, réputation qui remonte loin. Le climat meurtrier de Cayenne fut en effet la seule excuse que purent invoquer des chefs ignorants criminels
ou
pour expliquer leurs insuccès et diminuer
le poids d'une responsabilité qui les écrasait. Il est certain qu'à cet égard la G u y a n e est loin de mériter tout le mal qu'on en a dit. Certes, la température est pénible pour les
Euro-
péens : une chaleur constante, des pluies abondantes tombant périodiquement, imprègnent pour
plusieurs
mois le sol et l'atmosphère d'une humidité continuelle qui agit énerve,
sur les
l'organisme
affaiblit,
en
des un
nouveau-venus,
mot
les anémie.
les Par
contre, les maladies graves, les lièvres dangereuses ne sont fréquentes que dans certains cantons, et attaquent-elles
de préférence
les hommes
encore qui
savent pas se soumettre au régime nécessité
ne
par le
climat, s'abstenir de liqueurs fortes, « l ' e x c è s de toutes sortes, en un mot prendre les précautions
hygiéni-
ques qu'ordonne la plus vulgaire prudence. Malgré le voisinage de l?équateur, la chaleur n'est pas extrême, elle ne dépasse presque jamais 3 0 ° ; en revanche, le thermomètre descend rarement au dessous de 20°. L'année se divise en deux s lisons : la saison sèche et la saison des juin-juillet
pour
pluies. La
première commence en
s e prolonger jusqu'en
décembre ; la saison
novembre-
pluvieuse dure de décembre à
juin. Elle est ordinairement interrompue en mars, par
204
NOS GRANDES COLONIES.
deux ou trois semaines de beau temps. l'hivernage,
les pluies
sont
qu'on a calculé, d'après
Durant
abondantes
des observations
météorolo-
giques suivies pendant plusieurs années, qu'il à Cayenne, années c o m m u n e s , mètres
tombe à trois
trois mètres
mètres cinquante d'eau, et dans l'intérieur mètres à quatre
tout
tellement
cinquante.
de
quatre
Dans les forets, les
pluies sont continuelles, et toute l'année
il
v pleut
plusieurs fois par j o u r . Tant que l'écoulement
de ces eaux
s'opère
avec
facilité, la salubrité du pays n'est pas atteinte ; mais quand, au lieu de trouver une issue,
elles
s'arrêtent
dans des marécages, elles s'y c o r r o m p e n t , et forment de véritables
foyers
d'infection.
Guyane certaines communes
C'est
ainsi
sont toujours
qu'en
particu-
lièrement malsaines, tandis que dans la majeure partie de la contrée, et notamment à C a y e n n e , on respire un air p u r . Il résulte des observations faites
pendant
une p é -
riode de neuf années que la mortalité à la G u y a n e est inférieure à celle de nos autres colonies : Guyane.
.
2,53 °/o
Bourbon.
3,05
Martinique.
9,04
» »
Guadeloupe
8,90
»
Sénégal. .
6,17
»
L e seul danger véritable à Cayenne, sur tout le l i t toral et dans les endroits découverts, consiste dans les insolations ; elles sont généralement mortelles. E n résumé, si le climat de la G u y a n e , c o m m e celui de tous les pays situés sous la zone torride, affaiblit
205
LA GUYANE.
l'Européen et ne lui permet pas de se livrer, c o m m e sous nos latitudes, aux rudes travaux des n'en reste pas moins avéré
champs, il
qu'en se conformant
certaines règles hygiéniques, l'Européen peut nément supporter la température
et s'adonner
travail modéré ; bon n o m b r e d'officiers
à
impuà
et de
un
fonc-
tionnaires font un l o n g séjour dans la c o l o n i e ,
et là
c o m m e en E u r o p e on rencontre des vieillards
bien
portants.
NOS
GRANDES
COLONIES.
6**
206
NOS GRANDES COLONIES.
CHAPITRE
V.
Les explorateurs de la Guyane. — Les PP. Grillet et Béchamel. — D'Orvillers. — Le P. Fauque et M. Duvillard. — Patris. — Mentelle. — Leblond. — Leprieur. — Vidal. — J. Crevaux.
C'est à la recherche Je l'Eldorado que l'on
doit
l'occupation et la colonisation de la Guyane ; c'est à la même cause qu'il faut attribuer les
nombreuses
ex-
plorations tentées pour pénétrer au cœur du pays. Les premiers qui essayèrent de s'avancer dans l'intérieur, en remontant le cours des ainsi que nous l'avons v u ,
fleuves,
étaient,
des aventuriers
anglais :
Walter Raleigh, K e y m i s , Berrie, etc nous ne dirons rien, leurs
De c e u x - l à ,
v o y a g e s n'eurent
aucun
résultat pratique. E n 1 6 7 4 , les Pères Jésuites entreprirent Cayenne
de visiter
le 25
Grillet et
la G u y a n e .
janvier, et
Ils
remontèrent
Béchamel quittèrent la rivière
W e i a , puis la N o u r a r g u e , où ils racontent avoir trouvé un village habité par des Indiens qui portaient aussi le nom de Nourargues. Guidés par des indigènes, les Pères s'avancèrent vers la
région
montagneuse,
atteignirent, le 10 mars, un point n o m m é
et
Caraoïbo,
qu'ils estiment être à 80 lieues de Cayenne ; là c o m mandait un chef appelé
Camiati.
Après
un
séjour
assez l o n g dans cette tribu, munis de pirogues et guides fournis par le chef, les deux v o y a g e u r s
de
s'em-
barquèrent sur le Tinaporibo, dont ils remontèrent le cours jusqu'à l'extrémité du territoire des Nourargues.
LA
207
GUYANE.
Abandonnant la rivière, ils se dirigèrent à pied
vers
l'Inipi ou Innii, qui se jette dans le Oamopi, affluent de l ' O y a p o c k . C'est en remontant le cours du que les Religieux trouvèrent la tribu des chez lesquels ils reçurent Quelque
temps
fleuve
Acoquas,
une hospitalité généreuse,
après,
ils
étaient de
retour
à
Cayenne. Cette exploration avait été entreprise d'abord pour introduire la religion catholique chez les sauvages de l'intérieur,ensuite pour chercher la salsepareille, que l'on disait abondante dans certaines parties de la foret ; c'était du moins le motif principal : mais il est permis de soupçonner que l'espoir de d é c o u v r i r l ' E l d o r a d o n'était pas non plus étranger au v o y a g e des deux Religieux. En effet, arrivés chez les A c o q u a s , près du du Camopi et de l ' O y a p o c k , — où
Keymis
demeure du souverain d'or, — les
Pères
confluent place la Grillet
et
Béchamel s'enquirent près des naturels de la situation du lac Parimé ; à toutes leurs questions, les Indiens répondirent qu'ils ne connaissaient rien de semblable, et n'en avaient jamais entendu parler. E n 1 7 2 0 , M . d'Orvillers, une
expédition à la
alors g o u v e r n e u r , envoya
recherche
de l'Eldorado : elle
devait remonter le Maroni, g a g n e r par terre le Camopi et revenir par l ' O y a p o c k , traversant ainsi la mystérieuse. La mission
région
suivit l'itinéraire qu'on
lui
avait tracé, et ne trouva pas l'Eldorado ; en revanche, les chefs rapportèrent de nombreux échantillons salsepareille et de cacao ; ils disaient avoir
de
traversé
une foret où ces deux plantes se trouvaient en grande quantité. N ' y avait-il pas dans cette découverte
une
haute
leçon et un ingénieux a p o l o g u e ? et ne pense-t-on pas
208
NOS GRANDES
COLONIES.
involontairement au trésor dont a parlé notre
grand
fabuliste ? Quelques années plus tard,le Père F a u q u e , a c c o m pagné de M . Duvillard, se rendit chez les
Acoquas
par la route de l ' O y a p o c k ; ce R e l i g i e u x voulait é v a n géliser les tribus sauvages. Il raconte q u e ,
pendant
son séjour parmi eux, il vit pêcher beaucoup de poissons au m o y e n d'une plante qui les engourdit et les grise au point que l'on peut les prendre à la main
;
c'est le Nékou. U n Indien montra aussi aux voyageurs le
quinquina, très
abondant dans
les
forêts
voi-
sines. E n 1 7 4 3 , Pierre Barrère visita la colonie, mais
il
ne dépassa guère les terres basses. Ce n'est que vingt-six ans plus tard, en nous
retrouvons
une exploration
1 7 6 9 , que
intéressante, celle
de Patris, médecin botaniste du roi à C a y e n n e . Ce v o y a g e u r a en effet tracé la route que le docteur Crevaux devait suivre cent dix ans
après lui.
Voici
l'itinéraire du docteur Patris : il remonta l ' O y a p o c k , le Camopi, le Tarnouri, et atteignit le pays des A r a michaux qu'il visita. D e là, en suivant l'Araouri
et
l ' A r o u a , il gagna le M a r o n i , dont le cours mène chez les R o u c o u y e n n e s . A p r è s un assez l o n g
séjour
ces tribus, il partit pour g a g n e r l ' A m a z o n e chissant les monts T u m u c - H u m a c . Il no son projet à exécution ; les indigènes
en
dans fran-
put mettre
l'ayant a b a n -
d o n n é , il dut reprendre sa marche sur Cayenne. Patris apportait des notes précieuses et de magnifiques collections recueillies en route ; malheureusement, la p i r o gue qui les portait chavira en franchissant un rapide ; tout fut perdu. Ce v o y a g e u r assure, ce qui, du reste, a été confirmé par le docteur Crevaux, que des sources
LA
209
GUYANE.
du Maroni à celles de l ' O y a p o c k , la distance est très courte, quinze lieues à peine. La m ê m e constatation fut faite, v i n g t ans après, par Mentelle, qui remonta l ' O y a p o c k , g a g n a les s o u r ces du Maroni par terre et revint à Cayenne en
des-
cendant son cours ; il dit n'avoir pas parcouru plus de quinze lieues pour aller d'un fleuve à l'autre. Son projet était aussi d'atteindre le bassin de l ' A mazone ; il dut y renoncer faute de g u i d e . En
1787
L e b l o n d , en 1836 Leprieur, suivant à
peu près la même route, gagnèrent
le Maroni par
l ' O y a p o c k et le Camopi. En 1861, M.
V i d a l , chargé d'une mission scien-
tifique, étudia tout le cours du Maroni ; il a laissé une relation
des
plus intéressantes du résultat de
ses
voyages et de ses travaux. Telles sont les explorations les plus remarquables, au point de vue de la topographie et de la connaissance de la G u y a n e . Tous ces renseignements étaient encore bien v a g u e s , et il restait de grands espaces i n c o n n u - , d'immenses régions inexplorées. C'est au D
r
J . Crevaux que revient l'honneur d'avoir complété les recherches de ses prédécesseurs, relevé bon
nombre
d'erreurs, et fait connaître, d'une façon certaine, cette immense contrée, si longtemps i g n o r é e , ainsi que les tribus qui l'habitent. En
1876, le D
r
J . Crevaux,
jeune médecin de la
marine, sollicitait du ministre de l'instruction p u b l i que une mission dans l'intérieur de la Guyane
fran-
çaise ; il se proposait de résoudre la question de savoir s'il était possible de relier le bassin de
l'Amazone
aux sources du Maroni, par le Y a r y . Parti en 1 8 7 7 , Crevaux remonta le cours du Maroni
6***
210
NOS GRANDES COLONIES.
en p i r o g u e . A p r è s des fatigues sans nombre, affaibli par la
maladie, abandonné par ses porteurs, il dut
s'arrêter chez les Bonis ; c'est
là que le v o y a g e u r
rencontra A p a t o u , qui depuis lors l'accompagna dans toutes ses expéditions. Pendant son séjour forcé dans cette tribu, le D
r
Crevaux put étudier l'histoire,
les
mœurs et les caractères ethnographiques de ces indigènes. D e Cotica, village B o n i , J . Crevaux
gagne
les
monts T u m u c - H u m a c qu'il visite et dont il étudie les habitants ; puis, après une longue navigation sur l'Itany et l ' A p o u a n i , il g a g n e le Y a r y , d o n t il descend le cours jusqu'à l ' A m a z o n e . Ce v o y a g e avait duré cinq mois. « J e ne suis pas arrivé au terme de m o n v o y a g e , que j'ai déjà conçu le projet d'une exploration, écrit le D
r
premier deuxième
J . Crevaux. A p r è s avoir par-
couru le Maroni et le Y a r y , il faut, pour compléter ma carte,
explorer la chaîne de partage des eaux
entre l'Oyapock et l ' A m a z o n e , et descendre le P a r o u , un des plus grands cours d'eau de la G u y a n e , absolument inconnu des géographes ( 1 ) . » Toujours
a c c o m p a g n é du fidèle A p a t o u , Crevaux
s'engage sur l ' O y a p o c k , le 22 août 1878 ; il remonte le fleuve en quinze jours, après une navigation
assez
facile, et atteint les sources de l ' O y a p o c k et les monts T u m u c - H u m a c le 22 septembre. P o u r
voyager
les criques qui descendent des montagnes et vers l ' A m a z o n e , le D
r
Crevaux et ses hommes sont
obligés de construire une pirogue après
d'écorce.
Enfin,
cinquante-cinq journées de m a r c h e , soit
(l) D J. Crevaux, De année 1880. p. 33). r
sur
coulent
Cayenne aux
Andes
(Tour
en
du monde,
LA
211
GUYANE.
canot, soit à pied, le v o y a g e u r
atteint les rives du
Parou. La descente de cette rivière, coupée de rapides et de n o m b r e u x sauts, dans lesquels le D
r
J . Crevaux
faillit périr et perdit plusieurs canots et presque tous ses b a g a g e s , demanda quarante et un jours. L e 9 j a n vier 1 8 7 9 , il arrivait au Para. Nous ne raconterons pas les voyages du D J . C r e r
vaux sur l'Ica et le Y a p u r a , affluents de l'Amazone,'ni son exploration de l'Orénoque qui fit l'objet d'un troisième v o y a g e , le dernier avant celui où le ha rdi e x p l o rateur devait tomber sous les c o u p s des Indiens Tobas. « E n résumé, dit le D
r
Crevaux, j'ai exploré, dans
mes deux v o y a g e s , six cours d'eau : deux
fleuves
de
la G u y a n e , le Maroni et l ' O y a p o c k , et quatre affluents de l ' A m a z o n e , le Y a r y , le P a r o u , l'Ica et le Y a p u r a . « Si le M a r o n i , l ' O y a p o c k et
l'Ica étaient c o n n u s ,
je puis dire que le Y a r y et le P a r o u étaientabsolument vierges de toute exploration. « Quant au Y a p u r a , qui mesure cinq cents lieues, il était inconnu
sur les quatre cinquièmes
de son
cours ( 1 ) . » C'est pendant ce second v o y a g e , que le D J . r
Cre-
vaux apprit la composition du poison e m p l o y é par les sauvages pour leurs flèches, et qu'il découvrit la liane appelée urari. dont nous avons fait le curare. plante a la propriété d'arrêter la circulation du
Cette sang
plus ou moins rapidement ( 2 ) . (1) D J. Crevaux, De Cayenne aux Andes, déjà cité, p. 176. (2) Il existe à Madagascar une plante connue sous le nom de Tanguin, tanguinia veneniflua, qui a les mêmes propriétés : le suc de son noyau pris à une certaine dose coagule le sang plus ou moins vite en occasionnant d'affreuses souffrances et d'horribles convulsions. F . H. r
212
NOS GRANDES
COLONIES.
CHAPITRE
VI.
I m m i g r a n t s f.t A b o r i g è n e s . — C r é o l e s . — N o i r s e t m u l â t r e s . — Bonis. — B o s c h . — Paramakas. — P o l i g o u d o u x . — Coolies hindous.
P e u de pays possèdent une population d'éléments
aussi variés que celle de
composée
la G u y a n e :
E u r o p é e n s , Arabes, Y o l o f f du Sénégal, Cafres, H i n dous, Chinois, Annamites, Indiens du bassin de l ' A mazone
se coudoient
dans
notre colonie. Ils
sont
venus là, poussés par des fortunes diverses : les uns, enlevés par la
traite au continent
africain,
plantés à Cayenne, ont donné naissance aux des colonies et aux mulâtres.
D'autres,
transnègres
originaires
aussi du centre de l ' A f r i q u e , ont été vendus à S u r i nam ; u n j o u r , ils se sont fait a marrons, et, franchissant le M a r o n i , sont venus s'établir sur notre territoire ; ils y ont
fondé les tribus des Bosch ou Y o u c a s ,
des
B o n i s , des Paramakas, de P o l i g o u d o u x , e t c . . . Les Chinois et les H i n d o u s ont remplacé les travailleurs que l'abolition de l'esclavage enlevait à l'agriculture. D'autres enfin, condamnés à la transportation, peuplent nos pénitenciers. Quant aux Indiens, ce sont les indigènes, les naturels de la G u y a n e . Nous n'étudierons pas toutes ces races, que dans le cours de cet ouvrage nous devons
retrouver chacune
dans sa patrie ; nous ne décrirons que les
indigènes,
les immigrants qui ont fait souche et créé un
peuple
nouveau, et les coolies hindous au point de vue travail.
du
LA
213
GUYANE.
Parmi les étrangers au sol, se placent en premier lieu les Européens et les créoles ; ils sont peu
nom-
breux, deux mille tout au plus, ainsi que nous l'avons vu plus haut. Commerçants pour la plupart, ou à la tête d ' e x p l o i tations industrielles,
les créoles sont
généralement
riches ; ils ont à peu près le même genre de vie que les habitants des Antilles, sur lesquels nous nous s o m mes longuement étendus. U n e m o r g u e et un orgueil moins grands,
une insouciance moins
exagérée
de
l'avenir sont peut-être les seules différences à signaler. Si peu importantes qu'elles soient, elles suffisent pour modifier d'une façon appréciable les rapports existant entre blancs et gens de couleur.
On ne trouve pas à
Cayenne la haine et l'antipathie qui divisent les deux races, à la Guadeloupe et à la Martinique surtout. Faut-il attribuer cette attitude des blancs vis-à-vis des noirs à ce fait qu'à la G u y a n e il n'existe comme aux Antilles,
pas,
une sorte d'aristocratie créole,
occupant le sol depuis des siècles, habituée à ne voir dans l'homme noir d'aujourd'hui que l'esclave d'hier ? D o i t - o n croire au contraire que les gens de couleur sont moins désireux do se mêler à la que leurs congénères des Antilles ? pas plutôt
race Ne
blanche
faudrait-il
voir là le résultat de l'établissement des
pénitenciers ? Depuis trente-deux ans que l'on a fait de la G u y a n e le centre de la transportation, bien des condamnés ont été libérés, qui sont restés dans la c o lonie, et l'on comprend qu'ils n'aient pas, sur la question de race, de préjugés bien enracinés. Nous
indi-
quons ces
nous
divers motifs assez plausibles, sans
prononcer d'une manière catégorique. A partie costume quelque peu modifié, les négresses
214
NOS GRANDES
COLONIES.
sont toutes et partout les mêmes. L e u r
gaule n'a
peut-être pas la même forme que celles de leurs sœurs des A n t i l l e s ; le madras noué sur le côté est peut-être un peu plus incliné sur l'oreille
; mais à part ces d é -
tails, c'est toujours la m ê m e race, gaie, rieuse, aimant le clinquant et le plaisir par-dessus tout. Quant aux hommes, aussi paresseux ici que là, passionnés amateurs de tafia, on les coudoie vêtus d'un pantalon et d'une chemise, ou affublés du costume le plus invraisemblable : pieds nus, pantalons trop courts, habit d é m o d é , faux-cols immenses, chapeaux indescriptibles posés sur leur toison crépue. N o u s n'insisterons pas. A côté de ces noirs, que l'on trouve plus particulièrement dans les villes, un certain n o m b r e de nègres de colonie, s'y
même race o c c u p e n t
de tribus
l'intérieur de la
sont installés, et ont formé
des nations
indépendantes. Ce sont tous des esclaves évadés depuis de nombreuses années des possessions hollandaises ; ils se sont réfugiés dans les bois
et sont revenus à
l'état sauvage. Ceux-ci méritent une étude spéciale. Les principales tribus sont les Bonis, Bosch,
les Polinoudoux,
les Youcas
ou
les Paramakas. A y a n t tous
une m ê m e origine, ils ont des costumes semblables ; aussi ne décrirons-nous d'une façon détaillée que
les
B o n i s , nous
qui
bornant à indiquer les événements
ont amené la formation des autres familles. Les B o n i s , originaires de la côte d'Afrique, sont les descendants des esclaves qui se révoltèrent Hollandais en
1 772.
contre les
Depuis cette é p o q u e , ils sont
établis sur le territoire français, au bord du
Maroni,
près du confluent de l'Araouta. L e u r principal village se n o m m e Cotica. L e D J . Crevaux a recueilli de la bouche r
même
LA
des anciens de la tribu l'histoire des circonstances qui
215
GUYANE.
de leur
ont a c c o m p a g n é
révolte, et
et suivi leur
émancipation ; nous empruntons les détails qui vont suivre au récit de ce v o y a g e u r . En 1 7 7 2 , un n è g r e audacieux et intelligent, n o m m é Boni, eut à se plaindre de son maître. Il avait a c c o m pagné c e l u i - c i ,
riche planteur hollandais, dans un
voyage en E u r o p e ; a u retour, il devait être affranchi. Rentré dans son habitation, le maître oublia sa p r o messe. Ce manque de b o n n e loi attira les plus grands désastres sur la colonie. Boni résolut de se venger et de prendre ne voulait pas lui donner : il s'échappa, dans sa fuite un grand n o m b r e de ses
ce qu'on entraînant
compagnons.
La maison du maître fut livrée au pillage, ses esclaves mis on
liberté, tous les blancs de l'habitation mas-
sacrés, à l'exception de l'intendant ; B o n i lui fit grâce de la vie pour qu'il pût annoncer au maître le châtiment qui venait de
le frapper.
D e s troupes furent
envoyées à la poursuite des révoltés ;mais elles avaient affaire à forte partie. Traqué de tous côtés, sachant sa tête mise à prix, Boni ne songea m ê m e pas à s'éloigner : il demeura aux environs des habitations, essavant d'entraîner d'autres noirs dans son parti. U n j o u r , il pêchait en c o m p a g n i e de sa femme sur les bords d'une petite crique. U n canot rempli de s o l dats hollandais envoyés à sa poursuite vint à passer ; au lieu de fuir, Boni
se précipite le sabre à la main
sur l'embarcation, tue plusieurs soldats, fait chavirer la pirogue, puis, revenant sur la rive, il é g o r g e ceux qui la regagnaient à la n a g e .
tous
Il n'épargne que
l'officier, qu'il envoie porter à la colonie la nouvelle de sa défaite.
216
NOS GRANDES COLONIES.
E n quelques j o u r s , vingt-trois habitations dévastées, et
les
esclaves délivrés
furent
vinrent
autour de ce chef intrépide une troupe
former
aussi n o m -
breuse que dévouée. Boni
emmena sa bande
dans le
Maroni et se
fixa près de la crique Paramaka, au lieu appelé
Boni-
doro. Il y établit une plantation de manioc et de bananiers dont on voit encore les traces aujourd'hui. Sans ses fréquentes incursions auprès de Surinam, incursions toujours signalées par le ravage d'une propriété et l'évasion
de
nombreux
esclaves, les H o l -
landais auraient laissé Boni vivre en paix dans la retraite qu'il
s'était choisie ; mais, en présence de ses
attaques réitérées, la colonie se vit dans l'obligation d'envoyer une véritable armée contre les rebelles. Surinam dut demander des secours à la métropole. On expédia à la Guyane douze cents hommes sous le
commandement du colonel
Fourgaud,
d'origne
française. Grâce à la connaissance parfaite qu'il avait du pays o ù il opérait, Boni infligea plusieurs défaites à son ennemi. U n e c o m p a g n i e qu'il attaqua à fabiki
(île de la Bataille)
fut presque
Feti-
entièrement
détruite. Les vainqueurs se livrèrent sur les morts et les blessés à des actes de sauvagerie que la plume se refuse à décrire. Les Hollandais essayèrent de surprendre les rebelles dans leur retranchement
de
Bonidoro.
Prévenu à
temps, Boni lit abattre des milliers de bananiers qui, disposés autour
du c a m p , lui permirent de recevoir
l'ennemi avec une centaine de
nuée de flèches et de
soldats
balles.
Une
furent tués ; les autres durent
battre en retraite. Quand, au
contraire, les
Bonis
prévoyaient que l'issue d'une rencontre leur serait fatale,
LA
217
GUYANE.
ils savaient se dissimuler et éviter ainsi l'attaque d'un ennemi trop redoutable. Les Y o u c a s , affranchis depuis soixante ans, s'étaient faits les alliés des Hollandais ; c e u x - c i garantissaient la liberté aux anciens esclaves, à la condition
qu'ils
livreraient les nouveaux évadés. O n n'eut pas de peine, à Surinam, à les engager à attaquer
les Bonis. U n e
rencontre eut lieu près de la crique I n n i i .
Les Y o u -
cas, repoussés,'demandèrent la paix et l'obtinrent. Afin de cimenter les engagements pris de part et le chef Y o u c a s
d'autre,
offrit à B o n i la plus jeune et la plus
jolie de ses f e m m e s . La paix durait depuis un a n , devoir la
troubler,
et rien ne semblait
lorsqu'un j o u r de
nombreuses
pirogues, montées par des Y o u c a s , abordèrent
non
loin de la crique Innii, à un endroit n o m m é F é t i C a m pan ( c h a m p de bataille).
