H e n r i
T u
r o t
En Amérique latine Préface de M .
PIERRE
BAUDJN
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L, en
o
o 2
Illustration de M.
Edouard Brisson.
PARJS
V U 1 B E R T et N O N Y 0
h
6 3 ,
BOULEVARD
ÉDITEURS
SAINT-GERMAIN,
I 908
6 3
Y! J
Escrifô'îo de P r o p a g a n d a e do
s o Comercial T o u s droits de reproduction et de traduction réserves.
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G I D L I O T C C N°
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Published the 21st of December igoj. Privilege of copyright in the United Stales reserved under the act approved March 3ra, igo5by Vuibert and Nony of Paris.
P R É F A C E
11 y a tout de m ê m e des Français que la terre intéresse. Tel est mon ami Henri
TUHOT.
Il a voyagé en Chine et au Japon, fouillé le T o n k i n ,
respiré les arômes de C e y l a n ,
il a pénétré dans les steppes brûlés du
Sénégal. OH n'est-il pas allé porter son enquête, ce Français exceptionnel qui s'embarque sans proclamer son départ et rentre sans poser au conquistador,
qui n'a pas prétendu convertir les Asiatiques à la Déclara-
tion des droits de l ' h o m m e , qui n'a pas fait couler de sang nègre dans les savanes de l'Afrique, <juî n'a pas cru renouveler la découverte de l'Amérique, mais qui n'abdique nulle part ni son sang-IVoid, ni sa bonne Humeur, ni sa line observation, ni sa recherche de l'utile, ni son plaisir de conteur. Le livre qu'il rapporte du Brésil et de l'Argentine nous oITrc une représentation complète de sa nature et de son talent. Et si je parle d'abord de sa personne avant de parler de son œuvre, c'est que je donne volontiers Henri Turot en exemple à notre jeunesse. Cédant aux sollicitations de la vie universelle, nos familles envoient enfin leurs enfants à l'étranger. L a connaissance des langues est entrée dans l'éducation française. De jeunes ingénieurs portent au loin notre science associée à notre clarté intellectuelle. Un grand nombre de c o m merçants placent leurs fils en A l l e m a g n e , en Angleterre, aux Etats-Unis. C e sont là les s y m p t ô m e s heureux d'un renouveau. 11 était temps, en vérité. Un peu plus tard c'eût été trop tard. Les autres nous ont devancés depuis si longtemps! Cependant rien n'est perdu. Associée à d'incomparables dons, notre activité extérieure fera des progrès rapides, surtout si nous avons souci de la diriger à la fois et selon nos goûts et
VI
PRÉFACE
notre tempérament national et vers les pays où des affinités de race et de civilisation nous attirent. C'est exactement le double enseignement qu'on retirera de la lecture de ce livre. D'abord il prouve que pour sortir des frontières et porter utilement sa vue sur les pays étrangers, il n'est point nécessaire de renoncer à la culture affinée qui prête à nos idées tant d'attraits et de force expansivo. Il s'ajoute à une très nombreuse bibliothèque de voyages où les auteurs français ont mis le récit amusant, vif et anecdotique au service d'un but scientifique ou utilitaire. Les escales de Turot à Lisbonne, à Dakar, à Pernambouc, à Bahia, ses excursions au Corcovado de Rio, à Petropolis, sont autant d'occasions de descriptions et de récits amusants, qui sont loin de nuire au sérieux et aux notations économiques de l'ouvrage. De telles lectures sont les meilleurs démentis aux fâcheuses prédictions des défenseurs encore trop nombreux de l'inertie nationale, aux gens de routine qui menacent ce pays de déchéance le j o u r o ù i l s e mêlera aux autres dans la lutte générale des intérêts et des échanges. Mais le grand mérite de « En Amérique latine », est qu'Henri T u r o t y trace le tableau d'une terre admirablement préparée à nous recevoir, à nous suivre, à nous aimer et à nous prodiguer des richesses. Le Brésil, l'Argentine, auxquels mon ami
M. Turot me permettra
d'ajouter le Mexique, sont vraiment pour nous des républiques sœurs. C'est à Paris qu'elles envoient l'élite de leur jeunesse afin d'y recevoir la haute culture littéraire et scientifique. C'est à Paris que leurs familles fortunées arrivent directement quand elles veulent se reposer de la beauté inaltérable de la nature tropicale. C'est vers la France qu'est tourné leur esprit comme le guide désintéressé des peuples vers l'idée, la philosophie et l'art. Ce sont nos laboratoires qui forment leurs savants. L'Institut Pasteur leur a donné ses méthodes et ils lui doivent l'inappréciable conquête de 1 hygiène et de la santé sur la fièvre jaune. Enfi n, c est d'abord à la finance française qu'ils s'adressent
pour
couvrir les emprunts dont ils ont besoin, en vue de la transformation des villes, de l'ouverture de ports magnifiques, des travaux de chemins de fer, etc... Ces pays sont restés à peine exploités jusqu'ici. Ils s'ouvrent brusquement
au merveilleux
essor de la vie moderne,
leurs besoins
sont
immenses. Ils sont à tous les commerces de l'Europe, un spacieux champ clos où chacun d'eux peut exercer sa valeur originale.
PRÉFACE
VII
Les Allemands et les Anglais n'ont pas manqué de s'y avancer avec leur hardiesse coutumière. D'autre part, les États-Unis ne renoncent pas à l'espoir ambitieux de ranger sous la protection de leur intluence toutes les républiques américaines. La mission de M. Root et le congrès panaméricain de Rio restent deux grands actes dont nous aurions tort de nous désintéresser. C o m m e le dit très justement Henri Turot, qui en fut le spectateur attentif, ils ont produit plus d'effet que de résultats. Les liens géographiques qui rapprochent les deux Amériques sont sans doute un avantage considérable acquis à la politique des Etats-Unis, mais le temps ne semble pas travailler dans ce sens. Faibles, séparées par des discordes violentes, travaillées par des révolutions, les Républiques du Sud ont jadis offert une prise facile à la politique du Nord. Celle-ci, du reste, uniquement appliquée aux choses apparentes et aux faits du moment, n'a pas su voir toutes les chances qui s'offraient alors à elle. Aujourd'hui elle est visiblement impressionnée par l'éveil de ces pays doués d'une nature incomparable, par la belle tenue de leurs gouvernements, par l'essor de leur activité, mais sa clairvoyance apparaît tardive et trop intéressée. Elle est suspecte. Les républiques commencent à sentir leur force et elles connaissent leur fortune. Elles tendent à suivre plutôt leurs affinités de race et de civilisation que la parenté fruste et inférieure des sols. Sans repousser les avances de leurs grands voisins, elles cèdent ¡plus volontiers à leur goût inné pour leur grande sœur latine. Elles viennent à la France. Elles appellent à elles les Français. Elles tiennent en prédilection la langue française. Elles recherchent l'enseignement
de nos
maîtres, les conseils de nos politiques. Elles adoptent nos modes, notre littérature, notre théâtre. Elles ne demandent qu'à recevoir le trop-plein de 1' enorme épargné française. Elles sollicitent les directions de nos architectes, de nos ingénieurs. Elles remettent à certains de nos entrepreneurs la tâche de transformer en des ports superbes, profonds et sûrs, les baies, les estuaires et les fleuves. Encore faut-il que nous travaillions à élargir des rapports si heureusement commencés.
L'initiative des
hommes d'action peut trouver là l'accueil le plus agréable et à la fois le plus profitable, mais les gouvernements ne sauraient rester indifférents à ce double courant d'idées, de sentiments et d'affaires. Ils ont un sûtmoyen de l'aider, c'est de corriger les droits de douane et d'accise en ce qu'ils ont de prohibitif ou de trop préférentiel.
VIII
PRÉFACE
On trouvera dans ce livre une étude approfondie du commerce,
des
lois, et des entreprises de chaque pays. Il faut savoir gré à l'auteur d'avoir voulu nous faire profiter de ses éludes et de son expérience. T o u t le monde y trouvera à glaner. Les uns des renseignements utiles, d'autres de jolies descriptions, les hommes d'Klat de précieux avis, et tous la connaissance des vivantes et chaudes sympathies qu'un jeune continent d'outre-mer garde à la vieille France, toujours écoulée et toujours aimée des peuples latins.
PIERRE
B A U D I N .
EN AMÉRIQUE LATINE
C H A P I T R E
I
V E R S L'AMÉRIQUE DU
SUD
L e développement «les Hépubliquos américaines. — L'effort h accomplir. — E n routo 1 — Souvenirs d'Espagne. — L'influence du m i l i e u . — Q u e l q u e s j o u r s en P o r t u g a l . — L u s o et C o ï m bra. — C o (pie disent les vieilles pierres. — La Montagne de Cintra. — Les pics bavardes. — Lisbonne, les Gallejos et les Vacinas.
Après avoir subi les secousses d'innombrables révolutions, en dépit de crises financières longues cl périlleuses, les Républiques sud-américaines, notamment l'Argentine et le Brésil, connaissent maintenant une ère de prospérité qui témoigne éloquemmenl de leur vitalité, de leur énergie, et qui promet un avenir brillant, égal peut-être à celui des ÉtatsUnis du Nord. Celle prospérité, elle peut, elle doit profiter à la fois à ceux qui la créèrent par un effort hardi et patient, et à la vieille Europe qui ne saurait se désintéresser de l'œuvre réalisée, encore moins de celle qui reste à accomplir. D'aucuns l'ont déjà bien compris et alors que nos capitalistes français bornent trop souvent leur audace à couvrir des emprunts peu rémunérateurs, les commerçants,
les industriels nord-américains,
anglais
ou allemands, étendent là-bas le champ de leurs opérations et font rapidement fructifier les capitaux que leurs compatriotes moins timorés vont risquer dans les entreprises lointaines. C'est ainsi que la France qui regorge de richesses, et qui augmente chaque année son patrimoine de plusieurs milliards, que la France qui pourrait, grâce à ses infinies ressources, mulliplier partout ses comptoirs et entreprendre les plus vastes travaux, se laisse trop souvent devancer par des concurrents plus hardis. HENRI
TUROT.
.
VERS
L'AMERIQUE
DU
SUD L5
Le mal est grand : il n'est point sans remède. Heureusement on commence dans certains milieux à réagir contre une si dangereuse inertie, on prend l'habitude de regarder au loin par delà les frontières et les océans, et nous sommes à la veille, espérons-le, de mettre mieux à profit tous les avantages dont nous disposons. Déjà les commerçants, les industriels, donnent à leurs fils une
édu-
cation plus pratique : les jeunes gens apprennent plus volontiers les
LISBONNE. —
Avenue Libertad.
langues étrangères et voici que les grands journaux qui jadis réduisaient à une demi-colonnc la part réservée aux choses de l'étranger, consacrent maintenant de longues études, des informations sérieuses aux événements de l'extérieur. Nous sommes donc dans une bonne voie : il n'y a plus qu'à nous y engager chaque j o u r davantage avec la volonté de regagner le temps perdu. Souhaitons que le lecteur ne considère pas comme tel celui qu'il consacrera à faire avec nous cette rapide excursion en Amérique du S u d . Et maintenant, si
AOUS
le voulez bien, prenons sans autre préambule,
VERS L'AMÉRIQUE
DU
I3
SUD
le Irai» pour Lisbonne où les voyageurs qui redoutent les traditionnelles agitations du golfe de Gascogne vont rejoindre les paquebots en partance pour Rio de Janeiro et Buenos Ayres. Aussi bien un arrêt de quelques jours en Portugal est-il fort séduisant. Que de voyageurs qui ne connaissent de l'Espagne que le trajet de la frontière à Madrid, étendent in justement leur jugement défavorable à la péninsule ibérique tout entière!
LISBONNE.
—
C o u v e n t dos J e r o n v m o s .
Ali ! certes j e comprends la mauvaise h u m e u r de ceux à qui la perspective d'un voyage en Espagne a donné les riantes illusions de paysages gracieux, de lumière gaie, de jolis sites ensoleillés! A peine a-t-on franchi les dernières pentes des Pyrénées de l'autre
côté
de notre frontière,
qu'on pénètre dans une vaste et interminable plaine desséchée et lugubre où le soleil apparaît moins comme
un bienfaisant fécondateur
que
comme un fléau redoutable ; les y e u x cherchent en vain pour se reposer un coin de verdure ou l'ombre accueillante de quelques arbres : le désert s'étend indéfiniment sans une pousse d'herbe, sans que le moindre
VERs
4
L'AMÉRIQUE
DU
SUD I3
feuillage vienne en atténuer la désespérante monotonie, désert aux tons rougeâtres et sévères, qui n'a certes pas l'enivrante clarté des sables africains. Et l'on roule ainsi sans jamais voir surgir ces villages coquets cl attirants, ces maisonnettes paisibles qui donnent à notre terre de France un charme incomparable. Si nous sortons de celte plaine morne cl boslile, c'est pour nous enfoncer dans des chaos de rochers, dans des gorges grisâtres, parmi des hauteurs
mé-
diocres aux arêtes acerbes, à l'aspect revêche, aux escarpements brusques: pas plus que dans la
plaine
on
n'y
renconIre l'invitation d'un ou
hospitalière gazon
d'un
lleuri
ombrage
protecteur;
des
ronces, des épines maigres, gries,
rabou-
bridées
par
le s o l e i l , c o n s t i tuent l'unique v é gétation : la chèvre la plus affamée n ' y trouverait point pàLISBON'NF. —
P l a c e de
ïtocio.
lure. Les villes ne sont
guère plus réjouissantes que ces campagnesdc deuil, et certaines, comme Burgos ou Valladolid, donnent au touriste je ne sais quel spleen dont il a peine à se débarrasser. Il faut descendre bien avant vers les provinces méridionales, se rassasier du charme pénétrant de Grenade, se délasser dans les jardins de Séville et rêver sur les blanches terrasses d e . C a d i x pour sentir disparaître peu à peu l'impression désolante des premiers jours. Sur ce sol dur, sur cette terre ingrate, parmi ces roches dénudées vit un peuple qui, lui aussi, a ses rudesses, ses emportements impossibles à dompter el qui refuse de s'assouplir ; peuple souvent cruel jusque dans
VERS
L'AMERIQUE
DU
L5
SUD
ses plaisirs, peuple que la misère, pourtant si destructive d'énergie, n'a point encore maté, peuple habitué à la lulle et coutumier de l'effort depuis une longue suite de siècles, rendu presque farouche par des invasions successives, péniblement repoussées ou subies sans résignation. Et lorsqu'on
rapproche
ainsi
la physionomie
d'une contrée
du
caractère de ses habitants, comment ne point songer à ces lignes admirables de la Littérature
anglaise, où Taine établit avec une prodigieuse
LISBONNE. —
C l o î t r e d u c o u v e n t dos J c r o n j m o s .
puissance de stvle l'influence du milieu sur les races qui y naissent et s'y meuvent. En regardant la terre d'Espagne et en me remémorant les pages trop souvent sanglantes de son histoire, je retrouvais dans mon souvenir, comme le plus éloquent exemple de cette empreinte du sol sur les âmes, la géniale description du berceau des Saxons ; on ne m'en voudra pas de la replacer sous les yeux de mes lecteurs : « Si vous longez la mer du Nord depuis l'Escaut jusqu'au Jutland, vous vous apercevrez d'abord que le trait marquant du pays est le manque de pente : marécages, landes et bas-fonds ; les lleuves, péniblement, se traî-
VERS
L'AMERIQUE
DU
SUD L5
nent, enflés et inertes, avec de longues ondulations noirâtres : leur eau cxtravasée suinte à travers la rive et reparaît au delà en ilaques
dor-
mantes. En Hollande, le sol n'est qu'une boue qui fond ; à peine si la terre surnage çà et là par une croûte de limon mince et frêle, alluvion du fleuve que le fleuve semble prêt à noyer. Au-dessus planent les lourds nuages, nourris par les exhalaisons éternelles. Us tournent lentement leurs ventres violacés, noircissent, et tout d'un coup fondent en averses ; la
LISBONNE. —
C l o î t r e d u c o u v e n t dos J c r o n y m o s .
vapeur, semblable aux fumées d'une chaudière, rampe incessamment sur l'horizon. Ainsi arrosées les plantes pullulent; à l'angle du Jutland et du continent, dans un sol gras, limoneux, « la verdure est aussi fraîche qu'en Angleterre ». Des forêts immenses couvrirent la contrée jusqu'au delà du onzième siècle. C'est ici la sève du pays humide, grossière et puissante, qui coule dans l'homme comme dans les plantes, et, par la respiration, la nourriture, les sensations e l l e s habitudes, fait ses aptitudes et son corps.
L5 VERS
L'AMERIQUE
DU
SUD
« Cette terre, ainsi faite, a u n ennemi, la m e r . La Hollande ne subsiste que par ses digues. E n
celles du Julland se rompirent, et quinze
mille habitants furent engloutis. 11 faut voir la houle du Nord clapoter au niveau du sol, blafarde et méchante ; l e n o r m c
mer jaunâtre arrive
d ' u n élan sur la petite bande de côte plate qui ne semble pas capable de lui résister un seul instant ; le vent hurle et beugle, les mouettes crient ; les pauvres petits navires s'enfuient à tire-d'aile, penchés, presque renversés,
et
tâchent
de trouver u n asile dans la b o u c h e du fleuve, qui semble aussi hostile que la mer.
Triste
vie
et précaire, c o m m e devant une bête de proie ; les F r i s o n s , dans leurs lois antiques, parlent déjà de
la ligue
qu'ils
ont faite ensemble contre
le
« féroce
océan ». « Même pendant le calme, cette mer reste Devant
inclémente. les
yeux
s'étale le grand dé-
L
,SB0NNE.
_
I n t é r i e u r d u cloître d u c o u v e n t dos J c r o n v m o s .
sert des eaux ; audessus,
volent les
nuées, ces grises et informes fdles de l'air, q u i , delà m e r , avec leurs eaux de brouillards, puisent l'eau, la traînent à grand peine, et la laissent retomber dans la mer, besogne triste,
inutile et fastidieuse. « A plat ventre
« étendu, l'informe vent du N o r d , c o m m e un vieillard g r o g n o n , babille « d ' u n e v o i x gémissante et mystérieuse, et raconte de folles histoires. » P l u i e , vent et houle, il n'y a de place ici que p o u r les pensées sinistres ou mélancoliques. La joie des vagues elles-mêmes a j e ne sais quoi d ' i n q u i é tant et d'âpre. D e la Hollande au Jutland, une fde de petites îles noyées témoigne de leurs ravages ; les sables mouvants que les flots apportent obstruent d'écueils la côte et l'entrée des
fleuves.
La première flotte ro-
8
VEHS
L'AMÉIUQUE
DU
SUD
maine, mille vaisseaux, y périt; encore aujourd'hui les navires demeurent en vue des ports u n mois et davantage, ballottés sur les grandes vagues blanches, n'osant se risquer dans le chenal changeant, tortueux, célèbre par les naufrages. L'hiver, une cuirasse de glace couvre les deux fleuves ; la mer repousse les glaçons <111i descendent ; ils s'entassent en craquant sur les bancs de sable, et oscillent; parfois on a vu des vaisseaux, saisis comme par une pince, se fendre en deux sous leur effort. Figurez-vous,
I.cs o m b r a g e s tic C i n t r a .
dans cet air brumeux, parmi ces frimas et ces tempêtes, dans ces marécages et ces forêts, des sauvages demi-nus, sorte de bêtes de proie, pêcheurs et chasseurs, mais surtout chasseurs d'hommes ; ce sont eux, Saxons, Angles, Jutes, Frisons aussi, et plus lard Danois, qui, au v e et au ix 1 'siècle, avec leurs épées et leurs grandes hachés, prirent et gardèrent l'île de Bretagne. » Voilà comment fut façonnée l'âme saxonne. Regardez la terre ibérique : vous comprendrez l'âme espagnole, rude, orgueilleuse, passionnée, souvent cruelle, incapable de souplesse, subissant à peine l'influence des évolutions voisines. Or, voici que nous allons trouver par la contre-épreuve, une nouvelle' justification de cette inllucnce du milieu.
VERS
L'AMÉRIQUE
DU
SUD
I3
A peine avons-nous quitté la frontière hispano-portugaise que nous entrons, comme par un coup de baguette magique, dans une région pittoresque et charmante. Voici, comme dans nos campagnes normandes, des blés murs aux épis prometteurs, voici des prairies grasses où coulent de frais ruisselcts, voici des villages enfouis dans la verdure; voici C o ï m b r a q u i s e penche, gracieuse et blanche, sur les bords d'un lieu vc sinueux ; voici Luso et sa végétation tro-
CIISTRA. —
L e Palais royal.
picalc, et enfin Lisbonne, escaladant les hauteurs pour se mirer, coquette, dans les eaux vertes du Tage, qui frissonne au souille d'une brise parfumée. Et sur cette terre, gracieuse, aimable, attachante, vivent des gens très dissemblables de leurs voisins espagnols. Ces hommes sont accueillants, très courtois, n'ayant rien d e l à morgue un peu hautaine du Castillan : les femmes ont l'allure souple, le sourire très doux et on ne retrouve point dans leurs yeux cet éclat inquiétant qui fait redouter la haine d'une Espagnole. J'ai voyagé en compagnie de paysans portugais ; c'étaient de grands gaillards à la démarche lente, moins gais assurément que ne l'affirme la légende, mais en tous cas, débonnaires et amènes.
VERS
IO
L'AMÉRIQUE
DU
SUD
Assistez enfin à des courses de taureaux à Madrid, et puis à Lisbonne : vous retrouverez dans l'un et l'autre spectacle les mêmes différences essentielles qui nous sont apparues déjà dans l'aspect du solet dans la physionomie des populations : ici la course est un exercice d'adresse, où l'agilité, la grâce, triomphent uniquement : là il faut, pour soulever l'enthousiasme du public, que le sang coule à (lois et que les entrailles des chevaux traînent sur l'arène empourprée ; ici des acclamations joyeuses qui saluent la volte habile d'un cavalier accompli ; là les cris f u r i e u x d ' u n e multitude qui tantôt réclame l'égorgement d'une bête épuisée, tantôt voudrait la mort d'un torero maladroit. C o m m e n t , j e le répète, expliquer de tels contrastes dans les caractères et les mœurs de deux peuples d'origine commune, si on n'attribue pas à l'influence du milieu, du climat, de la nature, l'importance décisive que Taine lui assigne ? Mais puisque le Portugal est aussi séduisant, ne le traversons pas sans nous y attarder quelques jours et descendons à cette station de Luso, dans un site exquisement coquet, tout près d'un viaduc hardiment jeté sur une fraîche vallée. C'est là qu'on trouve les voitures qui prennent les touristes pour une des plus jolies excursions qui se puissent faire, celle de Bussaco. Imaginez une colline couverte d'une végétation superbe où voisinent et se confondent les palmiers, les cèdres, les cyprès, les chênes, les châtaigniers et les pins. On s'élève par des chemins délicieusement ombragés pour entrer bientôt dans le parc de l'ancien couvent, clos par un mur de près de quatre kilomètres. Là, les allées sont encore plus fraîches et plus silencieuses et le soleil qui se faufile entre les branches d'arbres centenaires inonde toutes choses d'une lumière très atténuée
et
très
douce. Si nous sortons de l'enceinte, après avoir erré parmi les ruines où l'on aime à méditer, et les couloirs de l'ancien cloître où Wellington passa la nuit avant de se mesurer avec les troupes de Masséna, un panorama prestigieux s'offre à nos yeux charmés : ici ce sont les hauteurs de la Sierra da Estrella qui dressent leurs croupes déboisées; là, au contraire, Pamphilosa s'aperçoit accotée à des collines verdoyantes, puis plus loin, une plaine somptueuse aboutit à des dunes qui ourlent d'une ligne grisâtre l'azur de l'occan; au Sud, enfin, la vallée de Mondego où nous nous engageons au retour pour atteindre en quelques heures la vieille cité universitaire de C o ï m b r a : Coïrnbra où Inès de Castro, chantée par Camoëns, Inès que despois de ser rnorla, foi
rainha ('), connut tour à
VERS
12
L'AMÉRIQUE
DU
SUD
tour les larmes, les ivresses et les angoisses du tragique amour de Pierre le Cruel. Coïmbra est une ville charmante, qu'elle apparaisse de loin, escaladant de ses vieux édifices demeurés blancs malgré la patine du temps, le plateau ondulé qui domine le Mondego, ou qu'on parcoure à la tombée de la nuit ses ruelles étroites, qu'on se heurte à des groupesjoyeux d'étudiants ensoutanés, qu'on rêve sur ses terrasses, qu'on interroge ses pierres antiques. Je ne sais en quelle revue j'ai lu jadis l'article fantaisiste d'un savant américain qui prétendait avoir trouvé le
moyen
d'arracher
iffiff
aux vieilles pierres les secrets
fv^sR
par elles
surpris et jalouse-
ment gardés. /r'Jww>>r
.ralïP,
Ces pierres n'ont-elles pas
¡^^ym^ÊlM^ -
reçu des empreintes analogues à
'^^sàt^^g^^ ^ B h M H W T - ^
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m^mm^S^pÙ^y^^-'--
celles qui s'enregistrent sur le rouleau du phonographe? Pourquoi serait-il impossible d'inventer un appareil assez dér
'. - ^ ^ M l Ê K S Ê t Î r W b é a t e m e n t
perfectionné
pour
les recueillir et faire revibrer à nos oreilles les voix de ceux cl celles qui ont clamé devant les murailles maintenant croulantes, leurs douleurs et leurs joies ? LISBONNE. —
Une laitière.
Et ',, je me. prenais à évoquer, .,, en celte vieille cite, ou voisinent, dans les rues silencieu-
ses, les vétustés auvents des masures cinq ou six fois centenaires,
les
révélations, étranges, terribles ou gaies que pourraient nous confier les pierres devenues tout à coup parlantes et indiscrètes. Que de crimes revivraient, que de sanglots et que de rires, que de cris de détresse ou de plaisir ! Tout de suite, le nom de Coïmbra avait évoqué en moi le souvenir d'Inès de Castro et, poursuivant mon rêve, je m'imaginais entendre soudain les murs de « Quinlas de Lagrimas » qui me redisaient tour à tour ( ' ) Q u i f u t r e i n e après sa m o r t .
les
VERS
L'AMÉRIQUE
DU
SUD
I3
plaintes de la triste amante de Pedro se traînant aux pieds des courtisans qui vont l'assassiner, el les hurlements de douleur des meurtriers à qui plus tard l'inconsolable roi fit arracher de la poitrine ouverte le cœur encore palpitant. Non moins évocatrice d'un passé troublant est Cintra, l'oasis hospitalière où, suivant une jolie
tout
OÙ
laisser
elle s'imposa, sut d'ineffaçables
LISBONNE. —
Une
llcuristc.
em-
preintes, la vue est incomparable: à nos pieds, des bois odorants, des bosquets luxuriants de camélias et de rhododendrons où, ç à c t l à , des villas élégantes jettent la note claire de leurs blanches murailles; plus loin, la petite ville de Cintra qui lance vers le ciel les deux cornes étranges du Palacio
Real où s'écrivit page à page presque toute l'histoire du
Portugal: plus loin encore, les replis sévères d'une interminable plaine rocheuse; enfin, tout là-bas, la courbe somptueuse de l'océan un peu houleux frangé de la ligne argentée des vagues qui déferlent sur le sable.
VERS
L'AMERIQUE
DU
SUD L5
Jamais mieux qu'en présence d'un si prestigieux panorama j e n'avais trouvé meilleure justification des lignes éloquentes que, dans son beau livre L'Espagne,
Georges Lecomte a consacrées au caractère de la domi-
nation des Maures. « Les monuments arabes, dit-il, surgissent presque toujours d'un décor merveilleux de verdures et de fleurs. Leurs murailles se dressent parmi des taillis de roses qui sont comme des champs d'aurore. Leurs guir-
LISBONWE. —
LE m a r c h é a u x poissons.
landes s'élèvent jusqu'aux orangers dont la floraison neigeuse domine ces houles embaumées. L'arc des portes et les créneaux des remparts s'ouvrent sur une campagne dont la luxuriante verdure révèle la fécondité. Et leurs alcazars toujours complétés par d'adorables jardins, apparaissent ainsi que des merveilles d'art au seuil d'un paradis. Le soleil qui enveloppe celte nature de ses éblouissemenls, qui fail mieux sentir par contraste les délices de l'ombre, a enrichi la pierre d'une chaude patine ambrée. Toute celte architecture est calcinée, roussie. Ce sont des aspects de grande allégresse que ces pierres dorées, ces briques vernissées aux tons éclatants, ce vert riche et lustré des feuillages orientaux se dessinant
VERS
L'AMERIQUE
DU
SUD
L5
sur la pureté bleue du ciel. Quel contraste avec les sévérités et l'âpre nature de l'Espagne du Nord ! » Et Lecomte conclut, très justement, que tout ce qui nous reste de cette civilisation arabe exprime la joie de vivre, le culte de la nature et le goût de la rêverie silencieuse. Je me suis arrêté, en descendant, à ce Palacio
aperçu d'en haut et
j'ai, comme à Coïmbra, savouré, en dépit du bavardage d'un guide heureusement incompréhensible,
les
histoires tantôt comiques, tantôt macabres que me racontaient les plafonds et les murailles. N'est-ce point
ici, dans
cette
salle où des pies sont peintes au plafond, que se passa la piquante anecdote dont le roi Jean Ier fut le héros débonnaire ? Un jour que cet excellent souverain était d'humeur joyeuse et communicative, il remercia d'un baiser une aimable cl jolie dame d'honneur qui lui offrait une rose. Mais la j-eine survint sur ces e n trefaites et prit un malin plaisir à embarrasser sa malheureuse suivante devenue plus rose que sa
T y p e et c o s t u m e d u n o r d d u
Portugal.
rose. Et comme elle feignait de gronder son é p o u x : « Q u e voulez-vous, répondit en souriant le débonnaire monarque, e por hem, minlia senhora\y> E h ! c'est pour le bien, ma chère amie, eût-il dit en français. La reine évidemment ne put plus longtemps garder son visage sévère, mais la légende raconte que cette anecdote suscita à la cour force potins, commérages et gorges chaudes, tant et si bien que Jean 1", toujours indulgent et gai, ainsi qu'il convient à qui possède une conscience pure, fit peindre au plafond des pies tenant dans leur serre une rose et dans leur bec un billet avec la devise « por bem » (pour le bien). Et le bon roi de dire à ses courtisans, étonnés d'une telle décoration : « J'avais des pies bavardes autour de moi, j e les ai voulu accrocher au plafond ». Qui furent quinauds et se tinrent coi? j e vous le laisse à penser!
IG
VERS
L'AMÉRIQUE
DU
SUD
Moins hilarant à coup sûr ce cachot aux murs froids et nus où l'infortuné roi Alphonse V I suhit son long martyre alors que son propre père lui ravissait à la fois son trône et son épouse. Mais ne nous laissons point arrêter trop longtemps par ces vieilles et si attachantes chroniques : nous n'avons plus que vingtquatre heures avant le départ du paquebot qui doit nous emporter au delà des tropiques : ce n'est pas trop pour visiter Lisbonne, même superficiellement, avant l'embarquement. Sans doute, on peut adresser à la capitale portugaise de justes Critiques et déplorer cable
maladresse
de
l'inexpliceux
qui
conçurent le plan de la ville mo-
T y p e et c o s t u m e du nord d u
Portugal.
derne cl qui ne surent point la faire profiter de sa merveilleuse situation sur les rives du Tage, fréquentées, dit la romance, par « les échos et les nymphes plaintives ». 11 faut aller bien loin encore
après
pour
pouvoir approcher le
les
faubourgs
lleuve et apercevoir
l'autre
rive : en ville, en effet, il y a une suite ininterrompue de docks,
d'entrepôts,
d'usi-
nes qui privent les promeneurs de la beauté du Tage.
T y p e et c o s t u m e du nord d u
Portugal.
Espérons qu'un jour viendra où une municipalité intelligente, secondée par un gouvernement
VERS
L'AMERIQUE
DU
L5
SUD
soucieux (l'atlirer les touristes, s'ingéniera à reporter plus loin les docks et les noires bâtisses pour y substituer des quais spacieux et des promenades ombragées. Lisbonne pourra alors se développer le long du fleuve en belles avenues luxueuses où les équipages et les automobiles remplaceront avantageusement les lourds camions cl les charrettes bruyantes. Une ville moderne peut être à la fois bien organisée pour le trafic commercial et très accueillante aux voyageurs qui viennent y chercher d'agréa-
ENVIRONS
DE
LISBONNE.
—
Mont-Estoril.
bles impressions. Il appartient à ceux qui ont charge de son administration de concilier deux sources de richesses aussi précieuses l'une que l'autre : jamais le souci de l'esthétique n'a nui à l'essor économique d'une capitale. En attendant, et puisque le Tage se dérobe à notre admiration, régalons nos yeux du spectacle pittoresque de la rue où se coudoient Gallegos et Vacinas. Les premiers, qui sont les Auvergnats du Portugal, portent des vestes courtes sur leurs épaules robustes, cl une manière de bonnet de colon vert qui complète drôlement des faces épanouies où se dessinent des favoris courts et noirs ; les secondes sont des marchandes de poisson qui soutiennent sur leur chapeau de feutre, cavalièrement retroussé, une HENRI
TUROT.
a
VERS
I8
L'AMÉRIQUE
DU
SUD
large corbeille remplie de la pêche de leur mari, de leur père ou de leur frère. Un châle léger, de couleur voyante, n'enlève rien à l'harmonie des porteuses joliment cambrées et la ceinture plissée d'une jupe courte et ample ne fait point tort à la souplesse d'une taille qui demeure élégante. Leur démarche est aisée, gracieuse et fière, et reines du pavé, elles le foulent de leurs pieds nus, sans la moindre gêne, avec une activité pimpante. O n voit qu'elles appartiennent à une race vaillante, qu'elles sont r
— — i —
g
'
.
ENVIRONS DE LISBONNE. —
-
-
• —
-
i
L a plago d ' E s l o r i l .
les dignes compagnes de ceux qui bravent les fureurs de l'Océan sur de frêles embarcations et on comprend que leurs hommes risquent volontiers leur vie pour accrocher quelque jour une boule d'or ou d'argent à leurs oreilles, ou à leur cou un collier de corail. Mais il fait bien chaud à errer ainsi dans les rues mouvementées de Lisbonne : l'heure est venue d'aller chercher un peu de brise rafraîchissante à l'embouchure du Tage, à Cascaès et à Mont-Esloril où, vers 5 heures du soir, affluent les automobiles et les riches attelages. De la terrasse d'un hôtel bien situé, nous pourrons admirer tout à notre aise la courbe élégante d'une côte radieuse,
puis, après
que
VEHS
LAMÉRIQUE
DU
SUD
»9
la lumière du jour s'est atténuée peu à peu, nous griser du souille parfumé qui vient de frôler les mimosas. O r la vie est toute de contraste : il était dit qu'après une soirée si délicieuse, nous allions nous trouver.bientôt en contact avec la pire misère
T o u r de
Belcm.
et la plus attristante détresse. Un aimable docteur qui sait, depuis bientôt vingt ans, faire apprécier à Lisbonne l'autorité de la science française, nous ramène vers la ville, nous fait gravir par un tramway hardiment construit, les pentes sinueuses et très raidesde la vieille cité ; puis, quand nous avons longuement contemplé l'admirable panorama qui se déroule à nos yeux, fantastique sous la clarté lunaire, nous descendons par des ruelles étroites, empuanties et malsaines.
VERS
20
L AMERIQUE
DU
SUD
Car Lisbonne a, elle aussi, hélas! son quartier hideux,
déplorable
Subure où s'entasse dans des taudis étroits toute une population miséreux,
victimes désignées
de
pour les épidémies, l'alcoolisme ou la
débauche. Voilà bien la tare atroce de toutes les grandes villes, voilà ce que pourtant une société aussi imprévoyante qu'égoïste laisse comme asile aux tristes ménages chassés p a r l e percement des larges et luxueuses avenues. O n
construit
des hôpitaux, on multiplie les dispensaires, m a i s o n ne
songe pas à détruire ces foyers de tuberculose et de typhoïde et à les remplacer par des logis décents et salubres. C o m m e s'il n'était point dans la logique des choses de prévenir plutôt que d'essayer de guérir ; comme si le souci de la santé et de la morale publiques ne commandait pas suffisamment de remédier à une situation souvent si cruelle et répugnante dans ses conséquences, que ceux qui l'ont décrite ont été obligés d'en atténuer les traits pour ne pas en paraître exagérer l'horreur ! Mais ne nous laissons pas entraîner à d'inopportunes digressions : aussi bien le moment approche où nous devons embarquer et déjà l'Amazone
nous avertit par ses appels grondeurs qu'elle
s'apprête à lâcher ses amarres.
C H A P I T R E
TROIS
II
ESCALES
La vie h bord. — Q u e l q u e s heures à Dakar. — Opinions négrophilcs. — L e développement do la ville. — A u largo ! — U n e hélice nous abandonne. —
Pernambuco. —
Les perroquets
linguistes. — B a b i a , la VieiUo Mulâtresse. —
Histoire do la Princesse Paraguassou et d u
beau C a r a m o u r o u . —
—
Philosophie
indienne.
Essai de cuisine brésilienne.
—
Vieux
souvenirs.
Nous sommes en roule ! Déjà Lisbonne la blanche s'estompe dans une brume lointaine : aux conversations animées, aux
exclamations
bruyantes du départ succède un silence pesant ; presque tous les passagers sont dans leurs cabines procédant à leur installation ou s'habillant pour le dîner et, sur le pont désert, dans l'obscurité qui tombe, on n'enlend bientôt plus que les saccades régulières el monotones des hélices qui nous poussent vers le large. A table, pendant les premiers repas, on s'observe, on s e t â t e ; deux ou trois j o u r s se passeront avant que se forment les groupes sympathiques ; en attendant il n'est d'autre distraction que la contemplation des Ilots, et cela ne manque pas d'une certaine tristesse. A h ! poètes, chantez, s'il vous plaît, l'éternel renouveau, la splendeur des nuits étoilées ; chantez le mystère des grands lacs, le murmure des sources, le gazouillis des oiseaux, chantez les monts et les plaines, les neiges étincelantes ou les vertes prairies ; mais de grâce, ne célébrez plus en strophes menteuses la majesté des océans. L'horizon est embrumé, l'eau est de couleur terne, presque sale, et le rythme irrégulier des vagues fait mal au cœur. Il n'y a ni grandeur ni charme dans cette monotonie désespérante. Mais les heures s'écoulent quand même et cinq jours après avoir quitté Lisbonne, nous approchons de Dakar. La vue d'une terre après une traversée un peu longue est toujours impressionnante ; surtout la nuit, l'entrée dans un port lointain est singulièrement troublante.
Ao
TROIS
ESCALES
Nous avions prolongé quelque peu la soirée dans le salon de musique quand on vint nous prévenir de l'arrivée prochaine. Nous nous précipitons aussitôt sur le pont. Mal habitués à l'obscurité, nos yeux, d'abord, ne peuvent rien percevoir dans cette nuit sans lune ; mais bientôt, vers bâbord, une masse
I n t é r i e u r d ' u n p a q u e b o t faisant le service de la l i g n e d u
Brésil.
noire apparaît, aux lignes encore imprécises. C'est la pointe extrême du continent africain ; tout y est endormi et sombre, et notre bateau glisse silencieusement le long de cette côte qui nous envoie une bonne senteur de terre parfumée et comme des cllluves un peu capiteuses de serre chaude : la mer est maintenant si calme, si unie, qu'elle laisse miroiter à sa surface le reflet scintillant des étoiles, moelleusement brillantes par cette nuit tropicale. Longtemps encore, nous avançons dans cette douceur des choses, puis
AoTROIS
ESCALES
nous voyons peu à peu grandir à l'avant cette lueur si connue qui révèle l'approche d'une grande ville bien éclairée et tout à coup, virant de bord, nous débouchons dans une large
baie tout illuminée de feux verts,
rouges ou blancs, qui percent la nuit. Depuis longtemps déjà ralentie, l'hélice cesse subitement de tourner: un coup de silllet retentit et, dérapant avec fracas, nos deux
ancres
s'abattent lourdement dans l'eau bouillonnante. Demain seulement, nous pourrons aller à quai et nous n'avons plus qu'à essayer de dormir dans nos cabines surchauffées, ou à rêver sur le pont, les y e u x sur
cette terre
fixés qui
sommeille en face de nous. Là, derrière ces feux, il y
a
comme
partout, des malheureux
qui
souffrent
et pleurent : d'autres, au
contraire,
qui
jouissent
délicieuse-
ment
cette
de
nuit
exquise : il en est qui se lamentent sans attente du
bonheur;
d'autres qui aiment et qui
espèrent; il y a
DAKAR. —
U n coin du
port.
des palais où donnent, en des chambres confortables, des colons enrichis, des huttes où sont écroulés,
après le dur labeur quotidien,
des travailleurs
misérables,
pauvres bêtes de somme anéanties et sans rêves ! Et j e ne sais pourquoi toutes ces joies et toutes ces souffrances anonymes,
sur ce sol
mystérieux, enfoui clans un silence profond, m'émeuvent infiniment. Mais voici le j o u r qui se lève et qui va chasser les cauchemars; peu à peu, le port s'anime, des barques se détachent du rivage, des pirogues montées par des noirs prêts aux plus hardis plongeons entourent la masse inerte du paquebot, l'échelle du bord est escaladée par les mercantis: la vie a repris son cours et c'en est fini des mélancoliques réflexions. Livrons-nous donc bien vite au plaisir d'une pittoresque promenade.
AoTROIS
ESCALES
El d'abord, c'est une satisfaction de constater les progrès réalisés à Dakar : treize ans ont passé depuis que nous y avons pour la première fois fait escale, le port et la ville sont méconnaissables. Sur ce coin d'Afrique jadis desséché et aride, on a, par d'intelligents travaux, amené l'eau bienfaisante, des arbres ont grandi, un peu d'ombre adoucit la crudité d'une lumière vive, et dans les larges avenues, on goûte le charme réel d'un coloris chatoyant : les indigènes sont vêtus d'étoiles aux cou-
DAKAK. —
Fùle d u
I4 juillet.
leurs presque discrètes; il y a des gammes de bleus qui demeurent harmonieuses malgré le voisinage d'une écharpe trop jaune, d'une large chéchia ou d'un turban vert. La foule est joyeuse et s'empresse vers la grande place, car on célèbre le
juillet et, ici comme en France, il convient d'affirmer la foi répu-
blicaine en dressant des mâts de cocagne, en organisant des courses en sacs, j e u x de baquets et autres divertissements. Quel rire éclatant ont les noirs ! On ne sait vraiment pas ce que peut être le rire large, épanoui, le rire inextinguible, le rire bruyant, sonore et sans réserve, quand on n'a pas vu des nègres s'esclaffer, se tordre et sauter de joie gourmande pour attraper au vol des gâteaux secs lancés en signe de bombance. Or, tandis que sur la place enguirlandée et pavoisée s'ébaubit ainsi la
AoTROIS
ESCALES
foule exubérante, là, tout près, sur le trottoir d'une rue déserte, est accroupi près de son bâton un enfant aveugle et fou qui, les yeux vides levés vers le ciel, chante à tue-tète des mélopées étranges. Indifférent à tous et de tous ignoré, il s'entretient seulement avec les dieux auxquels il adresse ses ferveurs, et qui sait si ses prunelles éteintes ne voient pas dans l'infini du lève des merveilles que nul de ceux qui heurtent l'infirme d'un pied dédaigneux ne saurait même imaginer ! Mais le soleil se fait encore
d ' e n g l o u t i r d a n s s e s va s l e s lianes les
tonnes
de charbon
" _
OAKAK. —
tT
. ,, ,
U n roi
deenu.
(jue lui apportent les chalands, je me remémore
les
impres-
sions déjà si lointaines que j'éprouvai jadis à mon premier contact avec la côte occidentale d'Afrique. Certes, de grosses déceptions m'y attendaient et j'éprouve encore l'amertume de mon désenchantement alors que je suivais le cours de ces rivières africaines. Je m'étais figuré descendre vers la mer entre des rives impénétrablemenl
boisées par la généreuse poussée d'une luxuriante végé-
tation : dans l'ombre épaisse des troncs majestueux et gigantesques, dans le clair-obscur des enchevêtrements de branches, dans le fouillis lumineux
Ao TROIS
ESCALES
des cimes, mon imagination aimait à se représenter une faune curieuse cl grouillante. Hélas! que la réalité fut loin de ces rêves et quelle tristesse ont ces fleuves aux rives monotones et désolées ! A perte de vue des palétuviers rabougris, au malingre feuillage d'un vert banal,
plongent dans la vase leurs racines dénudées. Dans
les
branches quelques oiseaux d'eau s'enfuient, effrayés, avec un cri sinistre, volant
très
comme
accablés
sans
force
bas, et
pour
s'élever. Et l'on comprend alors qu'une nature si rude, si hostile aux blancs rende ceux-ci souvent
injustes et
parfois féroces. Aujourd'hui
en-
core, après tant d'années, j e ne puis me rappeler sans
indi-
gnation les conseils odieux qu'à la veille d'une exploration on m'avait DAKAR. —
E x c u r s i o n des passagers.
donnés
Conduite a tenir avec mes
porteurs.
D è s le
premier
j o u r , m'avait-on dit, il est indispensable que vous inspiriez la terreur ; les noirs ne reconnaissent que la force brutale; ils n'obéiront, ils ne subiront votre autorité que si vous vous faites craindre. P o u r cela, frappez et frappez fort. Sous le premier prétexte venu, faites attacher un de vos porteurs à un arbre et faites-lui administrer une cinquantaine de coups de cordes. Après cela vous pouvez être certain que tout ira bien. Voilà ce que ne craignent pas de conseiller aux nouveaux débarqués les gens qui, d'ailleurs, se gardent bien de sortir des régions où ils peuvent impunément se livrer à de tels abus. Et quand j e m'indignais de semblables discours, on me répondait d'un air un peu narquois que mes scrupules étaient un peu excusables chez un homme ignorant du carac-
AoTROIS
ESCALES
1ère des noirs! À votre retour, ajoutait-011, vous serez un peu moins négrophile ! Négrophile! telle est l'épithète méprisante que se voit appliquer, son
dès
débarquement sur la terre d ' A f r i q u e , l'Européen assez osé pour
exprimer l'idée éminemment subversive qu'il est, vis-à-vis des indigènes, des devoirs d'humanité et de justice. A h ! que d'abus dont j'ai été le témoin, que de crimes
monstrueux
dont j'entendis le récit de la bouche des coupables cyniques! Je sais bien, j e le notais plus
haut, qu'il faut
dans une
certaine
mesure, tenir compte de l'influence néfaste du climat surl'étal moral des Européens, militaires, négociants ou fonctionnaires. Après un séjour de quelques mois, on a vu des hommes naturellement doux
devenir irritables à l'excès. L'état de moiteur où l'on se
trouve continuellement par cette affreuse température humide et chaude anémie rapidement ; les accès de fièvre répétés produisent tour à tour une surexcitation extrême, puis un abattement presque comateux. Le plus souvent aussi, le foie devient malade, tandis que l'estomac se délabre. On conçoit parfaitement dès lors qu'avec un pareil état de santé, le fonctionnaire voie promptement sombrer, dans les préoccupations de la lutte physique, ses énergies morales. Il prend en haine ce pays où il souffre et ces sales noirs qui sont la cause de sa présence. Et c'est sur ces derniers qu'il se venge ! Il faudrait, pour résister à l'effet déprimant d'un
pareil climat, des
natures fortement trempées, des tempéraments robustes et surtout des hommes à l'intelligence ouverte et au cœur bien placé. A u lieu de cela, le recrutement des fonctionnaires coloniaux se fait trop souvent d'une façon déplorable. Il en est qui sont nommés après avoir été chassés de l'armée. D'autres sont des fils de famille dont on se débarrasse en les envoyant là-bas, quand il est bien reconnu qu'ils sont incapables de quoi que ce soit en France; d'autres enfin sont des agents électoraux
de mince importance auxquels certains hommes politiques
sont obligés pourtant de donner une place. Quant à ceux quiviennentavec de réelles qualités, leur avancement en pareille compagnie est naturellement des plus rapides et ils n'ont pas le temps de faire une besogne utile dans les postes où ils séjournent à peine. J'entends bien que depuis mon séjour en Afrique Occidentale,
la
situation s'est un peu améliorée et que des gouverneurs conscients de la
Ao TROIS
ESCALES
grandeur de leur tâche, ont travaillé avec ardeur à réprimer les excès les plus scandaleux. 11 y a là-bas, comme partout heureusement, des hommes de conscience qui ont la notion du devoir et le souci de sauvegarder l'honneur de la France qu'ils représentent. Mais j e crains bien que persistent encore longtemps, en Afrique c o m m e ailleurs, la haine et le mépris du noir. Et pourtant, je l'affirme, les noirs ne méritent pas une telle hostilité. Pendant quatre
mois
j'eus à vivre parmi eux,
seul
Européen
dans
des
contrées
alors inexplorées ; pendant quatre mois j'obtins de mes porteurs une
obéissance
absolue
sans leur avoir donné une seule punition corporelle. P o u r maintenir la discipline dans ma petite
troupe j e
comme de sel
me
châtiment celui
j'avais à
me
ou
contentais de
priver
ceux
dont
plaindre.
Pour
un cas plus grave, il me suffit de chasser un noir de mon escorte ; pendant deux jours l'infortuné
suivit
en se cachant
dans les broussailles, et il finit par venir en pleurant réclamer DAKAR. —
U n p e t i t sou a u x n é g r i l l o n s .
,
son pardon. Evidemment, j'ai eu beaucoup de chance et l'ascendant que j'ai pu prendre sur eux a résulté, en grande partie, de l'excellent état de santé où j e suis constamment demeuré. Très
grand et d'apparence vigoureuse, j e leur inspirais une
crainte très salutaire. C o m m e toutes les natures primitives, ils ont le culte de la force. Ce n'est pas douteux. Mais ils sont beaucoup plus compliqués que n'affectent de le croire les gens qui cherchent à justifier leur brutalité.
propre
TROIS
Le
ESCALES
9
9
noir possède, outre le respect de la vigueur physique, le senti-
ment de la justice et la gratitude pour la bonté. Il ne manque point non plus d'une certaine malice et il existe en Afrique Occidentale un ensemble de traditions et de légendes parmi lesquelles, au milieu de beaucoup d'obscurités, on trouve parfois le récit court, fin et drôle dont la saveur satisfait les exigences de'nos habitudes littéraires. Voici par exemple,
un amusant conte wolof qu'a bien
DAKAR. —
Le
voulu
marché.
reconstituer pour moi un fonctionnaire colonial, d'après le récit que lui en a fait M. Binger, directeur des affaires d'Afrique : L e lièvre et le singe c h e m i n a i e n t còte à còte. T o u t à c o u p le lièvre dit a u singe : « J e p a r i e q u e t u n e restes p a s u n e h e u r e s a n s te g r a t t e r . — J e t i e n s le p a r i , r é p o n d i t le s i n g e , n i a i s à u n e c o n d i t i o n , c'est q u e p e n d a n t l e m ê m e t e m p s , t o i , t u t ' a b s t i e n d r a s d e t o u r n e r l a t è t e à d r o i t e et à g a u c h e . » Chose c o n v e n u e . V o i l à le lièvre et le singe q u i c o n t i n u e n t e n s e m b l e l e u r
chemin.
A u b o u t d e q u e l q u e t e m p s , l e s i n g e a v a i t b i e n e n v i e d e se g r a t t e r , m a i s l e l i è v r e l ' o b s e r v a i t e t il é t a i t t r è s g ô n é . A l o r s , il se m e t à c h e r c h e r d a n s sa t ê t e c o m m e n t 1! p o u r r a i t b i e n se t i r e r d ' a f f a i r e s a n s p e r d r e s o n p a r i . « Dis donc, là-bas ? —
Oui.
ami
lièvre,
fait-il
après u n
m o m e n t , vois-tu
ce
lougan
(champ)
Ao
—
TROIS
ESCALES
Eli b i e n , m o n c h e r , là j e m e s u i s b a t t u l ' a n d e r n i e r . D e ce c ô t é - l à il y a v a i t les
e n n e m i s , ils é t a i e n t t r è s n o m b r e u x , ils n o u s l i r a i e n t d e s s u s , si t u a v a i s v u ç à . . . A i n s i m o i , j ' a i r e ç u d e s b a l l e s . . . T i e n s , j ' e n ai r e ç u u n e i c i , p u i s e n c o r e i c i , j ' e n ai r e ç u u n e là, puis encore u n e autre là. » E l t o u t e n r a c o n t a n t , le s i n g e p o r t a i t sa m a i n s u r son c o r p s , i c i , l à , e l là e n c o r e e t , s a n s e n a v o i r l ' a i r , il s a t i s f a i s a i t sa m a n i e d e se g r a t t e r . « C ' e s t c u r i e u x , fait le l i è v r e
en
s'arrôtant : m o i ,
jetais
justement
du
côté
de
l ' e n n e m i . Mais c'est vous qui
n o u s tiriez d e s s u s !
Ah !
mon
ami,
il
en
pleuvait des balles ! Mais je
n'ai
rien attrapé,
je
les é v i t a i s , c l p o u r c e l a , j e saulais
comme
tantôt à droite ; j e lais c o m m e c e l a ,
ceci, sautantôt
à gauche. » Et, lièvre,
en
racontant,
lout à
satisfaisait
lui
le
son a i s e , aussi
sa
m a n i e d e t o u r n e r la l ê l c . . . . E t la f a b l e t o m b e d a n s la m e r ( ' ) .
N'est-ce point tout DAKAR.
— Négresses emportant leur provision de mil.
à la fois ingénieux et d'une amusante naïveté ?
Or, toutes ces réflexions nous ont quelque peu éloignés de Dakar. Revenons-y, j e vous prie, pour préciser, avant de lever l'ancre, les heureux changements dont j'ai tout à l'heure eu rapidement l'impression ; quelques renseignements complémentaires sont bons à retenir. Dakar est maintenant devenue un vaste chantier où l'on mène de front les travaux du port de guerre, ceux de la place forte et ceux du port de commerce. Grâce surtout à ces derniers travaux, Dakar sera avant peu, en raison de son exceptionnelle situation, un port où de nombreux navires viendront se ravitailler en charbon, en eau douce, en viande et enlégumes frais. La création du port de commerce et l'aménagement de son terre-plein, d'une part, l'augmentation de la population de Dakar, d'autre part, et
( ' ) Forme usitée pour finir ces sortes de récits dans la littérature nègre.
TUÔ1S
ESCALES
l'importance croissante des services à y installer modifieront profondément la physionomie de l'ancienne ville et forceront à reporter sur le plateau, d'ailleurs plus aéré cl plus sain, les habitations urbaines proprement dites. Il fallait donc créer un cadre nouveau à la ville et il a fallu le créer avec assez de prévoyance pour y faire état d'un réseau d'égouls à établir et de lous les travaux d'assainissement à entreprendre. Ce cadre nouveau de la ville se remplira vite d'ailleurs : palais du Gouvernement général, Cour d'appel, Hôtel de ville,
hôpital civil,
casernes pour les troupes du point d'appui,
caserne de
gendarmerie,
hôtels et maisons particulières dont il y a actuellement pénurie, e l c . . . , loules ces constructions sont urgentes et commencées ('). C'est véritablement une ville nouvelle
qui
surgit ! Si l'on ajoute à ces travaux de construction ceux à faire simultanément pour l'assainissement, pourles égouls, pour la voirie et, sans doute, pour l'élablissement d'un tramway,
SUZANNE
DESPRÈS
ot
LUGNÉ
POE
à bord,
ceux enfin du plan cadastral déjà entrepris, il faut avouer que la direction des Travaux publics, ;à Dakar, a devant elle un vaste programme d'énergie et d'activité.
Maintenant nous avons quitté la terre africaine et nous voici en roule pour la traversée de l'Atlantique : notre marche est régulière et douze heures après l'escale de Dakar, nous prenons le frais sur le pont, vers minuit, en calculant déjà que nous serons à Pernambuco dans cinq jours. A h ! bien oui ! Soudain nous sommes secoués par une violente commotion et nous entendons vers l'arrière un bruit infernal semblable, avec
( ' ) L e palais du g o u v e r n e u r est m a i n t e n a n t c o m p l è t e m e n t a c h e v é .
Ao TROIS
ESCALES
plus d'intensité, à celui que font les hélices quand elles sortent de l'eau par un très fort coup de tangage. Qu'est-ce d o n c ? nous voyons le commandant descendre prestement de sa passerelle et disparaître par l'escalier de la machine ; les passagers et passagères déjà couchés s'habillent hâtivement et se précipitent sur le pont ; un petit monsieur épouvanté se met incontinent à galoper en rond en poussant des cris. La panique d'ailleurs est bientôt calmée car tout bruit a cessé, la m a chine s'est brusquement arrêtée et nous voici maintenant immobiles et silencieux. Tandis qu'on s'informe et que les renseignements les plus contradictoires circulent, nous reprenons pourtant notre marche ; mais un curieux phénomène nous surprend : il y a un quart d'heure, nous avions la lune à bâbord, elle est maintenant à tribord. Plus de doute, nous avons changé de route et nous retournons à Dakar. Et les commentaires vont leur train jusqu'à l\ heures du matin ; puis nouvel arrêt et nouveau virage : voici que la lune se trouve maintenant du bon côté. C'est alors seulement qu'un officier du bord consent à nous donner la clef du mystère. La secousse ressentie à minuit a été causée par la rupture d'une hélice qui, lasse de tourner, a préféré quitter l'arbre de couche et explorer le fond des mers ; craignant alors de ne pouvoir continuer avec une seule hélice le commandant a donné l'ordre de retourner à Dakar pour nous y déposer en attendant le bateau suivant ; mais comme après quatre heures de marche on a acquis la conviction que l'Amazone
pouvait avancer
avec une vitesse raisonnable, même privée d'une de ses deux hélices, on s'est décidé à remettre le cap sur Pernambuco. Et voilà. Nous en serons quittes pour faire 11 nœuds au lieu de i 5 et pour arriver à Rio avec trois jours de retard. Qu'est cela, j e vous le demande, pour un pauvre journaliste qui se souvient d'un voyage de vitesse effectué sur le fleuve Amour
au train
prodigieux de deux kilomètres à l'heure, les jours où le bateau ne s'opiniâtrait point à chevaucher les rochers perforants ou à se coucher sur le sable moelleux ? Et puis maintenant, la glace est rompue à bord et le séjour y est particulièrement agréable, grâce à l'entrain communicatif, à la verve bienveillante d'une aimable passagère qui doit seulement à ses cheveux blancs
AoT R O I S
ESCALES
de n'être pas prise pour la sœur de deux grands fils dont elle est justement fière et qui réunit autour d'elle, dans un petit groupe où la bonne humeur s'impose, gracieuses jeunes femmes et causeurs spirituels. Dès lors, les heures coulent vite et joyeusement, les fêtes s'organisent, le. passage de la ligne est le signal d'une inolfensive bataille où les femmes luttent vaillamment avec des jets dé parfum et les hommes s'inondent de douches rafraîchissantes, tout cela sous l'œil amusé, encore qu'un peu grave, d'un commandant dont la distinction et les prévenances transforment en amis fidèles les hôtes de quelques jours. *
»
*
Sept jours ont passé depuis que nous avons quitté Dakar, et nous voici devant Pcrnambuco. La ville basse et les quais sont protégés par une ligne de récifs sur laquelle la mer vient se briser et qui forme aussi un port malheureusement trop étroit pour offrir l'hospitalité aux grands steamers. Nous devons donc jeter l'ancre en restant exposés aux assauts des fortes larnes qui rendent singulièrement difficile rembarquement sur les petits canots où il faut prendre place si on désire passera terre les quelques heures de relâche. Mais cela n'est point pour eflrayer la bande joyeuse de passagers et passagères qui lient à parcourir les rues de la vieille cité qu'on surnomme volontiers la « Venise sud-américaine », ceci à cause du fleuve Capibaribe dont les sinuosités divisent la ville en une foule d'îlots reliés les uns * aux autres par des ponts pittoresques. Nous trouvons les quais très animés par la préparation d'une réception enthousiaste qu'on réserve aux représentants des Etats-Unis, en route pour le Congrès panaméricain. Mais fuyons guirlandes et drapeaux — l'arrangement en est partout aussi banal — et sautons vite dans cette étrange petite roulotte, tramway sans prétention, que traînent deux mules étiques et peu agiles. Les rues sont bordées de maisons pimpantes, aux façades roses ou bleues dont les volets s'ouvrent pour permettre d'inolfcnsives distractions aux ménagères curieuses. Nous franchissons plusieurs fois le cours du fleuve sillonné de bateaux que traînent des pêcheurs, dans l'eau jusqu'aux épaules : navigation à la fois rafraîchissante et économique à l'usage de ceux qu'incommode la chaleur et qui craignent de se donner des ampoules par le maniement HENRI TUROT.
3
AoTROIS
ESCALES
des raines ; et maintenant voici les faubourgs, puis une délicieuse oasis de végétations luxuriantes où voisinent, harmonieusement groupés, cocotiers et manguiers, dattiers et bananiers ; à toutes les branches pesamment chargées, pendent des fruits énormes, lourds, gonflés de soleil, fruits savoureux et doux dont nous dégusterons tout à l'heure sur le bateau des échantillons variés. Après avoir déjeuné dans un hôtel confortable, joliment situé sur les rives
du
Capibaribe
et dont
la terrasse domine un paysage exotique
fort
retournons
au
prenant,
nous
quai par
des
voies cahoteuses qui secouent rudement
nos fiacres,
sants par l'antiquité
impo-
de
leur
carrosserie. Ici,
les perroquets mènent
grand tapage : il y en a par centaines,
qui
s'ébrouent
en
secouant leurs ailes vertes et qui poussent des cris perçants, en attendant que les touristes éducateurs leur enseignent les éléments des langues les plus diverses. Les perroquets de P e r n a m buco sont, en eflct, réputés, non PEHKAMBUCO. —
seulement pour le coloris de
Un tramway.
leur plumage, mais encore pour leur aptitude à imiter la voix
humaine.
Et ce n'est pas d'aujourd'hui (pie date cette réputation, si j ' e n juge par une page de jolie naïveté que j e trouve dans le récit du vieux chroniqueur Jean de Léry ('). Celui-ci nous décrit d'abord un admirable oiseau dont 011 lui avait fait cadeau : puis modestement, il ajoute : « Mais c'estoit encore plus grand merveille d'un perroquet de ceste espèce, lequel une femme sauvage avoit aprins en u n village, à deux lieues de notre isle : car comme ci cest oiseau eust eu entendement pour
( ' ) JEAN DE LÉRY. —
Histoire d'an voyage faicl en la terre du Brésil. L a R o c h e l l e , 1 5 7 8 .
AoTROIS
ESCALES
comprendre el distinguer ce que celle qui l'avoit nourri lui disoit, quand nous passions par là, elle nous disant en son l a n g a g e : —
Me voulez-
vous donner un peigne ou un miroir et je ferai tout maintenant danser et chanter mon perroquet. —
Si, la dessus, pour avoir passe-temps, nous
lui baillions ce qu'elle demandoil, incontinent qu'elle avoit parlé à cet oyseau, non seulement il se prenoit à sauteler sur la perche où il estoit, mais aussi à causer, sifller et à contrefaire les sauvages, quand ils vont en guerre, d'une façon incroyable. Bref, quand bon sembloit à sa maîtresse de lui dire chante, il chantoit, et danse, il dansoit. Que si, au contraire, il ne lui plaisoit pas et qu'on ne lui cuse voulu rien donner, si tost qu'elle avoil dit un peu rudement à cet oiseau augé, c'est-à-dire cesse, se tenant coi sans sonner mot quelque chose que nous eussions pu lui dire, il n'estoit pas lors en nostre puissance de lui faire remuer ni pied ni langue. Partant, pensez que si les anciens Romains, lesquels comme (lit Pline furent si sages que de faire non seulement des funérailles somptueuses au corbeau qui les saluoit nom par nom dans leurs palais, mais aussy ferait perdre la vie à celui qui l'avait tué, eussent eu un perroquet si bien apris, comme ils en eussent fait cas. Aussi ceste femme sauvage l'appelant son Cherimhavc (chose que j'aime bien) le tenoit si cher que, quand nous lui demandions à vendre et que c'est qu'elle en vouloit, elle respondoil par moquerie : maca-ouassou, c'esUà-dire une artillerie! » « Pas pour un boulet (le canon » ine paraîtrait être en jargon moderne la traduction d'une réponse qui nous donne de façon inattendue l'origine de cette locution. Mais voici mieux cl je signale aux érudits lingiiistcs la révélation que nous fait l'historien Denis (') sur la documentation précieuse que peuvent apporter les perroquets à l'étude des dialectes disparus. « Dans ces régions, dit-il, où nul monument, où nulle espèce d'écriture n'attestait le passage des nations, il pouvait arriver une chose dont le plus célèbre de nos voyageurs fut encore témoin, c'est que le langage si incomplet d'un ara ou d'un perroquet fût le seul vestige d'une tribu ayant cessé d'exister. A Maipure, M. de Ilumboldt entendit parler un vieux perroquet et les Indiens eux-mêmes lui apprirent qu'ils ne l'entendaient jias. Il parlait la langue des Aturès, puissante nation complètement éteinte depuis plusieurs années. » Qui est soucieux aujourd'hui d'apprendre la langue des Aturès ? peutêtre un perroquet, descendant authentique de l'oiseau qui eut l'honneur ( ' ) Ferdinand DENIS. —
Le Brésil. P a r i s , 1837 (dans L'Univers
pittoresque).
30
THOIS
ESCALES
de s'entretenir avec M. de Ilumboldt, consentirait-il à donner des leçons moyennant un cachet relativement modeste ! Vraiment, c'est une joie de lire les vieux auteurs, car on y fait des trouvailles précieuses. Un exemple encore : non loin de Pernambuco se trouve la vieille cité d'Olinda dont voici l'origine : ce fut, dit-on, quand il eut pénétré dans le bassin formé parle confluent du Capibaribe et d u B e b e ribe, et qu'il eut laissé en arrière la chaussée monumentale de Récife ('), que Doraste Coelho Pereira, le premier donataire de la province, ne put contenir son admiration. La tradition rapporte qu'il s'écria en débarquant sur le rivage : « 0 linda siluacao para se fundar
huna villa (oh ! la belle
situation pour fonder une ville). » Olinda eut ses heures de prospérité : c'est maintenant une bourgade un peu morte où l'on chemine entre les murs délabrés de couvents antiques, dans des sentiers embaumés par les orangers en fleurs. C'est la promenade favorite des habitants paisibles de Récife qui aiment à contempler du haut de la colline la plaine fertile qu'arrose le Beberibe. Là on se repose de l'activité et du mouvement de Récife, destiné de plus en plus à un brillant avenir. Quand son port agrandi et creusé pourra donner asile aux grands paquebots, quand on 11e sera plus obligé de transborder passagers et marchandises sur des chalands rudement secoués par une mer toujours houleuse, la ville prendra un rapide essor. C'est le poste avancé de toute la république brésilienne, c'est là que bientôt viendront du Nord les chargements de cannes à sucre, c'est de là que peut-être assez prochainement 011 quittera le paquebot pour atteindre Rio par la voie ferrée. E11 attendant ces temps heureux, il nous laut regagner Y Amazone et braver une mer de plus en plus agitée, formidable pour les coquilles de noix qui nous portent. Tantôt notre canot s'élève à la cime des vagues, tantôt il disparaît entre deux murailles énormes et menaçantes ; mais les indigènes qui nous mènent sont de hardis marins ; ils ont de l'expérience, du sang-froid et excellent à donner le coup de barre ou d'aviron qui évite le péril ; aussi arrivons-nous bientôt, trempés mais sans émoi, à l'échelle du bord. C'est là que les choses manquent de se gâter, car tantôt notre canot s'elfondre à plusieurs mètres au-dessous du premier échelon, tantôt il bondit au-dessus ; il faut bisser les dames à l'aide d'un fauteuil suspendu au bout d'une vergue qu'on descend dans notre petit bateau ; quant aux hommes, ils saisissent tant bien que mal le moment opportun
( ' ) R é c i f e est l ' a u t r e n o m par l e q u e l o n d é s i g n e P e r n a m b u c o .
AoTROIS
ESCALES
de sauter sur l'échelle, et chacun, plus ou moins meurtri ou douché, retrouve avec satisfaction le pont stable et rassurant. Nous n'en gardons pas moins un souvenir très précieux, une impression très agréable de ce premier contact avec la terre brésilienne. Maintenant, Pernambuco est déjà loin et bientôt, nous n'apercevons plus pour distraire nos yeux, que ces hardies jangadas sur lesquelles les Caboclo parcourent des distances énormes, presque entre deux eaux, les
Une jangada.
jangadas qui, jadis, portaient vers la liberté des provinces du Nord les esclaves qu'on tardait ailleurs à émanciper. La jangada se compose de trois morceaux de bois à peine équarris et liés par deux traverses. L'un d'eux est percé d'un trou dans lequel s'implante le mût qui porte la voile ; l'autre sert d'appui à un petit banc de deux pieds de haut sur lequel s'accroupit le pilote afin de se mettre un peu à l'abri de la lame qui, à chaque instant, submerge l'embarcation. Un pieu fiché en arrière du mât sert à suspendre le sac à manioc et la calebasse d'eau douce. Lorsque le vent fait pencher trop fortement la jangada, les trois hommes qui ordinairement la montent se suspendent de l'autre côté pour faire contrepoids. Si, par hasard, l'embarcation
cha-
vire, on glisse entre deux madriers une planche qui fait office de quille
Ao TROIS
ESCALES
et de dérive, on enlève le mât et le petit banc qu'on replante sur la partie du radeau qui a repris le dessus, et la navigation continue. Et cela donne à la jangada une incontestable supériorité sur les paquebots assurément plus confortables, mais fort mal en point quand ils ont fait la culbute ! Souhaitons à VAmazone de ne pas en faire l'expérience. * *
»
En dépit de certains esprits légers qui font remonter l'cxistcncc de Rallia seulement à l'époque récente des aventures de la Merelli et de son compagnon, nous voici dans un des plus vieux établissements de la côte brésilienne, dans cette cité de San-Salvador contemporaine, ne vous en déplaise, de Americo Vespucci en personne. C'est assez dire que la Velha Mulata (Vieille Mulâtresse) — surnom populaire de Rallia — a ses titres de noblesse. Que dis-je, elle eut, bien avant la Merelli, sa chronique galante et je veux tout
de suite, pour faire tort à la mémoire de Callay, vous narrer
brièvement les aventures de la belle Paraguassou et du vaillant Caramourou. Cela se passait en i 5 i o ! Or donc, il y avait dans la baie merveilleuse où coule le Rio Vcrineilho, une jolie petite princesse, fille d'un chef puissant et belliqueux. La princesse Paraguassou, c'était son nom, aimait à se promener sur la plage et à fouler de ses pieds ambrés et nus le sable lin où de microscopiques coquillages scintillent commepicrres précieuses. Un soir qu'elle rentrait vers la case paternelle, chassée de sa promenade favorite par une terrible tornade, elle aperçut dans le lointain la triste épave d'un bateau qui, poussé par la tempête, venait de s'ouvrir le liane sur l'angle d'un rocher. Bravant la violence du vent et la pluie torrentielle, la petite princesse revint en toute hâte vers le rivage, car elle avait bon cœur et souhaitait de secourir quelque malheureux naufragé. Hélas ! la mer déchaînée était avare de ses proies : un seul être arriva tout épuisé jusqu'aux pieds de Paraguassou ; mais celui-ci était un jeune homme robuste, agile, aux membres souples, à la physionomie expressive et qui parut si beau à la fillette qu'elle murmura doucement « Caramourou-Assou » (dragon qui sort des mers). En vérité, le naufragé s'appelait Diego Alvarez Correa et vous pensez s'il fut aise, après avoir échappé à la furie des Ilots, et redouté l'accueil trop empressé d'Indiens anthropophages, de se trouver en présence d'une personne accueillante qui lui faisait signe de la suivre.
AoTROIS
ESCALES
Diego Alvarez obéit et arriva bientôt à la butte princière où Paraguassou présenta l'Européen. L'intervention de la petite princesse lut-elle décisive, ou le puissant clief estima-t-il que le naufragé lui rendrait plus de services par son travail que par un passage prématuré sur la broche prochaine : en tout cas Alvarez, ou plutôt Caramourou — car ce nom lui fut aussitôt attribué
—
eut la vie sauve et ou l'invita à se rendre utile et agréable.
IUIIU. —
U n c o i n do la b a i e .
Notre h o m m e , comprenant qu'il 11e cesserait d'être considéré comme comestible qu'à la condition de se faire indispensable, s'ingénia tout aussitôt à distraire le chef et ses sujets de soucis trop exclusivement culinaires et il leur proposa notamment de leur livrer les richesses dont regorgeait le navire échoué et de leur en montrer l'usage. L'offre fut acceptée et Caramourou monté sur une pirogue s'en alla jusqu'à l'épave, dès que la mer fut calmée. De cette première expédition il rapporta d'abord un fusil, des balles et de la poudre, et c o m m e en abordant sur le rivage, il vit tournoyer dans les airs un vol de perroquets, Caramourou lira et fut assez heureux pour jeter bas plusieurs oiseaux. Le feu, l'éclio, la chute des perroquets, tout causa aux sauvages une telle épouvante que les uns s'enfuirent en poussant des cris de terreur, que les autres se mirent à genoux, offrant à l'étranger des hommages divers.
Ao
TROIS
ESCALES
Depuis ce temps, Caramourou fut l'objet d'une vénération sans pareille, vénération qui s'accrut encore à la suite du haut fait que voici : Notre héros jouissait en paix de son autorité bien établie et occupait ses loisirs à entendre les mélopées étranges que chantait Paraguassou quand un jour le village fut envahi par des guerriers menaçants : à leur tête marchait un chef, grand palabreur, qui parlait, gesticulait fort en adressant à ses troupes des appels belliqueux.
BAHIA. —
Ancien
fort.
Caramourou n'hésita point : d'un coup de son terrible fusil, il abattit le gaillard dont les partisans se sauvèrent aussitôt. Dès lors, Caramourou connut toutes les ivresses de la popularité et le soir même il obtint du grand chef la main de la séduisante Paraguassou. Mais on se lasse de tout, même de la gloire, et Caramourou regretta bientôt son pays natal. Or, un j o u r , il aperçut non loin du rivage un navire dont les vents contraires rendaient la marche très lente ; sans hésitation il s'élança sur une pirogue et se dirigea en toute hâte vers le voilier. Mais Paraguassou avait assisté à la scène et comme Caramourou allait monter à bord, il aperçut entre les lames la silhouette de deux bras nus qui nerveusement frappaient l'eau de leurs mouvements rythmés. Vous l'avez deviné : au lieu de perdre son temps en d'inutiles l a m e n tations, Paraguassou bravant requins et courants, avait suivi à la nage son époux fugitif.
TLLOIS
ESCALES
Touché d'une fidélité si vaillante, Caramourou,
redevenu Alvarez,
demanda au commandant l'hospitalité pour lui et sa jolie petite Indienne, et comme le bateau était français, 011 fit droit sans tarder à une aussi juste requête. C o m m e bien 011 pense, l'arrivée de ce couple étrange, dans le port de Dieppe fit sensation. Henri II de Valois cl Catherine de Médicis mandèrent à la C o u r Alvarez et sa jeune épouse : on baptisa celle-ci, la reine fut sa marraine et lui donna, avec son nom, des titres de noblesse. Voici donc la princesse Paraguassou devenue Catherine A l varez. Plus lard nos amoureux retournèrent
au
rivage
où
ils
avaient échangé leurs premiers serments et eurent de nombreux enfants qui formèrent plus tard la plus haute aristocratie de Bahia. Telle est l'histoire que me raconta un érudit portugais tandis qu'on procédait aux formalités diverses dont il faut subir la lenteur à chaque escale. Maintenant nous avons licence d'aller à terre et de constater les efforts qu'on fait pour transformer la ville. Partout les rues se réparent, les lignes de tramways se construisent; partout l'animation est grande, soit dans la ville basse où les négresses au torse cambré, au sourire épanoui, font grand commerce de singes et de perroquets, de fruits et de viandes anémiées, de crevettes séchées et de dindons à l'air minable, soit dans la ville haute où s'allongent des avenues fastueuses bordées de villas élégantes, exquisement enfouies derrière des rideaux de feuillages aux tons roux, jaunes, rouges, d'une infinie variété de coloris chauds et pourtant discrets. Mais voici une place pittoresque, avec quatre églises qui se disputent la piété des fidèles ; nous entrons dans la plus ancienne, attirante par sa façade délicatement
nuancée d'une lumière où se jouent des ombres
portées, et ses clochetons aux angles vifs. L'intérieur est prodigieusement
TLLOIS
ESCALES
ornemente de rocailles blanches et or, de peintures éclatantes, de statues naïves : tout cela brille sous un rayon de soleil qui met en valeur les roses, les rouges, les bleus de ce pimpant décor que ne parvient pas à attrister le catafalque de l'enterrementdontles cérémonies viennent de finir. Prêtres et chantres disparus par la petite porte d'une sacristie dont la sonnette pend au bec d'un perroquet blanc empaillé, l'assistance, composée surtout de négresses, paraît être plus à l'aise ; on cause, on potine, on s'csclalTe, on se serre les mains, on s embrasse cl dans l'enceinte vite transformée en place publique, c'est un j o y e u x ramage qui succède aux hymnes pieuses et aux sévères psalmodies, C'est qu'ici la population est gaie: sans doute elle a hérité de la philosophique sérénité des ancêtres, gens pleins de bon sens si j ' e n j u g e par une vieille chronique que j e demande encore la permission de citer, tant j'espère qu'on prendra comme moi grand plaisir à la lire. C'était au temps où on faisait à Baliia un grand commerce de ce bois de Brazil dont mon chroniqueur parle avec enthousiasme : « Entre
les arbres, dit-il, les plus célèbre/ et cogneus
maintenant
entre nous, le bois de Brésil (duquel ceste terre a prins son nom à nostre csgard) à cause de la teinture qu'on en fait, est des plus estimez. Cest arbre doneques que les sauvages appellent araboutan croist communément aussi
haut et
branchu que les chesnes qui
sont es forests de
ce
pays ; il s'en trouve qui ont le tronc si gros, que trois hommes ne sauroyent embrasser un seul pied. Quant à la feuille elle est comme le buys, toutesfois de couleur tirant plus sur vert et ne porte aucun fruit. » Voici maintenant un savoureux dialogue ; « A u reste, parce que nos Tououpinainbaoullz
sont fortesbahis devoir
prendre tant de peine aux Français et autres de lointains pays, d'aller quérir leur arabastan, c'est-à-dire Brésil, il y eut une fois un vieillard d'entre eux qui sur cela me fit telle demande : « Que veut dire que vous autres Mairs et Peros (c'est-à-dire Français et Portugais) veniez quérir de si loin du bois pour vous chauffer? N'en y a-t-il point en vostre pays ? » A quoy leur ayant répondu qu'ouy et en grande quantité mais non pas de telle sorte que les leurs, ni mesme du bois Brazil, lequel les nostres n'emménagent pas pour brûler comme il pensoit, ainsi comme eux-mêmes en usoyentpour rougir leurs cordons de coton, plumes et autres choses, pour faire de la teinture. Il me répliqua soudain : « Voire : mais vous en faut-il lantP » O u y , luy dis-je car (en luy faisant trouver bon) y ayant tel marchant en nostre pays qui a plus de frises et draps rouges, voire mesme (m'accomodant à luy parler
TLLOIS
ESCALES
(le choses qui lui fussent cogneues) des cousteaux, ciseaux, mirouere et austres marchandises que vous n'en auez iamais veu par deçà il achètera luy seul tout le bois de Brésil dont plusieurs navires s'en retournent chargez de ton pays. A h ! A h ! dit mon sauvage, tu me contes merveilles.
BAHIA. —
U n e place.
Puis ayant bien retenu ce que ie luy venois de dire, m'interroguantplus avant dit: « Mais cest homme tant riche dont tu me parles, ne meurt-il « p o i n t ? » Si fait, si fait lui dis-je, aussi bien que les autres. Sur quoy (comme ils sont grands discoureurs et poursuyvent fort bien un propos iusques au bout) il me demanda de rechef: « Et quand doneques il est « mort, à qui e s t l o u t l e
bien
qu'il laisse? — A ses enfants, s'il en a, et au
« défaut d'iceux à ses frères, ses sœurs, ou plus prochains parens : — V r a i « ment me dit lors mon vieillard (nullement lourdaud), à ceste heure « cognois ie que vous autres Mair (c'est-à-dire Français) estes de grands « fols, car vous faut-il
tant
travailler à passer la mer sur laquelle (comme
« vous nous dites estant arrivez par deçà) vous endurez tant de maux pour
TLLOIS
ESCALES
« amasser des richesses ou à vos enfants, ou à ceux qui survivent après « v o u s ? L a terre qui vous a nourris n'est-elle pas suilî sante aussi pour les « nourrir? Nous avons (adiousta-t-il) des parens et des enfans, lesquels « comme tu vois aimons et chérissons ; mais parce que nous nous assente rons qu'après notre mort, la terre qui nous a nourri les nourrira, sans « nous en soucier autrement, nous nous en reposons sur c e l a » . Voilà
BAHIA.
—
Une
rue.
sommairement et au vray le discours q u e j ' a y entendu de la bouche d'un pauvre sauvage amériquain.
»
Eh ! Eli ! mais voilà un pauvre sauvage qui me paraît avoir donné au civilisé de l'époque une excellente leçon de paisible bon sens, et cela prouve que pour se mettre des plumes sur la tête et des anneaux dans le nez (nous, nous mettons des plumes sur la tête de nos femmes et des anneaux dans leurs oreilles) les Indiens n'en sont pas plus sots. A philosopher ainsi, nous avons gagné de l'appétit et nous trouvons juste à point un hôtel d'aspect engageant où nous nous attablons aussitôt. « Si nous faisions connaissance, dit un de nos compagnons, avec la cuisine brésilienne? Baliia se spécialise, dit-on, dans la préparation d'un fameux plat, le vatapa, qui passe pour une merveille. — Soit ! eûmes-nous la faiblesse de répondre. »
AoT R O I S
ESCALES
E t l e vatapa fut apporté. A h ! Seigneur! imaginez une sorte de brouet jaunâtre, épais, tout à la fois écœurant et épicé dans lequel on fourre une manière de colle blanchâtre ! Nous en faisons l'essai loyal: c'est horrible et dégoûtant. Encore n'apprenons-nous qu'après la disparition du plat son affreuse composition : crevettes séchées et pilées, hachis, piments, que sais-jè? L'expérience aurait dû suffire ; mais certains de nos convives ont d'ex-
BÀIIIA.
— Une église.
travagantes curiosités culinaires et nous font défiler d'autres plats non moins pimentés et répugnants, tant et si bien que nous
finissons
par
déjeuner avec une douzaine de bananes et d'oranges. Cela, du moins, a l'avantage de nous laisser l'estomac libre et de nous permettre, en quittant affamés ce festin saugrenu, de poursuivre la visite de Babia et de ses environs. Et ceux-ci ne manquent point d'agrément. Il y a Bio Vermeilbo avec ses jolies maisons dans la verdure, Bomfim et son admirable panorama sur la baie tout azurée, et Baira, où se dresse une place joliment située sur un rivage pittoresquement découpé. Puis, il faut revenir à bord, non sans avoir fait une provision de cigares, car Babia est le centre brésilien de la culture du tabac. Nous rentrons j o y e u x sur YAmazone, car maintenant nous approchons de Bio et nous n'aurons plus, avant cette première étape du voyage, que deux jours de traversée. Encore ne perdons-nous plus de vue une côte où se profilent d'harmonieuses montagnes, celles notamment qui domi-
TLLOIS
ESCALES
nent la petite baie de Porto-Seguro, célèbre parce qu'elle fut le point de débarquement de la première expédition portugaise qui, en i 5 o o , parvint sur la côte américaine sous les ordres de Cabrai. C'est le a/i avril de l'an i 5 o o que la petite flottille portugaise, ayant quitté Lisbonne le 9 mars, aperçut la terre, ce dont elle eut une grande joie, dit le vieux pilote qui lit le récit de la découverte. « Cette terre, ajoute-t-il, était fort abondante en arbres ; elle était en même temps couverte d'hommes qui allaient et venaient le long de la mer. Un jeta l'ancre à l'embouchure d'un petit lleuve; le capitaine fit mettre incontinent une chaloupe à la mer et il ordonna d'aller voir quels gens c'étaient; ils trouvèrent que c'étaient des hommes de couleur tannée, bien dispos et allant nus, comme ils sont nés, sans en recevoir de honte. » Vous pourriez penser que ces Indiens sommairement vêtus vont éprouver quelque étonnement à la vue de ces vaisseaux portugais, quelque crainte en voyant débarquer les matelots, quelque respect à la contemplation des hauts personnages, somptueusement habillés, qui les vont faire comparaître. Point, et les naturels de Porto-Seguro me paraissent les dignes c o m patriotes du sauvage de Pallia qui tenait tout à l'heure des propos si sagement subversifs. O n en prend deux à bord des barques envoyées au rivage et on les ramène sur un vaisseau où Cabrai les reçoit, assis sur un fauteuil et vêtu avec magnificence, le cou orné d'un riche collier d'or. E u x , les sauvages, ils n'ont pour costume que les plumes dont leur chevelure est agrémentée. Une fois de plus, le narrateur s'étonne qu'ils n'éprouvent aucune confusion, encore plus qu'ils gardent en face de tant de luxe une attitude digne, calme, et quasi indifférente. Ils s'assoient sur un tapis, allument leur calumet,
mangent sans
enthousiasme des mets qui leur paraissent aussi détestables qu'à nous le vatapa ; puis quand ils sont repus et las de la curiosité de leurs hôtes, ils s'endorment tranquillement, en ayant soin de ne pas endommager leurs plumes, jusqu'au moment où il plaira à ces grands seigneurs qui ne les intimident guère, de les faire reconduire à terre. Allons en faire autant, car demain nous serons debout dès la première heure pour ne rien perdre de l'entrée dans la baie de Rio.
CHAPITRE
1110 D E
III
JANEIRO
La lmio de Rio et ses multiples aspects. — La ville et ses embellissements. — Excellent état sanitaire. — L'Assistance, publique et l'Enseignement. — Les travaux du port. — Patriotisme brésilien. — Promenade au Corcovado. — Excursion 4 Potropolii. — Rio de Janeiro, la nuit.
Il serait à la fois banal et prétentieux de vouloir décrire la baie de Rio, alors que les plus illustres voyageurs, comme Bougainville, C o o k , D u mont d'Urvillc, que des écrivains et des savants, comme Arago, Sainlllilaire, Laplace, Darwin, Agassiz, ont en termes magnifiques vanté son incomparable beauté. Qu'il me sullisc de proclamer que nulle déception ne saurait attendre le touriste qui s'en approche et que l'imagination la plus fertile ne pourrait rêver pareille splendeur. Je l'ai contemplée sous tous ses aspects et à toutes les heures, et je reste émerveillé par un si prodigieux spectacle, qu'il apparaisse du paquebot glissant entre les îles pour aller prendre son mouillage, ou de quelque cime comme la Tijuca ou le Corcovado. •
On peut avoir fait le tour du monde, on peut connaître la baie d'Along
cl la mer intérieure du Japon, avoir goùlé le charme profond des ombrages de Kandy, à Ceylan, de la fraîcheur exquise des pentes verdoyantes du Fujihama, rien ne vaut la prodigieuse féerie de cette Vue
chinoise,
par exemple, qu'on découvre ici, sur les lianes de la Tijuca, quand apparaissent soudain, dans le lointain, en une orgie de lumière bleue, les plans successifs de la chaîne des Orgues, plus près les contours harmonieux de la baie, des îlots innombrables aux formes étranges, le Pain de Sucre et sa pointe acérée, le Corcovado et sa croupe tourmentée, à nos pieds enfin, la ville toute blanche
se coulant dans les vallées, où
jaillit partout l'élégante silhouette des palmiers géants. On demeure stupéfié par la magnificence d'une telle variété d'aspects, el en songeant que seulement quinze jours de navigation peu pénible
56RIODE
JANEIRO
nous séparent de l'Europe, on se demande pourquoi tant de touristes, embarrassés pour l'emploi des vacances, ne viennent point établir à Rio le quartier général d'où, chaque j o u r , pendant deux mois, on pourrait organiser d'exquises excursions, d'autant que juillet, août, septembre, sont ici des mois d'hiver, que la température y est clémente et que le climat ne laisse plus rien à désirer au point de vue sanitaire. A h ! oui, quel délicieux voyage de vacances I
I l i o DR JANEIRO. —
U n c o i n do la b a i e .
J'ai dit dans les précédents chapitres l'agrément de la traversée et l'attrait des escales ; on croit avoir épuisé ses facultés d'enthousiasme: et voici que l'arrivée à Rio les ravive et nous fait crier comme jadis Americo Vespucci : « S'il y a de par le monde un paradis terrestre, certainement il ne doit pas être situé loin de ces lieux ». C'est que vraiment, cette baie de Rio est enchanteresse et qu'elle ne ressemble à rien de ce qu'on a pu voir auparavant ; les îles, les îlots dont elle est semée, ont des aspects d'une originalité singulière, et les collines qui l'environnent n'ont aucune analogie avec d'autres. Notre steamer, sous la direction expérimentée du commandant Lidin, se meut aisément dans les passes étroites et nous sommes bientôt à l'ancre, entourés d e l à foule des lanchas à vapeur qui attendent, en lançant des coups de sifflet stridents, qu'on nous laisse la libre pratique. Puis, quand le drapeau jaune est enfin descendu, les escaliers du bord
57 RIO
DE
JANEIRO
sont assaillis par la l'oulc bruyante et joyeuse des parents et des amis qui viennent donner aux passagers de connaissance l'accolade brésilienne. Cette accolade a un cachet très particulier: c'est l'étreinte cordiale, confiante de deux amis qui, dans les bras l'un de l'autre, se tapotent réciproquement les épaules. D'aucuns plaisantent cette coutume ; moi, j e la trouve excellente car elle remplace avantageusement et l'embrassade peu attrayante entre gens barbus, cl la poignée de mains devenue si facile, par conséquent trop banale.
Rio.
—
Le porl.
Maintenant, il faut descendre à terre, non sans avoir subi les ennuyeuses formalités de la douane. Ici, une parenthèse : Puisque mes amis les Brésiliens me demandent, avec raison, de dire combien leur pays si pittoresque et si prenant mérite la visite des touristes, qu'ils me permettent de leur faire remarquer que c'est un mauvais moyen d'attirer ceux-ci que de rendre le débarquement difficile et désagréable. Les bagages sont transportés à la douane, où ils arrivent souvent endommagés, malles cassées ou inondées d'eau. La douane, à moins que la moindre fête ne serve de prétexte à une fermeture plus hâtive, ne les livre que le lendemain avant trois heures. On fait queue, on se bouscule, on est obligé de payer des complaisances pour, bouleversé, linge et vêtements. Si,
11E.MU ï u K o r .
finalement,
personnellement, j'ai
voir tout été l'objet
4
58RIODE
JANEIRO
d'égards dont je sais gré, j'ai vu d'autres v o y a g e u r s qui ont dû subir pendant plus d'une demi-lieure des investigations absurdes. D'autres n'ont pu qu'après trois jours obtenir livraison des bagages. J'attire sur ce point l'attention des autorités compétentes : le Brésil est un pays hospitalier qui a bien tort de se laisser compromettre par des procédés dont les voyageurs reçoivent au début si lâcheuse impression. Procédés et tarifs, tout est à remanier. Mais j ' y reviendrai, et puisque j e suis en train de maugréer, je vais
Iîo.1 VIAGEM ( l i a i c do Itio
de J a n e i r o ) .
attirer encore sur d'autres points l'attention des Brésiliens soucieux de rendre leur pays accueillant cl tout à fait sympathique» La question des voitures est tout entière à régler. Je sais bien que Bio possède une incomparable organisation de tramways ou bonds. Ceux-ci sont propres, rapides : ils circulent j o u r et nuit dans toutes lesdirections, jamais ils ne s'arrêtent ; seulement de i heure à 5 heures du matin, les départs sont un peu moins fréquents. O n y trouve toujours de la place, car on a toute licence de grimper sur les marchepieds : pourvu que l'on puisse s'accrocher quelque part avec une main, cela suffit et nul contrôleur 11e vous écarte. Le public est habitué à v o y a g e r ainsi, les a c cidents ne sont pas plus fréquents que sur 110s lignes parisiennes,
et
l'ennui d'un encombrement excessif est bien moins fâcheux que le sta-
lu O 1)K .1 WEJllô
tioonemcnt indéfini dans la bouc tandis que passent les omnibus et tramways avec leur narquoise indication « complet ». Donc le bond de Rio est un moyen de transport pratique et relativement peu coûteux. Mais il ne saurait se substituer totalement à l'usage de la voiture : celle-ci reste indispensable au voyageur qui débarque, au touriste qui a fait des acquisitions et rapporta des paquets, à la femme habillée qui va au théâtre ou au bal, au vieillard ou à l'infirme qui manque trop d'agilité pour se risquer à l'assaut d'une banquette commune. Or, les voitures sont hors de p r i x : aller du
une simple victoria coûte pour
débarcadère
à l'hôtel, i 2 o u i / | i n i l reis, soit de 20 à 20 francs
suivant
cours;
un
le
cabriolet
mal commode, à une seule place, pour
une
course, au
se paie, petite moins
5
milreis, soit environ 8 francs. J 'espère que mes e x c e l l e n t s a m i s du Conseil municipal de
Ilro. — Voilier « l'entrée de la haie.
