Nos grandes colonies Amérique

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A

LA

DES MÊMES

NOS SAINT-PIERRE —

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MAYOTTE. —

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AUTEURS

COLONIES LE GABOX.

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ÉTABLISSEMENTS

ET SES DÉPENDANCES.

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— LA C Ô T E D ' O U . SAINTE-MARIE-DE-

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8 édition, un fort volume in-12, contenant 7 cartes et 30 gravures, broché. 3 50 e

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préparation.

GRANDES

COLONIES

AFRIQUE

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Vue du littoral de Saint-Pierre Ă la Martinique


FERNAND HUE & GEORGES HAURIGOT

NOS

COLONIES

GRANDES

AMÉRIQUE

LES A N T I L L E S : La Martinique. — La Guadeloupe. — MarieGalante. — Les Saintes. — L a Dés i r a d e . — S a i n t - M a r t i n . — SaintBarthélemy. LA GUYANE.

PARIS H.

LUCÈNE 17,

ET

H.

OUDIN.

EDITEURS

R U E BONAPARTE, 17

1886 (Tous droits de

reproduction

et.de

traduction

réservés



NOS

GRANDES

LES

COLONIES

ANTILLES

POSITION. —

ÉNUMERATION.

On désigne sous le nom d'Antilles un g r o u p e d'îles situé entre les deux immenses presqu'îles américaines, et qui, par leur

réunion, constituent un

des

grands archipels connus. Elles forment une chaîne

arrondie

depuis

l'extrémité

plus

longue

orientale

du

Yucatan et le sud de la Floride, jusqu'au littoral du Venezuela,

sur

une longueur

de 3 . 4 5 0 kilomètres.

Leur superficie; totale est de 2 4 7 . 5 0 0 kilomètres carrés,

et

leur

population

de

3.700.000

habitants

environ. Ce g r o u p e s'est d'abord appelé archipel de San

Sal-

vator, n o m donné par Christophe C o l o m b à la p r e mière terre qu'il découvrit. Plus tard, les îles turent désignées par le nom de leurs habitants : on les appela îles des Caraïbes.

Enfin on les a encore appelées îles du

Vent et îles Sous-le- Veut, à cause des vents alizés, q u i , pendant une partie

de l'année, soufflent

dans

ces

parages ; mais nous rappelons seulement pour mémoire NOS GRANDES COLONIES.

1


2

NOS GRANDES COLONIES.

cette

désignation qui est défectueuse, car elle ne s'ap-

plique pas chez toutes les nations aux mêmes groupes d'îles. L'archipel

se divise en quatre parties : les

les Grandes

Lucayes,

et les Petites Antilles,

la

îles

Chaîne

du Sud.

Les

Grandes

Jamaïque

et

Antilles

sont :

Cuba,

Haïti,

la

Porto-Rico.

Toutes ces terres, grandes ou petites, appartiennent à l'Angleterre, à la F r a n c e , à l ' E s p a g n e , au D a n e mark, à la S u è d e , à la Hollande et à la République de Venezuela, sauf pourtant Haïti ou Saint-Domingue, qui est indépendant depuis 1 8 6 5 . Les Petites Antilles

sont innombrables ; c'est de

ces dernières seulement, ou plutôt

do quelques-unes

d'entre elles, que nous avons à nous o c c u p e r i c i . L a F r a n c e , en effet, après avoir conquis ou créé, dans la m e r des Antilles, un empire colonial

remar-

quable par son étendue et sa richesse, n ' y c o m p t e plus maintenant que quelques

rares établissements,

importants sans aucun doute, mais qui ne sont que les débris d'une puissance disparue. N o u s avons p o s sédé et perdu Tabago, Grenadilles,

la

Saint-Christophe,

Antigoa,

que la Guadeloupe

(Marie-Galante, Martinique,

les Saintes

Saint-Martin

et

les

Grenade,

Mont-Serrah,

e t c . , sans compter la

Sainte-Croix,

plus belle moitié de Saint-Domingue. aujourd'hui

la

Sainte-Lucie,

Dominique,

Il ne nous reste et ses dépendances

et la Désiradè), Saint-Barthélemy.

la


HIST0IRE

GÉNÉRALE

HISTOIRE

DES

3

ANTILLES,

GÉNÉRALE DES

A N T I L L E S (1625-1793)

En

1625,

Belain

d'Enambuc

gentilhomme dieppois, fréta

ou

d'Esnambuc,

un brigantin, et fit voile

vers le nouveau monde, en quête d'aventures. Attaqué dans le golfe du Mexique par un navire espagnol, il lui échappa après pour réparer

une lutte béroïq.ue. Mais il d u t ,

de graves

avaries, relâcher à la

pre-

mière terre qu'il rencontra : c'était l'île de Saint-Christophe. E n m ê m e temps que lui A n g l a i s , sir W a r n e r .

Ils

y

trouvèrent

débarquait l'île

un

ocoupée

déjà par quelques Français qui vivaient en parfaite intelligence avec les Caraïbes, 6t ils en partagèrent par moitié la possession et le g o u v e r n e m e n t . D ' E s n a m b u c organisa de son mieux la partie

qui

lui était é c h u e , favorisa surtout la culture du tabac, et put, dès 1 6 2 6 , revenir en F r a n c e avec un précieux chargement. Il profita de son v o y a g e

pour

obtenir

de Richelieu l'autorisation de fonder une colonie. L e cardinal lui accorda la possession des îles Saint-Christophe et autres, « et c e , pour y trafiquer et négocier desdenrées et marchandises qui se pourraient recueillir et tirer desdites îles et autres » . A son retour à Saint-Christophe, d ' E s n a m b u c c h a r gea un sieur d ' O r a n g e de visiter les îles environnantes encore inoccupées. Celui-ci, à son retour,signala f a v o -


4

NOS GRANDES C O L O N I E S .

rablement la Martinique, la Dominique et surtout la Guadeloupe. D ' E s n a m b u c nant Liénard

confia alors à son

de l'Olive la mission de se

France pour y traiter avec la

lieute-

rendre

Compagnie, en

noms à tous d e u x , de l'exploitation de ces

en

leurs

différentes

terres. L'Olive se laissa séduire à Dieppe par Duplessis, sieur d'Ossonville,

et

passa bien le contrat désiré,

mais pour son propre compte et celui

de

Duplessis.

D'après les statuts de la C o m p a g n i e , les gens

qui

voulaient se rendre aux îles, et qui ne pouvaient pas payer leur passage, devaient servir pendant trois ans ceux qui en avaient fait les frais, c'est-à-dire la S o ciété ou les colons. Ce laps de temps écoulé, ils r e c e vaient une concession de terre, ou étaient libres d'aliéner à nouveau leur liberté. C'est ce qu'on a appelé les engagés ou les trente-six embauchèrent

dans

ces

mois. L ' O l i v e et Duplessis conditions

5 5 0 individus,

parmi lesquels 4 0 0 laboureurs environ, et l'expédition quitta Dieppe le 25 mai 1 6 3 5 . Parvenu dans la mer des Antilles, on essaya d'abord de débarquer à la Martinique ; mais on dut en r e p a r tir aussitôt, tant fut grande la frayeur

inspirée

aux

engagés par la vue d'innombrables serpents. On atterrit à la Guadeloupe le 27 j u i n , un mois et deux jours après avoir quitté la F r a n c e .

Les deux

chefs se partagèrent les h o m m e s , les provisions, les outils, la terre, et s'établirent sur les points qui depuis reçurent pointe

les noms suivants: l'Olive à l'ouest de la

Allègre

et sur

la

rivière

du

Vieux-Fort

Duplessis à l'est de cette même pointe, sur la

;

rivière

du P e t i t - F o r t . Ils entendaient gouverner chacun par une méthode absolument différente :1e premier ne c o m p tait que sur la force et les mesures énergiques, s o u -


HISTOIRE

GÉNÉRALE

DES

5

ANTILLES.

vent cruelles : le second employait toujours la d o u ceur et la persuasion. Duplessis l'Olive, resté

mourut seul,

six

mois

après

son

arrivée,

et

S'abandonna à son caractère violent.

Le but de toute sa vie devait être désormais l ' e x termination des Caraïbes, dont les réserves de patates

Case et groupe de Caraïbes. et de manioc

suppléeraient avantageusement,

pen-

sait-il, à l'insuffisance de ses provisions. U n j o u r , des

Caraïbes s'étant emparés d'un hamac abandonné sur le r i v a g e , fruits,

en laissant

le cruel

en échange un porc

et dés

capitaine trouva là le prétexte d ' u n

guet-apens suivi de massacre.

L a guerre était a l l u -

m é e , guerre d ' e m b û c h e s , terrible des d e u x c ô t e s , qui ne devait finir que de longues années après par l'extermination des plus faibles.


6

NOS

GRANDES

COLONIES.

A p r è s l'Olive, vint une série de gouverneurs, sous l'administration desquels il n'y a rien d'important signaler,

sauf

pourtant

la

à

colonisation des d é p e n -

dances d e la Guadeloupe, dont nous dirons quelques mots en nous occupant de chacune d'elles. Pendant que ces faits s'accomplissaient à la G u a d e loupe, Belain d'Esnambuc, désireux de faire tout au moins aussi bien que son

infidèle lieutenant,

avait

pris possession de la Martinique, à la tête d'une c e n taine d'hommes. Il y jeta les fondations de la ville de Saint-Pierre en juillet 1635 ; puis, ayant confié à son second Dupont la direction du nouvel

établissement,

il retourna à Saint-Christophe. De

1636 à

1 6 4 2 , trois compagnies

possédèrent

successivement la Guadeloupe et la Martinique. A u cune d'elles ne sut comprendre qu'il importait de remplacer dans la pratique le droit exclusif de commerce, par un droit de simple préférence. Elles auraient dû, moyennant redevance, laisser toute liberté aux transactions ; loin de là, de peur qu'il n'entrât aux îles une seule marchandise qui ne fût expédiée par ellesmêmes, e l l e s préférèrent y entretenir une innombrable armée de commis qui, après avoir épuisé l e s c o l o n s , finirent par dévorer aussi les compagnies. Toutes trois furent ruinées par leur propre avidité, et aussi par les luttes incessantes qu'il leur fallut soutenir

contre

les indigènes. E n 1649, le marquis de Boisseret, agent de la d e r nière c o m p a g n i e , acquit d'elle, pour lui et son frère H o u e l , la propriété de la Guadeloupe dépendances.

Le

prix d'achat

beau-

et de s e s

fut de 60.000 livres

tournois une fois payées, plus une redevance annuelle de 300 kilogrammes de sucre.


7

HISTOIRE GÉNÉRALE DES ANTILLES.

C'est de cette époque que date la prospérité de l'île. Elle fut quelque peu entravée par une nouvelle p é riode de la guerre contre les Caraïbes, qui se ralluma à la Martinique en 1 6 5 3 ( 1 ) ; niais, pendant les hostilités, un grand événement

s'accomplit

à la G u a d e -

loupe. Neuf cents Hollandais, suivis de douze esclaves,

cents

chassés du Brésil par la persécution reli-

gieuse, se présentèrent

dans notre î l e , où H o u e l les

accueillit avec empressement; ils débarquèrent le 28 février 1 6 5 4 , date mémorable pour l'île, car ces étrangers devaient y introduire la culture du cacaoyer et de la canne à sucre, et y établir les premières sucreries. Malheureusement les successeurs de Boisseret, loin de suivre les exemples de justice et de sage a d m i n i s tration qu'il leur avait laissés, se signalèrent à l'envi par leurs exactions et leur impéritie. Aussi, en 1 6 6 4 . Colbert,fatigué des plaintes qu'ils provoquaient, décida Louis X I V à racheter la Martinique, la Guadelonpe et ses dépendances. Il est à regretter que le ministre ait c r u devoir confier alors l'exploitation des îles à une nouvelle c o m p a g n i e ,

la Compagnie

des Indes

Occi-

dentales.

Il semble que celle-ci ait pris à tâche de commettre exactement les mêmes fautes que les précédentes. A cette é p o q u e , les colons eurent beaucoup à souffrir, car la compagnie se trouva au début dans l'impossibilité d'envoyer aux îles aucune d e n r é e ; d'autre

part, sous

prétexte que la peste exerçait ses ravages à A m s terdam, elle avait interdit

tout

commerce

avec la

(1) c'est dans cette guerre que Duparquet commit un acte atroce : il envoya aux sauvages du tafia empoisonné, a dont crevèrent un grand nombre » , dit le l'ère Dutertre.


8

NOS

GRANDES

COLONIES.

Hollande. L a vérité, c'est que les Hollandais se rendaient un peu partout maîtres des marchés, par leur bonne foi commerciale et les bas prix auxquels ils livraient leurs marchandises. La Hollande, notre alliée depuis 1 6 6 2 , venait de recommencer la guerre contre les A n g l a i s , et la flotte ennemie, enlevant les navires de la compagnie, s'apprêtait à diriger une attaque contre nos colonies. Complètement abandonnées par la métropole, nos possessions n'avaient pas de forces régulières ; le soin de la défense reposait entièrement sur les habitants, et encore étaient-ils insuffisamment armés. Les g o u verneurs, à la vérité, recevaient des fusils, mais avec ordre de les vendre aux colons. Cependant, ces milices organisées à la hâte ne tardèrent pas à devenir des troupes redoutables, et c'était un dicton courant chez l'ennemi, que mieux valait avoir affaire à deux diables qu'à un seul habitant français. A u mois de juillet 1 6 6 6 . l'amiral anglais Willougby, qui croisait dans la mer des Antilles avec une flotte composée de 14 vaisseaux et 3 barques portant 2.000 soldats, envoya cinq de ses navires attaquer les Saintes. Malgré une brillante défense de Baron et D e s m e u riers,viles s'emparèrent du fortin qui commandait la position. Le lendemain, un orage épouvantable dispersa la flotte ennemie, et la détruisit en partie ; deux navires seuls échappèrent au naufrage. Dulion attaqua alors le fortin, et, grâce à l'aide de 200 Caraïbes venus de la Dominique pour offrir leurs services, les soldats anglais durent se rendre à discrétion. Dulion était si heureux de sa victoire, qu'il assura aux Pères Jacobins une rente de 1.000 kilogrammes


HISTOIRE GÉNÉRALE DES

ANTILLES.

9

de sucre, à charge par eux de chanter annuellement un Te

Deum.

E n 1 6 7 4 , la Martinique, qui prospérait sous l'habile direction de son gouverneur M . de la Barre, fut subitement attaquée par la flotte hollandaise sous les ordres de l'amiral R u y t e r . Malgré une défense héroïque, les milices ne purent empêcher le débarquement et, sans une circonstance fortuite, c'en était fait de la M a r t i nique. A peine débarqués, les Hollandais occupèrent l'entrepôt, qui contenait une quantité considérable de r h u m ; quelques heures après, tous les marins étaient ivres :les défenseurs de l'île fondirent immédiatement sur e u x , en massacrèrent un grand n o m b r e , et le reste dut r e g a g n e r a la hâte les vaisseaux qui s'éloignèrent. Dans le courant de mars 1 6 9 1 , les Anglais débarquèrent à Marie-Galante et s'en emparèrent, car ses habitants, trop faibles pour résister, abandonnèrent l'île sans combat et se replièrent sur la Guadeloupe. Deux mois après, l'ennemi parut devant la BasseTerre, conduit par Codrington le père. A cette époque, la guerre se faisait aux îles presque c o m m e aux temps les plus reculés de l'antiquité. U n e position prise, les plantations étaient dévastées, les esclaves enlevés, etc. La seule différence, c'est que les blancs étaient chassés, au lieu d'être réduits en esclav a g e . Aussi le premier soin de Hincelin, alors g o u verneur de la Guadeloupe, fut-il de mettre en sûreté les femmes, les enfants, les vieillards et le gros des esclaves dans le réduit de la colonie, qui était alors le Dos d'âne, position à peu près inaccessible. U n e ardeur incomparable animait tous les habitants et même quelques esclaves fidèles auxquels on avait confié des armes. 1*


10

NOS

Les

Anglais

GRANDES

COLONIES.

concentrèrent

leurs

efforts

sur

le

fort Saint-Charles, commandant le b o u r g de SaintFrançois et celui de la Basse-Terre

proprement dit,

séparés par la Rivière aux Herbes, qui plus tard, par leur réunion, ont formé le chef-lieu actuel. A p r è s bien des feintes pour

amener Hincelin à

dégarnir

un point de la côte, C o d r i n g t o n , n'y ayant pas réussi, se

décida

Barque,

enfin

à prendre

terre

à l'Anse à la

distante de la Basse-Terre d'environ 15 k i l o -

mètres, à vol d'oiseau. L'aide-major Bordenave, à la tête de 25 hommes et de quelques esclaves connaissant bien le terrain, y d'ennemis.

mit hors de combat

une

centaine

Malheureusement il fut tué, et les survi-

vants de sa petite troupe se replièrent alors jusqu'à la rivière Beaugendre, où ils rencontrèrent le major Ducler, commandant cent h o m m e s . Là eut lieu un c o m bat meurtrier, où les Anglais perdirent beaucoup de monde ; mais ils

étaient

infiniment

plus

nombreux

que nous, et continuaient toujours à avancer, brûlant et pillant tout sur leur passage. U n troisième combat, à la

rivière

Duplessis,

leur

enleva

encore

300

hommes ; mais on ne put les empêcher de s'établir à terre. N o s forces alors se partagèrent. Hincelin tint la c a m p a g n e , harcelant sans cesse l'ennemi, et pendant ce temps le chevalier

de la Malmaison,

avec une p o i -

gnée de braves, occupait le gros de leurs troupes au siège du fort Saint-Charles. Il résista pendant trentesix jours à leurs efforts les plus acharnés, ainsi au marquis d ' E r a g n y , gouverneur

et donna général, le

temps d'arriver de la Martinique avec des forces suffisantes, composées de flibustiers et de quelques soldats de marine. Codrington se rembarqua avec précipitation, abandonnant ses canons et même quelques bles-


HISTOIRE GÉNÉRALE DES

ANTILLES.

11

ses; mais il trouva le temps, en se retirant, d'incendier les bourgs de Saint-François, de la Basse-Terre, du Bailli, et toutes les habitations qu'il rencontra sur son chemin. De nouvelles épreuves étaient encore

réservées à

la Martinique, devenue l'objet de la convoitise de toutes les nations maritimes de l ' E u r o p e . L e 1 une flotte anglaise

avril 1 6 9 3 ,

er

commandée par l'animal

Veller

pénétrait dans la rade de Saint-Pierre, tandis que le colonel Faulk débarquait à la tête de quinze

cents

hommes et essayait de s'emparer de la ville ; il ne put y réussir, mais ses

troupes se répandirent dans les

campagnes et causèrent les plus grands

dommages

aux récoltes. La guerre se termina le 3 0 septembre 1697 par le traité de R y s w i c k ,

Malheureusement la paix

pas de longue durée, car en

1703 nous

ne fut

retrouvons

l'Europe de nouveau coalisée contre la France, dans la guerre de la Succession d'Espagne. Les hostilités contre nos colonies

recommencèrent

par une attaque de Codrington le fils contre la G u a d e loupe, il s'empara

de

Marie-Galante,

échoua dans

une tentative contre les Saintes, et le 20 juillet il p a rut devant la Basse-Terre, où il débarqua 4 0 0 hommes au quartier de la Bouillante.

Anger,

gouverneur de la

Guadeloupe, ne les attendait pas sur ce

point ; ils se

livrèrent au pillage et à l'incendie, puis se

rembar-

quèrent, non sans laisser quelques hommes que leur tuèrent des vieillards et des esclaves embusquée d e r rière les halliers. Le 22,ils débarquèrent aux

Habitants,

mais furent presque aussitôt rejetés à la mer ; le 2 3 , toutes leurs forces atterrirent simultanément au François,

au Val de l'Orge et aux Habitants.

Gros-

Sur ces


12

NOS GRANDES COLONIES.

deux derniers points, ils ne rencontrèrent presque pas de résistance, mais au premier on leur livra un combat qui dura deux heures et où ils perdirent 3 0 0 hommes. A y a n t réussi à s'établir à terre, ils mirent le siège devant le fort Saint-Charles. On les fatiguait par des sorties continuelles, on les usait dans des c o m bats de détail, et enfin sur 4 . 0 0 0 Anglais qui avaient débarqué, 2 . 0 0 0 seulement survivaient : les autres avaient été enlevés par les maladies ou les escarmouches : Codrington, désespérant de faire avec la m o i tié de ses forces ce qu'il n'avait pu mener à bonne fin avec la totalité, se rembarqua le 1 8 mai, deux mois juste après son arrivée. La Guadeloupe, débarrassée de ses ennemis, souffrit longtemps encore de la pénurie de vivres : le peu de navires qui échappaient aux croiseurs anglais se r e n daient à la Martinique. Aussi le chiffre de la population resta stationnaire, l'agriculture ne fit aucun p r o grès, et cet état pénible dura jusqu'au traité d'Utrecht en 1 7 1 3 . Cette année-là m ê m e , la Guadeloupe fut ravagée par un ouragan terrible. En revanche, du traité d ' U t r e c h t à la guerre de la Succession d'Autriche ( 1 7 1 3 - 1 7 4 1 , s'étend une longue période de paix, pendant laquelle la colonie fit de sensibles progrès. Ils furent dus en grande partie à l'introduction du café que le commandant de Clédieu avait apporté à la Martinique. C'est aussi dans cette période que disparaissent les engagés, dont il n'est plus fait mention à dater de 1 7 3 5 . Les capitaines furent tenus désormais de transporter à leur p l a c e un même nombre de soldats et d'ouvriers d e s tinés au service des colonies. En 1 7 4 1 , éclata la guerre de la Succession d ' A u t r i -


HISTOIRE

GÉNÉRALE

DES

13

ANTILLES.

che ; la prospérité de la colonie se trouva de nouveau arrêtée, parce que les habitants employèrent tous leurs capitaux à armer des corsaires qui donnèrent la chasse à l ' A n g l a i s . Chasse fructueuse, à vrai d i r e , car les corsaires des îles réunies prirent neuf cent cinquante bâtiments, dont la valeur a été estimée à 3 0 . 0 0 0 . 0 0 0 de francs. La guerre se termina en 1748

par le traité

d'Aix-la-Chapelle. Quelques années de paix s'écoulèrent bien rapidement, et la guerre de Sept A n s éclata en 1 7 5 6 . Trois ans après, l'amiral anglais John Moore reçut l'ordre de s'emparer de la Martinique. L'attaque, dirigée contre F o r t - R o y a l et le morne B o u r b o n , demeura sans

succès ; grâce à la vigoureuse

résistance

milices, les Anglais durent se retirer.

des

L'amiral

se

dirigea alors sur la Guadeloupe,qui devait être moins heureuse. Certains auteurs affirment bien à tort que les habitants n'opposèrent à l'ennemi qu'une molle résistance. C'est là une opinion e r r o n é e , que réfutent amplement les termes mêmes de la capitulation

que

nous citons plus loin, et les détails suivants qui m o n trent aussi à qui incombent les responsabilités de la défaite. La flotte ennemie comptait 12 vaisseaux

de

haut

bord, 0 frégates, 4 galiotes à bombes et 80 bateaux portant 8.000 hommes de troupes. Or, combien de défenseurs l'île pouvait-elle opposera ces forces r e d o u tables? Quatre mille en tout, composés de 2.000 miliciens et de 2.000 esclaves qu'on avait enrégimentés. Ce dernier fait, qui est prouvé par l'article 20 de la capitulation, démontre clairement

combien les habi-

tants étaient désireux de vaincre une fois de plus : car i était fort à craindre q u e , sous le feu de l'étran-


14

NOS

ger,

GRANDES

COLONIES.

les esclaves ne tournassent contre leurs maîtres

les armes qu'on leur avait confiées. Les A n g l a i s , arrivés le 22 janvier,

commencèrent

l'attaque dès le lendemain. Ils s'établirent à terre et remportèrent plusieurs avantages, car ils étaient n o m breux et bien commandés ; les Français, au contraire, avaient à leur tête deux chefs incapables, qui ne s'entendaient pas entre eux : de la Poterie, lieutenant du roi,

et Nadau du Treil, gouverneur de l'île.

La Guadeloupe résista désespérément pendant trois La même ardeur animait tous les habitants et

mois. s'était

emparée

même de quelques femmes c o u r a -

geuses : une dame Ducharniov, à la tête de ses esclaves,

repoussa

plusieurs détachements

anglais, qui

voulaient s'emparer de son habitation. A u bout de ce temps, la famine se faisait cruellement sentir dans l'île, surtout au réduit du Trou-au-Chien,

et la démoralisa-

tion commençait à exercer ses tristes effets: on était las d'attendre en vain les secours que le gouverneur général aurait dû envoyer de la Martinique. A

l'ori-

gine, il est vrai, les moyens de transport avaient

pu

manquer au marquis de Beauharnais ; mais on savait que depuis le 8 mars il avait à sa disposition la flotte de Boni pars. On ne comprenait rien à son inaction et on s'en désespérait. La Guadeloupe fut obligée de se rendre le j o u r même où apparurent à l'horizon les voiles des navires que M . de Beauharnais

s'était enfin décidé à e x p é -

dier. Hâtons-nous de citer, à l'honneur

des c o l o n s ,

l'article 1 d e l'acte de capitulation: e r

Article 1 , — « er

postes

avec deux

Les habitants sortiront de leurs pièces

de

canon

de campagne ,

leurs armes, enseignes déployées , tambour battant,


HISTOIRE

GÉNÉRALE

15

DES ANTILLES.

mèche allumée, et recevront tous les honneurs de la guerre. » En marge

est

écrit

de la main du

commodore :

« Accordé en considération de la belle défense que les habitants ont faite pendant

3 mois de

siège».

L e dénouement de cette affaire fut à la fois triste et comique : d'une part, Nadau du Treil fut

mis en

jugement, dégradé, et condamné' à la prison perpétuelle ; d'autre

part, le roi crut devoir rendre une o r -

donnance par laquelle il faisait défense à tout g o u v e r neur, commandant, ou autre chef dans les colonies, d'y acquérir des

biens-fonds

ni d'y contracter mariage

avec aucune créole. E n 1 7 6 2 , les Anglais firent une nouvelle tentative contre la Martinique.

Ils échouèrent une première

fois, mais le 16 janvier 1762 ils débarquèrent des forces imposantes à la pointe des Nègres et à Case Pilote ; 1 2 . 0 0 0 hommes donnèrent l'assaut au morne Bourbon et à Tartenson, et, malgré une défense digne

d'un

meilleur sort, ces deux positions furent enlevées. L ' e n nemi se dirigea alors sur F o r t - d e - F r a n c o dont il s'empara et occupa Saint-Pierre qui était à peine fortifié. L e 12 février, Levassor de la Touche traita de la reddition de l'île, qui passa aux mains de l'Angleterre. Le traité de Paris, qui porta un c o u p

si fatal

à

notre puissance coloniale, rendit cependant la Martinique et la Guadeloupe à la France. La Guadeloupe fut à ce moment dotée d'une constitution indépendante. C'est à cette

date

également

que fut fondée la ville de la Pointe-à-Pitre. En 1769. on replaça encore la Guadeloupe sous la dépendance de la Martinique. Les considérations stratégiques qui inspirèrent cette mesure n'avaient pourtant

plus a u -


16

NOS GRANDES

COLONIES.

cune raison d'être, puisque les Anglais étaient devenus possesseurs de la D o m i n i q u e , placée

entre les

deux

îles. On finit par s'en apercevoir, et en 1775 la G u a deloupe fut

définitivement

affranchie de toute

tu-

telle. N o s colonies avaient à peine eu le temps

de r e -

prendre possession d'elles-mêmes, et de travailler à réparer les désastres causés par la dernière guerre et l'occupation anglaise, qu'une parole imprudente du maréchal Biron ramenait les flottes ennemies devant les Antilles. L'amiral anglais dettes, s'écriait un j'étais libre, je

Rodney,

retenu

à Paris

pour

jour devant le maréchal : «

voudrais

anéantir

jusqu'au

Si

dernier

vaisseau de la marine française » . — « V o u s êtes libre, M o n s i e u r » , répondit le maréchal ; et il paya les dettes de l'amiral. Ce trait chevaleresque

devait coûter cher

à la F r a n c e . De retour en A n g l e t e r r e , Rodney, à la tête de vingt vaisseaux, se dirigea vers les Antilles, détruisant sur son passage tous les navires français

qu'il

rencon-

trait. Le 19 mai 1 7 8 0 , il se présente devant la M a r t i nique ; mais l'amiral

français Guichen

lui

infligea

des pertes sérieuses. D e 1781 à 1 7 8 4 , la guerre se continua,

acharnée

de part et d'autre, et se termina par la défaite,

dans

les eaux des Saintes, de notre flotte c o m m a n d é e

par

de Grasse. française.

Un

premier décret rendu par l'Assemblée nationale

Nous voici arrivés à la Révolution

dé-

clara que les hommes de couleur

étaient les

égaux

des blancs ; un second, dû à la Convention, devait, le 16 pluviôse an I I ( 4 février 1 7 9 4 ) , donner la

liberté


HISTOIRE G É N É R A L E

aux nègres. Ces mesures

17

DES ANTILLES.

de justice

et d'humanité,

inspirées par les sentiments les plus nobles et les plus généreux, furent malheureusement une précipitation si maladroite

avec

appliquées

qu'elles

eurent pour

premier résultat de faire éclater la guerre civile. Des désordres épouvantables ensanglantèrent la Guadeloupe, mais plus encore Saint-Dominique et la Martinique. Dans cette dernière î l e , après un apaisement passager obtenu par l'énergie de D u g o m m i e r , recommencèrent des scènes de carnage et d'horreur que

nous c r o y o n s plus

telles

patriotique de ne pas

in-

sister. Les Anglais ne pouvaient manquer de mettre à profit nos discordes. Le 10 janvier 1794, John Jervis, avec 31 vaisseaux et six canonnières, arrivait devant la Martinique. Sir Grey

débarqua six mille hommes à la Trinité,

s'en

empara, malgré la belle défense du mulâtre Belgrade, commandant de la milice

des gens

de

couleur.

14 janvier, Fort-Royal était bloqué e t , le

Le

22 mars,

Rochambeau signait la reddition de l'île ; le 2 1 avril, c e fut la Guadeloupe qui tomba aux mains des raux Graham et Prescott,

Deux

géné-

commissaires en-

voyés par la Convention et arrivés en j u i n , Chrétien et Victor H u g u e s , accomplirent de tels prodiges de valeur, qu'avec 2 frégates et 1.550 hommes ils réussirent à expulser 8 . 0 0 0 A n g l a i s soutenus par une escadre considérable. Il convient d'ajouter qu'ils furent puissamment secondés par les habitants, et que les en particulier, ces nouveaux

citoyens

noirs

français, pri-

rent à la lutte une part très glorieuse. Victor H u g u e s était heureusement parvenu à leur inspirer une terreur salutaire. Telle était sa réputation d'énergie et


18

NOS G R A N D E S COLONIES.

de sévérité, que son nom seul suffisait à faire rentrer les rebelles dans le devoir. Après la paix d'Amiens, qui en 1801 nous rendit nos colonies, éclata une nouvelle g u e r r e c i v i l e . H u g u e s n'était plus là : il rendait à Cayenne des services analogues à ceux que nous venons de rappeler. E n 1 8 0 2 , le premier consul commença par

rétablir

l'esclavage

par décret, et, l'année suivante, il envoya à la deloupe 3.500 hommes sous

Gua-

le commandement du

général Richepanee. Les noirs, ayant à leur tête

des

chefs mulâtres, défendirent vigoureusement leur

li-

berté ; la lutte dura plusieurs mois, et quand ils s u c combèrent à la fin, ils avaient fait couler des flots de sang. A ce moment, la colonie se serait trouvée

dans

un état de pauvreté extrême, si les corsaires de la Point-à-Pitre n'avaient fait des courses, d'où ils r a p portaient presque toujours de grands

approvisionne.-

ments de vivres et d'argent. L e 24 février 1809, la Martinique retomba

encore

une fois aux mains des Anglais commandés par C o chrane. Pareil sort échut en 1810 à la Guadeloupe, qui fut cédée à la Suède. Nos

colonies, qui nous furent

rendues en 1814 par le traité de Paris, subirent pendant les cent jours un nouvel envahissement, et nous revinrent enfin en 1 8 1 6 , pour ne plus nous être e n levées. Malgré la période extraordinairement agitée qu'elles venaient de traverser, nos colonies se trouvaient, à ce moment, dans un état de prospérité

relative, et

la

dernière occupation anglaise leur avait m ê m e , j u s q u ' à un certain point, profité. A leur arrivée dans les îles, les Anglais ne modifièrent en rien l'administration les fonctionnaires furent conservés et les créoles g a -


HISTOIRE GÉNÉRALE

19

DES ANTILLES.

gnèrent à la fréquentation continuelle

de

ces h o m -

mes pratiques, laborieux et économes. L e soin des plantations, négligées pour la course, r e devint la seule occupation des colons, qui ne tardèrent pas à renouer des relations commerciales avec l ' E u r o p e . Malheureusement, les rivalités de races, sur lesquelles nous donnerons plus loin des détails, devaient amener de graves conflits à l'intérieur. Les noirs, qui sentaient leur supériorité numérique — à la Martinique, par e x e m p l e , ils étaient 8 0 . 0 0 0 environ, tandis que

les blancs ne représentaient

que

1 0 . 0 0 0 individus, et les mulâtres 1 1 . 0 0 0 — les noirs, depuis longtemps, cherchaient une

occasion

de s e -

couer le j o u g pesant de l'esclavage. U n complot fut organisé à la Martinique et dirigé par

quatre n è g r e s : Narcisse, J e a n - L o u i s ,

B a u g i o ; il éclata dans la nuit du 13 au 14

Jean et octobre

1 8 2 2 ; des colons furent assassinés, leurs demeures pillées, les récoltes incendiées. C'était le signal d'une révolte, que

les noirs espéraient

rendre générale ;

mais, grâce à l'énergie du gouverneur et des autorités militaires, le soulèvement fut réprimé dès son début. Soixante nègres furent arrêtés et livrés aux tribunaux : sept des accusés eurent la tête tranchée, quatorze furent pendus et dix subirent le supplice du Ces exécutions jetèrent la terreur parmi les

fouet. nègres,

et tout rentra bientôt dans l'ordre. Cependant, depuis cette époque jusqu'en 1 8 3 3 , il y eut encore bien des révoltes; la plus fameuse est

celle

des mulâtres en 1824. Le chef

était

du

un h o m m e de couleur du n o m de

mouvement Bisette ; son

était de chasser tous les blancs de l'île.

La

but

conspi-

ration fut découverte, et Bisette arrêté avec treize des


20

NOS GRANDES COLONIES.

mulâtres les plus notables de Saint-Pierre. On les i n terna à F o r t - d e - F r a n c e . Traduit devant les tribunaux, le chef de la révolte fut condamné, avec trois de ses complices, aux travaux forces, trente-sept autres au bannissement. Citons encore la révolte de 1833 dirigée par R o s e mond et L o u i s - A d o l p h e , sous-officiers de la milice mulâtre, qui, à cette occasion, fut licenciée. Le 27 avril 1848, la République proclama de n o u veau l'abolition de l'esclavage, qui cette fois devait être définitive. L'expérience faite en 1794 ne servit absolument à rien, et les nouveaux législateurs s'y prirent aussi maladroitement que les anciens. Il eût été facile de préparer cette modification si profonde de tout un monde en poussant les colons à faire des affranchissements multipliés, alors même qu'on eût dû les provoquer à prix d'or, puisqu'on était décidé à leur accorder une indemnité. Il eût été absolument nécessaire, avant de disperser d'un seul c o u p toute la classe d e s travailleurs, d'introduire aux Antilles d e s immigrants destinés à les remplacer; la chose était possible, puisqu'elle fut faite à la R é u n i o n . La j u s tice et l'humanité qui réclamaient impérieusement le décret rendu le 27 avril 1 8 4 8 , n'auraient rien perdu à ces deux précautions. Les désordres les plus graves éclatèrent à la Martinique c o m m e à la Guadeloupe : principalement à la Grande-Terre et à Marie-Galante. Nous n'en r a c o n terons pas les détails, car nous pourrions être accusés de charger à plaisir le tableau. Citons seulement un incendie qui, le 12 mai 1 8 5 0 , dévora soixante maisons de la P o i n t e - à - P i t r e ; le 1 9 , le feu reprit à l'endroit où il s'était arrêté, sept jours


21

HISTOIRE GÉNÉRALE DES ANTILLES.

auparavant, et consuma encore une douzaine de mais o n s . On se décida à faire un

exemple : un nègre

nommé Sixième, q u ' o n avait pris la mèche à la main, fut décapité sur la place de la Victoire; de plus, la P o i n t e - à - P i t r e et son arrondissement furent mis en état de s i è g e , et la tranquillité finit par se rétablir. Ce qui mit beaucoup plus de temps à revenir dans nos colonies, ce fut la prospérité et la richesse ; les y rencontre-t-on même aujourd'hui ? Hélas !... Les citoyens de la métropole, qui n'ont d'autres bases d'appréciation que des renseignements presque toujours inexacts, peuvent se laisser égarer par des apparences

trom-

peuses ; mais nous savons bien quelle réponse feraient les habitants des Antilles, si on les interrogeait. Les propriétaires d'esclaves commencèrent par être tous Il se

à peu près ruinés par l'émancipation rencontre

des hommes sérieux pour

que la possession d'esclaves

même. déclarer

étant chose contraire au

b o n droit, il n'y a pas lieu de plaindre ceux qui, ayant placé leurs capitaux sur une marchandise les ont subitement répéter

perdus.

Nous ne

humaine,

saurions trop

à ces philanthropes que donner satisfaction à

la morale et à l'humanité, c'est bien, mais que ruiner les gens en leur n o m ,

c'est, pour détruire un abus,

commettre une iniquité. Mais, répliquent-ils, on a indemnisé les propriétaires d'esclaves ! — E n effet, nous soumettons à leurs méditations les chiffres suivants. D'après la loi votée par la Chambre le 30 avril 1849, le gouvernement do rente 5 %

acheta pour 6 millions de francs

partageable entre toutes les colonies,

et leur alloua en outre en c o m m u n une autre somme d e 6 millions. L a Guadeloupe, pour sa part, toucha 1 . 9 4 7 . 1 6 4 fr. 8 5 , et chaque propriétaire eut environ


22

NOS

GRANDES

COLONIES.

5 0 0 fr. par tête d'esclave. O r , le prix brut d'un esclave variait de sept cent à

DEUX

MILLE

francs, et sa valeur

devait être en outre augmentée de ce qu'il avait coûté en nourriture, médicaments, soins, éducation, e t c . . . . Enfin, ce qu'il travail

fut

y eut de plus g r a v e , c'est que le

absolument

désorganisé ,

l'agriculture

manqua de bras pendant près de deux ans, et j u s q u ' à présent, la question du travail aux colonies est encore très grosse d'embarras. P o u r parler plus c a t é g o r i q u e ment, aujourd'hui la Martinique ne bat plus que d'une aile

et

la Guadeloupe

notonie de la vie n'y

est

presque morte : la m o -

est plus

guère

rompue que

par l'imprévu et l'importance des catastrophes

com-

merciales. E n résumé, l'émancipation était souhaitée par tous les esprits justes, elle s'imposait à l'humanité, et

l'on

ne saurait trop louer ceux à qui on la doit ; mais .l'application de cette mesure généreuse fut si maladroite qu'elle constitua, nous avons le

regret

de le

dire,

cette chose grave que qualifiait si sévèrement Talleyrand : — une faute.


C

A RT

E

DE L A

M A R T I N I Q U E (ANTILLES)


LA

MARTINIQUE

CHAPITRE

1.

Asptet général de l'île. — Situation géographique. — Découverte.— Les montagnes.— Les rivières. — Descentes. — Les deux saisons. — L'hivernage : maladies ; phénomènes du ciel, des eaux et de la terre.— Température. — Les nuits. — Le drap mortuaire.

Quand un navire

a franchi le

canal de Sainte-

Lucie pour aller à F o r t - d e - F r a n c e , Dominique, passage dangereux,

ou celui de la

aux lames

courtes

et pressées, s'il se rend à Saint-Pierre, un aspect des plus pittoresques séduit le regard du

voyageur,

grave dans son esprit une impression qui ne

et

saurait

plus s'effacer. Sous un ciel d'une pureté merveilleuse, dont celui de l'Italie peut seul donner une idée, au milieu d'une mer diaprée de mille couleurs et que l'on croirait toujours calme et tranquille, si le mot du poète : a perfide comme l'onde », ne revenait à la mémoire, la M a r tinique se dresse brusquement, semblable à une sirène qui étale sa chevelure humide en restant à moitié dans l'eau. L ' î l e , généralement très escarpée sous l e v e n t , est couverte d'une végétation vigoureuse, d'un vert f o n c é , tranchant avec crudité sur le cadre


24

NOS

GRANDES

COLONIES.

azuré qui l'environne. Quand on y descendit pour la première fois, elle était tellement boisée, les arbres de ses forêts étaient si touffus qu'on ne pouvait apercevoir la terre. La situation géographique exacte de la Martinique est entre 14° 2 3 ' 4 3 " et 14° 5 2 ' 4 7 " de latitude nord, — 63° 6' 1 9 " et 63° 3 1 ' 3 4 " de l o n g i tude ouest. Elle fut découverte par Christophe C o l o m b à son quatrième voyage, en novembre 1 4 9 3 , le j o u r de la fête de saint Martin ; c'est de cette circonstance qu'elle a tiré son n o m . Quand on approche de la Martinique, le premier point qui attire le regard est le sommet du Vauclin. Puis surgissent les pitons du Carbet, la Caravelle, pointe avancée qui ouvre la baie du Galion et de la Trinité, et enfin la montagne Pelée, géant de la chaîne centrale. Peu après, les yeux distinguent les cultures variées, les champs immenses de cannes à sucre, les bouquets de palmiers et de cocotiers aux panaches élégants. Puis se déroulent les côtes sous le vent, minées par la mer qui s'y brise en grondant. Quelques bâtiments légers animent ce tableau: goëlettes paresseusement appuyées sur une hanche, pirogues minces et élancées que conduisent hardiment des nègres, presque tous marins de naissance. L'ensemble de l'île forme deux péninsules réunies par un isthme. Sa superficie totale est de 98.000 hectares. L e sol

semble être le

produit d anciennes

érup-

tions volcaniques des montagnes de l'intérieur. La montagne Pelée pitons du Carbet

1.207

atteint environ 1.650 m. ; les m.

Les Roches

Carrées,

le


NOS G R A N D E S

COLONIES.

1**

Rivière Malame, à Fort-de-France.



LA

27

MARTINIQUE.

Vauclin, le Cratère du Marin

et le

la

Morne

Plaine

sont des volcans éteints. L e cratère de la montagne Pelée s'est ranimé au mois d'août 1 8 5 1 . A la base de ces m o n t s , lave

maintenant

s'élèvent

recouvertes

de

des collines de

bois

et

que l'on

appelle Mornes. L'île mesure environ seize lieues de

long

et

qua-

rante-cinq de circuit. La c ô t e , aux découpures

pro-

fondes,

mer,

généralement élevée

est d'un

au-dessus de

abord d a n g e r e u x ; cependant

la

un

certain

nombre de ports et de havres offrent un asile sûr aux navires de m o y e n tonnage. Les principaux sont : la rade de Port-de-France, havres du Robert, du Marin,

du

la rade de

case an Navire et la

L'île

le port de la Vauclin

Saint-Pierre,

la baie

case Pilote,

la

Grande-Anse.

est arrosée par

peu près desséchées

la

les

Trinité,

et du François,

soixante-quinze

pendant les

rivières. à

chaleurs, mais qui,

pendant la saison des pluies, deviennent de véritables torrents. L e s principaux cours d'eau sont, au vent de l ' î l e : le Lorrain,

qui à son embouchure se divise

bras: le Lorrain

et le Masse ; le

qui reçoit la Falaise,

la

le Macouba,

Galion,

en deux

la

Capote,

la Grande-Anse

et

Sainte-Marie. Sous le vent de l ' î l e : la rivière Pilote qui, ainsi que

la rivière Salée,

est navigable ; la Lézarde,

bette, la rivière

de

Monsieur,

passe à F o r t - d e - F r a n c e ; l e Carbet, Saint-Pierre

Les

et la

pluies

la

celle de Madame,

la rivière du

Jamqui

Fort-

Case-Navire,

torrentielles, qui

montagneuse surtout, produisent

inondent

la région

souvent un p h é n o -

mène terrible que les habitants appellent descente. L e s


28

NOS GRANDES COLONIES.

premières pluies forment des amas d'eau considérables dans les inimmenses cuvettes naturelles des rochers ; quand surviennent les secondes pluies, les pierres qui tonnaient un barrage sont emportées, et la masse d e s eaux se précipite,

entraînant

pêle-mêle

des arbres

arrachés, des quartiers de roches déracinés, jusqu'à ce qu'un accident de

terrain, arrêtant ces débris, l'orme

une nouvelle digue qui contient un instant les eaux bouillonnantes. Mais que les pluies augmentent, etalors rien ne peut plus retenir le flot menaçant ; il s'élance impétueux, grossit

se jette dans quelque cours

d'eau qu'il

démesurément, et ce torrrent furieux, sortant

de son lit. dévaste en quelques heures tout un pays. Ce terrible phénomène se produit presque exclusivement pendant l'hivêrnage. Il n'y a aux Antilles que deux saisons : colle que nous venons de nommer, qui dure de la mi-juillet à la m i - o c t o b r e , et la saison fraîche, qui occupe le reste du temps. Cette dernière, p e n dant, laquelle la température varie de 21 à 29° suivant les heures de la journée, est la plus favorable à l'acclimatation des E u r o p é e n s . Pendant

l'hivernage,

le thermomètre marque de 25 à 37 degrés.C'est l ' é p o que où les maladies ges,

tant

celles

exercent leurs plus cruels rava-

qui sont plus spéciales aux

pays

chauds, c o m m e le choléra, la cachexie alcoolique, lièvre paludéenne et la terrible fièvre jaune,

la

— que le

Père Dutertre appelait le coup de barre, — que celles qui se rencontrent malheureusement partout : la d y s senterie, l'hépatite,

les

fièvres

éruptives, la

fièvre

typhoïde et même la phthîsie ; cette dernière, qu'on ne devrait pas rencontrer

aux Antilles, y devient pres-

que toujours galopante. L'hivernage est aussi la saison des pluies torrentiel-


]***

Fort-de-France.



LA MARTINIQUE.

31

les, des violents orages, celle enfin où se produisent le plus fréquemment les phénomènes désastreux qui b o u leversent trop fréquemment les Antilles. N o u s c i t e rons, pour aller du moins mauvais au pire, d'abord les raz de marée, houles monstrueuses produites par la collision de deux courants opposés, qui se jettent avec violence sur la terre, enlevant quelquefois les plus gros navires, pour les transporter au milieu d'une ville et les y abandonner en se retirant. Viennent ensuite les coups de vent qui emportent les toitures des maisons, parfois les renversent, dévastent les plantations, et causent enfin des ravages de toute nature, dont il est impossible de se faire une idée en E u r o p e ; nous mentionnerons entre autres le c o u p de vent de 1 8 2 5 , qui détruisit de fond en c o m b l e le G r a n d - B o u r g de Marie-Galante et qui fit plusieurs centaines de victimes. L e plus redoutable de beaucoup entre ces phénomènes est sans contredit le tremblement de terre. Il ne se produit pas dans une saison plutôt que dans une autre, on peut toujours l'attendre, et il ne se passe point d'année où l'on ne ressente quelques secousses qui causent des dégâts plus ou moins graves. Nous les décrirons dans la partie de cet ouvrage relative à la Guadeloupe, parce que c'est cette île qu'ils ont le plus éprouvée. Nous nous contenterons de signaler ici, puisque nous sommes à la Martinique, celui de 1737 auquel on attribue la destruction de tous les cacaoyers, qui étaient jusqu'alors une des principales exploitations agricoles de l'île. Quant à la pluie, la quantité moyenne qui en tombe annuellement est de 2 1 7 centimètres au niveau de la mer. La différence entre les années pluvieuses et les années sèches est d'environ 33 centimètres.


32

NOS GRANDES

Malgré

cette eau,

COLONIES.

qui est véritablement un bien-

fait de la nature, la température moyenne de la Martinique, à l'ombre et à deux mètres au-dessus du niveau de la mer, n'atteint pas moins de 26° centigrades ; elle monte quelquefois jusqu'à

35° et son minimum est

rarement inférieur à 25°. E n revanche, au sommet des montagnes les plus élevées (le

Carbet et la m o n t a -

gne P e l é e ) , pendant les mois de février et d'avril, elle descend souvent jusqu'à 18°, même aux heures où le soleil est le plus ardent. Mais il n'est pas facile, on le comprendra, d'aller à une altitude aussi considérable j o u i r de cette fraîcheur bienfaisante. Aussi, les j o u r s paraissent-ils horriblement longs dans cette atmosphère

surélevée. E t de fait,

ils le sont vraiment, car ils ne durent jamais moins de onze heures en décembre où ils sont le plus courts, et en juin ils atteignent jusqu'à douze heures et c'est

demie.

donc avec bonheur que les habitants des villes

saluent l'arrivée de la nuit. Les nuits de la Martinique sont admirables. A un jour qui fuit sans crépuscule succède brusquement une obscurité profonde. Bientôt l'immense voile bleu du ciel se pique d'innombrables étoiles d'un éclat extraordinaire, formant entre elles des constellations bizarres, inconnues

du vieux continent.

A l o r s la brise se lève

fraîche et parfumée et permet d'oublier un instant les souffrances d'un jour trop ardent. C'est l'heure où la vie

est d o u c e ,

longues galerie» far

les créoles

se

livrent,

sur les

( l ) , aux joyeuses causeries et au doux

niente. Sur les bords de la mer et dans toute la partie éle-

(1) Balcons de bois qui entourent presque toutes les maisons.


La place Bertin, Ă Saint-Pierre.



35

LA MARTINIQUE.

vée, le climat de la Martinique est suffisamment sain ; mais il n'en est pas de même dans les régions

infé-

rieures, où l'humidité est excessive. Des plaines et des bas-fonds marécageux, s'élèvent dans les airs des buées de vapeurs, et ces tristes nuages portent dans leurs flancs les germes des dyssenteries et des fièvres si justement redoutées. Les premiers colons donnaient un n o m horrible au brouillard compact et nauséabond qui les couvre souvent vers le milieu de la nuit : ils l'appelaient le drap mortuaire des savanes. Nous avons dépeint l'aspect général de l'île, indiqué sa situation

g é o g r a p h i q u e , décrit

ses montagnes

et

ses rivières, son climat et ses saisons, il ne nous reste plus qu'à donner à nos lecteurs une idée exacte des deux principales villes de la Martinique : Saint-Pierre et F o r t - d e - F r a n c e . F o r t - d e - F r a n c e , autrefois F o r t - R o y a l , prend

son

nom du fort qui la domine et en défend l'approche. Il s'élève au fond d'une baie profonde qui constitue

une

rade sûre et d'un accès facile. La ville, assez j o l i e , est surtout remarquable par le cachet colonial que

lui donnent ses

grandes

rues

larges, tirées au cordeau et bordées de maisons néralement en bois et à

gé-

un seul étage : précautions

indispensables contre les tremblements de terre. Les fenêtres qui éclairent ces maisons sont d é p o u r vues de vitres et ne sont closes que par des jalousies, qui permettent d'établir des courants d'air continuels pendant la chaleur du j o u r , et qui, la nuit, laissent pénétrer la brise fraîche de la mer. F o r t - d e - F r a n c e est la ville administrative, c'est là qu'est le siège du g o u v e r n e m e n t , du tribunal et

de


36

NOS

GRANDES

COLONIES.

toutes les autorités civiles et militaires

de l'île.

Sa

population est d'environ 2 4 . 0 0 0 habitants. A sept lieues à l'ouest de

Fort-de-France, s'élève

la jolie ville de Saint-Pierre, dont les premières

mai-

sons, qui s'étendent jusqu'à l'Océan, sont baignées par les vagues. Saint-Pierre se divise en trois paroisses ou quartiers : le F o r t , le Centre et le M o u i l l a g e . L e F o r t , situe du côté opposé à la m e r , monte

ra-

pidement jusqu'à une éminence appelée Tivoli ; sa p o sition élevée e t les ombrages qui défendent

ses habi-

tations contre les ardeurs du soleil, tout en les laissant exposées à la brise de m e r , en ont t'ait un endroit très recherché

de ceux que leurs affaires

n'appellent pas

journellement sur les quais, o ù est le centre de

la

ville commerciale. Des hauteurs de Tivoli, on embrasse un coup d'œil merveilleux ; à g a u c h e r i e s campagnes

couvertes de

riches cultures, et qui s'étendent jusqu'au le morne calebasse toujours couronné de

Prêcheur,

verdure, la

savane et le jardin des plantes ; à droite : la

paroisse

du M o u i l l a g e et les p i t o n s du Carbet qui ferment l ' h o rizon du côté de la terre : à ses pieds : la rade remplie de navires ; au loin,la mer resplendissante,sur laquelle se détachent les voiles blanches de nombreux bateaux. La paroisse du Mouillage s'étend le l o n g de la mer et de là à pic qui

monte

en amphithéâtre jusqu'au morne taillé

domine la ville.

Les quais et les rues du bord de la mer sont o c c u pes par les commissionnaires, les commerçants magasins où sont exposées les marchandises

et les venant

de F r a n c e . L a place Bertin, sur le p o r t , plantée

de

tamarins


NOS G R A N D E S

COLONIES.

2

Jardin botanique de Saint-Pierre.



LA

39

MARTINIQUE.

qui l'ombragent, est le lieu de réunion de tous les négociants de la ville ; c'est là que se tient la Bourse. Les

rues

perpendiculaires

à la

mer

sont m o n -

tueuses, raides et presque impraticables ; dans c e r tains endroits même,elles se terminent en escaliers. Les voies parallèles sont bordées de chaque côté de

larges

dalles qui remplacent les trottoirs : des ruisseaux p r o fonds, où court une eau v i v e , entretiennent les rues dans un état de fraîcheur et de propreté indispensables sous ce climat brûlant. D u reste, l'eau est répandue dans la ville en abondance, et presque toutes les maisons sont pourvues de fontaines. A u c u n édifice public à signaler, à part le théâtre, qui, sans être un monument remarquable, est moins laid cependant qu'on ne pourrait s'y attendre ; il est, du reste, dans une position exceptionnelle, et on y jouit d'une vue magnifique, car le regard embrasse la ville, le Trou-Vaillant et la savane immense qui se déploie jusqu'au bout de l'horizon. Les appartements sont généralement peu meublés ; le rez-de-chaussée, que l'on n o m m e aussi galerie et qui rappelle le parloir

anglais, est le lieu de réunion ; on n'y

trouve guère que des canapés, meuble très

apprécié

des créoles. Dans les chambres à coucher sont de larges lits à colonnes, disposés pour recevoir les moustiquaires. Le jardin des plantes est admirablement situé et il offre aux y e u x étonnés de l'Européen la collection la plus complète de toutes les plantes

tropicales ; une

végétation vigoureuse produit des ombrages épais ; d'abondantes

cascades ménagées avec art

répandent

autour d'elles une délicieuse fraîcheur, et des oiseaux au plumage multicolore, inconnus sur notre continent,


40

NOS GRANDES

COLONIES.

viennent é g a y e r la verdure des feuilles aux formes étranges des cannes à sucre, des bananiers, des p a l miers et de gigantesques mimosas. Malheureusement, sous ces feuilles si belles, sous ces fruits aux couleurs si engageantes, sous la mousse que foulent nos pieds.se cachent des serpents, hôtes dangereux, dont nous parlerons tout à l'heure. F o r t - d e - F r a n c e et S a i n t - P i e r r e sont, à proprement parler, les seules villes de la Martinique ; le V a u c l i n , le P r ê c h e u r , le Carbet, etc., ne sont que des bourgs ou des villages sans importance. L a population totale de l'île est d'environ 1 6 0 . 0 0 0 habitants. Telle est, fidèlement

décrite, cette île de la Marti-

nique, que l'on a cru devoir surnommer

la reine des

Antilles françaises, titre à la fois mérité et injuste, car la Martinique y a tous les droits, il est vrai, mais sa sœur la Guadeloupe

porte c o m m e elle une triple

couronne de richesse, de poésie et de beauté.


Groupe de cases

de cultivateurs.



LA

MARTINIQUE.

CHAPITRE LA P O P U L A T I O N

43

II.

E T L E S MŒURS.

Petite rectification. — T y p e s originaux et variétés. — Le créole. — Questions de couleur. — Hier et aujourd'hui. — Un bal. — La vie. — Une singulière habitude. — Zombis et soucougnant. — Le langage créole ; les bambous.

L a population se compose des mêmes éléments, à peu de chose près, dans toutes les Antilles françaises ; si nous plaçons sous la rubrique Martinique un aperçu des différents types qui la constituent, c'est que dans cette île la question des couleurs a subsisté plus vivace qu'ailleurs, et parfois encore y passionne les esprits. A vrai dire, nous n'abordons point ce chapitre sans quelque appréhension, tant nous savons chatouilleux les épidemies de toutes couleurs de nos excellents compatriotes ; mais notre bonne foi et notre impartialité nous mettront, il faut l'espérer, à l'abri de toute récrimination. D'une façon générale, on distingue aux Antilles ceux qui sont blancs et ceux qui ne le sont pas. Les blancs se divisent en Européens et en créoles. C'est tout à fait à tort que l'on emploie, en F r a n c e , ce dernier mot, pour désigner indifféremment tous les habitants des îles. On peut dire, il est vrai, un nègre créole, pour distinguer un noir né aux Antilles, d'un Africain, par exemple ; mais, prise seule, cette expression un créole ne s'applique avec justesse qu'à l ' i n d i vidu ne aux colonies de parents appartenant à la race


44

NOS GRANDES

caucasienne.

— Les Européens s'assimilent, très vite

COLONIES.

aux créoles en adoptant leurs m œ u r s , leurs habitudes, et même leurs idées. Tout le reste de la population se rattache à une des catégories que nous allons indiquer.

Elles sont très

nombreuses, mais on ne rencontre en réalité, outre les blancs, que trois types originaux : les Africains,

les

et les Chinois. Quant aux habitants primitifs

Indiens

de l'île, les Caraïbes,

ils

ont

complètement

Les violences et les cruautés inséparables,

disparu. paraît-il,

de toute conquête, ont détruit la vaillante race de ces hommes au teint cuivré

qui, forts et braves, actifs et

adroits, nous prêteraient un concours précieux, a u j o u r d'hui que la grande culture dépérit dans nos colonies. Ils étaient, il est vrai, polygames et antropophages ; mais il eût été possible de les ramenera des mœurs plus rationnelles, et la destruction est, à coup sûr, le plus déplorable m o y e n de civilisation. Les quatre mariant

races que nous avons indiquées, en se

entre elles

ou en se

croisant, donnent les

résultats suivants : L e s blancs, entre e u x , donnent les créoles. Les Africains, entre eux, produisent ceux que, après deux

ou trois

générations, on appelle

nègres

des

colonies. Le

croisement

de la race blanche

avec

la race

indienne donne naissance au métis ou métif ; avec la race noire, au

mulâtre.

Celui-ci, à son t o u r , toujours avec le blanc, e n g e n dre les quarterons

; si

croise, il produira le

c'est avec le nègre qu'il

se

câpre.

Enfin, le nègre, en s'alliant avec les derniers descendants des Caraïbes, produit le griffe.


LA

45

MARTINIQUE.

Ces nombreuse? variétés ne diffèrent guère entre elles que par la nature des cheveux plus ou moins crépus, et par la couleur de l'épiderme plus ou moins foncé, suivant le nombre de générations qui séparent l'individu du blanc. Le créole est généralement bien fait, de taille moyenne, mais de constitution peu robuste, ruinée qu'elle est par une anémie quasi-héréditaire. Ses principales qualités sont la générosité et la bravoure. A v a n t 1 8 4 8 , chaque planteur tenait table ouverte sur son habitation; quiconque y entrait était certain d'y trouver l'hospitalité la plus cordiale et en même temps la plus luxueuse : maison, chevaux, esclaves, argent même, tout était mis immédiatement à sa disposition, et l'étranger, qui croyait n'être venu chez un colon que pour quelques heures, y demeurait parfois plusieurs semaines. Nous avons parlé de bravoure. Les luttes acharnées dont il est question dans la partie historique de cette étude témoignent suffisamment du courage des créoles. A un autre point de vue. nous n'étonnerons personne en disant qu'aux Antilles on a la tête chaude. Les duels y sont fréquents et se terminent rarement par de simples égratignures ; ils ont souvent lieu à la carabine de précision, à courte distance. E n revanche, le créole a de nombreux défauts : il est orgueilleux, vantard et frivole ; enfin l'on pourrait appliquer presque à chaque habitant cette expression pittoresque fréquemment usitée là-bas : « Il marche avec un pistolet dans sa poche pour tuer celui qui a inventé le travail » . Quant aux femmes créoles, nous ne saurions trouver de termes assez flatteurs pour louer leur beauté, leur 2*


46

NOS GRANDES

COLONIES.

grâce et leur douceur. Les perfections les plus c o m munes chez elles sont la richesse de la chevelure, la blancheur mate du teint, la finesse des mains et des pieds, l'éclat du regard. Les Africains sont des hommes de moyenne taille, vigoureusement découplés et d'une force musculaire peu c o m m u n e . Par contre, ils ont les traits grossiers : le front, bas et fuyant, est recouvert d'une forêt de cheveux crépus ; sa seule qualité est d'avoir la dureté de la pierre ; les y e u x sont petits et bridés ; l'os nasal extérieur n'existe presque pas, et l'on n ' a perçoit, c o m m e appareil olfactif, que deux énormes trous noirs. N'en déplaise aux romanciers, qui gratifient généralement leurs personnages nègres de lèvres rouges comme du corail, elles sont d'un noir violacé ; épaisses, lippues, n'étant point cachées par la barbe, qui fait presque absolument défaut, elles donnent à l'Africain une bouche repoussante. Les nègres des colonies, descendants des Africains, sont leur reproduction affaiblie, et le type va s'adoucissant à chaque génération nouvelle. A u j o u r d ' h u i il faut les diviser en deux catégories : d'une part, ceux qui sont restés la classe inférieure : domestiques, petits artisans, etc. ; d'autre part, ceux qui, pouvant mettre à profit les b i e n f a i t s de l'éducation, franchissent rapidement tous les degrés de l'échelle sociale, et semblent avoir adopté pour devise le « quo non ascendant » de F o u q u e t . Il ne faudrait pas conclure du portrait peu flatteur que nous avons tracé de leurs pères que les nègres sont inintelligents : loin de là ! leur boite crânienne, énorme,contient un cerveau que la culture peut rendre puissant ; et c o m m e ils sont doués d'une volonté particulièrement, tenace, presque tous ceux


LA

MARTINIQUE.