V o y a n t arriver des amis,
Boni s'avança au-devant d ' e u x ; déjà il leur tendait les mains pour leur souhaiter la bienvenue, quand il reçut une balle de fer qui lui traversa la poitrine.
Atopa,
le fils du malheureux chef, suivi de n o m b r e u x amis, s'élança immédiatement à la poursuite des assassins; il ne put rejoindre les Y o u c a s ; mais, se dirigeant sur leur village, il surprit
quelques-uns
des
chefs
et
les
massacra. A p r è s plusieurs combats d o n t le résultat fut t o u jours incertain, les Y o u c a s livrèrent aux Hollandais la tête d'un Boni dont le cadavre avait été habilement substitué à celui du chef par ses fidèles. L e G r a n d - M a n des Y o u c a s reçut du gouvernement de Surinam, en récompense de ses services, une rente viagère pour lui et ses successeurs, un hausse-col et une canne de tambour-major. NOS
GRANDES
COLONIES.
7
218
NOS GRANDES COLONIES.
Ainsi se termina cette guerre
acharnée entre la
H o l l a n d e et ses esclaves évadés. La colonie,
outre
les dégâts matériels, y perdit bon n o m b r e de soldats blancs, et une certaine quantité de soldats noirs qui s'enfuirent dans les forêts ; ces déserteurs formèrent la tribu des P o l i g o u d o u x . Les B o n i s , voyant leurs communications avec le bas M a r o n i , avec les Indiens
essayèrent
de
coupées
d'entrer en relations
l'intérieur.
Ils
s'adressèrent
d'abord aux Oyampis ; après avoir été reçus amicalement par cette tribu, ils furent lâchement attaqués et perdirent plusieurs hommes. Ils se tournèrent alors vers les colons français et se dirigèrent sur l'île Casfesoca ; nous avons v u c o m ment, malgré la parole du chef du poste, ces noirs furent massacrés sans motif. Pourchassés par les Français, les Bonis
Hollandais, traqués par les
se rapprochèrent
des
Indiens
Oyacoulets qu'ils rencontrèrent en remontant l'Itany. Encouragés
par la
réception
que leur
tribu, les proscrits croyaient avoir enfin nation
amie ; mais
qu'une feinte. Tous
cet accueil
fit
cette
trouvé une
bienveillant
n'était
c e u x des Bonis qui avaient été
reçus chez les Oyacoulets furent égorgés. Il y a une vingtaine d'années, les B o n i s firent une seconde
tentative pour entrer en relations avec les
Français de la
G u y a n e . Suivant le cours de
l'Innii,
ils gagnèrent l'Approuague, qu'ils redescendirent j u s qu'à son embouchure. Ils furent reçus par M . Couy, qui les mena à Cayenne et les présenta au gouverneur. Depuis lors, les Hollandais et les Français ont c h e r ché à s'attacher les noirs de l'intérieur, mais ils ont à lutter contre une défiance bien naturelle.
LA
219
GUYANE.
Livrés à eux-mêmes, ces nègres n'ont
tardé à
pas
revenir à l'état sauvage et à reprendre leurs anciennes c o u t u m e s , en y j o i g n a n t quelques-unes de pratiquent
celles que
les nations qu'ils fréquentent. D e
leur
long séjour chez les blancs, ils ont rapporté aussi des croyances, défigurées, il est vrai, par la tradition, mais dont on reconnaît facilement Physiquement, faits : en
l'origine.
ils sont grands, vigoureux et bien
revenant à la vie p r i m i t i v e , ils n'ont pas
tardé à supprimer toutes les parties inutiles du v ê t e ment dont leurs maîtres les avaient affublés, et à réduire; leur costume à sa plus simple expression. H o m m e s et femmes ont les cheveux courts ; ils les réunissent on une foule de petites mèches droites et pointues, semblables à de petites cornes qui hérissent leur tête. C o m m e ornements, ils portent au cou nombreux
colliers,
de
et aux chevilles, au-dessus du
mollet et aux poignets de lourds anneaux de métal. Fort peu de ces noirs sont tatoués ; quelques femmes seulement ont une rosace autour de l'ombilic ; encore ce n'est pas un véritable tatouage ; le compose
cet ornement n'est
pas
dessin
pratiqué
qui
dans la
peau au m o y e n d'une piqûre lavée avec une teinture quelconque, il se compose plutôt d'une série d'excroissances de chair ayant assez l'aspect d'une graine de lin. Cette sorte de tatouage s'obtient en pratiquant de petites incisions fréquemment
répétées pour rendre
les cicatrices plus saillantes. Il est à remarquer chez les nègres, les
que,
plaies n'attaquant que le derme
produisent une cicatrice noire, tandis que lorsqu'elles pénètrent plus profondément, elles sont
absolument
blanches après la guérison. P o u r éviter cet i n c o n vénient, les Bonis,
au moment de l'incision, s a u -
220 poudrent
NOS GRANDES COLONIES.
la plaie
Les Bonis
avec
du charbon
habitent des carbets,
pilé
très fin.
sortes de
huttes
carrées, couvertes avec des feuilles de waille ou
de
macoupi ; quelques-unes sont ouvertes à tous les vents, d'autres sont closes, et l'on n'y pénètre que par
une
ouverture basse et étroite. Dans le village, les carbets sont disposés en circonférence autour d'une place qui sert de lieu de délibération aux anciens de
la tribu.
Afin d'éviter la présence des insectes et des reptiles, le sol de la place est toujours parfaitement balayé ; le plus petit brin d'herbe est soigneusement arraché. Grands amateurs de p ê c h e , les Bonis sont
d'excel-
lents canotiers. Leurs pirogues sont faites d'un tronc d'arbre, — généralement un bamba,
—
creusé à la
hache ; elles sont longues, étroites et relevées aux deux extrémités ; les pagayes
ou rames ont à peu près
la
forme d'une feuille de laurier. Montés dans ces p i r o g u e s légères, armés d'une seule p a g a y e , ces
hardis
canotiers franchissent les sauts, descendent les rapides les plus dangereux avec une habileté surprenante. A proprement parler, le mariage n'existe pas chez ces sauvages, et cependant l ' h o m m e ment uni toute sa vie avec
reste générale-
la c o m p a g n e
qu'il s'est
choisie ; nous disons généralement, car quelquefois les Bonis ont plusieurs femmes celles qui
fois, ou
renvoient
sont vieilles pour en prendre
à la
une ,plus
j e u n e . U n j e u n e h o m m e ne peut se marier sans l ' a u torisation
des anciens
leur consentement,
de la
le
tribu.
candidat
doit
Pour
obtenir
faire
preuve
de certaines aptitudes ; entre autres choses, il doit se construire
un carbet
et planter
un
champ
de
m a n i o c . Les unions entre proches : cousins et c o u sines et m ê m e frères et
sœurs, sont fréquentes, les
LA GUYANE.
221
lois des Bonis ne s'y opposent pas. L e s mariages sont rarement stériles ; les Bonis ont généralement trois ou quatre enfants, souvent six ou huit. Les chefs ont le droit d'avoir plusieurs femmes. Peut-on donner le n o m de religion
aux
pratiques
superstitieuses auxquelles se livrent les noirs ? N o n ; leurs croyances ne sont qu'un souvenir des religions catholique et juive qu'ils ont vu pratiquer chez leurs anciens maîtres les Hollandais; ils y
ont
ajouté
les
superstitions empruntées aux nations qu'ils fréquentent ou à leurs ancêtres. D e la religion catholique, ils ont pris la connaissance d'un Dieu (Gadou),
créateur des
h o m m e s , des singes rouges, du riz, du manioc et des bananiers : marié à une femme qu'ils appellent Gadou
eut
un
fils, Jest
Kisti.
Maria,
Quelques-uns, des
savants, connaissent l'histoire d ' A d a m et d ' E v e . V o i c i cette histoire, telle q u ' A p a t o u , le c o m p a g n o n de C r e vaux, la racontait : « G a d o u faire oun
raoum
(homme)
A d a m , et
ou
femme, Eva, e t l i commander rester petit village o ù qu'y
gagné
beaucoup
beaucoup m a n i o c ,
beaucoup
viande qui pouvez manger
sans
poisson, travail-
ler. « Gadou dit : ou pouvez manger tout chose, mais pas oun graine appelée amanda lement)
qui bon oun sô
(seu-
pour serpent : si graine là tomber, ou pas t o u -
cher. «
U n j o u r A d a m vu E v a qui allait chercher l'eau
à la rivière, trouvé serpent qui d i t : «
Goutez g r a i n e -
là. — A d a m dit : n o n , G a d o u pas voulé. •— Serpent dit:
Eva g o u t e z , pas g a g n é chose qui bon passé ça.
— E v a qui mangé dit : o h ! c'est bon, A d a m mander.
venez
222
NOS GRANDES COLONIES.
« A d a m d i t : N o n . — Goutez oun
sô. — N o n . —
troisième fois A d a m mangé ti morceau. « A p r è s , Gadou qui d i t : A d a m , E v a veni vite. — A d a m qui gagné peur, pas savé p o u r q u o i , mette oun feuille, et sa femme aussi. « B o n D i e u qui dit : A d a m toi mangé graine là. — A d a m dit n o n . — A d a m toi mangé graine là. — T r o i sième fois, A d a m d i t : O u i , pas moi qui ramassé, Eva qui donné. « B o n Dieu pas content d i t : A d a m , E v a ou p o u vez allé : toi. A d a m , manioc, et
flécher
besoin travailler
pour
gagner
pour gagner viande ; E v a ,
pouvé g a g n é mal pour
toi,
faire ti moun ; serpent, toi
plus gagné pieds pour marcher.
»
Beaucoup de ces noirs ont été baptisés, et cette histoire d ' A d a m et d ' E v e racontée par A p a t o u peut bien être un souvenir de l'instruction religieuse
qu'il a
reçue autrefois dans l'église de Saint-Laurent. P e u t être aussi, le missionnaire avait-il quelque peu m o d i fié l'histoire de nos premiers parents, pour la mettre à portée de son
auditoire, car, en G u y a n e ,
on ne
connaît pas la p o m m e . De la
religion j u i v e , quelques-uns ont
une horreur profonde pour le capiai,
dont
conservé la
chair,
disent-ils, donne la lèpre. O r , ce capiai a une grande analogie avec le c o c h o n . D e leurs ancêtres d ' A f r i q u e , ils ont gardé la c r o y a n c e aux sorciers ; ils
sont féti-
chistes, et leurs féticheurs, c o m m e ceux des Indiens, se nomment
piayes.
Les funérailles se font en grande cérémonie. « Les morts sont conservés pendant huit j o u r s , dit le d o c teur Crevaux, durant lesquels on se livre à des danses et à des chants lugubres. Le cercueil est
transporté
223
LA GUYANE.
matin et soir clans tout le village,
par des
hommes
qui l'inclinent a d r o i t e et à gauche p o u r imiter mouvement de salutation. On considère
comme
des un
bon augure ces politesses que le défunt semble adresser en passant devant
les
carbets.
Ledit
cercueil
de longues haltes au milieu du conseil réuni place pour
le
r e c e v o i r . Les plus anciens lui
chacun des questions
fait
sur la font
auxquelles il répond en s'incli-
nant à droite, à g a u c h e , en avant, en arrière. Tous les matins, un vieillard, dont la v o i x n'est pas moins désagréable que celle du singe r o u g e , pleure en c h a n tant jusqu'à ce que le roi des forêts vienne
s'associer
à la douleur de la nation. « Les
cadavres sont inhumés en état de putréfac-
tion avancée » ( 1 ) . Chacune des différentes noires de la région du Maroni
chef qui porte le n o m de G r a n d - M a n ; son est
héréditaire;
mais,
tribus
est gouvernée par un
comme
le
droit
pouvoir d'aînesse
n'existe pas, le c h e f de son vivant désigne celui de ses fils qui doit lui succéder, ou m ê m e un parent
éloi-
g n é . A n a t o , le Grand-Man actuel des Bonis, a désig n é pour son successeur son neveu B a y o . Il réside à Cotica. Le
Grand-Man
détient
d'une
façon
absolue le
pouvoir exécutif ; aidé d'un Conseil choisi parmi
les
notables d e la tribu, il traite les affaires, connaît des différends entre les personnes et juge les criminels en leur faisant subir une épreuve consistant dans l'absorption d'un breuvage empoisonné.
L e docteur Crevaux
assure que la plante d'où il est extrait n'est pas t o x i q u e , et que les innocents ne sont nullement (L) Docteur J. Crevaux,déjà cité, p. 30 et suivantes.
incom-
224
NOS
GRANDES
modés par cette boisson. «
COLONIES.
N e sont-ils pas c o n v a i n -
cus, dit ce v o y a g e u r , qu'il est sans action sur
ceux
qui n'ont pas c o m m i s de crime (1) ? » Les assassins sont condamnés à être brûlés vifs
sur
la place publique. L a langue que parlent les noirs du Maroni est un composé de mots anglais et hollandais mélangés avec quelques
expressions
empruntées
aux
Indiens.
La
généralité des B o s c h et des Bonis parlent le créole, usité actuellement à la
G u y a n e hollandaise, en
y
mêlant bon nombre de mots et de tournures de phrases prises à notre langue c r é o l e . Chaque individu n'a qu'un seul n o m pour g n e r , un n o m de baptême
que les
parents
le désidonnent
selon leur caprice ou d'après un calendrier fort simple qui représente les sept jours de la semaine. Jours de
la semaine.
N o m s d'hommes.
N o m s de f e m m e s .
Lundi
—
Monday
— —
Touday Diliday
Codio Couani
Adiouba
Mardi
Couacou
Acouba
—
Foday
Yao
Yaba
—
Feda
— Samedi Dimanclio —
Sata
Cofi Couanina
Afiba Amba
Sunday
Couachi
Couachiba
Mercredi Jeudi Vendredi
Abenina
Si à ces noms on en ajoute sept ou huit autres, on aura le répertoire complet des appellations des noirs Bosch et Bonis. La tribu des Bonis ne compte pas, actuellement, plus de trois à quatre cents individus. ( 1 ) Le même, p. 30 et suiv.
LA
Les Paramakas
225
GUYANE.
sont représentés par une centaine
d'hommes ; ce sont les fils des esclaves évadés de S u r i nam en 1 8 3 6 . Leur n o m vient de la crique sur les bords de laquelle ils sont
établis. C o m m e les Bonis
dont ils parlent la langue, ils vivent à l'état Il en est de m ê m e des Poligoudoux milice noire adjointe à l'armée
sauvage.
, déserteurs de la
hollandaise
pendant
l'insurrection B o n i . Les Youcas, nommés Bosch ( h o m m e s des b o i s ) par les colons hollandais, sur
les bords
de
possèdent
Tapahoni,
ou six mille habitants.
plusieurs
villages
qui comptent
cinq
Ils y sont installés depuis
1712. A p r è s la prise
de Surinam par l'amiral
français
Cassar, la Guyane hollandaise fut frappée d'une c o n tribution de g u e r r e de un million
et demi de francs.
gouverneur de la colonie eut la malencontreuse
Le
idée
de vouloir faire supporter cet impôt par les propriétaires,
proportionnellement
au nombre
qu'ils possédaient. P o u r se soustraire
d'esclaves
au paiement,
ou du moins y participer dans la plus faible possible, quelques riches planteurs juifs
mesure
engagèrent
une grande partie de leurs esclaves à se réfugier dans les bois. Quand l'impôt fut payé, on rappela les nègres ; mais ceux-ci refusèrent de rentrer, préférant
la vie
libre au milieu des bois, aux misères de l'esclavage. On dut envoyer des troupes pour les ramener dans les habitations ; elles n ' y purent réussir : le n o m b r e des révoltés
s'était considérablement accru ; ils avaient
fait des incursions aux environs de les plantations
Surinam,
pillé
et rendu à la liberté de nombreux
nègres. I l fallut
compter avec
eux, et les maîtres
se virent contraints de discuter, avec leurs anciens es7*
226
NOS GRANDES
COLONIES.
claves, les conditions d'un traité qui fut signé en 1761 à l'habitation d ' A u k a . Liberté pleine et entière leur était a c c o r d é e , contre la promesse de rendre à leurs propriétaires
tous les
nègres fugitifs qui viendraient leur demander asile. Telle est l'histoire des noirs ayant fait constitué des tribus dans l'intérieur
souche,
de la
et
Guyane
française. Les
autres
immigrants
dont nous avons à nous
occuper sont les coolies hindous. Ils trouvent ici
leur
place, non pas tant parce
race
qu'ils
ont formé une
nouvelle, qu'à cause de l'intérêt qu'ils présentent
au
point de vue du travail. U n des premiers résultats de
l'émancipation
des
n è g r e s , en 1 8 4 8 , fut de faire naître,à côté de la question du travail, le problème de l'introduction
et de
l'acclimatation dans nos colonies intertropicales, d'une race pouvant supporter une certaine s o m m e de travail sous la zone torride. Aussitôt affranchis,
les
noirs s'abandonnèrent
à
leur indolence naturelle ; vivant presque de rien, dans un pays où les besoins sont bien moins grands E u r o p e , ils se refusèrent à tout labeur et ne tirent à louer leurs bras
que quand
qu'en consen-
leur amour
du
rhum et des mille riens, pour eux si pleins
d'attrait,
l'emportait sur leur paresse. Les colons ne
pouvaient
faire fonds
sur un concours
aussi peu régulier ; il
fallut chercher des travailleurs en dehors de la colonie. On songea d o n c à importer des hommes libres,
mais
en les liant par un engagement qui donnât sur eux, à ceux qui les emploieraient, un pouvoir et une autorité que ne possède pas en
général le propriétaire o c c u -
pant des ouvriers libres dans toute l'acception du m o t .
LA
227
GUYANE.
Tout d ' a b o r d , o n écartal'idée de recruter les coolies sur le continent africain ; on n'eût
pas manqué de
voir dans ces engagements une traite déguisée. Les possessions européennes baignées par le P a cifique s'adressèrent à la Chine ; les rives de l'Atlantique
eurent
recours
aux agents d'émigration
de
l'Inde ; on essaya du coolie h i n d o u . Cette race a-t-elle donné, au moins à la G u y a n e , les résultats qu'on en attendait? A - t - e l l e pu, c o m m e prix d'engagement et c o m m e travail fourni, remplacer les nègres importés d'Afrique ? N o u s ne le c r o y o n s pas. Recrutés dans de mauvaises conditions, s'acclimatent mal, et la mortalité leurs rangs.
les H i n d o u s
est grande
C o m m e travailleurs, ils sont
dans
inférieurs
aux gens de race noire. Les premiers coolies hindous, au n o m b r e de sept cent quatre-vingt-six,
furent amenés à la Guyane le 9 j u i n
1856 par le Sigisbert
César.
Depuis cette époque j u s -
qu'au 1 janvier 1 8 7 8 , dix-neuf autres convois succese r
sifs transportèrent dans la colonie huit taille quatre cent soixante-onze
e n g a g é s . Six cent soixante-quinze
eux ont été rapatriés durant
d'entre
cette période de v i n g t -
deux ans. A la même d a t e ( 1 janvier 1 8 7 8 ) , les d o c u e r
ments officiels
constatent à la
G u y a n e la présence
de quatre mille deux cent vingt-trois autres, soit quatre
mille
cinq
cent
coolies
(1) ;
vingt-deux,
les sont
morts. Ce chiffre
énorme de décès —
près de 5 0 °/o —
prouverait d o n c , q u e , pas plus que les cette
Européens,
race n'est apte à supporter les travaux p é -
nibles sous le climat de notre colonie. Ainsi que nous (1) Dans le recensement de 1881 .ils ne figurent plus que pour 2.894.
228
NOS GRANDES
COLONIES.
le disions plus haut, c'est au mode de
recrutement
des coolies qu'il faut surtout s'en prendre des résultats obtenus. E t d'abord, dans quel milieu les agences d ' é m i g r a tion des Indes vont-elles chercher les hommes qu'elles envoient dans nos colonies? C'est dans les bas-fonds de la société, dans la classe la plus misérable, partant la moins robuste, que
l'on
recrute les coolies qu'on nous e n v o i e ,
l'a-
«
depuis
vocat sans cause, le professeur sans cours, jusqu'à la mendiante de naissance ; il en résulte que les fatigues et les fièvres en ont facilement raison (1) » . B e a u c o u p de ces malheureux, vivant dans leur patrie au
sein
d'une misère profonde, arrivent en Guyane malades, et tellement affaiblis que, dès les premiers j o u r s qui suivent le débarquement, ils succombent aux suites du v o y a g e . Quelques-uns sont l'exacte reproduction de ces squelettes ambulants qu'on voit aux Indes, spectres v i vants de l'éternelle famine qui désole cette vaste contrée. Déclassés ou misérables
se laissent
promesses éblouissantes que font
tenter par les
miroiter
à
leurs
y e u x des racoleurs peu scrupuleux : nourriture a b o n dante, vie facile, travail lucratif et m o d é r é ; les voilà séduits, on les embarque. A peine arrivés, on les dirige sur les
habitations
pour la culture, ou de préférence dans les
exploita-
tions aurifères. A l o r s c o m m e n c e n t les déceptions. Se voyant trompés et pris dans un piège abominable, la plupart se laissent aller à un découragement facile à comprendre. (1) X . Les coolies de la Guyane (Revue 1877).
scientifique,21
juillet
LA
Quelques-uns, prenant leur qu'ils ne peuvent éviter,
229
GUYANE.
parti d'une situation
se mettent
bravement au
travail ; ceux-là résistent assez bien et fournissent un contingent minime à
l'hôpital
et à la m o r t . B e a u -
coup voient dans le suicide la seule porte de salut qui leur reste ouverte ; c o m m e ces hommes ont un s o u v e rain mépris de la vie et de la douleur,
ils emploient
pour se tuer les moyens les plus étonnants : quelquesuns, par exemple, ont le c o u r a g e de s'étrangler
avec
une cravate ou une ceinture fixée près de terre, au lieu de se pendre suivant l'antique
formule,
« haut
et court » . D'autres, pour se
soustraire au j o u g qui leur est
imposé, volent des vivres et se sauvent dans les b o i s ; au bout de quelques j o u r s , la faim les presse, ils sont obligés de rentrer à la colonie. P o u r éviter le travail, il en est qui se servent des expédients les plus et les plus
invraisemblables. Les
atroces
uns, et c'est
le
plus grand n o m b r e , se font une écorchure sur l a q e l l e ils appliquent pendant plusieurs heures un sou trempé dans l'eau salée ; avec un morceau de bois, ils excitent le mal et au besoin, la nuit, dans les bois,
exposent
leur plaie au contact d'une bête venimeuse.
D'autres
enfin se rendent aveugles en introduisant sous leurs paupières
une composition
où
la chaux entre
en
grande quantité. B o n nombre de ces malheureux
n'ont pas besoin
d'attenter à leur v i e ; un peu de patience leur suffit: la fièvre ne tarde pas à s'emparer de ces natures apathiques ; mal surveillés, ils boivent outre mesure pour étancher leur soif ; la dyssenterie se déclare, et ils ne tardent pas à s u c c o m b e r . Voilà pour les hommes. Les femmes se trouvent dans des conditions meil-
230
NOS GRANDES COLONIES.
leures pour traverser la période
d'acclimatement. En
effet, pour les H i n d o u s , il n ' y a pas de mariage indissoluble, mais une sorte d'association
que chacun des
conjoints peut rompre à son g r é . Profitant situation, les femmes
de cette
s'empressent , dès leur arrivée
dans la colonie, de s'unir avec des coolies
immigrés
depuis l o n g t e m p s , et par conséquent m i e u x installés, plus aisés. Si au contraire, subissant une autre forme de mariage, ces Hindoues ont été achetées, elles peuvent être revendues, et les anciens coolies, plus riches que les autres, sont à peu près les seuls acquéreurs. D e toute façon, la situation physique des femmes est meilleure que celle des h o m m e s . Chez les enfants, la mortalité est effrayante, ils p é rissent presque tous ; on doit c o m p t e r , il est vrai, avec l'infanticide, qui est chez les Hindous une pratique t o lérée. E t maintenant, les coolies hindous rendent-ils les services que l'on serait en droit d'en attendre?
Non;
si dans les mines ils compensent par leur adresse eur intelligence la force
et
qui leur fait défaut, — ils
sont beaucoup moins robustes que les noirs, — en r e vanche, dans le c o m m e r c e , l ' i n d u s t r i e et l'agriculture, ils sont fort c o û t e u x ; leur
emploi ,
onéreux sans
compensation, est une des principales causes
du peu
de succès de nos entreprises agricoles aux environs de Cayenne. Quelle
conclusion tirer de ce qui précède ?
Selon
n o u s , la voici : Puisqu'il est établi que
les seuls
avec un salaire raisonnable, fournir
noirs un
peuvent,
travail suffi-
sant, et que l'on ne peut compter sur le concours r é g u -
LA- GUYANE.
231
lier des nègres de la colonie, il faut tenter d'attirer sur les habitations quelques-unes des tribus noires dont nous avons parlé, et suivre l'exemple donné par deux ou trois exploitations forestières récemment installées, qui n'emploient que des B o n i s , des Bosch et des G a libis.
232
NOS GRANDES
COLONIES.
CHAPITRE
VII
Les Aborigènes. — Races disparues. — Le dernier des Aramichaux. — Galibis. — Oyacoulets. — Oyampis. — Emérillons. — Roucouyennes.