Rio voudront bien un j o u r étudier la question, réglementer le tarif des voilures et le fixer à un taux qui n'en rende pas l'usage quasi impossible. Il ne restera plus alors qu'à faire connaître au vieux M ó n d e l e nouvel état sanitaire de la capitale du Brésil et à réagir, par une publicité méthodiquement organisée, contre la fâcheuse légende qui fait évoquer le nom terrifiant de fièvre jaune chaque fois qu'on prononce celui de Rio de Janeiro. Rien n'est maintenant plus injuste. Sans doute la fièvre jaune
fut
longtemps redoutable à Rio et ses victimes se comptent, hélas! par milliers. Mais elle a maintenant complètement disparu, du moins à l'état épidémique et c'est à peine si quelques cas isolés viennent de temps en temps rappeler ses anciens méfaits. P o u r combattre cet affreux fléau, le gouvernement et la municipalité
5 A
RIO DE
JANEIRO
ont multiplié les eflorts et pris des mesures énergiques dont on ne saurait trop les louer. Une somme de 5 o o o contos('), près de 9 millions de francs, fut votée et aussi une loi spéciale qui assurait de pouvoirs très étendus le directeur du service sanitaire, le D r Oswaldo Cruz, élève de notre Institut Pasteur. Celui-ci commença son œuvre en 1903 et, en quelques mois, il mérita le nom glorieux de « mata-mosquito », tueur de moustiques.
ILE I'AQUETA ( B a i e de
Rio).
O11 sait, en effet, que la fièvre jaune se transmet par la piqûre des moustiques: aussi le D r Cruz leur fit-il une guerre acharnée en faisant disparaître de la ville toutes les eaux stagnantes ; des équipes de policiers sanitaires furent formées qui eurent mission de pénétrer dans toutes les maisons, de grimper sur les toits, d'exiger la réparation des gouttières engorgées, des terrasses abîmées. Le résultat fut merveilleux. La première année des grands travaux exécutés à Rio, il y eut encore dans la ville 548 décès : l'année suivante, ( ' ) L e c o n t o de reis v a u t , a u c h a n g e a c t u e l , à p e u près 1 6 7 0 francs. Il é q u i v a u t à I 000 m i l r e i s , lo m i l r e i s étant l'étalon m o n é t a i r e .
RIO DE
JANEIRO
53
ce chiffre baissait à !\8, pour tomber l'année dernière à /j2 : on remarquera que ce chiffre est très inférieur à celui des victimes de la
fièvre
typhoïde dans nos grandes capitales européennes. Actuellement personne ne se soucie plus de cette maladie et on espère que, dans une ou deux années tout au plus, on n'aura plus un seul cas de fièvre à signaler. La municipalité et le Préfet collaborent d'ailleurs avec un admirable empressement
à ce nécessaire assainissement en hâtant l'exécution de
formidables travaux. Il y a deux ans, on trouvait, au centre de Rio, des ruelles étroites, obscures, malsaines, et la rue de Ouvidor,
la
plus
mouvementée, la plus commerçante,
était,
avec
ses
quatre ou cinq mètres de largeur,
la
voie
la
plus
aérée. O n résolut alors de créer, à la place de ce fouillis de vieilles maisons, l'Avenida Centrale, une avenue plus large
que
l'Opéra,
l'avenue
plus
de
longue que
les Champs-Elysées, et en vingt-deux mois, en vingtdeux mois, vous entendez, les
expropriations
furent
faites, les masures
démo-
lies, la nouvelle voie tracée, et voici que des deux côtés, sont presque achevés de grandioses édifices, maisons de rapport et de commerce, bôtels des journaux et théâtres. C'est une transformation cpii lient de la m a g i e ! Toutefois, le prodige devient plus explicable après une conversation de quelques minutes avec le Préfet du district de Rio de Janeiro, M. Passos ('). Celui-ci a reçu du Congrès fédéral, par une loi spéciale, le droit ( ' ) M . Passos n'est p l u s P r é f e t de R i o d e p u i s l'accession à la P r é s i d e n c e de la R é p u b l i q u e d e M . P c f i n a . successeur de M . R o d r i g u e s A l v c s . Il a été r e m p l a c é par le g é n é r a l A g u i a r q u i c o n t i n u o a v e c o p i n i â t r e t é et i n t e l l i g e n c e l ' œ u v r e de son p r é d é c e s s e u r .
RIO DE
5 4
JANEIRO
de tracer les nouvelles voles, d'élargir les anciennes, de couper, de tailler, d'abattre, avec le minimum de formalités. Par sa seule volonté M. Passos expropriait,
accordant aux propriétaires les indemnités qu'il jugeait
suffisantes.
Rio. —
Avenida
Centrale.
A ce propos, 011 m'a raconté une bien jolie histoire qui, je 1 avoue, a réjoui mon âme d'édile parisien. Il parait que le projet concernant le percement de l'Avenida Centrale fut tenu complètement secret. Deux ou trois mois avant le commencement des travaux, on fit passer chez les propriétaires intéressés une circulaire demandant le revenu de leurs maisons ; les propriétaires crurent
nio
55
DE JANEIRO
qu'il s'agissait d'un nouvel impôt, certains donnèrent des chiffres très has, et l'indemnité leur fut versée sur leurs propres indications. Ainsi, les fraudeurs trouvèrent un juste châtiment, des économies fort appréciables furent réalisées et les habitants de Hio connurent, heureux mortels, que la vertu est presque toujours récompensée. Ils virent, par surcroît, ce (pie peuvent la hardiesse des conceptions et une volonté qui sait agir, en assistant à la création d'une magnifique promenade, Beira-Mar, qui va contourner une grande partie de la baie, et qui, conquise sur la mer, dans presepio toute sa largeur,
sera pour
Hio une
nouvelle gloire. Q u ' o n ne m'accuse pas d'être trop enthousiaste ! Nous souffrons tant, dans notre vieux Monde, de la lenteur administrative,
de
la pusillanimité des eapitaux,
de
Jj^^Hk^Jlpfl
la
toutes les entreprises b a r -
JÊk
dies, que j'éprouve toujours
M
une
admiration sans bor-
nes pour l'effort intelligent, prompt, opiniâtre, fécond. Or,
j e constate
développement ,,
...
•
ici
le
prodigieux «.
M. I'ASSOS, ancien Préfet de Ilio.
d une ville qui paraît gaspiller l'argent,
mais
qui,
au contraire, en améliorant son état sanitaire, en achevant un port vaste et confortable, en embellissant
ses promenades,
en se donnant 1111
incomparable service des eaux, se prépare un avenir de prospérité. C o m m e n t ne pas dire mon admiration? Et pourquoi, puisque c'est la vérité, 11e donnerais-je pas une approbation sans réserve à ce passage du message par lequel M. Passos, en septembre 190G, résumait l'œuvre accomplie : Les grands
travaux
d ' a s s a i n i s s e m e n t efTectués avec
ténacité dès le p r i n c i p e
par
l ' a c t i o n c o n j o i n t e des a d m i n i s t r a t i o n s m u n i c i p a l e s e t fédérales, les colossales a m é l i o r a t i o n s faites à cette capitale q u i , d a n s u n e p é r i o d e de g u è r e p l u s de trois ans, s'est
56
rIO DE
JANEIRO
t r a n s f o r m é e , d e v i l l e c o l o n i a l e q u ' e l l e é t a i t , e n u n e a u t r e q u i a t o u s les a t t r a i t s d ' u n e ville m o d e r n e , ne pouvaient
pas m a n q u e r , et n ' o n t p a s m a n q u é , e n e f f e t ,
d'exercer
u n e i n f l u e n c e b i e n f a i s a n t e s u r ses c o n d i t i o n s s a n i t a i r e s . L a c o n s t r u c t i o n d u g r a n d q u a i d e la P r a i a d e B o t a f o g o , q u i a fait d e ce infect auparavant,
quartier,
u n e a v e n u e s p l e n d i d e ; le t e r r a s s e m e n t d e t o u t le r i v a g e , d e p u i s
B o t a f o g o j u s q u ' à l ' A v e n i d a C e n t r a l e , f a i s a n t d i s p a r a î t r e la v a s e m a r i t i m e d e r é p u g n a n t aspect et d'effets pernicieux
: voilà c e r t a i n e m e n t u n des p l u s i m p o r t a n t s facteurs de
l ' a s s a i n i s s e m e n t d e la v i l l e . E t , p o u r j u s t i f i e r l a r g e m e n t c e l t e - a f f i r m a t i o n , il s u f f i t d e r a p p e l e r q u e la v i l l e
de
S a n t o s , u n e d e s p l u s i n s a l u b r e s d u t e r r i t o i r e b r é s i l i e n , o ù les m a l a d i e s i n f e c t i e u s e s e t
Il H». —
V u e générale du parc de la République. *
c o n t a g i e u s e s , et s u r t o u t la fièvre j a u n e p r o d u i s a i e n t t o u s les a n s u n c o e f f i c i e n t d e m o r t a l i t é v r a i m e n t d é s o l a n t , est d e v e n u e , c o m m e p a r e n c h a n t e m e n t , u n p o r t m a r i t i m e d e p r e m i e r o r d r e e n u n é t a t d e s a l u b r i t é e n v i a b l e , et c e l a , u n i q u e m e n t p a r la c o n s t r u c tion d u q u a i . M a i s , o u t r e le q u a i , q u i se p r o l o n g e d e p u i s l ' e x t r é m i t é d e l ' A v e n i d a C e n t r a l e j u s q u ' à l ' a n s e d e B o l a f o g o , ¡1 y a e u b i e n d ' a u t r e s a m é l i o r a t i o n s . Le percement disparaître
des r u e s n o u v e l l e s
et l ' é l a r g i s s e m e n t d e p l u s i e u r s a u t r e s o n t
fait
u n e i n f i n i t é d e v i e i l l e s h a b i t a t i o n s s a n s . a i r n i l u m i è r e , o ù f a c i l e m e n t se
d é v e l o p p a i e n t les é p i d é m i e s , e t e n m ê m e t e m p s ,
ont favorisé la circulation
de
l'air,
L a c o n s é q u e n c e n a t u r e l l e d e si n o m b r e u s e s et si c o n s i d é r a b l e s a m é l i o r a t i o n s ,
c'est
ce q u i c o n c o u r t d ' u n e f a ç o n p o s i t i v e à l ' a s s a i n i s s e m e n t g é n é r a l . q u e la v i l l e d e R i o d e J a n e i r o , t r a n s f o r m é e et e m b e l l i e , se t r o u v e d a n s d e s c o n d i t i o n s h y g i é n i q u e s v r a i m e n t exceptionnelles et q u e
son
é t a t s a n i t a i r e est très s a t i s f a i s a n t .
L a p l u s g r a n d e p a r t i e d e s a v a n t a g e s o b t e n u s est d u e i n c o n t e s t a b l e m e n t à l ' œ u v r e
nio
DE
colossale d e l ' a s s a i n i s s e m e n t u r b a i n q u i ,
57
JANEIRO
u n e fois t e r m i n é e , fera d e R i o d e J a n e i r o
u n e d e s v i l l e s les p l u s s a i n e s d u m o n d e , c o m m e e l l e l ' e s t d é j à r e l a t i v e m e n t a u x a u t r e s grandes métropoles d ' E u r o p e et
d'Amérique.
Q u o i q u e t r è s r é d u i t e e n ses a t t r i b u t i o n s ,
c o m m e département sanitaire,
pour
le
m o t i f d e c o n t i n u e r p o u r le c o m p t e d u G o u v e r n e m e n t f é d é r a l , la p l u p a r t d e s f o n c t i o n s q u i l u i s o n t i n h é r e n t e s , la D i r e c t i o n d ' H y g i è n e e t d ' A s s i s t a n c e m u n i c i p a l e n ' a p a s été i n a c t i v o : e l l e a , a u c o n t r a i r e , r e n d u d e b o n s s e r v i c e s a u D i s t r i c t e t à la p o p u l a t i o n e n g é n é r a l , s o i t e n v e i l l a n t a v e c la p l u s g r a n d e r i g u e u r à l ' e x é c u t i o n d e s m u n i c i p a l e s r e l a t i v e s à la s a n t é p u b l i q u e ,
ordonnances
soit è n d o n n a n t u n e n o t a b l e i m p u l s i o n a u
s e r v i c e d e l ' A s s i s t a n c e p u b l i q u e q u i est u n e d e ses p r i n c i p a l e s c h a r g e s .
Rio. —
A v e n u e de Gloria.
Q u a n t à ce q u i r e g a r d e les s e r v i c e s p r o p r e m e n t d i t s d ' h y g i è n e , e l l e c o n t i n u e s o n a c t i o n l a b o r i e u s e et u t i l e n o n s e u l e m e n t p o u r la s u r v e i l l a n c e s é v è r e d e s m a r c h é s et établissements commerciaux,
mais surtout
p o u r l'inspection d u lait et des
viandes
f r a î c h e s d e s t i n é e s à la c o n s o m m a t i o n p u b l i q u e , d e m a n i è r e à g a r a n t i r à la p o p u l a t i o n la p u r e t é e t le b o n é t a t d e ces d e n r é e s a l i m e n t a i r e s d e p r e m i e r o r d r e . L e s s e r v i c e s d ' i n s p e c t i o n d e s é t a b l i s s e m e n t s i n d u s t r i e l s et c o m m e r c i a u x , d e s d o m i c i l e s et a u t r e s m a i s o n s s o n t laits p a r l ' e n t r e m i s e e t s o u s la s u r v e i l l a n c e d e s c h e f s d e s q u a r t i e r s r e s p e c t i f s . L e m o u v e m e n t p e n d a n t les s e p t m o i s passés d e l ' a n n é e c o u r a n t e est le s u i v a n t : 1 7 8 2 0 visites d o m i c i l i a i r e s e t a u t r e s , 2 0 7 2
r e q u ê t e s a u x q u e l l e s il a
été r é p o n d u .
Puisque j e viens de parler de ce message, document officiel dont j'ai pu contrôler l'exactitude, j e demande la permission d'en faire encore
58
RIO
DE
JANEIRO
deux cilalions qui m'éviteront de revenir ultérieurement sur les deux points qu'elles concernent. La première se réfère au service de l'Assistance publique ; la voici : Le service de l'Assistance p u b l i q u e a r e ç u , cette a n n é e , u n e notable i m p u l s i o n . Les postes de secours m é d i c a l installés a u x agences de la P r é f e c t u r e a y a n t été m u nis de petites a m b u l a n c e s et des m e u b l e s nécessaires, sont en m e s u r e n o n
seulement
d e p o u v o i r r e m p l i r leur Italie p r o p r e m e n t d i t e , m a i s encore de d o n n e r les soins e x i gés p a r les accidents s u r la voie p u b l i q u e et tic faire les petites o p é r a t i o n s e t pansem e n t s . S o u s p e u se fera l ' i n a u g u r a t i o n d a n s l ' i m m e u b l e m u n i c i p a l en c o n s t r u c t i o n , rue
C a m e r i n o , de la p r e m i è r e station
de secours q u i sera f o u r n i e
d'automobiles
a p p r o p r i é e s a u transport des m a l a d e s et de civières portatives d a n s le m ê m e b u t ; elle devra f o n c t i o n n e r j o u r et n u i t sans i n t e r r u p t i o n , et p o u r cela elle a u r a son p e r s o n n e l nécessaire t o u j o u r s à d i s p o s i t i o n . S i t u é e e n u n p o i n t c e n t r a l et de g r a n d m o u v e m e n t c o m m e l'est l ' e n d r o i t choisi, la station de la r u e C a m e r i n o sera d a n s les c o n d i t i o n s de satisfaire, avec r a p i d i t é , c o m m e sans r e t a r d , a u x nécessités de cette vaste zone. O n p e u t ainsi s u c c e s s i v e m e n t et sans g r e v e r o u t r e m e s u r e les
finances
municipales,
organiser u n service de t r a n s p o r t p o u r les m a l a d e s et de secours p u b l i c c o m m e
d'au-
tres villes en possèdent e t d o n t le d é f a u t se fait d é j à sentir d a n s cette capitale.
La seconde partie du message apprécie de la façon suivante l'organisation de l'enseignement primaire: 11 f o n c t i o n n e a c t u e l l e m e n t , d a n s ce district, 187 écoles p r i m a i r e s régies par des p r o fesseurs des cadres m u n i c i p a u x ; 7 8 écoles é l é m e n t a i r e s et 8 é c o l e s - m o d è l e s : soit u n total de u83 écoles. D a n s les districts s u b u r b a i n s , le n o m b r e de ces écoles est de 08, d o n t 29 p r i m a i r e s c t 3(j é l é m e n t a i r e s . C e l l e a n n é e la f r é q u e n c e est b e a u c o u p p l u s g r a n d e q u e
les a n n é e s
précédentes,
c o m m e le m o n t r e le t a b l e a u s u i v a n t , relatif a u n o m b r e d ' i n s c r i p t i o n s a u x écoles m u nicipales : E n j u i l l e t 190/1
28 6 4 5
—
190D
29 0 7 3
—
190G
33 295
11 y a p a r c o n s é q u e n t u n e d i f f é r e n c e e n plus de h 232 élèves, ce q u i v e u t d i r e q u ' e n n o v e m b r e o u d é c e m b r e , ce total a r r i v e r a au n o m b r e de 37 000 élèves. Il est à r e m a r q u e r q u e cette a u g m e n t a t i o n est s u r t o u t accusée d a n s les écoles p r i m a i r e s p r o p r e m e n t d i l e s , ce q u i d é m o n t r e l e u r s u p é r i o r i t é a b s o l u e s u r les écoles é l é m e n t a i r e s . Il est p e r m i s de c r o i r e q u e cette f r é q u e n c e serait p l u s c o n s i d é r a b l e si l ' a d m i n i s t r a t i o n a v a i t d é j à t r o u v é les édifices nécessaires p o u r l ' i n s t a l l a t i o n d'écoles d a n s les zones o ù il e n est le p l u s besoin, d e façon à p o u v o i r r e t i r e r des écoles des q u a r t i e r s o ù elles sont le plus a g g l o m é r é e s e t , par c o n s é q u e n t , l e m o i n s f r é q u e n t é e s .
Enfin, pour en terminer avec des renseignements techniques, néces-
nio
DE
JANEIRO
59
saires mais un peu arides, j e tiens à enregistrer sur les travaux si c o n sidérables du port de Rio, les renseignements que voici, puisés dans la Revue France-Brésil L a concession
:
prévoit la construction
d ' u n quai continu de 3 5oo mètres de lon-
g u e u r , d e p u i s l ' a r s e n a l d e la m a r i n e j u s q u ' a u p r o l o n g e m e n t d e la r u e d e S â o - C h r i s t o v a m , q u i a b o u t i t à la p l a c e d u m ê m e n o m . Ce point
t e r m i n u s se t r o u v e a u
Tond d u g o l f e , p r e s q u e à l ' e n d r o i t o ù la c o u r b e
r e n t r e t r è s f o r t e m e n t d a n s la b a i e p o u r f o r m e r la Punla, Les deux
kilomètres
la p o i n t e d o C a j u .
de rivage q u i restent, de Sûo-Christovam à l'extrémité
H10. —
de
lllia Fiscal.
c e t t e P u n l a d o C a j u , d o i v e n t ê t r e é g a l e m e n t p o u r v u s d e q u a i s d ' a c c o s t a g e ; ils f e r o n t , plus tard, l'objet d'une autre concession. L e s p o u v o i r s p u b l i c s a s s u r e n t q u e c e t t e p r e m i è r e s e c t i o n d e 3 k i l o m è t r e s et d e m i d e q u a i s s u f f i r a p o u r l e s nécessités d u m o u v e m e n t m a r i t i m e a c t u e l , m ê m e s'il se d é v e l o p p e e n p r o p o r t i o n d e s f a c i l i t é s p l u s g r a n d e s q u i l u i s e r o n t a c c o r d é e s et d e s r é e l l e s é c o n o m i e s d e t e m p s et d ' a r g e n t q u i e n s e r o n t le r é s u l t a t c e r t a i n . L a m u r a i l l e d e v r a a v o i r u n e é p a i s s e u r d e 7 à 1 0 m è t r e s et u n e h a u t e u r d e 5 m è t r e s a u - d e s s u s d e s m a r é e s m o y e n n e s , o u i 5 m è l r c s d e p r o f o n d e u r t o t a l e d e p u i s la base d e la f o n d a t i o n . C ' e s t d ' a i l l e u r s à c e t t e p r o f o n d e u r m o y e n n e q u e l ' o n t r o u v e la r o c h e v i v e d e v a n t servir d'assise a u x caissons. L e littoral étant irrégulier et f o r m é
de plusieurs criques o u baies plus o u m o i n s
i n c u r v é e s , l e s e n t r e p r e n e u r s o n t c o n t r a c t é l ' o b l i g a t i o n d e l e r e c t i f i e r et d e n e l a i s s e r subsister q u ' u n e seule courbe de g r a n d rayon.
68
RIO
DE
JANEIRO
P o u r o b é i r à c e t t e c l a u s e d e l e u r c a h i e r d e s c h a r g e s , ils d e v r o n t f a i r e d e g r a n d s t r a v a u x d e r e m b l a i et d e t e r r a s s e m e n t . O n c a l c u l e q u e , p o u r ce t r a v a i l p r é l i m i n a i r e , i l s d e v r o n t t r o u v e r p l u s d e c i n q m i l l i o n s d e m è t r e s c u b e s d e t e r r e et d e d é b l a i s . c h i f f r e m o n t r e b i e n q u e l l e g r a n d e s u p e r f i c i e , a c t u e l l e m e n t c o u v e r t e d ' e a u , il c o m b l e r et r e m b l a y e r . O n l ' é v a l u e à
i-]ôooom-,
Rio. —
Ce
faudra
s o i t 1 7 h e c t a r e s et d e m i .
R u e du I E R Mars.
Il fallait en passer par ces renseignements précis pour avoir la mesure d'un effort dont seuls les chiffres peuvent donner une idée exacte. Et maintenant, après ce coup d'œil sur les avenues nouvelles et les quais en construction, retournons, si vous le voulez bien, faire dans le vieux Rio une promenade qui ne manque pas de pittoresque et errons un peu dans cette r u a d e Ouvidor, si mouvementée, si caractéristique. Certes la rua de Ouvidor a perdu son prestige de principale rue de
69 nio
Rio : le voisinage
DE
JANEIRO
de l'Avenida Centrale lui fait tort et la lait paraître
encore plus étroite. Mais elle est demeurée le centre des affaires, le coin extraordinairement animé,
l'inévitable rendez-vous de tous ceux qui
veulent parler politique, de la fixation du cours des milrcis, de la vente du café, de la dernière représentation théâtrale à la moue, de l'arrivée du prochain paquebot et de la future grandeur du Brésil. Je ne plaisante pas : les Brésiliens ont, et cela fait leur honneur et leur force, le perpétuel souci de la bonne renommée de leur pays et de son avenir ; ils connaissent tout ce"qu'on dit de lui, ils éprouvent sur-lechamp une sympathie sans bornes pour qui le loue, un mépris définitif pour qui le critique. Je veux bien qu'un sentiment de patriotisme si exalté n'aille pas sans ¡exagération, et qu'il se traduit souvent par des susceptibilités excessives : n'a-t-on pas vu des Brésiliens se fâcher pour avoir entendu dire que les rues de Pernambuco sont plutôt mal pavées et que celles de Baliia sont plus fréquentées par les nègres et les négresses que par des blancs ? Mais j e préfère de beaucoup, pour ma part, cet excès de fierté nationale à la tendance qu'ont certains Français de dénigrer leur propre pays. A les entendre, la France serait pour toujours humiliée, ruinée, vouée à la banqueroute
ou à l'invasion ; notre administration
serait la pire de
toutes, nos fonctionnaires, les plus sots, nos commerçants, les plus bêles. Si vous
ajoutez à cela
qu'une abondante littérature
d'exportation,
frivole, pour ne pas dire plus, se donne comme française, on peut être surpris que nous ayons gardé par delà les mers une réputation encore si flatteuse. Flatteuse cl méritée, oserai-je d i r e : car il faut bien proclamer, quand l'occasion s'offre — tant pis si je me laisse aller à une nouvelle digression _ que loin d'être humiliée et ruinée, la France est dans une situation économique très prospère, dans une situation morale incomparable, que tous les peuples se disputent son amitié ou son alliance et que nous exerçons encore sur l'évolution de l'humanité une influence décisive. Il faut dire aussi que si nos fonctionnaires ont des défauts, s'ils sont routiniers et timorés, du moins sont-ils, sauf de très rares exceptions, d'une honnêteté qui force le respect : le plus modeste de nos employés, celui-là même qui souffre chez lui d'un traitement de famine, est incapable de se faire payer une coupable complaisance ou un oubli de ses devoirs. 11 faut bien encore, pour opposer la vérité à la fiction, affirmer qu'en France plus qu'ailleurs, la vie de famille est en honneur. Les femmes de France méritent toutes les admirations et tous les res-
uro
DE
JANEIRO
pects: ouvrières, paysannes, elles sont celles qui, à force d'économie et d'ingéniosité, parviennent à équilibrer leur pauvre budget ; bourgeoises, elles sont celles qui permettent à notre petit commerce de lutter contre la terrible concurrence du grand magasin ; grandes dames, elles sont celles qui maintiennent dans nos salons les traditions d'élégance, de bon goût et d'esprit qui sont parmi les plus précieux j o y a u x de notre patrimoine national. Q u a n t a Paris, que les étrangers peu observateurs et attirés par certaines
Ilio. —
V i a d u c do
Sylvestre.
réclames considèrent trop souvent comme une ville de plaisir, elle est — qui oserait le contester? — la cité de labeur par excellence, la capitale intellectuelle du monde, le centre lumineux où vit, pense, travaille et crée la plus admirable réunion qui se puisse imaginer de savants et d'artistes, serviteurs désintéressés et fervents de la Science et de la Beauté. Grands dieux ! que nous voici loin de la rue de Ouvidor ! Mais non ! après tout, j e venais de parler du patriotisme brésilien, de ce patriotisme qui s'affirme dans cette ruelle pittoresque par les propos quotidiens : quoi d'étonnant à ce que le mien se soit enflammé à son tour? . Reconnaissons d'ailleurs que le patriotisme brésilien n'est ni malveillant, ni haineux. Les Brésiliens aiment leur pays, ils en sont fiers, mais je 11e les ai
72 RIO
DE
JANEIRO
point entendu dénigrer les autres peuples, ni montrer un nationalisme provocant et hargneux. On peut donc leur passer avec un sourire amical et indulgent certaines susceptibilités qui, j e le répète, n'ont rien de choquant. Poursuivons donc notre promenade : mais pour nous reposer de la foule grouillante de la rue de Ouvidor, il convient d'aller respirer l'air pur et vivifiant du Corcovado. Le Corcovado est celle colline qui marque d'une silhouette si caractéristique la baie de Rio. On y accède par un funiculaire dont la gare est située à l'extrémité de la belle avenue appelée
Larangeiras.
Et tandis que l'unique wagon s'élève sur une rampe de 3o cenlilimètres par mètre, remorqué par une locomotive haletante, nous ne pouvons, à chaque échappée de cette ligne féerique, contenir des cris d'admiration : c'est d'abord le coin délicieux de Sylvestre, d'où dévale jusqu'à la baie une ravissante coulée d'arbres entrelacés, c'est ensuite la station de Peneiras où l'on déguste des orangeades en face panorama somptueux, c'est enfin le sommet à 7 1 0
d'un
mètres d'altitude
où l'on reste, longtemps anéanti, extasié par la splendeur d'un décor unique. De la proue
rocheuse qui termine le Corcovado,
toute la
baie se découvre, toute la ville apparaît blanche, coquette, sinueuse, alanguie. Où fixer les yeux parmi tant de magiques apparitions ? sur la mer très bleue, qui déferle là-bas sur des sables nacrés, sur Nietheroy la gracieuse, qui, en face de nous, s'adosse à la chaîne des Orgues, sur le port où voisinent les masses compactes des vaisseaux de guerre et des grands paquebots, sur le Pain de Sucre,
aride, sauvage, menaçant, sur
les îles ombreuses qui, par centaines, égayent la baie d'azur de leurs reflets d'émeraude, sur ces jardins fleuris qui nous embaument de leurs senteurs troublantes, ou sur ces vastes forêts, mystérieuses et profondes, dont la masse d'un vert sombre couronne la Tijuca ? On voudrait tout voir à la fois, tout embrasser d'un seul coup d'œil, on souhaiterait surtout fixer à jamais sur sa rétine l'impression inouïe dont jamais peut-être 011 n'éprouvera plus le charme enivrant. De cela, je serais trop inconsolable ; aussi ferai-je naître bientôt, dès le lendemain, l'occasion de revenir m'émerveiller au Corcovado. A v e c de hardis et aimables compagnons de voyage, j'ai décidé que nous fuirions la banalité des funiculaires, voire même l'hospitalité confortable d'une automobile gracieusement offerte. Non! n o n ! nous voulons connaître la forêt, nous voulons savourer longuement, loin des chemins trop fréquentés, le charme de cette nature incomparable. P o u r cela, il suffit de
1UO »E
JANEIRO
G5
faire, en dépit des conseils de gens prudents à l'excès, une excursion qui nous semble particulièrement tentante : la traversée
des coteaux
boisés qui s'étendent du Corcovado à la Tijuca. Et ce fut vraiment une promenade exquise : non exempte de péril en vérité, car les serpents les plus venimeux fréquentent ces parages, ni de fatigue, car souvent nous perdîmes la trace d'un sentier qu'interrompent, ici les robustes troncs de géants écroulés, enlacés par des lianes vigoureuses, là le cours tumultueux d'un petit torrent qui emporta un pont rustique. Plusieurs fois, nous fûmes tentés de renoncer, de retourner en arrière : mais l'amour-propre eut raison de notre prudence et de notre paresse et enfin, après cinq heures d'une marche hésitante et difficile, nous parvînmes au Corcovado,
suants, essoufflés, rompus, mais très flattés
des compliments qui saluèrent notre escapade. Je le fus moins le lendemain, en lisant dans les journaux que « malgré
son grand
âge,
M. Turot avait effectué sans excès de fatigue l'ascension du Corcovado ». Mon grand âge ! il faut vraiment être à Rio ou à Buenos A y r e s pour entendre parler ainsi de celte quarantaine dont nos auteurs dramatiques parisiens ont le bon goût de montrer les séductions ! Mon grand â g e ! T o u t de même, cela m'a donné d'abord une impression désagréable, puis j'ai ri de bon cœur et juré de montrer à ce reporter jouvenceau que mes vieilles jambes osseuses fatigueraient ses cartilages. Et j'ai pérégriné de plus belle. Je ne demanderai pas au lecteur de me suivre trop longtemps, n'ayant point ici la prétention d'écrire un guide de Rio. Mon excellent confrère Morel de VEtoile du Sud s'en est chargé avec trop de succès pour que j e rivalise avec lui. Qu'on me permette toutefois de m'arrêter quelques minutes sous les frais ombrages du Passeo publico et de contempler, avec un réel plaisir, le buste du fameux poète brésilien Gonçalvez-Diaz dont mon érudit et cher ami d'Escragnolles-Taunay
me fit connaître
les œuvres en me
récitant la poésie que chacun, à Rio, aime à redire comme un cri fervent d'amour pour la patrie. Gonçalvez-Diaz l'écrivit à Coïmbra en i 8 4 3 et j e crois que la traduction que voici est de M. de Santa-Anna Nery ; Mon pays a des palmiers verts O ù c h a n t e n t les sabias ( ' ) a i m a b l e s
( ' ) Le sabia est le rossignol brésilien. HENRI
TUROT.
5
74 RIO
DE
JANEIRO
L ' o i s e a u d ' i c i , d a n s ses'concerts N ' a pas de c h a n s o n s c o m p a r a b l e s . N o t r e ciel a des l'eux sans n o m b r e , iNos prés n o u s d o n n e n t plus de Heurs, N o s bois o n t plus de vie et d ' o m b r e , L ' a m o u r fait m i e u x battre les c œ u r s . L e soir, seul à m a rêverie J ' a v a i s p l u s de b o n h e u r l à - b a s S o u s les p a l m i e r s de m a p a t r i e O ù c h a n t e n t les j o y e u x
sabias.
Mon p a y s a de si d o u x
charmes
Q u ' i l s m ' a r r a c h e n t a i l l e u r s des l a r m e s . D i e u , ne p e r m e t s pas q u e j e m e u r e S a n s r e t o u r n e r encor là-bas Sans goûter, ne fût-ce q u ' u n e heure D e s c h a r m e s q u ' i c i on n'a pas, S a n s revoir tout ce q u e je p l e u r e , Les p a l m i e r s verts et les
sabias.
• *
»
Faut-il vous.conduire maintenant sur cette admirable avenue de BeiraMar où triomphe le monument en bronze du au ciseau vigoureux, sincère,
original
de
Rodolpho
Bcrnardelli, un grand artiste qui a
magnifié les hommes célèbres du Brésil par des œuvres superbes ? Faut-il parcourir la courbe régulière de Botalogo dont les quais
sont
baignés par des eaux calmes et bleutées? Faut-il aller jusqu'au jardin botanique où, sous la conduite de son éminent directeur Barboza Rodríguez, nous errons parmi les allées où surgit l'alignement allier des palmiers géants, sous la voûte, pareille à un cloître gothique, des bambous inclinés, ou dans le pittoresque enchevêtrement des camphriers et des baobabs, des figuiers et des mangoustans, des sophoras et des poivriers? En vérité, les promenades dans Rio sont toutes exquises, avec des échappées imprévues et toujours variées sur le Corcovado et son dos de bossu, sur le Pain de Sucre et sa pointe acérée. Mais il faut savoir se borner. Aussi bien la baie est là, particulièremen t attirante et nous avons maintenant, après une dernière excursion à Leme et à Ypanema, grande envie de la franchir soit pour aller fouler le sable
nio
fin d'Icarahy et de cache Petropolis.
Jurujuba,
nr
.UNEino
soit pour
gravir les hauteurs
où se
Le trajet est charmant. C'est a peine si le j o u r commence à se lever quand nous prenons passage sur le vapeur qui va nous faire traverser la haie : peu à peu le ciel s'éclaire doucement des nuances rosées de l'aurore cl les îles sortent du brouillard, exquisement éclairées p a r l e s rayons du
Rio. —
R o u l e de S u m a r e .
soleil qui monte. Toutes les collines émergent tour à tour de la buée matinale et voici pour notre promenade le plus magnifique décor qui se puisse imaginer. Et puis j'ai comme compagnon de route et comme guide le Ministre des Affaires étrangères, M. de Rio-Braneo, chez lequel j e dois déjeuner à Petropolis et qui me désigne au passage les îles Enxadas, Pombebe, des Ferreiras, Governador. Les premières sont petites,
verdoyantes, aimables,
la dernière est
imposante avec ses i 5 kilomètres de long et ses 44 kilomètres de tour.
76 RIO
DE
JANEIRO
Une heure s'est rapidement écoulée depuis notre départ de Rio et
Rio.
—
Les bambous du jardin
botanique.
nous sommes maintenant à Maua' où nous attend le confortable wagon du Ministre-. La voie ferrée traverse d'abord une région plate, puis elle s'élève rapi-
nio
DE
de me ni el escalade la montagne.
JANEIRO
69
C'est alors un émerveillement
de
découvrir la baie et ses iles et d'apercevoir dans le lointain la ville de Rio toujours gardée par le sévère Pain de sacre.
P o u r la dernière partie
du trajet, nous sommes remorqués par une locomotive qui halète sur une crémaillère et nous arrivons alors à Pelropolis. Petropolis pourrait aussi s'appeler Cosmopolis : c'est la ville diplomatique où habitent tous les ministres et ambassadeurs, quelques-uns toute l'année, d'autres l'été seulement. L e ministre de France n'en sort que rarement et cela m'amène à faire une observation dont j e voudrais bien qu'on tint compte au quai d'Orsay. Jadis, Rio avait un état sanitaire tellement déplorable qu'on devait trouver fort légitime lapréférence de notre représentant pour la résidence d'e Petropolis, située à une altitude où n'atteint jamais le terrible moustique de la lièvre jaune. Mais j'ai dit plus haut combien était améliorée la situation sanitaire : en outre, les habitations se sont multipliées sur les lianes des collines qui entourent Rio el il n'y a que l'embarras du choix pour une installation au Corcovado, à la Tijuca, à Sainte-Thérèse ou au Sumaré. On y serait à l'abri même dans le cas improbable d'un retour olfensif du redoutable fléau. P o u r q u o i donc alors notre ministre ne viendrait-il pas habiter Rio ou ses environs immédiats, en plein centre de l'activité politique, économique et commerciale ? A l'époque où nous vivons, le rôle de la diplomatie est singulièrement diminué par l'emploi du télégraphe et nos ministres et ambassadeurs n'ont guère, au point de vue politique, qu'à suivre les instructions venues du Ministère des Affaires étrangères. C'est donc pour d'autres fins qu'ils devraient mettre en œuvre leur intelligence et leur perspicacité. Qu'ils m'excusent d'une expression qui, sans doute, leur paraîtra choquante, mais qui, du moins, a le mérite de leur traduire ma pensée : je voudrais qu'ils devinssent les premiers commis-voyageurs de notre pays. J'entends par là qu'ils puissent se tenir au courant de l'évolution économique, des grands travaux projetés, des réformes qui intéressent l'enseis'en
présente,
ils réclament pour la France sa part d'influence, sa place
gnement ou les beaux-arts, et que quand l'occasion
légitime;
qu'ensuite, ils signalent par tous les moyens en leur pouvoir, les initiatives dont pourraient profiter nos compatriotes. P o u r cela, il ne sulfit pas des visites officielles reçues et rendues sous
78
RIO
DE
JANEIRO
les ombrages de la gracieuse mais morlc Petropolis : il faut vivre au centre même del'activité brésilienne, il faut être à Rio, regarder, entendre, comprendre, prévoir et parler ! Mais nous reviendrons sur ce thème dans un autre chapitre : jouissons donc simplement aujourd'hui du calme de Petropolis avec ses larges avenues si caractéristiques, dont le centre est occupé par un canal, coulant entre deux rangées d'arbres et dont les trottoirs sont bordés par d'élégan-
PETKOPOLIS.
—
A v e n u e du /| S e p t e m b r e .
tes villas, par les palais des diverses légations, par des hôtels où viennent, l'été, se réfugier les riches familles chassées de Rio par la chaleur. Après un fort agréable déjeuner dans la maison de campagne de M. de Rio-Branco, déjeuner auquel préside sa fille avec un charme de vraie Parisienne, M. Decrais, alors ministre de France au Brésil, m'offre très obligeamment de me faire connaître les environs de Petropolis. La promenade fut délicieuse, dans cette fraîche vallée de Cascatinha, où coule une rivière paisible, où tombent des cascades écumeuses, où poussent des fleurs aux chauds coloris, où l'on respire un air pur
et
transparent, où la vue des contreforts élégants de la chaîne des Orgues réjouit les yeux. Il faut un grand courage pour s'arracher trop tôt à une promenade si apaisante, et prendre place, vers 6 heures, dans le train qui vous ramènera le soir à Rio de Janeiro.
nio
DE
JANEIRO
71
J'en aurais maintenant fini avec la partie descriptive de ma tâche, si j e ne voulais ajouter un mot sur la physionomie de llio, la nuit. D ' u n e façon générale, la ville paraît assez déserte dès huit heures du soir : c'est que le plus grand nombre des habitants ont quitté le quartier des affaires pour rentrer dans les innombrables villas des faubourgs : les
souper très sagement dans des
Excursion dans la Tijuca.
établissements peu drolatiques, les célibataires se répandent dans les clubs, lieux de plaisirs et de jeu. Là, toute une jeunesse folle danse au son d'un orchestre entraînant, tandis que, dans des salles voisines, hommes et femmes s'empressent autour du tapis vert et jettent nerveusement autour des croupiers flegmatiques — eux sont sûrs du résultat —
les billets, les plaques et les
jetons. Le spectacle est laid sous loules les latitudes : passons vite pour retrouver un peu de gaîté joviale et saine dans les salons où l'on soupe et où, ce soir, les coupes de Champagne se vident en l'honneur des offi-
72
RIO
DE
JANEIRO
ciers du bateau de guerre qui amena M. Root, l'hôte acclamé que Rio de Janeiro attendait avec impatience pour l'ouverture du Congrès panaméricain.
Une année s'est écoulée déjà depuis que j'ai écrit ces pages et j e n'ai pu résister au désir de retourner à Rio. Aussi bien, j e m'attendais à cet entraînement.
PETROPOLIS. —
U n coin dans la c a m p a g n e de
Cascalinlia.
L'an dernier, en passant avec d'Escragnolles-Taunay sur la place Carioca nous nous régalâmes d'un verre de l'eau fraîche et limpide qui coule des antiques fontaines. « Vous voilà pris, mon cher, fit sournoisement Taunay, car cette eau a une légende : quiconque s'est désaltéré à la fontaine de Carioca sent pour toujours un besoin de revenir à Rio ; c'est un philtre auquel nul ne peut se soustraire. » Le brave Taunay, latin fougueux et véhément, avait raison ; le philtre devait produire tout son effet sur moi. Certes, après mon
premier séjour, j e croyais bien connaître Rio,
mais ici les transformations tiennent de la magie : en quelques mois, des changements considérables se sont effectués ; voilà tout à fait achevée cette prodigieuse avenue de Reira-Mar qui va jusqu'à Botafogo en con-
nio
DE
•tournant la baie, et qui offre au
JANEIRO
73
touriste émerveillé
l'extraordinaire
variété de ses aspects ; voilà comblés les marais qui, autrefois, rendaient si malsains les faubourgs situés au delà de la gare centrale ; des centaines d'hectares ont été gagnés sur la baie et bientôt sera tout à fait terminé le quai magnifique où pourront atterrir, même par les marées les plus basses, tous les paquebots obligés aujourd'hui de jeter l'ancre
derrière
I Ilha Fiscal ; voilà enfin définitivement percé le canal de Mangue qui s'allonge entre des rangs de palmiers gigantesques. L'étonnant,
c'est que
tous ces travaux considérables
et tous ces
remuements de terre aient pu être exécutés sans que la moindre épidémie de fièvre jaune se soit manifestée. La preuve est donc bien laite que la terrible maladie, qui donna trop longtemps à Rio une détestable réputation, est désormais vaincue par la guerre impitoyable menée contre les moustiques. Malheureusement, les associations d'idées
sont persistantes
et la
grande ville brésilienne aura longtemps à souffrir de celle qui unit son nom à celui de la fièvre jaune. Il n'est que juste, quand 011 en trouve l'occasion, d'aider le gouvernement brésilien et la municipalité de Rio à faire connaître à l'opinion publique le nouvel état sanitaire, satisfaisant en tous points.
CHAPITRE
ÉTATS-UNIS
ET
IV
BRÉSIL
Los Américains du Xord. — Impérialisme économique. — Leur effort au Brésil. — Le voyage do M. Root et l'enthousiasme brésilien. — Le Congrès panaméricain de 190O. — Sa portée et ses conséquences. — Les déclarations do M . do Rio-Branco.
P a r deux fois déjà, j'ai traversé les États-Unis d'Amérique et j ' y suis à mon gré demeuré trop peu de temps. Heureusement, quelques j o u r s sullisent pour deviner tout ce que ce pays a de grand et de fort, loul ce qu'il renferme d'énergie et de puissance
d'expansion. On le sent colossal et menaçant : on songe avec
quelque elTroi, mais surtout avec une curiosité poignante, à la lutte inégale qu'aura bientôt à soutenir contre lui la vieille Europe. A h ! c'est que ce sont de terribles jouteurs, ces Américains entreprenants, hardis, habiles, aclif's et joueurs ! J'entends par là qu'ils ont à outrance le goût de la spéculation et qu'ils sont toujours prêts à risquer la grosse partie sur une seule carte. Certes, cela ne va pas sans quelques catastrophes où peuvent sombrer des individualités: mais, visiblement, l'ensemble de la nation s'enrichit et profite de tant d'audace et de tant de confiance. La confiance en soi ! c'est un des traits les plus caractéristiques de l'Américain, c'est manifestement le plus grand élément de réussite d'une race qui ne rêve rien moins que de conquérir l'univers, sur le terrain économique. Une telle confiance 11e laisse pas d'ailleurs d'être un peu agaçante pour le voyageur étranger qui se trouve souvent choqué par 1111 excès de vantardise et d'outrecuidance. O n aimerait à trouver chez des gens si persuadés de leur supériorité en tant de choses, un peu plus de modestie et surtout un peu plus d'équité dans le jugement qu'ils portent sur les autres. Mais leur admiration d'eux-mêmes les occupe trop : ils ont à peine le
KTATS-UNIS
temps de regarder au delà
1ÎT
75
UHESIL
de l'Atlantique pour y découvrir encore
quelque chose de hien. Cette naïve infatuation devient parfois assez divertissante à force de puérilité. J'ai eu notamment l'occasion d e l e constater quand, en 1901, j'engageai avec Sliegler un match autour du monde. Aussitôt, les Nord-Américains s'empressèrent de faire entrer dans le tournoi quelques jeunes écoliers envoyés, eux aussi, à travers le monde par le propriétaire des trois plus grands journaux des Etats-Unis. Il fut entendu, convenu, arrêté, décidé, que les « schoolhoys » ne feraient qu'une
bouchée des pauvres journalistes français, et dans les
réceptions si cordiales qui rne furent faites, il y avait visiblement un peu de cette sympathie apitoyée qu'on éprouve pour les vaincus. Et notre humiliation serait d'autant plus complète que nous serions battus, dans cette course originale, par de simples écoliers. On oublia de dire, il est vrai, que lesdits écoliers étaient accompagnés, ou plutôt conduits par des hommes expérimentés qui avaient l'ordre de ne rien ménager pour obtenir la victoire à tout prix. Et le peuple américain se réjouit une fois de plus de son incomparable supériorité. En attendant celte victoire, les boys accomplissaient presque chaque j o u r des prodiges de valeur. Volontiers même, ils prononçaient des mots historiques pour l'édification des générations futures, et les j o u r n a u x d'alors mentionnaient avec emphase que l'un d'eux, traversant l'Irlande sur 1111 train spécial, sentit tout à coup l'odeur du brûlé. 11 s'informe et on lui dit que le feu commence à prendre dans le wagon. « Ne craignez rien, ajoute-l-on, ce sera vite éteint. — Je ne crains rien, répond le jeune héros. — Vous n'avez donc jamais peur ? interroge le conducteur saisi d'admiration. — Si, d'arriver en retard ! » Mot sublime, qui fit tressaillir les mânes des anciens preux et qui fera pâlir de jalousie, aux Champs-Elysées, les ombres déjà si blêmes des auteurs de phrases fameuses. Quoi qu'il en soit, et abstraction faite de cet excès de vanité —
quel
peuple est exempt de défauts ? — la nation américaine constitue vraiment une force prodigieuse, qui puise surtout sa puissance, j e le répète, dans son esprit d'initiative,
dans son audace, dans la confiance qu'elle a
en soi. Or, il n'est pas besoin de longues démonstrations pour prouver que
8h ÉTATS-UNIS
ET
BRÉSIL
ce besoin d'expansion, jadis exclusivement tourné vers les grandes affaires financières, commerciales et industrielles, s'est transformé peu à peu en une sorte d'impérialisme qui n'est point sans inquiéter, aux États-Unis même, beaucoup de bons esprits, peu désireux de voir la Grande République se lancer dans de périlleuses aventures. Dans la Correspondance
Universelle,
M. Louis Casabona citait, l'an
dernier, une lettre fort sensée d'un correspondant américain : Nous avons
o c c u p é l o n g t e m p s , d i t ce
sage, u n e place à p a r t p a r m i les n a t i o n s , une
place p r i v i l é g i é e e n t r e t o u t e s .
Per-
s o n n e n e n o u s m e n a ç a i t ; il s e m b l a i t , a u contraire, qu'il y eût partout une conspiration p o u r
applaudir
à nos progrès
et
favoriser notre f o r m i d a b l e d é v e l o p p e m e n t . On
nous
admirait
sans
arrière-pensée
parce q u ' o n n o u s savait p a c i f i q u e s , absorbés s e u l e m e n t p a r le désir très
légitime
de p r e n d r e le p r e m i e r r a n g s u r le t e r r a i n de
la c i v i l i s a t i o n ,
de d e v e n i r la
nation
m o d è l e p a r e x c e l l e n c e , la seule capable de g r a n d i r p a r la paix et le travail. E t c'était p o u r n o u s la p l u s é c l a t a n t e des g l o i r e s . C'est
alors q u e des p o l i t i c i e n s à
vues
étroites sont v e n u s , q u i o n t m o d i f i é l ' à m e n e u v e de n o t r e p e u p l e c l l ' o n t é l o i g n é de son p u r idéal en l u i versant le poison d u chauvinisme. Nous teurs
que
nul,
étions s u r
des
hau-
avant nous, n'avait
pu
r é u s s i r à a t t e i n d r e . O n n o u s en a fait d e s c e n d r e p o u r n o u s j e t e r d a n s tout ce q u e la vie m o n d i a l e a de m e s q u i n et de m é p r i s a b l e . C e f u t d ' a b o r d la g u e r r e a v e c l ' E s p a g n e —
triste g u e r r e o ù n o u s n ' a v o n s pas fait belle f i g u r e , o ù n o u s avons d o n n é le d e r n i e r
c o u p de pied a u lion a b a t t u . C e f u t e n s u i t e l ' a f f a i r e de P a n a m a , h o n t e u s e a u x de
tous c e u x
yeux
q u i en connaissent les dessous et q u i s a v e n t q u e l s tripotages r é p u -
g n a n t s et i n a v o u a b l e s elle recèle. nations européennes.
Nous qui
O n n o u s m ê l a e n s u i t e a u x q u e r e l l e s des vieilles
manifestons b r u y a m m e n t
la p r é t e n t i o n
de
n'ad-
m e t t r e p e r s o n n e s u r le c o n t i n e n t o ù n o u s v i v o n s , n o u s s o m m e s allés n o u s o c c u p e r des affaires de la T u r q u i e et n o u s n o u s o c c u p o n s d u Maroc en a t t e n d a n t d ' i n t e r v e n i r a i l l e u r s . E n f i n , ce n ' e s t u n secret p o u r p e r s o n n e q u e n o u s s o n g e o n s à é t a b l i r n o t r e protectorat s u r toutes les r é p u b l i q u e s a m é r i c a i n e s . M . R o o s c v e l t n ' a - t - i l p o i n t p r o c l a m é q u e n o t r e p a y s était le g e n d a r m e d u c o n t i n e n t ? C'est ce cju'on a p p e l l e s e m e r le vent. U n j o u r v i e n d r a o ù n o u s récolterons la t e m p ê t e , et cela p a r plaisir, sans
8hÉ T A T S - U N I S
ET
BRÉSIL
nécessité, s i m p l e m e n t parce q u e n o u s s o m m e s d o m i n é s p a r u n parti q u i v e u t q u ' o n dise de nous ce q u e P a u l - L o u i s C o u r i e r disait d e B o n a p a r t e : « E t r e B o n a p a r t e c l se faire sire ! 11 aspire à d e s c e n d r e , mais n o n ; il croit en s ' é g a l a n t a u x rois. »
monler
N o u s v o u l o n s , n o u s a u s s i , n o u s faire sire et n o u s c r o y o n s m o n l e r en n o u s é g a l a n t a u x vieilles n a t i o n s . N o u s n ' a v o n s pas l ' a i r de c o m p r e n d r e q u e si elles a v a i e n t la b o n n e f o r t u n e de se t r o u v e r d a n s n o t r e s i t u a t i o n , c l de p o u v o i r s u p p r i m e r toutes les d i f f i c u l t é s a u m i l i e u d e s q u e l l e s elles se d é b a l l e n t , elles s'en féliciteraient. P o u r le b i e n des E t a t s - U n i s il f a u t s o u h a i t e r q u e cela cesse, q u e n o u s
revenions
à nos t r a d i t i o n s , à n o t r e idéal obscurci p a r la f u m é e d ' a m b i t i o n s d a n g e r e u s e s . N o u s d e v o n s être g l o r i e u x p a r nos progrès d a n s
t o u s les d o m a i n e s de la saine activité
sociale. C e t t e g l o i r e seule est d u r a b l e , les a u t r e s n ' o n t q u ' u n éclat é p h é m è r e et sont t o u j o u r s suivies de d é s i l l u s i o n s c r u e l l e s et de d é c h é a n c e .
Beaucoup d'Américains pensent ainsi et j'ai eu personnellement la joie d'entendre des discours analogues. Mais, tout de même, la tendance impérialiste semble prévaloir et M. Casabona, dont j'ai déjà parlé, exprime en termes excellents et qui font l'éloge de sa perspicacité, la politique des États-Unis. E n r é a l i t é , d i t M . C a s a b o n a , d e p u i s la p r o c l a m a t i o n de sa p r é t e n d u e i n d é p e n d a n c e , C u b a n'est q u ' u n e c o l o n i e
nord-américaine,
ou p o u r
mieux dire, un
protectorat
nord-américain. A u p o i n t de v u e c o l o n i a l , les E t a t s - U n i s c o m m e n c e n t p a r o ù les a u t r e s finissent.
peuples
Ils o n t a d o p t é u n s y s t è m e très m o d e r n e c l aussi très p r a t i q u e . A u lieu
de
s'épuiser en clïoris de toute n a t u r e p o u r c o n q u é r i r et a d m i n i s t r e r des p e u p l e s n o u v e a u x q u i l e u r é c h a p p e r a i e n t le j o u r o ù ils a u r a i e n t atteint l ' â g e de la m a t u r i t é ,
an
lieu de p r o c é d e r ainsi q u e l ' o n t fait et le f o n t e n c o r e l ' A n g l e t e r r e , l ' E s p a g n e , le P o r t u g a l , la F r a n c e , e n A m é r i q u e , e n A f r i q u e , en Asie et en O c é a n i c , ils p r e n n e n t des peuples déjà m û r s , ayant accompli
le plus gros de la b e s o g n e en ce q u i c o n c e r n e
l ' o r g a n i s a t i o n de la vie n a t i o n a l e et s ' i m p o s e n t à e u x ,
non comme maîtres,
mais
comme tuteurs. Ils n e l e u r disent pas : « V o i c i nos f o n c t i o n n a i r e s a u x q u e l s vous l e q u e l v o u s devez v o u s i n c l i n e r . »
devez
obéir;
notre
drapeau
devant
Ils l e u r d i s e n t : « \ o u s êtes l i b r e s ;
gouvernez-vous, administrez-vous
à votre g u i s e . Mais
n'ou-
bliez j a m a i s q u e n o u s v o u s p r o t é g e r o n s e n v e r s et c o n t r e t o u s , envers et c o n t r e vousm ê m e s si vos é g a r e m e n t s n o u s o b l i g e a i e n t à r é t a b l i r la paix chez v o u s . « E n a t t e n d a n t , e n v o y e z - n o u s vos p r o d u i t s a u p l u s bas p r i x possible et achetez les nôtres très c h e r m ê m e s'ils sont m a u v a i s ; r é s e r v e z - n o u s vos terres i n c u l t e s q u e n o u s nous c h a r g e o n s de c o l o n i s e r , vos f o r ê t s ,
vos m i n e s q u e n o u s e x p l o i t e r o n s ; laissez-
n o u s creuser vos ports, canaliser vos rivières, assainir vos v i l l e s ,
e x é c u t e r en
un
m o l , à vos frais, bien e n t e n d u , tous vos t r a v a u x p u b l i c s . E t s u r t o u t , i g n o r e z q u e le
8h ÉTATS-UNIS
ET
BRÉSIL
m o n d e est g r a n d et q u e v o u s p o u r r i e z a v o i r intérêt à e n t r e r e n r e l a t i o n s avec d ' a u t r e s que nous. » T e l est le s y s t è m e a d o p t é p a r
les É t a t s - U n i s .
L a g u e r r e avec l ' E s p a g n e
leur a
p e r m i s d e l ' a p p l i q u e r à C u b a , l ' a f f a i r e d u canal l e u r a servi d e p r é t e x t e p o u r l ' a p p l i q u e r à P a n a m a . Ils c o m p t a i e n t p o u v o i r le m e t t r e e n œ u v r e d a n s t o u t e
l'Amérique
l a t i n e ; m a i s ils c o m m e n c e n t à s'apercevoir q u ' i l s s'y sont pris trop tard.
S ' y sont-ils en effet pris trop tard? Nous le verrons par la suite. En tous cas, on ne saurait trop porter d'attention à l'effort opiniâtre qu'ils tentèrent pour imposer au Brésil leur domination économique : la tâche, il est vrai, leur était rendue relativement facile par l'enthousiasme des Brésiliens, qui, en grand nombre, se laissaient conquérir avec joie par un grand peuple riche et puissant dont ils attendent protection au cas de difficultés extérieures, dont ils escomptent plus encore les capitaux pour la réalisation d'innombrables projets. Joignez à cela que la prospérité du Brésil est subordonnée, pour la plus grande part, à la vente du café et que les États-Unis le laissent entrer en franchise chez eux, et vous comprendrez aisément les raisons de l'emballement auquel j'assistai lors de l'arrivée de M. B o o t : emballement qu'avaient fait naître avec habileté les hommes d'État des deux peuples, en flattant l'amour-propre national. J'ai déjà dit combien est exalté le patriotisme des Brésiliens ; ils considèrent leur pays comme le plus beau du monde — ce en quoi ils ont parfaitement raison, d'ailleurs — ils ont pour leurs institutions une admiration qui n'admet point la critique, ils savent que les entrailles de leur sol renferment d'inépuisables richesses, ils ont foi dans leur étoile, ils sont fiers de leur culture intellectuelle et, de même que la plus inoffensive plaisanterie les heurte et les froisse, de même ils éprouvent une infinie gratitude pour qui leur rend justice, pour qui les traite en grand peuple, digne d'attentions et d'égards. Or, c'est du côté nord-américain qu'ils avaient alors reçu le plus de satisfactions. A Washington fut nommé le premier ambassadeur brésilien et on choisit pour celte haute fonction le populaire M. Joaquim Nabuco, autrefois ministre à Londres. Aussitôt les Etats-Unis rendirent la politesse et envoyèrent à Rio de Janeiro comme ambassadeur M. Lloyd Grescom, un homme de trentequatre ans, actif, intelligent, qui sut conquérir ici toutes les sympathies en apprenant en six semaines la langue nationale. - C'est ainsi que le terrain était préparé quand les États-Unis
firent
8hÉ T A T S - U N I S
ET
BRÉSIL
connaître que M. Root, lui-même, secrétaire d'État des Affaires étrangères, viendrait à Rio sur un bateau de guerre et qu'il marquerait, par sa présence à une séance solennelle du Congrès, l'intérêt que portait l'Amérique du Nord aux grandes assises où se rencontrèrent les représentants de toutes les républiques sud-américaines. Alors, ce fut du délire, et la joie populaire, débordante, se donna libre cours, dès le moment où M. Root eut débarqué sur le sol brésilien. Le j o u r de son arrivée, toutes les rues .élaienl pavoisées et 1'Avenida Centrale nous avait emprunté cette malheureuse ornementation qui rendit si laide notre avenue de l'Opéra pendant le séj o u r du roi d'Espagne à Paris ; toutes les troupes étaient sur pied et la réception fut enthousiaste; le cortège traversa toute la ville, salué par de chaudes acclamations,
aux-
quelles M. Root, malgré son flegme américain, paraissait fort sensible. Le soir, il y eut réception chez le Président de la République, M.
Ro-
drigues Alves, et M. Root reçut là les de la
haute
hommages société.
Qu'on me permette ici de noter brièvement, en passant, l'impression dominante q u e j e reçus au cours de cette soirée. On parle volontiers en France, en Europe, des rastaquouères et de leurs ridicules, et, depuis la Vie Parisienne,
les Brésiliens ont gardé la .
réputation d'êtres gens excentriques et bruyants, amateurs de bijoux fastueux et clinquants. Or, il est impossible d'imaginer réunion plus sobre, plus discrète et de meilleur ton que celle à laquelle j'assistai au palais présidentiel. Le Président d'alors, M. Rodrigues Alves, donnait l'exemple : c'est
8 h
ÉTATS-UNIS
ET
BRÉSIL
un homme de cinquante ans, j e pense, simple et a m è n e ; il reçoit ses invités avec une cordialité qui n'exclut point la dignité. Et ceux-ci sont tous d'une irréprochable tenue : femmes habillées avec un goût parfait, hommes revêtus d'habits impeccables. Pas de bijoux chez ceux-ci, très peu chez celles-là : pas de décorations ! ni croix, ni cordons, ni plaques ! Et j'évoque alors le souvenir de quelques-unes de nos fêtes officielles,
Hio. —
lino salle du Palais présidentiel.
je me remémore tous nos grands personnages à la poitrine constellée de plaques diverses, le torse et le cou ornés de cordons multicolores ; j e me souviens surtout de la cour de Madrid, où les femmes elles-mêmes disputent aux hauts fonctionnaires, aux plus éminents militaires le record des rubans, et j e me demande où sont les vrais rastaquouères : dans la baie de Rio, ou sur les rives de la Seine et aux alentours de la Puerta del Sol? J'eus la même impression le lendemain, à la réception donnée par M. de Rio-Branco, à Itamaraty. Là encore, la tenue fut parfaite, l'élégance discrète, en ce palais, mpu-
8hÉ T A T S - U N I S
ET
BRÉSIL
blé avec un goût extrême, et où ne se révèle nulle part l'ennuyeuse banalité des demeures officielles. Non moins correcte et digne fut, u n j o u r suivant, la séance solennelle du Congrès panaméricain. A neuf heures, dans la salle du Congrès, ruisselante de lumière, pimpante et gaie avec ses colonnes blanches et son plafond clair, sont réunis tous les membres de l'Assemblée, au nombre de soixante environ : tous sont en habit et en cravate blanche; seul, M. Nabuco, président, porte le manteau de cérémonie et le bonnet carré avec gland d'or. L'entrée de M. Root, accompagné de M. de Rio-Branco, est saluée
d'applaudissements
una-
nimes par les membres du Congrès et les invités fort nombreux. Puis les discours commencent, sans
grand
intérêt,
d'ailleurs,
remplis de ces formules creuses par
lesquelles
on
a
coutume
d'exprimer en tous pays des pensées banales : ce n'est pas dans ces solennelles harangues que se traitent
les
importantes
affaires.
Aussi, j e préfère aller sur le perron contempler la foule bruyante qui attend le ministre américain pour lui faire ovation. Les jardins sont illuminés, les fontaines lumineuses lancent çà et là leurs eaux blanches, rouges et dorées, et, à perte de vue, ce sont des colonnes de manifestants qui portent des lanternes vénitiennes et qui poussent des clameurs joyeuses. Parmi tous, les étudiants sont les plus tapageurs, et quand M. Root parait en hautdu perron, saluant la foule d'un geste large, leurs cris deviennent assourdissants. Pendant une demi-heure, ils défdent, agitant leurs lanternes et brandissant les drapeaux brésiliens et américains entrelacés. « Tout cela est bien superficiel, ce sont des gamineries, me glisse dans l'oreille un Brésilien, un peu agacé par ce qu'il considère comme une manifestation excessive. » IIENRI TUROT.
„
0
8 h
ÉTATS-UNIS
ET
BRÉSIL
Mouvement superficiel c'est bien possible, je dirai tout à l'heure pourquoi. Le mouvement s'est, en tout cas, traduit déjà par un décret rendu il y a quelques mois, en vertu duquel le Brésil accorde une réduction de 20 °/„ sur les droits d'entrée de certains produits des Etats-Unis, entre autres sur les farines et les articles d'borlogcrie.
Rio. —
Avenue
Rotafogo.
Cette mesure était certainement légale, car une loi du Congrès, datant de deux ans environ, a autorisé le gouvernementà accorder de semblables faveurs aux pays où le café brésilien n'est pas surchargé de droits, et les cafés entrent en pleine franchise aux Etats-Unis, qui achètent au Brésil la plus grande partie de sa récolte. Fut-elle habile et opportune ? C'est une autre question. De fait, l'Europe fut assez émotionnée en présence de certains bruits
8hÉ T A T S - U N I S
ET
BRÉSIL
qui circulèrent au mois de juillet 190G et qui présentaient le Congrès panaméricain comme gros de menaces pour les intérêts occidentaux. Je retrouve sur mon carnet de notes les impressions que j'inscrivis alors, pendant mon séjour à Rio, à propos de ce Congrès panaméricain. Q u ' o n me permette de me citer moi-même puisque les événements ont heureusement donné raison à mes prévisions. E n p r é s i d a n t à la séance d ' o u v e r t u r e , M . de R i o - B r a n c o , M i n i s t r e des r e l a t i o n s extérieures d u B r é s i l , a p r o n o n c é des paroles rassurantes q u ' i l i m p o r t e d ' e n r e g i s t r e r . «
C e C o n g r è s , a - t - i l d i t , ne vise n u l l e m e n t à f o r m e r
une ligue
internationale
c o n t r e des intérêts q u i n ' y sont pas représentés ; a u c o n t r a i r e t o u t e s les c o n d i t i o n s d ' e x i s t e n c e des n a t i o n s a m é r i c a i n e s l e u r c o n s e i l l e n t de resserrer c h a q u e j o u r d a v a n t a g e des r e l a t i o n s de b o n n e a m i t i é et de c h e r c h e r à d é v e l o p p e r les r e l a t i o n s c o m m e r ciales avec cette i n é p u i s a b l e p é p i n i è r e d ' h o m m e s et cette s o u r c e p r o d i g i e u s e
d'éner-
gies fécondes q u ' e s t l ' E u r o p e . » O r , après m û r e réflexion et d ' i n n o m b r a b l e s c o n v e r s a t i o n s avec des h o m m e s a p p a r t e n a n t à t o u s les m i l i e u x et à tous les p a r t i s , j e crois b i e n q u ' i l f a u t tenir pour
par-
f a i t e m e n t sincères les paroles d e M . de R i o - B r a n c o . A u t a n t , a v a n t son o u v e r t u r e , on p o u v a i t r e d o u t e r q u e ce C o n g r è s soit n u i s i b l e a u x intérêts de l ' E u r o p e d o n t c e r t a i n s p r o j e t a i e n t de b o y c o t t e r les p r o d u i t s et d e nier les c r é a n c e s , a u t a n t il a p p a r a î t m a i n t e n a n t c o m m e u n e r é u n i o n , a s s u r é m e n t m a i s inoUensive à l ' é g a r d des puissances d u v i e u x
importante
Monde.
S a n s d o u t e , les É t a t s - U n i s y j o u e n t u n rôle p r é p o n d é r a n t
et p r o f i t e r o n t de l e u r
i n f l u e n c e p o u r o b t e n i r çà et là des tarifs de f a v e u r , m a i s M . R o o t
a fait
entendre
à p l u s i e u r s reprises des paroles si é l o q u e n t e s et si décisives s u r le respect de la légalité e t d u d r o i t des g e n s q u e p e r s o n n e ne p e u t p l u s e s c o m p t e r le c o n c o u r s n o r d - a m é r i c a i n p o u r se soustraire à des e n g a g e m e n t s f i n a n c i e r s . S a n s d o u t e e n c o r e , ce C o n g r è s va p r o c l a m e r
une
fois d e p l u s u n e d o c t r i n e de
M o n r o ë s i n g u l i è r e m e n t é l a r g i e , q u i c o n s i d é r e r a i t c o m m e u n e a t t e i n t e à l ' h o n n e u r et à la d i g n i t é de l ' A m é r i q u e tout e n t i è r e , d u N o r d et d u S u d , t o u t e c o n q u ê t e
territo-
r i a l e tentée p a r u n e puissance q u e l c o n q u e . M a i s , c o m m e , à m a i n t e s reprises, des discours qui
flétrissent
américaines
sensationnels o n t été
prononcés
avec la m ê m e r i g u e u r t o u t e t e n t a t i v e b e l l i q u e u s e des r é p u b l i q u e s s u d les u n e s c o n t r e
les
autres,
il e n r é s u l t e q u ' e n d é f i n i t i v e , le
Congrès
p a n a m é r i c a i n p r e n d l ' a l l u r e très s y m p a t h i q u e d ' u n e vaste m a n i f e s t a t i o n pacifiste. Ici e n c o r e , le d e r n i e r m o t a p p a r t i e n t à M . R o o t q u i , d a n s la séance s o l e n n e l l e d u C o n g r è s , r é p o n d i t a u s a l u t de b i e n v e n u e d u p r é s i d e n t , M . N a b u c o , p a r cette d é c l a r a tion à l a q u e l l e la f e r m e t é de la voix et d u geste d o n n a i t e n c o r e plus d ' a u t o r i t é : « N o u s n e d é s i r o n s pas d ' a u t r e s c o n q u ê t e s q u e celle de la paix : n o u s n e désirons pas d ' a u t r e t e r r i t o i r e q u e le n ô t r e ; en fait d e s o u v e r a i n e t é , n o u s ne désirons q u e
la
s o u v e r a i n e t é s u r n o u s - m ê m e ». C e sont là des d é c l a r a t i o n s q u ' o n n e fait pas s p o n t a n é m e n t on le c o m p r e n d r a : ce sont des réponses à des accusations q u e M . R o o t a v a i t à c œ u r de r é d u i r e à n é a n t . J'ai e u l ' h o n n e u r d ' ê t r e c o n v i é à d é j e u n e r p a r M . N a b u c o , p r é s i d e n t d u C o n g r è s .
ÉTATS-UNIS
8h
ET
BRÉSIL
M . N a b u c o q u i est a m b a s s a d e u r d u B r é s i l à N e w - Y o r k ,
après avoir été
ministre
plénipotentiaire à L o n d r e s , j o u i t en son pays d ' u n e p o p u l a r i t é i n c o m p a r a b l e . o ù il paraît, o n l'acclame et, visiblement,
les B r é s i l i e n s l u i s a v e n t u n
Partout
gré infini de
l ' é c l a t q u ' i l d o n n e a u C o n g r è s d o n t ils s o n t flattés d ' a v o i r la p r é s i d e n c e . A u s s i b i e n , M . N a b u c o est u n c h a r m e u r
a v e c sa p h y s i o n o m i e t r è s fine et s o n s o u -
r i r e t r è s j e u n e m a l g r é l e s c h e v e u x b l a n c s q u i c o u r o n n e n t s o n f r o n t . 11 p a r l e f r a n ç a i s avec u n e rare facilité et écrit notre l a n g u e avec tant d'érudition q u ' i l va p ub li e r chez u n d e n o s é d i t e u r s , si c e n ' e s t d é j à f a i t , u n l i v r e s e n s a t i o n n e l . M . N a b u c o m e d i t a i m e r la F r a n c e a v e c t o u t e la f e r v e u r d ' u n e i n t e l l i g e n c e f o r m é e par nos maîtres, n o u r r i e de notre littérature, éprise de notre et d e m é t h o d e .
s c i e n c e , faite d e c l a r t é
E t il p r o t e s t e , l u i a u s s i , c o n t r e t o u t e p e n s é e h o s t i l e à l ' é g a r d d e l ' E u -
rope en général. « P o u r q u o i c e t é m o i , d ' a i l l e u r s , r e m a r q u e - t - i l ? C e n ' e s t p a s la p r e m i è r e fois q u e se r é u n i t u n C o n g r è s a m é r i c a i n p u i s q u e ses assises se t i n r e n t d ' a b o r d à W a s h i n g t o n , et ensuite, en i g o i , à Mexico. « C e t t e a n n é e , la r é u n i o n d e v a i t a v o i r l i e u à C a r a c a s , m a i s p r é c i s é m e n t p o u r é v i t e r t o u t e i n t e r p r é t a t i o n fâcheuse à cause des difficultés q u i
s o n t nées e n t r e le
Vénézuéla
et l ' E u r o p e , les d é l é g u é s o n t choisi R i o de J a n e i r o . « C e c h o i x a f o r t m é c o n t e n t é l e V é n é z u é l a q u i d è s l o r s a f t i u s é d e se f a i r e r e p r é senter a u Congrès. « Nous allons étudier de multiples questions économiques, p a r m i lesquelles
celle
d e c h e m i n s d e f e r i n t e r n a t i o n a u x ; n o u s a l l o n s r é s o u d r e , si p o s s i b l e , d e s p r o b l è m e s q u i i n t é r e s s e n t n o t r e p r o s p é r i t é c o m m e r c i a l e à t o u s , n o u s a l l o n s e n c o r e , il est v r a i , a f f i r m e r notre volonté de ne cas o ù
elle en
aurait
p o i n t laisser l ' E u r o p e
envie,
diverses contre toute atteinte, en faisant effort en
nous
interdisant
de nous
faire des c o n q u ê t e s territoriales
mais, r e m a r q u e z - l e , en garantissant nos identifier
avec
pour nous une
unifier
au
nationalités
économiquement,
puissance quelconque d u
vieux
M o n d e , nous p e r m e t t o n s à toutes de développer l i b r e m e n t chez nous leur c o m m e r c e et leur
industrie.
C'est
un avantage
pour
chacune
d'elles
d'être assurée q u e
ses
concurrentes ne seront pas privilégiées. » A i n s i p a r l a M . N a b u c o et r i e n n e m e pensée. E t puis, v r a i m e n t ,
en
permet
admettant
qu'il
de croire chez lui à en eût, en
partis aient l'ambition de boycotter l ' E u r o p e , c o m m e
une
arrière-
a d m e t t a n t q u e certains
o n l ' a d i t , il f a u d r a i t e n c o r e ,
e n p r a t i q u e , r é a l i s e r u n tel p r o j e t . E t p o u r c e l a , il y a d e s d i f f i c u l t é s q u e l e C o n g r è s a c t u e l est i m p u i s s a n t à r é s o u d r e . D e s r i v a l i t é s t r o p a r d e n t e s d i v i s e n t e n c o r e les r é p u b l i q u e s a m é r i c a i n e s . S a n s p a r l e r de celles q u i v i e n n e n t de m e t t r e aux prises d a n s l ' A m é r i q u e C e n t r a l e , le G u a t é m a l a e t l e H o n d u r a s , il y a l ' h o s t i l i t é a u t r e m e n t g r a v e et p e r s i s t a n t e q u i , l o n g t e m p s e n c o r e , e m p ê c h e r a l ' A r g e n t i n e e t le B r é s i l d e s ' u n i r p o u r u n e a c t i o n c o m m u n e , le P é r o u et l e Brésil de solutionner certaines limitations de frontières. D e t e l l e s o r t e q u e , si l ' E u r o p e a u r a i t g r a n d t o r t
de ne p o i n t porter a t t e n t i o n
au
C o n g r è s p a n a m é r i c a i n q u i t é m o i g n e d ' u n e f f o r t r é e l d e c o n c o r d e et d ' u n i o n , e l l e n ' a a u c u n e raison, par contre, de s'en é m o u v o i r outre mesure. E t p u i s , e n ce q u i c o n c e r n e l e B r é s i l , il c o n v i e n t
de r e m a r q u e r q u e le
Gouverne-
m e n t a c t u e l t o u c h e à la fin d e s o n m a n d a t . A u mois de n o v e m b r e p r o c h a i n , le Président R o d r i g u e s A l v e s a u r a
t e r m i n é son
8hÉ T A T S - U N I S
q u a t c r n a t e t il a b a n d o n n e r a
ET
BRÉSIL
l e p o u v o i r , s u i v i d a n s sa r e t r a i t e p a r le m i n i s t è r e
Rio-
Branco ('). « R i e n n e d i t q u e son s u c c e s s e u r , le P r é s i d e n t P e n n a s u i v r a la m ê m e p o l i t i q u e e t b e a u c o u p d e s y m p t ô m e s f o n t p e n s e r , a u c o n t r a i r e , q u e l ' o r i e n t a t i o n e n sera p r o f o n d é m e n t modifiée. O n a r e m a r q u é , par e x e m p l e , q u e le f u t u r P r é s i d e n t avait gardé u n e réserve prudente à l'égard
de M .
R o o t e t q u e , s'il a p a r u
à la dernière
réception
o l f e r t e a u p a l a i s d ' I t a m a r a t y , d u m o i n s il s ' é t a i t a b s t e n u d e v e n i r à R i o p e n d a n t les m a n i f e s t a t i o n s
significatives. E t puis,
a v a n t d ' a r r i v e r a l ' a c c o r d c o m p l e t e n t r e les r é p u b l i q u e s s u d -
américaines,
furent
les
p l u s enthousiastes et les
les
premières journées où
plus
il f a u d r a i t r é a l i s e r d ' a b o r d d a n s c h a c u n e d ' e l l e s u n e h o m o g é n é i t é q u i
n'existe g u è r e et q u ' i l sera b i e n
d i f f i c i l e d ' o b t e n i r s u r d ' a u s s i vastes t e r r i t o i r e s , d i f f é -
r e n t s p a r le c l i m a t , les c u l t u r e s e t les i n t é r ê t s . S o n g e z q u e le B r é s i l a u n e s u p e r f i c i e d e 8 5 a 5 o o o
kilomètres carrés,
iG'fois celle
d e l a F r a n c e e t q u e d e s l i e n s b i e n f r a g i l e s u n i s s e n t les E t a t s d u N o r d , c o m m e
celui
d u P a r a , à ceux d u S u d , c o m m e celui de Rio G r a n d e . L e Brésil est, on le sait, u n e R é p u b l i q u e fédérale composée de v i n g t E t a t s plus d u district fédéral de Rio de Janeiro. Sans doute,
l ' u n i t é n a t i o n a l e est a s s u r é e p a r l ' é l e c t i o n d u P r é s i d e n t et d u V i c e -
P r c s i d c n t d e la f é d é r a t i o n , p a r u n S é n a t c o m p o s é d e G3 m e m b r e s ( 3 p a r É t a t ) , p a r une C h a m b r e de députés de 2 1 2 membres (1 par 7 0 0 0 0 habitants). M a i s il
n ' e n est p a s m o i n s
vrai q u e c h a c u n des
États jouit d'une
indépendance
presque absolue à l'égard d u p o u v o i r central et q u e , c o m m e presque c h a c u n d ' e u x a d e s i n t é r ê t s d i f f é r e n t s d e c e u x d u v o i s i n , il est e x t r ê m e m e n t m a l a i s é d e les g r o u p e r pour une action c o m m u n e .
»
J'ai écrit ces lignes au mois de juillet 1906. Je n'ai rien à y changer depuis que le Congrès a terminé ses travaux et qu'on peut, dès lors, en apercevoir d'ensemble la physionomie définitive. On ne saurait vraiment considérer le vole delà motion Drago ( 8 ) comme une menace pour l'Europe, d'autant que M. Koot en a, dans un discours prononcé ultérieurement à Buenos A y r e s , très nettement fait le commentaire. « Les États-Unis, dit-il, n'ont jamais considéré qu'il fût convenable d'employer leur armée et leur marine au recouvrement de dettes ordinaires contractées par des Gouvernements étrangers envers les sujets américains. Nous jugeons l'emploi de la force comme une incitation aux pires abus, plus funeste dans ses résultats pour l'humanité que si toutes les dettes contractées par n'importe quelle nation restaient impayées. « Nous considérons que l'emploi de l'armée et de la marine d'une ( ' ) M. de Rio-Branco a conservé dans le nouveau ministère le portefeuille des affaires étrangères. ( 2 ) La motion présentée par M. Drago, délégué argentin, tendait, comme le commentaire do M. Root l'explique, à interdire l'emploi des forces militaires pour le recouvrement des créances d'un pays sur l'autre.
86
ÉTATS-UNIS ET
HRÉSIL
grande puissance pour obliger une puissance plus faible à respecter les termes d'un contrat avec un particulier, est à la fois une invitation à
Rio. —
Prise des eaux à Colomy.
spéculer sur les nécessités du pays faible qui lutte avec difficulté et une infraction à la souveraineté de ce pays. « Nous sommes actuellement opposés à cela comme nous le fûmes toujours, comme nous continuerons de l'être, croyant que peut-être, si cen'est pas aujourd'hui ni demain, mais plus tard, par suite du progrès lent mais certain qui se fera, le monde arrivera à avoir la même opinion que nous. « Je suis l'avocat de l'arbitrage, je suis le partisan et le défenseur de
8hÉ T A T S - U N I S
ET
BRÉSIL
la médiation et de toutes les mesures qui portent un jugement
froid,
raisonnable à la place de la guerre. » Voilà des paroles qui ne sont pas pour nous déplaire. En résumé, les États-Unis s'efforcent de prendre au Brésil une suprématie économique; c'est leur droit. Et nous n'avons de notre côté qu'à faire ie nécessaire pour défendre nos intérêts et augmenter notre influence. Les États-Unis ont-ils eu idée (1e faire entre l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud une ligue ayant pour objet de boycotter les produits européens? C'est possible. Mais en tous cas, ils se sont vite aperçus de l'insuccès certain d'une telle tentative, et ils y ont renoncé. Enfin, si M. Hoot souhaitait au point de vue politique une sorte de confédération américaine allant des bouches de l'iludson au détroit de Magellan, il a pu facilement se rendre compte, au cours de son voyage, qu'un tel projet est totalement irréalisable. Est-ce cette déconvenue qui inspira l'attitude des Etats-Unis à la dernière Conférence de la Haye? Je ne sais. Mais en tous cas, il est bon de signaler qu'en voulant établir des catégories parmi les Etats représentés, en prétendant mettre l'Argentine et le Brésil au rang des puissances de quatrième ou cinquième ordre, les délégués nord-américains ont cruellement blessé l'amour-proprc de ceux qu'ils voulaient séduire l'an dernier. L a colère fut grande dans tout le Brésil à la lecture des débats sur les tribunaux d'arbitrage et, en quelques jours, les Etats-Unis du Nord ont perdu la plupart des sympathies dont je signalais plus haut l'affirmation bruyante lors du passage de M. Hoot. P a r contre, le prestige de la France s'est singulièrement relevé aux yeux des Brésiliens qui virent M. Léon Bourgeois seconder de son mieux —
parce qu'elles étaient justes — les vues de M. de llio-Branco, si élo-
quemment exposées à la l l a y e par le sénateur brésilien B u y Barbosa.
CHAPITRE
COUP
D'ŒIL
Y
HISTORIQUE
Découverte et conquête du Brésil. — Expédition de Cabrai. — La Colonisation portugaise. — Les Français au Brésil. — Expédition do Villegaignon. — Ruine des établissements français. — L'occupation hollandaise. — Le triomphe définitif des Portugais. — La conquête do l'intérieur. — Les Paulistos. — Politique du Portugal à l'égard de sa colonie. — Arrivée de la famille do Bragance. — La lutte pour l'Indépendance. — Constitution du royaume du Brésil. — Règnes de D o m Pedro I e r et do D o m Pedro II. — L'abolition do l'esclavage. — Proclamation de la République. — Crise de 1890. — Rétablissement du crédit et prospérité actuelle.
Découverte et Conquête du Brésil. Portugais. — Français. —
Hollandais.
U n e respectable tradition l'ait remonter la découverte du Brésil à Jean C o u s i n , capitaine dieppois. Parti d' un des ports de la côte normande en i/i88, Jean C o u s i n , après de longs mois de navigation, aurait abordé aux rives de l ' A m a z o n e et, en ayant pris possession,
serait revenu en longeant les côtes
d'Afrique.
Historiquement et géographiquement, les preuves de ce voyage peuvent paraître très solides, mais ce n'est pas le lieu de les exposer ici. En tout cas, C o u s i n ne sut pas ou ne v o u l u t pas revendiquer les titres à la juste gloire qui eût été sienne et, c o m m e l'écrivait, en i 5 8 a , u n autre Dieppois, la
Popellinière : « Nostre
Français, si mal advisé, n'a eu ni l'esprit
ni la discrétion de prendre de justes mesures publiques pour l'asseurance de ses desseins aussi hautains et généreux q u e c c u l x des autres. »11 a payé de l'oubli de son nom cette insouciance. E n l'année i 5 o o , Yanez
Pinzon
un Espagnol,
découvrit
tout le
c o m p a g n o n de C o l o m b , littoral au
Vincente
nord du Brésil
depuis
le cap qu'il n o m m a de Santa Maria de Consolation (cap S t - A u g u s t i n ) j u s q u ' a u cap de Sâo Vincente (aujourd'hui cap d ' O r a n g e ) . La m ê m e année, u n autre Espagnol, D i e g o de Lepe, abordait au cap S t - A u g u s t i n , reconnaissait la côte j u s q u ' à la rivière Sâo Julian (probablement le Rio
COU1'
D'OEIL
89
HISTORIQUE
de Contas) et retournait vers le Nord en suivant la route déjà parcourue par Pinzon. Cependant, si ces audacieuses navigations méritent d'être signalées elles sont d'une importance secondaire dans l'histoire primitive du Brésil. Ces capitaines ne jetèrent les germes d'aucune colonisation et Pinzon se trouva même en hostilité avec les peuples qu'il avait découverts. Et c'est pourquoi, bien que Pedro Alvarez Cabrai n'ait abordé sur ces rivages qu'après eux, on lui attribue généralement l'honneur d'avoir le premier découvert le Brésil. En l'année i 5 o o , Pedro Alvarez ayant sous ses ordres une escadre de treize voiles quitta le Portugal pour se rendre aux Indes. Sa llollille devait gagner la côte sud-africaine, mais, aux Açores, surprise par le calme, elle fut obligée de s'éloigner des terres pour p: endre le vent. Quelque temps après, sans le vouloir ni le savoir, elle aborda en une terre inconnue, près d'une baie qui oiTrait un abri sûr et à laquelle fut donné le nom de Porto Seguro. La contrée fut désignée sous le nom de Terre de la Vraie Croix. Ce nom d'ailleurs ne resta pas longtemps, et ne tarda pas à être changé en celui de lîrazil (Brésil), nom déjà employé dans le commerce pour désigner un bois de teinture rouge qu'on trouvait en abondance dans cette partie de l'Amérique. P a r le droit du premier occupant, la découverte de Cabrai donnait le pays au Portugal et l'amiral tenta d'y jeter les premiers fondements de la
colonie future. C'était alors l'usage d'embarquer sur les
navires
d'exploration des gens intelligents, condamnés à l'exil pour leurs délits et qu'on destinait à servir d'interprètes. Un jeune h o m m e fut choisi pour accompagner les Indiens dans leurs villages et des rapports suivis s'établirent bientôtentreles sauvages et la Hotte. Cabrai fut assez lui main et assez habile pourqu'aucunc violence ne fût commise et, grâccà sa modération, le séjour momentané que les Portugais firent sur celte côte encouragea les Indiens à accueillir favorablement les expéditions qui devaient suivre.
Une
immense croix de bois attestant la prise de possession par le Portugal fut érigée le 1 " mai et un religieux y célébra la messe au milieu de la foule des marins et des sauvages accourus. Puis la flotte regagna
le
Portugal, laissant sur le rivage deux malheureux exilés qui suppliaient en vain qu'on les embarquât et que les Indiens, déjà amis, s'efforçaient de consoler. Le voyage de Cabrai fut bientôt suivi d'autres expéditions portugaises. La première, sous le commandement d'André Gonzalvès, reconnut la côte entre le cap St-Roch et Cananéa, poussant ensuite vers le Sud-Est
COUP
9 °
N OEIL
HISTORIQUE
jusqu'à une terre qu'on croit être la Géorgie du Sud : la seconde, sous les ordres de Gonçalo Coellio, visita les mêmes côtes de Baliia vers le S u d . Americo Vespucci faisait partie de ces deux expéditions et dans une lettre fameuse il décrivit les merveilles de ces p a y s ; son récit paraît avoir eu une influence réelle sur les navigateurs et décidé alors les plus hardis à chercher la fortune vers ces parages lointains. Plusieurs autres expéditions, la plupart portugaises, suivirent celles d'Americo Vespucci. Mais, dès celle époque, le Portugal se considérait comme la métropole de la terre nouvelle. Jusqu'au milieu du xvn' siècle, l'histoire du Brésil est non seulement l'histoire de la colonisation portugaise mais aussi celle des luttes que les rois de Portugal eurent à soutenir contre deux peuples qui, eux aussi, prétendirent à la possession du pays, les Français d'abord, puis les Hollandais. #
» *
LA
COLONISATION
PORTUGAISE.
Dans son ignorante munificence, le pape Alexandre VI avait, par une bulle accordée en 1/193, fait le partage des contrées à découvrir entróles Portugais et les Espagnols, en divisant le monde par un méridien qui passait à 100 lieues à l'ouest du Cap-Vert. Toutes les terres qui se trouveraient à l'ouest de ce méridien étaient attribuées à l'Espagne, celles à l'Orient, au Portugal. L'année suivante, les deux puissances avaient modifié par le traité de Tordesillas, approuvé par le pape, la ligne de démarcation en la reportant à 370 lieues à l'ouest des îles du Cap-Vert. Le Portugal prit très au sérieux cette attribution et ne cessa de réclamer auprès de la cour de France le respect d e l à C o m m e nous le verrons,
bulle pontificale.
les navigateurs étrangers et notamment les
marins normands ne tinrent aucun compte de ces prétentions et continuèrent à trafiquer avec les Indiens, sauf à se défendre contre les navires portugais quand ils étaient attaqués. L'impression produite en Portugal par la découverte de Pedro Alvarez Cabrai et les explorations de ceux qui lui succédèrent alla d'ailleurs bientôt en s'affaiblissant. Le Portugal était à cette époque à l'apogée de sa prospérité ; qu'importaient de vastes déserts et quelques hordes sauvages au peuple qui ajoutait chaque j o u r à ses conquêtes quelque ville magnifique de l'Asie, quelque riche province de l'Inde, de celles que l'Empire
cour
D'ŒIL
1IIST01UQUE
9
1
romain eût e n v i é e s ? Jusqu'en I 5 3 I , on ne trouve que des essais isolés d'établissements portugais ; et la Métropole n'a guère c o m m e représentants que les quelques criminels exportés
cl destinés à servir d'inter-
prètes, o u encore les marins que le hasard des naufrages j e l l e sur la côte et qui se mêlent aux sauvages. E n 1 5 3 1 , Martin A l f o n s o de Sou/a ayant reçu les pouvoirs nécessaires pour occuper le pays arriva avec une escadre portant /|00 colons et, après quelques victoires remportées sur les Français, fonda la colonie de Sâo Vincente et de Santo A n d r é . C ' e s t à ce m o m e n t que le roi Jean III, v o y a n t que les Espagnols étaient établis sur le Rio P a r a g u a y et que les Français voulaient s'emparer de P c r n a m b u c o et de Bahia, résolut de peupler le continent, et, pour faciliter la colonisation, divísale pays, par des lignes parallèles à l'équateur,
en douze capitaineries héréditaires de (ioo à
i a o o o lieues carrées; ces capitaineries furent données à douze nobles portugais qui devaient y établir des c o l o n i e s . . Les résultais de celle mesure ne furent pas ceux q u ' o n eût pu e s p é rer.
Les quelques établissements qui se fondèrent n'eurent que
peu
d'importance, arrêtés dans leur essor par l'hostilité des Indiens dont ou n'avait pas su conserver l'amitié. Les vrais colonisateurs du Brésil ont été les Jésuites amenés, en i 54q< par T h o m é de Souza, le fondateur de Silo Salvador de Bahia. Là où la force avait échoué, ils employèrent la douceur et n'hésitèrent pas à pénétrer clans les tribus indigènes.