47

qui reçoivent de l'instruction deviennent des hommes supérieurs. Quant aux nègres de la première catégorie, il semble que l'esprit du bien et celui du mal se livrent en eux un combat perpétuel. Ils sont menteurs, voleurs, vaniteux (farandoleurs), et paresseux ; la locution « travailler c o m m e un nègre » a certainement été trouvée par un homme qui n'avait jamais quitté la France. A u x heures mauvaises, il se réveille en eux on ne sait quelle haine féroce du blanc. E n revanche, ils constituent, c o m m e cultivateurs, des auxiliaires précieux, doux et remplis de bonne volonté : c o m m e domestiques, ceux qui se mêlent d'être bons et dévoués sont vraiment remarquables, et il n'est pas rare de rencontrer encore dans les familles créoles des serviteurs que leurs qualités ont fait élever pour ainsi dire au rang de membres de la famille. Le portrait moral que nous venons de tracer du nègre des colonies, peut s'appliquer également bien au mulâtre, son rival d'hier, son allié aujourd'hui. Issus du blanc et du noir, les mulâtres présentent à des degrés divers les qualités et les défauts des deux races, en accentuant,, c o m m e il arrive presque toujours, de préférence les mauvais côtés. Placés, à tous les points de v u e , dans une position meilleure que celle des n è g r e s , ils ont moins souffert que ces derniers, et pourtant ils ont gardé de l'ancien état de choses des souvenirs plus vivaces, une aversion plus profonde contre le blanc : aux jours de guerre civile, ce sont eux, toujours, qui ont montré le plus d'acharnement et de cruauté. Quelles sont les raisons de cette apparente anomalie ? Nous en v o y o n s deux. La première, c'est Que, plus rapproché du blanc, le mulâtre s'est


48

NOS GRANDES

COLONIES.

jugé plus tôt son égal et a entamé de très bonne heure une lutte où il était soutenu par l'envie et la jalousie.

Indienne.

La seconde, c'est que le mulâtre, esprit plus délié que le descendant de l'Africain, était mieux capable de ressentir toutes les injures qui pouvaient lui être faites, et dont sa naissance m ê m e était la première.


LA

MARTINIQUE.

49

Arrivons maintenant à ceux qui ne se rencontrent dans nos colonies que c o m m e immigrants. Le nom d'Indien n'appartient en propre qu'aux habitants des Indes Orientales. C'est en cherchant un chemin direct pour parvenir à ces contrées que Ton trouva le N o u v e a u - M o n d e , et il en résulta que les navigateurs, croyant être arrivés au terme de leur voyage, appliquèrent, à tort, cette dénomination aux aborigènes de l'Amérique. Ce n'est pas de c e u x - c i qu'il est question. N o s Indiens viennent bien des Indes. Ils sont grands, minces, élancés, avec des attaches légères et des traits d'une finesse extrême. Leurs cheveux plats sont longs et rudes, et d'un noir terne. Ils sont en général doux et adroits, s o u mis, obséquieux même. Ils forment une caste distincte qui se mêle peu aux autres habitants et constituent ainsi un élément à part, un noyau nouveau de populat i o n . E n revanche, ilssonttrès vicieux. Quand ilsont, ou croient avoir un motif de haine, ils se montrent e x t r ê mement rancuniers et vindicatifs, incendiant au moindre prétexte les magasins de chauffage appelés cases à bagasse. Sur dix crimes jugés par la cour d'assises, neuf sont commis par des Indiens. Cet assemblage bizarre de qualités et de défauts fait qu'ils ont dans nos colonies des partisans et des détracteurs acharnés. Il ne nous reste plus à parler que des Chinois. Les fils du Céleste-Empire sont généralement bien pris dans leur petite taille. A v e c leur tête de forme conique, leur figure triangulaire au teint jaune, leurs yeux obliques, leurs sourcils droits et élevés, leur nez écrasé, leur lèvre supérieure faisant saillie sur l'autre, ils paraissent étranges, un peu effrayants, promenant en silence, au milieu de nos nègres méfiants, leur appendice capillaire vrai ou p o s t i c h e .


50

NOS

GRANDES

COLONIES.

Nous ne voulons pas j u g e r le peuple chinois

d'après

les quelques convois qui sont arrivés aux colonies. Ils étaient en effet toujours composés d'individus ramas-

Mulâtresse.

ses dans les tavernes et les cloaques de leurs

villes

natales. D ' u n e façon générale, on accusait les Chinois d'être voleurs et perfides ; mais nous devons dire aussi qu'ils

étaient

industrieux,

laborieux

et économes.


LA

MARTINIQUE.

51

Quoi qu'il en soit, on a dû renoncer à l'importation de l'élément chinois, et les Célestiaux deviennent de plus en plus rares aux Antilles. Ceux qu'on y rencontre aujourd'hui sont petits commerçants. Poussons un peu plus avant l'étude des rapports qu'ont entre eux les élément si divers de cette p o p u l a tion bigarrée. Il faut d'abord éliminer les Indiens et les Chinois, qui demeurent à peu près indifférents aux affaires d'un pays qui n'est pas le leur. Il reste en présence : les blancs, les nègres et les mulâtres. Leurs relations ne sont malheureusement pas amicales et fraternelles c o m m e devraient l'être celles des enfants d'une même patrie. Loin de la, blanes d'un coté, nègres et mulâtres de l'autre, forment deux camps absolument opposés, et les rapports sont parfois tellement tendus qu'ils se brisent avec une violence dont on est loin de se douter en F r a n c e . Tout récemment encore, en 1 8 8 2 , la ville de Saint-Pierre a été b o u l e versée par des troubles qui ont gravement compromis la sécurité publique. Deux maisons ont été détruites de fond en c o m b l e , plusieurs personnes se sont trouvées en danger de mort. L'esprit dans lequel est conçu cet ouvrage ne nous permet pas de nous aventurer sur le terrain de la politique : nous nous contentons d'indiquer l'état des esprits, et surtout de signaler les causes les plus vraies, les plus sérieuses des dissentiments entre les blancs et leurs antagonistes, qu'on g r o u p e le plus souvent sous l'appellation générique de gens de couleur ( 1 ) ; (1) En réalité, on ne désigne sous ce nom aux Antilles que les mulâtres; mais nous trouvons plus commode et plus logique de L'appliquer, dans nos explications, aux nègres comme aux mulâtres.


52

NOS GRANDES

causes

bien connues

COLONIES.

des habitants du p a y s ,

mais

extrêmement délicates à déduire. Les blancs étaient autrefois les maîtres absolus du pays et n'estimaient nègres ou mulâtres q u ' à leur v a leur vénale, c'est-à-dire qu'ils ne les estimaient point du

tout,

les considérant

purement

et

simplement

connue des bêtes de somme susceptibles de produire un revenu plus ou moins élevé. D e fait, les esclaves, sans état civil, sans famille, propriété absolue du maître qui les avait payés, dégradés souvent par les c h â timents corporels

et les traitements les

plus vils,

n'étaient guère en état d'inspirer la considération : et le seul sentiment qu'ils pussent éveiller dans l'âme, même des meilleurs, était celui

d'une pitié un peu

méprisante. Les temps et les choses ont bien changé. U n des plus beaux titres de gloire des hommes de 1 8 4 8 , c'est, à coup

sûr, l'émancipation

des

esclaves. N o u s

nous

sommes déjà permis de dire que ce grand acte de l'affranchissement

a été accompli avec une précipita-

tion

nous ajouterons

rendu

regrettable;

un nouvel hommage

aux

ici, après nobles

avoir

sentiments

qui ont inspiré cette mesure, que cette précipitation est expliquée, sinon tout à fait excusée, par les e n traînements de la lutte et de la victoire. Le principe a triomphé, et les colonies n'ont pas péri, il est vrai ; mais nous défions quiconque les a habitées et les c o n naît, de nier que leurs intérêts, dont la mère-patrie est si profondément solidaire, n'aient été en un j o u r gravement c o m p r o m i s , sinon tout à fait perdus. Quoi qu'il en soit, la folie des premières heures

de

liberté une fois apaisée, les plus intelligents des n è gres et des mulâtres envisagèrent froidement la situa-


LA

MARTINIQUE.

53

tion, et, de ce j o u r , ils se proposèrent, avec la ténacité qui leur est propre, d'atteindre deux buts essentiels :

Négresse.

l'instruction et la fortune. Nous ne les suivrons pas dans les longues et difficiles étapes qu'ils ont eu à franchir ; il nous suffit de constater qu'aujourd'hui beaucoup ont obtenu le résultat tant désiré.


54

NOS GRANDES

COLONIES.

Les blancs n'ont fait d'abord que rire des efforts de leurs esclaves d'hier. Ils ont persisté dans mépris,

sans

leur

daigner s'apercevoir que le vieux monde

créole s'était écroulé, et qu'un j o u r prochain viendrait où le sol de l'île, c o m m e aussi les situations honorifiques, appartiendraient à ceux qui sauraient les c o n quérir et les garder. Ils se sont abandonnés, c o m m e par le passé, aux engourdissements d'une vie p a r e s s e u s e et facile, dissipant avec insouciance les restes de leurs fortunes à peu près détruites, et un beau j o u r ils se sont réveillés plus faibles que les déshérités de la veille. V o i c i donc une première cause de discorde : chez les uns, orgueil i m m o d é r é , inspiré par les positions conquises ; chez les autres, colère et désespoir de les avoir laissé conquérir. L'exercice des droits politiques est venu compliquer la situation. Les gens de couleur, nègres et mulâtres, sont naturellement très attachés au régime qui leur a rendu leur

dignité

d ' h o m m e ; les créoles, au c o n -

traire, par essence et par tradition, sont conservateurs; o r , c o m m e les premiers sont dix fois, v i n g t fois plus n o m b r e u x que les seconds, la victoire leur est toujours restée sur le champ de bataille des élections, et aujourd'hui les blancs ne prennent même plus la peine de voter, se dérobant, par avance,

à une lutte où

ils sont sûrs d'être vaincus. Voilà un second motif très sérieux pour qu'il n'y ait pas, entre blancs et gens de couleur, une s y m p a thie très vive. Quand on voit cette antipathie se transformer parfois en haine, haine violente, implacable, on s'étonne, on s'inquiète, et l'on se dit qu'il doit y avoir une autre cause à ce déplorable état des esprits; on la cherche et on ne la trouve pas. Ceux-là seuls la connais-


LA

MARTINIQUE.

55

sent, qui ont longtemqs habité et pratiqué les colonies. A u x Antilles françaises, la question de la femme, dont personne ne parle, est la question qui au fond passionne le plus les esprits. Beaucoup de n è g r e s et de mulâtres, avons-nous dit, ont acquis la richesse et l'instruction ; ils retournent aujourd'hui dans leur pays natal, après de brillantes études faites en France, c o m m e médecins, comme avocats, c o m m e magistrats ; quelques-uns deviennent gouverneurs de l'île où leur grand-père a reçu le fouet. H o n n e u r aux travailleurs courageux, dont le succès a récompensé les efforts ! Malheureusement il manque une chose essentielle pour que la population des colonies soit h o m o g è n e , unie et parfaitement heureuse: c'est que les nouveaux venus soient vraiment acceptés par la société créole. On les estime à leur valeur, on les salue dans la rue, on les reçoit dans quelques maisons, mais seulement dans des maisons de fonctionnaires, et enfin — là est la g r o s s e question — il n'y a pas dix créoles qui consentiraient à donner leur fille en mariage à un nègre ou à un mulâtre. D e leur côté, les jolies créoles éprouvent une horreur incroyable, qui semble instinctive, pour tout ce qui est de sang mêlé, même à un degré très faible. O r , s'unir à elles, est justement l'ambition éternelle des nègres et des mulâtres. Ils se présentent, mais ils sont éconduits, et les échecs répétés leur inspirent contre les blancs une haine p r o fonde, dont rien ne saurait faire comprendre la violence aux lecteurs européens. Il y a quelques années, un gouverneur de la Martinique eut l'idée désastreuse, — et pourtantellelui avait été inspirée par un vieux créole très expérimenté,


56

NOS

GRANDES COLONIES.

qu'aveuglait sans doute son grand désir de conciliation! — de donner à Saint-Pierre un bal magnifique, où il convia, en même temps

que

les

blancs, les p r i n -

cipaux d'entre les nègres et les mulâtres. Qu'arrivat-il

C'est qu'à peine entrés dans l'immense salle du

bal, les arrivants formèrent trois camps bien distincts, noirs et blancs aux deux extrémité?, mulâtres

entre

les deux : les jeunes filles créoles avaient eu le soin de promettre, longtemps à l'avance, toutes leurs dansesà leurs frères, cousins et amis : et nous renonçons à peindre le sourire dédaigneux avec lequel elles annonçaient la nouvelle aux cavaliers bronzés qui

s'aventuraient

à leur adresser une invitation. Il ne résulta d e c e t t e fête que d e s provocations, des duels et un redoublement d e haine. Mais, diront les Européens, ce sont les créoles qui ont tort ; pourquoi cet

ostracisme

dont

ils frappent

leurs compatriotes d e sang m ê l é ? Eh q u o i !

voici un

homme d e bonne éducation, instruit, médecin

distin-

gué ou magistrat détalent, e t . parce qu'il a sous l'épiderme quelques molécules colorantes de plus ou d e moins, vous aimeriez mieux, suivant l'un d'entre vous, enterrer

votre

l'expression de

fille

vivante que de

la lui accorder en mariage ! c'est de la folie pure. Ce raisonnement paraît tout d'abord d'une justesse indiscutable. Mais, pour Comprendre les sentiments des créoles, il est bon de connaître

et de

peser

les

considérations suivantes. V o i c i un h o m m e , nègre ou mulâtre, d'une

parfaite honorabilité ; très b i e n ! il

est de plus, dites-vous, médecin detalent, ou magistrat distingué, ou commerçant d'une probité à toute é p r e u v e : de mieux

en mieux. Malheureusement il n'est pas

seul au monde ; il sort d'une

famille

nouvellement


LA MARTINIQUE.

constituée, où un état civil régulier, la

57

fidélité

aux

principes de la morale et de l'honneur, e t c . , sont d'in-

V i e i l l e négresse.

troduction trop récente. Il traîne c o m m e un

boulet,

l'infortuné! ou un oncle qui aura été condamné vol sur une habitation, ou une cousine qui

pour

court

les

rues de la ville portant sur un madras crasseux

un


58

NOS GRANDES

COLONIES.

trait chargé de morue fraîche ou salée, ou parente

moins

d'habitants

avouable

de L y o n ,

quelque

encore. Combien y

de Marseille,

a-t-il

de Paris, qui

repousseraient avec horreur tout projet d'union dans les conditions que nous venons

de

dire!

Personne

plus que nous ne désire la fusion des races : elle est logique, indispensable, et elle se fera ; mais ceux qui la veulent immédiate,instantanée, sont des utopistes ou des ignorants. Il faut attendre qu'un demi-siècle, et plus, ait effacé dans nos colonies j u s q u ' a u x vestiges d'un

esclavage et

d'une

derniers

dégradation

qui

étaient la honte de l'humanité. A part ces rivalités, la vie est tout à et douce à la

Martinique.

Les dames

préférant rester à l'abri d'un maisons

soleil

rendues aussi fraîches

avec peine qu'elles se décident

fait

paisible

sortent peu,

de feu dans

que

à dépouiller le

peignoir créole, et à quitter la berceuse ou le aux balancements qui endorment.

les

possible ; c'est

Les

large hamac

hommes

vont à leurs affaires, en général, que jusqu'à

ne

onze

heures du matin, et à partir de trois heures de l'aprèsmidi ; dans l'intervalle, ils

s'abandonnent

aux d o u -

ceurs de la sieste. Leur costume est des plus simples et ne se compose que de vêtements de nankin.

coutil ou de

La coiffure universellement portée, par le

gouverneur c o m m e par le dernier nègre de

l'île, est

le panama aux larges bords. Le seul costume pittoresque est celui des négresses. Il se compose d'une chemise

brodée

jupe aux bandes de couleurs

voyantes, attachée

très fine, d'une très

haut, à la manière des robes premier empire, d'un m a dras j a u n e , vert et r o u g e , posé au sommet de la tête de la manière la plus originale, le tout surchargé

d'é-


LA

53

MARTINIQUE.

pingles d'or, de broches, de pendeloques de toute nature, biles sont d'une propreté remarquable, et ne prennent pas moins de trois ou quatre bains par j o u r . Elles sont presque constamment armées brosse à dents qu'elles agitent

d'une

vivement dans

leur

bouche, préalablement remplie de tabac en poudre. Ce sont là, en effet, deux des traits caractéristiques du caractère nègre : l'amour de la propreté et celui des couleurs éclatantes. Les mœurs sont douces, et la religion catholique est universellement pratiquée. les nègres d'être

Cela n'empêche pas

extraordinairement

Ils ont une multitude

d'amulettes

superstitieux.

ou de gris-gris :

ils croient aux mauvais sorts, — aux sorciers, volants,

soucouyans ou soucougnans, — a u x philtresOuquimbois, — aux revenants, qu'ils appellent des zombis. On s'est habitué, en F r a n c e , sur la foi de romanciers peu soucieux de l'exactitude, à croire que le n è g r e des Antilles parle u n e sorte de langage télégraphique dont voici un échantillon : nègre dire à blanc li vouloir tafia. L a vérité est que le patois créole est presque une langue, langue absolument incompréhensible à qui n'en a pas l'habitude.

Elle

est faite de

mots

•empruntés à presque tous les idiomes connus : anglais, espagnol, hollandais, danois, etc. L e s mots français qui s'y rencontrent sont presque tous méconnaissables à force d'être défigurés ; quelques-uns sont tirés du langage particulier

à telle ou telle province.

Parmi

ces derniers, nous en citerons un bien j o l i , qui est une sorte d'onomatopée imitative du chant des oiseaux au matin. La pointe du j o u r , en vieux langage bas-breton, s'appelait la piperette ; les nègres en ont fait le pipirit

chantant.


NOS GRANDES COLONIES.

60

C o m m e preuve de ce que nous avançons, nous d o n nons à l'appendice

une fable empruntée

à un petit

c h e f - d ' œ u v r e , dont l'auteur est M . E . M a r b o t , c o m missaire de la marine, qui lût ordonnateur aux

co-

lonies ( 1 ) . (1) Les Bambous, fables de La Fontaine, travesties en patois créole par un vieux commandeur. 1869 Fort-le-France, librairie de Frédéric Thomas, rue Saint-Denis. (Voir à l'appendice )


LA

61

MARTINIQUE.

CHAPITRE III. Le règne animal. — Les serpents. — Renvoi à la Guadeloupe. — Histoire du café. — Une réputation usurpée.

La mer des Antilles est riche en animaux de toutes sortes, g r o s et petits. On y trouve quelques haleines dont, malheureusement, la pêche est négligée par les Français et est devenue le monopole presque exclusif des Américains. On y rencontre aussi des requins, des marsouins, et une espèce d'énorme brochet de mer. I ta y pêche le thon, la raie, le rouget, le balaou. l'orphi, dont la mâchoire forme à elle seule le quart de la l o n gueur ; la bonite, la dorade, ce poisson aux formes élégantes et aux couleurs diaprées qui changent mille fois dès qu'on l'a retiré de l'eau. La galère, cette vessie qui semble inanimée, y sécrète son poison v i o l e n t ; le poisson volant y prend ses ébats, trop souvent interrompus par la dentvorace d'un congénère peu scrupuleux, ou vient quelquefois, trahi par ses forces au milieu d'un bond mal calculé, tomber et expirer sur le pont d'un navire mouillé dans la rade. A la Martinique, les huîtres et les écrevisses sont abondantes et savoureuses. Les crabes n'y manquent pas non plus. Signalons encore les tortues de mer, dont la chair est un aliment délicat, la carapace une matière industrielle précieuse, et les petites tortues de terre, assez insignifiantes, qu'on n o m m e Les animaux NOS

molokoies.

domestiques sont les mêmes qu'en

GRANDES

COLONIES.

2**


62

NOS

GRANDES COLONIES.

F r a n c e , et les animaux sauvages sont peu n o m b r e u x . Ce sont le manicou, l' agouti et le rat

L e rat musqué, qu'il

possède

remarquable

et qui sécrète

musqué.

par la petite

une liqueur

poche

fortement

imprégnée d'odeur de musc, est connu de nos lecteurs : son espèce est du reste répandue à profusion

dans

l ' A m é r i q u e du Nord. L'agouti est un r o n g e u r , de la famille des caviens, dont on connaît trois espèces : l'agouti simple,

l'agouchi

et l'agouti huppé. Les agoutis sont de j o l i s

animaux,

de la taille et presque de la forme de nos lapins. Ils vivent dans les bois, mais ne se creusent pas de terriers, préférant

se

retirer dans les troncs d'arbres

c r e u x . Ils se nourrissent d'écorces et de fruits ; on les considère c o m m e un gibier p r é c i e u x , car ils fournissent des rôtis succulents, fort appréciés des g o u r m e t s . L e manicou

est un animal du

genre

sarigue, à

oreilles bicolores. Il a le museau assez semblable à celui du sanglier, la queue raide et assez étendue, le poil rude et l o n g ,

de couleur brun fauve. Les petits

séjournent, pendant cinquante jours après leur naissance, dans la poche que le m a n i c o u femelle porte c o m m e la sarigue. C'est un ennemi dangereux pour les oiseaux et les habitants des basses-cours. Les rats ordinaires pullulent à la Martinique, et la canne à sucre est leur aliment f a v o r i ; aussi leur faiton une guerre acharnée avec

des Bull-terriers. Il y

avait même autrefois une prime par queue présentée. Les serpents en détruisent

aussi de grandes

quan-

tités. Malheureusement, l'auxiliaire est pire que l'ennemi, et nous voici amenés à parler de ce qui constitue une véritable plaie à la Martinique.


MARTINIQUE.

63

On y rencontre une grande quantité de reptiles venimeux de toutes les tailles et de toutes les c o u leurs. Les plus communs sont les trigonocéphales, dénomination générale sous laquelle se rangent cinq ou six espèces de serpents à la tête triangulaire, extrêmement dangereux, parmi lesquels se distingue surtout la vipère fer de lance. Sa piqûre est mortelle, et presque sans remède. On prétend que les nègres charmeurs ou panseurs s'enduisent les mains et le corps d'un jus qu'ils tirent de la racine du citronnier mâchée ; mais nous ne conseillerions à personne d'expérimenter la vertu plus ou moins réelle de ce spécifique. Le moyen le plus efficace que nous ayons vu employer par les nègres consiste à sucer immédiatement la plaie ; mais le danger n'en est pas moins très g r a n d , car la moindre écorchure dans la bouche de l'opérateur suffit pour provoquer un empoisonnement presque f o u droyant. Par malheur, ce n'est pas seulement dans les campagnes que l'on est exposé aux morsures fatales. A u mois d'août 1876, nous avons vu tuer dans une des rues les mieux fréquentées de Saint-Pierre, où il y a plusieurs pensionnats de jeunes filles, une femelle pleine de v i n g t - c i n q serpenteaux. N o u s lisons dans le Propagateur de la Martinique du 28 octobre de la même année : « On n'a jamais vu tant de serpents ni si g r o s , et si l'on ne se décide à leur faire une guerre sérieuse, ce n'est pas seulement dans les bois, dans les champs de cannes, sur les grands chemins que ces immondes et malfaisantes bêtes seront redoutables ; non, elles envahiront nos villes en maîtres, et on se rangera sur leur passage, en leur tirant le chapeau à distance, comme aux grands seigneurs d'autrefois. »


64

NOS GRANDES COLONIES.

Viennent alors des citations de nombreux accidents, Nous aimons mieux ne rapporter

suivis de mort. que l'aventure

suivante, qui

s'est

terminée

ici

d'une

façon moins tragique: « Il y

a quelques jours, M .

intérim du Jardin

Gr....

directeur par

des Fiantes, venait de faire visite

à un voisin, M . Ma

avec ses deux enfants, et un

j e u n e h o m m e tenant un fanal, car la nuit commençait. Tout à c o u p , sur l'avenue, qui a deux mètres

envi-

ron de largeur, il aperçut un serpent qui barraittotalement le passage, sans qu'il fût possible de distinguer la tête de la queue, les extrémités étant dans les herbes des deux côtés. Sachant que les coups sont

plus

terribles près de la tête, il frappa là où il la c r o y a i t . Malheureusement, il avait frappé la queue ; aussitôt, le monstre se redressa, cherchant à s'élancer sur Le jeune homme qui portait le fanal s'étant le pauvre père

resta dans

lui.

éloigné,

l'obscurité, poussant ses

deux filles derrière lui de la main g a u c h e , droite s escrimant avec son bâton

contre

qui finit par disparaître, et qui est

et de la

le

reptile,

mort peut-être,

mais qui peut-être aussi est vivant, bien que le bâton soit taché de sang. O r , la maison qu'habite M . M a . . . est à cinquante pas du repaire du monstre, et cinq ou six

il y a

petit! enfants qui jouent là, toute la

journée, e t c . . » E n résumé, la Martinique paie chaque

année un

tribut de victimes à ces Minotaures. T o u t le

monde

n'est pas mordu, c'est évident, mais tout le

monde

supporte mille vexations diverses à cause de cet e n nemi redoutable.

Il

vous prive des promenades n o c -

turnes, vous empêche de poser le pied dans les herbes ou de vous asseoir dans les champs, vous oblige à tenir


2***

Pointe du Carbet,

près de Saint-Pierre.



LA MARTINIQUE.

67

toujours le milieu de la route, vous empoisonne le plaisir si grand des bains de rivière, car il est bien avéré que le serpent se cache sous les pierres pour pêcher ; on hésite m ê m e , quand on a l'innocente fantaisie de cueillir une fleur ou un fruit, car le serpent aime à se cacher sur les arbres et les arbustes, depuis les jours primitifs du Paradis terrestre. Enfin l'on ne peut même pas goûter en paix les douceurs du s o m meil, car la colonie abonde en récits, à faire dresser les cheveux sur la tête, sur le danger qu'ont couru des enfants dans leur lit, couchés sur des serpents qui les auraient mordus au moindre mouvement, si la tendresse maternelle n'avait trouvé le m o y e n , presque miraculeux, de les enlever sans toucher à l'horrible bête endormie. Est-ce vivre cela? Nos lecteurs se demanderont comment les habitants de la Martinique n'ont pas fait cesser immédiatement un état de choses aussi déplorable. Si un département français avait le malheur d'être ainsi infesté de monstres, on voterait immédiatement une prime considérable par chaque tête de serpent détruit, et de plus on y acclimaterait d'autres animaux destinés à détruire les premiers. Quoi de plus facile que de transporter à la Martinique quelques couples de ces vaillants oiseaux du cap q u ' o n nomme indifféremment secrétaires ou serpentaires ! Secrétaires parce qu'ils ont un bouquet de plumes occipitales s'allongeant en arrière de la tête et simulant assez bien la plume que les commis aux écritures ont l'habitude de mettre sur l'oreille d r o i t e ; serpentaires, à cause de la guerre acharnée qu'ils font aux reptiles. Démarche lente et majestueuse, œil brillant de l'oiseau de proie, b e c recourbé servi par de puissants ressorts, corps de


NOS GRANDES COLONIES.

68

vautour monte sur de longues pattes, tel est gnifique

échassier. Dès que

le

un serpent, il fond sur lui et griffes

puissantes ;

ce ma-

secrétaire aperçoit

le fixe au sol

de ses

le reptile se redresse, siffle,

mord les pattes; mais il ne

peut entamer

sa

lui peau

rugueuse, et il est bientôt haché en quelques coups de bec. Le serpentaire est en outre

un

grand

destruc-

teur de rongeurs, et il aurait encore droit de cité, à ce titre, dans les champs de

cannes à sucre.

Pour-

quoi donc les habitants de la Martinique n'en font-ils pas immédiatement venir une centaine ? Nous avions promis une preuve irréfutable de la paresse, de l'incurie

des créoles, nous ne

en donner de meilleure, puisque

nous les

pouvons montrons

ici laissant en danger chaque j o u r , et par pure apathie, non seulement leur propre

v i e , dont ils peuvent

faire bon marché, mais encore celle de leurs femmes, de leurs enfants, sans parler de celles de cultivateurs à leur service. C'est là qui ne tend à rien moins qu'à

malheureux

une indifférence

rendre

inhabitable un

des plus beaux pays du m o n d e . Mais nous nous sommes assez étendu sur ce triste sujet, laissons de côté les reptiles et parlons des oiseaux. On

retrouve

d'abord

à

la

Martinique

presque

tous les oiseaux de France. Ceux qui sont particuliers, sinon à l'île m ê m e , du moins aux Antilles françaises, sont les suivants: les g o b e - m o u c h e s , prochent

beaucoup

de

l'ibis ; les

quelques

flamands, mais assez

qui

se rap-

hérons crabiers :

rares : les

oiseaux dont les ailes atteignent jusqu'à

frégates,

huit pieds

d'envergure. Pendant l'hivernage, îles vols

considé-

rables de pluviers viennent

l'île, et

deviennent aussitôt la

s'abattre dans

cible des chasseurs ; ils

ne


69

LA MARTINIQUE.

sont pourtant qu'un butin peu désirable, harassés et amaigris déjà p a r l e s fatigues d'une route parfois très longue et toujours très

tourmentée.

Citons

encore

les colibris et les oiseaux-mouches, ces j o y a u x animés de l'écrin des Antilles, si proches

parents

entre eux

que les mêmes compliments et les mêmes

reproches

peuvent s'adresser aux uns et aux autres. Ce sont les plus

petits des oiseaux.

L ' é m e r a u d e , le rubis, la

topaze, a dit Buffon, brillent sur leurs habits. Ils ne les souillent jamais de

la poussière de la terre,

et,

dans leur vie aérienne, on les voit à peine toucher le gazon par instants.

Ils

sont

toujours

en

l'air, et

vivent du nectar des fleurs que leur permet de

pom-

per l'organisation particulière de leur langue.

Mais

leur petite taille et leur grâce brillante ne les empêchent pas d'avoir un naturel des plus emportés ; ils se battent entre eux avec acharnement et ne

cessent

queter le chasseur qui s'en est rendu le plus

remarquable

de

de

bec-

maître. Enfin,

tous est peut-être l'oiseau

moqueur, car à un plumage aussi magnifique il joint une voix qui n'est pas

sans

agrément.

Sa robe est

d'or, de pourpre et d'azur, et il semble poursuivre voyageur égaré dans les bois d'accords

qu'il

le

module

d'un ton vraiment railleur. Viennent ensuite les insectes, qui sont innombrables à la Martinique, et des plus i n c o m m o d e s . d'abord

les abeilles,

Ce sont

presque toutes à l'état sauvage.

Aussitôt après le coucher du soleil, les

maringouius.

placés sur les pointes des hautes herbes, commencent un concert assourdissant. Plus sont leurs frères les

insupportables encore

moustiques.

Dans l'intérieur des habitations, nous trouvons les ravets, insectes coléoptères,

longs à peu près

d'un


70

NOS GRANDES

COLONIES.

p o u c e , dont l'odeur forte est encore plus désagréable que celle de la punaise. Ils volent audacieusement de tous côtés, pénètrent dans les armoires et les bibliothèques, rongent le linge et les livres, vont

partout

se multipliant, infects et dégoûtants. L e s variétés de fourmis sont si nombreuses que le moindre aliment oublié sur une table est immédiatement pris d'assaut, et sur les habitations il faut parfois se défendre vahissements

d'en-

subits qui prennent les proportions de

véritables invasions. N o u s ne saurions oublier le scorpion, pieds,

hideux scolopendre

la bête à mille

dont la piqûre occasionne

une brûlure cuisante, suivie d'inflammation et souvent de fièvre. La chique, qui dépose une

s'introduit sous la peau, y

grande abondance

d'œufs qui

éclosent

presque instantanément, et qu'on ne saurait, sans d a n g e r , négliger d'extraire aussitôt. Terminons par un insecte plus g r a c i e u x , la

luciole,

q u i , dans le patois c r é o l e , répond au doux n o m de la belle ou clindindin.

Ses y e u x phosphorescents p r o j e t -

tent une clarté verdâtre, d'un effet saisissant quand elle voltige le soir dans les jardins. L a végétation de la Martinique, c o m m e celle de la Guadeloupe, est d'une

d'ailleurs

richesse et d'une

vigueur étonnantes. C'est en nous occupant de cette dernière colonie que nous étudierons le règne

végétal

aux Antilles. Nous ferons seulement exception

pour

le café, non point parce que la Martinique en produit plus que sa voisine ( o n verra plus loin la vérité à ce sujet, qui surprendra bien des gens), mais uniquement parce que cette île est la première où l'on introduisit la plante précieuse, et que c'est de là qu'elle se répandit dans les colonies voisines.


LA

MARTINIQUE.

71

C'est des plateaux de l'Abyssinie qu'est originaire la plante à laquelle nous devons cette liqueur délicieuse, qui donne de l'énergie, stimule l'esprit et le pousse à la gaieté, s qui manquait à V i r g i l e , et qu'adorait Voltaire » . Lorsque le commandant Clédieu quitta la F r a n c e en 1 7 2 7 , Jussieux lui remit trois petits plants de café pour les introduire à la Martinique. La traversée fut pénible et l o n g u e ; quelques jours avant d'atteindre le but du v o y a g e , l'eau manqua à bord, et l'on fut obligé de réduire à la demi-ration matelots et passagers. Clédieu préféra souffrir de la soif que de laisser m o u rir les plantes qui lui avaient été confiées, et il se priva de sa ration d'eau pour les arroser. Cependant, sur trois plants, il eut la douleur d'en voir mourir deux pendant le v o y a g e : il ne put en sauver qu'un seul. C'est ce petit pied de café, cultivé avec soin par lui, qui produisit à la longue toutes les riches plantations des Antilles. Que de richesse et de bien-être d a n s c e s e u l arbuste confié aux soins d'un homme intelligent! P o u r quoi faut-il qu'aujourd'hui la négligence et la paresse des planteurs laissent dépérir cette plante précieuse au point qu'elle ne tardera pas à disparaître c o m p l è tement de la M a r t i n i q u e ? L'auteur du mal, qu'une longue incurie a rendu presque irrémédiable, est un simple puceron, qu'à l'origine il eût peut-être été facile d e combattre v i c t o rieusement. On a bien fait quelques tentatives, mais comme on n'a pas remporté du premier c o u p un succès éclatant, on a tout abandonné ; et on a préféré se livrer exclusivement à la culture de la canne à sucre, peut-être à cause de l'espèce d'idée aristocratique qui s'attache là-bas au titre de sucrier.


72

NOS GRANDES COLONIES.

L e café

Martinique

continue à jouir à Paris et dans

le monde entier d'une réputation hors ligne. bien peu de personnes pourtant peuvent

se

Comvanter

d'avoir dégusté une tasse de ce café au g o û t exquis, au parfum délicieux ! Le nombre en est bien petit en France, et dans la colonie m ê m e , seuls les

gourmets

acharnés parviennent à se procurer une provision

de

cette précieuse fève, qui tend à disparaître tout à t'ait. L'immense

majorité de

la population

boit du

importé des colonies voisines; quant aux

café

consomma-

teurs de la métropole, on leur sert sous le nom de café Martinique du café de toutes les provenances, excepté de la vraie. Le café que l'on rencontre dans les différents marchés avec l'étiquette Martinique en dire autant

du r h u m ) — est

— (nous en

pourrions

réalité du

café

Guadeloupe. En Fonauce et dans Paris, tout patout, dans boutique, Yo qua faire passé pour Café Martinique, — (Qui pas dans moune encor). — Café Guadiloupien, Qui sel qua validé et qui tout partout plein. »

Ce n'est pas d'aujourd'hui que la Martinique b é n é ficie de la réputation

de produits qui ne sont pas les

siens: le t'ait date de l'époque déjà lointaine OÙ, de par la volonté de la métropole, toutes les autres îles reconnaissaient la suzeraineté de

la reine

des Antilles ».

Elle seule commerçait directement avec l ' E u r o p e , et les denrées des colonies voisines, en passant par ses ports, prenaient assez naturellement

son n o m , qu'on

leur a conservé par la force de la routine.


CARTE DE

LA

G U A D E L O U P E (ANTILLES)

Imp. F. Menétrier, P a r i s .


LA

GUADELOUPE

CHAPITRE

1 . er

Découverte. —Trois étymologies pour une — Situation — Structure. — Configuration, côtes, anses, pointes, etc. — Les moutagnes. — Les rivières. — Produits minéraux et sources. — Le tremblement de terre de 1843.

Christophe C o l o m b a fait quatre voyages on A m é rique ; c'est au s e c o n d , le 4 novembre 1493, qu'il d é couvrit la Guadeloupe. C o m m e cette île, heureusement pour

elle, n'offrait aucun vestige

de

filons

aurifères, elle fut complètement négligée parles E s p a gnols. Il serait

même permis de croire qu'on oublia

pendant plus d'un siècle qu'elle avait été découverte ; c'est seulement en 1635 que les Français devaient en prendre possession : nous verrons au chapitre suivant dans quelles circonstances. Les Caraïbes, qui seuls habitaient l'île lors du p a s sage de C o l o m b ,

l'appelaient Karukéra.

lèbre navigateur

a-t-il tiré le nom île Guadeloupe

D'après les uns, il voulut,

en

D ' o ù le c é -

le choisissant,

hommage à N o t r e - D a m e de Guadelupe,

?

rendre

madone v é -

nérée en E s p a g n e , et sous les auspices de laquelle il avait c o m m e n c é son v o y a g e . D'après les autres, il fut NOSGRANDESCOLONIES.

3


71

NOS GRANDES

COLONIES.

seulement frappé de la ressemblance que présentaient les montagnes de l'île avec la Sierra

de Guadalupe,

dans les provinces de l'Estramadure. Il existe une troisième explication, peu sérieuse à vrai d i r e ,

mais que nous

rapportons parce

qu'elle

renferme un anachronisme assez amusant de certains auteurs espagnols. Ils racontent que le célèbre L o p e de V é g a

poète

jouissait en son temps d'une telle p o -

pularité q u ' o n en était arrivé à se servir de son nom même c o m m e de l'épithète la plus élogieuse qui se pût trouver. O n disait, par exemple,

un château de

L o p e , une pierrerie de L o p e , pour désigner un palais splendide, ou un diamant de très grande valeur. les premiers navigateurs

qui passèrent dans

Or

notre

île firent aux eaux douces qu'on y trouvait une telle réputation, que

les galions espagnols revenant des

Antilles eurent Tordre de s'y arrêter pour l'eau,

et

que , suivant la mode

appela cette

eau

délicieuse Agua

serait dérivée par corruption

faire de

de l'époque , de Lope

l'appellation

on

; de là de

Gua-

deloupe. La vérité est que les eaux de la Guadeloupe

sont

exquises pour la plupart, et q u ' u n cours d'eau y porte encore le n o m de rivière des Galions. Malheureusement cette ingénieuse é t y m o l o g i e pèche par un point capital : L o p e de V é g a ne vint au monde qu'en 15b'2, et sa réputation ne s'établit qu'à la fin du

seizième

siècle, c'est-à-dire plus de cent ans après que la G u a deloupe eût été découverte et baptisée. La Guadeloupe se trouve située dans tlantique, entre 15° 5 9 ' — 1 6 °

l'océan

A-

3 1 ' latitude nord, et

63° 3 2 ' — 04° 9' longitude ouest du méridien de P a ris. Sa circonférence est de 4 4 4 kilomètres, sa super-


75

ficio de 160.262 hectares. L'île est divisée en deux parties inégales par un canal long de neuf kilomètres et demi, large de 30 à 120 mètres, qu'on appelle la Rivière salée. C o m m e ce bras de mer est très sinueux et ne présente jamais plus de 5 mètres de profondeur, il n'est accessible qu'aux bâtiments de petit tonnage employés à la navigation intérieure. L a portion de terre placée à l'ouest de la Rivière salée est la Guadeloupe proprement dite ; celle de l'est s'appelle la Grande-Terre. Nous appliquerons désormais chacune de ces appellations à la partie qui lui est propre. La Guadeloupe mesure 180 kilomètres de tour, 46 de long, et 27 de large. Le sol, d'origine volcanique, est tourmenté et montagneux ; c'est là que se trouve notamment le volcan de la Soufrière. La Grande-Terre, de forme triangulaire, a 65.631 hectares de superficie. A u contraire de la Guadeloupe, c'est une terre plate, d'origine calcaire et de formation récente ; on y remarque au nord les Hauteurs de l'Anse-Bertrand, plateau de 95 mètres d'altitude ; au

sud

les

Grands-Fonds

de

Sainte-Anne,

petite

chaîne de mornes taillés à p i c , haute de 115 mètres en moyenne. L'extrémité de la Grande-Terre se n o m m e P o i n t e des-Châteaux ; c'est une langue de terre couverte de falaises. D e ce point au port de la P o i n t e - à - P i t r e , la côte méridionale est généralement basse. D e la P o i n t e Parry, la côte, profondément découpée, suit une direction sud, d'abord, jusqu'à la pointe de Capesterre, puis oblique au sud-ouest jusqu'à la pointe du V i e u x Fort qui forme l'extrémité méridionale de la G u a d e loupe. Elle se termine au nord par la pointe Allègre ; de ce point, elle s'infléchit au sud-est jusqu'à la


NOS GRANDES COLONIES.

76 Rivière

salée, présentant des terres basses, couvertes

de palétuviers ; puis le rivage remonte aller former

la pointe

au nord pour

de la G r a n d e - V i g i e ,

extrême

nord de la G r a n d e - T e r r e . U n e ligne de côtes basses, décrivant une grande

courbe du nord au sud-est, va

rejoindre la Pointe-des-Châteaux. Citons,parmilesansesetlesbaies remarquables,l'Anseà-Pistolet et la pointe des Gros-Caps, trouvent les rochers du Piton,

entre lesquels s e

de la Porte-d'Enfer

(1)

et du Souffleur, dont les grottes vomissentà près de dix mètres la houle qui s'y engouffre ; l'anse à la la pointe

et l'anse des Corps,

le Moule,

l'anse

Parque,

Sainte-Marguerite,

le seul véritable port de la côte d u Vent ; le

rocher très caractérisé de la Couronne,

de nouvelles

P o r t e s - d ' E n f e r , un second Souffleur ; la pointe l'Eau,

la baie Sainte-Marie,

herbe,

Panse à

Gourde

( 1 0 n i . ) , enfin, les roches magnétiques

Pointe-des-Châteaux,

Mal-

l'îlet

à

de la

semblables à de vieilles fortifica-

tions, cap oriental de la G r a n d e - T e r r e . L e s principales montagnes de la Guadeloupe, qui forment une chaîne présentant à peu près la forme d'un Y , sont les suivantes. D'abord le massif de Toucher, le Grand tique,

et le Petit-Sans-Toucher,

et le Morne

la Soufrière, 4 m. que le

Gourbeyre

le Piton

ou Matélyane.

du

Mous-

P u i s c'est

volcan e n c o r e en activité, plus élevé de massif précédent.

piton de Sainte-Rose,

au-Chien,

Sans-

1.480 mètres, c o m p o s é de quatre sommets :

440 m.,

Viennent

ensuite le

3 5 8 m , et la m o n t a g n e du

Trou-

qui se détachent symétriquement

de la chaîne centrale ; la Grosse-Montagne,

volcan

(1) Cette porte formant voûte a été atteinte par le tremblement de terre en 1843 ; la voûte s'est effondrée, il ne reste plus que les deux rochers qui la soutenaient.


LA

éteint, 7 2 0 Mamelles,

m.

; le piton

les Sauts

77

GUADELOUPE.

Baille-Argent,

de Bouillantes,

610

m. ; les

la Madeleine,

etc.

Presque tous ces pics sont des volcans éteints. De ces montagnes descendent soixante-dix rivières ou cours d'eau. Elles sont très poissonneuses, mais deux seulement sont navigables : la Lézarde et la Goyave. Les plus importantes d'entre elles sont : le Coin ; la rivière de Capesterre qui, à sa sortie de la Soufrière, forme une magnifique cascade de 600 mètres : la rivière des Bananiers ; la rivière des Galions ; la rivière des Herbes ; la rivière du Bon-Goût, qui d é b o u che dans la Rivière salée ; enfin la Grande-Rivière, qui reçoit plusieurs affluents, est redoutable par ses crues irrégulières, et g a g n e chaque année une d o u zaine de mètres sur la mer par ses dépôts d'alluvions. On rencontre à la Guadeloupe plusieurs sources minérales ; nous citerons les suivantes : les sources du Matouba, de Sophaia, de Saint-Charles, le Bain du Curé, la Fontaine Bouillante à la lame, etc.... Le sous-sol de la Guadeloupe contient le fer s u l furé, le manganèse, le basalte, l'ocre, la silice, l'argile que l'on emploie pour la poterie, la fabrication des tuiles et des briques, — l a lave, que l'on utilise p o u r le pavage des rues, — et le soufre, que l'on ne se donne pas la peine de recueillir, parce que la Soufrière en produit trop peu. Parmi les phénomènes qui jettent si souvent la perturbation dans nos colonies des Antilles, il en est un dont nous avons réservé l'étude pour la Guadeloupe, et dont le nom seul est redoutable. Le tremblement de terre est un cataclysme dont nous ne rechercherons pas ici les causes, sur la nature desquelles la science n'est pas absolument fixée, mais


78

NOS GRANDES COLONIES.

qu'il est assez facile de décrire. Il consiste en m o u v e ments convulsifs du sol. Ces mouvements se produisent soit dans un sens horizontal, et la terre a. dans ce cas, des ondulations semblables à celles de la mer ; soit dans

un sens vertical,

quand

une partie du sol se

soulève, tandis que l'autre s'enfonce : soit enfin dans un sens circulaire, lorsque maisons, arbres, rochers, montagnes, e t c . , se mettent à tournoyer c o m m e autour d'un

invisible

catastrophe

pivot.

Rien n'annonce à l'avance la

qui se prépare. Sans doute le baromètre

tombe tout à coup très bas, sans doute quelques animaux donnent des signes manifestes de terreur, sans doute enfin on entend un bruit mystérieux semblable au grondement d'un tonnerre souterrain ; mais au m o m e n t même où l'on constate ces accidents, le b o u leversement de la nature a déjà commencé. Un

tremblement de terre qui aura toujours une

triste célébrité dans les annales de la colonie, est celui qui se produisit

le 8 février

1 8 4 3 . date à jamais

néfaste ! V o i c i quelques extraits du rapport officiel adressé le j o u r même par le gouverneur : « Basse-Terre, le 8 février 1843, 3 heures du soir.

« U n tremblement de terre dont la durée a été de soixante-dix secondes vient d e jeter la Guadeloupe dans une consternation profonde. Cet événement a eu lieu ce matin, à 10 heures 112 environ

A u m o m e n t où

j e vous écris, j'apprends que la Pointe-à-Pitre

n existe

plus. J e monte à cheval, j e vais me transporter sur le lieu du désastre. »


LA GUADELOUPE.

79

« Du 9, à 3 heures, à la Pointe-à-Pitre.

« La Pointe-à-Pitre est détraite de fond en c o m b l e . Ce qui a été épargné par le tremblement de terre a été dévoré par l'incendie qui a éclaté peu de moments après celui où les maisons se sont écroulées. « J e vous écris sur les ruines de cette malheureuse cité, en présence d'une population sans pain et sans asile, au milieu des blessés, dont le nombre est considérable ( o n dit 15 à 1.800 !) et des morts ( e n c o r e sous les d é c o m b r e s ) , qu'on porte à plusieurs milliers. L'incendie dure toujours. « Tous les quartiers de la colonie ont souffert c o m m e les dépendances. La ville du

Moule détruite...

Les

bourgs de Saint-François, Sainte-Anne, P o r t - L o u i s , Anse-Bertrand,

Sainte-Rose,

ont été renversés

« Signé : GOURBEYRE. » Dans ce cataclysme, la terre avait le mouvement horizontal dont nous parlions plus haut ; elle allait par ondulations, do l'est à l'ouest, vers la mer. On assure également que la terre s'entr'onvrit en plusieurs endroits, laissant voir d'horribles abîmes d'où s'échappaient des flammes bleuâtres, mais qui se refermèrent presque aussitôt. L a Soufrière perdit, dans ce bouleversement, le plus élevé de ses pitons, qui déliassait les autres de 29 mètres, et dont on ne retrouve plus que quelques débris. Il fut impossible de combattre l'incendie, dont les nombreux barils de rhum consignés dans les magasins augmentaient encore l'intensité, parce que les pompes avaient été détruites ou perdues sous la chute des


80

NOS GRANDES

COLONIES.

maisons qui les contenaient. L e nombre des m o r t s , brûlés ou écrasés sous les d é c o m b r e s , fut d e plusieurs milliers; celui des blessés fut presque aussi

considé-

rable. O n les jetait pêle-mêle sur des matelas, et les chirurgiens

ne

pouvaient

suffire

aux amputations

multiples qu'il y avait à pratiquer: leurs

instrumenta

émoussés, ils durent se servir d'égohines. Los détails horribles se pressent sous notre plume, impossible de les reproduire toutes

parts

les appels

tous.

mais il est

On entendait de

désespérés des

agonisants

sous les décombres : le père de l'un des auteurs de ce livre demeura près d'une demi-journée suspendu par unej a m b e prise entre deux pierres; on trouva 23 jeunes filles écrasées côte à cote sous les ruines de leur pensionn a t ; une autre, la tille d'un médecin très populaire, M

l l e

Amélie L . , était devenue subitement folle et p a r -

courait les ruines en criant : «

Comment

peut-on

avoir peur d'un tremblement de terre? est-ce que je ne suis pas dans la maison de ma m è r e ? » L e malheur public fut encore

augmenté par un

nouveau fléau dont les conséquences possibles étaient fort redoutables : sous l'action d'un soleil de feu, les corps entassés de toutes parts entrèrent rapidement en décomposition et répandirent dans l'atmosphère une odeur pestilentielle; il fallut verser de la chaux vive aux endroits où les plus gros essaims de mouches signalaient la présence

d'un plus grand nombre de

cadavres. On trouva, en déblayant les décombres, une grande quantité de picces d'or et d'argent, les unes intactes, les autres transformées en lingots. Il se rencontra des pillards q u i , m e t t a i t à profit cet horrible désastre, e m plirent

leurs pochée de doublons, Ils furent arrêtés, et


LA

81

GUADELOUPE.

nous sommes heureux d'avoir à constater que c'étaient, pour la plupart, des matelots étrangers. A part ces malfaiteurs, t o u s

les hommes restés

valides, d e p u i s le gouverneur jusqu'au dernier marin, firent preuve d ' u n admirable dévouement. Le gouvernement français a c c o r d a à la c o l o n i e u n

crédit de 2.500.000

f r a n c s , et

des

souscriptions

s'ou-

v r i r e n t de t o u s les côtés, même c h e z les n a t i o n s étran-

gères, pour venir en aide aux v i c t i m e s d e la terrible catastrophe.

Grâce à c e s s e c o u r s e f f i c a c e s , la ville d e

la Pointe-à-Pitre sortit bientôt de ses décombres plus jeune et p l u s

belle

qu'auparavant.

3*


82

NOS GRANDES COLONIES.

CHAPITRE

II.

La Basse-Terre. — La Pointe-à-Titre. — Les Ilots. — Une ascension à la Soufrière.

Les principales villes de la Guadeloupe, les seules peut-on d i r e , sont la Basse-Terre et la Pointe-à-Pitre. La Basse-Terre est située à l'extrémité occidentale de l'île. C'est son chef-lieu,le siège du gouvernement, la ville des fonctionnaires. La Basse-Terre a été très é p r o u v é e , elle fut saccagée et presque entièrement détruite par les A n g l a i s en 1 6 6 6 , 1 6 9 1 , 1703 et 1759, — consumée en partie par l'incendie du 15 août 1 7 8 2 , — désolée par la guerre civile en 1794, 1802 et 1808, — enfin aux trois quarts renversée par les coups de vent de 1 8 2 1 , 1 8 2 5 et 1 8 6 5 . C'est aujourd'hui une ville assez laide et fort triste ; dans bien dos rues, l'herbe croît en toute liberté. Signalons cependant le Cours Nolivos, auquel le voisinage du port donne une certaine gaieté, et le Champ d'Arbaud, planté d'arbres magnifiques et bordé des principaux établissements publics de la colonie. On peut encore citer deux églises : Notre-Dame

de la Guadeloupe

et

Notre-Dame

du Mont-Carmel. S o m m e toute,la Basse-Terre ne doit son animation factice qu'à la présence des fonctionnaires, et deviendrait un véritable cimetière si le siège du gouvernement venait à être transféré à la P o i n t e à-Pitre, c o m m e il en a été plusieurs fois question. N o u s ne donnons ici aucun détail sur l'administration, puisqu'il en sera traité dans un chapitre spécial.


LA GUADELOUPE.

83

L a ville est arrosée par la rivière aux Herbes, déjà citée, et par les trois ravines à l'Espérance, à Billaud et à Saint-Ignace. Les habitants n'ont aucun respect pour les eaux de ces malheureuses ravines, qui c h a r rient des débris bien singuliers. La rade de la Basse-Terre est ouverte à tous les vents, et fréquemment bouleversée par les raz de marée pendant l'hivernage. La Pointe-à-Pitre est située sur la pointe n o r d o u e s t du M o r n e - L o u i s . Cette position la fit appeler le Morne-Renfermé jusqu'en 1772 e n v i r o n ; mais, à partir de cette époque, la désignation actuelle prévalut, du nom du pécheur hollandais Peters qui avait été un des premiers à bâtir là sa cabane. Cette ville» a été encore plus éprouvée que la BasseTerre. L'énumération des ouragans, des coups de vent, des raz de marée qui l'ont bouleversée, serait trop l o n gue ; elle fut détruite de fond en comble par un incendie en 1 7 8 0 , et en 1 8 4 3 par un tremblement de terre que nous avons longuement décrit (1) ; près de 80 maisons furent dévorées par un autre incendie en 1850, et celui du 18 juillet 1871 n'a laissé debout que deux faubourgs. La Pointe-à-Pitre est sortie chaque fois de ses ruines avec de nouveaux avantages. Elle forme le c e n tre d'un mouvement commercial assez actif. Sa rade est une des plus belles du golfe du M e x i q u e , où elle n'a guère de rivales que celles de la Havane et de Fort-de-France ; et encore ces dernières ne doiventelles la sécurité dont y jouissent les bâtiments qu'à des travaux exécutés de main d ' h o m m e . Elle reçoit (1) Voir le chapitre précédent, page 78.


84

NOS

GRANDES

COLONIES.

actuellement chaque année une centaine de

navires

de 5 0 0 tonneaux au minimum et un nombre infini de caboteurs ; mais nous espérons qu'elle ne tardera pas à prendre une importance beaucoup plus considérable aussitôt après le percement de l'istme de Panama. La l ' o i n t e , c o m m e on dit aux Antilles, est une ville assez coquette, dont les rues, bien percées, sont bordées de maisons de bois à deux étages, quelques-unes fort b e l l e s . Citons parmi les principaux édifices les casernes, l'hôpital de la Marine, l'hospice Saint-Jules sur la route d e s A b y m e s ,

et le musée l ' H e r m i n i e r . N o u s

ne pouvons passer s o u s silence la Place foire : c'est

de la

Vie

un Carré parfait, qui a un de ses côtés

formé par la mer, et les trois autres par des allées de sabliers séculaires ; au milieu s'étend la Savane,

sur

laquelle s'élevait le théâtre, avec une jolie salle d'ordre corinthien-; ce monument a brûlé isolément en 1 8 8 3 . Il faut mentionner encore, non c o m m e édifices, mais c o m m e lieux de réunion ayant bien leur côté pittoresque, le marché et la poissonnerie. c'est là que les c u i sinières se rendent à la provision ; le moindre

détail

sert de prétexte à d e s batailles ou à des disputes h o mériques. U n e des incommodités dé la P o i n t e , c'est le voisinage

du canal Vatable,

canal qui ne sert absolument

à rien et qui est un véritable

foyer d'infection. Il

été décidé en principe qu'on le comblerait,

a

mais la

dépense est évaluée à un million, et les moyens b u d g é taires de la colonie n'ont pas permis jusqu'ici de c o m mencer les travaux. On peut citer encore c o m m e troisième ville de la Guadeloupe,

le Moule,

sur la côte orientale

seul port

qu'on

rencontre

de la Grande-Terre. La ville a


La Pointe-à-Pitre après l'incendie

île 1871.



LA

87

GUADELOUPE.

1 1 . 0 0 0 habitants ; on y remarque quelques établissements de c o m m e r c e et plusieurs usines centrales. Les principaux Sainte-Anne, Bertrand,

bourgs

Gozier, Grippon

le

sont :

Canal,

ou

Bardeaux-Bovry,

l'Eau, etc., à la G r a n d e - T e r r e ; le Mahault,

le Lamentin,

Pointe-Noire, Dolé,

les

les Habitants,

Trois-Rivières, Vieux-Fort,

la

,

l'AnseMorne-à-

Petit-Bourg,

Sainte-Pose, le

Saint-François

le Port-Louis,

la

Capesterre,

Baillif,

Bàiela

Bouillante,

e t c . , à la G u a d e -

loupe proprement dite. Les créoles, et principalement les femmes, quittent aussi souvent que faire se peut les villes, où la température est élevée, c o m m e nous l'avons v u , pour aller en changement d'air. Les déplacements se font un peu partout, sur les hauteurs ; mais les endroits les plus fréquentés sont d'une part les îlets, et d'autre part les différentes sources que nous avons signalées en énumérant les richesses minérales de la Guadeloupe. E n outre, on va rarement au C a m p - J a c o b et au M a touba sans faire par la même occasion une excursion à la Soufrière. L e genre de la villégiature aux îlets varie suivant le nombre et l'humeur des familles qui s'y rencontrent. Parfois l'existence y est calme et paisible c o m m e la mer endormie qui chante aux rochers de la côte sa plainte monotone ; parfois, au contraire, c o m m e cette mer encore quand un vent de tempête bouleverse ses flots bleus, la vie y est agitée, tumultueuse. Les nuits s'y passent en j e u x de toutes sortes, en danses interminables, en pêches aux flambeaux ; les jours se suivent et se ressemblent par la quantité des plaisirs que chacun d'eux apporte. Pour

se rendre de la Pointe-à-Pitre à la Basse-


88

GRANDES

NOS

COLONIES.

Terre, trois m o y e n s de transport

sont offerts

aux

excursionnistes: la diligence, les bateaux à vapeur de la compagnie D e b o n n e , et les caboteurs. Cette d e r nière voie» est des moins sûres. C'est une histoire, à la Pointe, que celle

d'un

légendaire

certain nombre

de daines de la ville qui, devant aller au bal à la Basse-Terre, prirent passage à bord de /'Actif, c a p i taine X . . . Le malheureux bâtiment justifia bien mal son n o m , car, pris par des courants contraires, chassé par le vent, il lut obligé d é t e n i r un mois la mer, et finalement de relâcher à Saint-Thomas. Quand on se rend à la Soufrière, on c o m m e n c e par gravir le Crève-Cœur, tend

le

plateau

du

le bien n o m m é . Au-dessus s'éMatouba, lieu

m o n d e , avec ses cinq tentes

unique dans le

de verdure superposées

l'une à l'autre : au-dessus du caféier, le bananier jette

1

c o m m e une mante sa feuille de satin vert : l'oranger, plus

haut,

balance

ses

pommes

d'or ; plus

haut

encore, les élégantes colonnettes du bambou dressent leurs feuilles étroites, longues et droites c o m m e un faisceau

d'épées ;

enfin,

au-dessus de tout ce

murmurant, le palmiste, ce

peuple

géant g r ê l e , agite sa fré-

missante chevelure. A droite» et à gauche de la route qui mène à la rivière Rouge, des habitations charmantes s'offrent de 1

toutes parts, au milieu de jardins coquets et d'arcades de verdure. Partout on respire une odeur fraîche et capiteuse. «

L e s mille encensoirs des roses, dit M .

Rosemond

de Beauvallon ( 1 ) , unissent leur griserie troublante, (1) George Audran. Pointe-à-Pitre, 1883. Imprimerie du Courier de la Guadeloupe.


LA

GUADLLOPE,.

89

corrigée par les suaves émanations des plantes vertes, par les délicates douceurs des bégonias, des gloxinias, des kalmias, cette pluie d'étincelles blanches et roses brillant dans un feuillage sombre et délicat c o m m e la plume. » Du point qui unit les deux Matouba, celui de la montagne et celui du plateau, on admire « les eaux fraîches, limpides et abondantes de la rivière R o n g e la reine des rivières de la Guadeloupe. D e ce point on les voit tomber en cascades sonores, s'étendre en bassins transparents, et aller, dans leur course vagabonde, se séparant, se réunissant, se séparant e n c o r e , pour former de riants îlots semblables à des corbeilles de verdure nageant sur les ondes » . Mais qui dira la sensation éprouvée lorsqu'on se plonge dans ces eaux qui, sortant de la m o n t a g n e , sont pures et glacées ? U n seul mot peut la rendre : c'est un « supplice délicieux ! » U n e partie à la Soufrière n'est pas chose facile à préparer, quoique bien des gens y montent au débotté et sans aucune précaution ; mais ils peuvent dire au retour ce qu'ils ont eu à souffrir et combien peu ils ont profité de leur excursion. Lorsqu'il y a des dames surtout, il faut avoir le soin de s'adresser à quelques personnes ayant l'habitude de ces parties. Alors, si les fatigues sont les mêmes, les dispositions prises évitent les écoles et rendent moins pénibles les v o y a g e s et les haltes. La première chose est de faire construire un bon ajoupa aux Bains jaunes. Ensuite il faut constituer d'abondantes provisions en liquides aussi bien qu'en solides, et ne pas négliger les éléments du coucher, c'est-à-dire des laines et des molletons en suffisante


90

NOS

GRANDES COLONIES.

quantité. Chaque v o y a g e u r

doit

se munir de deux

vêtements, également chauds : l'un léger pour l'ascension, l'autre plus lourd pour le c o u c h e r . Mais l'essentiel est d'être irréprochablement chaussé. On doit choisir c o m m e porteurs des hommes v i g o u reux,

sobres,

et se bien garder de

mener avec soi

des novices ou des ivrognes. De l'entrée des bois aux Bains jaunes,

le chemin est

plein de crevasses et de troncs d'arbres tombés en travers. On chevauche au hasard par une voie à peine tracée, qui, à tous les désagréments des sentiers

de

montagnes, joint celui encore plus grand de ne pas courir en ligne droite On gravit

d'abord le morne

G o y a v i e r , qui sem-

ble ne plus finir, puis on attaque la Savane à mulets, ainsi nommée parce que aucun animal de cette espèce n'y a jamais

brouté.