Les diverses tribus qui composent les Indiens originaires de la G u y a n e étaient autrefois beaucoup plus nombreuses qu'aujourd'hui. Nous trouvons sur les cartes anciennes des noms de peuples,et dans les récits des voyageurs du X V I I XVIII
e
siècle, des détails
sur des nations
e
et du
complète-
ment disparues: tels sont les A c o q u a s , rencontrés au confluent du Camopi et de l ' O y a p o c k par les
Pères
Grillet et Béchamel. D'autres tribus sont sur le point de s'éteindre : les Emérillons ne sont plus représentés que par une cinquantaine
d'individus : les A r a m i -
chaux, assez n o m b r e u x autrefois sur les bords de l ' A raoua pour lutter contre les R o u c o u y e n n e s , tent plus.
Cependant, le
D J. r
Crevaux
dernier survivant do cette tribu qui
n'exis-
parle
du
a quitté le pays
de ses aïeux, disparus, pour venir demander l'hospitalité aux Galibis du bas Maroni. Toutes ces peuplades ont une origine elles ne sont
certainement
que les
commune ;
membres
épars
d'une grande famille q u i , à une époque éloignée, h a bitait et la G u y a n e et le bassin de l ' A m a z o n e . Quelques-unes d'entre elles, c o m m e les Oyampis et les R o u couyennes, sont disséminées
sur un immense
toire, occupant des points fort éloignés les
terri-
uns des
LA
233
GUYANE.
autres : les O y a m p i s , dont on rencontre quelques r e présentants sur le bas O y a p o c k , se retrouvent aux monts T u m u c - H u m a c et sur
le territoire
contesté,
près de la rivière C o n a n y . Les R o u c o u y e n n e s sont répandus dans la partie méridionale de la G u y a n e française, et beaucoup plus au sud, dans le Brésil, entre le Y a r y et le P a r o u . Cette nation doit être la race-mère des Indiens de la G u y a n e , car on
retrouve,
modifiées
dans toutes les tribus
il est
vrai,
les traditions
de ce peuple qui a donné son nom à notre colonie( L e véritable Ouyanas, qu'à
n o m des R o u c o u y e n n e s
est en effet
et ils ne doivent leur appellation moderne
leur
habitude de se peindre avec du r o u c o u . )
La similitude des caractères physiques n'est pas moins frappante. Les Indiens de la G u y a n e sont de taille peu élevée ; si quelques voyageurs les ont dépeints c o m m e des h o m m e s de haute stature, il faut attribuer
cette
erreur au développement extraordinaire de leur buste, supporté Leur
par des jambes grêles et un peu arquées.
teint
est
comparable à celui
d'un
Européen
bronzé par le soleil ou le hâle ; quand ils naissent, les enfants ont la peau presque blanche. L a tête, v o l u mineuse, est bien proportionnée au buste un peu fort ; les pieds sont courts, larges et plats ; l'orteil, tourné en dedans,est très écarté des autres doigts, qui au contraire regardent en dehors. Les mains sont remarquables : les muscles du pouce sont excessivement développés, le poignet est très fort, et cependant les doigts
ne
sont pas plus longs que ceux d'un enfant. La c h e v e lure est noire ; moins souple que celle des E u r o p é e n s , elle n'est cependant pas crépue c o m m e celle des races nègres ; hommes et femmes portent les cheveux longs, flottant sur les épaules et coupés carrément
sur le
234
NOS GRANDES
COLONIES.
front. Ils n'ont que peu ou point de barbe et ils l'arrachent soigneusement. Tel est l'ensemble de la physionomie des naturels de la G u y a n e . Il est bien certain que chez ceux qui habitent le littoral, ces signes distinctifs de la race se sont modifiés par suite des croisements, et aussi sous l'influence des vices qu'ils ont pris des E u r o p é e n s , l'ivrognerie en particulier. D o u x , affable, hospitalier, l'Indien des grands bois a conservé les qualités propres
aux
enfants de la
nature ; sobre dans ses paroles c o m m e dans ses plaisirs, il se rapproche davantage de la civilisation par son intelligence, que le noir élevé chez les blancs ou qui a vécu parmi eux ; c'est sans
doute l'esclavage,
avec son cortège de souffrances morales et physiques, qui a profondément altéré les qualités naturelles d e c e dernier. Les explorateurs, en effet, constatent plus d'intelligence
et de
dignité
morale chez les noirs
vivant à l'état libre dans leur patrie, que chez
leurs
compatriotes transportés par la traite. Tous ces Indiens ont la même religion : ils r e c o n naissent deux principes, celui du bien, celui
du mal.
A u premier ils ne rendent pas de culte : son rôle u n i que étant de les protéger, ils n'ont pas à le prier, et ne lui accordent aucune reconnaissance pour le bien qu'il leur fait. A l'esprit du mal, au contraire, adressent leurs supplications pour éviter les dont il peut les accabler, ou pour
faire cesser
ils
maux ceux
qu'il leur inflige. A en j u g e r
par le respect
qu'ils
témoignent à leurs m o r t s , on
peut supposer
qu'ils
croient à une autre vie ; ils ne s'expliquent pas à ce sujet, et, c o m m e ils n'ont ni annales, ni doctrines, ni traditions, on en est réduit à de simples conjectures.
LA
235
GUYANE.
O n c o m p r e n d qu'avec de semblables c r o y a n c e s , la superstition joue
chez eux un g r a n d rôle ; tous les
accidents, tous les phénomènes physiques que
leur
ignorance ne leur permet pas d'expliquer, sont l'œuvre de l'esprit du mal. P o u r leur nuire, ce mauvais génie prend différentes formes, celle d'un animal féroce, par exemple ; quelquefois au contraire, invisible aux y e u x de tous, il réside dans les endroits d a n g e r e u x , et, là, guette ses victimes au passage. Les rapides les plus périlleux
sont hantés par le mauvais esprit, —
une
sorte de diable. — Les Indiens essaient de se le rendre propice par une offrande, avant d'engager leurs p i r o gues dans les eaux tumultueuses. Souvent l'Indien a recours à l'intervention du
piaye,
sorcier ou féticheur, — qui joint à ses fonctions
de
médecin celles beaucoup plus importantes de c o n j u rateur du mauvais esprit et d'exorciste pour c e u x qui sont piayés, c'est-à-dire victimes d'un sortilège. Aussi, le piaye est dans la tribu l'objet d'une vénération p r o fonde, qu'augmentent encore les rudes épreuves lesquelles le candidat
piaye doit
par
passer pendant les
longues années que dure son noviciat. N o u s en
ver-
rons quelques-unes au cours de ce chapitre. Nous allons maintenant décrire les coutumes p a r ticulières à chacune de ces tribus. Nous
commence-
rons par les R o u c o u y e n n e s . Ainsi que nous l'avons vu plus
haut,
le
n o m de
Houcouyennes vient de la teinture de r o u c o u dont ces Indiens se couvrent des pieds à la tète. Ils mélangent le fruit de cette plante à une huile qui lui donne une grande
fixité.
Ils
obtiennent cette huile en faisant
bouillir les amandes capara (famille
produites par un arbre
des méliacées). C'est un
nommé des
plus
236
NOS GRANDES COLONIES.
grands arbres de la G u y a n e ; son tronc atteint de v i n g t à trente mètres de hauteur sur un mètre cinquante de diamètre ; son écorce est
épaisse et grisâtre.
Le
fruit est une capsule qui s'ouvre en quatre valves ; il est rempli d'amandes serrées, irrégulières, anguleuses et polygonales, blanches à l'intérieur, de consistance ferme et solide. Les Indiens font bouillir ces amandes dans l'eau, puis les mettent en tas pendant quelques jours ; ils les dépouillent ensuite de
leur pulpe, les
écrasent sur des pierres et en font une
pâte qu'ils
rangent sur les faces d'une dalle creusée en gouttière, un peu inclinée et exposée à l'ardeur du soleil. C'est à sa vertu particulière que les Indiens
attribuent de
pouvoir se préserver de la piqûre des chiques et
des
insectes. Les jours de fêtes, et pour les cérémonies, ils ajoutent à la peinture rouge une série d'arabesques noires d'un dessin fort original ; ils obtiennent cette couleur au m o y e n du genipa.
Ils attachent à ces ornementa-
tions une importance toute particulière, et ne m a n quent pas, quand ils v o y a g e n t , d'emporter dients nécessaires
les i n g r é -
à leur confection dans de
petites
calebasses. N o u s avons dit que tous les Indiens de la G u y a n e , en général, s'épilent soigneusement ; ajoutons que les R o u c o u y e n n e s s'arrachent les cils, afin,disent-ils, « de mieux voir » . La nourriture principale consiste en poisson, o u en gibier
bouilli avec
remplace ont un
force
piments.
le sel dans la cuisine
Ce
des
appétit énorme et absorbent
condiment
Indiens. des
Ils
quantités
incroyables de nourriture. Les hommes prennent leurs repas en c o m m u n , servis par les femmes, qui se reti-
LA
237
GUYANE.
rent ensuite dans leurs cases
pour manger
tour ; elles sont rejointes par leurs souvent c e u x - c i est étonnant
se remettent
que,
époux,
à leur et bien
à table avec elles.
Il
malgré la quantité de nourriture
épicée qu'ils absorbent, ces Indiens ne boivent jamais en mangeant. L e s poules etleurs œufs inspirent aux R o u c o u y e n n e s une certaine aversion ; ils s'abstiennent
d'en faire
usage, parce qu'ils leur attribuent des propriétés q u i , si elles existaient, amèneraient rapidement l'extinction de leur race. Cette c r o y a n c e est aussi très répandue chez les O y a m p i s . Les femmes sont chargées de tous les travaux du ménage ; elles ont
nécessairement
la cuisine dans
leurs attributions. Les aliments sont cuits dans vases de terre, sur un feu Pour
allumé
devant le
des
carbet.
empêcher le liquide de s'enfuir au m o m e n t de
l'ébullition, ces cuisinières primitives ont un procédé assez original : quand le liquide b o u t , elles emplissent leurs bouches d'eau froide qu'elles crachent
dans le
vase aussitôt que le bouillon menace de d é b o r d e r . Les R o u c o u y e n n e s sont grands amateurs de danse, et la moindre fête est prétexte à leur plaisir favori. P o u r la circonstance, ils se revêtent d'ornements
bi-
zarres : couverts de plumes, de colliers et de ceintures en poil de conata, ils s'affublent d'immenses perruques faites avec des lanières d'écorce. L e u r corps
dispa-
raît sons un vaste manteau composé de longues bandes d'écorces très minces, qui flottent autour d'eux c o m m e celles de leur chevelure postiche ; ces lanières sont teintes en noir ; ils obtiennent
cette
couleur
au m o y e n d'eau ferrugineuse qu'ils laissent croupir. Les jambes sont agrémentées de jarretières garnies
238
NOS GRANDES COLONIES.
de graines qui, en s'entre-choquant, imitent le bruit des castagnettes. A i n s i vêtus, les hommes
dansent
toute la nuit sans interruption
complet
et jusqu'à
épuisement. L e mariage n'est pas, chez les Indiens, l'objet d'une
Colliers.
cérémonie spéciale. Ils choisissent rarement une femme dans leur tribu, ils vont la demander à quelque v i l lage voisin. L ' h o m m e qui veut s'unir à une jeune fille doit abandonner sa tribu
pour
aller s'établir
dans
celle de sa femme ; il devient un de ses m e m b r e s , et désormais ne la quittera plus. Aussitôt qu'une femme est devenue m è r e , on fait sous son hamac des fumigations au m o y e n
d'herbes
odoriférantes ; on jette de l'eau froide sur de grandes
2'àd
LA GUYANE.
pierres chauffées
au feu : la vapeur qui s'en
transforme bientôt le
carbet en une
sorte
dégage d'étuve.
Cette prescription accomplie, la mère se lève et reprend les travaux journaliers, tandis
que l ' h o m m e la rem-
place dans le hamac : il doit rester couché
pendant
plusieurs jours ; le piaye le visite et le soumet à régime qui, généralement,
un
consiste à s'abstenir de
Ornement de pied.
viande et de poisson, sous peine de graves c o m p l i c a tions pour lui et d'accidents pour son enfant.
Cette
coutume n'est pas spéciale aux R o u c o u y e n n e s , elle est pratiquée par tous les Indiens de la
Guyane
et
bon nombre de tribus américaines, « Si moine on en croit le témoignage de Strahon,
dit M . Gaffarel,
Corses de son temps ne manquaient pas de s'y
les con-
former, et m ê m e , pendant tout le M o y e n - A g e , sur les deux versants des
P y r é n é e s , les Basques
gardaient
également le lit. C'est ce q u ' o n appelle encore
dans
tout le pays faire la rouvade ( 1 ) . » A r r i v é s à l'âge de douze ou treize ans, les enfants subissent une épreuve qui leur vaut, quand ils en sortent vainqueurs, c o m m e un brevet de virilité. Il en (1) P. Gaffarel,Colonies françaises,
p. 162.
240
NOS GRANDES COLONIES.
est de même des jeunes hommes femme
et des
piayes pendant
à la veille leur
de
prendre
noviciat.
Ces
épreuves,quoique moins dures que celles imposées dans certaines tribus de l ' A m é r i q u e du N o r d , leur ressemblent néanmoins ; si elles sont moins atroces, on peut
Jarretières.
affirmer
que les R o u c o u y e n n e s , si jeunes
soient-ils,
supportent la douleur avec le m ê m e stoïcisme
qu'un
Sioux ou un Pieds-Noirs (1). Le
supplice des Guyanais consiste à exposer tout
( 1 ) Les Indiens Mandaws. tribu habitant la rive gauche du Missouri à 600 lieues de Saint-Louis, et quelques autres nations du Far-West, imposent aux jeunes hommes un supplice épouvan-
LA GUYANE.
241
le c o r p s du patient aux piqûres de guêpes et de f o u r mis ; or, on sait quelle
douleur cause
le contact
de
ces d e u x insectes. Quand un R o u c o u y e n n e meurt, on dresse aussitôt
Coiffure de Roucouyenne.
un bûcher au centre du v i l l a g e ; le c a d a v r e , c o u v e r t de ses plus beaux o r n e m e n t s , p l u m e s , ceintures,
colliers
table. On pratique, sur les épaules ou sur la poitrine du patient, des incisions sous-cutanées ; on passe dans les plaies un petit bâtonnet ; une corde y est attachée, et la victime est enlevée de terre à une hauteur de 4 ou 5 pieds. Afin d'augmenter la d o u leur, on suspend à d'autres chevilles traversant les bras et les jambes les armes du guerrier, et quelquefois même une tète de bison ; puis le tortionnaire imprime au pendu un mouvement de rotation aussi rapide que possible. Cela dure 15 à 20 minutes. Quand les victimes sont dépendues . on les débarrasse des charges des épaules, puis deux hommes, les saisissant par les bras, les entraînent dans une course vertigineuse jusqu'à ce que tous les objets fixés à leurs blessures soient arrachés violemment. Ces jeunes Indiens supportent ces tortures sans pousser une plainte, sans faire entendre un gémissement, et l'on n'a que fort peu d'exemples qu'un homme soit mort des suites de ce supplice. NOS
GRANDES
COLONIES.
242
NOS GRANDES
COLONIES.
et bracelets, est attache à un poteau élevé au milieu du b û c h e r ; on place à côté de lui sa flûte, faite d'un tibia de biche. P e n d a n t que toute la tribu assiste à l'incinération du défunt, sa femme brûle tout ce qui lui a appartenu. Quand le corps est entièrement consumé, ses cendres,
Ornement de ceinture.
recueillies dans un vase, sont portées au carbet de la v e u v e ; elles y séjournent
un a n , puis on les enterre.
Aussitôt la cérémonie terminée, les hommes nettoient avec un soin tout particulier remplacement où s'élevait le bûcher, et jusqu'aux coins les plus reculés du village. D e toutes les tribus
indiennes de la G u y a n e , les
Roucouyennes sont les seuls qui brûlent les cadavres, et encore font-ils exception pour les piayes, qui sont inhumés ornés d u n e profusion de plumes. Les Oyampis enterrent leurs
morts dans un trou
fort profond, mais large d'un mètre seulement; le d é funt est placé verticalement dans la fosse, les membres repliés. Quelquefois , ils dans les bois, où
ils
les
transportent laissent
se
les
cadavres
décomposer ;
LA
243
GUYANE.
ils recueillent ensuite les os dans un pot d'argile et les ensevelissent. Les Galibis enterrent aussi leurs morts, mais ils les conservent
une semaine avant de leur donner la
sépulture. L e corps, étendu dans son hamac, est placé
Coiffure d e Roucouyenne. au-dessus d'un vase destiné à recevoir le liquide qui en découle, et (nous demandons pardon à nos lecteurs de l'horreur du détail) une des épreuves imposées aux élèves piayes consiste à boire une
macération de t a -
bac et de quinquina mélangée avec le liquide sanieux recueilli dans ces vases funéraires. Physiquement,
les
Galibis
se
distinguent
des
autres Indiens par une constitution plus chétive, un aspect moins
robuste et un air plus efféminé; leur
244
NOS GRANDES COLONIES.
état sanitaire n'est pas satisfaisant, et l'on voit de j o u r en j o u r leur race s'étioler et s'éteindre, à cause peutêtre de leur amour immodéré pour l'alcool. Ils vivent dans une indolence et une paresse incroyables, partalongs
repos,
étendus dans leurs hamacs où. ils se balancent
geant leur temps entre la pêche et les
molle-
ment. Leur seule industrie consiste dans la fabrication de
Poteries indigènes.
vases en terre assez originaux ; ce sont qui confectionnent ces poteries,
les femmes
à la main
et d'une
seule p i è c e ; elles emploient l'argile, abondamment r é pandue sur les berges des fleuves, heurs ou alkarasas ne
gargoulettes
conservent pas le liquide frais, parce
que, déjà insuffisamment poreuses elles sont, en outre, enduites Les
d'un
vernis qui
empêche
femmes oyampis font aussi
l'évaporation.
de ces
poteries ,
mais elles ont soin d'ajouter de la cendre de couepi l'argile qu'elles emploient, ce qui donne
une
à
grande
porosité à la terre. Des jarretières serrées
au-dessus de la cheville et
LA
245
GUYANE.
au jarret constituent le principal luxe des femmes g a libis ; leurs jambes sont complètement cet ornement.
Nous
retrouvons
déformées par
la m ê m e
coutume
chez les E m é r i l l o n s ; mais, dans cette tribu, la j a r r e tière est l'apanage exclusif de l ' h o m m e . Les Indiennes galibis se perforent la
lèvre
infé-
rieure; elles y introduisent une longue épingle qui leur sert à extraire les chiques des pieds de leur seigneur et maître. A part les quelques différences que nous venons de signaler, toutes ces nations se ressemblent au
phy-
sique, et ont à peu près les mêmes usages ; il en est de m ê m e pour le langage,
tout au moins
pour c e u x
vivant loin de nos établissements. C'est ici le cas de signaler la similitude de certains mots français et indiens. On ne peut supposer
qu'ils
nous ont emprunté l'appellation de divers objets d'un usage constant chez e u x , de fruits qui
poussent sur
leurs territoires ou d'animaux qui habitent leurs f o rêts et qu'ils désignaient ainsi avant d'avoir
été
en
rapport avec nous. C'est bien plutôt nous qui avons pris ces mots à leur l a n g u e . Citons, par exemple : caïman, pirogue,
tapir,qui
des appellations indiennes ; ananas, que les yennes n o m m e n t nana.
sont
Roucou-
a la m ê m e
signifi-
cation qu'en français ; c'est des naturels de
l'Amé-
Hamac
rique du Sud que nous vient l'objet : il est tout simple que nous leur ayons aussi emprunté le n o m qui sert à le désigner. M.
Littré, dans son dictionnaire, donne
cependant au mot hamac r e n t e : l'illustre
une é t y m o l o g i e bien diffé-
savant le fait dériver de deux
mots
allemands : hangen, p e n d r e , s u s p e n d r e , et matte, natte. Tels sont, en résumé, les
renseignements que l'on 7***
246
NOS GRANDES
COLONIES.
possède sur les Indiens qui habitent notre c o l o n i e ; ils n'ont été visites que par un petit n o m b r e
de
voya-
g e u r s ; ils évitent autant que possible d'entrer en r a p port avec nous, et restent par conséquent peu connus
LA GUYANE.
CHAPITRE
247
VIII.
Culture. — Commerce. — Sous marqués. — L a propriété foncière. — Industrie.
Sur les seize mille lieues carrées qui forment l'étendue de la G u y a n e française, six mille hectares à peine sont en culture, et e n c o r e , chaque année, o n constate une diminution dans l'importance des exploitations agricoles. On peut diviser les produits de la colonie en deux catégories : La culture que nous appellerons d'exploitation : canne à sucre, coton, r o u c o u , café, girofle ; et la culture vivrière, destinée à l'alimentation des habitants: riz, manioc, ignames, patates. Citons encore les a n a nas, o r a n g e s , citrons, mangues, abricots, barbadines, sapotilles, avocats, c o n c o m b r e s , pommes cannelle, bananes, g o y a v e s , choux maripa, e t c . , qui croissent presque sans culture. L'exploitation de la canne à sucre, qui remonte aux débuts de la c o l o n i e , est celle qui a eu le plus à souffrir de l'abolition de l'esclavage. Chaque année amène une nouvelle décroissance dans les chiffres de production, et il est à craindre que ce riche produit ne finisse par être complètement abandonné. O n ne peut en effet espérer un regain de prospérité tant que l ' i m migration n'aura pas fourni les bras nécessaires à sa culture. Le café fut importé à la Guyane en 1721. C'est un lieutenant de vaisseau, M. de la M o t t e - A i g r o n , qui
248
NOS GRANDES COLONIES.
introduisit la précieuse plante dans la colonie. Le café était déjà récolté en abondance dans la Guyane hollandaise. Afin de conserver le monopole de cette culture, nos voisins avaient décrété la peine de mort contre quiconque livrerait des grains de café avant de les avoir passés aufeu p o u r détruire le g e r m e de reproduction. M . de la M o t t e - A i g r o n s e rendit à Surinam, s'aboucha avec un Français nommé M o u r g u e s , et lui promit une bonne récompense et le pardon de certains délits qui l'avaient fait chasser de Cayenne, s'il voulait l'aider dans son entreprise. A force de ruse et d'adresse, nos deux compatriotes réussirent à se procurer une livre de café en cosse. Ils furent assez heureux pour dérober leur larcin
aux
investigations des gens de police qui visitaient soigneusement les bagages des v o y a g e u r s , et purent
quitter
Surinam sans être inquiétés. Depuis lors, cette culture a été l'objet des soins tout particuliers des colons. Le café récolté sur la m o n t a gne d ' A r g e n t , à l'embouchure de l ' O y a p o c k , est d'une excellente qualité. L'étendue des terrains consacrés aux plantations de café a souvent varie ; aujourd'hui, ils sont moins c o n sidérables que jamais, et cependant, le dernier
chiffre
de production connu indique une certaine a u g m e n t a tion. E n 1 8 3 5 , on récoltait 4 6 . 4 0 0 kilog. de café ; e n 1 8 7 5 , 4 4 0 hectares plantés en café ne produisaient que 3 8 . 6 0 0 kilog ; en 1871», 535 hectares ne donnaient que 2 5 . 9 3 0 k i l o g . , et en 1 8 8 0 , s u r 4 0 0 hectares seulement on recueillait 7 7 . 3 3 1 k i l o g . C o m m e on le voit, c'est un progrès ; néanmoins on a importé à la Guyane pendant
ces
dernières
années,
4 2 . 0 0 0 fr. de café par an.
en m o y e n n e , pour
LA
249
GUYANE.
Le coton croît parfaitement en G u y a n e ; les plaines voisines de la m e r ,
imprégnées de senteurs salines,
sont des plus favorables à cette plante ; le coton
de
Guyane a eu son heure de renommée sur les marchés européens. O n en récolte environ 1.700 k i l o g . par an. Le cacao donnait autrefois de beaux résultats ; la production est
en décroissance et
ne dépasse pas,
année m o y e n n e , 4 8 . 0 0 0 k i l o g . Le girofle
ne compte plus que c o m m e
du passé ; il faut s'attendre à le voir
un vestige
complètement
disparaître d'ici peu. L'exploitation du girofle et du poivre a été une des branches les plus lucratives du c o m m e r c e colonial. E n 1 7 8 1 , une corvette arrivant de l ' I l e - d e - F r a n c e apportait quatre plants de giroflier que M . P o i v r e expédiait à
Cayenne
par
les soins
de
M. Allemand, commissaire ; celui-ci les avait enlevés aux Moluques. Ces quatre plants furent concédés à des propriétaires
(1).
Plus
tard,
le g o u v e r n e m e n t
réserva le monopole des épices ; ce
privilège
peu, et la culture de ces produits retomba
se
dura
bientôt
dans le domaine public. L e roucou est la graine d'où on tire
une couleur
rouge employée dans la teinture. Elle a été exploitée dès les débuts de la colonie. E n 1 8 3 5 , cette substance donnait 2 8 0 . 0 0 0 En 1 8 7 5 , on atteignait le chiffre de 5 6 7 . 0 0 0
kilog. kilog.