Peu à
peu ils arrivèrent à les convertir et les préparèrent ainsi à la domination portugaise. Les P è r e s A n c h i e t a e t N o b r e j a , q u ' o n a appelés les Apôtres du Brésil, se distinguèrent par leur zèle et leur audace dans celle entreprise. L a tentative des Français pour s'établir définitivement à llio de Janeiro et la lutte que durent soutenir alors les Portugais retardèrent un moment les progrès des établissements de ces derniers. En i 5 8 o , le roi d'Espagne étant devenu roi de P o r t u g a l fut acclamé
dans toutes les provinces et
l'union des d e u x couronnes attira sur le Brésil les allaques des ennemis de l'Espagne : Français, A n g l a i s et Hollandais. Ces luttes passagères, en arrêtant la colonisation, laissèrent d'ailleurs subsister la prépondérance du P o r t u g a l . E n i 5 8 5 , les colonies brésiliennes
de ce pays avaient
une population d'environ 5 ~ o o o habitants dont a 5 o o o blancs,
i85oo
Indiens et i 4 o o o esclaves africains. L'importation de ces derniers avait c o m m e n c é vers i 5 4 o ('). A p r è s l'expulsion définitive des Français du Maranhao ( i 6 i 4 ) et l'oc-
( ' ) B a r o n DE R I O - B R A N C O .
— Esquisse de l'histoire du Brésil.
9
COUP
2
D'OEIL
HISTORIQUE
cupation de l'Amazone, le Brésil fut, en 162/1, partagé en deux gouvernements dits Etats: au Nord, l'Etat de Maranhao, capitale Sâo Luiz du Maranhao, comprenant le Para, le Maranhao et le Ceara (annexé vers 1 6 2 9 ) ; au Sud, l'Etal du Brésil,
capitale Bahia, qui s'étendait depuis Rio
Grande do Norte jusqu'à Santa Catharina, comprenant les gouvernements de Pernamhuco, Bahia et Rio de Janeiro. Mais déjà le Portugal est en lutte avec les Hollandais et nous aurons à raconter l'histoire de cette guerre fameuse qui eût pu changer les destinées du Brésil. L'histoire coloniale de ce pays, en dehors de
quel-
ques épisodes, n'offre plus aucun trait saillant, elle se confond avec celles de la conquête de l'intérieur et de la mise en valeur progressive des richesses du Brésil. Nous en reparlerons bientôt.
* *
LES
FRANÇAIS
ET
LES
»
HOLLANDAIS
AU
BRÉSIL.
La première expédition française au Brésil sur laquelle nous ayons une relation officielle est celle de Paulmier de Gonneville, capitaine dieppois, en 16o4. Il est à peu près certain, cependant, qu'avant celte date les voyages des marins normands dans ces parages avaient été fréquents. Les historiens de l'époque, il est vrai, n'en ont pas fait mention et les intéressés ont gardé le silence ; mais cette réserve s'explique aisément. Si François I er en effet paraissait se soucier peu de la fameuse bulle d'Alexandre VI et déclarait ironiquement n'avoir pas eu connaissance de l'article du testament d'Adam concédant à ses bons cousins d'Espagne et de Portugal l'empire des mondes nouveaux, ce dédain élait interdit à de simples armateurs. Un fait s'imposait à ces derniers: les rigueurs du fisc espagnol ou portugais qui
surveillait
attentivement les
navires
étrangers et traitait comme pirates ceux qui se laissaient surprendre. Plus soucieux de profit que d'honneur, les capitaines et les armateurs avaient soin de 11e pas ébruiter leurs expéditions. Paulmier de Gonneville et deux de ses amis, Jean l'Anglois et Pierre le Carpentier, n'avaient pas v u sansjun secret dépit les négociants portugais apporter à Honfleur « les belles richesses d'épicerie et autres raretez venant en icelle cité de par les navires Portugalloises allant ès Indes Orientales empuis aucunes années découvertes ». Ils frétèrent donc un navire, 1' « Espoir », et mirent à la voile le j o u r de Saint Jean-Baptiste,
COU1'
D'OEIL
HISTORIQUE 101
le 2/1 j u i n i 5 o 3 . Arrivés à la hauteur du Cap de Bonne-Espérance, les navigateurs guidés par des handes d'oiseaux se dirigèrent vers l'Ouest et le 5 janvier, ils abordaient la Terre du Brésil, probablement entre le 33 e et le 23e degré de latitude. La nation des Carijos chez lacpielle ils débarquèrent les accueillit hien. Le roi Arosca, chef de plusieurs trihus, essaya même de les décider à combattre pour lui et « eust hien en envie qu'aucun de la navire l'eust accompagné avec bastons à feu et artillerie pour faire paour et desrouter lesdits ennemis mais on s'en excusa. » Gonneville crut, avec juste raison, (ju'il n'aurait rien à gagner à épouser les querelles des Indiens. Toutefois des échanges furent consentis et la cargaison de menus objets apportée fut remplacée par des bois précieux et diverses denrées spéciales au pays. Avant de repartir, Gonneville fit planter une croix pour perpétuer le souvenir de sa découverte. L'événement donna lieu « à belle et dévoste cérémonie » à laquelle contribuèrent les Indiens, Arosca en tète. Le capitaine emmena même avec lui le jeune fils du roitelet, Essomericq, dont il devint le parrain et qui plus tard devait épouser sa propre fille. L'expédition avait quitté Jersey et était en vue des côtes de France lorsque des pirates, escomptant un riche butin, l'attaquèrent à l ' i m p r o viste. La défense de Gonneville fut héroïque, mais à la fin, ayant perdu douze des siens, il fut obligé de s'échouer sur les rochers de l'île. Toute la cargaison fut perdue et c'est avec peine qu'on sauva le jeune Essomericq, preuve vivante de la découverte « qu'au ditHonfleur et par tous les lieux de la passée, estoit bien
regardé
pour n'avoir jamais eu en France
personnage de si loingtain pays ». Le malheur des hardis marins qui venaient ainsi s'échouer au port après un voyage si long et si périlleux 11e découragea pas les navigateurs. D e u x armateurs dieppois, l e s A n g o , organisèrent les premiers comme une sorte de service entre la France et le Brésil, et pendant leur longue carrière 11e cessèrent de disputer aux Portugais la domination de ces riches contrées. Les meilleurs et les plus braves capitaines dirigeaient leurs navires et le bon accueil que réservaient toujours aux Français les indigènes permit à ceux-là de faire de fructueux échanges. A Dieppe, à Honfleur, à Rouen et au Havre se formèrent des compagnies de négociants et bientôt de tous les ports français de l'Océan partirent dans la direction du Brésil de véritables flottes marchandes. Jaloux des succès de nos nationaux, les Portugais leur firent une guerre acharnée. Nos marins et nos commerçants ripostèrent naturellement et pendant de longues années cette lutte sourde mais farouche
COU1'
D'OEIL
HISTORIQUE 102
donna lieu à des faits regrettables et à des représailles qui ne le cédaient en rien comme férocité aux vengeances des Indiens. Ces derniers d'ailleurs s'y associèrent et Ilans Staden(') a raconté c o m m e n t un dieppois, la lklctle,
navire
ayant réussi à s'emparer d'un navire portugais livra
les marins aux Brésiliens qui s'empressèrent de les immoler et de les manger. A l'occasion, les Portugais en faisaient autant et on peut avoir idée par le seul trait que nous venons de rapporter des crimes monstrueux qui ensanglantèrent alors la côte américaine. A deux reprises, en 152G et en 1 5 3 1 , le Portugal envoya des forces considérables
pour anéantir les vaisseaux
français. C'est vers cette
époque que, s'il faut en croire une légende glorieuse, A n g o , irrité par la perte d'un de ses plus beaux navires, n'hésita pas à déclarer à lui seul la guerre au roi de Portugal et à diriger contre lui une expédition.
Dix
grands navires équipés par lui auraient, dit-on, remonté le Tage en brûlant les villages établis sur les rives, menacé directement Lisbonne, et forcé le roi à lui accorder les satisfactions qu'il réclamait. Il est triste de songer que tant d'audace et de bravoure aient pu n'être pas secondées par le roi de France. François I er , espérant peut-être que le roi de Portugal s'allierait avec lui contre Charles-Quint, sacrifia sans hésiter les intérêts de ses marins et de ses négociants à ses calculs politiques et il eut le triste courage de préparer leur ruine par l'ordonnance du 22 décembre i 5 3 8 . Il y déclarait que « Voullans garder, observer et augmenter de noslrc part les anciennes alliances et confédérations d'entre nous et nostre très cher et très amé frère allyé et confédéré le Roy de Portugal »
il était fait défense à tous ses sujets« qu'ils n'ayent
à voyager es terres de Brésil et Malaguetle ny aux terres descouvertes par les Boys de Portugal sur peine de confiscation de leurs navires, denrées et marchandises, et de tous et ungz chascuns leurs biens et de punitions corporelles en les contraignant de ce faire et souffrir par prinse de corps, saisissement en nostre main de leurs biens, navires et marchandises et autres voeyes et manières deubz et raisonnables. » Cette ordonnance, malgré les sanctions si sévères qu'elle édictait, fut heureusement peu respectée, les expéditions françaises continuèrent et les Portugais qui avaient déjà beaucoup de peine à maintenir leur domination dans les régions qu'ils occupaient, durent se résigner à laisser nos navires trafiquer en paix avec les tribus de la côte. Les rapports avec le Brésil devinrent alors presque réguliers. ( ' ) l l a n s STADE.N. —
Histoire d'un pays situé dans le Nouveau Monde.
COU1'
D'OEIL
HISTORIQUE 103
La preuve la plus curieuse de leur fréquence nous est fournie par le récit d'une fête brésilienne qui eut lieu à Rouen en i 5 5 o , à l'occasion d'un voyage d'Henri II et de Catherine de Médicis, et dont la relation nous a été conservéc('). Il y avait à ce moment certain
nombre
de
Tapagerrcs,
peuplade
clans cette ville un
Tupinamba,
venus
en
France pour la visiter. Ils acceptèrent de donner aux souverains une idée des mœurs brésiliennes en reproduisant devant eux des scènes delà vie guerrière. C o m m e ils n'étaient que cinquante, a5o matelots normands, qui connaissaient parfaitement, pour y être allés, les coutumes du Brésil, se joignirent pour faire nombre aux véritables sauvages et adoptèrent sans hésiter le costume tapagerre, c'est-à-dire
qu'ils appa-
rurent aux souverains cl à la foule vêtus de leur bonne volonté.
Le
combat suivi de l'incendie des bulles intéressa toute la cour qui y m o n tra « face ioycuse el riante » et le second j o u r , comme la fête recommençait, « la roync, passant en sa pompe et magnificence par-dessus la chaussée, ne le sut faire sans prendre délectation aux iolys esbatements et schyomachic ( s ) des sauvages ». La fêle brésilienne de Rouen eut un grand retentissement. Le grand nombre de marins qui y avaient pris part comme acteurs, montre assez combien le Brésil élail fréquenté. A celte époque d'ailleurs, on rencontrait parmi les tribus un assez grand nombre de Normands qui avaient adopté les mœurs el coutumes des Indiens donl ils parlaient la langue cl qui servaient d'interprètes avec les trafiquants. Le Gouvernement français songea enfin à fonder un établissement sérieux sur cette terre lointaine. L'entreprise conduite par Villegaignon eût dû réussir ; nous allons essayer d'en retracer les principaux épisodes ( 3 ). Villegaignon était chevalier de Malte. Né à Provins vers i 5 i o ,
il
avait étudié à Paris où il avait eu Calvin comme condisciple. P a r la suite, il s'était acquis une renommée non seulement de guerrier habile, mais encore de conlroversiste distingué. Vers i 5 5 4 , à la suite de démêlés avec le gouverneur de Bretagne, il se trouvait dans une sorte de disgrâce et c'est alors que, découragé, il songea à quitter cette France qu'il accusait d'une « mesconnaissance deshonneste, attendu qu'il avoit ( ' ) F . DENIS.
Une fêle
brésilienne
célébrée
(*) C o m b a t
à llotien
en i55o.
fictif.
Paris, Bechener,
i85o. ,
.
,
(?) S u r l ' e x p é d i t i o n do V i l l e g a i g n o n , n o u s avons l o n g u e m e n t m i s à profit l e très intéressant o u v r a g e de M . P a u l GAFFAREL : Le Brésil
français
au x v i e
siècle.
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HISTORIQUE
consumé toute sa jeunesse portant les armes pour le service d'icelle » et à se tailler au Brésil un royaume dont il serait le chef incontesté. A cette époque la lutte entre protestants et catholiques commençait à devenir aiguë. Très habilement, Villegaignon sut conquérir l'appui de C o l i g n y , juge suprême en matière maritime, en lui persuadant que la colonie nouvelle pourrait fournir un asile sûr aux protestants persécutés et, qu'en tant que Gouverneur, il saurait faire preuve d'une large tolérance. Coligny n'hésita pas à se faire l'avocat du chevalier auprès du roi et, après bien des pourparlers, ce dernier, séduit par les avantages que lui faisait entrevoir Villegaignon pour la couronne, donna son consentement. Une expédition comprenant deux forts vaisseaux et un navire de charge partit le 12 juillet i 5 5 5 . Villegaignon amenait avec lui environ 600 compagnons ; quelques gentilshommes et des volontaires protestants et catholiques formaient un noyau de colonisation sérieuse; le reste était peu recommandable et, comme l'écrit un contemporain « la plupart d'iceux estoient rustiques, et sans aucune instruction d'honnesteté et civilité, adonnez à beaucoup de vices ». Les débuts de l'expédition furent malheureux et par deux fois les vaisseaux assaillis par des vents contraires durent regagner le port de Dieppe. Villegaignon longea les côtes de France et de Portugal, canonna en passant les Canaries. Vers le mois d'octobre le scorbut se déclara à bord par suite de la corruption de l'eau potable, tellement infecte que dit un des voyageurs « quand nous buvions d'icelles eaues, il nous l'alloit boucher les yeux et estoupper le nez ». Enfin après bien des souffrances, on arriva le 10 novembre dans la baie de Ganabara (actuellement baie de Rio de Janeiro) où les peuplades tupinambas
firent
un
accueil enthousiaste aux nouveaux arrivants. Fidèle aux traditions maritimes
en usage depuis
les
Phéniciens
jusqu'aux Portugais, Villegaignon se décida à s'établir dans une île et choisit celle qui porte aujourd'hui son nom. Quelques demeures rustiques s'y élevèrent, bientôt protégées par un fort qu'on appela le fort Coligny et que le gouverneur s'efforça de constituer en défense sérieuse. Les premiers temps, tout alla bien. Les colons se mirent au travail sans .hésitation ; très bienveillants, les Indiens fournissaient en abondance et dans l'espoir de menus cadeaux les vivres frais dont on avait besoin ; la concorde régnait dans la petite troupe.
COU1'
D'OEIL
97
HISTORIQUE
Mais Villegaignon, énergique et intelligent, n'était pas colonisateur et dès le début, il commit des fautes qui devaient compromettre les résultats définitifs de l'entreprise. Lescarbot, dans son Histoire de la Nouvelle France, signale la première: « Villegaignon, dit-il, ne s'est adonné à la culture de la terre, ce qu'il fallait faire dès l'entrée, et ayant pais découvert, semer abondamment et avoir des grains de reste sans en attendre de France. Ce qu'il y a peu et deu faire en quatre ans ou environ qu'il y a été, puisque c'estoit pour posséder la terre. Ce qui lui a été d'autant plus facile que celte terre produit en toute saison. » Il est certain, en effet, qu'en laissant aux Indiens le soin de l'approvisionner Villegaignon se mettait à leur merci. Mais le gouverneur commit une faute plus lourde encore, ce fut de s'aliéner les Indiens. Non seulement il leur demanda de participer aux travaux du fort, mais il se montra avec eux insolent et brutal. Les Brésiliens regagnèrent leurs forets et abandonnèrent le gouverneur. Exaspéré, ce dernier exigea de ses compagnons presque réduits à la famine un travail excessif, châtia sans merci les récalcitrants et fit si bien qu'un complot s'ourdit contre lui pour l'assassiner. Prévenu à temps, Villegaignon arrêta les rebelles et en fit une punition exemplaire « pour retenir les autres dans leur devoir et estât ». Mais les interprètes normands qui vivaient parmi les sauvages et avaient dirigé le complot, parvinrent à s'échapper et propagèrent dans les tribus la haine des envahisseurs. A cette époque, Villegaignon écrivait en France lettres sur lettres ; il y vantait le charme et la richesse du pays et ces missives avidement lues et commentées semblent avoir eu pour effet de redoubler l'activité des armateurs
et
commerçants français.
Mais,
quelque
fréquents
que
fussent les voyages, la population qu'amenaient les navires n'était que passagère et ne pouvait être un élément sérieux de colonisation. Cependant, la guerre religieuse menaçait en France. Les protestants persécutés jetèrent les yeux sur cette terre lointaine dont on leur vantait les merveilles et songèrent à y chercher un refuge. Villegaignon eut l'heureuse idée de les encourager et n'hésita pas à s'adresser à Calvin en personne, en le priant de lui envoyer de Genève des colons destinés à faire souche d'honnêtes gens et à renouveler la population primitive. Habilement, il sut exciter le prosélytisme des adeptes de la religion nouvelle et leur montrer la grandeur de l'œuvre chrétienne à accomplir. Les catholiques ont prétendu que le gouverneur n'avait pas hésité à se déclarer partisan convaincu de la Réforme et les avait trahis ; plus tard, HENRI
TUROT.
7
COUP
9«
D'OEIL
LYSTOHIQUE
les protestants abandonnés et combattus par lui devaient le couvrir d'injures et le flétrir du nom de « Ca'111 de l'Amérique ». Peut-être Villegaignon avait-il seulement voulu assurer le succès de son entreprise en se montrant tolérant. A . cette époque, cela était difficile ; pour l'âpre controversiste qu'il était, cela était impossible. Les promesses et les descriptions enthousiastes du gouverneur décidèrent Calvin et le Conseil de Genève à envoyer une expédition. Dupont de Corguilleray, un vieux gentilhomme français protestant, Pierre Richier et Guillaume Charlier devaient être les tenants de la croyance nouvelle et évangéliser colons et Indiens. Onze Genevois, parmi lesquels le jeune Jean de Léry, le futur historien de l'expédition, et d'autres colons, dont cinq jeunes filles, se joignirent à eux et une flottille de trois vaisseaux armés aux frais du roi partit rejoindre Villegaignon. La petite escadre commandée par des marins normands arriva au fort Coligny le 7 mars 1657. Villegaignon reçut bien les nouveaux arrivants. Il semble même que le gouverneur ait montré tout d'abord une tendance marquée à adopter la religion de Genève et, s'il faut en croire Jean de L é r y , il y aurait même fait acte formel d'adhésion. En tout cas, et malheureusement pour la colonie, la principale occupation des Genevois et de Villegaignon sembla être de se livrer aux discussions théologiques. Nous 11e retracerons pas les diverses phases (le ces joutes oratoires. Bientôt elles deviennent plus vives. Villegaignon qui n'avait pas toujours le dernier mot, s'irrite. Les prêtres catholiques qu'il avait amenés avec lui reprennent leur influence et le poussent à réprimer les libertés de langage de Richier. Le gouverneur, qui a la force, cède à la tentation d'en user et n'hésite plus à imposer aux protestants des règles contraires à la liberté religieuse. Enfin, il se montra tellement violent et brutal que les Genevois, lassés de ses persécutions, l'abandonnèrent et se retirèrent dans un village de la côte pour y attendre un navire qui les rapatrierait. Villegaignon eut la petitesse de persécuter les fugitifs et de les dénoncer en France comme hérétiques à la vengeance des partis. Un mauvais navire, le Jacques,
arriva au bout de deux mois d'attente et les prit à son
bord. Après un voyage rempli de péripéties dramatiques, les malheureux débarquèrent en Bretagne. Les juges curent pitié de leurs souffrances et l'accusation de Villegaignon n'eut aucune suite. Le départ des Genevois précipita la ruine de la colonie. Villegaignon fut comme exaspéré de leur défection et, à partir de cette époque, i l p e r -
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1) OUI-
HISTORIQUE
99
dit loutc mesure. Le fanatique chevalier de Malte devint un tortionnaire sans pitié et établit dans son île un véritable régime de terreur. Bientôt et pour qu'il ne restât plus de faute à commettre, il abandonna sa conquête pour venir prendre sa place en France dans les tournois d'éloquence. Il laissait le gouvernement de la colonie à son propre neveu, Bois le Comte, qui avec les défauts de son oncle ne possédait aucune de ses qualités. Tant que Yillegaignon avait commandé, sa seule présence avait su imposer aux Portugaisqui connaissaient sa valeur c l s o n habiletéà la guerre, le respect de l'établissement français. Mais ils n'attendaient qu'une occasion favorable pour s'en emparer et à peine Yillegaignon était-il parti qu'ils se préparèrent à la lutte. P a r son intolérance à l'égard des colons, par les mille vexations qu'il lit subir aux Tupinambas nos alliés, qui avaient consenti à revenir au fort, Bois le Comte allait leur rendre la tache facile. Le gouverneur portugais était alors Mem de Sa. Il avait à sa disposition non seulement les colons mais encore les Indiens évangélisés par les Jésuites. Une expédition fut décidée et après une courte lutte le fort Coligny tomba aux mains de ses ennemis. Ainsi se terminait à l'avantage des Portugais une lutte engagée depuis soixante ans entre les marins et les négociants des deux nations. Les colons réfugiés en terre ferme continuèrent pendant quelques années encore, avec leurs alliés les Tamoyos, une guerre d'embuscades et réussirent même à établir quelques
retranchements
sérieux. Il fallut
une nouvelle expédition et toute l'activité des Jésuites pour venir à bout de ces vaillants lutteurs. Les Portugais vainqueurs fondèrent en face du fort Coligny une ville qu'ils appelèrent Saint-Sébastien. C'est la moderne et splendide Rio de Janeiro : elle eût pu être française ; grâce aux fautes commises et à l'apathie des rois de France, elle devint portugaise. En vain, les Français échappés au combat tentèrent avec leurs alliés indiens un dernier effort contre la nouvelle ville ; ils échouèrent héroïquement et quittèrent définitivement le Brésil. Après la chute des dernières forteresses françaises, la lutte ouverte devenait impossible. P a r contre, Normands, Bretons, Rochelais ou Gascons engagèrent contre les Portugais une véritable guerre de pirates et inaugurèrent alors cette grande flibuste qui devait bientôt ruiner la puissance coloniale de leurs ennemis. L'histoire de ces expéditions ne serait qu'une stérile énumération de brigandages et de crimes dont l'horreur nous épouvante, mais qui semblent avoir été alors comme reconnus par le droit des gens.
COUP
IOO
D'CEIL
HISTORIQUE
En i G12, une nouvelle lentalive d'établissement au Brésil fut faite par les Français. Le gouvernement n'y prit aucune part et une compagnie se chargea des frais de l'expédition ; on espérait alors, mettant à profit les bons rapports qui n'avaient pas cessé d'exister entre les Français et les tribus tupinambas, pouvoir établir des relations commerciales avantageuses et fonder ensuite un établissement appelé sans aucun doute à
devenir
prospère.
L'expédition
était
c o m m a n d é e p a r le sieur de la Ravardière qui emmenait avec lui plusieurs gentilshommes. P a r sa s i t u a t i o n , l'île de Maranhao parut à la fois présenter les conditions de sécurité
suffisantes
en
cas d'agression ennemie et, par son climat et sa fertilité, devoir assurer la réussite
de
l'entreprise.
Un fort s'y éleva assez rapidement et les débuts furent particulièrement heureux. Portugais
ce-
prirent
tôt
commençant et Jeronimo d'Albuquerque
fut
Duguay-Trouin.
L
e s
pendant ombrage de ce succès
chargé de chasser les Français. Il commença le blocus et malgré une résistance honorable de La Ravardière, ce dernier dut bientôt se rendre avec les honneurs de la guerre. Il fut emmené au Portugal où il demeura trois ans enfermé. du Maranhao est la dernière
tentative d'établissement
faite par les Français. Ceux-ci cependant parvinrent à prendre au cours du xvn e siècle. du xvm e siècle, Louis X I V envoya une expédition t fut confié à Duclercq. Celui-ci entra dans Rio,
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109
HISTORIQUE
mais en fut rapidement chassé et périt bientôt assassiné. P o u r venger cet échec, une nouvelle escadre que commandait cette fois D u g u a y - T r o u i n fut armée. Celui-ci s'empara de la ville, qui ne fut évacuée qu'après le paiement d'une contribution de guerre. Quelque glorieux que soit l'exploit de D u g u a y - T r o u i n , il ne constitue qu'un épisode sans conséquence dans l'histoire du Brésil. A cette époque, la question de la colonisation française ne se pose plus et l'occasion manquée au début ne se retrouvera plus. * *
*
A u commencement du xvn e siècle, le Brésil était dans une paix relative, les Français avaient renoncé à la conquête et, la dispersion des Indiens permettant aux villes naissantes de la côte de se dévelopjier à l'aise, la colonisation brésilienne prenait de plus en plus d'extension. En 1G24, la Hollande, en guerre avec l'Espagne, jeta un regard d'envie sur cette riche proie. Des navires partis secrètement visitèrent les côtcs et, ayant rapporté la nouvelle que même les villes les plus fortes étaient à la merci d'un coup de main, une expédition fut décidée. Le 10 mai i G a 4 , une flotte hollandaise, sous le commandement de l'amiral Willekens, s'empara de Bahia, capitale du Brésil. Les Portugais n'avaient pas eu le temps de se reconnaître
que déjà Olinda et
Kécife étaient au pouvoir des agresseurs avec foules les richesses qui y étaient amoncelées ; une ville nouvelle se fondait sur la côte protégée par quelques
forts assez importants.
Moins
soucieux de gloire que de
richesse, les nouveaux conquérants, avec cet esprit pratique qui les caractérise, prirent immédiatement des mesures pour assurer leur établissement définitif dans le pays. L'année même de leur débarquement, une société hollandaise, dont le privilège devait durer trente années, s'organisait régulièrement sous la protection des États généraux pour continuer la conquête du Brésil;
en même temps, les Hollandais s'assuraient le
concours des tribus indiennes, et surtout des Tapuyas qui occupaient ce pays, en leur accordant la liberté et en formant alliance avec eux contre les Portugais. Ces derniers, cependant, se préparaient à la résistance. Les habitants de Bahia et des environs, secourus par des renforts venus de Pernambuco, de Rio de Janeiro, et dirigés par un courageux évêque, Marcos Tixeira, ne tardèrent pas à assiéger les vainqueurs dans leur conquête. La ville résista pendant plusieurs mois ; clic fut reprise seule-
102
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D'OEIL
IIISTOMQUE
ment l'année suivante par Don Fadrique de Tolède qui commandait une grande expédition hispano-portugaise.
Une tentative de l'amiral Piet
Heyn, en 1O27, pour occuper à nouveau la place échoua complètement. La capture de la Hotte dite d'Argent, en 1G28, encouragea la C o m p a gnie hollandaise des Indes orientales à recommencer la lutte. Une seconde expédition commandée par l'amiral Lonk et le colonel Waerdenburch fut envoyée contre le Brésil et s'empara d'Olinda et de Récife qui devint leur lieu principal de concentration. 11 serait trop long de rappeler ici dans le détail tous les
sièges,
toutes
les
batailles
dans lesquels
les deux nations
en
se disputèrent
présence
la
domination. De i G 3 o à iG38, les Portugais, victorieux dans quelques combats
partiels,
avaient
perdu peu à peu du terrain. Guidés par un déserteur, Calabar, natif de Porto Calvo, un mulâtre très brave qui connaissait merveilleusement le pays, les Hollandais
avaient
successivement
conquis Iguarassa Formoso,
(IG32),
l'Ile d'Itamaraca,
Rio de
Rio Grande delNorte ( i 6 3 3 ) , les
I
forts de Ponlal et de Parahyba.
.1 ^
' '¡¿¿mmfm^
'
^
Après la victoire hollandaise de
Matta ; Redonda (iG3G) gagnée 82ewski leg p o r l u g a i s n c se maintinrent qu'avec peine dans l'Alagoas d'où ils inquiétaient l'ennemi par de perpétuelles incursions sur son territoire. M a u r i c e J e Nassau.
par Arc
C'est alors que la Hollande, résolue à en finir, envoya à Pernambuco, avec de nouvelles troupes, Maurice de Nassau, nommé Gouverneur général du Brésil hollandais. Grâce à l'énergie de ce dernier, les Hollandais s'étaient, en moins de dix-sept ans, emparés de plus de 3oo lieues de côte et sept des quatorze capitaineries étaient tombées en leur pouvoir lorsque parvint la nouvelle de la révolution du Portugal contre la domination espagnole. Le duc de Bragance était proclamé roi de Portugal
COUP
DOIÎIL
HISTORIQUE
io3
sous le n o m de Jean IV et ce dernier signait bientôt un traité d'alliance offensive et défensive avec la Hollande contre l'Espagne. Il avait été convenu, en môme temps, que les deux puissances se partageraient paisiblement l'immense territoire du Brésil. C'était la consécration du triomphe hollandais (iG/|i). Il serait assurément injuste de méconnaître l'influence souvent bienfaisante qu'eut l'occupation hollandaise sur le développement moral et matériel du Brésil. Non seulement Maurice (le Nassau sut fonder des villes florissantes, mais les diverses mesures qu'il prit devaient assurer à la colonie un progrès durable. A son appel, les savants c o m m e
Piso,
Marcgraf, Buiters, Cralitz, Ilerckmann, des poètes comme Plante, des peintres, des architectes, s'établirent au Brésil. Témoin des funestes conséquences qu'avaient eues les luttes religieuses sur les entreprises françaises, il proclama la liberté des cultes ; il obtint des Etats généraux la liberté du commerce, et le monopole de la Compagnie des Indes occidentales resta limité à l'importation des esclaves. Partout, des monuments, des fortifications s'élevèrent et lorsque le triomphe apparut définitif on le vit redoubler d'eflorts pour encourager l'agriculture et donner une nouvelle impulsion à des institutions utiles. Si Maurice de Nassau fût resté au Brésil, peut-être l'immense pays qu'il avait conquis fût-il resté longtemps colonie hollandaise. Mais le Conseil suprême des Etats généraux craignit de le voir se tailler un royaume dans sa conquête. En i 6 4 3 , il fut rappelé et la direction des affaires fut remise à trois commissaires dont la tyrannie et l'intolérance devaient singulièrement compromettre les intérêts hollandais. Le roi de Portugal n'avait accepté que contraint et forcé le honteux traité qui abandonnait ¡1 la Hollande les provinces brésiliennes. A peine Maurice de Nassau fut-il embarqué que le vice-roi du Brésil portugais, D o m Antonio Telles da Silva commença à intriguer pour ramener au Portugal la contrée perdue. Il fut tôtfixésur les sentiments des nouveaux sujets hollandais courbés sous le j o u g des commissaires. La haine des tyrans, le désir d'indépendance qui fermentaient au cœur de ceux que, dès cette époque, on peut appeler les patriotes brésiliens, groupèrent autour du drapeau portugais tous ceux qui étaient impatients du j o u g étranger et une révolution éclata, le i 3 juin iG45. Elle avait été préparée, de concert avec de riches négociants de Pernambuco, par un homme d'une haute probité et d'une rare intelligence : Fernando Vieira. Ce dernier fut secondé dans sa tâche par Vidal, le nègre llenrique Dias et l'illustre chef indien Camerao.
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HISTORIQUE
S o u s la direction de ces quatre chefs intrépides qui ont mérité, à juste titre, le n o m de libérateurs du Brésil, une lutte héroïque et sans merci va s'engager. P r e s q u e toujours vainqueurs, les insurgés s'emparent successivement des principales villes de la côte occupées par les Hollandais. En i 6 4 g , à la suite d'une défaite sur les hauteurs de Guararapes, Hollandais
n'occupaient
plus que la
les
capitale de leurs vastes posses-
sions : Bécife. A p r è s un siège meurtrier qui dura près de cinq ans, la place tomba enfin aux mains des Portugais et cette victoire libéra à j a m a i s le Brésil de la domination étrangère.
Conquêtes de l'intérieur. Le Brésil pendant les 17e et 181" siècles. Cependant que les P o r t u g a i s luttaient p o u r établir leur domination définitive sur le Brésil, de hardis explorateurs, dès la fin du xvi c siècle, pénétraient dans l'intérieur des terres et montraient la voie aux colonisateurs. Mais les expéditions les plus nombreuses furent entreprises par les Paulistes ou habitants de Sâo P a u l o . Les Paulistes étaient issus de l'union des Portugais qui occupaient le sud du Brésil et des populations indigènes primitives q u i dans cette partie du pays avaient été rapidement soumises. Ils ont été les véritables pionniers du Brésil au centre et au sud de l'empire et 011 leur doit presque toutes les découvertes audacieuses qui furent faites alors dans l'intérieur. Perpétuellement en guerre, au début de leur établissement, avec les tribus indiennes, ils repoussent celles-ci et leur font une guerre d'extermination ; leurs prisonniers sont
réduits à l'esclavage pour approvi-
sionner les plantations de la côte. Ils fondèrent ainsi les premiers établissements de Minas Geraes, de G o y a z , de Malto Grosso,
de Santa
Catharina et de la partie méridionale de Rio Grande do S u l . Vers i 6 3 o les Paulistes attaquèrent les établissements fondés par les Jésuites espagnols à l'est du Parana et réussirent à les en chasser, reculant ainsi les limites du Brésil. Poussant
plus
avant leurs conquêtes,
ils poursuivent les
vaincus
j u s q u e dans leur retraite, et occupent p e u à peu toutes les rédactions
ou
villages en leur pouvoir. T o u t e la province actuelle de Rio Grande do S u l est ainsi conquise sur les Jésuites du P a r a g u a y qui avaient réussi à
COUP
R> Œ I L
io5
HISTORIQUE
s'y implanter. Après la sanglante bataille de San Nicolas, en 1638, les Jésuites de cette région sont obligés d'émigrer avec les Indiens et d'aller s'incorporer aux-réductions situées entre l ' U r u g u a y et le Parana ou former dans ces parages de nouvelles bourgades. En 16/u, les Paulistes tentent de les déloger de ces nouvelles positions, mais ils sont repoussés par les Guaranis. Quelques-unes
de leurs expéditions
ou bandeiras
pénètrent même jusque dans la partie septentrionale du Paraguay et dans les cordillères du P é r o u . Entre les municipalités et les habitants de Sâo Paulo, de Rio de Janeiro, du Maranhao et du Para, d'un côté, et les Jésuites de l'autre, soutenus par les Indiens, s'engagea une longue lutte qui devait durer jusqu'à l'expulsion de l'ordre par Pombal en 1 7 5 9 C ) . En 1758 d'ailleurs, Pombal obtenait du roi Joseph Ier deux lois qui mettaient fin à l'esclavage des Indiens et étaient exécutoires au
Brésil.
A partir de l'expulsion des Hollandais en ifi5/|, la colonisation devint de plus en plus active et les expéditions se multiplièrent. Non seulement les Paulistes, à la suite de la découverte des mines, s'établirent vers la fin du
XVIIc
siècle dans la province de Minas Geracs où ils fondèrent
plusieurs villages, mais des aventuriers venus de Rio de Janeiro et de Bahia et dont le nombre s'accroissait de jour en j o u r avec l'émigration portugaise, se dirigèrent aussi de ce côté. Une longue guerre civile éclata même entre ces différents occupants en 1 7 0 8 : c'est la première manifestation de rivalité entre les natifs du Brésil et les Portugais européens. La révolte des nègres fugitifs établis dans les forêts de Palmarès (Alagoas) est un autre épisode de cette époque. L a date de la fondation des évêchés marque à peu près les élapes des progrès de la colonisation. xvi e
L'évêché de Bahia,
le seul qui existât au
siècle fut érigé en archevêché en 1G7G ; Rio de Janeiro et Fernam-
buco devinrent des évêchés la même année, Maranhao en 1G77,
Para
en 1720, Sâo Paulo et Minas (à Marianna) en 1740 ; Goyaz et MattoGrosso devinrent des prélatures en 1746. En 17/10^ l'Etat du Brésil avait été érigé en vice-royauté, distincte toujours cependant de l'Etat de Maranhao ; celui-ci n'y fut réuni qu'en 1 7 7 5 . Le nombre des capitaineries était d'ailleurs augmenté : on en créa onze de 1709 à 1799. Nous ne nous attarderons pas à retracer ici les diverses phases du développement et du progrès du Brésil depuis la découverte des mines jusqu'au commencement du xix e siècle. Si la guerre avec la France (expédition de Duguay-Trouin) et surtout la longue lutte entre le Por-
(')
RIO-BRANCO. —
Op.
cit.
IO6
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D'OEIL
HISTORIQUE
lugal et l'Espagne au sujet de Colonia do Sacramento (i G80-1777) ralentirent un moment l'essor de la colonie, celle-ci ne cessa cependant de marcher, lentement il est vrai, dans une voie d'améliorations agricoles et d'explorations utiles. La longue administration du comte de Bobadella, nommé vice-roi du Brésil en 176a, fut notamment une des plus fécondes et des plus éclairées de l'époque coloniale. En 1761 la culture du café était introduite à Rio.
U10 DE JAKEIHO. —
Malheureusement,
S t a t u e de D o m P e d r o
le Portugal,
Ier.
dans le but de conserver pour la
métropole tous les avantages des échanges avec sa colonie, adopta à l'égard de cette dernière une politique commerciale absurde et qui porta le plus grand préjudice à son développement. Seuls en effet, les navires portugais avaient le droit de trafiquer et, après avoir embarqué à Rio ou Bahia les produits du pays, ils devaient les débarquer obligatoirement à Lisbonne. De IG^Q à 1720 une compagnie privilégiée, la Junta do Commercio, eut le monopole du trafic; ses navires naviguaient en Hotte sous la protection de bâtiments de guerre. La compagnie supprimée en 1720, l'usage des tlottes continua et ce n'est qu'en 1865 que les navires marchands purent voyager librement entre le Portugal et le Brésil. Quant aux étrangers, la colonie leur est absolument fermée et si à la
COU1'
fin du
XVIII''
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107
HISTORIQUE
siècle ils se décident à faire d u c o m m e r c e au Brésil, ils
sont astreints à toucher à Lisbonne où ils acquittent des taxes presque prohibitives sur les marchandises transportées. En s o m m e , le grand vice du g o u v e r n e m e n t portugais dans ses rapports avec la colonie fut de travailler pour le fisc exclusivement et de vouloir légiférer de loin, sans consultation des intéressés, sur tout ce qui concernait m ê m e l'administration intérieure. Un décret du i 5 mars 1C88 statuait qu'il était formellement interdit aux vice-rois et gouverneurs d'outre-mer d'édicter des lois locales, ou d'abroger, dans la pratique, celles que leur imposait le g o u v e r n e m e n t central. Même s'il se produisait des cas où les autorités locales seraient contraintes de prendre des mesures rapides d'une certaine gravité, elles devaient pour cela, aux termes de ce m ê m e décret, se c o n f o r m e r au bon vouloir de la métropole, et attendre ses instructions par n a v i r e s . . . à voiles ! Enfin 011 doit regretter que ce m ê m e gouvernement ait trop souvent porté au Brésil les procédés d'inquisition qui désolaient la métropole. S o u s le règne de Jean V notamment, plusieurs Brésiliens accusés d ' h é résie furent transportés à Lisbonne et livrés au bourreau. La plus célèbre victime fut l'illustre poète dramatique Joseph da Silva, brûlé à Lisbonne en 1 7 3 9 . L'arrivée de la famille de B r a g a n c é au Brésil allait
heureusement
mettre fin à cc r é g i m e et préparer l'indépendance. Le r o y a u m e du Brésil. —
La lutte pour l'indépendance.
Règnes de Dom Pedro I er et de Dom Pedro II. E n 1807, Napoléon I " envahit le P o r t u g a l . Un traité d'alliance passé avec l'Espagne avait prévu le partage du r o y a u m e et de ses possessions après la victoire. D o m Jean, alors régent, qui avait en vain, dans l'espoir d'échapper à l'invasion, abandonné la vieille alliée nationale l'Angleterre, vit bien que toute résistance
serait inutile et se décida à se réfugier au
Brésil. Une flotte nombreuse quitta le T a g e le 29 n o v e m b r e amenant la famille royale, la cour, les principaux fonctionnaires, et après avoir louché à Bahia le 22 j a n v i e r 1808, arriva un mois après
à Rio de
Janeiro. C e t événement est dans l'histoire du Brésil d'une importance capitale, car il marque la fin des rigueurs du
régime colonial et prépare
l'indépendance commerciale et politique. B i e n t ô t tout le vieux système
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étroit d'administration fut battu en brèche par les mesures qu edicta le régent, guidé par un économiste des plus distingués, Joseph da Silva Lisboa. Les principaux ports ouverts au commerce des nations en paix avec le Brésil, les étrangers admis à la propriété foncière, la proclamation de la liberté de l'industrie, des faveurs accordées aux industriels et aux agriculteurs, une banque créée à Rio, telles furent les premières mesures prises. Le Brésil fut déclaré royaume et le roi de
Portugal
devint roi du Royaume-Uni « du Portugal, du Brésil et des Algarves » ( 1815) .L'imprimerie avait étéjusqu'ici prohibée par la métropole: le régent créa une imprimerie royale. Toute l'administration de la métropole fut reproduite dans le nouveau royaume ; des écoles supérieures, des musées furent créés ; des artistes français appelés ; en vue de l'abolition de la traite, les premiers essais de colonisation étrangère furent tentés : foutes mesures qui dénotent de la part du régent devenu roi en 1 8 1 6 , une rare compréhension des besoins de l'empire nouveau qu'il était venu créer. Tandis qu'il réalisait ainsi de larges progrès à l'intérieur, D o m Jean songea en même temps à agrandir le royaume en s'emparant au Nord de la colonie française de la Guyane, sur laquelle le Portugal avait du abandonner ses droits en 1802. Une expédition dirigée contre Cayenne, à peine défendue, réussit pleinement. 11 est vrai
qu'au Congrès de
Vienne, ces efforts furent annihilés par un article de l'acte final qui restituait à Louis XVIII la Guyane française jusqu'à la rivière d'Oyapok. Le manque de précision de cet article a d'ailleurs donné lieu entre le Brésil cl la France à des difficultés concernant la délimitation, difficultés qui ont été terminées seulement en i g o o . Les troubles de la Banda orientale devaient encore donner aux Portugais et aux Brésiliens l'occasion d'intervenir dans le Sud. Les habitants de celte région, commandés par Artigas, s'étaient en 1810 insurgés contre les Espagnols de Buenos A y r e s et prétendaient maintenir l'autonomie de la Banda. Appelé par les Espagnols, D o m Jean, entrevoyant une occasion de s'agrandir, n'hésita pas à intervenir et envoya une armée contre les insurgés. Artigas livra aux Brésiliens une guerre de partisans acharnés et remporta quelques succès de détail. Il fut puissamment aidé par son fils adoptif Andrecito, un Indien des missions espagnoles qui réunit une armée d'indigènes et tenta de s'emparer des missions
brésiliennes
défendues par Chagas. 11 n'y put réussir et José Artigas de son côté fut mis en déroute à Catalan. Il tenta en vain de se reconstituer une armée
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dans l'Entre-Rios ; le général Chagas l'y poursuivit et ravagea tout le territoire des anciennes missions occidentales dont il transporta la population en territoire portugais. La lutte continua encore de 1818 à 1820 ; mais les insurgés furent partout battus et après la défaite de Tamaremto, Arligas vit son autorité méconnue dans l'Entre-Rios et le Corrientes et se réfugia au Paraguay. La Banda orientale s'unit par fédération au royaume du Brésil, prenant le nom d'État Cisplatin ( 3 i juillet 1821). *
#
*
Le Portugal ayant en 1820 proclamé le régime constitutionnel, Jean VI, devenu roi à la mort de sa mère en 181 G, institua au Brésil la n o u velle organisation. Bientôt il fut rappelé à Lisbonne par les Cortès, laissant comme régent son fils aîné, le prince royal Dom Pedro ( 1 8 2 1 ) . A cette époque les Cortès semblent avoir pris à tache de
détruire
l'œuvre si bien commencée par leur roi. Soit par esprit réactionnaire, soit qu'ils comprissent que le meilleur moyen de retarder l'émancipation définitive du Brésil et sa transformation en État libre était de le maintenir dans son ancien état de colonie fermée aux lumières et au ils volèrent successivement la fermeture des écoles et des
commerce, tribunaux
supérieurs, ordonnèrent la dissolution du gouvernement central de Rio et pour rompre l'unité naissante décidèrent que chaque province serait directement rattachée à la métropole. En même temps, ils enjoignaient à D . Pedro de rentrer en Portugal. Une telle politique révolta les Brésiliens et un mouvement éclata en faveur de l'autonomie. Résolument, D o m Pedro résista aux injonctions des Cortès et refusa de quitter le pays : comme les troupes portugaises menaçaient de l'y contraindre, il les força à se rembarquer.
Bientôt il
convoquait une assemblée constituante à Bio et l'attitude des Cortès devenant de plus en plus menaçante, il proclamait l'indépendance le 7 septembre 1822. Quelques jours après, on l'acclamait à Rio empereur constitutionnel. Le Brésil, « se détachant de la mère-patrie comme le fruit mûr tombe de l'arbre » ('), était maître désormais de ses destinées. Les troupes portugaises tentèrent en vain de résister, battues dans une
elles
furent
série de combats et contraintes à se rembarquer.
Une assemblée constituante se réunit et après bien des luttes entre les ( ' ) P. LEROY-BEAULIEU. — La Colonisation chez les peuples modernes.
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partis, une constitution fut volée au mois de mars 182/i. Une insurrection républicaine cpii avait éclaté dans le Nord fut rapidement étouffée et seize des meneurs furent condamnés à mort. E n 1825, le Portugal, renonçant définitivement à la lutte, reconnaissait l'indépendance du Brésil. L a même année, les troubles perpétuels qui désolaient la Banda orientale mettaient aux prises le Brésil et l'Argentine. La lutte aboutit, grâce à la médiation de l'Angleterre, à la création d'un Etat distinct, l'Uruguay qui prit la forme républicaine et que plus tard le Brésil défendit contre l'ambition du dictateur Bosas. Au
point de vue
politique, les quelques années du règne de D o m
Pedro I " ont été une période de tâtonnements. On faisait au Brésil les premiers essais du système représentatif et si l'empereur était jeune, inexpérimenté et impétueux, s'il manqua souvent de mesure, 011 peut dire que les partis et la presse avaient eux aussi leur éducation à faire ('). Toute une série de ministères se succéda, tantôt libéraux, tantôt conservateurs. La révolution française de i 8 3 o contribua grandement à passionner l'opinion et la chute de Charles X fut partout célébrée au Brésil par des réjouissances publiques. Impérialistes, fédéralistes, libéraux se combattirent avec ardeur, et ces polémiques, passionnées encore par les haines vivaces entre Portugais et Brésiliens, provoquèrent un peu partout des émeutes. Fatigué enfin de l'opposition qu'il rencontrait de la part des libéraux, l'empereur abandonna la lutte cl en i 8 3 i abdiqua en faveur de son fils D o m Pedro II, alors âgé de cinq ans, tandis que lui-même rentrait en Europe où il devait mourir à l'âge de trente-six ans. * *
*
Après le départ de D o m Pedro I er ; le gouvernement fut confié à une régence. Les troubles qui avaient marqué la fin du règne, loin de s'apaiser, ne firent que croître en intensité. Les partisans de la fédération et les réactionnaires partisans du rappel de D o m Pedro I " tentèrent à diverses reprises de renverser le gouvernement de la régence et de tous côtés des émeutes fomentées par eux éclatèrent dans les provinces. Elles réprimées avec difficultés et durèrent jusqu'en 1837.
(')
RIO-BRANCO. —
Esquisse Je l'histoire du Brésil.
furent
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N'F*:IL
IIIST01UQUE
111
En 18/10, le jeune Pedro était déclaré majeur et prenait les rênes du gouvernement. Nous ne retracerons pas 1 histoire des luîtes parlementaires qui amenèrent successivement depuis celte époque jusqu'à la révolution de 1889 une
foule de minis-
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D o m Pcdro
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du progrès. A quelque parti qu'on appartienne, on 11e saurait refuser à D o m Pedro la loyauté, l'intelligence et le libéralisme. S'il crut devoir s'opposer aux manifestations fédéralistes ou républicaines, la répression des révoltes fut toujours suivie d'une amnistie. Dès 1859,1m républicain français, Ribeyrolles ('), émigré du 2 décembre, écrivait : « A u Brésil depuis des années, il n'y a plus ni procès politique ni prisonniers d'État, ni procès de presse, ni conspiration, ni transportation. La pensée n ' y est point justiciable de la (')
KLLÎEYROLLES.
Le Brésil
pittoresque.
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police, saisie en douane, suspecte, marquée. L'âme est libre dans toutes ses confessions et le citoyen dans tous ses mouvements. La raison d'Etat chôme. Et cela pourquoi? Parce que Doni Pedro II a mis la Majesté non dans la prérogative, non dans la personne, mais dans le caractère, dans les œuvres; parce (pie l'esprit général du pays est tolérance, conciliation, sociabilité
»
Il y aurait certes ingratitude pour les républicains du Brésil à méconnaître le rôle de D o m Pedro II et l'on peut dire hardiment que si le régime républicain^ pu s'établir dans ce pays sans luttes, sans qu'une goutte de sang ait été versée, c'est qu'il avait permis à son peuple, sous son règne, de faire l'éducation de la liberté. Si, socialement et historiquement, la forme républicaine est la forme supérieure de gouvernement, elle suppose par cela même dans les
sociétés un
certain
degré de
développement intellectuel et matériel. Si les précurseurs républicains de 1781) et de i 8 3 o avaient triomphé, leur œuvre eût été sans doute sans fondement solide ; peut-être même l'instauration d'un régime démocratique n'eût fait à ce moment que provoquer l'anarchie et favoriser les menées ambitieuses de quelque dictateur. L'exemple de l'Argentine et le sanglant souvenir d'un Rosas sont là pour prouver que cette crainte n'est pas vaine. Aussi bien les œuvres de D o m Pedro II parlent pour lui. Pendant les quarante dernières années de son règne, le Brésil a fait de grands efforts pour répandre l'instruction et élever le niveau de l'enseignement, pour développer l'agriculture, l'industrie et le commerce. La construction de voies ferrées, l'établissement de lignes de navigation, les faveurs accordées aux immigrants ont été autant de moyens employés pour tirer parti des richesses naturelles du sol ; nulle part en Amérique, sauf peut-être aux États-Unis et au Canada, tant de progrès ont été accomplis dans un si court espace de temps. Mais la réforme principale réalisée sous le règne de D o m Pedro II et dont ce dernier peut en grande partie revendiquer l'honneur a été l'abolition de l'esclavage. C o m m e toutes les colonies sucrières de l'Amérique, le Brésil avait introduit les noirs d'Afrique au commencement du xvi e siècle et la traite avait été pratiquée sur une vaste échelle pendant tout le
XVIII"
siècle.
L'abolition de la traite en 1810 par le Portugal n'avait fait que ralentir ce honteux commerce sans pouvoir parvenir à le supprimer; en 18/I8, on importait encore annuellement au Brésil plus de 80 000 noirs. En i 8 4 5 , l'Angleterre par le Bill Aberdeen avait émis la prétention de
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traiter comme pirates les navires se livrant à la traite, de visiter tous les bâtiments suspects même dans les eaux territoriales du Brésil et de considérer les coupables comme justiciables des tribunaux britanniques. Une telle prétention ne fit que surexciter l'amour-propre des Brésiliens et profita aux négriers dont le commerce devint plus
florissant.
Le coup mortel leur fut porté par une loi abolissant la traite, proposée en i 8 5 o par le ministre de la Justice Einilio de Queyros et volée presque à l'unanimité par les Chambres. La fermeté que mit l'empereur à l'appliquer brisa les résistances des négriers alors très puissants à Bio de Janeiro et l'importation d'esclaves cessa complètement au Brésil. L'esclavage se trouvait ainsi tari dans une de ses sources. Depuis longtemps cependant des projels d'émancipalionprogressive avaient été élaborés et vers le milieu du siècle, les hommes d'État brésiliens se préoccupèrent de réaliser la réforme. Ils se heurtèrent à des intérêts puissants dont les réclamations trouvèrent malheureusement écho dans une partie de la presse brésilienne. Lorsqu'on 1870 le marquis de Sào Vincenle, devenu ministre, osa inscrire l'émancipation clans son programmme, il souleva des colères telles que, découragé, il dut abandonner le pouvoir. C'est en 1871 seulement que le principe de l'abolition triompha grâce au vicomte de Bio-Branco. Ce dernier avait déjà rendu de grands services au pays c o m m e ministre et comme diplomate pendant la guerre du P a raguay. Il prit la direction des affaires avec l'intention bien arrêtée de faire adopter une réforme qu'il considérait comme réalisable dès cette époque. Pendant cinq mois, les plus brillants orateurs de la Chambre et du Sénat opposèrent une résistance acharnée ; Bio-Branco sut leur tenir tête et, appuyé par la majorité des deux Chambres, et une partie de l'opinion publique, imposa son projet. Celte brillante campagne parlementaire le rendit très populaire au Brésil et jamais certes 011 n'eut de plus beaux titres à la gloire. Le projet fut adopté par la Chambre à quelques voix, mais le Sénat lui donna une forte majorité. Le 28 septembre 1 8 7 1 , le texte était, en l'absence de D o m Pedro, sanctionné par la Régente. La loi nouvelle prescrivait que tout enfant naîtrait désormais libre, mais qu'il resterait jusqu'à vingt et un ans sous l'autorité du maître de sa mère pour indemniser celui-ci des frais d'éducation. Elle affranchissait immédiatement les esclaves de l'État et ceux qui avaient élé donnés en usufruit à la couronne, ordonnait l'affranchissement des esclaves appartenant à des successions vacantes ou abandonnés par leurs maîtres, facilitait enfin par une série de mesures l'émancipation graduelle. IIEMHI T V R O T ,
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Ce n'était cependant qu'une première étape. En 1 8 8 1 , un
groupe
d'hommes appartenant à tous les partis commença à agiter l'opinion et à demander l'abolition totale et immédiate de l'çsclavage. A leur tète se distinguait un député d'un grand talent qu'on a appelé à juste titre le Buxton brésilien, Joachim Nabuco, vigoureusement secondé par plusieurs journalistes parmi lesquels il faut citer en première ligne Ferrcira de Meneze et José do Patrocinio. En i 8 8 5 , malgré une coalition de quelques députés libéraux et de presque tous les députés conservateurs, la Chambre (les députés et le Sénat votaient un projet qui déclarait libres les esclaves Agés de Go ans, à condition qu'ils serviraient encore trois ans leurs anciens maîtres, fixait un tarif de la valeur des esclaves décroissant avec les années, augmentait les fonds destinés au rachat annuel des esclaves et appliquait certains impôts à encourager l'immigration européenne. La question de l'émancipation était alors celle qui passionnait le plus l'opinion publique au Brésil et la ville de Rio était le centre de l'agitation abolitionnistc. Tandis que certaines provinces, notamment celle de Sâo P a u l o qui avait beaucoup d'esclaves, réclamaient l'abolition accélérée, dans d'autres les planteurs s'y opposaient avec énergie. A
Sâo
Paulo on vil un grand planteur, da Silva Prado, affranchir ses propres serviteurs et son exemple trouva des imitateurs; dans nombre de plantations, les esclaves,
excités par la propagande abolitionniste, aban-
donnèrent en masse leurs
maîtres
et l'armée
refusa de prêter son
concours pour les rendre à leurs propriétaires. S y m p t ô m e rassurant, aucun trouble grave n'eut l i e u ; la réforme était mure. Un ministère formé par Correa da Olivcira et dans lequel entra Prado, déposa un projet déclarant définitivement aboli l'esclavage au Brésil. 11 fut voté au milieu de l'enthousiasme général le i 3 mai 1888. Une ère nouvelle s'ouvrait dans l'histoire du Brésil. « La génération actuelle, s'écrier Joachim
Nabuco à la Chambre
pouvait
des députés, n'a pas connu
d'émotion aussi puissante et il faut remonter à celle qu'éprouvèrent nos pères à la proclamation de notre indépendance. P o u r nous, Brésiliens, 1888 est un événement plus considérable que 1789
ne le fut
pour la France. C'est littéralement une nouvelle patrie qui commence. » La suite a montré que la suppression de l'esclavage n'a pas provoqué au Brésil les ruines ou les malheurs que quelques planteurs se plaisaient à prédire. Le travail libre plus productif s'est substitué au travail serve et dès 188g 011 pouvait constater que les récoltes étaient supérieures à celles de l'année précédente. L'immigration européenne a d'ailleurs depuis cette époque augmenté dans des proportions considérables.
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Tout entier préoccupé des progrès intérieurs à accomplir, le Brésil c u l cependant sous le règne de D o m P e d r o II à soutenir deux guerres, l ' u n e contre l ' A r g e n t i n e , ou plutôt le dictateur llosas, l'autre contre le Paraguay. En I85I , en effet, alors que Rosas opprimait les libéraux de La Plata et menaçait l'indépendance de l ' U r u g u a y et du P a r a g u a y , le Brésil signa avec la République de l ' U r u g u a y et les Etats de l'Entre-Rios et de C o r rientes un traité d'alliance cl leur prêta le concours de son armée et de sa Hotte. La victoire de Monte Caseros ( i 8 5 a ) mit u n terme à la dictature de Rosas q u i se réfugia en Angleterre. La guerre contre le P a r a g u a y fut longue et difficile. Elle fut causée par l'obstination d u dictateur Carlo Lopez à refuser, malgré les réclamations du g o u v e r n e m e n t de Rio, la libre c o m m u n i c a t i o n p a r la voie fluviale du P a r a g u a y entre la province brésilienne de Matto Grosso et le littoral de l ' E m p i r e . Lopez, d'ailleurs, ne perdait aucune occasion de se livrer à des vexations contre les Brésiliens cl c o m m e , en i 8 0 5 , il avait envahi sans déclaration de guerre la province de Corrientes, une triple alliance fut signée à Buenos A y r c s entre le
Brésil, la
République
Argentine
et
l'Uruguay. E n fait, tout le poids de la guerre retomba sur le Brésil, la seule nation alliée qui pût alors disposer de forces suffisantes pour tenir tête au dictateur, sans avoir à craindre de soulèvement à l'intérieur. La campagne dura cinq années et le P a r a g u a y fut envahi. Elle se termina à la mort de Lopez lué au cours d ' u n combat et alors que les forces paraguayennes avaient été presque anéanties. Les vainqueurs avaient en tout h o m m e s hors de c o m b a t ; du côté des P a r a g u a y e n s ,
4oooo
i 5 o o o hommes
avaient été tués, blessés ou prisonniers. Les alliés établirent u n gouvernement provisoire au P a r a g u a y et y laissèrent pendant quelques années une petite armée chargée d'assurer l'indépendance du p a y s .
La Proclamation de la République. C e p e n d a n t que le Brésil prenait rang parmi les nations que leur degré de culture et de prospérité impose à l'attention du monde civilisé, une lente évolution se faisait aussi dans le domaine politique. De très bonne heure on peut signaler dans l'histoire de ce pays des manifestations qui en indiquent nettement le sens et il n'est peut-être pas u n autre peuple qui ait fait tant de révolutions p o u r conquérir le régime démocratique.
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Un fait remarquable d'ailleurs est l'influence (les révolutions françaises au Brésil et on peut (lire que toutes y ont eu leur répercussion. Après 1789, c'est à Minas Geraes la conspiration du Tiradentes qui paie de sa tête le crime d'avoir rêvé d'une patrie libre sous un en i 8 3 o , la révolution de
Juillet est
régime
républicain ;
accueillie avec enthousiasme, donne
lieu à (les réjouissances populaires et provoque une telle effervescence que D . Pedro Ier est bientôt forcé d'abdiquer. La Révolution de 18/18 et la proclamation de la République en France donnent lieu à Pernambuco à une émeute organisée par Minés Marchado qui devait trouver la mort à la tête de ses partisans. Sous le règne de D . Pedro II, soit que le libéralisme de l'empereur désarmât les républicains, soit que ces derniers eussent compris l'inutilité de leurs efforts, les propagandistes de l'idée républicaine semblent faire trêve. Mais ce n'était qu'une apparence cl à aucun moment le parti d é m o c r a tique ne cessa de combattre le régime impérial. A partir de 1870, des journaux d'opposition se créèrent un peu partout et, dans de brillantes campagnes
contre les institutions de la monarchie, travaillèrent à la
diffusion de leurs doctrines.
D a n s
les c h e f s - l i e u x des diverses provinces,
des directoires locaux, réunis à un directoire général établi à Rio de Janeiro, constituèrent l'organisation matérielle du parti ; des congrès se réunirent qui permirent aux républicains de prendre conscience de leurs forces. Chose curieuse, la chute de Dom Pedro (levait être précipitée par l'accomplissement de l'œuvre qui est son plus beau titre de gloire : l'abolition de l'esclavage ! Les propriétaires d'esclaves qui appartenaient presque tous au parti conservateur ne lui pardonnèrent pas l'appui constamment donné au parli abolitionniste et, sans oser se déclarer contre la dynastie, se trouvèrent prêts à se joindre aux républicains. D o m Pedro d'ailleurs était vieux et n'avait pas de fils ; sa fille aînée Isabelle et son gendre, le comte d'Eu, étaient suspects aux libéraux qui les eussent difficilement reconnus comme souverains. La Révolution éclata le i 5
n o v e m b r e
1889, avec l'appui de l'armée dont
beaucoup d'officiers étaient d'ardents républicains. Il y a quelque chose de stupéfiant à considérer le calme et la rapidité avec laquelle elle se fit. Le général Deodoro da Fonseca soutenu par un autre officier, Benjamin Constant Botelho de Magalhaës, se rend à la tête des troupes au quartier général où
se trouvaient les ministres
et contraint ceux-ci à adresser
leur démission à l'empereur. Puis, sans lutte, on se dirige vers le Consed municipal où la République est proclamée et un gouvernement provisoire constitué.
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117
» L'empereur
était alors
à l'etropolis. Il crut pouvoir faire face à la
tempête et revint à Rio en
toute hâte. Mais il ne put arriver à consti-
tuer un ministère nouveau et fut cerné dans son palais. P o u r donner satisfaction aux aspirations d'autonomie
des différentes provinces,
les
membres du gouvernement provisoire proclamaient dès le lendemain que la nouvelle République s'appellerait désormais les Etats-Unis du Brésil. Quelque temps après, une constitution élaborée par une Assemblée constituante réunie à Rio était promulguée le 21\ février 1891. C'est la constitution actuelle, modelée sur celle des États-Unis. Le Brésil forme une République fédérative composée de 20 États autonomes (anciennes provinces) et d'un district fédéral (ancien municipe neutre) ('). Le premier président de la République fut le maréchal Deodoro da Fonseca. Il ne conserva le pouvoir que quelques mois. Suivant la constitution, il fut remplacé par le vice-président,
le maréchal Floriano
Peixolo, jusqu'à l'expiration de la période présidentielle. Le gouvernement de ce dernier a été rempli par des troubles incessants provoqués par l'armée ou la Hotte. Tandis qu'en 1892, la guerre civile dite fédéraliste, éclatait dans le Rio Grande, la Hotte s'insurgeait à Rio sous la direction du contre-amiral Custodio de Mello, et après s'être emparée des navires
( ' ) L e Brésil est u n e R é p u b l i q u e fédérative o r g a n i s é e sur le m o d è l e des E t a t s - U n i s do l ' A m é rique du Nord. L o t e r r i t o i r e n a t i o n a l est divisé e n v i n g t É t a t s q u i j o u i s s e n t d ' u n e a m p l e a u t o n o m i e p o l i t i q u e et a d m i n i s t r a t i v e , élisent l e u r G o u v e r n e u r et l e u r p o u v o i r l é g i s l a t i f , lequel p e u t se c o m p o s e r do u n e o u p l u s i e u r s C h a m b r e s . L e s m e m b r e s d u p o u v o i r j u d i c i a i r e de c h a q u e É t a t sont n o m m é s par l e G o u v e r n e m e n t l o c a l e t c h a q u e É t a t a , p o u r r e n d r e la j u s t i c e , ses lois spéciales. L e s É t a t s sont divisés en m u n i c i p e s , lesquels élisent l e u r s c h a m b r e s m u n i c i p a l e s , m a i s il y a en q u e l q u e s É t a t s des préfets m u n i c i p a u x n o m m é s par le G o u v e r n e m e n t . T o u t c i t o y e n brésilien m a j e u r ( 2 1 ans) sachant lire et é c r i r e , est é l e c t e u r et é l i g i b l e . L ' é t r a n g e r naturalisé p e u t o c c u p e r toutes les c h a r g e s de n o m i n a t i o n et d ' é l e c t i o n , sauf celle de P r é s i d e n t de la R é p u b l i q u e . L ' U n i o n fédérale est la r é u n i o n do tous les É t a t s , a u n o m b r e do v i n g t q u i s o n t , en allant
du
N o r d a u S u d : A m a z o n a s , P a r a , M a r a n b â o , P i a u h y , C e a r à , R i o G r a n d e do N o r l e , I ' a r a l i y b a , P e r n a m b u c o , A l a g ô a s , S e r g i p e , B a h i a , E s p i r i t o S a n t o , R i o de J a n e i r o , Minas G e r a e s , S â o
l'aulo,
P a r a n à , Santa C a t h a r i n a , R i o G r a n d e do S u t , G o y a z , M a t t o G r o s s o . La capitale de l ' U n i o n est la ville de R i o de J a n e i r o , e n c l a v é e d a n s le district f é d é r a l . T o u t e s les affaires do l ' U n i o n sont traitées par les trois p o u v o i r s q u e r e c o n n a î t la c o n s t i t u tion. L o c h e f d u p o u v o i r e x é c u t i f est le P r é s i d e n t de la R é p u b l i q u e , q u i n o m m e
et r é v o q u e l i b r e -
m e n t ses m i n i s t r e s et est seul r e s p o n s a b l e d e v a n t lo C o n g r è s n a t i o n a l . S ' i l e n c o u r a i t u n e accusation à r a i s o n de sa responsabilité, le P r é s i d e n t serait j u g é par le S é n a t érigé
en s u p r ê m e tribunal de j u s t i c e .
L e C o n g r è s n a t i o n a l est c o m p o s é d u S é n a t e t de la C h a m b r e des d é p u t é s , le p r e m i e r c o m p r e nant 03 m e m b r e s , la seconde 212. L a représentation a u S é n a t est la m é m o p o u r c h a q u e É t a t ( 3 m e m b r e s ) , le d i s t r i c t fédéral étant é g a l e m e n t représenté p a r trois sénateurs. L a représentation à la C h a m b r e est p r o p o r t i o n n e l l e à l ' i m p o r t a n c e de la p o p i d a t i o n des États.
118
COUP
D'CEIL
HISTORIQUE
brésiliens mouillés dans la baie, donnaitau vice-présidenl Peixolo l'ordre de quitter le pouvoir. Le maréchal résolut de résister à outrance et fit occuper les principaux points stratégiques du littoral, tandis que de Mcllo occupait les îles. Pendant de longs mois, les deux partis luttèrent avec acharnement jusqu'à ce qu'enfin force restât aux troupes légales. Les révoltés se retirèrent en Portugal ou allèrent porter secours aux combattants de Rio Grande qui ne mirent bas les armes qu'en iSgf). Le D r P r u d e n t e de Moraes, qui fut élu en 189/1 à l'expiration du mandat du maréchal Peixoto, s'efforça de réparer
les maux
causés par toutes ces luttes civiles et d'apaiser les haines qu'elles avaient suscitées. Il rétablit les relations diplomatiques entre le Portugal et le Brésil rompues à la suite d'incidents qui marquèrent la fin de la révolte de la flotte, fit reconnaître par l'Angleterre
les droits
du Brésil sur l'île de Trinidad
et
conclut
avec
la
France un traité soumettant à l'arbitrage la question du contesté guyanais
(1897).
Malheureusement, le G o u vernement
dut
encore
cette époque envoyer
à des
l™upes contre un mystique
P r é s i d e n t de U R é p u b l i q u e d u B r é s i l .
exalté,
un soi-disant
phète qui, en
pro-
1897, avait
fomenté de graves émeutes dans la province de Bahia. Plusieurs milliers de soldats brésiliens y trouvèrent la mort. Cependant toutes ces séditions ou guerres civiles, les prodigalités des financiers
accumulés
par la fièvre de Bourse, connue sous le nom de encilhamento,
premières années de la République, les désastres
qui s'était
manifestée de 1890 à 1892, avaient très
gravement
compromis les finances
du pays et le change du papier-monnaie était tombé à un taux dérisoire. P o u r porter remède à cette situation, le président réussit à faire accepter
COUP
R> Œ I L
HISTORIQUE
pendant troisans aux créanciers du Brésil les litres d'un emprunt négocié à Londres, le Fundinrj Loan, cl parcelle opération heureuseà rétablir le crédit. Les présidents qui ont succédé au D r Prudente de Moraes, le D r C a m pos Salles, le président Rodrigues Alves, le président actuel M. Peíína ont d'ailleurs continué la tâche commencée et le change du Brésil a presque triplé depuis dix ans. Le calme avec lequel se sont faites les dernières élections des présidents, le fonctionnement régulier de toutes les institutions établies p a r l a constitution basée sur les principes démocratiques les plus certains, montrent assez (pie le Brésil en a maintenant fini avec ces luttes stériles qui le désolèrent si longtemps, ces émeutes cl ces pronunciamientos provoqués par des raisons trop souvent futiles : des ambitions personnelles déçues, ou simplement le besoin de paraître ou d'être chef de parti. « Ordre et progrès », telle est désormais la devise de ce pays qui contient les éléments d'une immense prospérité et est appelé à jouer dans l'Amérique du Sud un rôle équivalent à celui que les Etats-Unis du Nord ont joué dans l'autre partie du nouveau Monde.
CHAPITRE
SITUATION
VI
ÉCONOMIQUE
DU
BRÉSIL
I. Conditions géographiques (Situation, orographie, climat). — II. Population et immigration (Les derniers recensements; nationalités des immigrants; les avantages reconnus aux étrangers). — III. Les richesses naturelles (Produits du règne végétal, animal, minéral). — I V . Industrie. Voies et moyens de communication (Industrie du coton, des tissus; manufactures diverses ; cours d ' e a u ; chemins de f e r ; ports et navigation côtière). — V . Le commerce extérieur et la navigation (Importations et exportations ; principaux articles du trafic ; le commerce des diverses nations ; mouvement maritime ; trafic des divers ports ; communications extérieures). — V I . Les Finances (Papier-monnaie, change et commerce. La caisse de conversion. Situation budgétaire; dettes intérieure et extérieure; les dettes particulières des Etats ; banques et compagnies d'assurances). t
I
Conditions géographiques.
Le Brésil est situé entre 5° 10' Nord et 33° 45' S u d , cl,
abstraction
faite des îles de F e r n a n d o de Noronha et de la T r i n i d a d , entre 8° 19' 26" et 3o° 58' 2G" Ouest de Rio de Janeiro. Limité au Sud-Est, à l'Est et au Nord-Est par l'océan Atlantique, il confine au Nord aux G u y a n e s française, anglaise et hollandaise et au V é n é z u é l a ; au Nord-Ouest, à l'Ouest et au S u d - O u e s t à la C o l o m b i e , l'Equateur, le P é r o u , la Bolivie, le P a r a g u a y , et la République A r g e n t i n e ; au S u d , à la République Orientale de l ' U r u g u a y . Il a donc sur ses frontières tous les Etals et colonies de l ' A m é rique du S u d , excepté le C h i l i . Sa superficie dépasse 8 millions de kilomètres carrés. La configuration générale du Brésil est simple. A u Nord, c'est d'abord le massif de la G u y a n e aux plateaux couverts de forêts vierges et de vastes savanes, accidenté d'escarpements de granit, de schistes dénudés et de ravins profonds. Les versants méridionaux sont seuls brésiliens et
la
frontière est le plus généralement déterminée par la ligne de partage des eaux des bassins de l ' O r é n o q u e et de l ' A m a z o n e . A u pied de ce massif
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
BRÉSIL
1 2.)
s'étend l'immense plaine de l'Amazone dont la superficie dans le Brésil est d'environ 5 millions de kilomètres carrés : plaine d'alluvion, très
Carte du
Iîiiésn..
peu élevée au-dessus du niveau de la mer, où apparaissent
quelques
hauteurs ne dépassant pas 3oo mètres, et où l'on voit, au moment des crues du lleuve et de ses ailluents, des plaines boisées plus grandes que la France, transformées en vastes étangs. La plaine de l'Amazone com-
122
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
BRÉSIL12.)
prend la plus grande partie des États de Para et d'Amazonas, une partie du Matto Grosso à l'Ouest et du Maranliâo à l'Est. Le grand massif du Brésil qui la limite au Sud a u n e superficie d'environ !\ millions et demi de kilomètres carrés. C'est un immense plateau composé en majeure partie de vastes plaines profondément creusées paiIcs vallées de ileuves nombreux
et qui comprend les Etats de Minas
Geraes, de Goyaz et une grande partie du Matto Grosso, de Bahia, de Pcrnambuco, du Piauhy et du Maranliâo. A l'Est et au centre de ce massif apparaissent deux chaînes de montagnes, séparées par les hautes plaines du bassin de Sâo Francisco et de celui du Paraguay. La chaîne orientale suit la côte de l'Atlantique depuis le cap San Hoque et se prolonge presque jusqu'aux limites méridionales du pays ; elle atteint son plus grand développement dans les Etats de Paraná, Sâo Paulo, Rio de Janeiro,Espirito Santo, le sud-est de Minas Geraes et s'y subdivise en deux chaînes parallèles bien définies : la serra do Mar et la serra de la Mantiqueira. La chaîne centrale occupe une partie du sud de Goyaz et de la province de Minas Geraes à l'ouest de Sâo Francisco cl se joint à la chaîne orientale par une saillie transversale qui s'étend vers l'ouest à travers le sud de Minas Geraes. Entre le pied du talus du massif central et la mer s'élendent les plaines côtières du nord-est et de l'est, qui, d'abord confondues dans le Maranliâo avcc la plaine de l'Amazone, se rétrécissent ou s'élargissent tour à tour. Enfin, à l'ouest du grand massif on rencontre les plaines du bassin du Guaporé et du bassin supérieur du Paraguay, cl au sud-ouest la plaine de l'Uruguay. Un pays aussi vaste que le Brésil doit nécessairement présenter une grande variété de climats ; on peut à ce point de vue le diviser eu trois zones : la zone tropicale, La première,
la zone sous-tropicale
et la zone tempérée
que nous appelons tropicale,
torride ou
douce.
équatoriale,
comprend toute la partie du Brésil dont la température moyenne monte au-dessus de 25°. La ligne qui limite celte zone passe au sud de F e r nambuco, coupe une partie de Goyaz et descend à Matto Grosso, audessus de Cuyabá. Les Etats de Pernambuco, Parahyba do Norte, Rio Grande do Norte, Ceará, P i a u h y , Maranliâo, Para et Amazonas sont entièrement situés dans cette zone. La seconde, zone sous-tropicale ou chaude, s'étend entre la région isotherme de 25° et celle de 2O0, cette dernière passant au sud de l'Etat de Sâo Paulo et coupant celui du Paraná. Les États de Santa Catharina et Rio Grande do Sul, ainsi que la plus grande partie du Paraná et une
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
BRÉSIL12.)
certaine portion (le Sâo P a u l o , forment la troisième, zone tempérée douce, où la température moyenne oscille entre i5° et 20". On peut subdiviser la zone tropicale en trois parties distinctes, selon la saison des pluies : ," Le Haut-Amazone;
2" l'intérieur de tous les Etats du Maranhâo,
Para, Matto Grosso, P i a u h y (et même Pallia cl une partie de
Minas
Geracs); 3" la région du littoral de Para, Maranhâo, P i a u h y , Cearâ, Rio Grande do Norte et Parahyba do Nortc. L'année météorologique peut être divisée en deux époques dans la région du Haut-Amazone: l'une des grandes pluies et l'autre des petites, toutes deux augmentant les eaux du fleuve. La grande crue commence fin février cl se prolonge jusqu'à j u i n , et la petite crue commence à la mi-octobre et finit au commencement de janvier. Dans presque tout le 1 laut-Amazone le vent dominant est celui du S . - O . , fréquemment entrecoupé par des accalmies. La température moyenne, dans le Haut-Madère, est de 26°, c'est-à-dire de deux degrés plus basse que la température moyenne de l'Equateur indiquée par Humboldt. La seconde subdivision comprend tout l'intérieur des États du Nord. Dans ces pays, dont les grandes pluies du printemps et de l'été sont le trait caractéristique, on voit fréquemment des sauts (le plusieurs degrés en quelques heures. Dans l'État de Matto Grosso, les vents généraux soufflent du N . - O . et du S . - E . , ceux-là chauds et humides, ceux-ci toujours froids. La température moyenne de Cuyabâ est de 26",25 ; la plus basse température qu'on y ait observée jusqu'à ce jour est de 7",3. La pluie est en moyenne de 1 166 millimètres en 85 j o u r s . Cependant il y a dans cet Etat, sur les plateaux, des régions sèches où le climat est plus tempéré et où il n'est pas rare de voir des gelées au mois de j u i n . La troisième subdivision de la zone tropicale comprend le littoral de la région chaude, où les températures moyennes des différents mois de l'année sont beaucoup moins élevées que dans les deux autres. Cette région a comme trait caractéristique les pluies qui dominent durant l'été et l'automne, et, en général, surtout pendant le mois d'avril. Les mois de novembre à mars sont les plus chauds, mais la différence avec les mois d'hiver n'est pas sensible('). ( ' ) D a n s la capitale d u P a r i la p l u i e est a b o n d a n t e , s u r t o u t les p r e m i e r s m o i s de l ' a n n é e , et
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
BRÉSIL12.)
Pernambuco établit presque une transition entre la zone tropicale et la sous-tropicale. La zone sous-tropicale, par sa température et l'accentuation des saisons, se rapproche du climat des régions les plus chaudes du sud de l'Europe et de celles du nord de l'Afrique. A u point de vue du régime des pluies, nous pouvons la subdiviser en deux parties distinctes. La première comprend les États de Pernambuco, Alagôas, Sergipe et le littoral de Bahia, dans lesquels les pluies abondent de j u i n à août. La seconde comprend le sud de l'État de Bahia, ceux d'Espirito Santo, Rio de Janeiro et une partie du littoral de Sâo Paulo. Là les pluies sont surtout abondantes en automne et en été, c'est-à-dire de décembre à avril. A Récife (à 8° 4 ' S . ) , capitale de Pernambuco, le mois le plus chaud est février avec la moyenne de 28°; moyenne annuelle 2G0, 2. Dans la colonie Isabelle, située vers l'intérieur et sur un point élevé, la température moyenne est de p.3°, 7, et le minimum descend à n ° , G. La capitale de Bahia ( i 2 ° 5 8 ' S . ) nous donne comme température annuelle moyenne 25°,01. D'ans tout l'État la saison des grandes pluies va de mars à juin. Sur les terrains élevés de l'intérieur le climat est doux. Dans l'Etat d'Espirito Santo la moyenne de la chaleur oscille autour de 2 4°. Dans la ville de Bio de Janeiro, ainsi que sur les autres points de la côte de l'État de Rio, la moyenne est de 23°,4. La température la plus haute qu'on ait observée dans la capitale a été de 37°, 5 et le minimum absolu io°, 2. Les vents dominants sont ceux de S . - S . - E . et N . - N . - O . Le S . - S . - E . commence à souffler, comme brise de mer, depuis le milieu du j o u r jusqu'au coucher du soleil. A la tombée de la nuit, il y a généralement
la
une période
température
iV accalmie,
fréquemment
entrecoupée
de
brises
n ' y est pas e x c e s s i v e m e n t é l e v é e , le m a x i m u m étant de 34°,5 et le m i n i m u m de 20".
A S . L u . z de M a r a n h a o (à 2° 3 , lat. S . ) , d o n t lo c l i m a t est é g a l e m e n t p l u v i e u x , la t e m p é r a t u r e m o y e n n e est de 27« /,. A ont d o n n n a n t S . - E . L e s p l u i e s a b o n d e n t en m a r s et a v r i l . A i h e r e z i n a , capitale d u P i a u h y (à 5« 6 ' S . ) , la t e m p é r a t u r e m o y e n n e est de 2 6 « , e l l e s v a r i a tions d u n m o i s à 1 a u t r e sont faibles. L a saison s è c h e va de s e p t e m b r e à d é c e m b r e , avec des v e n t s p r é d o m i n a n t s du S u d et d e l ' E s t . S u r le littoral du C e a r â la m o y e n n e de la t e m p é r a t u r e a n n u e l l e est 'de 36» à 27» • m a i s les descend T w ^ n " " 5 6 8 ^ Y f T - ^ f ^ f f r a î c h e s C t " -V 8 d e s e » ' l r o i t s ° ù tWmomctre descend a i 4». D a n s c e t E t a t , la d i v i s i o n de l ' a n n é e en d e u x saisons est b i e n a c c e n t u é e : la s è c h e et a p l u v i e u s e , celle-là d e j u i l l e t j u s q u ' à j a n v i e r et celle-ci de f é v r i e r à j u i n . L e C e a r a est s u j e t a des sécheresses p l u s ou m o i n s intenses et p r o l o n g é e s , q u a n d il n ' y a pas de saison des p l u i e s . t e s sechcrcsses sont p o u r la r é g i o n de véritables fléaux contre lesquels o n s'efforce de l u t t e r
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
folles, qui durent un temps excessivement vent de terre qui dure jusqu'au matin,
1 2.)
BRÉSIL
variable.
Alors arrive le
mais avec une intensité bien
inoindre que celle de la brise de mer. La quantité de pluie qui tombe annuellement à Rio de Janeiro est de 1 1 2 g millimètres,
et les mois
les plus
pluvieux
sont novembre
et
avril ('). Dans l'État de Minas Geraes, grâce à l'altitude de la région, le climat a une grande douceur et il peut être comparé à celui des pays méridionaux de l'Europe ; Queluz (avec la moyenne de 20°), Lagôa Santa (avec 18 0 ), L'beraba (avec 21°), Caldas et Barbacena(avec 18 0 ) sont des villes où la température est très agréable. Dans quelques-unes il arrive qu'elle descend en hiver jusqu'à
o" et
même jusqu'à — G". Le nord de l'Etat de Sâo Paulo offre les mêmes conditions climatériques, en nous donnant pour divers points les moyennes annuelles de 18 0 , 19" et 20"; il y gèle parfois en hiver. Le sud de Sâo Paulo et les Etats de Paranâ, Santa Catharina et Rio Grande do Sul constituent la troisième grande zone du Brésil, la zone tempérée douce. Le climat est un des plus beaux du monde. La température y est très douce, et la moyenne s'y maintient toujours à moins de 2o". Les hivers peu rigoureux, qui ont lieu pendant les mois de j u i n à août, sont favorables non seulement à la santé des Européens, mais au développement de toutes les cultures de l'ancien continent. Aussi est-ce de ce côté que s'est surtout portée l'immigration européenne. La saison des pluies est différente de celles des autres zones ; elle y a lieu surtout pendant l'hiver et l'automne. Dans quelques endroits de Paranâ et Santa Catharina il tombe de la neige ; à Curitiba (capitale du Paranâ), ce phénomène est fréquent en hiver. Le climat de cette zone, composée en grande partie d'un littoral océanique étroit et de vastes plateaux accidentés qui s'inclinent
doucement
vers l'intérieur, ressemble, en général, àcclui de la partie haute de Minas Geraes, mais avec cette différence qu'il y a un contraste accentué entre • ( ' ) O n t r o u v e sur divers p o i n t s élevés de l ' E t a t de R i o e l t o u t près de la capitale de la R é p u b l i q u e u n c l i m a t b e a u c o u p plus d o u x . .Mentionnons s e u l e m e n t .Xova Friburgo (ancienne colonie do Suisses) i q u e l q u e s h e u r e s do v o y a g e , dans la c h a î n e des O r g 3 o s ; la m o y e n n e a n n u e l l e y est s e u l e m e n t d e 1 7 ° , 2 ; dans les m o i s d ' h i v e r le m i n i m u m h a b i t u e l y est de y " et q u e l q u e f o i s il baisse à i " , tandis q u e dans le m o i s le p l u s c h a u d de l ' a n n é e la m o y e n n e n e v a pas au delà de a o ° , 3 . O n constate à pou près la m ê m e chose à T h é r é z o p o l i s et P e t r o p o l i s , q u i se t r o u v e n t aussi très près de la capitale de la R é p u b l i q u e .
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
les saisons, selon la position (lu soleil au zénith. O n y constate, (le plus, un autre fait remarquable : la région du littoral appartient encore à la zone sous-tropicale et offre des températures plus élevées ; la région de la montagne diffère de la zone des plages par sa température plus basse, mais se trouve
encore sous l'influence directe de la m e r , d'où elle
reçoit les brises et les pluies ; enfin la région de l'intérieur (sertâo) ou de la c a m p a g n e , beaucoup plus grande, présente les conditions normales du climat continental. Rio Grande do S u l , le plus méridional des Etats brésiliens, est celui q u i c o m m e température se rapproche le plus de l ' E u r o p e occidentale : les saisons y sont nettement distinctes et la température baisse souvent en h i v e r au-dessous de o". A Passo F u n d o on enregistre la m o y e n n e annuelle de 17°, à Taquara 18", à Santa C r u z
19", à Pelotas (située à
3 i " / | o ' S . ) la température m o y e n n e est de 17",2 ; le mois le plus chaud est j a n v i e r avec 2/i°,/|. En s o m m e , le climat de tous les Etats de la troisième zone est un climat tempéré très d o u x . Ainsi le Brésil présente à l ' h o m m e de race européenne trois régions différentes : une zone chaude et h u m i d e , où il se peut q u ' u n e grande partie ne soit pas favorable à son développement ; une seconde zone plus fraîche, où avec quelques précautions d ' h y g i è n e il s'acclimate très facil e m e n t ; et une troisième, où il n'a pas besoin d'acclimatement,
puis-
q u ' o n y trouve le plus beau et le plus sain des climats. Il La Population. —
L'Immigration.
L e dernier recensement de la population du Brésil date du 31 décembre 1900 et les données qu'on peut avoir actuellement ne sont q u ' u n e a p proximation, d'ailleurs assez exacte. Depuis le c o m m e n c e m e n t du siècle le n o m b r e d'habitants a suivi une progression rapide et constante. En 1 8 1 8 en effet on l'évaluait à 3 8 1 7 000 âmes, en i 8 4 o à 5 000000, en 1862 à 7 7 5 5 0 0 0 . L e recensement de 1872 accusait u n chiffre de 10000000, un peu au-dessous de la réalité, celui de 1890 dénonçait uneaugmentation de /1000000 ; à l'heure actuelle on estime que la population du Brésil n'est pas inférieure à 21 5 o o 000 habitants. Voici d'après les vérifications du D r T o l e d o Piza, qui a cherché à rem-
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU BRÉSIL
1
2.)
plir par le calcul les lacunes des derniers recensements, c o m m e n t elle se répartit entre les Etats: Habitants. Amazonas
2/10000
Para
052 4 o o
Maranhâo
CGoooo
Piauhy
/125 0 0 0
Cearii
1000000
Ilio G r a n d e do N o r i e
/107 200
Parahyba Fernambuco
596000 a 089 5oo
Alagòas
7 8 1 Goo
Sergipe
/t5oooo
lîaliia
2 335 000
Espirilo Sanlo
201 G o o
Ilio de Janeiro
i3ooooo
District Fédéral Sâo Paulo.
730000
. »
2520000
Parami
3Goooo
Santa Gatbarina
/io5 8 o o
Ilio G r a n d e do Sul
1 35oooo
Minas Geraes
/, 2 7 7 4 o o
Goyaz
3^oooo
Matto Grosso
157000 TOTAL.
.
.
.
21278500
S o u s le rapport de la race, la population se compose de Brésiliens, descendants des colons européens, de noirs d'origine africaine, importés par les traitants j u s q u ' e n 1800 et appartenant aux plus beaux types de leur race, d'Indiens indigènes et enfin de métis nés du croisement des blancs et des Indiens. Mais depuis l'abolition de l'esclavage,
le
n o m b r e des nègres a considérablement diminué. Q u a n t aux Indiens, ils tendent de plus en plus à disparaître el c'est dans les Etals de l ' A m a zonas et de Para qu'on les rencontre en plus grand n o m b r e . La ville la plus peuplée est llio de Janeiro q u i , d'après u n recensement effectué en
IQOG.
possédait
8 1 1 26G
Sâo P a u l o ( 3 o o o o o habitants), Babia
habitants; viennent ensuite Pernambuco
(200000).
11 est à peine besoin de remarquer que cet accroissement
vraiment
(285000),
* *
*
extraordinaire de la population vient en grande partie du grand n o m b r e d'immigrants q u i , chaque année, s'établissent au Brésil.
SITUATION
128
ÉCONOMIQUE
DUBRÉSIL12.)
Jusqu'à l'arrivée de la famille de Bragance, le Brésil ne recevait c o m m e immigrants que des Portugais, l'accès de la colonie étant interdit aux étrangers. La métropole, d'ailleurs, ne se préoccupait guère de peupler cette lointaine possession et n'y envoyait que peu de colons, des condamnés et des soldats. A u cours du signaler quelques tentatives
XVIII'
siècle, cependant, on peut
de colonisation; la plus importante fut
entreprise à l'instigation du gouverneur Silva Paes, et en vertu d'un décret de Jean V , en 174/1, ordonnant que 4 000 familles seraient transportées, avec leur consentement et moyennant certains avantages," de Madère et des Açores à Santa Calharina et sur le continent de Rio Grande. Cet essai réussit pleinement. Malheureusement le gouvernement portugais ne poursuivit pas la sage politique qu'il avait inaugurée. Pendant la période coloniale, le Portugal ne s'occupa guère de favoriser l'immigration. Mais Jean VI, à son arrivée au Brésil, comprit que la venue de nombreux colons était indispensable à la mise en valeur des richesses du pays et permettrait seule de faire disparaître la traite. Il fit donc reconnaître
tout d'abord au gouvernement le
des concessions ou sesmarias
aux étrangers comme
droit d'accorder aux
Brésiliens.
Par la suite, sous le règne de Pedro I " et Pedro II, des encouragements ne cessèrent d'être accordés aux immigrants,
encouragements
qui,
surtout dans les dernières années de l'empire, ne laissèrent pas de coûter des sommes considérables au Trésor. De 1878 à 1888, la moyenne annuelle des immigrants dans les ports qui dressaient la statistique de l'immigration a été de 27 221. Mais c'est surtout à partir de l'abolition de l'esclavage, en 1888, que le mouvement d'immigration prit un essor considérable. Déjà au fur et à mesure que, sous l'inlluencc de la campagne abolitionniste, le nombre des esclaves diminuait, le besoin de travailleurs libres s'était fait vivement sentir et les immigrants attirés par l'espoir d'un salaire élevé arrivaient plus nombreux. Ainsi le nombre d'immigrants doubla de l'année 188G
à
1887.
L'accomplissement de la grande réforme eut pour résultat de rendre le courant encore plus intense. Les années de plus grande ont
été:
1888 ( i 3 i 3 4 5 ) ;
1890
( i o 5 100);
1891
immigration
(21GG59);
1893
( i 3 / j 8 o 5 ) ; 1 8 9 5 ( 1 6 9 5 2 4 ) ; 1896(14/1839). A partir de cette date le nombre des immigrants a décliné régulièrement bien que cependant on puisse constater que, depuis trois ans, il ail une tendance marquée à remonter. En 1895,1a statistique accusait un chiffre global de 23 017 immigrants
SITUATION ÉCONOMIQUE 1)U BIlÉSIL
pour lout le Brésil alors cpi'en i g o f i il est arrivé clans le seul port de Rio 271/17 i m m i g r a n t s venus de leur propre
initiative et indépendamment
de toute propagande ou aide du g o u v e r n e m e n t .