Cette partie de la

route est si dépourvue de ver-

dure et d'originalité que l'œil se fatigue vite à suivre un développement plat et uniforme ; mais le pied rencontre à chaque instant des flaques d'eau boueuse où il s'enfonce et des racines contre lesquelles il se heurte. L'air fétide de

ces eaux

bonne odeur des bois, et

croupissantes

remplace la

aux chansons variées

des

oiseaux succèdent les cris monotones et incessants de la gent amphibie. Après

la P o r t e - d ' E n f e r on passe entre le volcan

du Sud et le volcan N a p o l é o n ,

dont

on entend les

sourds g r o n d e m e n t s , semblables au bruit d'un

ton-

nerre lontain. La Soufrière, avec sa plaie-forme vaste .et inégale surmontée de deux

petites éminences, est au milieu

de l'île, tirant un peu vers le

midi. Son

pied foule


LA

91

GUADELOUPE.

le sommet des autres montagnes.

L e terrain, b o u -

leversé en tous sens, est un composé de terre brûlée et de pierres calcinées ; il fume endroits,

dans

bien

des

et surtout dans ceux où il y a des fentes.

Le plateau est partagé en deux par une énorme c r e vasse appelée la Grande-Pente

; ses deux bords sont

reliés ensemble, en certains endroits, par des c o m m u n i cations que la nature a établies et qui portent des noms différents ; ce sont le Pont nois et le Pont

du Diable.

on contemple le paysage le plus et le plus étendu.

naturel,

le Pont

chi-

Des hauteurs de cet A r a r a t ,

varié, le plus riche

O n a sous les pieds, d'un côté, la

rade et la baie de la Basse-Terre, puis la ville ellemême se groupant en amphithéâtre autour

de sa

jeune cathédrale ; de l'autre, le magnifique port de la P o i n t e - à - P i t r e , et, c o m m e

une toile d'araignée, les

mâts et les vergues de ses navires, dont les corps s e m blent des insectes noirs qui y seraient enlacés. Aucun détail n'échappe à l'œil : voilà les îlets avec leurs cocotiers, et la R i v i è r e salée avec ses sinuosités. La vue embrasse par-dessus la cime des monts une vaste plaine de verdure où partout le palmier balance sa tête royale au-dessus des cultures

qui

succèdent

à d'autres cultures. C o m m e une carte de géographie, s'étalent aux r e gards les fertiles champs de cannes

de la G r a n d e -

Terre, du Lamentin, de Sainte-Rose, de la Capesterre, enfin de la colonie entière. O n découvre c o m m e un chapelet égrené sur ses flots étincelants les Saintes, la Désirade, Marie-Galante, la Dominique, la Martinique, Mont-Serrah, A n t i g o a , Nièvres Christophe.

et

Saint-


92

NOS GRANDES COLONIES.

CHAPITRE III. Le règne végétal. — Habitations vivrières ; le manioc. — Le paradis des gourmands.— Les forêts vierges. — Le mancenillier ; Millevoye et l'Africaine. — Grandes habitations. — Hier et aujourd'hui. — Le sucre. — Le rhum. — Autres produits. —Triste constatation. — Les travailleurs; l'immigration.

Ce que nous allons dire d u règne

végétal

de la

Guadeloupe s'applique également à celui de la M a r tinique. Si nous avons place de préférence cette étude sous la rubrique Guadeloupe, c'est uniquement

pour

réparer, autant qu'il dépendra d e nous, l'injustice c o m merciale dont c e t t e île a toujours été victime et que nous avons signalée précédemment.

Nous ne man-

querons pas, d'ailleurs, de faire au passage les quelques remarques qui peuvent être spéciales à la Martinique. Pour

bien

étudier

les productions multiples de

notre île, il faut les diviser en deux catégories : p r o ductions de petite

culture

et

productions

de

grande

culture.

Ce qui correspond à la banlieue maraîchère de Paris porte aux Antilles le nom d'habitations vivrières. situées

principa-

lement sur la route des A b y m e s , pour la

A la Guadeloupe, elles se trouvent

Pointe-à-

Pitre : aux environs de la Basse-Terre, plus n o m breuses parce que l'eau est plus abondante près du chef-lieu, elles sont disséminées un peu partout,

mais

se rencontrent de préférence sur la route du C a m p Jacob,


93

LA GUADELOUPE. Elles

sont cultivées soit pur des nègres,

propriétaires, soit

petits

par des ouvriers européens

qui

ont fini par acquérir un lopin de terre, et qu'en

pa-

tois du pays on appelle blancs paubans.

Ils recueillent

là toutes les racines si nombreuses du pays : des

pa-

tates, espèce de p o m m e de terre d o u c e , — d e s

ignames,

couscous,

des malangas

— des madères, mais non

ou

choux caraïbes,

farineux de la

etc.,

des

même famille,

sucrés ; de nombreuses variétés de pois ;

presque tous les légumes connus en F r a n c e ,

des ba-

nanes, etc. Ces légumes sont portés chaque matin à la ville par des nègres

ou des négresses, qui placent

leur chargement, suivant son importance tance à parcourir, soit sur

ou la dis-

un bourriquet bâté, soit

dans une boîte plate découverte, nommée trait, qu'ils prononcent tré.

en équilibre sur un linge quelconque ronne sont

roulé en c o u -

sur la tête du porteur ; nègres d'une adresse

ils arrivent à

mot

Ce trait est simplement posé: et

négresses

extrême à ce genre d'exercice :

porter

ainsi, sans

aucun

accident,

même une bouteille remplie d'eau. D e u x plantes appartenant à la petite culture m é ritent une mention spéciale.

C'est d'abord le tabac,

qui malheureusement a été tout à fait n'en produit même pas assez pour locale. C'est ensuite et surtout le

la

négligé ; l'île ;

eonsommatiem

manioc.

De nombreuses erreurs ont été commises par presque tous les auteurs qui ont décrit la préparation du manioc ; voici exactement

c o m m e n t se pratique cette opération :

On recueille la racine, on l'épluche, on la râpe, et le produit ainsi obtenu est placé dans des sacs en feuille de latanier. Ces sacs sont d'abord mis à la presse, et l'on recueille, dans de grandes bailles, l'eau

qui en


94

NOS GRANDES COLONIES.

découle. Cette eau est un mais nous verrons tout

poison

des plus violents ;

à l'heure pourquoi on

n'a

Plant de Manioc.

garde de la laisser perdre. On répand ensuite la pulpe pressée sur une plaque de tôle

recouvrant

un

four


95

LA GUADELOUPE. chauffé à petit feu, on la remue

avec

constamment

des râteaux de bois, et lorsqu'elle

est

parfaitement

sèche, elle constitue ce qu'on appelle la farine de m a nioc. Les habitants des colonies en consomment une grande

quantité, car

tous leurs

ils la

mélangent

aliments ; quant

à

presque

aux nègres, c'est

cette

farine qui constitue leur véritable pain. Qu'est-ce maintenant que la cassave, fond souvent avec le friandise,

produit

que l'on c o n -

précédent ? C'est une

composée de la pulpe avant sa cuisson et du

résidu déposé par l'eau que nous avons vu

recueillir

tout à l'heure. Ce résidu prend le n o m de moussache.

Pur,

il est

employé c o m m e amidon dans le pays ; préparé, il vient le

de-

tapioca.

Toutes les opérations que nous venons de exigent un personnel assez n o m b r e u x , parce demandent à être faites sans interruption

décrire qu'elles

et qu'elles

ne se pratiquent que la nuit, pour les deux

raisons

suivantes : d'abord grager (râper) serait trop

fatigant

pendant la grande chaleur du j o u r , détournerait les travailleurs portantes. Aussi est-il d'un nègres des habitations

et ensuite

cela

d'occupations plus

im-

usage

voisines

se

constant

que les

réunissent, vers

huit heures du soir, sur celle où l'on va

travailler

le

manioc. C'est une véritable fête, car c e u x qui viennent d'être relayés se reposent

de leurs fatigues en

tant, en buvant du tafia et en dansant des A notre avis, la culture

du manioc

chan-

bamboulas.

devrait

être

encouragée aux Antilles ; la G u y a n e et le Brésil ont jusqu'ici le monopole de l'exportation du tapioca. L e s arbres fruitiers se rencontrent en nombre i n fini à la Guadeloupe et sont répandus dans toutes les


96

NOS GRANDES

COLONIES.

parties de l'île. Les principaux sont

les suivants : le

Arbre, à pain.

bananier,

qui c o m p o r t e des variétés infinies: bananes

proprement dites, qu'on m a n g e le plus souvent cuites,


LA

et figues-bananes, figue sucrée,

GUADELOUPE.

97

qui se mangent crues

figue-nain,

porte de Taïti ; —

etc.) ; —

le cocotier,

(figue-pomme,

l'arbre

im-

à pain,

dont on ne connaît en

France que l'amande sèche, mais dont la n o i x , cueillie un peu avant sa complète maturité, contient une et une crème délicieuses (cocos

manguier, sur lequel nous reviendrons l'oranger et le citronnier,

eau

à la cuiller) ; —

dont

on

plus

le

bas ; —

compte

de

très

nombreuses espèces ; — l'abricotier, dont le fruit, gros comme une tête d'enfant,

a la propriété

donner la lièvre quand on quantité ; — le sapotiller,

à la forme

au fruit justement renommé ; — deux fruits

bizarre de

en inange une l'acajou,

superposés : une p o m m e

certaine

pyramidale

et

qui porte

tantôt jaune,

tantôt r o u g e , surmontée d'une noix à tonne bizarre, qui, fraîche ou grillée, constitue un manger — le tamarinier,

au feuillage curieusement

délicat; découpé,

dont le fruit, généralement très acide, sert surtout à préparer des confitures ou des boissons ; —

la pomme

rose-, la chair de son fruit a la couleur et le parfum de la rose ; — le pommier de Cythère,

ainsi n o m m é sans

doute parce que son fruit est délicieux mais par un noyau épineux tapi sous

défendu

la pulpe et q u e ,

si

l'on y mord imprudemment, on le rejette aussitôt, les lèvres ensanglantées ; — Yavocatier,

dont le fruit est

une sorte de beurre végétal entourant un gros appelé procureur

noyau

: les gens de la Martinique disent :

on mange l'avocat et on jette le procureur à la porte ; — le palmier,

qui, lisse et d r o i t , s'élance jusqu'à

30

mètres de hauteur ; les nègres ont le talent de se hisser jusqu'au front du géant, dont la tige nue est glissante c o m m e un mât de c o c a g n e , pour lui arracher sa fleur et quelquefois aussi son bourgeon NOS

GRANDES

COLOIES.

terminal,

nommé 3**


98

NOS GRANDES

chou-palmiste

; l'un et l'autre donnent une salade des

COLONIES.

plus délicates, mais d ' u n prix tort élevé, et malheureusement,

quand le bourgeon a été arraché, l'arbre

ne tarde pas à m o u r i r . Quand cet accident s'est p r o duit, il se développe à la base du tronc sans vie une multitude de vers blancs, à tête noire, courts et gros c o m m e le p o u c e , qui ont à peu près l'apparence d'une chenille, et que les gastronomes

intrépides

recher-

chent avec avidité pour les manger en brochette. On assure que les vers-palmistes ont tout à l'ait le même g o û t que le chou et les fleurs, mais nous nous sommes toujours refusés à en faire

personnellement

rience. — Citons encore le pommier-cannelle goyavier,

le papayer,

le corossolier,

Il faut encore mentionner,

d'une

l'expé; — le

le grenadier,

etc.

part, îles arbres

qui ont des propriétés médicales bien connues, c o m m e l'aloès, le cassier,

etc. ; d'autre part, des fruits (pli ne

viennent pas sur des arbres, c o m m e la barbadine, la pomme

liane, les ananas,

etc.

Grâce au climat exceptionnel des Antilles, il n ' y a jamais disette de fruits : chaque mois apporte les siens, et cette abondance dure d'un bout de l'année à l'autre. On le comprendra

d'autant

plus facilement

quand

on saura que tous les fruits viennent à l'état sauvage, sans être l'objet d'aucun soin. D e u x

seulement

font

exception à la règle : le mangot et l'ananas. Le manguier

est originaire

naturel, le mangot,

de l'Inde ; son fruit

est filamenteux et a un goût de

térébenthine très prononcé ; mais il perd ses défauts par le m o y e n de la greffe, prend le nom de mangotine ou de mangue, et donne alors

un manger

sous les appellations de mangue

d'or, mangue

mangue

divine,

délicieux, Amélie,

e t c . Les mangues de la Martinique


LA

GUADELOUPE.

99

sont particulièrement renommées. L e manguier n'est cultivé que c o m m e arbre d'agrément. L ananas a mérité d'être

appelé le roi des fruits.

.Mulâtresse de la Guadeloupe.

Sa culture a pris une grande extension dans les d e r nières années, et il est devenu un article d'exportation très demandé.


100

NOS GRANDES COLONIES.

On peut encore citer c o m m e relevant

de la petite

culture» les épices, telles que la girofle, la cannelle, muscade,

le poivre,

e t c . , qui malheureusement

la sont

presque tout à fait délaissés. E n f i n , bien que ceci ne rentre pas dans notre classification, nous ne pouvons manquer de signaler au passage les forêts de la Guadeloupe, qu'on peut encore aujourd'hui appeler des forêts vierges, car les voies et moyens ont toujours manqué pour leur exploitation. C'est une source de grandes richesses que l ' o n néglige ainsi, car ces forêts contiennent des bois véritablement précieux ; le peu qu'on a coupé

suffit à le démontrer.

La colonie a envoyé à l'exposition universelle de 1878 106 échantillons de bois différents. Citons parmi les plus c o m m u n s le laurier-rose

Antilles,

l'ébène

verte, très

montagne,

le noyer

recherchés

par

des

l'ébé-

nisterie. V i e n n e n t ensuite

le callebassier,

qui fournit aux

nègres de n o m b r e u x ustensiles d é m é n a g e ; le fromager ou cotonnier

mapore,

fort bel a r b r e , au bois m o u et

poreux, aux cônes cylindriques s'ouvrant

en cinq

valves capitonnées, d'une matière fine et soyeuse, c o u leur nankin; le gaïac, dont le bois sans a u b i e r , si dur qu'il émousse les instruments les mieux trempés, sert à faire des roues de moulins, et dont l'écorce bouillie donne un sudorifique très puissant; le campêche,

qui

fournit une teinture noire ou violette; le courbaril, l'écorce

à

noire et raboteuse, au bois résineux, très

employé pour la charpente, et qui remplace quelquefois sur les navires les cabilots de fer. Les bambous sont de véritables graminées, dont les chaumes noueux s'élancent en fusées dans les airs jusqu'à cinquante ou soixante pieds de h a u t e u r ; bercés par la brise, ils


101

LA GUADELOUPE.

chantent sans arrêt une chanson m o n o t o n e ,

et les

lianes sans nombre qui embrassent leurs troncs rendent

leurs

bouquets

impénétrables.

Les

fougères

arborescentes, les balisiers, les acacias, les caratas, les catalpas, e t c . . . , se j o i g n e n t enfin à tous les précédents pour couronner d'une verdure éternelle les mornes et les montagnes de la Guadeloupe. Faisons une place à part au mancenillier

légendaire,

dont l'ombre même passe pour être mortelle. L'insulaire t r e m b l a n t e A l l a s'asseoir s o u s le m a n c e n i l l i e r , E t c o m m e n ç a d ' u n e voix faible et lente

Ce c h a n t l u g u b r e et qui fut

le dernier,

a dit Millevoye. C'est un arbre de belle taille, qui ressemble assez, pour le port et le feuillage, à un noyer

ou à un très

grand poirier. L'histoire de l'ombre mortelle doit être mise sur le compte d e l'exagération habituelle aux v o y a geurs; mais il est

certain

que toutes les parties

du

mancenillier renferment un suc laiteux, acre et caustique, qui

constitue un poison violent. Le cœur de

ce bois est dur, c o m p a c t , admirablement veiné ; mais il n'a jamais été que peu e m p l o y é , à cause des p r é c a u tions q u ' e x i g e son exploitation, et aujourd'hui on le détruit à peu près partout où on le rencontre. Disons en terminant qu'il ne croît qu'aux Antilles et dans les parties les plus chaudes de l'Amérique du Sud ; c'est par une pure licence poétique, et pour les besoins de la mise en scène, que les auteurs de l'Africaine ont placé un de ces arbres à Madagascar, où ils n'ont jamais existé. Ce qui correspond aux

fermes, aux

exploitations 3***


102

NOS GRANDES COLONIES.

rurales de F r a n c e , s'appelle aux colonies

une habi-

tation ; c'est là que se cultivent ou se cultivaient le cacaoyer, le

r o u c o u y e r , le caféier

et

la canne

à

sucre. Le cacaoyer

a le même port à peu près que le

cerisier : niais il est toujours couvert de feuilles et de petites fleurs inodores; son fruit, qu'on appelle cabosse, a la forme d'un c o n c o m b r e , et cette capsule coriace, raboteuse, sont

contient v i n g t - c i n q à trente amendes qui

le cacao

proprement dit, base

chocolat. 11 y avait autrefois beaucoup

principale du de cacaoyers

à la Martinique; mais ils ont été presque tous détruits par le tremblement de terre de 1 7 3 7 . Le peu de cacao qu'on y récolte aujourd'hui est généralement acre et amer. Dans notre île, 8 0 0 travailleurs environ sont employés à la culture du d'habitations

cacao sur

une

centaine

situées presque toutes à la Guadeloupe

proprement dite. Cette plante précieuse, qui donné deux

récoltes par an, a été introduite aux Antilles,

en 1664, par le J u i f Dacosta; elle mérite à tous égards d'être encouragée. En 1878, on en a exporté 2 3 3 . 8 1 2 k i l o g r a m m e s ; mais il faut que ce chiffre a u g m e n t e c o n sidérablement

encore. Nous

ne devons

pas oublier

que le cacao est un des principaux éléments de» richesse à la Trinitad et au

Venezuela.

Le r o u c o u y e r est une plante de l'Amérique méridionale,

qui

donne annuellement

deux

récoltes de

petites baies renfermant des graines d'un rouge orangé. C'est la pellicule, séparée de la graine par des lavages successifs, qui fournit le roucon, essence tinctoriale et médicament

fébrifuge.

En

1 8 8 3 , on

en a exporte

3 0 0 . 4 9 0 kilogrammes ; mais sa culture est intermittente et diminue chaque j o u r , parce que les nouvelles


LA

103

GUADELOUPE.

découvertes do la science tendent à faire baisser c o n s tamment le prix du r o u c o u . L e cotonnier

est un

arbuste

dont

suivant l'espèce. Son fruit, appelé est une capsule ronde

la taille varie

coque ou

gousse,

renfermant des graines noires

perdues dans un flocon de duvet qui est le coton.

Sa

culture a été autrefois une des principales causes de richesse

des Antilles ; mais elle

a considérablement

diminué depuis le x v i i i e siècle. E n 1 8 8 2 , tation

a

été seulement

encore chaque kilo coûte habitations cotonnières

de

1.337

l'expor-

kilogrammes,

et

plus qu'il ne rapporte. Les se trouvent

principalement

dans leS communes du Baillif et des V i e u x - H a b i t a n t s ; on en rencontre aussi plusieurs dans les dépendances de la Guadeloupe. L e cafier ou caféier est un petit arbre toujours vert, de vingt à trente pieds de haut, que les créoles plantent en allées. Ses rameaux opposés en sautoir forment une cime pyramidale, d'un aspect très pittoresque. Ses fleurs, qui naissent par paquets à l'aisselle des feuilles, répandent un parfum délicieux ; leur corolle, assez semblable à celle du jasmin d ' E s p a g n e , contraste agréablement, par sa blancheur, avec le vert sombre du feuillage ; mais elle ne dure que peu de jours. Le fruit est une baie de la forme et du volume du c o r nouille ; d'abord d'un beau rouge vermeil, il prend une teinte brune lors de sa parfaite maturité. Son intérieur renferme deux graines accolées face à face, et chacune d'elles n'est autre chose que ce qu'on appelle couramment un grain de café. La récolte du café c o m m e n c e généralement en août et se termine en décembre. La Guadeloupe en produit


NOS GRANDES COLONIES.

104

environ

de

7 à 800.000

kilogrammes par

an ( 1 ) .

C'est dans les caféières que pousse, sans frais ni soins particuliers, une orchidée odorante, que la suavité de son parfum

fait rechercher

pour

la confiserie,

les liqueurs, les entremets, etc. Nous avons

nommé

la vanille, que tout le monde c o n n a î t . La Guadeloupe, qui en produit

chaque année pour près

de

200.000

francs, trouverait là une précieuse ressource, si les planteurs voulaient bien laisser complètement de côté le vanillon et consacrer quelques soins

intelligents à la

vanille du Mexique. La canne à sucre est aujourd'hui la base presque unique sur laquelle repose la fortune des Antilles ; base bien chancelante, hélas ! et qui cause de cuisants soucis à nos compatriotes d'outre-mer. La canne appartient à la précieuse famille des graminées

Les racines

produisent à la fois

t i g e s articulées, lisses, luisantes,

plusieurs

hautes environ

de

dix à douze pieds ; chacune d'elles porte de quarante à cinquante nœuds d'où sortent des feuilles longues de quatre pieds, larges d'un à deux pouces, sur leurs

bords, d'un

beau

dentelées

vert, dont une

partie

embrasse la t i g e , tandis que l'autre s'étend avec élégance en forme d'éventail.

Ces feuilles

tombent à

mesure que la canne mûrit ; elles servent aux nègres pour la toiture de leurs cases, et les animaux s'en montrent aussi très friands. La tige

de la canne à sucre

se termine par un jet sans n œ u d s , n o m m é flèche, de (1) Récompenses à l'Exposition universelle de 1878 : médaille d'or à M. Beleurgey ; médaille d'argent à MM. Le Dentu ; médaille de bronze à M. Longueteau, etc. Nous prions le lecteur de se reporter aux détails que nous avons déjà donnés en étudiant la Martinique, à la fin du chapitre I I I .


LA

105

GUADELOUPE.

quatre à cinq pieds, surmonté lui-même d'un panicule de v i n g t p o u c e s , composé de ramifications aussi grêles que nombreuses, qui portent une multitude de petites fleurs blanches et soyeuses. C'est dans les entre-nœuds que le sucre s'élabore. On voit que cette plante si précieuse

est

temps d'une grande magnificence : port

en même majestueux

de la t i g e , beauté du feuillage, élégance de la

fleur,

elle réunit tout. Sa recolte ne dure pas moins de cinq ou six mois, qui sont les premiers de l'année. La canne fait trois étapes dans les différents bâtiments d'exploitation, qui sont : les moulins, rie, la

la sucre-

vinaigrerie.

Rien de particulier à dire des premiers, si ce

n'est

qu'ils sont m u s , suivant les localités et la richesse de leurs propriétaires, par le vent, ou par des animaux, ou par l'eau, ou par la vapeur. La

canne, coupée au

pied, débarrassée de ses feuilles, est portée au moulin, où, pressée entre deux gros cylindres de fonte, elle rend un jus aqueux et sucré, le vesou. Ce j u s est conduit par un canal à la sucrerie, où on le recueille dans un bac. La sucrerie tient au moulin. C'est généralement un bâtiment en maçonnerie, élevé et très aéré, qui c o n tient des chaudières en fer ( 1 ) , dont le nombre varie entre quatre et sept. Le vesou dans l'autre,

doit

passer

et les chaudières étagées

de l'une

vont

dimi-

nuant de diamètre et de profondeur à mesure qu'on approche de celle où il recevra la dernière cuisson. Leur ensemble constitue ce qu'on appelle un

équipage.

(1) Au début, elles étaient en cuivre rouge et pesaient 150 k°s.


1O6

NOS GRANDES COLONIES.

Dans la première chaudière, on purifie le vesou au moyen d'un mélange de cendre et de c h a u x , et on l'écume. La seconde se n o m m e propre ; pourquoi ? parce que le vesou n'y arrive qu'à travers une toile et déchargé de ses plus grosses impuretés. La troisième s'appelle la lessive, du nom de la composition qu'on y jette pour purger le vesou et faire monter à sa surface le restant des i m m o n d i c e s , qu'on enlève avec une écumoire. La quatrième est le flambeau ; le vesou s'y purifie encore davantage, diminue, devient plus clair, et cuit à un feu plus vif, qui le couvre de bouillons transparents. Il passe à l'état de sirop dans la cinquième chaudière, à laquelle il donne ce nom ; c'est là qu'il acquiert de la consistance, du corps. Enfin, dans la sixième, il achève de se débarrasser de toute impureté, grâce à une nouvelle lessive de chaux et d'alun, et arrive au point de cuisson définitif. E n approchant du ternie de l'opération, il a des bouillons d'une telle violence qu'il se répandrait à terre, si on n'avait soin de l'aérer en L'élevant très haut avec une écumoire. Ce m o u v e m e n t , qui pourrait faire croire de loin qu'on fouette le sirop, a valu à la sixième chaudière le nom de batterie. Dans les sucreries à sept chaudières, il existe un grand et un petit flambeau : dans celles à cinq, on ne trouve pas de lessive : dans celles à quatre, la propre sert en même temps de lessive et de flambeau. L e sirop est ensuite d é v e r s é , pour être cristallisé, dans d'énormes chaudières où l'on produit le vide. Enfin, par une dernière opération, le turbinage, on


Habitation sucrière pendant la rÊcolte.



LA

109

GUADELOUPE.

décolore et on dessèche les cristaux au m o y e n des toupies métalliques mues à la vapeur. « Rien de curieux, dit avec raison M . Gaffarel (1),comme l'aspect d'une sucrerie au moment du grand travail, de la r o u laison. Chauffeurs qui jettent la bagasse sous les chaudières, écumeurs, décanteurs :c'est une mêlée étourdissante. L e bruit des cylindres, la ronde des turbines, les sifflements de la vapeur, le hennissement des chevaux et le chant des ouvriers qui reviennent de la plantation, tout se mêle et se confond. Pendant ce temps, les immenses cheminées de l'usine vomissent des torrents de fumée, et le directeur, le sucrier, c o m m e on le n o m m e , escompte en espérance les produits de sa récolte ( 2 ) . » Jusqu'en 1843, on ne voyait aux Antilles que des habitations-sucreries, récoltant la canne et la transformant en sucre, accomplissant à la fois la production agricole et le travail industriel. L e tremblement de terre de cette année terrible en détruisit un grand nombre, et c'est lorsqu'il s'agit de les reconstruire qu'on introduisit, et généralisa les moulins à vapeur. E t ceci produisit une véritable révolution, qui n'avait pas été prévue dans toutes ses conséquences. Cette entreprise fut vigoureusement poussée par une Société a n o n y m e , patronnée par le gouvernement, la Compagnie des Antilles. C'est elle qui établit les premières usines centrales, où les habitants, se contentant désormais de produire la canne, vinrent appor(1) Les Colonies françaises. (2) La nature de cet ouvrage nous oblige à nous borner à ces détails sommaires ;nous renvoyons les lecteurs curieux d'en avoir de plus circonstanciés aux mémoires et rapports de M M . Jules Ballet et A . de La Valette. NOS G R A N D E S C O L O N I E S .

4


110

NOS GRANDES

ter leurs récoltes. Ebranlée

COLONIES.

par les événements de

1848, la Compagnie des Antilles fut dissoute,

puis

reconstituée sur une autre base

s'ap-

en 1853. Elle

pela alors Société des Usines centrales de la Guadeloupe.

E n trois ans, cette Société avança 6.334.000 francs aux trois colonies à sucre. Elle ne devait pas tarder à augmenter

considérablement le chiffre

de ses opéra-

tions, car M . de Chasseloup-Laubat ayant autorisé la création du Crédit

Colonial,

elle fusionna avec lui en

1863. Il est incontestable que l'on doit à ce système la transformation de la plus grande partie de l'outillage industriel, que les usines centrales sont merveilleusement organisées j o u r de nouveaux

et qu'elles apportent

chaque

perfectionnements à la fabrication

du sucre. Mais en revanche les habitants prétendent que les usines, qui n'ont jamais cessé de leur faire des avances énormes dans les moments critiques, leur ont causé,

somme toute, beaucoup plus de mal que de

bien. L'usinier,

à vrai dire, aide l'habitant le plus

qu'il peut, car son intérêt est de ne pas produire la canne, mais de l'acheter, et d'expédier ensuite directement ses produits ; malheureusement, l'habitant, à force

d'être

aidé, finit par être pris dans un e n g r e -

nage dont il est bien rare de le voir sortir entier. Il lui faut abandonner,

sur le prix de sa récolte, tant

pour l'amortissement du capital, tant pour les intérêts, tant pour les bénéfices, e t c . ; si peu lui reste, que les ventes forcées se font de plus en plus fréquentes, et que chaque usine

finit

par devenir propriétaire de

toutes les habitations qui l'entourent. Est-il besoin de dire que cet état de choses crée entre l'usinier et l'habitant un antagonisme profond et tout à fait funeste à l'intérêt g é n é r a l ?


Usine Darbousier, à l'entrée du port, à la Pointe-à-Titre.



LA

GUADELOUPE.

113

A l'industrie du sucre se rattache celle de la guildiverie, n o m donné à la distillerie où l'on convertit en rhum les écumes et les gros sirops. On l'appelle aussi vinaigrerie, nous ne savons pourquoi. Les ustensiles de la vinaigrerie consistent en bacs de bois qui s'imbibent de jus aigri, ce qui aide beaucoup à la fermentation ; en une ou deux chaudières avec leurs chapiteaux et leurs couleuvres ; une écumoire, quelques jarres, des pots, des cuvettes, e t c . . Le rhum est la liqueur tirée du jus de la canne ou vesou : le tafia est une liqueur de même nature, mais provenant du vesou qui n'a pu cristalliser, et qu'on nomme mélasse. L e tafia coloré, et de qualité supérieure, prend aussi le n o m de rhum en vieillissant. Cette industrie a suivi les progrès de l'industrie sucrière, et les hautes récompenses accordées en 1878 aux rhums de la Guadeloupe exposés montrent le degré de prospérité qu'elle a pu atteindre. Les rhums les plus appréciés sont ceux de M M . Lacaze, Pouncou (médaille d'or en 1 8 7 8 ) , Roussel-Bonneterre, C h e r puy (médaille d'argent), E . L e Dentu (médaille de bronze), e t c . . . Les industries moins importantes qui se rattachent aux deux premières, d'une façon indirecte, sont celle des conserves de fruits (les ananas notamment), celle des confitures, enfin celle des sirops et liqueurs. Citons les confitures de g o y a v e , de shadek, de barbadine, etc. ; les sirops ou crème de n o y a u , de vanille, de monbin, de cacao, le vin d'orange, e t c . . La Guadeloupe produit, année moyenne, 3 3 . 5 0 0 . 0 0 0 k i l o g . de sucre et 15.000 hectolitres de rhum ; la Martinique, 2 4 . 5 0 0 . 0 0 0 kilog. de sucre et 8 5 . 0 0 0 h e c tolitres de rhum.


114

NOS GRANDES COLONIES.

Les chiffres de production sont bien inférieurs à ceux que l'on atteignait autrefois. Les causes de c e t t e décadence sont multiples et de natures fort diverses : nous c r o y o n s néanmoins avoir signalé les principales en i n d i q u a n t : l'antagonisme

fâcheux qui existe entre

les habitants et les usiniers; l'absorption lente mais ininterrompue des premiers par les d e r n i e r s ; l'élévation extravagante des droits qui pèsent sur les sucres ; enfin, le manque de bras, par suite de l'insuffisance de l'immigration. Les travailleurs employés sur les habitations sont ou des nègres, soit du pays, soit de la

côte d'Afrique

( C o n g o ) — ou des immigrants. L'immigration date de 1 8 4 8 . A p r è s l'émancipation, les propriétaires cherchèrent

vainement

divorce

à retenir les affranchis ; il y eut

entre la propriété et

le travail

: la G u a d e -

loupe, par exemple, qui avait produit 38 millions de kilogrammes de sucre en 1847, vit le chiffre s'abaisser à 20 millions en

1848 et à 17 millions l'année sui-

vante. Il fallait aviser immédiatement, on fit appel aux immigrants. Les

fils

de l'aventureuse G a s c o g n e

et des Pyré-

nées accoururent les premiers : mais on ne tarda pas à reconnaître que l'Européen

le travail de la terre est interdit à

sous le ciel des Antilles,

et on demanda

d e s travailleurs à Madère : deux cents ouvriers furent ainsi introduits

en

1854.

Qu'est-ce que cela

?

Madère, épuisée déjà par l'émigration de ses enfants dans les colonies anglaises, dut bientôt nous refuser des bras. O n eut alors recours à l ' I n d e , à l ' A f r i q u e , à la Chine, et diverses compagnies furent chargées d'opérer le recrutement. Les expériences furent aussi malheureuses que nombreuses, et

l'on n'a plus

aujourd'hui qu'à l'élément indien.

recours


LA

GUADELOUPE.

U n e convention signée le 1

e r

115

juillet 1861 entre la

France et l'Angleterre a réglé le mode de recrutement, d'introduction et de rapatriement des travailleurs. Le contrat est volontaire, et ne peut excéder une durée de cinq années. U n agent français, le gouvernement

anglais, préside aux

agréé par

engagements

d'après le règlement établi pour le recrutement des travailleurs destinés aux colonies anglaises. Le rapatriement de l'Indien, alors même qu'il s'est rengagé et a de ce chef touché une prime, — celui de sa f e m m e , de ses enfants nés aux colonies ou ayant quitté l'Inde avant l'âge de dix ans, — nement français.

est à la charge du g o u v e r -

Le mari ne peut être séparé de sa

femme ni de ses enfants. L'Indien ne peut passer d'un patron à un autre sans le consentement du premier. Un agent britannique exerce dans chaque colonie une surveillance spéciale, reçoit les réclamations et préside aux départs, qui ont lieu du 1

e r

août au 15 mars ; un

médecin et un interprète accompagnent le convoi ; les conditions hygiéniques à bord sont sévèrement r é g l e mentées. Enfin, le traité que nous résumons peut être dénoncé chaque année. Divers décrets ou arrêtés règlent ensuite la situation de l'Indien dans l'intérieur de la colonie. Les h e u res de travail, la nourriture, les conditions

du

logement,

soins médicaux, les

e t c . , sont soigneusement

déterminés. U n personnel spécial, d'inspection

et

divisé en service

service sédentaire, et des syndicats

protecteurs veillent à l'observation des règles édictées. Un propriétaire n'a droit qu'à dix coolies par convoi, au m a x i m u m , et celui qui manque à ses engagements ou exerce des sévices contre ses Indiens ne reçoit plus d'immigrants.


116

NOS GRANDES

COLONIES.

L ' I n d i e n coûte environ 5 0 0 francs de frais d'introduction ; la moitié de ces frais est à la charge du b u d get, l'autre moitié à la charge de l'engagiste. L e reng a g e m e n t , qui a lieu devant le maire et le syndic de l'immigration, revient à la colonie à 244 francs, et l'engagiste débourse de 2 0 0 à 250 fr. La journée de l'Indien, suivant l'étude faite par une Commission présidée par M . de Chamelles, revient à 2 fr. 10, en tenant c o m p t e de la prime p a y é e , de la

nourriture, des vêtements, des soins d'hôpital, des

non-valeurs et de la mortalité. Résumons maintenant les opinions les plus i m p o r tantes pour et contre le maintien de Au

l'immigration.

point de vue social, disent les uns, on introduit

dans la colonie une race nouvelle, infectée de vices, susceptible d'amener avec elle le choléra asiatique ; au point de vue é c o n o m i q u e , on détourne la population indigène de la culture du sol, on néglige la recherche d'instruments perfectionnés, on fait concurrence au travail indigène et l'on distribue aux coolies des salaires qu'ils emportent au loin, on met la production à la merci d'une puissance étrangère qui peut dénoncer le traité ; enfin l'Indien est payé par tous, et un petit nombre profitent de son introduction, e t c . , etc. Les partisans de l'immigration répondent : les habitants du pays, pour des causes diverses, fournissent à la culture un n o m b r e de bras infiniment trop restreint ; faut-il d o n c , en l'absence de travailleurs créoles, laisser la grande culture péricliter et disparaître ? L ' i m m i g r a t i o n ne fait pas concurrence au travail créole, ce dernier étant toujours préféré ; les salaires n'ont pas baissé depuis l'introduction des immigrants, ils ont au contraire augmenté progressi-


LA

GUADELOUPE.

117

vement, et le journalier créole g a g n e maintenant l fr. 7,5 par jour et gagnerait davantage, si la r é g u larité de son travail était assurée. L'introduction de l'Indien est, à vrai dire, payée en partie par le budget, mais tous en profitent ; d'ailleurs, les charges du budget tombent surtout sur la grande propriété. A u point de vue social enfin, l'immigration arrache à la famine toute une population qui périrait sans cela : une sage proportion des sexes peut diminuer les vices reprochés ; les précautions sanitaires rendent illusoire la menace du choléra asiatique, etc., etc. A ces deux écoles, dont l'une demande la suppression complète de l'immigration, l'autre son maintien et son élargissement, s'en ajoute une troisième, qui, sans repousser l'immigration, demande qu'elle soit libre et ne figure plus au budget colonial. Nous avouons ne pas même comprendre comment l'on peut discuter la question, et voici notre opinion brièvement formulée : Quels sont les S E U L S travailleurs aux Antilles ? les immigrants. A - t - o n trouvé quelqu'un ou quelque chose pour les remplacer? personne — rien. Les Antilles françaises sont aujourd'hui bien affaiblies ; supprimez l'immigration, elles sont mortes.

4*


118

NOS

GRANDES

COLONIES.

CHAPITRE

IV.

Dépendances de la Guadeloupe. — Marie-Galante.

Marie-Galante on G a l a n d e est la plus grande des dépendances de la Guadeloupe. Elle fut découverte par Christophe C o l o m b à son second v o y a g e , en 1493, d'après certains auteurs ; au troisième seulement, en 1 4 9 4 , d'après certains autres. Nous nous rangeons à la première opinion. Son nom est probablement celui du navire qui portait C o l o m b , à moins qu'elle ne le doive à l'impression agréable qu'elle produisit sur l'esprit de l'illustre navigateur. Son histoire peut tenir en quelques lignes. O c c u pée pour la première l'ois par des Français en 1(547, prise et reprise plusieurs fois par les Anglais ou les Hollandais, restituée définitivement à la F r a n c e en 1763, au traité de Paris, elle a constamment subi les mêmes vicissitudes de fortune que sa sœur aînée, la Guadeloupe. Marie-Galante est située à 27 kilomètres sud-ouest de la Capesterre, à 4 8 kilomètres sud de la P o i n t e - à - P i t r e , par 16° latitude nord et 63° 3 0 ' longitude ouest, entre la Guadeloupe et la D o m i n i q u e , dont elle est séparée par un canal de 33 kilomètres. L'île, de forme arrondie, a 87 kilomètres de tour, et compte environ l 6 . 5 0 0 habitants. Elle appartient au même soulèvement volcanique que la G u a d e l o u p e . Ses côtes sont bordées par de hautes falaises qui surplombent à pic l'Océan, de


119

MARIE-GALANTE. la pointe

du Nord

à la pointe

du Gros-Cap,

au

sud-

est, et par des plages de sable depuis la pointe Saragot. Elles sont défendues presque partout par plusieurs rangs de cayes, récifs à fleur d'eau qui rendent l'abordage des plus d a n g e r e u x , et sur lesquels, même par les temps les plus calmes, les lames se brisent avec un bruit terrible. L'extrémité méridionale de l'île est marquée par la pointe des Basses.

Marie-Galante a une petite chaîne de mornes qui ne dépassent pas 205 mètres d'altitude, mais qui envoient presque jusqu'à la côte de n o m b r e u x contreforts. Ils s'étagent du nord au sud en formant deux plateaux. De ces ondulations de terrain s'élancent une foule de ruisseaux, dont les lits sont le plus souvent à sec, mais qui se transforment pendant l'hivernage en t o r rents impétueux. Citons entre autres la rivière du Vieux-Fort

et la rivière

Saint-Louis.

Ses habitants ne

peuvent compter sur ces auxiliaires capricieux, et l'on a d û , pour suppléer à leur insuffisance, creuser de vastes citernes où s'emmagasinent les eaux de pluie. L e sol de l'île est d'une grande fertilité. D u sommet des collines descendent vers la plaine de vertes et vigoureuses forets, où se pressent des arbres aux riches essences tinctoriales, et les vallées produisent du tabac, de l'indigo, e t c . . La culture de la canne à sucre a remplacé presque complètement celle du café, qui fut la principale jusqu'en 1 7 8 9 . C'est à tort, on le voit, que les colons des îles v o i sines se permettent de plaisanter les habitants de celle-ci sur une pénurie de produits végétaux qui n'existe que dans leur imagination. A les en croire, il ne pousserait à Marie-Galante que des sapotilliers, et,


120

N O S G R A N D E S COLONIES.

dans le langage familier, c'est une injure plaisante à faire à un Marie-Galantais que de l'appeler mangeur de sapotilles en daube. L e sarcasme est assez comique, mais il porte à faux. Dans la partie sud-ouest, malheureusement maréc a g e u s e et malsaine, on rencontre de riches pâturages, où s'élève

d'elle-même

et dans une liberté presque

absolue, une race particulière de petits chevaux justement

renommés.

Le Père

Labat disait de Marie-

Galante qu'elle produisait à peu près tout ce qui est nécessaire à la vie, et que si l'on voulait

en prendre

soin, il s'y ferait une très belle c o l o n i e . L e climat ne diffère de c e l u i de la Guadeloupe que par une élévation de température un peu plus grande ; le thermomètre marque

souvent, à l ' o m b r e , de 3 3 à

35° C . ; la m o y e n n e est de 26° 5. L'établissement

principal

appelé indifféremment,

ou

Grand-Bourg

nation subsiste gracieuse

;

de

Marigot

Marie-Galante s'est ou ville de

Joinville

maintenant cette dernière dénomi-

à peu près

seule.

C'est une assez

petite ville, avec une dizaine de rues

bien

percées, quelques places spacieuses et une jolie église. Elle doit son importance à ce fait que sa rade est le point

par où les navires peuvent le plus facilement

aborder toute

et qu'il

leur est permis

d'y mouiller

en

sécurité. P a r c o n t r e , G r a n d - B o u r g est entouré

de terres basses et marécageuses, qui en rendent le séjour malsain. A p r è s G r a n d - B o u r g , c'est la terre, au centre

Capes-

d'une longue plage de sable, sur un

sol calcaire et madréporique. C'est dans ce

bourg,

composé d'une seule r u e , qu'on charge les sucres du nord et de l'est de l'île. On rencontre ensuite, sur la côte

ouest, le b o u r g


MARTE-GALANTE.

121

de Saint-Louis et la baie du même n o m , que fréquentent surtout les navires de guerre. « Entre ce village et le Grand—Bourg s'étend une grande plaine couverte de raisiniers et de mancenilliers, véritable nid à fièvres (1). » Enfin, avant d'arriver à la pointe du N o r d , nous r e marquons le bourg du Vieux-Fort, en face duquel est l'îlot de ce n o m . L e quartier du V i e u x - F o r t est sans aucune importance ; situé sous le vent et couvert de palétuviers et de marais, il est extrêmement insalubre. située à Signalons en dernier lieu la Petite-Terre, 3 kilomètres environ de la Pointe-des-Châteaux. Cette terre, d'une contenance de 343 hectares, est formée de deux îles : Terre de Haut et Terre de Bas, séparées par un canal d'une largeur minimum de 200 mètres, élevées à 12 mètres au-dessus du niveau de la m e r . On y remarque un feu fixe, blanc, élevé de 36 mètres et ayant une portée de 15 milles. L ' î l e , couverte d'arbres, très sèche, produit des cocos et quelques vivres; ses habitants y vivent de la pêche. (1) A. Bouillais, Guadeloupe politique,

économique, p. 58.


LES

SAINTES

« Les Saintes, composées de cinq îlots p r i n c i p a u x : Terre

de Haut,

Terre

de

Bas,

Grand-Ilet,

la Coche

et Ilet à Cabrits, dont trois seulement sont occupés (Terre de Haut, Terre de Bas et Ilet à Cabrits), sont situées à 19 kilomètres sud-est de la Guadeloupe, entre la Guadeloupe et la D o m i n i q u e , par 15° 5 4 ' latitude n o r d et 64° 1' longitude ouest. L e u r superficie est de 1.422 hectares. « Les Saintes furent découvertes par Christophe Colomb le 4 novembre 1493 et tirèrent leur nom de la Toussaint, célébrée quatre jours auparavant. Elles furent occupées pour la première fois par les Français le 18 octobre 1618, sous le g o u vernement de H o u e l , abandonnées à cause de leur manque d'eau, et occupées de nouveau en 1 6 5 2 , sous le même g o u v e r n e m e n t . Depuis lors, les Saintes ont subi toutes les vicissitudes de la Guadeloupe. C'est dans leurs eaux que le comte de Grasse fut battu par Rodney en « L e sol des Saintes, formé de rochers, est aride et présente une succession de mornes dont le plus élevé (Terre de Haut) ne dépasse pas 316 mètres. « La Terre de Haut, la plus à l'est, est de forme irrégulière et très découpée ; un canal navigable pour les


LES

SAINTES.

123

plus grands vaisseaux la sépare de la Terre de forme carrée. Entre la Terre de Cabrits, sur lequel se trouvent un

Haut

de

Bas,

et l'Ilet à

pénitencier et un

lazaret pour les quarantaines, est une baie

profonde,

où depuis 1 7 7 5 , à la suite d'un raz de marée survenu à la Basse-Terre, les bâtiments de guerre

en

station

à la Guadeloupe ont l'ordre de se réfugier, en cas de mauvais temps. La

passe des

vaisseaux

venant

du

nord est marquée par un récif appelé la Baleine. « L e climat des Saintes est très salubre et l'on y e n voie en convalescence les dyssentériques. « La population totale des Saintes est de 1.705 âmes, dont l'industrie principale

est la

pêche.

On

récolte

aux Saintes (Terre de Bas) un café estimé et du coton. On y fait aussi des poteries et on s'y livre à l'élève des volailles ( 1 ) . » Parmi les fruits que produisent les Saintes, il accorder une

mention

spéciale à un raisin

exquis, c o m m e on n'en mange pas même à

faut

muscat

P a r i s ; il

se paie, à la vérité, au prix de 2 fr. 50 la livre. Enfin, les Saintes méritent surtout d'être signalées comme point stratégique. L'Ilet à Cabrits forme avec la Terre de Haut, qui lui fait face, une vaste rade qui pourrait offrir un asile sûr à une flotte considérable. Aussi les gouverneurs de la Guadeloupe se sont-ils p r é o c cupés de tout temps de fortifier cette position,

et

les

travaux qu'ils y firent exécuter valurent de bonne heure aux Saintes le nom de Gibraltar des Indes

Occidentales.

Malheureusement ce Gibraltar-là.

admettant

en

qu'il soit aujourd'hui imprenable, ne l'a pas toujours

( 1 ) A . Bouinais. p. 53 à 55


124

NOS GRANDES

COLONIES.

été. Les Anglais réussirent à s'en emparer en 1 7 9 4 , et quand ils nous le restituèrent en 1 8 0 7 , soin d'en

ils avaient

eu

raser au préalable toutes les fortifications.

Six cents soldats des compagnies de discipline de la marine ont travaillé pendant vingt ans à les réédifier et à les augmenter encore. Ce sont d'abord le fort

José-

phine, sur l'Ilet à Cabrits — ( il sert surtout de

péni-

tencier) — et un blockaus en pierre juché sur le Chameau,

morne de la Terre de Haut, dépassant de

mètres le niveau de la m e r . Ce

sont

surtout

316

le fort

Napoléon, qui a probablement changé de n o m , etlabatterie du Morne-Rouge. par leurs feux

Ces forteresses

commandent

convergents toutes les passes pouvant

donner accès dans le port, et font de ce point stratégique une position

à peu près

inexpugnable.

A v a n t de quitter ce groupe d îlots, nous indiquerons, sans nous y appesantir, que dans les Antilles on fait, à tort sans doute, à ses habitants, une réputation équivalente à celle dont jouissent

en F r a n c e les naturels

de Falaise, Martigues, Landerneau, etc. Dans les histoires qui se racontent aux heures de loisir, c'est toujours à eux qu'arrivent les mésaventures les plus extraordinaires, et on leur prête des traits d'une véritablement surprenante.

naïveté


LA

DÉSIRADE

Colomb naviguait, d i t - o n , depuis plusieurs jours sans découvrir aucune terre, et son équipage inquiet commençait à murmurer, quand soudain, le 3 n o v e m bre 1 4 9 3 , une île surgit de l'immensité des flots. Colomb la baptisa Deseada, la Désirée, d'où nous avons fait la Désirade. C'est ce que dit Pierre d'Avisy : « Soudain qu'il l'eut vue, il la nomma la Désirée, pour le désir qu'il avait de voir la terre » . E t cependant l'aspect de cette terre n'était et n'est encore rien moins qu'enchanteur. Ce qui frappe en arrivant, ce sont les têtes grises des récifs, autour desquels l'eau forme de dangereux tourbillons. Puis le regard se porte sur les collines du centre, mais elles sont abruptes et désolées. On ne voit d'abord aucun arbre, et la vérité est qu'il en émerge fort peu du sol aride et sablonneux. A u s s i , quand on s'éloigne de l'île, elle produit à peu de distance l'effet d'un immense navire rasé par la tempête. La Désirade est située à 11 kilomètres nord-est de la Pointe-des-Châteaux, par 15° 5 7 ' et 16° 3 1 ' de latitude nord, 63° 3 2 ' et 64° 9' de longitude ouest. Elle a 2.600 hectares de superficie. Signalons la Pointe du Nord, l'embouchure de la ruisseau t o r r e n t u e u x , l'anse à Galet ( l e Rivière,


120

Nos

GRANDES

COLONIES.

meilleur mouillage de l'île, bien qu'il soit bouleversé par de fréquents raz de marée), le b o u r g de la GrandeAnse, avec son petit port, enfin la baie Mahault, où se jette une rivière minuscule, qui a pourtant exercé une certaine influence dans les destinées de la colonie. Cette rivière coulait autrefois à travers d'innombrables racines de gaïac ; les eaux, en s'imprégnant de leur s u c , devenaient une sorte de tisane sudorifique naturelle, très efficace dans le traitement des maladies de peau, et notamment de la lèpre. Cela suffit pour procurer à la Désirade l'avantage ou l'inconvénient d'être transformée, dans le courant de 1 7 2 8 , en l é p r o serie des Antilles. Aujourd'hui les racines de gaïac n'existent plus, car on a eu la fâcheuse idée de les brûler pour faire de la chaux ; les lépreux, heureusement, ont aussi presque tout à fait disparu ; mais la léproserie dresse toujours au soleil sa petite chapelle et ses deux séries de cases parallèles. — U n médecin de la marine et quelques Sœurs de Saint-Paul de Chartres y donnent leurs soins à une centaine d'indigents des deux sexes. La Désirade a 1.315 habitants : ils s'adonnent surtout à la culture du coton, favorisée par une sécheresse presque continuelle. Leurs ressources consistent encore dans la pêche, à laquelle ils se livrent avec ardeur, dans la récolte de quelques fruits assez estimés, dans l'élève des moutons et de la volaille ; la ponte des poules est très abondante, et l'on peut presque dire que les œufs sont la monnaie courante dans les achats de la vie usuelle. Parmi les innombrables parasites de la mer que r e -


LA

127

DÉSIRADE.

cueillent les Désiradiens, nous croyons de toute justice

d'accorder une mention spéciale à un crabe particulier On le désigne sous le nom de tourlourou, sans doute parce qu'il prend à la cuisson la couleur garance du pantalon

de

nos

soldats.

Le

tourlourou

trous qu'il creuse au s o m m e t des pluie a rempli

d'eau leurs

réunissent

bandes

en

falaises.

habite des Quand

la

demeures, ces crabes

se

considérables pour

descendre

Vers la mer; leur marche produit un bruit formidable,

qui s'entend à de très grandes distances, peut, sans exagération, torrent en fureur.

et que l'on

comparer au grondement d'un


SAINT-MARTIN.

L'île de Saint-Martin fait partie du groupe des îles V i e r g e s . Elle est située à 2 3 3 kilomètres nord-nordouest de la Guadeloupe, par 18° 3' de latitude nord et 65° 3 4 ' de longitude ouest, entre l ' A n g u i l l e ,

pos-

session anglaise, et Saint-Barthélemy, qui a fait récemment retour à la F r a n c e . C'est d'abord par des Espagnols que cette île fut o c c u pée presque aussitôt après sa d é c o u v e r t e . Ils y construisirent un fort ; mais en 1 6 4 8 , trouvant leur résidence trop pauvre, ils se décidèrent à l'abandonner. Dans cette même a n n é e , le 23 mars, Saint-Martin vit débarquer en même temps des Français et des Hollandais, qui, au lieu de s'exterminer, eurent la bonne idée de partager fraternellement cette t e r r e ; la partie nord, comprenant les deux tiers environ, échut aux Français, la partie sud aux Hollandais. Depuis cette époque, l'entente la plus cordiale n'a jamais cessé de régner entre les présentants des deux peuples, quel que fût le

re-

maître

aux mains duquel les destinées jetaient ce coin de terre. Saint-Martin devint propriété de l'Ordre de Malte en 1 6 5 1 , fut

acheté

par la deuxième

Compagnie,

et

entra dans le domaine de la couronne en 1 6 7 4 . Les A n g l a i s s'emparèrent de la partie française de l'île, en 1 7 4 4 , mais la restituèrent peu de temps après; en 1800,


129

SAINT-MARTIN.

ils l'occupèrent encore une fois; en 1 8 0 8 , 45 Français s'y défendirent vigoureusement qu'ils forcèrent

à la

fuite.

contre 2 0 0 A n g l a i s ,

D e leur occupation

a

subsisté cette anomalie, q u e , dans les deux parties de l'île, on parle anglais. Saint-Martin suivit le sort de la Guadeloupe en 1810 et ne nous fut rendu qu'en 1814. L'île a la forme d'un triangle équilatéral au sud. La partie française a 39 kilomètres de tour et une superficie de 5 . 1 7 7 hectares. Sur la côte nord-est, on voit l'annexe de Tintamarre, îlot absolument désert. SaintMartin et Tintamarre sont de formation calcaire. La partie centrale de l'île est traversée par une chaîne de montagnes, dont les contreforts descendent jusqu'à la mer, et dont le sommet le plus élevé est le ( 4 1 5 mètres). De nombreux ruisselets

pic du Paradis

y prennent naissance; mais il n ' y a pas de véritables cours d'eau, et les habitants — ( 3 . 4 6 3 dans la partie française, 2 . 8 0 0 dans la partie hollandaise) — sont le plus souvent réduits à l'eau des citernes. Sur les côtes, on remarque une série d'étangs salins, dont les p r i n cipaux sont le lac Simpson, rigot, l' Étang

Salin,

et le

au fond de la baie du lac

de la Grande-

Case,

Maau

fond de l'anse de ce n o m . L e c h e f - l i e u de la partie hollandaise est et celui de la partie française, le Marigot.

Philipsbourg, Son port est

dominé par un morne de 95 mètres d'altitude, que couronne un fort en ruines. L e climat de

Saint-Martin

est très salubre et son

ciel extrêmement pur. L e sol est léger et sablonneux. L'île a produit autrefois du sucre de bonne qualité et du rhum aussi r e n o m m é mais il n'en est plus ainsi

que celui de la Jamaïque ; aujourd'hui, et les seules

productions sont quelques fruits et légumes, du coton


130

NOS

GRANDES

COLONIES.

et du tabac assez estime. On y élève beaucoup de bêtes à cornes, en particulier des chèvres et des moutons ; citons encore des chevaux de petite taille,

mais vifs

et bien faits. La volaille, le gibier et le poisson sont assez attendants.

Saint-Martin

est favorisé par un

régime de c o m m e r c e particulier, et ses habitants ne paient aucun

impôt.

officielles avec

Les

communications

Saint-Barthélemy et la

postales

Basse-Terre

n'ont lieu que deux fois par mois. La plupart des habitants sont protestants et appartiennent à la C o m m u nion méthodiste ; aussi voit-on un Consistoire à côté de l'église catholique. Avant que nous n'eussions repris possession de SaintBarthélemy,

Saint-Martin avait un j u g e

de paix à

compétence étendue ; depuis 1 8 7 7 , il a cédé la place à un tribunal de première instance, composé d'un juge titulaire et d'un j u g e suppléant, d'un commissaire du gouvernement et d'un greffier.


SAINT-BARTHÉLEMY.

Eu 1648, une troupe de 50 à 60 Français, conduits par le sire de Gentès, e n v o y é par Louvilliers

de

Poincy,

capitaine général des îles pour le roi et la compagnie, prit possession de Saint-Barthélémy. L ' O r d r e de Malte l'acheta en 1651, et y fonda un premier établissement qui entrait en bonne voie de prospérité, lorsque, en 1650, une irruption de Caraïbes, venus de la D o m i nique et de Saint-Vincent, détruisit ce commencement de colonisation. Après de nouveaux essais qui ne furent guère plus heureux, les colons découragés se réfugièrent à Saint-Martin. En 1664, l'île devint la propriété de la seconde compagnie française. E n 1674, elle fut réunie au gouvernement de la Guadeloupe. Il a été constaté qu'en 1775 sa population consistait en 427 blancs et 345 esclaves. Les Anglais s'en sont emparés à deux reprises différentes, en 1689,puis en 1763. et l'ont rendue chaque fois dans un état de complète dévastation. E n 1784, la France, pour obtenir un droit d'entrepôt à G o t h e m b o u r g , céda Saint-Barthélemy à la Suède, qui l'a conservé jusqu'en ces derniers temps. A u mois de janvier 1877, des négociations furent entamées avec cette puissance, pour répondre au vif désir exprimé par les colons de rentrer dans le sein de la première patrie. Un traité fut conclu à Paris, le 10


132

NOS GRANDES COLONIES.

août suivant,

qui réunissait Saint-Barthélemy à la

F r a n c e ; on le soumit à l'approbation des habitants, et ils votèrent leur annexion à l'unanimité voix.

moins une

Ce traité a été ratifié par le parlement le 14

janvier

1 8 7 8 , promulgué le

M . Couturier, g o u v e r n e u r é p o q u e , a pris

1

e r

mars

suivant, et

de la Guadeloupe à cette

solennellement possession de

Saint-

Barthélemy le 16 du même m o i s . Nous devions verser à la Suède : 1° 8 0 . 0 0 0 francs pour prix des édifices

publics et de leur mobilier ;

2° 3 2 0 . 0 0 0 francs pour indemniser les fonctionnaires de l'île de la perte de leur emploi. Nous avons été dispensés du paiement de la première s o m m e , à charge pour nous de fonder un hospice à Gustavia.

Nous

avons fait distribuer aux pauvres un secours de 4.000 francs le j o u r de notre prise de possession. Saint-Barthélemy

est

situé à 175 kilomètres au

nord-ouest de la G u a d e l o u p e , par 65° 10' 3 0 " gitude ouest et 17° 5 5 ' 3 5 " de latitude

de lon-

n o r d , dans

le cercle formé par Saint-Eustache, Saint-Christophe, la Barbade et Saint-Martin. Elle s'étend de l'est à l'ouest

sur une longueur de 9 kilomètres ; elle a 25

kilomètres de tour et une superficie d'environ

2.114

hectares. Saint-Barthélemy

n'est autre chose qu'un

som-

met montagneux é m e r g é . Aussi ses contours sont-ils très

accidentés

et

d'une

grande

irrégularité.

îlots sans importance, appartenant

au

même

Des sys-

t è m e , en rendent l'accès difficile ; ce sont le Goat, la Frégate,

le Toc-Vert,

la Fourche,

grand et le p e t i t ) , le Grenadier,

les Boulangers

Surgatoa,

(le

etc.

D'après ce que nous venons de d i r e , il ne faut pas s'attendre à

rencontrer dans cette île de forts acci-


S A I N T - B A R T H É L E M Y V.

133

dents de t e r r a i n ; quelques mornes, irrégulièrement reliés entre e u x , s'élèvent à peine j u s q u ' à 3 0 0 mètres. Les deux seuls établissements de l'île sont via et

Gusta-

Lorient.

Gustavia, le chef-lieu, se trouve à l'est de l'île. Son port se creuse en forme de fer à cheval, et son entrée est gardée par deux forteresses placées à ses extrémités : le fort

Oscar et la fort

Gustave.

Le pre-

mier est élevé de 41 mètres, et le second de 78 mètres au-dessus du niveau de la mer. C'est à ce port que Gustavia doit toute son i m p o r tance. L e P è r e Dutertre le décrivait ainsi : « C'est un havre qui pénètre de plus d'un quart de lieue dans la terre par une entrée large de cinquante pas ; il en a plus de 300 de longueur en quelques endroits, et aux plus étroits 200 ; il est accessible en toute saison, même pour les plus grands navires. » C'est à cette appréciation, déjà bien lointaine et assez peu claire, que s'en étaient tenus jusqu'à ce j o u r les différents auteurs. A vrai dire, la seule partie de la baie qui puisse être considérée c o m m e un port est un petit bras de m e r , n o m m é le Carénage, mesurant 700 mètres de long sur 200 de large. Il ne peut admettre que les navires

tirant

de 1m50 à 1 80 m

d'eau

(1). I l est a l i -

menté par le petit cabotage qui se fait avec toutes les îles voisines. L a partie la plus extérieure de la baie offre, il est vrai, un mouillage c o m m o d e , mais ouvert et peu sûr à certaines époques de l'année, avec un fond de 5 20 au m a x i m u m . Les côtes du nord et de l'est sont bordées de récifs de corail toujours à sec,qui constituent des écueils dangereux. m

(1)

R a p p o r t a d r e s s é au S é n a t p a r M. le v i c o m t e d e la J a i l l e .