E n 1 8 7 9 , sur 896 hectares de terres plantées de roucou, on ne recueillait plus que 2 6 8 . 0 0 0 kil. E n 1 8 8 0 , 367 hectares seulement étaient consacrés à ce produit fournissant 1 1 2 . 0 0 0 kil. Il ne faudrait pas s'étonner outre mesure de (1) MM. d e Macaye, Boutin, Noyer et Denneville.
cette
250
NOS GRANDES COLONIES.
diminution ; elle est due a u x alternatives de hausse et de baisse considérables que subit le r o u c o u sur les marchés d ' E u r o p e .
Ces brusques variations
forcent
les colons à n é g l i g e r cette industrie, sauf à la reprendre quand
le m o m e n t paraît
propice ; la plupart
des
plantations subsistent toujours, surtout chez les grands propriétaires, et il suffirait, le cas échéant, d'un peu d'entretien pour leur rendre leur ancienne prospérité. La diminution que nous signalons sur les produits d'exploitation
est bien
plus grande
encore
sur la
culture vivrière. Tandis qu'en 1835 elle était évaluée à 1.400.000 f r . , en 1880 elle ne figure plus que pour 129.000 fr. Cette énorme différence est d'autant plus frappante qu'elle porte sur les denrées destinées à la nourriture des habitants ; c e u x - c i
sont maintenant
forcés de demander à l'étranger les produits que ne leur donne plus le sol de la G u y a n e . C o m m e conséquence immédiate de l'abandon de l'agriculture, figure en première ligne la dépréciation de la propriété f o n c i è r e . E n 1870, pour ne remonter qu'à une période de quinze années, la valeur des terres employées
en
culture était de 2.053.871 » Celle
des
bâtiments
et
d'exploitation de
du
matériel
4.135.810 Ensemble
»
6.189.681
E n 1880, les terres sont estimées
à 900.000 fr. » et les bâtimentsenviron 2.000.000 » 2.900 000 Différence Près de 50 % ! Les hattes ou ménageries
3.289.681
affectées à l'élevage des
LA GUYANE.
251
troupeaux sont au n o m b r e de 2 9 3 seulement. chiffre
des
animaux
destines à
diminue au point que l'on
Le
l'alimentation
est obligé de faire
a
venir
des bœufs du Brésil pour la consommation de la c o l o nie
(1).
P a r contre,
signalons
un
accroissement
notable de bêtes de s o m m e , chevaux et mulets. La comparaison des chiffres que donner
amène
tout
nous
naturellement
à
venons
de
chercher
les
c a u s e s de l'abandon presque complet de l'agriculture dans la colonie. A notre avis, ces causes sont de deux sortes : d'abord le manque
de
travailleurs,
n'est pas nouvelle, et de tout temps les
celle-là
colons et les
hommes spéciaux l'ont signalée ; ensuite, la découverte de l'or. Dans le chapitre que nous avons consacré à l'étude des différentes races composant la population grante de la
Guyane,
nous
H i n d o u s , signalé le peu de services que les rendent
aux
établissements
immi-
avons, en parlant des agricoles ;
d'hommes pour les seconder clans
leurs
coolies
manquant
travaux, les
propriétaires ont d û restreindre l'importance de leurs exploitations,
quelques-uns
même
les ont
aban-
données. Lorsque Cayenne fut désigné c o m m e lieu de transportation, on espéra un
instant, en F r a n c e , que
condamnés libérés pourraient devenir soit des
les
aides
précieux pour les c o l o n s , soit eux-mêmes des cultivateurs. C e u x qui s'étaient leurrés d'un semblable espoir furent vite désabusés. La solution du problème était encore à trouver, lors(1) En 1880. on a importé en Guyane, sous pavillon français, pour 479. 370 fr. de bœufs, e t sous pavillon étranger pour 41.230 fr
252
NOS G R A N D E S
q u ' e n 1855 La nouvelle de
COLONIES.
la découverte
de riches
placera sur les bords de l'Approuague se répandit dans la colonie. Aussitôt, tout le monde se précipita à la recherche
de l'or ; n o n seulement les quelques t r a -
vailleurs restés fidèles à leurs maîtres
quittèrent
les
habitations pour s'engager dans les sociétés d ' e x p l o i tation, mais encore on vit les agriculteurs eux-mêmes les ter-
quitter leurs habitations pour aller prospecter
rains avoisinant les gisements. D e leur c ô t é , les p r o priétaires de mines engagèrent tous les bras libres, et tous les noirs
qui
voulurent bien
consentir à
tra-
vailler. L e premier m o m e n t de fièvre passé,
ceux
les c o l o n s , peu favorisés de la fortune, dont
d'entre les
re-
cherches avaient été vaines (le n o m b r e en était g r a n d ) revinrent à leurs cultures ; m a i s , bien plus qu'auparavant, ils eurent à souffrir du manque d'auxiliaires. Il est vrai que la découverte des placers amena dans la colonie un nouveau courant
de richesses. Si les
exploitations agricoles perdirent de leur si la propriété foncière
importance,
diminua singulièrement
de
valeur, le c o m m e r c e , en revanche, prit une certaine extension. V o i c i les
chiffres
d'importation
et
d'exportation
pour l'année 1 8 8 0 . L a G u y a n e a exporté en F r a n c e : 5 5 1 . 8 7 5 f r . d e marchandises, non compris l'or. Elle a importé de France : 5 . 2 6 4 . 2 7 3 fr. de marchandises. L a monnaie française a seule cours dans notre c o l o nie. L ' o r y est très rare, au point qu'il fait p r i m e , et que les habitants sont en quête d'or
monnayé.
La
table monnaie de circulation est la pièce de cinq
vérifrancs,
LA
253
GUYANE.
que l'on appelle grosso pièce. Outre la monnaie divisionnaire et le billon, il existe encore à la Guyane un sou qui lui est spécial ; o n le désigne sous le nom de sou marqué. C'es! une pièce de enivre plus petite que notre pièce de cinq centimes, et valant dix centimes. Sur une de Ses laces elle porte :
« Guyanne
çaise » ; sur l'autre, sont des ornements
fran-
entrelacés.
Ce sou n'a pas cours en France. Tous les sous m a r qués, actuellement en circulation à la G u y a n e , sont de fabrication ancienne ; la plupart sont effacés. Nous croyons que l'on n'en frappe plus. Deux industries importantes existent à la G u y a n e : celle des essences forestières et celle de l ' o r . E n 1873,1a première comptait neuf chantiers seulement, occupant 559 ouvriers ; aujourd'hui on
en
compte seize, employant environ 9 0 0 hommes. I l s ' e x porte annuellement 5 0 . 0 0 0 kilog. de bois d'ébénisterie et 5 . 0 0 0 k i l o g . de
bois de teinture. E n 1 8 3 5 ,
alors que les exploitations étaient nombreuses, la quantité de bois
beaucoup
exporté
moins
s'élevait à
202.000 kilog. pour le bois à ouvrer, et 2 5 . 0 0 0 k i l o g . pour le bois de charpente. L'exploitation des gisements aurifères a d o n n é , en 1 8 8 0 , (5.925.000 francs. Chacune de ces deux
industries mérite une étude
spéciale.
NOS G R A N D E S
COLONIES.
8
251
NOS GRANDES COLONIES.
CHAPITRE
IX.
Les essences forestières et leurs usages— Exploitation d'une forêt. — Les résines.
L'immense foret qui couvre le sol de
la
renferme les essences les plus variées. On
Guyane peut é v a -
luer à cinq ou six cents les différentes espèces d'arbres qui la
composent ; si toutes ne peuvent pas
être
utilisées, il y en a un grand nombre d'une valeur c o n sidérable, et leur exploitation bien dirigée
pourrait
donner de magnifiques résultats. Nous
diviserons en
trois classes
ou
catégories
les essences les plus connues au point de vue de leurs usages : 1° Les bois très durs, incorruptibles ; 2° Les bois d'une dureté
m o y e n n e , propres à
être
sciés en planchés ; 3° Les bois d'ébénisterie. Les essences de la première catégorie coup plus lourdes
et plus résistantes
sont
d ' E u r o p e ; leur tissu est très serré ; même on distingue difficilement
des pores.
beau-
qu'aucun L'aubier
presque aussi dur que le cœur ; c'est ce qui a n o m m e r l'un d'entre eux cœur-dehors.
bois
à la loupe
Beaucoup
est fait de
ces arbres sont imprégnés et c o m m e incrustés d'une matière gommo-résineuse
dont la nature
chimique
les rend incorruptibles. Les
principaux
arbres de cette
classe
sont : le
Wacapou (andira A u b l e t i i ) , un des plus appréciés de
255
LA GUYANE.
la G u y a n e ;
il se travaille bien et durcit
lissant ; ses fibres presque fendre assez
facilement.
en
vieil-
droites permettent On
le rencontre
dans l'intérieur, en approchant
de le surtout
d e s p r e m i e r s sauts ;
mais il est assez rare. Son tronc est entoure de côtes saillantes nommées arkabas et d'excavations ; c'est l e bois préfèré pour les charpentes.
On l'emploie
dans
l'ébénisterië. L e cour-dehors.
Ses
fibres
flexueuses
et croisées
le rendent d ' u n travail difficile ; les Hollandais le n o m ment
bruin-heart.
Le
préfontaine
et
le
bois
saint-marlin,
justement estimés, sont abondamment
rouges
imprégnés de
sève résineuse ; quand on entaille un de leurs jeunes rameaux, il découle de la blessure une liqueur r o u g e très a b o n d a n t e ; ce sont e u x , c r o y o n s - n o u s , que l'on a surnommés arbres qui saignent. Le balata est un des bois de charpente employés
en G u y a n e ; plus lourd
les plus
que le wacapou,
sans pour cela offrir plus de résistance, il est excellent pour les pièces mécaniques et pour les chevilles qui d o i v e n t offrir une grande solidité. A ces qualités joint celle de fournir une gutta-percha très l'ebène verte,
il
fine.
appelée c o m m u n é m e n t ébène soufrée,
à cause des petits corpuscules jaunes que l'on aperçoit quand le bois est fraîchement coupé, se compose de fibres longues, très fines et très serrées. Cet arbre de grande dimension
conviendrait parfaitement pour
les tables d'harmonie de piano. L e lois violet
( r e l t o g y n e venosa) est très c o m m u n
dans l'intérieur ; on peut l'utiliser pour la charpente ; il est relativement moins lourd que les bois d'une égale dureté.
256
NOS GRANDES
COLONIES.
L e wapa (eperna falcala), très c o m m u n , sert pour la confection des bardeaux, palissades et clôtures de jardins. L'angélique (dicorenia paraensis) atteint de g r a n des dimensions ; il croît c o m m u n é m e n t sur les plateaux de l'intérieur. On le travaille aisément, mais il est peu employé dans la colonie, parce que l'on prétend qu'il rouille les clous qu'on y enfonce. Son emploi donna d'excellents résultats dans les essais faits à Brest pour les constructions navales. L e Courbaril (hymensæa courbaril), d'où l'on extrait la résine animée ou copah est d'un brun
rougeâtre,
dont les teintes s'avivent à mesure que l'on
approche
du centre ; il devient foncé en vieillissant. On
pour-
rait employer le c œ u r dans l'ébénisterie, et l'arbre tout entier, grâce à ses branches qui forment à la cime des courbes de fort diamètre, rendraient de grands services pour l'établissement des couples de navires. L e bois pagaye l'usage, est
(swartzia), dont
le n o m indique
blanc, faiblement veiné, avec des côtes
plates, minces et saillantes (arcabas). Si nous ajoutons à bagasse,
le schawari,
le parcouri
cette
liste le rose
d'un travail facile, d'un
le bois de fer,
mâle,
le
très estimé pour ses courbes , grain
très f i n ,
le bois goyave, le canari macaque,
le fruit, sorte de c o u r g e , sert aux
indigènes à
dont
faire
des écopes pour vider le fond de leurs pirogues, le coupi et quelques-uns des bois dits rouge tisane, nous aurons cité les bois durs incorruptibles les plus connus à la G u y a n e , qui sont ou pourraient être employés dans la charpente, la menuiserie, les constructions
mari-
times, la mécanique, la gravure sur bois, etc. L a deuxième catégorie comprend les bois de
con-
257
LA GUYANE.
sistance m o y e n n e propres au sciage. Il s'en faut de beaucoup, cependant, qu'ils possèdent tous cette qualité à un même degré : les uns offrent une trop
grande
résistance, d'autres une texture inégale ; or ce q u ' o n demande aux bons bois de sciage, c'est une cohésion constante, l'absence de nœuds, de crevasses, et enfin une dureté m o y e n n e . Les arbres de la G u y a n e qui remplissent le m i e u x ces conditions sont le g r i g n o n ,
les
cèdres
et l ' a -
cajou. L e grignon
(bucida angustifolia) est un fort
grand
arbre au t r o n c g r o s et très droit ; sa couleur est rouge pâle, sa dureté à peu près égale à
celle du
chêne
d ' E u r o p e . Il est léger et dépourvu de résine. O n l ' e m ploie dans la colonie pour le revêtement extérieur des maisons et pour les travaux de menuiserie. L e grignon fou ou couaïc (qualea cserulea), quoique d'un bon usage, est inférieur au précédent. Il est fort commun. Les
se distinguent
cèdres
par une
consistance
m o y e n n e , mais égale et h o m o g è n e , l'absence de tissures, de crevasses et un faible retrait en Béchant. Ces bois sont le plus souvent odorants. L e cèdre jaune
et le
cèdre
noir
sont les
plus e s -
timés : très résistants, ils se travaillent bien
et se
conservent parfaitement. L e cèdre gris est plus mou. Le
cèdre
savane
et
le
cèdre
blanc ou
à
feuilles
d'argent sont des bois m o u - . Le
sassafras
ou
rose femelle,
le rose
mâle,
et
le
taoub, sont légers et de bonne conservation. L'acajou
(cedrela) ne ressemble pas à celui que
nous employons en France et que l'on tire des A n t i l l e s ;
il est très recherché
surtout
dans la colonie
258
NOS GRANDES
COLONIES.
pour la construction des coffres et des armoires ; le principe amer dont il est imprégné le préserve de l'atteinte des termites. L e carapa possède à peu près les mêmes propriétés. On lui reproche d'être sujet à se fendre quand on l'abat, surtout lorsque le pied est jeune et que l'arbre a pousse dans un terrain marécageux. Ses fruits donnent l'huile dont se servent les Indiens pour fixer leurs peintures. Parmi les bois de sciage, nous retrouvons quelquesuns des bois durs que nous avons déjà cités dans la première catégorie : le bagasse, le schawari, le c o u r baril, l ' a n g é l i q u e , le pacouri , le wapa. Ils sont moins employés que les autres, soit à cause de leur dureté, soit à cause de leur sève résineuse. Les bois d'ébénisterie sont les plus n o m b r e u x ; ils ont en outre cet avantage, qu'étant cotés en France à un prix élevé, ils peuvent plus facilement supporter les charges du fret ; leur exploitation se présente d o n c dans d'excellentes conditions. Aussi, depuis quelques années, s'en est-il exporté une notable quantité, et l'industrie forestière semble se porter plus spécialement sur e u x . Ceci constitue une faute de calcul de la part des chefs de chantiers. E n effet, ces essences ne croissent pas réunies, elles sont disséminées dans la forêt ; si d o n c on s'attache exclusivement à leur abatage, le travail que nécessite le halage des billes au milieu des bois insuffisamment éclaircis augmente la main-d'œuvre et le prix de revient. Les plus beaux bois d'ébénisterie d e la colonie sont : Le bois de lettre; quelques personnes font venir son nom des petites taches noires, plus ou moins semblables à des lettres, dont il est marqué; d'autres
LA
259
GUYANE.
prétendent q u e l'on s'en servait autrefois pour la fabrication des trois
caractères d'imprimerie.
sortes : le
moucheté,
le
Il y en a de
marbré et\e
Le
rouge.
premier est brun r o u g e , moucheté de noir ; dans
le
second, des nuances variées jouent le marbre ; le tro i sième, enfin, d'un
rouge clair, a d e s veines presque
noires, mais légères ; quand elles sont très accentuées, on le nomme rubané. Les différentes teintes que
nous
indiquons n'existent que dans le cœur de l'arbre, l'aubier est blanc. C'est un bois d'un travail difficile. L e satiné ou bois de Férôles
comporte deux espèces :
le r o u g e , uni et d'un beau ton ; et le rubané, qui est veiné et presque gris ; il se distingue par une sorte de miroitement.
Ces bois se
travaillent facilement
et
sont susceptibles de recevoir un très beau poli. L e boco, j a u n e , couleur buis ; le cœur est b r u n très foncé ; le
bois bagot
a l'aubier d'un blanc
éclatant,
au cœur du plus beau pourpre ; le bois violet, en
F r a n c e sous le n o m d'amarante,
connu
qui, jaune
gris
quand on vient de le travailler, prend aux rayons du soleil
une couleur violette très f r a n c h e ; le
moutou-
chy, veiné de violet pâle, de brun et de blanc ; le panacoco, noir, mais non aussi beau que
I'ébène,
offre
quelque analogie avec le palissandre, e t c . Les forêts de la Guyane possèdent, on le v o i t , une infinie variété d'essences; étudions leur exploitation. A u t r e f o i s , on se contentait d'abattre les arbres à la hache : une fois à terre, on les émondait, puis on les traînait jusqu'au
point
de flottage
ou
d'embarque-
ment. A u j o u r d ' h u i , grâce
aux
nombreuses
machines
récemment inventées, le travail présente moins de difficultés.
Les arbres désignés par le chef de chantier
260
NOS
GRANDES COLONIES.
sont coupés au pied à la hache ou à la
scie
Ramson,
mue par la v a p e u r ; en t o m b a n t , les grands arbres entraînent les petits dans leur chute ; ils sont
ébran-
chés à la hache et tronçonnés à la scie à vapeur billes de 4 à 15 mètres sur des
wagonnets,
de l o n g . Ces b i l l e s
à voie
ferrée
en
chargées
Decauville, sont
transportées au bord de l'eau et arrimées sur des chalands qui les conduisent à bord d e s navires. Trois causes rendent l'exploitation des forêts difficile et onéreuse : le recrutement de la main-d'œuvre, les époques d'abatage, enfin le transport des bois
de
l'abatis au lieu d'embarquement. Le
recrutement
du personnel d'une exploitation
forestière ne peut se l'aire au hasard: tous les hommes ne sont pas aptes à exercer le pénible métier de bûcheron dans l'atmosphère humide de la forêt, sous pluies continuelles ; les noirs et les Indiens
des
indigènes
sont seuls c a p a b l e s de faire d e s campagnes de travail dans les grands bois, de vivre sous
des carbets p r o -
visoires, et de se livrer au dur labeur de l'abatage et du halage. Les blancs ne
peuvent que surveiller
les
ouvriers : il leur est impossible de prendre à l'exploitation une part active. Les résultats obtenus, dans les chantiers du g o u v e r n e m e n t , avec des ouvriers fournis par les pénitenciers ( 1 ) , prouvent une fois de plus la nécessité d'employer le n è g r e africain ou ses descendants. O r , c o m m e
le nègre de la colonie refuse, en
général, de se livrer à un travail aussi pénible, les exploitants sont obligés de s'adresser aux Bosch
ou
(1) Le chantier créé à Sparvine a dû être abandonné au bout de peu de temps, à cause de la mortalité. Plus de 300 condamnes sont morts là. Ils sont enterrés dans le cimetière qui se trouve derrière la maison de M. Rey, à Sparvinc.
ForĂŞts d e la G u y a n e .
8*
LA
263
GUYANE.
aux Bonis, et ceux-ci ne sont pas toujours disposés à quitter leurs villages pour aller, quelquefois très loin, s'installer sur une exploitation. Il n'est pas indifférent de couper les arbres à moment ou
à tel autre : les abatages
se font
tel cinq
jours avant la nouvelle lune, et cinq j o u r s a p r è s ; en dehors de cette période, la sève est trop puissante, et les bois en g r u m e se fendraient vite, surtout aux rayons du soleil. C'est d o n c un travail de dix jours seulement par mois que les ouvriers bûcherons peuvent a c c o m p l i r . Reste la question de transport du lieu d'abatis au lieu d'embarquement. N o s lecteurs ont déjà vu q u ' à part les environs de Cayenne et les
communes
du
littoral, les différents points de la Guyane ne sont r e joints par aucune route ; il faut d o n c , pour les transports, avoir recours aux fleuves. O r , les rapides et les roches qui barrent le cours des rivières rendent
le
flottage excessivement difficile, sinon impossible pour conduire les bois de l'intérieur aux points que vent atteindre d'exploitation
les navires. Aussi n'a-t-on
peu-
entrepris
sérieuse que sur les bords de la Mana
et du Maroni, en d é c a d e s
sauts, c'est-à-dire à peine
plus loin que l'endroit où les cours d'eau
deviennent
navigables ; points où le flottage et l'emploi des chalands sont possibles, mais aussi où certaines précieuses
essences
sont plus rares. Ce n'est donc que petit à
petit, et lorsque de nombreux abatis auront pour ainsi dire reculé les limites des bois, que l'on pourra tracer des routes, et retirer des forets de la Guyane
toutes
les richesses qu'elles possèdent. A u x produits des exploitations
forestières il
ajouter la récolte des g o m m e s diverses que quelques arbres :
faut
sécrètent
264
NOS GRANDES COLONIES.
La gomme élastique ou caoutchouc, fournie par l'hevœa
guianensis;
de l'Inde
—
la gutta-percha,
et des grandes îles
tirée jusqu'ici
de l'archipel
malais,
maintenant extraite en grande quantité du Balata de Cayenne ; d'une espèce très fine, elle est fort a p p r é ciée dans l'industrie ; — la gomme copal, que le c o m merce demande à l ' A f r i q u e , est sécrétée par le c o u r baril hymenæa. — nantes se trouvent
L e tannin
et les matières tan-
en abondance dans
le
palétuvier
rouge (rhizophora inangle) ;depuis la création
des
pénitenciers en G u y a n e , l'écorce de cet arbre a servi à tanner des quantités considérables de cuirs de bœufs. Il y a là, o n le voit, une source de richesses i n c a l culables à exploiter, qui méritent bien d'attirer
l'at-
tention des capitalistes et des hommes d'initiative.
Outils servant Ă l'extraction de l'or.
267
LA GUYANE.
CHAPITRE
X.
Constitution géologique. — Le prospecteur. — La battée. — Le longtom. — Le sluice. — Etablissement d'une exploitation.
La recherche
de l'or a été, pendant
le
premier
siècle de notre occupation, le but de la plupart expéditions dirigées l ' E l d o r a d o , le
lac
sur
suivi les
ont
remonté le
rives du Camopi
mille dangers, pénétré
jusqu'au
des
trouver
P a r i m é , la ville aux palais
de n o m b r e u x v o y a g e u r s l'Oyapock,
la G u y a n e ; pour
d'or,
Maroni
et
et,
bravant
cœur des
sombres
forêts qui couvrent notre c o l o n i e . L ' h o m m e d'or est demeuré introuvable ! E t c e p e n dant
le précieux
métal existait
en abondance : les
sables des criques, les alluvions, le lit des rivières recelaient de riches trésors,
que les explorateurs, égarés
sur la foi d ' u n e légende à la poursuite d'un
but i m a -
ginaire, foulaient aux pieds sans les voir. Le
savant
Humboldt
G u y a n e de terrains
affirmait
la
sur la similitude de la constitution du avec
celle
des contrées
L ' o r existait en
présence
aurifères ; il basait son voisines
en
opinion
sol de ce
pays
riches en placers.
effet, et c'est presque
au hasard que
l'on doit sa découverte. A v a n t de dire c o m m e n t fut trouvé le premier g i s e m e n t , étudions rapidement la constitution géologique du sol de notre colonie. N o u s avons vu que la G u y a n e p a r t i e s : les terres b a s s e s ,
se divise en deux
composées
d'une large
268
NOS GRANDES
COLONIES.
bande d'alluvions, couverte ou plutôt bordée de palétuviers,
se prolongeant
jusqu'aux
premiers renfle-
ments du sol ; les terres hautes, formant des ondulations, des gradins, plus ou moins espacés,
qui
pro-
duisent des sauts et des rapides barrant les cours des fleuves. La déformation du sol, origine de ces o n d u lations, se fait sentir fort avant dans l'intérieur;
elle
s'étend jusqu'aux
jus-
sources mêmes des fleuves,
qu'aux monts T u m u c - H u m a c , car, aussi loin que l'on remonte les cours d'eau, o n rencontre ces
inégalités
de leur lit, plus nombreuses et plus accentuées. A p r è s une première modification dans la structure de la contrée, un second accident
s'est p r o d u i t : une
couche épaisse de terrains de transport est niveler le sol et
trouve presque partout
à sa surface. Enfin un sou-
lèvement postérieur,
e n faisant surgir
quantité d'éminences
peu élevées
régulière, a
donné
venue
la roche d'agrégation que l'on
former
à
la
une
et sans
Guyane
grande
direction
sa configuration
actuelle. Le
sol se compose
d'une
roche dioritique
paraît être celle du fond ; au-dessus d'elle une d'agrégation
qui roche
plus ou moins d é c o m p o s é e , et enfin, à
la surface, une c o u c h e de
terre végétale
très
argi-
leuse. L a terre végétale provient de la décomposition du feldspath de la roche d'agrégation, et des détritus de la végétation laissés sur place ou amenés La roche d'agrégation est sans doute
par les eaux. le résultat d'un
transport considérable qui a recouvert le pays à la suite d'un immense cataclysme, qui est relativement r é c e n t , ainsi que le prouvent des débris de trouvés sous la couche aurifère.
poteries
LA
269
GUYANE.