Ils se répartissent ainsi
au point de vue de la nationalité : Portugais. Italiens.
10 795 43i8
.
Espagnols.
4 07/1
Turcs. .
1 no
Allemands.
225
Russes.
'9!) io5 101 7a a9 i5 r4
Français. . Autrichiens Anglais.
.
Américains. Belges. Argentins. Suisses.
10
Divers.
8 0
2 3 3 4 4 sont du sexe masculin, 3 8 o 3 du s e x e f é m i n i n . L a m n j o r i t é ( i 7 5 4 2 ) est composée d'agriculteurs, mais 011 compte aussi 2 29(5 artisans; 7 3 0 9 enfin ont déclaré n ' a v o i r a u c u n e profession. D e ces i m m i g r a n t s 4 989 se sont dispersés p o u r les différents États du B r é s i l ;
22 258 sont restés
à Rio. Mais la capitale n'est pas le seul p o r t d'arrivée des i m m i g r a n t s et le g o u v e r n e m e n t de Sâo P a u l o notamment fait lous ses efforts p o u r se procurer des travailleurs étrangers. P l u s i e u r s milliers débarquent chaque année à Santos et se dispersent dans les fa/endas ou dans
les centres
industriels de l'État. La décroissance de l ' i m m i g r a t i o n depuis dix ans s'explique de différentes façons. O n peut considérer tout d'abord c o m m e anormal et exceptionnel l'alllux des étrangers dans les années cjui suivirent l'abolition de 1 esclavage et, en outre, il est très certain que la grande crise de 1890, q u i a c c u m u l a tant de ruines, eut pour résultat de décourager pendant quelque temps les travailleurs étrangers, m i s d'ailleurs officiellement en défiance par leurs g o u v e r n e m e n t s respectifs. Les g o u v e r n e m e n t s brésiliens qui se sont succédé depuis 1889 ont agi sagement en supprimant aux immigrants les primes accordées autrefois et qui donnaient trop souvent des résultats factices, mais ils n'ont pas abandonné pour cela la politique suivie sous l'Empire : « L e peuplement de HENRI
TUROT.
O
StTUAÎKN
ÉCONOMIQUE
DU
BllÉSIL
notre territoire par des immigrants d'origine européenne, déclarait encore il y a quelques mois le président Pefina dans son manifeste à la nation brésilienne, constitue un des cléments les plus sûrs du progrès et de la grandeur de notre patrie. Les sacrifices que nous avons faits dans ce but seront largement compensés ainsi que le prouve l'état
florissant
de bien des colonies fondées depuis de longues années et qui sont devenues aujourd'hui
des centres agricoles et industriels
de
premier
ordre. » Le statut légal des étrangers est en effet déterminé de la façon la plus large. A u même titre que le Brésilien, l'étranger jouit de
l'habeas
corpus, il reçoit gratuitement l'instruction du premier degré dans les écoles primaires publiques et peut, comme les nationaux, fréquenter les établissements d'enseignement secondaire et supérieur; les règles relatives au droit de propriété, à la liberté de conscience, d'association, d'exercer toutes les professions, à l'état civil, à la transmission des biens après décès, sont également les mêmes pour les uns et les autres. Afin de fixer l'immigrant au sol et d'empêcher qu'il ne retournât dans son pays jouir de la fortune acquise, la législation brésilienne s'est appliquée à rendre très facile la naturalisation. T o u t étranger qui a résidé pendant deux ans dans le pays peut la demander, et cette résidence même n'est pas exigée des étrangers mariés à des Brésiliennes, de ceux qui possèdent des immeubles dans le pays ou sont associés dans des établissements industriels, des inventeurs ou introducteurs d'une industrie textile, des fils d'étrangers naturalisés et qui seraient nés liors du Brésil avant la naturalisation de leur père, de ceux enfin qui se recommandent par leur talent ou leur aptitude professionnelle dans n'importe quelle branche d'industrie. Tous ces naturalisés, quels qu'ils soient, sont assimilés aux Brésiliens ; toutefois aucun d'eux ne peut devenir chef de l'État et ils ne sontéligibles aux deux Chambres qu'au bout d'un certain nombre d'années. Ils peuvent d'ailleurs exercer toutes les autres charges publiques, civiles et politiques. En outre de ces sûretés légales, le Brésil s'est attaché à assurer aux immigrants la certitude de trouver, aussitôt leur arrivée, l'emploi le plus rémunérateur de leur activité. 11 existe à Rio une hôtellerie des immigrants qui abrite provisoirement tous les nouveaux venus et les envoie à ses frais dans les différents États. Des institutions analogues fonctionnent dans les autres États et notamment dans l'État de Sâo P a u l o o ù un décret en date du 10 avril 1906 vient de créer une agence officielle de colonisation et de travail destinée « à faciliter aux émigrants et aux travail-
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
leurs en général leur placement dans l'agriculture ou l'industrie, ou dans les terres publiques ou particulières comme propriétaires, fermiers ou métayers ». Comment l'Européen pourrait-il d'ailleurs manquer de travail dans un pays en pleine prospérité et en plein développement, où les travaux publics et particuliers ont pris depuis
quelques années une si
formidable extension, où tous les jours 011 construit de nouvelles lignes de chemin de fer, de nouvelles roules, des ponts, des quais, et où les centres de population se Irarisforment cl grandissent de façon surprenante! Ajoutons au surplus que l'immigrant se trouve en excellente posture pour discuter les conditions de son travail. Les offres d'emploi sont en effet de beaucoup supérieures aux demandes et les travailleurs n'ont pas encore éprouvé le besoin de contrebalancer la puissance patronale par des associations quelconques ; ils sont toujours assurés de trouver le placement de leurs services alors que le patron n'est pas toujours certain de pouvoir se procurer de la maind'œuvre au moment voulu. Est-il besoin d ajouter que la justice au Brésil est égale pour tous cl que le grand planteur ne se trouvera
pas
écouté avec plus de faveur en cas de contestation que le plus modeste de ses employés ? Les encouragements donnés directement aux immigrants et les garanties assurées, depuis la proclamation de la République, par les dispositions de la Constitution sont loin d'être restés stériles. Le contingent le plus considérable d'immigrants a été fourni par l'Italie qui, depuis 5o ans, a envoyé au Brésil plus de
1 100000
111 ¡gralion portugaise
qui dans la même période a atteint seulement
émigrants, soit plus du double de l ' i m -
/|3a immigrants. Tandis que les Portugais sont surtout artisans, employés, canotiers, e t c . . . , le plus grand nombre des Italiens s'adonnent à la culture, soit qu'ils s'établissent dans les colonies fondées par le gouvernement près des lignes de chemin de fer et des ports, soit qu'ils se mettent au service des exploitations particulières. Les Portugais, qui ont avec les Brésiliens une communauté d'origine, de langue, d'éducation, se rencontrent dans toutes les provinces, tandis que les Italiens sont, pour la presque totalité, employés par les planteurs de Sâo Paulo. Les sommes envoyées par ces Italiens de Sâo Paulo en Italie et représentant les économies réalisées par eux s'élèvent chaque année à plus de 3o millions de lires.
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
Les Espagnols débarquent eux aussi nombreux au Brésil : environ 3 20 000 depuis 5o ans. Quant à l'immigration allemande, elle a été j u s qu'ici relativement très faible puisque de 1885 à I8Q5 elle n'a pas dépassé le chiffre de 70000, c'est-à-dire le tiers de l'immigration espagnole. Mais il est exact que, depuis quelques années, les efforts les plus sérieux et les plus méthodiques sont tentés en Allemagne pour diriger le trop-plein de la population vers le Brésil ; de toutes parts, il se forme des agences et des sociétés spéciales en correspondance constante avec le Brésil et qui poursuivent avec activité le recrutement des émigrants. Ces derniers sont presque tous envoyés vers le Sud, dans les Etats de Rio Grande do Sul, Parana et Santa Catharina, mais on en rencontre aussi dans les Etats de Rio de Janeiro, de Minas Geraes et un peu aussi dans celui d'Espirito Santo. On compte actuellement environ 35o000 Brésiliens d'origine allemande. Quant à l'immigration française, elle est presque nulle et nous aurons d'ailleurs occasion de préciser plus loin les causes et les résultats de celte situation. L'immigration russe qui, en 1890 et 1891, avait fourni/jo000 travailleurs
valides,
a disparu
presque complètement à partir de cette
époque. Presque toute l'immigration européenne se fait vers le Sud. Il est certain, en effet, que l'Européen trouve dans cette région un
climat
plus favorable, et que, pendant quelques années encore, les conditions économiques y seront supérieures à celles qu'il peut rencontrer dans le Nord. Mais chaque j o u r l'immigration se rapproche davantage de la ligne équatoriale et le Nord ne tardera pas à être occupé comme aux Etats-Unis l'a été le lointain Far-West. Voici d'ailleurs que l'industrie du caoutchouc se développe de plus en plus et que les forêts de l'Amazonie, si riches en arbres producteurs, offrent aux industriels, aux commerçants et à leurs capitaux un emploi rémunérateur immédiat. Certes, le Brésil a intérêt à l'immigration et tous les efforts faits par lui pour l'encourager sont d'une sage politique; mais aussi quel vaste champ d'activité n'offre pas aux Européens un pays seize fois grand c o m m e la France et d'une richesse si prodigieuse cl si variée! Et ne peut-on regretter que par la faute de notre esprit casanier et routinier, nos concurrents européens prennent là-bas, grâce aux relations d'affaires qui s'établissent avec leurs nationaux, la place prépondérante que n o u s eussions dù occuper ?
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
BRÉSIL
133
III Richesses naturelles. Produits du règne végétal. LE
CAFÉ.
t Le caféier, importé c l e C a y e n n e à Para en 1 7 2 7 , n'a c o m m e n c é à pros-
l'ic.l de café.
m
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
BRESII,
pérer au Brésil qu'à partir de 1 7 C 1 , lorsqu'un décret vint en favoriser la culture en supprimant les droits d'exportation. La précieuse plante pénétra dans les années qui suivirent dans d'autres
parties du Brésil ; à
Maranhao, à Hio, puis dans les provinces de Sâo P a u l o et de
Minas
Geraes. Mais c'est seulement à partir de 1826 que les plantations prirent quelque importance ; leur immense développement et surtout la rapidité du m o u v e m e n t est u n des p h é n o m è n e s économiques les plus frappants de notre siècle. D e i 8 3 5 à 18/10 on évaluait la production
moyenne
Plantation de café (État de Sâo I'aulo).
annuelle à l\omillions
de k i l o g r a m m e s , de 18G7 à 1877 "
l
ll
millions,
de 1880 à 1887 à /loo millions. En 1906, le Brésil a exporté i4 m i l l i o n s d c sacs de 13a livres c h a c u n . Il fournit à lui seul à peu près les quatre cinquièmes de la production mondiale évaluée à 20 millions de sacs. C e l l e exportation esl dirigée sur il\42 ports du m o n d e entier, notamment sur N e w - Y o r k qui en reçoit la plus grande quantité. La culture du café peut s'étendre des rives de l ' A m a z o n e j u s q u ' à l'Etat de Sâo P a u l o , embrassant 20° de latitude environ ; du littoral à l'extrémité occidentale de
l'État de Malto
Grosso, elle pourrait
s'étendre
143 SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
BRÉSIL
sur 25° et l'on calcule que la zone apte à la production n'est pas inférieure à 3 millions de kilomètres carrés. Cependant la plus grande quantité du café brésilien est récollée dans les trois Etats de Rio de Janeiro, Sâo Paulo et Minas Geraes. Les deux grands ports d'exportation sont
Rio et Sanlos et l'on sait que ce dernier a donné son nom au café de cette région. Ce n'est d'ailleurs un secret pour personne que la plus grande partie des cafés consommés en Europe sous le nom de Moka, Martinique, Java, Haïti, etc... provient du Brésil. En 1906, il est parti de Sanlos 10 17287/1 sacs, de Rio 3 / i 9 5 2 i 3 sacs, soit un total de 13GG8087 sacs. Le café représente presque la moitié des exportations annuelles du Brésil (/17 % en 1905). CAOUTCHOUC.
La production du caoutchouc est appelée à prendre au Brésil un grand développement. Son exploitation est la principale source de richesse des Etats du bas-
i36
SITUATION
sin de l'Amazone,
ÉCONOMIQUE
DU
BRÉSIL12.)
mais presque tous les Élats possèdent différentes
espèces d'arbres dont les caoutchoucs atteignent déjà une vente importante.
Extraction du caoutchouc.
Les Etats du Para, de l'Amazone, de Goyaz, du Matto Grosso, du Maranhâo et le territoire de l'Acre exploitent YHevœa
Brasiliensis,
qui
fournit la presque totalitédela g o m m e (seringa), mais ceux du Céara, de Pernambuco.deBahia, de Minas
Geraes,
de S â o P a u l o et aussi
le
sud
de
Goyaz et du Matto Grosso exploitent le mangabeira
et
le
maniçoba. Les arbres à caEx traction du caoutchouc.
outchouc
au
Brésil
forment
d'im-
menses forêts ; mais on est loin de tirer de leur exploitation les bénéfices qu'ils devraient procurer. Malgré de sérieux progrès faits depuis quelques
145 SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
BRÉSIL
années, l'extraction se fait encore de façon très primitive, et il y a là un large champ ouvert à l'activité européenne. Le Brésil a exporté en IQO5, 353QS tonnes de caoutchouc, représentant une valeur de £ i/i/|i5ooo, alors qu'en 190/i, il en avait seulement exporté
3i 862 tonnes valant
£11219000.
Cette
augmen-
tation de la production est vraiment remarquable et doit être attribuée en partie à l'exploitation des territoires de l'Acre cédés par la Bolivie au Brésil. En 1900, en effet, on estime à 3 7 6 9 tonnes la production de cette contrée. Le caoutchouc représente environ 33 °/ 0 de la valeur de l'exportation tout entière. LE
SUCRE.
On peut dire sans exagérer que tout le sol du Brésil se prête à la culture de la canne à sucre. L a canne se plaît dans ces terrains substantiels, médiocrement légers,
un peu limoneux, très faciles à diviser.
Elle
pousse jusqu'au 45° de latitude. Les grands États producteurs sont par ordre d'importance : Pernambuco, Alagoas, Sergipe, Rio de Janeiro, Bahia. Mais, depuis quelques années, le sucre de betterave est venu faire une concurrence redoutable au sucre de canne. D'autre part, la Conférence de Bruxelles en interdisant les primes à l'exportation sous quelque forme que ce soit, a placé le pays dans une situation défavorable et provoqué une crise dont les effets se font encore vivement sentir. Grâce aux primes directes qu'il accordait, le Brésil trouvait, en effet, aux Etats-Unis et en Angleterre un débouché permanent pour le million de sacs qu'il ne consomme pas ; mais ce procédé lui étant désormais i n terdit, l'exportation a subitement baissé dans des proportions considérables. En 1902, elle était de 187 166 tonnes, représentant 1 5 o o o o o £ ; en 1903, elle n'est plus que de 21 888 tonnes, et en 190A elle tombe à 7 8G1 tonnes représentant g3 488 £. Il est vrai que ce chiffre extraordinairement bas était accidentel cl est remonté en i i j o 5 à 37 7/iO tonnes, représentant 4 o 5 g 5 4 £. En 190G, le mouvement s'est accentué encore cl a passé à 84 g48 tonnes. Malgré cette crise, cependant, on peut dire que la culture sucrière a au Brésil un avenir certain. Il serait vain assurément de chercher à « valoriser » par des procédés artificiels le sucre brésilien, concurrencé de toutes parts p a r l e sucre de betterave. La vraie solution, croyons-nous, consiste à développer de plus en plus les industries sucrières, la fabrication des sucreries et confiseries par exemple, actuellement importées en
138
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
B R É S I L12.)
partie de l'étranger; l'emploi industriel de l'alcool gagne aussi de j o u r en j o u r du terrain et les planteurs trouveront là un débouché considérable.
:
•
|
R é c o l t e de la c a n n e à sucre a u F u n i l ( É l a l de S â o
Paulo).
Enfin, l'amélioration des procédés de culture et le perfectionnement des usines à sucre permettront au Brésil de pouvoir lutter sur les marchés étrangers sans trop de désavantage.
LES
FORÊTS.
L e s forêts couvrent peut-être la moitié du territoire du Brésil et leurs produits sont d'une richesse et d'une variété incomparables. Sans doute il n'est plus question maintenant du fameux bois-Brésil qui donna son nom au pays et fut si recherché par les trafiquants pendant les dix-septième et dix-huitième siècles comme bois de teinture : la découverte des couleurs d'aniline en a fait cesser à peu près complètement l'exportation. Mais le Brésil fournit en abondance le bois rose, le bois satin, le bois écaille, le palissandre, très riche en espèces et variétés dans toute l'étendue du pays, l'araucaria, le citronnier, le bois de fer, etc. On n'a pas compté moins de 22000 espèces de bois dans les forêts, et encore s'agit-il seulement de la flore du littoral du Brésil et des rives de ses
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
grands fleuves ; la flore de la zone centrale apparaît aussi riche et aussi variée. Ces bois sont très appréciés pour la construction et lebénisterie, mais il ne semble pas que jusqu'ici 011 ait tiré de l'exploitation des forêts qui les renferment tous les bénéfices qu'on eut pu en espérer. La région de l'Amazone parait à cet égard appelée à un grand avenir.
AUTUES
I'IIODUITS.
Parmi les autres produits importants du Brésil, il faut d'abord citer le coton, source de l'industrie la plus prospère. On estimait à environ 50 millions de kilogrammes en 1900 la quantité de colon produite ; 32 millions ont été consommés dans le pays même, le reste a été exporté à l'étranger. Ce sont les provinces du nord, surtout
Pernambuco, Alagoas et le Parahyba qui en fournissent le
p l u s ; on le cultive cependant dans les autres Etats et jusque dans Rio C r a n d e d o Sul. La culture du coton pourrait être un facteur important de la richesse du pays et le Brésil pourrait devenir, comme il l'était il y a quelque soixante ans, un des principaux fournisseurs des grands marchés européens. En 190(1, d'ailleurs, on estime à 31 668/»oo kilogrammes la quantité de colon exportée, soit une plus-value de 7 586 6/17 kilogrammes par rapport à l'année précédente. Le cacaoyer croît à l'état sauvage dans la plaine de l'Amazone où les Indiens le récoltent surtout dans les forêts des bords de l'Amazone et du Tocantins. L'exportation du cacao brésilien ne cesse de s'accroître régulièrement : elle a passé de i 5 68a tonnes en 1901 à 25 135 tonnes en 1906. Le tabac est cultivé surtout dans la province de Bahia, qui donne des qualités très estimées ; 011 le rencontre aussi dans les provinces de Minas (Jeraes, de Goyaz, de Sâo Paulo, du Parana et du Para. La France 11e fait presque pas d'achats directs de cette denrée au Brésil, mais les tabacs achetés par la régie à Hambourg sont d'origine brésilienne. L'exportation du tabac a atteint 23629 tonnes en 1906, et la majeure partie a été débarquée dans les ports allemands ; la consommation locale est à peu près égale à l'exportation. Le maté est la grande richesse des campagnes du sud, comme le caoutchouc est la richesse des campagnes du nord. C'est un succédané du thé de Chine et des Indes et on lui donne d'ailleurs souvent le nom de « thé du Brésil » ou « thé du Paraguay ».
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
Le Parana est la province cpii en exporte le plus. Le maté convient mieux que le café ou le thé aux dames, aux enfants, aux convalescents, à tous ceux qui souffrent d'insomnies ou de complications nerveuses. L'exportation du maté s'accroît de plus en p l u s ; elle a été de 5 8 o o o tonnes en 190G, soit 1G000 tonnes de plus que l'année précédente. Le manioc, qui se plaît dans les terrains secs de la zone tropicale et dont le rendement est de plus de i 5 o hectolitres à l'hectare; le maïs, consommé sous forme de farine avec laquelle on saupoudre divers aliments, sous forme de pâte ou de bouillon (angou), de grains cuits dans de l'eau ou du lait (cangica) ; le riz, qui pousse surtout dans les terrains bas du bassin de l'Amazone et du Maranhâo et sur les côtes basses de Sâo Paulo et de Parana ; le haricot noir, cultivé presque partout, forment le fond de l'alimentation de la population du Brésil. L'igname, la patate et surtout la banane y ont aussi une part importante. La vigne, enfin, est cultivée dans les provinces du sud. Quant aux céréales, le Brésil est encore loin d'occuper la place qui lui est certainement dévolue. Mais de plus en plus l'activité des immigrants, notamment à Bio Grande do Sul, a une tendance à se porter vers ce genre de culture et l'on peut espérer qu'avant longtemps le pays cessera d'être, à cet égard, le tributaire de l'étranger.
Produits du règne animal. La faune indigène du Brésil est très riche et d'une infinie variété. Les singes, les perroquets, les colibris, les toucans, les tapirs, les tortues, les abeilles sont les animaux des forêts qui servent le plus à l'alimentation ou au commerce. C'est dans les vastes solitudes des forêts brésiliennes qu'on trouve les oiseaux au plumage le plus brillant, les scarabées et les insectes merveilleux, et l'on conserve le nom de deux artistes célèbres qui, au x v m e siècle, excellèrent à préparer les éventails de plumes ou les autres ornements chers aux coquettes de Rio. François-Xavier de Castro Caldeira a mérité le surnom de Xavier des oiseaux, et FrançoisXavier dos Santos, celui de Xavier des coquillages. Le bétail, proprement dit, est assez nombreux dans la plaine de l'Amazone, mais le climat, l'humidité et surtout l'inondation de la région au temps des formidables crues du fleuve et de ses affluents sont de sérieux obstacles à l'élevage. Le Maranhâo jouissait cependant autrefois, à cet égard, d'une certaine réputation, mais il ne parait pas que cette contrée
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
soit appelée à un grand avenir de ce côté. C'est clans le sud, à Parana et surtout dans le Ilio Grande do Sul, que l'élevage, déjà important, paraît devoir prendre un développement de plus en plus considérable. Là, de vastes prairies constituent des pâturages de premier ordre, et lorsque, grâce à l'amélioration de quelques-unes des baies qu'on rencontre le long de la côte dans cette portion du pays, les navires pourront remonter le cours des rivières et charger le bétail sur les lieux mêmes de l'élevage, c'est par millions de têtes qu'il faudra compter les troupeaux qui enrichiront cette région. Depuis de longues années, d'ailleurs, le commerce des cuirs provenant de l'abatage des bœufs de Rio Grande fait la fortune de cette province, si riche d'ailleurs en toute espèce de produits ; c'est Rio Grande, comme aussi le Malto Grosso, Minas Geraes, Sâo Paulo, Parana, Santa Catharina qui fournissent presque exclusivement les cuirs secs ou salés, qui ont atteint en 190O à l'exportation plus de 3 a o o o tonnes. Le commerce des cuirs, des cornes et de l'extrait de viande compte d'autre part un chiffre important (plus de 2000 tonnes). La viande des bœufs fournit la « carne secca » ou viande salée, dont il se fait au Brésil une importante consommation. Le Brésil prend des mesures pour provoquer l'élevage des porcs, et il est peu de contrées qui offrent à ce point de vue des conditions meilleures : ces animaux y prospèrent merveilleusement, s'y portent bien et s'engraissent très vite. O n ne s'est pas préoccupé jusqu'ici sérieusement de l'élevage du mouton. Les plateaux qui limitent au nord la vallée de l'Amazone lui sont pourtant favorables, de même que les provinces tempérées du sud. Il y a quelques bons chevaux, mais d'importation récente et leur usage n'est pas général : l'élevage se ferait cependant dans de bonnes conditions dans les eampos du Parana. Les mulets, d'excellente race, et les bœufs sont presque exclusivement utilisés comme bêles de trait. D'une façon générale, on peut faire sur l'élevage et l'agriculture du Brésil une remarque identique : les ressources du pays sont immenses et leur mise en valeur n'est qu'une question de temps. Les fleuves sont enfin très poissonneux, et Agassiz a classé ¡dus de 1 000 espèces de poissons dans le seul bassin de l'Amazone. Autrefois, on péchait la baleine sur les côtes, mais ce cétacé a peu à peu disparu ; par contre, le thon et la sardine s'y rencontrent en abondance. Dans les rivières, le dourado, le lamentili, cétacé qu'on trouve dans l'Amazone, le piracucû, le plus grand poisson d'eau douce du Brésil, le saumon font l'objet d'un commerce assez considérable.
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
Produits du règne minéral. La découverte de l'or au Brésil à la fin du xvi e siècle a eu une influence énorme sur le développement du pays ; c'est grâce à elle que les h a b i tants, au lieu de rester groupés le l o n g du littoral ou sur les bords des fleuves, ont franchi les serras et se sont répandus à travers les vastes forêts de l'intérieur pour y fonder des établissements. C'est ainsi que les I'aulistes se sont établis au milieu du xvn e siècle dans l'Etat de Minas Geraes, principale région jiroduclrice. Depuis, on a exploité l'or avec plus ou moins de succès non seulement dans cet Etat, mais encore à Bio de Janeiro, Espirito Santo, Baliia, Parana, Bio Grande do S u l ,
Sâo
P a u l o , Goyaz, Matto Grosso, Maranhâo, et on en a m ê m e retiré du bassin de l ' A m a z o n e . C'est dire qu'au Brésil on trouve de l'or partout. L ' e x ploitation des mines s'est faite j u s q u ' i c i par des procédés assez primitifs et n'a pas donné un rendement proportionnel à la richesse aurifère du pays, mais l'introduction récente des machines modernes si perfectionnées est en train d'imprimer un grand m o u v e m e n t à celte industrie. La différence des chiffres à l'exportation de « l'or en barres » en i ç)o5 et 1906 est assez significative à cet égard, puisqu'on constate une augmentation p o u r celte dernière année de 6G9 2/I2 g r a m m e s , l'exportation totale étant de 4 5/Î7 9^0 g r a m m e s ; encore faut-il remarquer que cc dernier chiffre ne donne q u ' u n e idée incomplète
de la production,
puisqu'il
ne tient pas compte de la contrebande, qui semble être assez i m p o r tante. L e s diamants du Brésil sont r e n o m m é s depuis le x v m e siècle. O n les rencontre surtout à Minas Geraes (important gisement de Diamantina), Baliia, Parana,
Goyaz,
sous forme de
topazes (surtout près d ' O u r o
Preto), d'émeraudes, de bérils, d'améthystes, de grenats, de
tourma-
lines, e t c . . . Les diamants du C a p ont fait une concurrence redoutable à ceux du Brésil, q u i passent cependant pour être d ' u n e plus belle eau ; mais, depuis quelques années, l'exploitation des mines a repris à Minas Geraes une grande activité, et il se fonde constamment de nouvelles compagnies nationales ou étrangères dans le but d'exploiter les terrains diamantifères. L'exportation en 1906 a atteint une valeur de 1 4 8 o c o n t o s , soit une plus-value de 8/|6 contos par rapport à l'année précédente. Les diamants du Brésil sont taillés dans le pays m ê m e . P a r m i les autres richesses minéralogiques importantes, il faut citer tout d'abord beaucoup de gisements de cuivre de grande valeur et qu'on
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
ne s'est pas assez préoccupé de développer. Il en est de même pour le minerai de fer.
Et cependant la richesse du Brésil en minerais de fer est
telle que, dans certaines parties de la province de Minas Geraes, des minerais de première qualité sont employés aux usages les plus vulgaires : pavage des rues, construction des murs de séparation des propriétés, etc. ! Ils y forment des couches la plupart du temps superficielles ou des montagnes de centaines de mètres de h a u t e u r ! « Autour d'Ouro Preto, dit M. Henri Gorceix, dans un rayon de dix kilomètres, j'évalue à plus de quarante millions de mètres cubes la masse des itabirites et des conglomérats qui couvrent le sol, et à plus de cent millions de tonnes la quantité de fer qu elle peut fournir ! » A Santa Catharina, près du bord de la mer et non loin d'un port accessible à tous les navires, les minerais forment des montagnes entières. Dans un rajiport qui a fait sensation, M. W h i t e , un savant géologue américain, chargé l'année dernière par M. Muller, ministre de l'Industrie et des Travaux publics, d'un voyage d'exploration, a reconnu que les gisements carbonifères
occupent une très vaste étendue dans le sud. Ils
commencent dans l'Etat de Sâo Paulo, j)rès de sa limite avec l'Etat de Minas Geraes, et se prolongent dans les Etats du Parana, de Santa Catharina et de Rio Grande do Sul, en formant un seul bassin houiller interrompu seulement par quelques érosions ; il est possible même que les gisements de charbon reparaissent à l'ouest de cette vaste région. Sans doute, le combustible obtenu n'est pas de première qualité ; mais il est parfaitement utilisable grâce aux procédés de purification actuellement employés. Des expériences de chauffe de machines faites avec des produits épurés ont très bien réussi, et le charbon brésilien a même été reconnu supérieur à celui dont se servent pour leurs chemins de fer le Japon et certains Etats de l'Amérique du Nord. Le Brésil importe actuellement 920/425 tonnes de charbon étranger ; cette importation se réduira progressivement et, en tout cas, lorsque le combustible importé fera défaut, l'active exploitation de ces gisements pourra suflire largement aux besoins de l'industrie du pays. Le manganèse, le plomb, le bismuth, Y antimoine, le sel gemme, le salpêtre sont les autres richesses minéralogiques principales. Mais une mention particulière doit être faite aux sables monazitiques,
desquels on retire
le thorium employé pour la fabrication des manchons pour l'éclairage à incandescence. On les trouve principalement en assez grande quantité dans la province de Bahia. L'exportation en 190G a atteint 4 351 tonnes, la plus grande partie à destination des ports allemands.
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
IV Industrie. —
Voies et moyens de communication. A
P o u r développer son industrie manufacturière
le Brésil n'a
cessé,
depuis la proclamation de l'indépendance, de multiplier les encouragements ; il a n o t a m m e n t établi des taxes à l'entrée des produits facturés,
lesquelles
créent
à l'importation
étrangère
une
manu-
situation
é v i d e m m e n t défavorable pour la concurrence. Cependant l'élévation des prix du combustible et la cherté de la m a i n - d ' œ u v r e n'ont permis que des progrès assez lents. La plus importante des industries manufacturières est celle des tissus de colon. Elle esl représentée par 165/119959
110
fabriques avec un capital de
milreis ou a a 6 8 o G 3 8 5 francs, ayant des e m p r u n t s pour
une valeur de a8 2G8 000 milreis ou /|5 5 g 3 5/(8 francs. Toutes ces fabriques travaillent avec 734 938 broches cl aG /iao métiers, m u s par la vapeur ou l'électricité, le loul représentant une force de 3i 718 chevaux. Le
n o m b r e des ouvriers e m p l o y é s est de 3g 15g et la
production
s'élève à 3/ja 087 181 mètres de tissu. Mais, à côté des manufactures de coton, il faul signaler toutes les petites industries nécessaires à la vie journalière ; elles sont largement pratiquées dans toutes les villes et toutes
florissantes.
Les brasseries, presque toutes exploitées par des A l l e m a n d s , méritent dans cet ordre d'idées une mention spéciale. L'industrie agricole, d'autre part, a p r o v o q u é la création d ' u n e foule de m a n u f a c t u r e s : fabriques de tapioca,
raffineries de sucre,
préparation
du maté, huiles végétales,
fromageries, cigares et cigarettes, préparation de viandes et de poissons secs, pâtes alimentaires, soieries, etc. Les fabricants d'allumettes se sont emparés de tout le marché intérieur et l'importation étrangère de ce produit a complètement cessé. L e s tissus de laine prennent u n grand développement : déjà les fabriques nationales concourent pour la fourniture du drap nécessaire à l'uniforme des troupes de terre et de m e r et de la police des Etats. Les draps de jute qui servent à la confection de tous les sacs destinés à exporter les énormes récoltes de café, sont tissés dans le pays.
s r n VTION
ÉCONOMIQUE
1)U
UtlÉSlL
Il existe de 1res importantes fabriques de wagons de c h e m i n s de fer et de t r a m w a y s électriques, ainsi (pie des fonderies, dont les travaux augmentent de j o u r en j o u r .
O n lance déjà sur le marché
d'excellents
coffres-forts, des f o u r n e a u x et des lits de fer, analogues aux
produits
européens. L'industrie de l ' a m e u b l e m e n t a pris aussi une notable extension, surtout à Rio et à Sâo P a u l o . D ' u n e façon générale, c'est à Sâo P a u l o , à Rio, à Rallia et à P e r n a m buco que l'activité industrielle est le plus développée. L'exploitation des mines de charbon et surtout l'utilisation des innombrables et puissantes chutes d'eau paraissent devoir assurer au Brésil un avenir certain dans l'ordre d'idées qui nous occupe.
B Cours d'eau. L e s grandes voies fluviales du Brésil cl leurs affluents constituent un réseau naturel de transports par eau merveilleusement organisé. A u Nord, c'est le large A m a z o n e , qui, brésilien dans plus des quatre cinquièmes de sa l o n g u e u r , permet aux navires de pénétrer j u s q u ' à une distance relativement courte des côtes du Pacifique. A u S u d et au Sud-Est, les vallées du P a r a n a et du P a r a g u a y continuent pour ainsi dire celles des tributaires de l ' A m a z o n e , et le territoire qui sépare les rivières coulant vers le Nord de celles coulant vers le S u d est si encaissé et si bas qu'à l'époque des crues 011 peut établir entre ces deux voies de cours différents 1111 service de canots et môme de bateaux d'assez fort tonnage. Cette disposition naturelle des « c h e m i n s q u i marchent » montre assez quelle facilité ils présentent pour le c o m m e r c e intérieur du Brésil. Malheureusement, les cours d'eau situés au nord du P a r a h y b a do S u l étant dans la zone tropicale sont sujets à des alternatives de sécheresse et d'abondance qui sont des obstacles considérables à une navigation régulière ; d'autre part, jiresque tous, aussi bien dans la zone tempérée que dans la zone tropicale, ont leur cours régulier interrompu par des chutes qui entravent leur utilisation. O n évalue à 5 o 000 kilomètres l'ensemble des voies navigables dans le bassin de l ' A m a z o n e , les bassins du Sâo Francisco et des fleuves côtiers et les bassins supérieurs du P a r a g u a y et du P a r a n a . S u r ces fleuves, HENRI T u R o r .
10
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
des services de bateaux fonctionnent régulièrement et prennent une i m portance de plus en plus considérable.
Chemins de fer.
En 1 8 6 7 , il y avait en tout, au B r é s i l , 601 kilomètres de voie ferrée en exploitation ; à la fin de 1870, il y en avait 997 k i l o m è t r e s ; à la fin de 1880, 3 5 a i k i l o m è t r e s ; à la fin de 1888, 9 2 0 0 kilomètres. A l ' h e u r e
Un viaduc d u Sâo Paulo R a i l w a y .
actuelle, on en compte 1 6 7 8 0 ; il faut y ajouter environ 1 2 0 0 0 kilomètres en construction ou à l'étude et 11 5 o o kilomètres en projet ! Ces chiffres montrent assez quel développement ont pris les c h e m i n s de fer brésiliens. C'est q u ' e n effet, le Brésil a compris que seul le rapp r o c h e m e n t des divers centres d'activité industrielle ou agricole des ports de mer, en m ê m e temps que l'établissement de communications c o n stantes, faciles et fréquentes, à travers le pays étaient indispensables à l'exploitation des richesses naturelles.
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
Depuis 1874, notamment, la construction de nouvelles lignes a absorbé le
principal cITort des Brésiliens.
Environ
7G20
kilomètres appar-
tiennent à l'Union fédérale, cpii en administre directement 2 788 kilomètres, et en a affermé [\ 83a ; 3o/|8 kilomètres ont fait l'objet de concessions à des sociétés privées, soit avec garantie d'intérêts (i3£G kilomètres), soit sans garantie ( 1 7 0 2 kilomètres); la plupart des contrats de concession prévoient, d'ailleurs, le retour des chemins de fer à l'Union. Les divers Etats possèdent environ G 1 1 0 kilomètres dans l'ensemble du système. En raison de l'immense étendue du pays et de la faiblesse relative des capitaux dont on disposait au début de la construction des voies ferrées, l'établissement du réseau n'a pas. dès le début, obéi à un plan d'ensemble. Les lignes se sont construites au fur et à mesure du développement des différentes zones du pays. Malgré cela cependant, quelques-unes ont atteint une très grande importance et s'ont devenues les tronçons obligés d'une liaison intérieure entre le nord et le sud. Le chemin de fer central du Brésil, qui part de Bio de Janeiro, prend deux directions : vers la capitale de l'Etat de Sâo Paulo et vers les bords du Bio das Vellias, affluent du grand lleuvc Sâo Francisco, presque entièrement navigable. A v e c environ cent kilomètres de plus, le chemin de fer central aura atteint son point terminus; de là, on parviendra par eau jusqu'à la ville de Joazeiro, dans l'Etat septentrional de Bahia. La capitale de cet État est déjà reliée à Joazeiro. Entre Joazeiro et-la mer, le fleuve Sâo Francisco a une zone de chutes d'eau, où se trouvent les fameuses chutes (le Pedro Alfonso, qui rivalisent avec celles du Niagara. Cette zone est parcourue par 1111 petit chemin de fer qui met en communication les deux terminus du fleuve. O r , le Sâo Francisco a son embouchure dans l'État d'Alagoas, dont la capitale, Maceio, se trouve liée à la ville (le Natal, capitale du Bio Grande do \ o r t e , par un chemin de fer qui traverse également les Etats de Fernambuco et Parahyba. Mais il existe encore une solution de continuité entre la ligne de Bahia et Alagoas. Cette ligne, allant de Alagoas au Bio Grande do Norte, est affermée à une Compagnie anglaise qui a déjà construit et est en train de construire des embranchements de pénétration dans la direction du fleuve Araguaya, qui se jette sur la côte du nord, État du Para. Toute cette zone est très riche en canne à sucre et surtout en coton. La communication ferrée de Sâo Paulo avec les frontières du sud n'est pas non plus très loin d'être réalisée. Parlant de la capitale, le chemin
i/|8
SITUATION
ÉCONOMIQUE
PU
BRÉSIL
de fer Sorocabana, qui appartient à cet État, va jusqu'à près de 100 kilomètres de la frontière de l'État du Parana. Le chemin de fer Sâo PauloRio Grande, dont la construction est également très avancée, est distant de ce point d'un peu plus de 100 kilomètres. Dans un avenir très prochain, ces deux extrémités seront réunies cl on pourra dès lors aller en chemin de fer depuis Rio de Janeiro jusqu'au delà des bords du fleuve Iguassu, dans l'Etat de Parana. La construction d e c e chemin de fer, qui se poursuit vers le nord afin d'atteindre le point extrême de la
Soroca-
bana, avance également vers le sud de façon à rencontrer le réseau des chemins de fer de l'État de Rio Grande do Sul, par lequel 011 parviendra aux frontières de l ' U r u g u a y cl de la République Argentine. Une Compagnie franco-belge, fermière de ce réseau, y construit actuellement environ 700 kilomètres de voie ferrée. Toute cette ligne, depuis le nord du Parana jusqu'à Rio Grande, traversera l'énorme plateau du sud du Brésil, dont les hauteurs atteignent jusqu'à 1 000 mètres et où se trouvent des climats où la température descend,' en hiver, à 8° au-dessous de zéro. Quant aux grands Étals intérieurs de Goyaz et (lu Matto Grosso, le gouvernement désire depuis longtemps les mettre en
communication
ferrée avec le littoral. P o u r le dernier (1e ces Etats, on a déjà commencé la construction d'un chemin de fer de près de 2000 kilomètres cl on compte commencer bientôt la construction du chemin de fer de Goyaz. Ces deux entreprises sont confiées à des capitaux belges et français. La région de l'extrême nord est très dépourvue de chemins de fer. Son immense système lluvial les rend beaucoup moins nécessaires qu'en d'autres parties du pays. En outre, la production de celte zone est à peu près exclusivement limitée à l'extraction et à la préparation du caoutchouc, qui constitue sa principale richesse. El comme les terres productrices du caoutchouc s'étendenl le l o n g des fleuves et des canaux naturels navigables formés par eux,
il en résulte que tout le com-
merce se fait au moyen de bateaux, depuis le petit canot jusqu'aux transatlantiques qui peuvent
remonter
l'Amazone pendant
plusieurs
jours. Par le traité signé avec la Bolivie, il y a trois ans, et qui donne le territoire de l'Acre au Brésil, ce dernier s'est engagé à consacrer £ 2000000 à la construction d'un chemin de fer destiné à mettre en communication les fleuves Mamoré et Madeira.
Ainsi la Bolivie, qui est un
pays central, aura un système de transports rapides avec l'Atlantique
SITUATION
ÉCONOMIQUE 1)U B I l É S I L
et en m ê m e temps la nouvelle ligne attirera vers le cours de l'Amazone le c o m m e r c e très considérable du caoutchouc qui doit venir de celle r é Sion'
, .
.
L e g o u v e r n e m e n t brésilien a déjà signé le contrat pour la construction de celte ligne à laquelle un grand avenir est certainement réservé. L e s Étals les m i e u x desservis par les lignes de chemins de fer s o n t : Minas (38/Ï2 kilomètres), Sâo P a u l o (3 789 kilomètres), Ilio de Janeiro (2 ¿87 kilomètres) et B a h i a (1 3 1 0 kilomètres). Les ports. — La navigation côtiére. C o m m e c o m p l é m e n t du réseau ferré, le g o u v e r n e m e n t brésilien s'est préoccupé d'assurer l'aménagement à la moderne des cinq grands ports du littoral q u i seront c o m m e les têtes de lignes de ce vaste système. Nous v o u l o n s parler des ports de Rio de Janeiro, B a h i a , P c r n a m b u c o , B e l e m du Para et Rio G r a n d e do S u l . Santa C r u z , où doit aboutir le futur transcontinental, sera outillé par la suite. L e s seuls ports qui actuellement soient dotés de toutes les ressources de la science h y d r a u l i q u e sont celui de Santos dans l'État de Sâo P a u l o et celui de Manaos dans l'Amazone ; mais on sait quelles transformations colossales se sont opérées à Rio. A Bahia,
les
travaux du port ont été inaugurés le 12 novembre
1906;
ils coûteront environ 3 3 7 1 2 contos-or; à Bclcin du Para, les divers travaux d'amélioration coûteront plus de 5 7 0 0 0 contos-or et ne seront terminés qu'en 1 9 1 3 ; vers la m ê m e époque le port de Rio Grande do S u l aura été transformé ainsi q u e celui de Victoria dans l'État d'Espirito Santo. T o u t e s ces entreprises sont organisées avec des capitaux europ é e n s . L e g o u v e r n e m e n t fédéral examine d'autre part, en ce m o m e n t , les m o y e n s d'exécuter également les travaux d'amélioration du port de P c r n a m b u c o , première escale des bateaux qui vont d ' E u r o p e en A m é rique et q u ' o n s'accorde à considérer c o m m e u n port, tête de ligne de grand avenir. L e s ports du Brésil sont en c o m m u n i c a t i o n constante grâce à un service de navigation côtièrc parfaitement organisé et qui les met aussi en relation avec les ports établis le l o n g des fleuves. C e service est principalement au p o u v o i r du L l o y d brésilien qui augmente constamment ses lignes et a d'ailleurs établi un service mensuel entre Rio et N e w - Y o r k . Il possède de n o m b r e u x steamers et est largement encouragé par le gouvernement.
I
oo
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
UllÉSIL
V Le commerce extérieur et la
navigation.
A Depuis l'année 1808, où prit fin le régime colonial et qui m a r q u e la date de l'inauguration de la liberté du c o m m e r c e , le c o m m e r c e extérieur du Brésil a suivi, tant à l'importation qu'à l'exportation, une progression constante. A u c o m m e n c e m e n t du siècle, il atteignait à peine annuellement i 5 o millions de francs : de 1854 à 1809, la m o y e n n e s'est élevée à 5 3 o millions ; à la fin de l'empire, 011 l'évaluait à 1 200 millions. O r , voici, en livres sterling, les résultats que donne p o u r les derniers exercices le c o m m e r c e extérieur du Brésil :
IMPORTATION
ANNÉES
i9°
5
EXCÉDENT
EXPORTATION
DB L'IXPORTATIOS
£ 4<> 6 3 1 q q 3
£ 19 244 7 3 3
3 6 ¿137 A Tili'
i 3 158 o38
3 ( 5 8 8 3 17:1
12 O 7 0 3 0 4
35 913 4a3
3<j /|3o i 3 6
13 .")I4 7 I 3
39 83o o5o
44 643 113
I48I3O63
5 3 o ô y /|8o
19 855 439
i9oC
Ainsi, on peut constater tout d'abord que le chiffre d'affaires traitées au Brésil augmente chaque année, et, d'autre part, que la balance c o m m e r ciale lui est constamment favorable. E n 1906, l'excédent des exportations est plus élevé que jamais et il est probable que les chiffres définitifs de 1907 témoigneront de résultats encore plus encourageants, une forte partie de la production du café en 1906 devant être reportée sur cette année ('). Depuis 1902, les exportations se sont constamment accrues et les i m ( ' ) La statistique officielle en effet donne en livres sterling les résultats suivants pour le I E R semestre de 1 9 0 7 , comparé au 1 ER semestre de 1906 : Importation —
du I e r semestre 1907 —
£ 18 9 9 9 697 43q 9 7 Ì
190O
Augmentation en 1907
£
Importation d'espèces métalliques : I e r semestre do 1907 — 1906 Augmentation en 1907
4 564 5aS 3 636 176 487 885
£
3 1Ì8 390
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
portations, relativement faibles en 1901 en raison de circonstances particulières, se sont, elles aussi, relevées graduellement. Cependant, de 1902. à 1905, l'élévation progressive du change n'a pas laissé de placer, les exportateurs brésiliens dans une situation assez difficile. La valeur en or des produits exportés était, en i g o 5 , par exemple, de £ 44 643 1 i 3 q u i , converties en papier-monnaie au change de 15 56/64 d . , donnaient la somme de 685 456 contos de reis; en 1904, la valeur en or de l'exportation des mêmes produits était de £ 3 g 4 3 o i 3 6 qui, en papier-monnaie au change de 12 I/32 d., donnaient 776 367 contos de reis. Ainsi, l'exportation de ig.o5, supérieure à celle de l'année précédente, donnait au producteur 9 0 9 1 1 contos de moins qu'en 1904, tandis que si celte somme avait été convertie en papier-monnaie au change de i g o 5 , elle aurait produit environ 200000 contos de plus ('). Par conséquent, au fur et à mesure que l'excellence du crédit général et de la prospérité du pays s'affirmait par la hausse du change, les producteurs, qui voyaient leur chiffre d'affaires s'augmenter, se trouvaient
néanmoins
placés dans une situation critique par le seul fait de la défectuosité du système monétaire. La stabilisation du change réalisée récemment pourra remédier dans une large mesure à ces inconvénients. Le tableau de la page suivante indique les quantités des marchandises expédiées à l'étranger en i q o S - i g o G . Exportation do marchandises : i " semestre do 1007
_
1906
A u g m e n t a t i o n en 1907 Total du C o m m e r c e international (non compris les espèces métalliques) : 1 " semestre de 1907 _ 1906 A u g m e n t a t i o n en 19(17
39
•
Ç17 7?"
ai 3ib 48J
£
8 101 2 i 5
, 5 3a 9 ^ A ' " i 5 8a4 36o
L'excédent de l'exportation sur l'importation pendant cette période atteint donc £ 10 7 1 8 2o3 alors qu'en 1906 il montait seulement à 7 091 5 l l , soit u n e plus-value de £
3626693.
(1) Cette anomalie s'explique aisément par le mécanisme du change. Le commerçant brésilien qui vend à l'étranger des produits est payé en or. O r , au Brésil, la seule monnaie courante, celle avec laquelle il acquitte tous ses frais de production, est le papier-monnaie. C e dernier est soumis à des fluctuations et le milreis, unité courante, qui normalement devrait valoir 27 pence (d) (le p e n n y , pluriel pence, est la pièce de monnaie anglaise valant o fr. 10) s'achètera tantôt 1 2 , tantôt i 3 , tantôt i 5 pence. Dès lors, si le change m o n t e , l'exportateur — qui touche touj o u r s de l'étranger u n e somme en or sensiblement la m ô m e pour le môme produit — oblige p o u r les besoins de la vie courante de se procurer des milreis, en obtiendra un n o m b r e moins grand avec la môme quantité de monnaie-or. Il perd donc à la hausse d u c h a n g e , alors que cette hausse! marque j u s t e m e n t le degré de confiance qu'inspire le crédit d u pays. O n voit do quelle importance est cette question du c h a n g e au Brésil ; nous y revenons d'ailleurs plus loin dans co chapitre.
I 52
co o o
s 5 S 3 •a
SITUAT10N
KCONOMIQUE
DU
BIlÉSIL
Ci Ci 0 IO Ci C.00 CI C-00 Ì1IÌC ÌILTOOS «vico V- r-co o - i—o — -i ci io O h cinv7!O ciOvtvo r - o - oo i-co - noMioigoomwm o i - o ovr ci ,o io l - e. - ci co o co O OO OO «M'O ci o co io
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t
SITUATION ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
Le café et le caoutchouc représentent à peu près 60 à 8o°/ 0 do la valeur des exportations. Ainsi, en i g o 5 , le café entrait en ligne de compte pour %>
el cn
' O 0 ^ pour 5o,85°/o- Nous verrons que depuis quelques
années une baisse très prononcée s'est manifestée sur les cafés, et que les Etats producteurs font tous leurs efforts pour y remédier. On constate d'ailleurs, à l'exportation, en 1906, une plus-value de 3 i/|5 1 3q sacs par rapport à i g o S , représentant une valeur de £ 6 191 202. Quant au caoutchouc, il représentait en i g o 5 environ 33 % de l'exportation totale. Les exportations ont légèrement baissé en 1906. Les marchandises importées ont suivi les proportions suivantes (1900): Tissus de coton t
8,00
%
Vins
6,a5
—
Machines, appareils, ustensiles cn fer
6,a5
—
0,76
—
V i a n d e sèche
M a n u f a c t u r e s n o n spécifiées c n fer et a c i e r .
.
.
.
5,75
—
Froment
¿1,75
—
Hic e n g r a i n
/| , 7 5
—
Houille
/t,5o
— —
Produits manufacturés de colon
3
Morue
a,5o
—
P a p i e r et ses a p p l i c a t i o n s
a,5o
—
Produits chimiques, produits pharmaceutiques, etc. .
a,5o
—
Riz
a
—
Pétrole
a
—
Produits manufacturés de laine
a
—
Rails et accessoires
1,75
—
Faïencerie, porcelaine, verres, cristaux
i,5o
—
P i e r r e s , t e r r e s , etc
i,5o
—
i,5o
—
P e a u x et cuirs
i,5o
—
Beurre
1,25
—
Bois
1,20
—
J u t e et chanvre
i,a5
—
A n i m a u x vivants et disséqués
1
—
C o t o n b r u t et
fil
\
.
Divers articles m a n u f a c t u r é s —
p o u r a l i m e n t a t i o n et f o u r r a g e s .
11,70 .
.
—
6,5o
—
Matières premières diverses
4,a5
—
Matériaux p o u r l'art et l'industrie
1
—
Si l'on compare ces résultats avec ceux fournis par exemple pour l'exercice 187/1-1875 et que l'on analyse la nature des divers articles de l'importation totale, on constate le fait suivant : la proportion des articles représentant des consommations non productives ou de jouissance
SITUATION ÉCONOMIQUE 1)U BIlÉSIL
а, en général, baissé, tandis que s'est élevée la proportion des m a r c h a n dises importées pour des consommations reproductives ou industrielles. C'est ainsi que l'importation de machines qui dans l'exercice
i874--5a
représenté 1,7 ' / „ d e la valeur de l'importation totale, s'est montée à б , 2 5 % en 1905 ; le charbon de terre s'est élevé de 3 , 3 à 4 , 5 o % ; l'acier et le fer ont augmenté dans la proportion de 3 , 3 à 0 , 7 5 % et le papier, carton, etc.^ dans celle de i , 3 % à 2 , 5 o % . A u contraire, d'une période à l'autre, l'importation de vins et de boissons alcooliques a baissé de 1 i , i % à 6 , 2 5 ° / o , e t quant aux parfumeries, une importation qui avait été de 2°/ 0 dans la première période s'est trouvée réduite, dans la deuxième période, à une proportion insignifiante (environ o , 3 % ) . En ce qui c o n cerne les articles d'alimentation,
les uns, tels que le xarque (viande
sèche), le beurre, les fromages cl le lait, présentent une proportion constamment décroissante dans les dernières années ; d'autres, c o m m e la morue et le blé, sont importés chaque fois sur une plus grande échelle. P o u r les tissus et les articles manufacturés de coton et de laine, la réduction a été plus considérable. D a n s l'exercice
1 8 7 4 - 7 5 , le coton et les
articles de coton manufacturés avaient été importés dans la proportion de 2 7 , 0 % ; en 1905, cette proportion n'a été que de 1 1 , 5 o % . Les articles de laine ont baissé de 6,6"/,, à 2 % .
C e s réductions sont dues
surtout au grand nombre de fabriques de tissus établies dans le pays pendant les 3o dernières années ( ' ) . Voici, d'autre part, les chiffres indiquant c o m m e n t s'établissent les relations- commerciales entre le Brésil et les principaux pays en 1906 :
Importations. Contos de reis Grande-Bretagne. Allemagne. Argentine. . . États-Unis. . . F r a n c e . . . . Portugal. . Uruguay. .
l33
57
210
46
0 0 0
3a 6 a 5 16
Belgique. . . . , . Italie Possessions anglaises Autriche-Hongrie. .
( ' ) D r V I E I R A S O U T O . — Notes A sur le commerce international, Brésil. Rio de Janeiro, 1907.
8 9 0
73 3 6 o 5a 6 o 5
6 8 0
11 3 4 o
16 liho i5 750 7 7'° la navigation
et les Jinances du
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
155
BKÉSIL
Exportations. États-Unis
280 5go
Grande-Bretagne
127 8 i 5
Allemagne
I4I
36o
France
9 8 7^0
Autriche-Hongrie
37 4 3 o
Argentine..'
29 o o 5
Belgique
16 645
Uruguay
12 5 ~ o
Hollande
27 880
Italie
7
fi53
Si l'on compare les résultats de l'année 1906 avec ceux des années précédentes, il est aisé de constater que les exportations du Brésil aux États-Unis, en Autriche-Hongrie, en Argentine et en Uruguay augmentent, tandis qu'elles sont en diminution en ce qui touche l'Angleterre, l'Allemagne, la France, la Hollande, la Belgique et le Portugal.
Les
États-Unis consomment plus de la moitié du caoutchouc brut et la moitié de la production mondiale du café : ils sont le grand acheteur du Brésil; en 190/i, on estimait à 1G873000 kilogrammes le caoutchouc brésilien et à 6 2 3 5 o o o sacs le café e n t r é s dans les ports de la grande République nord-américaine. Le café 11e paie aucun droit aux Etats-Unis et la consommation de cette denrée y augmente constamment, fournissant au Brésil un débouché considérable. L'importation du Brésil aux EtatsUnis dépasse d'ailleurs de beaucoup celle de tous les autres pays de l'Amérique du Sud. L'Angleterre occupe le premier rang à l'importation, mais l'Allemagne fait de grands progrès. Le quatrième rang qu'occupe l'Argentine est dû à ses importations de farines do blé et de blés en grains. Quant à la France, elle occupe le cinquième rang après avoir occupé le second, et la plusvalue de ses importations est loin de progresser annuellement dans la même proportion que celle de ses concurrents. Les principaux articles manufacturés importés sont les articles de coton, les produits chimiques et pharmaceutiques,
les soieries, les articles de laine, la parfumerie.
C'est en France que le Brésil achète le plus de livres imprimés, journaux, revues, musique, etc. E11 ce qui concerne les denrées alimentaires, nous sommes loin de tenir au Brésil la place que nous devrions y occuper. B A u moment où les États et l'Union se préoccupent de l'amélioration des ports du Brésil, il est intéressant de donner quelques chiffres permettant d'avoir une vue générale de leur trafic.
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
Voici d'abord, par nationalité, le nombre de navires entrés et sortis dans les ports durant les années 1904 et if)o5 : NOMBHE DE NAVIRES
TONNAGE
PAVILLONS
Iflofi F, N T Brésilien. . Anglais. . Allemand . Français. . Argentin. . Italien. . Norvégien. Autrichien. Divers . To
Français. . Argentin. . Italien . Norvégien. Autrichien. Divers .
190/1
i3o5a 1 833 762
4 089 5 4 4 3 06i 010
267 207
i 4 ] 189 363 3 o i
igo5
H E E S
l34Ô2 1793 f l
3^3
002 316 168
102 110
i4i
110 a99
3o6
17/107.
17 062
S O N
Brésilien. . Anglais. . Allemand .
1905
T 1 F.
5 107 3 o4o 1 803 831 io4 44a i3o 183 324
1 730375 839 530 110 507 18/1 2 3 1 6 3 88o
a
879 563
5i3 6a4 i34 170 264 971 491 ai5 8i3
13 9 3 7 19a
s
I3444 1790
i3o53
747
768 374 369 207 i5g .09
1833
391 3i4 165 136 395 17393
Te
5 io5 3 93s 1 871 831 io5 44o i32 181
4 584 5 4 i 3 660 990 1 729 616 839654 i3g 017 3 6 s 809 106 937
183678
302
361 7 5 7
17064
11 8 5 8 9 7 9
696 383 55o 378 099 079 610 397
3s6 3i 1 is 9263o2
On constate en i g o 5 une légère diminution dans le chiffre des navires entrés et sortis, mais en même temps une augmentation du tonnage. La proportion des importations, selon la valeur des marchandises, donne les résultats suivants pour les principaux ports: Rio, 3 9 , 1 7 5 % ; Santos, 1 7 , 1 5 3 % ;
9,466%;
Rio Grande do Sul,
6,587
%:
Para, 9,879 °/0; Bahia, 6 , 1 8 7
Pernambuco,
V.:
Amazonas,
4.269 % . Le nombre des navires battant pavillon français, qui avait augmenté légèrement en i g o 4 , a diminué en 1905, mais le tonnage est cependant plus fort que celui de l'année précédente. II est incontestable, d'ailleurs, que les quelques progrès réalisés depuis cinq ou six ans par notre marine marchande dans ses relations avec le Brésil sont très lents.
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
Quelques-unes des Compagnies de navigation étrangères ont amélioré Sud: iiooo
considérablement entre autres, tonnes
compagnie
leurs
la Royal
chacun,
allemande
navires des Mail q u i a
aménagés Hamburg
lignes de l'Amérique des
du
bateaux de 10000 à
avec
le plus
Ameriha
Unie
grand
confort.
cl quelques
La
compa-
gnies italiennes ont fait de même cl on ne peul que souhaiter de voir notre
Compagnie
certes confortables
îles
Messageries
mais
un
maritimes
peu
dont
les
anciens, suivre
navires sont
un tel
exemple
et se mettre ainsi en mesure de lutter contre ses puissants
concur-
rents. Le mouvement par p o r t , en ne s'occupant que des navires étrangers, a été le suivant en i<)o5 : SORTIES
ENTRÉES
NOMBRE
NOMBRE DE
151
357 Maranliâo
Florianopolis
Rio Grande do S
87 30 Al Aa Aao 80 3 AGa Ao i if>8 Gaa i 83 G» i
217 63A 10a r>7
155
4Q7 a 68 58c) 267
36o
r>8 693 80 7 0 5 ()00 0 0 0 Ì68A0' 178A 1 101 1 7 3 101 8 1 7 2 6 a 3 gAa i Aao()83 ÀAA 85 973 5 i 97G 3i3 67 Ao5 1 1 1 801 G a65 5 7ÖA i 765 a 1A0 a 3AA
NAVIRES
1
89 36 Ao A2 A16 85 3 A66 A8 1A9 Gaa 1
85
aa61G0 G38 8 6 5 i o 3 2A6 57 267 f>9 5 a 5 80 7 0 5 89A615 i63 926 i 78A i 10A88A 101 AAa 2 6 1 2 823 i A 1 7 63() AAA 87 83o 5i 876 3i3 G7 A o 5 117728
88a7 5AG3
GG 1 3A i38 iG A3 16 8 16 AA 3a
A 010
7819683
A 011
7 8 2 0 602
3 ç)o5
7283019
3gA8
7 37A A38
3A i33 •7 A3 16
Q
Porto Murlinho
DE
NAVIRES
iG A3 3a
>'999
575A 1 765 1868 2 3AA 8g3a 5 A63
SITUATION
ÉCONOMIQUE
IM
BllÉSlL
P o u r l'ensemble des ports, les chiffres se référant à 1906, non encore définitifs, indiquent une activité croissante.
VI Les Finances. L ' i n s t r u m e n t presque exclusif des échanges au Brésil est le papierm o n n a i e . O r , c'est une opinion assez répandue que la substitution
du
papier aux métaux précieux pour remplir celte fonction est, en soi, un expédient incompatible avec la prospérité du pays qui l'emploie. C e p e n d a n t la pièce de monnaie est-elle autre chose q u ' u n bon permettant au porteur de se faire délivrer une certaine quantité de richesses? P o u r q u o i , dès lors, ce rôle si simple 11e serait-il pas j o u é aussi bien par un morceau de papier? Suivant l'opinion de M . C h a r l e s Gide, le papier, émis dans des conditions déterminées par toutes les nations, est la m o n naie de l'avenir. C e qui est vrai, cependant, c'est que l'usage du papiermonnaie par quelques pays, alors que tous les autres continuent à se , servir d'or ou d'argent, demande u n e grande circonspection, et en p a r ticulier le législateur imprudent qui en émet une quantité exagérée s'expose à p r o v o q u e r très vite une dépréciation, préjudiciable surtout dans les rapports du pays émetteur avec les nations étrangères où le papiermonnaie national ne saurait avoir cours. D a n s les pays neufs qui tout à coup prennent leur essor, où subitement les relations avec l'étranger deviennent plus actives, et q u i , n'ayant pas de stock monétaire constitué, se trouvent m a n q u e r de l'agent intermédiaire indispensable aux échanges, l'emploi du papier-monnaie apparaît nécessaire. O r , c'est exactement ce qui se produisit pour le Brésil au m o m e n t où fut proclamée la liberté du c o m m e r c e avec l'étranger. E n 1808, une banque fut autorisée à émettre des billets qui circulèrent à côté de la monnaie métallique existante ; mais, par la suite, les émissions se multiplièrent et le papier-monnaie au bout de quelques années devint, en fait, le seul adopté pour les échanges à l'intérieur. Il a d'ailleurs cours forcé. L'étalon
monétaire est le milreis, dont la valeur nominale est de
2 fr. 83 ou 27 pence. A i n s i que son n o m l'indique, il équivaut à 1 000 reis, le réal ( p l u r i e l , reis) étant l'unité monétaire. Un conto de reis (:) vaut 1 million de reis. Mais il s'en faut de beaucoup que la valeur réelle du milreis-papier corresponde à un taux aussi élevé. Le change de ce
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
dernier est aujourd'hui à i ô , c'est-à-dire qu'un milreis s'échange contre i 5 pence, et l'on dit que le change est à
i 5 , 16, suivant le nombre
de pence représenté à un j o u r donné par le milreis. Les causes do cette dépréciation de la monnaie brésilienne sont bien connues. La limite des émissions de papier-monnaie pour 1111 pays est en efiet exactement marquée par la quantité de monnaie métallique habituellement en circulation ; aussitôt cette limite franchie, le papier perd sa valeur nominale. O r , on conçoit combien, pratiquement, ce pur principe d'économie politique est difficile à suivre. Le Brésil a eu besoin à certains moments de disponibilités abondantes; il a traversé des crises, il a soutenu des guerres; comment 11'eût-il pas cédé à la tentation des émissions trop considérables? A certaines époques d'ailleurs, dans les périodes d'activité commerciale exceptionnelle, les gouvernants ont pu légitimcm e n t c r o i r e à l a nécessité d'accroître l'instrument des échanges, et cette période passée, le papier-monnaie s'est trouvé en quantité surabondantc('). Celte surabondance est indéniable. Dès lors, qu'est-il arrivé? C'est que, suivant la loi constante des valeurs, le papier a été déprécié et l'or et l'argent qui, eux, ont conservé partout leur ancienne valeur, ont fait p r i m e ; comme l'étranger les acceptait seuls en paiement des dettes publiques ou privées, ils ont de plus en plus quitté le pays, et cette raréfaction même a eu enfin pour résultat de rendre plus chers en papier les métaux précieux et les créances pour l'étranger, le plus souvent payables en or. Ainsi, de plus en plus, la valeur réelle du milreis-papicr s'est éloignée de sa valeur normale, c'est-à-dire du pair. Ce mouvement de baisse est, d'ailleurs, loin d'avoir été régulier. En 1889, le Brésil connaissait le change au-dessus du pair, mais la de Bourse connue sous le nom d'encilhamenlo,
fièvre
et qui coïncida avec les
deux premières années de la République, compromettant si gravement les finances brésiliennes, amena un effondrement du change, qui tomba jusqu'à 5 pence 3/4Mais le Brésil n'a pas cessé de faire des efforts pour en relever le taux, et pour cela il s'est attaqué à la cause même de la crise en détruisant pro( ' ) Il serait trop l o n g , et d'ailleurs inutile, de retracer les circonstances q u i , aux différentes époques, provoquèrent les émissions de papier-monnaie. Le promoteur fut D . Joâo qui, ayant créé la Banco do Brazil, fut a m e n é à autoriser des émissions de billets exagérées, destinées à procurer des ressources au g o u v e r n e m e n t . En 1 8 2 1 , la B a n q u e , par permission du gouvernem e n t , suspendit le paiement en or de ses billets promissolres : de cette époque dale l'origine du papier-monnaie.
i Go
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
lîRÉSII,
gressivement le papier-monnaie au fur et à mesure qu'il rentrait dans les caisses publiques ( ' ) . Remède héroïque assurément, mais qui a eu p o u r résultat une hausse constante du change. Ainsi, il y avait en circulation au 3 i août 1898, avant la présidence de M . C a m p o s Salles, une quantité de papier-monnaie équivalente à 788 36/j G1/1S; en 1 9 0 1 , à la suite des incinérations successives,
com-
mencées par le Président, le papier-monnaie était réduit à G80 !\h \ o 5 8 $. O r , voici, depuis cette époque, les quantités en circulation au 3 i décembre des années considérées, et voici, en regard, les taux m o y e n s du change pendant ces m ê m e s années.
ANNÉES
19 0 1 I9° 2 '9O3 «9 o/ i
iqoG
REIS
451 o58 S 0 0 0 675 530 78/1 0 0 0 G7/1 9 G 8 9/12 0 0 0 673 739 9 0 8 0 0 0 G69 ^92 G08 7.50 GG834701/Í 25o G80
TAUX MOYEN DU
CI1AHCF.
(PENCE)
i 3/8 11 3 I/32
I
12
»
7/32 15 5G/G4 iG 3/G/, 12
D è s lors, on voit q u ' a u fur et à mesure que diminuait la masse de papier inconvertible, le change a constamment monté. En 190O, avant la Caisse de conversion, il a dépassé 17 pence. U n e série d'autres mesures furent d'ailleurs prises p o u r faciliter la hausse. L e Brésil, notamment, imposa l'obligation pour les importateurs d'acquitter en or les droits dédouane dans une proportion qui fut d'abord de 25 °/ 0 , puis fut élevée ensuite à 3 5 et à 5 o °/0. P a r ce m o y e n , le g o u vernement maintenait dans une large mesure son indépendance à l'égard du change étranger et pouvait effectuer en or, sans avoir à perdre au change, le paiement des dettes contractées à l'extérieur. C o m m e d'autre part, depuis plusieurs années, la balance du c o m m e r c e s'affirmait de plus en plus favorable au Brésil par suite de l'accroissement constant des exportations, on espérait, par toutes ces mesures, arriver au bout de quelques années à élever le taux du change j u s q u ' a u pair de 27 et à forcer la monnaie métallique à rentrer dans le pays au m o y e n d ' u n
papier-
m o n n a i e convertible. ( ' ) La loi d u 21 j u i n 1 8 9 9 a créé dans ce b u t le fonds de rachat de papier-monnaie q u i , à la fin de i g o G , avait produit la sommo de 2 0 7 1 8 343 S 3 i g .
SITUATION"
ÉCONOMIQUE
DU
iGl
1JRÉSIL
Celle politique était sage c l prudente assurément mais ne laissait pas d'avoir des inconvénients assez sérieux pour les producteurs brésiliens, surtout les planteurs de café et les commerçants. T o u t d'abord, signalons un antagonisme forcé qui se produisait entre le gouvernement, dont le but était le relèvement du crédit public par la hausse du change, et les producteurs. Le premier, en ellet, constamment débiteur de l'étranger, payait d'autant moins cher la monnaie d'or destinée à servir à ses paiements que le change était plus élevé ; les seconds, au contraire, acquittant en milrcis-papior leurs achats et les obligations contractées à l'intérieur, avaient un intérêt contraire, puisque, avec l'or provenant de leurs ventes à 1 étranger, ils se procuraient une quantité d'autant plus considérable de papier-monnaie
que le cours du change
était plus bas. Les producteurs devaient donc être 1res attentifs à surveiller l'élévation du taux de la monnaie, afin de pouvoir, au fur et à mesure que le change montait, diminuer leurs frais de production. Mais alors naissaient les difficultés de la pratique : réduire ces frais, c'était réduire les salaires, principal l'acteur de la production, et provoquer des plaintes et des récriminations; et d'ailleurs il y a certaines dépenses que le producteur ne fixe pas, les transports cl les frets par exemple: ainsi peu à peu, il était menacé de voir progressivement diminuer ses bénéfices. L'importateur, de son côté, se trouvait lui aussi manquer de base pour établir son prix de revient, puisque, suivant l'époque de ses paiements, la livre sterling ou le franc lui coûtaient plus ou moins cher. Il était donc obligé dans ses calculs de tenir compte de cet élément variable, et s'il se trompait parfois à son avantage, il pouvait arriver aussi que, par suite de hausse subite, il se trouvât en perte. En outre, il courait le risque, s'il avait amassé des stocks dans ses entrepôts et que le change vînt à baisser, de voir ses concurrents moins abondamment approvisionnés faire venir des marchandises à meilleur compte, simplement parce que la valeur de l'or avait diminué, et lui infliger des perles considérables, en l'obligeant à les accompagner dans les nouveaux prix qu'un mouvement de change accidentel leur avait permis d'établir. 11 est vrai que les commerçants avaient des compensations, car malgré 1 élévation constante de la valeur de la monnaie, le coût des articles importés de l'étranger était loin de baisser dans la même proportion, de sorte que la hausse du change ne profilait pas au consommateur, mais bien aux intermédiaires qui, en quelques années, ont v u leurs bénéfices augmenter de 20 à 20 % . IIENRI
TUROT.
II
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
Enfin, on se plaignait des spéculations des financiers qui par leurs manœuvres jetaient continuellement le trouble sur le marché brésilien. Ces fâcheux résultats de l'instabilité du change ont provoqué l'année dernière, et après des discussions passionnées, l'adoption d'une mesure d'une importance fluctuations
considérable
ayant
pour
but
de
supprimer
du change en fixant définitivement celui-ci à i 5
les
pence.
La réforme a été réalisée par une loi en date du G décembre 1906, qui a créé la « Caisse de Conversion ». Celte caisse est spécialement destinée à recevoir des monnaies d'or nationales et des livres sterling, francs, marks, lires, dollars, en échange de billets au porteur représentant une v a l e u r
équivalente au change de i 5 pence par milrcis. Ces billets ont
cours légal et sont remboursés en or sur présentation à la caisse. Ainsi, il existe dès maintenant au Brésil une monnaie de papier à valeur fixe toujours convertible en livres sterling, francs, lires, quel que soil le cours du change ; elle constilue, pour ainsi dire, une
monnaie
extérieure, qui va suffire à régler sur une base fixe les achats et les ventes du Brésil. Sans doute, la quantité de billets émis par la Caisse ne représente qu'une assez faible partie de la monnaie nécessaire aux échanges, mais elle permet, dès maintenant, aux exportateurs et aux importateurs (le calculer à coup sûr leur coût de production ou leur prix de revient. Nous l'avons dit, cette création de la Caisse de Conversion a été demandée et combattue avec une égale passion. Exposer les arguments pour et contre nous entraînerait trop loin. Elle présente certainement des avantages considérables au point de vue du commerce. A u surplus,
comme le disait le rapporteur à la
Chambre brésilienne, en admettant que le mécanisme monétaire proposé ne réponde pas aux espérances, on ne voit pas en quoi l'institution de la Caisse de Conversion aurait rendu plus mauvaise la situation économique et
financière.
L'or de la Caisse disparaîtrait, soit, mais les
billets-or seraient rentrés par le fait même dans ladite Caisse et l'on resterait comme
auparavant avec le papier convertible tel qu'il existe aujourd'hui.
Remarquons,
d'ailleurs, qu'à côté de ce papier convertible, le papier
inconvertible continue à circuler. Mais, par la force des choses, le taux de change de ce dernier tend à s'identifier avec celui admis par la Caisse de Conversion. Il est vrai que le change baissant au-dessous de i 5 , on pourrait craindre que tous les porteurs de la Caisse 11e se présentassent pour retirer de l'or et acheter le papier à bon compte ; aussi le gouvernement a-t-il à sa disposition un fonds de 3 millions de livres sterling lui permettant d'obvier à cet inconvénient.
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
La loi nouvelle, d'ailleurs, a limité le montant de l'encaisse à 320000 contos correspondant à 20 millions de livres sterling, et prévu expressément q u e , cette limite atteinte, le taux de i 5 pence pourrait être élevé par une loi du C o n g r è s national. Ainsi, on a rendu possible l'élévation du change et ménagé la faculté de le rapprocher du pair légal par étapes successives. La balance de la Caisse accuse le m o u v e m e n t suivant :
MOIS
ENTREES EN £
SORTIES EN £
190G D é c e m b r e .
2 335
a 19— 12—O
5o08—
1907 Janvier.
i 594572 — ia — 0
a5863-
7 - 6
434o5—
3— 9
0 — 0 a 3 3 o i 5 i — 12 — 0
1907 Février.
.
08a 0 7 7 — i 5 — 0
1907 Mars.
.
817935—
0— 0
115347-11-3
5429795—
0— 0
189G84 -
.
TOTAL
SOLDE EN £
2 - 0
1508 7 0 9 —
5 —0
SOLDE F.N
PAPIER
37282 : 4 2 6 s 25099 : 3 4 8 S
G38G72-11-3
10218:71O S
702577-
8 - 9
II24T : 2 3 g S
5 a 4 o u o — 17 — 6
83 841 : 7 7 4 s
A u mois d'août 1907, le solde en or se montait à la s o m m e de £ G 1G0: 7^/1 correspondant à 9 8 5 7 1 : 9 0 / 1 3 en billets émis par la Caisse. Parmi finances
les autres
mesures
destinées à rétablir
définitivement
les
du Brésil, il y a lieu de mentionner les opérations de rachat des
chemins de fer qui jouissaient de la garantie d'intérêts accordée par l'Etat. La responsabilité de la nation p o u r ces garanties s'élevait déjà, en
1 8 8 7 , à près de 1 7 0 0 0 0 contos de reis. C e rachat
s'est effectué,
en 1 9 0 1 , au m o y e n de l'émission à Londres de litres spéciaux à /1 % (rescision
ionils).
La valeur totale des titres ainsi émis j u s q u ' e n
1906
s'est montée à £ iG G09 32o, mais c o m m e il en a été amorti, depuis 1903, pour £ 1 022 800, leur capital nominal en circulation se trouvait réduit, au mois de janvier 1907, à la somme de £ i 5 28G/1/10. L'amortissement se fait, par l'application des produits de l'affermage des c h e m i n s rachetés, plus la différence entre l'intérêt qui était garanti et celui qui est payé, aux rescision bonds.
-
Situation budgétaire. — La Dette. »u L e budget du Brésil, recettes et dépenses, est divisé en deux parties, suivant la nature des ressources. Il y a u n budget-or et un budget-papier. L e budget-or est alimenté par la partie des droits d'importation perçue en or.
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
Le budget pour l'année 1907, publié au Journal
Officiel de Rio, le
1 " janvier, s'établit ainsi en conlos :
RECETTES ET
DÉPENSES GÉNÉRALES ON
L'APIEIT
Recettes
69 5 7 5
aa8355
Dépenses
38 3o3
29/1 GGo
Excédent or
31272
Déficit papier
GG 3 o 5
RECETTES
ET
contos —
DÉPENSES AVEC AFFECTATION
SPÉCIALE on
PAPiEn
Recettes
i 3 ijai
18992
Dépenses
13921
20818
Equilibre or. Déficit papier
1 826
conlos
Au total, le déficit en papier esl de 68 131 conlos cl l'excédent or est de 31 272 conlos. La comparaison de la recette cl de la dépense du Brésil implique 1111 déficit qui vraisemblablement 11e se produira pas, car les premiers mois de 1907 ont révélé une augmentation énorme des recetles par rapport aux prévisions, augmentation correspondant au remarquable accroissement du commerce international. La recette publique du premier trimestre de 1907 a présenté en clTct, sur celle de la môme période de l'année précédente, l'augmentation de 23 1 /|/j : 702 S 5 1 0 dont 7 GC9: 821 S en or et i 5 /17/1: 881 S 5 1 0 en papiermonnaie. Soit un total de £ 1 833 226. Les détails des divers articles du budget montrent lout d'abord que c'est principalement de l'impôt indirect que l'Etat tire ses ressources; dans un pays aussi vaste et où la population esl encore éparse, les impôts directs seraient, en effet, d'un recouvrement difficile et d'un faible produit. Les droits de douane —
comprenant, outre les droits d'entrée proprement
dits, une taxe d'expédition des articles libres de droits, les taxes pour l'entretien des ports, magasinages et statistique, les impôts d'entrée, sortie el stationnement des navires et quelques autres petites taxes — fournissent à peu près la moitié des recetles sans affectation spéciale; il
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
l65
BRÉSIL
faut y ajouter le produit des droits de consommation sur les tabacs,
les
allumettes, le sel, les chaussures, les bougies, la parfumerie, les tissus, les conserves, e t c . . . , puis les « recettes intérieures » (chemins de fer, posteset télégraphes, biens nationaux, timbre, retenues sur les émoluments des fonctionnaires, etc...), et enfin certaines recettes extraordinaires. Quant aux dépenses,
elles se répartissent ainsi qu'il suit entre les six
ministères :
CONTOS ON
Intérieur et justice
11
CONTOS
PAPIER
3i 38o
Affaires étrangères
1
902
Marine
1
3o5
35 025
100
58 893
Guerre I n d u s t r i e et t r a v a u x p u b l i c s
(¡'est aux
486
43 443
82 2 1 4 10O 4 8 0
r>2 2 2 5
3 i 5 478
C4i4
Finances
1
ministères de l'Industrie et des travaux
publics et des
Finances qu'est attribuée la plus forte partie des dépenses. Tandis, en effet, que le premier a la lourde charge d'améliorer l'outillage national par des entreprises considérables destinées à favoriser l'essor industriel et agricole du pays, c'est au second qu'incombe le soin de faire toutes les opérations nécessaires pour faire face au service de la dette publique. On calcule que le chiffre total de cette dernière (i 6 G 6 2 1 0 représente i/j,iA
ou
i o 5 fr.
par tète
d'habitant,
proportion fort inférieure à celle de la plupart des
conlos)
c'est-à-dire
une
nations les plus
avancées. Elle
comprend tout d'abord
la dette intérieure papier montant
à
087 929 conlos et la dette intérieure or représentée par les charges de l'emprunt de 1879 à !\ 1/2 °/„ (20 5/j8 conlos). A u 3 i décembre 190(1, à la suite du rachat de 6 000 litres à 6 "/„ de l'emprunt de 1897, la dette intérieure totale qui était de 5 5 8 0 7 7 au 3 i décembre 1900 était réduite à 552 /17O conlos. Le lolal de la dette flottante, d'autre part, représentée par les dépôts des Caisses d'épargne, des Monts de Piété, etc..., est de 22 A 322
COIltOS.
Suivant les données fournies par le dernier rapport annuel du ministre '
166
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
BRÉSIL
des Finances, ladellc extérieure consolidée de l'Union Fédérale était, au 3 i décembre 1900, de £ 6 9 9 6 1 ^77, comportant les emprunts suivants :
£ i883 à / ( i / a %
3267000
«888 à 4 1 / 2 %
4 823 3oo
1889 à 4 1 / 2 % .
18388200
i 8 g 3 à 5 °/„
3 388 100
1895 à 5 %
7 3 3 1 600
1898.15%
8613717
1901a 4 %
i 5 649 5 6 o
1903 à 5 %
5 000 0 0 0
igo5 à 5 %
3 000 0 0 0 ('9
9<ji 4 7 7 ( ' )
Les trois premiers emprunts furent contractés par l'Empire et les six autres par la République : celui de 1893, afin de régulariser la situation du chemin de fer Ouest de Minas; ceux de 1895 et 1898, pour la solution d'engagements de l ' U n i o n ; celui de 1901, connu sous le nom de Rescision bonds, pour le rachat des chemins de fer au capital desquels l'Etat payait la garantie d'intérêts; et enfin, ceux de 1903 et i g o 5
pour la
construction des travaux du port cl de la ville de Rio de Janeiro. Une mention spéciale doit être faite à l'emprunt dil Funding-loan, raison des circonstances dans lesquelles il fut émis eu
1898. A
en celle
époque, en effet, à la suite du trouble porté dans les affaires par la crise fameuse qui suivit la proclamation de la République et de l'énormilé du déficit qui en était résulté, il fut procédé, à l'instigation du
président
Campos Salles, à une grave opération destinée à permettre au d'améliorer ses finances. Par l'arrangement du Funding,
Brésil
la République
suspendait pour trois ans, à partir du 1 " juillet 1898, l'intérêt d e l à dette extérieure payable en or, du !\ 1/2 %
1879 intérieur-or et des garanties
des chemins de fer payables en or. L'amortissement de ces divers emprunts devait être repris seulement en 191 1 cl en échange des coupons d'intérêts non payés il était délivré des titres Funding-honds rapportant 5 °/„ en or d'intérêt annuel et garantis par des recettes de la douane de Rio et des autres ports de l'Union. Le F u n d i n g a depuis longtemps franchi le pair et, [grâce à l'arrangement pris, le Brésil, débarrassé pour un
temps
de ses paiements en espèces, a pu entreprendre un programme fécond de réformes financières. A l'heure actuelle, le service de la dette fonc( ' ) A u i c r janvier 1907, la dette extérieure consolidée se trouvait réduite à £ 69 608 357-9-9.
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DU
167
BRÉSIL
lionne avec la plus grande régularité el il est certain que les amortissements prévus p o u r 1 9 1 1 s'effectueront avec facilité. A côté de la dette de l ' U n i o n , il faut signaler les dettes particulières des Etais. D'après le dernier rapport du Ministre des Finances, dont les données sont antérieures au 31 décembre
190"), la dette extérieure des
Etats était de £ 9 435 3 2 3 , et les dettes intérieures consolidées et
flot-
tantes montaient à 169 448 : g38 S 438. Les seuls États qui ont des dettes à l'extérieur sont :
£ Amazonas
7883/io-o-o
Para
1 ¿1Ô0000
Bahia
S81G11
Espirito Sanlo
889029
Sâo Paulo
2 (>09 9 0 0
Parana
800000
Minas Geracs
D e p u i s celte
*
»
2 0GG443
époque, Sâo P a u l o a fait u n e m p r u n t de £'3 000 000
pour la Valorisation
du cafc.
D e plus en plus, d'ailleurs, les fonds brésiliens tendent en raison de leur rendement, à prendre dans le portefeuille une place considérable. T o u s les titres de la dette extérieure à 5 %
ont atteint ou dépassé le pair,
en 1906, sur le marché de L o n d r e s . D a n s la m ê m e année, la cote des titres d u F u n d i n g a oscillé entre 102 el 106 °/„. A l'intérieur, les apolices générales (titres de rente de l ' U n i o n ) à 5 % , de la valeur nominale de 1 : 000 S, ont élé cotées dans la même période entre 980 S et 1 : o4 1 S, cl celles de l ' e m p r u n t de 1906 portant m ê m e intérêt et d'égale valeur entre 980 S et 1 : 027 8 000. C'est donc à juste titre que le ministre des Finances pouvait parler, dans son dernier rapport, des conditions flatteuses dans lesquelles les importantes opérations de crédit de ces dernières années avaient p u se réaliser, favorisant le développement des entreprises de navigation, des chemins de fer, du c o m m e r c e et des industries el permettant aux Étals la régularisation de leur vie propre el l'amélioration de leurs services. Banques. — Compagnies d'assurances. L e Brésil est assez mal servi en institutions de crédit et le besoin d'établissements de crédit agricole se fait surtout vivement sentir. La plus ancienne banque, la B a n c o do Brazil, a passé par des phases diverses depuis les émissions de p a p i e r - m o n n a i e ; l'année dernière clic a
SITUATION
ÉCONOMIQUE
1)U
BIlÉSIL
été refondue avec le concours du gouvernement qui devint possesseur du tiers de son capital. Elle est administrée par 1111 président et un directeur du change n o m m é s par le gouvernement et trois directeurs élus par les actionnaires. Ses traditions et la collaboration du
gouvernement lui
donnent incontestablement la première place entre les établissements similaires du Brésil. Il existe en outre, à Bio de Janeiro, d'anciennes banques de dépôt et escompte administrées par des Brésiliens et des Portugais, notamment là Banco C o m m e r c i a l et la Banco do C o m m e r c i o . A côté de ces établissements principaux, fonctionnent à Rio, avec filiales au Para, Pernambueo, Bahia, Sâo P a u l o , Saulos cl Ilio Grande do Sul, trois banques anglaises et une allemande. Il y a dans toutes ccs villes, c o m m e aussi en beaucoup d'autres du Brésil, des banques brésiliennes et de petites banques italiennes. A Sâo P a u l o , les Italiens ont une banque d'une certaine importance. A Rio et à Sâo P a u l o une banque belge prèle sur hypothèques rurales et urbaines. En
dehors
des banques connues, diverses maisons
commerciales
exploitent des affaires de b a n q u e ; parmi ces dernières une maison allemande, fort ancienne, et dont le siège est à H a m b o u r g , est considérée c o m m e la première de l'Amérique du S u d . Les banques nationales cl étrangères qui fonctionnent à Rio ont un capital nominal de 1 3 8 7 9 9 0 2 2 S 000, 100 1 5 5 602 S 000 déjà versés et 38 623 /j20 S à verser. A u 3 i décembre 1 g o 5 il y avait au Brésil 31} Compagnies d'assurances
nationales
maritimes et terrestres cl i 3 Compagnies étrangères. Le
capital réel des Compagnies nationales se montait à a o 3 3 i 455 S 000 cl la réserve à 9 1 G 8 7 5 5 milreis; les étrangères avaient un capital de 200000 S réalisé au Brésil. Elles ont leurs sièges : 16 à Ilio, 7 au Para, 2 au Maranhâo, !\ à Pernambueo, 2 à Bahia, 5 au Bio Grande do Sul, 7 en Angleterre, 1 en France et 5 en A l l e m a g n e . La somme des valeurs assurées atteignait 2 7 3 8 6 3 3 : 960 S et les prix reçus I/|359 566 S 6 7 2 . La répartition était la suivante : Assurés aux Compagnies nationales : 2252 354 527 $ 000 ; aux étrangères
:
476 279/|33
milreis.
—
Prix
reçus : par
12 2 7 4 8 8 9 S 000; par les étrangères, 2 o8466'4 S 000.
les
nationales,
,
CHAPITRE
LES
RELATIONS
VII
FRANCO-BRÉSILIENNES
L'influence morale île la France au B r é s i l . — Sympathies hautement e x p r i m é e s . — Manifestations cordiales. — La réception faite à M. D o u m e r . — Effacement commercial. — Effort à accomplir. — Les erreurs de M. Moline. — Situation à prendre. — La question des tarifs. — Insuffisance du personnel consulaire.
L'influence française au Brésil est tout à lit fois considérable et insuffisante : j e voudrais aussi clairement que possible montrer en quoi elle s'affirme et comment elle pourrait être grandie. Je ne saurais mieux faire pour poser la question que citer presque en entier un article paru dans un grand journal de Rio, la
A'O/ÎCΫ,
à propos
des réceptions qui me furent offertes par la municipalité et dont j e dirai plus loin quelques mots. Cet article résume, on ne peut mieux, les raisons des sympathies qui nous viennent, les causes de l'eflaccmenl économique où nous tombons chaque jour davantage ; en voici les passages principaux : M. Henri
T u r o t profitera, nous
en s o m m e s certains,
du
temps q u e
lui
laissent
les l é g i t i m e s et t l a t t e u s e s d é m o n s t r a t i o n s d e s y m p a t h i e q u ' i l r e ç o i t , p o u r é t u d i e r les intérêts français dans cette partie d u
monde.
M . T u r o t a p u v o i r c o m b i e n s i n c è r o est l ' a f f e c t i o n q u e n o u s a v o n s p o u r s o n p a y s . Il a p u v o i r c o m b i e n est r é p a n d u constater c o m b i e n nos y e u x sont
grand
l ' u s a g e d e la b e l l e l a n g u e f r a n ç a i s e . I l a
pu
t o u r n é s s a n s cesse v e r s P a r i s ; il n ' e s t p a s r a r e , e n
e f f e t , d e r e n c o n t r e r p a r m i n o u s d e s h o m m e s q u i c o n n a i s s e n t la g r a n d e c i t é , à la s u i t e d e v o y a g e s r é p é t é s . 11 a p u se r e n d r e c o m p t e q u e n o u s c o n n a i s s o n s sa p o l i t i q u e , littérature,
sa
ses h a b i t a n t s e t ce q u i l ' i n t é r e s s e , b e a u c o u p m i e u x q u e ce q u i t o u c h e les
a u t r e s p a y s a v o i s i n a n t la F r a n c e . Il a v u , e n s o m m e , q u e n o u s v i v o n s d e sa v i e i n t e l l e c t u e l l e et q u e , j u s q u ' à p r é s e n t
—
—
date
nous fêtons officiellement
la
l e fait est u n i q u e d a n s t o u s les p a y s d u du
monde
\[\ j u i l l e t , q u i t i e n t t a n t a u c œ u r d e t o u t
Français. A p r è s s ' ê t r e r e n d u c o m p t e d e t o u t ce q u i p r é c è d e , n o t r e h ô t e si s y m p a t h i q u e a p u voir, en outre, en
s'informant ou
gressive la d i m i n u t i o n de
e n c o n s u l t a n t les s t a t i s t i q u e s ,
nos relations commerciales avec
la
c o m b i e n est p r o -
F r a n c e , et c o m b i e n le
LES
RELATIONS
FRANCO-BRÉSILIENNESI7I
f r a n ç a i s à R i o d e J a n e i r o d é c l i n e , s a u f t o u t e f o i s e n ce q u i
t o u c h e l'article « chic »,
d o n t le m o n o p o l e est t o u j o u r s p a r i s i e n . L e s a n c i e n n e s m a i s o n s f r a n ç a i s e s o n t d i s p a r u , conservant tout au plus leur ancienne dénomination primitive.
Les grandes maisons
d'importation d i m i n u e n t d'importance d'année en année. Des établissements considér a b l e s q u i , j u s q u ' à p r é s e n t , j o u i s s a i e n t s u r le m a r c h é d ' u n c r é d i t d e p r e m i e r o r d r e , o n t cessé d ' e x i s t e r ;
une banque
éphémère; une banque ayant
française a
disparu, après avoir eu
une administration
n a t i o n a l e et
une
constituée
existence avec
des
c a p i t a u x f r a n ç a i s , a réussi t o u t a u p l u s à g a g n e r d e q u o i c o u v r i r ses f r a i s g é n é r a u x . Des
anciennes
maisons,
nous
ne
voulons
pas
citer afin d e ne pas
commettre
d ' o m i s s i o n s les t r o p r a r e s s u r v i v a n t e s d o n t les n o m s c o n s t i t u e n t u n e m a r q u e d e b o n g o û t , de b o n n e qualité, de perfection q u a n t aux articles
mis en vente.