NOS G R A N D E S

COLONIES.

4**


134

NOS GRANDES COLONIES.

Les habitants de Gustavia avaient adressé une pétition à la Diète suédoise pour obtenir

l'établissement

de docks de réparation ; il n'y a pas été fait droit ; cette création a paru inutile, quand il existe déjà d'excellents docks de cette

nature

dans les autres Antilles,

notamment à la Martinique et à

Saint-Thomas, qui

ont des communications plus fréquentes avec

l'Eu-

rope. On leur a également refusé une avance de fonds pour l'exploitation de leurs salines, parce que celles de Saint-Martin et de Saint-Christophe, qui se trouvent à proximité, fournissent du sel en abondance et à très bon marché. « L a ville de L o r i e n t (1), située au vent de l'île sur le bord de la mer, est abritée par un bois de cocotiers, au milieu duquel s'éparpillent

des maisons de bois,

entourées de murs en pierres sèches. Ses habitants, qui descendent des anciens N o r m a n d s , et qui n'ont conservé de leurs ancêtres que le g o û t des travaux agricoles et quelques vieux mots usités au dix-septième siècle, parlent tous le français, à l'encontre des habitants de Gustavia, qui parlent généralement l'anglais. Ils sont au n o m b r e de quatre ou cinq cents. « On trouve encore au nord la vaste baie de SaintJean. » La population totale de l'île s'élève de deux mille cinq cents à trois trois à

mille habitants, parmi

quatre cents protestants. Ils n'ont,

lesquels comme

ceux de Saint-Martin, aucun impôt à payer. Il y a à Saint-Barthélemy un tribunal de première instance, comprenant

un j u g e président, un c o m m i s -

(1) A. Bouinais, p. 49 et 50.


S AI N T - B ARTHÉL

135

MY.

saire du gouvernement et un greffier. Les principaux produits de l'île sont des légumes, des fruits, n o t a m ment des ananas ; le tabac, l'indigo, la casse et le bois de sassafras. L e c o m m e r c e jusqu'ici n'a pris que peu d'extension. Saint-Barthélemy, cependant,

est susceptible

de

développement à ce point de vue, et l'île a j o u i pendant un temps d'une certaine richesse. Si, dans la dernière période, elle coûtait annuellement 6 8 . 0 0 0 fr. à la Suède, en revanche, de 1812 à 1 8 1 6 , elle a payé à la métropole un tribut 1830,

elle

lui

de 4 8 6 . 6 7 5 en a

rixdalers, et de 1819 à

encore

envoyé

291.294.

Grâce aux avantages qu'offre la proximité de la G u a deloupe et de la Martinique, il serait possible de faire renaître cette ère de prospérité. Il faudrait pour cela : 1° encourager vigoureusement la culture du tabac d'une part, et d'autre part la pêche, notamment celle de la tortue ; 2° avancer aux colons des capitaux qui permissent l'exploitation des mines de zinc et de plomb, car on a récemment découvert de riches filons de ces deux métaux,



L A

G U Y A N E



GUYANE

FRANÇAISE ET

TERRITOIRE CONTESTÉ

PLAN

DE L'ILE DE CAYENNE ET DR SES ENVIRONS

par

HENRI MAGER

PLAN DE LA VILLE DE CAYENNE



CAYESNE.

—Laplace du Gouve rnement.


LA

GUYANE

CHAPITRE

I.

Découverte. — Christophe Colomb. — Vincent Pinçon. —Gonzalo Pizarr Ravardière — La Compagnie de Rouen. — Brétigny. — Fondation de Cayenne. — Les Douze Seigneurs. — Occupation de Cayenne par les Hollandais.

Grâce à un concours de circonstances exceptionnelles, la G u y a n e française a toujours été une de nos colonies les plus ignorées. Quand, à de rares intervalles, l'écho de son n o m parvenait jusqu'à la métropole, c'était a c c o m p a g n é de la nouvelle d'un insuccès, ou même d'un désastre. De nos jours e n c o r e , la G u y a n e a conservé sa terrible réputation, et, pour le plus grand nombre, elle reste complètement inconnue. Peu de gens se doutent des richesses qu'elle renferme ; ils savent bien qu'il y a une Guyane française, ils connaissent peut-être sa situation g é o g r a p h i q u e ; mais c'est tout. Que si, au contraire, on parle de la capitale de notre colonie, le nom de Cayenne évoque chez eux l'idée de bagne ;


142

NOS GRANDES

COLONIES.

ils se figurent une ville peuplée de convicts, un climat meurtrier, un pays malsain, bon tout, au plus pour y reléguer des forçats. Cette sorte d'abandon de la part de la mère-patrie a eu pour conséquence de laisser notre colonie à peu près étrangère aux grands faits de notre histoire. A part les événements

de 1 7 9 1 et la catastrophe

de

1 8 0 9 , elle n'a pas, c o m m e nos autres possessions, subi le c o n t r e - c o u p des crises que traversait la France. E t cependant, la G u y a n e aussi a son histoire : histoire souvent tragique,

et

qui,

dénaturée, faussée

pour servir des intérêts privés, n'a pas peu contribué à perpétuer la réputation déplorable que l'on a faite, bien à tort, à notre colonie. C'est Christophe C o l o m b qui. le premier, prit connaissance des G u y a n e s , quand il aborda sur le delta de l'Orénoque, le 1

e r

août 1498.

U n an plus tard, cette partie du continent américain était visitée par Alfonse Ojedo et Jean de la Cosa ; ces navigateurs ne firent que passer, ils avaient un autre objectif.

A p r è s avoir reconnu la c ô t e ,

ils

remontaient au nord, se dirigeant vers le golfe du Mexique. L e véritable honneur de la découverte des Guyanes

appartient à Vincent Janes Pinçon. Anciens

compagnons

de C o l o m b à son

premier

v o y a g e , P i n ç o n et ses deux frères, enhardis par les succès de leur chef, résolurent de chercher

aventure

pour leur propre c o m p t e . Ils quittèrent Palos au c o m mencement de l'année 1 4 9 9 , sur une flottille composée de quatre caravelles. Après avoir touché aux Canaries, relevé les îles du Cap V e r t , ils firent route au sud-


LA

GUYANE.

143

ouest, et, franchissant l'équateur, abordèrent, le 20 janvier 1 5 0 0 , au cap Saint-Augustin. D e ce point, se dirigeant vers le nord, ils repassèrent la ligne, et arrivèrent à un endroit où l'eau de la mer était si douce que P i n ç o n en fit remplir ses barriques. C'était les bouches de l ' A m a z o n e . Surpris de ce phénomène, les navigateurs s'approchent de terre, et mouillent près d'un groupe d'îles verdoyantes situées à l'entrée d'un fleuve dont l'embouchure avait plus de trente lieues de large. Ses eaux, poussées par une force irrésistible, pénétraient à quarante lieues dans la mer, sans se mêler aux flots de l'Océan, sans en prendre l'amertume. La flotte éprouva dans ce mouillage un mouvement de marées et de courants qui la mit en péril ; ce p h é nomène, produit par la rencontre des eaux de l ' A m a Prororoca. zone avec la marée montante, se n o m m e Abandonnant au plus vite cette station dangereuse, Pinçon longe la côte américaine pendant plus de trois cents lieues, et atteint l'Orénoque, après avoir visité plusieurs points sur lesquels il n'a malheureusement pas laissé de détails. Quelques années plus tard, Gonzalo Pizarre, frère du conquérant du P é r o u , explorait ces régions. U n prisonnier lui apprit qu'au centre de cette contrée b o i sée que l'on désignait sous le n o m de Guyana, habitait un prince couvert d'or de la tête aux pieds. A u dire de l'Indien, la poudre d'or était fixée sur le corps du monarque au m o y e n d'une résine odorante ; il h a b i tait une ville aux palais faits du précieux métal ; a u tour de cette fantastique cité, la nature avait semé les pierres les plus précieuses de son riche écrin, et les eaux du lac Parimé, au milieu duquel s'élevait la capi-


144

NOS

GRANDES

COLONIES.

tale du souverain, roulaient sur un lit de perles et de diamants. Les E s p a g n o l s désignèrent ce roi métallique sous le n o m de Eldorado,

l'homme d o r é , et le pays qu'il ha-

bitait fut appelé l ' E l d o r a d o . Pizarre se mit à la recherche du prince merveilleux, mais il ne put découvrir sa d e m e u r e . Malgré son invraisemblance, la légende ne tarda pas à se répandre, et l'on vit de toute part accourir de hardis aventuriers. U n des premiers dont le n o m nous soit parvenu est l'illustre sir Walter Raleigh, le favori de la reine Elisabeth. Il avait formé le projet de pénétrer dans le domaine d ' E l d o r a d o en suivant l'Orénoque. Il quitta Londres en 1 5 9 4 et tenta de remonter le fleuve ; mais les sauts et les rapides n o m b r e u x cours

l'arrêtèrent

dans

qui coupent

son v o y a g e .

son

U n an après,

Raleigh était de retour en A n g l e t e r r e . E n 1 5 9 6 , il entreprit une deuxième

exploration,

qui n'eut pas plus de succès. L a même a n n é e , le capitaine R o b e r t - D u d l e y ( 1 ) ,

commandant

l'Ours,

était

à la Trinité, lorsqu'il entendit parier de l'Eldorado. Il e n v o y a aussitôt à la découverte une embarcation montée par douze h o m m e s . La petite expédition visita la Mana,

d'où elle rapporta, d i t - o n , de l'or en assez

grande quantité. V e r s la même é p o q u e , Laurent K e y m i s et le capitaine Berrie firent une tentative qui ne fut pas plus heureuse. Ces v o y a g e u r s

s'étaient dirigés vers l ' O y a p o c k ,

ils supposaient rencontrer la ville d'or. Ils nous apprennent qu'il y

avait déjà en

Guyane

des F r a n -

çais, qu'avait attirés la recherche du bois r o u g e . Ces (1) Hackluyt, T. III, p. 576.


LA

145

GUYANE.

Français devaient venir du Brésil : en effet, Thevet (1), dans la relation de son v o y a g e , raconte qu'un de ses Compatriotes, longtemps prisonnier des sauvages, lui parla d'un pays très fertile appelé Ouyana, auquel on parvenait en remontant la rivière

Kourou.

E n 1 6 0 4 , Charles L e i g h , en 1 6 0 8 , R o b e r t H a r court pénétrèrent en Guyane pour atteindre l ' E l d o rado ; ils ne furent pas plus favorisés que leurs devanciers. Ces voyages eurent au moins pour résultat de faire connaître

la côte. Enfin, pour clore la liste des

étrangers, citons la dernière tentative

de

Walter

Raleigh en 1 6 1 6 . A son retour à L o n d r e s , en 1 6 1 7 , le roi Jacques I

e r

le fit décapiter c o m m e

imposteur.

Cependant, en France aussi on avait entendu p a r ler du souverain d ' o r . L e

roi H e n r i I V chargea un

gentilhomme poitevin, le sieur de la Ravardière, de visiter la G u y a n e et de faire un rapport sur l ' o p p o r tunité qu'il y aurait d'y créer une colonie. De la Ravardière s'embarqua au Havre le 12 j a n vier 1 6 0 4 ; il était de retour le 15 août de la même année. Jean M o q u e t ,

qui a écrit la relation d e c e

voyage, nous apprend que si l'envoyé du roi ne d é c o u vrit pas l ' E l d o r a d o , il rapporta du moins des détails tellement intéressants sur la fertilité du pays et sur ses habitants, que l'on décida d ' y fonder un établissement colonial. En effet,

e n 1 6 2 6 , des marchands de R o u e n

en-

voyèrent un premier convoi de vingt-six personnes sous la conduite de

Chantail et de Chambault ( 2 ) .

Les

colons s'établirent à Sinnamary. D e u x ans plus tard, ( 1 ) Manuscrit de la Bibliothèque Nationale. (2) Malouet, Mémoires NOS

GRANDES

sur les colonies,

COLONIES.

t. I, p. 111.

5


146

NOS GRANDES COLONIES.

le capitaine Hautépine amenait à Canamona quatorze hommes

commandés

par

un

nommé

Lafleur.

En

1630 arrivaient de nouveaux immigrants, et en 1634, quelques-uns d'entre e u x , venus dans l'île de Cayenne, défrichaient et mettaient en culture la côte de Rémire; en 1 6 3 7 , ils y construisaient un village et un fort. L'impulsion était donnée. Suivant

l'exemple de

n é g o c i a n t s de R o u e n

ces

particuliers

isolés, les

se réunirent et formèrent une

compagnie. Ils obtinrent la concession de tout le pays compris entre l'Océan, l'Orénoque et l ' A m a z o n e . E n 1 6 3 8 , Richelieu confirma ce privilège en y ajoutant le monopole

du c o m m e r c e : la nouvelle

compagnie

s'engageait, en retour, à créer plusieurs établissements, notamment sur le Maroni. Elle expédia aussitôt soixante-six nouveaux colons. V e r s la même é p o q u e , quelques-uns des hommes le hasard tain

les

ayant

mis en

relation

avec un

cer-

Poncet, seigneur de Brétigny, ils lui firent une

description si magnifique de la G u y a n e et des richesses qu'elle renfermait, que celui-ci résolut de s'y rendre. Aussitôt, il vend ses biens, offre ses services à la compagnie, qui les accepte, et prend le commandement d'un

convoi en formation. A son titre d'envoyé

de

la c o m p a g n i e , de B r é t i g n y ajouta celui de gouverneur et de lieutenant

général pour le roi.

P . B o y e r , sieur du P e t i t - P u y , qui faisait partie de l'expédition et en écrivit la relation,

nous

apprend

qu'à part les officiers, le personnel était fort mal c o m posé : presque

il n'y

avait ni ouvriers

ni cultivateurs, mais

uniquement des gardes et des soldats

qui

devaient former la maison militaire de M . le g o u v e r -


147

LA GUYANE.

neur.

Ces g e n s , des aventuriers pour

la

plupart,

avaient été racolés un peu partout. L'expédition

gagna

le

H a v r e , en

Seine, et s'embarqua le 1

er

navires le Saint-Jean bre,

descendant

la

septembre 1643 sur les

et le Saint-Pierre.

L e 25 n o v e m -

on jetait l'ancre non loin de C a y e n n e , devant

l'habitation M a h u r y .

Dès les premiers jours de leur

arrivée, les colons eurent à souffrir du terrible c a r a c tère du chef : tout le monde dut plier sous son j o u g tyrannique. Les infractions les plus légères aux règlements qu'il avait promulgués étaient l'objet de châtiments sévères. Outrés d'un tel despotisme, les officiers se révoltèrent ; le 4 mars 1 6 4 4 , de B r é t i g n y fut mis en prison et remplacé par un Conseil de surveillance placé sous la présidence de M . de S a i n t - R e m y . Cependant, cédant aux prières du chef, le Conseil lui rendit la liberté et l'administration de la colonie. Aussitôt rentré en possession

du pouvoir, de B r é t i -

gny rédigea un règlement en cent quarante articles, dont quelques-uns paraissent être l'œuvre d'un tique ou d'un fou : le

fana-

blasphémateur avait la langue

brûlée avec un fer rouge ; on tranchait le poignet à celui qui frappait un de ses c o m p a g n o n s , etc. Sous l'empire d'une sorte de folie furieuse, le g o u verneur se livrait à toutes sortes de cruautés : huit innocents furent rompus par ses ordres, et il fit charger de fer et emprisonner les missionnaires capucins qui lui adressaient de justes reproches. A u matin, il interrogeait les et ceux

hommes sur leurs rêves de la nuit ;

dont les songes n'avaient pas l'heur de lui

plaire, étaient marqués au front avec un fer rouge à ses initiales. V o i c i en quels termes B o y e r rapporte ce fait monstrueux : « Sa tyrannie le faisait bien passer


148

NOS GRANDES COLONIES.

plus outre ; car il voulait matins chez lui pour lui

que chacun

allât tous les

rendre compte de tous

les

songes q u ' o n aurait faits pendant la nuit et de toutes pensées q u ' o n aurait eues pendant la précédente j o u r née, desquels et desquelles il nous faisait punir avec des extraordinaires cruautez. Les Nérons et les Caligulas ne firent jamais rien de semblable ( 1 ) . » A u milieu de toutes ces extravagances, de Brétigny lit cependant construire le fort

Cépérou et le village

qui depuis est devenu C a y e n n e . Des

Indiens,

particulièrement

tyran, cherchèrent une

maltraités par

occasion favorable

ce

pour tirer

vengeance d e ses mauvais traitements ; l'événement ne se fit pas longtemps attendre. U n j o u r qu'il faisait une

reconnaissance

en terre

ferme,

Brétigny

fut

attaqué, et périt massacré avec tous ceux qui l ' a c c o m pagnaient. Malheureusement les naturels ne se t i n rent pas pour satisfaits par la mort du chef; ils prirent aux colons des souffrances durées, et ravagèrent

qu'ils avaient

les établissements de

s'en en-

Berbice,

du Maroni et de S u r i n a m . Ils attaquèrent ensuite le fort Cépérou, et celui-ci serait entre leurs

mains, sans

certainement

tombé

l'intervention des mission-

naires qui, grâce à leur influence sur les indigènes, les dissuadèrent de continuer la guerre et les entraînèrent à K o u r o u . U n e partie des colons échappés au massacre les accompagna ; un certain n o m b r e resta dans le fort, d'autres

enfin, réfugiés

sur le

navire

du capitaine

Mirebault, qui croisait dans ces parages,

gagnèrent

Saint-Christophe.

(1) P. Boyer, Véritable relation de tout ce qui s'est passé au, voyage de M. Brétigny, p. 192 (Paris, in-8°, 1654).


LA

149

GUYANE.

Malgré le peu de succès de ces tentatives, une n o u velle c o m p a g n i e se formait. M .

de

Royville, l'abbé

de la Boulaye, l'abbé de l'Isle de Marivaux, et quelques autres au n o m b r e de douze, tondaient, sous le nom de Compagnie

des Douze

Seigneurs,

une Société dont le

capital versé était de huit mille écus minime, si l'on songe aux

: somme

frais de transport,

tallation et aux nombreux travaux

bien d'ins-

à exécuter pour

rendre la colonie productive. Il est vrai qu'on n'allait pas à la G u y a n e pour travailler, mais pour des richesses subsistait

imaginaires ; la c r o y a n c e à

recueillir l'Eldorado

toujours, et c'est en entretenant cette lé-

gende que les organisateurs de Sociétés réussissaient à entraîner à leur suite quelques malheureux trompés par des promesses mensongères. L'expédition

quitta

Paris

le

18

mai 1 6 5 2 ,

et,

c o m m e les précédentes, se dirigea sur le Havre par la Seine. L e j o u r même du départ, l'abbé de Marivaux, voulant

passer d'un

dans le

fleuve

la Conférence. 500

bateau

dans un autre, tomba

et se noya en face Le

tonneaux, et la

du transport des

de la

Grand-Saint-Pierre, Charité,

de

colons, quittèrent

porte

de

navire

de

400, la

chargés

France

le

3 juillet. Dès le début de la traversée, des discussions s'élevèrent au sujet du c o m m a n d e m e n t , que M. de R o y v i l l e entendait conserver

tout entier, tandis que

chacun

voulait en avoir sa part. On relâcha à Madère, où l'on séjourna huit jours : les associés profitèrent de cette escale pour se et former un c o m p l o t

réunir

dont le but était de supprimer

M. de Royville. Ses compagnons lui reprochaient de s'être vendu à la Compagnie de R o u e n , et ils allèrent


150

NOS

GRANDES

COLONIES.

jusqu'à l'accuser de méditer leur

mort pour

garder

un p o u v o i r sans partage. O n reprit la mer ; quelques j o u r s après, le 18 septembre, les conjurés pénétrèrent

dans la cabine

du

chef, le poignardèrent et jetèrent son corps par-dessus b o r d . Réunissant ensuite tous les passagers sur le pont, ils licencièrent la c o m p a g n i e des gardes, destituèrent les officiers et se partagèrent l'autorité. de l'expédition

fut confiée

La direction

à M . de Bragelone, qui

devait exercer son commandement sous

le

contrôle

d'un Conseil de surveillance. D i x j o u r s après ces

événements, les navires arri-

vaient en vue de C a y e n n e . L e s chef- croyaient t r o u ver un

établissement

en ruine, un village

ils furent fort étonnés d'apercevoir

un fort

désert : recons-

truit, sur lequel flottait le drapeau blanc. Les veaux arrivants firent au c o m m a n d a n t de la gnie de R o u e n sommation

de se rendre

;

nou-

compacelui-ci,

n o m m é de Navarre, n'ayant à sa disposition que

soi-

xante hommes, ne crut pas devoir tenter une résistance inutile ; il capitula,

consacrant ainsi l'autorité

de la C o m p a g n i e des D o u z e S e i g n e u r s . L e débarquement c o m m e n ç a

aussitôt, et l'on se

mit à construire tant bien que mal quelques maisons. Mais l'expédition ne comptait que fort peu d'ouvriers, et la plupart des colons durent rester sans abris ; elle n'avait pas non plus de cultivateurs : aussi no put-on songer à défricher et à cultiver les terres environnantes. Tous les bras étaient,d'ailleurs, employés à l'édification d'un fort en pierre, M. de V e r t a u m o n t , n o m m é commandant militaire, ayant déclaré que sa dignité ne lui permettait pas d'exercer son pouvoir sur des fortifications

de bois. Bientôt les

vivres manquèrent ; on


LA

151

GUYANE.

n'eut pas même la ressource de se nourrir de poisson ; car, dans

leur

incroyable imprévoyance, les chefs

avaient oublié d e se munir d'engins de pêche ! A c c a blés de fatigues, affaiblis par les privations et la m i s è r e , les nouveaux colons devinrent fièvres pernicieuses

bientôt

ou d'autres

la p r o i e de

maladies mortelles.

« Il semble, dit Biet dans son récit, que l'on n'avait embarqué tout

ce peuple que p o u r

ramener

dans

ce p a y s et l ' y f a i r e périr ( 1 ) . »

Cependant, un des associés,

M.

Duplessis, visita

l'île, et désigna Rémire pour y créer un établissement définitif.

Durant

son exploration

pirogue montée par quatorze

il r e n c o n t r a une

blancs

et un n o m b r e

égal de noirs, sous le commandement d'un F r a n ç a i s o r i g i n a i r e d e Gonesse. Ces hommes étaient des pirates de Fernambouc avec leurs esclaves ; ils f u i e n t prisonniers.

De ce j o u r

date

faits

l'introduction

des

p r e m i e r s nègres dans la colonie. De graves discussions ne tardèrent p a s à s'élever e n t r e les a s s o c i é s . Quelques-uns

d'entre

eux ,

ayant

pour chef un n o m m é Isambert, formèrent l e projet d'assassiner leurs camarades pour s'emparer de l'autorité. L e c o m p l o t fut découvert : on j u g e a les c o n jurés, et Isambert, condamné à m o r t , 25 décembre

1 6 5 2 . Cet e x e m p l e

fut exécuté le

ne ramena pas le

calme, et les discussions continuèrent

; de V e r t a u -

m o n t , c o m p r o m i s dans l'affaire Isambert, m a i s m é n a g é à cause de son c o m m a n d e m e n t e t des forces

dont

il

disposait, s'enfuit e t réussit à gagner Surinam. L e s Galibis, tribu indienne

occupant une portion

(1) Biet, cité par Nouvion, dans ses Extraits, chap. ix.

p. 42, livre I I I ,


152

NOS GRANDES

COLONIES.

de l'île de C a y e n n e , avec lesquels les douze

seigneurs

avaient eu plusieurs querelles, profitèrent du désarroi complet où se trouvait l'établissement p o u r l'attaquer; la plupart des malheureux colons furent é g o r g é s . Ceux qui avaient pu échapper à la mort furent

recueillis

le

27 décembre 1653 par deux navires qui les transportèrent aux A n t i l l e s ; peu d'entre eux, cependant, revirent leur patrie; ils succombèrent presque

tous aux

suites des fatigues endurées et des maladies contractées Dans leur fuite précipitée, les

associés

abandonnaient pour plus de vingt mille livres

à Cayenne.

d'armes,

de vivres et de munitions, que de Vertaumont

tenait

en réserve dans le fort. Après le désastre de la c o m p a g n i e des douze seigneurs, l'île resta à peu près inhabitée, jusqu'à ce q u ' u n

cer-

tain Guérin Spranger, j u i f hollandais expulsé d u Brésil p a r l e s Portugais, vînt s'y installer avec quelques-uns des siens.

Son habile direction mit l'île en si bonne

réputation que la plupart des juifs, chassés c o m m e lui du Brésil par la persécution religieuse, s'empressèrent de le rejoindre.

U n de

ses coréligionnaires,

Nasty, se fit donner à A m s t e r d a m le titre de

David patron

maître de la colonie de Cayenne, il s'y rendit en 1 5 6 9 . Sous le g o u v e r n e m e n t de ces commerçants, la colonie atteignit un degré de prospérité jusqu'alors i n c o n n u . Telle est, brièvement

résumée, l'histoire

des

mières tentatives de colonisation faites à la et dont l'honneur, c o m m e on

le voit, revient

plutôt à des étrangers qu'à nos compatriotes.

pre-

Guyane bien


LA

153

GUYANE.

CHAPITRE

II.

De la Barre. — Expulsion des Hollandais. — La France Equinoxiale. — Prise de Cayenne par les Anglais.— Paix de Bréda.— Prise de la Guyane par les Hollandais. — Suppression des Compagnies. — Reprise de Cayenne. — M. de Jennes. — Les PP. Lombard et Ramette. — Pierre Barrère.

Jusqu'en 1 6 6 3 , on s'occupa

peu de Cayenne,

en

F r a n c e . L'issue fatale des entreprises dirigées sur ce point n'était pas faite pour encourager de

nouvelles

tentatives. Cependant, un sieur Lefebvre de la Barre rêvait de reprendre l'œuvre de ses devanciers.

Grâce

à de hautes protections, il obtenait du roi, par l'entremise

de Colbert,

la concession du pays qui s'étend

entre l ' A m a z o n e et l'Orénoque, et des îles qui en d é pendent, sous le n o m de France Equinoxiale. Il formait une Société composée de vingt

membres, v e r -

sant chacun un capital de dix mille livres, avec l'engagement de doubler la s o m m e , au besoin. L'expédition devait être accompagnée par la flotte de M . de Prouville, qui allait prendre le g o u v e r n e ment des Antilles. Celui-ci, avec douze cents hommes embarqués à cet Hollandais, et

effet, avait mission d'expulser les de remettre Cayenne aux mains de

M . de la Barre. L e convoi

se composait

du Brézé

et du

Tenon,

vaisseaux du roi, et de quatre navires appartenant à la C o m p a g n i e . Partie le 26 février 1 6 6 4 , la flotte arrivait le 11 5*


154

NOS GRANDES

COLONIES.

m a i devant Cayenne. M . de T r a c y ,

qui connaissait le

pays, fut envoyé en parlementaire. Guérin comprit

qu'il

ne

pouvait

résister

Spranger

aux forces

qui

venaient l'attaquer ; il capitula d o n c , en demandant toutefois

à sortir du fort Cépérou avec les honneurs

de la guerre. Cette concession lui fut a c c o r d é e . L e 27 mai 1664, les Hollandais abandonnèrent Cayenne pour aller s'établir à S u r i n a m , colonie

anglaise fondée d e -

puis peu; ils n'avaient pas à redouter

là les persécu-

tions religieuses. E n débarquant, la nouvelle c o m p a g n i e trouvait une situation prospère, plusieurs sucreries organisées, un grand n o m b r e de noirs occupés à la culture du c o t o n , du roucou et de l ' i n d i g o , toute une colonie enfin

res-

pirant la richesse et le bien-être. L e premier acte de M . de la Barre fut d'entrer

en

relations avec les Galibis et de leur proposer un traité de paix. Le g o u v e r n e u r leur promettait la tranquillité et le r e s p e c t

de leurs personnes,

en échange que d'abandonner

ne leur

demandant

l'île pour se retirer

en

terre ferme, et d'aider les c o l o n s , le cas échéant, à r e prendre leurs n o i r s évadés,

Le

traité fut signé à la

S o u s la sage administration

du nouveau g o u v e r -

grande joie des indigènes. neur, qui sut tirer parti de l'impulsion donnée à la c o lonie par les Juifs hollandais, on la C o m p a g n i e de la F r a n c e

pouvait croire

que

Equinoxiale allait enfin

donner les résultats que ses prédécesseurs avaient v a i nement poursuivis. Tout à c o u p , les colons apprirent que le

gouverne-

ment venait d'autoriser la création d'une vaste C o m pagnie destinée à englober les autres. Sous le n o m de

Compagnie

des

Indes

Occidentales,

cette

nouvelle


LA

155

GUYANE.

institution devait monopoliser tout le commerce des Antilles et de la Guyane. Effrayé,

pour

l'établissement qu'il dirigeait, des

conséquences probables

de cette

création, M . de la

Barre prétexta du mauvais état de sa santé,

et quitta

Cayenne, laissant le commandement des établissements à son frère, M . de L é z y . Celui-ci, homme irrésolu et sans énergie, n'avait aucune des

nécessaires

qualités

pour administrer la colonie et la guider dans la voie de prospérité où elle était entrée. Ce choix était d'autant plus

regrettable que le nouveau directeur allait

avoir à lutter contre des difficultés extérieures. La nouvelle de la formation

de la Compagnie des

Indes occidentales était vraie : pour mettre un terme aux désordres occasionnés par les rivalités continuelles qui s'élevaient entre les particuliers fondateurs d'établissements privés, le ministère s'était décidé à les r é unir tous sous une seule et même administration; pour atteindre ce but, il créait une grande compagnie à l a quelle des lettres patentes conféraient la propriété de toutes les terres et îles habitées par les Français dans l'Amérique

méridionale.

La

nouvelle

choisit M . de la Barre pour lieutenant heureusement celui-ci

était

loin

Compagnie

général ; mal-

d'être rendu à son

poste. Par une c o ï n c i d e n c e fatale, le roi, vers la

même

époque,prit parti pour la Hollande contre l'Angleterre, et déclara la guerre à cette dernière

puissance le 25

janvier 1 6 6 6 . A u x premiers bruits de guerre, c o m m e on supposait,avec raison, que les Anglais tourneraient leurs efforts vers nos colonies tants renforts

furent

d'Amérique,

d'impor-

envoyés aux Antilles; m a i s ,

c o m m e il fallait toujours que l'on commît

quelques


156

NOS GRANDES

COLONIES.

fautes, on négligea de p o u r v o i r Cayenne des moyens de défense indispensables. Repoussée devant la Martinique et la Guadeloupe, l ' A n g l e t e r r e tourna ses efforts contre la G u y a n e ; le 22 o c t o b r e , sa flotte arrivait en vue de notre possession. M . de L é z y , en t o u r n é e à M a h u r y , est aussitôt prévenu; il g a g n e à la hâte le fort Cépérou et se prépare à la résistance; malheureusement l'ennemi, son attente, se dirige

trompant

sur R é m i r e et y opère un débar-

quement. L e g o u v e r n e u r a c c o u r t avec ses troupes sur le point menacé, et livre un c o m b a t acharné; mais il est blessé dans la lutte, et les Français, écrasés sous le nomb r e , battent en retraite. Ce premier échec fait perdre complètement la tête à M . de L é z y , et, au lieu de se retirer dans le fort Cépér o u , a v e c les habitants et la garnison, il passe; en terre ferme et g a g n e Surinam. Cependant, le sergent Ferrand, resté à

Cayenne

avec une poignée d ' h o m m e s , veut rassembler tous les colons dans le fort pour résister à l'Anglais. Bien pourvue de vivres et de munitions, la place, peut tenir longtemps encore ; les

déclare-t-il,

habitants

refusent

de se rallier au brave sergent ; ils s'enfuient, et Ferrand est obligé de livrer le fort au chevalier H a r m a n , commandant des forces britanniques. Les troupes anglaises se répandent dans la colonie, pillent les habitations, brûlent les récoltes, détruisent les fortifications, et enfin abandonnent l'île dévastée, p o u r se diriger sur Surinam. Les habitants et la garnison furent transportés à la B a r b a d e ; à leur arrivée, l'amiral anglais venait d'apprendre

Willougby

la conclusion de la paix par le

traité de Bréda ; il dirigea les prisonniers sur la Marti-


LA

nique. A

157

GUYANE.

quelque temps de l à , le P . Morellet, de

l'Ordre des Jésuites, fit savoir à M . de la Barre, g o u verneur des Antilles, que des Français réunis par ses soins étaient restés à Cayenne ; de la Barre envoya M . de L é z y pour reconstituer la colonie. Quelques années plus tard, en 1 6 7 6 , de nouveaux événements venaient encore bouleverser Cayenne, à peine remise de l'attaque des A n g l a i s . Les Hollandais n'étaient plus nos alliés, et, le 5 mai, l'amiral Binks, à la tête de onze vaisseaux, s'emparait de nos possessions. Il respectait du moins absents dont

les habitations : à part les

les biens furent mis sous

séquestre,

chacun p u t , malgré l'occupation étrangère, j o u i r en paix de sa propriété. Cependant,

le gouvernement

venait

encore

de

modifier le système c o l o n i a l : les compagnies s u p p r i mées, chacune de nos possessions

d'outre-mer était

placée sous le c o m m a n d e m e n t d'un officier n o m m é par le roi. Le ministère de la marine centralisait les services des colonies. E n même temps, l'amiral d'Estrées recevait ordre

de

se diriger avec

sa flotte

sur la

Guyane et d'en chasser les Hollandais. L e 11 d é c e m bre 1 6 7 6 ,

les vaisseaux du

roi arrivaient

devant

Cayenne, et en reprenaient possession. Depuis cette époque,

réduite aux limites qu'elle a encore

aujour-

d'hui, notre colonie ne fut plus troublée, jusqu'à la Révolution, et pendant cette période on vit se créer quelques entreprises agricoles particulières, qui d o n nèrent plus tard au gouvernement l'idée de faire, lui aussi, un grand essai de colonisation. En 1696. M . fonda

un

de Jennes obtint une concession et

grand établissement

sur le cours

d'une

rivière qui porte encore son n o m . Deux Jésuites, les


NOS GRANDES COLONIES.

158

P.P.

L o m b a r d et R a m e t t e , vinrent en 1 7 0 9 se fixer

sur l e fleuve K o u r o u . Ils réunirent quatre ou cinq cents néophytes avec l'aide

assez rapidement

indiens ; plus

des nègres, ils créèrent

tard,

les raffineries les

plus importantes de la contrée. La

moitié

deuxième

du

XVIII

e

siècle

fut,

pour

notre empire colonial, une époque désastreuse : une à une, nos plus belles possessions passaient a u x mains de l ' é t r a n g e r : l ' A c a d i e , l ' I n d e , le Canada étaient cédés à l'Angleterre.

A

la suite de ces pertes successives,

l'attention du g o u v e r n e m e n t fut de nouveau appelée sur la G u y a n e , et en 1 7 6 3 on résolut d'y fonder une vaste exploitation a g r i c o l e .

A v a n t de faire le récit de l'Expédition de Kourou, justement qualifiée de «

rapidement quel était E n 1 7 4 3 , Pierre

sinistre aventure

» , voyons

alors l'état de notre colonie.

Barrère, médecin d u r o i , fit un

v o y a g e à C a y e n n e . V o i c i ce qu'il dit de la prospérité de notre établissement : « Il n ' y a g u è r e aujourd'hui dix habitants

blancs.

plus de quatre-vingt-

O n comptait, il y a quelques

années, dans le recensement

général, cent vingt-cinq

Indiens esclaves, tant h o m m e s que femmes et enfants; quinze cents nègres travaillant et payant soixante roucouries (sic),

capitation,

dix-neuf sucreries et quatre

indigoteries. « Tous les esclaves au-dessous de soixante ans et au-dessus de quatorze payent sept livres et demie pour la capitation annuelle, q u ' o n fait monter à six ou sept mille

livres,

qui est payée avec les denrées d u pays.

L e c o m m e r c e d'aujourd'hui, dans cette c o l o n i e , roule sur beaucoup de rocou (sic), assez de sucre et peu d'ind i g o , de café et de c a c a o . L a culture d u café n'a été


LA

159

GUYANE.

introduite qu'en 1721

Celle du cacao est plus

nouvelle encore ; cependant il y

avait en

1735

des

colons qui en expédiaient jusqu'à trois barriques : mais le manque

d'esclaves

arrête

tous les

progrès

que

pourrait faire la colonie. Quelque petit que soit le c o m merce de C a y e n n e , les marchandises qui s'y t'ont tous les ans sont estimées à deux cent cinquante mille livres ou cent mille

écus

»

L'auteur entre ensuite dans des considérations très développées sur le tort que cause à l'agriculture le petit nombre d'esclaves, puis il ajoute : « Les terres que les Hollandais font

valoir à Surinam, et dont la

colonie tire toutes ses richesses, ne sont que les terres basses et inondées de mer haute. Ne

pourrions-nous

pas ainsi, à leur exemple, dessécher et cultiver celles de Cayenne qui sont noyées » ( 1 ) ? Avant Malouet et Guisan, Barrère avait compris que l'agriculture seule pouvait rendre notre

colonie

véritablement prospère ; que tous les efforts devaient tendre vers ce but ; qu'il fallait à tout prix conquérir des terres fertiles sur la mer, et surtout amener

en

Guyane de n o m b r e u x noirs pour leur faire exécuter les travaux auxquels, sous ce climat débilitant, les Européens ne peuvent se livrer impunément. (1) P. Barrère, Description et suivantes.

de la France équinoxiale, pages 97


160

NOS GRANDES

COLONIES.

CHAPITRE

III.

Expédition de Kourou (1). — Bessner. — Malouet et Guisan.— Villeboi. — Révoltes à Gayenne. en 1793. — Emancipation des noirs. — Réquisition forcée. — Victor Hugues. — Prise de Cayenne par les Portugais. - - Traité de 1814. — Colonisation de la Mana. — M Javouhey. — 1848. — Abolition de l'esclavage. — Situation actuelle. m e

Après la signature du traité de

Paris

( 1 7 6 3 ) , qui

enlevait le Canada et les Indes à la F r a n c e , le roi rêva de créer, dans

la F r a n c e Equinoxiale, un centre de

population blanche, qui pût contrebalancer, dans l ' A mérique du Sud. les immenses possessions des Anglais dans l'Amérique du Nord, et, au besoin, concourir à la défense des Antilles, objectif avoué de la politique britannique. C'est dans ce but que l'on organisa l'expédition de K o u r o u . Afin d'obtenir le concours du public, on fit croire à la fondation, en Guyane, d'une agricole et commerciale ;

pour

vaste exploitation augmenter

encore

cette c r o y a n c e , on demanda des projets d'organisation à des hommes compétents : le c o m m e r c e fut appelé à donner son avis.

Tous les mémoires présentés

cluaient à l'introduction dans

con-

la colonie de l'élément

noir. M . d'Orvillers, fils du gouverneur de ce nom, qu'un séjour de quarante-sept ans

en Guyane avait

(1) Si nous nous étendons longuement sur cette expédition malheureuse, c'est que, jusqu'ici, les différents auteurs qui ont traité de la Guyane ont presque passé sous silence cette tentative de colonisation.


LA

161

GUYANE.

mis à même d'en connaître à fond les besoins, et dont l'opinion

pouvait être

considérée c o m m e

celle de la

majorité des colons, insistait d'une façon toute particulière sur ce point.

Est-il besoin de dire

qu'on ne

tint aucun compte de ces

avis? E n haut lieu, on se

préoccupait

la question

fort

peu

de

coloniale,

on

obéissait à un tout autre ordre d'idées. Tout le m o n d e , colons et agents, faussement renseigné, fut

absolu-

ment trompé:alléchées par des promesses magnifiques, les familles partaient, croyant qu'à jouir des richesses digue.

Aussi,

la

n'avoir,

en

arrivant,

procurées par un climat p r o -

plupart se

lancèrent-ils avec une

légèreté inouïe dans cette entreprise; et, le croirait-on? dans cette

expédition, qui pour réussir exigeait une

race dure au travail, sobre, laborieuse, c o m m e celle dés puritains qui les premiers peuplèrent les solitudes de l'Amérique du N o r d , on engagea en grande quantité des soldats, des musiciens et des comédiens ! Cependant, on concédait à M . de Choiseul et à son cousin M. de Choiseul-Praslin

tous les terrains c o m -

pris entre le Maroni et le K o u r o u , avec droit de pêche, de chasse, de nomination d'officiers municipaux et de justice ; les propriétaires pouvaient donner aux villes et aux villages à construire, leurs noms et ceux des membres de leur famille. Ils s'obligeaient en retour à faire cultiver les terres les plus éloignées, à peupler la région voisine des frontières : « la population n o u velle, disait l'acte, devant servir de barrière » . M . de T u r g o t , homme ignorant, et

esprit

superficiel

sans suite, fut nommé gouverneur ; il désigna

comme

intendant

général M .

Thibault

ment impartial: ses plans furent toujours

de contrariés,

Cha


162

NOS GRANDES

COLONIES.

et il eut à lutter contre d'insurmontables M . de Chanvalon

eut

à supporter

difficultés.

tout le poids de

fautes qu'il n'avait pas commises, et si on lui reprocha avec raison beaucoup d'actes au moins inconsidérés, on ne tint pas assez c o m p t e , à notre avis, de la situation particulière dans laquelle il se trouvait. L ' E t a t affectait à la nouvelle c o m p a g n i e un capital de un million

cinq

cent

mille livres,

répartis comme

suit: 3 0 0 . 0 0 0 livres pour frais de premier

établisse-

m e n t ; 4 0 0 . 0 0 0 livres destinées à payer le fret de 4 . 0 0 0 tonneaux pour le transport de deux mille individus, v i v r e s , outils, e t c . ; les 8 0 0 . 0 0 0 livres restantes étaient appliquées aux frais g é n é r a u x

de la colonie.

A u c o m m e n c e m e n t de 1 7 6 3 , M . Bruletout de P r é fontaine, ancien officier de marine, p r o m u au grade de commandant,

reçut la mission d'aller à K o u r o u ,

d'y établir un c a m p , et d ' y faire construire le plus de locaux

possible.

R o c h e f o r t le 1

e r

Cet officier

devait s'embarquer à

mars pour être rendu à Cayenne en

avril, c'est-à-dire à la fin de la saison des pluies; il ne put mettre à la voile que le 1 7 mai. L e c o n v o i se c o m posait de trois navires : la Comtesse

le

de Grammont,

Jason et l'Américain. Outre un important chargement de vivres et d'outils, la flottille emportait 1 2 7 colons; elle atteignit Cayenne le 1 4 juillet. M . de Béhague, M . Morisse,

gouverneur

de la G u y a n e ,

et

ordonnateur, firent à M . de Préfontaine

un assez mauvais a c c u e i l ; leur exemple fut suivi par les habitants : ils refusèrent aux colons l'aide ceux-ci avaient si grand besoin.

Arrivé

dont

à Kourou,

le commandant obtint de l'établissement des Jésuites quatre-vingts noirs pour l'aider dans ses travaux d'installation. A la fin d'octobre, les constructions les plus


163

LA GUYANE.

indispensables

n'étaient

pas

terminées : et

quand

M . de Chanvalon débarqua le 22 décembre avec 1.429 passagers, rien n'était prêt pour les recevoir. L'attitude du gouverneur

et de l'ordonnateur vis-

à-vis de M , de Chanvalon fut plus hostile encore q u ' à l'égard de M. de Préfontaine. M. Morisse n'avait pris aucune mesure pour recevoir les colons et

faciliter

leur passage à K o u r o u , malgré les ordres qu'il avait reçus de la métropole.

Dans

une entrevue qu'il eut

avec M . de B é h a g u e , l'intendant général, sommé de montrer ses p o u v o i r s , s'y refusa; c'était une rupture. Les émigrants étaient restés à bord des navires qui les avaient amenés, et il fallait les mettre à terre au plus vite, car les capitaines avaient hâte de repartir. F o r c e fut d o n c à M. de Chanvalon de faire au débarquement. Il se rendit à K o u r o u

procéder dans une

pirogue ; après avoir éprouvé les plus grands dangers pour franchir la barre du fleuve, il atteignit le c a m p . Ce c a m p , établi par les soins de M . de Préfontaine, était situé sur la rive gauche du fleuve K o u r o u , à un tiers de lieue environ

de l'embouchure ( 1 ) . On avait

défriché les bords de la rivière sur une longueur de quatre cents toises, et une profondeur de deux cents environ; dans cet espace s'élevaient

une

église,

un

hôpital, et autour, quatre rangées de carbets dont disposition

la

formait des rues. Ces constructions r u d i -

mentaires étaient presque toutes occupées par les v o y a geurs du premier convoi ; celles restantes étaient bien insuffisantes pour abriter les émigrants que l'intendant avait laissés à Cayenne. (1) Plan du camp de la nouvelle colonie de la Guyane çaise.

fran-


164

NOS GRANDES COLONIES.

Il fallait agir au plus t ô t . M .

de

Chanvalon cal-

cule que pour transporter les colons de Cayenne au c a m p , avec les moyens insuffisants dont

il dispose,

il lui faudra trois mois (1); ce temps lui suffira

pour

construire de nouveaux; abris, mais il manque de bras: il s'adresse aux h o m m e s déjà installés, ceux-ci refusent leur

concours.

L'intendant

visite les environs du

c a m p , les trouve parfaitement disposes p o u r y créer un établissement ; puis il retourne à Cayenne

pour

procéder au transport des é m i g r é s . Il installe aussi bien que possible tout son monde dans l'île de C a y e n n e , et les départs pour

Kourou

c o m m e n c e n t . A peine un petit nombre est-il expédié, q u ' o n lui annonce un nouveau

convoi

treize hommes venant sur la Ferme,

de quatre

cent

capitaine d'Ambli-

mont. R i e n n'est disposé pour leur réception ; l'encomb r e m e n t , déjà excessif à Cayenne, va s'accroître d'autant. C'est alors que l'idée vient à M. de Chanvalon d'utiliser Diable

les îles du Salut,

(il les débaptisa

alors nommées îles du

pour la c i r c o n s t a n c e ) , s i -

tuées à neuf lieues au nord-ouest de Cayenne, et à trois lieues en face de K o u r o u . Il les visite, fait tracer un chemin, déblayer u n e source et dresser des tentes (2). L e 19 mars 1764, la Ferme quer quatre cent treize passagers (maintenant

(3) vient

débar-

sur l'îlot principal

l'île R o y a l e ) . E n m ê m e

temps, le capi-

taine de c e navire avise M . de Chanvalon de l'arrivée prochaine de deux mille nouveaux colons. Que faire en cette occurrence ? L'intendant n'a pu

(1) Défense de M. de Chanvalon. ( 2 ) Correspondance de l'intendant, lettre n° 52. (3) Etat des bâtiments expédiés du port de Rochefort.


LA

165

GUYANE.

prévenir en F r a n c e Je l'état de l'établissement, et faire suspendre les envois

d'hommes ; dès son

arrivée il

avait voulu écrire, mais M . Morisse avait

refusé de

retarder le départ du bateau qui aurait pu emporter ses lettres. Dans son embarras, M . de Chanvalon retourne au camp de K o u r o u et se décide à utiliser les bords

de

la rivière ; il remonte son cours pendant environ v i n g t lieues, trace les limites des premières concessions, fait construire quelques carbets et y envoie des vivres. Ces concessions

s'étendaient

jusqu'au

Château- Vert,

à

douze lieues de la mer ; on n'alla pas au delà à cause d'un saut qui

rend la navigation

difficile. E n terre

ferme, un peu au-dessus de la zone des palétuviers, là où sont situées les premières concessions, le fleuve tourne brusquement, et sa

rive

forme

c o m m e une

presqu'île ; cet endroit est choisi pour y jeter les f o n dations d'une

ville

au centre du

pays c o n c é d é . On fait c o m m e n c e r en

importante

(1)

qui doit s'élever

même temps les premiers défrichements, depuis l ' e m bouchure du K o u r o u jusqu'à l'éminence qui domine toute la région des palétuviers ; deux habitations, qui prirent les noms de la Liberté

et la Franchise,

y

sont

créées. Elles étaient à une lieue de la mer, sur la rive gauche du fleuve et au-dessus du camp (2). A ce m o m e n t , M . de Chanvalon apprenait l'arrivée de douze cent treize personnes, hommes et femmes ( 3 ) ; et pas un endroit pour les r e c e v o i r ,

pas une habita-

tion pour les abriter, pas m ê m e de tentes !

(1) Note du plan de la rivière Kourou.

(2) Ibid.

(3) Défense de M. de Chanvalon, pages 243 et suivantes.


166

NOS GRANDES

COLONIES.

Les îles du Salut étaient encombrées par les passagers de la F e r m e : sur avait pas malades,

d'hôpital

;

ces roches dénudées, il celui

du

n'y

c a m p regorgeait de

et sur l'île de Cayenne gisaient 1 5 0 indi-

vidus abandonnés, presque sans secours,

et

n'ayant

d'autre abri que la toile ! Le

c o n v o i annoncé arriva, amenant 1.887

gers : on les dirigea sur les îles du Salut,

passa-

et l'on en-

tassa deux mille trois cents individus, là où quatre cent treize hommes avaient peine à se m o u v o i r ! Profitant du adressa

départ de la flotte, M . de Chanvalon

des représentations

au ministère et à M . de

T u r g o t , q u i , malgré son titre de g o u v e r n e u r , s'obstinait à rester à Paris ; l'intendant demandait que l'on suspendît, momentanément du m o i n s , l'envoi de nouveaux é m i g r a n t s .

Ces réclamations

parvinrent

tard, paraît-il, car au mois d'avril le Centaure quait 3 4 8 individus : en mai, les Georges, l' Amphitryon,

la

Deux-Amis,le

Balance

et le

trop

débarPrince

Parham

amenaient 9 6 0 . Enfin, pendant le courant de

en

l'année

1764, des convois successifs transportèrent en Guyane NEUF MILLE personnes !

Bientôt le désordre

se mit dans l'administration :

les malades mouraient l'auto de soins ; les vivres, g a s pillés ou gâtés pendant la traversée, s'épuisaient rapidement, et ce n'est qu'avec des peines infinies que l'on arrivait à nourrir tout le m o n d e . Chanvalon, v o y a n t le désespoir s'emparer de ces infortunés, chercha-t-il à réagir, ou bien obéit-il à un a u tre m o b i l e ? ce qui est certain, c'est q u e , sous prétexte de distraire et d'étourdir les c o l o n s , Chanvalon donna des fêtes, organisa des banquets ; il assistait aux riages et leur donnait par sa présence

une

ma-

sorte de


Il

167

LA GUYANE.

solennité. « C'est avec la même adresse et la même i n suffisance

de moyens que j'ai osé faire chez moi la

noce des premières

personnes honnêtes q u i se s o n t

mariées dans la colonie

J e conduisis la mariée

à l'autel. Les p r o p o s , les distinctions, tout fut ployé, et j e réussis : l'exemple prit

em-

Il nous reste

encore plusieurs hommes à marier. J'écris à la Martinique d'engager quelques d e m o i s e l l e s bien nées de ce pays-là, à passer dans celui-ci, quoiqu'elles n'aient pas de fortune, pour s'y établir (1)

» Il fit construire

un théâtre; ce n'était à la vérité qu'un hangar à peine couvert ; mais on reprocha à Chanvalon de consacrer à des amusements un local dont les habitants avaient si grand besoin ; l'abbé Brouet se plaignait

que p e n -

dant que l'on élevait un abri à des comédiens, le clergé était sans asile, et le médecin Chambon réclamait cet emplacement pour ses malades. Des signes de révolte ne tardèrent pas à se manifester parmi les colons. Convaincus qu'on les avait amenés là pour ne rien faire, ces hommes se

refu-

saient à tout travail. Les plus turbulents, gens sans aveu, recrutés principalement en A l l e m a g n e ,

furent

transportés sur la rive droite du fleuve ; rien n'était organisé pour qu'ils pussent s ' i n s t a l l e r ;

abandonnés

et livrés à eux-mêmes, ils périrent, pour la plupart, victimes

de leur paresse et de

la rigueur du cli-

mat ( 2 ) . Le premier départ des colons pour les terrains c o n cédés sur les rives du K o u r o u était fixé au 1

e r

juin.

ne put avoir lieu, une épidémie d'une extrême v i o (1) Correspondance de M. de Chanvalon, lettre n° 19. (2) Défense de M. de Chanvalon, p . 218.


168

NOS GRANDES

COLONIES.

lence s'étant déclarée. On ne commença à diriger les concessionnaires sur leurs propriétés respectives qu'aux premiers jours de septembre. Cette opération dura jusqu'en n o v e m b r e . Il est impossible de décrire le désespoir et le découragement qui s'emparèrent de ces malheureux quand ils se virent seuls, abandonnés et c o m m e perdus au milieu des grands bois où tout pour eux était sujet de crainte. P e u d'entre eux étaient cultivateurs : au lieu de c o m m e n c e r leurs défrichements, ils se mirent à errer d'une habitation à l'autre. Bientôt les vivres manquèrent, et la faim amena plusieurs suicides. Les chefs d'exploitation chargés de venir Chercher les rations pour eux et leurs travailleurs s'attardaient à K o u r o u , car, malgré la misérable situation de ses habitants, le c a m p semblait un lieu de délices, c o m p a r é aux concessions. B e a u c o u p prolongèrent tellement leur absence, qu'à leur retour ils trouvèrent des hommes morts de faim. Ces faits se représentèrent si souvent, que l'on défendit aux colons de quitter les habitations ; un entrepôt fut installé sur la pointe du fleuve o ù l'on avait projeté de construire une ville, et c'est là qu'ils venaient se ravitailler. E n résumé, la position des émigrés répartis sur la rive du K o u r o u était aussi misérable, plus peut-être que celle de leurs c o m p a g n o n s restés au c a m p . Cependant, s'ils avaient voulu travailler, s'ils s'étaient mis courageusement à défricher, ils seraient arrivés à créer des établissements agricoles riches et productifs. N'avait-on pas c o m m e exemple l'exploitation des J é suites — il est vrai qu'ils employaient des noirs ; — (1) Défense de M. de Chanvalon, p 248.


169

LA GUYANE.

celle du baron d ' H a u g w i t z , située sur la rive g a u c h e ? N'eut-on pas plus tard celle du baron Bessner qui i n s talla dix familles alsaciennes sobres et laborieuses, dont les efforts furent récompensés par le succès (1)? A u c a m p , de nouveaux troubles venaient d'éclater : les colons se plaignaient de l'irrégularité dans les distributions de viande fraîche, de l'insuffisance d'eau potable, et, poussés par un esprit d'injustice, e x c u sable chez des hommes aussi éprouvés, ils firent retomber sur M . de Chanvalon la responsabilité de toutes leurs souffrances. La nouvelle du désastre était enfin parvenue en F r a n c e , l'opinion s'en était vivement émue; mais, ainsi qu'il arrive souvent en semblable circonstance, au lieu de chercher un m o y e n de soulager au plus tôt ces misères, on commença par chercher un coupable. M. de T u r g o t profita de l'occasion qui se présentait pour satisfaire ses rancunes personnelles contre M . de Chanvalon : il rejeta sur lui le poids de toutes les fautes commises. L e g o u v e r n e u r dut se rendre immédiatement en Guyane p o u r prendre possession du poste qu'il n'aurait jamais dû quitter. A son départ, au lieu de lui fournir les m o y e n s de réparer une partie du mal, il reçut la mission de vérifier les registres de comptabilité, d'examiner soigneusement ce qui avait été fait, et d'ouvrir une enquête sévère sur les agissements de M . Chanvalon. Il est juste d'ajouter que l'on donnait aussi au gouverneur de précieux conseils pour agir de telle sorte que, quoi qu'il advînt, les bons rapports avec les nations voisines ne fussent pas altérés (1) Défense de M. de Chanvalon, p. 253. NOS G R A N D E S

COLONIES.

5**


NOS GRANDES COLONIES.

170 et que leur

amour-propre

fût

avant

tout m é n a g é .

M. de T u r g o t arriva à Cayenne à la fin du mois de décembre 1 7 6 4 . La mer était houleuse et le débarquement présentait quelque danger. F o r t effrayé, le g o u verneur fit un vœu

( 1 ) pour obtenir du ciel une h e u -

reuse traversée depuis son navire jusqu'à terre. L e premier soin de T u r g o t fut de de témoignages

possibles

contre

réunir

le plus

Chanvalon;

point

n'est besoin de dire qu'il trouva dans M M . de Béhag u e et Morisse deux auxiliaires d é v o u é s , et dans tous les malheureux des accusateurs

fort

animés contre

l'intendant g é n é r a l . Celui-ci, arrêté aussitôt, fut e n voyé en F r a n c e . On usa vis-à-vis de lui et de sa famille d'une dureté excessive. L e

prudent

gouverneur

garda bien d'aller j u g e r par lui-même

se

du désastre;

il refusa de se rendre au c a m p , craignant les fatigues du v o y a g e et l'épidémie qui sévissait à K o u r o u . Son séjour fut du reste de peu de durée. Après avoir réuni les chefs d'accusation

qu'il jugeait nécessaires à ses

projets contre Chanvalon ( 2 ) , et

récompensé par ses

largesses ceux qui l'avaient aidé ( M . de Béhague reçut quarante mille livres et M . Morisse soixante-quatre mille) ( 3 ) , il repartit pour la F r a n c e , où, il après une absence d'environ On embarqua

et l'on ramena à

de quitter la Guyane, T u r g o t oublia trier les n o m b r e u x colons

rentrait

six mois. Saint-Jean-d'Angély de

faire

rapa-

disséminés sur les rives du

fleuve K o u r o u . (1) (2) (3) l'avis

Défense de M. de Chanvalon, p. 245. Id. p 216. Résumé de toute l'administration de M. de Turgot, avec du rapporteur et des commissaires.

l


LA

GUYANE.

171

Des quatorze mille émigrants q u i , selon Malouet, furent transportés en G u y a n e , neuf cent dix-huit seulement revirent la F r a n c e ; quelques-uns avaient d e mandé à rester, ils s'établirent sur le Sinnamary. A son arrivée à Paris, M . de Chanvalon fut jeté à la Bastille, j u g é , et condamné à une détention p e r pétuelle; ses biens, séquestrés, furent vendus au profil des colons qui avaient survécu. Chanvalon en appela : il réussit , sinon à prouver son innocence , du moins à établir qu'il avait été victime des é v é n e ments. E n 1 7 7 6 , un nouveau jugement cassa le p r e mier ; ses biens lui furent rendus ; on lui donna une indemnité de cent mille livres , une pension annuelle de mille livres et la charge de commissaire général des colonies; puis, d'accusé devenant accusateur, il o b tint que Turgot fût enfermé à la Bastille sous l'inculpation d'abus de pouvoir et d'incurie. Quand ce d e r nier sortit de prison, le ministre vint, au n o m du r o i , lui offrir une pension de douze mille livres. T u r g o t r e fusa. « J e remercie Sa Majesté, dit-il, mais j e ne puis accepter une pension que vous ne m'avez pas laissé le temps de mériter. » I l finit ses j o u r s dans une retraite obscure, e t , en mourant, r e c o m m a n d a à ses enfants de ne pas laisser faire l'éloge de leur père. Ce soin était au moins inutile. Ainsi s'éteignit le dernier écho de l'expédition de K o u r o u qui coûta la vie à treize mille hommes, et à la France plus de trente millions. Ceux qui l'entreprirent, et c e u x qui furent chargés de la diriger, ont devant l'histoire une lourde responsabilité ; leur conduite a été sévèrement j u g é e par Malouet , l'homme qui a le mieux compris et le mieux étudié les intérêts de la G u y a n e française.


172

NOS GRANDES

COLONIES.

« Il paraît incroyable qu'un homme de beaucoup d'esprit ait adopte le projet de faire cultiver les marais de la zone torride par des paysans d'Alsace et de Lorraine. Mais l'impéritie, l'imprévoyance dans les détails d'exécution, surpassaient encore l'extravagance du plan C'était un spectacle déplorable que celui de cette multitude d'insensés de toutes classes qui comptaient tous sur une fortune rapide, et parmi lesquels, indépendamment des travailleurs p a y sans, on comptait des capitalistes, des jeunes gens bien élevés, des familles entières d'artisans, de b o u r geois, de gentilshommes, une foule d'employés civils et militaires , enfin une troupe de comédiens, de musiciens destinés à l'amusement de la nouvelle colonie ( 1 ) . » Jusqu'aux événements de 1793, l'histoire de notre colonie n'offre rien de saillant ; et nous n'avons à noter que quelques essais isolés de colonisation, t o u jours infructueux. C'est d'abord un nommé D u b u c q , qui fonde une société au capital de 800.000 fr. pour exploiter la concession de M . de Choiseul. C'est ensuite M. de Bessner, auteur d'un projet lors de l'organisation de l'expédition de K o u r o u ; il réussit à gagner à sa cause de hautes influences et de nombreux actionnaires ; son but était d'attirer dans la colonie les nègres évadés des possessions h o l landaises, au nombre de 20.000, et 100.000 Indiens. L e seul résultat de ce projet fut d'amener Malouet dans notre colonie ; celui-ci, chargé d'examiner le plan de Bessner, vint à Cayenne en 1777. Tout d'a(1) Malouet, Mémoires

sur les Colonies, t. 1 . p. 36.