La présence de l'or à la Guyane est due à un effet local : c'est le résultat des éboulements, des
renfle-
ments du sol, en un mot des modifications que
nous
venons d'indiquer. « L e métal a été amené à la
sur-
face par des vapeurs aqueuses chargées
de silice et
d'or, et par des filons de quartz à différentes
tempé-
Fragments de poteries trouvés sous la couche aurifère.
ratures, pendant le cataclysme, relativement très r é cent, qui a donné au sol sa configuration.
L'alluvion
aurifère s'est formée par les éboulements qui ont été la conséquence de la déformation du sol et du passage des eaux par les déclivités qui en permettaient l ' é c o u lement ( 1 ) . » En 1853,
des Brésiliens vinrent s'établir sur les
bords de l ' A p p r o u a g u e ; l'un d'eux, n o m m é Paolino, frappé
de
la similitude
des terrains avoisinant les
criques avec ceux d'où il avait vu extraire l'or dans son pays, fit quelques lavages à l'aide d'un couy,
—
(1) Barvaux, L'Or à la Guyane (Revue maritime et coloniale, 1873, t. X X X V I I ) .
270
NOS
coupe
profonde
GRANDES COLONIES.
taillée dans une
calebasse
; —
ses
essais lui donnèrent des parcelles d'or. P a o l i n o c o m muniqua aussitôt le résultat de sa d é c o u v e r t e à M . Félix C o u y , commandant du quartier ; celui-ci, heureux de doter la colonie d'une
telle source de
richesse,
se mit, a c c o m p a g n é d u Brésilien, à la recherche gisement
qui valût la peine
d'être
d'un
exploité. P e u de
temps après, la présence de l'or dans les terrains de la Guyane française était un fait avéré. Pao-
La découverte ne profita pas à ses auteurs : lino mourut à l'hôpital, soigné
aux frais de la
ville
de Cayenne, et M . Félix C o u y périt assassiné. La
nouvelle
se répandit
bientôt à Cayenne ; de
nombreuses concessions furent demandées
et
accor-
dées sur les bords de l ' A p p r o u a g u e , des compagnies se formèrent et les premiers placers furent exploités. Cependant la fièvre de l ' o r s'emparait de la colonie ; chaque habitant voulait découvrir un g i s e m e n t . L ' o n vit des gens a v e n t u r e u x , soldats, négociants, agriculteurs, artisans, s'avancer dans l'intérieur à la recherche
de l'or ; tous n'étaient
manquant d ' e x p é r i e n c e , terrains abondamment
pas également
beaucoup pourvus,
heureux :
négligeaient pour diriger
des leurs
investigations vers des régions plus pauvres. On m a n quait de chercheurs d'or expérimentés, avec
lesquels
il eût été facile d'éviter bien des dépenses : on ne se liait qu'au hasard, à la chance ; c'était un jeu. Tout le m o n d e , en effet, ne sait pas trouver l'or. L o r s q u ' u n spéculateur, guidé souvent par des renseignements assez vagues, a décidé petit c a p i t a l à la r e c h e r c h e gouvernement
la
de
concession
de consacrer
un
l'or, il demande
au
d'un
certain
nombre
d'hectares, dont il désigne remplacement. Dans le cas
LA GUYANE.
271
où le terrain qu'il a choisi n'a pas encore été exploité, il lui
est a c c o r d é ,
gratuitement,
un «
permis
recherche » ; dans le cas contraire, il doit d'avance
un droit de 0,10 c.
de
acquitter
par hectare, valable
Prospecteur voyageant avec un noir porteur du pagara.
pour un an.
Si l'or existe en quantité suffisant*', le
permis de recherche est remplacé par un
«
permis
d'exploitation », renouvelable d'année en année m o y e n nant 0,50 c. par hectare». Cette formalité accomplie, le concessionnaire se met en quête d'un prospecteur ( 1 ) . ( 1 ) Du mot anglais prospect, vue. coup d'uil.
NOS GRANDES COLONIES.
272
L e prospecteur doit être un h o m m e robuste, intelligent, honnête ; moyennant son entretien, des appointements et une part dans le placer qu'il trouvera, il part
à la découverte du gisement ; c'est
un
rude
métier que le sien. I1 est a c c o m p a g n é d'un noir qui porte son modeste bagage entériné
dans un pagara ;
le pagara est une sorte
carrée
de
boîte
faite
d'un
double tissu de roseaux fins et flexibles, que sépare une feuille
de balisier ; il se compose de deux parties
qui s'emboîtent exactement l'une dans l'autre, et est absolument
imperméable. A r m é d'un sabre d'abatis,
il s'avance dans des sentiers pleins d'obstacles, obligé à de fréquents détours, et souvent forcé un chemin à travers les fourrés
et de
de
passage au milieu des lianes qui obstruent des criques pendant la
saison
s'ouvrir
se frayer
sèche. Ces
un
l'entrée marches
pénibles ne peuvent se prolonger l o n g t e m p s ; chaque après-midi, il faut s'arrêter de bonne heure pour faire la cuisine et élever un abri de feuilles pour Les fauves, les serpents, la chute des grands la traversée des marais et avec de l'eau jusqu'à
des
criques,
la ceinture,
arbres,
quelquefois
souvent
arbre tombé en travers du ruisseau, font
la nuit.
sur un
courir
au
prospecteur des dangers sérieux. L e seul instrument
qu'emporte
le chercheur est
une battée. La battée est une sorte de plat r o n d , évase, et que nous ne pouvons mieux comparer qu'à la calotte d'un saracco : elle est large de trenter-cinqà quarante centimètres et profonde de trois on quatre.
On se sert,
pour la fabrication de cet appareil, des côtes ou arcabas
de certains arbres
légers, aux tissus
fibreux,
c o m m e le bois pagaye, formant une planche large et
LA
273
GUYANE.
droite de quelques centimètres d'épaisseur. On coupe dans l'arcabas
une circonférence
dé-
de quarante
à quarante-cinq centimètres de diamètre; on la creuse d'abord à la hache, puis au c o u t e a u ; l'intérieur
est
ensuite poli avec un morceau de verre. Afin de f a c i liter le débourbage, parcelles d'or
le lavage et la concentration des
au fond
de la
battée, on donne au
creux de sa paroi interne, non pas une forme droite, mais la courbe d'une demi-parabole. Le
maniement
de la battée e x i g e , pour donner d'utiles indications, une grande habileté et un soin
méticuleux.
A r r i v é sur un terrain qu'il croit contenir de l ' o r , le prospecteur hasard à
la
remplit
sa battée de terre prise au
surface de la couche. I1 transporte la
battée dans le cours d'eau le plus voisin, en ayant soin de se placer là o ù le courant est le moins fort.
Le
prospecteur plonge la battée dans l'eau, et la soutient d'une main, tandis que l'autre remue la terre, à la surface d'abord, puis peu à peu plus profondément, de manière à ce que l'eau n'entraîne que la terre parfaitement délayée. Chaque fois que la main de l ' o p é rateur rencontre un quartier de roche ou une pierre, il l'extrait, la lave et l'examine soigneusement. Quand
la terre, bien
délayée,
bien séparée
des
pierres qu'elle contenait, s'est écoulée hors de la battée, il ne reste plus dans le récipient qu'un résidu gris appelé schlik, composé de graviers, de g e m m e s et d'or. Le prospecteur imprime alors à la battée,
toujours
immergée, un mouvement do rotation contrarié qui force les parties lourdes
à descendre
au fond ;
même temps, il agite les résidus avec la main faciliter le d é b o u r b a g e , jusqu'à ce que l'eau parfaitement claire.
en
pour
s'écoule
274 Le
NOS GRANDES
COLONIES.
débourbage ainsi achevé, c o m m e n c e
vraiment
la partie
délicate de L'opération : le prospecteur
besoin de toute son habileté pour mener rience à bonne
fin.
a
son expé-
La battée est ramenée à
fleur
d'eau de manière à ce qu'elle soit à peine immergée ; elle est maintenue dans cette position avec les deux mains placées sur les bords. D e nouveau le prospect teur l'ait subir à la battée le mouvement giratoire contrarié pour que les parcelles les plus lourdes t o m bent au fond ; il enlève et examine soigneusement les parties les plus volumineuses avant de les rejeter ; celles qui contiennent de l'or sont mises à part. L'opération continue
jusqu'à ce qu'il ne reste plus que le
petit gravier ; ainsi allégée, la battée flotte. imprime
un
mouvement
giratoire
On lui
simple, combiné
avec un léger balancement qui fait tour à tour entrer et sortir l'eau du récipient par une impulsion de rotation. Bientôt
la battée ne contient plus que l'or
mélangé à quelques graviers qui sont
éliminés avec
le d o i g t . Cette expérience a été faite avec de la terre enlevée à la partie supérieure de la couche ; on la recommence avec des échantillons puisés
dans la
partie
m o y e n n e , puis à une certaine profondeur ; le prospecteur
opère ensuite sur des échantillons
pris em
long et en travers du terrain, à des distances assez rapprochées. 11 agit de la sorte pour ne pas
laisser
passer la veine inaperçue, et se faire une idée approximative de sa valeur et des difficultés que peut offrir l'exploitation. Rentré de son excursion, le prospecteur présente séparément les résultats fournis par chaque battée ; ils sont pesés, estimés, et l'on porte sur eux un des
Prospecteur faisant un lavage d'essai Ă la battue.
LA
277
GUYANE.
jugements suivants : le résultat donne la couleur, ou un, deux,
trois, quatre
sous à la battée.
U n e couche donne la couleur,
quand elle contient
quelques parcelles d ' o r sans importance. E l l e d o n n e un, deux,
trois,
quatre
sous à la battée
selon le poids moyen des résultats des divers essais. La battée contient dix kilog. de terre environ, elle donne un sou quand la tonne de cette même terre produit un gramme
et demi au moins, et deux au plus.
A l'époque de la découverte de l'or, une conche ne donnant que quatre et même cinq sous (7 g r . à la tonne) était considérée c o m m e pauvre ; on ne s ' o c c u pait que des terrains produisant huit à dix sous. A u j o u r d ' h u i , on exploite avec profit des gisements ne donnant que quatre grammes à la tonne. Au début, le mode d'exploitation
était fort élémentaire et très
imparfait; voici comment l'on procédait : Les résultats rapportés par le prospecteur naient-ils au concessionnaire
des terrains,
convecelui-ci
envoyait un chef de chantier avec une escouade d ' o u vriers sur l'emplacement choisi. E n amont du g i s e ment on formait dans la crique un barrage au m o y e n de pieux fichés en terre, de lianes on installait le lomgtom. d'auge
et d'argile,
puis
L e longtom est une sorte
de 4 m. de l o n g sur 70 c. de large ; il est
composé d'une planche de fond et de deux
planches
de côté, hautes de 30 c. et placées verticalement. Les deux extrémités sont ouvertes ; celle de tète est d e s tinée à l'entrée de l'eau ; l'extrémité par où doit s'écouler
dite de queue,
le liquide, est munie
d'une
plaque de tôle dépassant la planche de fond de 40 c . et relevée en arc de cercle ; elle est percée, c o m m e un crible, de trous très rapprochés et très fins. Sous NOS G R A N D E S COLONIES.
8**
278
NOS GRANDES
COLONIES.
la queue du l o n g t o m , et un peu en ponte, est disposée une boîte plus large que le fond de l'auge : au milieu, un tasseau faisant saillie de 2 ou 3 c .
est destiné à
arrêter au passage les matières qui tombent entraînées par l'eau. On installait d o n c le longtom sous le barrage, et l'on y faisait passer le courant d'eau : deux y jetaient à la pelle la terre de la couche
hommes aurifère:
un ouvrier était chargé de désagréger les mottes
de
terre, et de laver les pierres à la main ; le reste était entraîné par l'eau sur le crible, où le chef de l o n g t o m achevait la désagrégation en frottant les résidus sur la plaque de tôle. Tout ce qui ne passait pas par le crible était rejeté. A la fin de la j o u r n é e , le c h e f de longtom
concentrait
le schlik amassé au fond de la
caisse, d'abord sur place, ensuite à la battée. O n voit combien ces opérations
sont incomplètes.
L a richesse de certaines c r i q u e était telle que, malgré l'imperfection du l o n g t o m . il y en a qui ont donné par j o u r 750 grammes à la tonne, et cependant un second lavage leur faisait rendre encore 2 0 0 à 2 5 0 grammes par j o u r et par l o n g t o m . L e l o n g t o m abandonné a été remplacé par le sluice. L e sluice est un canal l o n g de 25 à 60 mètres, c o m posé d'une série d'auges s'emboîtant les unes dans les autres. Ces auges, longues de 4 metres, larges de 0,32 c., sont faites de trois planches, celle du f o n d , et celles des c ô t é s ; elles sont placées les unes au bout d e s
autres,
un peu superposées,de manière que la première forme cascade sur la seconde, la seconde sur la troisième, et ainsi de suite. Sous chaque cascade, on place un riffle, petite caisse de fonte d'une longueur égale à la largeur intérieure d u sluice et haute de 27 c. ; il est divisé
Mines d'or de la Guyane. Le Sluice.
LA par des nervures
281
GUYANE.
placées
en travers du c o u r a n t ,
et
destinées à arrêter l'or au passage. A u fond des a u g e s , une grille de fer p e r c é e d e irons est destinée à diminuer l'entraînement des matières par les e a u x . Maintenant que nous connaissons l'appareil e m p l o y é dans les placers, v o y o n s l'installation des t r a v a u x . L e chef d'exploitation, a c c o m p a g n é de ses ouvriers, se rend sur le terrain exploré ; il constate d'abord par l u i - m ê m e l'exactitude des expériences de prospection ; si elles sont satisfaisantes, il fait débarrasser le terrain de la végétation qui l ' e n c o m b r e , en y mettant le feu. Le
défrichement
clairière relie
«
terminé,
des carbets
on élève a u milieu
pour loger
rétablissement
:»
de la et on
les ouvriers,
au « dégrad
» ou
débar-
cadère de la rivière, par un chemin plus ou moins direct. La plupart de ces sentiers tracés par des nègres f a n taisistes sont
vraiment
étonnants,
on dirait que les
noirs cantonniers ont pris à tache de choisir les plus mauvais passages. on déboise d'abord la vallée, puis,
P o u r exploiter,
à une certaine distance en amont de chantier établit
de la crique, le chef
un barrage formant
un réservoir
d'une capacité suffisante à l'alimentation du travail de la journée ; on découvre le terrain à exploiter sur u n e longueur à p e u près égale à celle du sluice,
puis on
procède à son installation. Les auges, emboîtées c o m m e nous l'avons indiqué, sont soutenues par des s u p p o r t s ; les riffles placés sous les cascades, on verse du mercure dans les
deux compartiments
supérieurs : les grilles
sont posées au fond des auges, et toutes les jointures hermétiquement
bouchée»
avec de
l'argile, afin que
l'eau, en s'écoulant, n'entraîne pas de parcelles
d'or.
Ces préparatifs terminés, on fait couler l'eau. 8***
282
NOS GRANDES
COLONIES.
D e distance en distance on échelonne une escouade de sept à neuf hommes. Aussitôt que l'eau passe abondamment dans le sluice, trois ouvriers y jettent à la pelle la terre q u ' u n homme
arme
d'une pioche a sou-
levée et brisée. L e l o n g du sluice, des hommes sont chargés de délayer la terre et d'arrêter au passage les grosses mottes qu'ils brisent ; les laveurs retirent les m o r c e a u x de pierres
ou d o roches,
qu'ils
lavent et
mettent de c ô t é , tandis qu'un ouvrier placé à la queue du sluice dégage le canal d'écoulement, qui tend toujours à s'obstruer. Le chef de sluice surveille le travail, examine les quartiers de roches, fait diminuer ou augmenter la force du courant, etc. Le travail continue ainsi de sept heures au matin à trois heures de l'aprèsmidi. L e soir, un peu avant l a fin de la journée, on p r o cède à la récolte de l'or. Les laveurs, aidés des autres ouvriers qui cessent de jeter la terre dans le sluice, continuent leur travail de désagrégation
des mottes
et le lavage d e s morceaux de roches ; quand l'eau est claire, on enlève les riffles, les grilles, et l'on remonte à la pelle le résidu de chaque auge dans celle qui la précède ; il ne reste
bientôt plus qu'un
schlik g r i s .
Par une opération inverse, on fait descendre la matière de l'auge de tête pépites à mesure
danS
celle de queue, en retirant les
qu'elles se présentent. Le
résidu
recueilli à l'extrémité du sluice est traité à la battée. D e toutes ces opérations il résulte un volume plus ou moins considérable d'or qui est enveloppé en
tiouet,
et gardé à rétablissement d ' o ù , c h a q u e mois, on l'expédie à Cayenne. L'exploitation que nous venons
de
être considérée c o m m e une exploitation
décrire d'essai,
peut ou
Logement des ouvriers aux mines de Saint-Élie.
285
LAGUYANE.
rétablissement d'un concessionnaire qui ne peut d o n ner d'extension à ses recherches ; à coté de ces placers, où l'on se contente de laver les sables et les alluvions aurifères, il existe de grandes sociétés qui ont fondé des établissements
importants, qui
ont attaqué la
masse rocheuse, cherché le quartz, et. pour trouver le filon, creusé
des galeries souterraines ; ce sont de v é -
ritables mines d'or. A u placer de Saint-Elie, par e x e m p l e , une galerie creusée dans le roc a permis d'atteindre le filon à 34 mètres de profondeur ; le minerai extrait de la
mine
est transporté dans d e s w a g o n n e t s jusqu'à l'usine, où il est broyé par des pilons mus par la vapeur. Ces p i lons broientle quartz continuellement
mouillé, et l ' a -
malgame se produit en même temps. On met dans le broyeur environ sept onces de mercure par tonne, et l'on fait
couler 2 0 litres d'eau par minute
dans la
caisse aux pilon s: on obtient ainsi d'excellents
résul-
tats. L'établissement est presque un village, les ouvriers sont logés dans des baraques saines et bien construites; les directeurs, les ingénieurs, les chefs de
chantiers
ont des maisons presque confortables: un hôpital permet de donner les premiers soins aux malades, et de vastes magasins renferment d'abondantes
provisions,
économisant ainsi de nombreuses journées de c a n o tage pour le ravitaillement. L'exploitation deux grandes des
transports,
des placers en
difficultés : c'est et ensuite le
Guyane
d'abord
présente
la question
recrutement du
per-
sonnel. C'est généralement assez loin
dans l'intérieur que
se trouvent les gisements productifs ;
ordinairement
286
NOS GRANDES
COLONIES.
l'établissement est situe près d'une crique, et le moins loin possible du fleuve; les vivres, les
machines sont
remontées en canot jusqu'au placer. Ce mode de transport coûte
excessivement cher, et constitue
une en-
trave sérieuse au développement de l'industrie de l'or dans notre
colonie. Seules les grandes
nous avons parlé, ont
pu diminuer
sociétés dont
les difficultés du
chemin. Elles sont situées non loin des rives du S i n namary ; un petit vapeur g a g n e l'embouchure du fleuve, qu'il remonte jusqu'au premier saut ; là, les marchandises sont débarquées et chargées à dos de mulets ; un chemin
relativement
sement, et
de
facile
distance
mène
jusqu'à
en d i s t a n c e ,
des carbets permettent aux hommes et aux prendre
leur
repos
la
n u i t ; mais
l'établis-
des étables, bêtes
de
certaines pièces
trop lourdes pour être portées par un mulet doivent encore être transportées à dos d ' h o m m e . Le personnel se c o m p o s e de coolies hindous, de noirs transportés, d'Annamites noirs sont
et d'Européens libérés. Les
canotiers, prospecteurs, piocheurs, déboi-
seurs, laveurs ; leur spécialité est de faire les corvées les plus pénibles. Les plus intelligents
sont
contre-
maîtres, quelques-uns ont acquis un flair et une habileté surprenante. N o u s avons vu dans quelle proportion
périssent
les H i n d o u s ; sur dix arrivant au placer, sept sont m a lades et meurent,
les trois
autres résistent
et
de-
viennent débourbeurs, nettoyeurs de c a i l l o u x ; on leur confie en général de menus travaux. Les Européens niciens,
libérés sont scieurs de l o n g , m é c a -
charpentiers
(nous
ne parlons pas,
bien
entendu, du directeur et du chef de chantier) ; mais on ne peut en faire des laveurs : ils ne résisteraient pas
LA
287
GUYANE.
longtemps à ce travail pénible, dans l'eau j u s q u ' à la ceinture pendant des journées entières. Dans les placers, on ne travaille pas le dimanche : les ouvriers profitent de ce j o u r
pour
se reposer, et
Costume du dimanche des ouvriers employés aux mines d'or de la Guyane.
mettre ordre à leurs affaires, puis, l'après-midi, chacun se livre à un genre de distractions différent ; les n è gres et les Européens l'ont de la musique, les H i n d o u s dansent les danses de leur p a y s , ou jouent des p a n t o mimes indiennes; tous ces h o m m e s , q u i , pendant la s e -
288
NOS GRANDES
COLONIES.
maine, travaillent nu-pieds, à peine vêtus, mettent ce jour-là leurs plus beaux habits. Notre gravure représente un contre-maître coiffé
du cantouri, chapeau-
parapluie en feuilles et en r o s e a u , un large pantalon de mousseline avec des fleurs de couleur, et une chemisette blanche; il est chaussé de sandales
en
bois,
qu'il a faites lui-même. L e chef de chantier, qui est toujours un Européen, doit posséder
de nombreuses
qualités : l'énergie, la
vigueur, l'activité : la force physique, à laquelle il est souvent o b l i g é de recourir, inspire à ses subordonnés une crainte salutaire. A ces mérites le c h e f d e placer doit j o i n d r e une vigilance incessante, non seulement au point de vue de la direction du travail,
mais aussi
pour éviter les détournements.
l'opération
Pendant
du lavage, des pépites apparaissent souvent sur le fond
des auges, elles passent même entre les mains
des laveurs: aussi, maigré la surveillance
dont ils
sont l'objet, les travailleurs peuvent toujours dérober une certaine quantité d ' o r ; ils volent d'autant plus qu'ils trouvent à Cayenne des gens
qui font métier
d'acheter à vil prix l'or volé par les o u v r i e r s ; leur industrie est connue , et
cependant ils jouissent
1
de la
plus parfaite impunité; on ne les poursuit pas comme recéleurs. L e seul m o y e n de remédier à cet nient est d'empêcher d'autres
les
marchands, les
tribus, ou les canotiers
taillement, d'entrer en
relation
faisant avec
inconvéindigènes le
ravi-
les ouvriers.
C e u x - c i , forcés de cacher l'or et de le garder l o n g temps, sont ou volés ou dénoncés par leurs camarades, ce qui
finit par
les dégoûter complètement de la
malhonnêteté. C'est sur
les bords de la crique S i c k u r y que s'est
289
LA GUYANE.
fondé le premier placer ; d'autres gisements furent découverts dans l ' A p p r o u a g u e en 1 8 5 5 . L e s résultats obtenus amenèrent la formation d'une société q u i , sous le titre de Compagnie
aurifère
et agricole
de
l'Ap-
prouague, obtint, par décret du 20 mai 1 8 5 7 , la c o n cession pendant 25 ans de 2 0 0 . 0 0 0 hectares de t e r rain. Cette société, après un début assez heureux, céda, en 1 8 6 7 , son privilège à un capitaliste de Paris. Outre cet établissement, on en c o m p t e encore 2 3 dans le quartier d ' A p p r o u a g u e . Dans la section de K a w , on comptait, en 1 8 8 2 , 3 placers en pleine activité et 5 0 en cours d'exploitation. Dans la section de Sinnamary, à la tête des rivières F o u c a u d et Leblond, setrouventles gisements les plus riches de la G u y a n e , et entre autres ceux de Saint-Elie et de D i e u - M e r c i . Depuis 1 8 7 5 , une douzaine de placers très productifs ont été créés tant sur les bords de la Mana que sur la rive droite du Maroni. L e tableau suivant donne la production de l'or dans les diverses c o m m u n e s de la G u y a n e , de novembre 1 8 7 9 à mars 1 8 8 1 : Période do production
Novembre 1879 Décembre 1879 Janvier 1 8 8 0 Février 1 8 8 0 Mai 1 8 8 0 Juin 1 8 8 0 Juillet 1 8 8 0
—
—
— — — —
Septembre 1 8 8 0
Quantité eu kilog.
239 kil 213 810 143 173 534 144 723 63 756 35 315 0 233 976 246 248 464 0 261 153
NOS G R A N D E S COLONIES.
Lieux de production
Tous les quartiers
—
Kaw,
— — Approuague
Roura Kouron Sinnamary Mana Maroni Tous les quartiers 9
290
NOS
Période de
production
GRANDES
Quantité en
Octobre 1880 —
0 kil. 327 847 14 002 — 48 734 — 53 Novembre 1880121 382 410 Mars 1881 4 073 24 973 21 722 0 074 74 34 821 12 391 Total
1.916 kil . 9 8 4
COLONIES.
kilog
Lieux de production
Kaw,
Approuaguo Roura Sinnamary-Iracoubo Mana Tous les quartiers Oyapock Kaw, Approuague Roura Kourou Sinnamary-Iracoubo Mana Maroni
LÀ
291
GUYANE.
CHAPITRE
XI.