Au
moment
o ù nous nous trouvons dans u n e période de t r a n s f o r m a t i o n , à u n e é p o q u e d e g r a n d s achats à l'extérieur, on
n e v o i t q u e d e très r a r e s a r t i c l e s d ' o r i g i n e f r a n ç a i s e d a n s la
quantité é n o r m e de matériaux importés. K l nous
ne saurions
dire avec quel
regret
n o u s s i g n a l o n s cet étal de choses. L e s
sympathies q u e nous nourrissons pour l'activité française nous font regretter qu'il n'y a i t pas e n t r e le B r é s i l et la F r a n c e d e
plus actives relations d'affaires. Des
hommes
compétents c o m m e M . T u r o t o n t p o u r devoir de c o n t r i b u e r à mettre u n t e r m e à cet état de choses. Selon
n o u s , l e v é r i t a b l e m o t i f d e la
situation signalée provient
de
l ' e s p r i t c a s a n i e r d u F r a n ç a i s . Il est p o s s i b l e q u e c e t esprit n ' é t a i t pas a u t r e à l ' é p o q u e o ù le c o m m e r c e f r a n ç a i s j o u i s s a i t la c o n c u r r e n c e
est
venue
au
Brésil d ' u n e prospérité
c l la F r a n c e
n'a
pas apporté
incontestable;
dans la
lutte
la
mais
vigueur
nécessaire. N o u s a v o n s n o t é p l u s h a u t la p é r i o d e d e t r a n s f o r m a t i o n q u e le B r é s i l
traverse et
la p a r t m i n i m e q u i r e v i e n t a u x a r t i c l e s f r a n ç a i s d a n s c e l l e g r a n d e c o u v r e . L e f a i t est d a u t a n t p l u s n o t a b l e q u e la F r a n c e n o u s a f o u r n i p l u s i e u r s m i l l i o n s d e ses c a p i t a u x q u i n o u s s e r v e n t à i m p o r t e r les p r o d u i t s o r i g i n a i r e s d ' a u t r e s p a v s . Q u ' o n ne n o u s d i s e pas q u e la r a i s o n d e ce q u i p r é c è d e d é c o u l e d e l ' é l é v a l i o n d e s tarifs.
Ces
derniers,
en
effet,
imposent
d i s t i n c t i o n . C ' e s t t o u t a u p l u s si o n
un
traitement
peut signaler
égal
à
tous
les pays
sans
une réduction de
20 pour
100
applicable à u n e d e m i - d o u z a i n e d'articles de p r o v e n a n c e n o r d - a m é r i c a i n e . La faveur d o n t il s ' a g i t n e s a u r a i t p r é j u d i c i e l - e n r i e n c est p r é c i s é m e n t s u r lieu d'en accorder.
aux articles d'importation
ce t e r r a i n q u e l e B r é s i l p o u r r a i t d e m a n d e r
des
française.
Or,
concessions a u
E11 e f f e t , nos c a f é s i m p o r t é s e n F r a n c e s o n t f r a p p é s d e d r o i t s q u i
d é p a s s e n t d ' u n t i e r s c e u x q u i f r a p p e n t les p r o d u i t s f r a n ç a i s . Mais, p o u v o n s - n o u s
d e m a n d e r u n e d i m i n u t i o n d e ces d r o i t s d ' e n t r é e ? L a F r a n c e
peut-elle nous l'accorder? P o u r l'instant, on ne peut y songer. Le déficit de
son
budget
est c o n n u
et
l'impôt
sur
le c a f é
rapporte
environ
t.'5o m i l l i o n s d e f r a n c s . U n e r é d u c t i o n a u r a i t u n e i n f l u e n c e s e n s i b l e s u r les r e s s o u r c e s p r é v u e s a u b u d g ç l . II n ' e s t p a s p o s s i b l e d e n o u r r i r u n c s e m b l a b l e ' e s p é r a n c e , s a u f d a n s le cas o ù l e p r o j e t d e M . P o i n c a r é ( ' ) s u r l ' i m p ô t s u r le r e v e n u a r r i v e r a i t à b o n n e e t , e n o u t r e , si l e p a r t i c o n s e r v a t e u r l ' a c c e p t e .
Pour
le m o m e n t
lin,
loule tentative dans
c e s e n s s e r a i t p u é r i l e , s u r t o u t à u n m o m e n t o ù o n c o n s t a t e q u e la F r a n c e a v u p a s s e r d e trois m i l l i a r d s à q u a t r e m i l l i a r d s ses d é p e n s e s b u d g é t a i r e s , e t cela d a n s l ' e s p a c e d e
( ' ) Cet article était écrit a» mois d'aoîtl igoli.
LES RELATIONS
FRANCO-BRÉSILIENNES
v i n g t - c i n q a n n é e s . M a i s , l a i s s a n t d e c ô t é la q u e s t i o n d e s t a r i f s , n o u s
I7 I
pouvons
dire
q u ' i l y a b e a u c o u p à f a i r e . O n n ' a t t e n d p l u s l ' a c h e t e u r , o n va le c h e r c h e r . L a p o l i t i q u e d e p é n é t r a t i o n c o m m e r c i a l e e n b l o c , si e l l e est u t i l e , est é g a l e m e n t c o û t e u s e ; e l l e est s û r e m e n t plus malaisée q u e celle q u i consiste à conserver c l à développer des m a r c h é s
Pavillon S. Luis à Rio de Janeiro.
d é j à c o n q u i s . P o u r cela u n e a c t i v i t é i n i n t e r r o m p u e est i n d i s p e n s a b l e . E l si o n p e r m e t cette apprécia lion,
n o u s a j o u t e r o n s q u e ce q u i s e r a i t à d e m a n d e r
nous
par-dessus
t o u t , ce s e r a i t l ' a c t i o n d ' u n e d i p l o m a t i e p r a t i q u e r e m p l a ç a n t les a n c i e n s p r o c é d é s d e r é s e r v e q u i d o n n e n t à la d i p l o m a t i e u n e a l l u r e p u r e m e n t r e p r é s e n t a t i v e . C e q u ' i l f a u t , ce s o n t d e s m a n i è r e s d ' ê t r e et d e f a i r e m o d e r n e s , q u i f o n t p é n é t r e r l e d i p l o m a t e d a n s •tous les m i l i e u x , l u i assurent des s y m p a t h i e s e t l u i p e r m e t t e n t , a u m o m e n t v o u l u , de s e r v i r u t i l e m e n t les g r a n d s i n t é r ê t s q u ' i l r e p r é s e n t e .
LES
RELATIONS
F R A N C O - B R É S I L I E N N E SI7I
Voici nettement exposés, et par les Brésiliens eux-mêmes, tous les aspects de la question: nous n'avons pour l'étudier avec méthode qu'à suivre l'ordre même de l'argumentation de notre confrère. Y a-t-il au Brésil une sympathie réelle, profonde pour la F r a n c e ? Ce n'est pas douteux et j'en puis pour ma part donner des preuves innombrables, grâce aux constatations que j'ai faites pendant m o n séjour au Brésil, grâce à des documents que j e liens à reproduire ici. L e soir même de mon arrivée, 011 donnait au Théâtre Lyrique la représentation d'adieu de Suzanne Desprès, el l'exquise artiste voulut montrer la mesure de son talent si varié en
paraissant tour
à tour dans
« Phèdre » et dans « Poil de Carotte ». Suzanne Desprès fut fêtée comme elle le mérite, ainsi que ses camarades, parmi lesquels l'excellent Dorival, et à la fin dû spectacle,
les étudiants organisèrent une
solennelle
manifestation qui leur permit de traduire en même temps leur admiralion pour l'artiste et leur culte pour les grands maîtres de l'art français. Mais les acclamations d'une jeunesse enthousiaste me frappèrent moins encore que l'attitude générale d'une salle immense cl archi-comble où rien ne se perdait ni des harmonies du vers racinicn ni des finesses d'observations de M. Jules Renard. Tout
était souligné aux bons endroits
comme par un public français remarquablement cultivé. C'est que, j ' y insiste, la culture intellectuelle des Brésiliens est toute française; non seulement tous ceux qui ont quelque éducation
parlent
notre langue avec une extrême facilité, mais la plupart onl puisé leur science chez nos maîtres, ont lu nos poètes, nos écrivains, nos dramaturges. Ils font mieux que parler français, ils pensent en français et il y a certainement entre eux et nous 1111 fonds de culture et de mentalité communes qui fait naître très vite une grande sympathie. .1 en eus personnellement la preuve en diverses circonstances el
je
m'excuse d'avoir à noter brièvement les manifestations si cordiales qui se produisirent en mon honneur ; cela est nécessaire pour faire comprendre quelle action prépondérante nous pourrions
exercer là-bas, el com-
bien nous sommes inexcusables de n'en point profiler. Dès
que la municipalité de Rio de
Janeiro apprit ma présence
en ville, j e devins l'objet des plus llalleuses attentions : reçu en séance solennelle du conseil, sident, d'entendre
j'eus la bonne fortune, placé à côté du pré-
les souhaits de bienvenue formulés
éjoquemment
par le vice-président Castro Barbosa, el le touchant hommage qui fut rendu à la Ville de Paris et à mon pays, hommage transmis par télé-
LES
RELATIONS
FRANCO-BRÉSILIENNES
I
7
I
gramme au président du Conseil municipal, mon excellent ami Cliautard ( ' ) . Je tiens à détacher quelques lignes du discours de Castro Barbosa pour montrer quel état d'esprit se manifestait chez mes liôles, à l'heure précise où il paraissait aux observateurs superficiels que le Brésil était à tout jamais conquis par l'Amérique du Nord. « Un des plus hauts esprits de la France moderne,
dit M . Barbosa,
compare les peuples supérieurs, ail point de vue intellectuel, à des pyra-
Ëcolc polytechnique à Itio de Janeiro.
mules dont la plus grande partie est constituée par les masses profondes de la population, tandis que leur sommet est occupé par les savants, les artistes, les inventeurs, les hommes de lettres: groupe infiniment restreint devant le reste de la population, maisqui donne à lui seul le niveau d'un pays sur l'échelle de la civilisation. « Représentants du peuple dans ses sujets municipaux,
c'est-à-dire
ceux dont l'étude nous lie chaque fois plus intimement à la grande rna( ' ) M. (lliaiilarii a cessé ses f o n d i o n s de président du Conseil municipal de Paris au mois de mars 1907.
I.ES RELATIONS
FUAXCO-BnÉSII.IENXF.S
jorité de nos concitoyens ; désignés par la ville de Rio pour garder, ses prérogatives et gérer ses intérêts d'ordre physique, d'ordre moral, et d'ordre intellectuel, relativement à l'éducation primaire, professionnelle et artistique du peuple, nous venons aujourd'hui témoigner notre contentement pour la
flatteuse
visite faite en la personne de M. Henri
Turot, membre du Conseil municipal de Paris, à la ville que nous représentons. «.J'ai grand
honneur à répéter de cette tribune la pensée
expri-
mée par notre hôte distingué — (pie c'est par les municipalités que doivent se rapprocher les grandes nations modernes ; c'est par la sympathie de leurs représentants que doivent se resserrer les liens également sympathiques, qui feront des peuples les collaborateurs de la même œuvre civilisatrice. « Je me félicite, Messieurs, de pouvoir en ce moment et au nom du Conseil municipal de la Capitale de mon pays, saluer le Conseil municipal de la Capitale de la France. « Je ne prononcerai pas le nom de la grande nation, à laquelle tous les peuples modernes doivent, directement ou indirectement, les uns leur grandeur, les autres leur bonheur, sans jeter un coup d'oeil rétrospectif sur son passé, qui est la gloire la plus brillante de l'humanité. « S'il est vrai que l'on peut représenter les peuples par des pyramides, au sommet desquelles
sont leurs hommes
extraordinaires, quelle ne
doit pas être la base de cette figure, dont les parties supérieures sont occupées par de si éclatants esprits (les grands Français dont l'orateur a parlé) ? « C'est la masse profonde du peuple français, dont apparaissent seulement les sommités éclairées par le soleil de la gloire, mais renfermant dans son sein tous les trésors qui les ont produites. « Q u a n t à nous, M. Henri Turot, nous avons pour votre patrie une admiration bien juste et bien explicable. Dès les temps coloniaux nous nous sommes habitués à vos leçons. » M. Castro Barbosa a terminé son discours, fort applaudi, par une évocation du chant de la Marseillaise, « q u i représente la résistance héroïque de la science, de la littérature, des arts, de la civilisation enfin, contre l'obscurantisme, chant digne de la France ». Parlerai-je encore des merveilleuses excursions organisées par mes col
LES RELATIONS
FRANCO-BRÉSILIENNESI7I
lègues brésiliens devenus mes amis, de la visite dans une admirable école du soir, où plus de 2000 enfants des deux sexes viennent librement compléter leur enseignement primaire par l'étude du dessin, des langues mortes et vivantes, d e l à chimie, de la physique, d e l à minéralogie, etc... ? Dirai-je les acclamations, les ovations, les gentilles harangues enfantines, qui, au seuil de chaque classe, accueillaient le représentant de Paris? Raconterai-je, enfin, ce banquet fastueux où, dans l'Hôtel de Ville illuminé, orné de drapeaux français, embaumé de (leurs, tout frémissant aux accents de la Marseillaise, j e reçus du conseil municipal, du préfet el de
SAXTOS. —
Une réception.
tous les hauts fonctionnaires de la Ville, l'accueille plus chaleureux qui se puisse imaginer ? Et partout où me conduisit ma bonne fortune, je fus l'objet au Brésil de pareilles manifestations. 11 faut que j e raconte, à ce propos, mon arrivée à Santos. Je m'étais embarqué un soir, à Rio, sur le Magellan, des Messageries maritimes, et j e me promettais jusqu'à Buenos Ayres un repos bien gagné : plus de banquets en perspective, plus de toasts à prononcer ; j'allais savourer paisiblement les joies obscures mais réconfortantes du passager qui se livre sur une chaise-longue hospitalière aux douceurs du farniente et de la rêverie somnolente.
LES
RELATIONS
I7I
FRANCO-BRÉSILIENNES
Quatorze heures après avoir perdu de vue le cône abrupt du Pain de Sucre, nous sommes en vue de la passe de Santos cl j e me régale les yeux du spectacle exquis d'un cirque de collines émergeant
des eaux
calmes; nous cherchons vainement, nous profanes, la fissure par où nous devons pénétrer dans la rivière de Santos. Il semble que notre paquebot devra s'arrêter devant une barrière infranchissable. Mais non ! voici qu'apparaît soudain un étroit passage, dominé à droite par 1111 fortin aux créneaux artistiques, et nous nous y engageons hardiment sous la direction du pilote qui vient de monter sur la passerelle : à
SANTOS. —
(iuariija, vuo
générale.
gauche nous admirons de jolies plages sablonneuses où errent en se dandinant des troupes nombreuses de canards sauvages, où des pirogues pareilles à celles des côtes africaines attendent leur mise à l'eau par les habitants des cases prochaines, encore endormis dans le calme du matin: c'est un tableau colonial tout à fait souriant et gracieux et qui évoque le souvenir des rives du Itio Pongo ou de la rivière de B e n l y , en Guinée française. Cependant le Magellan évolue lentement dans les courbes de la rivière; il passe tout près de lamentables épaves qu'on nous dit être les carcasses de vapeurs et de voiliers abandonnés par les équipages décimés lors d'une terrible épidémie de fièvre jaune, et vient se ranger à quai le long des formidables
Docks construits et administrés par MM. Galfrée et
Guinle, tous deux d'origine française. IIF.MII TUROT.
12
I78
LES
RELATIONS
F R A N C O - B R É S I L I E N N E S I 7I
C'est toujours une distraction amusante que de suivre les manœuvres du bord et nous nous accoudons à la main courante pour n'en rien perd r e ; mais qu'est-ce donc? Sur le quai, parmi la foule qui attend le débarquement, voici des messieurs en redingote et en chapeau à liauleforme qui sont visiblement préparés pour une cérémonie officielle; voici même une fanfare dont les membres, en uniforme, se préparent à soufilcr dans les cuivres. « Bon ! dis-je à mes compagnons de voyage,
Les quais do Sanios.
une manifestation qui se prépare: nous avons sans doute à bord quelque h o m m e politique brésilien qui va débarquer avec tout l'apparat que comporte la situation, et comme il n'y a rien de ridicule comme un monsieur qui emboîte le pas à une fanfare en saluant par-ci, en saluant par-là, nous allons nous payer la tête du malheureux. » Ilélas ! à peine avais-je ainsi convié mes voisins à de faciles plaisanteries, que s'avance, empressé, le commissaire du Magellan. « M . Turot,
dit-il, on vous attend! Tout le Conseil municipal de
Santos, prévenu de votre passage par un télégramme de Rio, s'apprête à
i8o LES
RELATIONS
FRANCO-BRÉSILIENNES I 7I
vous fêter : la fanfare municipale se dispose à jouer la Marseillaise et la foule ne vous ménagera pas les ovations : venez vite ! » Alors ! quoi, le monsieur grotesque qui allait emboîter le pas en saluant de-ci, de-là, c'était moi! On j u g e des éclats de rire — bien mérités, ma foi — qui me punirent aussitôt de mes sarcasmes anticipés. Tant pis ! il fallut s'exécuter, traverser la passerelle, chapeau bas et le sourire aux lèvres, il fallut remercier parfaite
de de
national,
l'exécution
notre
hymne
applaudir
à
l'hymne brésilien, répondre tout de go à des souhaits de bienvenue, puis suivre les quais derrière les musiciens pour arriver à la grille de sortie
où m'attendait
fastueux landau, attelé
un de
quatre chevaux. Je m'y installe, tout penaud, mais
toujours sou-
riant, à côté du Président du Conseil
et nous voici
partis à l'Hôtel de Ville. Je ne vous imposerai point l'énumération échangés, ni le
des
toasts
décompte
des coupes de Champagne vidées en l'honneurdc Paris
S e r r a de S a n l o s . —
Gruta
funda.
et de Santos, j e ne vous traînerai pas à ma suite à la caserne des pompiers, où s'exécutent sous mes yeux les manœuvres les mieux réussies. Pareil programme est celui de toutes les fêtes officielles. Mais, pour reparler sérieusement, j e fus très émolionné d'un tel élan • de sympathie, qui ne s'adressait certes pas à ma modeste personnalité, mais à la France et à Paris. Et j e n ai noté cet incident que pour y trouver une nouvelle confirmation du prestige que le nom français exerce sur la terre brésilienne.
i8o
LES
RELATIONS
F R A N C O - B R É S I L I E N N E SI7I
Aussi bien j'en pourrais multiplier les preuves et démontrer qu'il en fut toujours ainsi. J'ai retrouvé, dans le compte rendu de la séance d'inauguration de la section brésilienne à l'exposition de Beauvais en 1885, ce toast du commandeur Ponkeiro :
De ce r a p p r o c h e m e n t de d e u x p a y s si é l o i g n e s q u e tant de m i l l i e r s de lieux
sépa-
r e n t , de ce r a p p r o c h e m e n t e n t r e d e u x p e u p l e s d'Ages si d i l î é r e n t s , m a i s de la m ê m e origine,
s'il
n'y
a
r i e n de b i e n e x t r a o r d i n a i r e , é t a n t d o n n é
votre extrême
bien-
veillance et v o t r e i n c o m p a r a b l e h o s p i t a l i t é , il en ressort c e p e n d a n t u n fait de la p l u s h a u t e i m p o r t a n c e , c'est le désir m u t u e l de resserrer les liens de c o m m e r c e et d ' i n d u s trie e n t r e nos d e u x p a y s . P o u r cela, r i e n de plus facile ; v o u s devez être s û r s , Messieurs, de r e n c o n t r e r
tou-
j o u r s en n o u s u n p e u p l e q u i vous a i m e p l u s q u e t o u t a u t r e , car le Brésilien a sorte d ' i d o l â t r i e p o u r la F r a n c e . Nos m œ u r s ,
une
nos p e n c h a n t s o n t é n o r m é m e n t
v ô t r e s ; v o t r e belle l a n g u e n o u s est c h è r e et n o u s est f a m i l i è r e ,
a u t a n t q u ' i l est
sible p o u r des é t r a n g e r s ; j e vous d i r a i m ê m e q u ' e l l e est exigée d a n s
notre
des pos-
enseigne-
m e n t et q u ' e l l e est u n e discipline o b l i g a t o i r e p o u r l ' a d m i s s i o n d a n s nos écoles supér i e u r e s ; c'est de p r é f é r e n c e d a n s vos l i v r e s q u e n o u s é l u d i o n s la science, les arts et la l i t t é r a t u r e ; e n f i n , Messieurs, q u a n d n o u s a r r i v o n s d a n s u n p a y s é t r a n g e r , n o u s nous sentons t o u j o u r s é t r a n g e r s , m a i s si n o u s a r r i v o n s en F r a n c e , trois j o u r s ne sont
pas
passés q u e n o u s n o u s c r o y o n s d é j à chez n o u s . E h b i e n , Messieurs, il y a b e a u c o u p à f o n d e r s u r de si b o n n e s dispositions, et p o u r cela, v o u s t r o u v e r e z le terrain t o u t p r é p a r é ,
puisque
vous
pouvez
compter
sur
la
s y m p a t h i e q u e n o u s v o u s p o r t o n s . Il n e v o u s f a u t q u ' u n petit e f f o r t ; il sullit d ' a v o i r c o n f i a n c e en n o u s ; il suffit d ' a v o i r de la c o n f i a n c e d a n s ce p a y s n o u v e a u ,
mais
qui,
par son g o u v e r n e m e n t s t a b l e , ses principes d ' o r d r e , d ' é c o n o m i e et de p r o g r è s ,
vous
d o i t d o n n e r les m e i l l e u r e s a s s u r a n c e s , et si v o u s savez p r o f i l e r de si b e a u x a v a n t a g e s , v o u s a u r e z la c e r t i t u d e de n o u s a v o i r c o m m e u n e de vos plus fortes p r a t i q u e s .
N'est-ce pas à peu près le même langage que M. de Piza, ministre du Brésil en France, tenait au Havre l'an dernier, 21 ans après, lorsqu'à propos de la réception faite à l'escadre brésilienne il prononçait, dans un banquet, cet éloquent discours : D ' o ù v e n o n s - n o u s c l o ù a l l o n s - n o u s , Messieurs ? N o u s v e n o n s de la civilisation o c c i d e n t a l e et n o u s s o m m e s les héritiers des richesses m o r a l e s a c c u m u l é e s d a n s votre c o n t i n e n t p a r des siècles de l u t t e s , de t r a v a i l , d e m é d i t a t i o n et d ' e f f o r t s . N o u s s o m m e s les héritiers de l ' E u r o p e et serons les c o n t i n u a t e u r s de
votre
civili-
sation. N o u s v e n o n s de très loin d a n s l'histoire et n o u s p o r t e r o n s très h a u t v o t r e c i v i l i s a tion d a n s l ' a v e n i r le p l u s l o i n t a i n c l d a n s la postérité la p l u s r e c u l é e .
i8o LES RELATIONS
FRANCO-BRÉSILIENNESI7I
P e n d a n t la p h a s e m i l i t a i r e d e v o t r e h i s t o i r e et d e la n ô t r e , d a n s l ' a u r o r e d e la c i v i lisation g r é c o - r o m a i n e , nous avons élé avec v o u s et à vos côtés dans Salaminc
e t d e P l a t é e s , o ù se l i v r a i t le g r a n d c o m b a t e n t r e la
les j o u r n é e s
jeunesse
de
européenne
e t l a p u i s s a n c e a s i a t i q u e r e p r é s e n t é e a l o r s p a r la P e r s e . P l u s l a r d , l o r s q u e la l u t t e se f u t e n g a g é e e n t r e l e s c i v i l i s a t i o n s l a t i n e e t i s l a m i q u e , nous étions avec vous à Poitiers et à L é p a n t e , p o u r repousser de
l'Europe
les
inva-
s i o n s b e l l i q u e u s e s d e s A r a b e s et d e s T u r c s . L o r s q u e , encore en plein d o m a i n e d u catholicisme, r a y o n s de
la
Renaissance,
nous
mais
déjà
sous
les
premiers
a v o n s d é c o u v e r t l e B r é s i l , n o u s a v o n s d o n n é à la
v a s t e c o n t r é e le n o m d e P a y s d e l a C r o i x . L a C r o i x d u S u d , q u e n o u s a v o n s r e n c o n t r é e d a n s le b e a u
ciel d u
Brésil,
d a i t a l o r s à la foi q u e n o u s p o r t i o n s d a n s nos c c e u r s et a u s y m b o l e q u e
répon-
nous
avions
p r o m e n é a v e c v o u s d a n s la p é r i o d e o b s c u r e , m a i s g l o r i e u s e d u m o y e n Age, a u x t e r r e s d ' E u r o p e , d ' A f r i q u e et d'Asie Mineure. V o u s v o y e z , Messieurs, q u e n o u s s o m m e s des E u r o p é e n s transplantés en
Amérique
p a r la m a r c h e n o r m a l e d e la c i v i l i s a t i o n d e l ' O r i e n t v e r s l ' O c c i d e n t . C o n s t i t u é s e n p a y s i n d é p e n d a n t , il y a m o i n s d ' u n s i è c l e , s o u s l ' i n f l u e n c e d e s d o c t r i n e s d u c o m m e n c c m e n l d u siècle passé, n o u s a v o n s a d o p t é
la
monarchie
t i o n n e l l e c l n o u s l ' a v o n s p r a t i q u é e s é r i e u s e m e n t s o u s le r è g n e é c l a i r é d e
constitu1). P e d r o .
V u j o u r d ' h u i , g r â c e a u p r o g r è s d e la r a i s o n n a t i o n a l e , n o u s s o m m e s e n R é p u b l i q u e : R é p u b l i q u e p r é s i d e n t i e l l e , l a ï q u e e l l i b é r a l e , v o u é e à la p a i x e t a u t r a v a i l . N o u s m a r c h o n s l e n t e m e n t , m a i s s û r e m e n t , a t t e n t i f s a u x m o i n d r e s a c c i d e n t s d e la r o u l e ; m a i s n o u s m a r c h o n s t o u j o u r s avec confiance en n o u s - m ê m e s
et d a n s les
lu-
m i è r e s de la société c o n t e m p o r a i n e . N o t r e i d é a l est h u m a i n , p u r e m e n t h u m a i n , m a i s p o u r cela m ô m e g r a n d , n o b l e c l b e a u . Libres a u j o u r d ' h u i . Messieurs, c l ayant conscience de noire haute mission et d e n o t r e g r a n d e d e s t i n é e h i s t o r i q u e , n o u s a v o n s les b r a s o u v e r t s p o u r
morale
r e c e v o i r le
concours éclairé du m o n d e entier. N o u s ne repoussons a u c u n e force civilisatrice,
nous
ne
dédaignons aucune
aide
b i e n f a i s a n t e , m a t é r i e l l e , i n t e l l e c t u e l l e et m o r a l e . D e l ' A f r i q u e nous avons reçu des h o m m e s p r o f o n d é m e n t affectifs, q u i
ont
ouvert
les p r e m i e r s c h e m i n s à la c i v i l i s a t i o n . D e l ' A s i e n o u s r e c e v o n s les p o p u l a t i o n s l a b o r i e u s e s , q u ' u n e v i e i l l e et p r o f o n d e c u l t u r e m o r a l e , p a t i e n t e e t d o u c e r e n d c a p a b l e s et d i g n e s d e t o u t e s l e s v i c t o i r e s . M a is n o t r e h i s t o i r e e t n o t r e t r a d i t i o n , a i n s i q u e n o t r e
idéal, nous rapprochent
de
vous, Messieurs, nous relient, nous rattachent au continent européen. C ' e s t ici q u e s'est é l a b o r é e e t q u e s ' é l a b o r e e n c o r e n o t r e c i v i l i s a t i o n . V o u s v o u l o n s d e b o n s r a p p o r t s a v e c t o u t e s les p u i s s a n c e s d u m o n d e , m a i s les r a p p o r t s p l u s i n t i m e s , c o r d i a u x et p r o f o n d s n o u s les a u r o n s a v e c d o n n é , d e la p é n i n s u l e i b é r i q u e a u x p l a i n e s g e r m a n i q u e s ,
l'Europe,
d e la
qui
Grèce et de
nous
a
Rome
j u s q u ' à L o n d r e s et à E d i m b o u r g , t o u t ce q u ' o n t p r o d u i t , e t le g é n i e g r é c o - l a t i n , c l la p r o f o n d e et é n e r g i q u e p o p u l a t i o n a n g l o - s a x o n n e . N o u s s o m m e s h e u r e u x et fiers, M e s s i e u r s , d e r e c e v o i r
l o u s les
p e u p l e s et
de
les
g a r d e r l o u s , c a r n o u s a v o n s assez d ' e s p a c e et d e p l a c e p o u r l o u s , e t d a n s l e p a y s , et d a n s nos c œ u r s .
i8o
LES RELATIONS
FRANCO-BRÉSILIENNESI7I
M a i s si n o u s a i m o n s t o u s les p e u p l e s , si n o u s énergies utiles, laissez-moi vous dire q u e
nous
voulons
le concours
avons un
de toutes
les
sentiment particulier
de
s y m p a t h i e pour la F r a n c e , votre g r a n d et noble pays. T o u t ce q u i p a r t d e v o t r e p a y s , M e s s i e u r s , d ' u t i l e , d e n o b l e c l d e f é c o n d , n o u s
le
recevons à cœur ouvert. L e p r e s t i g e d e s o n n o m , l a g r a n d e u r d e sa g l o i r e , sa r i c h e s s e , sa p u i s s a n t e a g r i c u l t u r e , é c o l e d ' e n d u r a n c e et d ' é c o n o m i e , s o n c o m m e r c e i n t e l l i g e n t , s é r i e u x e t h o n n ê t e , s o n i n d u s t r i e si fine e t a r t i s t i q u e , l e r a y o n n e m e n t d e s o n i n t e l l i g e n c e e t d e sa m o r a l i t é , f o n t d e v o t r e p a y s u n e s o u r c e i n é p u i s a b l e d e f o r c e e t d ' é n e r g i e et u n g r a n d f o y e r de lumière. D ' u n a u t r e c ô t é e t s o u s u n a u t r e a s p e c t , la v e r t u , l e c œ u r , la
grâce et le
d e v o s f e m m e s f o n t d e la F r a n c e la p l u s b e l l e p a r u r e d e n o t r e t e m p s
et la
charme fleur
la
République,
si
p l u s l i n e d e la c i v i l i s a t i o n c o n t e m p o r a i n e . Nous aimons, Messieurs, votre grand
et beau
pays,
votre j e u n e
s a g e , r i c h e , p r o s p è r e et h e u r e u s e .
N'esl-cc poinl encore assez? Lisons,
voulez-vous,
ces lignes
ardenles de M. Goflredo d'Escra-
gnolles-Taunay, l'apôtre infatigable de 1 action latine ; « Nous autres Latins, dit-il, nous sommes du côté des dons de l'esprit et des qualités physiques, également bien partagés. Notre intelligence est vive, souple, à grandes envolées parfois, mais garde toujours un fonds de sens pratique très réel. Notre imagination est ardente, chevaleresque. Le courage en nous est doublé d'une endurance à la fatigue et d'une sobriété qu'ignorent les Anglo-Saxons et les Germains. Bref, notre énergie potentielle est de premier ordre. Vieille race, nous nous sommes retrempés, de-ci, de-là, au contact de la nature vierge, et nous y avons puisé l'ardeur d'une race jeune, trop jeune même, sans paradoxe, qui cherche sa voie et ne demande qu'à rayonner et à prendre un nouvel essor. Le métal en est excellent. « Q u a n t a nos «états de service» à l'humanité, à travers les siècles, dans l'ancien comme dans le nouveau continent, ils sont si notoires que les redire serait vanité. Nous avons civilisé le monde ; nous avons façonné les sociétés modernes. Cela pour le passé. « Aujourd'hui encore, appartient
quant au présent, la première place
nous
dans le domaine moral et intellectuel, qui, somme toute,
prime les autres. La France rfest-elle pas dispensatrice de la gloire, même de la simple renommée parfois, pour les éclaireurs de la pensée humaine, pour les innovateurs, les artistes, et n'est-elle pas la vulgarisatrice de leurs doctrines et de leurs œuvres en ce qu'elles ont de meil-
I7I i8o LES RELATIONS
FRANCO-BRÉSILIENNES
leur? Quel est le progrès réel, d'ordre universel, qui se fait sans la F r a n c e ? Quelle est la vibration supérieure qui agite le monde sans passer par Paris, sans en recevoir une empreinte? L'humanité pourrait-elle, se dispenser de l'esprit de synthèse des Français, metteurs au point des idées générales? O r , Paris et la France c'est nous, c'est notre cerveau, notre cœur. « Qu'importe, après tout, que dans telle ou telle branche de l'industrie, dans l'expansion commerciale même, à un moment
donné, la
suprématie se trouve ailleurs? Rattraper le progrès matériel est chose aisée lorsqu'on en a le ressort cl le ferme propos. » Est-il beaucoup de Français qui trouveraient des accents plus nobles et plus sincères pour célébrer, avec celte fougue, la gloire traditionnelle de la France, et son rayonnement sur l'humanité ? Et qui oserait prétendre, en présence de manifestations si diverses, d'affirmations si solennelles, de paroles si enthousiastes, qu'il s'agit là de ces formules courtoises et banales dont 011 se montre prodigue entre gens de bon ton qui veulent être aimables ? Faut-il rappeler aussi, pour achever de découvrir l'empreinte française au Brésil, que l'école positiviste d'Auguste Comte a pris une part considérable dans la révolution brésilienne qui renversa l'Empire ? Elisée Reclus écrit : « La doctrine avait fait de grands progrès, surtout dans les instituts militaires et c'est à la ferveur de certains positivistes engagés dans le mouvement révolutionnaire que doivent être attribués plusieurs décrets promulgués pendant les premières semaines de la République : séparation des Églises et de l'État, institution de la fête nationale du I/I juillet coïncidant avec celle de la France, adoption de la devise: « Ordre et Progrès » sur les drapeaux, « Salut et Fraternité » danfe les correspondances officielles. » Aujourd'hui la doctrine positiviste compte encore au Brésil de nombreux adhérents. Et voilà comment, de même que le rocher de Villegaignon au milieu de la Baie de Rio montre l'intervention de l'idée française au seuil même de la civilisation brésilienne, l'inscription qui flotte à la hampe du drapeau rappelle que notre génie national inspirait les vaillants qui fondèrent la République ! Enfin, puisqu'il faut savoir se borner, j e ne veux plus invoquer à l'appui de ma thèse que la réception faite ces temps derniers à M. Paul D o u m e r lors de son débarquement à Rio. Je revois encore la scène.
i8o
LES
A peine
F R A N C O - B R É S I L I E N N E SI7I
RELATIONS
le paquebot vient-il de pénétrer dans la baie merveilleuse,
ensoleillée, que de tous côtés accourent d'innombrables embarcations où se presse la foule des manifestants: sur un grand bateau pavoisé ont pris passage des étudiants qui poussent des vivats et applaudissent la Marseillaise, tandis que sur la passerelle de la Cordillère, M. Doumer, tète nue, très ému, salue de la enthousiaste. Puis quand le drapeau jaune de la santé est descendu le l o n g du grand mât, c'est l'assaut de l'escalier du bord ; une multitude de délégations L < wwtiHar
s'y succèdent
wSSj'1
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Il
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compatriote
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adresser
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mentes allocutions.
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dre à terre, il trouve sur
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de
B & J j ^ ^ B l l i o - B r a n c o , des
Affaires
gères, M.
PAUL
DOUMER
et le
Président
PEN.NA.
J
E
JA
le
étran-
président
C H A M B R E
d e s
députés, le président du Conseil municipal, le préfet et une foule compacte qui l'acclame encore avec frénésie. Or, M. D o u m e r ne m'en voudra pas si j'ai vu dans ces manifestations chaleureuses plus et mieux qu'un hommage à sa haute personnalité: un élan de sympathie pourla France qui saisit toutes les occasions de s'affirmer. Dans le banquet qui fut offert à M. Doumer par M. de Rio-Branco, celui-ci ne manqua pas d'ailleurs de souligner l'importance qu'il attachait à une telle visite. « Nous la considérons, dit l'éminent ministre, comme le signe précur-
I7I i8o LES RELATIONS FRANCO-BRÉSILIENNES
seur de relations de plus en plus étroites entre nos deux p a y s : nous y v o y o n s le gage de l'amitié de la F r a n c e : nous saurons maintenant q u ' o n y rend h o m m a g e à nos efforts. » Et M . de Rio-Branco émettait, en terminant, le v œ u que dans ce Brésil où la culture française se manifeste si hautement, l'activité de nos c o m merçants, de nos compatriotes s'employât chaque j o u r plus efficacement. Souhaitons-le aussi ! « Rattraper le progrès matériel est chose aisée, s'écrie M. d'Escrag n o l l e s - T a u n a y , l o r s q u ' o n en a le ressort cl le ferme propos. » C ' e s t parfaitement exact, mais encore faul-il ce ferme propos et j ' e n rage quand, après avoir si indiscutablement établi le prestige moral de la F r a n c e , j e jette les y e u x sur la statistique suivante : CHIFFRES D'IMPORTATIONS
DES PRINCIPAUX P A Y S
AU
BRÉSIL.
D a n s l'exercice 187/1-1875, les pays q u i importaient le plus au Brésil se classaient ainsi par ordre d'importance (en contos de reis papier) ('). 1. G r a n d e - B r e t a g n e .
.
.
a . France Portugal 4. États-Unis 5. Allemagne G. U r u g u a y 7. Argentine 8. Belgique 9. Espagne 10. A u t r i c h e .
7O700 27837 8I3 999' 6 ¿48
i o
•
•
• 3
77" 1 0 3 1
O r , vingt ans après, on constatait les résultats suivants : 1. G r a n d e - B r e t a g n e а. A l l e m a g n e 3. Etats-Unis 4. Argentine
5. France б. Portugal 7. Uruguay 8. Italie 9. Belgique. . 10. A u t r i c h e - H o n g r i e
i4aa6a 6^977 ?" 02706
458i3 ^7 6 9 9 ao 100 1 8 600 i66o° 9 99"
Et nous avons vu que la situation ne s'était pas modifiée et que nous étions loin de regagner le terrain perdu. Nous venons en cinquième rang après avoir occupé le second ! Et la situation apparaît encore plus fâcheuse si on regarde les deux tableaux suivants qui me sont c o m m u n i q u é s par le docteur L o w e n t h a l : i . Le conto do rois vaut un million de reis, soit au cours actuel du change environ i 700 francs.
LES RELATIONS FRANCO-BRÉSILIENNESI7I
i8o
EXPORTATIONS FRANÇAISES DURANT LA PÉRIODE
TRENTENAIRE
1872-1874 à 1902-1904. (Moyenne
annuelle
en millions
de
francs.)
BAISSE ANNUELLE 1872-1874
1902-1904 EN
MILLIONS
DE
États-Unis
%
FRANCS
121
118
3
3o6
252
54
2,5 •4
Italie
220
180
4o
18
Suisse
3io
24o
7° 27
22
35
43
34
txl
Argentine
84
Turquie
82
Brésil
.
5
7
47 38
72
32
D e sorte qu'à 3o ans d'intervalle nos exportations ont subi une baisse annuelle de 3 millions (2,0 % ) en Espagne, de 54 millions ( i 4 °/0) aux États-Unis, Suisse,
de 4o millions (18 % ) en Italie, de 70 millions (22 % ) en
de 27 millions (32 "/„) dans la République Argentine,
lions (43 % ) en Turquie, et de 34 millions (47 % )
de 35 mil-
Brésil.
au
En résumé, perte annuelle pour notre commerce dans les sept pays ci-dessus, de 263 millions de francs par rapport à la période de 1872-74. Voici maintenant le tableau des EXPORTATIONS ALLEMANDES DURANT LA DERNIÈRE PÉRIODE
DÉCENNALE
1896-1905. (Chiffres
annuels
en millions
de
marks.)
ACCROISSEMENT ANNUEL 1896
1905 E*
MILLIONS
DE
Espagne
29,3
MARES
0/o
85
53,1
23,8
543,o
259,3
05 io5
Italie
85,0
i75,4
89.8
Suisse
244,0
369,0
125,0
5o
44.1
I3I,5
87,4
198
Turquie
19,0
49,0
3o,o
I75
Brésil
Go,3
71.7
11,4
'9
Argentine
,
LES
RELATIONS
.87
FRANCO-BRÉSILIENNES
Ainsi donc, alors que notre commerce d'exportation dans les pays cidessus cités subit une
baisse
annuelle moyenne de 263 millions, le com-
merce extérieur de l'Allemagne dans ces mômes pays accuse au contraire un accroissement annuel de 628 700000 marks (soit 786 millions de francs), par rapport à l'année 1S9G. Je sais bien que les statistiques n'ont pas toujours la puissance de démonstration qu'elles comportent au premier abord, et que la balance du commerce ne peut être considérée comme donnant la mesure exacte de la prospérité d'un pays ; il n'en reste pas moins établi que notre effort dans les régions envisagées n'a pas été ce qu'il aurait pu et dû être. Je dis bien notre effort, car comment imaginer que des gens de culture intellectuelle si proche de la nôtre, que des hommes sachant notre supériorité d'élégance, de bon goût, de fabrication mieux finie et plus consciencieuse, aient une prédilection quasi exclusive pour ce qui vient des États-Unis, de l'Allemagne,.de l'Angleterre? Non, non, la faute est tout entière à notre inertie, à notre pusillanimité, à notre manque d'initiative, à notre ignorance des belles affaires a traiter, à notre manque d'audace dans la bataille économique ! et aussi, il faut bien le dire, à notre hâte à revenir au pays natal dès que nous avons conquis une modeste aisance. Savez-vous qu'il y a vingt ans, on comptait, à Rio, de 12 à 15 000 Français ! 11 n'y en a pas 1 800 aujourd'hui ! Est-ce parce qu'ils n'ont pas réussi? Nullement, car, alors, le commerce de la rue Ouvidor était presque entièrement aux mains des Français, dont les maisons apparaissaient florissantes. Mais les chefs de maison ne se sont pas fixés dans le pays, et ils ont vendu leurs fonds de commerce à leurs employés brésiliens ou portugais.
M
.'
.
Je ne les blâme pas d'avoir su se contenter de peu : j en aurais iail tout autant à leur place. Mais pourquoi ne furent-ils pas remplacés par d'autres Français venant à leur tour tenter fortune ? Toujours manque d'initiative, crainte de faire un voyage, de risquer même une petite somme. Parfois, un négociant, un industriel, écrit au consul pour demander un renseignement : la réponse est naturellement assez vague, et le négociant s'abstient. A u contraire, le commerçant allemand, anglais, américain, prend la peine de faire quinze ou vingt jours de traversée : il voit lui-même les besoins du marché, il constate les habitudes commerciales,
I
i8o LES
RELATIONS
F R A N C O - B R É S I L I E N N E SI7I
Se rappelle-t-on les sensationnels commentaires que faisait l'an dernier M. Méline à un article paru dans la Fortnightly Beview ? L'apôtre du protectionnisme s'exprimait ainsi : La c o n q u ê t e p a c i f i q u e d u B r é s i l p a r l ' A l l e m a g n e s e m b l e bien n ' ê t r e p l u s q u ' u n e q u e s t i o n de t e m p s . C'est la c o n v i c t i o n des A l l e m a n d s e u x - m ê m e s q u i n e p r e n n e n t pas la p e i n e de d i s s i m u l e r l e u r s visées d é f i n i t i v e s . E l l e s n o u s sont révélées par u n écrivain a l l e m a n d q u i fait a u t o r i t é , M . G u s t a v e S c h m o l l e r , professeur d ' é c o n o m i e p o l i t i q u e à l ' U n i v e r s i t é de B e r l i n , q u i écrivait en 190a : N o u s d e v o n s , c o û t e q u e c o û t e , v o u l o i r q u e , p e n d a n t le siècle p r o c h a i n , u n e c o n trée g e r m a n i q u e de a o à 3 o m i l l i o n s d ' A l l e m a n d s s'élève d a n s le s u d d u
Brésil.
L a force d ' a b s o r p t i o n d e l ' é l é m e n t a l l e m a n d est d e v e n u e telle q u e les m a l h e u r e u x B r é s i l i e n s , q u i se v o i e n t ainsi l e n t e m e n t e x p r o p r i é s et dépossédés, n ' o n t p l u s le c o u r a g e de la résistance. Ils assistent impassibles à ce q u ' i l s a p p e l l e n t e u x - m ê m e s l e u r dén a t i o n a l i s a t i o n . Puisse la leçon terrible d o n n é e à l e u r n o n c h a l a n c e o u v r i r les y e u x des riches nations et de la F r a n c e e n p a r t i c u l i e r q u i se laisse, elle aussi, e n v a h i r i n s e n s i b l e m e n t p a r l ' é l é m e n t é t r a n g e r et q u i , si elle n ' y p r e n d g a r d e , finira p a r n e p l u s être clic/ elle !
De telles exagérations n'étaient pas seulement regrettables par leur inexactitude manifeste : elles étaient froissantes pour le gouvernement brésilien et M. de Hio-Branco, ministre des Affaires étrangères, y répondit avec un peu de rudesse par la dépêche suivante communiquée à l'agence Ilavas : Les dépêches de P a r i s d o n n a n t des extraits de l'article de M . M é l i n e , p u b l i é d a n s la République
Française,
s u r le M a r o c , et d i s a n t q u e l ' é l é m e n t a l l e m a n d absorbe le B r é -
sil et q u e les m a l h e u r e u x Brésiliens n ' o n t plus le c o u r a g e de résister, o n t p r o d u i t u n e i m p r e s s i o n désagréable a u Brésil. L e Paiz,
la Gaze la de Noticias
et le Correio
da Manha r é p o n d e n t a u j o u r d ' h u i à ces
a p p r é c i a t i o n s i n j u s t e s et m a l fondées. L e Paiz
s ' é t o n n e q u e d a n s la p a t r i e d ' E l i s é e R e c l u s , d ' E m i l e
L e v a s s c u r , de P a u l
L e r o y - B e a u l i e u et d ' a u t r e s é m i n e n t s F r a n ç a i s q u i o n t é t u d i é l e Brésil et écrit s u r ce p a y s , u n l e a d e r p o l i t i q u e c o m m e M . M é l i n e m é c o n n a i s s e si e n t i è r e m e n t ce q u e sont le Brésil et les Brésiliens. 11 m o n t r e q u e d e p u i s 1 8 8 9 u n e r e m a r q u a b l e
monographie
de M . Levasscur a exposé q u e les colonies a l l e m a n d e s a u Brésil f u r e n t fondées p a r le g o u v e r n e m e n t brésilien et p a r les g o u v e r n e m e n t s des p r o v i n c e s , m a l g r é la v i v e o p p o sition d u g o u v e r n e m e n t a l l e m a n d , q u i n ' a pas e n c o r e consenti à ce q u e le Brésil ait en A l l e m a g n e des a g e n t s d ' é m i g r a l i o n . L e Paiz d i t q u e le Brésil c o m p t e a 1 m i l l i o n s d ' h a b i t a n t s , d o n t s e u l e m e n t 3 5 o 000 sont B r é s i l i e n s d ' o r i g i n e a l l e m a n d e . P r e s q u e tous sont nés d a n s le p a y s , c l 8 0 0 0 A l l e m a n d s s e u l e m e n t c o n s e r v e n t l e u r n a t i o n a l i t é d ' o r i g i n e . Il se d e m a n d e p o u r q u o i M . M é l i n e c r o i t q u e les Brésiliens de race g e r m a n i q u e sont m o i n s B r é s i l i e n s q u e les Alsaciens n ' é t a i e n t F r a n ç a i s . Il observe q u ' a u x É t a t s - U n i s , d o n t la p o p u l a t i o n est a u j o u r d ' h u i
i8o LES RELATIONS
I7I
FRANCO-BRÉSILIENNES
d e 8 0 m i l l i o n s d ' i i a b i l a n l s , il y e n a i 3 m i l l i o n s d e r a c e g e r m a n i q u e d o n t 10 m i l l i o n s n é s d a n s l e p a y s o u n a t u r a l i s é s , et 3 m i l l i o n s d ' A l l e m a n d s q u i c o n s e r v e n t l e u r n a t i o nalité. T o u t e s p r o p o r t i o n s g a r d é e s e n t r e la p o p u l a t i o n t o t a l e des d e u x p l u s g r a n d e s
Répu-
b l i q u e s d ' A m é r i q u e , le B r é s i l d e v r a i t , a u l i e u d e 8 0 0 0 A l l e m a n d s , e n a v o i r 7 8 0 0 0 0 e t , au
lieu
de 3ïk>ooo
Brésiliens
d'origine
allemande,
2 Gai) 0 0 0 ,
soit u n
total
de
3 / 4 ao 0 0 0 h a b i t a n t s d e r a c e g e r m a n i q u e , p o u r se p r é s e n t e r d a n s les m ê m e s c o n d i t i o n s q u e les É t a t s - U n i s . L e s t r o i s j o u r n a u x f o n t s e n t i r t o u s les a v a n t a g e s q u e le B r é s i l a t i r é s d e l ' i m m i g r a t i o n a l l e m a n d e , e n d é p l o r a n t q u ' e l l e a i t t a n t d i m i n u é d a n s ces d e r n i è r e s a n n é e s . L e g o u v e r n e m e n t a l l e m a n d sait q u e les f d s d ' A l l e m a n d s a u B r é s i l s o n t d ' a u s s i b o n s et l i d è l e s B r é s i l i e n s q u e l e s fils d e P o r t u g a i s et d ' I t a l i e n s , m a i s l i s a i t aussi q u e , g r â c e a u x c o l o n i e s a l l e m a n d e s f o n d é e s p a r le g o u v e r n e m e n t b r é s i l i e n , le c o m m e r c e e n t r e le B r é s i l et l ' A l l e m a g n e s ' e s t d é v e l o p p é c o n s i d é r a b l e m e n t , d e m ô m e
que
l'immigration
d ' I t a l i e n s a c a u s é u n g r a n d a c c r o i s s e m e n t d u c o m m e r c e i t a l o - b r é s i l i e n . II y a a c t u e l l e m e n t au Brésil 1 3 o o 0 0 0 Italiens. O n p e n s e e n c o r e a u j o u r d ' h u i , e n F r a n c e , q u e l ' é m i g r a t i o n r a l e n t i r a i t la p r o g r e s s i o n d e sa p o p u l a t i o n , a l o r s q u e l ' e x e m p l e d e l ' A l l e m a g n e , d e la G r a n d e - B r e t a g n e , d e l ' I t a lie et d u
Portugal, pays à
émigration,
devrait suffire pour
la
convaincre du con-
traire. L e s F r a n ç a i s n ' é m i g r e n l pas p o u r les p a y s n e u f s et d ' a v e n i r , et c'est p o u r q u o i l e u r commerce décline dans presque toute l ' A m é r i q u e latine.
BIO-BIÎANCO.
Tous ces arguments ne suffisent d'ailleurs pas à convaincre M. Mélinc qui, dans un second article, revient à la charge en commettant des erreurs encore plus manifestes. Le journal Le Brésil y répondit mieux que j e ne saurais le faire et son argumentation est si conforme à tout ce que j'ai observé que je ne résiste pas au plaisir de citer ce passage ('). M.
Méline
commente
la
statistique des
sujets a l l e m a n d s et des n a t u r a l i s é s
au
B r é s i l . M a i s e l l e n e le c o n v a i n c pas. L e s A l s a c i e n s , o b j e c t e - t - i l , r e g a r d e n t t o u j o u r s d u c ô t é d e la F r a n c e , t a n d i s q u e les A l l e m a n d s d u
Brésil
f o r m e n t un bloc q u i
regarde
c o n s t a m m e n t d u côté de l ' A l l e m a g n e . C o n t r e celle assertion, n o u s nous inscrivons eu faux. C e qui caractérise précisément 1 A l l e m a n d d e v e n u B r é s i l i e n , c'est q u ' i l s ' a t t a c h e à c e t t e t e r r e h o s p i t a l i è r e et p r e n a n t e du Brésil et
qu'il ne retourne
l ' I t a l i e n . 11 n e l a u t
pour
ainsi
dire plus dans
son p a y s c o m m e
pas c o n n a î t r e la m e n t a l i t é d e f A l l e m a n d n a t u r a l i s é p o u r
le
fait
croire
( ' ) Nous pourrions également, sans la crainte d'être trop long, citer les articles décisifs de notre confrcVe Morel qui, avec son journal l'Étoile (lu Sud, concourt depuis plus de vingt ans do la façon la plus courageuse et la plus efficace au maintien et au développement de l'influence française au Brésil.
i8o LES
RELATIONS
F R A N C O - B R É S I L I E N N E SI7I
q u ' i l s'obsline à regarder vers son pays et q u ' i l
e n p r é f è r e le r é g i m e féodal et
mili-
tarisé à la v i e n o u v e l l e , si i n d é p e n d a n t e et si l a r g e q u e l u i a faite le l i b r e B r é s i l , o ù tous les c h e m i n s
lui sont ouverts :
ceux
du
gouvernement,
comme à
Aluller, ministre de l'industrie, c o m m e à M. Schmidt, gouverneur rina ; ceux d u Congrès, c o m m e à M. Ilasslocher, député d u fédéral ; ceux de la fortune, c o m m e à M . S c h m i d t ,
M.
de Santa
Rio Grande au
pauvre immigré
Lauro Calha-
Congrès
allemand,
au-
j o u r d ' h u i l e p l u s r i c h e p l a n t e u r d e c a f é d e S â o P a u l o , sans p a r l e r d e t o u s ces a u t r e s (ils d e c o l o n s a l l e m a n d s q u i o c c u p e n t l e s p r e m i è r e s p l a c e s d a n s l ' a r m é e , la m a r i n e , l a m a g i s t r a t u r e , le c o m m e r c e et l ' i n d u s t r i e . M . Mélinc peut être certain possible q u e
q u e ces h o m m e s - l à ,
d e v e n u s p l u s B r é s i l i e n s s ' i l «st
les B r é s i l i e n s e u x - m ê m e s , n e r e g a r d e n t pas a u t a n t
la p a t r i e a l l e m a n d e
q u i est
bien loin et
qui,
peut-être, eût
q u ' i l le croit vers
été m o i n s
généreuse
pour eux. L e Brésil n ' a , d'ailleurs, pas besoin d'avertissement. national n'est plus vif, plus susceptible,
s ' y est m a n i f e s t é à m a i n t e s r e p r i s e s p a r ce n a t i v i s m e , q u e n'est le c h a u v i n i s m e
ou
D a n s n u l pays, le s e n t i m e n t
p l u s p r o m p t à s ' e n f l a m m e r q u e c h e z l u i . 11 plus aigu, plus ardent encore
le nationalisme en F r a n c e ,
et q u i
n'a
p a s été
sans
p r e s s e n t i r les d a n g e r s q u e p e u v e n t f a i r e c o u r i r a u j e u n e B r é s i l les a m b i t i o n s c o l o n i a l e s et impérialistes de certaines puissances.
Et notre confrère de
conclure
judicieusement que M. Méline, au heu
de se lamenter sur le péril allemand, pourrait plus efficacement réfléchir sur les conséquences néfastes de son protectionnisme outrancier. Et puis, encore un coup, on ne peut raisonnablement se plaindre des progrès réalisés par des rivaux que lorsqu'on a soi-même vraiment
fait
effort pour triompher. Or, non seulement nous n'avons rien tenté de sérieux, mais nous demeurons par surcroît annihilés par de vieux textes qui n'ont plus leur raison d'être et que la routine administrative laisse subsister : par exemple, cette circulaire ministérielle de 1876 qui interdit à toutes les agences d'émigration le recrutement de nos nationaux pour le Brésil et dont voici les termes : Paris, 3i août 1875. MONSIEUR,
Je vous avais adressé le i 4 avril dernier u n e circulaire a y a n t p o u r objet d'interdire a u x agences d ' é m i g r a t i o n d'engager des é m i g r a n t s à destination d u Des informations transmises
Vénézuéla.
p a r les r e p r é s e n t a n t s d u g o u v e r n e m e n t
français
au
B r é s i l f o n t c o n n a î t r e q u e , d a n s ce p a y s , l a s i t u a t i o n o ù se t r o u v e n t
les é m i g r a n t s
serait é g a l e m e n t
aussi
déplorable et q u ' i l
en résulterait p o u r nos consuls
bien au
Brésil q u ' a u V é n é z u é l a la nécessité de rapatrier a u x frais d u g o u v e r n e m e n t u n g r a n d n o m b r e de nos nationaux. Pour mettre u n terme aux paraissent devoir s'aggraver
abus qui
se s o n t p r o d u i t s d a n s ces d e r n i e r s t e m p s e t
encore, j'ai décidé, d'accord avec M M .
les M i n i s t r e s
des
i8o L E S
RELATIONS
F R A N C O - B R É S I L I E N N E SI7I
A f f a i r e s é t r a n g è r e s et de l ' I n t é r i e u r , q u e j u s q u ' à n o u v e l o r d r e , le r e c r u t e m e n t de nos n a t i o n a u x p o u r le Brésil serait i n t e r d i t à toutes les agences d ' é m i g r a t i o n . Je dois v o u s r a p p e l e r de n o u v e a u ,
M o n s i e u r , q u e les agences d ' é m i g r a t i o n q u i ne
t i e n d r a i e n t pas c o m p t e de c e l t e i n j o n c t i o n s'exposeraient a u retrait de
l'autorisation
q u i l e u r a été accordée, sans p r é j u d i c e des m e s u r e s q u i p o u r r a i e n t les a t t e i n d r e s u i v a n t la g r a v i t é des faits q u i l e u r seraient r e p r o c h é s . Le Ministre de l'Agriculture DE
et du
Commerce,
MEAUX.
Cette circulaire fut rappelée à deux reprises : une première fois le îG janvier 1886, la seconde fois le 20 septembre 1890. Il était dit dans ces rappels que « par suite des renseignements défavorables fournis j u s qu'à ce jour au département de l'Intérieur, la circulaire concernant l'émigration au Brésil était maintenue ». Depuis cette dernière date, aucun nouveau rappel n'a été adressé aux agences d'émigration, mais la circulaire rédigée sous le septennat de Mac-Mabon est restée en vigueur, bien que les motifs qui l'ont provoquée aient cessé d'exister. La Correspondance
Universelle,
très documentée sur les choses de
l'Amérique du Sud, a récemment commenté les conséquences d'une telle mesure et montré combien il est absurde de ne pas l'abroger. E n 1 8 7 5 , d i t notre c o n f r è r e , l'esclavage
n ' a v a i t pas e n c o r e été
T o u s les t r a v a u x agricoles d a n s les fazendas,
aboli a u Brésil.
tous les t r a v a u x d o m e s t i q u e s
étaient
effectués p a r les nègres esclaves. C e r t a i n e s p r o v i n c e s a v a i e n t , il est v r a i , créé q u e l q u e s centres agricoles officiels où le t r a v a i l l i b r e a u r a i t p u t r o u v e r u n e m p l o i u t i l e : m a i s ces tentatives exécutées sans m é t h o d e , sans esprit de s u i t e , et a u s s i , sans ressources suffisantes, n e d o n n a i e n t pas les résultats q u ' o n
avait escomptés.
E l l e s étaient trop
rares, d ' a u t r e p a r t , p o u r o c c u p e r u n e é m i g r a t i o n n o m b r e u s e . D a n s ces c o n d i t i o n s , p l u s i e u r s f a m i l l e s françaises q u i s'étaient e m b a r q u é e s a u H a v r e et à Marseille en p o u r se r e n d r e
au Brésil
où
des a g e n t s
du
gouvernement
1876
i m p é r i a l brésilien
les
a v a i e n t attirées p a r u n e p r o p a g a n d e a c t i v e d u r e n t , peu de t e m p s a p r è s l e u r a r r i v é e , solliciter l e u r r a p a t r i e m e n t . Il f a u t a j o u t e r à cela q u e la ville de B i o d e J a n e i r o o ù ces f a m i l l e s a v a i e n t été d é b a r q u é e s était encore m a l s a i n e et s o u v e n t r a v a g é e p a r
les é p i d é m i e s , ce q u i r e n d a i t
p l u s m i s é r a b l e e n c o r e la s i t u a t i o n des é m i g r a n t s . E n 1886, l'esclavage venait
d'être aboli. Le g o u v e r n e m e n t brésilien, inquiet
des
c o n s é q u e n c e s de cette m e s u r e , fit u n n o u v e l effort p o u r attirer l ' é m i g r a t i o n e u r o p é e n n e . M a i s on p o u v a i t c r a i n d r e , n o n sans r a i s o n , q u e le travail libre n ' a y a n t p a s encore été o r g a n i s é , les é m i g r a n t s fussent exposés à des m é c o m p t e s . E n f i n , en 1890, d a t e d u renverser l'empereur Doin RE.NBI T U R O T .
second
rappel de la c i r c u l a i r e , le Brésil q u i v e n a i t
P e d r o II et de p r o c l a m e r
la R é p u b l i q u e , traversait ,3
de une
i8o L E S
crise
politique
RELATIONS
F R A N C O - B R É S I L I E N N E SI7I
s u s c e p t i b l e d ' a r r ê t e r u n m o m e n t son
d é v e l o p p e m e n t et p e u
d a n s tous les cas, à faciliter l ' é t a b l i s s e m e n t utile de l ' é m i g r a t i o n T e l l e s f u r e n t les r a i s o n s q u i p r o v o q u è r e n t la c i r c u l a i r e d o n t r a p p e l s q u e l e m i n i s t è r e d e l ' A g r i c u l t u r e et d u C o m m e r c e e n
propre,
étrangère. il s ' a g i t
fit
aux
et l e s
agents
gration.
deux d'émi.
t
A u j o u r d ' h u i , et d e p u i s d e n o m b r e u s e s a n n é e s d é j à , ces r a i s o n s o n t cessé d ' e x i s t e r . L a R é p u b l i q u e d e s É t a t s - U n i s d u B r é s i l , la p l u s i m p o r t a n t e ,
la
plus riche
et
la
p l u s p e u p l é e d e t o u t e s les r é p u b l i q u e s l a t i n e s , est e n p l e i n e p r o s p é r i t é et e n c o n s t a n t d é v e l o p p e m e n t , e t il est p e u d e
p a y s n e u f s , s a n s e n e x c e p t e r la R é p u b l i q u e
Argen-
tine, q u i puissent offrir aux ¿-migrants, à l ' h e u r e actuelle, a u t a n t d'avantages et
de
facilités de vie. Il s u f f i t d e s a v o i r q u ' e n
moins de dix ans, plus d ' u n
million de sujets italiens
se
s o n t é t a b l i s d a n s l ' É t a t d e S à o P a u l o o ù la p l u p a r t d ' e n t r e e u x o n t t r o u v é
immédia-
tement u n travail bien r é m u n é r é
Italie
(les s o m m e s envoyées de Sào P a u l o
en
par
l e s é m i g r a n t s i t a l i e n s , c l r e p r é s e n t a n t les é c o n o m i e s réalisées p a r e u x , s ' é l è v e n t à p l u s de trente millions de lires). Il s u f f i t d e s a v o i r e n f i n q u e d a n s le c o u r a n t d e l ' a n n é e d e r n i è r e , p l u s i e u r s de sujets russes o n t d é b a r q u é dans l ' É t a t de Sào
Paulo, où
milliers
le g o u v e r n e m e n t a
a u s s i t ô t à l e u r d i s p o s i t i o n d e vastes t e r r a i n s , d e s h a b i t a t i o n s ,
des i n s t r u m e n t s
t o i r e s , d e s a n i m a u x , d e s s e m e n c e s t o u t e n l e u r f o u r n i s s a n t , e n a t t e n d a n t la
mis ara-
récolte,
d u t r a v a i l r é t r i b u é . L ' i n s t a l l a t i o n d e ces f a m i l l e s s'est faite d a n s u n c e n t r e a g r i c o l e a u q u e l o n a d o n n é le n o m d e N o u v e l l e - O d e s s a .
C e m ê m e g o u v e r n e m e n t , sous l ' i m -
p u l s i o n a c t i v e et é c l a i r é e d u M i n i s t r e d e l ' A g r i c u l t u r e , strie, M . le D r Carlos B o t e l h o , achète tous
du
Commerce
et de
l'Indu-
les j o u r s , le l o n g d e s v o i e s f e r r é e s et à
p r o x i m i t é d e s v i l l e s , d e s t e r r a i n s d e s t i n é s a u x c o l o n s e t a f f e c t e à ce s e r v i c e d e s s o m m e s enormes. Comment, d'autre part,
pourrait-on
croire
que l'émigrant
est e x p o s é à
t r o u v e r les m o y e n s d e v i v r e d a n s u n p a y s o ù les t r a v a u x p u b l i c s
et
p r i s , d e p u i s q u e l q u e s a n n é e s , u n essor p r o d i g i e u x ; o ù t o u s les j o u r s
ne
pas
particuliers
ont
on construit
de
n o u v e l l e s l i g n e s d e c h e m i n s d e f e r , d e n o u v e l l e s r o u t e s , d e s p o n t s , d e s q u a i s et o ù les c e n t r e s d e p o p u l a t i o n se t r a n s f o r m e n t e t g r a n d i s s e n t
d'une
façon surprenante ?
v i l l e d e l t i o d e J a n e i r o , a u t r e f o i s m a l s a i n e a v e c ses r u e s é t r o i t e s e t
ses v i e i l l e s
La
mai-
s o n s c o l o n i a l e s p o r t u g a i s e s c o n s t r u i t e s e n d é p i t d e s p r e s c r i p t i o n s h y g i é n i q u e s les p l u s é l é m e n t a i r e s , a p r o c é d é e n ces d e r n i è r e s a n n é e s à s o n a s s a i n i s s e m e n t d é f i n i t i f e n p e r çant de grandes avenues et des rues nouvelles, en faisant disparaître
des
montagnes
q u i e n t r a v a i e n t s o n d é v e l o p p e m e n t e t l ' e m p ê c h a i e n t d ' ê t r e b a l a y é e p a r l ' a i r d e la m e r , e n r e m p l a ç a n t p a r t o u t ses a n c i e n n e s h a b i t a t i o n s p a r d e s é d i f i c e s m o d e r n e s . C e s vaux gigantesques q u i font de Rio u n
immense chantier,
ont
occupé,
tra-
occupent
et
o c c u p e r o n t l o n g t e m p s e n c o r e , d e s m i l l i e r s d ' o u v r i e r s é t r a n g e r s . E t il e n est d e m ê m e d e la p l u p a r t d e s v i l l e s d u B r é s i l . L a v i l l e d e S à o P a u l o c o m p t a i t , A o o o o habitants : elle en c o m p t e a u j o u r d ' h u i 3 o o o o o . population
est
forcément
u n e source
abondante
Un
il y a v i n g t a n s ,
pareil accroissement
de t r a v a u x
et
de
d ' a f f a i r e s p o u r les
é t r a n g e r s é t a b l i s d a n s c e t t e c a p i t a l e . E n v i n g t a n s , é g a l e m e n t , la v i l l e d e M a n a o s est passée de i ô o o o habitants à G o o o o . B e l e m a a u g m e n t é de 1 2 0 0 0 0 habitants en ans. T o u t cela dénote u n e prospérité p e u c o m m u n e c l sans contredit,
supérieure
c e l l e d ' a u t r e s p a y s n e u f s o ù les é m i g r a n t s f r a n ç a i s o n t la l i b e r t é d e se r e n d r e .
dix à
i8o LES
)
L a
v é r i l é
csl
RELATIONS
F R A N C O - B R É S I L I E N N E SI7I
q u e le Brésil d o n t O n é s i m e Reclus
dit dans une
oeuvre
récente,
Partage^ du Monde : « R i e n i c i - b a s n e v a u t le B r é s i l en richesses o c c u l t e s , en c e n c e s é t a l é e s , en p o s s i b i l i t é s d ' o p u l e n c e », c s l e x a c t e m e n t , à
l'heure
le
magnifi-
actuelle, °dans
la s i t u a t i o n o ù se t r o u v a i e n t les É t a t s - U n i s a u m i l i e u d u siècle d e r n i e r , a u
moment
o ù ils p r e n a i e n t l ' é l a n f o r m i d a b l e q u i a a b o u t i a u x r é s u l l a l s a c t u e l l e m e n t a c q u i s .
El
c ' é t a i t p r é c i s é m e n t a l o r s q u e les ¿ m i g r a n t s p o u v a i e n t
du
trouver
dans
l'Amérique
N o r d n o n p a s s e u l e m e n t les m o y e n s d e v i v r e l a r g e m e n t , m a i s aussi la p o s s i b i l i t é
de
s'enrichir. L a c i r c u l a i r e d e 187;') p o u r r a i t d o n c ê t r e s u p p r i m é e sans i n c o n v é n i e n t s . Il est m ê m e p e r m i s de d i r e q u e sa s u p p r e s s i o n esl c o m m a n d é e p a r l ' i n t é r ê t m ê m e d e la F r a n c e . Les I t a l i e n s é l a b l i s h S à o P a u l o . les A l l e m a n d s h R i o G r a n d e d o S u l
et à
Sanla
C a l h a r i n a , les P o r t u g a i s d a n s t o u s les É t a l s b r é s i l i e n s , o n t c o n t r i b u é d a n s u n e l a r g c m e s u r c a u d é v e l o p p e m e n t des r e l a t i o n s c o m m e r c i a l e s d e l e u r p a y s d ' o r i g i n e a v e c le B r é s i l . Certes, la F r a n c e q u i c o m p t e à peine h l'heure actuelle 20000 é m i g r a n l s par an ne' s a u r a i t c o n s i d é r e r son é m i g r a t i o n
pomme
un
facleur
commercial
de
très
grande
i m p o r t a n c e . Il n ' e n e s l pas m o i n s v r a i q u e si ces v i n g t m i l l e F r a n ç a i s q u i s ' e x p a t r i e n t c h a q u e année, q u ' o n ne saurait e m p ê c h e r de s'expatrier, et qui p a r l e n t
aujourd'hui
à l ' a v e n t u r e , é t a i e n t d i r i g é s m é t h o d i q u e m e n t v e r s les p a y s o ù n o t r e c o m m e r c e f a i b l i t , d s n o u s s e r a i e n t de q u e l q u e u t i l i t é . O r ,
c'est a u B r é s i l
surtout
p o u s s e r . Il y a l à . e n e f f e t , p o u r les p r o d u i t s f r a n ç a i s , u n o r d r e d o n t les b e s o i n s a u g m e n t e n t t o u s les j o u r s e t q u i
qu'on
m a r c h é de
nous
devrait
tout
les
premier
appartiendrait
facile-
m e n t si n o u s n o u s e n o c c u p i o n s p l u s q u e n o u s n e l ' a v o n s f a i t j u s q u ' i c i . En
dehors
de
l'objection
relative
aux
facilités de t r a v a i l o f f e r t e s p a r le B r é s i l à
l ' é m i g r a t i o n , o b j e c l i o n à l a q u e l l e il v i e n t d ' ê t r e r é p o n d u , o n en p e u t s o u l e v e r a u t r e s e n a p p a r e n c e assez i m p o r t a n t e s e t q u i , p e u t - ê t r e , n e l ' e n v o i d e la c i r c u l a i r e de 1 8 7 6 .
lurent
deux
pas é t r a n g è r e s à
L a p r e m i è r e a t r a i t a u c l i m a t et à la s a l u b r i t é d u B r é s i l ; la s e c o n d e à la d i l l i c u l l é p o u r les t r a v a i l l e u r s d ' o b t e n i r le p a i e m e n t d e l e u r s s a l a i r e s q u a n d , d ' a v c n l u r c , ils se t r o u v e n t e n p r é s e n c e d ' u n e m p l o y e u r d e m a u v a i s e foi o u a u - d e s s o u s d e ses a f f a i r e s . E n ce q u i c o n c e r n e Je c l i m a t e t la s a l u b r i t é il c o n v i e n t
de ne
pas o u b l i e r
qu'un
s e u l E t a l a u B r é s i l s o l l i c i t e en cc m o m e n t l ' é m i g r a t i o n c l s ' i m p o s e p o u r l ' a t t i r e r d e s sacrifices
considérables.
C'est
l'État
de
Sào
P a u l o q u i f o u r n i t à l u i s e u l les trois
q u a r t s d u c a f é c o n s o m m é d a n s le m o n d e , q u i est t o u j o u r s
en
quête de
travailleurs
p o u r ses p l a n t a t i o n s et s ' e f f o r c e d ' a u t r e p a r t de m u l l i p l i e r ses c e n t r e s c o l o n i a u x .
A
p r e m i è r e v u e l o r s q u ' o n c o n s u l t e u n e c a r t e g é o g r a p h i q u e , il s e m b l e q u e cet É t a l d o i t ê t r e r a n g é d a n s la c a t é g o r i e
des pays à climat
tropical.
Ce
n ' e s t là q u ' u n e
r e n c e . Grftce à s o n a l t i t u d e q u i e s l d e p l u s i e u r s c e n t a i n e s d e n i v e a u d e la m e r , S à o P a u l o j o u i t d ' u n c l i m a t t e m p é r é . m o i s le p l u s c h a u d e s t d e 2 5 ° ; e l l e n ' e s t à S à o
Paulo
que
mètres
A Alger, 18°,6.
appa-
au-dessus
du
la m o y e n n e
du
La
l ' a n n é e d a n s la p r e m i è r e v i l l e est d e I 8 ° , I ; e l l e est d a n s la s e c o n d e d e
movenne
de
17°,"7.
L ' E t a t d e S à o P a u l o est très s a i n , e t m ê m e les p o i n t s d u l i t t o r a l , c o m m e la v i l l e d e S a n l o s , t e n u s l o n g t e m p s , avec raison, c o m m e des foyers d'infection, sont, depuis de n o m b r e u s e s années, i n d e m n e s de toute maladie
épidéinique.
Voici,
d'ailleurs,
t a b l e a u i n s t r u c t i f . O n y a é t a b l i la m o y e n n e a n n u e l l e des d é c è s d a n s q u e l q u e s d ' E u r o p e e t d a n s les v i l l e s d e l ' E t a t d e S à o P a u l o .
un
villes
i8o LES
RELATIONS
DÉCÈS PAR
F R A N C O - B R É S I L I E N N E SI7I
I ooo H A B I T A N T S E T P A R VILLES
AN
D'EUROPE.
Madrid
A
3 6
Lisbonne Marseille
3 o
Milan
2
4,6
Paris
2
i,3
Rome
20,6 VILLES
DE
SÂO
-6
PAULO.
Säo P a u l o (capitale) Campinas
24.49"
Roberäo Proto
i6,5o
S . Carlos de Pinlial
I4,52
Araraquara
io,56
I tapira
'9>44
Jahu
21 > a 3
Cajurn
i3
Mococa
I3,57
-67
Bragança
21,78
Espiritu Santo de Pinlial
22,86
Bolem do Descalvado
20,08
C e q u i v i e n t d ' ê t r e d i t d e S â o P a u l o est v r a i p o u r l a p l u s g r a n d e p a r t i e d u B r é s i l , t o u t e n b a u t s p l a t e a u x , e n d e h o r s d e l ' A m a z o n i e e t d e la b a n d e d u l i t t o r a l ( f r a n g e d e la m e r ) , q u i n ' a , a u p i e d d e s s e r r a s , q u e q u e l q u e s k i l o m è t r e s d e l a r g e . D a n s l ' i m m e n s e B r é s i l , seize fois g r a n d c o m m e la F r a n c e , l ' é m i g r a n t e u r o p é e n , l e F r a n ç a i s c o m m e les a u t r e s , p e u t d o n c se r e n d r e , s a n s c r a i n t e d ' ê t r e e x p o s é à u n c l i m a t i n s u p p o r t a b l e et m a l s a i n . Est-il
possible
d e c r a i n d r e q u e c e t é m i g r a n t soit
p r o d u i t de son t r a v a i l ? L a question vaut d'être posée,
f r u s t r é p a r les e m p l o y e u r s d u car elle
fit,
e n ces
derniers
temps, l'objet des préoccupations de certains g o u v e r n e m e n t s européens et particulièr e m e n t d u g o u v e r n e m e n t i t a l i e n , a u q u e l d e s p l a i n t e s d e ses n a t i o n a u x — fondées —
é t a i e n t p a r v e n u e s . L a baisse d u p r i x d u c a f é a v a i t
amené,
en
partie
en effet,
une
c r i s e d o n t b e a u c o u p d e p l a n t e u r s d e s e c o n d o r d r e e u r e n t à s o u f f r i r . 11 s ' e n s u i v i t p o u r leurs colons —
I t a l i e n s p o u r la p l u p a r t —
les c r é a n c e s d e s t r a v a i l l e u r s
quelques mécomptes,
d'autant
n'étaient pas privilégiées. E n présence
choses, le g o u v e r n e m e n t italien, q u i avait autorisé
l'émigration
plus
de cet
état
pour le Brésil
que de avec
p a s s a g e g r a t u i t , d é c i d a q u e ses n a t i o n a u x n e p o u r r a i e n t à l ' a v e n i r se r e n d r e d a n s ce p a y s q u e s'ils p a y a i e n t l e p r i x d e la t r a v e r s é e e t é t a i e n t m u n i s
contrat
portant
la s i g n a t u r e d u p l a n t e u r q u i les a p p e l a i t p o u r t r a v a i l l e r d a n s sa f a z e n d a . C e
contrat
d e v a i t s t i p u l e r la d u r é e d e l ' e n g a g e m e n t
de l'ouvrier
e t s o n s a l a i r e ; il
outre, y être dit q u e , dans tout d i f f é r e n d entre le p l a n t e u r et i t a l i e n d é c i d e r a i t s e u l e n t r e les d e u x p a r t i e s .
d'un
son
devait,
salarié le
en
consul
i8o L E S
RELATIONS
I
FRANCO-BRÉSILIENNES
7 I
L e g o u v e r n e m e n t d e l ' É t a t de S à o P a u l o ne p o u v a i t en a u c u n e façon tenir c o m p t e de pareils a r r a n g e m e n t s et p e r m e t t r e à u n e j u s t i c e é t r a n g è r e de f o n c t i o n n e r à côté de la s i e n n e . M a i s u n c e r t a i n n o m b r e d e p l a n t e u r s a c c e p t è r e n t p e r s o n n e l l e m e n t les c o n ditions des autorités italiennes. P o u r c o u p e r c o u r t à c e t t e s i t u a t i o n , le g o u v e r n e m e n t d e l ' É t a t d e S â o P a u l o d e f a i r e d é p o s e r e n s o n n o m , p a r u n d é p u t é p a u l i s t e , s u r le b u r e a u
d e la
f é d é r a l e , u n p r o j e t d e l o i é t a b l i s s a n t q u e les c r é a n c e s d e s c o l o n s s e r a i e n t
vient
Chambre
privilégiées
et g a r a n t i e s s u r la r é c o l t e et s u r les i m m e u b l e s . Cette
mesure
seule
suffit
à m o n t r e r c o m b i e n les g o u v e r n e m e n t s brésiliens s o n t
s o u c i e u x d u d r o i t d e s é m i g r a n t s e t s ' e f f o r c e n t d ' o f f r i r à ces d e r n i e r s t o u t e s é c u r i t é . A p r è s ce q u i v i e n t d ' ê t r e d i t , il p a r a i t d é m o n t r é q u e les m o t i f s d e la c i r c u l a i r e d e 1 8 7 0 et d e s r a p p e l s q u i e n o n t été f a i t s e n 188C et 1 8 9 0 , n ' e x i s t e n t p l u s ; q u e le B r é sil est a u t a n t , s i n o n p l u s , q u e l e s a u t r e s R é p u b l i q u e s s u d - a m é r i c a i n e s o ù l e s F r a n ç a i s o n t la l i b e r t é d e se r e n d r e , e n m e s u r e d e r e c e v o i r l ' é m i g r a t i o n
européenne : qu'il
a , e n o u t r e , i n t é r ê t à e n g a g e r n o s é m i g r a n t s h se r e n d r e d a n s u n
pays où
il
y
leur
serait possible de travailler u t i l e m e n t p o u r e u x , tout en c o n t r i b u a n t d a n s u n e m e s u r e appréciable au développement du c o m m e r c e français.
Toutes ces considérations démontrent suffisamment que si le gouvernement français a le devoir impérieux de défendre ses nationaux contre l'exploitation
d'agences louches, qui n'offriraient point aux émigrants les
garanties de moralité et de solvabilité indispensables, il doit abroger sans retard une circulaire que beaucoup de Brésiliens considèrent c o m m e vexatoire
et qui est une entrave fâcheuse à l'expansion française de
l'autre côté de l'Atlantique. *
*
*
J'en arrive maintenant à la cause qui gêne le plus fâcheusement le développement de nos transactions avec le Brésil, je v e u x parler des tarifs douaniers. Les tarifs sont quasi prohibitifs en ce qui concerne la F r a n c e et la nouvelle élévation
récente justifie bien la démarche tentée auprès des
Ministres des Affaires Étrangères
cl
du C o m m e r c e par la C h a m b r e
syndicale des négociants commissionnaires de Paris. A
l'appui de ces démarches, la C h a m b r e a rédigé des conclusions
faisant ressortir les fâcheuses conséquences du régime ultra-protectionniste des douanes brésiliennes. Elle demande l'intervention du gouvernement français pour démontrer au Brésil son erreur en frappant indistinctement de droits prohibitifs tous les articles importés, politique qui lèse non seulement les nations importatrices, mais le fisc brésilien luimême dont les revenus diminuent régulièrement avec chaque aggravation
i8o LES
RELATIONS
F R A N C O - B R É S I L I E N N E SI7I
(les taxes douanières. La Chambre proteste avec la dernière énergie contre les droits exorbitants sur tous les .articles d'importation de la France, dont le montant va sans cesse en diminuant depuis 1890, tandis qu'au contraire les importations du Brésil en France vont en a u g m e n tant comme le montrent les chillies suivants, correspondant aux trois dernières périodes quinquennales :
ANNÉES
EXPORTATIONS l'i:
F R A K C K AL' BIU'.SH,
Franc». 4 08 9 a G 654 3«7 Gi 7 060 189 000
l895-l8()9 1900-190/1
IMPORTATIONS n u HRÉsii. i \
m
ASci
Francs. 37G 7 5G a8o 38o 831 654 4 1 3 o3o 000
La balance des échanges commerciaux est, comme 011 le voit, entièrement défavorable à la France. « Ainsi donc, poursuit l'exposé, tandis que la France consentait en 1900 à réduire de 20 francs par 100 kilogrammes le droit de consommation sur les cafés contre le simple maintien du statu quo pour les importations françaises au Brésil, le Brésil n'a fait qu'augmenter ses droits, créant lige situation désastreuse pour l'importation française. Ces augmentations de droits qui, déjà en 1900, variaient de 5 à 1 8 0 % sur le tarif de 189G, ont dépassé aujourd'hui le tarif maximum dont la France était menacée en 1900, si elle n'avait pas consenti à une réduction de droits sur le café. « Cette concession a donc été illusoire, puisque les articles français sont plus frappés que jamais et grevés proportionnellement plus que ceux des nations concurrentes. » La Chambre syndicale en conclut qu'il est urgent d'entrer en pourparlers avec le Brésil, qui ne saurait se montrer tout à fait intransigeant, tant en raison du chiffre important des produits qu'il expédie en France que de l'inégalité de traitement entre les deux nations, « l'une respectant les concessions accordées par elle, l'autre les annulant pour ainsi dire, par une majoration constante des droits ». Je iie veux pas à cette place traiter trop longuement cette question douanière:
il me faudra y revenir en effet quand, à propos du café,
j'exposerai de quelle façon 011 pourrait résoudre, à mon avis, le problème douanier, et mettre fin à une sorte de guerre de tarifs, aussi préjudiciable aux intérêts français qu'aux intérêts brésiliens.
LES
RELATIONS
EHANCO-BRÉSILIENNES
' 9 9
Nous venons d'enregistrer les doléances d'une chambre syndicale de négociants parisiens : il est intéressant de juxtaposer les récriminations légitimes de l'Association commerciale de llio. Je n'hésite pas à donner de larges extraits de ce document qui les résume, l a n l y est lumineusement traitée, par les hommes les p l u s c o m pélents, la question des tarifs de douane. « L'Association commerciale de Rio de Janeiro, profondément convaincue qu'elle interprète le sentiment et qu'elle exprime les appréhensions de sa classe dans toute la République, prie respectueusement le Congrès national de tourner son attention sur ce qu'elle va lui exposer, et qui lui est suggéré par l'intérêt général du pays. « L'Association n'oserait rédiger celtc représentation si des motifs d'opportunité et des raisons de convenance publique ne lui eussent conseillé, une fois de plus, de montrer combien l'instabilité des tarifs cl l'augmentation progressive des droits d'importation sur la consommation l'impressionnaient. Si, en sa qualité d'organe du commerce, elle s'occupe à sauvegarder les intérêts de ce dernier, elle peut affirmer sincèrement que lesdits intérêts sont harmoniques cl solidaires avec Ceux de la collectivité, déjà bien chargée d'impôts, et qui désespère presque d'améliorer son sorl. « L'Association applaudit, comme il est de son devoir, du reste, à toute la protection donnée par les pouvoirs publics à l'activité et au travail national... « Mais elle comprend aussi qu'en matière tributive, la formule a priori, si respectable qu'elle soit et aussi promettante qu'elle puisse l'être, doit céder le pas à l'analyse méticuleuse des faits et à l'examen concret des situations de façon que l'on ne fasse point de la protection (qui pour être efficace doit être générale) un instrument favorable aux uns et nuisible aux autres. ' « La préparation de la richesse future sur les décombres de l'économiepopulairc, blessée à mort par les exigences des lois de sacrifice, ne peut s'abriter sous le manteau tutélaire de l'État : aujourd'hui comme demain, la collectivité a droit au soutien de son travail, de ses revenus, de ses espérances, et il ne serait pas d'une saine politique d'oublier les intérêts dçs citoyens d'aujourd'hui, pour cette raison qu'il est nécessaire de sauvegarder ceux des citoyens de demain... « Les faits et les enquêtes enseignent et prouvent que, de tous les peuples de la terre qui payent les impôts douaniers les plus élevés, le peuple brésilien occupe malheureusement une place fort saillante.
200
LES
RELATIONS
FRANCO-BRÉSILIENNES
« D'aulrc part, le fait de ne pas posséder encore de circulation monétaire valide, autorisa, en 1897, le calcul du prix officiel des unités de m a r chandises sur la hase du c h a n g e a ia' 1 pour les droits spécifiques... « Le commerce toujours docile aux lois, et cherchant toujours à offrir son appui aux mesures tendant au perfectionnement de nos
conditions
financières, ne présenta point de plaintes contre le plan salutaire de la réhabilitation publique,
mis en pratique par la Présidence passée : il
accepta — et il n'avait pas les moyens de refuser, du reste — la modulation du change de 12 pour la détermination des valeurs officielles de l'importation et il continua, comme par le passé, à se résigner à une situation qui, si elle n'était pas brillante dans le moment, aurait pu être plus calme ensuite. « L e s impositions successives de 10 à 25 %
en or des droits de
douane à payer, devenues plus pénibles encore par la création d'une taxe spéciale de consommation, destinée à éviter au Trésor les désagréments d'une diminution probable de revenus, furent supportées également, sans lamentations ostensibles, et l'élévation de ce taux à 5o
%
en or, l'année passée, qui provoqua une situation de difficulté réelle, 11c donna pas lieu non plus à des récriminations. Dès 1897 le système protectionniste était invoqué afin de justifier'les augmentations de droits douaniers : l'année passée, le gouvernement déclara formellement que la quole or de 25 °/„ serait suffisante pour la solution des obligations du T resor, mais le Congrès national préféra celle de 5o "/„, voulant par là fournir aux industries des compensations pour les préjudices que la hausse du change, disait-on, leur avait causés. Or, voici que le Congrès national actuel considère cette mesure même comme insuffisante et va approuver des amendements au projet de igo/i qui augmente les droits de douane. « L'Association commerciale prend la liberté de dire que le commerce importateur du Brésil dépérit, et elle garantit également que la protection, qu'elle n'hésite pas à qualifier d'excessive, concédée déjà aux industries, 11'a donné lieu ni ne donnera lieu de sitôt à l'abaissement des prix des produits nationaux. « Chaque augmentation de droits douaniers renchérit la marchandise étrangère sur le marché et fait augmenter le prix du produit national en vente: l'importation diminue, les revenus publics s'amoindrissent e l l e peuple n'achète pas moins cher ce dont il a besoin, ni n'est soulagé non plus des nouveaux impôts en perspective. « De cette manière, la protection donnée aux industries semble exces-
i
LES
RELATIONS
201
FRANCO-BRÉSILIENNES
sive, clic porte préjudice à la collectivité qui achète et affaiblit le commerce qui vend, sans aucun avantage appréciable pour le Trésor public ; elle permet uniquement aux entreprises industrielles d'accumuler des bénéfices, qui pour beaucoup d'entre elles se traduisent en transfèremcnt des fonds de réserve au compte capital et aussi par une distribution de gros dividendes. » Prenant des exemples d'abus protectionniste, l'Association signale notamment dans le rapport de la Commission des finances les propositions tendant à élever montre que l'adoption
considérablement les droits
sur les
de cette mesure aurait pour unique
bas
et
résultat
de faire vendre plus cher les bas de qualité inférieure sans pour cela provoquer la fabrication de bas de qualité supérieure, comme l'espère la Commission. Elle remarque en outre qu'il 11'y a aucune
raison du
moment qu'on protège 1111e industrie contre les concurrentes étrangères pour ne pas protéger toutes les autres, les industries du livre par exemple. Enfin, à propos des propositions de taxes nouvelles sur le coton, elle constate que les droits sur le colon deviennent ainsi prohibitifs et que l'industrie nationale 11e prospère qu'aux dépens des sacrifices du consommateur : « La
protection qu'elles (les industries) réclament
est celle
qui
leur donnera la jouissance progressive d'une aussi prospère abondance. « Mais le consommateur gémissant déplore que l'illustre Commission, qui a été mal renseignée, travaille à faire enrichir les riches et appauvrir encore ceux qui ne le sont pas. « T o u t le
monde se rappellera encore l'incident curieux suivant
cl que nous citons à ce sujet. Une petite fabrique de peignes et de baleines en corne fut s'installer rue de Riachuelo en cette ville. En sa qualité d'industrie nationale, elle obtint aussitôt l'élévation des droits de douane de 1 S 200 à 2 S 4oo le kilogramme. Trouvant qu'elle ne gagnait pas assez, car ce qu'elle produisait n'était pas suffisant, elle obtint une nouvelle augmentation qui éleva les droits à /1 S 000 le kilogramme puis, à fi S 000 avec 35 % or. La fabrique fit naufrage, car personne n'acheta des baleines en gélatine, ni des peignes se fondant au contact de la chaleur du c o r p s ; mais le Brésil continue à payer encore aujourd'hui de formidables droits en souvenir d'une industrie protégée, qui a cessé d'exister ! « Si nous observons les produits alimentaires, nous pouvons noter des excès fâcheux de protection. « L'illustre Commission écrit dans son rapport :
i8o
LES
RELATIONS
F R A N C O - B R É S I L I E N N E SI7I
« L'agriculture de son côté, ne peut plus supporter la concurrence de sa rivale étrangère. « En possession d'une meilleure éducation nelle, munie d'appareils et d'instruments supérieurs,
profession-
l'agriculture étrangère
produit dans des conditions bien meilleures que l'agriculture nationale; son ouvrier est plus dressé, sa machine plus perfectionnée. Elle dispose en outre de beaucoup plus de capitaux et bénéficie notamment de ce fait que les facilités
de transport sont en règle générale plus chères entre
les ports nationaux que pour les ports étrangers. Avec tous ces avantages, il est facile à l'agriculture étrangère de concourir avec l'agriculture nationale et de la vaincre sur tous les terrains. De là les plaintes de l'agriculture contre les tarifs qui 110 la protègent pas suffisamment. » « On pourrait déduire des observations ci-dessus que le mieux
pour
notre agriculture serait de faire tous ses efforts pour porter remède à une situation dont 011 lui signale les inconvénients, mais ce remède le protectionnisme levoituniquementdans l'augmentation des droits surles produits étrangers de façon à amener leur prix au taiix de celui des produits nationaux sans se préoccuper des sacrifices imposés aux consommateurs. « Sous l'inspiration d'une semblable pensée, le Congrès national vient de voter en deuxième discussion un article portant à 3oo reis par kilogramme les droits à l'importation sur le riz. « L'illustre Commission publie ce tableau de l'importation du riz : ANNÉES
I9
0 t
>9°2 i9°
3
«9°5
KILOGRAMMES
80 375
310
1 0 0 98/i
581
73 588
949
60801
104
58708
161
« Et tout de suite après elle fait ces réflexions : « La diminution survenue dans les entrées est due à l'élévation des taxes. Il y a, en efiet, une augmentation considérable dans la production de riz du pays, que nous devons animer sans défaillance et par tous les moyens à notre portée. » L'augmentation considérable dans la production du riz pourrait être démontrée par un tableau placé en confrontation à côté de celui de l'importation décroissante; mais ce tableau n'existant pas, 011 a le droit de douter de la réalité de l'augmentation.En tout cas, ce qui est certain,
I7I i8o LES
RELATIONS
FRANCO-BRÉSILIENNES
positivement certain, c'est l'accroissement extraordinaire du prix du riz sur le marché cl le peuple qui payait déjà environ i(i S o o o par sac de droits de douane, va payer presque le double, en vertu de la modification
apportée au tarif! Ainsi le riz entrera dans la catégorie des pro-
duits alimentaires de table riche, l'importation décroîtra énormément cl la production nationale, quoique n'augmentant pas, servira à figurer comme 1111 progrès,
son
progrès étant établi par
chiffres de l'importation. Or, comme
la diminution
il s'agit d'un produit
des
alimen-
taire de première nécessité, il est naturel que le peuple se lamente puisque la loi l'oblige à payer plus 011 à manger inoins. » L'Association cite encore d'autres exemples cl conclut : « Les exemples cités et les réflexions qu'ils suscitent sufiiraient à attirer l'attention sympathique du Congrès national sur la présente représentation •pie l'Association commerciale de Ilio de Janeiro, au nom de sa classe, au n o m des consommmateurs, de la population pauvre de la République, de tous ceux qui ont besoin de travailler pour vivre et souffrent de la situation actuelle,
vient humblement supplier que la vie c o m m u n e ne
devienne pas encore plus difficile par les exagérations cruelles de la politique protectionniste en vigueur. Rio de Janeiro, 5 Septembre 190O. « Signé : Renio José
LEITE,
« Julio Cesar
Président,
DE O L I V E I R A ,
Secrétaire.»