LA

173

GUYANE.

bord il reconnut que le projet était impraticable, en ce qui touchait les nègres : recueillir ces révoltés eût amené une rupture immédiate avec la Hollande. C'est alors que, voulant faire sortir la colonie de l'état misérable où il la trouva, « Malouet se rendit à Surinam afin d'étudier le système d'agriculture auquel ses habitants devaient leur merveilleuse Il obtint du g o u v e r n e m e n t hollandais

prospérité.

l'autorisation

d'attacher au service de la France un ingénieur habile, capable de le seconder dans ses projets d'amélioration agricole ; ce fut Guisan, auquel il donna le titre d'ingénieur en chef pour la partie agraire. A p r è s

avoir

travaillé à l'assainissement de Cayenne qui était j u s que-là resté à l'état de marécage, et fait quelques explorations dans les terres n o y é e s , Guisan

s'occupa

de tracer un canal qui devait réunir le Mahuri à la rivière K a w , de

faire opérer

le desséchement

des

pinotières de l ' A p p r o u a g u e , d'établir des chemins et d'enseigner aux blancs l'art de tirer parti de

l'admi-

rable fertilité des Terres-Basses ( 1 ) . » Malouet séjour en

ne

put malheureusement

prolonger son

G u y a n e , le mauvais état de

sa santé le

força de rentrer en F r a n c e ; mais, en amenant san dans notre colonie, il avait rendu à signalé

Gui-

celle-ci un

service : « J'obtins la permission

d'amener

avec moi et d'attacher au service du roi un ingénieur habile qui était de plus excellent h o m m e , M .

Guisan.

C'est le service le plus important que j'aie rendu à la Guyane

» (2).

( 1 ) Nouvion, Extrait des auteurs qui ont écrit Guyane, p. 1 5 3 . (2) Malouet, Mémoires sur les Colonies, t. I , p. 6.

sur

er

5***

la


174

NOS GRANDES

COLONIES.

Bessner profita du départ de Malouet pour se faire nommer gouverneur ; il échoua complètement vis-àvis des I n d i e n s , et mourut de chagrin un an après son arrivée à Cayenne. Quelques années plus tard ( 1 7 8 5 ) , M. de Villeboi, alors g o u v e r n e u r , fonda

sur la rive droite de l ' A p -

prouague un vaste établissement n o m m é B o u r g - V i l leboi, qui ne donna jamais de grands résultats. La Révolution venait d'éclater en F r a n c e . Aussitôt que la nouvelle en fut connue à la Guyane, les esprits s'exaltèrent, un vent de révolte et

d'insubordination

souffla sur la colonie, et on dut s'attendre à de graves événements. M . de B o u r g o n , chargé en 1 7 9 1 de r e m placer M . de V i l l e b o i , trouva à son arrivée l'émeute dans Cayenne : les troupes se mutinaient, le canon retentissait dans la v i l l e ; les nègres de plusieurs habitations de l ' A p p r o u a g u e entraient en rébellion contre leurs maîtres, et de petits soulèvements partiels d o n naient la mesure de l'état des esprits. U n décret de l'Assemblée nationale avait ordonné la formation d'une Assemblée coloniale. C o m m e devait s'y attendre, ce nouveau pouvoir voulut échec à l'autorité du gouverneur

on

faire

; de graves dissen-

sions en résultèrent. Devant cette attitude du Conseil, M . de B o u r g o n quitta Cayenne, laissant le c o m m a n dement par intérim de la colonie au major Benoît. L e 26 septembre 1 7 9 2 , l'escadre française a m e nait

M.

F. G u y o t ,

l'Assemblée

commissaire

nationale,

civil, délégué par

M . d'Allais, n o m m é g o u v e r -

neur, et M . L e q u o de Montgirault, ordonnateur. Ces changements dans le haut personnel de l'administration, pas plus que l'adjonction d'un commissaire civil, ne modifièrent

l'attitude hostile de l'Assemblée colo-


LA

175

GUYANE.

niale ; la situation était aussi

tondue quand, le 11

avril 1793, Jeannet Oudin, neveu de Danton, vint remplacer Guyot.

L a colonie

traversait

une crise

monétaire ; la pénurie du numéraire était telle, que le nouveau commissaire dut créer

des bons de c a i s s e ,

à l'instar des assignats. Peu à peu, les esprits se calmèrent ; tout rentrait dans l'ordre, et la colonie reprenait son aspect a c c o u tumé, lorsque, le 27 prairial an II (14 juin 1794), le brick de guerre l'Oiseau apporta à Jeannet Oudin le texte de la loi décrétant l'affranchissement

des es-

claves. A u lieu d'user de ménagements pour annoncer aux noirs leur mise en liberté, de les préparer à recevoir cette nouvelle, le commissaire civil la fit immédiatement publier à son de t r o m p e . Pris d'une délire, les nègres quittent les ateliers,

sorte de

abandonnent

les habitations, les récoltes que l'on est à la veille de rentrer, et, se répandant parla ville, se livrent, à toutes les extravagances d'une j o i e

folle.

Cependant, les

colons se plaignent, ils demandent des ouvriers ; on prie les noirs offre

de reprendre leurs

travaux, on leur

un salaire ; ils refusent : ils craignent,

s'ils

retournent aux habitations, d'être réduits de nouveau en esclavage. E n présence

de cette situation, le gouverneur est

obligé de prendre des mesures coercitives. Il rend, le 20 messidor an I I (8 juillet 1794), une ordonnance mettant en réquisition pour la récolte tous les ouvriers cultivateurs,

déclarant

malintentionné,

et devant être

traité c o m m e tel, quiconque refusait de se soumettre à cette injonction. Cette décision produisit peu d'effet, et le 19 pluviôse an I I I (7 février 1795) l'Assemblée d u t ,


176

NOS GRANDES

COLONIES.

par un nouveau décret, déclarer que tout citoyen qui ne pourrait justifier ni d'un métier, ni d'une tion, serait considéré

1

c o m m e vagabond.

occupa-

Ce

n'eut pas plus de succès que le précédent.

décret Cointet,

alors commissaire, eut recours à la force pour c o n traindre les noirs au travail ; il y eut des révoltes, on les réprima

sévèrement, et tout rentra dans

l'ordre.

E n 1 7 9 7 , la G u y a n e vit débarquer sur ses rives les seize déportés du 18 fructidor. L'année suivante, plus de cinq cents nouveaux exilés y arrivèrent successivement ; la majeure partie de ces malheureux périrent de dénuement ou de maladie dans les déserts de

Sin-

namary, d ' A p p r o u a g u e et de Conamana. Nous reviendrons sur ces faits, dans le chapitre que

nous consa-

crons aux pénitenciers. A la fin de l'année 1 7 9 9 , les Anglais s'emparèrent de Surinam

et vinrent o c c u p e r les îles du

Salut.

Burnel, agent particulier du Directoire, craignant une attaque, proclama l'état de siège à Cayenne, prit des mesures pour la défense de la ville et forma une mi lice composée des gens de couleur. A

peine

armés,

ceux-ci s'insurgèrent ; ils demandaient la suppression de la réquisition forcée. L'attitude énergique de dix grenadiers et d'un officier suffit pour les faire rentrer dans le devoir. Pendant que ces événements se passaient à Cayenne, la France assistait au

18 B r u m a i r e .

Le g o u v e r n e -

ment consulaire se hâtait d ' e n v o y e r e n G u v a n e V i c t o r H u g u e s , avec le titre de commandant en chef. E n d é barquant, le nouveau gouverneur proclama la constitution de l'an I I I . La seule réputation attachée à son nom suffit à rétablir l'ordre : son règlement sur la r é quisitionet le confinement des travailleurs dans les habi-


177

LA GUYANE.

tations furent fidèlement respectés. Enfin, le 30 floréal an X (20 mai 1 8 0 2 ) , l'esclavage fut rétabli dans toutes les colonies rendues à la France par le traité d ' A m i e n s . A la Guyane, qui était toujours restée française, on crut devoir procéder par degrés ; un arrêté du 16 frimaire an X I ( 7 décembre 1 8 0 2 ) régla

officiellement

cette question. Les esclaves reprirent le j o u g sans r é clamations, les travaux ne furent et la colonie

plus abandonnés,

revint à sa vie habituelle jusqu'à son

occupation par les P o r t u g a i s . Pendant quelque temps la Guyane

profita des richesses enlevées aux A n g l a i s

par les corsaires armés à Cayenne ; cette prospérité fut de courte durée ; là c o m m e à la Martinique, elle nuisit plutôt à la fortune future de la colonie, éloignant

de n o m b r e u x habitants de la culture

en des

terres. Depuis quelques années déjà, les Portugais

se l i -

vraient à

de

fréquentes incursions sur notre

toire ; en

1 7 9 4 , une petite troupe, venue du Brésil,

plantait, sur la rive droite de l ' O y a p o c k ,

terri-

un poteau

aux armes du P o r t u g a l . L'année suivante, une e x p é dition débarquait dans la haie de l ' O y a p o c k

et

rava-

geait quelques habitations. E n 1 8 0 1 , deux goëlettes pillaient les établissements situés sur le même

fleuve

et sur l'Ouanasi. Enfin, en 1 8 0 2 , une flottille s'avançait sur le B o u r g - V i l l e b o i ; elle ne se retira velle de la paix

d'Amiens.

qu'à la n o u -

Ces attaques

n'étaient que le prélude de la c a m p a g n e que

partielles les A n -

glais, alliés aux P o r t u g a i s , allaient diriger contre notre colonie. E n 1 8 0 9 , la

flotte

portugaise, a c c o m p a g n é e de la

corvette anglaise la Confiance,

débarquait, la nuit, cinq

cents hommes à l'embouchure de la rivière Mahury.


178

NOS GRANDES

COLONIES.

Surpris par la soudaineté de l'attaque, V i c t o r H u g u e s ne put se défendre : il capitula, stipulant

toutefois

que la colonie serait livrée aux mains des Portugais, et non des A n g l a i s .

Cayenne

leur fut livrée le 12

janvier 1809. Sous l'administration

de Manuel

Marques

et de

Petro da Souza, gouverneurs pour le prince du Brésil, les colons furent bien traités, leurs propriétés respectées, et aucune modification ne fut apportée dans l'administration intérieure de la colonie. La Guyane fut rendue à la F r a n c e par le traité de 1814 ; le gouvernement attachait si peu d'importance à cette possession, que c'est le 8 novembre 1 8 1 7 seulement qu'on y envoya c o m m e gouverneur le général de Cara Saint-Cyr. Il résulte

des documents officiels fournis à cette

é p o q u e par l'administration de la colonie, que la p o pulation de la G u y a n e

ne dépassait pas seize

cinq cents habitants, ainsi

divisés : sept

huit cents affranchis et quinze

mille

cents blancs,

mille esclaves travaillant

ou marrons. C'est également sous le gouvernement de M . de Cara Saint-Cyr qu'eut lieu pour la première fois l'introduction dans la colonie de l'élément Vingt-sept Chinois furent amenés de Manille,

chinois. à titre

d'essai, pour la culture du thé ; presque tous périrent peu de temps après leur arrivée. E n 1 8 1 9 , M . Portai, ministre de la marine et des c o lonies, conçut le projet de donnera la culture des p r o duits dits denrées coloniales

un développement c o n s i -

dérable. L'abolition de la traite des noirs interdisant l'introduction à la G u y a n e de la population esclave nécessaire à cette culture, le ministre tenta de reprendre sur de nouvelles bases

l'essai

de création d'un


179

LA GUYANE.

centre (le population blanche. Telle est l'origine de la colonisation de la Mana. Voulant s'entourer de toutes les garanties, M . P o r tai chargea M . C a t i n e a u - L a r o c h e , ancien g o u v e r n e u r de la colonie,

de préparer un

p r o j e t , pendant

que

M . Laussat, g o u v e r n e u r en fonction, ferait étudier une région propre à l'établissement d'une grande exploitation.

L'endroit

choisi fut

celui

situé au nord du

Sinnamary, et arrosé par la M a n a , le Maroni,

l'Ira-

coubo et la Courienne, entre les hauteurs et le littoral. Après bien des tergiversations

sur le n o m b r e et le

choix des c o l o n s , on se décida à e n v o y e r dans les deux postes de

la N o u v e l l e - A n g o u l ê m e

et de P o r t de la

N o u v e l l e - A n g o u l ê m e , une c o m p a g n i e d'ouvriers militaires, des sapeurs

et des orphelins des deux sexes.

Peu de temps après, il fallut rapatrier les

ouvriers

militaires ; mais tout était prêt pour recevoir les n o u veaux c o l o n s , qui arrivèrent à P o r t de la

Nouvelle-

A n g o u l ê m e le 5 décembre 1824. c'était trois familles du Jura, se composant en tout de

27 personnes ; le

gouvernement les avait entièrement défrayés

depuis

leur village jusqu'aux bords de la Mana, et leur f o u r nissait le logement, les outils, le bétail, les graines, etc. Tout marcha à souhait pendant les deux premières années ; m a i s , dans le cours de la troisième, ils abandonnèrent le travail auquel ils s'étaient livrés avec trop d'ardeur, et finirent par demander leur rapatriement. Sur ces entrefaites, M

m e

J a v o u h e y , supérieure des

Sœurs de Saint-Joseph de C l u n y , proposa à M . de Chabrol de continuer l'œuvre c o m m e n c é e , avec des orphelins et des orphelines. L e g o u v e r n e m e n t prenait à sa charge le transport

des

émigrants, fournissait


180

NOS GRANDES

COLONIES.

diverses allocations et prestations en nature ou en arg e n t , abandonnait à la communauté 15 hectares de t e r rains défrichés et les constructions en bois existant à Portde la N o u v e l l e - A n g o u l ê m e . L'administration s'engageait en outre à ne pas s'immiscer dans la gestion de l'exploitation, qui restait tout entière à la charge de Javouhev. Pendant les deux premières années,

M

me

l'établissement suivit une marche ascendante ; on d e manda même un nouvel envoi d'orphelins. En 1 8 3 2 , le terme stipulé pour tions

er

la fin des

des subsides étant arrivé, M

m e

subvenJavouhev

acheta 32 nègres, et la prospérité de l'établissement alla

sans cesse

l'exploitation

grandissant ;

aujourd'hui

est des plus prospères.

Aux

encore, environs

s'élève le b o u r g de la Mana. La cessation complète de la traite, l'imminence de l'émancipation des esclaves, et l'avilissement du prix des denrées de culture, amenèrent successivement un grand état de gène dans la colonie. La révolution de 1 8 4 8 , en décrétant l'abolition de l'esclavage et l'expropriation forcée, vint encore a g g r a v e r

la

situation:

aussi, depuis lors, vit-on l'activité et la vie s'éteindre de j o u r en j o u r à la G u y a n e . Pour essayer d'arrêter ce mouvement de recul, le gouvernement établit à Cavenue, en 1 8 5 2 , le centre de la transportation. C'est de cette époque, sur laquelle nous reviendrons avec plus de détails au chapitre X I I , que date également l'immigration

en

Guyane

des

coolies hindous. En

1855,

la découverte

de

gisements

aurifères

appela de nouveau l'attention sur notre c o l o n i e . Si cette découverte fut pour quelques-uns une source de richesses, elle eut pour résultat immédiat

d'arrêter


LA

GUYANE.

l'extension de l'agriculture, du

c o m m e r c e et de

181 l'in-

dustrie, en leur enlevant les travailleurs que l'on ne se procurait que très difficilement. Ainsi que nos lecteurs ont pu s'en convaincre par les pages qui p r é c è dent, le manque de bras a toujours été le principal obstacle à la prospérité de la G u y a n e française.

NOS G R A N D E S

COLONIES

6


182

CHAPITRE

IV.

Situation. — Limites anciennes. — Limites actuelles. — Aspect général.— Territoire contesté. — Fleuves. — Montagnes.— Les grands bois. — Le littoral. — Les îles. — Division administrative.— Cayenne. — La Mana. — Approuague.— Population. — Climat. — Moyenne de la mortalité.

La Guyane française est une portion

de la région

qui s'étend, dans l'Amérique méridionale, entre l'océan Atlantique, l'Orénoque et le fleuve des

Amazones.

Quatre nations se partagent aujourd'hui ce vaste territoire :1e Brésil revendique le pays situé entre l ' A m a zone et l'Oyapock ; la France possède l'espace pris entre ce dernier fleuve et le Maroni ; les

com-

posses-

sions de la Hollande sont limitées par le Maroni et le Corintyn ; et la contrée

qui va de ce fleuve à l ' O r é -

noque appartient à l'Angleterre. Notre colonie est l'océan

donc

bornée au

Atlantique ; à l'ouest

nord-est

par

par le Maroni ;

au

sud par les monts T u m u c - H u m a c : à l'est, la limite n'est pas exactement déterminée. Dans l'origine, la G u y a n e française

s'étendait au

midi jusqu'à l ' A m a z o n e . L e traité d'Utrecht ( 11 avril 1713)

réservait

exclusivement au Brésil le droit de

navigation sur ce fleuve, et lui donnait

la

propriété

des terres situées entre l ' A m a z o n e et le Japock ou Vincent Pinçon ; cette dernière

rivière devenait d o n c la

ligne d e division des possessions

françaises

et portu-

gaises. Depuis lors, cette délimitation a été un

sujet

de contestations continuelles. A Lisbonne, on feignait


LA GUY AXE.

188

Je confondre le J a p o c k et l ' O y a p o c k , quoique celui-ci soit situe à 3° plus au nord que le V i n c e n t P i n ç o n . L e traite conclu à Madrid le 29 septembre 1 8 0 1 fixa la frontière des deux colonies limitrophes à la rivière Parapanatuba, par 0° 1 0 ' de latitude nord ; le traité d ' A m i e n s , tout en reportant cette limite plus au nord, lui fit suivre le cours de l'Araguari, dont l ' e m bouchure est au sud du cap Nord, par 1° 1 5 ' de latitude septentrionale. Quoi qu'il en soit, aux termes de l'article 107 du traite de Vienne ( 9 juin 1 8 1 5 ) et par suite de la convention passée à Paris le 28 août 1817 pour l'exécution provisoire des stipulations de cet a r ticle, la G u y a n e française nous fut remise jusqu'à l'Oyapock seulement, sauf décision ultérieure relativement au territoire contesté. Malgré les n o m breuses notes échangées depuis lors entre les d i p l o mates des deux puissances, la question n'est pas e n core tranchée : adhuc subjudice lis est. « V u e à vol d'oiseau, la G u y a n e apparaît c o m m e une mer de feuillage. C'est l'expression la plus c o m plète de la puissance de la sève tropicale. A part q u e l ques contreforts éloignés de la grande chaîne des Andes, qui coupent à angle droit les rivières et en interrompent le cours à une vingtaine de lieues de leur embouchure, la G u y a n e est un pays de plaines d'où s'élèvent quelques sommets isolés, semblables à des îles sortant de la m e r ( 1 ) . » Malouet compare les basses terres du littoral, c o u pées par une foule de petits bassins, formant entre e u x de séminences peu élevées, à un plat d'oeufs au miroir. L'ingénieur Guisan disait qu'en coupant par le milieu (1) Bouyer, — Voyage en Guyane (Tour du monde.l866 .


184

NOS GRANDES

COLONIES.

des poires de toutes grandeurs

et

figures,

dans leur largeur, les autres en travers, et

les unes qu'en

les

posant sur leur coupe en les disposant sur un plan i n cline vers la mer, on se formerait en petit une idée de la plupart des cantons de la G u y a n e française, toute la partie qui borde la

mer, jusqu'à

dans

douze

ou

quinze lieues dans les terres ( 1 ) . On divise le

territoire

de

la

G u y a n e en

terres

hautes et enterres basses. Les terres hautes c o m m e n cent aux premières cataractes des

rivières, et

vont

s'élevant graduellement dans l'intérieur jusqu'à chaîne de montagnes (les monts

une

T u m u c - H u m a c ) , qui

occupe toute la partie méridionale des G u y a n e s . Cette chaîne se d é v e l o p p e entre les bassins du M a r o n i et du Yary, qu'elle sépare; sa profondeur est de dix à douze mille mètres. « Elle est moins i m p o r t a n t e

qu'on

ne

l'avait cru généralement, écrit le docteur J . Crevaux . L e baromètre ne nous a pas i n d i q u é de hauteur

dé-

passant quatre cents mètres au-dessu s du niveau de la mer. L'altitude de ces montagnes est si faible que température que nous y avons observée n'est

la

que de

2° ou 3° au-dessus de celle de la pla ine. La végétation des points les plus élevés est celle de la zone torride. L'ananas,

que

les

Roucouyennes

appellent

croît spontanément au sommet de ces montagnes Les terres basses occupent le littoral et

nana, (2).»

s'étendent

jusqu'aux premiers sauts des rivières ; elles sont c o m posées de terres d'alluvion, dont une vée, tandis que l'autre constitue

partie est c u l t i -

des plaines

tantôt

sèches, tantôt noyées, connues sous le nom de savanes.

(1) Cité par Gaffarel, Colonies françaises. (2) J . Crevaux, Voyages dans l' Amérique du Sud. p. 90 et 91.


LA

185

GUYANE.

Elles sont, sur b e a u c o u p de points, couvertes de marais où croissent de véritables forets de palétuviers rouges Rizophora

mangiez).

Cet

arbre, d'une

vigueur

croyable, pousse sans cesse des racines

in-

qui étendent

indéfiniment leurs a r c e a u x , sortent du t r o n c , descendent des b r a n d i e s , et, prenant racine à leur t o u r , d e viennent arbres elles-mêmes, atteignant souvent une hauteur de trente pieds. B e a u c o u p de ces marais sont toujours inondés, on les n o m m e

; ceux

pripris

sont desséchés forment d'immenses prairies où

qui pous-

sent en abondance les palmiers pinots, d'où leur de pinotières.

nom

On trouve e n c o r e , entre les rivières de

K a w et de M a h u r y , ainsi

que

Sinnamary,

formées

des plaines

dans la c o m m u n e de par

l'assemblage

d'herbes aquatiques reposant sur un fond de m o l l e : ce sont de véritables

tourbières

formation ; on les appelle savanes

vase

en voie de

tremblantes.

A soixante ou quatre-vingts kilomètres, c o m m e n cent les grands bois qui recouvrent la G u y a n e

et se

prolongent dans l'intérieur du continent jusqu'à distances inconnues, interrompus

des

seulement par

de

nombreux cours d'eau ou de rares éclaircies. C'est la forêt vierge dans toute sa puissance,

mais une

forêt

qui ne ressemble en rien au fouillis de verdure, à l'entassement d'arbrisseaux, à l'enchevêtrement de lianes et de plantes g r i m p a n t e s , telle qu'elle existe au Brésil, par exemple. « La foret v i e r g e , le grand on l'appelle en G u y a n e , se

présente

bois, c o m m e

sous un aspect

froid et sévère. Mille colonnades ayant trente-cinq quarante mètres do haut

s'élèvent

au-dessus de

têtes pour supporter un massif de verdure cepte presque complètement les rayons

qui

à vos

inter-

du soleil.

A

vos pieds, vous ne voyez pas un brin d ' h e r b e , à peine


186

NOS

GRANDES

COLONIES.

quelques arbres grêles et élancés, pressés

d'atteindre

la hauteur de leurs voisins pour partager l'air et la lumière qui leur manquent.... S u r le sol, à part q u e l ques fougères et d'autres plantes sans des feuilles et des branches

mortes

fleurs, gisent recouvertes de

moisissures. « L'air y manque.

« On y sent la fièvre » , me d i -

sait un de mes c o m p a g n o n s . L a vie paraît avoir quitté la terre pour se transporter dans les hauteurs, sur le massif de verdure qui forme le d ô m e de cette immense cathédrale... A niveau des cours d'eau, la végétation perd sa sévérité pour g a g n e r en élégance et en pittoresque- Les herbes, les arbrisseaux, prenant tout leur développement, sont couverts de fleurs et de fruits aux couleurs éclatantes. L e hideux c h a m p i g n o n , l'obscure fougère font place à des plantes

a u x feuilles

riches

en couleurs, aux fleurs élégantes. La lumière, également partagée, engendre l' harmonie, non seulement dans le règne végétal, mais encore dans le règne

animal.

Là-bas. c'est la bête fauve et le hideux crapaud ; ici, ce sont les animaux

de toutes

espèces qui viennent

partager tous ensemble les bienfaits de la nature ( 1 ) . » L e système fluvial de la G u y a n e est remarquable par l'abondance de ses eaux et la direction uniforme qu'elle- suivent. U n grand nombre de fleuves p a r c o u rent la contrée, se dirigeant perpendiculairement à la mer ;ils sont reliés entre eux par une infinité de petites rivières appelées sont : le Maroni, Cayenne,

le

criques.

Les

principaux

la M a n a , l e Sinnaniary,

Mahury,

l'Approuague,

l'

le

Ouanary

et

l'Oyapock, sur la limite du territoire contesté. ( 1 ) J. Crevaux. déjà cité, p. 20.

fleuves

le Kourou,


187

LA GUYANE.

L e Maronisépare la G u y a n e

française et

daise ; c'est le fleuve le plus important de

hollan-

la c o l o n i e ,

tant par sa largeur que par l'abondance de ses eaux ; il est comparable au Rhin. Il n'a pas moins de douze à quinze cents mètres de large jusqu'à une

distance

de v i n g t lieues de son embouchure, et quatre à cinq cents mètres à quatre-vingt-dixlieues dans l'intérieur. Sa longueur n'est pas en proportion avec le ses eaux : il n'a g u è r e , en comptant les

débit de

détours, que

six cent quatre-vingts kilomètres depuis son e m b o u chure jusqu'à sa source aux

monts

Tumuc-Humac,

d'où il sort sous le n o m d'Itany, pour prendre ensuite celui d'Aoua et devenir enfin le Maroni. Sa

direction

est nord quart nord-ouest. A droite et à gauche il r e çoit de n o m b r e u x affluents, dont quelques-uns ne sont que des criques ou ruisseaux. L a hauteur d u fleuve au-dessus du

niveau

de la

mer est de cent dix mètres environ ; son cours est e n travé par plusieurs îles et par un

grand n o m b r e

sauts ou rapides qui font de son lit un l o n g plutôt Guyane

qu'un

plan incliné. Tous les fleuves de

ne sont navigables, pour

de

escalier la

les bateaux à va-

peur, que jusqu'à douze ou quinze lieues de leur e m b o u chure ; plus haut, des blocs durs, souvent granitiques, opposent dans le lit même

mille obstacles à l ' é c o u l e -

ment des eaux ; des rochers disposés dans le sens courant rétrécissent la rivière et forcent

sa masse

du à

couler d'autant plus vite que l'espace est plus resserré ; c'est ce qui constitue un

rapide ; dans ce rapide, des

roches transversales forment un

barrage

lequel l'eau se précipite pour retomber

par-dessus

en cascades :

c'est ce qu'on appelle un saut. « Les sauts, dit M . V i d a l , établissent une série de


188

NOS GRANDES COLONIES.

bassins dont ils constituent eux-mêmes les digues de retenue. L e courant, d'une rapidité vertigineuse dans les sauts, est faible et quelquefois presque nul entre deux de ces obstacles. C'est grâce à ce régime tout à fait spécial aux rivières de la G u y a n e que le Maroni peut retenir ses eaux, malgré la pente sensible et disproportionnelle qu'offre le profil de son lit ( 1 ) . » V e r s son embouchure, le Maroni reçoit plusieurs petites criques, qui ne sont, à proprement parler, que des bras du fleuve, formant des îles de palétuviers noyées à la haute mer ; ce n'est guère qu'à une v i n g taine de milles que le sol se raffermit et permet la culture sans nécessiter un travail de drainage et de desséchement. E n venant du large, la montagne Gros-Bois et la Pointe française servent à reconnaître l'entrée du fleuve. Outre ces deux points très remarquables sur la c ô t e , on a placé deux phares, celui de Galibi sur la rive hollandaise, et celui des Hattes sur le territoire français. D e u x grosses bouées, mouillées entre deux bancs très dangereux, indiquent le chenal. En remontant le cours du fleuve, on rencontre d'abord le village des Hattes, puis le Pénitencier de Saint-Laurent. V i e n e n t ensuite l'ancien Pénitencier de Saint-Louis et le chantier forestier de Sparvine, autrefois exploité pour le compte du gouvernement par les transportés, et maintenant concédé à une société privée. E n t r e Saint-Laurent et la crique Sparvine se trouve l'île Portai, ou de B a r , admirablement cultivée : on y

(1) Vidal, V o y a g e d'exploration dans

maritime et coloniale,

1862).

le Haut M a r o n i

Renie


6*

EntrĂŠe d'une crique.



LA

191

GUYANE.

voit des plantations de café, des prairies artificielles pour

de canne à sucre, et

l'élève du bétail. Cette

exploitation est l'œuvre de trois Français, trois frères qui sont

fixés

là depuis vingt

ans. Notons

encore

l'habitation Lalanne, également à Sparvine, et l'habitation Tollinche, située un peu plus haut. A u t o u r de la demeure de M . Tollinche s'élèvent quelques misérables carbets servant d'asile à des Galibis qui vivent du c o m m e r c e

des boites de fer-blanc

serves) qu'ils vendent

(boîtes de c o n -

a u x ouvriers

remontant

les

criques pour g a g n e r les placers. Quelques milles après Sparvine, on rencontre le premier saut du Maroni, le saut Hermina. La Mana prend sa source dans le pays des E n i é r i l lons ; elle

est navigable pour les grands

bâtiments

jusqu'à 16 kilomètres de son embouchure ; les petites goölettes peuvent

remonter son cours pendant u n e

Quinzaine de lieues. C'est sur ses rives que se trouve l'exploitation fondée par M

me

Jahouvey.

L e Sinnamary et le K o u r o u , dont les rives virent périr tant de malheureux

en 1765 et 1 7 9 8 , sont de

moindre importance. Le Cayenne, grossi du Tonnegrande, du Tour de l'île et du

Montsinery,

de la rivière

f o r m e la rade

Cayenne, et baigne la ville construite

de

à son e m b o u -

chure. L'Approuague

o c c u p e la troisième place dans les

cours d'eau de la G u y a n e ; il prend

sa source dans

les régions du centre, et descend de cascade en cascade jusqu'au saut Maparou, o ù il devient navigable. Des îles nombreuses divisent son cours en plusieurs bras. Ses rives et celles de ses affluents

sont riches en

placers. Les bords du Courouaï, une des rivières les


192

NOS

GRANDES COLONIES.

plus riches en o r , possèdent aussi un sol privilégié ; on y voit de belles cultures et plusieurs sucreries. L'Oyapock

sépare la G u y a n e française du

terri-

toire contesté. C'est, après le Maroni, le fleuve le plus important de la colonie. C o m m e le Maroni, l ' O y a p o c k

est formé

par une

infinité de criques qui descendent des monts T u m u c H u m a c et se réunissent à quelques lieues de leurs s o u r c e s . Son cours est de quatre cent

quatre-vingt-cinq

kilomètres en comptant les détours. Malgré son peu de l o n g u e u r , considérable

l ' O y a p o c k a un débit d'eau bien plus que le R h ô n e

ou

la Loire ; le D J .

Crevaux attribue ce phénomène

à l'abondance des

r

pluies et à l'imperméabilité du sol argileux qui constitue ses berges et son lit. Le fleuve débouche dans une vaste baie, large de 15 milles environ, dont les extrémités sont formées par le cap

dernière canon

d'Orange

et la montagne

d'Argent.

Cette

doit son nom à la grande quantité de bois

dont elle est couverte : le feuillage blanc de

cet arbre, agité par la brise, ressemble, surtout aux premières heures du j o u r , à d e s lames d'argent. D'après une autre version, « la montagne d ' A r g e n t son n o m d'une

tirerait

mine que l'on prétend y être, et que

les Hollandais, du temps qu'ils s'étaient emparés de la colonie, avaient fait fouiller » . Dans

la baie de l ' O y a p o c k

s'élèvent

trois

îles :

l'îlot P e r r o q u e t , l'îlot Biche et l'îlot Humilia. E n remontant le cours de l ' O y a p o c k , on rencontre le petit village de Malouet, puis la rivière Gabaret,

sur le territoire contesté,

sur la rive g a u c h e . On passe

ensuite devant le Pénitencier de S a i n t - G e o r g e s , abandonné depuis 1 8 6 9 ; un peu plus haut, à un coude de


LA

193

GUYANE.

la rivière, sur des roches cachées sous les eaux, a s o m bré, il y a vingt ans, le vapeur de guerre l'Eridan. Sa coque en tôle d'acier

a fourni des dards

de flèches,

des fers de lances et des harpons à tous les Indiens de la contrée. Quelques centaines de mètres plus l o i n , s'élève l'île de Casfesoca,

qui fut le théâtre d'un sombre

drame où nous n'eûmes pas le beau rôle, mais

que

nous croyons cependant devoir raconter. Les B o n i s , nègres évadés des possessions daises, s'étaient tinrent contre

hollan-

fait, pendant la guerre qu'ils leurs anciens

maîtres,

une

sou-

terrible

réputation de barbarie et de cruauté. Ils cherchaient à entrer en relations avec nous pour se procurer des produits européens ; quelques-uns même s'étaient établis non loin de l'île. Les colons, effrayés de ce voisinage, demandèrent au g o u v e r n e u r la création d'un poste sur l'îlot, pour les protéger contre les incursions probables des noirs. L e poste fut accordé. A quelque temps de là, des Bonis vinrent avec leurs femmes proposer des échanges ; ils parlementèrent avec l'officier commandant la petite garnison, et, sur l'assurance formelle qu'ils ne couraient aucun risque, s'avancèrent en toute sécurité. Arrivés à quelques pas du fortin, ils furent accueillis par une grêle de balles. Ceux qui ne tombèrent pas à la première décharge tentèrent de gagner la rive du fleuve à la nage, mais ils furent

tués avant d'avoir abordé.

Pleins de c o n -

fiance dans la parole d'un chef blanc, ces malheureux s'étaient

laissés é g o r g e r sans tirer une flèche, sans

donner un coup de sabre. N o n loin de là, se trouve des Grandes-Roches.

le premier saut, le saut

A u milieu de cette cataracte en

miniature s'élève un îlot, habité longtemps

par

un


194

NOS GRANDES COLONIES.

ancien soldat de Villars, blessé à Malplaquet. Il était plus que centenaire quand Malouet vint le visiter. V o i c i comment Malouet raconte son entrevue avec Jacques : « A six lieues du poste d ' O y a p o c k , j e trouvai sur un îlot placé au milieu du

fleuve,

qui

forme

en cette partie une magnifique cascade, un soldat de Louis X I V , qui avait été blessé à la bataille de Malplaquet, et obtenu alors ses invalides. Il avait 110 ans en 1777, et vivait depuis

4 0 ans dans ce désert. Il

était aveugle et nu, assez droit, très ridé. La décrépitude était sur sa figure, mais point dans ses m o u v e ments. Sa marche, le son de sa v o i x homme robuste. U n e longue

étaient

d'un

barbe le couvrait j u s -

qu'à la ceinture. D e u x vieilles négresses composaient sa société et le nourrissaient du produit de leur pêche et d'un petit jardin qu'elles travaillaient sur les bords du fleuve. C'est tout

ce qui lui restait d'une planta-

tion assez considérable et de plusieurs esclaves qui l'avaient

successivement abandonné.

Les

gens

qui

m'accompagnaient l'avaient prévenu de ma visite, ce qui le rendit heureux, car il m'était facile de pourvoir à ce que le bon vieillard

ne manquât

de rien, et il

y avait vingt-cinq ans qu'il n'avait mangé de pain ni bu de vin. Il

éprouva une sensation délicieuse du

bon repas que j e lui fis faire. Il me parla de la perruque noire de Louis X I V , qu'il appelait un beau et grand prince ; de l'air martial du maréchal de Villars; de la contenance modeste du maréchal de Catinat ; de la bonté de Fénelon, à la porte duquel il avait été en sentinelle à Cambrai. Il était venu à Cayenne en 1 7 3 0 . Il

avait été é c o n o m e chez les Jésuites, qui

étaient alors les seuls propriétaires opulents, et il était lui-même un homme aisé lorsqu'il s'établit à Oyapock.


LA

195

GUYANE.

J e passai deux heures dans sa cabane, étonné, attendri du spectacle de cette ruine vivante

Lorsque

je fus pour le quitter, son visage vénérable se couvrit de larmes.

11 me saisit par mon habit, et, prenant

ce ton do dignité qui va si bien à la vieillesse, il me dit : « Attendez

» , puis il

se mit à g e n o u x ,

pria

Dieu, et, m'imposant ses mains sur ma tête, me donna sa bénédiction ( 1 ) . » L ' î l o t habité

jadis par Jacques

Blaisonneau

est

connu des Indiens sous le n o m d'île d ' A c a j o u . A partir des Grandes-Boches,

les rives vont

s'éle-

vant sensiblement, j u s q u ' à une hauteur de cent c i n quante à deux cents mètres. Toujours en

remontant,

on atteint l'ancienne mission Saint-Paul, abandonnée au siècle dernier. Nulle trace de culture n'a subsisté ; la forêt a repris possession des terrains que les d é f r i chements lui avaient enlevés ; une

croix vermoulue

reste seule pour indiquer le passage de la civilisation. Quelques lieues plus haut, le Camopi débouche

dans

l ' O y a p o c k ; c'est vers cet endroit que l'on supposait, d'après K e y m i s , qu'habitait l ' E l d o r a d o . D e ce point, l ' O y a p o c k va se rétrécissant, j u s q u ' à ce qu'il s e divise en un grand n o m b r e de ruisseaux,

ainsi que nous

l'avons indiqué. A p r è s la saison des pluies, le volume des rivières augmente notablement ; des criques, desséchées pendant la belle saison, se gonflent et deviennent de petits torrents ; mais il y a loin de là à la description que nous

fait M a l t e - B r u n des inondations en Guyane :

« Grossies rivières

par des

débordent

(1) Malouet, déjà cité.

pluies

continuelles, toutes les

toutes les forêts, avec

leurs


NOS GRANDES COLONIES.

196

immenses troncs, leurs labyrinthes d'arbustes,

leurs

guirlandes de lianes, flottent dans l'eau. L e s quadrupèdes sont obligés de se réfugier sur le haut des arbres

les poissons abandonnent

ordinaire, et mangent

leur

nourriture

les baies des fruits

arbustes parmi lesquels ils nagent (1). »

et des

L'éminent

géographe donne la même description des inondations annuelles du P é r o u . D u cap d'Orange à l'embouchure

d u Maroni, le

littoral se développe bas et uniforme sur une étendue de 3 2 0 kilomètres environ. Il est formé de terres d'alluvion couvertes de n o m b r e u x palétuviers que la mer baigne à marée haute, et coupé de distance en distance par les fleuves, dont les bouches forment de petites baies et des caps sans importance ; les principaux, après le cap d ' O r a n g e , s o n t : la pointe Béhague, à l'embouchure de l ' A p p r o u a g u e , la pointe Macouria en face de C a y e n n e , sur la rivière de ce n o m , et la pointe Française, à l'entrée du Maroni. Quoique parfaitement unies, les côtes ne sont pas d'un abord facile. « La mer épaisse, opaque,

y est

d'une couleur jaune, qui vers la côte anglaise prend des tons de sépia ; ce ne sont plus les eaux bleues et l i m pides de l'Océan

D e s bancs s'étendent fort loin au

large, et souvent on ne voit que très imparfaitement la terre, alors que le peu de profondeur de l'eau d é fend de s'en approcher davantage

11 s'est produit

depuis plusieurs années un curieux phénomène. A u t r e fois, si grand que fût le vent, il soulevait à peine ses eaux b o u e u s e s ; aujourd'hui, les dépôts des vases se sont solidifiés en plusieurs endroits, et ont formé des 1) Malte-Brun, Géographie universelle,

t. V I , pages 243-244.


LA

197

GUYANE.

bancs de vase dure qui gênent le m o u v e m e n t de la mer. «. Sur cette arène inégale et accidentée,

les

cou-

rants qui charrient le limon bourbeux des rivières luttent avec les lame.- de l'Atlantique, et de cette rencontre résultent des ressacs tumultueux

qui se tra-

duisent en raz de marée et en barres partielles. Les petits navires s'y trouvent parfois c o m p r o m i s ( 1 ) . » E n avant, et à peu de distance du rivage, s'élèvent un certain nombre d'ilots : le Grand nétable. Rémire, l' Enfant

les îles

Perdu,

et le Petit

Con-

les îles du Salut

et

Vertes.

L e Grand

Connétable

se dresse en face de la rivière

A p p r o u a g u e ; c'est une roche nue et escarpée,

haute

cent mètres. A son sommet, on a tout

d'environ

récemment installé un mât de signaux

et une m a i -

sonnette pour le gardien, seul habitant du rocher solitaire. Les îles

Rémire

sont au nombre

de quatre : le

Père, la Mère et les deux Frères ou les deux

Mamelles.

L'îlot le Père est le poste des pilotes qui entrent les navires à Cayenne. Sur l'îlot la Mère on a établi l'infirmerie des transportés. L'Enfant P e r d u , rocher isolé à huit kilomètres de Cayenne,

sert

de repère pour l'entrée du port ; on y

a construit en 1864 un phare à feu fixe avec charpente de fer. Les îles du Salut, appelées autrefois îles du Diable, furent débaptisées par M . de Chanvalon quand il dut y débarquer les colons qu'on

l

e r

lui envoyait de France

(1) Bouger, Voyage dans la Guyane française (Tour du monde. semestre 1866).


198

NOS

GRANDES

COLONIES.

à destination de K o u r o u . Elles comprennent trois îles : l'île du Diable,

l'île Royale,

et l'île Saint-Joseph.

Sur

l'île R o y a l e , la plus importante est le pénitencier c e n tral où sont internés, à leur arrivée, les condamnés à la transportation. Nous y reviendrons au chapitre que nous consacrons au pénitencier. A u point de vue

administratif,

la G u y a n e

divisée, depuis le 15 octobre 1 8 7 7 , en dix

est

communes

désignées, à l'exception de celle de C a y e n n e , sous le nom do communes

rurales.

Ce sont :

V i l l e de Cayenne, avec une superficie de Oyapock

234 hectares —

103,950

Kaw-Approuague

320,900

Bonra

90,400

Ile de C a y e n n e , Tour de l'Isle

60,300

TonnegrandeMontsinéry

63,470

Makouria

42,310

Kourou

80,000

SinnamaryIracoubo Mana

90,675

et dépen-

dances

387,100 1,299,339

A l'extrémité o c c i d e n t a l e d e l'île, formée

par les

r i v i è r e s C a y e n n e , d u T o u r d e l ' I s l e et M a h u r i , s ' é l è v e la c a p i t a l e d e la G u y a n e .

La

ville

est

dominée

par

u n m o n t i c u l e , le M o n t - C é p é r o u , b e r c e a u d e la c o l o n i e ,


LA

199

GUYANE.

fortifié, on s'en souvient, par son premier g o u v e r n e u r . M. de B r é t i g n y . D u côté o p p o s é , s'étendent le

port

et la rade, sorte de bras de mer formé par un coude du Cayenne à son e m b o u c h u r e ; les navires de

cinq

cents tonneaux ayant un tirant d'eau de 4

peu-

25

m

vent y e n t r e r sans danger. U n e jetée, récemment c o n s truite, s'avance dans l'intérieur de la rade et r e n d débarquement

facile

s'ouvre la rue du aboutir à la place gouverneur

et

à toute

marée.

Sur

le

le quai

P o r t qui traverse la v i l l e et vient d ' A r m e s , où

plusieurs

s'élèvent

établissements

l'hôtel

du

publics; à

droite s'étend le canal Laussat. Vue de la rade, la ville offre un c o u p d'oeil des plus pittoresques; des bouquets de palmiers et de c o c o tiers s'élèvent au-dessus

des toits

des m a i s o n s ;

les

palétuviers qui s'étendent sur la plage, et les hauteurs verdoyantes qui bornent l'horizon, lui font un e n c a d r e ment des plus riants. Lorsqu'on pénètre dans la plus grande

encore: comme

sons n'ont qu'un é t a g e ,

ville, l'impression est aux Antilles, les

et sont absolument

mai-

dépour-

vues de vitres ; les appartements, au lieu d'être p r o tégés contre le soleil et la pluie par de simples j a l o u sies, sont ornés de larges galeries extérieures fermées par des nattes vertes o ù l'air circule librement. C'est plus confortable qu'à la Martinique. Les rues, au moins les principales, sont larges, bien pavées et éclairées la nuit ; elles se coupent à angles droits et forment à leur j o n c t i o n

des

petites places

bordées de maisons. U n e eau c l a i r e et limpide, a m e née

des cratères

éteints de Rémire, coule dans les

ruisseaux et alimente abondamment

chaque habita-

tion. Toutes ces rues ont conservé leurs

anciennes


200

NOS GRANDES

COLONIES.

dénominations : ce sont d'abord les rues R o y a l e , de B e r r y , d ' A r t o i s , de P r o v e n c e ,

d'Angoulême,

puis

vient la rue Voltaire ; les autres portent les noms de gouverneurs ou d'ordonnateurs qui ont services

signalés

à

rendu

des

la c o l o n i e : Malouet, Mentelle,

Maillard, le Boulevard Jubelin ; puis deux noms

qui

évoquent un passé douloureux, la rue de Choiseul et la rue Praslin. Quant au nettoyage de la voie publique, ce sont les Urubus, sortes de vautours noirs, qui en sont chargés. C o m m e les zopilotes de M e x i c o , ces oiseaux immondes l'ont disparaître les ordures qui encombrent les rues; ajoutons, cependant, que depuis quelque n'ont

pas

passent

seuls cette

le

matin

et

temps ils

attribution ; des tombereaux enlèvent les i m m o n d i c e s , au

moins dans les principales rues. Grâce

aux services

qu'ils rendent, l'existence de ces oiseaux est protégée par l'autorité. Ils sont l'objet d'un respect tout particulier de la part des nègres ; c e u x - c i , n'ayant jamais vu le nid ou les œufs d'un u r u b u , affirment q u e , semblables au phœnix qui renaît de ses cendres, ces oiseaux naissent des cadavres de leurs congénères. L'endroit les plus curieux de Cayenne est assurément la place de 1 Esplanade ou

place des Palmistes,

immense quinconce planté de quatre cent hauts palmiers qui dressent j u s q u ' à trente rante mètres leurs troncs droits et

cinquante ou qua-

dénudés, pour se

terminer, à une hauteur presque uniforme, par une couronne de longues feuilles dentelées. A u centre de la savane s'élève la fontaine Merlet. Sur le côté nord de cette magnifique promenade on voit l'hôpital civil et militaire,

vaste,

bien aéré,

avec une

chapelle

fort élégante ; du côté opposé à la m e r , les Frères; le


LA

201

GUYAXE.

couvent des Sœurs de S a i n t - J o s e p h ;

la

demeure du

commandant militaire, et le palais de justice, qui p o s sède une bibliothèque

assez, importante. Sur la face

opposée, s'ouvre la place d ' A r m e s , où se trouvent le palais du gouverneur et une fort belle fontaine tant cette inscription : « A u c o n t r e - a m i r a l travel » . D e chaque côté sont

de

porMon-

le logement du p r é s i -

dent de la C o u r et la gendarmerie.

Citons encore la

Mairie, dont la grande salle est ornée des bustes

de

Guisan et de Mentelle. Dans ces rues larges, bordées de maisons à un étage, ombragées par les arbres des tropiques : palmiers, b a naniers, citronniers, e t c . . circule la population la plus variée que l'on puisse rêver : soldats coiffés du casque indien, créoles vêtus de blanc, femmes noires ou m u lâtresses couvertes

de la gaule et du madras m u l t i c o -

lore coquettement incliné sur le côté de la tête ; figurez-vous cette foule b i g a r r é e , et vous aurez une idée des rues de Cayenne quand vient la fraîcheur du soir. Cayenne compte environ dix mille habitants, y c o m pris les employés, les fonctionnaires

et la garnison.

Les communes les plus importantes sont celle de la Mana ; c'est

aussi la

d'abord

plus étendue.

embrasse tout le pays compris entre la

rivière

Elle Orga-

nabo et le Maroni ; elle comprend le pénitencier Saint-Laurent et plusieurs exploitations fondées depuis

quelques

années

de

forestières

sur les rives

du

Maroni. O n compte aussi, sur son territoire, quelques gisements aurifères, et

l'établissement des Sœurs de

Saint-Joseph de C l u n y . A p p r o u a g u e , outre des mines d'or très productives, possède les principales sucreries du pays, un

certain

nombre d'établissements industriels et des roucouries.


202

NOS GRANDES

Toutes les communes

COLONIES.

sont reliées

entre elles par

des routes de grande c o m m u n i c a t i o n , dites «

routes

coloniales » , et des voies de moindre importance ou chemins vicinaux. L e dernier recensement fait dans la colonie ( 1

e r

janvier 1 8 8 1 ) indique pour la G u y a n e française une population de vingt-six mille cent

seize

habitants, se

répartissant c o m m e s u i t : Habitants sédentaires Tribus indiennes

17,301 2,000

Réfugiés brésiliens

300

Militaires

1,005 20,606

Personnel du service médical, d'administration

et agents

divers

227

Religieuses de Saint-Joseph de Cluny et de Saint-Paul de Chartres

71

Frères de P l o ë r m e l

16

Prêtres

23

Emigrants africains

304

indiens

chinois

2,894 170

annamites

381

Transportés hors pénitencier

1424 26,115

Ce chiffre

est bien m i n i m e ,

l'étendue du territoire

si l'on considère

et

et les éléments divers dont se

c o m p o s e la population ; les créoles ne dépassent pas deux

mille.


LA

203

GYANE.

A quelle cause faut-il attribuer le nombre restreint de nos nationaux

établis en Guyane?

Ces causes

sont multiples ; mais une des principales, assurément, est due à la réputation d'insalubrité que Ton s'est plu à faire à notre colonie, réputation qui remonte loin. Le climat meurtrier de Cayenne fut en effet la seule excuse que purent invoquer des chefs ignorants criminels

ou

pour expliquer leurs insuccès et diminuer

le poids d'une responsabilité qui les écrasait. Il est certain qu'à cet égard la G u y a n e est loin de mériter tout le mal qu'on en a dit. Certes, la température est pénible pour les

Euro-

péens : une chaleur constante, des pluies abondantes tombant périodiquement, imprègnent pour

plusieurs

mois le sol et l'atmosphère d'une humidité continuelle qui agit énerve,

sur les

l'organisme

affaiblit,

en

des un

nouveau-venus,

mot

les anémie.

les Par

contre, les maladies graves, les lièvres dangereuses ne sont fréquentes que dans certains cantons, et attaquent-elles

de préférence

les hommes

encore qui

savent pas se soumettre au régime nécessité

ne

par le

climat, s'abstenir de liqueurs fortes, « l ' e x c è s de toutes sortes, en un mot prendre les précautions

hygiéni-

ques qu'ordonne la plus vulgaire prudence. Malgré le voisinage de l?équateur, la chaleur n'est pas extrême, elle ne dépasse presque jamais 3 0 ° ; en revanche, le thermomètre descend rarement au dessous de 20°. L'année se divise en deux s lisons : la saison sèche et la saison des juin-juillet

pour

pluies. La

première commence en

s e prolonger jusqu'en

décembre ; la saison

novembre-

pluvieuse dure de décembre à

juin. Elle est ordinairement interrompue en mars, par


204

NOS GRANDES COLONIES.

deux ou trois semaines de beau temps. l'hivernage,

les pluies

sont

qu'on a calculé, d'après

Durant

abondantes

des observations

météorolo-

giques suivies pendant plusieurs années, qu'il à Cayenne, années c o m m u n e s , mètres

tombe à trois

trois mètres

mètres cinquante d'eau, et dans l'intérieur mètres à quatre

tout

tellement

cinquante.

de

quatre

Dans les forets, les

pluies sont continuelles, et toute l'année

il

v pleut

plusieurs fois par j o u r . Tant que l'écoulement

de ces eaux

s'opère

avec

facilité, la salubrité du pays n'est pas atteinte ; mais quand, au lieu de trouver une issue,

elles

s'arrêtent

dans des marécages, elles s'y c o r r o m p e n t , et forment de véritables

foyers

d'infection.

Guyane certaines communes

C'est

ainsi

sont toujours

qu'en

particu-

lièrement malsaines, tandis que dans la majeure partie de la contrée, et notamment à C a y e n n e , on respire un air p u r . Il résulte des observations faites

pendant

une p é -

riode de neuf années que la mortalité à la G u y a n e est inférieure à celle de nos autres colonies : Guyane.

.

2,53 °/o

Bourbon.

3,05

Martinique.

9,04

» »

Guadeloupe

8,90

»

Sénégal. .

6,17

»

L e seul danger véritable à Cayenne, sur tout le l i t toral et dans les endroits découverts, consiste dans les insolations ; elles sont généralement mortelles. E n résumé, si le climat de la G u y a n e , c o m m e celui de tous les pays situés sous la zone torride, affaiblit


205

LA GUYANE.

l'Européen et ne lui permet pas de se livrer, c o m m e sous nos latitudes, aux rudes travaux des n'en reste pas moins avéré

champs, il

qu'en se conformant

certaines règles hygiéniques, l'Européen peut nément supporter la température

et s'adonner

travail modéré ; bon n o m b r e d'officiers

à

impuà

et de

un

fonc-

tionnaires font un l o n g séjour dans la c o l o n i e ,

et là

c o m m e en E u r o p e on rencontre des vieillards

bien

portants.

NOS

GRANDES

COLONIES.

6**


206

NOS GRANDES COLONIES.

CHAPITRE

V.

Les explorateurs de la Guyane. — Les PP. Grillet et Béchamel. — D'Orvillers. — Le P. Fauque et M. Duvillard. — Patris. — Mentelle. — Leblond. — Leprieur. — Vidal. — J. Crevaux.

C'est à la recherche Je l'Eldorado que l'on

doit

l'occupation et la colonisation de la Guyane ; c'est à la même cause qu'il faut attribuer les

nombreuses

ex-

plorations tentées pour pénétrer au cœur du pays. Les premiers qui essayèrent de s'avancer dans l'intérieur, en remontant le cours des ainsi que nous l'avons v u ,

fleuves,

étaient,

des aventuriers

anglais :

Walter Raleigh, K e y m i s , Berrie, etc nous ne dirons rien, leurs

De c e u x - l à ,

v o y a g e s n'eurent

aucun

résultat pratique. E n 1 6 7 4 , les Pères Jésuites entreprirent Cayenne

de visiter

le 25

Grillet et

la G u y a n e .

janvier, et

Ils

remontèrent

Béchamel quittèrent la rivière

W e i a , puis la N o u r a r g u e , où ils racontent avoir trouvé un village habité par des Indiens qui portaient aussi le nom de Nourargues. Guidés par des indigènes, les Pères s'avancèrent vers la

région

montagneuse,

atteignirent, le 10 mars, un point n o m m é

et

Caraoïbo,

qu'ils estiment être à 80 lieues de Cayenne ; là c o m mandait un chef appelé

Camiati.

Après

un

séjour

assez l o n g dans cette tribu, munis de pirogues et guides fournis par le chef, les deux v o y a g e u r s

de

s'em-

barquèrent sur le Tinaporibo, dont ils remontèrent le cours jusqu'à l'extrémité du territoire des Nourargues.


LA

207

GUYANE.

Abandonnant la rivière, ils se dirigèrent à pied

vers

l'Inipi ou Innii, qui se jette dans le Oamopi, affluent de l ' O y a p o c k . C'est en remontant le cours du que les Religieux trouvèrent la tribu des chez lesquels ils reçurent Quelque

temps

fleuve

Acoquas,

une hospitalité généreuse,

après,

ils

étaient de

retour

à

Cayenne. Cette exploration avait été entreprise d'abord pour introduire la religion catholique chez les sauvages de l'intérieur,ensuite pour chercher la salsepareille, que l'on disait abondante dans certaines parties de la foret ; c'était du moins le motif principal : mais il est permis de soupçonner que l'espoir de d é c o u v r i r l ' E l d o r a d o n'était pas non plus étranger au v o y a g e des deux Religieux. En effet, arrivés chez les A c o q u a s , près du du Camopi et de l ' O y a p o c k , — où

Keymis

demeure du souverain d'or, — les

Pères

confluent place la Grillet

et

Béchamel s'enquirent près des naturels de la situation du lac Parimé ; à toutes leurs questions, les Indiens répondirent qu'ils ne connaissaient rien de semblable, et n'en avaient jamais entendu parler. E n 1 7 2 0 , M . d'Orvillers, une

expédition à la

alors g o u v e r n e u r , envoya

recherche

de l'Eldorado : elle

devait remonter le Maroni, g a g n e r par terre le Camopi et revenir par l ' O y a p o c k , traversant ainsi la mystérieuse. La mission

région

suivit l'itinéraire qu'on

lui

avait tracé, et ne trouva pas l'Eldorado ; en revanche, les chefs rapportèrent de nombreux échantillons salsepareille et de cacao ; ils disaient avoir

de

traversé

une foret où ces deux plantes se trouvaient en grande quantité. N ' y avait-il pas dans cette découverte

une

haute

leçon et un ingénieux a p o l o g u e ? et ne pense-t-on pas


208

NOS GRANDES

COLONIES.

involontairement au trésor dont a parlé notre

grand

fabuliste ? Quelques années plus tard,le Père F a u q u e , a c c o m pagné de M . Duvillard, se rendit chez les

Acoquas

par la route de l ' O y a p o c k ; ce R e l i g i e u x voulait é v a n géliser les tribus sauvages. Il raconte q u e ,

pendant

son séjour parmi eux, il vit pêcher beaucoup de poissons au m o y e n d'une plante qui les engourdit et les grise au point que l'on peut les prendre à la main

;

c'est le Nékou. U n Indien montra aussi aux voyageurs le

quinquina, très

abondant dans

les

forêts

voi-

sines. E n 1 7 4 3 , Pierre Barrère visita la colonie, mais

il

ne dépassa guère les terres basses. Ce n'est que vingt-six ans plus tard, en nous

retrouvons

une exploration

1 7 6 9 , que

intéressante, celle

de Patris, médecin botaniste du roi à C a y e n n e . Ce v o y a g e u r a en effet tracé la route que le docteur Crevaux devait suivre cent dix ans

après lui.

Voici

l'itinéraire du docteur Patris : il remonta l ' O y a p o c k , le Camopi, le Tarnouri, et atteignit le pays des A r a michaux qu'il visita. D e là, en suivant l'Araouri

et

l ' A r o u a , il gagna le M a r o n i , dont le cours mène chez les R o u c o u y e n n e s . A p r è s un assez l o n g

séjour

ces tribus, il partit pour g a g n e r l ' A m a z o n e chissant les monts T u m u c - H u m a c . Il no son projet à exécution ; les indigènes

en

dans fran-

put mettre

l'ayant a b a n -

d o n n é , il dut reprendre sa marche sur Cayenne. Patris apportait des notes précieuses et de magnifiques collections recueillies en route ; malheureusement, la p i r o gue qui les portait chavira en franchissant un rapide ; tout fut perdu. Ce v o y a g e u r assure, ce qui, du reste, a été confirmé par le docteur Crevaux, que des sources


LA

209

GUYANE.

du Maroni à celles de l ' O y a p o c k , la distance est très courte, quinze lieues à peine. La m ê m e constatation fut faite, v i n g t ans après, par Mentelle, qui remonta l ' O y a p o c k , g a g n a les s o u r ces du Maroni par terre et revint à Cayenne en

des-

cendant son cours ; il dit n'avoir pas parcouru plus de quinze lieues pour aller d'un fleuve à l'autre. Son projet était aussi d'atteindre le bassin de l ' A mazone ; il dut y renoncer faute de g u i d e . En

1787

L e b l o n d , en 1836 Leprieur, suivant à

peu près la même route, gagnèrent

le Maroni par

l ' O y a p o c k et le Camopi. En 1861, M.

V i d a l , chargé d'une mission scien-

tifique, étudia tout le cours du Maroni ; il a laissé une relation

des

plus intéressantes du résultat de

ses

voyages et de ses travaux. Telles sont les explorations les plus remarquables, au point de vue de la topographie et de la connaissance de la G u y a n e . Tous ces renseignements étaient encore bien v a g u e s , et il restait de grands espaces i n c o n n u - , d'immenses régions inexplorées. C'est au D

r

J . Crevaux que revient l'honneur d'avoir complété les recherches de ses prédécesseurs, relevé bon

nombre

d'erreurs, et fait connaître, d'une façon certaine, cette immense contrée, si longtemps i g n o r é e , ainsi que les tribus qui l'habitent. En

1876, le D

r

J . Crevaux,

jeune médecin de la

marine, sollicitait du ministre de l'instruction p u b l i que une mission dans l'intérieur de la Guyane

fran-

çaise ; il se proposait de résoudre la question de savoir s'il était possible de relier le bassin de

l'Amazone

aux sources du Maroni, par le Y a r y . Parti en 1 8 7 7 , Crevaux remonta le cours du Maroni

6***


210

NOS GRANDES COLONIES.

en p i r o g u e . A p r è s des fatigues sans nombre, affaibli par la

maladie, abandonné par ses porteurs, il dut

s'arrêter chez les Bonis ; c'est

là que le v o y a g e u r

rencontra A p a t o u , qui depuis lors l'accompagna dans toutes ses expéditions. Pendant son séjour forcé dans cette tribu, le D

r

Crevaux put étudier l'histoire,

les

mœurs et les caractères ethnographiques de ces indigènes. D e Cotica, village B o n i , J . Crevaux

gagne

les

monts T u m u c - H u m a c qu'il visite et dont il étudie les habitants ; puis, après une longue navigation sur l'Itany et l ' A p o u a n i , il g a g n e le Y a r y , d o n t il descend le cours jusqu'à l ' A m a z o n e . Ce v o y a g e avait duré cinq mois. « J e ne suis pas arrivé au terme de m o n v o y a g e , que j'ai déjà conçu le projet d'une exploration, écrit le D

r

premier deuxième

J . Crevaux. A p r è s avoir par-

couru le Maroni et le Y a r y , il faut, pour compléter ma carte,

explorer la chaîne de partage des eaux

entre l'Oyapock et l ' A m a z o n e , et descendre le P a r o u , un des plus grands cours d'eau de la G u y a n e , absolument inconnu des géographes ( 1 ) . » Toujours

a c c o m p a g n é du fidèle A p a t o u , Crevaux

s'engage sur l ' O y a p o c k , le 22 août 1878 ; il remonte le fleuve en quinze jours, après une navigation

assez

facile, et atteint les sources de l ' O y a p o c k et les monts T u m u c - H u m a c le 22 septembre. P o u r

voyager

les criques qui descendent des montagnes et vers l ' A m a z o n e , le D

r

Crevaux et ses hommes sont

obligés de construire une pirogue après

d'écorce.