Animaux des forêts.— Jaguars. —Vampires. — Serpents. — Les tortues.— Les insectes. — La mouette anthropophage. — Les poissons. — Les oiseaux.
N o u s avons décrit les principales races qui habitent la G u y a n e , étudié les arbres de ses bois, les p r o d u c tions de son sol ; passons rapidement en revue les animaux qui peuplent ses forêts, les poissons qui vivent dans ses fleuves. L e s félins sont
représentés
par le
couguar,
le
j a g u a r , l'ocelot et un grand tigre — le tigre r o u g e — qui ressemble à celui du B e n g a l e . On le désigne à la G u y a n e sous le n o m de j a g u a r . Ce grand chat m o u cheté, fuyant devant les progrès des E u r o p é e n s , s'est retiré au plus profond des bois. Autrefois il était fort c o m m u n , et ne craignait pas de franchir la rivière du Tour de l'Isle pour venir dans l'île de Cayenne d é v o rer les bestiaux des colons. M. de la Barre fut o b l i g é , pour détruire
ces hardis maraudeurs, de promettre
aux chasseurs une forte prime par tête de jaguar tué. Aujourd'hui,
ces
animaux ne s'approchent
presque
jamais des habitations. A part de rares exceptions, ils no constituent pas un
danger pour l'homme,
qu'ils
redoutent ; à moins d'être pressés par la faim,
ils
fuient à son approche. Dans les forêts nous rencontrons encore : les tapirs ou maPïpouriS)
de la grosseur d'un veau, au museau en
forme de trompe ; le cariacou, espèce de biche rouge ou blanche presque aussi grande que celle d'Europe :
292
NOS
le paresseux,
GRANDES COLONIES.
le tatou, avec sa cuirasse
à crinière
tamanoir
(grande
chacal a b o y e u r ; les peccaris, sauvage,
ou cochon marron
petits sangliers, le cochon ; puis un grand
d'animaux plus petits : écureuils pacca
brun,
rat
d'écailles ; le
espèce), une sorte de
épineux,
nombre
gris et noirs,
opossums,
agoutis, petite
sarigue
taille. L a famille des singes est représentée par
plusieurs
espèces : c'est l'eriodes, qui n'a que quatre doigts à chaque main ; le saï, le sajou,
tamarin, dit
le
le saki;
sapajou,
le
qui se reproduit en captivité, quoi qu'en aient
certains auteurs ; et enfin
le
singe rouge
hur-
leur. Ce dernier est très c o m m u n ; avant l'aurore et à l'entrée de la nuit, il remplit la foret de ses cris r a u ques et tristes. Sans compter les insectes, dont nous parlerons plus loin, le v o y a g e u r ou le chasseur rencontre deux ennemis terribles dans les bois de la G u y a n e : le vampire et
le serpent. L e vampire
est une grosse
chauve-
souris d'un brun sombre, presque n o i r e , un peu plus claire sous le ventre. Il s'attaque a u x bestiaux,
qu'il
pique derrière l'oreille,
c'est
dont il suce le sang ;
aussi l à , ou à l'orteil, qu'il attaque l'homme
durant
son sommeil. P e n d a n t la s u c c i o n , le vampire ne cesse d'agiter
ses ailes, dont le
mouvement
produit une
sorte de fraîcheur qui endort la douleur. N o u s avons parlé des serpents ; ils sont fort n o m breux et d'espèces variées.
L e s serpents
venimeux
sont : le corail, dont la taille ne dépasse pas celle d'une petite anguille ; le grage
ou
trigonocéphale,
et le
serpent à sonnettes. L a morsure de ces reptiles est, on le sait, presque toujours mortelle ; les nègres prétendent être
garantis contre le venin
des serpents par
293
LA GUYANE.
une inoculation aux chevilles et aux poignets, et par l'absorption
d'un
breuvage
dont la composition est
i n c o n n u e . Cette inoculation se n o m m e le lavage le serpent.
pour
Est-ce vraiment un préservatif? On ne sau-
rait le dire, c a r , parmi les noirs qui succombent m o r dus par les serpents, beaucoup sont lavée. Par c o n t r e , on en cite d'autres qui, ayant pris cette précaution, ont été mordus impunément. Les Bonis disent que, selon les saisons, les serpents sont plus ou moins dangereux : ils sont plus v e n i m e u x , disent-ils, quand les pléiades (sebita) ont disparu du ciel au mois de mai. Les serpents non venimeux sont le liane, et le devin ou boa que les Guyanais appellent boa atteint ordinairement quinze
la couleuvre.
Ce
à dix-huit pieds de
long ; on en a vu dépassant quarante pieds et mesurant soixante centimètres de circonférence :des géants de
l'espèce.
Ce
monstre
s'en
prend
rarement
à
l'homme ; on a cependant des exemples de gens attaqués par la couleuvre ; témoin le récit fait au capitaine B o u y e r par le brigadier de gendarmerie de Macouria. Ce brigadier s'était rendu de grand matin sur le bord d'un pripri pour tirer des canards. Il attendait les premières lueurs du
jour pour distinguer le gibier,
lorsqu'il se sentit saisi brusquement à l'épaule. — Je tournai la tête et j e vis, à deux pouces de m o n visage, la gueule d'un énorme serpent. U n ment
de côté me dégagea de la bête, qui
mouve-
m'arracha
un morceau de ma chemise de laine. —
V o u s dûtes avoir une fière peur ?
—
J e n'avais pas le temps d'avoir peur, il fallait
agir. La couleuvre, après m'avoir manqué du premier c o u p , me ressauta dessus. Cette fois elle me prit à la
294 cuisse. Ses
NOS GRANDES
COLONIES.
dents m'entrèrent
dans la chair et me
causèrent une affreuse douleur ; je sentais ma cuisse serrée c o m m e dans un étau. J e ne perdis cependant pas c o u r a g e : avec la crosse de mon fusil j e frappai tellement la tête de la couleuvre qu'elle
lâcha prise.
Elle prit alors du c h a m p pour m'attaquer de nouveau et m'enserrer dans ses anneaux. Heureusement j e ne lui en laissai pas le temps : d'une seule main, v u le peu de distance qui nous séparait, je lui lâchai mes deux coups de
fusil
: elle tomba mortellement frappée.
Quant à m o i , je fis quelques pas et sortis du pripri. J'ignorais si m o n ennemi était m o r t .
J e cherchai à
fuir, mais les forces me trahirent, je tombai évanoui. Quand je revins à m o i , le soleil était déjà haut à l ' h o rizon. Ma blessure me faisait affreusement souffrir. Je rassemblai tout mon c o u r a g e , et moitié marchant, moitié rampant, j'arrivai le soir chez Zagala. D e là on me porta à l'hôpital. J ' y restai six semaines ; j ' e u s la fièvre, le délire ; on faillit me couper la j a m b e ; finalement j e
guéris, mais j e
suis resté boiteux ( 1 ) .
Les autres reptiles, caïmans, iguanes, lézards de toutes sortes, sont n o m b r e u x à la G u y a n e . Les caïmans se rencontrent surtout aux endroits où les rives sont envahies par les palétuviers : les vases qui s'amoncellent autour des racines sont leur retraite favorite. L à aussi, on trouve une grande variété de tortues ;la plus curieuse est la tortue mata-mata.
Sa couleur est ter-
reuse ; son dos est surmonté d'une série de bosses l o n gitudinales disposées
sur plusieurs rangs ; son c o u ,
trop l o n g pour rentrer sous sa carapace, est mince et garni de rugosités ; la tête, fine, se termine par un nez (1) Bouyer, déjà cité.
LA
295
GUYANE.
pointu semblable à une trompe ; sous ce nez
s'ouvre
une bouche é n o r m e . Tapie dans la vase, dont elle a presque la couleur,
la tortue mata-mata
guette sa
proie et m o r d , dit-on, indistinctement tout ce qui passe à sa p o r t é e . Li
mauvais
passé
serpent,
passé
caïman,
disent les nègres. L'époque de la ponte des tortues est généralement entre le
15 août et le 1
e r
septembre. Elles déposent
leurs œufs sur une plage sablonneuse ; elles se réunissent, pour cette opération, en bandes nombreuses et débarquent, une belle nuit, sur la berge qu'elles ont choisie. A u sortir de l'eau, elles creusent avec leurs pattes de devant une longue tranchée, large d'environ quatre pieds et profonde
de deux. L'ardeur
mettent
est telle, que le sable vole
à cette besogne
qu'elles
autour d'elles et les enveloppe c o m m e d'un brouillard. Quand la fosse leur paraît suffisante, chacune d'elles, remontant sur le b o r d ,
laisse
choir au
fond
une
provision d'oeufs à coquilles molles ; chaque tortue en dépose quarante au moins, soixante au plus. Puis, les pieds de derrière renouvellent la besogne de ceux de devant, et l'excavation est bientôt c o m b l é e . Les tortues reprennent alors le chemin de la rivière. A v a n t de quitter les bords vaseux du littoral, citons l'araignée-crabe. repoussant bête
et
« La
création n'offre
de plus
hideux
que
rien de plus cette
Son corps est composé de deux
horrible
parties dis-
tinctes, également couvertes de poils, d'où partent cinq paires de pattes à quatre articulations. L e tout est velu, noirâtre, semblable à une réunion de chenilles. Chaque jambe est armée d'une griffe jaune et crochue. D e la tête sortent deux pinces recourbées en dedans c o m m e celles d'un crabe et qui lui servent à déchirer
296
NOS GRANDES
COLONIES.
sa p r o i e . La toile que tend cette monstrueuse araignée est étroite, mais forte ; elle peut y prendre les plus g r o s insectes. E n dehors de la douleur locale, sa m o r sure cause la fièvre et amène une partie des accidents produits par la dent des reptiles. L e seul contact
de
ses poils occasionne à la peau une brûlure pareille à celle de l'ortie. J'ai pattes étendues, diamètre ( 1 ) .
vu une araignée crabe q u i , les
mesurait près de
huit
pouces
de
»
Jamais pays ne fut peuplé de plus d'insectes que la G u y a n e : le fulgore porte-croix, le fulgore p o r t e - l a n terne, le charançon bleu pointé de dont le n o m
indique
l'habit,
la
noir, l'arlequin, mouche-éléphant,
les moustiques, le pou d'agouti, le ver macaque, le scolopendre, le yule, la chique, la tique, la fourmi m a n i o c , le scorpion, la lucilia hominivore, etc.
Plu-
sieurs de ces bêtes ne sont que désagréables, d'autres sont dangereuses ; le contact
de quelques-unes
est
mortel. Les moustiques, dans certains quartiers, deviennent une vraie calamité ; ils sont si n o m b r e u x q u e , même avec une moustiquaire, on a peine à éviter leurs piqûres. La chique est un petit insecte qui s'introduit entre cuir et chair et y dépose ses œufs ; bientôt toute une famille s'engraisse à vos dépens. La fourmi manioc est un véritable fléau ; elle dévore tous les fruits de la campagne dans leur première v é gétation. P o u r se préserver de leurs ravages, les habitants les nourrissent plutôt que de les chasser, ce qu'ils tenteraient en vain. L e scorpion est é n o r m e , il atteint la taille d'une (1) Bouyer. déjà cité.
LA
écrevisse
297
GUYANE.
; sa piqûre cause rarement la mort ; elle est
accompagnée de douleurs cuisantes, et souvent amène de sérieux
désordres. Quoi qu'en aient dit certains
voyageurs et bon nombre d'auteurs, le scorpion, placé au centre d'un
cercle
de charbons ardents, se tue.
N o u s en avons maintes fois fait l'expérience. La lucilia hominivore
est une mouche ordinaire, qui
n'a ni dard ni venin, et cependant tue aussi certainement que le serpent le plus venimeux. Elle ressemble absolument à la m o u c h e de nos climats connue sous le n o m de mouche à viande. Elle s'introduit narines ou dans l'oreille de l'homme
dans
pendant
sommeil, y dépose ses œufs et se retire. Les
les son
désor-
dres occasionnés par ces milliers de larves qui se d é veloppent
et subissent toutes leurs
transformations
aux abords du cerveau, amènent une m é n i n g o - c é p h a lite qui emporte le malade au bout de quelques j o u r s , après des souffrances atroces. P a r m i les habitants des fleuves, nous ne
citerons
que le piraï, poisson excessivement vorace, servi par une puissante mâchoire garnie
de
dents aiguës et
tranchantes. L e piraï est redoutable,il s'attaque de p r é férence aux
extrémités, et bien des imprudents ont
eu les orteils tranchés. L a g y m n o t e , ou anguille électrique, jouit des mêmes propriétés
que la torpille. Les secousses
électriques
que donne la g y m n o t e sont des plus violentes
et peu-
vent renverser un h o m m e . U n e sorte de raie, porte sur son épine
dorsale un
crochet dont la piqûre est très venimeuse. On r e n contre surtout ce poisson dans le haut O y a p o c k , près de la crique qui lui doit son n o m . Les oiseaux de la G u y a n e sont les mêmes que ceux 9*
298
NOS GRANDES COLONIES.
do l ' A m é r i q u e du S u d , ces privilégiés auxquels nature a prodigué
la
les couleurs les plus riches et les
plus variées. Passereaux de plusieurs espèces : papes, évèques, cardinaux au plumage r o u g e ,
oiseaux-mou-
ches, colibris topazes., émeraudes, fourmillent dans les jardins et dans les bois. Dans les forêts, près
des
rivières et des criques, sont les perroquets, les aras, les toucans, les h o c c o s . Près des pripris et des marais, le secrétaire ou
serpentaire, l'aigrette, l'ibis r o u g e ,
flamand rose ; les petits sines,
puis
échassiers,
le
bécasses, bécas-
toute la famille des canards sauvages, sar-
celles, pluviers. Dans l'intérieur des bois, on
rencontre
aigle, le faucon, le vautour noir, l'urubu et la harpie féroce.
le grand guyanensis
LA
299
GUYANE.
CHAPITRE
XII.
La, déportation. — 18 fructidor. — La transportation. — 1852. — Création et suppression d'établissements. — Les îles du Salut. — L'ilet la Mère. — Saint-Laurent du Maroni. — Les femmes. — Les ménages. — Les enfants. — E v a s i o n s . — Les forçats anthropophages.
L a déportation a été introduite dans la française le 25 septembre 1 7 9 1 . loi, la Convention décréta, le 1
e r
En
législation
vertu de
cette
avril 1 7 9 5 , la d é p o r -
tation de V a d i e r , Barrère, Collot d'Herbois
et
Bil-
laud-Varennes. Les deux premiers s'échappèrent ; les deux autres furent transportés à la G u y a n e et internés sur les rives du Sinnamary. Collot d ' H e r b o i s , déjà malade, affaibli
par la tra-
versée, fut pris de fièvres presque aussitôt son débarquement. Le 8 janvier 1 7 9 0 , on le porta à l'hôpital de Sinnamary ; il y
mourut en
arrivant. Billaud
était
encore en G u y a n e quand les déportés du 18 fructidor y arrivèrent ; depuis lors on a perdu sa trace ; on ne sait au juste s'il obtint sa grâce ou s'il s'évada. D u 18 fructidor au devint
l'arme
de
18 brumaire, la déportation
prédilection du
députés, entre autres M M .
Bailleul,
Directoire.
Les
Boulay (de
la
M e u r t h e ) , Merlin (de D o u a i ) , employaient, pour p r o s crire leurs collègues, la même élégance d'expressions qu'ils auraient mise dans un discours académique : « La déportation, disait M . B o u l a y , doit être désormais le grand m o y e n de salut pour la chose publique. Cette
mesure
est avouée par l'humanité.
»
Puis,
300
NOS GRANDES
COLONIES.
c o m m e tous les pouvoirs faibles sont cruels et d e s p o tiques, le Directoire prétexte
de
proscrivait
sans compter : sous
conspiration contre
la république,
on
déportait en masse des nobles, des gens d'Eglise, des sens de lettres, des artisans. Carnot, Barthélemy,
Tronçon-Ducoudray,
g r u , cinquante-trois députés et cinq cent
Piche-
seize
per-
sonnes appartenant à toutes les classes de la société, se virent nombre furent
condamnés à s'évadèrent ;
dirigés
sur
la déportation.
trois
la
cent
Guyane
Un
trente et
grand
seulement
débarqués
sans
secours, presque sans vivres, sur les bords du S i n n a mary, du K o u r o u et de la Counamana. P a r m i ces prisonniers, il y avait des
coupables,
mais il y avait aussi des v i c t i m e s : on les traita t o u s , sans distinction, c o m m e des criminels. A de R o c h e f o r t , on les entassa
leur départ
dans l'entrepont
navires ; pendant la traversée,
des
ils subirent les souf-
rances de la faim, de la soif, et les duretés de certains officiers
que
des instructions
mal comprises
ren-
daient cruels. « On
nous
refusait, écrit R a m e l ,
les plus
vils
secours, les ustensiles les plus indispensables ; nous, quatre
prisonniers de la
Tronçon-Ducoudray ,
fosse aux
lions ( R a m e l ,
P i c h e g r u , Lavilleheurnois) ,
demandâmes au moins un peu de paille ou
quelque
m o y e n de nous défendre
dans le
roulis
du
« s'écriait
bâtiment :
des «
Ils
le capitaine ; le
meurtrissures se moquent
de
moi,
plancher est trop d o u x
« pour ces brigands ; je voudrais pouvoir faire paver « la place qu'ils o c c u p e n t ( 1 ) . » (1) Journal de Ramel. adjudant général, p. 197.
LA
301
GUYANE.
Débarqués on G u y a n e , ces malheureux, âgés p o u r la plupart, arrachés
brutalement à leurs familles, à
leurs affections, à la vie civilisée, se virent abandonnés sur une terre déserte, à peine nourris et forcés, pour vivre, de se faire b û c h e r o n s , charpentiers,laboureurs. Faut-il s'étonner, après cela, si la mortalité fut grandi; parmi eux ? « Sur trois cent vingt-neuf
'déportés, huit
moururent
pendant la traversée, par suite de privations, do m a u vais traitements ou de maladies contractées pendant une longue et cruelle détention. Trois cent vingt et un a r rivèrent à la G u y a n e dans un état de santé dont on se fera
une idée quand on saura que des
quatre-vingt-
treize déportés qui se trouvaient à bord de la
Charente
au moment o ù elle jeta l'ancre devant ( ' a v e n u e , cinquante-cinq furent de
maladie
débarqués d ' u r g e n c e
pour cause
Si quelque chose doit
surprendre
après tout cela, n'est-ce
pas que la moitié
de ces in-
fortunés aient p u résister si longtemps à un sort si misérable ( 1 ) ? » Aussi, quand, en juillet 1851,1a commission c h a r gée de désigner un lieu de transportation la G u y a n e , ce c h o i x générale;
fut l'objet d'une
quelques journalistes
s'arrêta à
réprobation
ne craignirent pas
d'écrire que faire de Cayenne le centre de la transportation, c'était trouver un moyen honnête de se débarrasser des c o n d a m n é s . E n décidant la création des pénitenciers c o l o n i a u x , le gouvernement obéissait à deux motifs : remplacer par des transportés
les bras que l'émancipation des esclaves
(1) Nouvion, Eu-trait des auteurs qui ont écrit sur la Guyane. p. 33.
302
NOS GRANDES
COLONIES.
venait d'enlever à nos colonies ; et diminuer les charges du b u d g e t ,
tout en améliorant le sort
des
forçats.
« Six mille condamnés renfermés dans nos bagnes de T o u l o n , de Brest et de Rochefort, grèvent notre budget d'une charge é n o r m e , se dépravent de plus en plus et menacent incessamment la société ; il a semblé p o s sible de rendre
la peine des travaux forcés plus effi-
c a c e , plus moralisatrice,
moins dispendieuse, et en
même temps plus h u m a i n e , en l'utilisant aux p r o g r è s de la colonisation française ( 1 ) .
»
L e rapport déposé par la commission n o m m é e pour étudier le projet de loi concluait, ainsi que nous l'avons v u , au choix de la G u y a n e , désignait les îles du Salut c o m m e port d'arrivée et indiquait les quartiers où devaient être crées
des établissements : «
points principaux ont fixé mon
attention,
Deux
disait
le
ministre : 1° la zone connue sous le n o m de quartier de Macouria ; 2° la région de la montagne d ' A r g e n t ( 2 ) . » Pendant que l'on
élaborait le texte de la loi fixant
le mode de transportation, les règlements relatifs régime alimentaire,
au
au c o u c h a g e , au vêtement des
c o n d a m n é s , qui ne devaient plus p o r t e r » la livrée de la honte et de l'infamie » ,
éclatèrent les troubles de
décembre 1 8 5 1 . U n décret-loi du 8 décembre donnait au gouvernement le droit de transporter à la G u y a n e ou en A l g é r i e tout individu placé sous la surveillance de la haute police, en rupture de b a n , ou affilié à une société secrète. L e 27 mars 1 8 5 2 ,
les condamnés subissant leur
(1) Message du Président Je la République à l'Assemblée, — 12 novembre 1850. (2) Rapport du 20 février 1852.
LA
303
GUYANE.
peine dans un bagne de F r a n c e furent
autorises par
décret à se faire diriger sur C a y e n n e . Plus de trois mille forçats
demandèrent à partir.
U n autre décret, en date du 20 août 1 8 5 3 , a u t o risait les colonies à transférer à la G u y a n e les i n d i vidus de races asiatique ou africaine condamnés aux travaux forcés ou à la détention. Enfin, la loi du 3 0 mai 1854 vint réglementer d'une façon
définitive
les
pénitenciers
coloniaux.
Cette
loi, tout en reproduisant la majeure partie des dispositions du décret de 1 8 5 2 , y
apportait
quelques
modifications : elle donnait au gouvernement la f a culté de créer des établissements pénitentiaires dans d'autres colonies que la G u y a n e , et supprimait les travaux forcés pour les individus âgés de plus de soixante ans. L'article V I décidait en outre que tout condamné à une peine inférieure à huit ans serait tenu de résider dans la colonie, après sa libération, pendant un temps égal à la durée de sa peine ; une condamnation de huit années et au-dessus obligeait le
transporté
à
séjourner toute sa vie à la G u y a n e . La durée du temps d'épreuve pour l'obtention d'une concession était
supprimée, mais la concession
ne
pouvait
définitive
la
devenir
qu'à
l'expiration
de
peine. Tels sont les décrets qui réglementent la transportation. Dès le début de 1 8 5 2 , on était prêt à recevoir les transportés ; ils arrivaient aux îles du Salut le 2 mars. C o m m e les convois devaient se succéder à intervalles rapprochés, on se hâta, pour éviter l'encombrement, de créer d'autres établissements. E n octobre 1 8 5 2 , 3 2 0 condamnés étaient installés à
304
NOS GRANDES
COLONIES.
la M o n t a g n e d ' A r g e n t ; six mois plus tard, 105 individus avaient s u c c o m b é aux fièvres
paludéennes.
A u mois d'avril 1 8 5 3 , on établissait 2 5 0
transpor-
tés à S a i n t - G e o r g e s , sur la rive gauche de l ' O y a p o c k , près du confluent du Gabaret ; on voulait créer là une sucrerie d'après les plans laissés par Malouet. U n an s'était à peine écoulé que l'on comptait 102 décès. Les Français évacuèrent Saint-Georges ; ils y furent r e m placés par des noirs transportés qui restèrent jusqu'en 1863,
époque où
cette
station fut
complètement
abandonnée. En 1 8 5 4 et 1 8 5 5 , o n fondait successivement SainteMarie, Saint-Augustin et Saint-Philippe sur les bords de la C o m t é , puis les chantiers
de K o u r o u , B o u r d a ,
Baduel, M o n t - J o l y , Saint-Louis et Saint-Laurent du Maroni. A l'exception de Saint-Laurent, on dut, en de la mortalité, évacuer trois pontons la
Chimère,
raison
tous ces pénitenciers ; les le
Grondeur
et la
Pro-
serpine, ancrés dans la rade de Cayenne, furent r e m placés par une caserne dominant la m e r , exposée
aux
vents alizés et attenant aux Jardins militaires à l'ouest de C a y e n n e . Cependant, en présence de l'insalubrité des établissements
fondés
par
l'autorité
prendre des mesures pour
supérieure, il fallut
éviter l ' e n c o m b r e m e n t
pénitencier ; aussi, en 1 8 6 7 , on décida que
du
les c o n -
damnés arabes seraient seuls désormais dirigés sur la G u y a n e , et on désigna la N o u v e l l e - C a l é d o n i e c o m m e lieu de transportation pour les autres condamnés. Il ne reste plus aujourd'hui
que les îles du Salut,
l'îlot la M è r e , K o u r g u , B a d u e l , Cayenne et SaintLaurent du M a r o n i .
LA
305
GUYANE.
Ainsi que nous l'avons indiqué, les îles du Salut sont situées à
neuf lieues au nord-ouest de C a y e n n e
et à trois lieues en face l'embouchure
du K o u r o u ;
elles se composent de trois îlots ; l'île R o y a l e , l'île du Diable et l'île Saint-Joseph. C'est là qu'est le dépôt du b a g n e , et que débarquent tous les condamnés ; on les classe par catégories .puis ils sont répartis sur une des trois îles et plus tard dirigés sur un des ciers
péniten-
continentaux, c o m m e libérés ou employés aux
travaux publics. L'île R o y a l e est le siège du commandement, là sont les forçats proprement dits ; les récidivistes sont
in-
ternés
du
dans
l'île
Saint-Joseph.