A côté des exemples cités de tarifs vraiment prohibitifs, en voici d'autres, non
moins édifiants, cpie me communique un négociant de Sâo
Paulo : 1. Facture Juin 190G. Caisse 5 767 par « ¡Nile » Valeur 7/40 francs à 670 reis le fr.
7|2i$ooo
Droits payés
7128000
Soit environ 175 "/„. 2. Caisse 5 8 3 q , môme vapeur. Valeur 3 ^ 7 6 francs à 570 reis le f r .
1:9818000
Droits payés
2:25aSooo
Soit 114 % • 3. Caisse 5 4 a 4 —
facture mai 1 9 0 O — par « Magdelena »
Valeur 3 188 francs à 570 Droits payés Soit i43«/ 0 .
1:817S000 2 : GG/|$ooo
i8o LES
RELATIONS
F R A N C O - B R É S I L I E N N E SI7I
Ces trois caisses renfermaient de la draperie, qui est tarifée
cependant
à raison de Go °/„. Mais l'écart est énorme entre le tarif spécifié et celui qu'on applique, augmenté d'innombrables charges. Ilàtons-nous de dire d'ailleurs que l'éloquente protestation de l'Association commerciale de l\io eut sur les décisions du Congrès une bienfaisante influence et le parti protectionniste du Brésil a consenti à ajourner son projet d'élévation du tarif douanier. De son
côté, M.
le Président Penna a déclaré dans son message
présidentiel, que la protection industrielle doit être modérée et concilier l'intérêt des industries avec ceux des consommateurs et du Trésor. Nous avons confiance dans un langage si sensé cl nous sommes persuadé que le projet sera définitivement ajourné jusqu'au moment où le Brésil comprendra qu'une diminution des taxes s'impose à lui pour sa propre sauvegarde. Il y a un péril économique à la cherté excessive de la vie qui est le résultat d'un protectionnisme si outrancier; il y en a un plus grand encore à la protection d'une industrie en quelque sorte artificielle. L'industrie qui n'est capable de développement que si 011 la soutient contre les concurrents par des tarifs quasi prohibitifs, est une industrie fatalement vouée à l'insuccès. E l c'est dans l'intérêt même de l'industrie brésilienne qu'il convient d'éviter les excès de protection qui
auraient
pour résultat de rendre inutiles les efforts vers le mieux des producteurs nationaux. •* » Il nous reste, pour en finir avec ces considérations sur les motifs de l'effacement momentané de la France au Brésil, à insister de nouveau sur 1111 point de vue que nous avons déjà présenté aux lecteurs à propos de Petropolis. Il s'agit du rôle insuffisant que joue la diplomalie là-bas et de l'organisation défectueuse des services consulaires. Je ne reviens pas sur la première question : j'ai dit déjà combien il est urgent d'imposer à noire ministre au Brésil la résidence de Rio, au heu de le laisser à Petropolis, loin de l'activité politique et commerciale; j'ai dit qu'en fait et grâce aux facilités des communications télégraphiques, les fonctions de la diplomalie se modifiaient peu à peu. En matière politique, nos ambassadeurs et ministres prennent de plus en plus l'habitude d'en référer au quai d'Orsay pour le moindre initiative n'a guère l'occasion de s'employer.
incident et leur
i8o LES RELATIONS
I7I
FRANCO-BRÉSILIENNES
Ils doivent donc occuper autrementle temps dontils disposent, s'efforcer de comprendre 1 évolution des pays où ils séjournent, connaître les grands travaux, les grandes affaires cpii s'y préparent, voir où peut le mieux s'exercer notre influence, où peut se produire le plus efficacement notre intervention ; ils doivent surtout dans des pays en plein développement c o m m e le Brésil ou l'Argentine, veiller à ce que nos rivaux ne s'emparent pas de toutes les entreprises rémunératrices ; ils doivent réclamer pour la France la part qui lui revient dans la mise en valeur de vastes territoires
encore
inexploités; ils doivent surtout seconder avec
énergie les efforts de ceux de leurs compatriotes qui ont le louable désir d'apporter pour une telle besogne les ressources de leur intelligence, ou celles de leur coffre-fort. Le temps n'est plus où les diplomates pouvaient se contenter d'être des brillants causeurs dans les salons officiels et où ils traitaient les nationaux c ç m m e des gêneurs et des indiscrets. Nous avons déjà pas mal de diplomates mieux informés et plus c o m préhensifs : leur nombre doit s'augmenter encore. Et la nécessité en apparaît trop évidente pour que j ' y insiste davantage. Quant à notre organisation consulaire, quelques chiffres vont nous en donner une idée. # Le Brésil a une superficie totale de 8 3 3 7 218 kilomètres carrés, presque égale par conséquent à celle de l'Europe qui est de 9 millions, 16 fois • grande comme celle de la France. Sa population actuelle est de 25 millions 1/2 d'habitants. O r , c'est à peine croyable, nous n'avons dans celte immense étendue que quatre consulats, avec les circonscriptions dont on va juger l'importance. CIRCONSCRIPTION' DE RIO DE JANEIRO État d'Espirito
Santo.
.
.
.
/,4 8 3 a k m > .
-
Goyaz
_
Matto Grosso.
.
.
.
1 3TQ 051
7^3II
a*i 9 »
habitants.
-
/,o8ooo
-
—
188/,00
—
_
Minas Geracs.
.
.
.
574855
-
5i3a88o
-
_
Rio de Janeiro.
.
.
.
6897a
-
i56oooo
—
District Fédéral
1 39ft
3817015
~
~
km'2.
Un consul pour 7 millions 1/2 d'habitants,
7 ^07 aoo habitants.
disséminés
région plus de cinq fois grande comme la France !
dans une
i8o
LES
RELATIONS
F R A N C O - B R É S I L I E N N E SI7I
cmcoNScniPTioN É t a t de P a v a n a
DE
SÂO
PAULO
aai 3 i g km8.
43a o o o habitants.
—
R i o G r a n d e do S u l . .
.
a36 553
—
i Caoooo
—
—
Santa Catharina.
.
7 4 i5G
—
48G960
—
—
Sâo Paulo
390870
—
3 024 000
—
.
8 a a <)o/j k m 2 .
CIRCONSCRIPTION
Etal —
d'Alagoas
I)E
5 f)Ga g(>o h a b i t a n t s .
BAUIA
584QI km2.
d e Bahia
—
Parahyba
—
Pcrnambuco. .
.
937 920 habitants.
42G427
—
a 80a 000
7^73i
—
716200
— —
128 390
—
a 507 4 o o
—
—
Rio Grande do Norle.
57 485
—
488 G4o
—
—
Sergipe
3 g 090
—
5 4 o 000
—
784 6 1 9 k m 2 .
CIRCONSCRIPTION
État
d'Amazonas .
.
.
.
.
— do Ceard
DE
HELEM
DE
1 8 9 7 0 2 0 km2.
io4af>o —
7 992 1G0 h a b i t a n t s .
PALTA
a88 000 h a b i t a n t s .
1 200 000
—
—
Pi >ra
1149712
—
7 8 2 S80 .
—
—
Maranhâo
4 5 g 884
—
792000
—
—
Piauhy
3oi 7g7
—
£10000
—
3 9 1 2 GG3
km2.
3 5 7 2 8 8 0 habitants.
Dans la dernière circonscription nous avons pour 1111 seul Consulat une superficie égale à près de 8 fois celle de la France. Quel concours, quel appui nos nationaux disséminés dans une pareille étendue peuvent-ils
attendre
du c o n s u l ?
Comment celui-ci
peut-il
connaître et étudier d'aussi vastes régions? Comment un pays peut-il augmenter son iniluence avec des moyens d'action si infimes? Il y a bien, j e le sais, pour seconder les consuls, quelques agents consulaires. Mais ceux-ci n'ont ni autorité morale, ni capacités juridiques. Ils ne peuvent ni veiller efficacement sur les intérêts français, ni protéger vraiment nos nationaux; ils ne peuvent rédiger certains actes, les plus importants, et, j e le répété, la colonie française 11c saurait trouver en eux l'appui dont elle a besoin.
LES
RELATIONS
FIUNCO-IIIUÎSILIENNES
Que ces économies de personnel sont fâcheuses et quelles nous cause une pareille parcimonie!
207 pertes
Nous avons ainsi indique les principales causes de la baisse des transactions franco-brésiliennes. Heureusement, il n'en est pas qui ne soient susceptibles de disparaître ou de s'atténuer. Le point noir est incontestablement la question des tarifs; mais une entente s'impose parce (jue l'un et l'autre gouvernement y ont intérêt. 11 dépend aussi beaucoup de nos commerçants de reconquérir par leur activité, en détestant davantage la routine, le rang qu'ils occupaient autrefois à l'importation au Brésil. Quant à notre organisation consulaire si défectueuse, le gouvernement français répondra au v œ u de tous nos nationaux au Brésil en la refondant entièrement et en modifiant les actuelles circonscriptions qui ne répondent en aucune façon à la réalité.
CHAPITRE VIII LITTÉRATURE
L o culto dos L e t t r e s . _ _
V i e i l l e s l é g e n d e s et chants populaires. -
L e V a u t o u r et le C r a p a u d . -
rineta.
BRÉSILIENNE
La Y a r a . -
- Q u e l q u e s pages d'Innocencia. -
L'Anhanya. -
Le
J.boy
et le
l r u . d é f e n d u
La c o m p l a . n t e d u navire Catha-
P o é s i e s de G o n ç a l v c z D . a z et d O l a v o I h l a c .
Le Brésil est considéré c o m m e le seul pays latin américain qui possède une littérature. T o u s les autres appartenant au m ê m e tronc ethnique parlent la langue e s p a g n o l e ; le Brésil est le seul où l'on parle portugais. La supériorité de la culture a été principalement due aux avantages de la paix intérieure dont il a j o u i dès les premiers temps de son indépendance, proclamée en 1822. L e s désordres publics survenus dans quelques provinces et qui se manifestèrent avec l'intensité la plus grande de i 8 3 o îi 18A0 étaient complètement étouffés en i 8 4 8 , alors que tous les autres pays latino-américains se trouvaient prises avec les luttes politiques, les révolutions et les
encore
aux
pronunciamientos
militaires. A u sein d'une société organisée, jouissant d'une entière
liberté
. de
parole, les lettres purent s'épanouir et briller à loisir ; mais c'est surtout dans le domaine de la poésie et de l'art oratoire que les Brésiliens se sont de bonne heure distingués. L e Brésil est vraiment le pays des poètes et des orateurs. D e s les temps coloniaux, les poètes indigènes impressionnèrent le Portugais, alors maître du pays : leur renommée a traversé heureusement les années et a u j o u r d ' h u i encore celte pléiade poétique, q u i llorissait au dixhuitième siècle, est l'objet d'une admiration très v i v e de la part des générations m o d e r n e s .
5
L e peuple tient en grande estime les lettres nationales, ce n est pas a u x seuls h o m m e s politiques et aux guerriers que des m o n u m e n t s sont élevés sur les places publiques ; aux artistes aussi, aux poètes, a u x orateurs cet h o n n e u r a élé souvent décerné dans plus d'une cile bresilienne.
LITTÉRATURE
BRÉSILIENNE
2 0
G
Je ne venx point tenter iei, avee le petit nombre de documents dont je dispose, de faire même un essai de critique littéraire. Encore moins voudrais-je dresser une liste des auteurs brésiliens qui méritent 1 attention de tous les lettrés ; j e craindrais trop, par des omissions involontaires, de commettre quelques injustices. Je m e bornerai donc à reproduire quelques légendes originales et piquantes, quelques chants populaires, naïfs et pittoresques, quelques poemes de charme pénétrant. Les lecteurs jugeront alors, en toute liberté, de ce que vaut cette littérature souvent ardente et passionnée, toujours sincère et prenante. J ai parle de légendes : en voici tout d'abord une que j'ai choisie dans le recueil, si intéressant, d'un érudit, M. de Santa Anna Nery. Le Jaboty (') et le Fruit
déjendu.
f m ! t qUC touS ,CS a n i m a u x " J / ™ 1 a U t . " f i s diîns. m a n g e r m a i s .1 l e u r était d é f e n d u de m a n g e r ce f r u i t , à m o i n s d ' e n
envie de connaître
n M f elle l u i d e m a m d T ^ * ^ ^ ~ ^ animaux a l l a i t " e l l e , l u i d e m a n d a i e n t c o m m e n t s ' a p p e l a i t le f r u i t , et r e v e n a i e n t a u pied de l ' a r b r e p u r en m a n g e r ; m a . s q u a n d ils y a r r i v a i e n t , ils n e se s o u v e n a i e n t ' p l u s d u nom.' C e l a a r r i v a à t o u s les a n i m a u x : ils a l l a i e n t chez la f e m m e , r e v e n a i e n t , ' e t pas m o y e n 1 de se r a p p e l e r le n o m d u f r u i t . »»"yen
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ami Jabotv
v o u s n e p o u v e z pas g r i m p e r l à - h a u t ; laissez-moi m o n t e r p o u r c u c i l ir ies f j
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mit à sîfpoursuite.
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y ' c o n s e n t i t . L'Ctoce r e m p l i t ' f - i e u x f se
Ils a r r i v è r e n t ainsi a u b o r d d ' u n e r i v i è r e p r o f o n d e . L e J a b o t y d i t à l ' O n c e : « A m i e (<) Jaboty, sorte de tortue (testa,lo tcrrestris ( V aorte de léopard. HENRI
TUROT.
ou
tabulata).
LITTÉRATURE
210
BRÉSILIENNE3II
O n c e , c o n f i e z - m o i v o t r e sac p o u r q u e j e l e passe d e l ' a u t r e c ô t é , c a r j e s u i s n a g e u r q u e vous ; vous traverserez après. » L ' O n c e y consentit.
Mais le
meilleur
f i n a u d , dès
q u ' i l e u t t o u c h é t e r r e d e l ' a u t r e c ô t é , se s a u v a , et l ' O n c e r e s t a a t t r a p é e . L ' O n c e , p o u r se v e n g e r , c o n ç u t l e p l a n d e l e t u e r . I l s ' e n d o u t a e t se c a c h a s o u s les r a c i n e s d ' u n g r a n d a r b r e , p r è s d u q u e l l ' O n c e a v a i t l ' h a b i t u d e d ' a l l e r se r e p o s e r . Q u a n d l ' O n c e y a r r i v a , e l l e se m i t à c r i e r : « A m i J a b o t y ! A m i
Jaboty ! »
Le
finaud
r é p o n d a i t à ses c ô t é s : « O i ! » L ' O n c e r e g a r d a i t d e d r o i t e e t d e g a u c h e , s a n s
lui
aperce-
v o i r p e r s o n n e . E f f r a y é e , e l l e se m i t à c r i e r d e n o u v e a u , e t t o u j o u r s le J a b o t y r é p o n dait : « Oi ! » L ' a m i S i n g e v i n t à p a s s e r s u r ces e n t r e f a i t e s . L ' O n c e l u i r a c o n t a c o m m e n t s o n v e n t r e f a i s a i t d u b r u i t e t l e p r i a d e l e c o r r i g e r d ' i m p o r t a n c e . L e S i n g e s ' a c q u i t t a d e sa m i s s i o n si b i e n e t f r a p p a l ' O n c e a v e c t a n t d e c o n s c i e n c e q u ' e l l e e n
mourut.
A l o r s , l e J a b o t y se d é c l a r a s a t i s f a i t .
En voici une autre qui ne manque point de saveur; elle est intitulée le Vautour et le
Crapaud. Le Vautour et le
Crapaud.
U n j o u r le V a u t o u r n o i r f u t i n v i t é a v e c l e C r a p a u d
à u n e fêle au
ciel.
Pour
se
m o q u e r , le V a u t o u r a l l a t r o u v e r le C r a p a u d et l u i d i t : « H é b i e n ! c o m p è r e C r a p a u d , j e sais q u e v o u s a l l e z a u c i e l ; si n o u s y m o n t i o n s d e c o m p a g n i e ? — J e s u i s p r ê t à v o u s suivre, m o n a m i ; mais allez chercher votre viole. —
E t v o u s , dit le V a u t o u r ,
prenez
votre tambour de basque... » A u j o u r d i t , le n o i r V a u t o u r se p r é s e n t a c h e z le C r a p a u d , q u i l e r e ç u t t r è s b i e n e t le l i t r e n t r e r p o u r v o i r sa c o m m è r e et ses f i l l e u l s . T a n d i s q u e l e V a u t o u r c a u s a i t a v e c la f e m m e et l e s e n f a n t s , l e C r a p a u d l u i c r i a d u s e u i l d e la p o r t e : « V o u s s a v e z , j e m a r c h e très d o u c e m e n t . P e r m e t t e z - m o i d e p a r t i r a v a n t v o u s . » E t il se f a u f i l a d a n s la g u i t a r e et s ' y b l o t t i t t r è s t r a n q u i l l e m e n t . B i e n t ô t a p r è s , l ' u r u b u ( ' ) p r i t c o n g é d e la d a m e e t d e s e n f a n t s , p a s s a sa g u i t a r e c l se m i t e n r o u t e p o u r l e c i e l . E n y a r r i v a n t , il f u t q u e s t i o n n é . O n l u i d e m a n d a d e s n o u v e l l e s d u C r a p a u d . « Q u e l l e p l a i s a n t e r i e ! r é p o n d i t - i l ; est-ce q u e v o u s c r o y e z q u e c e j e u n e h o m m e p e u t se p e r m e t t r e d ' a u s s i l o n g u e s p r o m e n a d e s ? Il p e u t à p e i n e se p r o m e n e r s u r la t e r r e , c o m m e n t v o u l e z - v o u s q u ' i l s ' a v e n t u r e à t r a v e r s les a i r s ? » A ces m o t s , il d é p o s a sa g u i t a r e et s ' e n a l l a m a n g e r . L o r s q u e t o u t l e m o n d e f u t à t a b l e à b o i r e e t à m a n g e r , l e C r a p a u d s a u t a h o r s d e la g u i t a r e sans être v u , et s'écria : « M e voici ! » E t o n n c m e n t d e l ' a s s e m b l é e . O n se m i t à d a n s e r et à s ' a m u s e r . L e bal fini, t o u t le m o n d e
se r e t i r a .
Le
C r a p a u d v o y a n t l e V a u t o u r d i s t r a i t se
glissa d e n o u v e a u d a n s la g u i t a r e . L ' u r u b u se m i t e n r o u l e . A u n c e r t a i n e n d r o i t , l e C r a p a u d r e m u a . L e V a u t o u r , s a n s b r u i t , r e t o u r n a sa g u i t a r e e t l a v i d a . L e
Crapaud
t o m b a des n u e s . « R e t i r e z - v o u s , p i e r r e s et r o c h e r s , c r i a i t - i l e n a p p r o c h a n t d e la t e r r e , o u j e v o u s é c r a s e ! P a s de d a n g e r , r é p l i q u a l ' u r u b u g o u a i l l e u r , v o u s savez trop bien v o l e r . » ( ' ) L ' u r u b u est le vautour du Rrésil.
LITTÉRATURE
C e q u i n ' e m p ê c h a p a s le C r a p a u d
BRÉSILIENNE
3
de s'aplalir et de s ' e n d o m m a g e r
I I
considérable-
m e n t . V o i l à p o u r q u o i il a l e d o s t o u t b o s s u é e t la p e a u c o u v e r t e d e p l a i e s .
E n f i n , la troisième est également empruntée au livre de M. de Santa Anna Ncry('). La Yara
(s).
[Version do Manaos ( ; l ).] U n jour, un jeune tapuyo
(ils d ' u n t u c h a u a ("'), s ' e n a l l a d a n s u n e y g a r a ( ° ) , a u
petit cours d'eau q u i baigne la pointe d u T a r u m a n ( 7 ) . C'était
un beau garçon,
le
p l u s b e a u g a r ç o n d e t o u t e sa t r i b u . H o m m e v a i l l a n t et s a n s p e u r c o m m e l u i , o n n ' e n a v a i t j a m a i s v u . N u l n e m a n i a i t a v e c p l u s d e d e x t é r i t é q u e l u i la s a r b a c a n e
terrible,
d o n t la llècbe i n f a i l l i b l e c o u p a i t a u m i l i e u de l'air le vol de l ' a r a c u a n ( s ) . N u l ne b r a n d i s s a i t le t a c a p e
n u l n e r o i d i s s a i t l ' a r c a v e c p l u s d e c o u r a g e . D a n s les j e u x q u ' o n
d o n n a i t p o u r c é l é b r e r les l'êtes, c ' é t a i t t o u j o u r s à l u i q u e
r e v e n a i t la v i c t o i r e , e t les
v i e i l l a r d s e u x - m ê m e s se c o u r b a i e n t d e v a n t l u i , p l e i n s d e r e s p e c t . I l é t a i t l ' o r g u e i l d e sa t r i b u , e t le d i g n e s u c c e s s e u r d u v i e u x t u c h a u a , q u i t a n t d e fois a v a i t m i s e n d é r o u t e les f a r o u c h e s M u n d u r u c u s ( l 0 ) . O r , u n j o u r , le j e u n e
t a p u y o s'en alla dans u n e y g a r a , a u petit cours d'eau
qui
b a i g n e la p o i n t e d u T a r u m a n . C ' é t a i t p a r u n a p r è s - m i d i s p l c n d i d e , e l l e s o l e i l , q u i se c o u c h a i t d é j à d e r r i è r e la c o l l i n e c o u v e r t e d ' u n e é p a i s s e
f o r ê t , r e l l é t a i t ses d e r n i e r s
r a y o n s s u r les e a u x d e l à j o l i e b a i e f o r m é e p a r le R i o N e g r o . L e c i e l é t a i t l i m p i d e e t t r a n s p a r e n t , et à l ' h o r i z o n les n u a g e s f o r m a i e n t u n o u r l e t r o s e e t o r . E t l ' y g a r a
du
j e u n e t a p u y o f e n d a i t , l é g è r e , l e s e a u x a g i t é e s d e la r i v i è r e . E t le v i s a g e d u j e u n e t a p u y o é t a i t triste c o m m e l e c h a n t d e
l'hiumard.
Il r e v i n t f o r t t a r d d e sa p r o m e n a d e , a t t a c h a le b a t e a u a u
tronc d ' u n e
mamaurana,
e t passa la n u i t assis a u s e u i l d e sa c a b a n e , p e n s i f , t a c i t u r n e , p r o f é r a n t d e t e m p s
en
t e m p s des m o t s e n t r e c o u p é s et sans suite. E l la v i e i l l e t a p u y a , q u i l ' a i m a i t a v e c la t e n d r e s s e d e s e n f a n t s d e la f o r ê t , p l e u r a i t , e l l e a u s s i , e n s i l e n c e , e n v o y a n t la tristesse p r o f o n d e q u i a s s o m b r i s s a i t l e v i s a g e d e s o n
fils.
« E c o u t e , m è r e , d i t le j e u n e h o m m e , é c o u t e , c a r ce n ' e s t q u ' à toi q u e j ' o s e r a c o n t e r l e s tristesses q u i m ' a c c a b l e n t . . . C ' é t a i t u n e j e u n e f i l l e si j o l i e , si j o l i e . . . c o m m c j c n ' e n ai p a s e n c o r e v u p a r m i l e s filles d e s M a n a o s . . . L a s o i r é e é t a i t b e l l e , e t l ' y g a r a v o g u a i t , légère, d a n s la direction de la pointe d u T a r u m a n . . . T o u t à c o u p , j'ai e n t e n d u c o m m e ( ' ) SANTA A N N A N E R Y . — Le Folklore brésilien. ( 2 ) Yara est un nom indigène qui signifie dame de l'eau ; il est composé des deux mots : y, eau, et ara, dame.
( 3 ) Capitale de la province d'Amazonas, sur la rive gauche du Rio Negro, un peu en amont do son confluent avec l'Amazone. ( l ) Indien civilisé de l'Amazonie. ( 5 ) Cacique, chef de tribu. ( 6 ) Petit bateau, pirogue. ( 7 ) La cascade de T a r u m a n , aux portes de la ville de Manaos, que les gens du pays appellent la Grande Cascade. ( 8 ) Oiseau. ( 9 ) Massue. ( 1 0 ) Tribu indienne de l'Amazone, qui existe encore aujourd'hui.
2 12
LITTÉRATURE
BRÉSILIENNE3II
u n c h a n t l o i n t a i n , c o m m c u n e v o i x h a r m o n i e u s e , q u i se c o n f o n d a i t a v e c le m u r m u r e d e l a brise e n t r e l e s f e u i l l e s d e s p a l m i e r s . E t l ' y g a r a f e n d a i t , l é g è r e , les e a u x
de
la
r i v i è r e , et les s o n s d e la v o i x q u i c h a n t a i t a r r i v a i e n t à m e s o r e i l l e s p l u s d i s t i n c t s . E t puis, j'ai v u . . . C o m m e elle était belle, m è r e ! t r o u v a i t ! E l l e é t a i t assise s u r le b o r d
C o m m e é t a i t b e l l e la f e m m e q u i
de la rivière.
E l l e avait les c h e v e u x
s'y
blonds
c o m m e s'ils é t a i e n t e n o r , a t t a c h é s p a r d e s f l e u r s d e m u r u r é ( ' ) e t e l l e c h a n t a i t ,
elle
c h a n t a i t , c o m m e j e n ' a i j a m a i s e n t e n d u c h a n t e r . . . P u i s e l l e l e v a ses y e u x v e r t s
sur
m o i , e l l e s o u r i t u n i n s t a n t , m e t e n d i t l e s b r a s , c o m m e si e l l e a v a i t v o u l u m ' e n e n l a c e r , e t d i s p a r u t , e n c h a n t a n t , d a n s les e a u x d e l ' i g a r a p é ( 2 ) , q u i s ' e n t r ' o u v r i r e n t p o u r la r e c e v o i r . . . M è r e , c o m m e e l l e é t a i t b e l l e la f e m m e q u e j ' y ai v u e ! . . . C o m m e i l s é t a i e n t d é l i c i e u x l e s s o n s d e sa v o i x q u i c h a n t a i t ! » Des y e u x de la vieille l a p u y a t o m b è r e n t d e u x larmes silencieuses, q u i coulèrent sur son visage bronzé. « Fils, murmura-t-elle, ne retourne plus à l'igarapé du T a r u m a n . La f e m m e que t u y as a p e r ç u e , f i l s , c ' e s t la Y a r a 1 S o n s o u r i r e , c ' e s t l a m o r t . . . N ' é c o u t e p a s sa v o i x p o u r n e pas céder à son c h a r m e . » E t le j e u n e t a p u y o , assis s u r l e s e u i l d e sa c a b a n e , laissa p e n c h e r s o n f r o n t p e n s i f . Le l e n d e m a i n , a u c o u c h e r d u soleil, l ' y g a r a f e n d a i t , l é g è r e , les e a u x d u T a r u m a n , e m p o r t a n t le j e u n e t a p u y o , o u b l i e u x des conseils m a t e r n e l s . C e q u i lui arriva après, n u l n e le sait, car personne ne le revit p l u s . M a i s , q u e l q u e s p ê c h e u r s r a c o n t e n t q u ' e n p a s s a n t p a r l ' i g a r a p é d u T a r u m a n d a n s la n u i t , ils a p e r ç o i v e n t t o u j o u r s , a u l o i n , u n e f i g u r e d e f e m m e q u i c h a n t e , a y a n t à c ô t é d'elle u n e
figure
d ' h o m m e . E t lorsque q u e l q u ' u n , plus c o u r a g e u x , s'en approche, o n
v o i t les e a u x d e l ' i g a r a p é s ' e n t r ' o u v r i r , e t les d e u x
figures
s'y j e t e r e n s e m b l e !
Je m'en voudrais de ne pas citer encore la légende de YAnhanya,
qui
m'est communiquée par mon excellent ami, M. Golïredo d'EscragnollesTaunay. L'Anhanya
(3).
(Légende indienne.) U n e b i c h e e t s o n j e u n e f a o n s ' e n d o n n a i e n t à c œ u r j o i e , d a n s la f o r ê t , h e u r e u x d e v i v r e , t o u t e n t i e r s l ' u n à l ' a u t r e . U n I n d i e n l e s a p e r ç o i t , e t , d ' u n e flèche p a r t i e d e son a r c p u i s s a n t , f a i t r o u l e r s u r l e s o l , blessé à m o r t ,
le
faon. La biche s'enfuit. « Je
s a u r a i b i e n te f a i r e r e v e n i r et t ' a v o i r , t o i a u s s i » , se d i t l ' h o m m e . venait de g e r m e r u n plan diabolique, aussitôt mis à exécution.
D a n s son
cerveau
D o n c voilà le cruel
m a r t y r i s a n t la p a u v r e p e t i t e b ê t e q u i p o u s s e d e s g é m i s s e m e n t s à f e n d r e l ' â m e . « T a m è r e n e sera pas insensible à les cris d e d o u l e u r , à les appels. E l l e r e v i e n d r a . . .
La
( ' ) Le mururé est, d'après M. F. do Gomes de Amorirn, une nymphéacée du genre Victoria, mais beaucoup plus petite. ( 2 ) Canaux naturels des fleuves et rivières. Littéralement : chemin de la p i r o g u e ; de ¡gara, pirogue, et pé, chemin. , ( ' ) Dans la mythologie indienne l'Anhanya est le dieu de la chasse. D'après le G a l Conto de Magalhâes, qui l'a recueillie, cette légende visait un but pratique, celui d'empêcher la destruction des jeunes animaux.
LITTÉRATURE
BRÉSILIENNE
2L3
v o i l à d é j à . » E n cITet, d a n s le f o u r r é v o i s i n , u n b r u i l d e b r a n c h e s a n n o n c e u n e a r r i v é e p r é c i p i t é e . L ' a r c est d e n o u v e a u t e n d u , u n e s e c o n d e flèche p a r t , u n h u r l e m e n t d é c h i r e l ' a i r . . . L ' h o m m e se p r é c i p i t e t r i o m p h a n t , m a i s p o u r r e c u l e r d ' h o r r e u r d e s u i t e a p r è s . Il s ' é t a i t t r o u v é d e v a n t le c a d a v r e d ' u n e v i e i l l e I n d i e n n e : sa m è r e ! L ' A n h a n y a avait v e n g é le faon et p u n i l ' h o m m e .
Voici maintenant un chant populaire qui rappelle singulièrement la forme et le fond du fameux Petit
Navire.
Complainte du navire Catharineta. V o i c i le n a v i r e
Catharineta,
Fatigué de naviguer, P e n d a n t sept années et u n j o u r , S u r l e s o n d e s d e la m e r . On n'avait plus rien à manger, Rien non plus à dévorer ; O n m i t u n e semelle en conserve ( ' ) P o u r , le d i m a n c h e , en d î n e r ; L a s e m e l l e é t a i t si d u r e Q u ' o n ne pouvait l'avaler. O n tira alors a u sort P o u r voir q u i serait désigné. L e sort n o i r désigna Notre
capitaine-général.
L ' é q u i p a g e é t a i t si b o n Q u ' i l ne v o u l a i t pas le tuer. « Grimpe, grimpe,
Chiquito,
A u g r a n d m â t q u i est l à - h a u t . V o i s si t u v o i s d e s t e r r e s d ' E s p a g n e , Des plages de P o r t u g a l . » « Je ne vois ni terres d ' E s p a g n e , N i plages de P o r t u g a l , Je vois à peine trois sabres, P o u r batailler contre toi. » « G r i m p e , grimpe là, matelot, A u g r a n d m â t q u i est l à - h a u t , V o i s si t u v o i s d e s t e r r e s d ' E s p a g n e , Des plages de Portugal. » « C o m p l i m e n t s , m o n capitaine, Je v e u x v o u s f a i r e m e s c o m p l i m e n t s . Je vois déjà des terres d ' E s p a g n e , Des plages de Portugal ; ( ' ) La province de Rio Grande do Sut, où cette version a été recueillie, nourrit d'innombrables troupeaux de bœufs et exporte beaucoup do cuirs verts et salés. La préoccupation localo est visible.
2 I [\
LITTERATURE
BRESILIENNE
D e m ê m e j e v o i s trois j e u n e s
filles
Dessous u n bouquet d'oranger. » « T o u t e s trois sont mes e n f a n t s , T o u t e s t r o i s j e les d o n n e r a i à l o i ; L ' u n e pour blanchir votre linge, L ' a u t r e p o u r vous le repasser ; La plus gentille d ' e n t r e elles P o u r se m a r i e r à t o i . . . » Ces paroles n'étaient pas dites, Q u e C h i q u i t o t o m b a d a n s la m e r !
Prière à Saint
Antoine.
S a i n t A n t o i n e , m o n petit saint. Cédez à m o n oraison, Je promets de vous avoir toujours T o u t près, bien près de m o n c œ u r . Préservez-moi d u
filet,
0 m o n saint A n t o i n e , (Refrain) P o u r q u e le d é m o n Ne v i e n n e pas m e tenter P o u r vous donner u n bain A u fond de la m e r ( ' ) Donnez-moi un
fiancé,
m o n petit saint,
U n fiancé gros ou bien maigre, Q u i m ' a d o r e et m e r e n d e L ' a m o u r q u e je lui consacrerai. J e n e v e u x pas d e c e u x q u i
parlent
S e u l e m e n t d e b a l s et d e fôtes ; C a r c e u x - l à si o n les e n t i r e N ' o n t d ' h u m a i n q u e la f o r m e . N e m ' e n donnez pas de ceux q u i parlent A v e c des manières de dévot, D e c e u x q u i m u r m u r e n t des secrets E n se n e t t o y a n t l e s o n g l e s d e la m a i n ; D e ceux q u i regardent avec des grimaces A v e c d e s a r t i f i c e s d e j e n e sais q u o i ! De ceux qui parlent toujours d'amour, M o n petit saint, ne m ' e n donnez pas. ( ' ) Allusion à l'usage de plonger Saint Antoine dans un puits dès qu'il n'exauce pas la prière qu'on lui adresse.
i
L I T T É R A T U R E ' BRESILIENNE
219
C e u x q u i sont à llairer Des m a r i a g e s bien riches, C e u x - l à , n o n , car ils ne v e u l e n t Q u ' u n e esclave e n esclavage. • L e s moralistes sévères. Q u i t r o u v e n t tout i n d é c e n t ,
•
N o n : vois la c r o i x , d é m o n , vois l'eau b é n i t e , D i e u m e préserve de telles g e n s !
Voilà pour le passé. Arrivons maintenant sans plus tarder aux a-uvres modernes. Je n'aurais garde d'oublier de reproduire ici tout d'abord quelques pages A'Innocencia,
un roman extrêmement populaire, dû à la plume
alerte et colorée du Vicomte d'Escragnolles-Taunay, l'illustre auteur de la Retraite de Laguna. Innocencia est l'œuvre brésilienne qui, je crois bien, fut le plus souvent traduite : elle le fut en français, en allemand, en anglais, en espagnol, en italien, en polonais, en danois et en japonais. Les trop courts extraits que voici auront par surcroît le mérite de faire connaître aux lecteurs, par une délicieuse description, l'aspect du « Scrtâo brésilien » cl le type demeuré célèbre du « Sertancjo ». Innocencia. Le c h e m i n q u i d u v i l l a g e de S a i n t e - A n n e de P a r a n a h y b a se d i r i g e v e r s C a m a p u a n , u n pays p r e s q u e a b a n d o n n é , traverse u n e zone é t e n d u e c l à peine p e u p l é e de l ' i m m e n s e p r o v i n c e b r é s i l i e n n e d e M a l t o Grosso. D e p u i s ce v i l l a g e j u s q u ' a u S u c u r i ú , l ' u n des a l l l u e n t s d u P a r a n a , c'est-à-dire s u r u n espace de p l u s i e u r s v i n g t a i n e s de lieues, o n p e u t v o y a g e r a i s é m e n t d ' h a b i t a t i o n e n h a b i t a t i o n , p u i s les m a i s o n s d e v i e n n e n t rares, on a v a n c e d u r a n t des j o u r n é e s entières sans a p e r c e v o i r a u c u n vestige de la race h u m a i n e , et c'est s e u l e m e n t après de l o n g u e s h e u r e s q u e l ' o n a t t e i n t la d e m e u r e de José l ' e r e i r a , la s e n t i n e l l e p e r d u e de ces solitudes, q u i reçoit c h a c u n d e ses hôtes i m p r é v u s avec u n s o u r i r e , et l u i f o u r n i t libéralem e n t les provisions nécessaires p o u r p a r v e n i r j u s q u ' a u x l o i n t a i n e s p l a i n e s de M i r a n d a et de P e q u i r y , de la V a c c a r i a o u de N i o a c d a n s le bas P a r a g u a y . A l o r s c o m m e n c e le « S c r t à o », brut, c o m m e o n l ' a p p e l l e l à - b a s , le désert, m a i s le désert u n i q u e m e n t p o u r l ' h o m m e , car la v é g é t a t i o n est l u x u r i a n t e et les a n i m a u x y sont n o m b r e u x . Il n ' y a p l u s de c a b a n e s , p l u s d ' a b r i s c o n t r e la f r a î c h e u r des n u i t s , c o n t r e l ' o r a g e q u i m e n a c e , o u la p l u i e q u i t o m b e . L a r o u t e q u i traverse ces r é g i o n s se d é r o u l e c o m m e u n e é c h a r p e b l a n c h â t r e , car le sable d o m i n e d a n s la c o m p o s i t i o n d e ce sol c e p e n d a n t fertilisé p a r u n g r a n d n o m b r e d e r u i s s e a u x l i m p i d e s . C e sable, s u r l e q u e l la r é v e r b é r a t i o n des r a y o n s d u soleil
est
/
LITTÉRATURE
BRÉSILIENNE 221
i n t e n s e , se t r o u v e s u r q u e l q u e s p o i n t s si s u b t i l et m o u v a n t q u e les bêtes de
somme
o n t p e i n e à y m a r c h e r et s'y e n f o n c e n t j u s q u ' a u x j a r r e t s . A u s s i r e n c o n t r e - t - o n çà et là des sentiers d é t o u r n é s q u i p é n è t r e n t d a n s les bois à la r e c h e r c h e d ' u n terrain p l u s f e r m e . D u reste, les paysages q u e l ' o n d é c o u v r e se r e n o u v e l l e n t sans cesse. T a n t ô t , c'est la perspective de sortes de h a l l i e r s f o r m é s d ' a r b r e s v i g o u r e u x et sveltes, t a n t ô t ce sont des p l a i n e s à perte de v u e c o u v e r t e s de macega,
u n e h a u t e g r a m i n é e de
c o u l e u r b l o n d e , ou d ' u n g a z o n fin é m a i l l é de f l e u r s ; tantôt on aperçoit de g r a c i e u x b o s q u e t s d o n t la r é g u l a r i t é s u r p r e n d et e n c h a n t e à la fois, o u e n c o r e des (laques d ' e a u m o i t i é lacs, m o i t i é m a r a i s , a u m i l i e u d e s q u e l l e s croissent les altiers p a l m i e r s C e t t e diversité d ' a s p e c t de
la n a t u r e a p o u r cause p r e m i è r e
borilys.
tel o u tel i n c e n d i e
a l l u m é p a r q u e l q u e v o y a g e u r . U n e é t i n c e l l e échappée d ' u n b r i q u e t a m i s le feu à des p l a n t e s desséchées p a r l ' a r d e u r d u soleil. T o u t d ' a b o r d , cette é t i n c e l l e s o u r d e m e n t c o u v e sous les s o u f f l e d ' a i r : alors la l a n g u e de feu se h a s a r d e ,
feuilles ; p u i s , v i e n t
un
m i n c e , t r e m b l a n t e , c o m m e hésitant
d e v a n t les espaces o ù elle va se p r é c i p i t e r . S o u d a i n , le v e n t d e v i e n t p l u s f o r t : aussitôt s ' é l a n c e n t des flammes i m p a t i e n t e s q u i s ' e n r o u l e n t les u n e s d a n s les a u t r e s , se s é p a r e n t p o u r s'abattre s u r de vastes s u r f a c e s , f o n t m o n t e r d a n s le ciel des torrents de f u m é e n o i r e et c o u r e n t avec u n g r o n d e m e n t t e r r i b l e d a n s les g r a n d s r o s e a u x de tacouaras é c l a t e n t . R i e n n e les arrête j u s q u ' a u m o m e n t o ù elles a t t e i g n e n t la r i v e de g r a n d e rivière ; p a r f o i s m ê m e , aidées p a r l ' o u r a g a n , les
flammes
qui
quelque
franchissent cette
b a r r i è r e et, a u d e l à , elles p o u r s u i v e n t e n c o r e l e u r œ u v r e de d e s t r u c t i o n . E n f i n , f a u t e d ' a l i m e n t s , cette v i o l e n c e se c a l m e , t o u t d e m e u r e m o r n e et c o u v e r t de c e n d r e s c o m m e d ' u n l i n c e u l . L ' a t m o s p h è r e v o i l é e t a m i s e à p e i n e la c l a r t é d u
soleil,
l a c h a l e u r est é t o u f f a n t e , p a r t o u t v o l t i g e n t des parcelles d ' h e r b e s carbonisées, p a r t o u t r è g n e la d é s o l a t i o n . Vienne une pluie abondante,
e t i m m é d i a t e m e n t , c o m m e sous l ' i n f l u e n c e de
la
b a g u e t t e d ' u n e fée, de n o u v e a u la vie d é b o r d e r a d a n s ces s o m b r e s parages et y tracera des j a r d i n s e n c h a n t é s . L ' h e r b e , p a r e i l l e a u p r i s o n n i e r q u i a r e c o n q u i s sa l i b e r t é , perce le sol, les b o u r g e o n s s ' o u v r e n t d ' u n a i r t r i o m p h a n t , r i e n m a i n t e n a n t n e p e u t a r r ê t e r cette r é s u r r e c t i o n . U n e seule n u i t suffit p o u r q u ' u n v e l o u r s s p l e n d i d e , d ' u n vert clair et g a i , r e c o u v r e les désastres des j o u r n é e s précédentes. E n s u i t e , les f l e u r s s ' é p a n o u i s s e n t et la
brise
emporte leurs doux parfums. Mais il f a u t de la p l u i e ; sans e l l e , les p l a i n e s , p e n d a n t de l o n g s m o i s ,
resteront
tristes, dévastées, éclairées p a r u n soleil q u i s e m b l e l u g u b r e , sans o m b r e , sans u n s i g n e de renaissance p o s s i b l e ; on n ' e n t e n d m ê m e p l u s l ' a p p e l c r a i n t i f d e la p e r d r i x , si f r é q u e n t d ' h a b i t u d e . D e t e m p s à a u t r e s e u l e m e n t r é s o n n e le cri p r o l o n g é de q u e l q u e gavido q u i v o l e a u h a u t des a i r s , et descend en faisant de l o n g s c i r c u i t s j u s q u ' à
la
terre afin de saisir u n r e p t i l e à d e m i c a r b o n i s é . P a r f o i s aussi, l e silence s o l e n n e l est i n t e r r o m p u p a r le c r o a s s e m e n t d u carà-carà
;
l ' o i s e a u rapace va s a u t i l l a n t à la r e c h e r c h e des insectes o u des petits serpents o u a c c o m p a g n e des urubus q u i , e n n o m b r e u s e s t r o u p e s , c h e r c h e n t les a n i m a u x m o r t s d o n t ils se repaissent. D a n s ces festins l e carà-carà
est associé à l'urubu,
e t , m a l g r é les c o u p s de bec q u ' i l
a t t r a p e , il sait t o u j o u r s se faire u n e place ; r i e n n e s a u r a i t l ' é m o u v o i r , p r o i e m a l g r é son a d v e r s a i r e et s ' e n f u i t à t i r e - d ' a i l e .
il
saisit sa
LITTÉRATURE'
219
BRESILIENNE
T e l l e s sont les p l a i n e s d é t r u i t e s par le feu aussi l o n g t e m p s q u e la p l u i e ne les a pas fait r e n a î t r e . A l o r s , avec q u e l l e hâte le « S e r t a n c j o », c ' e s t - à - d i r e l ' h o m m e h a b i t a n t le « S e r t à o » , la s o l i t u d e , ne g a g n e - t - i l pas les sortes d'oasis échappées a u fléau ! Il y en a là-bas s u r le p e n c h a n t des collines o u s u r les bords d ' u n c o u r s d ' e a u c o u v e r t s de pindahybas de boritys a u ravissant f e u i l l a g e . A v e c q u e l l e j o i e il s a l u e ces j o l i s cocotiers a u
et
pied
d e s q u e l s , il en a la c e r t i t u d e , se t r o u v e u n e source o ù il p o u r r a c a l m e r sa soif et baig n e r son visage b r û l a n t ! E n f i n , le voici d a n s ce l i e u de repos ! S o u s les épais o m b r a g e s , m e n t le h a r n a i s d e sa m o n t u r e à l a q u e l l e il
il e n l è v e
rapide-
laisse la l i b e r t é , t a n d i s q u ' i l p r e n d
un
repas q u i l u i p e r m e t t r a de c o n t i n u e r son v o y a g e . R i e n n e p c u l d o n n e r u n e idée de la d o u c e u r q u e de tels m o m e n t s o n t p o u r « S e r t a n c j o ». A p r è s a v o i r b u de l ' e a u p u r e et m a n g é q u e l q u e s c u i l l e r é e s de
le
farine
d e m a n i o c o u de m a ï s s a u p o u d r é e de cassonade, il f o r m e avec les h a r n a i s de son c h e v a l u n e sorte de l i t ; il s'y étend et c o n t e m p l e , libre de t o u t s o u c i , l ' a z u r p a r s e m é d e n u a g e s c h a n g e a n t de f o r m e s , et é c o u t e la brise q u i m u r m u r e u n e l o n g u e c h a n s o n d a n s les h a u t e s c i m e s des pindahybas,
des ipes, o u l e s p a l m e s des boritys a u x troncs de
« c o u l e u r claire. Ses r e g a r d s sont c h a r g é s de s o m m e i l ; ses p a u p i è r e s sont l o u r d e s . Il sait q u e des j a g u a r s et des serpents p e u v e n t r a m p e r d a n s les a l e n t o u r s , mais il est f a t a l i s t e : c o n f i a n t d a n s le d e s l i n , t r a n q u i l l e , il s ' e n d o r t . Les h e u r e s s ' é c o u l e n t ; p e u à p e u le soleil descend à l ' h o r i z o n : la brise f r a î c h i t , le v e n t est p l u s f o r t . L e s p a l m i e r s - b o r i t y s
ne c h a n t o n n e n t p l u s , ils g é m i s s e n t ,
leurs
f e u i l l e s en é v e n t a i l s ' a g i t e n t avec v i o l e n c e . L e soir a p p r o c h e . L e v o y a g e u r s ' é v e i l l e , se frotte les y e u x ,
étire l a n g u i s s a m m e n t ses bras, b â i l l e ,
d e m e u r e q u e l q u e s instants assis r e g a r d a n t de côté et d ' a u t r e en s i f f l a n t u n
Itindu,puis
il c o u r t c h e r c h e r son c h e v a l . U n e fois en selle, il p a r t , dispos de corps et d ' e s p r i t , au pas et a u t r o t , à la r e c h e r c h e d ' u n a u t r e l i e u d e h a l l e o ù il passera la n u i t . Q u e l l e m é l a n c o l i e descend s u r la terre à l ' h e u r e de la t o m b é e d u j o u r ! O n d i r a i t q u e la s o l i t u d e é t e n d devient s o m b r e ;
e n c o r e ses l i m i t e s
p o u r se r e n d r e p l u s a c c a b l a n t e .
le m o i n d r e b u i s s o n p r e n d des p r o p o r t i o n s m o n s t r u e u s e s ,
L e sol chaque
b r u i t s e m b l e être u n p é r i l q u e le c œ u r b r a v e en f r i s s o n n a n t , tandis q u e les lèvres sourient. Mais p o u r
é p r o u v e r c e l l e i m p r e s s i o n , m é l a n g é e de c h a r m e et d e t e r r e u r , il f a u t
être u n h o m m e civilisé et le « S e r t a n c j o » n e l'est g u è r e . Il n ' a pas senti les h a r m o nies d u soir ; il n ' a r e m a r q u é
ni les s p l e n d e u r s d u ciel, n i
la tristesse des a d i e u x
d u soleil. Il n'a a u c u n e c r a i n t e , car il est c o m m e identifié avec la s o l i t u d e . R i e n
ne
t r o u b l e la p a i x de son esprit ni le b i e n - ê t r e d e son corps. Ses idées sont r a r e s ,
ses
pensées le sont e n c o r e p l u s : sa seule p r é o c c u p a t i o n
est d ' é v a l u e r
le c h e m i n
déjà
p a r c o u r u et le n o m b r e de lieues q u ' i l a e n c o r e à faire a v a n t d ' a r r i v e r a u t e r m e d e son voyage. L e j o u r s u i v a n t , dès l ' a u r o r e , il va p l u s l o i n . L e ciel n e l u i p a r a i t pas c h a n g é ; le soleil sert à l ' o r i e n t e r , la t e r r e n ' a t t i r e son a t t e n t i o n q u e s'il aperçoit u n signe u t i l e p o u r se d i r i g e r d a n s sa r o u l e .
/
LITTÉRATURE
BRÉSILIENNE 221
« A h ! s'écrie-t-il à h a u t e v o i x en r e m a r q u a n t u n certain a r b r e o u u n e déclivité p a r t i c u l i è r e d u t e r r a i n , m e voici près d u g r a n d é b o u l e m c n t . D ' i c i à la halte d e J a c a r é il y a e n c o r e q u a t r e b o n n e s l i e u e s . » P a r f o i s il siffle o u f r e d o n n e , m a i s c'est t o u j o u r s en s o u r d i n e ; cette m é l o d i e
n'est
q u e p o u r l u i - m ê m e . S o n p r i n c i p a l d i v e r t i s s e m e n t est de r é p o n d r e à l ' a p p e l des p e r d r i x o u a u cri c r a i n t i f de la zabélé. S ' i l e n t e n d à p e u de d i s t a n c e r u g i r des j a g u a r s , il n ' e s t pas i n q u i e t . « 11 y a p a r là q u e l q u e grosse b ê t e , f a i t - i l en v o y a n t des traces de pas d e
bête
f a u v e ; si j ' a v a i s m o n c h i e n , j ' i r a i s l u i l o g e r u n e b a l l e d a n s la tète. » L e v é r i t a b l e « S e r t a n c j o » n ' a pas de f a m i l l e : j e u n e , il a u n seul désir, c o u r i r à travers des r é g i o n s e n c o r e i n e x p l o r é e s et r e m o n t e r j u s q u ' a u - d e s s u s de l e u r source des rivières d o n t p e r s o n n e n e c o n n a î t l e n o m . V o y a g e r
est son o r g u e i l , raconter q u e l s
sont les c o u r s d ' e a u q u ' i l s a f r a n c h i s et les forêts vierges a u m i l i e u d e s q u e l l e s il a p é n é t r é est son p l u s g r a n d p l a i s i r .
C h a q u e a n n é e accroît les connaissances d e cette
sorte q u ' i l possède et l ' i n n o c e n t e v a n i t é q u ' i l en é p r o u v e . « P e r s o n n e , d é c l a r c - t - i l avec e m p h a s e , n e m e v a u t d a n s les p l a i n e s de la V a c c a r i a , d a n s les contrées d u M i m o s o , d a n s les m a r a i s d u I ' c q u i r y . P a r t o u t j e d o m i n e , p a r t o u t j e suis r o i ! » L a c o n v i c t i o n d e sa r o y a u t é l u i d o n n e u n e m a n i è r e de p a r l e r e m p r e i n t e de m a j e s t é d a n s sa rudesse. L a c e r t i t u d e d e n e j a m a i s se perdre d a n s l'espace l ' é l è v e au-dessus de l ' i n c o n n u ; il en a r r i v e à se r e g a r d e r c o m m e i n f a i l l i b l e . « D a n s cette d i r e c t i o n , d i t - i l e n é t e n d a n t le b r a s , à v i n g t
lieues d ' i c i , il y a u n e
côte très d u r e à g r a v i r , p u i s u n e r i v i è r e p r o f o n d e ; il f a u t e n s u i t e , après c i n q l i e u e s , traverser des broussailles p r e s q u e i n e x t r i c a b l e s q u i a b o u t i s s e n t à u n b a s - f o n d . S i v o u s partez de l à , d r o i t c o m m e u n e flèche, e n c i n q j o u r s j u s t e , v o u s p a r v i e n d r e z à la h a l t e d u T a t o u , s u r la r o u t e de C u y a b à . » L a seule impression q u ' i l tolère chez les a u t r e s , q u a n d il fait le récit d e ses e x p l o i t s , est celle de l ' a d m i r a t i o n . A u m o i n d r e s o u p ç o n d u d o u t e chez u n a u d i t e u r , l a colère l'enflamme : « V o u s n e m e croyez pas? fait-il. L i b r e à v o u s , m e t t e z - v o u s e n r o u t e . V o u s a p p r e n drez les choses à vos d é p e n s . 11 y a u n e d i f f é r e n c e e n t r e c o n t e r des histoires et v o y a g e r s u r les terres d u bon D i e u ! » P l u s t a r d , l o r s q u ' i l est d e v e n u v i e u x , le « s e r l a n e j o » s o n g e a u m a r i a g e ; il épouse u n e v e u v e o u u n e p r o c h e p a r e n t e , e t , s'il a des e n f a n t s , il les p r é p a r e à m e n e r à l e u r t o u r la vie d ' a v e n t u r e s q u ' i l a t a n t a i m é e a u t r e f o i s . U n jour, l'imagination
e n f i é v r é e p a r les récits
m e r v e i l l e u x de l e u r p è r e , c e u x - c i
a b a n d o n n e n t la m a i s o n ; ils v o n t a u l o i n , les u n s j u s q u ' a u x f r o n t i è r e s d u P a r a n â , les a u t r e s d a n s les p a y s s a u v a g e s d u S â o P a u l o , de G o y a z , et de M a t t o G r o s s o , p a r t o u t , e n u n m o t , o ù s'étend le « sertào » i n f i n i , et o ù il l e u r sera possible d ' é g a l e r , sinon de surpasser, les h a u t s faits de l e u r i l l u s t r e a n c ê t r e .
Et maintenant pour terminer, quelques courts poèmes empruntés à Gonçalvez Diaz, à Olavo Bilac, à Iloberto Gomez, à Fontoura Xavier. De Gonçalvez Diaz j'ai déjà cité, dans un chapitre précédent, la pièce si populaire intitulée Chanson
d'Exil.
219
L I T T É R A T U R E ' BRESILIENNE
.lo lui préfère N'cs-tu pas Maraba? une poésie émouvante et pleine de charme : N'cs-tu pas Maraba ? (') Je vis a b a n d o n n é e , à m o i n u l ne prend garde ; N e suis-jc d o n c pas U n e e n f a n t de T u p a ? Si q u e l q u ' u n , par hasard, à me parler s'attarde, Il m e d i t : n ' c s - t u p a s , ÎN'cs-lu p a s M a r a b a ? Mes y e u x o n t d u saphir l'azur profond et clair, L a l u m i è r e cl l'éclat tranquille de l'étoile. O n c r o i r a i t v o i r le c i e l d e r r i è r e u n l é g e r v o i l e ! Ils f o n t p e n s e r a u x Ilots a z u r é s d e la m e r , E t si q u e l q u e g u e r r i e r n e f u i t pas à m a v u e ; « T e s yeux sont pleins d'azur Mais, dit-il, e n n u y é , j e parle à
Maraba,
Je préfère des y e u x bien noirs et q u i
flamboient,
Des yeux qui foudroient, D e s y e u x b i e n n o i r s , e n f i n , à d e s y e u x d'à naja.
»
M o n v i s a g e a d u lis l e n e i g e u x i n c a r n a t . L ' o r d e s s a b l e s f o u e t t é s p a r la m e r q u i d é f e r l e , L e s o i s e a u x les p l u s b l a n c s e t la p l u s b l a n c h e p e r l e N ' o n t p a s p l u s d e b l a n c h e u r s , s'ils o n t a u t a n t d ' é c l a t . « U l a n c l i c c o m m e u n lis p u r ! Mais, dit-il, souriant, j e parle à
Maraba,
Je préfère u n beau front q u ' u n sang brûlé décore U n visage q u e dore L e s o l e i l d u d é s e r t , à la fleur d u caja.
»
M o n c o l e s t si l é g e r q u ' i l se c o u r b e a v e c g r â c e C o m m e u n r a m e a u pliant de cactus qui
fleurit
;
G e n t i l l e , p a r les p r é s , i n d o l e n t e j e passe C o m m e u n s o u p i r d ' a m o u r q u i s ' e x h a l e sans b r u i t . « J ' a d m i r e l e p r e m i e r ta t a i l l e q u i t r e m b l o t e S o u p l e c o m m e u n p a l m i e r d'ici ; Mais, dit-il aussitôt, j e parle à
Maraba.
J e p r é f è r e le c o u d e l ' a u t r u c h e o r g u e i l l e u s e Q u i m a r c h e paresseuse E t g o u v e r n e les p r é s v e r d o y a n t s q u e v o i l à ! »
( ' ) Maraba, Indienne de sang mêlé.
/
LITTÉRATURE
BRÉSILIENNE 221
M a c h e v e l u r e b l o n d e a d e s tresses f l o t t a n t e s A u p r è s d e s q u e l l e s l ' o r j a u n e p a r a i t flétri ; L e v e n t s ' e n est é p r i s d a n s l e s f o r ê t s c h a n t a n t e s E n voyant qu'elle avait l'éclat d u colibri. « O u i , m e d i t - i l a l o r s , ta c h e v e l u r e
flotte
E l l e est b e l l e et b l o n d e à m e r c i M a i s ces c h e v e u x frisés s o n t c e u x d e
Maraba.
J ' a i m e m i e u x d e s c h e v e u x b i e n d r o i t s , d e s c h e v e u x lisses E t q u i s ' a l l o n g e n t j u s q u ' a u x cuisses Q u e d e s c h e v e u x c o u l e u r d ' o r fin o u d'anaja.
»
Les paroles d ' a m o u r qui chantaient dans m o n
âme
Q u i d o n c les entendra ? Je ne ceindrai j a m a i s d u r a m e a u d'acacia U n h o m m e d o n t j e s e r a i la f e m m e ! J a m a i s u n b e a u g u e r r i e r d e m o n arazoya
(')
Ne me dépouillera, C a r j e suis seule hélas ! p l e u r a n t m o n sort i n f â m e C a r j e suis
Maraba!
Dans la même note, il faut citer encore Les petites
Négrillonnes
Jloberto Gomez. Les petites
Négrillonnes.
D a n s la m o l l e c l a r t é d e la l u n e i n d o l e n t e , Elles tournent en r o n d , pieds n u s , r ê v e u s e m e n t , D ' u n e voix m o n o t o n e et triste p s a l m o d i a n t D a n s la m o l l e c l a r t é d e la l u n e i n d o l e n t e . L e u r s a i g r e l e t t e s v o i x se p e r d e n t d a n s la n u i t Tandis q u ' u n nègre racle u n e vieille guitare, E t q u ' a u l o i n d e s s o l d a t s o n e n t e n d la f a n f a r e . L e u r s a i g r e l e t t e s v o i x se p e r d e n t d a n s l a n u i t . L e clair de l u n e j o u e au travers de l e u r s robes ; O n d i r a i t d e p e t i t s a n i m a u x très c r a i n t i f s E t l e u r s c h a n t s les p l u s gais o n t des accents plaintifs. L e clair de lune j o u e a u travers de leurs robes. M a i s la l u n e s ' é t e i n t , l a g u i t a r e se t a i t , L e c h a n t cesse, et t o u j o u r s elles t o u r n e n t ,
peureuses,
O n n ' e n t e n d p l u s l e u r s v o i x , g r a c i l e s et p l e u r e u s e s , M a i s l a l u n e s ' é t e i n t , la g u i t a r e se t a i t . ( ' ) L ' a r a z o y a est le vêtement des Indiennes.
de
/
LITTÉRATURE
BRÉSILIENNE
221
L a r o n d e alors se brise et les t o u t e s petites S ' a v a n c e n t d e u x p a r d e u x sous les a r b r e s o b s c u r s , P u i s , s i l e n c i e u s e m e n t , escaladent les m u r s . L a r o n d e alors se b r i s e , et les toutes petites, I m m o b i l e s , d e b o u t , et les c h e v e u x a u v e n t , C o n t e m p l e n t l ' O c é a n q u i g é m i t en c a d e n c e E t restent s u r le m u r , côte à c ô t e , en s i l e n c e ,
'
I m m o b i l e s , d e b o u t , et les c h e v e u x a u v e n t .
Hélas ! la place m'est mesurée et j e dois me borner. Q u ' o n me permette seulement avant de clore ce chapitre trop court, de citer ces deux morceaux de l'œuvre ardente et hautaine d'Olavo Bilac. Le
Pôle.
Pourquoi donc avancer, conquérant audacieux, P e u x - t u p l u s désirer q u i t'élève et t ' h o n o r e ? L e soleil est si g a i , la vie si belle e n c o r e , E t si f r o i d e la m o r t d a n s les déserts n e i g e u x . D e s f a n t ô m e s e r r a n t s sous la v o û t e des c i e u x G l i s s e n t l é g è r e m e n t d a n s la n u i t sans a u r o r e , D e s p h o q u e s et des o u r s , d a n s la b r u m e i n c o l o r e , S e t r a î n e n t s u r la n e i g e en g r o u p e s s i l e n c i e u x . T o u t e n v a i n ! T o u t e n v a i n ! et le vaisseau se b r i s e , E t l u i , le c o n q u é r a n t , p e r d u s u r la b a n q u i s e , T o m b e e n f i n , m o r t d e f r o i d , sans c i e r g e s , sans t é m o i n s . . . E t ses y e u x p o u r t o u j o u r s se f e r m e n t au m y s t è r e . D ' a u t r e s f e r o n t p l u s tard ce q u ' i l n ' a pas su faire ! Q u ' i m p o r t e u n m o r t de p l u s et u n r ê v e u r de m o i n s ! (Traduit
10 Janeiro
par
GotTredo D\
SILVA
TELLES.)
1906.
lnania
Vcrba.
A l i ! q u i e x p r i m e r a , â m e i m p u i s s a n t e et esclave, C e q u e la b o u c h e n e d i t pas, ce q u e la m a i n n ' é c r i t pas ? T u b r û l e s , t u s a i g n e s , c l o u é e à ta c r o i x , et b i e n t ô t T u vois, f o n d u e n b o u e , ce q u i t ' é b l o u i s s a i t . . . L a P e n s é e b o u i l l o n n e , c'est u n t o u r b i l l o n de lave : L a F o r m e , épaisse et f r o i d e , est u n s é p u l c r e de n e i g e . . . E t le M o t l o u r d é t o u f f e l ' I d é e l é g è r e Q u i , l u m i è r e et p a r f u m , b r i l l a i t c l v o l t i g e a i t .
222
LITTÉRATUItF.
BRÉSILIENNE
Q u i t r o u v e r a le m o u l e q u i puisse t o u t e x p r i m e r ? H é l a s ! q u i d i r a les a n g o i s s e s i n f i n i e s D u r ê v e ? e t l e c i e l q u i r e c u l e d e v a n t la m a i n q u i s ' é l è v e ? E t la colère m u e t t e ? et le d é g o û t m u e t ? et le désespoir
muet?
E t les p a r o l e s d e foi q u i n ' o n t j a m a i s é t é p r o n o n c é e s ? E t les a v e u x d ' a m o u r q u i m e u r e n t d a n s là g o r g e ?
N'est-cllc pas 1res belle enfin celte pièce de M . Fontoura X a v i e r : La
Douleur.
S o n d e z la t e r r e . . . e n s o n v e n t r e t o u r m e n t é Bouleversez le trésor q u ' e l l e recèle, E t , au m i l i e u de l'âpre g r a n i t V o u s trouverez l'or. S o n d e z l a m e r . . . d a n s son p r o f o n d m y s t è r e La vague bleue s'agite en gémissant E t , au fond, bien au fond de l'Océan, V o u s t r o u v e r e z la p e r l e . S o n d e z l e c i e l . . . la n u i t le c o u v r e D'obscures ténèbres q u e rien ne peut percer, E t , a u fond, bien a u fond de cette o m b r e , V o u s trouverez l'étoile. S o n d e z l e c œ u r . . . d a n s le p a r o x y s m e O u le t r a n s p o r t , e n t r e z , p l o n g e u r ! E t , à llcur d'eau ou bien au fond de cet a b î m e , V o u s t r o u v e r e z la d o u l e u r .
Je m'arrête, heureux si j'ai pu, par ces quelques citations, faire connaître un peu cette littérature brésilienne touffue, variée, mélancolique et tendre. Gomment le sol généreux, qui donne la sève à une végétation d'imcomparable splendeur, n'aurait-il point enfanté par surcroît les poètes qui savent comprendre et chanter les merveilles de la nature ?
C H A P I T R E
SÄO
PAULO
—
IX
PARANA —
MINAS
L État de Sao Paulo. - Uno ville qui se développe. _ La diversité dos cultures. - La question du café. — La surproduction et la baisse des prix. - Une solution bardie. _ La régie du caie. — Quelques statistiques édifiantes. - Lo bénéfice des intermédiaires. — Ce que pourrait gagner l'Etat français. - Réponse h différentes objections. _ Une excursion au Parana — Quelques jours dans l'Etat do Minas.
Impossible de passer au Brésil sans consacrer à Sâo P a u l o les quelques jours nécessaires pour avoir au moins un aperçu de l'admirable développement de la ville, cl de la prestigieuse fertilité du sol où toutes les cultures sont possibles, depuis la vigne jusqu'au caféier en passant par le cacao et le caoutchouc. El puis le trajet est charmant, qu'on aille directement de Rio à Sâo Paulo par la majestueuse Sierra que gravit en pentes douces le chemin de fer central, ou qu'on parte de Santos pour franchir avec le Sâo Paulo Railway les rudes escarpements d'un tracé où furent multipliés les ouvrages d'art et qui offre au touriste d'incomparables panoramas. Dès lors, on arrive à Sâo Paulo en excellente disposition d'esprit et tout préparé pour goûter les splendeurs d'une ville que l'intelligente activité de son administration sut adapter avec beaucoup d'ingéniosité aux exigences de sa situation. Les ravins ont été franchis par des viaducs élégants où roulent sans interruption de rapides tramways ; sur les hauteurs, de superbes avenues, comme la Paulista, offrent la joie de vastes horizons à des villas luxueuses; au centre, se trouve le quartier commerçant où s'agite la foule des hommes d'affaires. T o u t de suite on remarque une diflérence de tempérament entre les habitants de Rio, les Fluminenses, et les Paulistes : les premiers sont à la fois indolents et exubérants, les seconds froids et actifs ; ceux-ci ont plus spécialement le goût du négoce, les autres davantage le souci de la
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SÂO
PAULO
PARANA
MINAS
discussion ; les uns parlent volontiers beaucoup avant d'agir, les autres agissent plus qu'ils ne parlent. Et cela explique, je pense, pourquoi Sâo Paulo a produit nombre d'il ommes d'Etat, et des plus notoires. Les Paulistes sont d'ailleurs très fiers de leur cité et de leur Etat, au point qu'ils oublient le plus souvent de se qualifier de Brésiliens : ils ne sont point séparatistes, mais ils sont surtout Paulistes,
SÂO PAULO. —
L a g a r e (lu S â o P a u l o
et tiennent à ce
Railway.
que le lien qui les unit à la Confédération n'entrave en rien leur indépendance et ne porte pas atteinte à leur autonomie presque absolue. A Sâo Paulo, plus encore qu'à Rio peut-être, le Français se trouve en milieu familier : le Président de l'État, M. Tibériça, fit toutes ses études en France et ne manque pas une occasion de favoriser le développement de notre influence ; M. Botelho, secrétaire pour l'Agriculture, fut à Paris étudiant en médecine et garde à la France une affection filiale ; M. Prado, le Préfet, confie le soin d'embellir la ville à des ingénieurs comme M. F r e i r e q u i , Brésilien, fut un des plus brillants élèves de notre Ecole Cen-
22.6
SAO
PAULO
—
PARANA
—
MINAS
traie; à la Municipalité, (les hommes comme M. Da Silva Telles témoignent aux Français qui séjournent comme à ceux qui passent la plus vive sympathie. On comprend que, dans ces conditions, j'aie vécu à Sâo Paulo d'inoubliables journées pendant lesquelles il inc fut donné, grâce à la complaisance de M . Freire, un guide érudit et cordial, d'étudier les grands services municipaux qui ne laissent rien à désirer, l'organisation universitaire déjà très perfectionnée, et les grands problèmes
économiques
qui
passionnent l'opinion
pau-
lisle. Parmi ces derniers, celui du café s'impose avec une particulière acuité. On le comprendra aisément si l'on
songe qu'en
iqof), il est parti de Santos plus de dix millions de sacs de café de Go kilogrammes chacun ! Certes l'Etat de Sâo Paulo a, comme je le disais plus haut, d'autres sources
de
richesses que le café ; il est même
désirable qu'on
y
favorise de plus en plus le Aï. ALBUQUERQUE L I N S , secrétaire a u x F i n a n c e s , f u t u r P r é s i d e n t de l ' E t a t de S â o P a u l o .
système de la polyculture. Mais la question du café demeure au premier plan.
Je
demande la permission d'y insister ici, non en décrivant
une
lazenda c o m m e celle où M. Geraldo de Hczende m'offrit une hospitalité si touchante — d'innombrables auteurs l'ont fait avec infiniment de conscience et d'érudition —
mais en me plaçant au point de vue fran-
çais et en essayant de déterminer par quel moyen nous pourrions tout à la fois essayer de diminuer au Brésil les fâcheux effets de la crise caféière, et apporter à notre budget de magnifiques recettes supplémentaires. Donc, il y a au Brésil une crise due à la surproduction du café, sur-
J
SAO PAULO
PARANA —
22'
MINAS
production qui amena dans les cours une baisse naturellement préjudiciable aux intérêts des producteurs. C'est pour y remédier que naquirent à Sâo Paulo et dans les deux autres Etats producteurs de café, Ilio cl Minas, divers projets de valorisai ion, c'est-à-dire de relèvement du prix des cafés brésiliens. Le projet le plus connu, celui qui reçoit à l'heure actuelle un commencement d'exécution, est la convention de Taubaté,
convention par
laquelle les Etats de Sâo Paulo, de Rio cl de Minas se proposent de
relever
les cours au moyen d'un emprunt de .'^S millions de francs. Il
s'agit,
en
somme,
de réglementer l'offre, à l'aide
d'une caisse
spé-
ciale dont les fonds serviraient à acheter le café des producteurs, et à le garder le temps nécessaire p o u r (pie les stocks s'épuisent et cjue la hausse se produise. C'est ce que m'expliqua longuement, dans une entrevue très cordiale, M. le Président Tibériça. Voici
d'ailleurs
les
principales clauses de la convention
de
M. BOTEI.HO, secrétaire à l'Agriculture (État do Sâo l'aulo).
Taubaté.
i" En vue d'assurer le succès de celle opération, les trois États de Sâo Paulo, Minas et Rio sollicitent un emprunt de £ i 5 o o o o o o ,
soit
fr. 3 7 5 0 0 0 0 0 0 . Les versements seraient ainsi effectués : £
G 0 0 0 0 0 0 (fr. î ô o o o o o o o ) à la
signature du
contrat.
Dans les deux ans qui suivront, deux autres versements : L e Ier de £ 5 0 0 0 0 0 0 (fr. 1 2 5 0 0 0 0 0 0 ) Le
2e
de £ /1000000
(fr.
;
100000000).
20 Les contraclanls sont les trois Etats de Sâo Paulo, Minas et Rio,
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SÂO
PAULO
PARANA
MINAS
l'État do Sâo Paulo agissant comme mandataire, et en vertu de pouvoirs réguliers des deux autres États. Tous les trois s'engagent solidairement au remboursement de 1 emprunt et au paiement des intérêts, en dehors et à part des contrats particuliers à intervenir entre chacun d'eux pour déterminer la répartition
U n e f a z c n d a de café ( E t a t de S â o
Paulo).
des bénéfices ou des pertes, proportionnellement à l'importance de la production. 3° L'emprunt devra être consenti pour une durée de 3o à 35 ans. Intérêts 5 % • A0 La garantie offerte
aux souscripteurs consiste dans un impôt de
3 francs par sac exporté par les ports de Rio ou de Sàntos, impôt qui sera complètement affecté au paiement des intérêts et à l'amortissement. Ces recettes seront versées à des époques déterminées aux établissements financiers
qui seront désignés à cet effet dans l'accord.
5° L'administration et la direction du mécanisme commercial seront à la charge d'une Commission spéciale, désignée d'un c o m m u n
accord
par les trois États. Son président, déjà choisi, est M . Campos Salles, ancien Président de l'Union.
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SÂO
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PARANA
MINAS
Cette Commission serti non seulement chargée du service «les achats, de la conservation des stocks et de la vente à l'étranger et aux exportateurs, mais encore du service général de la propagande en vue de l'augmentation de la consommation mondiale. J'ai dit déjà que cette convention avait reçu, dès le début de 1907, un commencement d'exécution ; mais beaucoup de bons esprits émettent l'avis que le résultat pratique en sera médiocre. Pourtant, la fortune sourit aux hardis initiateurs de la valorisation du café.
Le séchage du café.
Cette année, la récolte n'atteint guère que 6 millions et demi de sacs; on prévoit déjà par l'examen des jeunes pousses qu'elle sera encore médiocre l'an prochain : si bien que le cours est déjà remonté, qu'il augmentera vraisemblablement cl que le Gouvernement, en procédant avec prudence, pourra écouler son stock avec un bénéfice important. Cela était important à dire pour rassurer les capitaux français fortement intéressés
au
crédit et à la prospérité de l'Etat de Sâo Paulo. Toutefois la crise sur le café étant loin de se trouver solutionnée, il est à craindre que, dans le désarroi où pourraient se trouver les producteurs de café, il ne se crée un nouveau mouvement pour obtenir de la France une
236 SAO
PAULO
PARANA
MINAS
diminution des taxes. Si ces diminutions ne sont pas obtenues — né peuvent guère l'être, étant donné l'état de notre budget —
et elles un cou-
rant d'opinion peut se manifester au Brésil en faveur d'un relèvement de taxes qui, déjà, sont presque prohibitives en ce qui concerne nos produits. C'est par cette double situation : surproduction et mévente des cafés, menace de relèvement des taxes, que j'ai
été amené à étudier de plus
près une solution qui peut-être semble hardie à son premier aspect, mais
Une avenue à Sâo
Paulo.
qui, toutefois, mérite, je crois, un examen attentif en raison des conséquences considérables qu'elle entraînerait : j e veux parler de l'établissement en France de la « régie du café ». Je n e v e u x pas ici discuter d'une façon générale la question des monopoles : pourtant, il faut bien indiquer, en passant, qu'en présence des augmentations de dépenses qui vont croissantes, et qu'exige nécessairement la réalisation des réformes sociales, il n'y a que deux façons de se procurer en recettes des ressources correspondantes : l'impôt ou l'établissement des grands monopoles. Depuis longtemps déjà, les meilleurs esprits s'attachent à résoudre,
SÂ0
PAULO
P A U AXA.
MINAS
233
malgré ses difficultés, le problème du monopole de l'alcool. El cependant l'alcool est un produit de fabrication nationale particulièrement facile à frauder, puisqu'il suffit d'un petit alambic de quelques francs, placé au fond d'une cave, pour défier presque sûrement toute surveillance. Combien, a priori, apparaît plus pratiquement réalisable la régie du
SÀO I'ALLO. — Janlin ilu Séminaire.
café, puisque pas un seul grain de café ne pousse sur le territoire de la France et qu'on ne peut envisager comme fraude possible, que quelques centaines de kilogrammes,
introduits par contrebande, et qui
sont
quantité négligeable. Entrons maintenant, et sans plus de commentaires, clans l'examen de quelques chiffres. Voici
une première statistique, communiquée par le Ministère des
Finances, et qui nous donne les quantités de café introduites en France et leur provenance :
23/1
PARANA
SÂO l'A U LO
ANNÉE
PAVS
DE
MINAS
I9O5
MOVENANCE
KILOGRAMMES
44
Haïti
9 3 6 0 0 0
18 4 5 6 0 0 0
Indes anglaises
6 a 66 000
Venezuela
5 848 000
Colombie
3 3 6 9 000
Guatemala
.
.
Porto-Rico
3 234 0 0 0 2 191 0 0 0
Etats-Unis
1 158 000 1 o 4 o 000
PosscssionsanglaisesdcrAmériqueaulresquerAmériquedu
Nord.
761000
Mexique
0 5 o 000
Guadeloupe
5 7 6 000
Turquie
4 1 3 000
Angleterre
3a 1 000
Nouvelle-Calédonie
3o6 000
République Dominicaine
3oa 000
Egypte Etablissements français de l'Inde
347000-
Equateur
161 000
163 0 0 0
Indo-Chine
136 000
Saint-Thomas
1 1 5 000
Pays-Ras
108000
Etablissements français (Côte Occ. d ' A f r i q u e )
86000
Belgique
760Q0
Possessions Néerlandaises d ' A m é r i q u e
49000
Réunion
2 5 000
Autres pays étrangers
4 6 0 0 0
A u t r e s c o l o n i e s et P r o t e c t o r a t s f r a n ç a i s
43 000
TOTAL
9 0 9 7 1 0 0 0
Ainsi la France a consommé en chiffres ronds, pendant l'année IQO5, environ 91 millions de kilogrammes de café. Notons, maintenant, que dans les pays producteurs, notamment au Brésil, le prix du kilogramme de café a v a r i é , de 1906 à 1906, entre 65 et 79 centimes ('). Si nous ajoutons au prix d'achat qui ne saurait dépas( ' ) D ' u n document dont la valeur est incontestable et qui m'a été récemment communiqué il résulte que les commissionnaires de Santos font payer aux producteurs de café des frais énormes qui grèvent considérablement le prix du café : par exemple, le sac valant au maximum 5oo reis
SÂO
PAULO
—
PAU AN A
—
MINAS
235
scr 80 centimes le kilogramme au Brésil, le fret qui est tic 3 centimes et demi par kilogramme et enfin 1 fr. 36 de droit pour l'entrée
en
France, nous voyons cpie le prix du kilogramme de café, à sa sortie de la douane française, ne devrait guère être supérieur à 2 fr. 20, et cependant le consommateur paye le kilogramme G fr. 5o à 7 francs pour les premières qualités et !\ francs pour les qualités très inférieures.
j
SÂO PAULO. —
Écolo n o r m a l e .
Supposons que la France décide de réaliser la régie du café, les avantages de l'opération seraient les suivants : i° On pourrait traiter ferme avec le Brésil pour l'acquisition million de sacs de 60 kilogrammes c'est-à-dire 200000
sacs de
d'un plus
que l'actuelle acquisition de la France. En compensation, le Brésil ne pourrait que consentir des détaxes importantes sur les droits qui frapsoit à
p o u près 7 8
centimes
est
f a c t u r é à 1 S 7 0 0 soit e n v i r o n
2 fr. 05 a u x
fazendères, qui
d o i v e n t en o u t r e p a y e r do I\ à 5 o o reis par sac p o u r l ' e m b a r q u e m e n t alors q u ' e n réalité le p r i x de cette o p é r a t i o n ne d e v r a i t ê t r e q u e de 2 0 0 à 2 2 0 reis. D o n c le sac de 6 0 k i l o g r a m m e s , a c h e t é d i r e c t e m e n t à u n s y n d i c a t de fazendères par l e g o u v e r n e m e n t f r a n ç a i s , p o u r r a i t être d é g r e v é de 2 f r . 5 o en s u p p r i m a n t les i n t e r m é d i a i r e s . O n e x a m i n e r a i t dans q u e l l e p r o p o r t i o n ce b é n é f i c e p o u r r a i t être p a r t a g é e n t r e la r é g i e française et les fazendères.
236
SAO
PAULO
PARANA
MINAS
pent les articles français à leur entrée au Brésil. Il est impossible de mesurer aujourd'hui les conséquences d'une pareille mesure sur le développement de notre exportation dans ce pays. 2" En estimant à i franc environ le prix
moyen
du kilogramme
rendu dans nos ports ('), et en fixant à [\ francs et 5 francs le prix de vente du café par la régie, suivant les qualités, on voit immédiatement le bénéfice considérable réalisé par l'Etat. Chiffrons-le approximativement. En
1900, les
droits
perçus
1 2 2 6 0 - 3 8 0 francs, soit, en
sur les
cafés ont été exactement de
chiffres ronds, i a 3 millions, pour
une
importation de 91 millions de kilogrammes. L a comparaison du prix de vente du café par la régie (4 francs et 5 francs, suivant les qualités) et du prix d'achat (1 franc le kilogramme au maximum), fait immédiatement ressortir au profit de l'État un bénéfice variant de 3 à l\ francs, dont il faudrait toutefois défalquer le déchet de torréfaction. Or ce déchet doit être estimé, d'après les affirmations des spécialistes, de i 3 à i8°/ 0 du poids : prenons i5°/ 0 en moyenne; cela réduit le bénéfice à 2 fr. 55 et 3 fr. /(o par kilogramme. Si donc nous supposons un bénéfice de 2 fr. 25 et 3 fr. 4o par kilogramme et si l'oii estime que les qualités les meilleur marché seront celles qui seront le plus fréquemment vendues, nous arrivons au calcul suivant : 91 000000 de kilog. à 2 f r . 70 de bénéfice moyen =
2/55700000 francs.
Mais il convient de remarquer en outre que la régie du café, en abaissant sensiblement le prix du café et en mettant fin à la fraude, amènerait certainement une augmentation de consommation qu'on peut aisément et sans exagération estimera i 5 °/0 de la consommation actuelle, soit environ treize millions de kilogrammes de plus( J ). Si nous prenons le même bénéfice moyen de 2 fr. 70 sur ces i 3 millions de kilogrammes, cela produit une nouvelle somme de 13 000 000 >< 2 fr. 70 =
35 100000 francs à ajouter aux 2 ^ 7 0 0 0 0 0
francs
escomptés plus haut, soit en tout 280800000 francs de bénéfice. Or, comme la somme encaissée par l'Etat est actuellement de 123 millions, la régie rapporterait la différence entre les 280 millions évalués et i a 3 millions, soit 157 millions de plus. ( ' ) Il s ' a g i t ici d u prix m o y e u d ' a c h a t , n o n p o u r le c a f é d u B r é s i l , m a i s p o u r le café de t o u t e p r o v e n a n c e ainsi q u e n o u s l ' e x p l i q u e r o n s p l u s l o i n . ( 2 ) C e t t e e s t i m a t i o n est très en dessous de la réalité. M a l g r é les droits é l e v é s , en e f f e t , la c o n s o m m a t i o n françaiso a passé d e p u i s 1900 de 82 m i l l i o n s de k i l o g . à 98 m i l l i o n s en 1 9 0 6 ,
soit
u n e a u g m e n t a t i o n de p l u s de 20 ° / 0 en C ans. C e l i v r e était c o m p o s é l o r s q u e la c o n s o m m a t i o n de 190O a été c o n n u e . L e l e c t e u r p o u r r a l u i - m ê m e f a i r e l e c a l c u l de c e q u e ce c h i f f r e de g 8 m i l lions c o m p o r t e de bénéfices s u p p l é m e n t a i r e s à l ' a p p u i de n o t r e t h è s e .
SÀO
PAULO
PARANA
—
MINAS
De ccs i 5 y millions il faut maintenant défalquer la rémunération poulies intermédiaires cl les frais de circulation et de manipulation. Nous pouvons, semlile-t-il, et en comptant très largement, chiffrer ces deux dépenses à 67 millions. Il reste donc en définitive un bénéfice net de 100 millions pour l'Etat Français. P o u r cette évaluation, j'ai, cette fois, tout compté dans l'hypothèse la plus défavorable à la régie et l'on ne m'accusera pas, j'imagine, d'exagé-
SÄO PAULO. —
C l u b n a u t i q u e sur le R i o T i c t é .
ration, comme au moment où, dans un grand journal du matin, j'exposais l'idée à toutes les critiques. Ces critiques, elles furent nombreuses et vives. Je vais essayer d'y répondre aussi brièvement que possible. D'abord on a invoqué le tort qu'un tel projet pouvait causer aux importateurs du Havre. Mais toutes les fois qu'on voudra envisager un monopole, monopole de l'alcool, du sucre, ou monopole du pétrole, on ne pourra le faire sans léser certains intérêts. D'autre part, il est certain que le port du Havre n'est pas seulement un port national où entre le café destiné à notre pays,
»38
SAO
PAULO
L'ARANA
MINAS
mais un grand entrepôt international qui, par conséquent,
conserverait
une grande partie de la situation actuelle. De plus, ce n'est pas parce que la régie serait faite que le café cesserait d'entrer dans le port du Havre cl les armateurs ne diminueraient en rien leur trafic, au contraire. Seuls, souffriraient de l'opération les spéculateurs. On m'excusera de ne pas me laisser attendrir par leurs doléances futures. Si, d'ailleurs, on juge équitable de les indemniser, l'opération est assez belle pour le permettre. On m'a ensuite opposé les difficultés de la torréfaction par l'État.
SÀO P A U L O . —
U n pont.
Or, ce n'est là qu'une objection de détail, facile à résoudre. Il est indispensable, en tout cas, que la régie soit chargée de cette manipulation sous peine d'ouvrir la porte à toutes les fraudes. Il est aisé, par surcroît, de faire des livraisons assez fréquentes pour que le café torréfié ne perde rien de sa valeur et l'État peut imaginer telles sortes de récipients qui permettraient une conservation prolongée. On m'a aussi soutenu que j'exagérais l'importance de la fraude sur le café et que, par conséquent, j e faisais trop largement état de celle suppression de fraude comme élément de l'augmentation de la consommation.
SAO
PAULO
—
PARANA
—
MINAS
Ici, je laisse la parole à M. le Directeur du Laboratoire municipal, qui répondit en ces termes à une question que je lui fis à ce sujet : M o n s i e u r le C o n s e i l l e r , E n réponse à v o i r e l e l l r e d u 12 c o u r a n t , je m ' e m p r e s s e de v o u s c o m m u n i q u e r les r e n s e i g n e m e n t s s u i v a n t s c o n c e r n a n t la falsification des cafés. On rencontre dans
le c o m m e r c e « des cafés v e r t s » a y a n t s u b i certaines
avaries
d u r a n t l e u r t r a n s p o r t , a v a r i e s p r o d u i t e s le p l u s s o u v e n t p a r l ' e a u de m e r . Ces cafés avariés q u i o n t u n e o d e u r et u n g o û t d é s a g r é a b l e s ,
sont débarrassés p a r t r i a g e des
f è ves trop altérées et v e n d u s m é l a n g é s avec des cafés sains. Mais, le p l u s s o u v e n t , ces cafés avariés sont v e n d u s après a v o i r été travaillés, c'està - d i r e lavés, séchés, rccolorés. O n a r r i v e m ô m e , en l e u r d o n n a n t la teinte v o u l u e p a r u n e légère t o r r é f a c t i o n , o u en les c o l o r a n t avec des o r a n g e s , à v e n d r e p l u s f a c i l e m e n t u n c a f é a v a r i é et m a q u i l l é q u ' u n café de b o n n e q u a l i t é . L a f r a u d e la p l u s c o m m u n e q u e l ' o n fait s u b i r a u café torréfié en g r a i n s consiste à l u i a j o u t e r a u m o m e n t d u g r i l l a g e u n e c e r t a i n e q u a n t i t é de s u c r e o u de
glucose,
d e x t r i n e , m a t i è r e s grasses, b o r a x , g o m m e l a q u e , r é s i n e , e t c . , de façon à p r o d u i r e u n e n r o b a g e p e r m e t t a n t de c o n s e r v e r a u c a f é u n e partie de l ' e a u q u ' i l p e r d p e n d a n t la torréfaction. A c t u e l l e m e n t , il existe des appareils p e r m e t t a n t de c o n d e n s e r les p r o d u i t s q u i d i s tillent pendant
le g r i l l a g e ( | 5 à 2 0 %
e n v i r o n ) c l à les faire a b s o r b e r p a r le café
torréfié. O n l u i c o n s e r v e ainsi u n e p a r t i e de son poids p r i m i t i f . Je v o u s s i g n a l e r a i p l u t ô t à litre do c u r i o s i t é la f a b r i c a t i o n des « cafés torréfiés factices », o b t e n u s e n m é l a n g e a n t i n t i m e m e n t d u m a r c de café o u de la p o u d r e de café a v e c des m a t i è r e s a m y l a c é e s g r i l l é e s , de la c h i c o r é e , de l ' a r g i l e parfois et de
l'eau.
C e l l e p â t e est e n s u i t e m o u l é e en f o r m e de g r a i n s de café à l ' a i d e de m o u l é s a p p r o priés... Q u a n l a u café torréfié m o u l u , il est l ' o b j e t de falsifications n o m b r e u s e s à l ' a i d e de p o u d r e s torréfiées o b t e n u e s avec la c h i c o r é e , les l é g u m i n e u s e s , céréales, le g l a n d d o u x , les a m a n d e s , c l c . . . O n y a j o u t e parfois des g r a i n e s de « cassis o c c i d c n t a l i s » o u café n è g r e ,
complète-
m e n t d é p o u r v u de caféine et d ' h u i l e s essentielles. E n g é n é r a l , les p r o d u i t s e m p l o y é s p o u r la falsification des cafés n e s o n t pas n o c i f s . Veuillez agréer, etc... Le Directeur Signé:
du
Laboratoire,
GIKARD.
Cette lettre explique certaines colères, car, en ce qui concerne
les
détaillants honnêtes, ils n'ont rien à perdre dans l'établissement de la régie, et peu leur importe, en définitive, qu'ils achètent leur café à l'État ou aux marchands en gros. Ceux qui restent inconsolables d'une telle hypothèse, ce sont les falsificateurs dont parle M. Girard. Ce sont des
PAO
PAULO
—-
PARANA
MINAS
gens qui vendent souvent à faux poids à leurs clients, et qui ne leur livrent même pas, par surcroît, la marchandise demandée. Enfin, j'en arrive à une dernière objection. « V o u s estimez, dit-on, à un franc votre prix moyen d'achat ! C'est beaucoup trop peu et vous ne pourrez alors acheter les qualités supérieures nécessaires aux mélanges ; surtout, vous porterez un grave préjudice aux producteurs de calé des colonies françaises qui ne sauraient se contenter d'un prix modique. » •i
SÂO PAULO. —
Palais du
gouvernement.