Enfin,

cinquante-cinq journées de m a r c h e , soit

(l) D J. Crevaux, De année 1880. p. 33). r

sur

coulent

Cayenne aux

Andes

(Tour

en

du monde,


LA

211

GUYANE.

canot, soit à pied, le v o y a g e u r

atteint les rives du

Parou. La descente de cette rivière, coupée de rapides et de n o m b r e u x sauts, dans lesquels le D

r

J . Crevaux

faillit périr et perdit plusieurs canots et presque tous ses b a g a g e s , demanda quarante et un jours. L e 9 j a n vier 1 8 7 9 , il arrivait au Para. Nous ne raconterons pas les voyages du D J . C r e r

vaux sur l'Ica et le Y a p u r a , affluents de l'Amazone,'ni son exploration de l'Orénoque qui fit l'objet d'un troisième v o y a g e , le dernier avant celui où le ha rdi e x p l o rateur devait tomber sous les c o u p s des Indiens Tobas. « E n résumé, dit le D

r

Crevaux, j'ai exploré, dans

mes deux v o y a g e s , six cours d'eau : deux

fleuves

de

la G u y a n e , le Maroni et l ' O y a p o c k , et quatre affluents de l ' A m a z o n e , le Y a r y , le P a r o u , l'Ica et le Y a p u r a . « Si le M a r o n i , l ' O y a p o c k et

l'Ica étaient c o n n u s ,

je puis dire que le Y a r y et le P a r o u étaientabsolument vierges de toute exploration. « Quant au Y a p u r a , qui mesure cinq cents lieues, il était inconnu

sur les quatre cinquièmes

de son

cours ( 1 ) . » C'est pendant ce second v o y a g e , que le D J . r

Cre-

vaux apprit la composition du poison e m p l o y é par les sauvages pour leurs flèches, et qu'il découvrit la liane appelée urari. dont nous avons fait le curare. plante a la propriété d'arrêter la circulation du

Cette sang

plus ou moins rapidement ( 2 ) . (1) D J. Crevaux, De Cayenne aux Andes, déjà cité, p. 176. (2) Il existe à Madagascar une plante connue sous le nom de Tanguin, tanguinia veneniflua, qui a les mêmes propriétés : le suc de son noyau pris à une certaine dose coagule le sang plus ou moins vite en occasionnant d'affreuses souffrances et d'horribles convulsions. F . H. r


212

NOS GRANDES

COLONIES.

CHAPITRE

VI.

I m m i g r a n t s f.t A b o r i g è n e s . — C r é o l e s . — N o i r s e t m u l â t r e s . — Bonis. — B o s c h . — Paramakas. — P o l i g o u d o u x . — Coolies hindous.

P e u de pays possèdent une population d'éléments

aussi variés que celle de

composée

la G u y a n e :

E u r o p é e n s , Arabes, Y o l o f f du Sénégal, Cafres, H i n dous, Chinois, Annamites, Indiens du bassin de l ' A mazone

se coudoient

dans

notre colonie. Ils

sont

venus là, poussés par des fortunes diverses : les uns, enlevés par la

traite au continent

africain,

plantés à Cayenne, ont donné naissance aux des colonies et aux mulâtres.

D'autres,

transnègres

originaires

aussi du centre de l ' A f r i q u e , ont été vendus à S u r i nam ; u n j o u r , ils se sont fait a marrons, et, franchissant le M a r o n i , sont venus s'établir sur notre territoire ; ils y ont

fondé les tribus des Bosch ou Y o u c a s ,

des

B o n i s , des Paramakas, de P o l i g o u d o u x , e t c . . . Les Chinois et les H i n d o u s ont remplacé les travailleurs que l'abolition de l'esclavage enlevait à l'agriculture. D'autres enfin, condamnés à la transportation, peuplent nos pénitenciers. Quant aux Indiens, ce sont les indigènes, les naturels de la G u y a n e . Nous n'étudierons pas toutes ces races, que dans le cours de cet ouvrage nous devons

retrouver chacune

dans sa patrie ; nous ne décrirons que les

indigènes,

les immigrants qui ont fait souche et créé un

peuple

nouveau, et les coolies hindous au point de vue travail.

du


LA

213

GUYANE.

Parmi les étrangers au sol, se placent en premier lieu les Européens et les créoles ; ils sont peu

nom-

breux, deux mille tout au plus, ainsi que nous l'avons vu plus haut. Commerçants pour la plupart, ou à la tête d ' e x p l o i tations industrielles,

les créoles sont

généralement

riches ; ils ont à peu près le même genre de vie que les habitants des Antilles, sur lesquels nous nous s o m mes longuement étendus. U n e m o r g u e et un orgueil moins grands,

une insouciance moins

exagérée

de

l'avenir sont peut-être les seules différences à signaler. Si peu importantes qu'elles soient, elles suffisent pour modifier d'une façon appréciable les rapports existant entre blancs et gens de couleur.

On ne trouve pas à

Cayenne la haine et l'antipathie qui divisent les deux races, à la Guadeloupe et à la Martinique surtout. Faut-il attribuer cette attitude des blancs vis-à-vis des noirs à ce fait qu'à la G u y a n e il n'existe comme aux Antilles,

pas,

une sorte d'aristocratie créole,

occupant le sol depuis des siècles, habituée à ne voir dans l'homme noir d'aujourd'hui que l'esclave d'hier ? D o i t - o n croire au contraire que les gens de couleur sont moins désireux do se mêler à la que leurs congénères des Antilles ? pas plutôt

race Ne

blanche

faudrait-il

voir là le résultat de l'établissement des

pénitenciers ? Depuis trente-deux ans que l'on a fait de la G u y a n e le centre de la transportation, bien des condamnés ont été libérés, qui sont restés dans la c o lonie, et l'on comprend qu'ils n'aient pas, sur la question de race, de préjugés bien enracinés. Nous

indi-

quons ces

nous

divers motifs assez plausibles, sans

prononcer d'une manière catégorique. A partie costume quelque peu modifié, les négresses


214

NOS GRANDES

COLONIES.

sont toutes et partout les mêmes. L e u r

gaule n'a

peut-être pas la même forme que celles de leurs sœurs des A n t i l l e s ; le madras noué sur le côté est peut-être un peu plus incliné sur l'oreille

; mais à part ces d é -

tails, c'est toujours la m ê m e race, gaie, rieuse, aimant le clinquant et le plaisir par-dessus tout. Quant aux hommes, aussi paresseux ici que là, passionnés amateurs de tafia, on les coudoie vêtus d'un pantalon et d'une chemise, ou affublés du costume le plus invraisemblable : pieds nus, pantalons trop courts, habit d é m o d é , faux-cols immenses, chapeaux indescriptibles posés sur leur toison crépue. N o u s n'insisterons pas. A côté de ces noirs, que l'on trouve plus particulièrement dans les villes, un certain n o m b r e de nègres de colonie, s'y

même race o c c u p e n t

de tribus

l'intérieur de la

sont installés, et ont formé

des nations

indépendantes. Ce sont tous des esclaves évadés depuis de nombreuses années des possessions hollandaises ; ils se sont réfugiés dans les bois

et sont revenus à

l'état sauvage. Ceux-ci méritent une étude spéciale. Les principales tribus sont les Bonis, Bosch,

les Polinoudoux,

les Youcas

ou

les Paramakas. A y a n t tous

une m ê m e origine, ils ont des costumes semblables ; aussi ne décrirons-nous d'une façon détaillée que

les

B o n i s , nous

qui

bornant à indiquer les événements

ont amené la formation des autres familles. Les B o n i s , originaires de la côte d'Afrique, sont les descendants des esclaves qui se révoltèrent Hollandais en

1 772.

contre les

Depuis cette é p o q u e , ils sont

établis sur le territoire français, au bord du

Maroni,

près du confluent de l'Araouta. L e u r principal village se n o m m e Cotica. L e D J . Crevaux a recueilli de la bouche r

même


LA

des anciens de la tribu l'histoire des circonstances qui

215

GUYANE.

de leur

ont a c c o m p a g n é

révolte, et

et suivi leur

émancipation ; nous empruntons les détails qui vont suivre au récit de ce v o y a g e u r . En 1 7 7 2 , un n è g r e audacieux et intelligent, n o m m é Boni, eut à se plaindre de son maître. Il avait a c c o m pagné c e l u i - c i ,

riche planteur hollandais, dans un

voyage en E u r o p e ; a u retour, il devait être affranchi. Rentré dans son habitation, le maître oublia sa p r o messe. Ce manque de b o n n e loi attira les plus grands désastres sur la colonie. Boni résolut de se venger et de prendre ne voulait pas lui donner : il s'échappa, dans sa fuite un grand n o m b r e de ses

ce qu'on entraînant

compagnons.

La maison du maître fut livrée au pillage, ses esclaves mis on

liberté, tous les blancs de l'habitation mas-

sacrés, à l'exception de l'intendant ; B o n i lui fit grâce de la vie pour qu'il pût annoncer au maître le châtiment qui venait de

le frapper.

D e s troupes furent

envoyées à la poursuite des révoltés ;mais elles avaient affaire à forte partie. Traqué de tous côtés, sachant sa tête mise à prix, Boni ne songea m ê m e pas à s'éloigner : il demeura aux environs des habitations, essavant d'entraîner d'autres noirs dans son parti. U n j o u r , il pêchait en c o m p a g n i e de sa femme sur les bords d'une petite crique. U n canot rempli de s o l dats hollandais envoyés à sa poursuite vint à passer ; au lieu de fuir, Boni

se précipite le sabre à la main

sur l'embarcation, tue plusieurs soldats, fait chavirer la pirogue, puis, revenant sur la rive, il é g o r g e ceux qui la regagnaient à la n a g e .

tous

Il n'épargne que

l'officier, qu'il envoie porter à la colonie la nouvelle de sa défaite.


216

NOS GRANDES COLONIES.

E n quelques j o u r s , vingt-trois habitations dévastées, et

les

esclaves délivrés

furent

vinrent

autour de ce chef intrépide une troupe

former

aussi n o m -

breuse que dévouée. Boni

emmena sa bande

dans le

Maroni et se

fixa près de la crique Paramaka, au lieu appelé

Boni-

doro. Il y établit une plantation de manioc et de bananiers dont on voit encore les traces aujourd'hui. Sans ses fréquentes incursions auprès de Surinam, incursions toujours signalées par le ravage d'une propriété et l'évasion

de

nombreux

esclaves, les H o l -

landais auraient laissé Boni vivre en paix dans la retraite qu'il

s'était choisie ; mais, en présence de ses

attaques réitérées, la colonie se vit dans l'obligation d'envoyer une véritable armée contre les rebelles. Surinam dut demander des secours à la métropole. On expédia à la Guyane douze cents hommes sous le

commandement du colonel

Fourgaud,

d'origne

française. Grâce à la connaissance parfaite qu'il avait du pays o ù il opérait, Boni infligea plusieurs défaites à son ennemi. U n e c o m p a g n i e qu'il attaqua à fabiki

(île de la Bataille)

fut presque

Feti-

entièrement

détruite. Les vainqueurs se livrèrent sur les morts et les blessés à des actes de sauvagerie que la plume se refuse à décrire. Les Hollandais essayèrent de surprendre les rebelles dans leur retranchement

de

Bonidoro.

Prévenu à

temps, Boni lit abattre des milliers de bananiers qui, disposés autour

du c a m p , lui permirent de recevoir

l'ennemi avec une centaine de

nuée de flèches et de

soldats

balles.

Une

furent tués ; les autres durent

battre en retraite. Quand, au

contraire, les

Bonis

prévoyaient que l'issue d'une rencontre leur serait fatale,


LA

217

GUYANE.

ils savaient se dissimuler et éviter ainsi l'attaque d'un ennemi trop redoutable. Les Y o u c a s , affranchis depuis soixante ans, s'étaient faits les alliés des Hollandais ; c e u x - c i garantissaient la liberté aux anciens esclaves, à la condition

qu'ils

livreraient les nouveaux évadés. O n n'eut pas de peine, à Surinam, à les engager à attaquer

les Bonis. U n e

rencontre eut lieu près de la crique I n n i i .

Les Y o u -

cas, repoussés,'demandèrent la paix et l'obtinrent. Afin de cimenter les engagements pris de part et le chef Y o u c a s

d'autre,

offrit à B o n i la plus jeune et la plus

jolie de ses f e m m e s . La paix durait depuis un a n , devoir la

troubler,

et rien ne semblait

lorsqu'un j o u r de

nombreuses

pirogues, montées par des Y o u c a s , abordèrent

non

loin de la crique Innii, à un endroit n o m m é F é t i C a m pan ( c h a m p de bataille).

V o y a n t arriver des amis,

Boni s'avança au-devant d ' e u x ; déjà il leur tendait les mains pour leur souhaiter la bienvenue, quand il reçut une balle de fer qui lui traversa la poitrine.

Atopa,

le fils du malheureux chef, suivi de n o m b r e u x amis, s'élança immédiatement à la poursuite des assassins; il ne put rejoindre les Y o u c a s ; mais, se dirigeant sur leur village, il surprit

quelques-uns

des

chefs

et

les

massacra. A p r è s plusieurs combats d o n t le résultat fut t o u jours incertain, les Y o u c a s livrèrent aux Hollandais la tête d'un Boni dont le cadavre avait été habilement substitué à celui du chef par ses fidèles. L e G r a n d - M a n des Y o u c a s reçut du gouvernement de Surinam, en récompense de ses services, une rente viagère pour lui et ses successeurs, un hausse-col et une canne de tambour-major. NOS

GRANDES

COLONIES.

7


218

NOS GRANDES COLONIES.

Ainsi se termina cette guerre

acharnée entre la

H o l l a n d e et ses esclaves évadés. La colonie,

outre

les dégâts matériels, y perdit bon n o m b r e de soldats blancs, et une certaine quantité de soldats noirs qui s'enfuirent dans les forêts ; ces déserteurs formèrent la tribu des P o l i g o u d o u x . Les B o n i s , voyant leurs communications avec le bas M a r o n i , avec les Indiens

essayèrent

de

coupées

d'entrer en relations

l'intérieur.

Ils

s'adressèrent

d'abord aux Oyampis ; après avoir été reçus amicalement par cette tribu, ils furent lâchement attaqués et perdirent plusieurs hommes. Ils se tournèrent alors vers les colons français et se dirigèrent sur l'île Casfesoca ; nous avons v u c o m ment, malgré la parole du chef du poste, ces noirs furent massacrés sans motif. Pourchassés par les Français, les Bonis

Hollandais, traqués par les

se rapprochèrent

des

Indiens

Oyacoulets qu'ils rencontrèrent en remontant l'Itany. Encouragés

par la

réception

que leur

tribu, les proscrits croyaient avoir enfin nation

amie ; mais

qu'une feinte. Tous

cet accueil

fit

cette

trouvé une

bienveillant

n'était

c e u x des Bonis qui avaient été

reçus chez les Oyacoulets furent égorgés. Il y a une vingtaine d'années, les B o n i s firent une seconde

tentative pour entrer en relations avec les

Français de la

G u y a n e . Suivant le cours de

l'Innii,

ils gagnèrent l'Approuague, qu'ils redescendirent j u s qu'à son embouchure. Ils furent reçus par M . Couy, qui les mena à Cayenne et les présenta au gouverneur. Depuis lors, les Hollandais et les Français ont c h e r ché à s'attacher les noirs de l'intérieur, mais ils ont à lutter contre une défiance bien naturelle.


LA

219

GUYANE.

Livrés à eux-mêmes, ces nègres n'ont

tardé à

pas

revenir à l'état sauvage et à reprendre leurs anciennes c o u t u m e s , en y j o i g n a n t quelques-unes de pratiquent

celles que

les nations qu'ils fréquentent. D e

leur

long séjour chez les blancs, ils ont rapporté aussi des croyances, défigurées, il est vrai, par la tradition, mais dont on reconnaît facilement Physiquement, faits : en

l'origine.

ils sont grands, vigoureux et bien

revenant à la vie p r i m i t i v e , ils n'ont pas

tardé à supprimer toutes les parties inutiles du v ê t e ment dont leurs maîtres les avaient affublés, et à réduire; leur costume à sa plus simple expression. H o m m e s et femmes ont les cheveux courts ; ils les réunissent on une foule de petites mèches droites et pointues, semblables à de petites cornes qui hérissent leur tête. C o m m e ornements, ils portent au cou nombreux

colliers,

de

et aux chevilles, au-dessus du

mollet et aux poignets de lourds anneaux de métal. Fort peu de ces noirs sont tatoués ; quelques femmes seulement ont une rosace autour de l'ombilic ; encore ce n'est pas un véritable tatouage ; le compose

cet ornement n'est

pas

dessin

pratiqué

qui

dans la

peau au m o y e n d'une piqûre lavée avec une teinture quelconque, il se compose plutôt d'une série d'excroissances de chair ayant assez l'aspect d'une graine de lin. Cette sorte de tatouage s'obtient en pratiquant de petites incisions fréquemment

répétées pour rendre

les cicatrices plus saillantes. Il est à remarquer chez les nègres, les

que,

plaies n'attaquant que le derme

produisent une cicatrice noire, tandis que lorsqu'elles pénètrent plus profondément, elles sont

absolument

blanches après la guérison. P o u r éviter cet i n c o n vénient, les Bonis,

au moment de l'incision, s a u -


220 poudrent

NOS GRANDES COLONIES.

la plaie

Les Bonis

avec

du charbon

habitent des carbets,

pilé

très fin.

sortes de

huttes

carrées, couvertes avec des feuilles de waille ou

de

macoupi ; quelques-unes sont ouvertes à tous les vents, d'autres sont closes, et l'on n'y pénètre que par

une

ouverture basse et étroite. Dans le village, les carbets sont disposés en circonférence autour d'une place qui sert de lieu de délibération aux anciens de

la tribu.

Afin d'éviter la présence des insectes et des reptiles, le sol de la place est toujours parfaitement balayé ; le plus petit brin d'herbe est soigneusement arraché. Grands amateurs de p ê c h e , les Bonis sont

d'excel-

lents canotiers. Leurs pirogues sont faites d'un tronc d'arbre, — généralement un bamba,

creusé à la

hache ; elles sont longues, étroites et relevées aux deux extrémités ; les pagayes

ou rames ont à peu près

la

forme d'une feuille de laurier. Montés dans ces p i r o g u e s légères, armés d'une seule p a g a y e , ces

hardis

canotiers franchissent les sauts, descendent les rapides les plus dangereux avec une habileté surprenante. A proprement parler, le mariage n'existe pas chez ces sauvages, et cependant l ' h o m m e ment uni toute sa vie avec

reste générale-

la c o m p a g n e

qu'il s'est

choisie ; nous disons généralement, car quelquefois les Bonis ont plusieurs femmes celles qui

fois, ou

renvoient

sont vieilles pour en prendre

à la

une ,plus

j e u n e . U n j e u n e h o m m e ne peut se marier sans l ' a u torisation

des anciens

leur consentement,

de la

le

tribu.

candidat

doit

Pour

obtenir

faire

preuve

de certaines aptitudes ; entre autres choses, il doit se construire

un carbet

et planter

un

champ

de

m a n i o c . Les unions entre proches : cousins et c o u sines et m ê m e frères et

sœurs, sont fréquentes, les


LA GUYANE.

221

lois des Bonis ne s'y opposent pas. L e s mariages sont rarement stériles ; les Bonis ont généralement trois ou quatre enfants, souvent six ou huit. Les chefs ont le droit d'avoir plusieurs femmes. Peut-on donner le n o m de religion

aux

pratiques

superstitieuses auxquelles se livrent les noirs ? N o n ; leurs croyances ne sont qu'un souvenir des religions catholique et juive qu'ils ont vu pratiquer chez leurs anciens maîtres les Hollandais; ils y

ont

ajouté

les

superstitions empruntées aux nations qu'ils fréquentent ou à leurs ancêtres. D e la religion catholique, ils ont pris la connaissance d'un Dieu (Gadou),

créateur des

h o m m e s , des singes rouges, du riz, du manioc et des bananiers : marié à une femme qu'ils appellent Gadou

eut

un

fils, Jest

Kisti.

Maria,

Quelques-uns, des

savants, connaissent l'histoire d ' A d a m et d ' E v e . V o i c i cette histoire, telle q u ' A p a t o u , le c o m p a g n o n de C r e vaux, la racontait : « G a d o u faire oun

raoum

(homme)

A d a m , et

ou

femme, Eva, e t l i commander rester petit village o ù qu'y

gagné

beaucoup

beaucoup m a n i o c ,

beaucoup

viande qui pouvez manger

sans

poisson, travail-

ler. « Gadou dit : ou pouvez manger tout chose, mais pas oun graine appelée amanda lement)

qui bon oun sô

(seu-

pour serpent : si graine là tomber, ou pas t o u -

cher. «

U n j o u r A d a m vu E v a qui allait chercher l'eau

à la rivière, trouvé serpent qui d i t : «

Goutez g r a i n e -

là. — A d a m dit : n o n , G a d o u pas voulé. •— Serpent dit:

Eva g o u t e z , pas g a g n é chose qui bon passé ça.

— E v a qui mangé dit : o h ! c'est bon, A d a m mander.

venez


222

NOS GRANDES COLONIES.

« A d a m d i t : N o n . — Goutez oun

sô. — N o n . —

troisième fois A d a m mangé ti morceau. « A p r è s , Gadou qui d i t : A d a m , E v a veni vite. — A d a m qui gagné peur, pas savé p o u r q u o i , mette oun feuille, et sa femme aussi. « B o n D i e u qui dit : A d a m toi mangé graine là. — A d a m dit n o n . — A d a m toi mangé graine là. — T r o i sième fois, A d a m d i t : O u i , pas moi qui ramassé, Eva qui donné. « B o n Dieu pas content d i t : A d a m , E v a ou p o u vez allé : toi. A d a m , manioc, et

flécher

besoin travailler

pour

gagner

pour gagner viande ; E v a ,

pouvé g a g n é mal pour

toi,

faire ti moun ; serpent, toi

plus gagné pieds pour marcher.

»

Beaucoup de ces noirs ont été baptisés, et cette histoire d ' A d a m et d ' E v e racontée par A p a t o u peut bien être un souvenir de l'instruction religieuse

qu'il a

reçue autrefois dans l'église de Saint-Laurent. P e u t être aussi, le missionnaire avait-il quelque peu m o d i fié l'histoire de nos premiers parents, pour la mettre à portée de son

auditoire, car, en G u y a n e ,

on ne

connaît pas la p o m m e . De la

religion j u i v e , quelques-uns ont

une horreur profonde pour le capiai,

dont

conservé la

chair,

disent-ils, donne la lèpre. O r , ce capiai a une grande analogie avec le c o c h o n . D e leurs ancêtres d ' A f r i q u e , ils ont gardé la c r o y a n c e aux sorciers ; ils

sont féti-

chistes, et leurs féticheurs, c o m m e ceux des Indiens, se nomment

piayes.

Les funérailles se font en grande cérémonie. « Les morts sont conservés pendant huit j o u r s , dit le d o c teur Crevaux, durant lesquels on se livre à des danses et à des chants lugubres. Le cercueil est

transporté


223

LA GUYANE.

matin et soir clans tout le village,

par des

hommes

qui l'inclinent a d r o i t e et à gauche p o u r imiter mouvement de salutation. On considère

comme

des un

bon augure ces politesses que le défunt semble adresser en passant devant

les

carbets.

Ledit

cercueil

de longues haltes au milieu du conseil réuni place pour

le

r e c e v o i r . Les plus anciens lui

chacun des questions

fait

sur la font

auxquelles il répond en s'incli-

nant à droite, à g a u c h e , en avant, en arrière. Tous les matins, un vieillard, dont la v o i x n'est pas moins désagréable que celle du singe r o u g e , pleure en c h a n tant jusqu'à ce que le roi des forêts vienne

s'associer

à la douleur de la nation. « Les

cadavres sont inhumés en état de putréfac-

tion avancée » ( 1 ) . Chacune des différentes noires de la région du Maroni

chef qui porte le n o m de G r a n d - M a n ; son est

héréditaire;

mais,

tribus

est gouvernée par un

comme

le

droit

pouvoir d'aînesse

n'existe pas, le c h e f de son vivant désigne celui de ses fils qui doit lui succéder, ou m ê m e un parent

éloi-

g n é . A n a t o , le Grand-Man actuel des Bonis, a désig n é pour son successeur son neveu B a y o . Il réside à Cotica. Le

Grand-Man

détient

d'une

façon

absolue le

pouvoir exécutif ; aidé d'un Conseil choisi parmi

les

notables d e la tribu, il traite les affaires, connaît des différends entre les personnes et juge les criminels en leur faisant subir une épreuve consistant dans l'absorption d'un breuvage empoisonné.

L e docteur Crevaux

assure que la plante d'où il est extrait n'est pas t o x i q u e , et que les innocents ne sont nullement (L) Docteur J. Crevaux,déjà cité, p. 30 et suivantes.

incom-


224

NOS

GRANDES

modés par cette boisson. «

COLONIES.

N e sont-ils pas c o n v a i n -

cus, dit ce v o y a g e u r , qu'il est sans action sur

ceux

qui n'ont pas c o m m i s de crime (1) ? » Les assassins sont condamnés à être brûlés vifs

sur

la place publique. L a langue que parlent les noirs du Maroni est un composé de mots anglais et hollandais mélangés avec quelques

expressions

empruntées

aux

Indiens.

La

généralité des B o s c h et des Bonis parlent le créole, usité actuellement à la

G u y a n e hollandaise, en

y

mêlant bon nombre de mots et de tournures de phrases prises à notre langue c r é o l e . Chaque individu n'a qu'un seul n o m pour g n e r , un n o m de baptême

que les

parents

le désidonnent

selon leur caprice ou d'après un calendrier fort simple qui représente les sept jours de la semaine. Jours de

la semaine.

N o m s d'hommes.

N o m s de f e m m e s .

Lundi

Monday

— —

Touday Diliday

Codio Couani

Adiouba

Mardi

Couacou

Acouba

Foday

Yao

Yaba

Feda

— Samedi Dimanclio —

Sata

Cofi Couanina

Afiba Amba

Sunday

Couachi

Couachiba

Mercredi Jeudi Vendredi

Abenina

Si à ces noms on en ajoute sept ou huit autres, on aura le répertoire complet des appellations des noirs Bosch et Bonis. La tribu des Bonis ne compte pas, actuellement, plus de trois à quatre cents individus. ( 1 ) Le même, p. 30 et suiv.


LA

Les Paramakas

225

GUYANE.

sont représentés par une centaine

d'hommes ; ce sont les fils des esclaves évadés de S u r i nam en 1 8 3 6 . Leur n o m vient de la crique sur les bords de laquelle ils sont

établis. C o m m e les Bonis

dont ils parlent la langue, ils vivent à l'état Il en est de m ê m e des Poligoudoux milice noire adjointe à l'armée

sauvage.

, déserteurs de la

hollandaise

pendant

l'insurrection B o n i . Les Youcas, nommés Bosch ( h o m m e s des b o i s ) par les colons hollandais, sur

les bords

de

possèdent

Tapahoni,

ou six mille habitants.

plusieurs

villages

qui comptent

cinq

Ils y sont installés depuis

1712. A p r è s la prise

de Surinam par l'amiral

français

Cassar, la Guyane hollandaise fut frappée d'une c o n tribution de g u e r r e de un million

et demi de francs.

gouverneur de la colonie eut la malencontreuse

Le

idée

de vouloir faire supporter cet impôt par les propriétaires,

proportionnellement

au nombre

qu'ils possédaient. P o u r se soustraire

d'esclaves

au paiement,

ou du moins y participer dans la plus faible possible, quelques riches planteurs juifs

mesure

engagèrent

une grande partie de leurs esclaves à se réfugier dans les bois. Quand l'impôt fut payé, on rappela les nègres ; mais ceux-ci refusèrent de rentrer, préférant

la vie

libre au milieu des bois, aux misères de l'esclavage. On dut envoyer des troupes pour les ramener dans les habitations ; elles n ' y purent réussir : le n o m b r e des révoltés

s'était considérablement accru ; ils avaient

fait des incursions aux environs de les plantations

Surinam,

pillé

et rendu à la liberté de nombreux

nègres. I l fallut

compter avec

eux, et les maîtres

se virent contraints de discuter, avec leurs anciens es7*


226

NOS GRANDES

COLONIES.

claves, les conditions d'un traité qui fut signé en 1761 à l'habitation d ' A u k a . Liberté pleine et entière leur était a c c o r d é e , contre la promesse de rendre à leurs propriétaires

tous les

nègres fugitifs qui viendraient leur demander asile. Telle est l'histoire des noirs ayant fait constitué des tribus dans l'intérieur

souche,

de la

et

Guyane

française. Les

autres

immigrants

dont nous avons à nous

occuper sont les coolies hindous. Ils trouvent ici

leur

place, non pas tant parce

race

qu'ils

ont formé une

nouvelle, qu'à cause de l'intérêt qu'ils présentent

au

point de vue du travail. U n des premiers résultats de

l'émancipation

des

n è g r e s , en 1 8 4 8 , fut de faire naître,à côté de la question du travail, le problème de l'introduction

et de

l'acclimatation dans nos colonies intertropicales, d'une race pouvant supporter une certaine s o m m e de travail sous la zone torride. Aussitôt affranchis,

les

noirs s'abandonnèrent

à

leur indolence naturelle ; vivant presque de rien, dans un pays où les besoins sont bien moins grands E u r o p e , ils se refusèrent à tout labeur et ne tirent à louer leurs bras

que quand

qu'en consen-

leur amour

du

rhum et des mille riens, pour eux si pleins

d'attrait,

l'emportait sur leur paresse. Les colons ne

pouvaient

faire fonds

sur un concours

aussi peu régulier ; il

fallut chercher des travailleurs en dehors de la colonie. On songea d o n c à importer des hommes libres,

mais

en les liant par un engagement qui donnât sur eux, à ceux qui les emploieraient, un pouvoir et une autorité que ne possède pas en

général le propriétaire o c c u -

pant des ouvriers libres dans toute l'acception du m o t .


LA

227

GUYANE.

Tout d ' a b o r d , o n écartal'idée de recruter les coolies sur le continent africain ; on n'eût

pas manqué de

voir dans ces engagements une traite déguisée. Les possessions européennes baignées par le P a cifique s'adressèrent à la Chine ; les rives de l'Atlantique

eurent

recours

aux agents d'émigration

de

l'Inde ; on essaya du coolie h i n d o u . Cette race a-t-elle donné, au moins à la G u y a n e , les résultats qu'on en attendait? A - t - e l l e pu, c o m m e prix d'engagement et c o m m e travail fourni, remplacer les nègres importés d'Afrique ? N o u s ne le c r o y o n s pas. Recrutés dans de mauvaises conditions, s'acclimatent mal, et la mortalité leurs rangs.

les H i n d o u s

est grande

C o m m e travailleurs, ils sont

dans

inférieurs

aux gens de race noire. Les premiers coolies hindous, au n o m b r e de sept cent quatre-vingt-six,

furent amenés à la Guyane le 9 j u i n

1856 par le Sigisbert

César.

Depuis cette époque j u s -

qu'au 1 janvier 1 8 7 8 , dix-neuf autres convois succese r

sifs transportèrent dans la colonie huit taille quatre cent soixante-onze

e n g a g é s . Six cent soixante-quinze

eux ont été rapatriés durant

d'entre

cette période de v i n g t -

deux ans. A la même d a t e ( 1 janvier 1 8 7 8 ) , les d o c u e r

ments officiels

constatent à la

G u y a n e la présence

de quatre mille deux cent vingt-trois autres, soit quatre

mille

cinq

cent

coolies

(1) ;

vingt-deux,

les sont

morts. Ce chiffre

énorme de décès —

près de 5 0 °/o —

prouverait d o n c , q u e , pas plus que les cette

Européens,

race n'est apte à supporter les travaux p é -

nibles sous le climat de notre colonie. Ainsi que nous (1) Dans le recensement de 1881 .ils ne figurent plus que pour 2.894.


228

NOS GRANDES

COLONIES.

le disions plus haut, c'est au mode de

recrutement

des coolies qu'il faut surtout s'en prendre des résultats obtenus. E t d'abord, dans quel milieu les agences d ' é m i g r a tion des Indes vont-elles chercher les hommes qu'elles envoient dans nos colonies? C'est dans les bas-fonds de la société, dans la classe la plus misérable, partant la moins robuste, que

l'on

recrute les coolies qu'on nous e n v o i e ,

l'a-

«

depuis

vocat sans cause, le professeur sans cours, jusqu'à la mendiante de naissance ; il en résulte que les fatigues et les fièvres en ont facilement raison (1) » . B e a u c o u p de ces malheureux, vivant dans leur patrie au

sein

d'une misère profonde, arrivent en Guyane malades, et tellement affaiblis que, dès les premiers j o u r s qui suivent le débarquement, ils succombent aux suites du v o y a g e . Quelques-uns sont l'exacte reproduction de ces squelettes ambulants qu'on voit aux Indes, spectres v i vants de l'éternelle famine qui désole cette vaste contrée. Déclassés ou misérables

se laissent

promesses éblouissantes que font

tenter par les

miroiter

à

leurs

y e u x des racoleurs peu scrupuleux : nourriture a b o n dante, vie facile, travail lucratif et m o d é r é ; les voilà séduits, on les embarque. A peine arrivés, on les dirige sur les

habitations

pour la culture, ou de préférence dans les

exploita-

tions aurifères. A l o r s c o m m e n c e n t les déceptions. Se voyant trompés et pris dans un piège abominable, la plupart se laissent aller à un découragement facile à comprendre. (1) X . Les coolies de la Guyane (Revue 1877).

scientifique,21

juillet


LA

Quelques-uns, prenant leur qu'ils ne peuvent éviter,

229

GUYANE.

parti d'une situation

se mettent

bravement au

travail ; ceux-là résistent assez bien et fournissent un contingent minime à

l'hôpital

et à la m o r t . B e a u -

coup voient dans le suicide la seule porte de salut qui leur reste ouverte ; c o m m e ces hommes ont un s o u v e rain mépris de la vie et de la douleur,

ils emploient

pour se tuer les moyens les plus étonnants : quelquesuns, par exemple, ont le c o u r a g e de s'étrangler

avec

une cravate ou une ceinture fixée près de terre, au lieu de se pendre suivant l'antique

formule,

« haut

et court » . D'autres, pour se

soustraire au j o u g qui leur est

imposé, volent des vivres et se sauvent dans les b o i s ; au bout de quelques j o u r s , la faim les presse, ils sont obligés de rentrer à la colonie. P o u r éviter le travail, il en est qui se servent des expédients les plus et les plus

invraisemblables. Les

atroces

uns, et c'est

le

plus grand n o m b r e , se font une écorchure sur l a q e l l e ils appliquent pendant plusieurs heures un sou trempé dans l'eau salée ; avec un morceau de bois, ils excitent le mal et au besoin, la nuit, dans les bois,

exposent

leur plaie au contact d'une bête venimeuse.

D'autres

enfin se rendent aveugles en introduisant sous leurs paupières

une composition

la chaux entre

en

grande quantité. B o n nombre de ces malheureux

n'ont pas besoin

d'attenter à leur v i e ; un peu de patience leur suffit: la fièvre ne tarde pas à s'emparer de ces natures apathiques ; mal surveillés, ils boivent outre mesure pour étancher leur soif ; la dyssenterie se déclare, et ils ne tardent pas à s u c c o m b e r . Voilà pour les hommes. Les femmes se trouvent dans des conditions meil-


230

NOS GRANDES COLONIES.

leures pour traverser la période

d'acclimatement. En

effet, pour les H i n d o u s , il n ' y a pas de mariage indissoluble, mais une sorte d'association

que chacun des

conjoints peut rompre à son g r é . Profitant situation, les femmes

de cette

s'empressent , dès leur arrivée

dans la colonie, de s'unir avec des coolies

immigrés

depuis l o n g t e m p s , et par conséquent m i e u x installés, plus aisés. Si au contraire, subissant une autre forme de mariage, ces Hindoues ont été achetées, elles peuvent être revendues, et les anciens coolies, plus riches que les autres, sont à peu près les seuls acquéreurs. D e toute façon, la situation physique des femmes est meilleure que celle des h o m m e s . Chez les enfants, la mortalité est effrayante, ils p é rissent presque tous ; on doit c o m p t e r , il est vrai, avec l'infanticide, qui est chez les Hindous une pratique t o lérée. E t maintenant, les coolies hindous rendent-ils les services que l'on serait en droit d'en attendre?

Non;

si dans les mines ils compensent par leur adresse eur intelligence la force

et

qui leur fait défaut, — ils

sont beaucoup moins robustes que les noirs, — en r e vanche, dans le c o m m e r c e , l ' i n d u s t r i e et l'agriculture, ils sont fort c o û t e u x ; leur

emploi ,

onéreux sans

compensation, est une des principales causes

du peu

de succès de nos entreprises agricoles aux environs de Cayenne. Quelle

conclusion tirer de ce qui précède ?

Selon

n o u s , la voici : Puisqu'il est établi que

les seuls

avec un salaire raisonnable, fournir

noirs un

peuvent,

travail suffi-

sant, et que l'on ne peut compter sur le concours r é g u -


LA- GUYANE.

231

lier des nègres de la colonie, il faut tenter d'attirer sur les habitations quelques-unes des tribus noires dont nous avons parlé, et suivre l'exemple donné par deux ou trois exploitations forestières récemment installées, qui n'emploient que des B o n i s , des Bosch et des G a libis.


232

NOS GRANDES

COLONIES.

CHAPITRE

VII

Les Aborigènes. — Races disparues. — Le dernier des Aramichaux. — Galibis. — Oyacoulets. — Oyampis. — Emérillons. — Roucouyennes.

Les diverses tribus qui composent les Indiens originaires de la G u y a n e étaient autrefois beaucoup plus nombreuses qu'aujourd'hui. Nous trouvons sur les cartes anciennes des noms de peuples,et dans les récits des voyageurs du X V I I XVIII

e

siècle, des détails

sur des nations

e

et du

complète-

ment disparues: tels sont les A c o q u a s , rencontrés au confluent du Camopi et de l ' O y a p o c k par les

Pères

Grillet et Béchamel. D'autres tribus sont sur le point de s'éteindre : les Emérillons ne sont plus représentés que par une cinquantaine

d'individus : les A r a m i -

chaux, assez n o m b r e u x autrefois sur les bords de l ' A raoua pour lutter contre les R o u c o u y e n n e s , tent plus.

Cependant, le

D J. r

Crevaux

dernier survivant do cette tribu qui

n'exis-

parle

du

a quitté le pays

de ses aïeux, disparus, pour venir demander l'hospitalité aux Galibis du bas Maroni. Toutes ces peuplades ont une origine elles ne sont

certainement

que les

commune ;

membres

épars

d'une grande famille q u i , à une époque éloignée, h a bitait et la G u y a n e et le bassin de l ' A m a z o n e . Quelques-unes d'entre elles, c o m m e les Oyampis et les R o u couyennes, sont disséminées

sur un immense

toire, occupant des points fort éloignés les

terri-

uns des


LA

233

GUYANE.

autres : les O y a m p i s , dont on rencontre quelques r e présentants sur le bas O y a p o c k , se retrouvent aux monts T u m u c - H u m a c et sur

le territoire

contesté,

près de la rivière C o n a n y . Les R o u c o u y e n n e s sont répandus dans la partie méridionale de la G u y a n e française, et beaucoup plus au sud, dans le Brésil, entre le Y a r y et le P a r o u . Cette nation doit être la race-mère des Indiens de la G u y a n e , car on

retrouve,

modifiées

dans toutes les tribus

il est

vrai,

les traditions

de ce peuple qui a donné son nom à notre colonie( L e véritable Ouyanas, qu'à

n o m des R o u c o u y e n n e s

est en effet

et ils ne doivent leur appellation moderne

leur

habitude de se peindre avec du r o u c o u . )

La similitude des caractères physiques n'est pas moins frappante. Les Indiens de la G u y a n e sont de taille peu élevée ; si quelques voyageurs les ont dépeints c o m m e des h o m m e s de haute stature, il faut attribuer

cette

erreur au développement extraordinaire de leur buste, supporté Leur

par des jambes grêles et un peu arquées.

teint

est

comparable à celui

d'un

Européen

bronzé par le soleil ou le hâle ; quand ils naissent, les enfants ont la peau presque blanche. L a tête, v o l u mineuse, est bien proportionnée au buste un peu fort ; les pieds sont courts, larges et plats ; l'orteil, tourné en dedans,est très écarté des autres doigts, qui au contraire regardent en dehors. Les mains sont remarquables : les muscles du pouce sont excessivement développés, le poignet est très fort, et cependant les doigts

ne

sont pas plus longs que ceux d'un enfant. La c h e v e lure est noire ; moins souple que celle des E u r o p é e n s , elle n'est cependant pas crépue c o m m e celle des races nègres ; hommes et femmes portent les cheveux longs, flottant sur les épaules et coupés carrément

sur le


234

NOS GRANDES

COLONIES.

front. Ils n'ont que peu ou point de barbe et ils l'arrachent soigneusement. Tel est l'ensemble de la physionomie des naturels de la G u y a n e . Il est bien certain que chez ceux qui habitent le littoral, ces signes distinctifs de la race se sont modifiés par suite des croisements, et aussi sous l'influence des vices qu'ils ont pris des E u r o p é e n s , l'ivrognerie en particulier. D o u x , affable, hospitalier, l'Indien des grands bois a conservé les qualités propres

aux

enfants de la

nature ; sobre dans ses paroles c o m m e dans ses plaisirs, il se rapproche davantage de la civilisation par son intelligence, que le noir élevé chez les blancs ou qui a vécu parmi eux ; c'est sans

doute l'esclavage,

avec son cortège de souffrances morales et physiques, qui a profondément altéré les qualités naturelles d e c e dernier. Les explorateurs, en effet, constatent plus d'intelligence

et de

dignité

morale chez les noirs

vivant à l'état libre dans leur patrie, que chez

leurs

compatriotes transportés par la traite. Tous ces Indiens ont la même religion : ils r e c o n naissent deux principes, celui du bien, celui

du mal.

A u premier ils ne rendent pas de culte : son rôle u n i que étant de les protéger, ils n'ont pas à le prier, et ne lui accordent aucune reconnaissance pour le bien qu'il leur fait. A l'esprit du mal, au contraire, adressent leurs supplications pour éviter les dont il peut les accabler, ou pour

faire cesser

ils

maux ceux

qu'il leur inflige. A en j u g e r

par le respect

qu'ils

témoignent à leurs m o r t s , on

peut supposer

qu'ils

croient à une autre vie ; ils ne s'expliquent pas à ce sujet, et, c o m m e ils n'ont ni annales, ni doctrines, ni traditions, on en est réduit à de simples conjectures.


LA

235

GUYANE.

O n c o m p r e n d qu'avec de semblables c r o y a n c e s , la superstition joue

chez eux un g r a n d rôle ; tous les

accidents, tous les phénomènes physiques que

leur

ignorance ne leur permet pas d'expliquer, sont l'œuvre de l'esprit du mal. P o u r leur nuire, ce mauvais génie prend différentes formes, celle d'un animal féroce, par exemple ; quelquefois au contraire, invisible aux y e u x de tous, il réside dans les endroits d a n g e r e u x , et, là, guette ses victimes au passage. Les rapides les plus périlleux

sont hantés par le mauvais esprit, —

une

sorte de diable. — Les Indiens essaient de se le rendre propice par une offrande, avant d'engager leurs p i r o gues dans les eaux tumultueuses. Souvent l'Indien a recours à l'intervention du

piaye,

sorcier ou féticheur, — qui joint à ses fonctions

de

médecin celles beaucoup plus importantes de c o n j u rateur du mauvais esprit et d'exorciste pour c e u x qui sont piayés, c'est-à-dire victimes d'un sortilège. Aussi, le piaye est dans la tribu l'objet d'une vénération p r o fonde, qu'augmentent encore les rudes épreuves lesquelles le candidat

piaye doit

par

passer pendant les

longues années que dure son noviciat. N o u s en

ver-

rons quelques-unes au cours de ce chapitre. Nous allons maintenant décrire les coutumes p a r ticulières à chacune de ces tribus. Nous

commence-

rons par les R o u c o u y e n n e s . Ainsi que nous l'avons vu plus

haut,

le

n o m de

Houcouyennes vient de la teinture de r o u c o u dont ces Indiens se couvrent des pieds à la tète. Ils mélangent le fruit de cette plante à une huile qui lui donne une grande

fixité.

Ils

obtiennent cette huile en faisant

bouillir les amandes capara (famille

produites par un arbre

des méliacées). C'est un

nommé des

plus


236

NOS GRANDES COLONIES.

grands arbres de la G u y a n e ; son tronc atteint de v i n g t à trente mètres de hauteur sur un mètre cinquante de diamètre ; son écorce est

épaisse et grisâtre.

Le

fruit est une capsule qui s'ouvre en quatre valves ; il est rempli d'amandes serrées, irrégulières, anguleuses et polygonales, blanches à l'intérieur, de consistance ferme et solide. Les Indiens font bouillir ces amandes dans l'eau, puis les mettent en tas pendant quelques jours ; ils les dépouillent ensuite de

leur pulpe, les

écrasent sur des pierres et en font une

pâte qu'ils

rangent sur les faces d'une dalle creusée en gouttière, un peu inclinée et exposée à l'ardeur du soleil. C'est à sa vertu particulière que les Indiens

attribuent de

pouvoir se préserver de la piqûre des chiques et

des

insectes. Les jours de fêtes, et pour les cérémonies, ils ajoutent à la peinture rouge une série d'arabesques noires d'un dessin fort original ; ils obtiennent cette couleur au m o y e n du genipa.

Ils attachent à ces ornementa-

tions une importance toute particulière, et ne m a n quent pas, quand ils v o y a g e n t , d'emporter dients nécessaires

les i n g r é -

à leur confection dans de

petites

calebasses. N o u s avons dit que tous les Indiens de la G u y a n e , en général, s'épilent soigneusement ; ajoutons que les R o u c o u y e n n e s s'arrachent les cils, afin,disent-ils, « de mieux voir » . La nourriture principale consiste en poisson, o u en gibier

bouilli avec

remplace ont un

force

piments.

le sel dans la cuisine

Ce

des

appétit énorme et absorbent

condiment

Indiens. des

Ils

quantités

incroyables de nourriture. Les hommes prennent leurs repas en c o m m u n , servis par les femmes, qui se reti-


LA

237

GUYANE.

rent ensuite dans leurs cases

pour manger

tour ; elles sont rejointes par leurs souvent c e u x - c i est étonnant

se remettent

que,

époux,

à leur et bien

à table avec elles.

Il

malgré la quantité de nourriture

épicée qu'ils absorbent, ces Indiens ne boivent jamais en mangeant. L e s poules etleurs œufs inspirent aux R o u c o u y e n n e s une certaine aversion ; ils s'abstiennent

d'en faire

usage, parce qu'ils leur attribuent des propriétés q u i , si elles existaient, amèneraient rapidement l'extinction de leur race. Cette c r o y a n c e est aussi très répandue chez les O y a m p i s . Les femmes sont chargées de tous les travaux du ménage ; elles ont

nécessairement

la cuisine dans

leurs attributions. Les aliments sont cuits dans vases de terre, sur un feu Pour

allumé

devant le

des

carbet.

empêcher le liquide de s'enfuir au m o m e n t de

l'ébullition, ces cuisinières primitives ont un procédé assez original : quand le liquide b o u t , elles emplissent leurs bouches d'eau froide qu'elles crachent

dans le

vase aussitôt que le bouillon menace de d é b o r d e r . Les R o u c o u y e n n e s sont grands amateurs de danse, et la moindre fête est prétexte à leur plaisir favori. P o u r la circonstance, ils se revêtent d'ornements

bi-

zarres : couverts de plumes, de colliers et de ceintures en poil de conata, ils s'affublent d'immenses perruques faites avec des lanières d'écorce. L e u r corps

dispa-

raît sons un vaste manteau composé de longues bandes d'écorces très minces, qui flottent autour d'eux c o m m e celles de leur chevelure postiche ; ces lanières sont teintes en noir ; ils obtiennent

cette

couleur

au m o y e n d'eau ferrugineuse qu'ils laissent croupir. Les jambes sont agrémentées de jarretières garnies


238

NOS GRANDES COLONIES.

de graines qui, en s'entre-choquant, imitent le bruit des castagnettes. A i n s i vêtus, les hommes

dansent

toute la nuit sans interruption

complet

et jusqu'à

épuisement. L e mariage n'est pas, chez les Indiens, l'objet d'une

Colliers.

cérémonie spéciale. Ils choisissent rarement une femme dans leur tribu, ils vont la demander à quelque v i l lage voisin. L ' h o m m e qui veut s'unir à une jeune fille doit abandonner sa tribu

pour

aller s'établir

dans

celle de sa femme ; il devient un de ses m e m b r e s , et désormais ne la quittera plus. Aussitôt qu'une femme est devenue m è r e , on fait sous son hamac des fumigations au m o y e n

d'herbes

odoriférantes ; on jette de l'eau froide sur de grandes


2'àd

LA GUYANE.

pierres chauffées

au feu : la vapeur qui s'en

transforme bientôt le

carbet en une

sorte

dégage d'étuve.

Cette prescription accomplie, la mère se lève et reprend les travaux journaliers, tandis

que l ' h o m m e la rem-

place dans le hamac : il doit rester couché

pendant

plusieurs jours ; le piaye le visite et le soumet à régime qui, généralement,

un

consiste à s'abstenir de

Ornement de pied.

viande et de poisson, sous peine de graves c o m p l i c a tions pour lui et d'accidents pour son enfant.

Cette

coutume n'est pas spéciale aux R o u c o u y e n n e s , elle est pratiquée par tous les Indiens de la

Guyane

et

bon nombre de tribus américaines, « Si moine on en croit le témoignage de Strahon,

dit M . Gaffarel,

Corses de son temps ne manquaient pas de s'y

les con-

former, et m ê m e , pendant tout le M o y e n - A g e , sur les deux versants des

P y r é n é e s , les Basques

gardaient

également le lit. C'est ce q u ' o n appelle encore

dans

tout le pays faire la rouvade ( 1 ) . » A r r i v é s à l'âge de douze ou treize ans, les enfants subissent une épreuve qui leur vaut, quand ils en sortent vainqueurs, c o m m e un brevet de virilité. Il en (1) P. Gaffarel,Colonies françaises,

p. 162.


240

NOS GRANDES COLONIES.

est de même des jeunes hommes femme

et des

piayes pendant

à la veille leur

de

prendre

noviciat.

Ces

épreuves,quoique moins dures que celles imposées dans certaines tribus de l ' A m é r i q u e du N o r d , leur ressemblent néanmoins ; si elles sont moins atroces, on peut

Jarretières.

affirmer

que les R o u c o u y e n n e s , si jeunes

soient-ils,

supportent la douleur avec le m ê m e stoïcisme

qu'un

Sioux ou un Pieds-Noirs (1). Le

supplice des Guyanais consiste à exposer tout

( 1 ) Les Indiens Mandaws. tribu habitant la rive gauche du Missouri à 600 lieues de Saint-Louis, et quelques autres nations du Far-West, imposent aux jeunes hommes un supplice épouvan-


LA GUYANE.

241

le c o r p s du patient aux piqûres de guêpes et de f o u r mis ; or, on sait quelle

douleur cause

le contact

de

ces d e u x insectes. Quand un R o u c o u y e n n e meurt, on dresse aussitôt

Coiffure de Roucouyenne.

un bûcher au centre du v i l l a g e ; le c a d a v r e , c o u v e r t de ses plus beaux o r n e m e n t s , p l u m e s , ceintures,

colliers

table. On pratique, sur les épaules ou sur la poitrine du patient, des incisions sous-cutanées ; on passe dans les plaies un petit bâtonnet ; une corde y est attachée, et la victime est enlevée de terre à une hauteur de 4 ou 5 pieds. Afin d'augmenter la d o u leur, on suspend à d'autres chevilles traversant les bras et les jambes les armes du guerrier, et quelquefois même une tète de bison ; puis le tortionnaire imprime au pendu un mouvement de rotation aussi rapide que possible. Cela dure 15 à 20 minutes. Quand les victimes sont dépendues . on les débarrasse des charges des épaules, puis deux hommes, les saisissant par les bras, les entraînent dans une course vertigineuse jusqu'à ce que tous les objets fixés à leurs blessures soient arrachés violemment. Ces jeunes Indiens supportent ces tortures sans pousser une plainte, sans faire entendre un gémissement, et l'on n'a que fort peu d'exemples qu'un homme soit mort des suites de ce supplice. NOS

GRANDES

COLONIES.


242

NOS GRANDES

COLONIES.

et bracelets, est attache à un poteau élevé au milieu du b û c h e r ; on place à côté de lui sa flûte, faite d'un tibia de biche. P e n d a n t que toute la tribu assiste à l'incinération du défunt, sa femme brûle tout ce qui lui a appartenu. Quand le corps est entièrement consumé, ses cendres,

Ornement de ceinture.

recueillies dans un vase, sont portées au carbet de la v e u v e ; elles y séjournent

un a n , puis on les enterre.

Aussitôt la cérémonie terminée, les hommes nettoient avec un soin tout particulier remplacement où s'élevait le bûcher, et jusqu'aux coins les plus reculés du village. D e toutes les tribus

indiennes de la G u y a n e , les

Roucouyennes sont les seuls qui brûlent les cadavres, et encore font-ils exception pour les piayes, qui sont inhumés ornés d u n e profusion de plumes. Les Oyampis enterrent leurs

morts dans un trou

fort profond, mais large d'un mètre seulement; le d é funt est placé verticalement dans la fosse, les membres repliés. Quelquefois , ils dans les bois, où

ils

les

transportent laissent

se

les

cadavres

décomposer ;


LA

243

GUYANE.

ils recueillent ensuite les os dans un pot d'argile et les ensevelissent. Les Galibis enterrent aussi leurs morts, mais ils les conservent

une semaine avant de leur donner la

sépulture. L e corps, étendu dans son hamac, est placé

Coiffure d e Roucouyenne. au-dessus d'un vase destiné à recevoir le liquide qui en découle, et (nous demandons pardon à nos lecteurs de l'horreur du détail) une des épreuves imposées aux élèves piayes consiste à boire une

macération de t a -

bac et de quinquina mélangée avec le liquide sanieux recueilli dans ces vases funéraires. Physiquement,

les

Galibis

se

distinguent

des

autres Indiens par une constitution plus chétive, un aspect moins

robuste et un air plus efféminé; leur


244

NOS GRANDES COLONIES.

état sanitaire n'est pas satisfaisant, et l'on voit de j o u r en j o u r leur race s'étioler et s'éteindre, à cause peutêtre de leur amour immodéré pour l'alcool. Ils vivent dans une indolence et une paresse incroyables, partalongs

repos,

étendus dans leurs hamacs où. ils se balancent

geant leur temps entre la pêche et les

molle-

ment. Leur seule industrie consiste dans la fabrication de

Poteries indigènes.

vases en terre assez originaux ; ce sont qui confectionnent ces poteries,

les femmes

à la main

et d'une

seule p i è c e ; elles emploient l'argile, abondamment r é pandue sur les berges des fleuves, heurs ou alkarasas ne

gargoulettes

conservent pas le liquide frais, parce

que, déjà insuffisamment poreuses elles sont, en outre, enduites Les

d'un

vernis qui

empêche

femmes oyampis font aussi

l'évaporation.

de ces

poteries ,

mais elles ont soin d'ajouter de la cendre de couepi l'argile qu'elles emploient, ce qui donne

une

à

grande

porosité à la terre. Des jarretières serrées

au-dessus de la cheville et


LA

245

GUYANE.

au jarret constituent le principal luxe des femmes g a libis ; leurs jambes sont complètement cet ornement.

Nous

retrouvons

déformées par

la m ê m e

coutume

chez les E m é r i l l o n s ; mais, dans cette tribu, la j a r r e tière est l'apanage exclusif de l ' h o m m e . Les Indiennes galibis se perforent la

lèvre

infé-

rieure; elles y introduisent une longue épingle qui leur sert à extraire les chiques des pieds de leur seigneur et maître. A part les quelques différences que nous venons de signaler, toutes ces nations se ressemblent au

phy-

sique, et ont à peu près les mêmes usages ; il en est de m ê m e pour le langage,

tout au moins

pour c e u x

vivant loin de nos établissements. C'est ici le cas de signaler la similitude de certains mots français et indiens. On ne peut supposer

qu'ils

nous ont emprunté l'appellation de divers objets d'un usage constant chez e u x , de fruits qui

poussent sur

leurs territoires ou d'animaux qui habitent leurs f o rêts et qu'ils désignaient ainsi avant d'avoir

été

en

rapport avec nous. C'est bien plutôt nous qui avons pris ces mots à leur l a n g u e . Citons, par exemple : caïman, pirogue,

tapir,qui

des appellations indiennes ; ananas, que les yennes n o m m e n t nana.

sont

Roucou-

a la m ê m e

signifi-

cation qu'en français ; c'est des naturels de

l'Amé-

Hamac

rique du Sud que nous vient l'objet : il est tout simple que nous leur ayons aussi emprunté le n o m qui sert à le désigner. M.

Littré, dans son dictionnaire, donne

cependant au mot hamac r e n t e : l'illustre

une é t y m o l o g i e bien diffé-

savant le fait dériver de deux

mots

allemands : hangen, p e n d r e , s u s p e n d r e , et matte, natte. Tels sont, en résumé, les

renseignements que l'on 7***


246

NOS GRANDES

COLONIES.

possède sur les Indiens qui habitent notre c o l o n i e ; ils n'ont été visites que par un petit n o m b r e

de

voya-

g e u r s ; ils évitent autant que possible d'entrer en r a p port avec nous, et restent par conséquent peu connus


LA GUYANE.

CHAPITRE

247

VIII.

Culture. — Commerce. — Sous marqués. — L a propriété foncière. — Industrie.

Sur les seize mille lieues carrées qui forment l'étendue de la G u y a n e française, six mille hectares à peine sont en culture, et e n c o r e , chaque année, o n constate une diminution dans l'importance des exploitations agricoles. On peut diviser les produits de la colonie en deux catégories : La culture que nous appellerons d'exploitation : canne à sucre, coton, r o u c o u , café, girofle ; et la culture vivrière, destinée à l'alimentation des habitants: riz, manioc, ignames, patates. Citons encore les a n a nas, o r a n g e s , citrons, mangues, abricots, barbadines, sapotilles, avocats, c o n c o m b r e s , pommes cannelle, bananes, g o y a v e s , choux maripa, e t c . , qui croissent presque sans culture. L'exploitation de la canne à sucre, qui remonte aux débuts de la c o l o n i e , est celle qui a eu le plus à souffrir de l'abolition de l'esclavage. Chaque année amène une nouvelle décroissance dans les chiffres de production, et il est à craindre que ce riche produit ne finisse par être complètement abandonné. O n ne peut en effet espérer un regain de prospérité tant que l ' i m migration n'aura pas fourni les bras nécessaires à sa culture. Le café fut importé à la Guyane en 1721. C'est un lieutenant de vaisseau, M. de la M o t t e - A i g r o n , qui


248

NOS GRANDES COLONIES.

introduisit la précieuse plante dans la colonie. Le café était déjà récolté en abondance dans la Guyane hollandaise. Afin de conserver le monopole de cette culture, nos voisins avaient décrété la peine de mort contre quiconque livrerait des grains de café avant de les avoir passés aufeu p o u r détruire le g e r m e de reproduction. M . de la M o t t e - A i g r o n s e rendit à Surinam, s'aboucha avec un Français nommé M o u r g u e s , et lui promit une bonne récompense et le pardon de certains délits qui l'avaient fait chasser de Cayenne, s'il voulait l'aider dans son entreprise. A force de ruse et d'adresse, nos deux compatriotes réussirent à se procurer une livre de café en cosse. Ils furent assez heureux pour dérober leur larcin

aux

investigations des gens de police qui visitaient soigneusement les bagages des v o y a g e u r s , et purent

quitter

Surinam sans être inquiétés. Depuis lors, cette culture a été l'objet des soins tout particuliers des colons. Le café récolté sur la m o n t a gne d ' A r g e n t , à l'embouchure de l ' O y a p o c k , est d'une excellente qualité. L'étendue des terrains consacrés aux plantations de café a souvent varie ; aujourd'hui, ils sont moins c o n sidérables que jamais, et cependant, le dernier

chiffre

de production connu indique une certaine a u g m e n t a tion. E n 1 8 3 5 , on récoltait 4 6 . 4 0 0 kilog. de café ; e n 1 8 7 5 , 4 4 0 hectares plantés en café ne produisaient que 3 8 . 6 0 0 kilog ; en 1871», 535 hectares ne donnaient que 2 5 . 9 3 0 k i l o g . , et en 1 8 8 0 , s u r 4 0 0 hectares seulement on recueillait 7 7 . 3 3 1 k i l o g . C o m m e on le voit, c'est un progrès ; néanmoins on a importé à la Guyane pendant

ces

dernières

années,

4 2 . 0 0 0 fr. de café par an.

en m o y e n n e , pour


LA

249

GUYANE.

Le coton croît parfaitement en G u y a n e ; les plaines voisines de la m e r ,

imprégnées de senteurs salines,

sont des plus favorables à cette plante ; le coton

de

Guyane a eu son heure de renommée sur les marchés européens. O n en récolte environ 1.700 k i l o g . par an. Le cacao donnait autrefois de beaux résultats ; la production est

en décroissance et

ne dépasse pas,

année m o y e n n e , 4 8 . 0 0 0 k i l o g . Le girofle

ne compte plus que c o m m e

du passé ; il faut s'attendre à le voir

un vestige

complètement

disparaître d'ici peu. L'exploitation du girofle et du poivre a été une des branches les plus lucratives du c o m m e r c e colonial. E n 1 7 8 1 , une corvette arrivant de l ' I l e - d e - F r a n c e apportait quatre plants de giroflier que M . P o i v r e expédiait à

Cayenne

par

les soins

de

M. Allemand, commissaire ; celui-ci les avait enlevés aux Moluques. Ces quatre plants furent concédés à des propriétaires

(1).

Plus

tard,

le g o u v e r n e m e n t

réserva le monopole des épices ; ce

privilège

peu, et la culture de ces produits retomba

se

dura

bientôt

dans le domaine public. L e roucou est la graine d'où on tire

une couleur

rouge employée dans la teinture. Elle a été exploitée dès les débuts de la colonie. E n 1 8 3 5 , cette substance donnait 2 8 0 . 0 0 0 En 1 8 7 5 , on atteignait le chiffre de 5 6 7 . 0 0 0

kilog. kilog.