Autrefois
l'île
Diable était réservée aux détenus politiques. L e sol de l'île R o y a l e , assez élevé au-dessus desflots, est rocailleux, accidenté
et
recouvert d'une c o u c h e
d é t e r r e végétale très m i n c e . Quand l'administration en prit possession, elle la fit déboiser complètement : sur sa
surface
restreinte,
on édifia de
nombreuses
constructions : église, baraques pour les condamnés, maisons du commandant et des surveillants, magasins, ateliers ; dans la partie inférieure de l'île, on installa un quai, un dépôt de charbons et des ateliers pour la réparation des navires de l'Etat. Quand tous ces travaux furent terminés, il ne resta plus de place pour le cimetière. C'est donc l'Océan qui est le cimetière des transportés. Quand un détenu meurt, son corps, cousu dans u n e toile à voile lestée avec quelques pierres, est déposé dans un cercueil, le même pour tous : il n'y en a qu'un. La cloche de la petite église tinte le glas funèbre, et une embarcation vient, sur la plage, prendre la bière, qu'elle conduit au large ; arrivé à une certaine distance, le
306
NOS GRANDES COLONIES.
cadavre est retiré et jeté à la mer. A peine a-t-il disparu sous les
flots,
que d'énormes requins, qui ne
manquent jamais de suivre la barque, s'en emparent, se l'arrachent et se disputent ses lambeaux. On prétend, aux îles, que les requins connaissent le son de la cloche et qu'ils ne manquent
pas d'accourir à
son
premier appel. Sur les îles, les transportés travaillent aux routes, déchargent les navires qui approvisionnent le dépôt de charbon de l'État ; ils sont menuisiers, c h a r r o n s , forgerons. L e u r costume se c o m p o s e d'un pantalon et d'une
chemise
de toile
grise ; ils sont coiffés
d'un
énorme chapeau de paille. Sur l'îlot la Mère
est installé l'hôpital ; c'est là
que sont internés les transportés vieux ou infirmes qui ont g a g n é leurs invalides. L e pénitencier agricole de Saint-Laurent est situé sur la rive droite
du
Maroni, à 18 milles de
embouchure ; l'amiral Baudin
choisit
cet
son
endroit
pour y fonder un établissement destiné à l ' a u g m e n t a tion des produits de la colonie, et surtout à la litation du condamné par la famille
Commencés
aussitôt,
les
et par le
travaux
réhabi-
travail.
d'installation
étaient terminés à la fin de 1 8 5 8 . Dans un laps de temps aussi court, on n'avait pu faire que du provisoire ; depuis on a donné aux constructions un caractère définitif, et, instruits par l'expérience, les chefs ont pu diriger les colons dans le choix de
cultures
productives. On
a réuni les concessionnaires
par groupe
de
vingt ; à chacun on a fourni un terrain, des outils pour édifier sa d e m e u r e , des instruments pour cultiver son c h a m p . Chaque propriété rurale a cent mètres de
LA
307
GUYANE.
large sur deux cents de profondeur ; les maisons font face à la route, qui divise en deux parties la c o n c e s sion totale d'un g r o u p e . Le plan des habitations a été fourni par l'Etat : elles sont disposées de façon à ne jamais se faire vis-à-vis. A u j o u r d ' h u i , le pénitencier de Saint-Laurent c o m prend une centaine de maisons, une église, un hôpital, une justice de paix, deux écoles pouvant recevoir cent élèves, deux casernes, un abattoir, et de vastes m a g a sins. A u confluent
de la crique
Saint-Laurent
et
du
M a r o n i , s'élève une briqueterie. Citons encore une bouverie ou ménagerie contenant quelques têtes de g r o s bétail, une scierie m é c a n i q u e , et enfin l'usine à sucre de Saint-Maurice. Des routes de vingt mètres de large
sillonnent le
pénitencier et se développent sur une longueur de 5 0 kilomètres ; elles ont été faites par les concessionnaires riverains. C o m m e on le v o i t , le pénitencier possède tous les éléments matériels nécessaires à la vie. Ces
résultats
obtenus,
on songea
à
compléter
l'œuvre moralisatrice de l'amiral B a u d i n , à créer une famille à c e u x qui voudraient peupler leur
solitude.
A cet effet, on fit venir de Francs 34 détenues r e c r u tées
dans
les
fin de 1 8 5 9 .
maisons centrales ; elles arrivèrent à la Ce premier essai
ne fut pas heureux ;
sept mois après, 19 seulement avaient résisté au c l i mat. En 1 8 6 1 , on amena un nouveau convoi ; les n o u velles
venues, choisies parmi des femmes de constitu-
tion plus robuste, résistèrent mieux. Toutes
furent
alliées à des transportés ; après un certain temps on n'avait que 6 naissances à enregistrer.
308
NOS GRANDES
COLONIES.
L e condamné qui désire se marier, doit justifier de la possession d'une maison habitable et de deux h e c tares de terres bien cultivées. L ' E t a t
fournit à la
femme un trousseau c o m p l e t , une dot de deux
cents
francs et soutient le nouveau ménage pendant
trois
ans. V o y o n s maintenant quels résultats ont donné ces mariages. Beaucoup
de
femmes sont stériles ; on ne
attribuer c e fait qu'au climat de la G u y a n e
peut
qui agit
puissamment sur l'organisme de l'Européenne, l'affaiblit et modifie sa constitution ; en F r a n c e , ces
mêmes
femmes étaient fécondes, puisqu'elles ont presque toutes été condamnées pour infanticide. Leur conduite, sans être absolument mauvaise, n'est cependant pas exempte de reproches ; elles sont en butte aux obsessions continuelles
d'un millier
d'individus,
soldats, libérés,
transportés, etc. ; faut-il s'étonner si beaucoup succombent? A de bien rares exceptions près, les hommes sont tous adonnés à l'ivrognerie ; ils abusent du rhum, et beaucoup
sont alcooliques.
Quels enfants ont pu naître de pareilles alliances ? N ' e n déplaise à certains auteurs qui nous représentent les fils de transportés c o m m e des enfants bien constitués, destinés à peupler la G u y a n e d'une génération de travailleurs robustes et laborieux, ces enfants sont pour la plupart chétifs, malingres et rachitiques ; s'ils tiraient au sort, les garçons seraient réformés pour insuffisance de taille ou faiblesse de constitution. D ' u n père usé par le travail, le vice et les privations ; d'une mère affaiblie par la détention, anémiée par le climat, pouvait-on espérer voir naître des hommes vigoureux ?
LA
Leurs
qualités
exemples qu'ils
309
GUYANE.
morales
sont
étouffées
les
par
ont devant les y e u x ; les garçons se
livrent à l'ivrognerie et les filles sont perdues dès l ' e n fance. On se demande quel sort est réservé dans aux fils des transportés. Sont-ils
l'avenir
destinés à passer
leur existence dans la colonie où ils sont nés,
et où
leur père était forçat ? Viendront-ils en France ? Qui les y recevrait : ne sont-ce pas des fils de condamnés ? Qu'y viendraient-ils faire, sinon grossir le chiffre
de
la population qui fournit au bagne et à la transportation son principal élément ? N o n , ces enfants ne sont pas les citoyens de demain ; peut-être, s'ils font souche, leurs fils donneront-ils le jour à une
lignée
d'hommes sobres, honnêtes, laborieux, qui feront la fortune de notre c o l o n i e ; mais, qu'on ne l'oublie pas, on ne colonise pas avec des c o n v i c t s , ni avec leurs fils : il faut plus d'une génération
p o u r refaire un
sang
vicié et moraliser la descendance d'un bandit allié à une voleuse ou à une fille perdue. L'effectif, à la G u y a n e , comprend 3.430 transportés de différentes catégories. HOMMES.
Condamnés aux travaux forcés : —
à la réclusion :
Libérés astreints à la
Européens, Arabes,
450 1.242
Créoles,
452
Créoles,
85
Européens, 534 résidence : 322 Arabes, Créoles,
203 3.288
3 10
NOS GRANDES COLONIES.
FEMMES.
Condamnées aux travaux forcés :
— à la réclusion :
— à l'emprisonnement
Européennes,
45
Arabes, Créoles,
13 13
Européennes;
4
Créoles,
4
Européennes,
5
Européennes, Libérées :
44
Arabes,
2
Créoles,
12 142
Sous le nom de créoles on c o m p r e n d
les noirs
et
les individus de race asiatique. L e b u d g e t de la transportation s'est élevé en 1 8 8 3 , à la G u y a n e , à 2 . 0 7 6 . 3 4 6 francs ; il faut y ajouter les frais d'entretien de la garnison et c e u x de transport des
condamnés.
On
peut
estimer
m o y e n n e le prix de transport d'un 830
fr.
son
à
2 5 0 fr.
condamné,
revient annuel (sans compter
la
en
et à gar-
nison) ( 1 ) . U n e loi
récemment votée
vient
de
désigner la
G u y a n e c o m m e lieu de transportation pour les récidivistes ; cette loi
n'a
pas encore reçu de c o m m e n c e -
ment d'exécution. (1) Notice statistique sur les colonies françaises. marine, p. 283.
Ministère de la
LA
311
GUYANE.
Peut-on parler de bagnes et de pénitenciers évoquer aussitôt l'idée d'évasion? En effet,
sans
les éva-
sions sont nombreuses. Elles se font simplement : le condamné trouve m o y e n de franchir le Maroni, aborde sur la rive hollandaise, et le voilà sauvé.
Cependant
les histoires d'évasions curieuses ne manquent
pas à
la G u y a n e , depuis celle de ce forçat qui tenta de s'enfuir en transformant en chaloupe le cercueil qui sert à p o r t e r i e s cadavres des condamnés dans l'Océan, j u s qu'à celle du fameux
Gâtebourse qui fut, d i t - o n , en-
lizé dans une tourbière et dévoré vivant par les araignées-crabes. Nous ne raconterons qu'un fait de ce genre, connu à Cayenne sous le n o m d'histoire des forçats
anthropo-
phages :
H u i t forçats s'évadèrent du pénitencier de la Comté le 16 décembre 1 8 5 5 , et six autres le
29 du m ê m e
mois. La première bande, remontant le cours de la C o m t é , s'avança dans l'intérieur. de
marche
forcée ,
Brisés par plusieurs
par
les privations
jours
de toutes
sortes, deux des fugitifs étaient restés en arrière, se demandant s'il ne valait pas mieux rentrer au p é n i tencier et subir le châtiment habituel, que de persister dans une tentative manque
de
rendue impraticable
provisions. Ils
réflexions, quand
un des hommes de
apparut, haletant,
par
en étaient là de
le
leurs
l'avant-garde
épouvanté, et leur annonça
que
trois des évadés venaient d'assassiner un de leurs c o m pagnons : il l'avait
vu é g o r g e r ,
dépecer ; les l a m -
beaux saignants de la victime avaient été triés, les uns pour être
m a n g é s , les
autres
Après ce récit, il demanda à ses
pour
être
enfouis.
auditeurs
terrifiés
312
NOS GRANDES COLONIES.
de se joindre à lui et de faire cause c o m m u n e les cannibales. Mais quand ces monstres
contre
arrivèrent,
telle était l'influence qu'ils exerçaient sur leurs c o m pagnons, que ceux-ci dans leurs
non
préparatifs, mais
l'épouvantable
festin. La
seulement
les aidèrent
encore prirent
part à
nuit ils s'enfuirent ; deux
d'entre eux parvinrent au pénitencier
pour raconter
les faits dont ils avaient été témoins : le troisième disparut, on ne sut jamais ce qu'il était devenu. Les six évadés du 29 d é c e m b r e , trouvant la piste de la première bande, se mirent à sa recherche et la rejoignirent le 4 j a n v i e r 1 8 5 6 , près des sources de la C o m t é . A leur
tête se trouvait un
nommé
Raissé-
g u i e r , qui remplissait au pénitencier l'office de bourreau, h o m m e d'une
énergie et
d'une vigueur
peu
c o m m u n e s ; ses c o m p a g n o n s étaient deux Français et trois A r a b e s . Aussitôt réunis, les h o m m e s de la première proposèrent à Raisséguier de s'entendre
bande
avec
eux
pour tuer et m a n g e r les trois A r a b e s . A cette p r o p o sition l'ancien justicier bondit d'indignation et déclara que, loin de prêter son concours à
une action
aussi
monstrueuse, il défendrait ses camarades au péril de sa vie. Malheureusement, les deux Français goûtaient fort l'horrible proposition de leurs nouveaux c o m p a g n o n s , et la mort de Raisséguier fut d é c i d é e d'un
commun
accord. A dix heures du soir, pendant son sommeil, il est attaqué, reçoit un c o u p
de couteau à la g o r g e ,
c o u p de sabre à la tête, et un c o u p de bâton lui le bras droit. Réunissant tout ce
un
brise
qui lui reste de
forces, il renverse les assassins qui
l'étreignent et
313
LA. GUYANE.
prend la fuite. La nuit était noire ; Raisséguier, c o u rant droit devant lui, roule au fond d'un ravin profond : cette chute le dérobe aux
recherches des ennemis
lancés à sa poursuite. L e lendemain, à l'aube,
il se
traîne au bord de la rivière et voit s'avancer dans le courant un de ces amas flottants d'arbres, de branches et de lianes que les cours d'eau
conduisent
périodi-
quement à l ' O c é a n . S'aidant du bras resté valide, il se hisse sur un arbre à demi déraciné, et de là laisse choir sur le radeau qui,
se
suivant sa route, le
conduit dans la soirée à l'habitation Bellane. Là on le r a n i m e , on lui donne les premiers
soins,
puis on le ramène au p é n i t e n c i e r . G r â c e aux indications de Raisséguier, les troupes envoyées à la poursuite des cannibales les arrêtèrent au moment où ils dévoraient un de leurs camarades. Ils avaient fait griller la l a n g u e , le foie, les chairs des deux j a m b e s et des deux bras de leur victime. D e ces quatorze évadés,
deux ont été m a n g é s
et
deux ont disparu. Les trois principaux coupables ont été
exécutés au
pénitencier de
Sainte-Marie ;
les
autres ont été condamnés à diverses peines. Prenant en considération le c o u r a g e et dont Raisséguier avait fait preuve,
l'énergie
l'administration
lui fit remise de la peine qu'il avait e n c o u r u e .
NOS
GRANDES
COLONIES.
9**
APPENDICE
LA
CHAPITRE LA
Gouvernement
et
317
MARTINIQUE.
IV.
MARTINIQUE.
administration.
que est représentée en
— La M a r t i n i -
F r a n c e par un
sénateur
et
deux députés. L'administration est confiée à un gouverneur. D e u x chefs d'administration, le directeur de l'intérieur et le procureur général, dirigent
la plus grande partie des
services. Des chefs de service sont chargés en outre des
diverses branches
de l'administration sous
les
ordres du g o u v e r n e u r . L e Conseil général est composé de 36 membres élus par le suffrage universel. Les
cantons de F o r t - d e -
France, du M a r i n , d u F o r t - S a i n t - P i e r r e , lage-Saint-Pierre , chacun
de
la
4 conseillers ; le
6 conseillers ; celui du
du
Basse-Pointe , canton de
Mouil-
nomment
la Trinité élit
Saint-Esprit, 5 ; celui
du
Lamentin, 3, et celui du Diamant, 2. Justice.
— Les différentes juridictions
sont o r g a -
nisées c o m m e suit : Cour d'appel. — 1 procureur général, 1 premier substitut, 1 deuxième substitut, 1 président, 7 c o n seillers, 1 conseiller auditeur, .1 greffier en chef. Tribunal de Fort-de-France
(2
classe).
e
— 1 prési-
dent, 1 j u g e d'instruction, 2 juges, 1 procureur de la république, 1 substitut, 1 greffier. Tribunal
de Saint-Pierre
(l
r e
classe).
—
1
prési-
318
NOS GRANDES COLONIES.
dent, 1 j u g e d'instruction, 2 jugea, 1 procureur
de la
république, 1 premier substitut, 1 deuxième substitut, 1 greffier. Justice de paix.
— N e u f juges
de paix rendent la
justice dans les cantons. Cour d'assises.
— La cour d'assises siège à Saint-
Pierre. Les règles qui p r é s i d e n t e sa formation et à la composition de la liste des jurés sont les mêmes qu'en France. Les avoués sont nommés par le g o u v e r n e u r
et a p -
prouvés par le ministre ; les huissiers sont nommés par le gouverneur. Les
notaires sont nommes par décrets : les c o n d i -
tions d'âge et d'aptitudes sont les mêmes qu'en France. Instruction
publique.
- Le service
de l'enseigne-
ment est placé sous l'autorité d'un vice-recteur. Depuis la fin de l'année
1 8 8 1 , l'enseignement p r i -
maire, autrefois confié aux Frères les garçons, et aux Sœurs de
de Ploërmel pour
Saint-Joseph, p o u r les
filles, a été laïcisé ; 60 instituteurs non congréganistes ont été envoyés dans la colonie au début de l'année 1882. U n e école normale pour les hommes et
une
pour
les femmes ont été créées pour former des instituteurs et des institutrices. Par décision locale du 6
décembre 1 8 8 0 , le sémi-
naire-collège OÙ était donnée l'instruction secondaire a été remplacé par un c o l l è g e , érigé
le 2 mai 1881 en
lycée de 2 classe. e
L'enseignement supérieur n'existe qu'en ce qui c o n cerne l'étude du droit ; une école préparatoire
à cet
enseignement a été créée par décret du 20 janvier 1 8 8 3 .
319
APPENDICE.
Enfin, l'enseignement professionnel est représenté par une école des arts et métiers, établie à F o r t - d e France, et placée sous la direction du chef du service de l'artillerie. Culte. — L e culte est placé sous la direction d'un évêque dont le siège est à S a i n t - P i e r r e . Les paroisses de la colonie sont desservies par 2 vicaires généraux et 7 t prêtres. — L a Martinique
Service postal.
est reliée à la
métropole par des services français et anglais. L e service français est fait par la Compagnie g é n é rale transatlantique, qui fait partir chaque mois deux paquebots de Saint-Nazaire et un de B o r d e a u x . départs de Saint-Nazaire
Les
ont lieu le 5 et le 20 de
chaque mois, et de Bordeaux le 2 5 . L e service anglais part de Southampton le 1
e r
et le
16 de chaque mois. Services financiers.
— Les services financiers de la
Martinique sont répartis entre le budget
de l'Etat
et le budget local. Sur les 2 4 . 0 0 0 . 0 0 0 fr. applicables aux colonies, 2.526.000
sont appliqués à la Martini-
que. A ces dépenses il faut ajouter la solde des t r o u pes,
leur passage
et celui d'un certain
nombre de
fonctionnaires. L e b u d g e t local s'est élevé, en recettes et dépenses pour l'année 1 8 8 3 , à 4.036.265 fr. Etablissements ral des
de crédit. —
escomptes, prêts
la banque pendant
L e mouvement g é n é -
et avances
consentis
l'exercice 1 8 8 1 - 1 8 8 2 ,
par
s'élève
à
2 7 . 0 8 7 . 3 9 1 fr. 19 c. Les bénéfices encaissés, déduction
faite des prélè-
320
NOS GRANDES
COLONIES.
vements statutaires, ont permis de distribuer un dividende de 74 fr. 95 c . , s o i t 1 4 , 9 9 O/O du capital social. Services
militaires.
— La
garnison se compose de
6 compagnies d'infanterie
de
d'artillerie, une c o m p a g n i e
de gendarmerie
c o m p a g n i e disciplinaire.
marine, une
batterie et
une
321
APPENDICE.
C H A P I T R E V. LA
Gouvernement
GUADELOUPE.
et administration.
—
La
Guade-
loupe est représentée par un sénateur et deux députés. L e Conseil général est composé de 36
membres
élus par le suffrage universel. Les cantons de la Basse-Terre, de la Capesterre, du Lamentin, du Moule et de Marie-Galante
élisent
chacun 4 conseillers : celui de la Pointe-à-Pitre en élit 8 ; celui du
P o r t - L o u i s , 3 ; celui de la P o i n t e -
Noire, 2 ; et ceux de Saint-François, tin et de Saint-Barthélemy,
de Saint-Mar-
1. La commission c o l o -
niale est composée de 7 membres. Le service de rémigration est représenté par un protecteur
d'émigration
inspecteurs et
chef du service, par deux
un certain nombre de
syndics. U n
comité d'émigration est chargé de surveiller le bon fonctionnement de ce service. Les dépenses de l'émigration
figurent
au
budget
pour une
somme de
4 9 5 , 0 0 0 francs. La police générale est représentée par des c o m m i s saires de police cantonaux et coûte environ 1 0 5 , 0 0 0 fr. Justice. — L'organisation judiciaire de la colonie comprenait, au début, un Conseil supérieur, j u r i d i c tion d'appel, et des sénéchaussées chargées de j u g e r en première instance les procès, tant civils que c r i -
322
N o s GRANDES COLONIES.
minois.
Cette
organisation fut maintenue
jusqu'en
1828. L ' o r d o n n a n c e du 2 1 septembre 1 8 2 8 , puis le d é cret du 16 août 1 8 5 4 , modifieront profondément cet ordre de choses, on décidant que la justice serait a d ministrée par des tribunaux de p a i x , des tribunaux de première instance, une cour royale et des cours d'assises. L e décret du 16 août
1 8 5 4 et les décrets subsé-
quents du 31 août 1 8 7 8 et du 8 janvier 1 8 7 9 ont fixé ainsi qu'il suit la composition de la cour et d e s tribunaux : —
Cour d'appel.
1
procureur général, 1 premier
substitut, 1 deuxième substitut, 1 président, 7 conseillers, 1 conseiller
auditeur, 1 greffier en chef.
Tribunal de la Basse-Terre. d'instruction,
— 1 président, 1 j u g e
l j u g e , 1 procureur de le République,
1 substitut, 1 greffier. Tribunal
de
—
la Pointe-à-Pitre.
1 président, 1
juge d'instruction, 2 j u g e s , 1 procureur d e la R é p u blique, 2 substituts, 1 greffier. Tribunal
de Marie-Galante.
—
1
juge-président,
1 lieutenant de j u g e , 1 procureur de la R é p u b l i q u e , 1 greffier. Tribunaux
—
de Saint-Barthélemy
et de
Suint-Martin.
1 juge-président, 1 commissaire d u gouvernement,
1 greffier. N e u f justices de paix
rendent
la justice dans les
différents cantons de l'île. Cour d'assises. — L'organisation de la justice c r i m i nelle a subi en 1 8 8 0 une profonde modification ; la loi
APPENDICE.
323
du 27 juillet 1 8 8 0 a institué le j u r y dans la colonie. Elle a supprimé la cour d'assises de la Basse-Terre pour transporter à la P o i n t e - à - P i t r e le siège de la juridiction criminelle. L e s règles qui président à la formation de la liste annuelle et de la liste de j u g e m e n t sont les mêmes qu'en France. L'ordonnance de 1 8 2 8 a organisé, auprès de la cour et des t r i b u n a u x , des huissiers. Quant au notariat, il est réglé par le décret du 14 j u i n 1 8 6 4 . Instruction publique.— Le directeur de l'intérieur remplit les fonctions de recteur et d i r i g e le service de l'instruction publique. L'enseignement primaire, à part l'école de la BasseTerre, est confié aux Frères des Écoles chrétiennes pour les g a r ç o n s , et aux Sœurs de Saint Joseph de Cluny pour les filles. Dans la dépendance de SaintMartin, les écoles sont dirigées par des laïques. Les écoles sont surveillées par deux inspecteurs primaires. Elles reçoivent 1 1 . 6 6 7 enfants. Jusqu'à ce jour , l'instruction secondaire n'était donnée que dans un collège diocésain dirigé par les Frères du Saint-Esprit ; la création d'un Lycée a été récemment décidée. Cultes.
— L a colonie est administrée par un é v ê -
que ; le siège épiscopal est à la Basse-Terre. Deux pasteurs protestants assurent le service du culte à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Service postal. — Les départs ont lieu aux mêmes ports et aux mêmes dates que pour la Martinique ; le service postal est régi par les mêmes règlements q u e dans la métropole.
324 Finances.
NOS
GRANDES
COLONIES.
— L e service financier de la Guadeloupe
est alimente par deux budgets : l ° l e b u d g e t de l'Etat, dans lequel la colonie
figure
pour
une somme de
2 . 2 6 5 . 1 4 8 fr., non compris les dépenses de solde et de frais de passage de la garnison : 2° le budget se soldant
en recettes
et
dépenses
pour
local, 1883 à
4 . 5 7 4 . 2 1 3 fr. Etablissements
de crédit.
de prêt et d'escompte
— L e total des opérations réalisées pendant
l'exercice
1 8 8 1 - 8 2 par la banque de la Guadeloupe s'élève
au
chiffre de 16. 5 3 5 . 3 5 4 fr. 97. Les bénéfices réalisés, déduction faite des prélèvements statutaires, ont donné un dividende de 77 fr. 5 0 0[0 par action, soit 15 fr. 5 0 0[0 du capital social. Service militaire.
— La garnison est composée de
cinq compagnies d'infanterie de marine, d'une
bat-
terie d'artillerie, de la c o m p a g n i e de discipline
de la
marine et d'une c o m p a g n i e de gendarmerie.
325
APPENDICE,
CHAPITRE LA
Gouvernement
représentée
XIII.
GUYANE.
et administration.
—
L a G u y a n e est
en F r a n c e par un député.