La réponse est facile : elle est, à mon avis, décisive pour qui voudra bien suivre avec attention le raisonnement que voici: Le café au Brésil a valu ces années dernières 05 à 79 centimes le kilogramme. Supposons que nous arrivions à le payer, frais de transport compris, 80 centimes. C'est une hypothèse très raisonnable. Or,
si
d'après mes estimations la consommation du café en France, qui actuellement est de 91 millions de kilogrammes, monte à 10lx millions, pouvons prévoir que sur cette consommation totale le Brésil pour 70 millions de kilogrammes.
nous
entrerait
SÀO
l'AULO
PARANA
MINAS
Donc, si l'État consacre io/j millions de francs à l'acquisition
de
io/i millions de kilogrammes de café, et qu'il en achète 70 millions de kilogrammes pour le prix total de 70000000 X
o,85 soit 5 9 6 0 0 0 0 0
francs, il reste /|45ooooo francs pour l'acquisition de 3/j millions de kilogrammes complémentaires. Ce qui fait pour ceux-ci une moyenne de 1 fr. 3o. O r , comme sur ces 34 millions de kilogrammes qui restent à acheter, il y a encore 24 millions de kilogrammes qui proviennent de Haïti où les
SÂO PAULO. —
Place de la République.
prix sont très sensiblement semblables à ceux du Brésil, il en résulte encore que, sans détruire le chiiTre de la moyenne que j'indique, on pourrait acheter le café de l'Indo-Chine, de la Nouvelle-Calédonie,
de
la Guadeloupe, des Etablissements français de la Côte d'Afrique et de nos autres possessions à un prix très supérieur à cette moyenne et dont nos colons pourraient être satisfaits. Veuillez noter, en effet, que toutes nos colonies et tous nos protectorats réunis n'arrivent pas à nous envoyer plus de 1 5 o o o o o kilogrammes de café ! Je crois avoir maintenant répondu aux principales critiques, laissant de côté les injures et les arguments de mauvaise foi. HENRI
TUROT.
16
2^2
SÂO
PAULO
PAU AN A
MINAS
Aussi bien, j e comprends à merveille cpie certains intérêts qui se trouvent menacés cherchent à se défendre. Encore ne faudrait-il pas qu'ils aillent jusqu'à des exagérations qui nuisent évidemment à leur propre cause. C'en est une, par exemple, de déclarer que, si la régie du café était faite, elle coûterait à l'Etat, au lieu de lui rapporter : cela reviendrait à dire que les grands importateurs, que les grands commerçants de France, que les riches commissionnaires du Brésil ne font aucun bénéfice et qu'ils poussent même l'esprit de sacrifice jusqu'à en être de leur poche. pour remplir, avec un désintéressement inouï, leur rôle d'intermédiaires. *
*
*
Après une discussion si aride, il est grand temps de revenir à des sujets moins rébarbatifs et de rappeler brièvement les étapes de la tournée que j'ai eu la bonne fortune de faire récemment en compagnie de MM. Paul D o u m e r , Dewavrin et Julia, à Sâo Paulo, au Parana et à Minas. 11 est à Sâo Paulo un magicien singulièrement habile qui, d'un coup de sa baguette enchantée, sait aplanir toutes les difficultés, briser tous les obstacles, organiser les excursions les plus compliquées, rendre les séjours fastueux et les voyages confortables ; j'ai nommé M.
Botelho,
ministre de l'Agriculture. C'est lui qui est venu nous prendre à llio pour nous servir de guide dans la ville et l'Etat de Sâo Paulo et, tout de suite, nous fumes entraînés à un perpétuel émerveillement. D i r a i - j e l'agrément
du train spécial
mis à notre disposition et où, dans les spacieux dormitorios, nous passons une nuit quasi reposante. V o u s raconterai-je par le menu l'imposante manifestation à la gare d'arrivée, les acclamations et les discours enflammés d'étudiants enthousiastes, l'accueil chaleureux du Président Tiberiça, venu lui-même au-devant de M. D o u m e r avec son superbe attelage à la Daumont ? Vous décrirai-jc ce palais féerique mis à notre disposition par le comte Prates, palais tout enguirlandé des fleurs les plus rares, illuminé le soir par des milliers de lampes électriques et où nous attend l'armée des valets, des cuisiniers, coifieurs, masseurs et messagers ? Nous fumes d'autant plus touchés de ces attentions que M. D o u m e r et nous tous, nous y vîmes, par-dessus tout, le désir intense de manifester l'attachement profond qu'on éprouve à Sâo Paulo pour tout ce qui vient de France.
236 SAO
PAULO
PARANA
MINAS
Ai-jc besoin (le dire que, comme j e l'avais fait l'an dernier, M. D o u mer a admiré à son tour le prodigieux développement de celte ville qui, bourgade il y a vingt ans, compte maintenant près do 3oo o o o habitants ; l'excellence de son climat dû à une altitude de 700 mètres audesus du niveau de la mer, et la splendeur de son silc, avec ses vallonnements, ses avenues, la remarquable organisation de l'enseignement à lous les échelons, la belle tenue de son École normale, de son École polytechnique, de sa Faculté de droit?
C h u t e s J e P i r a c i c a b a ( É t a t de S â o P a u l o ) .
Puis, nous fûmes conviés à deux belles excursions, la première à la fazenda de Sainte-Gerlrude appartenant à M. Prales, le môme qui nous offrit en son palacete une hospitalité si grandiose. A cinq heures du malin nous montons dans le train spécial, qui, en trois heures, nous conduit à la plantation. Là, des voitures légères et pittoresques nous emportent à la fazenda où M. Botelho, transformé en professeur érudit, explique à M. Doumer et aux autres visiteurs, les différentes phases de la préparation du café, séchage, décorticage, paration des grains suivant leur grosseur, mise en sac, etc...
sé-
236 SAO
PAULO
PARANA
MINAS
Après un déjeuner, où, comme il convient entre gens heureux de se
congratuler
réciproquement,
des
toasts
sont
échangés,
nous
remontons en voiture et nous parcourons la plantation. Nous assistons à la cueillette, nous admirons la belle harmonie d'un paysage paisible où s'étendent, au flanc des collines bleutées, les innombrables arbustes qui font la richesse de la région. Puis, c'est le retour par la ferme qui produit de magnifiques bœufs et des chevaux vigoureux et enfin la rentrée à Sâo Paulo après une j o u r née fatigante mais instructive. L'autre excursion fut celle de Piracicaba : réveil à 3 heures du matin, départ à t\ heures. A 8 heures et demie, nous arrivons à la jolie ville, patrie de M. Botelho où l'accueil est encore, si possible, plus chaleureux que partout ailleurs. Après avoir passé en revue toute la jeunesse des écoles, petites filles en blanc, coiffées d'un béret aux couleurs brésiliennes, garçonnets en habits de fête, nous montons en voiture pour aller admirer la belle chute de 'Piracicaba, une énorme masse d'eau
d'une
force de 20 000 chevaux qui roule à grand fracas ses eaux argentées et donne la force motrice à plusieurs usines. La plus prospère est une sucrerie qui, cette année, grâce à une hausse inespérée, va gagner trois millions de francs : plus du double de son capital. Après une rapide visite de cette usine, nous repartons pour la nouvelle école d'agriculture, récemment inaugurée, dont M. Botelho
est
justement fier; on rie saurait concevoir un établissement mieux agencé, mieux doté de tous les perfectionnements modernes. De là sortiront des élèves qui, tant au point de vue scientifique qu'au point de vue pratique, ne contribueront pas médiocrement au développement agricole de l'Etat de Sâo Paulo. Je n'en finirais pas s'il me fallait encore enregistrer ici les détails de ce séjour où rien n'a échappé à l'observation perspicace de M. Doumer, ni l'excellent entraînement des troupes de police instruites par la mission française dont le colonel Balagny est le chef, ni l'aménagement des hôpitaux. Il ne me reste plus qu'à dire combien M. Doumer et ses compagnons de voyage ont été touchés de l'accueil si cordial, des attentions si délicates de tous ceux qui furent en rapport avec nous. M. Tiberiça, Président de l'État et ses ministres : MM. Albuquerque Lins, Botelho, Washington Luis et Godoy, n'ont pas perdu une occasion de nous être agréables et nous emportâmes de Sâo Paulo un inoubliable souvenir.
SÂO PAULO
Notre
PARANA
séjour dans l'État de Sâo Paulo
MINAS
A/15
s'est terminé à Santos,
le
grand port brésilien où passent chaque année de i o à 15 millions de sacs de café. La descente depuis Sâo Paulo est un enchantement : pour franchir la Sierra, il a fallu recourir au funiculaire, multiplier les travaux d'art, construire une voie qui s'accroche aux rochers, s'élance sur des abîmes :
SAN r o s . — Magasins « T e l l e s Q u i r i n o ».
tout ce qui
peut faire la joie de touristes épris de paysages
gran-
dioses. Les actionnaires de la ligne n'en sont d'ailleurs pas plus à plaindre, car malgré de telles difficultés de construction la Compagnie du Sâo Paulo Railway est la plus belle affaire de chemins de fer, non seulement du Brésil mais du monde entier : c'est elle qui distribue les dividendes les plus élevés tout en constituant une
formidable réserve. Cela se
comprend si l'on songe qu'elle a le monopole presque exclusif de toute la production de l'État de Sâo Paulo, le plus riche de la République
a48 SÂO
brésilienne, teurs.
PAULO
et qu'elle bénéficie
PARANA
MINAS
cle tarifs singulièrement
rémunéra-
Une lois de plus, en saisissant au passage les renseignements techniques sur l'exploitation, nous déplorons que la plupart des lignes brésiliennes soient aux mains des Américains et des Anglais qui se servent, comme toujours, de capitaux français empruntés à faible intérêt, pour se tailler des parts superbes.
SANTOS. —
E m b a r q u e m e n t du café.
Nous disposons de ressources inépuisables, nous pourrions nous e m parer de toutes les entreprises les plus rémunératrices, et par ignorance et pusillanimité, nous les laissons à nos concurrents; que dis-je,
nous
leur fournissons des munitions pour nous battre, car si l'initiative, qui seule rapporte de gros bénéfices, nous échappe, c'est le marché de Paris qui finit un j o u r ou l'autre, mais trop tard, par absorber les titres. A h quelles belles leçons d'énergie et d'audace on reçoit ici ! celle par exemple de toute l'œuvre accomplie par M. Gaflrée, qui a voulu nous montrer
lui-même les travaux du port, le merveilleux
outillage des
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PAUI.O
—
PARANA
MJNAS
docks, toulc l'organisation admirable d'une armée do travailleurs : nous les voyons transformer les montagnes voisines en carrières productives, draguer le canal, construire des quais spacieux, commander à des machines puissantes et soumises. Or, M. Gaflrée est (ils de Français modestes ; il était, il y a moins de vingt ans, petit employé dans j e ne sais plus quelle entreprise. P a r la seule force de sa volonté, par la hardiesse de ses conceptions, il a non seulement gagné la plus grosse fortune du
l'uni Yapo (Paraâa).
Brésil, mais doté son pays d'adoption d'un port qui constitue un des meilleurs instruments de sa richesse. M. Doumer s'est, comme on pense, intéressé tou t particulièrement à cette partie du programme, puis, après avoir reçu l'accueil toujours si cordial, si touchant de la municipalité de Santos, entendu les courtoises allocutions de la Chambre de Commerce et fait une rapide excursion à la jolie plage de Guaruja, nous devons prendre congé de nos amis paulistes, de M. Botelho, qui, pendant ces six jours, fut le plus gai et le plus aimable des compagnons et de M. Dupas, notre consul, fonctionnaire zélé et courtois qui ne néglige rien pour défendre les intérêts français. Maintenant, nous voici à bord du Céara, un luxueux paquebot de cinq
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SÂO
PAULO
PARANA
MINAS
mille tonnes transformé en yacht de plaisance, et mis à notre disposition par M. Buarque, l'éminent directeur du Lloyd brésilien. Nous y retrouvons M"0 de Rio-Branco
et ses deux frères, M. et Mmc de Souza et
M. Texeira-Soarès qui doivent être du voyage au Parana. Nous savions bien, par la description si colorée de Tobias Monteiro, la beauté et la richesse de cet Etat ; quand même, nous fûmes enthousiasmés. 11 n'y a pas au monde de ligne de chemin de fer qui offre un panorama
Pont T i b a g y (État du Parana).
aussi merveilleux que celle de Paranagua à Curitiba et je comprends que son hardi constructeur, M. Texeira-Soarès, ait eu la fierté de nous en faire les honneurs. Après être sortis des fourrés épais où s'accumulent les échantillons les plus variés de la végétation tropicale, la voie s'élève par une pente régulière à travers la sierra fantastique : des forêts immenses
s'étendent
maintenant à nos pieds tandis que le panorama s'élargit sans cesse et devient plus merveilleux : au loin la baie azurée du Paranagua, p u i s . d e tous côtés, des monts aux formes étranges, des croupes mouvementées, des pics menaçants. Tout à coup la ligne fait un coude et s'enfonce dans
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PARANA
MINAS
un tunnel et nous sommes désolés d'être privés si vile d'une belle vue : fausse alerte, le tunnel paraît n'être là que pour ménager une nouvelle surprise et nous débouclions sur un viaduc qui franchit un torrent impétueux dans une gorge magnifiquement sauvage entre deux parois resserrées, d'où dégringolent des cascades. Une minute, dans cette échancrure féerique nous apercevons encore des lointains ouatés par la blancheur
Parana. —
U n e cascade ( 4 5 " ' de h a u t e u r ) .
des nuages ; puis c'est fini : la nuit est venue et nous roulons maintenant sur le plateau du Parana, à une altitude de huit cents mètres. Rien ne saurait dire combien est frappant le contraste entre ce que nous venons d'admirer et les paysages gracieux et paisibles que nous verrons désormais. En bas de la Sierra, c'est la nature tropicale toujours un peu menaçante et hostile. L ' h o m m e sent des pièges dans ces forêts épaisses, obscures, où les lianes qui pendent de tous les arbres semblent vouloir l'enserrer ; il n'est pas le maître de celte végétation trop vigoureuse qui
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PARANA
MINAS
le d o m i n e et l'écrase : il ne s'y avance qu'avec un peu de crainte ; m ê m e les tlcurs les plus belles ne sont point attirantes et l'idée ne vient pas de les cueillir : qui sait si leur âpre p a r f u m n'est point u n
dangereux
poison ? Là-haut, au contraire, nous retrouvons la bonne terre nourricière et généreuse, accueillante et soumise, qui attend la semence et ne demande q u ' à fournir à l ' h o m m e , son enfant et son maître, le pain, l'abri et les vêtements : l'air est pur et léger, la température clémente, nous sommes bien c o m m e en E u r o p e , dans un climat où des travailleurs de notre race peuvent en sécurité pousser la charrue et jeter le bpn grain. Ils ont déjà c o m m e n c é d'ailleurs et nous aurons, pendant notre séjour au Parana, l'occasion de
visiter des colonies italiennes et polonaises
extrêmement prospères, où des paysans laborieux
cultivent avec plein
succès la vigne et le maïs, le seigle et le blé et font paître sur de vastes prairies naturelles des troupeaux innombrables. Q u e de place encore pour d'autres colons ! de C u r y t i b a , la capitale de l'État, jusqu'à P o n l a Grossa, nous roulons pendant huit heures de chemin de fer à travers des régions presque désertes et manifestement fertiles. E l cela n'est rien encore. P o n t a Grossa csl une jolie petite ville bâtie sur une colline étroite qui jaillit de l ' i m m e n s e plaine. D e la place de l'église, par les rues coupées à angle droit, on peut, de tous côtés, apercevoir j u s q u ' à l'horizon l'infini des terres cultivables, promises à la bonne volonté des h o m m e s . E l l'on comprend alors l'avenir merveilleux
de ce Parana qui, avec
Rio Grande do S u l , deviendra le grenier du Brésil, de ce Brésil qui me captive chaque j o u r davantage par la variété inouïe de ses aspects, de ce Brésil où la nature a juxtaposé, par un caprice bienfaisant, des c h a m p s , qui, c o m m e c e u x de la Beauce, sont aptes à produire toutes les céréales, les terres rouges si favorables au café, les forêts colossales où abondent les arbres à caoutchouc. Et puis voilà, par surcroît, en ce Parana si attirant, le p i n , sorte d ' a raucaria gigantesque en forme d'ombrelle retournée, qui donne à toute la région une note caractéristique et fournit du bois excellent pour les nombreuses tonnelleries et fabriques d'allumettes de la province ; voilà encore l'arbuste précieux, appelé yerva malle, qui donne le maté ou thé du Parana, une richesse du pays, exportée dans tous les États du Brésil et qui pourrait bien, u n j o u r , tant ses bienfaits sont indiscutables, être appréciée en Europe au m ê m e titre que le thé d ' E x t r ê m e - O r i e n t .
SAO PAULO
PARANA
MINAS
2ÔI
Minas csl une des provinces les plus prospères du Brésil, grâce à la richesse de son sous-sol et au développement industriel qui s'y annonce. Les mines de toutes sortes y abondent cl dès maintenant nous avons pu nous rendre compte de l'importance de celles qui sont déjà exploitées. Notre première visite fut pour les mines de manganèse de Miguel Bournier,
situées dans un
joli pays assez pareil au P u y - d e - D ô m e ,
Ouito I'HETO (Minas Geraes).
avec ses montagnes noires, se détachant de l'ensemble verdoyant d'un paysage accidenté. Les mines sont exploitées, les unes en galeries de 900 mètres de profondeur, les autres à ciel ouvert. Les premières produisent cent mille tonnes par an qui rendent 48 % de manganèse métallique. Si l'on songe que le minerai se vend à raison de i 5 pence, c'est-à-dire un peu plus de 1 fr. 5o pour 1 % de manganèse à la tonne, c'est-à-dire dans le cas actuel plus de 72 francs, cl si l'on calcule que le prix de revient 11e dépasse pas 35 francs, rendu à Dunkerque, on a immédiatement l'idée des énormes bénéfices obtenus par l'exploitation.
SÂO
L a deuxième de
PAULO
PARANA
MINAS
mine est moins importante et ne produit guère plus
5 o o o o tonnes.
Mais le minerai est plus riche et
contient de
5o à 55 % de manganèse, c'est-à-dire presque le maximum jusqu'à présent constaté. En quittant les mines de manganèse, on ne saurait manquer de passer quelques heures à Ouro Prcto, l'ancienne capitale, une ville pittoresque située sur un mameloh au fond d'une vallée profonde. Les 17 églises qui dressent leurs clochers çà et là lui donnent l'aspect d'une antique cité de la Haute Italie.
SABARA. ( M i n a s G e r a c s ) .
Les rues sont tortueuses et les vieilles maisons s'y étagent les unes et les autres en grimpant jusqu'au sommet de la colline. Nous regrettons de ne pouvoir séjourner davantage dans cette curieuse ville, toute remplie des souvenirs historiques que rappelle la statue de Tiradentès ; mais il nous faut continuer notre enquête économique et nous rendue le plus rapidement possible aux mines d'or de Morro Viclho, où fonctionne une compagnie anglaise au capital de dix-huit Huilions de francs. Le directeur, M. Chalmers, fait avec une charmante amabilité les honneurs de son installation qui est parfaite aussi bien dans le cottage d'habitation où s'affirme le confortable anglais, qu'à la mise en exploi-
SÀO
PAULO
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253
MINAS
tation des galeries. Celles-ci sont à i 48o mètres de profondeur. Ce sont les plus profondes du monde entier. L'or s'y rencontre dans la proportion de 22 grammes à la
tonne
de grès tendre. On extrait des galeries environ 100 mètres cubes par j o u r , soit 3oo tonnes, qui sont traitées et bocardées comme au Transvaal. A u lavage 60 % de l'or sont retenus par le mercure ; le reste est enlevé par un procédé dont M. Chalmers lui-même est l'inventeur et qui réduit à 1 0 % la perte du métal précieux. La
quantité
d'or recueillie par
jour est donc de 3 o o X 2 2 , soit 6 kilogrammes 600, moins la perte de
10%.
Le produit net s'élève, par conséquent, à 5 kilogrammes
l\oo. La valeur de l'or étant, comme on sait, de 3 3oo francs le kilogramme, on voit combien est fructueuse l'exploitation des mines de
MOITO
Vie-
lho qui occupent 1 800 ouvriers. Ces détails techniques étaient indispensables pour juger de la richesse actuelle de l'État de Minas, où le
personnel
gouvernemental s'atta-
che par surcroît à attirer la grande industrie par des encouragements appréciables. Avant de revenir à Rio, M. D o u m e r et ses compagnons de voyage reçurent à Bello-Horizonte, la capitale administrative de l'Etat, une réception aussi chaleureuse que furent celles de Sâo Paulo et de Curitiba. En l'absence du Président Joao Pinheiro, c'est M. Britto, ministre de l'Intérieur, qui a fait les honneurs de la ville, en compagnie de M. le Préfet Jacob, un Brésilien d'origine française, qui fit toutes ses études au collège Bollin et qui tout naturellement est l'un des plus fervents apôtres de l'influence française. Mais nous n'en sommes plus à nous étonner de trouver partout des Brésiliens au cœur français. Une fois de plus, nous constatons qu'il ne tiendrait qu'à nous de rencontrer dans la grande Bépublique sud-américaine les concours les plus précieux et les plus empressés pour le développement de notre industrie et de notre commerce.
C H A P I T R E
BUENOS
X
AYRES
Dans le Rio do la Plala. — Quelques heures h Montevideo. — Arrivée i Buenos Ayres. — P h y sionomie do la ville. — Ville d'affaires et de plaisirs. — Organisation municipale. — La mission de M. Bouvard. — L'influence française. — Comment elle peut s'augmenter encore. — Le patriotisme argentin.
Dès que le paquebot quitte Santos, un des grands ports de la côte brésilienne, il faut dire adieu à la température tropicale; c'est un véritable hiver que nous allons trouver à Buenos A y r e s et qui
s'annonce
pendant la traversée par des brouillards épais, une bise glaciale, pluie fine et persistante.
une
Ces dames sortent leurs fourrures, les gros
pardessus deviennent indispensables et le pont est déserté pour la salle à manger où ronfle un rouge feu de coke. La marche se fait lente, car la côte est dangereuse et la brume augmente ; ce n'est pas sans peine que nous parvenons à trouver la passe du Rio de la Plata et à venir mouiller lort loin, dans la rade foraine de Montevideo. Je regrette bien vivement d'avoir été forcé de passer ainsi sans m arrêter devant les admirables provinces brésiliennes, de Santa Catharina, et du Rio Grande do Sul. Je sais quelle est leur actuelle prospérité, et syrtout quel merveilleux avenir leur est promis. J'aurais souhaité parcourir les vastes plateaux où poussent, entre l'Océan et le fleuve Itaquy, le blé et le maïs, le seigle et l'orge, où la vigne produit d'excellents vins, où toutes les cultures les plus diverses trouvent un sol généreux et fertile, assurant l'aisance à une population d'un million et demi d'habitants. Mais je dus remettre à un autre voyage l'étude de ces contrées privilégiées; et même, de l'Uruguay qui, en Amérique du Sud, est presque exclusivement appelé République
Orientale, j e ne connaîtrai guère que
la capitale. Montevideo est fort bien située sur un promontoire dominé au nord
250 B U E N O S
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2 5 5
par la colline Cerro. La ville, très blanche, est bien bâtie : ses rues sont larges, ses maisons élégantes ont presque toutes des « p a t i o » à l'espagnole, ses places sont vastes, ses promenades ombragées et agréables. Chacun vante la gaîlé, l'animation de la capitale orientale et on affirme volontiers que les femmes y sont délicieusement jolies.
[JLUUV-
tchido
Concepck
CHosmalaí
NfCRO \ G de S" Matías Rawsol G. de S* Georges C. de Tres Puntas Msloumcs ou Falkland 'Oct de Mtgtilín .OOUU'Of
lA
JLERM-JIJLU
*1 |
RÉPUBLIQUE ARGENTINE
Ilélas ! dans notre si rapide passage, nous ne vîmes pas ces belles Montévidiennes : nous n'avons guère rencontre dans les rues que gens d'affaires se hâtant vers le port, ou badauds masculins se pressant sur le passage triomphal de M. Iloot ; il faudra remettre à plus tard une impression définitive ! Constatons
seulement aujourd'hui que Montevideo paraît être en
BUENOS AYRES
250
pleine prospérité commerciale, qu'on y fait grand trafic de cuir, de viandes sèches, de suifs, de laines, de tabac et que le chiffre des affaires s'augmentera encore dans d'énormes proportions quand seront achevés les travaux du port, actuellement en pleine activité sous l'impulsion d'une société française. Il faut souhaiter que l'Argentine imite promptement cet exemple cl fasse commencer bientôt les travaux prévus, nécessaires à l'amélioration de l'entrée du port de Buenos Ayres : cela éviterait aux voyageurs
MONTEVIDEO. — V u e générale.
de l'avenir la nouvelle mésaventure qui devait retarder mon débarquement.
,
Je suis d'ailleurs accoutumé aux incidents de navigation et c'est presque sans surprise, comme une chose toule naturelle, qu'au moment où apparaissaient
à l'avant les deux bouées qui marquent l'entrée du canal
conduisant au port de Buenos Ayres, j e sentis une légère secousse. Immédiatement les machines s'arrêtèrent, nous étions ensablés ! '
Heureuse fortune qui me permettait de constater expérimentalement l'insuffisante profondeur du Rio de la Plala ! Notre patience ne fut d'ailleurs pas trop durement mise à l'épreuve,
car trois ou quatre heures après celte ultime panne, un petit vapeur vint nous quérir et nous pûmes, abandonnant la masse inerte du paque-
BUENOS
AYRES
3Ö7
bot obligé d'attendre une marée favorable, débarquer enfin dans le port mouvementé de la capitale argentine. Drapeaux, lampions,
trompettes et tambours : M. Root est
notre
fidèle compagnon de route ! Hier à Montevideo, le voici aujourd'hui à Buenos A y r e s , toujours fêté et toujours encombrant. Celle fois, par exemple, j'en ai assez ! Je me refuse à assister à son débarquement officiel et je gagne mon hôtel, résolu à fuir les coutumières manifestations de ce voyage triomphal.
MONTEVIDEO.
—
Plage
Ramirez.
Ici, d'ailleurs, la réception fut moins enthousiaste et d'aucuns trouvèrent excessives, pour un simple ministre, des réceptions
fastueuses
que les capitales européennes réservent uniquement aux souverains et aux chefs d'Etat. Et puis, on aperçoit moins qu'à Rio la portée politique et économique du voyage de M. Root. A u point de vue politique, il suffit que grandisse l'intimité entre le Brésil et les Etats-Unis pour que l'Argentine se montre plus réservée. A u point de vue économique, les États-Unis et l'Argentine produisent tous deux du blé et du bétail ; ce sont des rivaux qui se disputent les marchés européens et qui ne peuvent guère, par conséquent, avoir ensemble des relations commerciales. IIENKI
TUROT.
in
2
llÜENOS
58
AYhËS
O n peut donc croire que le voyage de M. Root à Buenos Ayres manquera de conséquences pratiques : le ministre américain aura seulement pu se rendre compte de la prospérité inouïe d'une nation
où les busi-
nessmen n'ont rien à envier aux rudes spéculateurs de N e w - Y o r k et les Argentins auront été enchantés d'avoir m o n t r é à l e u r hôte une ville où les nègres sont infiniment plus rares qu'à Rio — il parait que cela a grande importance — et où s'aiïirme une activité prodigieuse. Buenos A y r e s est, en effet, une admirable cité où l'on retrouve tout à la fois, sur l'Avenida de Mayo, l'animation du boulevard parisien et, dans
MONTEVIDEO. — Place Indcpendencia.
les rues fameuses de Florida, Reconquista,
Congallo, Rivadavia,
Cor-
rienles, l'encombrement londonien des alentours de la Bank. Ne cherchons pas ici les délicieuses promenades de Rio, les pittoresques perspectives des baies et des montagnes : nous sommes dans une ville de négoce où l'on a dédaigné —
on le regrette un peu à cette
heure — le parti qu'on pouvait tirer, au point de vue esthétique, des rives d'un fleuve majestueux. New-York semble avoir servi de modèle pour le tracé des rues qui se coupent à angle droit et qui forment d'énormes cubes de cent mètres de côté. Ces rues infinies — Rivadavia a plus de 9 000 numéros ! — s o n t sillonnées de tramways électriques qui se succèdent sans interruption et rasent
UUENOS
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les trottoirs, où circulent, innombrables, (les gens affairés et silencieux. A la tombée de la nuit, dans Florida, les businessmen cèdent la place
A r m e s do la v i l l e de B u e n o s À y r e s .
à des badauds, à l'air grave, qui regardent passer les équipages, retour de Palerme, où il est de bon ton de se montrer entre quatre et six heures.
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Dans ces voitures bien attelées, des femmes, pour la plupart jolies, exhibent leurs toilettes élégantes et passent, graves elles aussi, sous les regards masculins. O n cause peu, aussi bien sur les coussins des voitures que sur les trottoirs où l'on stationne, et vraiment ces rues si brillamment éclairées ne laissent pas que d'être un peu tristes. Est-ce que ces hommes ont trop le souci des affaires qui absorbent leur effort continuel? Est-ce que ces femmes ont à l'excès la crainte du
PALERME.
—
Entrée du Parc de Février.
potin qui sévit ici avec une particulière
malignité ? En tout cas les
physionomies sont fermées, les rires sont rares et les éclats de voix ignorés. Et jamais j e n'ai si vivement senti l'influence du milieu sur les êtres qui s'y meuvent. Buenos A y r e s est une ville d'affaires, imposante par ses dimensions, impressionnante par les richesses qu'on y sent accumulées ; elle est le résultat d'un admirable effort de volonté intelligente ; elle est une capitale digne du pays prospère qui envoie dans ses banques le produit d'un
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travail opiniâtre ; elle a tout le luxe que peut produire l'argent, il lui manque le charme que peuvent seulement donner ou la splendeur d'un site, 011 les magnificences architecturales créées par le patient labeur des siècles. Mais Buenos A y r e s est modifiable, et déjà les hommes éclairés qui président à sa destinée ont eu la bonne et llatteuse pensée d'une collaboration étroite entre Paris et la capitale argentine.
A l l é e des P a l m i e r s à P a l e r m e , près B u e n o s A y r e s .
Grâce à l'intelligente initiative du ministre
de l'Intérieur d'alors,
M. Montes di Oca ; grâce à l'amicale intervention du docteur Perez, qui voulut bien seconder mes ciTorts ; grâce enfin à l'esprit de décision de M. de Alvear, le nouvel intendant municipal, de grands travaux se préparent pour lesquels M. Bouvard, directeur des services d'Architecture de la ville de Paris, donnera son avis éclairé par son goût d'artiste et sa longue expérience. Il faut que Buenos Ayres devienne tout à fait digne de la formidable richesse qu'on sent en elle.
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BUENOS
AYBES
C o m m e n t en pourrait-il être autrement avec les fortunes colossales q u ' y accumulent les produits de l'élevage et de la culture, et surtout les bénéfices inouïs obtenus par la valorisation des terres? En
quelques
années, des millions ont été gagnés par les spéculateurs à qui les lignes de chemins de fer, partout multipliées, ont apporte des débouchés précieux et amené des acquéreurs pour leurs milliers d'hectares. Q u ' o n me permette
ici de placer sous les y e u x du lecteur quelques
statistiques et renseignements techniques : ce sera la meilleure façon de se documenter avec précision sur la vertigineuse rapidité du développement de la grande cité sud-américaine. C'est au c o m m e n c e m e n t de i53G que mouillèrent en face de la rive droite de Rio de la Piata les navires partis du port de Séville sous le c o m m a n d e m e n t de D o m P e d r o de Mendoza. Il y débarqua pour fonder la ville primitivement désignée sous le nom de Santa Maria de Buenos Aires. Suivant M. Vincent Lopez, le nom de B u e n o s Aires est dû à la dévotion des membres
de l'expédition envers Notre-Dame la Vierge
Marie des Bons Airs à laquelle ils faisaient des offrandes et des suppliques pour obtenir d'elle des vents favorables. Cinq ans après, alors que Mendoza était mort en
haute mer avant
d'avoir revu l'Espagne, celte première ville fut détruite par l'ordre de Martinez de llcrada. C e n'est qu'en i 5 8 o q u e don Juan de Garay fonda de nouveau une ville en adoptant un tracé parfaitement régulier en forme de damier. La superficie de Buenos A y r e s était à cette époque de 234 hectares. La superficie avait plus que doublé en 17G2 ; triplée en 179/i, elle atteignait A 000 h e c f a r e s c n 1867 ; aujourd'hui enfin elle a plus de 19 000 hectares, soit près de deux fois et demie la superficie de Paris. La population a suivi une progression analogue et, pour s'en tenir au dernier siècle, il suffit de noter qu'en 1801 elle comptait 4o 000 habitants, 5 5 0 0 0 en 1822, G2 000 en i 8 3 6 , 7 6 0 0 0 en I 8 5 2 , 1869, 4 3 3 o o o
en
1887, 6 6 3 0 0 0 en
i 8 g 5 , enfin 9 5 1 0 0 0
177000011 en
1904.
L ' e x a m e n de ces deux derniers chiffres montre qu'en moins de dix ans la population a augmenté de 287 000'habitants. O n pense bien qu'une pareille augmentation n'est pas seulement due à l'accroissement normal de la population appoint a été fourni par l'immigration,
argentine : le plus grand
de plus en plus considérable
chaque année. D a n s la population de Buenos A y r e s il convient de noter les groupes étrangers les plus importants. Citons les Italiens, qui étaient 44 000 en
BUENOS
18/19 et qui comptent maintenant
2 2 8 0 0 0 dans la capitale a r g e n t i n e ;
les Espagnols, au n o m b r e
de i / i o o o
io5ooo;
128000,
les
Uruguayens
263
AYUES
en 1869, qui sont
maintenant
les Allemands 5 000, les A u t r i -
chiens 3 000, les llusscs 3 200, c t c . . . L e groupe français est encore un des plus importants avec 27 5y/i h a b i tants en 190/i. Malheureusement la progression de nos nationaux relativement faible puisqu'elle n'a augmenté que de 2 %
est
depuis 18G9,
alors que les Italiens ont progressé de 1 1 , 9 % e l l e s Espagnols de 1 7 , 7 "/<.•
BUENOS AYRES. —
Placo do
Mai.
Puisque j ' e n ai l'occasion, q u ' o n me permette de dire en passant
ce
qu'est la colonie française d ' A r g e n t i n e . Elle fut trop souvent l'objet d'attaques bien iniques et il n'est que temps de lui rendre la justice
qu'elle
mérite. S o u v e n t , dans mes voyages à l'étranger, j'ai souffert de l'infériorité où se trouvait la colonie française et j ' a i déploré
que nous exportions
trop souvent des gens dont la métropole ne veut plus. C'est, fort heureusement , une tout autre impression que j 'ai éprouvée à B u e n o s A y r e s . L à , c o m m e dans toute l ' A r g e n t i n e , l'élément français s'impose par son intelligence, son labeur et son honorabilité.
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Ce
BUENOS
AYRES
sont de nos compatriotes, comme
M.
Hileret, qui ont créé la
grande industrie du sucre; comme M. Brisson, qui ont donné
l'essor
à l'industrie de la cigarette, M. Fourvel-Bigolleau qui a installé la première verrerie, M. Forgues qui, quoique Français, s'est imposé au point de faire partie de la .Municipalité de Buenos Ayres. Ce sont nos acheteurs du Nord, de lloubaix notamment, qui détiennent le commerce
des
BUENOS A T R E S . — P a l a i s d u service des e a u x .
laines. Ce sont des hommes éminents comme M. Daireaux qui se sont, parmi les premiers, lancés dans la grande culture, intelligemment
ex-
ploitée. C'est un Français, M. Groussac, qui est directeur de la Bibliothèque nationale ; c'est un Français, M. Linière, qui représente là-bas la science de la bactériologie et qui sauve d'innombrables troupeaux par la diffusion de ses vaccins. C'est, à la banque française, M. P y , président de la Chambre de commerce, qui a fait de son établissement une maison de premier ordre. C'est M. Basset qui administre l'hôpital français avec infiniment de dévouement et d'intelligence. Combien d'autres que j e
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n'oublie pas, mais dont la liste serait trop longue et que j e me résigne à passer sous silence ! Nous avons là, vraiment, une colonie active, laborieuse, parfaitement honorable, qui fait le plus grand honneur à notre pays. Mais revenons vite à nos statistiques, si édifiantes. Le budget des recettes s'est élevé en i g o 4 à plus«de 16 millions etdemi de pesos, celui des dépenses à i G g o o o o o pesos.
BUENOS AVISES. —
Avenue Alvear.
Sur ce budget des dépenses, on compte (en pesos papier dont l'unité vaut 2 fr. 20) 1 742000 pour l'éclairage,
1 64Gooo pour le nettoyage,
1 758000 pour l'assistance publique. L'organisation municipale est la suivante : D'après la loi du 1 " novembre 1882, la municipalité secomposait d'un conseil délibérant
et d'un département exécutif. Le premier, électif,
formé par deux membres
de chaque paroisse de la ville, renouvelable
tous les ans par moitié, et l'autre à la charge d'un fonctionnaire n o m m é par le Président de la République, d'accord avec le Sénat. Ce fonctionnaire porte le titre d'intendant municipal.
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La composilion du conseil délibérant fut modifiée par une loi de 1901 qui supprima le système d'élection populaire et qui chargea de ces fonctions une Commission composée de vingt-deux habitants nommés par le pouvoir exécutif national, d'accord avec le Sénat. Il appartient à l'intendant municipal de présenter au corps délibérant le projet de budget avant le t " septembre de chaque année. Le projet passe ensuite à l'étude d'une sous-commission spéciale, puis il estdiscuté et voté en séance publique.
U n parc à Buenos Ayres.
Le service des eaux est, à Buenos Ayres, très remarquablement organisé : sur le territoire de la capitale fédérale il existe trois systèmes indépendants d'eau courante : celui de la ville proprement dite, qui est de beaucoup le plus important, et ceux de Florès et de Belgrano
(com-
munes annexées), dont l'eau provient de puits semi-artésiens. L'eau fournie à la ville est extraite du Ilio de la Plala au moyen d'un puits relié par un tunnel à l'établissement Recoleta où elle est filtrée, dans d'immenses bassins de décantage. De l'établissement Recoleta, elle est conduite au superbe édifice de la rue Cordova, majestueux réservoir d'où elle est ensuite distribuée à toute la ville.
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La consommation moyenne d'eau par habitant de Buenos A y r e s est de 187 litres par j o u r . Je m'excuse de ces statistiques rébarbatives et que j'abrège d'ailleurs ; elles étaient indispensables à connaître pour avoir une idée de l'importance d'une cité qui dans dix ou vingt ans sans doute sera bien près d'atteindre la colossale fortune de New-York : déjà on y prépare un projet de Métropolitain qui facilitera le peuplement des quartiers encore presque déserts,
BUENOS AYHES. —
Place du général Lavallé.
et les temps ne sont pas éloignés où l'industrie, à cette heure encore à ses débuts, élèvera tout autour de la ville ses cheminées monumentales. En attendant, Buenos Ayres est, comme j e le disais plus haut, une ville dont l'intensité commerciale impressionne profondément le touriste qui y débarque pour la première fois. Ville de plaisir également, avec ses innombrables théâtres où les plus fameux artistes français, allemands, italiens, anglais, espagnols, viennent chaque année, pendant la saison, chanter ou j o u e r les grands succès consacrés par la vieille Europe. C'est, constatons-le avec satisfaction, l'élément français qui domine et à
a68
13UEK0S
AYHES
Buenos A y r e s , comme partout ailleurs, notre influence morale est considérable dans le domaine dramatique, artistique et littéraire. Chaque année, plusieurs théâtres, et des plus importants,
donnent
asile à des troupes françaises qui y font applaudir nos plus belles œuvres dramatiques: Sarah Bernhardt,Coquelin, SuzanneDesprès, M'" Moreno, Burguct, Mrae Marie-Laure, L u g n é - P o ë , et combien d'autres, ont contribué à faire connaître et aimer l'art français. Les ouvrages d'Anatole France, de Marcel Prévost, de Paul A d a m , de Camille de Sainte-Croix, d'Octave Mirbeau, des maîtres et des jeunes, sont à l'étalage de toutes les librairies et il n'est pas un Argentin quelque peu cultivé qui ne soit au courant de tout notre mouvement littéraire. Vienne un peintre de talent comme Guignard, qui ait l'intelligente audace de risquer le voyage, on envahit ses salles d'exposition et on se dispute ses œuvres. Quel dommage, hélas ! que le profit et la gloire que nous acquérons ainsi par le mérite de nos vrais artistes soient souvent compromis par le malpropre négoce des exportateurs de pornographie. J ai vu, dans certains music-halls, représenter
des scènes ordurières
q u ' u n public parisien n'aurait jamais tolérées, et des cabots de lias étage ajouter encore à la grossièreté du texte l'obscénité de leurs gestes. Il faudrait que la colonie française de Buenos A y r e s fit elle-même la police de ces salles et prît le parti de siffler sans pitié toutes les malpropretés qui font croire aux gens insuffisamment informés que tel est notre goût Nous nous plaignons souvent, et. avec raison, qu'on nous juge à l'étranger avec une sévérité excessive ; c'est à nous de veiller sur notre réputation, et nos ministres, en Amérique du Sud, pourraient peut-être utilement intervenir pour obtenir l'interdiction des spectacles trop répugnants qu'organisent des imprésarios sans scrupules. Mais, puisque j'en suis à parler de l'influence française en Argentine, qu'on me permette d'y insister en indiquant rapidement comment elle s'exerce déjà, comment elle pourrait encore augmenter. Celte influence se manifeste par le rôle prépondérant que jouent, dans le commerce des laines, nos acheteurs de Roubaix, par celui qui fait des grands sucriers français de Tucuman des producteurs singulièrement puissants, par les entreprises de construction de ports, comme celles de Rosario. Enfin, nous avons dans plusieurs réseaux de chemins de fer des capitaux bien placés qui rappellent opportunément à l'Argentine que la for-
BUENOS
AYBES
269
tune française est inépuisable et que c'est son avantage comme le nôtre d'y faire appel pour son développement économique. Il est vrai que, dans certains cas, et grâce toujours à notre manque d'initiative et notre timidité,
ces capitaux
sont placés dans des affaires administrées par des
Anglais ou des Allemands. Le moment est venu de prouver que ce sont là des défauts dont 011 peut se guérir, et j'espère que la mission de M. Bouvard, chargé, par le Gouvernement argentin et la municipalité de Buenos A y r e s , de faire les plans de la ville transformée et de l'Exposition projetée, sera le point de départ d'une période féconde d'activité française. D'autres missions viendront peut-être ensuite qui exerceront sur nos relations avec la jeune Bépublique sud-américaine une influence encore plus décisive. 11 est, en effet, un domaine où il semble que nul ne devrait tenter de nous disputer la prépondérance : celui de l'enseignement. O r , il arriva, ces temps derniers, que le gouvernement argentin ayant résolu de créer des écoles normales primaires, on fit appel, pour leur organisation, à dix professeurs allemands qui, j e crois, ont un contrat jusqu'en 1 9 0 9 ; ils louchent 900 pesos par mois, c'est-à-dire
environ
2 000 francs, et ont reçu environ 5 Goo francs pour frais de déplacement. Inutile de récriminer : les Allemands ont eu raison de faire
agir en
leur faveur les interventions dont ils disposaient et de profiter surtout de la fâcheuse inertie de notre représentant à Buenos A y r e s . Pendant plus d'un an, en effet, M. Larouy, ministre de France, a été dans l'impossibilité de s'occuper des affaires, et il est mort le jour même de mon arrivée à Buenos Ayres. Le malheur c'est que, dans ce poste si important, il n'y avait pas un seul secrétaire ni attaché qui pût, en l'absence du ministre, parler au nom de la France ni défendre ses intérêts. Bien souvent, d'ailleurs, nos ministres, même quand ils sont en bonne santé, se préoccupent surtout de ne point se créer de soucis, de ne pas se fatiguer par des démarches réitérées ; et ils attendent l'heure delà retraite en faisant des économies d'argent et d'efforts. Félicitons-nous d'autant plus de la nomination à Buenos Ayres de M. Thiébaut, qui a de l'activité, de l'initiative, et qui, diplomate avisé, intelligent et zélé, vient de rejoindre son poste avec le désir manifeste de servir de son mieux la cause de l'influence française. Celte influence, d'ailleurs, peut encore s'exercer utilement domaine de l'enseignement,
dans le
car si l'instruction primaire paraît être
í>-70
BUENOS
AYHES
livrée, c o m m e j e viens de l'expliquer, à la méthode germanique, il reste à organiser définitivement en A r g e n t i n e
l'enseignement secondaire cl
l'enseignement supérieur. Rien ne s'oppose à ce que nous posions, pour cette tâche si intéressante, la candidature de nos professeurs. Les fêtes données à l'Hôtel de Ville de Paris en l ' h o n n e u r du général Roca, ancien président de la République, de M. d ' A l v é a r ,
inlendant-
maire de B u e n o s A y r e s , et de la colonie argentine nous ont attiré des sympathies que nous pouvons légitimement utiliser pour faire valoir nos titres à une telle collaboration. O n sait que nous ne sommes pas envahissants, que nous ne s o m m e s pas gens à abuser de l'hospitalité donnée, et que nous ignorons la politique sournoise et tortueuse; nous s o m m e s d'autant mieux qualifiés pour faire observer que si d'autres peuvent nous disputer la suprématie sur le terrain industriel et commercial, nous restons, en tous cas, au p r e m i e r r a n g par le génie ou le talent de nos savants, des maîtres de nos universités et de nos artistes. Il serait donc regrettable q u ' o n ne songeât pas à nous lorsqu'il s'agit, dans une j e u n e République, de choisir des professeurs ou de développer le goût artistique de gens dont l'attention fut j u s q u ' i c i plus spécialement retenue par le souci des affaires. A j o u t o n s , a ce sujet, que ce goût artistique se développe très rapidement en A r g e n t i n e , et cela, p o u r une b o n n e part, grâce à l'action bienfaisante de M. de la Carcova et de M. de Schiafilno, qui se succédèrent à la direction du Musée national. O r , il y a, en A r g e n t i n e , des fortunes déjà colossales,
chaque année
grossies par la valorisation des terres et l'abondance des récoltes ; des palais somptueux s'élèvent à B u e n o s A y r e s , à côté de ceux qui déjà font de la capitale argentine une cité de luxe et d'élégance. J'ai visité beaucoup de ces riches demeures, e t j ' q i constaté c o m b i e n rarement on y trouve des œuvres artistiques de réelle valeur. L e j o u r où la mode viendra d'en garnir les m u r s , les antichambres et les jardins, l ' A r g e n t i n e pourra
de-
venir pour les peintres et les sculpteurs un m a r c h é aussi productif que le sont les Etats-Unis d ' A m é r i q u e . Et, ici encore,
nos
artistes
doivent
profiter
de
l'engouement
à
prévoir. Je sais bien que la tentative assez malheureuse d ' u n e exposition collective, faite il y a quelques années, a pu laisser de fâcheux souvenirs chez quelques-uns ; mais cette tentative n'a échoué que parce qu'elle coïncidait avec la terrible crise financière où faillit sombrer le crédit argentin.
HUEN03
9.71
Avnes
D e p u i s , ce crédit s'est rétabli, sa solidité n'est plus discutée par personne, et il serait absurde de garder indéfiniment mauvaise impression d'un insuccès dit à des circonstances si particulières. Il m'apparatt donc q u ' o n pourrait très utilement tenter, avec toutes les garanties désirables, et surtout avec le concours
du g o u v e r n e m e n t
argentin, des expositions périodiques, où nos artistes se
feraient c o n -
naître et apprécier, et où ils trouveraient assurément des débouchés rémunérateurs. C'est par tous ces efforts que nous pourrions ainsi nous implanter de plus en plus en A r g e n t i n e sans inquiéter le patriotisme ardent et quelque peu susceptible de nos amis argentins. D e ce patriotisme, il faut aussi dire quelques mots. Dans le livre, d'ailleurs très remarquable, de m o n excellent confrère Gaston D o n n e t , j'ai trouvé cette définition de l ' A r g e n t i n e : « Une m o saïque anglo-franco-germano-hispano-italienne », et celte conclusion : « Pas d'Argentins. » Une mosaïque? A s s u r é m e n t , si l ' o n entend rappeler par cette expression que les Indiens, chassés ou exterminés, ont été remplacés, sur les bords de la Plata et dans la presque totalité du territoire, par des i m m i grants v e n u s de tous les coins du globe. Certes, 011 aperçoit ici le plus
curieux mélange qui soit des races les
plus diverses : nous ne nous trouvons en présence ni des Latins, qui dominent assurément au B r é s i l ; ni des aux lÎtats-Unis ; et j e crois
A n g l o - S a x o n s , qui s'imposent
bien qu'il serait impossible de déterminer
les traits caractéristiques du type argentin. C e type varie à l'infini, depuis le g a u c h o , chez lequel s'affirme parfois avec intensité la persistance du sang indien, en dépit de tous les croisements, j u s q u ' à ce s e û o r à l a m o u s tache noire, à l'allure souple, dont les parents naquirent à l'ombre du V é s u v e , ou j u s q u ' à ce gentleman blond et imberbe, qui paraît exilé des bords de la T a m i s e . Et pourtant tous, tous, vous entendez, sont Argentins, et A r g e n t i n s passionnément
patriotes.
Fils
de Français,
d'Italiens,
d'Espagnols,
d ' A l l e m a n d s , d ' A n g l a i s , de Busses ou de Hongrois sont, dès la première génération, attachés définitivement à ce p a y s q u i les captive. L e u r patrie d'origine, celle dont parle le père avec émotion et regret, ils l'ignorent et souvent la méprisent. Ne croyez pas que ce fils d'Italien ait une prédilection
quelconque
p o u r l'Italie, que son père a quittée pauvre : au contraire, il est plutôt disposé à la renier, et déteste qu'on lui en parle.
250
BUENOS
AYRES
Et le même phénomène peut s'observer dans toutes les familles, phénomène surprenant et inexplicable pour nous autres Européens, qui voyons persister presque indéfiniment autour de nous l'attachement au pays d'origine. Est-ce qu'à Paris les fils d'Allemands, nés dans la rue d'Hautevillc ou aux alentours, ne restent pas Allemands? Est-ce qu'à Londres les fils de Français, nés dans les environs du Strand ou de Regent-Street, ne demeurent pas Français? J avoue n'avoir point réussi à découvrir les raisons d'une assimilation si complète et si rapide. Elle existe, pourtant, évidente, indiscutable, et cela suffit à nous faire affirmer sans hésitation que, si l'Argentine est une mosaïque, il y a pourtant des Argentins qui ont entre eux les liens étroits nécessaires à la formation d'une nation forte et agissante. Que les pays qui envoient dans la grande République sud-américaine leurs émigrants ne s'illusionnent donc pas à l'excès sur l'influence que cela pourrait leur assurer. Cette influence ne peut être maintenue que grâce à des envois successifs, car, je le répète, les fils des émigrants ne gardent pas d'attache avec le pays d'origine. J'ai entendu dans la colonie française bien des doléances à ce sujet de la part de pères qui souffrent quelque peu de ne pas retrouver chez leurs fils leur foi patriotique. Mais les doléances et les récriminations sont vaines : il s'agit seulement de maintenir notre influence par une immigration constante et de nos capitaux, et de nos jeunes hommes les plus capables d'initiative et d'endurance.
CHAPITRE
VOYAGE A
XI
L'INTÉRIEUR
Rosario et son nouveau port. — La pampa et sa majestueuse solitude. — Arrivée à T u c u m a n . — L'hospitalité de M. Il ¡loro t. — Excursion dans la Sierra. — Impressions de Córdoba. — Mendoza et les vignes. — La vie d'estancia. — Quelques pages de M. Cahen d'Anvers.
11 me tardait, après quelques semaines passées à Buenos A y r e s , de me rendre compte, par une rapide tournée à l'intérieur, des sources diverses de la prodigieuse fortune qui s'y déverse. Rosario, T u c u m a n , Cordoba, Mendoza, telles furent les étapes de celle trop courte excursion. De Buenos A y r e s à Rosario, douze heures de chemin de fer qui sq font sans fatigue, grâce à un train de nuit composé d'excellents « dormitorio » rappelant les PuUmann des Etals-Unis. C o m m e ville, Rosario n'a rien de bien séduisant, construite en damier comme toutes les cités argentines. De longues rues parallèles sont coupées par des perpendiculaires, et nous retrouvons ici comme à Buenos A y r e s , à la Plata, à Cordoba, à T u c u m a n , les mêmes « quadra » plus ou moins imposantes par la hauteur des maisons, mais toujours aussi monotones. Allons donc bien vile sur les bords du Paraná pour admirer tout à la fois le cours majestueux du fleuve qui roule ses eaux jaunâtres entre des rives lointaines el les travaux du port qui sera gigantesque. C'est une Société française qui en assure la construction, et nous éprouvons une grande
satisfaction à visiter, sous la conduite
d'un
ingénieur sorti de notre École Centrale, les formidables travaux qui se poursuivent régulièrement, malgré de graves difficultés. D'énormes pilotis en « quebracho » (bois dur à casser une hache) sont enfoncés par de pesants pilons ; des caissons de fer sont immergés, des blocs de maçonnerie les surmontent : ainsi se construisent des quais qui, sur une longueur de plus de trois kilomètres, permettront d'aborder aux centaines de bateaux venus pour charger les grains qu'envoient à BosaIIF.NRI
TUROT.
18
VOYAGE
AL ' I N T É R I E U R285
rio les provinces fcrlilcs do Buenos A v r e s , de Cordoba, de Sanla F é cl d'Entre-Rios. On peut ainsi prévoir que Rosario, qui compte déjà une population de 100000 âmes, deviendra prochainement une des cités les plus prospères de la République, grâce à son port et aussi à son trafic par les voies ferrées qui y convergent de toutes les directions. En attendant, le séjour n'y est pas, pour les touristes, particulièrement divertissant, et c'est sans
regret que nous montons dans le train qui va nous emporter vers T u c u man. Voici notre premier contact avec la pampa dont le n o m évoque le souvenir de lectures passionnantes, les courses d'Indiens sur des chevaux indomptés, les incendies dévastateurs, les prouesses des gauchos, les bourrasques formidables d'un vent (pie rien n'arrête, les vols de sauterelles dévorantes. Nous n'y verrons rien de tout cela, mais nous en sentirons pourtant la troublante poésie. Dans les environs de Buenos A y r e s et de Bosario, la pampa acquiert déjà
É
VOVACIC
A
L/LNTÈLLIET'U
27O
le riant aspect d'une vaste plaine admirablement cultivée où paissent béatement d'innombrables troupeaux, où les charrues à trois ou quatre socs tracent leurs profonds. sillons, où s'élèvent çà et là les blanches murailles des estancias, où se projette l'ombre des paraísos,
sortes de
saules au feuillage d'un vert tendre et à la silhouette harmonieuse. Mais, plus loin, la pampa donne mieux que l'océan la sensation de l'infini. L'océan a ses laines qui s-'élèvent, qui s'abaissent, qui se poursuivent: il vit, il change, il remue, il a ses colères et ses apaisements. La pampa, elle, esl immuablect morne : rien n'arrête le regard jusqu'à la ligne d'horizon ; pas un arbre, pas un buisson, pas 1111 mouvement du sol, pas un rocher, pas même une pierre : c'est la
terre
sèche, aride, revêche, couverte seulement d'une rare,
herbe
poussiéreuse
et rude. C'est la solitude
absolue,
S a n l i a g o ilo! E s t e r o
(Argentine).
le
silence que rien 11c saurait troubler, c'est l'infini d'un ciel qui n'aurait ni nuages ni étoiles. Cela est imposant cl lugubre, magnifique et désolant, émouvaiil et hostile. Il semble que si, par impossible, l'abandon d'un train vous y laissait soudain, 011 mourrait immédiatement d'épuisement et de désespérance, tant
l'effort paraîtrait vain de tenter de
franchir ces solitudes sans limites. La nuit vient et ajoute encore sa pesante obscurité à une impression, qui se fait angoissante : à toute vitesse nous roulons maintenant à travers l'immensité. Parfois, le train s'arrête : c'est une station perdue le long des rails et qu'éclaire faiblement le lumignon d'une modeste lanterne. Nous y appor-
2-E
VOYAGE
A
L'INTÉRIEUII
Ions une minute la vie,, l'activité, le bruit des conversations, l'éclat de nos lampes électriques, cl nous reparlons, laissant là, pour le service de la petite gare, un h o m m e , deux peut-être, qui, quand le roulement du train se sera tu dans l'éloignement, doivent éprouver — j'imagine — ' qu'ils sont comme retranchés de l'humanité, comme enlizés dans le désert jusqu'à l'arrivée du prochain c o n v o i . . . Mais la nuit est passée et nous ne retrouvons plus la pampa au réveil. Maintenant, nous traversons une forêt clairsemée, où, çà et là, de beaux
Los Iles d u
Tigre.
arbres dominent les broussailles : les gares sont plus rapprochées les unes des autres, et 011 aperçoit de temps en temps les huttes des bûcherons qui exploitent le quebracho. Voici même de vrais villages assez pareils à ceux que je rencontrai jadis dans la brousse de la Guinée française : nous sommes dans la zone de transition entre les cultures du centre argentin et la végétation tropicale que nous allons retrouver plus au nord.
»
Après la vaste plaine, d'abord séduisante avec ses gras pâturages, ses immenses champs de blé et de luzerne, puis inculte et monotone; après la forêt (jue l'hiver attriste, c'est une joie d'apercevoir au loin les cimes neigeuses des Andes et de pénétrer peu à peu dans la région super-
VOYAGE
A L'INTÉRIEUR 285
bernent prospère d e l à province de T u c u m a n . Ici, la culture est intensive : pas un pouce de terrain n'est perdu et les champs au labour soigné, prêts pour les semailles prochaines, alternent avec les ondoyantes étendues de roseaux au large feuillage, dont la tige précieuse constitue la canne à sucre. Les maisonnettes se multiplient le long de la voie, montrant qu'une population nombreuse collabore à l'incomparable fertilité du sol.
Un
gaucho.
Enfin, voici T u c u m a n ! Sur le quai de la gare, j'ai l'agréable surprise de trouver notre agent consulaire et les principaux membres de la colonie française qui s'offrent avec infiniment de bonne grâce et de cordialité à me piloter dans une ville dont notre pays n'a pas peu contribué à faire la fortune. C'est que T u c u m a n doit, en effet, sa prospérité à l'industrie du sucre, et cette industrie fut implantée, transformée, perfectionnée par des Français, à la tête desquels se place, par la prodigieuse puissance de son exploitation, notre compatriote M. llilercl. Aussi, j'ai grande hàtc d'aller étudier de près les usines célèbres de
VOYAGE
A
I, INTÉRIEUR
Lulès et de Santa "Anna qui, sous sa direction et celle de son fils aîné, témoignent de ce (juc peuvent réaliser des Français à l'étranger quand, ils ajoutent à la netteté des conceptions et au goût de la méthode, qui sont les caractéristiques de notre génie national, l'esprit d'initiative et l'audace à entreprendre qui manquent si fâcheusement à beaucoup d'entre nous. Après une course rapide dans les rues animées de T u c u m a n , une trop courte visite au siège de l'Alliance française, un pèlerinage à la' cé-
Jeux. de
gauchos.
lèhrc petite maison où fut jadis proclamée l'indépendance de l'Argentine, nous reprenons un train qui, en moins d'une heure, nous amène à L u lès, où M. Edmond Ililcrct, en l'absence de son père, nous offre l'hospitalité la plus large et la plus gracieuse. —
Ici, me dit-il, la saison est presque terminée et c'est seulement à
Santa Anna que vous pourrez voir une usine en pleine activité ; mais pour que vous gardiez de Lulès un souvenir agréable, je vous promets pour demain une excursion dans la montagne : réveil à cinq heures. Et l'excursion fut, en effet, exquise, grâce à l'entrain endiablé de notre hôte, un jeune colosse exubérant de force, de gaieté, élevé au milieu des gauchos, ayant appris d'eux le goût des hardies chevauchées et
VOYAGE
A
L'INTÉNIEUIV
279
l'art du lasso , grâce aussi à la charmante bonne-humeur d e l à famille Brisson qui, sur VAmazohe comme en Argentine, réussit, par la cordialité de son accueil, à m'éviter les heures tristes de la solitude. Bien avant le lever du soleil, les mules sont dans la cour et nous les enfourchons sous l'œil curieux des gauchos assez disposés à se moquer des cavaliers inexpérimentés. Mais tous, nous avons quelque habitude du cheval et de la mule et, bientôt, ils daigneront nous dire que pour des gringos (étrangers) nous avons bonne tenue sur nos montures.
D a n s la m o n t a g n e <lo T u c u m a n
(Argentine).
Et nous voici partis, tandis que l'aurore teinte de sa palette généreuse les contours des montagnes prochaines. En face de nous, dans une échancrurc des premiers plans, apparaît, formidable, la masse de l'Aranquita, qui dresse à plus de
G 000 mètres sa cime neigeuse, toute rose à cette
heure sous la caresse des premiers rayons du soleil : tout d'ailleurs se colore autour de nous de mauve très discret, de bleu très atténué, et c'est une volupté intense de s'en aller ainsi dans la fraîcheur d'un matin radieux parmi les vastes champs de cannes dont le souple feuillage frissonne et bruisse sous une brise légère. Rapidement, nous avons franchi les quelques kilomètres qui nous séparent du pied de la montagne, et nous voici maintenant gravissant, au pas alerte de nos mules, un chemin délicieux qui grimpe à travers la
2-E VOYAGE
A L'INTÉRIEUII
forêt tropicale où chaque arbre laisse tomber presque à terre, comme des guirlandes, ses lianes parasites. Après deux heures de montée, nous arrivons sur un plateau d'où la vue est merveilleuse; devant nous, la plaine infinie, sans un accident de terrain, sans la moindre boursouflure, arrive jusqu'au pied des premières collines comme la mer vient battre les falaises en Normandie : plaine admirable de fertilité qui promet les moissons abondantes aux
1
C h a s s e à la p e r d r i x r o u g e p r è s T u c u m a n .
usines dont nous apercevons çà et là les hautes cheminées au noir panache; derrière nous, dans le lointain, setagent les croupes blanches de la Cordillère des Andes, qui élève, en hiver, une barrière infranchissable entre le Chili et l'Argentine et dont nous sommes séparés par une suite de mamelons harmonieux qui offrent à chaque instant les aspects les plus variés sur les vallées qui les séparent. C'est à travers ces mamelons couverts d'une herbe rude ou de taillis peu épais que nos mules endurantes vont, pendant des heures, nous mener à la poursuite de grosses perdrix rouges ; on gravit des
sentiers
escarpés où l'on passe à travers la brousse; on descend par des clic-
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A
L INTÉRIEUR
28L
mins vertigineux, on galope sur un terrain qui fait trébucher, au pas, nos chevaux européens, mais nul obstacle ne nous arrête dans cette griserie de l'atmosphère si limpide et si vivifiante. Enfin, l'heure du déjeuner est arrivée et, dans un frais vallon, nous nous couchons autour d'une nappe que les gauchos de M. Nileret ont
L'Asado.
garnie de viandes froides et de conserves appétissantes. Mais, malgré une faim dévorante, il faut garder une place pour l'asado qui cuit à côté. L'Asado,
c'est le rôti de la pampa ; les gauchos excellent à enfiler au-
tour d'une baguette pointue des morceaux de mouton ou de bœuf, puis cette broche primitive est fixée au milieu d'un feu de branches. On nous apporte, quand la cuisson est terminée, ces baguettes maintenant garnies d'une viande au fumet délicieux, et chacun, avec son couteau, se
2-E VOYAGE
A L'INTÉRIEUII
taille de robustes portions qu'on mange goulûment, en y mordant à pleines dents. Certes, un austère observateur des traditions protocolaires pourrait bien s'offusquer au spectacle d'un tel festin ; mais nous, nous éprouvons un plaisir incontestable à nous sentir revenir, pour quelques minutes, si près de l'animalité. A h ! comme est mince, en vérité, le vernis de civilisation qui nous différencie des races primitives cl comme il
U s i n e «le M . I l i l c r c t à S a n l a A n n a .
suffit de quelques milliers de lieues parcourues pour s'évader rapidement de l'œuvre de tant de siècles ! Vous l'eussiez mieux encore constaté, lecteurs, en nous voyant passer, le soir, à travers les ranchos, au galop furieux de nos mules excitées par nos hurlements et les coups réitérés de nos fouets. Tout de même, le soir, en tombant sur mon lit, harassé de fatigue, le corps brisé, mais l'esprit tranquille et débarrassé de tout souci, j ' é p r o u vai, avant de in'endormir d'un sommeil lourd, d'un sommeil de brute, qu'il était bon parfois de jouer au sauvage. Le lendemain, par contre, nous éprouvâmes des joies toutes différentes, en visitant l'usine de Sanla Anna, en admirant l'ingéniosité du
VOYAGE
\
I.'lNTÉllIEUU
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cerveau humain, créateur des machines puissantes grâce auxquelles on tire des produits de la nature leur maximum d'utilité. Sur un immense lapis roulant, d'innombrables chariots viennent déverser sans cesse leur chargement de cannes à sucre qui sortent aussitôt broyées entre les cylindres d'un formidable moulin ; le jus s'en va couler dans des réservoirs d'où il est aspiré par les pompes, puis malaxé, dé-
V o y a g c à l'avant d'uno locomotive.
barrassé de ses impuretés, cristallisé sous l'action des turbines tournant dans le vide : cl bientôt, en poudre légère, nous voyons le sucre tomber dans les sacs qui
le transporteront
aux raffineries de Ilosario.
De
son côté, la pulpe de la canne, vite desséchée, est dirigée vers les chaudières où elle sert de combustible : ainsi lien n'est perdu de la tige précieuse. Notons en passant, et cela a son importance, que toutes les machines employées par l'usine llilcret et par ses voisines sont de provenance française. La journée a vite passé au spectacle de cette puissante exploitation ; il
28/,
VOYAGE
A
L'INTÉRIEUR
nous faut maintenant continuer notre voyage et rejoindre la gare d'embranchement où passe le train qui doit nous conduire à Cordoba. A cette gare, Santa Anna est reliée par une ligne privée d'une trentaine de kilomètres, ligne appartenant à M. Ilileret. —
Voulez-vous, ine dit celui-ci, revenir sur l'avant de la locomotive?
Parbleu ! Et me voici installé avec deux de mes compagnons de voyage
f
L a C a t h é d r a l e de C o r d o b a .
sur la saillie de la locomotive, les pieds sur le chasse-pierres.
C'est
M. Ilileret lui-même qui se charge de tenir la manivelle et nous voilà partis à toute vitesse. C'est terrifiant et délicieux de se sentir accroché au monstre qui nous entraîne, de voir les rails s'engouffrer sous nos pieds, d'avoir le visage fouetté par le vent, de découvrir dans le lointain les points rouges et verts des disques, et de passer dans le silence de la nuit que troublent seulement les appels stridents de notre sirène. J'ai usé dans ma carrière de voyageur des moyens de locomotion les
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A
L'INTÉRIEUR
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plus variés, je n'eu connais pas qui donne de sensations plus intenses. J'ajoute d'ailleurs qu'il est, au Brésil, comme en Argentine, le seul efficace pour éviter l'effrayante poussière rouge qui saupoudre vêtements et coussins et pénètre dans les narines et dans la gorge. Cet amas de poussière est dû à l'absence de ballast sur la presque totalité du parcours. *
*
*
Cordoba est une ville morne, silencieuse et qui, avec ses quarante
V u e g é n é r a l e do
Cordoba.
églises et ses innombrables couvents, ressemble à un vaste monastère. Celte vieille cité espagnole semble plongée dans un mystique recueillement et comme étrangère aux transformations de la vie moderne. Mais cependant, ici comme partout ailleurs, la sève généreuse qui jaillit de la terre viendra certainement à bout de toutes les résistances. Déjà la ville s'échappe par les faubourgs vers le soleil radieux, déjà des écoles s'élèvent de toutes parts et l'Institut agronomique est une pépinière de jeunes hommes épris de science et d'activité. Bientôt Cordoba, la ville silencieuse, triste, endormie, deviendra une cité joyeuse, active, mouvementée. Nous attendrons, pour y revenir et y séjourner, celle heureuse transformation.
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l.'lNTl'iUI'.UIt
Mieux vaut à celle heure achever noire voyage par une visile à Mendoza, si gracieusement étendue au pied des Andes, à l'ombre de ses larges avenues où s'alignent, indéfiniment de beaux arbres vigoureux. Mcndoza, c'est le contre de la culture de la vigne cl sa prospérité s'accroît do façon extraordinaire. Presque entièrement détruite en 1861 par un tremblement de terre qui fit plus de 5 000 victimes, elle ne s'est point laissé écraser sous le poids des décombres. Il semble, au contraire, qu'elle ail puisé plus de
Une cslancia (Paraguay).
vigueur dans les épreuves subies et maintenant ses 5o 000 habitants rivalisent d'énergie pour la conquête des richesses naturelles qui l'entourent. Ses vignes escaladent toutes les collines voisines et l'an dernier ses chais immenses, aménagés suivant les procédés les plus perfectionnés, ont pu abriter une récolte de 1 800000 bordelaises de 200 litres. Si vous notez que chaque bordelaise est vendue au prix moyen de 70 a 75 pesos, c'est-à-dire de 160 à 170 francs, vous trouverez que Mendoza a pu écouler pour 197 millions de francs sa dernière récolte. U11 seul propriétaire a fait deux millions de bénéfice net. Il est intéressant de remarquer, en passant, que dans les caves, dont quelques-unes ont plusieurs kilomètres de longueur, s'alignent des fou-
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ilrcs énormes cl d'innombrables tonneaux qui tous viennent de France et dont la vente constitue pour nos fabricants de la région de l'Est une importante source de bénéfices.
*
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J'aurais bien voulu, avant de retrouver les rues mouvementées de Buenos A y r c s , passer quelques jours dans une cstancia, me pénétrer davantage des larges horizons de la prairie sans lin, courir la pampa et les vastes pâturages, connaître mieux l'existence des gauchos gardiens agiles des troupeaux formidables. Hélas! la date du départ approchait et il ine fallait retourner vers le quai d'embarquement. Mais ma bonne fortune me lit rencontrer sur Y Atlantique
M. Charles
Cahen d'Anvers qui, lui, venait de passer plusieurs années dans ses propriétés du Paraguay. Il voulut bien me communiquer les pages que voici, émouvantes et colorées, dont le lecteur appréciera certainement le charme et la sincérité.
DANS
I.ES
PRAIRIES
DU
PARAGUAY.
Avant-propos. L e P a r a g u a y est 1111 p a y s p r e s q u e i n c u l t e d o n t les vastes p â t u r a g e s ne se p r ê t e n t q u ' à l ' é l e v a g e d u b é t a i l à c o r n e s . L e s terres y s o n t d e p e u d e v a l e u r et c e r t a i n e s p r o p r i é t é s s'étendent sur des centaines de lieues de terrain. Les prairies n a t u r e l l e m e n t coupées d e f o r ê t s , d e c o l l i n e s c l de r i v i è r e s ,
p o r t e n t le n o m de campo q u i d é s i g n e les terres
quelles qu'elles soient. P o u r l'élevage du
b é t a i l , d a n s les 1res g r a n d e s p r o p r i é t é s , o n d i v i s e les t e r r e s en
z o n e s d ' a p r è s l e u r s l i m i t e s n a t u r e l l e s ; d a n s c h a q u e z o n e , a u t a n t q u e possible v e r s le c e n t r e , o n b â t i t u n e o u p l u s i e u r s m a i s o n s q u i sont la f e r m e o u estance ; o n e n d o n n e la d i r e c t i o n s u p é r i e u r e à u n majordome
; s o u s ses o r d r e s , se t r o u v e u n s e c o n d q u i c o m -
m a n d e d i r e c t e m e n t les h o m m e s . C e u x - c i o n t , p o u r t o u t e b e s o g n e , à m o n t e r à c h e v a l à la p o u r s u i t e d u b é t a i l ; ce s o n t des pi'ons
eslanciers.
L ' é t a b l e é t a n t u n e chose i n c o n n u e , o n se sert p o u r les s o i n s , d ' a i l l e u r s très p r i m i t i f s , à d o n n e r a u x a n i m a u x , d ' u n o u d e p l u s i e u r s e n c l o s de palissades assez é l e v é e s , de troncs d'arbres o u de p a l m i e r s q u i servent d e parcage et où l'on p e u t
enfermer
1111 c e r t a i n n o m b r e d ' a n i m a u x . O n laisse e r r e r d a n s les p â t u r a g e s et les f o r ê t s le bétail q u i se d i s p e r s e e t se m u l t i p l i e à sa g u i s e . C e p e n d a n t , d e t e m p s à a u t r e , il f a u t r é u n i r
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les a n i m a u x p o u r les inspecter. S o u v e n t , il est i m p o s s i b l e a u m a j o r d o m e , d o n t la f e r m e est de très vaste é t e n d u e , de r a s s e m b l e r à la fois t o u t le bétail d o n t la s u r v e i l l a n c e l u i i n c o m b e . C'est p o u r q u o i , d a n s ces f e r m e s , o n s u b d i v i s e les terres en p l u s i e u r s r é g i o n s , p o u r ne s ' o c c u p e r t o u r à t o u r q u e d ' u n e seule à la fois, et faire c o n v e r g e r les a n i m a u x q u i s'y t r o u v e n t s u r le p o i n t le p l u s c e n t r a l et d'accès le p l u s facile ; c'est ce q u e l ' o n a p p e l l e faire le « rodeo ». Mais s o u v e n t il faut se c o n t e n t e r d ' u n seul c l m ê m e rodeo p o u r u n e é t e n d u e de dix lieues carrées. D a n s ce cas, le t r a v a i l de c o n c e n t r a t i o n d u r e d e u x j o u r s . L e p r e m i e r j o u r on p a r t des l i m i t e s e x t r ê m e s de la r é g i o n p o u r rab a t t r e le bétail d e v a n t soi en u n cercle i m m e n s e a u t o u r d u p o i n t c e n t r a l ; de cette m a n i è r e , on le g r o u p e s u r u n espace de r a y o n m o i n s é t e n d u ; le l e n d e m a i n on c o n t i n u e à le pousser d e v a n t soi vers l ' e m p l a c e m e n t choisi, e t , l o r s q u e les a n i m a u x y s o n t c o m p l è t e m e n t massés, on en passe l ' i n s p e c t i o n , on d o n n e s u r place des soins s o m m a i r e s à ceux q u i e n o n t besoin, o n choisit et on e m m è n e à la f e r m e les bêtes les p l u s grasses q u i seront v e n d u e s à l ' a b a t t o i r , o u encore celles q u e l ' o n doit m a r q u e r . C e sont les phases successives de ce travail q u e n o u s allons v o i r se d é r o u l e r ici. * *
*
A cheval.
D a n s u n e n u i t de p r i n t e m p s p a r e s s e u s e m e n t éclairée, l'estance d o r t ; s u r la h a n c h e a r r o n d i e d e la c o l l i n e , trois m a i s o n s a u x toitures basses r a s e n t le 'sol, j e t a n t à pieds u n e
leurs
o m b r e épaisse et n o i r e ; a u t o u r (le la c o u r , la h a u t e brousse, les l o n g u e s
h e r b e s et les feuilles de p a l m i e r s n a i n s é t a l e n t l e u r chaos d ' o m b r e s ; a u pied de la c o l l i n e s ' é t e n d la p l a i n e , et, a l ' h o r i z o n , la forêt sans fin. S o u s l ' u n des a u v e n t s , u n e f o r m e indécise s'alfaire u n i n s t a n t e t , d e l à , t o u t
d'un
c o u p , j a i l l i t u n e g e r b e de l u m i è r e d a n s la n u i t q u i s'épaissit a l e n t o u r ; le feu s ' a l l u m e en v a c i l l a n t et, peu à p e u , les g e n s se_réunissent a u t o u r de la f l a m m e d o n t les l u e u r s et les o m b r e s c o u r e n t , s'affaissent et b o n d i s s e n t . A c c r o u p i s s u r de petits e s c a b e a u x , les h o m m e s a u x faces b r u n e s r o u g e o i e n t , les traits d u r c i s d a n s les reflets de la braise où r o n c h o n n e la b o u i l l o t t e ; de m a i n s en m a i n s circule u n e c o r n e c o u r t e et l a r g e , et, d a n s u n p e t i t t u b e d ' a r g e n t , les b u v e u r s aspirent t o u r à t o u r l e u r t h é a m e r et b r û l a n t ; d a n s le d e m i - s o m m e i l q u i p l a n e encore s u r les y e u x , ils n ' é c h a n g e n t q u e rares
de
p a r o l e s a u son g u t t u r a l et s o u r d . P a r t e r r e , d a n s la r o u g e u r m o u r a n t e des
braises, les b û c h e s cessent de lisent d e n o i r c e u r
flamber
et d e u x grosses m a r m i t e s c h a r b o n n e u s e s r i v a -
avec les p o u t r e s et la p a i l l e de la t o i t u r e o ù u n g r o s n u a g e de
f u m é e glisse l e n t e m e n t ses v o l u t e s e n r u b a n n é e s . Mais, p e n d a n t ce t e m p s , u n é v e n t a i l de l u m i è r e s'est é p a n o u i d a n s l'est ; a u m i l i e u , l ' É t o i l e d u m a t i n brille de tout son éclat, a v a n t - c o u r e u r d u j o u r ; et b i e n t ô t le soleil levé d a n s les b r u m e s légères, éclaire le p a y s a g e de m i l l e r a y o n s h o r i z o n t a u x . L a seconde h a b i t a t i o n ,
p l u s spacieuse et p l u s p r o p r e , o ù d e m e u r e le m a j o r d o m e ,
cache ses m u r s bas sous u n large a u v e n t , et, p l u s l o i n , la m a i s o n des g e n s est o u v e r t e d a n s tout son m i l i e u f o r m a n t u n l a r g e h a n g a r e n t r e les d e u x petites c h a m b r e s q u i o c c u p e n t les ailes ; q u e l q u e s bancs renversés y hérissent l e u r s pieds taillés à la h a c h e ; p a r t o u t p e n d e n t des b r i d e s , des selles, des p e a u x de m o u t o n ; p a r m i les « lazos ». les
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L'INTÉRIEUR
fouels, les m o r c e a u x de c u i r épars, des c o u v e r t u r e s baillent de toutes leurs d é c h i r u r e s , é t a l é e s s u r d e s lits e n b o i s d u r s a n s p a i l l e n i m a t e l a s : l a n u i t , a u b a l a n c e m e n t hamacs,
tout
cela
e s t p è l e - m ô l e , v a g u e et c o n f u s ; l ' o m b r e d ' u n e
toiture
des
légère en
f e u i l l e s d e p a l m i e r s a b r i t e , d e v a n t l a m a i s o n , le t o n n e a u à e a u s u r sa p e t i t e c h a r r e t t e d o n t les r o u e s n e
sont q u e des rondelles massives coupées à u n tronc d'arbre ; dans
l ' h e r b e c o u r t e d e la c o u r , q u e l q u e s figuiers a u l a r g e f e u i l l a g e p r o j e t t e n t u n p e u d ' o m b r e par-ci par-là ; d e u x
c h a r r e t t e s r e p o s e n t s u r l e u r s t i m o n s , d r e s s a n t e n l ' a i r les l o n g s
b a m b o u s r e c o u r b é s q u i s e r v e n t à p i q u e r les b œ u f s ; d e r r i è r e le p a r c a g e q u e l q u e s o r a n g e r s f o n t 1111 é c r a n d e v e r d u r e s o m b r e e t , p l u s l o i n , le c h a m p d e m a n i o c s e m b l e u n e dérision de c u l t u r e . D a n s u n
vaslc
e n c l o s d e fils d e f e r p a i s s e n t q u e l q u e s
chevaux
Dressage d'un cheval sauvage.
et q u e l q u e s vaches, qui
avec
le m o u v e m e n t
de tête
constant
et
rythmé
de l'animal
broute, tandis q u e d'autres, plus bas, près d u ruisseau dérobé dans u n fouillis
d ' a r b r i s s e a u x , s ' i m m o b i l i s e n t sous u n b o u q u e t d e c o c o t i e r s . De
l'autre côté d u parcage, u n r o u l e m e n t de sabots s'approche d a n s u n n u a g e de
p o u s s i è r e ; d e r r i è r e la p e t i t e t r o u p e d e c h e v a u x a u g a l o p , d e u x j e u n e s c a v a l i e r s c o u r e n t s u r l e u r s m o n t u r e s s a n s s e l l e , d e d r o i t e , d e g a u c h e , r e l a n ç a n t les r e t a r d a t a i r e s p a r des cris et des c l a q u e m e n t s de f o u e t ; les voici m a i n t e n a n t d a n s l'enclos,
les
pe-
tites b ê t e s à l ' e n c o l u r e c o u r t e , la c r i n i è r e c o u p é e e n d e m i - c e r c l e , t o u s serrés d a n s u n c o i n , a g i t a n t leurs l o n g u e s q u e u e s . A u m ê m e i n s t a n t , les h o m m e s a r r i v e n t , escaladant l a p a l i s s a d e , le l a z o à la m a i n ; d e b o u t ,
au centre, le m a j o r d o m e d o n n e
quelques
o r d r e s , e t , d è s q u e l e s l a z o s s i f f l e n t d a n s l ' a i r , l e s c h e v a u x s'afTolent e t c h e r c h e n t
à
é c h a p p e r le l o n g d e l a b a r r i è r e ; l ' u n est t o u t j e u n e , e n c o r e s a u v a g e ; d e son j o l i g e s t e a r r o n d i d e lazador IIEKRI
u n h o m m e l a n c e la fine tresse d e c u i r q u i v a e n s e r r e r l e c o u d u
TUBOT.
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2-E
VOYAGE
A L'INTÉRIEUII
p o u l a i n , le f a i s a n t r e d o u b l e r d ' a l l u r e ; la m a i n à la h a n c h e , l ' h o m m e se p e n c h e
un
p e u en a r r i è r e p o u r recevoir le c h o c ; à p e i n e est-il d é p l a c é , t a n d i s q u e le c h e v a l arrêté s o u d a i n , est v i o l e m m e n t dressé et r e t o u r n e tète à q u e u e . Il tire en a r r i è r e , r e n â c l a n t , a r c - b o u t é , b e a u de toute sa m u s c u l a t u r e r a i d i e , g o n flant la p e a u ; d e u x , q u a t r e , c i n q h o m m e s se p r é c i p i t e n t , t e n d e n t de plus en p l u s le lazo, se r a p p r o c h a n t l e n t e m e n t d u cheval q u i , p r e s q u e é t r a n g l é , se c a b r e , f r a p p e en l ' a i r des p i e d s de d e v a n t et fait des b o n d s d é s o r d o n n é s ; peu à p e u , la respiration lui m a n q u e , il c h a n c e l l e et t o m b e l o u r d e m e n t ; les h o m m e s s a u t e n t s u r l u i , le m a i n t i e n n e n t et
lui
passent
u n solide licol ; a t t a c h é aussitôt à u n p i l i e r , il se débarrasse d u
h a r n a c h e m e n t q u ' o n lui j e t t e s u r le dos en se c a b r a n t et se j e t a n t v i o l e m m e n t à terre ;
Dressage d'un cheval sauvage.
m a i s , à la l i n , q u a n d il est p o u r t a n t sellé et s o l i d e m e n t m a i n t e n u , u n h o m m e le saisit a u x oreilles et lui abaisse la tête ; à cet instant le d o m p t e u r
s a u t e e n selle et la
bête f u r i e u s e l ' e m p o r t e en u n e course échevelée ; mais v o y a n t bientôt q u ' i l ne sert à r i e n de c o u r i r , elle fait des sauts terribles, le dos a r r o n d i , les j a m b e s raides, la tête à t e r r e e n t r e les p i e d s de d e v a n t . L ' h o m m e reste, f e r m e en selle e t pousse en signe de défi des cris a i g u s q u e les a u t r e s cavaliers q u i l ' o n t r e j o i n t et q u i g a l o p e n t a u t o u r de lui répètent avec des c l a m e u r s de j o i e ; e n f i n , la b ê t e épuisée se r e n d et le d o m p t e u r la r a m è n e é c u m a n t e . M a i n t e n a n t q u e t o u t le m o n d e a sellé, les h o m m e s se r é u n i s s e n t a u m i l i e u de la c o u r , prêts p o u r le d é p a r t ; ils p o r t e n t de g r a n d s c h a p e a u x de p a i l l e , des c h e m i s e s b i g a r r é e s c l d ' a m p l e s tabliers de c u i r ; à l e u r s pieds n u s s o n n e n t d ' é n o r m e s é p e r o n s de fer a u x mollettes d'acier m a s s i f d ' u n d i a m è t r e d é m e s u r é . L e s p e a u x •de m o u t o n s b l a n c h e s , jetées par-dessus les selles, t r a n c h e n t s u r la r o b e f o n c é e des c h e v a u x ; a u x t r o u s s e q u i n s de selle sont roulés les g r a n d s m a n t e a u x carrés sans m a n c h e s ,
VOYAGE
A
I/LNTÉRIEUR
c l d e biais s u r la c r o u p e d u c h e v a l , r e p o s e n t les e n r o u l c i n e n l s d u lazu fixé à u n e l a r g e sangle. Le m a j o r d o m e paraît, sur u n joli cheval au h a r n a c h e m e n t rehaussé d ' a n n e a u x d ' a r g e n t , et il va se m e t t r e e n t r i e d e s c a v a l i e r s q u i p a r t e n t d e r r i è r e l u i , f a i s a n t c h a n t e r les é p e r o n s e t t o u r n o y e r les c h e v a u x s o u s les y e u x d e s d e u x s e r v a n t e s q u i , d u s e u i l d e la c u i s i n e , r e g a r d e n t s ' é l o i g n e r
ces h o m m e s d o n t le d é p a r t les laisse s e u l e s d a n s
celle solitude. Ils s ' e n v o n t d e u x p a r d e u x , d a n s les s i l l o n s q u ' o n t t r a c é s les r o u e s d e c h a r r e t t e s , au petit trop infatigable des c h e v a u x ; derrière e u x , g a m b a d e n t de g r a n d s chiens c o u l e u r d e f e u , c h e r c h a n t à r e l e v e r d e s p i s t e s d e g i b i e r ; p o u r traverser' la f o r ê t , la r o u l e n ' e s t q u ' u n e t r o u é e t a i l l é e à la h a c h e , d e la l a r g e u r d ' u n e c h a r r e t t e . L e s c a v a l i e r s d é -
Dressage d'un cheval sauvage.
filent
sous l'épaisse leuillée e l passent à g u é u n e petite rivière é t r o i t e m e n t
encaissée
d a n s d e s b e r g e s h a u t e s c l s o m b r e s . A r r i v é s à la l i s i è r e , q u e l q u e s - u n s d e s p c o n s
s'ar-
r ê t e n t c l , a v a n t d e c o n t i n u e r sa r o u l e , le m a j o r d o m e l e u r d o n n e ses i n s t r u c t i o n s s u r l e p a r c o u r s q u ' i l s d e v r o n t f a i r e l e l e n d e m a i n p o u r se r e n d r e a u
rodeo.