E n 1 8 7 9 , sur 896 hectares de terres plantées de roucou, on ne recueillait plus que 2 6 8 . 0 0 0 kil. E n 1 8 8 0 , 367 hectares seulement étaient consacrés à ce produit fournissant 1 1 2 . 0 0 0 kil. Il ne faudrait pas s'étonner outre mesure de (1) MM. d e Macaye, Boutin, Noyer et Denneville.

cette


250

NOS GRANDES COLONIES.

diminution ; elle est due a u x alternatives de hausse et de baisse considérables que subit le r o u c o u sur les marchés d ' E u r o p e .

Ces brusques variations

forcent

les colons à n é g l i g e r cette industrie, sauf à la reprendre quand

le m o m e n t paraît

propice ; la plupart

des

plantations subsistent toujours, surtout chez les grands propriétaires, et il suffirait, le cas échéant, d'un peu d'entretien pour leur rendre leur ancienne prospérité. La diminution que nous signalons sur les produits d'exploitation

est bien

plus grande

encore

sur la

culture vivrière. Tandis qu'en 1835 elle était évaluée à 1.400.000 f r . , en 1880 elle ne figure plus que pour 129.000 fr. Cette énorme différence est d'autant plus frappante qu'elle porte sur les denrées destinées à la nourriture des habitants ; c e u x - c i

sont maintenant

forcés de demander à l'étranger les produits que ne leur donne plus le sol de la G u y a n e . C o m m e conséquence immédiate de l'abandon de l'agriculture, figure en première ligne la dépréciation de la propriété f o n c i è r e . E n 1870, pour ne remonter qu'à une période de quinze années, la valeur des terres employées

en

culture était de 2.053.871 » Celle

des

bâtiments

et

d'exploitation de

du

matériel

4.135.810 Ensemble

»

6.189.681

E n 1880, les terres sont estimées

à 900.000 fr. » et les bâtimentsenviron 2.000.000 » 2.900 000 Différence Près de 50 % ! Les hattes ou ménageries

3.289.681

affectées à l'élevage des


LA GUYANE.

251

troupeaux sont au n o m b r e de 2 9 3 seulement. chiffre

des

animaux

destines à

diminue au point que l'on

Le

l'alimentation

est obligé de faire

a

venir

des bœufs du Brésil pour la consommation de la c o l o nie

(1).

P a r contre,

signalons

un

accroissement

notable de bêtes de s o m m e , chevaux et mulets. La comparaison des chiffres que donner

amène

tout

nous

naturellement

à

venons

de

chercher

les

c a u s e s de l'abandon presque complet de l'agriculture dans la colonie. A notre avis, ces causes sont de deux sortes : d'abord le manque

de

travailleurs,

n'est pas nouvelle, et de tout temps les

celle-là

colons et les

hommes spéciaux l'ont signalée ; ensuite, la découverte de l'or. Dans le chapitre que nous avons consacré à l'étude des différentes races composant la population grante de la

Guyane,

nous

H i n d o u s , signalé le peu de services que les rendent

aux

établissements

immi-

avons, en parlant des agricoles ;

d'hommes pour les seconder clans

leurs

coolies

manquant

travaux, les

propriétaires ont d û restreindre l'importance de leurs exploitations,

quelques-uns

même

les ont

aban-

données. Lorsque Cayenne fut désigné c o m m e lieu de transportation, on espéra un

instant, en F r a n c e , que

condamnés libérés pourraient devenir soit des

les

aides

précieux pour les c o l o n s , soit eux-mêmes des cultivateurs. C e u x qui s'étaient leurrés d'un semblable espoir furent vite désabusés. La solution du problème était encore à trouver, lors(1) En 1880. on a importé en Guyane, sous pavillon français, pour 479. 370 fr. de bœufs, e t sous pavillon étranger pour 41.230 fr


252

NOS G R A N D E S

q u ' e n 1855 La nouvelle de

COLONIES.

la découverte

de riches

placera sur les bords de l'Approuague se répandit dans la colonie. Aussitôt, tout le monde se précipita à la recherche

de l'or ; n o n seulement les quelques t r a -

vailleurs restés fidèles à leurs maîtres

quittèrent

les

habitations pour s'engager dans les sociétés d ' e x p l o i tation, mais encore on vit les agriculteurs eux-mêmes les ter-

quitter leurs habitations pour aller prospecter

rains avoisinant les gisements. D e leur c ô t é , les p r o priétaires de mines engagèrent tous les bras libres, et tous les noirs

qui

voulurent bien

consentir à

tra-

vailler. L e premier m o m e n t de fièvre passé,

ceux

les c o l o n s , peu favorisés de la fortune, dont

d'entre les

re-

cherches avaient été vaines (le n o m b r e en était g r a n d ) revinrent à leurs cultures ; m a i s , bien plus qu'auparavant, ils eurent à souffrir du manque d'auxiliaires. Il est vrai que la découverte des placers amena dans la colonie un nouveau courant

de richesses. Si les

exploitations agricoles perdirent de leur si la propriété foncière

importance,

diminua singulièrement

de

valeur, le c o m m e r c e , en revanche, prit une certaine extension. V o i c i les

chiffres

d'importation

et

d'exportation

pour l'année 1 8 8 0 . L a G u y a n e a exporté en F r a n c e : 5 5 1 . 8 7 5 f r . d e marchandises, non compris l'or. Elle a importé de France : 5 . 2 6 4 . 2 7 3 fr. de marchandises. L a monnaie française a seule cours dans notre c o l o nie. L ' o r y est très rare, au point qu'il fait p r i m e , et que les habitants sont en quête d'or

monnayé.

La

table monnaie de circulation est la pièce de cinq

vérifrancs,


LA

253

GUYANE.

que l'on appelle grosso pièce. Outre la monnaie divisionnaire et le billon, il existe encore à la Guyane un sou qui lui est spécial ; o n le désigne sous le nom de sou marqué. C'es! une pièce de enivre plus petite que notre pièce de cinq centimes, et valant dix centimes. Sur une de Ses laces elle porte :

« Guyanne

çaise » ; sur l'autre, sont des ornements

fran-

entrelacés.

Ce sou n'a pas cours en France. Tous les sous m a r qués, actuellement en circulation à la G u y a n e , sont de fabrication ancienne ; la plupart sont effacés. Nous croyons que l'on n'en frappe plus. Deux industries importantes existent à la G u y a n e : celle des essences forestières et celle de l ' o r . E n 1873,1a première comptait neuf chantiers seulement, occupant 559 ouvriers ; aujourd'hui on

en

compte seize, employant environ 9 0 0 hommes. I l s ' e x porte annuellement 5 0 . 0 0 0 kilog. de bois d'ébénisterie et 5 . 0 0 0 k i l o g . de

bois de teinture. E n 1 8 3 5 ,

alors que les exploitations étaient nombreuses, la quantité de bois

beaucoup

exporté

moins

s'élevait à

202.000 kilog. pour le bois à ouvrer, et 2 5 . 0 0 0 k i l o g . pour le bois de charpente. L'exploitation des gisements aurifères a d o n n é , en 1 8 8 0 , (5.925.000 francs. Chacune de ces deux

industries mérite une étude

spéciale.

NOS G R A N D E S

COLONIES.

8


251

NOS GRANDES COLONIES.

CHAPITRE

IX.

Les essences forestières et leurs usages— Exploitation d'une forêt. — Les résines.

L'immense foret qui couvre le sol de

la

renferme les essences les plus variées. On

Guyane peut é v a -

luer à cinq ou six cents les différentes espèces d'arbres qui la

composent ; si toutes ne peuvent pas

être

utilisées, il y en a un grand nombre d'une valeur c o n sidérable, et leur exploitation bien dirigée

pourrait

donner de magnifiques résultats. Nous

diviserons en

trois classes

ou

catégories

les essences les plus connues au point de vue de leurs usages : 1° Les bois très durs, incorruptibles ; 2° Les bois d'une dureté

m o y e n n e , propres à

être

sciés en planchés ; 3° Les bois d'ébénisterie. Les essences de la première catégorie coup plus lourdes

et plus résistantes

sont

d ' E u r o p e ; leur tissu est très serré ; même on distingue difficilement

des pores.

beau-

qu'aucun L'aubier

presque aussi dur que le cœur ; c'est ce qui a n o m m e r l'un d'entre eux cœur-dehors.

bois

à la loupe

Beaucoup

est fait de

ces arbres sont imprégnés et c o m m e incrustés d'une matière gommo-résineuse

dont la nature

chimique

les rend incorruptibles. Les

principaux

arbres de cette

classe

sont : le

Wacapou (andira A u b l e t i i ) , un des plus appréciés de


255

LA GUYANE.

la G u y a n e ;

il se travaille bien et durcit

lissant ; ses fibres presque fendre assez

facilement.

en

vieil-

droites permettent On

le rencontre

dans l'intérieur, en approchant

de le surtout

d e s p r e m i e r s sauts ;

mais il est assez rare. Son tronc est entoure de côtes saillantes nommées arkabas et d'excavations ; c'est l e bois préfèré pour les charpentes.

On l'emploie

dans

l'ébénisterië. L e cour-dehors.

Ses

fibres

flexueuses

et croisées

le rendent d ' u n travail difficile ; les Hollandais le n o m ment

bruin-heart.

Le

préfontaine

et

le

bois

saint-marlin,

justement estimés, sont abondamment

rouges

imprégnés de

sève résineuse ; quand on entaille un de leurs jeunes rameaux, il découle de la blessure une liqueur r o u g e très a b o n d a n t e ; ce sont e u x , c r o y o n s - n o u s , que l'on a surnommés arbres qui saignent. Le balata est un des bois de charpente employés

en G u y a n e ; plus lourd

les plus

que le wacapou,

sans pour cela offrir plus de résistance, il est excellent pour les pièces mécaniques et pour les chevilles qui d o i v e n t offrir une grande solidité. A ces qualités joint celle de fournir une gutta-percha très l'ebène verte,

il

fine.

appelée c o m m u n é m e n t ébène soufrée,

à cause des petits corpuscules jaunes que l'on aperçoit quand le bois est fraîchement coupé, se compose de fibres longues, très fines et très serrées. Cet arbre de grande dimension

conviendrait parfaitement pour

les tables d'harmonie de piano. L e lois violet

( r e l t o g y n e venosa) est très c o m m u n

dans l'intérieur ; on peut l'utiliser pour la charpente ; il est relativement moins lourd que les bois d'une égale dureté.


256

NOS GRANDES

COLONIES.

L e wapa (eperna falcala), très c o m m u n , sert pour la confection des bardeaux, palissades et clôtures de jardins. L'angélique (dicorenia paraensis) atteint de g r a n des dimensions ; il croît c o m m u n é m e n t sur les plateaux de l'intérieur. On le travaille aisément, mais il est peu employé dans la colonie, parce que l'on prétend qu'il rouille les clous qu'on y enfonce. Son emploi donna d'excellents résultats dans les essais faits à Brest pour les constructions navales. L e Courbaril (hymensæa courbaril), d'où l'on extrait la résine animée ou copah est d'un brun

rougeâtre,

dont les teintes s'avivent à mesure que l'on

approche

du centre ; il devient foncé en vieillissant. On

pour-

rait employer le c œ u r dans l'ébénisterie, et l'arbre tout entier, grâce à ses branches qui forment à la cime des courbes de fort diamètre, rendraient de grands services pour l'établissement des couples de navires. L e bois pagaye l'usage, est

(swartzia), dont

le n o m indique

blanc, faiblement veiné, avec des côtes

plates, minces et saillantes (arcabas). Si nous ajoutons à bagasse,

le schawari,

le parcouri

cette

liste le rose

d'un travail facile, d'un

le bois de fer,

mâle,

le

très estimé pour ses courbes , grain

très f i n ,

le bois goyave, le canari macaque,

le fruit, sorte de c o u r g e , sert aux

indigènes à

dont

faire

des écopes pour vider le fond de leurs pirogues, le coupi et quelques-uns des bois dits rouge tisane, nous aurons cité les bois durs incorruptibles les plus connus à la G u y a n e , qui sont ou pourraient être employés dans la charpente, la menuiserie, les constructions

mari-

times, la mécanique, la gravure sur bois, etc. L a deuxième catégorie comprend les bois de

con-


257

LA GUYANE.

sistance m o y e n n e propres au sciage. Il s'en faut de beaucoup, cependant, qu'ils possèdent tous cette qualité à un même degré : les uns offrent une trop

grande

résistance, d'autres une texture inégale ; or ce q u ' o n demande aux bons bois de sciage, c'est une cohésion constante, l'absence de nœuds, de crevasses, et enfin une dureté m o y e n n e . Les arbres de la G u y a n e qui remplissent le m i e u x ces conditions sont le g r i g n o n ,

les

cèdres

et l ' a -

cajou. L e grignon

(bucida angustifolia) est un fort

grand

arbre au t r o n c g r o s et très droit ; sa couleur est rouge pâle, sa dureté à peu près égale à

celle du

chêne

d ' E u r o p e . Il est léger et dépourvu de résine. O n l ' e m ploie dans la colonie pour le revêtement extérieur des maisons et pour les travaux de menuiserie. L e grignon fou ou couaïc (qualea cserulea), quoique d'un bon usage, est inférieur au précédent. Il est fort commun. Les

se distinguent

cèdres

par une

consistance

m o y e n n e , mais égale et h o m o g è n e , l'absence de tissures, de crevasses et un faible retrait en Béchant. Ces bois sont le plus souvent odorants. L e cèdre jaune

et le

cèdre

noir

sont les

plus e s -

timés : très résistants, ils se travaillent bien

et se

conservent parfaitement. L e cèdre gris est plus mou. Le

cèdre

savane

et

le

cèdre

blanc ou

à

feuilles

d'argent sont des bois m o u - . Le

sassafras

ou

rose femelle,

le rose

mâle,

et

le

taoub, sont légers et de bonne conservation. L'acajou

(cedrela) ne ressemble pas à celui que

nous employons en France et que l'on tire des A n t i l l e s ;

il est très recherché

surtout

dans la colonie


258

NOS GRANDES

COLONIES.

pour la construction des coffres et des armoires ; le principe amer dont il est imprégné le préserve de l'atteinte des termites. L e carapa possède à peu près les mêmes propriétés. On lui reproche d'être sujet à se fendre quand on l'abat, surtout lorsque le pied est jeune et que l'arbre a pousse dans un terrain marécageux. Ses fruits donnent l'huile dont se servent les Indiens pour fixer leurs peintures. Parmi les bois de sciage, nous retrouvons quelquesuns des bois durs que nous avons déjà cités dans la première catégorie : le bagasse, le schawari, le c o u r baril, l ' a n g é l i q u e , le pacouri , le wapa. Ils sont moins employés que les autres, soit à cause de leur dureté, soit à cause de leur sève résineuse. Les bois d'ébénisterie sont les plus n o m b r e u x ; ils ont en outre cet avantage, qu'étant cotés en France à un prix élevé, ils peuvent plus facilement supporter les charges du fret ; leur exploitation se présente d o n c dans d'excellentes conditions. Aussi, depuis quelques années, s'en est-il exporté une notable quantité, et l'industrie forestière semble se porter plus spécialement sur e u x . Ceci constitue une faute de calcul de la part des chefs de chantiers. E n effet, ces essences ne croissent pas réunies, elles sont disséminées dans la forêt ; si d o n c on s'attache exclusivement à leur abatage, le travail que nécessite le halage des billes au milieu des bois insuffisamment éclaircis augmente la main-d'œuvre et le prix de revient. Les plus beaux bois d'ébénisterie d e la colonie sont : Le bois de lettre; quelques personnes font venir son nom des petites taches noires, plus ou moins semblables à des lettres, dont il est marqué; d'autres


LA

259

GUYANE.

prétendent q u e l'on s'en servait autrefois pour la fabrication des trois

caractères d'imprimerie.

sortes : le

moucheté,

le

Il y en a de

marbré et\e

Le

rouge.

premier est brun r o u g e , moucheté de noir ; dans

le

second, des nuances variées jouent le marbre ; le tro i sième, enfin, d'un

rouge clair, a d e s veines presque

noires, mais légères ; quand elles sont très accentuées, on le nomme rubané. Les différentes teintes que

nous

indiquons n'existent que dans le cœur de l'arbre, l'aubier est blanc. C'est un bois d'un travail difficile. L e satiné ou bois de Férôles

comporte deux espèces :

le r o u g e , uni et d'un beau ton ; et le rubané, qui est veiné et presque gris ; il se distingue par une sorte de miroitement.

Ces bois se

travaillent facilement

et

sont susceptibles de recevoir un très beau poli. L e boco, j a u n e , couleur buis ; le cœur est b r u n très foncé ; le

bois bagot

a l'aubier d'un blanc

éclatant,

au cœur du plus beau pourpre ; le bois violet, en

F r a n c e sous le n o m d'amarante,

connu

qui, jaune

gris

quand on vient de le travailler, prend aux rayons du soleil

une couleur violette très f r a n c h e ; le

moutou-

chy, veiné de violet pâle, de brun et de blanc ; le panacoco, noir, mais non aussi beau que

I'ébène,

offre

quelque analogie avec le palissandre, e t c . Les forêts de la Guyane possèdent, on le v o i t , une infinie variété d'essences; étudions leur exploitation. A u t r e f o i s , on se contentait d'abattre les arbres à la hache : une fois à terre, on les émondait, puis on les traînait jusqu'au

point

de flottage

ou

d'embarque-

ment. A u j o u r d ' h u i , grâce

aux

nombreuses

machines

récemment inventées, le travail présente moins de difficultés.

Les arbres désignés par le chef de chantier


260

NOS

GRANDES COLONIES.

sont coupés au pied à la hache ou à la

scie

Ramson,

mue par la v a p e u r ; en t o m b a n t , les grands arbres entraînent les petits dans leur chute ; ils sont

ébran-

chés à la hache et tronçonnés à la scie à vapeur billes de 4 à 15 mètres sur des

wagonnets,

de l o n g . Ces b i l l e s

à voie

ferrée

en

chargées

Decauville, sont

transportées au bord de l'eau et arrimées sur des chalands qui les conduisent à bord d e s navires. Trois causes rendent l'exploitation des forêts difficile et onéreuse : le recrutement de la main-d'œuvre, les époques d'abatage, enfin le transport des bois

de

l'abatis au lieu d'embarquement. Le

recrutement

du personnel d'une exploitation

forestière ne peut se l'aire au hasard: tous les hommes ne sont pas aptes à exercer le pénible métier de bûcheron dans l'atmosphère humide de la forêt, sous pluies continuelles ; les noirs et les Indiens

des

indigènes

sont seuls c a p a b l e s de faire d e s campagnes de travail dans les grands bois, de vivre sous

des carbets p r o -

visoires, et de se livrer au dur labeur de l'abatage et du halage. Les blancs ne

peuvent que surveiller

les

ouvriers : il leur est impossible de prendre à l'exploitation une part active. Les résultats obtenus, dans les chantiers du g o u v e r n e m e n t , avec des ouvriers fournis par les pénitenciers ( 1 ) , prouvent une fois de plus la nécessité d'employer le n è g r e africain ou ses descendants. O r , c o m m e

le nègre de la colonie refuse, en

général, de se livrer à un travail aussi pénible, les exploitants sont obligés de s'adresser aux Bosch

ou

(1) Le chantier créé à Sparvine a dû être abandonné au bout de peu de temps, à cause de la mortalité. Plus de 300 condamnes sont morts là. Ils sont enterrés dans le cimetière qui se trouve derrière la maison de M. Rey, à Sparvinc.


ForĂŞts d e la G u y a n e .

8*



LA

263

GUYANE.

aux Bonis, et ceux-ci ne sont pas toujours disposés à quitter leurs villages pour aller, quelquefois très loin, s'installer sur une exploitation. Il n'est pas indifférent de couper les arbres à moment ou

à tel autre : les abatages

se font

tel cinq

jours avant la nouvelle lune, et cinq j o u r s a p r è s ; en dehors de cette période, la sève est trop puissante, et les bois en g r u m e se fendraient vite, surtout aux rayons du soleil. C'est d o n c un travail de dix jours seulement par mois que les ouvriers bûcherons peuvent a c c o m p l i r . Reste la question de transport du lieu d'abatis au lieu d'embarquement. N o s lecteurs ont déjà vu q u ' à part les environs de Cayenne et les

communes

du

littoral, les différents points de la Guyane ne sont r e joints par aucune route ; il faut d o n c , pour les transports, avoir recours aux fleuves. O r , les rapides et les roches qui barrent le cours des rivières rendent

le

flottage excessivement difficile, sinon impossible pour conduire les bois de l'intérieur aux points que vent atteindre d'exploitation

les navires. Aussi n'a-t-on

peu-

entrepris

sérieuse que sur les bords de la Mana

et du Maroni, en d é c a d e s

sauts, c'est-à-dire à peine

plus loin que l'endroit où les cours d'eau

deviennent

navigables ; points où le flottage et l'emploi des chalands sont possibles, mais aussi où certaines précieuses

essences

sont plus rares. Ce n'est donc que petit à

petit, et lorsque de nombreux abatis auront pour ainsi dire reculé les limites des bois, que l'on pourra tracer des routes, et retirer des forets de la Guyane

toutes

les richesses qu'elles possèdent. A u x produits des exploitations

forestières il

ajouter la récolte des g o m m e s diverses que quelques arbres :

faut

sécrètent


264

NOS GRANDES COLONIES.

La gomme élastique ou caoutchouc, fournie par l'hevœa

guianensis;

de l'Inde

la gutta-percha,

et des grandes îles

tirée jusqu'ici

de l'archipel

malais,

maintenant extraite en grande quantité du Balata de Cayenne ; d'une espèce très fine, elle est fort a p p r é ciée dans l'industrie ; — la gomme copal, que le c o m merce demande à l ' A f r i q u e , est sécrétée par le c o u r baril hymenæa. — nantes se trouvent

L e tannin

et les matières tan-

en abondance dans

le

palétuvier

rouge (rhizophora inangle) ;depuis la création

des

pénitenciers en G u y a n e , l'écorce de cet arbre a servi à tanner des quantités considérables de cuirs de bœufs. Il y a là, o n le voit, une source de richesses i n c a l culables à exploiter, qui méritent bien d'attirer

l'at-

tention des capitalistes et des hommes d'initiative.


Outils servant Ă l'extraction de l'or.



267

LA GUYANE.

CHAPITRE

X.

Constitution géologique. — Le prospecteur. — La battée. — Le longtom. — Le sluice. — Etablissement d'une exploitation.

La recherche

de l'or a été, pendant

le

premier

siècle de notre occupation, le but de la plupart expéditions dirigées l ' E l d o r a d o , le

lac

sur

suivi les

ont

remonté le

rives du Camopi

mille dangers, pénétré

jusqu'au

des

trouver

P a r i m é , la ville aux palais

de n o m b r e u x v o y a g e u r s l'Oyapock,

la G u y a n e ; pour

d'or,

Maroni

et

et,

bravant

cœur des

sombres

forêts qui couvrent notre c o l o n i e . L ' h o m m e d'or est demeuré introuvable ! E t c e p e n dant

le précieux

métal existait

en abondance : les

sables des criques, les alluvions, le lit des rivières recelaient de riches trésors,

que les explorateurs, égarés

sur la foi d ' u n e légende à la poursuite d'un

but i m a -

ginaire, foulaient aux pieds sans les voir. Le

savant

Humboldt

G u y a n e de terrains

affirmait

la

sur la similitude de la constitution du avec

celle

des contrées

L ' o r existait en

présence

aurifères ; il basait son voisines

en

opinion

sol de ce

pays

riches en placers.

effet, et c'est presque

au hasard que

l'on doit sa découverte. A v a n t de dire c o m m e n t fut trouvé le premier g i s e m e n t , étudions rapidement la constitution géologique du sol de notre colonie. N o u s avons vu que la G u y a n e p a r t i e s : les terres b a s s e s ,

se divise en deux

composées

d'une large


268

NOS GRANDES

COLONIES.

bande d'alluvions, couverte ou plutôt bordée de palétuviers,

se prolongeant

jusqu'aux

premiers renfle-

ments du sol ; les terres hautes, formant des ondulations, des gradins, plus ou moins espacés,

qui

pro-

duisent des sauts et des rapides barrant les cours des fleuves. La déformation du sol, origine de ces o n d u lations, se fait sentir fort avant dans l'intérieur;

elle

s'étend jusqu'aux

jus-

sources mêmes des fleuves,

qu'aux monts T u m u c - H u m a c , car, aussi loin que l'on remonte les cours d'eau, o n rencontre ces

inégalités

de leur lit, plus nombreuses et plus accentuées. A p r è s une première modification dans la structure de la contrée, un second accident

s'est p r o d u i t : une

couche épaisse de terrains de transport est niveler le sol et

trouve presque partout

à sa surface. Enfin un sou-

lèvement postérieur,

e n faisant surgir

quantité d'éminences

peu élevées

régulière, a

donné

venue

la roche d'agrégation que l'on

former

à

la

une

et sans

Guyane

grande

direction

sa configuration

actuelle. Le

sol se compose

d'une

roche dioritique

paraît être celle du fond ; au-dessus d'elle une d'agrégation

qui roche

plus ou moins d é c o m p o s é e , et enfin, à

la surface, une c o u c h e de

terre végétale

très

argi-

leuse. L a terre végétale provient de la décomposition du feldspath de la roche d'agrégation, et des détritus de la végétation laissés sur place ou amenés La roche d'agrégation est sans doute

par les eaux. le résultat d'un

transport considérable qui a recouvert le pays à la suite d'un immense cataclysme, qui est relativement r é c e n t , ainsi que le prouvent des débris de trouvés sous la couche aurifère.

poteries


LA

269

GUYANE.

La présence de l'or à la Guyane est due à un effet local : c'est le résultat des éboulements, des

renfle-

ments du sol, en un mot des modifications que

nous

venons d'indiquer. « L e métal a été amené à la

sur-

face par des vapeurs aqueuses chargées

de silice et

d'or, et par des filons de quartz à différentes

tempé-

Fragments de poteries trouvés sous la couche aurifère.

ratures, pendant le cataclysme, relativement très r é cent, qui a donné au sol sa configuration.

L'alluvion

aurifère s'est formée par les éboulements qui ont été la conséquence de la déformation du sol et du passage des eaux par les déclivités qui en permettaient l ' é c o u lement ( 1 ) . » En 1853,

des Brésiliens vinrent s'établir sur les

bords de l ' A p p r o u a g u e ; l'un d'eux, n o m m é Paolino, frappé

de

la similitude

des terrains avoisinant les

criques avec ceux d'où il avait vu extraire l'or dans son pays, fit quelques lavages à l'aide d'un couy,

(1) Barvaux, L'Or à la Guyane (Revue maritime et coloniale, 1873, t. X X X V I I ) .


270

NOS

coupe

profonde

GRANDES COLONIES.

taillée dans une

calebasse

; —

ses

essais lui donnèrent des parcelles d'or. P a o l i n o c o m muniqua aussitôt le résultat de sa d é c o u v e r t e à M . Félix C o u y , commandant du quartier ; celui-ci, heureux de doter la colonie d'une

telle source de

richesse,

se mit, a c c o m p a g n é d u Brésilien, à la recherche gisement

qui valût la peine

d'être

d'un

exploité. P e u de

temps après, la présence de l'or dans les terrains de la Guyane française était un fait avéré. Pao-

La découverte ne profita pas à ses auteurs : lino mourut à l'hôpital, soigné

aux frais de la

ville

de Cayenne, et M . Félix C o u y périt assassiné. La

nouvelle

se répandit

bientôt à Cayenne ; de

nombreuses concessions furent demandées

et

accor-

dées sur les bords de l ' A p p r o u a g u e , des compagnies se formèrent et les premiers placers furent exploités. Cependant la fièvre de l ' o r s'emparait de la colonie ; chaque habitant voulait découvrir un g i s e m e n t . L ' o n vit des gens a v e n t u r e u x , soldats, négociants, agriculteurs, artisans, s'avancer dans l'intérieur à la recherche

de l'or ; tous n'étaient

manquant d ' e x p é r i e n c e , terrains abondamment

pas également

beaucoup pourvus,

heureux :

négligeaient pour diriger

des leurs

investigations vers des régions plus pauvres. On m a n quait de chercheurs d'or expérimentés, avec

lesquels

il eût été facile d'éviter bien des dépenses : on ne se liait qu'au hasard, à la chance ; c'était un jeu. Tout le m o n d e , en effet, ne sait pas trouver l'or. L o r s q u ' u n spéculateur, guidé souvent par des renseignements assez vagues, a décidé petit c a p i t a l à la r e c h e r c h e gouvernement

la

de

concession

de consacrer

un

l'or, il demande

au

d'un

certain

nombre

d'hectares, dont il désigne remplacement. Dans le cas


LA GUYANE.

271

où le terrain qu'il a choisi n'a pas encore été exploité, il lui

est a c c o r d é ,

gratuitement,

un «

permis

recherche » ; dans le cas contraire, il doit d'avance

un droit de 0,10 c.

de

acquitter

par hectare, valable

Prospecteur voyageant avec un noir porteur du pagara.

pour un an.

Si l'or existe en quantité suffisant*', le

permis de recherche est remplacé par un

«

permis

d'exploitation », renouvelable d'année en année m o y e n nant 0,50 c. par hectare». Cette formalité accomplie, le concessionnaire se met en quête d'un prospecteur ( 1 ) . ( 1 ) Du mot anglais prospect, vue. coup d'uil.


NOS GRANDES COLONIES.

272

L e prospecteur doit être un h o m m e robuste, intelligent, honnête ; moyennant son entretien, des appointements et une part dans le placer qu'il trouvera, il part

à la découverte du gisement ; c'est

un

rude

métier que le sien. I1 est a c c o m p a g n é d'un noir qui porte son modeste bagage entériné

dans un pagara ;

le pagara est une sorte

carrée

de

boîte

faite

d'un

double tissu de roseaux fins et flexibles, que sépare une feuille

de balisier ; il se compose de deux parties

qui s'emboîtent exactement l'une dans l'autre, et est absolument

imperméable. A r m é d'un sabre d'abatis,

il s'avance dans des sentiers pleins d'obstacles, obligé à de fréquents détours, et souvent forcé un chemin à travers les fourrés

et de

de

passage au milieu des lianes qui obstruent des criques pendant la

saison

s'ouvrir

se frayer

sèche. Ces

un

l'entrée marches

pénibles ne peuvent se prolonger l o n g t e m p s ; chaque après-midi, il faut s'arrêter de bonne heure pour faire la cuisine et élever un abri de feuilles pour Les fauves, les serpents, la chute des grands la traversée des marais et avec de l'eau jusqu'à

des

criques,

la ceinture,

arbres,

quelquefois

souvent

arbre tombé en travers du ruisseau, font

la nuit.

sur un

courir

au

prospecteur des dangers sérieux. L e seul instrument

qu'emporte

le chercheur est

une battée. La battée est une sorte de plat r o n d , évase, et que nous ne pouvons mieux comparer qu'à la calotte d'un saracco : elle est large de trenter-cinqà quarante centimètres et profonde de trois on quatre.

On se sert,

pour la fabrication de cet appareil, des côtes ou arcabas

de certains arbres

légers, aux tissus

fibreux,

c o m m e le bois pagaye, formant une planche large et


LA

273

GUYANE.

droite de quelques centimètres d'épaisseur. On coupe dans l'arcabas

une circonférence

dé-

de quarante

à quarante-cinq centimètres de diamètre; on la creuse d'abord à la hache, puis au c o u t e a u ; l'intérieur

est

ensuite poli avec un morceau de verre. Afin de f a c i liter le débourbage, parcelles d'or

le lavage et la concentration des

au fond

de la

battée, on donne au

creux de sa paroi interne, non pas une forme droite, mais la courbe d'une demi-parabole. Le

maniement

de la battée e x i g e , pour donner d'utiles indications, une grande habileté et un soin

méticuleux.

A r r i v é sur un terrain qu'il croit contenir de l ' o r , le prospecteur hasard à

la

remplit

sa battée de terre prise au

surface de la couche. I1 transporte la

battée dans le cours d'eau le plus voisin, en ayant soin de se placer là o ù le courant est le moins fort.

Le

prospecteur plonge la battée dans l'eau, et la soutient d'une main, tandis que l'autre remue la terre, à la surface d'abord, puis peu à peu plus profondément, de manière à ce que l'eau n'entraîne que la terre parfaitement délayée. Chaque fois que la main de l ' o p é rateur rencontre un quartier de roche ou une pierre, il l'extrait, la lave et l'examine soigneusement. Quand

la terre, bien

délayée,

bien séparée

des

pierres qu'elle contenait, s'est écoulée hors de la battée, il ne reste plus dans le récipient qu'un résidu gris appelé schlik, composé de graviers, de g e m m e s et d'or. Le prospecteur imprime alors à la battée,

toujours

immergée, un mouvement do rotation contrarié qui force les parties lourdes

à descendre

au fond ;

même temps, il agite les résidus avec la main faciliter le d é b o u r b a g e , jusqu'à ce que l'eau parfaitement claire.

en

pour

s'écoule


274 Le

NOS GRANDES

COLONIES.

débourbage ainsi achevé, c o m m e n c e

vraiment

la partie

délicate de L'opération : le prospecteur

besoin de toute son habileté pour mener rience à bonne

fin.

a

son expé-

La battée est ramenée à

fleur

d'eau de manière à ce qu'elle soit à peine immergée ; elle est maintenue dans cette position avec les deux mains placées sur les bords. D e nouveau le prospect teur l'ait subir à la battée le mouvement giratoire contrarié pour que les parcelles les plus lourdes t o m bent au fond ; il enlève et examine soigneusement les parties les plus volumineuses avant de les rejeter ; celles qui contiennent de l'or sont mises à part. L'opération continue

jusqu'à ce qu'il ne reste plus que le

petit gravier ; ainsi allégée, la battée flotte. imprime

un

mouvement

giratoire

On lui

simple, combiné

avec un léger balancement qui fait tour à tour entrer et sortir l'eau du récipient par une impulsion de rotation. Bientôt

la battée ne contient plus que l'or

mélangé à quelques graviers qui sont

éliminés avec

le d o i g t . Cette expérience a été faite avec de la terre enlevée à la partie supérieure de la couche ; on la recommence avec des échantillons puisés

dans la

partie

m o y e n n e , puis à une certaine profondeur ; le prospecteur

opère ensuite sur des échantillons

pris em

long et en travers du terrain, à des distances assez rapprochées. 11 agit de la sorte pour ne pas

laisser

passer la veine inaperçue, et se faire une idée approximative de sa valeur et des difficultés que peut offrir l'exploitation. Rentré de son excursion, le prospecteur présente séparément les résultats fournis par chaque battée ; ils sont pesés, estimés, et l'on porte sur eux un des


Prospecteur faisant un lavage d'essai Ă la battue.



LA

277

GUYANE.

jugements suivants : le résultat donne la couleur, ou un, deux,

trois, quatre

sous à la battée.

U n e couche donne la couleur,

quand elle contient

quelques parcelles d ' o r sans importance. E l l e d o n n e un, deux,

trois,

quatre

sous à la battée

selon le poids moyen des résultats des divers essais. La battée contient dix kilog. de terre environ, elle donne un sou quand la tonne de cette même terre produit un gramme

et demi au moins, et deux au plus.

A l'époque de la découverte de l'or, une conche ne donnant que quatre et même cinq sous (7 g r . à la tonne) était considérée c o m m e pauvre ; on ne s ' o c c u pait que des terrains produisant huit à dix sous. A u j o u r d ' h u i , on exploite avec profit des gisements ne donnant que quatre grammes à la tonne. Au début, le mode d'exploitation

était fort élémentaire et très

imparfait; voici comment l'on procédait : Les résultats rapportés par le prospecteur naient-ils au concessionnaire

des terrains,

convecelui-ci

envoyait un chef de chantier avec une escouade d ' o u vriers sur l'emplacement choisi. E n amont du g i s e ment on formait dans la crique un barrage au m o y e n de pieux fichés en terre, de lianes on installait le lomgtom. d'auge

et d'argile,

puis

L e longtom est une sorte

de 4 m. de l o n g sur 70 c. de large ; il est

composé d'une planche de fond et de deux

planches

de côté, hautes de 30 c. et placées verticalement. Les deux extrémités sont ouvertes ; celle de tète est d e s tinée à l'entrée de l'eau ; l'extrémité par où doit s'écouler

dite de queue,

le liquide, est munie

d'une

plaque de tôle dépassant la planche de fond de 40 c . et relevée en arc de cercle ; elle est percée, c o m m e un crible, de trous très rapprochés et très fins. Sous NOS G R A N D E S COLONIES.

8**


278

NOS GRANDES

COLONIES.

la queue du l o n g t o m , et un peu en ponte, est disposée une boîte plus large que le fond de l'auge : au milieu, un tasseau faisant saillie de 2 ou 3 c .

est destiné à

arrêter au passage les matières qui tombent entraînées par l'eau. On installait d o n c le longtom sous le barrage, et l'on y faisait passer le courant d'eau : deux y jetaient à la pelle la terre de la couche

hommes aurifère:

un ouvrier était chargé de désagréger les mottes

de

terre, et de laver les pierres à la main ; le reste était entraîné par l'eau sur le crible, où le chef de l o n g t o m achevait la désagrégation en frottant les résidus sur la plaque de tôle. Tout ce qui ne passait pas par le crible était rejeté. A la fin de la j o u r n é e , le c h e f de longtom

concentrait

le schlik amassé au fond de la

caisse, d'abord sur place, ensuite à la battée. O n voit combien ces opérations

sont incomplètes.

L a richesse de certaines c r i q u e était telle que, malgré l'imperfection du l o n g t o m . il y en a qui ont donné par j o u r 750 grammes à la tonne, et cependant un second lavage leur faisait rendre encore 2 0 0 à 2 5 0 grammes par j o u r et par l o n g t o m . L e l o n g t o m abandonné a été remplacé par le sluice. L e sluice est un canal l o n g de 25 à 60 mètres, c o m posé d'une série d'auges s'emboîtant les unes dans les autres. Ces auges, longues de 4 metres, larges de 0,32 c., sont faites de trois planches, celle du f o n d , et celles des c ô t é s ; elles sont placées les unes au bout d e s

autres,

un peu superposées,de manière que la première forme cascade sur la seconde, la seconde sur la troisième, et ainsi de suite. Sous chaque cascade, on place un riffle, petite caisse de fonte d'une longueur égale à la largeur intérieure d u sluice et haute de 27 c. ; il est divisé


Mines d'or de la Guyane. Le Sluice.



LA par des nervures

281

GUYANE.

placées

en travers du c o u r a n t ,

et

destinées à arrêter l'or au passage. A u fond des a u g e s , une grille de fer p e r c é e d e irons est destinée à diminuer l'entraînement des matières par les e a u x . Maintenant que nous connaissons l'appareil e m p l o y é dans les placers, v o y o n s l'installation des t r a v a u x . L e chef d'exploitation, a c c o m p a g n é de ses ouvriers, se rend sur le terrain exploré ; il constate d'abord par l u i - m ê m e l'exactitude des expériences de prospection ; si elles sont satisfaisantes, il fait débarrasser le terrain de la végétation qui l ' e n c o m b r e , en y mettant le feu. Le

défrichement

clairière relie

«

terminé,

des carbets

on élève a u milieu

pour loger

rétablissement

de la et on

les ouvriers,

au « dégrad

» ou

débar-

cadère de la rivière, par un chemin plus ou moins direct. La plupart de ces sentiers tracés par des nègres f a n taisistes sont

vraiment

étonnants,

on dirait que les

noirs cantonniers ont pris à tache de choisir les plus mauvais passages. on déboise d'abord la vallée, puis,

P o u r exploiter,

à une certaine distance en amont de chantier établit

de la crique, le chef

un barrage formant

un réservoir

d'une capacité suffisante à l'alimentation du travail de la journée ; on découvre le terrain à exploiter sur u n e longueur à p e u près égale à celle du sluice,

puis on

procède à son installation. Les auges, emboîtées c o m m e nous l'avons indiqué, sont soutenues par des s u p p o r t s ; les riffles placés sous les cascades, on verse du mercure dans les

deux compartiments

supérieurs : les grilles

sont posées au fond des auges, et toutes les jointures hermétiquement

bouchée»

avec de

l'argile, afin que

l'eau, en s'écoulant, n'entraîne pas de parcelles

d'or.

Ces préparatifs terminés, on fait couler l'eau. 8***


282

NOS GRANDES

COLONIES.

D e distance en distance on échelonne une escouade de sept à neuf hommes. Aussitôt que l'eau passe abondamment dans le sluice, trois ouvriers y jettent à la pelle la terre q u ' u n homme

arme

d'une pioche a sou-

levée et brisée. L e l o n g du sluice, des hommes sont chargés de délayer la terre et d'arrêter au passage les grosses mottes qu'ils brisent ; les laveurs retirent les m o r c e a u x de pierres

ou d o roches,

qu'ils

lavent et

mettent de c ô t é , tandis qu'un ouvrier placé à la queue du sluice dégage le canal d'écoulement, qui tend toujours à s'obstruer. Le chef de sluice surveille le travail, examine les quartiers de roches, fait diminuer ou augmenter la force du courant, etc. Le travail continue ainsi de sept heures au matin à trois heures de l'aprèsmidi. L e soir, un peu avant l a fin de la journée, on p r o cède à la récolte de l'or. Les laveurs, aidés des autres ouvriers qui cessent de jeter la terre dans le sluice, continuent leur travail de désagrégation

des mottes

et le lavage d e s morceaux de roches ; quand l'eau est claire, on enlève les riffles, les grilles, et l'on remonte à la pelle le résidu de chaque auge dans celle qui la précède ; il ne reste

bientôt plus qu'un

schlik g r i s .

Par une opération inverse, on fait descendre la matière de l'auge de tête pépites à mesure

danS

celle de queue, en retirant les

qu'elles se présentent. Le

résidu

recueilli à l'extrémité du sluice est traité à la battée. D e toutes ces opérations il résulte un volume plus ou moins considérable d'or qui est enveloppé en

tiouet,

et gardé à rétablissement d ' o ù , c h a q u e mois, on l'expédie à Cayenne. L'exploitation que nous venons

de

être considérée c o m m e une exploitation

décrire d'essai,

peut ou


Logement des ouvriers aux mines de Saint-Élie.



285

LAGUYANE.

rétablissement d'un concessionnaire qui ne peut d o n ner d'extension à ses recherches ; à coté de ces placers, où l'on se contente de laver les sables et les alluvions aurifères, il existe de grandes sociétés qui ont fondé des établissements

importants, qui

ont attaqué la

masse rocheuse, cherché le quartz, et. pour trouver le filon, creusé

des galeries souterraines ; ce sont de v é -

ritables mines d'or. A u placer de Saint-Elie, par e x e m p l e , une galerie creusée dans le roc a permis d'atteindre le filon à 34 mètres de profondeur ; le minerai extrait de la

mine

est transporté dans d e s w a g o n n e t s jusqu'à l'usine, où il est broyé par des pilons mus par la vapeur. Ces p i lons broientle quartz continuellement

mouillé, et l ' a -

malgame se produit en même temps. On met dans le broyeur environ sept onces de mercure par tonne, et l'on fait

couler 2 0 litres d'eau par minute

dans la

caisse aux pilon s: on obtient ainsi d'excellents

résul-

tats. L'établissement est presque un village, les ouvriers sont logés dans des baraques saines et bien construites; les directeurs, les ingénieurs, les chefs de

chantiers

ont des maisons presque confortables: un hôpital permet de donner les premiers soins aux malades, et de vastes magasins renferment d'abondantes

provisions,

économisant ainsi de nombreuses journées de c a n o tage pour le ravitaillement. L'exploitation deux grandes des

transports,

des placers en

difficultés : c'est et ensuite le

Guyane

d'abord

présente

la question

recrutement du

per-

sonnel. C'est généralement assez loin

dans l'intérieur que

se trouvent les gisements productifs ;

ordinairement


286

NOS GRANDES

COLONIES.

l'établissement est situe près d'une crique, et le moins loin possible du fleuve; les vivres, les

machines sont

remontées en canot jusqu'au placer. Ce mode de transport coûte

excessivement cher, et constitue

une en-

trave sérieuse au développement de l'industrie de l'or dans notre

colonie. Seules les grandes

nous avons parlé, ont

pu diminuer

sociétés dont

les difficultés du

chemin. Elles sont situées non loin des rives du S i n namary ; un petit vapeur g a g n e l'embouchure du fleuve, qu'il remonte jusqu'au premier saut ; là, les marchandises sont débarquées et chargées à dos de mulets ; un chemin

relativement

sement, et

de

facile

distance

mène

jusqu'à

en d i s t a n c e ,

des carbets permettent aux hommes et aux prendre

leur

repos

la

n u i t ; mais

l'établis-

des étables, bêtes

de

certaines pièces

trop lourdes pour être portées par un mulet doivent encore être transportées à dos d ' h o m m e . Le personnel se c o m p o s e de coolies hindous, de noirs transportés, d'Annamites noirs sont

et d'Européens libérés. Les

canotiers, prospecteurs, piocheurs, déboi-

seurs, laveurs ; leur spécialité est de faire les corvées les plus pénibles. Les plus intelligents

sont

contre-

maîtres, quelques-uns ont acquis un flair et une habileté surprenante. N o u s avons vu dans quelle proportion

périssent

les H i n d o u s ; sur dix arrivant au placer, sept sont m a lades et meurent,

les trois

autres résistent

et

de-

viennent débourbeurs, nettoyeurs de c a i l l o u x ; on leur confie en général de menus travaux. Les Européens niciens,

libérés sont scieurs de l o n g , m é c a -

charpentiers

(nous

ne parlons pas,

bien

entendu, du directeur et du chef de chantier) ; mais on ne peut en faire des laveurs : ils ne résisteraient pas


LA

287

GUYANE.

longtemps à ce travail pénible, dans l'eau j u s q u ' à la ceinture pendant des journées entières. Dans les placers, on ne travaille pas le dimanche : les ouvriers profitent de ce j o u r

pour

se reposer, et

Costume du dimanche des ouvriers employés aux mines d'or de la Guyane.

mettre ordre à leurs affaires, puis, l'après-midi, chacun se livre à un genre de distractions différent ; les n è gres et les Européens l'ont de la musique, les H i n d o u s dansent les danses de leur p a y s , ou jouent des p a n t o mimes indiennes; tous ces h o m m e s , q u i , pendant la s e -


288

NOS GRANDES

COLONIES.

maine, travaillent nu-pieds, à peine vêtus, mettent ce jour-là leurs plus beaux habits. Notre gravure représente un contre-maître coiffé

du cantouri, chapeau-

parapluie en feuilles et en r o s e a u , un large pantalon de mousseline avec des fleurs de couleur, et une chemisette blanche; il est chaussé de sandales

en

bois,

qu'il a faites lui-même. L e chef de chantier, qui est toujours un Européen, doit posséder

de nombreuses

qualités : l'énergie, la

vigueur, l'activité : la force physique, à laquelle il est souvent o b l i g é de recourir, inspire à ses subordonnés une crainte salutaire. A ces mérites le c h e f d e placer doit j o i n d r e une vigilance incessante, non seulement au point de vue de la direction du travail,

mais aussi

pour éviter les détournements.

l'opération

Pendant

du lavage, des pépites apparaissent souvent sur le fond

des auges, elles passent même entre les mains

des laveurs: aussi, maigré la surveillance

dont ils

sont l'objet, les travailleurs peuvent toujours dérober une certaine quantité d ' o r ; ils volent d'autant plus qu'ils trouvent à Cayenne des gens

qui font métier

d'acheter à vil prix l'or volé par les o u v r i e r s ; leur industrie est connue , et

cependant ils jouissent

1

de la

plus parfaite impunité; on ne les poursuit pas comme recéleurs. L e seul m o y e n de remédier à cet nient est d'empêcher d'autres

les

marchands, les

tribus, ou les canotiers

taillement, d'entrer en

relation

faisant avec

inconvéindigènes le

ravi-

les ouvriers.

C e u x - c i , forcés de cacher l'or et de le garder l o n g temps, sont ou volés ou dénoncés par leurs camarades, ce qui

finit par

les dégoûter complètement de la

malhonnêteté. C'est sur

les bords de la crique S i c k u r y que s'est


289

LA GUYANE.

fondé le premier placer ; d'autres gisements furent découverts dans l ' A p p r o u a g u e en 1 8 5 5 . L e s résultats obtenus amenèrent la formation d'une société q u i , sous le titre de Compagnie

aurifère

et agricole

de

l'Ap-

prouague, obtint, par décret du 20 mai 1 8 5 7 , la c o n cession pendant 25 ans de 2 0 0 . 0 0 0 hectares de t e r rain. Cette société, après un début assez heureux, céda, en 1 8 6 7 , son privilège à un capitaliste de Paris. Outre cet établissement, on en c o m p t e encore 2 3 dans le quartier d ' A p p r o u a g u e . Dans la section de K a w , on comptait, en 1 8 8 2 , 3 placers en pleine activité et 5 0 en cours d'exploitation. Dans la section de Sinnamary, à la tête des rivières F o u c a u d et Leblond, setrouventles gisements les plus riches de la G u y a n e , et entre autres ceux de Saint-Elie et de D i e u - M e r c i . Depuis 1 8 7 5 , une douzaine de placers très productifs ont été créés tant sur les bords de la Mana que sur la rive droite du Maroni. L e tableau suivant donne la production de l'or dans les diverses c o m m u n e s de la G u y a n e , de novembre 1 8 7 9 à mars 1 8 8 1 : Période do production

Novembre 1879 Décembre 1879 Janvier 1 8 8 0 Février 1 8 8 0 Mai 1 8 8 0 Juin 1 8 8 0 Juillet 1 8 8 0

— — — —

Septembre 1 8 8 0

Quantité eu kilog.

239 kil 213 810 143 173 534 144 723 63 756 35 315 0 233 976 246 248 464 0 261 153

NOS G R A N D E S COLONIES.

Lieux de production

Tous les quartiers

Kaw,

— — Approuague

Roura Kouron Sinnamary Mana Maroni Tous les quartiers 9


290

NOS

Période de

production

GRANDES

Quantité en

Octobre 1880 —

0 kil. 327 847 14 002 — 48 734 — 53 Novembre 1880121 382 410 Mars 1881 4 073 24 973 21 722 0 074 74 34 821 12 391 Total

1.916 kil . 9 8 4

COLONIES.

kilog

Lieux de production

Kaw,

Approuaguo Roura Sinnamary-Iracoubo Mana Tous les quartiers Oyapock Kaw, Approuague Roura Kourou Sinnamary-Iracoubo Mana Maroni


291

GUYANE.

CHAPITRE

XI.

Animaux des forêts.— Jaguars. —Vampires. — Serpents. — Les tortues.— Les insectes. — La mouette anthropophage. — Les poissons. — Les oiseaux.

N o u s avons décrit les principales races qui habitent la G u y a n e , étudié les arbres de ses bois, les p r o d u c tions de son sol ; passons rapidement en revue les animaux qui peuplent ses forêts, les poissons qui vivent dans ses fleuves. L e s félins sont

représentés

par le

couguar,

le

j a g u a r , l'ocelot et un grand tigre — le tigre r o u g e — qui ressemble à celui du B e n g a l e . On le désigne à la G u y a n e sous le n o m de j a g u a r . Ce grand chat m o u cheté, fuyant devant les progrès des E u r o p é e n s , s'est retiré au plus profond des bois. Autrefois il était fort c o m m u n , et ne craignait pas de franchir la rivière du Tour de l'Isle pour venir dans l'île de Cayenne d é v o rer les bestiaux des colons. M. de la Barre fut o b l i g é , pour détruire

ces hardis maraudeurs, de promettre

aux chasseurs une forte prime par tête de jaguar tué. Aujourd'hui,

ces

animaux ne s'approchent

presque

jamais des habitations. A part de rares exceptions, ils no constituent pas un

danger pour l'homme,

qu'ils

redoutent ; à moins d'être pressés par la faim,

ils

fuient à son approche. Dans les forêts nous rencontrons encore : les tapirs ou maPïpouriS)

de la grosseur d'un veau, au museau en

forme de trompe ; le cariacou, espèce de biche rouge ou blanche presque aussi grande que celle d'Europe :


292

NOS

le paresseux,

GRANDES COLONIES.

le tatou, avec sa cuirasse

à crinière

tamanoir

(grande

chacal a b o y e u r ; les peccaris, sauvage,

ou cochon marron

petits sangliers, le cochon ; puis un grand

d'animaux plus petits : écureuils pacca

brun,

rat

d'écailles ; le

espèce), une sorte de

épineux,

nombre

gris et noirs,

opossums,

agoutis, petite

sarigue

taille. L a famille des singes est représentée par

plusieurs

espèces : c'est l'eriodes, qui n'a que quatre doigts à chaque main ; le saï, le sajou,

tamarin, dit

le

le saki;

sapajou,

le

qui se reproduit en captivité, quoi qu'en aient

certains auteurs ; et enfin

le

singe rouge

hur-

leur. Ce dernier est très c o m m u n ; avant l'aurore et à l'entrée de la nuit, il remplit la foret de ses cris r a u ques et tristes. Sans compter les insectes, dont nous parlerons plus loin, le v o y a g e u r ou le chasseur rencontre deux ennemis terribles dans les bois de la G u y a n e : le vampire et

le serpent. L e vampire

est une grosse

chauve-

souris d'un brun sombre, presque n o i r e , un peu plus claire sous le ventre. Il s'attaque a u x bestiaux,

qu'il

pique derrière l'oreille,

c'est

dont il suce le sang ;

aussi l à , ou à l'orteil, qu'il attaque l'homme

durant

son sommeil. P e n d a n t la s u c c i o n , le vampire ne cesse d'agiter

ses ailes, dont le

mouvement

produit une

sorte de fraîcheur qui endort la douleur. N o u s avons parlé des serpents ; ils sont fort n o m breux et d'espèces variées.

L e s serpents

venimeux

sont : le corail, dont la taille ne dépasse pas celle d'une petite anguille ; le grage

ou

trigonocéphale,

et le

serpent à sonnettes. L a morsure de ces reptiles est, on le sait, presque toujours mortelle ; les nègres prétendent être

garantis contre le venin

des serpents par


293

LA GUYANE.

une inoculation aux chevilles et aux poignets, et par l'absorption

d'un

breuvage

dont la composition est

i n c o n n u e . Cette inoculation se n o m m e le lavage le serpent.

pour

Est-ce vraiment un préservatif? On ne sau-

rait le dire, c a r , parmi les noirs qui succombent m o r dus par les serpents, beaucoup sont lavée. Par c o n t r e , on en cite d'autres qui, ayant pris cette précaution, ont été mordus impunément. Les Bonis disent que, selon les saisons, les serpents sont plus ou moins dangereux : ils sont plus v e n i m e u x , disent-ils, quand les pléiades (sebita) ont disparu du ciel au mois de mai. Les serpents non venimeux sont le liane, et le devin ou boa que les Guyanais appellent boa atteint ordinairement quinze

la couleuvre.

Ce

à dix-huit pieds de

long ; on en a vu dépassant quarante pieds et mesurant soixante centimètres de circonférence :des géants de

l'espèce.

Ce

monstre

s'en

prend

rarement

à

l'homme ; on a cependant des exemples de gens attaqués par la couleuvre ; témoin le récit fait au capitaine B o u y e r par le brigadier de gendarmerie de Macouria. Ce brigadier s'était rendu de grand matin sur le bord d'un pripri pour tirer des canards. Il attendait les premières lueurs du

jour pour distinguer le gibier,

lorsqu'il se sentit saisi brusquement à l'épaule. — Je tournai la tête et j e vis, à deux pouces de m o n visage, la gueule d'un énorme serpent. U n ment

de côté me dégagea de la bête, qui

mouve-

m'arracha

un morceau de ma chemise de laine. —

V o u s dûtes avoir une fière peur ?

J e n'avais pas le temps d'avoir peur, il fallait

agir. La couleuvre, après m'avoir manqué du premier c o u p , me ressauta dessus. Cette fois elle me prit à la


294 cuisse. Ses

NOS GRANDES

COLONIES.

dents m'entrèrent

dans la chair et me

causèrent une affreuse douleur ; je sentais ma cuisse serrée c o m m e dans un étau. J e ne perdis cependant pas c o u r a g e : avec la crosse de mon fusil j e frappai tellement la tête de la couleuvre qu'elle

lâcha prise.

Elle prit alors du c h a m p pour m'attaquer de nouveau et m'enserrer dans ses anneaux. Heureusement j e ne lui en laissai pas le temps : d'une seule main, v u le peu de distance qui nous séparait, je lui lâchai mes deux coups de

fusil

: elle tomba mortellement frappée.

Quant à m o i , je fis quelques pas et sortis du pripri. J'ignorais si m o n ennemi était m o r t .

J e cherchai à

fuir, mais les forces me trahirent, je tombai évanoui. Quand je revins à m o i , le soleil était déjà haut à l ' h o rizon. Ma blessure me faisait affreusement souffrir. Je rassemblai tout mon c o u r a g e , et moitié marchant, moitié rampant, j'arrivai le soir chez Zagala. D e là on me porta à l'hôpital. J ' y restai six semaines ; j ' e u s la fièvre, le délire ; on faillit me couper la j a m b e ; finalement j e

guéris, mais j e

suis resté boiteux ( 1 ) .

Les autres reptiles, caïmans, iguanes, lézards de toutes sortes, sont n o m b r e u x à la G u y a n e . Les caïmans se rencontrent surtout aux endroits où les rives sont envahies par les palétuviers : les vases qui s'amoncellent autour des racines sont leur retraite favorite. L à aussi, on trouve une grande variété de tortues ;la plus curieuse est la tortue mata-mata.

Sa couleur est ter-

reuse ; son dos est surmonté d'une série de bosses l o n gitudinales disposées

sur plusieurs rangs ; son c o u ,

trop l o n g pour rentrer sous sa carapace, est mince et garni de rugosités ; la tête, fine, se termine par un nez (1) Bouyer, déjà cité.


LA

295

GUYANE.

pointu semblable à une trompe ; sous ce nez

s'ouvre

une bouche é n o r m e . Tapie dans la vase, dont elle a presque la couleur,

la tortue mata-mata

guette sa

proie et m o r d , dit-on, indistinctement tout ce qui passe à sa p o r t é e . Li

mauvais

passé

serpent,

passé

caïman,

disent les nègres. L'époque de la ponte des tortues est généralement entre le

15 août et le 1

e r

septembre. Elles déposent

leurs œufs sur une plage sablonneuse ; elles se réunissent, pour cette opération, en bandes nombreuses et débarquent, une belle nuit, sur la berge qu'elles ont choisie. A u sortir de l'eau, elles creusent avec leurs pattes de devant une longue tranchée, large d'environ quatre pieds et profonde

de deux. L'ardeur

mettent

est telle, que le sable vole

à cette besogne

qu'elles

autour d'elles et les enveloppe c o m m e d'un brouillard. Quand la fosse leur paraît suffisante, chacune d'elles, remontant sur le b o r d ,

laisse

choir au

fond

une

provision d'oeufs à coquilles molles ; chaque tortue en dépose quarante au moins, soixante au plus. Puis, les pieds de derrière renouvellent la besogne de ceux de devant, et l'excavation est bientôt c o m b l é e . Les tortues reprennent alors le chemin de la rivière. A v a n t de quitter les bords vaseux du littoral, citons l'araignée-crabe. repoussant bête

et

« La

création n'offre

de plus

hideux

que

rien de plus cette

Son corps est composé de deux

horrible

parties dis-

tinctes, également couvertes de poils, d'où partent cinq paires de pattes à quatre articulations. L e tout est velu, noirâtre, semblable à une réunion de chenilles. Chaque jambe est armée d'une griffe jaune et crochue. D e la tête sortent deux pinces recourbées en dedans c o m m e celles d'un crabe et qui lui servent à déchirer


296

NOS GRANDES

COLONIES.

sa p r o i e . La toile que tend cette monstrueuse araignée est étroite, mais forte ; elle peut y prendre les plus g r o s insectes. E n dehors de la douleur locale, sa m o r sure cause la fièvre et amène une partie des accidents produits par la dent des reptiles. L e seul contact

de

ses poils occasionne à la peau une brûlure pareille à celle de l'ortie. J'ai pattes étendues, diamètre ( 1 ) .

vu une araignée crabe q u i , les

mesurait près de

huit

pouces

de

»

Jamais pays ne fut peuplé de plus d'insectes que la G u y a n e : le fulgore porte-croix, le fulgore p o r t e - l a n terne, le charançon bleu pointé de dont le n o m

indique

l'habit,

la

noir, l'arlequin, mouche-éléphant,

les moustiques, le pou d'agouti, le ver macaque, le scolopendre, le yule, la chique, la tique, la fourmi m a n i o c , le scorpion, la lucilia hominivore, etc.

Plu-

sieurs de ces bêtes ne sont que désagréables, d'autres sont dangereuses ; le contact

de quelques-unes

est

mortel. Les moustiques, dans certains quartiers, deviennent une vraie calamité ; ils sont si n o m b r e u x q u e , même avec une moustiquaire, on a peine à éviter leurs piqûres. La chique est un petit insecte qui s'introduit entre cuir et chair et y dépose ses œufs ; bientôt toute une famille s'engraisse à vos dépens. La fourmi manioc est un véritable fléau ; elle dévore tous les fruits de la campagne dans leur première v é gétation. P o u r se préserver de leurs ravages, les habitants les nourrissent plutôt que de les chasser, ce qu'ils tenteraient en vain. L e scorpion est é n o r m e , il atteint la taille d'une (1) Bouyer. déjà cité.


LA

écrevisse

297

GUYANE.

; sa piqûre cause rarement la mort ; elle est

accompagnée de douleurs cuisantes, et souvent amène de sérieux

désordres. Quoi qu'en aient dit certains

voyageurs et bon nombre d'auteurs, le scorpion, placé au centre d'un

cercle

de charbons ardents, se tue.