L e c o m m a n d e m e n t et la haute administration de la colonie appartiennent au gouverneur. Il est assisté de deux chefs d'administration : le directeur de l ' i n térieur et le procureur g é n é r a l . L'officier le plus élevé en grade a le c o m m a n d e m e n t des troupes. Le chef du service administratif, celui du service de santé et l'inspecteur des services administratifs font partie du conseil privé,ainsi que le directeur de la transportation. L e Conseil général se c o m p o s e de 16 membres élus par le suffrage universel ; l'élection des conseillers généraux a lieu par circonscription. L a première, comprenant les communes d ' O y a p o c k , A p p r o u a g u e et K a w , ainsi que la troisième comprenant T o n n e grande, M o n t r i n é r y et M a c o u r i a , nomment chacune deux conseillers. L a deuxième circonscription, c o m prenant le Tour de l'Isle, l'île de Cayenne et R o u r a , nomme trois conseillers : la quatrième : K o u r o u et Sinnamary, et la cinquième : Iracoubo et Mana. élisent chacune un conseiller. La sixième circonscription, ville de C a y e n n e , en n o m m e sept. Justice.
— L e service de la justice est organisé de
la manière suivante : NOS GRANDES
COLONIES
10
326
NOS GRANDES
Cour d'appel.
COLONIES.
— 1 président, 3 conseillers, 1 c o n -
seiller auditeur, 1 procureur général, chef de service judiciaire, 1 substitut, 1 greffier. Tribunal
de première
instance.
— 1 j u g e président,
1 procureur de la République, 1 lieutenant de j u g e , 1 substitut, 2 j u g e s suppléants, 1 greffier. Justice de paix.
— L a justice est rendue dans les
quartiers par huit j u g e s de paix. Justice
criminelle.
—
U n e cour
d'assises
siège à
C a y e n n e ; elle est c o m p o s é e de 3 membres de la c o u r , et de 4 assesseurs tirés au sort sur une liste dressée par le gouverneur en conseil privé, et approuvée par décret. Instruction
publique.
— L'enseignement
primaire
est gratuit ; il est confié aux Frères de Ploërmel p o u r les g a r ç o n s , et aux Soeurs de Saint-Joseph de Cluny pour les filles. L e s six écoles de la colonie reçoivent 1.188 enfants. L ' e n s e i g n e m e n t secondaire, laïcisé par arrêté local du 7 février 1 8 8 2 , est donné par un personnel détaché de l'Université de F r a n c e . L a colonie entretient dans les lycées de la m é t r o pole
deux boursiers et six demi-boursiers ;
deux
bourses sont en outre données dans les écoles des arts et métiers de F r a n c e , et une bourse dans une école vétérinaire. Culte. —
Le service du culte est placé sous la d i -
rection d'un préfet apostolique. Service
postal
et télégraphique.
— La
Guyane
est
reliée à la F r a n c e par des services anglais et français. Depuis 1 8 6 5 , les relations de la colonie avec
la
327
APPENDICE.
métropole sont assurées au
moyen
d'un service de
bateaux à vapeur français confié à la C o m p a g n i e transatlantique. U n e fois par mois, et coïncidant a v e c le passage à F o r t - d e - F r a n c e (Martinique)
des
grands
paquebots qui vont de Saint-Nazaire à Colon ( A s p i n wall), au fond du golfe de Honduras, un vapeur de la C o m p a g n i e dessert, entre F o r t - d e - F r a n c e et C a y e n n e , une ligne
dont
les escales sont
Trinité, Démérara ( G u y a n e
Sainte-Lucie,
anglaise)
et
la
Surinam.
Ce courrier est attendu à Cayenne le 28 de chaque mois,
a v e c les passagers et
les dépêches pris soit
le 6 à Saint-Xazaire, soit le 21 à F o r t - d e - F r a n c e . S o n départ est fixé au 3 du mois suivant, et le 9 il doit être de retour à la Martinique pour effectuer le transbordement des provenances de la ligne intercoloniale sur le grand paquebot qui part le lendemain,
10,
pour Saint-Nazaire, o ù il doit être rendu le 2 4 . L a G u y a n e a encore une autre occasion
mensuelle
pour entretenir des relations avec l ' E u r o p e , g r â c e à une série de combinaisons qui la mettent en c o m m u nication avec le paquebot anglais partant, le 17 de chaque m o i s , de Southampton pour Saint-Thomas. Services financiers.
— Les recettes et les dépenses
de la colonie sont réparties entre le b u d g e t de l'Etat et le b u d g e t local. L e budget de la marine et
des colonies (service
colonial) c o m p r e n d , sur une dépense de
24.000.000,
déduction faite des services pénitentiaires, une somme de 2 . 2 6 5 . 0 0 0 fr., à laquelle il faut ajouter la solde de la garnison, les frais de passage de celle-ci et d'un
cer-
tain nombre
sont
de
fonctionnaires.
Ces dépenses
payées par le budget de la marine.
NOS GRANDES
328
COLONIES.
L e budget local s'est é l e v é , pour l'année 1 8 8 3 , en recettes et dépenses, à 1 . 6 4 2 . 3 3 1 fr. Les contributions directes figurent pour une somme de 1 1 1 . 8 3 6 f r . , et les contributions indirectes p o u r 1.312.140 fr. Etablissements
de crédit. —
des opérations d'escompte
Le m o u v e m e n t g é n é r a l
et de prêts consentis par
la Banque de la G u y a n e s'est élevé, pour
l'exercice
1 8 8 1 - 1 8 8 2 , à 3 . 4 9 3 . 2 4 3 . fr. 7 0 c . Les bénéfices réalisés, déduction faite des p r é l è v e ments statutaires, ont donné 81 fr. 05 par action, soit 1 6 . 2 1 7 % du capital social. Services
militaires.
—
L a garnison
est c o m p o s é e
de six compagnies d'infanterie de marine, une d e m i batterie d'artillerie merie coloniale.
et d'un détachement de g e n d a r -
FABLE CRÉOLE LEs
FEMMES
ET
LE
SECRET.
Pas ni e n g n i e n qui Ka p e s é Corn yon parole ou doué g a r d é . Y o d i t n é g r e s s e faibe côté l à , Ça voué ; mais poutant pou p a l e , Y o pas faibe passé femme béké. E t moin Kalé fé zolt voué ç a . Y o n j o u té n i yon n é g o c i a n t , (Moins ka pale zott gens l o n g - t e m p s , F a u t p a s pessonne p r e n d ça pou yo), Q u i té v l é voué en badinant Si femme li té ainein c a n c a n . . . . S i m o u c h e - à - m i e l a i m e i n sirop!... Dans la nuit, quand y o té c o u c h é , N h o m m e là c o u m e n c é ka c r i é , f e m m e l à l e v é , — « Pas dit pessonne, N h o m m e l à dit l i , ça qui rivé, G a d é , m a c h è , t e i n ' m i yon zé T o u t à - l h è nhomme ou sôti p o n n e . » I faudrait femme té p l i savant P a s s é yo yé, pou v o u é , la
dans
Yon chose com ça, yon cabonia. Tala
dit : « Moin k a fè sément
Pas dit. Ou pé ba moin boucan Si moin palé quequin de ça. »
330
NOS GRANDES
COLONIES.
Pas m o i n s , ani li té levé, F e m m e pas ni engnien pli pressé, Allé la case m a c o u m è l i , l'on conté ça qui té rivé : Dit nhomme li té ponne yon gros z é , S o u l a g é khè li et pati.
Ma coumè là té fè sèment Pas pale ça pou yon v i v a n t . Mais, ani femme là té pati, Li conté ça pou toutt parent. Pou toutt zami li. A présent. A u lié li dit yon zé, dit dix.
A la fin la j o u n e i n , n'homme là Té ponno yon pagnien samboura. Chose yo ka pale, ka longé : Y o n n e dit li té ponne zé lé/.a. Lautt zé codeinne. lautt zé cana : Té tini toutt sôte qualité
F e m m e là ranne n h o m m e li malhéré. Làdans zoreille n è g ça tombé ; Ça té fini ! pas ni pessonne Qui de ça pas tanne y o pale. Et toutt ti mamaille pouend chanté : C'est yon zé codeinne n h o m m e là p o n n e ! . .
Quand zott ni q u e chose pou pale, Fè attention ça qu'a conté, Si zott pas vlé toutt moune save li. Zott save toutt moune aimein causé, c'est pou ça i faut pas blié Zoreille pas tini couvèti.
APPENDICE.
Nos
lecteurs
européens n'ont peut-être pas
331 pris
grand g o û t à ce petit chef-d'œuvre, qu'ils ne peuvent apprécier;mais nous n'écrivons pas pour eux seuls, et c o m m e le livre de Mai-bot est devenu fort rare, nous sommes bien certain d'avoir t'ait plaisir à celles de nos jolies compatriotes qui n'ont pas oublié le doux parler de notre enfance.
BIBLIOGRAPHIE
LES
ANTILLES.
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334
APPENDICE.
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Basse-
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—
L e s Colonies
çaises, depuis l'abolition de l'esclavage.
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1858, P . Dupont, in-8°. A B u d a n . — L a Guadeloupe pittoresque — Paris, 1863, Noblet et B a u d r y . gr. in-fol. E. M a r r o t . —
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Saint-Martin
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Saint-Barthélemy.
L'Explorateur, 1877. P a r d o n . — L a Martinique depuis sa découverte j u s q u ' à nos jours. — Paris, 1877, Challamel, in-8°. X...
— Histoire des Colonies françaises. — T o u r s , 1877, Maine,
in-8°.
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NOS GRANDES
335
COLONIES.
L . L a n I E R . — Choix de lectures d e g é o g r a p h i e . — Paris, 1883. Eugène B e l i n , i n - 1 2 . S . H a i r i g o t . — Brochures teurs;
d i v e r s e s : Lettre
aux
La Vérité sur le travail aux Colonies,
Plan-
etc.
R o s e m o n d d e B e a u v a l l o n . — G e o r g e s Audran (suite de la Charmeuse), roman de m œ u r s coloniales. — Pointe-à-Pitre, 1883, imprimerie du Courrier de la Guadeloupe. G E O R G E S H a u r i g o t . — D o c u m e n t s personnels inédits.— Ces notes ont été prises par nous pendant notre séjour à la Guadeloupe et à la .Martinique, et complétées par nos parents et nos amis q u i habitent encore ces colonies.
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Relation de ce qui s'est passe dans les îles et terres fermes de l'Amérique pendant la dernière guerre avec l'Angleterre et depuis, en exécution du traité de Bréda, a v e c un journal du s de la Barre e n la terre ferme, et l'ile de Cayenne.— Paris, 2 vol. in-12, 1671. r
P. B a R R è r e . — Nouvelle relation de la France équinoxiale. — Paris, in-12, 1743.
338
NOS
GRANDES
COLONIES.
GUISAN. — Traité sur les terres noyées de la Guyane appelées c o m m u n é m e n t terres b a s s e s . — Cayenne, in-8", 1788. Malouet.
— Mémoires et correspondances
sur l'admi-
nistration des colonies.—Paris,Baudion, 1817 in-8°. R a m e l . — Journal de R a m e l , Londres, in-8°, 1799.
adjudant
général.
—
RAMEL. — A n e c d o t e s secrètes s u r le 1 8 fructidor (suite du précédent.) — Paris, sans date, 1 v o l . i n - 8 . J
A. SENEZ. —. Notice historique sur les établissements faits dans la Guyane. — Cayenne, in-8°, 1821. D e L a r u e . — Histoire du 18 fructidor. — Paris, in-8°, 1821. B a r B É - M a R B O I S . — Journal d'un déporté nonjugé. Paris, in-8°, 1835.
M i n i s t è r e d e l a m a r i n e . — Précis sur la colonisation des bords de la Mana. — Paris, in-8°, 1 8 3 5 . M i n i s t è r e d e l a M a r i n e . — Précis historique de l'expédition de Kourou. — Paris, in-8°, 1812. T h e b a u l t d e l a M o n d e r i e . — V o y a g e s faits dans l'intérieur de l'Oyapock de 1811) à 1817. — Nantes, in-8°, 1856. T e r n a u x - C o m p a n s . — Notice historique sur la Guyane française. — Paris, Didot, in-8°, 1843. J. Du v a l . — L e s colonies et la politique coloniale. Bertrand, in-8", 1860. D e MONTEZON. — Mission de Cayenne française. — J u l i e n Lanier, in-12,
et de la Guyane 1857.
LOUBÈRB. — Situation économique de la Guyane çaise en 1871. — J u l i e n Lanier, in-12, 1875. DURAND. — La Guyane Lanier, in-1 2, 1S77.
française
et le Brésil. —
S a g o t . — A g r i c u l t u r e de la Guyane Lanier, in-8°, 1874
—
française.
franJulien
—Julien
339
APPENDICE. SAGOT.
—
Généralités
sur la
Guyane
française.
—
Cluny, in-8°, 1874. D E S A I N T - Q U A N T I N . — Introduction à l'histoire de la Guyane française, suivie de contes et fables en c r é o l e . — Antibes, in-32, 4 872. M O U R I É . — La Guyane
française. — Paris,
P. Dupont,
in-12, 1874. C O U Y . — Renseignements
sur la navigation des
et des rivières de la Guyane. —
côtes
Paris, P. Dupont,
in-12, 1865. J . C R E V A U X . — V o y a g e s dans l ' A m é r i q u e Paris, Hachette, in-4°, 1883.
du S u d . —
J U L E S DE C R I S E N O Y . — De Rochefort à Cayenne, scènes de la vie marine. — Paris, in-8°, 1863. H. F E N I N G R E . — Guyane française. BOUYER. — G u y a n e
française,
- Lille, in-8°, 1864.
notes et souvenirs. —
Paris, Hachette, in-4°, 1867. A N G L A V E . — L e s coolies
indiens
et les nègres
G u y a n e française. — R e v u e scientifique,
à la
14 février
1880. D
r
A R M A N D . — La Guyane française et ses produits forestiers. — La N a t u r e , septembre 1880.
A R R A I N V I L L E . — Statistique agricole et commerciale de la G u y a n e . — Revue maritime et coloniale. — 1876, tome X L I X . B A R V A U X . — L'or à la G u y a n e française. — R e v u e maritime et coloniale, mai 1873. CHABAUD ARMAND. —
La Guyane française
et la pro-
vince du Para. — R e v u e maritime et coloniale, mai 1876, t. L. M O R I T Z . — La colonie pénitentiaire de Saint-Laurent du Maroni. — Revue maritime et coloniale,
mai 1880,
t. L X V I . SAGOT.
—
Exploitation
des forêts de la Guyane.
—
R e v u e maritime et coloniale, a o û t - s e p t e m b r e - o c t o bre 1869.
340
NOS GRANDES
VIDAL..
COLONIES.
— V o y a g e d'exploration dans
le haut Maroni-
— R e v u e maritime et coloniale, 1862. X.
— Statistique de la G u y a n e . —
Revue
maritime et
coloniale, mars et avril 1875. DE LA B O U G L I S E . — Les placers de la Guyane française. Journal officiel, 2 0 - 2 1 - 2 2 juin 1874. BOUYER. — V o y a g e dans la Guyane française. — Tour du Monde, 1
er
s e m . 1866,
J. C r e v a u x . — • V o y a g e d exploration dans l'intérieur de la Guyane française. — Tour du monde I s e m . e r
1879.
C O C H U T . — Colonisation de la G u y a n e . D e u x - M o n d e s , 1 août 1845.
— R e v u e des
er
J. D U V A L . — La Guyane et ses ressources. — R e v u e des d e u x - M o n d e s , 15 septembre 1861. C H A R R I È R E . — Les gisements aurifères. — Revue a l g é rienne et coloniale, septembre 1860. J. C R E V A U X .
— V o y a g e au Maroni. —
Bulletin
de la
Société de Géographie, novembre 1878. L E . I E A X . — Intérieur de la Guyane. —
Bulletin
de la
Société de G é o g r a p h i e , novembre 1856. X . — L e s coolies à la G u y a n e française. — R e v u e scientifique, 21 juillet 1877. D E L T E I L . — V o y a g e chez les Indiens de la G u y a n e . — Bulletin de la Société des sciences et des arts de la Réunion, 1870. HENRI B a I L L E T , ingénieur. — Notes et d o c u m e n t s inédits. — N o t r e ami M. Baillet a bien v o u l u nous c o m muniquer les notes qu'il a prises pendant son séjour à la Guyane, où il dirigeait une exploitation forestière. Il nous a fourni de précieux documents sur les c o u t u m e s des Bénis au milieu desquels il a vécu, sur les bois de la G u y a n e et s u r les é t a b l i s s e m e n t s pénitentiaires.
APPENDICE.
341
FERNAND HUE. — N o t e s et d o c u m e n t s p e r s o n n e l s . — Quelques-unes d e c e s n o t e s o n t é t é p r i s e s p a r n o u s auprès d'un de nos camarades qui pendant dix ans a é t é t o u r à t o u r p r o s p e c t e u r et d i r e c t e u r d e p l a c e r . Nous d e v o n s les autres à un de nos amis qui d e p u i s plusieurs années habite Cayenne.
TABLE
DES MATIÈRES
LES
ANTILLES
C H A P I T R E I. — Position,
énumération
I
C H A P I T R E II. — Histoire générale des Antilles françaises depuis la prise de possession jusqu'à nos jours
§ I. — De 1625-1668. — Le berceau
?
de la c o -
lonisation aux Antilles. — Richelieu. — Singuliers bienfaits. — Un lieutenaut infidèle. — Trop de s e r p e n t s . — L'Olive le Cruel. —
Guerres avec les Caraïbes.
— Boisseret. —
Ce q u e nous devons aux Hollandais. — Les Compagnies; leurs fautes
3
§ 2. — De 1668 à 1793. — A i d e - t o i , le Ciel .. — Dicton élogieux. — Les S a i n t e s ; P u l i o n ; un Te Douta bien payé. — Le rhum sauveur. —
Invasion de la Guadeloupe ; Codrington père
est repoussé. — Son fils a le m ê m e succès. — Une capitulation honorable. — La Guade-
loupe affranchie. — G é n é r e u s e
folie.
.
.
.
8
§ 3. — De 1793 à nos jours. — Précipitation r e grettable — Prodiges de valeur. — C h r é -
tien et Victor
Hugues. — Guerre
civile.—
Perdues jusqu'en 1816.— Révoltes diverses. — 1848. — La vérité sur l'émancipation. . .
17
344
TABLE
DES MATIÈRES.
LA MARTINIQUE. CHAPITRE I. — Aspect général de l'ile. — Situation géographique. — Découverte. — M o n tagnes. — Rivières —Descentes. — L e s deux saisons. — L ' h i v e r n a g e : maladies; p h é n o mènes du ciel, des eaux et de la terre. — Température. — L e s nuits. — Le drap m o r tuaire
23
I I . — La population et les mœurs. — Une rectification. — Types originaux. L e
CHAPITRE
Créole — Question de couleurs. Hier et aujourd'hui. — Un bal. — La vie à la Martinique. — Une singulière habitude. — Zombis et soucougnans. — Le langage créole. — Les linmbous
43
C H A P I T R E III. — Le règne animal. — L e s s e r pents. — Renvoi à la Guadeloupe. — Histoire du café. — Une réputation usurpée. .
61
LA GUADELOUPE. CHAPITRE I . — D é c o u v e r t e . — Trois étymologies
pour une. — Situation. - structure. — Configuration; côtes, anses, pointes, etc. —Montagnes. — Rivières. — Produits minéraux et sources. — Le tremblement de terre de 1 8 4 3 .
C H A P I T R E I I . — La
Basse-Terre. — La Pointe-à-
pitre. — Les îlots. — Une ascension à la S o u -
frière
m. — Le règne végétal. — Habitations vivrières; le manioc. — L e paradis des gourmands. — Les forêts vierge». — Le m a n c e -
CHAPITRE
nilier; Millevoye et l'Africaine. — Grandes
habitations.
73
— Hier
et aujourd'hui.
— Le
82
TABLE DES MATIÈRES. s u c r e . — Le r h u m . Triste constatation. migration;
345
— Autres produits. — — Les travailleurs : l'é92
CHAPITRE IV. — Dépendances de la Guadeloupe.
118
Marie-Galante
118
Les Saintes
122
La Désirade
125
Saint-Martin
128 131
Saint-Barthélemy
LA
G U Y A N E
CHAPITRE I — D é c o u v e r t e . — Christophe C o l o m b . — Vincent Pinçon. — Gonzalo Bizarre. — El Dorado. — Les aventuriers anglais. — La Ravardière. — La Compagnie de R o u e n . — Brétigny. — Fondation de Cayenne. — Les douze seigneurs. — Occupation de Cayenne par les Hollandais
141
C H A P I T R E II. — De la Barre. — Expulsion des Hollandais.— La France équinoxiale. — Prise de Cayenne par les A n g l a i s . — Paix de Bréda. — Prise de la Guyane par les Hollandais. — Suppression des c o m p a g n i e s . — Reprise de Cayenne. — De Jeunes. — Les Pères Lombard et Rainette. — Pierre Barrère
153
C H A P I T R E III. — Expédition de Kourou. — Essais de colonisation de Bessner. — Malouet et Guisan. — Villeboi. — Révoltes à Cayenne en 1793. — Emancipation des noirs. — R é q u i sition forcée. — Victor H u g u e s . — Prise de Cayenne par les Portugais. — Traité de 1814. — Colonisation de la Mana. — M Javouhey. — 1848. — Abolition de l'esclavage. —• Situation actuelle
160
me
346
TABLE DES MATIÈRES.
C H A P I T R E I V . — Situation. — Limites a n c i e n nes. — Limites actuelles. — Le territoire contesté. — Aspect général. — Montagnes. — F l e u v e s . — L e s grands bois. — Le littoral. — Les îles. — Division administrative. — Cayenne. — La Mana. — Approuague. — Population. — Climat. — Moyenne de la mortalité
182
CHAPITRE V . — Les explorateurs de la G u y a n e . — Les PP. Grillet et Béchamel. — D'Orvillers. — Le P. Fauque et M. Duvillard. — Patris. — Mentcllc. — Le Blond. — Leprieur. — Vidal. — J. Crevaux .
206
C H A P I T R E V I . — Immigrants et aborigènes. — Créoles. — Noirs et mulâtres. — Bonis. — Bosch. — Paramakas. — Poligoudoux. — Coolies hindous
212
C H A P I T R E V I I . — Les aborigènes. — Races disparues. — Le dernier des Arami chaux — Galibis. — Oyacoulets. — O y a m p i s . — Emérillons. — Roucouyennes
232
C H A P I T R E V I I I . — Culture. — C o m m e r c e . — Sous m a r q u é s . — La propriété foncière. — Industrie
247
C H A P I T R E IX. — L e s essences forestières. — Leurs u s a g e s . — Exploitation d'une forêt. — Les résines
254
CHAPITRE X . — Constitution géologique. — Le prospecteur. — La battée. — Le longtom. — Le sluice. — Etablissement d'une exploitation.
267
C H A P I T R E X L — A n i m a u x des forêts. — Jaguars. — Vampires. — Serpents. — Les tortues. — Les insectes. — La mouche anthropophage. — L e s poissons. — Les oiseaux
291
C H A P I T R E X I I . — La déportation. — 18 fructidor. — La transportation. — 1852. — Création et suppression d'établissements. — Les îles d u
TABLE DES M A T I È R E S . Salut. — L'ilot la M è r e . — Saint-Laurent du Maroni. — Les femmes. — Les m é n a g e s . — Les enfants. — Evasions. — Les forçats a n thropophages
347
299
APPENDICE.
Gouvernement de la Martinique Gouvernement de la Guadeloupe Gouvernement de la Guyane Fable en patois créole Bibliographie des Antilles Bibliographie de la Guyane
317 321 325 329 332 335
T A B L E DES G R A V U R E S ET
DES
CARTES
Pages. Vue du littoral de Saint-Pierre, à la Martinique. . . Front. (Jase et groupe de Caraïbes 5 Rivière Madame, à Fort-de-France 25 Kort-de-France 29 La Place Bertin, à Saint-Pierre 33 Jardin botanique de Saint-Pierre 37 Groupe de cases de cultivateurs 48 Indienne 48 Mulâtresse 50 Négresse 53 Vieille Négresse 57 Pointe du Carbet, près Saint-Pierre La Pointe-à-Pitre. après l'incendie de 1871 86 Plant de Manioc 94 Arbre à pain 96 Mulâtresse de la Guadeloupe 99 Habitation sucrière pendant la recolle 107 Usine Darbousier, à l'entrée du port, à la Pointe-à-Pitre. 111 Cayenne. — La place du Gouvernement 140 Entrée d'une crique 188 Colliers 238 Ornement de pied 239 Jarretières , . . . 240 Coiffure de Roucouyenne 241 Ornement de ceinture. • • • 242Autre coiffure de Roucouyenne , . . . . 243 Poteries indigènes 244 Forêts de la Guyane 261 Outils servant à l'exraction de For 265 NOS G R A N D E S COLONIES.
10**
350
TABLE DES
GRAVURES. Pages.
Fragments de poteries trouvés s o u s la couche aurifère. Prospecteur voyageant avec un noir porteur d u pagara. Prospecteur faisant un lavage d'aissai à la battée. . . Mines d'or de la G u y a n e . Le Sluice Logement des ouvriers aux mines de Saint-Elie. . . Costume d u dimanche des ouvriers employés aux mines d'or de la Guyanne
269 271 275 279 283
Carte de la Martinique Carte de la Guadeloupe Carte de la Guyane
23 73 141
POITIERS. —
TYPOGRAPHIE
OUDIN.
287