N o u s en avons maintes fois fait l'expérience. La lucilia hominivore

est une mouche ordinaire, qui

n'a ni dard ni venin, et cependant tue aussi certainement que le serpent le plus venimeux. Elle ressemble absolument à la m o u c h e de nos climats connue sous le n o m de mouche à viande. Elle s'introduit narines ou dans l'oreille de l'homme

dans

pendant

sommeil, y dépose ses œufs et se retire. Les

les son

désor-

dres occasionnés par ces milliers de larves qui se d é veloppent

et subissent toutes leurs

transformations

aux abords du cerveau, amènent une m é n i n g o - c é p h a lite qui emporte le malade au bout de quelques j o u r s , après des souffrances atroces. P a r m i les habitants des fleuves, nous ne

citerons

que le piraï, poisson excessivement vorace, servi par une puissante mâchoire garnie

de

dents aiguës et

tranchantes. L e piraï est redoutable,il s'attaque de p r é férence aux

extrémités, et bien des imprudents ont

eu les orteils tranchés. L a g y m n o t e , ou anguille électrique, jouit des mêmes propriétés

que la torpille. Les secousses

électriques

que donne la g y m n o t e sont des plus violentes

et peu-

vent renverser un h o m m e . U n e sorte de raie, porte sur son épine

dorsale un

crochet dont la piqûre est très venimeuse. On r e n contre surtout ce poisson dans le haut O y a p o c k , près de la crique qui lui doit son n o m . Les oiseaux de la G u y a n e sont les mêmes que ceux 9*


298

NOS GRANDES COLONIES.

do l ' A m é r i q u e du S u d , ces privilégiés auxquels nature a prodigué

la

les couleurs les plus riches et les

plus variées. Passereaux de plusieurs espèces : papes, évèques, cardinaux au plumage r o u g e ,

oiseaux-mou-

ches, colibris topazes., émeraudes, fourmillent dans les jardins et dans les bois. Dans les forêts, près

des

rivières et des criques, sont les perroquets, les aras, les toucans, les h o c c o s . Près des pripris et des marais, le secrétaire ou

serpentaire, l'aigrette, l'ibis r o u g e ,

flamand rose ; les petits sines,

puis

échassiers,

le

bécasses, bécas-

toute la famille des canards sauvages, sar-

celles, pluviers. Dans l'intérieur des bois, on

rencontre

aigle, le faucon, le vautour noir, l'urubu et la harpie féroce.

le grand guyanensis


LA

299

GUYANE.

CHAPITRE

XII.

La, déportation. — 18 fructidor. — La transportation. — 1852. — Création et suppression d'établissements. — Les îles du Salut. — L'ilet la Mère. — Saint-Laurent du Maroni. — Les femmes. — Les ménages. — Les enfants. — E v a s i o n s . — Les forçats anthropophages.

L a déportation a été introduite dans la française le 25 septembre 1 7 9 1 . loi, la Convention décréta, le 1

e r

En

législation

vertu de

cette

avril 1 7 9 5 , la d é p o r -

tation de V a d i e r , Barrère, Collot d'Herbois

et

Bil-

laud-Varennes. Les deux premiers s'échappèrent ; les deux autres furent transportés à la G u y a n e et internés sur les rives du Sinnamary. Collot d ' H e r b o i s , déjà malade, affaibli

par la tra-

versée, fut pris de fièvres presque aussitôt son débarquement. Le 8 janvier 1 7 9 0 , on le porta à l'hôpital de Sinnamary ; il y

mourut en

arrivant. Billaud

était

encore en G u y a n e quand les déportés du 18 fructidor y arrivèrent ; depuis lors on a perdu sa trace ; on ne sait au juste s'il obtint sa grâce ou s'il s'évada. D u 18 fructidor au devint

l'arme

de

18 brumaire, la déportation

prédilection du

députés, entre autres M M .

Bailleul,

Directoire.

Les

Boulay (de

la

M e u r t h e ) , Merlin (de D o u a i ) , employaient, pour p r o s crire leurs collègues, la même élégance d'expressions qu'ils auraient mise dans un discours académique : « La déportation, disait M . B o u l a y , doit être désormais le grand m o y e n de salut pour la chose publique. Cette

mesure

est avouée par l'humanité.

»

Puis,


300

NOS GRANDES

COLONIES.

c o m m e tous les pouvoirs faibles sont cruels et d e s p o tiques, le Directoire prétexte

de

proscrivait

sans compter : sous

conspiration contre

la république,

on

déportait en masse des nobles, des gens d'Eglise, des sens de lettres, des artisans. Carnot, Barthélemy,

Tronçon-Ducoudray,

g r u , cinquante-trois députés et cinq cent

Piche-

seize

per-

sonnes appartenant à toutes les classes de la société, se virent nombre furent

condamnés à s'évadèrent ;

dirigés

sur

la déportation.

trois

la

cent

Guyane

Un

trente et

grand

seulement

débarqués

sans

secours, presque sans vivres, sur les bords du S i n n a mary, du K o u r o u et de la Counamana. P a r m i ces prisonniers, il y avait des

coupables,

mais il y avait aussi des v i c t i m e s : on les traita t o u s , sans distinction, c o m m e des criminels. A de R o c h e f o r t , on les entassa

leur départ

dans l'entrepont

navires ; pendant la traversée,

des

ils subirent les souf-

rances de la faim, de la soif, et les duretés de certains officiers

que

des instructions

mal comprises

ren-

daient cruels. « On

nous

refusait, écrit R a m e l ,

les plus

vils

secours, les ustensiles les plus indispensables ; nous, quatre

prisonniers de la

Tronçon-Ducoudray ,

fosse aux

lions ( R a m e l ,

P i c h e g r u , Lavilleheurnois) ,

demandâmes au moins un peu de paille ou

quelque

m o y e n de nous défendre

dans le

roulis

du

« s'écriait

bâtiment :

des «

Ils

le capitaine ; le

meurtrissures se moquent

de

moi,

plancher est trop d o u x

« pour ces brigands ; je voudrais pouvoir faire paver « la place qu'ils o c c u p e n t ( 1 ) . » (1) Journal de Ramel. adjudant général, p. 197.


LA

301

GUYANE.

Débarqués on G u y a n e , ces malheureux, âgés p o u r la plupart, arrachés

brutalement à leurs familles, à

leurs affections, à la vie civilisée, se virent abandonnés sur une terre déserte, à peine nourris et forcés, pour vivre, de se faire b û c h e r o n s , charpentiers,laboureurs. Faut-il s'étonner, après cela, si la mortalité fut grandi; parmi eux ? « Sur trois cent vingt-neuf

'déportés, huit

moururent

pendant la traversée, par suite de privations, do m a u vais traitements ou de maladies contractées pendant une longue et cruelle détention. Trois cent vingt et un a r rivèrent à la G u y a n e dans un état de santé dont on se fera

une idée quand on saura que des

quatre-vingt-

treize déportés qui se trouvaient à bord de la

Charente

au moment o ù elle jeta l'ancre devant ( ' a v e n u e , cinquante-cinq furent de

maladie

débarqués d ' u r g e n c e

pour cause

Si quelque chose doit

surprendre

après tout cela, n'est-ce

pas que la moitié

de ces in-

fortunés aient p u résister si longtemps à un sort si misérable ( 1 ) ? » Aussi, quand, en juillet 1851,1a commission c h a r gée de désigner un lieu de transportation la G u y a n e , ce c h o i x générale;

fut l'objet d'une

quelques journalistes

s'arrêta à

réprobation

ne craignirent pas

d'écrire que faire de Cayenne le centre de la transportation, c'était trouver un moyen honnête de se débarrasser des c o n d a m n é s . E n décidant la création des pénitenciers c o l o n i a u x , le gouvernement obéissait à deux motifs : remplacer par des transportés

les bras que l'émancipation des esclaves

(1) Nouvion, Eu-trait des auteurs qui ont écrit sur la Guyane. p. 33.


302

NOS GRANDES

COLONIES.

venait d'enlever à nos colonies ; et diminuer les charges du b u d g e t ,

tout en améliorant le sort

des

forçats.

« Six mille condamnés renfermés dans nos bagnes de T o u l o n , de Brest et de Rochefort, grèvent notre budget d'une charge é n o r m e , se dépravent de plus en plus et menacent incessamment la société ; il a semblé p o s sible de rendre

la peine des travaux forcés plus effi-

c a c e , plus moralisatrice,

moins dispendieuse, et en

même temps plus h u m a i n e , en l'utilisant aux p r o g r è s de la colonisation française ( 1 ) .

»

L e rapport déposé par la commission n o m m é e pour étudier le projet de loi concluait, ainsi que nous l'avons v u , au choix de la G u y a n e , désignait les îles du Salut c o m m e port d'arrivée et indiquait les quartiers où devaient être crées

des établissements : «

points principaux ont fixé mon

attention,

Deux

disait

le

ministre : 1° la zone connue sous le n o m de quartier de Macouria ; 2° la région de la montagne d ' A r g e n t ( 2 ) . » Pendant que l'on

élaborait le texte de la loi fixant

le mode de transportation, les règlements relatifs régime alimentaire,

au

au c o u c h a g e , au vêtement des

c o n d a m n é s , qui ne devaient plus p o r t e r » la livrée de la honte et de l'infamie » ,

éclatèrent les troubles de

décembre 1 8 5 1 . U n décret-loi du 8 décembre donnait au gouvernement le droit de transporter à la G u y a n e ou en A l g é r i e tout individu placé sous la surveillance de la haute police, en rupture de b a n , ou affilié à une société secrète. L e 27 mars 1 8 5 2 ,

les condamnés subissant leur

(1) Message du Président Je la République à l'Assemblée, — 12 novembre 1850. (2) Rapport du 20 février 1852.


LA

303

GUYANE.

peine dans un bagne de F r a n c e furent

autorises par

décret à se faire diriger sur C a y e n n e . Plus de trois mille forçats

demandèrent à partir.

U n autre décret, en date du 20 août 1 8 5 3 , a u t o risait les colonies à transférer à la G u y a n e les i n d i vidus de races asiatique ou africaine condamnés aux travaux forcés ou à la détention. Enfin, la loi du 3 0 mai 1854 vint réglementer d'une façon

définitive

les

pénitenciers

coloniaux.

Cette

loi, tout en reproduisant la majeure partie des dispositions du décret de 1 8 5 2 , y

apportait

quelques

modifications : elle donnait au gouvernement la f a culté de créer des établissements pénitentiaires dans d'autres colonies que la G u y a n e , et supprimait les travaux forcés pour les individus âgés de plus de soixante ans. L'article V I décidait en outre que tout condamné à une peine inférieure à huit ans serait tenu de résider dans la colonie, après sa libération, pendant un temps égal à la durée de sa peine ; une condamnation de huit années et au-dessus obligeait le

transporté

à

séjourner toute sa vie à la G u y a n e . La durée du temps d'épreuve pour l'obtention d'une concession était

supprimée, mais la concession

ne

pouvait

définitive

la

devenir

qu'à

l'expiration

de

peine. Tels sont les décrets qui réglementent la transportation. Dès le début de 1 8 5 2 , on était prêt à recevoir les transportés ; ils arrivaient aux îles du Salut le 2 mars. C o m m e les convois devaient se succéder à intervalles rapprochés, on se hâta, pour éviter l'encombrement, de créer d'autres établissements. E n octobre 1 8 5 2 , 3 2 0 condamnés étaient installés à


304

NOS GRANDES

COLONIES.

la M o n t a g n e d ' A r g e n t ; six mois plus tard, 105 individus avaient s u c c o m b é aux fièvres

paludéennes.

A u mois d'avril 1 8 5 3 , on établissait 2 5 0

transpor-

tés à S a i n t - G e o r g e s , sur la rive gauche de l ' O y a p o c k , près du confluent du Gabaret ; on voulait créer là une sucrerie d'après les plans laissés par Malouet. U n an s'était à peine écoulé que l'on comptait 102 décès. Les Français évacuèrent Saint-Georges ; ils y furent r e m placés par des noirs transportés qui restèrent jusqu'en 1863,

époque où

cette

station fut

complètement

abandonnée. En 1 8 5 4 et 1 8 5 5 , o n fondait successivement SainteMarie, Saint-Augustin et Saint-Philippe sur les bords de la C o m t é , puis les chantiers

de K o u r o u , B o u r d a ,

Baduel, M o n t - J o l y , Saint-Louis et Saint-Laurent du Maroni. A l'exception de Saint-Laurent, on dut, en de la mortalité, évacuer trois pontons la

Chimère,

raison

tous ces pénitenciers ; les le

Grondeur

et la

Pro-

serpine, ancrés dans la rade de Cayenne, furent r e m placés par une caserne dominant la m e r , exposée

aux

vents alizés et attenant aux Jardins militaires à l'ouest de C a y e n n e . Cependant, en présence de l'insalubrité des établissements

fondés

par

l'autorité

prendre des mesures pour

supérieure, il fallut

éviter l ' e n c o m b r e m e n t

pénitencier ; aussi, en 1 8 6 7 , on décida que

du

les c o n -

damnés arabes seraient seuls désormais dirigés sur la G u y a n e , et on désigna la N o u v e l l e - C a l é d o n i e c o m m e lieu de transportation pour les autres condamnés. Il ne reste plus aujourd'hui

que les îles du Salut,

l'îlot la M è r e , K o u r g u , B a d u e l , Cayenne et SaintLaurent du M a r o n i .


LA

305

GUYANE.

Ainsi que nous l'avons indiqué, les îles du Salut sont situées à

neuf lieues au nord-ouest de C a y e n n e

et à trois lieues en face l'embouchure

du K o u r o u ;

elles se composent de trois îlots ; l'île R o y a l e , l'île du Diable et l'île Saint-Joseph. C'est là qu'est le dépôt du b a g n e , et que débarquent tous les condamnés ; on les classe par catégories .puis ils sont répartis sur une des trois îles et plus tard dirigés sur un des ciers

péniten-

continentaux, c o m m e libérés ou employés aux

travaux publics. L'île R o y a l e est le siège du commandement, là sont les forçats proprement dits ; les récidivistes sont

in-

ternés

du

dans

l'île

Saint-Joseph.

Autrefois

l'île

Diable était réservée aux détenus politiques. L e sol de l'île R o y a l e , assez élevé au-dessus desflots, est rocailleux, accidenté

et

recouvert d'une c o u c h e

d é t e r r e végétale très m i n c e . Quand l'administration en prit possession, elle la fit déboiser complètement : sur sa

surface

restreinte,

on édifia de

nombreuses

constructions : église, baraques pour les condamnés, maisons du commandant et des surveillants, magasins, ateliers ; dans la partie inférieure de l'île, on installa un quai, un dépôt de charbons et des ateliers pour la réparation des navires de l'Etat. Quand tous ces travaux furent terminés, il ne resta plus de place pour le cimetière. C'est donc l'Océan qui est le cimetière des transportés. Quand un détenu meurt, son corps, cousu dans u n e toile à voile lestée avec quelques pierres, est déposé dans un cercueil, le même pour tous : il n'y en a qu'un. La cloche de la petite église tinte le glas funèbre, et une embarcation vient, sur la plage, prendre la bière, qu'elle conduit au large ; arrivé à une certaine distance, le


306

NOS GRANDES COLONIES.

cadavre est retiré et jeté à la mer. A peine a-t-il disparu sous les

flots,

que d'énormes requins, qui ne

manquent jamais de suivre la barque, s'en emparent, se l'arrachent et se disputent ses lambeaux. On prétend, aux îles, que les requins connaissent le son de la cloche et qu'ils ne manquent

pas d'accourir à

son

premier appel. Sur les îles, les transportés travaillent aux routes, déchargent les navires qui approvisionnent le dépôt de charbon de l'État ; ils sont menuisiers, c h a r r o n s , forgerons. L e u r costume se c o m p o s e d'un pantalon et d'une

chemise

de toile

grise ; ils sont coiffés

d'un

énorme chapeau de paille. Sur l'îlot la Mère

est installé l'hôpital ; c'est là

que sont internés les transportés vieux ou infirmes qui ont g a g n é leurs invalides. L e pénitencier agricole de Saint-Laurent est situé sur la rive droite

du

Maroni, à 18 milles de

embouchure ; l'amiral Baudin

choisit

cet

son

endroit

pour y fonder un établissement destiné à l ' a u g m e n t a tion des produits de la colonie, et surtout à la litation du condamné par la famille

Commencés

aussitôt,

les

et par le

travaux

réhabi-

travail.

d'installation

étaient terminés à la fin de 1 8 5 8 . Dans un laps de temps aussi court, on n'avait pu faire que du provisoire ; depuis on a donné aux constructions un caractère définitif, et, instruits par l'expérience, les chefs ont pu diriger les colons dans le choix de

cultures

productives. On

a réuni les concessionnaires

par groupe

de

vingt ; à chacun on a fourni un terrain, des outils pour édifier sa d e m e u r e , des instruments pour cultiver son c h a m p . Chaque propriété rurale a cent mètres de


LA

307

GUYANE.

large sur deux cents de profondeur ; les maisons font face à la route, qui divise en deux parties la c o n c e s sion totale d'un g r o u p e . Le plan des habitations a été fourni par l'Etat : elles sont disposées de façon à ne jamais se faire vis-à-vis. A u j o u r d ' h u i , le pénitencier de Saint-Laurent c o m prend une centaine de maisons, une église, un hôpital, une justice de paix, deux écoles pouvant recevoir cent élèves, deux casernes, un abattoir, et de vastes m a g a sins. A u confluent

de la crique

Saint-Laurent

et

du

M a r o n i , s'élève une briqueterie. Citons encore une bouverie ou ménagerie contenant quelques têtes de g r o s bétail, une scierie m é c a n i q u e , et enfin l'usine à sucre de Saint-Maurice. Des routes de vingt mètres de large

sillonnent le

pénitencier et se développent sur une longueur de 5 0 kilomètres ; elles ont été faites par les concessionnaires riverains. C o m m e on le v o i t , le pénitencier possède tous les éléments matériels nécessaires à la vie. Ces

résultats

obtenus,

on songea

à

compléter

l'œuvre moralisatrice de l'amiral B a u d i n , à créer une famille à c e u x qui voudraient peupler leur

solitude.

A cet effet, on fit venir de Francs 34 détenues r e c r u tées

dans

les

fin de 1 8 5 9 .

maisons centrales ; elles arrivèrent à la Ce premier essai

ne fut pas heureux ;

sept mois après, 19 seulement avaient résisté au c l i mat. En 1 8 6 1 , on amena un nouveau convoi ; les n o u velles

venues, choisies parmi des femmes de constitu-

tion plus robuste, résistèrent mieux. Toutes

furent

alliées à des transportés ; après un certain temps on n'avait que 6 naissances à enregistrer.


308

NOS GRANDES

COLONIES.

L e condamné qui désire se marier, doit justifier de la possession d'une maison habitable et de deux h e c tares de terres bien cultivées. L ' E t a t

fournit à la

femme un trousseau c o m p l e t , une dot de deux

cents

francs et soutient le nouveau ménage pendant

trois

ans. V o y o n s maintenant quels résultats ont donné ces mariages. Beaucoup

de

femmes sont stériles ; on ne

attribuer c e fait qu'au climat de la G u y a n e

peut

qui agit

puissamment sur l'organisme de l'Européenne, l'affaiblit et modifie sa constitution ; en F r a n c e , ces

mêmes

femmes étaient fécondes, puisqu'elles ont presque toutes été condamnées pour infanticide. Leur conduite, sans être absolument mauvaise, n'est cependant pas exempte de reproches ; elles sont en butte aux obsessions continuelles

d'un millier

d'individus,

soldats, libérés,

transportés, etc. ; faut-il s'étonner si beaucoup succombent? A de bien rares exceptions près, les hommes sont tous adonnés à l'ivrognerie ; ils abusent du rhum, et beaucoup

sont alcooliques.

Quels enfants ont pu naître de pareilles alliances ? N ' e n déplaise à certains auteurs qui nous représentent les fils de transportés c o m m e des enfants bien constitués, destinés à peupler la G u y a n e d'une génération de travailleurs robustes et laborieux, ces enfants sont pour la plupart chétifs, malingres et rachitiques ; s'ils tiraient au sort, les garçons seraient réformés pour insuffisance de taille ou faiblesse de constitution. D ' u n père usé par le travail, le vice et les privations ; d'une mère affaiblie par la détention, anémiée par le climat, pouvait-on espérer voir naître des hommes vigoureux ?


LA

Leurs

qualités

exemples qu'ils

309

GUYANE.

morales

sont

étouffées

les

par

ont devant les y e u x ; les garçons se

livrent à l'ivrognerie et les filles sont perdues dès l ' e n fance. On se demande quel sort est réservé dans aux fils des transportés. Sont-ils

l'avenir

destinés à passer

leur existence dans la colonie où ils sont nés,

et où

leur père était forçat ? Viendront-ils en France ? Qui les y recevrait : ne sont-ce pas des fils de condamnés ? Qu'y viendraient-ils faire, sinon grossir le chiffre

de

la population qui fournit au bagne et à la transportation son principal élément ? N o n , ces enfants ne sont pas les citoyens de demain ; peut-être, s'ils font souche, leurs fils donneront-ils le jour à une

lignée

d'hommes sobres, honnêtes, laborieux, qui feront la fortune de notre c o l o n i e ; mais, qu'on ne l'oublie pas, on ne colonise pas avec des c o n v i c t s , ni avec leurs fils : il faut plus d'une génération

p o u r refaire un

sang

vicié et moraliser la descendance d'un bandit allié à une voleuse ou à une fille perdue. L'effectif, à la G u y a n e , comprend 3.430 transportés de différentes catégories. HOMMES.

Condamnés aux travaux forcés : —

à la réclusion :

Libérés astreints à la

Européens, Arabes,

450 1.242

Créoles,

452

Créoles,

85

Européens, 534 résidence : 322 Arabes, Créoles,

203 3.288


3 10

NOS GRANDES COLONIES.

FEMMES.

Condamnées aux travaux forcés :

— à la réclusion :

— à l'emprisonnement

Européennes,

45

Arabes, Créoles,

13 13

Européennes;

4

Créoles,

4

Européennes,

5

Européennes, Libérées :

44

Arabes,

2

Créoles,

12 142

Sous le nom de créoles on c o m p r e n d

les noirs

et

les individus de race asiatique. L e b u d g e t de la transportation s'est élevé en 1 8 8 3 , à la G u y a n e , à 2 . 0 7 6 . 3 4 6 francs ; il faut y ajouter les frais d'entretien de la garnison et c e u x de transport des

condamnés.

On

peut

estimer

m o y e n n e le prix de transport d'un 830

fr.

son

à

2 5 0 fr.

condamné,

revient annuel (sans compter

la

en

et à gar-

nison) ( 1 ) . U n e loi

récemment votée

vient

de

désigner la

G u y a n e c o m m e lieu de transportation pour les récidivistes ; cette loi

n'a

pas encore reçu de c o m m e n c e -

ment d'exécution. (1) Notice statistique sur les colonies françaises. marine, p. 283.

Ministère de la


LA

311

GUYANE.

Peut-on parler de bagnes et de pénitenciers évoquer aussitôt l'idée d'évasion? En effet,

sans

les éva-

sions sont nombreuses. Elles se font simplement : le condamné trouve m o y e n de franchir le Maroni, aborde sur la rive hollandaise, et le voilà sauvé.

Cependant

les histoires d'évasions curieuses ne manquent

pas à

la G u y a n e , depuis celle de ce forçat qui tenta de s'enfuir en transformant en chaloupe le cercueil qui sert à p o r t e r i e s cadavres des condamnés dans l'Océan, j u s qu'à celle du fameux

Gâtebourse qui fut, d i t - o n , en-

lizé dans une tourbière et dévoré vivant par les araignées-crabes. Nous ne raconterons qu'un fait de ce genre, connu à Cayenne sous le n o m d'histoire des forçats

anthropo-

phages :

H u i t forçats s'évadèrent du pénitencier de la Comté le 16 décembre 1 8 5 5 , et six autres le

29 du m ê m e

mois. La première bande, remontant le cours de la C o m t é , s'avança dans l'intérieur. de

marche

forcée ,

Brisés par plusieurs

par

les privations

jours

de toutes

sortes, deux des fugitifs étaient restés en arrière, se demandant s'il ne valait pas mieux rentrer au p é n i tencier et subir le châtiment habituel, que de persister dans une tentative manque

de

rendue impraticable

provisions. Ils

réflexions, quand

un des hommes de

apparut, haletant,

par

en étaient là de

le

leurs

l'avant-garde

épouvanté, et leur annonça

que

trois des évadés venaient d'assassiner un de leurs c o m pagnons : il l'avait

vu é g o r g e r ,

dépecer ; les l a m -

beaux saignants de la victime avaient été triés, les uns pour être

m a n g é s , les

autres

Après ce récit, il demanda à ses

pour

être

enfouis.

auditeurs

terrifiés


312

NOS GRANDES COLONIES.

de se joindre à lui et de faire cause c o m m u n e les cannibales. Mais quand ces monstres

contre

arrivèrent,

telle était l'influence qu'ils exerçaient sur leurs c o m pagnons, que ceux-ci dans leurs

non

préparatifs, mais

l'épouvantable

festin. La

seulement

les aidèrent

encore prirent

part à

nuit ils s'enfuirent ; deux

d'entre eux parvinrent au pénitencier

pour raconter

les faits dont ils avaient été témoins : le troisième disparut, on ne sut jamais ce qu'il était devenu. Les six évadés du 29 d é c e m b r e , trouvant la piste de la première bande, se mirent à sa recherche et la rejoignirent le 4 j a n v i e r 1 8 5 6 , près des sources de la C o m t é . A leur

tête se trouvait un

nommé

Raissé-

g u i e r , qui remplissait au pénitencier l'office de bourreau, h o m m e d'une

énergie et

d'une vigueur

peu

c o m m u n e s ; ses c o m p a g n o n s étaient deux Français et trois A r a b e s . Aussitôt réunis, les h o m m e s de la première proposèrent à Raisséguier de s'entendre

bande

avec

eux

pour tuer et m a n g e r les trois A r a b e s . A cette p r o p o sition l'ancien justicier bondit d'indignation et déclara que, loin de prêter son concours à

une action

aussi

monstrueuse, il défendrait ses camarades au péril de sa vie. Malheureusement, les deux Français goûtaient fort l'horrible proposition de leurs nouveaux c o m p a g n o n s , et la mort de Raisséguier fut d é c i d é e d'un

commun

accord. A dix heures du soir, pendant son sommeil, il est attaqué, reçoit un c o u p

de couteau à la g o r g e ,

c o u p de sabre à la tête, et un c o u p de bâton lui le bras droit. Réunissant tout ce

un

brise

qui lui reste de

forces, il renverse les assassins qui

l'étreignent et


313

LA. GUYANE.

prend la fuite. La nuit était noire ; Raisséguier, c o u rant droit devant lui, roule au fond d'un ravin profond : cette chute le dérobe aux

recherches des ennemis

lancés à sa poursuite. L e lendemain, à l'aube,

il se

traîne au bord de la rivière et voit s'avancer dans le courant un de ces amas flottants d'arbres, de branches et de lianes que les cours d'eau

conduisent

périodi-

quement à l ' O c é a n . S'aidant du bras resté valide, il se hisse sur un arbre à demi déraciné, et de là laisse choir sur le radeau qui,

se

suivant sa route, le

conduit dans la soirée à l'habitation Bellane. Là on le r a n i m e , on lui donne les premiers

soins,

puis on le ramène au p é n i t e n c i e r . G r â c e aux indications de Raisséguier, les troupes envoyées à la poursuite des cannibales les arrêtèrent au moment où ils dévoraient un de leurs camarades. Ils avaient fait griller la l a n g u e , le foie, les chairs des deux j a m b e s et des deux bras de leur victime. D e ces quatorze évadés,

deux ont été m a n g é s

et

deux ont disparu. Les trois principaux coupables ont été

exécutés au

pénitencier de

Sainte-Marie ;

les

autres ont été condamnés à diverses peines. Prenant en considération le c o u r a g e et dont Raisséguier avait fait preuve,

l'énergie

l'administration

lui fit remise de la peine qu'il avait e n c o u r u e .

NOS

GRANDES

COLONIES.

9**



APPENDICE



LA

CHAPITRE LA

Gouvernement

et

317

MARTINIQUE.

IV.

MARTINIQUE.

administration.

que est représentée en

— La M a r t i n i -

F r a n c e par un

sénateur

et

deux députés. L'administration est confiée à un gouverneur. D e u x chefs d'administration, le directeur de l'intérieur et le procureur général, dirigent

la plus grande partie des

services. Des chefs de service sont chargés en outre des

diverses branches

de l'administration sous

les

ordres du g o u v e r n e u r . L e Conseil général est composé de 36 membres élus par le suffrage universel. Les

cantons de F o r t - d e -

France, du M a r i n , d u F o r t - S a i n t - P i e r r e , lage-Saint-Pierre , chacun

de

la

4 conseillers ; le

6 conseillers ; celui du

du

Basse-Pointe , canton de

Mouil-

nomment

la Trinité élit

Saint-Esprit, 5 ; celui

du

Lamentin, 3, et celui du Diamant, 2. Justice.

— Les différentes juridictions

sont o r g a -

nisées c o m m e suit : Cour d'appel. — 1 procureur général, 1 premier substitut, 1 deuxième substitut, 1 président, 7 c o n seillers, 1 conseiller auditeur, .1 greffier en chef. Tribunal de Fort-de-France

(2

classe).

e

— 1 prési-

dent, 1 j u g e d'instruction, 2 juges, 1 procureur de la république, 1 substitut, 1 greffier. Tribunal

de Saint-Pierre

(l

r e

classe).

1

prési-


318

NOS GRANDES COLONIES.

dent, 1 j u g e d'instruction, 2 jugea, 1 procureur

de la

république, 1 premier substitut, 1 deuxième substitut, 1 greffier. Justice de paix.

— N e u f juges

de paix rendent la

justice dans les cantons. Cour d'assises.

— La cour d'assises siège à Saint-

Pierre. Les règles qui p r é s i d e n t e sa formation et à la composition de la liste des jurés sont les mêmes qu'en France. Les avoués sont nommés par le g o u v e r n e u r

et a p -

prouvés par le ministre ; les huissiers sont nommés par le gouverneur. Les

notaires sont nommes par décrets : les c o n d i -

tions d'âge et d'aptitudes sont les mêmes qu'en France. Instruction

publique.

- Le service

de l'enseigne-

ment est placé sous l'autorité d'un vice-recteur. Depuis la fin de l'année

1 8 8 1 , l'enseignement p r i -

maire, autrefois confié aux Frères les garçons, et aux Sœurs de

de Ploërmel pour

Saint-Joseph, p o u r les

filles, a été laïcisé ; 60 instituteurs non congréganistes ont été envoyés dans la colonie au début de l'année 1882. U n e école normale pour les hommes et

une

pour

les femmes ont été créées pour former des instituteurs et des institutrices. Par décision locale du 6

décembre 1 8 8 0 , le sémi-

naire-collège OÙ était donnée l'instruction secondaire a été remplacé par un c o l l è g e , érigé

le 2 mai 1881 en

lycée de 2 classe. e

L'enseignement supérieur n'existe qu'en ce qui c o n cerne l'étude du droit ; une école préparatoire

à cet

enseignement a été créée par décret du 20 janvier 1 8 8 3 .


319

APPENDICE.

Enfin, l'enseignement professionnel est représenté par une école des arts et métiers, établie à F o r t - d e France, et placée sous la direction du chef du service de l'artillerie. Culte. — L e culte est placé sous la direction d'un évêque dont le siège est à S a i n t - P i e r r e . Les paroisses de la colonie sont desservies par 2 vicaires généraux et 7 t prêtres. — L a Martinique

Service postal.

est reliée à la

métropole par des services français et anglais. L e service français est fait par la Compagnie g é n é rale transatlantique, qui fait partir chaque mois deux paquebots de Saint-Nazaire et un de B o r d e a u x . départs de Saint-Nazaire

Les

ont lieu le 5 et le 20 de

chaque mois, et de Bordeaux le 2 5 . L e service anglais part de Southampton le 1

e r

et le

16 de chaque mois. Services financiers.

— Les services financiers de la

Martinique sont répartis entre le budget

de l'Etat

et le budget local. Sur les 2 4 . 0 0 0 . 0 0 0 fr. applicables aux colonies, 2.526.000

sont appliqués à la Martini-

que. A ces dépenses il faut ajouter la solde des t r o u pes,

leur passage

et celui d'un certain

nombre de

fonctionnaires. L e b u d g e t local s'est élevé, en recettes et dépenses pour l'année 1 8 8 3 , à 4.036.265 fr. Etablissements ral des

de crédit. —

escomptes, prêts

la banque pendant

L e mouvement g é n é -

et avances

consentis

l'exercice 1 8 8 1 - 1 8 8 2 ,

par

s'élève

à

2 7 . 0 8 7 . 3 9 1 fr. 19 c. Les bénéfices encaissés, déduction

faite des prélè-


320

NOS GRANDES

COLONIES.

vements statutaires, ont permis de distribuer un dividende de 74 fr. 95 c . , s o i t 1 4 , 9 9 O/O du capital social. Services

militaires.

— La

garnison se compose de

6 compagnies d'infanterie

de

d'artillerie, une c o m p a g n i e

de gendarmerie

c o m p a g n i e disciplinaire.

marine, une

batterie et

une


321

APPENDICE.

C H A P I T R E V. LA

Gouvernement

GUADELOUPE.

et administration.

La

Guade-

loupe est représentée par un sénateur et deux députés. L e Conseil général est composé de 36

membres

élus par le suffrage universel. Les cantons de la Basse-Terre, de la Capesterre, du Lamentin, du Moule et de Marie-Galante

élisent

chacun 4 conseillers : celui de la Pointe-à-Pitre en élit 8 ; celui du

P o r t - L o u i s , 3 ; celui de la P o i n t e -

Noire, 2 ; et ceux de Saint-François, tin et de Saint-Barthélemy,

de Saint-Mar-

1. La commission c o l o -

niale est composée de 7 membres. Le service de rémigration est représenté par un protecteur

d'émigration

inspecteurs et

chef du service, par deux

un certain nombre de

syndics. U n

comité d'émigration est chargé de surveiller le bon fonctionnement de ce service. Les dépenses de l'émigration

figurent

au

budget

pour une

somme de

4 9 5 , 0 0 0 francs. La police générale est représentée par des c o m m i s saires de police cantonaux et coûte environ 1 0 5 , 0 0 0 fr. Justice. — L'organisation judiciaire de la colonie comprenait, au début, un Conseil supérieur, j u r i d i c tion d'appel, et des sénéchaussées chargées de j u g e r en première instance les procès, tant civils que c r i -


322

N o s GRANDES COLONIES.

minois.

Cette

organisation fut maintenue

jusqu'en

1828. L ' o r d o n n a n c e du 2 1 septembre 1 8 2 8 , puis le d é cret du 16 août 1 8 5 4 , modifieront profondément cet ordre de choses, on décidant que la justice serait a d ministrée par des tribunaux de p a i x , des tribunaux de première instance, une cour royale et des cours d'assises. L e décret du 16 août

1 8 5 4 et les décrets subsé-

quents du 31 août 1 8 7 8 et du 8 janvier 1 8 7 9 ont fixé ainsi qu'il suit la composition de la cour et d e s tribunaux : —

Cour d'appel.

1

procureur général, 1 premier

substitut, 1 deuxième substitut, 1 président, 7 conseillers, 1 conseiller

auditeur, 1 greffier en chef.

Tribunal de la Basse-Terre. d'instruction,

— 1 président, 1 j u g e

l j u g e , 1 procureur de le République,

1 substitut, 1 greffier. Tribunal

de

la Pointe-à-Pitre.

1 président, 1

juge d'instruction, 2 j u g e s , 1 procureur d e la R é p u blique, 2 substituts, 1 greffier. Tribunal

de Marie-Galante.

1

juge-président,

1 lieutenant de j u g e , 1 procureur de la R é p u b l i q u e , 1 greffier. Tribunaux

de Saint-Barthélemy

et de

Suint-Martin.

1 juge-président, 1 commissaire d u gouvernement,

1 greffier. N e u f justices de paix

rendent

la justice dans les

différents cantons de l'île. Cour d'assises. — L'organisation de la justice c r i m i nelle a subi en 1 8 8 0 une profonde modification ; la loi


APPENDICE.

323

du 27 juillet 1 8 8 0 a institué le j u r y dans la colonie. Elle a supprimé la cour d'assises de la Basse-Terre pour transporter à la P o i n t e - à - P i t r e le siège de la juridiction criminelle. L e s règles qui président à la formation de la liste annuelle et de la liste de j u g e m e n t sont les mêmes qu'en France. L'ordonnance de 1 8 2 8 a organisé, auprès de la cour et des t r i b u n a u x , des huissiers. Quant au notariat, il est réglé par le décret du 14 j u i n 1 8 6 4 . Instruction publique.— Le directeur de l'intérieur remplit les fonctions de recteur et d i r i g e le service de l'instruction publique. L'enseignement primaire, à part l'école de la BasseTerre, est confié aux Frères des Écoles chrétiennes pour les g a r ç o n s , et aux Sœurs de Saint Joseph de Cluny pour les filles. Dans la dépendance de SaintMartin, les écoles sont dirigées par des laïques. Les écoles sont surveillées par deux inspecteurs primaires. Elles reçoivent 1 1 . 6 6 7 enfants. Jusqu'à ce jour , l'instruction secondaire n'était donnée que dans un collège diocésain dirigé par les Frères du Saint-Esprit ; la création d'un Lycée a été récemment décidée. Cultes.

— L a colonie est administrée par un é v ê -

que ; le siège épiscopal est à la Basse-Terre. Deux pasteurs protestants assurent le service du culte à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Service postal. — Les départs ont lieu aux mêmes ports et aux mêmes dates que pour la Martinique ; le service postal est régi par les mêmes règlements q u e dans la métropole.


324 Finances.

NOS

GRANDES

COLONIES.

— L e service financier de la Guadeloupe

est alimente par deux budgets : l ° l e b u d g e t de l'Etat, dans lequel la colonie

figure

pour

une somme de

2 . 2 6 5 . 1 4 8 fr., non compris les dépenses de solde et de frais de passage de la garnison : 2° le budget se soldant

en recettes

et

dépenses

pour

local, 1883 à

4 . 5 7 4 . 2 1 3 fr. Etablissements

de crédit.

de prêt et d'escompte

— L e total des opérations réalisées pendant

l'exercice

1 8 8 1 - 8 2 par la banque de la Guadeloupe s'élève

au

chiffre de 16. 5 3 5 . 3 5 4 fr. 97. Les bénéfices réalisés, déduction faite des prélèvements statutaires, ont donné un dividende de 77 fr. 5 0 0[0 par action, soit 15 fr. 5 0 0[0 du capital social. Service militaire.

— La garnison est composée de

cinq compagnies d'infanterie de marine, d'une

bat-

terie d'artillerie, de la c o m p a g n i e de discipline

de la

marine et d'une c o m p a g n i e de gendarmerie.


325

APPENDICE,

CHAPITRE LA

Gouvernement

représentée

XIII.

GUYANE.

et administration.

L a G u y a n e est

en F r a n c e par un député.

L e c o m m a n d e m e n t et la haute administration de la colonie appartiennent au gouverneur. Il est assisté de deux chefs d'administration : le directeur de l ' i n térieur et le procureur g é n é r a l . L'officier le plus élevé en grade a le c o m m a n d e m e n t des troupes. Le chef du service administratif, celui du service de santé et l'inspecteur des services administratifs font partie du conseil privé,ainsi que le directeur de la transportation. L e Conseil général se c o m p o s e de 16 membres élus par le suffrage universel ; l'élection des conseillers généraux a lieu par circonscription. L a première, comprenant les communes d ' O y a p o c k , A p p r o u a g u e et K a w , ainsi que la troisième comprenant T o n n e grande, M o n t r i n é r y et M a c o u r i a , nomment chacune deux conseillers. L a deuxième circonscription, c o m prenant le Tour de l'Isle, l'île de Cayenne et R o u r a , nomme trois conseillers : la quatrième : K o u r o u et Sinnamary, et la cinquième : Iracoubo et Mana. élisent chacune un conseiller. La sixième circonscription, ville de C a y e n n e , en n o m m e sept. Justice.

— L e service de la justice est organisé de

la manière suivante : NOS GRANDES

COLONIES

10


326

NOS GRANDES

Cour d'appel.

COLONIES.

— 1 président, 3 conseillers, 1 c o n -

seiller auditeur, 1 procureur général, chef de service judiciaire, 1 substitut, 1 greffier. Tribunal

de première

instance.

— 1 j u g e président,

1 procureur de la République, 1 lieutenant de j u g e , 1 substitut, 2 j u g e s suppléants, 1 greffier. Justice de paix.

— L a justice est rendue dans les

quartiers par huit j u g e s de paix. Justice

criminelle.

U n e cour

d'assises

siège à

C a y e n n e ; elle est c o m p o s é e de 3 membres de la c o u r , et de 4 assesseurs tirés au sort sur une liste dressée par le gouverneur en conseil privé, et approuvée par décret. Instruction

publique.

— L'enseignement

primaire

est gratuit ; il est confié aux Frères de Ploërmel p o u r les g a r ç o n s , et aux Soeurs de Saint-Joseph de Cluny pour les filles. L e s six écoles de la colonie reçoivent 1.188 enfants. L ' e n s e i g n e m e n t secondaire, laïcisé par arrêté local du 7 février 1 8 8 2 , est donné par un personnel détaché de l'Université de F r a n c e . L a colonie entretient dans les lycées de la m é t r o pole

deux boursiers et six demi-boursiers ;

deux

bourses sont en outre données dans les écoles des arts et métiers de F r a n c e , et une bourse dans une école vétérinaire. Culte. —

Le service du culte est placé sous la d i -

rection d'un préfet apostolique. Service

postal

et télégraphique.

— La

Guyane

est

reliée à la F r a n c e par des services anglais et français. Depuis 1 8 6 5 , les relations de la colonie avec

la


327

APPENDICE.

métropole sont assurées au

moyen

d'un service de

bateaux à vapeur français confié à la C o m p a g n i e transatlantique. U n e fois par mois, et coïncidant a v e c le passage à F o r t - d e - F r a n c e (Martinique)

des

grands

paquebots qui vont de Saint-Nazaire à Colon ( A s p i n wall), au fond du golfe de Honduras, un vapeur de la C o m p a g n i e dessert, entre F o r t - d e - F r a n c e et C a y e n n e , une ligne

dont

les escales sont

Trinité, Démérara ( G u y a n e

Sainte-Lucie,

anglaise)

et

la

Surinam.

Ce courrier est attendu à Cayenne le 28 de chaque mois,

a v e c les passagers et

les dépêches pris soit

le 6 à Saint-Xazaire, soit le 21 à F o r t - d e - F r a n c e . S o n départ est fixé au 3 du mois suivant, et le 9 il doit être de retour à la Martinique pour effectuer le transbordement des provenances de la ligne intercoloniale sur le grand paquebot qui part le lendemain,

10,

pour Saint-Nazaire, o ù il doit être rendu le 2 4 . L a G u y a n e a encore une autre occasion

mensuelle

pour entretenir des relations avec l ' E u r o p e , g r â c e à une série de combinaisons qui la mettent en c o m m u nication avec le paquebot anglais partant, le 17 de chaque m o i s , de Southampton pour Saint-Thomas. Services financiers.

— Les recettes et les dépenses

de la colonie sont réparties entre le b u d g e t de l'Etat et le b u d g e t local. L e budget de la marine et

des colonies (service

colonial) c o m p r e n d , sur une dépense de

24.000.000,

déduction faite des services pénitentiaires, une somme de 2 . 2 6 5 . 0 0 0 fr., à laquelle il faut ajouter la solde de la garnison, les frais de passage de celle-ci et d'un

cer-

tain nombre

sont

de

fonctionnaires.

Ces dépenses

payées par le budget de la marine.


NOS GRANDES

328

COLONIES.

L e budget local s'est é l e v é , pour l'année 1 8 8 3 , en recettes et dépenses, à 1 . 6 4 2 . 3 3 1 fr. Les contributions directes figurent pour une somme de 1 1 1 . 8 3 6 f r . , et les contributions indirectes p o u r 1.312.140 fr. Etablissements

de crédit. —

des opérations d'escompte

Le m o u v e m e n t g é n é r a l

et de prêts consentis par

la Banque de la G u y a n e s'est élevé, pour

l'exercice

1 8 8 1 - 1 8 8 2 , à 3 . 4 9 3 . 2 4 3 . fr. 7 0 c . Les bénéfices réalisés, déduction faite des p r é l è v e ments statutaires, ont donné 81 fr. 05 par action, soit 1 6 . 2 1 7 % du capital social. Services

militaires.

L a garnison

est c o m p o s é e

de six compagnies d'infanterie de marine, une d e m i batterie d'artillerie merie coloniale.

et d'un détachement de g e n d a r -


FABLE CRÉOLE LEs

FEMMES

ET

LE

SECRET.

Pas ni e n g n i e n qui Ka p e s é Corn yon parole ou doué g a r d é . Y o d i t n é g r e s s e faibe côté l à , Ça voué ; mais poutant pou p a l e , Y o pas faibe passé femme béké. E t moin Kalé fé zolt voué ç a . Y o n j o u té n i yon n é g o c i a n t , (Moins ka pale zott gens l o n g - t e m p s , F a u t p a s pessonne p r e n d ça pou yo), Q u i té v l é voué en badinant Si femme li té ainein c a n c a n . . . . S i m o u c h e - à - m i e l a i m e i n sirop!... Dans la nuit, quand y o té c o u c h é , N h o m m e là c o u m e n c é ka c r i é , f e m m e l à l e v é , — « Pas dit pessonne, N h o m m e l à dit l i , ça qui rivé, G a d é , m a c h è , t e i n ' m i yon zé T o u t à - l h è nhomme ou sôti p o n n e . » I faudrait femme té p l i savant P a s s é yo yé, pou v o u é , la

dans

Yon chose com ça, yon cabonia. Tala

dit : « Moin k a fè sément

Pas dit. Ou pé ba moin boucan Si moin palé quequin de ça. »


330

NOS GRANDES

COLONIES.

Pas m o i n s , ani li té levé, F e m m e pas ni engnien pli pressé, Allé la case m a c o u m è l i , l'on conté ça qui té rivé : Dit nhomme li té ponne yon gros z é , S o u l a g é khè li et pati.

Ma coumè là té fè sèment Pas pale ça pou yon v i v a n t . Mais, ani femme là té pati, Li conté ça pou toutt parent. Pou toutt zami li. A présent. A u lié li dit yon zé, dit dix.

A la fin la j o u n e i n , n'homme là Té ponno yon pagnien samboura. Chose yo ka pale, ka longé : Y o n n e dit li té ponne zé lé/.a. Lautt zé codeinne. lautt zé cana : Té tini toutt sôte qualité

F e m m e là ranne n h o m m e li malhéré. Làdans zoreille n è g ça tombé ; Ça té fini ! pas ni pessonne Qui de ça pas tanne y o pale. Et toutt ti mamaille pouend chanté : C'est yon zé codeinne n h o m m e là p o n n e ! . .

Quand zott ni q u e chose pou pale, Fè attention ça qu'a conté, Si zott pas vlé toutt moune save li. Zott save toutt moune aimein causé, c'est pou ça i faut pas blié Zoreille pas tini couvèti.


APPENDICE.

Nos

lecteurs

européens n'ont peut-être pas

331 pris

grand g o û t à ce petit chef-d'œuvre, qu'ils ne peuvent apprécier;mais nous n'écrivons pas pour eux seuls, et c o m m e le livre de Mai-bot est devenu fort rare, nous sommes bien certain d'avoir t'ait plaisir à celles de nos jolies compatriotes qui n'ont pas oublié le doux parler de notre enfance.



BIBLIOGRAPHIE

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334

APPENDICE.

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NOS GRANDES

335

COLONIES.

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d i v e r s e s : Lettre

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338

NOS

GRANDES

COLONIES.

GUISAN. — Traité sur les terres noyées de la Guyane appelées c o m m u n é m e n t terres b a s s e s . — Cayenne, in-8", 1788. Malouet.

— Mémoires et correspondances

sur l'admi-

nistration des colonies.—Paris,Baudion, 1817 in-8°. R a m e l . — Journal de R a m e l , Londres, in-8°, 1799.

adjudant

général.

RAMEL. — A n e c d o t e s secrètes s u r le 1 8 fructidor (suite du précédent.) — Paris, sans date, 1 v o l . i n - 8 . J

A. SENEZ. —. Notice historique sur les établissements faits dans la Guyane. — Cayenne, in-8°, 1821. D e L a r u e . — Histoire du 18 fructidor. — Paris, in-8°, 1821. B a r B É - M a R B O I S . — Journal d'un déporté nonjugé. Paris, in-8°, 1835.

M i n i s t è r e d e l a m a r i n e . — Précis sur la colonisation des bords de la Mana. — Paris, in-8°, 1 8 3 5 . M i n i s t è r e d e l a M a r i n e . — Précis historique de l'expédition de Kourou. — Paris, in-8°, 1812. T h e b a u l t d e l a M o n d e r i e . — V o y a g e s faits dans l'intérieur de l'Oyapock de 1811) à 1817. — Nantes, in-8°, 1856. T e r n a u x - C o m p a n s . — Notice historique sur la Guyane française. — Paris, Didot, in-8°, 1843. J. Du v a l . — L e s colonies et la politique coloniale. Bertrand, in-8", 1860. D e MONTEZON. — Mission de Cayenne française. — J u l i e n Lanier, in-12,

et de la Guyane 1857.

LOUBÈRB. — Situation économique de la Guyane çaise en 1871. — J u l i e n Lanier, in-12, 1875. DURAND. — La Guyane Lanier, in-1 2, 1S77.

française

et le Brésil. —

S a g o t . — A g r i c u l t u r e de la Guyane Lanier, in-8°, 1874

française.

franJulien

—Julien


339

APPENDICE. SAGOT.

Généralités

sur la

Guyane

française.

Cluny, in-8°, 1874. D E S A I N T - Q U A N T I N . — Introduction à l'histoire de la Guyane française, suivie de contes et fables en c r é o l e . — Antibes, in-32, 4 872. M O U R I É . — La Guyane

française. — Paris,

P. Dupont,

in-12, 1874. C O U Y . — Renseignements

sur la navigation des

et des rivières de la Guyane. —

côtes

Paris, P. Dupont,

in-12, 1865. J . C R E V A U X . — V o y a g e s dans l ' A m é r i q u e Paris, Hachette, in-4°, 1883.

du S u d . —

J U L E S DE C R I S E N O Y . — De Rochefort à Cayenne, scènes de la vie marine. — Paris, in-8°, 1863. H. F E N I N G R E . — Guyane française. BOUYER. — G u y a n e

française,

- Lille, in-8°, 1864.

notes et souvenirs. —

Paris, Hachette, in-4°, 1867. A N G L A V E . — L e s coolies

indiens

et les nègres

G u y a n e française. — R e v u e scientifique,

à la

14 février

1880. D

r

A R M A N D . — La Guyane française et ses produits forestiers. — La N a t u r e , septembre 1880.

A R R A I N V I L L E . — Statistique agricole et commerciale de la G u y a n e . — Revue maritime et coloniale. — 1876, tome X L I X . B A R V A U X . — L'or à la G u y a n e française. — R e v u e maritime et coloniale, mai 1873. CHABAUD ARMAND. —

La Guyane française

et la pro-

vince du Para. — R e v u e maritime et coloniale, mai 1876, t. L. M O R I T Z . — La colonie pénitentiaire de Saint-Laurent du Maroni. — Revue maritime et coloniale,

mai 1880,

t. L X V I . SAGOT.

Exploitation

des forêts de la Guyane.

R e v u e maritime et coloniale, a o û t - s e p t e m b r e - o c t o bre 1869.


340

NOS GRANDES

VIDAL..

COLONIES.

— V o y a g e d'exploration dans

le haut Maroni-

— R e v u e maritime et coloniale, 1862. X.

— Statistique de la G u y a n e . —

Revue

maritime et

coloniale, mars et avril 1875. DE LA B O U G L I S E . — Les placers de la Guyane française. Journal officiel, 2 0 - 2 1 - 2 2 juin 1874. BOUYER. — V o y a g e dans la Guyane française. — Tour du Monde, 1

er

s e m . 1866,

J. C r e v a u x . — • V o y a g e d exploration dans l'intérieur de la Guyane française. — Tour du monde I s e m . e r

1879.

C O C H U T . — Colonisation de la G u y a n e . D e u x - M o n d e s , 1 août 1845.

— R e v u e des

er

J. D U V A L . — La Guyane et ses ressources. — R e v u e des d e u x - M o n d e s , 15 septembre 1861. C H A R R I È R E . — Les gisements aurifères. — Revue a l g é rienne et coloniale, septembre 1860. J. C R E V A U X .

— V o y a g e au Maroni. —

Bulletin

de la

Société de Géographie, novembre 1878. L E . I E A X . — Intérieur de la Guyane. —

Bulletin

de la

Société de G é o g r a p h i e , novembre 1856. X . — L e s coolies à la G u y a n e française. — R e v u e scientifique, 21 juillet 1877. D E L T E I L . — V o y a g e chez les Indiens de la G u y a n e . — Bulletin de la Société des sciences et des arts de la Réunion, 1870. HENRI B a I L L E T , ingénieur. — Notes et d o c u m e n t s inédits. — N o t r e ami M. Baillet a bien v o u l u nous c o m muniquer les notes qu'il a prises pendant son séjour à la Guyane, où il dirigeait une exploitation forestière. Il nous a fourni de précieux documents sur les c o u t u m e s des Bénis au milieu desquels il a vécu, sur les bois de la G u y a n e et s u r les é t a b l i s s e m e n t s pénitentiaires.


APPENDICE.

341

FERNAND HUE. — N o t e s et d o c u m e n t s p e r s o n n e l s . — Quelques-unes d e c e s n o t e s o n t é t é p r i s e s p a r n o u s auprès d'un de nos camarades qui pendant dix ans a é t é t o u r à t o u r p r o s p e c t e u r et d i r e c t e u r d e p l a c e r . Nous d e v o n s les autres à un de nos amis qui d e p u i s plusieurs années habite Cayenne.



TABLE

DES MATIÈRES

LES

ANTILLES

C H A P I T R E I. — Position,

énumération

I

C H A P I T R E II. — Histoire générale des Antilles françaises depuis la prise de possession jusqu'à nos jours

§ I. — De 1625-1668. — Le berceau

?

de la c o -

lonisation aux Antilles. — Richelieu. — Singuliers bienfaits. — Un lieutenaut infidèle. — Trop de s e r p e n t s . — L'Olive le Cruel. —

Guerres avec les Caraïbes.

— Boisseret. —

Ce q u e nous devons aux Hollandais. — Les Compagnies; leurs fautes

3

§ 2. — De 1668 à 1793. — A i d e - t o i , le Ciel .. — Dicton élogieux. — Les S a i n t e s ; P u l i o n ; un Te Douta bien payé. — Le rhum sauveur. —

Invasion de la Guadeloupe ; Codrington père

est repoussé. — Son fils a le m ê m e succès. — Une capitulation honorable. — La Guade-

loupe affranchie. — G é n é r e u s e

folie.

.

.

.

8

§ 3. — De 1793 à nos jours. — Précipitation r e grettable — Prodiges de valeur. — C h r é -

tien et Victor

Hugues. — Guerre

civile.—

Perdues jusqu'en 1816.— Révoltes diverses. — 1848. — La vérité sur l'émancipation. . .

17


344

TABLE

DES MATIÈRES.

LA MARTINIQUE. CHAPITRE I. — Aspect général de l'ile. — Situation géographique. — Découverte. — M o n tagnes. — Rivières —Descentes. — L e s deux saisons. — L ' h i v e r n a g e : maladies; p h é n o mènes du ciel, des eaux et de la terre. — Température. — L e s nuits. — Le drap m o r tuaire

23

I I . — La population et les mœurs. — Une rectification. — Types originaux. L e

CHAPITRE

Créole — Question de couleurs. Hier et aujourd'hui. — Un bal. — La vie à la Martinique. — Une singulière habitude. — Zombis et soucougnans. — Le langage créole. — Les linmbous

43

C H A P I T R E III. — Le règne animal. — L e s s e r pents. — Renvoi à la Guadeloupe. — Histoire du café. — Une réputation usurpée. .

61

LA GUADELOUPE. CHAPITRE I . — D é c o u v e r t e . — Trois étymologies

pour une. — Situation. - structure. — Configuration; côtes, anses, pointes, etc. —Montagnes. — Rivières. — Produits minéraux et sources. — Le tremblement de terre de 1 8 4 3 .

C H A P I T R E I I . — La

Basse-Terre. — La Pointe-à-

pitre. — Les îlots. — Une ascension à la S o u -

frière

m. — Le règne végétal. — Habitations vivrières; le manioc. — L e paradis des gourmands. — Les forêts vierge». — Le m a n c e -

CHAPITRE

nilier; Millevoye et l'Africaine. — Grandes

habitations.

73

— Hier

et aujourd'hui.

— Le

82


TABLE DES MATIÈRES. s u c r e . — Le r h u m . Triste constatation. migration;

345

— Autres produits. — — Les travailleurs : l'é92

CHAPITRE IV. — Dépendances de la Guadeloupe.

118

Marie-Galante

118

Les Saintes

122

La Désirade

125

Saint-Martin

128 131

Saint-Barthélemy

LA

G U Y A N E

CHAPITRE I — D é c o u v e r t e . — Christophe C o l o m b . — Vincent Pinçon. — Gonzalo Bizarre. — El Dorado. — Les aventuriers anglais. — La Ravardière. — La Compagnie de R o u e n . — Brétigny. — Fondation de Cayenne. — Les douze seigneurs. — Occupation de Cayenne par les Hollandais

141

C H A P I T R E II. — De la Barre. — Expulsion des Hollandais.— La France équinoxiale. — Prise de Cayenne par les A n g l a i s . — Paix de Bréda. — Prise de la Guyane par les Hollandais. — Suppression des c o m p a g n i e s . — Reprise de Cayenne. — De Jeunes. — Les Pères Lombard et Rainette. — Pierre Barrère

153

C H A P I T R E III. — Expédition de Kourou. — Essais de colonisation de Bessner. — Malouet et Guisan. — Villeboi. — Révoltes à Cayenne en 1793. — Emancipation des noirs. — R é q u i sition forcée. — Victor H u g u e s . — Prise de Cayenne par les Portugais. — Traité de 1814. — Colonisation de la Mana. — M Javouhey. — 1848. — Abolition de l'esclavage. —• Situation actuelle

160

me


346

TABLE DES MATIÈRES.

C H A P I T R E I V . — Situation. — Limites a n c i e n nes. — Limites actuelles. — Le territoire contesté. — Aspect général. — Montagnes. — F l e u v e s . — L e s grands bois. — Le littoral. — Les îles. — Division administrative. — Cayenne. — La Mana. — Approuague. — Population. — Climat. — Moyenne de la mortalité

182

CHAPITRE V . — Les explorateurs de la G u y a n e . — Les PP. Grillet et Béchamel. — D'Orvillers. — Le P. Fauque et M. Duvillard. — Patris. — Mentcllc. — Le Blond. — Leprieur. — Vidal. — J. Crevaux .

206

C H A P I T R E V I . — Immigrants et aborigènes. — Créoles. — Noirs et mulâtres. — Bonis. — Bosch. — Paramakas. — Poligoudoux. — Coolies hindous

212

C H A P I T R E V I I . — Les aborigènes. — Races disparues. — Le dernier des Arami chaux — Galibis. — Oyacoulets. — O y a m p i s . — Emérillons. — Roucouyennes

232

C H A P I T R E V I I I . — Culture. — C o m m e r c e . — Sous m a r q u é s . — La propriété foncière. — Industrie

247

C H A P I T R E IX. — L e s essences forestières. — Leurs u s a g e s . — Exploitation d'une forêt. — Les résines

254

CHAPITRE X . — Constitution géologique. — Le prospecteur. — La battée. — Le longtom. — Le sluice. — Etablissement d'une exploitation.

267

C H A P I T R E X L — A n i m a u x des forêts. — Jaguars. — Vampires. — Serpents. — Les tortues. — Les insectes. — La mouche anthropophage. — L e s poissons. — Les oiseaux

291

C H A P I T R E X I I . — La déportation. — 18 fructidor. — La transportation. — 1852. — Création et suppression d'établissements. — Les îles d u


TABLE DES M A T I È R E S . Salut. — L'ilot la M è r e . — Saint-Laurent du Maroni. — Les femmes. — Les m é n a g e s . — Les enfants. — Evasions. — Les forçats a n thropophages

347

299

APPENDICE.

Gouvernement de la Martinique Gouvernement de la Guadeloupe Gouvernement de la Guyane Fable en patois créole Bibliographie des Antilles Bibliographie de la Guyane

317 321 325 329 332 335



T A B L E DES G R A V U R E S ET

DES

CARTES

Pages. Vue du littoral de Saint-Pierre, à la Martinique. . . Front. (Jase et groupe de Caraïbes 5 Rivière Madame, à Fort-de-France 25 Kort-de-France 29 La Place Bertin, à Saint-Pierre 33 Jardin botanique de Saint-Pierre 37 Groupe de cases de cultivateurs 48 Indienne 48 Mulâtresse 50 Négresse 53 Vieille Négresse 57 Pointe du Carbet, près Saint-Pierre La Pointe-à-Pitre. après l'incendie de 1871 86 Plant de Manioc 94 Arbre à pain 96 Mulâtresse de la Guadeloupe 99 Habitation sucrière pendant la recolle 107 Usine Darbousier, à l'entrée du port, à la Pointe-à-Pitre. 111 Cayenne. — La place du Gouvernement 140 Entrée d'une crique 188 Colliers 238 Ornement de pied 239 Jarretières , . . . 240 Coiffure de Roucouyenne 241 Ornement de ceinture. • • • 242Autre coiffure de Roucouyenne , . . . . 243 Poteries indigènes 244 Forêts de la Guyane 261 Outils servant à l'exraction de For 265 NOS G R A N D E S COLONIES.

10**


350

TABLE DES

GRAVURES. Pages.

Fragments de poteries trouvés s o u s la couche aurifère. Prospecteur voyageant avec un noir porteur d u pagara. Prospecteur faisant un lavage d'aissai à la battée. . . Mines d'or de la G u y a n e . Le Sluice Logement des ouvriers aux mines de Saint-Elie. . . Costume d u dimanche des ouvriers employés aux mines d'or de la Guyanne

269 271 275 279 283

Carte de la Martinique Carte de la Guadeloupe Carte de la Guyane

23 73 141

POITIERS. —

TYPOGRAPHIE

OUDIN.

287






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