A p r è s u n e succession d'îlots de fourré, de plaines tantôt o n d u l é e s , tantôt unies ou p a r s e m é e s d e p a l m i e r s , o n fait h a l l e p r è s d ' u n r u i s s e a u d ' e a u c l a i r e p o u r l a i s s e r r e p o ser h o m m e s et b ê t e s ; le. m a j o r d o m e e x p l i q u e à ses g e n s la m a n i è r e d o n t il e n t e n d faire
la
chercher
b a t t u e d u b é t a i l , i n d i q u e à c h a c u n les p a r a g e s q u ' i l d e v r a p a r c o u r i r p o u r y les a n i m a u x e t d é s i g n e
l ' e n d r o i t o ù t o u s d o i v e n t se r é u n i r p o u r p a s s e r l a
n u i t . I l i m p o r t e b e a u c o u p , e n e l l e t , q u e la m a n œ u v r e soit b i e n e x é c u t é e e l q u e c h a q u e h o m m e v i s i t e et b a t t e le t e r r a i n q u i l u i a été c o n f i é , p o u r q u ' i l n e reste q u ' u n p e t i t n o m b r e d ' a n i m a u x e n a r r i è r e ; c a r , d a n s ces é t e n d u e s , la m a r c h e d u b é t a i l n ' e s t e n t r a v é e p a r a u c u n e b a r r i è r e c l les a n i m a u x s ' y d i s p e r s e n t à l ' i n f i n i ; aussi p o u r les g r o u -
2-E
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A
L'INTÉRIEUII
p e r à la f o i s et c o n n a î t r e les e n d r o i t s o ù ils se t r o u v e n t , t o u t e n l e u r p r o c u r a n t u n e n o u r r i t u r e m e i l l e u r e et p l u s a b o n d a n t e , o n m e t le feu à la p r a i r i e là o ù l ' h e r b e , d é j à v i e i l l e , est d e v e n u e l i a n t e e t d u r e ; la t e r r e se n o i r c i t a l o r s d e c e n d r e s , l ' é c o r c e
des
a r b r e s se c a r b o n i s e , les f e u i l l e s t o m b e n t , m a i s b i e n t ô t d e c e t t e d é s o l a t i o n r e n a î t la v i e , l ' h e r b e r e p o u s s e j e u n e e t t e n d r e , les a n i m a u x se p o r t e n t e n m a s s e d a n s la p r a i r i e c l il d e v i e n t f a c i l e d e les r e n c o n t r e r p o u r les r é u n i r . L e p a r t a g e d u t r a v a i l f a i t , l e s c a v a l i e r s s ' é l o i g n e n t d e d r o i t e et d e g a u c h e , t o u j o u r s p a r p e t i t s g r o u p e s q u i se d é s a g r è g e n t p l u s l o i n
l o r s q u e c h a q u e h o m m e a t t e i n t à son
t o u r l ' e n d r o i t o ù il d o i t c o m m e n c e r sa b a t t u e ; ils f o r m e r o n t a l o r s u n i m m e n s e d e m i c e r c l e q u i r e f o u l e r a le b é t a i l d e v a n t l u i ; les c a v a l i e r s restés à l ' a u t r e b o u t d u
campo
I
Dressage d'un cheval sauvage.
e n f e r o n t a u t a n t d e l e u r c ô t é , e t , v e r s le s o i r , l e b é t a i l le p l u s é l o i g n é d u c e n t r e a u r a d é j à p a r c o u r u la m o i t i é d e la d i s t a n c e q u i le s é p a r e d u r o d e o d é f i n i t i f . E t l e s p e t i t s c h e v a u x g a l o p e n t s u r les traces d u b é t a i l , t a n t ô t à t r a v e r s les h a u t e s h e r b e s q u i les c a c h e n t j u s q u ' a u p o i t r a i l e t o ù l ' o n qu'une
petite troupe
ne
rencontre guère
de chevreuils f u y a n t é p e r d u m e n t , tantôt
à
par-ci
par-là
travers de
vastes
plaines i n c e n d i é c s d e p u i s p e u . o ù des c e n t a i n e s d ' a n i m a u x b r o u t e n t p a i s i b l e m e n t l ' h e r b e v e r t e et f r a î c h e q u i r e n a î t d e son l i t d e c e n d r e s ,
tantôt sur de petites collines rondes
e t boisées d a n s u n f o u i l l i s d e b r u y è r e s et d e h a u t e s b r o u s s a i l l e s . P l u s l o i n , c'est u n l o n g b a s - f o n d , enseveli p e n d a n t des lieues sous u n e herbe h a u t e c o m m e les r o s e a u x , m a i s p l a t e e t c o u p a n t e ; c ' e s t u n m a r é c a g e ; il y s o u r d d e l ' e a u d e t o u t e s p a r t s , le sol c o u v e r t d e m o u s s e se d é r o b e s o u s les pas et l ' e a u n e c o u l e q u e t r è s l e n t e m e n t v e r s la p e t i t e
rivière qui
se f o r m e là-bas, très
l o i n . P o u r le t r a v e r s e r ,
il
f a u t c o n n a î t r e les p a s s a g e s p i é t i n e s , a f f e r m i s p e u à p e u p a r l e s a n i m a u x , m a i s o ù p l u s
VOYAGE
A
L ' I N T É R I E U R 285
d ' u n e t è t e d e b é t a i l s'est p e r d u e , m o r t e d e m e m b r e s p e s a n t s à l ' é t r e i n t e d e la v a s e ;
faim, enfouie,
les sources cachées
incapable d'arracher
ses
q u i n e se t r a h i s s e n t p a r
a u c u n indice sont d a n g e r e u s e s s u r t o u t a u x y e u x i n e x p é r i m e n t é s ; les c h e v a u x ,
à leur
a p p r o c h e , h é s i t e n t t o u j o u r s e t c h e r c h e n t à se d é r o b e r ; q u e l q u e f o i s c e p e n d a n t , s u r u n c h e v a l e n c o r e i g n o r a n t , u n c a v a l i e r p e u t s'y f o u r v o y e r ; a u s s i t ô t le sol f u i t , les s a b o t s d i s p a r a i s s e n t , p u i s les c a n o n s et les g e n o u x ; le c h e v a l e s s a y e d e d é g a g e r u n p i e d , p u i s l ' a u t r e , m a i s il s ' e n f o n c e t o u j o u r s p l u s p r o f o n d é m e n t e t b i e n t ô t il s ' é p u i s e ; l e c a v a l i e r saule
à
terre, s'aperçoit
qu'il
enfonce
lui-même
jusqu'aux
chevilles,
quelquefois
d a v a n t a g e ; il c h e r c h e à d é g a g e r la b ê t e , la t i r e p a r le l i c o l , p a r l a b r i d e ; m a i s s o u v e n t il est t r o p l a r d , il f a u t e n l e v e r
ce q u i
se p e u t d u h a r n a c h e m e n t et s ' e n a l l e r à
pied
-
Dressage d'un cheval sauvage.
p o u r d e l o n g u e s l i e u e s , d a n s la h a u l e h e r b e q u i g l i s s e , se n o u e a u x j a m b e s et d é c o u r a g e ; à g r a n d r e n f o r t d e c h e v a u x et d e lazos,
on arrive parfois à arracher, à
déterrer
u n a n i m a l p r i s d e c e t t e m a n i è r e , m a i s c ' e s t t o u j o u r s d i f f i c i l e et ce n ' e s t pas t o u j o u r s possible. A i l l e u r s e n c o r e , la p r a i r i e o n d u l e e n v a g u e s é n o r m e s et d a n s les b a s - f o n d s c o u l e n t d e petits ruisseaux dans u n l o n g berceau de buissons d e la f o r ê t d a n s le s i l e n c e p r o f o n d , d a n s
p o u r a l l e r se p e r d r e a u m i l i e u
l'enchevêtrement inextricable
des lianes et
des ronces. A t r a v e r s t o u t c e l a , la g r a n d e b a t t u e s ' é t e n d et se r e s s e r r e ; d e t r è s l o i n , les cris
de cavaliers
quelques bœufs
arrivent
se l a n ç a n t d e s a p p e l s et p o u r s u i v a n t les a n i m a u x ; p a r - c i p a r - l à ,
paissent t r a n q u i l l e m e n t ;
plus loin
une pelile troupe éparpillée
r é u n i t a u p r e m i e r c r i d u c a v a l i e r et t o u s p r e n n e n t le g a l o p la q u e u e d r e s s é e ,
se
la t è t e
b a s s e ; ils f u i e n t à t o u t e v i t e s s e , e n a v a n t d e s h o m m e s q u i s u i v e n t d e t r è s l o i n , a l l e n -
VOYAGE
A
L ' I N T É R I E U R 285
tifs s e u l e m e n t à m a i n t e n i r e n d i r e c t i o n c e t t e d é r o u t e a f f o l é e d ' a n i m a u x p r e s q u e s a u v a g e s s u r p r i s d a n s l e u r s s o l i t u d e s ; c o m m e les r u i s s e a u x v o n t a u x r i v i è r e s , l e s p e t i t e s t r o u p e s v o n t a u x g r a n d e s , se r é u n i s s e n t e t se f o n d e n t ; les c a v a l i e r s se r e t r o u v e n t et m a n œ u v r e n t de concert;
à
la fin, ils c o u r e n t u n d e r n i e r g a l o p , se r a p p r o c h e n t , e n
p o u s s a n t d e l o n g s c r i s , d e s a n i m a u x q u i c o u r e n t e n c o r e a u l o i n v e r s le rodeo;
le bétail
se r a s s e m b l e a i n s i s u r u n e m o i n s g r a n d e é t e n d u e a u t o u r d u p o i n t o ù o n le c o n c e n t r e r a d e m a i n ; l e t r a v a i l d e la j o u r n é e est a c h e v é et les h o m m e s s ' e n v o n t l e n t e m e n t v e r s le l i e u d u r e n d e z - v o u s . I c i , c'est u n e é t r o i t e p r a i r i e e n s e r r é e d ' u n c ô t é un
ruisseau
caché sous des
comme une gaine
a r b u s t e s et d e l a
p a r la g r a n d e f o r ê t , d e
verdure grimpante
les s i n u o s i t é s d e son l i t t o r t u e u x ;
qui
l'autre par accompagne
ce s o n t d e s r e c o i n s c h a r m a n t s
I
Bœuf pris au lasso.
et les c a v a l i e r s
o n t mis pied à terre dans l'herbe
soyeitse d e l ' u n e d e ces
b o u c l e s . Il
fait d o u c e m e n t f r a i s d a n s l ' o m b r e d e s g r a n d s a r b r e s , d e r r i è r e l e s q u e l s le s o l e i l pourpre et disparait. P a r u n e échappée, on vaches attardées courent en avec le gros d u faire boire les
chevaux
et,
au
nuit
la
troupeau.
et baigner un
bout bonne
peu
d'une herbe
meuglant
leurs
chevaux
longue
à
nourrissante.
dessellent à
un
lanière
grande
pour retrouver leurs
Les hommes
partout,
a p e r ç o i t la
la
arbre de
En
cuir,
au à
ils
attendant
veaux
et s'en v o n t
rivière; isolé,
plaine
un
partis
l'un
piquet
en
avant
qui
l'autre
on
fiché
attache en
brouter
hommes
s'em-
quelques
après
sortir de là,
pourront deux
où
terre
toute n'ont
la pas
e n c o r e r e j o i n t le c a m p e m e n t , o n va r a m a s s e r d u bois e t o n le d i s p o s e p o u r l ' a l l u m e r t o u t à l ' h e u r e ; e n f i n , ils a r r i v e n t ; l ' u n d ' e u x , a u b o u t d e s o n lazo, q u e l q u e s h u i t o u dix mois, bien en chair et v i g o u r e u x ;
a m è n e un veau de
l ' a u t r e s u i t l ' a n i m a l p o u r le
d i r i g e r ; u n a u t r e l a z o v o l e e t , e n u n i n s t a n t , l e v e a u est e x é c u t é , p u i s il est d é p e c é c l certains m o r c e a u x m i s de côté
p o u r le l e n d e m a i n , d a n s le h a u t d ' u n
arbre
à l'abri
VOYAGE
A
L ' I N T É R I E U R 285
d e s h a r d i e s t e n t a t i v e s d u r e n a r d . L e soleil est c o u c h é el la n u i t s ' e s t faite r a p i d e m e n t , m a i s le f e u est a l l u m é e t ses h a u t e s l l a m m e s é c l a i r e n t le c a m p e m e n t . A u b o u t d ' u n e l o n g u e b r a n c h e d ' a r b r e u l l i l é e , le m o r c e a u d e r é s i s t a n c e r ô t i t d e v a n t le f e u , t e n u
à bout
de bras par u n
homme qui
e n s u r v e i l l e la c u i s s o n
sur
toutes
les l a c e s : d ' a u t r e s font r ô t i r aussi q u e l q u e p e t i t m o r c e a u d e p r é d i l e c t i o n ; t o u t a u t o u r d u f e u , la g r a i s s e f o n d , c r é p i t e c l t o m b e d a n s la b r a i s e q u i j e t t e d e s l l a m m e s c l a i r e s ; les h o m m e s s ' a c c r o u p i s s e n t e n c e r c l e a u t o u r
d e la g r a n d e p i è c e q u i , a u s s i t ô t c u i t e
p o i n t , est p i q u é e e n t e r r e d e v a n t le m a j o r d o m e ; a l o r s , t i r a n t l e u r s c o u t e a u x d e
à
leur
c e i n t u r e , l o u s se s e r v e n t à la r o n d e ; t o u t e n m a n g e a n t , ils a p p r é c i e n t l a v i a n d e , f o n t d e s c o m p a r a i s o n s cl d e s p l a i s a n t e r i e s ; p u i s c h a c u n a l l u m e u n p e t i t c i g a r e d u p a y s , d e
Le marquage des animaux.
tabac acre et fort, c l , dans l e u r idiome g u t t u r a l , é t r a n g e , e n t r e c o u p é d e petits cris de j o i e , ils p a r l e n t d e l e u r s c h e v a u x ,
du nombre d'animaux qu'ils
ont
a p e r ç u s d a n s la
j o u r n é e , q u e l q u e f o i s a u s s i d u v i l l a g e q u i est b i e n l o i n . L ' h e u r e d u s o m m e i l est v e n u e , c a r a v a n t q u a l r e h e u r e s il f a u d r a ê t r e d e b o u t ; c h a q u e h o m m e , a p r è s a v o i r a s s u r é l ' a t t a c h e d e s o n c h e v a l , é t e n d p a r t e r r e sa p e a u d e m o u t o n , p l a c e sa s e l l e
en guise
d ' o r e i l l e r , pas t r o p l o i n d u f e u à c a u s e d e s b ê t e s q u e l q u e f o i s
d a n g e r e u s e s , se r c c o u v r e d e s o n g r a n d m a n t e a u , c a r i a n u i t s c r a f r a î c h e e l b i e n t ô t il n ' y a p l u s q u e d e s f o r m e s a l l o n g é e s e t i m m o b i l e s s o u s le
firmament
bleu-noir a u x étoiles
b r i l l a n t e s , d a n s la s é r é n i t é s i l e n c i e u s e d e s c h o s e s ; l e s c h i e n s f r i l e u x r é u n i s a u t o u r d u f e u c h e r c h e n t d a n s l ' h e r b e q u e l q u e r e s t e o u b l i é et p u i s se c o u c h e n t e n
rond, tandis
q u e l ' u n d ' e u x , assis et d r e s s é s u r ses p a t t e s d e d e v a n t , l e s p a u p i è r e s à d e m i f e r m é e s s u r ses p r u n e l l e s b r i l l a n t e s , fixe p e n s i v e m e n t le f o y e r p o u r é c o u l e r a u l o i n le g r o n d e m e n t sourd d u j a g u a r o u l'appel plaintif d u g r a n d oiseau de n u i t .
296
VOYAGE
A
L INTERIEUR
Les h e u r e s s ' é c o u l e n t et le d e m i - c e r c l e de la l u n e
m o n t e l e n t e m e n t a u ciel ; d a n s
la b l a n c h e u r des clartés o ù les l o n g u e s h e r b e s s e m b l e n t a u t a n t de l a m e l l e s
d'argent,
d a n s la n o i r c e u r des o m b r e s b é a n t e s , t o u t reste s e r e i n , d o u c e m e n t e n d o r m i ; l ' i m m o bilité des choses est si p a r f a i t e ,
si i m p r e s s i o n n a n t e q u ' i l paraît sacrilège de la t r o u -
bler ; u n h o m m e , p o u r t a n t , se lève et s ' é l i r e , é t e n d a n t les bras sous le g r a n d m a n t e a u sans m a n c h e s q u i l u i d o n n e des a l l u r e s de s p e c t r e ; la c o n s t e l l a t i o n des sept C h e v r e t t e s a p p a r a î t à la c i m e des arbres p o u r s a l u e r la C r o i x d u S u d q u i rase d é j à l ' h o r i z o n ; le j o u r va p o i n d r e d a n s u n e h e u r e et l ' h o m m e s'asseoir et se c h a u f f e r a u t o u r d u feu o ù
r é v e i l l e ses c o m p a g n o n s
flambent
qui
viennent
g a i m e n t quelques branches sèches;
a u x p r e m i è r e s l u e u r s de l ' a u b e , les c h e v a u x sont sellés et les c a v a l i e r s se d i s p e r s e n t de n o u v e a u e n é v e n t a i l , à la r e c h e r c h e des a n i m a u x q u i
o n t passé la
nuit
s u r les
c o l l i n e s boisées et à la lisière des forêts, d a n s les parages o ù la b a t t u e s'est a r r ê t é e la v e i l l e ; il f a u t de n o u v e a u les d é c o u v r i r et les rassembler p o u r les m e n e r a u
rodeo.
Le rodeo se fait ici d a n s u n e g r a n d e p l a i n e très é g a l e , u n e c o l l i n e la c o n t o u r n e et va se p e r d r e d a n s la forêt q u i b a r r e choisi à u n p e t i t
l'horizon;
o n r e c o n n a î t de l o i n
l'emplacement
b o u q u e t d e cocotiers à l ' o m b r e d u q u e l o n se r e p o s e ;
parti d e la f e r m e a v a n t l ' a u r o r e p o u r a m e n e r les c h e v a u x
un
gamin,
de rechange, y a déjà m i s
pied à terre et observe les c o n f i n s de la p l a i n e p o u r voir a r r i v e r le bétail ; peu à p e u , o n voit s ' a v a n c e r c o m m e u n i m m e n s e t r i a n g l e b a r i o l é ,
u n e a r m é e de b a r b a r e s a u x
tètes hérissées de c o r n e s ; à la p o i n t e , seul et m a j e s t u e u x , m a r c h e u n v i e u x f a u v e et n o i r ; d e r r i è r e l u i , d e u x vaches pleines, a u v e n t r e é n o r m e ,
taureau
suivent pesam-
m e n t . E n s u i t e , ce sont des r a n g s de plus e n p l u s c o n f u s de d i x , de v i n g t , de b e a u c o u p d ' a n i m a u x ; il y e n a de g r a n d s , de petits, de t o u t e s les c o u l e u r s ; les u n s o n t d e g r a n d e s taches f a u v e s s u r u n e r o b e b l a n c h e , d ' a u t r e s sont tout noirs avec le c o u et la tête d ' u n b l a n c l a i t e u x ; des v e a u x o n t . p o i n t p o u r p o i n t , le poil de l e u r m è r e ; des t a u r e a u x p o r t e n t basse l e u r tète a u l a r g e f r o n t , c h a r g é de c o r n e s épaisses et c o u r t e s ; de j e u n e s vachettes sont b i e n r o n d e s , bien grasses, le poil l u i s a n t s u r la p e a u t e n d u e tandis q u e d e vieilles v a c h e s , h a u t e s s u r pattes, l e u r poil terni
à g r a n d e carcasse osseuse, p e r d e n t
s u r le c u i r flasque et p l i s s é ; de t e m p s en t e m p s ,
u n e tète se dresse,
t e n d u e en a v a n t , le poitrail se l è v e , les pattes d e d e v a n t se r a i d i s s e n t , cela u n instant en s a u t a n t et r e t o m b e ,
chevauche
n o y é d a n s cette h o u l e b a r i o l é e q u i s ' a v a n c e d a n s
u n b r u i t de cornes c n t r e - c h o q u c e s ; u n e j e u n e \ache sort d u r a n g c l g a l o p e , p o u r s u i v i e p a r u n t a u r e a u ; ils f o n t q u e l q u e s t o u r s c l disparaissent, l ' u n d e r r i è r e l ' a u t r e , d a n s le g r a n d t r o u p e a u q u i s e m b l e les b o i r e . A l ' a r r i è r e d u t r i a n g l e , se b a l a n c e n t les c r o u p e s de c e n t a i n e s d ' a n i m a u x ,
p r e s q u e a l i g n é s sous le f o u e t des cavaliers q u i p o u s s e n t ce
flux v i v a n t , c o u r a n t de d r o i t e et de g a u c h e p o u r faire a v a n c e r les t r a î n a r d s . C e p e n d a n t , la l è l e d u t r i a n g l e , a l l o n g é e de p l u s e n p l u s , a t t e i n t le rodeo et le bétail p e u à p e u s'y
masse e n
u n cercle i m m e n s e a u t o u r d u q u e l
se p r o m è n e n t q u e l q u e s
cavaliers p o u r l'aire r e b r o u s s e r c h e m i n a u x a n i m a u x q u i c h e r c h e n t à s ' é l o i g n e r . Il en a r r i v e de toutes parts, des
groupes
isolés q u i
rejoignent
lentement
d'eux-mêmes,
d ' a u t r e s suivis d ' u n c a v a l i e r q u i les pousse. Les h o m m e s restés la veille a u soir de l ' a u t r e côté d u c a m p o a m è n e n t aussi u n e grosse t r o u p e d ' a n i m a u x . C o m m e tous ne sont pas e n c o r e a r r i v é s , o n t r o m p e l ' a t t e n t e en r e g a r d a n t à distance respectueuse d e u x é n o r m e s t a u r e a u x q u i c o m b a t t e n t , la tète basse, les cornes prises, les cuisses tendues l o i n en a r r i è r e , les sabots l a b o u r a n t la t e r r e d a n s u n n u a g e de poussière. M a i s , d e r r i è r e l a c o l l i n e , des cris r é s o n n e n t , u n
galop
VOYAGE
vibre dans troupe;
le
sol et u n
aussitôt
A
cavalier parait,
d'autres cavaliers
285
L'INTÉRIEUR
courant
bride abattue
p a r t e n t à la r e s c o u s s e ,
sur
le
flanc
vociférant,
d'une
claquant
du
f o u e t p o u r s ' o p p o s e r a u p a s s a g e d e s a n i m a u x v e r s la f o r ê t , r e f u g e o ù l ' o n n e p o u r r a i t p l u s l e s r e l a n c e r ; e n f i n , c e r n é s , a r r ê t é s , les a n i m a u x c h a n g e n t d e d i r e c t i o n e t f o n c e n t c o m m e u n b é l i e r f o r m i d a b l e d a n s l e rodeo, avant-garde,
qui
p u i s d ' a u t r e s a u p a s , e t il e n a p p a r a î t e n c o r e e n h a u t d e la c o l l i n e ,
trottent,
encore et e n c o r e ;
lancée en
q u i s'écarte et leur o u v r e passage ; p u i s ,
derrière celte
i n c l i n é s v e r s la
un galop furieux, viennent d'autres
animaux et
pente qu'ils dévalent en s'étageant, leurs couleurs
c l a i r e s se d é t a c h e n t s u r le v e r t d e la p r a i r i e d a n s u n m o u t o n n e m e n t g r a c i e u x e t l e n t . A v a n t de
c o m m e n c e r le t r a v a i l d u rodeo,
chevaux fatigués
011 d e s c e n d d e c h e v a l p o u r
et seller c e u x v e n u s d i r e c t e m e n t
d e la f e r m e q u i ,
r e l â c h e r les
très d o u x ,
se
l a i s s e n t p r e n d r e f a c i l e m e n t , soit a u lazo, s o i t m ê m e à la m a i n . L ' é n o r m e m a s s e v i v a n t e est là i m m o b i l e ,
g a r d é e p a r les p l u s j e u n e s c a v a l i e r s ; e l l e
p a r a î t si d e n s e , si f o r m i -
d a b l e , si m e n a ç a n t e d e c o r n e s q u ' o n ne s ' i m a g i n e p a s p o u v o i r y p é n é t r e r ; le
majordome s'approche
d o c i l e s et d o u x ; a u
p o u r passer
cependant
la r e v u e et v o i l à q u e l e s a n i m a u x
s'écartent
f u r e t à m e s u r e q u e le c h e v a l a v a n c e , u n c h e m i n s ' o u v r e d e v a n t
l u i e t se r e f e r m e p a r
derrière;
d u dehors,
on ne
voit
qu'un
buste
d'homme
qui
d o m i n e , s e m b l a n t n a g e r a u - d e s s u s des v a g u e s de dos et de c o r n e s ; q u e l q u e s cavaliers e n t r e n t à la s u i t e , le lazo d é r o u l é e n m a i n p o u r p r e n d r e q u e l q u e s v e a u x a u x q u e l s les grosses m o u c h e s d u p a y s o n t m i s d e s v e r s ; l e s u n s , e n c o r e t o u t j e u n e s et p e u m é f i a n t s , sont
vite pris et conduits à u n
e n s u i t e d u lazo;
mais
homme
q u i , p i e d à t e r r e , les n e t t o i e e t
p o u r c e u x q u i ; d é j à g r a n d s , se s a u v e n t au g a l o p
d u c a v a l i e r , il f a u t l e s p o u r s u i v r e j u q u ' a u d e h o r s d u rodeo et l e u r course,
car on
ne peut
galoper au
milieu
des
animaux
les
délivre
à l'approche
jeter
le
sous peine
de
lazo à
la
tomber
s u r e u x e t d e se f a i r e e n c o r n e r . P l u s i e u r s h o m m e s a y a n t d é j à m a n q u é u n g r a n d t a u r e a u q u i c o u r t f u r i e u s e m e n t , le p l u s v i e u x d e s c s t a n c i c r s a r r i v e et l ' a t t e n d a u p a s s a g e ; s o n p e t i t c h e v a l t o u t c a l m e p a r a î t n e r i e n v o i r , m a i s , le m o m e n t v e n u , s u r à peine perceptible de son tance,
son
galop m e n u
c a v a l i e r , il p a r t d e r r i è r e le t a u r e a u e t , est m e r v e i l l e u s e m e n t
rapide;
un
s u r la c o u r t e
l ' h o m m e fait
signe dis-
v o l e r son
lazo
a u t o u r d e sa t è t e , le l a n c e t r è s l o i n et l e t a u r e a u , la tête t o r d u e d e c ô t é , est a r r ê t é t o u t p a n t e l a n t ; a i n s i m a i n t e n u , il r e p a r t e n c e r c l e , t o u r n a n t a u t o u r d u c a v a l i e r : le « m a j o r d o m e » a l o r s l u i l a n c e le lazo à s o n t o u r et s o u d a i n les j a m b e s d e d e v a n t d e l ' a n i m a l s o n t p r i s e s , sa c r o u p e passe p a r - d e s s u s sa t ê t e et il s ' a b a t e n p o u s s a n t u n m u g i s sement. L e t r a v a i l a u lazo f i n i , il f a u t c h o i s i r e t s é p a r e r les a n i m a u x q u e l ' o n va
emmener
à l a f e r m e . D e s c a v a l i e r s se g r o u p e n t d e u x p a r d e u x et le m a j o r d o m e d é s i g n e à c h a c u n d e s c o u p l e s l ' a n i m a l q u ' i l d o i t r e j e t e r a u d e h o r s ; a u s s i t ô t q u e la b ê t e est d é s i g n é e , l e s h o m m e s v o n t se p l a c e r s'écarter en l'encadrant
l e n t e m e n t d e r r i è r e e l l e e t la s u i v e n t a u p a s , l ' e m p ê c h a n t d e de
d r o i t e et d e g a u c h e ;
p r e s s e n t , g a l o p e n t , se l a n c e n t a u
arrivés
au
bord,
les c a v a l i e r s
la
besoin à toute vitesse, i n s o u c i e u x des accidents d u
t e r r a i n , et la c o n d u i s a n t a i n s i j u s q u ' à l a p e t i t e t r o u p e q u i se f o r m e p e u à p e u ; o n e n é c a r t e a i n s i e n v i r o n trois c e n t s et il n e troupe,
pendant
q u e l e rodeo
s'agit plus m a i n t e n a n t q u e
abandonné
se d i s p e r s e r a
lentement
d ' e m m e n e r cette dans
toutes les
directions. A u d é p a r t , l e s a n i m a u x c h e r c h e n t à se d é r o b e r p o u r débandade d ' a r m é e q u i lâche pied ; mais
r e n t r e r a u rodeo ; c ' e s t u n e
les c a v a l i e r s g a l o p e n t d e t o u t e la v i t e s s e d e
2-E
VOYAGE
l e u r s petits c h e v a u x s u r les
A L'INTÉRIEUII
flancs des a n i m a u x ,
l e u r a l l o n g e a n t des c o u p s de
leurs
fouets à gros m a n c h e très c o u r t e t à l a n i è r e tressée de p l u s i e u r s h r a s s c s ; l ' o r d r e r é t a b l i , o n se m e t en m a r c h e ; la petite t r o u p e des c h e v a u x fatigués précède le b é t a i l , s u r les flancs s'espacent
des c a v a l i e r s
et par d e r r i è r e v i e n t
le
g r o s des h o m m e s n u i
a v a n c e r la t r o u p e ; ils p o u s s e n t , p o u r m e n e r les a n i m a u x , de l o n g s cris modulés, presque chantés,
font
étrangement
q u i s ' é t e i g n e n t d o u c e m e n t a u pas égal et lent d u b é t a i l .
Q u a n d parfois, d a n s les c h a m p s q u e b o r d e la r o u t e , apparaissent q u e l q u e s a n i m a u x , l a tête de la t r o u p e se m e t à g a l o p e r c h e r c h a n t à se j o i n d r e
à e u x , le g a l o p se corn- •
m i m i q u e à c e u x q u i s u i v e n t j u s q u ' a u x d e r n i è r e s l i g n e s cl le g r a n d s e r p e n t d ' a n i m a u x o n d u l e , s ' a l l o n g e et se r a c c o u r c i t t o u r à t o u r , m a i s b i e n t ô t 011 a r r i v e a u p a r c a g e c l le t r o u p e a u est e n f e r m é d a n s les b a r r i è r e s closes. La cour, midi,
m o r n e et d é p e u p l é e ,
s ' a n i m e en u n
i n s t a n t ; sous le ciel b r û l a n t
de
d a n s u n p e t i t coin d ' o m b r e , u n c h e v a l dessellé, le dos l u i s a n t de s u e u r s , se
secoue b r u s q u e m e n t , tout d ' u n e pièce s u r ses j a m b e s r a i d i e s ; q u i paraissait a b a n d o n n é ,
d a n s le g r a n d h a n g a r
les h o m m e s a c c r o c h e n t à n o u v e a u leurs brides et leurs
s e l l e s ; ils se m e t t e n t à b o i r e , assis s u r le t o n n e a u à e a u 011 s u r les
bancs
qu'ils ont
traînés j u s q u e - l à ; p u i s , u n à u n , ils e m m è n e n t l e u r s c h e v a u x à la rivière p o u r les b a i g n e r et les l â c h e r e n s u i t e a u x c h a m p s ; aussitôt l i b r e s , les petites bêtes se r a s s e m b l e n t c l s'en v o n t , b r o u t a n t déjà par-ci p a r - l à , vers l e u r p â t u r a g e f a v o r i . L a s e r v a n t e a p p o r t e les g r a n d s plats p r o f o n d s pleins de b o u i l l o n a u m a ï s et à la v i a n d e sèche q u e les h o m m e s a f f e c t i o n n e n t e t tous se s e r v e n t à la fois d a n s u n v a c a r m e de c o u v e r t s d ' é t a i n . B i e n t ô t a p r è s , 011 a l l u m e à côté d u p a r c a g e u n g r a n d feu o ù l ' o n r o u g i r a les fers à m a r q u e r et tous passent à l ' i n t é r i e u r des palissades avec leurs lazos c l l e u r s f o u e t s ; j u s q u ' a u soir, les lazos se d é r o u l e n t et volent en l ' a i r , faisant c u l b u t e r les a n i m a u x
d a n s de g r a n d e s envolées de poussière, et q u a n d ils sont à terre
les
j a m b e s étirées p a r les lazos q u i les e n t r a v e n t , 1111 h o m m e s ' a p p r o c h e , le fer b r û l a n t à la m a i n ,
p o u r l e u r i m p r i m e r la m a r q u e ; u n
b e u g l e m e n t , 1111 p e u de f u m é e ,
une
acre o d e u r d e c u i r roussi cl la bêle se r e l è v e , la cuisse tachée de l ' e m p r e i n t e c h a r b o n neuse. A u c o u c h e r d u soleil, c'est fini et les h o m m e s s'en vont s'asseoir s u r l ' h e r b e de la c o u r p o u r c h a n t e r , a u son d ' u n e g u i t a r e m é l a n c o l i q u e ,
quelque tendre cl
plaintive
m é l o d i e , t a n d i s q u e le t r o u p e a u d é l i v r é s'écoule p a r la b a r r i è r e e l s ' é p a r p i l l e î n e n t vers l ' h o r i z o n q u i d é j à s ' e s t o m p e et s ' é v a n o u i t d a n s les o m b r e s d u
lenle-
crépuscule-
CHAPITRE
NOTES
XII
HISTORIQUES
Lo» premières explorations. - Mendoza, Irala et Cabcça de Vaca. - La résistance des Indiens; les diverses races. — La colonisation espagnole. — Les Adelantados. — Influence des jésuites. — La politique commercialo de la Métropole. - Luttes entre Espagnols et Portugais. — La lutte pour l'Indépendance. Résistance dos Espagnols loyalistes. Etablissement d une constitution républicaine. - Unitaire» et fédéraux. - Luttes intestines. La tyrannie de llosas — Le général Mitre. - Les présidents successifs: Sarmiento, Avellaneda. — La crise économique do 1890. - Menaces do guerre entre le C h i l i et l'Argentine. Rétablissement du crédit.
I En l'année 1008, les Espagnols Vinccnle Yanez Pinson et Juan Diaz de Solis, envoyés pour faire des découvertes sur les côtes du
Brésil,
après avoir débarqué au cap S'-Augusliu longèrent le continent j u s qu'au Aoe degré de latitude. Ils prirent pour un golfe l'embouchure du Bio de la Plata et revinrent en Espagne sans s'y être arrêtés. Mais en , 5 , 5 , Solis, nommé grand pilote de Castille, revint avec deux
bâti-
ments et, hanté de l'idée que peut-êlro ce vaslc estuaire constituait un passage faisant communiquer les deux Océans, résolut d'en accomplir la traversée. Son expédition fut malheureuse et, à peine débarqué, l'explorateur fut massacré par les Indiens Charruas sur les bords du ruisseau qui porte aujourd'hui le nom d'Arroyo de Solis. Ses compagnons revinrent en Europe sans avoir pu reconnaître les rives du grand estuaire. Après Solis, l'hésitation fut grande en Espagne. Les récits terrifiants des survivants de l'expédition arrêtèrent un moment les navigateurs et dix ans s'écoulèrent avant que de nouveaux efforts fussent tentés. Sébastien Gabolo fut le premier qui se hasarda dans ces parages. En 1 6 2 7 , il débarque sur l'emplacement actuel de Colonia, y établit un semblant de fortification, remonte le Parana cl construit près de l'emplacement de Rosario le fort d'Espiritu Santo où il laisse une petite garnison. C o n tinuant son voyage, il reconnaît l'embouchure du Rio Paraguay et une
3oo
KOTES
HISTORIQUES
de ses embarcations essaye de remonter le Rio Vermijo ; elle est bientôt aperçue par les Indiens Agaces qui tuent vingt-cinq Espagnols et font trois prisonniers. Gaboto revient alors avec ses compagnons à Espiritu Santo et fait demander des secours en Europe. Lassé d'attendre, il quitte le pays laissant une faible garnison, bientôt contrainte par les Indiens à se retirer à son tour. Cependant, des récits plus ou moins fabuleux avaient cours à cette époque en Espagne et on s'imaginait volontiers trouver dans l'intérieur de ce pays des trésors invraisemblables. O n racontait notamment qu'un Portugais de Sâo Vincenle avait rapporté d'une expédition au Pérou une immense quantité d'ornements d'or et d'argent, mais qu'au retour il avait été assassiné par les Indiens qui l'accompagnaient sur les bords du Paraguay et que ces Indiens avaient encore en leur possession les richesses conquises par l'Européen. Ces récits se trouvèrent vérifiés dans une certaine mesure par Gaboto. Il avait acheté, en effet, aux Guaranis, des ornements d'argent qu'ils disaient venir d'un grand Empire situé à l'Ouest et il les avait apportés à Charles-Quint comme preuve de l'importance de ses découvertes et de la richesse de ces pays. En 1535 un officier de Charles-Quint, Don Pedro de Mendoza, entreprit de créer à ses frais une colonie à la Plata ; il avait mis comme condition d'être reconnu comme adelantado (gouverneur) des provinces à découvrir jusqu'à 300 lieues dans l'intérieur des terres. Celte expédition fut la première tentative sérieuse de colonisation. Mendoza, dès son arrivée, tenta en vain de s'établir à Ruenos A y r c s dont il jeta les premiers fondements ; bientôt traqué de toutes parts par les Indiens, il dut se réfugier dans les ruines du fort d'Espirilu Santo. De là il envoya son lieutenant A y o l a s avec mission de chercher un pointde ravitaillement; Ayolas remonta le Paraguay et fonda le 15 avril 1530 la ville de Asuncion, aujourd'hui la capitale du Paraguay, qui pendant un demi-siècle et grâce au concours des Indiens Guaranis, peuple doux et industrieux, c o m mença à prospérer et devint le centre des possessions espagnoles de la contrée. L'année suivante Ayolas était massacré avec tous ses compagnons au retour d'une expédition vers l'Ouest, au cours de laquelle il était parvenu jusqu'au versant oriental des Andes où il avait fait un énorme butin. ^ - « ^ j j j f c j ^ ç c u p a t i o n définitive du pays se fit lentement et de trois côtés à la le Nord et l'Ouest. Le désir de trouver des métaux prél'abord poussé les conquérants venus de l'Est à se joindre
NOTES
3iI
HISTORIQUES
aux Espagnols du Pérou pour partager ou même leur disputer leurs trésors. L'adelantado Alvar Nufiez Cabeça de Yaca, le premier qui arriva par la voie de terre à Asuneion, avait en vain tenté, en I5/J3, de trouver une route commode vers le pays de l'or, l'avaient forcé à revenir sur ses pas.
la disette et les maladies
Son lieutenant Irala, après être
parvenu jusqu'au pied des Andes où il rencontra des aventuriers espagnols avait lui aussi été contraint de revenir à Asuneion, après trois ans d'absence. Nommé à son tour adelanlado en 1 5 5 5 , Irala sut par ses talents, sa valeur, son sens pratique, retenir près de lui la plupart des aventuriers d'Espagne et fut le véritable fondateur de l'empire espagnol dans la Plata. Bientôt toutes les tribus de celle région furent soumises de gré ou de force el les Indiens distribués en encomiendas ou commanderies de serfs qui exploitaient les richesses du sol au profit de leurs vainqueurs. De leur côté, les Espagnols du Pérou, désunis par la guerre civile qu'avait engendrée la cupidité, s'avancèrent vers le Sud jusque sur les bords du Parana. A l'Ouest, enfin, les conquérants du Chili traversèrent les Andes et s'établirent à C u y o . Ainsi peu à peu et par l'origine même de ces divers courants d'invasion, le territoire argentin se trouva divisé en trois provinces : Bio de la Plata, Tucuman et C u y o et cette division persista pendant presque toute la période de la colonisation ('). En i 5 8 o , Garay, le capitaine qui, après Irala, a le plus contribué à l'établissement de la domination espagnole dans la Plata,
rétablissait
l'ancienne colonie de Buenos A y r c s . II Les progrès de la colonie espagnole pendant
toute la période qui
s'écoule de la fondation des premiers établissements jusqu'à l'ère
mo-
derne, c'esl-à-dire pendant trois siècles, ont été très lents. Il faut en rechercher la raison dans la résistance des tribus indiennes et dans les vices mêmes du système de colonisation adopté. A u moment de la conquête, trois races différentes d'origine, de mœurs, de langue, de civilisation, se partageaient l'empire de la région qui constitue aujourd'hui la confédération argentine. A l'Ouest, dans les régions de la plaine pampéenne cl des Andes, dominait la race araucane, éner( ' ) LATZINA. —
Géographie de la République
Argentine.
Aperçu historique par
L.
Biilau.
3oo
KOTES HISTORIQUES
gique cl robuste mais batailleuse, avide d'indépendance et hostile à la civilisation européenne. Dans les parties tempérées, se rencontraient les peuples appartenant à la race quichua et à la race guarani. Très nombreux, plus de trois millions, les premiers obéissaient à un grand monarque, l'Inca, disposant d'armées permanentes, ayant autour de lui une sorte de cour orientale. Leur industrie était développée ; ils construisaient des routes: des ponts de bois et de lianes mettaient en communication à travers les vallées et les montagnes les régions diverses du royaume. Ils avaient domestiqué la vigogne, qu'ils utilisaient comme bête de somme et comme bêle à laine. A u triple point de vue agricole, industriel et social, c'était un grand peuple. Les Guaranis, enfin, étaient surtout un peuple agricole.
D'un caractère sombre cl taciturne, peu
communicatifs, médiocrement intelligents, ils avaient cependant dans le caractère une certaine douceur qui les rendait plus aptes que tous les autres Indiens à se civiliser et à se fondre peu à peu avec les autres populations qui les entouraient et principalement avec celles d'origine européenne ('). Pendant les deux premiers siècles l'état de sujétion résultant du régime des cncomiendas
inauguré par Irala et qui se développa en s'aggravant,
n'avait pas laissé de peser singulièrement à ces natures sauvages et fières et fut l'occasion de révoltes nombreuses contre lesquelles les Espagnols durent engager des luttes continuelles. Sur quelques points mêmes, les Espagnols anéantirent complètement la population ou la transportèrent ailleurs, comme ils le firent pour les Quilmès e l l e s Acaliansdcs vallées de Calchaqui. Plusieurs tribus disparurent ainsi et perdirent leur nom en se fondant dans le reste de la population. La lutte cependant n'avait pas revêtu, pendant cette époque, le caractère d'extermination qu'elle devait prendre par la suite. Les rois d'Espagne, en effet, s'efforcèrent toujours de mettre obstacle aux excès qui signalaient l'établissement des colons dans les conquêtes lointaines. Chaque chef d'expédition, chaque fonctionnaire nommé, recevait à son départ pour l'Amérique des instructions spéciales sur la conduite à tenir à l'égard des peuples sauvages et les infractions à ces ordres étaient sévèrement châtiées. C'est ainsi que pour avoir mis à mort le plus fameux des Indiens de l'Amérique, Atahualpa, Pizzaro fut condamné à vingt ans de prison ; c'est ainsi encore que la mort du Tupac A m a r u , exécuté sur la place de Cuzco en 1679, par ordre de Francisco de Tolcdo, attira sur
( ' ) E m i l e DAIREAUX, —
La vie el les mœurs à la Plala, p p . 5/I et i i j y .
NOTES
3I I
HISTORIQUES
celui-ci une disgrâce qui le frappa si rudement qu'il mourut de honte cl de douleur au sortir de l'audience d'où le roi l'avait chassé de sa présence en lui disant « qu'il ne l'avait pas e n v o y é au P é r o u pour être le bourreau des rois, mais pour les servir » ('). Ces châtiments sévères cependant auraient été insuffisants à protéger les indigènes contre les brutalités et les exigences des colons espagnols si u n fait fort simple en l u i - m ê m e ne leur avait p e r m i s de fuir les envahisseurs. Mendoza, en effet, avait laissé derrière lui quelques-unes de ses j u ments cl quelques chevaux échappés des campements cl ces animaux devenus sauvages se multiplièrent dans des proportions telles que, dès 158o, on évaluait leur nombre à 3 o o o o têtes. D'autre part, 1111 lieutenant d'Irala, C h a v è s , avait ramené du P é r o u les premières chèvres cl brebis ipie l'on ait eues au P a r a g u a y et enfin, en
i553,
deux Portugais, les
frères (ioes, avaient amené de Santa Calherina à A s u n c i o n , par le chemin ouvert une première fois par C a b e ç a de Vaca, huit vaches et un taureau, souche de tout le bétail qui b i e n t ô l p e u p l a les régions platéennes( 2 ). Dès lors, les Indiens se retirèrent dans la pampa devenue u n riche territoire de chasse et (pic grâce à leurs montures
ils parcouraient en
Ions sens, alors que les Européens se cantonnaient sur quelques points très restreints. L é s chocs se trouvèrent ainsi tout d'abord évités. P e u à peu cependant, les Indiens firent des chevaux cl des ba:ufs c a p lurés un c o m m e r c e f r u c t u e u x avec les Européens et d'immenses troupeaux se dirigèrent vers les côtes du C h i l i . Les colons laissèrent faire tant qu'ils purent considérer que ces troupeaux n'appartenaient à p e r sonne, mais bientôt les Indiens se rapprochèrent des parties exploitées par e u x et vinrent j u s q u e dans leurs troupeaux c h e r c h e r les éléments de leur c o m m e r c e . C e fut là l'origine de la guerre à outrance que se déclarèrent les d e u x partis en présence et qui, à partir de 17/10, se poursuivit par une série de luttes et de massacres sans pitié. Elle devait aboutir à la fin du siècle dernier à la soumission complète des Indiens. ( ' ) L'assassinat d ' A m a r u est u n dos épisodes les p l u s é m o u v a n t s de la g u e r r e a f f r e u s e des E s p a g n o l s c o n t r e les Incas. E n i 5 G g , F . de T o l e d o s ' e m p a r a par trahison d u p r i n c e A m a r u q u i , r é f u g i é dans les m o n t a g n e s d<- V i l c a - P a m p a , y restait inolTensif m a i s r e f u s a i t t o u j o u r s d ' a b d i q u e r les droits de sa c o u r o n n e . A p r è s u n s e m b l a n t de p r o c è s , il le fit d é c a p i t e r en p l e i n e place p u blique devant premier roi.
2 0 0 0 0 0 I n d i e n s à g e n o u x q u i saluaient e n l u i
le d e r n i e r d e s c e n d a n t de l e u r
Sa f a m i l l e transportée à I.ima e t à p e u près p r i s o n n i è r e s ' é t e i g n i t en
quelques
années. ( - ) («aële, l ' h o m m e q u i avait s o i g n é ces a n i m a u x p e n d a n t le V o y a g e , f u t r é c o m p e n s é par le don d ' u n e v a c h e , p r é s e n t d o n t la v a l e u r p a r u t alors si e x o r b i t a n t e q u e le p r o v e r b e en resta d a n s la Plata : « C h e r c o m m e la v a c h e ¡1 (Jaële ».
KOTES HISTORIQUES
3oo
Si ccs luttes retardèrent les progrès de la colonisation, elles ne furent pas cependant la cause principale de leur lenteur. Cette cause, nous la trouvons dans la politique néfaste adoptée par l'Espagne à l'égard de sa colonie, politique tout entière dirigée vers ce double but : le maintien de l'autorité royale et la nécessité de faire bénéficier la métropole seule des richesses d'exportation. T o u t d'abord livré à des adelanlados
chargés de pourvoir aux frais
des expéditions cl de réaliser la conquête, le g o u v e r n e m e n t fut ensuite confié à trois g o u v e r n e u r s ( P a r a g u a y , Buenos A y r e s et T u c u m a n ) dépendant de la vice-royauté du Pérou et de l'Audience royale de C h a r c a s , fondée en i55(). Mais en m ê m e temps, on établit entre ccs autorités un système de surveillance réciproque q u i multipliait les conllits, on interdit toute union entre les gouvernants
et les g o u v e r n é s et on
exclut
les créoles de la gestion des intérêts publics. P o u r des motifs à la fois politiques et religieux,
toute communication
avec les étrangers était
interdite sous peine de châtiments sévères. A u c u n effort enfin n'était fait pour sortir les peuples de l'ignorance. Pendant trois siècles, l'activité des fonctionnaires espagnols avoir eu pour but unique
semble
de solutionner l e s différends q u i naissaient
constamment entre eux et les évêques ou entre ceux-ci et les assemblées locales. C e n'étaient qu'intrigues, dénonciations, bavardages de village. Les abus d'autorité restaient sans contrôle. Loin de favoriser l'essor de la forte race issue des métissages des Indiens avec les premiers
émigrants,
maures pour la plupart, les g o u v e r n e u r s et les colons espagnols furent en lutte
perpétuelle contre eux et leur volonté de refréner tout désir
d'indépendance de la part de ccs derniers devait finalement hâter l ' h e u r e de cette indépendance. C o m m e dans toutes les colonies espagnoles, l'influence des m i s s i o n naires fut considérable à la Plata. Les Jésuites s'adonnèrent principalement à l'évangélisation de ces régions. A u c o m m e n c e m e n t du x v i f siècle, ils établirent dans la p r o v i n c e d c la G u a y r a , surles bordsde l ' U r u g u a y , u n grand n o m b r e de réductions
ou villages d'où ils furent bientôt chassés
par l c s P a u l i s t e s et, en i G 3 5 , c o m m e n c è r e n t l'organisation de leur grande province des
Missions de l ' U r u g u a y et du P a r a n a . Ils constituèrent
ainsi un véritable r o y a u m e indépendant composé d ' u n e population exclusivement indigène et c o m p r e n a n t
trente-trois réductions. Mais ils
étaient détestés par les colons et le g o u v e r n e m e n t espagnol s'inquiéta à la fin de leur puissance. En 1760, un traité conclu entre l'Espagne et le P o r t u g a l , ayant aban-
NOTES
3I I
HISTORIQUES
donne à ce dernier le territoire des Jésuites, ceux-ci armèrent leurs Indiens et résistèrent avec acharnement à son exécution. Les
deux
gouvernements entreprirent alors contre les rebelles la guerre dite des Jésuites et finalement les missions restèrent au Portugal. L'expulsion de l'ordre en 1759 par Pombal et en 1767 par Charles III porta aux missions un coup fatal ; les Jésuites furent remplacés par des administrateurs civils et les réductions réparties entre les gouvernements
du
Paraguay et de Buenos Ayres. Quant au développement du commerce, il fut entravé d'une façon aussi systématique qu'absurde par les règlements imposés de très bonne heure p a r l a métropole. En I 5 8 I , un chargement de cuirs et de sucre étant parvenu en Espagne, les négociants de Séville, jaloux de leur monopole, protestèrent et obtinrent du Gouvernement que les produits des établissements de la Plata ne pussent être expédiés en Espagne que par le Pérou. Voici, en conséquence, la route qui était imposée au commerce du Nouveau Monde. Une ou deux fois par an, une flottille de bâtiments marchands escortés par des vaisseaux de guerre partait de Séville et faisait voile pour Porto Bello, port des Antilles. Là se tenait, après le débarquement, une sorte de foire où les produits de l'Amérique se rencontraient avec ceux de l'Europe. Après la foire, les marchandises destinées aux
colonies espagnoles étaient transportées par terre, à dos
d'homme ou de mulet, à Panama où elles étaient embarquées pour le Callao. D u Callao elles étaient dirigées à dos de mulet ou de lama, d'abord à Lima, puis à l'entrepôt de Polosi, enfin à Cordoba ou à Buenos Ayres. Les produits de Buenos A y r e s devaient gagner l'Espagne par la même voie. Certaines marchandises revenaient ainsi, par l'aggravation des frais de transport, à f)00 et même Coo fois leur valeur première ('). On conçoit que, sous un tel régime, la contrebande devînt une nécessité vitale et elle se pratiqua sur une large échelle. Le roi Charles III comprit toute l'absurdité du système et y remédia en partie en autorisant le commerce libre entre les colonies espagnoles, mais à la condition qu'elles ne consommassent que des produits espagnols. Celle mesure était malheureusement insuffisante à une époque
où l'industrie métropolitaine
appauvrie et ruinée ne pouvait subvenir aux exigences et aux besoins croissants de l'Amérique. ( ' ) F.
LATZINA. — IIEKRI
Géographie (le la République Argentine-,
TUROT.
introduction par E. Levasseur. 20
3oo
KOTES HISTORIQUES
La reforme fut complétée en 1778 (') par un règlement établissant le commerce libre entre la métropole et les colonies et supprimant toutes les entraves douanières qui l'avaient gêné jusqu'alors.
Le commerce
d'ailleurs restait fermé aux autres nations. Pour incomplète qu'elle fût, cette innovation marque le début d'une ère de prospérité dans la colonie de la Plata. Quinze années s'étaient à peine écoulées depuis sa mise en vigueur que la population de la seule province de Buenos A y r e s , qui comprenait alors les provinces actuelles de Buenos A y r e s , de Santa F é , d'Enlre-Hios, de Corrientes et de l'Uruguay, était passée de 37 000 à 170 000 habitants. Peu de temps après, la vice-royauté tout entière comprenait /ioGooo habitants, 20 fois plus qu'en 17/iA ! *
*
La dernière partie du xvn c siècle et une partie du xvm e furent marquées, au point de vue de l'histoire extérieure de la colonie, par les luttes qu'eurent à soutenir les Espagnols contre les invasions des Portugais établis au Brésil. Les deux peuples, en effet, malgré la ligne imaginaire tracée par le pape Alexandre VI et délimitant leurs possessions, n'étaient jamais parvenus à s'entendre au sujet des territoires leur appartenant. Maîtres du Brésil, les Portugais s'étaient toujours efforcés d'étendre leurs territoires du côté de la zone tempérée et de parvenir j u s q u ' a u x bords de la Plata. Nous avons déjà retracé les exploits des Paulistes et leurs conquêtes sur les territoires des missions. En 1692, les Portugais avaient fondé la forteresse de la Colonia de Sacramento en face de Buenos A y r e s , sur la rive opposée de la Plata, et de là ils passaient en contrebande les marchandises dont le gouvernement espagnol interdisait le trafic dans les conditions que nous avons signalées. L'Espagne protesta tout d'abord, mais, après bien des querelles, le traité de 1701 reconnut au Portugal la pleine souveraineté de la
Colonia
jusqu'à une portée de canon de son enceinte ;
le traité d'Utrecht en 1 7 1 5 confirma cette possession. La contrebande, cependant, ne faisant que s'accroître par cette voie, l'Espagne pensa que, pour couper court à ce commerce illicite, le meilleur moyen était d'échanger la Colonia contre quelque autre portion du ( ' ) E n 1 7 7 6 , la Plata avait été d é t a c h é e d u P é r o u et était d e v e n u e à son t o u r u n e v i c e - r o y a u t é avec B u e n o s A y r e s p o u r capitale.
NOTES
3I I
HISTORIQUES
Icrritoirc. Ignorante de la valeur (les contrées qu'elle abandonnait,
elle
céda au Portugal tout le territoire compris entre la Sierra do Herval, l ' U r u g u a y et l ' i b i c u y et la possession du Haut Paraguay ( 1 7 5 0 ) . C'était, c o m m e l'écrivait alors Mably, « fermer une fenêtre pour se garantir des voleurs et ouvrir toutes les portes ». La contrebande, en clfet, devenait plus facile le long des rives du Haut P a r a g u a y , d u P a r a n á et de l ' U r u guay qu'elle ne l'était même à la Colonia. Nous avons vu c o m m e n t les Jésuites établis dans ces régions s'opposèrent à l'exécution du traité, et y furent contraints par la force. D e u x ans plus lard, d'ailleurs, les deux puissances 11'ayant pu s'entendre pour la délimitation des frontières cl le traité ayant été très attaqué à Madrid et à Lisbonne, les deux gouvernements finirent par l'annuler. Le Pacte de famille
amena une nouvelle guerre dans le sud du Brésil
c i e n 17G1 les Espagnols s'emparèrent à nouveau de la C o l o n i a ; ils durent la restituer au traité de Paris en I 7 6 3 . Les rives du Bio Grande do S u l sur lesquelles ils s'étaient établis en m ê m e temps, furent occupées à nouveau par les Portugais en 17G7. Pendant toute la période qui va de 1 7 7 a à 1 7 7 7 , les Portugais et les Espagnols 11c cessèrent pas de combattre pour la possession du fameux établissement. Les deux pays envoyèrent des escadres et de véritables armées. Le traité de Sainte-lldefonse reconnut enlin à l'Espagne la p o s session de Colonia, mais elle renonçait en même temps à ses prétentions sur Bio Grande do S11I ainsi que sur presque tous les territoires occupés par les Brésiliens à l'Ouest de la ligne fixée par le traité de Tordesillas.
*
•
Les événements politiques qui suivirent la Révolution française eurent, c o m m e partout leur répercussion sur la colonie espagnole. Le Portugal, allié tout d'abord avec l'Espagne contre la France, mais dominé par l'influence anglaise, avait abandonné son alliée et la guerre s'ensuivit entre les deux couronnes. Poursuivant toujours la réalisation de leurs vues
séculaires, les Portugais entreprirent la conquête des
missions
orientales. Ils 11e trouvèrent qu'une faible résistance cl, en quelques mois, ils avaient conquis le territoire convoité. 11 comprenait les missions espagnoles de la rive gauche de l ' U r u g u a y et loule la partie occidentale du Rio Grande do S u l , au nord du Q u a r a h i m . (6 j u i n
Les traités de
Badajoz
1801) et d ' A m i e n s (25 mars 1802) consacrèrent définitivement
la perte faite ainsi par l'Espagne.
3oo
KOTES HISTORIQUES
En 180G, les Anglais qui portaient leurs armes contre les colonies de tous les pays alliés de Napoléon, décidèrent de s'emparer de Buenos A y r c s . Commandés par Beresford, ils débarquèrent au nombre d'environ 1 600 et grâce à l'ineptie et à la lâcheté du vice-roi Sobremonte qui ne sut leur opposer aucune résistance, occupèrent la ville presque sans coup férir. C'est alors que se distingua un officier français au service de l'Espagne, Jacques de Liniers. En quelques j o u r s , Liniers réunit une petite troupe de 700 hommes qu'il électrise par son éloquence et sa bravoure et se présante devant la ville. « Général, écrit-il alors à Beresford, il y a plus d'un mois, Votre Excellence est entrée dans cette capitale. V o u s avez attaqué avec de faibles troupes une population immense à laquelle a manqué la direction pour s'opposer à vos projets. Aujourd'hui, pleine d'enthousiasme,
elle
secoue un j o u g odieux et me fait vous adresser cet avis. Quinze minutes vous sont accordées pour prendre le parti ou d'exposer votre garnison à une entière destruction ou de vous livrer à la discrétion d'un ennemi généreux. » Beresford, surpris et irrité de cette audacieuse sommation, la repoussa et immédiatement la lutte commença. Elle se poursuivit jusqu'au soir avec acharnement et les Anglais durent enfin se résoudre à déposer les armes. Leur triomphe passager leur avait coûté 4oo hommes et 5 officiers tués, 2G canons, leurs drapeaux et pour i 5 millions de butin (12 août 1806). L'année suivante, désireux de venger cet échec, ils reparurent devant la ville avec une véritable armée. Mais à la suite du coup de main de Beresford, des milices s'étaient organisées. Liniers, d'ailleurs, n'avait pas quitté la place et dirigeait la résistance.
Les portes des maisons
étaient barricadées, les rues coupées de fossés profonds ; des canons placés sur les relèvements écrasaient les colonnes anglaises et, dans leurs demeures, les habitants avaient fait de véritables forteresses. Les Anglais perdirent h 000 hommes dans celle mémorable journée et durent subir les conditions des vainqueurs. Liniers fut nommé vice-roi, gouverneur et capitaine général des provinces du Rio de la Plata. La Plata échappa ainsi à l'occupation des Anglais et la résistance de Liniers détruisit à jamais l'espoir qu'ils avaient peut-être entrevu de reconstituerdans le Sud l'empire qu'ils venaient de perdre dans l'Amérique du Nord. Mais déjà les symptômes précurseurs de la révolte contre la métropole apparaissent et, délivrés du souci des invasions étrangères, les habitants de la Plata vont désormais lutter pour secouer le j o u g de l'Espagne et conquérir par les armes leur indépendance.
NOTES
3I I
HISTORIQUES
III Pendant la durée de l'époque coloniale, l'influence du milieu autant que le mélange avec d'autres races avaient modifié le type espagnol primitif, et donné naissance au créole. Or les créoles, aussi bien que les gauchos errants de la pampa, avaient tous à un égal degré l'amour du sol natal et ne supportaient qu'avec peine les fonctionnaires espagnols qui les gouvernaient. Dès la fin du x v i n ' siècle, on pouvait déjà constater un antagonisme marqué entre les deux sortes d'occupants. Durant la lutte contre les Anglais, les créoles, sans secours de la métropole, avaient supporté tout le poids de la défense, mais, ainsi, ils avaient pris conscience de leurs forces et s'étaient persuadés qu'ils pouvaient désormais se passer de protecteur. A cette époque d'ailleurs, l'Espagne était momentanément envahie par Napoléon et la couronne de Ferdinand VII passait sur la tète du frère de l'empereur. C e fut le dernier coup porté au prestige de la vieille conquérante et de tous côtés des mouvements se produisirent, précurseurs de la Révolution. Les provinciaux d'Espagne, secouant le j o u g du clergé et de la camarilla, avaient recommencé, à l'avènement du
roi
Joseph,
frère
de
Napoléon, à prendre part à la vie politique; ils avaient formé des juntes provinciales
puis une junte centrale
et, s'ils étaient
restés fidèles à
Ferdinand l'Idolâtré, ils étaient avides de secouer le j o u g d'un absolutisme étroit qui depuis si longtemps les écrasait. Le 1 4 février 1810, la junte de Séville avait lancé une proclamation aux Hispano-Américains
poul-
ies engager à s'organiser eux-mêmes, qui contient ces mots : « Américains, en ce moment, vous vous voyez élevés à la haute dignité d'hommes libres. Dès ce j o u r vous n'êtes plus les mêmes, courbés sous le joug, regardés avec indifférence, tourmentés par la cupidité, maintenus par l'ignorance ; votre sort ne dépend plus ni des ministres, ni des vices-rois, ni des gouverneurs. Il est dans vos mains. » Cette proclamation allait servir de point d'appui à la Révolution. La Plata était alors gouvernée par le vice-roi Cisneros qui avait remplacé Liniers. Cisneros essaya de provoquer la formation d'une j u n t e , composée à la fois d'Espagnols et de créoles et chargée de représenter la métropole. Il réussit, en effet, tout d'abord à faire nommer par la municipalité (Cabildo) une j u n t e composée d'une majorité espagnole dont il fut nommé président. Mais le peuple de Buenos A y r e s , mécontent, contraignit le vice-roi à
3oo
KOTES HISTORIQUES
donner sa démission ctclut une nouvelle junte composée d e « natifs ». La Révolution était faite (25 mai 1810). Immédiatement,
d'ailleurs, l'Assemblée
déclara
que son
pouvoir
s'étendrait sur tout le pays afin de permettre aux autres provinces de nommer librement leurs représentants avec le concours desquels devait être déterminée la forme définitive du Gouvernement. Elle reconnaissait, en attendant, n'exercer le pouvoir qu'au 110111 de Ferdinand VII. C'étaient là, 011 le conçoit, ménagements purement verbaux et les Espagnols tentèrent de ressaisir la domination qui leur échappait. De Liniers qui, par loyalisme, était revenu d'Espagne et s'était mis à la tète des conservateurs espagnols essaya en vain de lutter ; il fut bientôt abandonné par les siens, fait prisonnier et passé par les armes. La résistance des Espagnols en Argentine dura peu de temps et en 1 8 1 5 elle était terminée sans qu'on ait eu à déplorer les excès qui signalèrent au Vénézuélaet à la Nouvelle-Grenade la lutte pour l'émancipation. Mais les Espagnols du Chili et du Pérou tinrent tète à la Révolution. Lima était le centre de la réaction et c'est de là que partirent les armées destinées à triompher des séparatistes. Tandis qu'elles s'avançaient vers le Haut Pérou, aujourd'hui la Bolivie, le gouvernement de Buenos Ayres envoyait en sens inverse des expéditions chargées de les rejeter vers le Nord. Une première victoire fut remportée par le général révolutionnaire Balzarce à Suipacha en 1810 et ce dernier, appuyé par le soulèvement du pays, s'avança jusqu'au Bio Desaguadero ; mais bientôt il se faisait battre complètement à lluaqui. Bclgrano lui succéda et fut assez heureux pour triompher à Tticuman et à Salta et repousser vers le Nord les troupes royalistes : mais comme il s'efforçait de reconquérir les intendances du Haut Pérou perdues à la suite de la défaite d'Huaqui, il fut vaincu et obligé de rétrograder. En 1 8 1 5 , le général Bondeau tenta encore une fois de repousser les troupes
royalistes
qui
s'étaient avancées jusqu'à Salta,
mais
après
quelques avantages partiels, il subit à Sipe-Sipe un véritable désastre. Les trois expéditions envoyées par le gouvernement de Buenos Ayres vers le Haut Pérou avaient donc échoué puisque toutes trois avaient du évacuer le territoire disjmlé ; l'illustre général San Martin devait être plus heureux, et, par ses succès, assurer le triomphe définitif. Convaincu de l'impossibilité d'arriver jusqu'à Lima par la voie du Haut
Pérou,
il résolut de se diriger d'abord vers le Chili, d'en chasser les Espagnols qui avaient momentanément triomphé et, après avoir fait alliance avec le Chili, de débarquer au Pérou.
NOTES
HISTORIQUES
3I I
Ainsi fit-il. Par ses soins une armée peu nombreuse, mais bien équipée et disciplinée, se forma à Mendoza sur le versant même des Andes, franchit la Haute-Cordilière et alla surprendre le président du Chili,
Mario
del Pont. Continuant sa route vers Santiago, San Martin anéantit les troupes adverses dans la
mémorable
bataille de Chacabuco (février
1817). Le Chili était délivré et l'année suivante son indépendance
était
proclamée après la destruction dans les plaines de Maipu de la dernière
formé
le
royaume
^^fiëMfcj
de
Colombie. A v e c une abnégation admirable, San
Simon
BOLIVAR.
Martin abandonne à son illustre émule la gloire de terminer la guerre de l'Indépendance. A la fin de 1824, une armée composée de Colombiens, de Péruviens, de C h i liens et d'Argentins sous les ordres du général Sucre, lieutenant de Bolivar, remportait à Ayacucho une victoire définitive et le vice-roi la Scrna était fait prisonnier ('). L a guerre de l'Indépendance était terminée. Pendant la lutte, les intendances du Haut Pérou si souvent témoins des rencontres entre les deux partis, s'étaient détachées des Provinces unies, ainsi qu'on appelait alors la République Argentine, et, après la victoire, se constituèrent en république indépendante qui prit le nom de Bolivie. Bolivar en fut nommé président et Sucre désigné comme vice-président.
( ' ) LATZINA. — Op.
cit. A p e r ç u h i s t o r i q u e par J . B i d a u .
3oo
KOTES HISTORIQUES
Quant au Paraguay, il ne prit aucune part au mouvement d'émancipation et en i 8 t i repoussa le général Helgrano accouru pour imposer la révolution. A la suite d'un pronunciamiento une junte prononça l'indépendance à l'égard de l'Espagne et aussi de l'Etat Argentin. Un sombre maniaque, le D r Francia, se fit décerner pour trois ans (181/1), puis à vie, la d i c t a t u r e
qu'il
exerça dans toute sa rigueur et isola sys^«ewr^,^
tématiquementlcPa-
J É F ^
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une suite ininterrompue de troubles qui retardèrent singulière-
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SUCRE.
M
E
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J E G
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S
D
C
la nouvelle nation. En 1813, une première assemblée nationale s'était réunie qui s'appropria et tenta de mettre en pratique les grands principes de la Révolution française. Elle abolit l'esclavage, proclama la pleine liberté de la pensée et l'égalité pour tous les habitants sans exception. En même temps, elle s'efforçait de poser les hases définitives d'une organisation politique véritablement nationale, en supprimant le régime anarchique des juntes provinciales. L e pouvoir exécutif était confié à un Directoire suprême et D . Gervadio Posadas était nommé directeur. Mais l'Argentine, si longtemps soumise au j o u g espagnol, n'était pas
NOTES
3I I
HISTORIQUES
prête encore pour une telle réforme et la
constitution
déchaîna la révolte.
Dès ce m o m e n t on aperçoit nettement la première formation de deux partis dont les luttes vont agiter l'histoire de ce pays : d ' u n côté
les
fédéraux, de l'autre les unitaires. Les fédéraux étaient en réalité les champions de l'idée et du régime féodal, encore que ce régime n'eût pas été importé par les Espagnols. C ' e s t qu'en effet, clans l ' i m m e n s e étendue du
territoire argentin, les
villes fort éloignées les unes des autres, se suffisant presque à elles-mêmes, avaient chacune c o m m e une
individualité propre dont elles
étaient
jalouses et affirmaient hautement leur volonté de se soustraire à toute direction étrangère, cette direction dût-elle v e n i r d ' u n p o u v o i r à la formation d u q u e l elles auraient participé. Ces revendications d'autonomie à outrance trouvaient leur plus solide appui parmi ces chefs de famille q u ' o n appelait les caudillos,
et qui pendant la période de la colonisation
étaient parvenus à exercer une sorte de protectorat local sur les familles qui les entouraient. Si la masse des habitants se laissait volontiers guider par des considérations de clocher, les caudillos, e u x , savaient que l'unité nationale amènerait la fin de leur autorité et ils défendirent leurs prérogatives avec une suprême énergie ('). Il serait vain de vouloir retracer ces luttes. triomphent et imposent un statut provisoire
En I 8 I 5 , les fédéraux
qui consacre leurs doctrines.
D è s 1 8 1 6 , au congrès de T u c u m a n , les unitaires faisaient prévaloir une constitution contraire. C'était le temps o ù les armées
révolutionnaires
échouaient dans le Haut P é r o u , où les Espagnols faisaient les tentatives les plus énergiques pour reconquérir la suprématie et l'on est surpris vraiment que l'Argentine ait p u échapper sans vicissitudes
diverses qui
C o n g r è s et le Directoire
l'assaillirent dès
en mourir à tant
de
sa naissance. E n 1820, le
tombaient et leur chute fut le signal d'une
période d'agitation convulsive, d'anarchie et de décomposition connue dans l'histoire argentine sous le n o m de l'an 20. A u moins cette douloureuse crise assura-t-ellc une période de calme ; mais elle marqua
aussi,
pour un temps, le triomphe des fédéraux et le pays fut divisé en provinces,
toutes
animées
du
m ê m e esprit de
jalouse
i/j
autonomie.
A v e c l'établissement des g o u v e r n e m e n t s provinciaux c o m m e n c e p o u r la province d e B u e n o s A y r e s le début d ' u n e période de progrès considérables sous l'administration du général Rodriguez aidé dans sa tâche par le meilleur administrateur qu'ait eu la République, Bernardino llivadavia. D a n s
( ' ) DAIREAUX. — Op.
cit.
3oo
KOTES HISTORIQUES
l'espace de trois ans, une foule de grandes reformes furent réalisées ou entreprises. On créa l'Université de Buenos A y r e s q u i , pour la première fois, y centralisait l'instruction; on fonda la banque d'escompte; des améliorations furent introduites dans la ville; on fit venir d'Europe des cabinets de physique et de chimie ; on introduisit des moutons de race mérinos et des chevaux frisons ; on étudia le projet du port de Buenos A y r e s ; on institua la société de bienfaisance qui confiait aux femmes le soin des orphelins, des enfants abandonnés et leur donnait la garde de l'hôpital des femmes ; on augmenta le nombre des écoles aussi bien dans la ville que dans les campagnes ; les industries naissantes furent protégées, l'administration
régularisée et l'on élablit la publicité des
comptes; la liberté de la presse fut garantie; on fit des lois sur l'inviolabilité des personnes et du domicile ; on promulgua la loi de l'oubli qui jetait un voile sur les discordes du passé ; en un mot, on ne négligea - rien pour élever Buenos Ayres à la hauteur de la civilisation contemporaine ('). Mais, dans les autres provinces, les rivalités perpétuèrent les luttes civiles et c'est seulement en 1826 que fut promulguée, malgré l'opposition de quelques provinces, une constitution unitaire avec Rivadavia comme président de la République Argentine. A ce moment éclata avec le Brésil une guerre motivée par la situation particulière où se trouvait la Banda Orientale. Après la prise de Montevideo par les Argentins en 181/1, un chef très populaire parmi les gauchos, Arligas, qui avait tout d'abord contribué au triomphe de l'armée révolutionnaire, s'était soulevé contre le gouvernement de Buenos Ayres et s'était déclaré le « protecteur » d'une Confédération comprenant la Banda Orientale, l'Entre-Rios, le Corrientes et les provinces de l'Uruguay. Les Portugais, fidèles à leur politique immuable, n'avaient pas négligé cette occasion de s'immiscer dans les affaires de la Banda orientale et, après sept ans de lutte acharnée, avaient réussi, grâce aux dissentions argentines, à annexer à leurs possessions toute' cette contrée. Le 3o juillet 1821, la Banda Orientale s'était unie par fédération au royaume du Brésil, prenant le nom d'État Cisplatin. Orientaux, rattachés par les mœurs, la langue et
Mais les
l'origine commune
aux provinces unies, supportaient malaisément la domination brésilienne et en
1825
une révolution préparée à Buenos A y r e s par Lavalleja
éclata dans la Banda Orientale. Les Brésiliens furent battus dans une
(')
LATZINA. —
Loc.
cit.
NOTES
3I I
HISTORIQUES
série de rencontres et bientôt réduits aux places de Montevideo et de Colonia. A ce moment,
le Congrès national se réunissait à Buenos
A y r c s et le gouvernement provisoire de la Banda Orientale envoyait deux députés. Le Congrès les reçut en déclarant le pays qui les
envoyait
admis au sein de la République. Le gouvernement brésilien opposa une résistance énergique et
Dom
Pedro déclara qu'il perd r a i t p l u t ô t sa c o u ronne que de renoncer à cette province. Les
pagne. Après une série
vention
du
27 apôt
^^^^
1828 conclue sous la médiation 1
.
de 1
,•>
^ )
l'An,
. 1
gleterre: leliresil et la
D o n J u a n M a n u e l do ROSAS.
République Argentine renoncèrent à la province qu'ils se disputaient et y créèrent la République orientale de l'Uruguay. Tandis que se déroulaient ces événements, fédéraux et unitaires n'avaient pas désarmé. Rivadavia tombe ( 1 8 2 7 ) 0 ! est remplacé p a r l e colonel Dorrego, chef des fédérés. A son tour, ce dernier est renversé par le général Lavalle, unitaire, puis arrêté et passé par les armes. La mort de Dorrego excita
une fureur inexprimable dans le parti
fédéral. La guerre civile éclata avec une violence inouïe et se termina par le triomphe complet des fédéraux ; une réaction violente se fit contre les unitaires dans toutes les provinces.
3oo
KOTES HISTORIQUES
C'est alors qu'apparaît clans l'histoire de l'Argentine le despote furieux qui pendant plus de 20 ans va faire peser sur ce malheureux pays le poids de son autorité brutale et sanguinaire et mériter le surnom de Caligula de
l'Amérique
du S u d . Il s'appelait Don Jean Manuel de
Rosas. llosas était né en 1793 à Buenos Ayres, mais avait passé sa vie parmi les gauchos sur lesquels il avait acquis une influence considérable. Lors des troubles qui suivirent la mort de Dorrego, il avait joué un rôle prépondérant et avait été le véritable vainqueur des unitaires. Reconnaissants, les fédéraux l'avaient nommé, à la fin de 1829, gouverneur de la province de Buenos A y r e s , en le déclarant le restaurateur des lois et des institutions de la province. Sa magistrature expirée, il continua à exercer le pouvoir sous le nom du général Balcara nommé gouverneur à son tour, puis du général Valmont. Enfin, en 1835, il se fit nommer dictateur pour cinq années, avec la somme des pouvoirs publics (suma del poder publico). Bientôt tout plie sous sa loi. Bien qu'il fût seulement gouverneur de Buenos A y r e s chargé des affaires extérieures de la confédération, son influence s'étend sur toutes les provinces sans que jamais ses lieutenants osent lui résister. Appuyé par le peuple des campagnes, c'est-à-dire par la partie demi-barbare de la population, il emprisonne ses ennemis, confisque leurs biens, et ne recule pas devant l'assassinat. Sa seule formule de gouvernement est « Mueran los salvajes unitarios » (mort aux sauvages unitaires) ; mais en réalité il n'existe ptlus pour lui d'unitaires ni de fédéraux, il y a les ennemis du dictateur et ceux qui le soutiennent. Quelques soulèvements éclatent à Buenos Ayres, dans le Corrientes,
dans l'Entre-Bios ( i 8 3 g ) ; ils sont noyés dans le sang. Partout,
Bosas inaugure un régime de terreur et l'histoire intérieure de l'Argentine pendant vingt ans ne serait que le récit d'attentats inouïs et de vengeances impitoyables. Jusqu'à lui, sous tous les régimes qui s'étaient succédé depuis 1810, qu'ils fussent unitaires ou fédéraux, et dans les périodes même les plus troublées, les Argentins de tous les partis avaient toujours eu le respect des biens et de la personne des étrangers. Ils avaient compris que la fortune du pays était intimement liée à l'immigration et que jamais l'étranger ne devait avoir à souffrir des luttes intestines. Bosas fut le seul qui, par sa morgue brutale, manqua à cette tradition heureusement reprise après lui, et toute la période de sa dictature est remplie par les luttes qu'il eut à soutenir contre les pays étrangers. Soucieux de se poser en défenseur
3ooK O T E SHISTORIQUES
des droits des pays sud-américains, il invente l'américanisme, sacrifiant la justice et le bon sens à u n patriotisme étroit et exclusif, le seul
que
comprenaient alors les masses ignorantes dont il était le représentant. P a r application de sa théorie, il emprisonne injustement en i 8 3 8 quelques Français et, malgré les représentations du gouvernement de L o u i s Philippe, refuse de les mettre en liberté. Ces vexations contraignirent la France à envoyer une première escadre sur les côtes de Buenos A y r e s , au secours du général Lavalle qui tenait dans Montevideo, alors le dernier rempart des unitaires. Mais Lavalle se fit battre par le général Oribe qui, appuyé par Rosas, prétendait à la présidence de la Banda Orientale et, en
18/jo, l'amiral français, après
avoir signé la paix avec Rosas, abandonnait Montevideo à ses propres forces. La guerre entre les amis et les adversaires du dictateur continua. Mais c o m m e , en i8/|5, elle se rapprochait de la Banda Orientale, les ministres de F r a n c e et d'Angleterre menacèrent Rosas de s'y opposer par la force. Celui-ci n ' e n tint compte et, sur son ordre, Oribe franchit l ' U r u g u a y et vint mettre le siège devant Montevideo. Les gouvernements
anglais et
français intervinrent alors pour imposer la paix et les Hottes des deux pays établirent le blocus de Buenos A y r e s pendant que des troupes de débarquement apportaient des renforts à Montevideo. Rosas ne se laissa pas intimider. S o m m é de laisser libre la navigation
du Parana, il s'y
refusa et la Hotte anglo-française dut l'y contraindre par la force (victoire d'Obligado). Cette intervention d'ailleurs fut assez inelficace et l ' A n g l e terre voyant qu'elle n'arrivait à aucun résultat traita avec Rosas et retira son escadre. L'amiral français Leprédour
continua le blocus j u s q u ' e n
18/18 ; mais à partir de cette date la F r a n c e se borna à allouer au gouvernement de Montevideo une subvention qui fut bientôt diminuée, puis supprimée en 1800. Cependant Montevideo résistait toujours malgré les efforts du général Oribe aux ordres de Rosas. C'est alors que le général Urquiza, gouverneur d'Entre-Rios, se mit d'accord avec les principaux chefs de l'armée assiégeante, traversa l ' U r u g u a y et força Oribe à se retirer. P e u de temps après, Urquiza obtenait l'appui de l'Etat de
Corrientes et des troupes
brésiliennes, marchait sur Buenos A y r e s à la tête d'une armée de 2 4 000 h o m m e s et anéantissait à Monte Caseros les troupes du dictateur ( 1 8 5 2 ) . C ' e n était fini de l'odieuse tyrannie et Rosas, abandonné de réfugia en Angleterre.
tous, se
3i8
\0TE8
HISTORIQUES
IV
La clinic (le Rosas ouvre une ère nouvelle pour la République Argentine. Cependant le pays ne fut réellement apaisé que dix ans plus tard. Les gouvernements des provinces du littoral, conformément à un traité passé entre elles en i 8 3 i , envoyèrent des plénipotentiaires qui devaient composer la commission représentative chargée d'établir les bases de la confédération argentine. Celle commission décida la réunion d'un Congrès constituant à raison de deux députés par province, l'abolition des douanes provinciales, la liberté de navigation des rivières, etc... Enfin, le général Urquiza, nommé dictateur provisoire de la nation, était chargé des relations extérieures cl devait presser et faciliter la réunion du Congrès national fixé au mois d'août i 8 5 a . Ces dispositions
mécontentèrent vivement les lluenos Ayricns. La
représentation de leur province par deux députés leur paraissait insuffisante et l'abolition des douanes provinciales portait une grave atteinte à leur monopole commercial. Ils se mirent en révolte ouverte contre le nouveau pouvoir et refusèrent de participer au Congrès national réuni à Santa Fé, cl qui, le I er mai 1853, promulgua la constitution de la Confédération argentine. Treize provinces ayant adhéré, Buenos A y r c s se trouva ainsi séparée du reste de la nation. Urquiza transporta le siège du gouvernement à Parana, déclarée capitale provisoire. Buenos A y r e s prit les armes et se donna une constitution. Elle réussit même tout d'abord à repousser les troupes envoyées contre elle et en 185/i une convention signée entre la Confédération et la province dissidente, tout en maintenant faiblement le lien national, consacrait en fait la séparation momentanée. Mais la situation entre les deux pouvoirs restait toujours tendue. En 180G, le Congrès frappe de droits différentiels élevés tous les objets d'importation venus d'outre-mer et qui auraient touché dans les ports autres que ceux de la Confédération en dedans des caps Ste-Marie et StAntoine ; le commerce direct avec l'Europe et les ports du Brésil et de l'Amérique du Nord s'établit alors dans les ports principaux du Parana et de l'Uruguay, au grand détriment de Buenos Ayres. Bientôt, la rupture est de nouveau complète entre la Confédération et la province, le général Urquiza en tre en campagne et, après la victoire de Cépéda, marche sur Buenos A y r c s . Les dissidents effrayés demandent la paix, qui signée à San José de Florès (novembre 1859).
est
3ooK O T E SHISTORIQUES
B u e n o s A y r e s était rentrée dans le sein de l a Confédération A r g e n t i n e à la condition d'accepter la constitution de i 8 5 3 après réforme. L e s réformes proposées furent examinées au C o n g r è s de Santa F é et acceptées par les d e u x partis. L ' a c c o r d ne fut que temporaire. L ' a n n é e s u i vante, lors de la huitième session du C o n g r è s législatif ordinaire, la p r o vince de Buenos A y r e s
ayant procédé à la nomination de ses députés
c o n f o r m é m e n t à la loi provinciale cl n o n à la loi fédérale, l'élection de ses représentants fut considérée c o m m e illégale cl ils durent se retirer. C e fut le signal de nouvelles hostilités dont
le principal épisode f u t la
bataille douteuse de P a v o n en i8('n . L ' u n i o n se refit de nouveau en 18G2 c l celle fois définitivement, sous la sage direction du général Mitre, le véritable apôtre de l'union et de l'unité argentine, n o m m é , le a5 octobre, président de la République. A dater de l'Argentine
18G2, l'ère des guerres civiles est définitivement close et entre dans la voie des progrès décisifs. « La République
A r g e n t i n e , déclarait le général Mitre au C o n g r è s , déchirée, expirante, après 5 o années de malheurs, s'est enfin relevée de la poussière sanglante de la guerre civile, plus j e u n e et plus vigoureuse que j a m a i s , avec tous les éléments de vie cl de pouvoir qui lui sont nécessaires pour rendre son nom glorieux, faire le b o n h e u r de tous ses fils cl de tous ceux qui viendront habiter ce sol avec nous. » P e n d a n t les quatre années de sa présidence, Mitre sut assurer, par une série de mesures, la prospérité générale du p a y s ; les c h e m i n s de fer se construisent ; l'agriculture, le c o m m e r c e , l'industrie prennent u n essor inconnu jusqu'alors. Malheureusement, ces progrès furent u n m o m e n t retardés par la guerre contre le P a r a g u a y . C e p a y s était alors sous les ordres d u dictateur Solano Lopez et ce dernier nourrissait le projet d'agrandir son pays aux dépens de l ' A r g e n t i n e , par la conquête du Corrientes, de l'Entre-Rios et de l'Ile de Martin Garcia, qui domine l'entrée du Parana et de l ' U r u g u a y . E n 186/i, les P a r a g u a y e n s , sans déclaration de guerre, s'étaient emparés de deux canonnières argentines et avaient envahi le
Corrientes.
Le
Brésil, l'Argentine, l ' U r u g u a y formèrent alors une triple alliance et c o m mencèrent les hostilités. Mitre eut le c o m m a n d e m e n t général pendant les premières années. L e g o u v e r n e m e n t central, d'ailleurs, fut mal secondé par les gouverneurs des provinces, car tous ceux qui tenaient encore pour
le fédéralisme espéraient que la victoire de Lopez amènerait le
triomphe de leur parti. A p r è s plusieurs années de luttes acharnées qui coûtèrent au P a r a g u a y plus de 8 0 0 0 0 h o m m e s tués, blessés ou prisonniers, la paix fut signée à A s u n c i o n le 9 j a n v i e r 1 8 7 2 . La question des
3oo
KOTES HISTORIQUES
limites entre les deux pays devait être définitivement tranchée quelques années après, en 1870. Le général Mitre eut comme successeurs M. Sarmienlo, « un grand éducationniste.un des hommes de l'Amérique du Sud les mieux préparés pour le pouvoir et pour diriger l'éducation politique d'un peuple jeune », puis le D r Avellaneda, 1874-1880, qui tous deux poursuivirent avec autorité l'œuvre de progrès commencée en 18G2. L'événement saillant de cette période est la soumission définitive des Indiens par le général Roca, nommé ministre de la guerre, en 1879. A plusieurs reprises, notamment en 1823, puis dans les premières années delà dictature deRosas,des expéditions avaient été entreprises contre les tribus qui peuplaient la pampa et se livraient à des incursions c o n tinuelles contre les propriétés privées. En 1875, ces incursions, à la suite de la politique d'expropriation adoptée par le gouvernement argentin à leur égard, avaient pris un caractère de fréquence et de gravité exceptionnelles. Les Indiens affirmaient hautement leur droit de conserver les territoires occupés par eux et que le gouvernement argentin considérait au contraire comme « res nullius » ; toute la pampa s'était déclarée en état de révolte ouverte. Un plan vigoureux d'attaque fut conçu et, après cinq ans de luttes, les Indiens furent définitivement soumis. Quarante millions d'hectares de terres de premier ordre furent ainsi acquis à la civilisation. L'année 1880 marque un événement d'une importance considérable dans l'histoire de l'Argentine : la reconnaissance de Buenos Ayres comme capitale de la Confédération. Tout en s'unissant, après la tentative de sécession de 1862, à la Confédération argentine, les Buenos Ayriens avaient adopté comme politique de conserver le siège effectif des autorités nationales dans leur ville, mais sans en aliéner l'autonomie, en la maintenant sous leur autorité provinciale, s'opposant également à ce qu'elle devînt capitale, et à ce que ce titre avec des prérogatives passât à une autre ville de la République ('). Les autres provinces,
d'ailleurs,
loin de chercher à lui imposer cet honneur, étaient prêtes à se liguer pour lui interdire de le conquérir. Les présidents qui s'étaient succédé avaient toujours laissé sans solution cette question du choix d'une capitale, qui était celle qui divisait le plus les partis. Mais elle se posa avec une acuité particulière en 1880. A cette époque le général Roca revenait triomphant de sa brillante ( ' ) DAIKEAUX. —
Op cit.,
p.
3a5.
3ooKOTESHISTORIQUES
campagne contre les Indiens et il semblait tout naturellement désigné pour succéder au D r Avellaneda dont les pouvoirs venaient de prendre lin. L'opposition cependant fut des plus vives et la lutte électorale
so
transforma en véritable guerre civile. A u moins l'unité nationale sortitelle de la tourmente et la capitale de la province de Buenos Ayres se transforma en capitale de la nation. Ce dernier acte consacrait définitivement l'unité nationale. Le général Roca dont la devise fut « paz y t r a b a j o » , paix cl travail, continuant l'œuvre de ses illustres
prédécesseurs, appliqua ses efforts
à améliorer la justice, à répandre l'instruction et à développer les moyens de communication el les travaux publics. 11 fut remplacé, en 1886, par le D r Juárez Celman. C e s ! pendant l'administration de ce dernier qu'éclata, au moment où la prospérité du pays semblait avoir atleinl son plein épanouissement, une crise économique qui dura plus de dix années el accumula des ruines nombreuses. La mise en Valeur des énormes superficies de terrains disponibles, les fonds destinés à créer un outillage public indispensable avaient nécessité des capitaux considérables qui n'avaient pu être réalisés que par des emprunts intérieurs et extérieurs. De tous côtés des banques se fondèrent pour satisfaire à ces besoins nouveaux, mais l'immobilisation des capitaux tout d'abord improductifs et le laux élevé des premiers emprunts amenèrent bientôt une gêne générale. L'agiolage vint aggraver la situation et les coups de fortune inouïs qui eurent lieu alors créèrent des habitudes de gaspillage tel que bientôt la balance commerciale accusa un énorme déficit : en 1889 ce dernier atteignit 372 millions de francs, ce qui représentait, par habitant, 25o francs d'importation contre
i35
francs d'exportation. P o u r comble de malheur, le pays eut à subir de mauvaises récoltes ; 'le krach inévitable survint el ce fut un désastre général. Les banques arrêtèrent brusquement tout crédit, entraînant ainsi la ruine de toutes les entreprises factices basées sur la spéculation pure et la faillite d'un grand nombre de banques secondaires et de sociétés anonymes diverses. Le gouvernement ne pouvant plus faire face à ses engagements fut obligé de demander à ses créanciers des délais de paiement ('). Le président Celman fut rendu responsable d'une situation que cependant il n'avait pas créée et bientôt une révolution (') L'évolution économique de la République Argentine, par
éclata. Au mois de
A . P A V L O V S K T ( M é m o i r e s et d o c u -
ments du Musée Social). HENRI
TUROT.
3 1
3oo
KOTES HISTORIQUES
juillet 1890, Roca, depuis quelque temps revenu d'Europe, négocia la soumission des insurgés et la retraite de C e l m a n . Le nouveau président fut M, Pellegrini. A cette époque faillit éclater entre le Chili et la République A r g e n t i n e une guerre qui eût été désastreuse pour les deux pays. Depuis longtemps, en effet, un désaccord existait sur la ligne exacte des frontières à travers la Cordillère des A n d e s et les régions incultes de la Patagonie et de la Terre de F e u . L e s représentants des deux nations avaient pu jusqu'ici éviter les conflits et, en 1881, un traité avait même été signé qui semblait mettre fin à toutes les difficultés. Mais la vieille dispute reprit quelques années plus tard et arriva bientôt à un degré d'acuité tel que la guerre sembla inévitable. O n s'y prépara
fiévreusement.
Bientôt l ' A r g e n -
tine eut u n e flotte formidable et put mettre i 5 o o o o h o m m e s sur le pied de guerre. Les dépenses ainsi engagées aggravèrent encore la crise intérieure dans laquelle elle se débattait. Heureusement la sagesse des deuxprésidents, M . Roca gui venait d'être élu p o u r la seconde fois et M. Errasuliz, président du Chili, écarta le désastre. Une convention fut signée aux termes de laquelle les deux pays soumettaient les questions litigieuses à l'arbitrage du roi d ' A n g l e t e r r e ; la sentence fut rendue le 20 n o v e m b r e it)02 et bien accueillie par l'opinion publique des deux pays. Bientôt m ê m e , un accord fut conclu pour limiter leurs forces navales respectives. L ' A r g e n t i n e , si éprouvée par le k r a c h de 1890, sut tirer de cet événement les enseignements qu'il comportait. L a fièvre de spéculation était tombée, partout le travail reprenait avec ardeur. Les éludes officielles déterminant la quantité et la qualité des terres disponibles divisées par lots, la création d'écoles d'agriculture, l'établissement de stalions météorologiques, lafixalion de la valeur de la monnaie par la loi de 1899, la diminution des impôts sont aillant de mesures qui ont contribué au développement merveilleux qu'a atteint aujourd'hui la République.
CHAPITRE
SITUATION ÉCONOMIQUE
XIII
DE
L'ARGENTINE
I. l,a Nationalité a r g e n t i n e ; population rt immigration. — II, Le régime de la propriété ; la valeur de la terri'. — Los richesses agricoles et leur exploitation. — L'élevage. — l i t . L ' i n dustrie, les voies et moyens de communication. — I V . Le commerco extérieur.
Depuis peu d'années seulement, la République Argentine est sortie de l'ère des troubles politiques qui retardaient ses progrès dans l'ordre économique et il a suffi de ce court espace de temps pour que ce pays acquière sur les marchés du monde une place éminemment
enviable.
La mise en valeur de ses prodigieuses richesses agricoles s'est faite avec une rapidité qui déconcerte et la prospérité actuelle de la République montre ce que peut le génie latin, quand débarrassé de la routine et des préjugés, il abandonne le domaine des agitations spéculatives pour entrer dans celui de l'activité pratique. Tandis que l'Espagne, la nation mère, reste attachée à ses croyances, à ses coutumes, et semble ne s'engager qu'à regret dans la voie des progrès modernes, la jeune Argentine a éliminé au contact de l'élément étranger les mauvais germes économiques qu'elle tenait de son origine ethnique et est devenue la nation forte qui dans la lutte des intérêts internationaux est déjà une combattante avec laquelle il faut compter. Latins
d'origine, les Argentins ont au suprême
d'initiative
cl
degré les
qualités
d'énergie qui caractérisent les races anglo-saxonnes ;
ils soni devenus par excellence des businessmen, c'est-à-dire des h o m mes d'action, aux conceptions nettes et hardies, qui sachant prendre la responsabilité des risques encourus, n'hésitent pas à entreprendre. Chez eux, on esl « sonso » ou « vivo », sot ou plus qu'habile, il n'y a presque pas de milieu. Doués de rares qualités d'assimilation, ils se sont vite approprié les inventions et les méthodes des nations
plus
avancées,
n'hésitant pas à faire appel aux compétences étrangères pour créer d'abord et améliorer constamment ensuite l'outillage national.
33o
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* A R G E N T I N E
Sans doute, jusqu'ici, le lien qui unit les individus des races les plus diverses qui composent la République a été
trop exclusivement formé
par une communauté d'intérêts purement matériels: il leur manque encore celui des traditions communes et ce que nous pourrions appeler « l'unité historique », entendant par là le lien plus intime que créent les grandes forces morales de l'humanité, de la science, de la littérature. Mais n'est-ce pas d'hier que l'Argentine a pris rang dans le concert des peuples organisés et 1 apaisement des luttes anarchiques qui la désolèrent si-longtemps ne signifie-t-il pas déjà que l'idée pacificatrice d'une patrie commune a triomphé ? Nous avons déjà eu occasion de signaler combien profond était le patriotisme argentin, mais nous le redisons volontiers: l'Argentine est une unité économique imposante, mais elle est aussi plus que cela ; elle constitue véritablement une nation, fortifiée et vivifiée par rattachement de ses enfants. *
*
*
La République Argentine est divisée en quatorze provinces et dix territoires nationaux ou fiscaux directement gouvernés par le pouvoir exécutif; son étendue superficielle est de 2 Q5O52O kilomètres carrés. Cette immense région est peuplée seulement par G millions d'habitants, soit environ 2,o3 habitants par kilomètre carré. Or, elle est partout habitable, très salubre, fertile, et, en prenant comme base la densité de l'Allemagne qu'on peut considérer comme normale (10/4,28 habitants par kilomètre carré), on constate qu'elle pourrait contenir plus d e 3 o o millions d'habitants ! La différence avec le chiffre actuel, est, on le voit, considérable, et si l'on songe que plus du cinquième des habitants est fixé dans la seule province de Buenos A y r e s , on peut imaginer combien désertes doivent être certaines provinces. Les régions de l'Est et du littoral sont assez peuplées, mais plus on avance vers l'Ouest et moins la densité de la population est élevée. Dans la région andine, formée par les provinces de Mendoza, San Juan, La Rioja et Catamarca, 011 ne trouve pas un habitant par kilomètre. Les territoires nationaux pourtant si riches sont encore plus délaissés et le plantureux territoire de la Pampa compte à peine 27000 habitants sur ses 1/46000 kilomètres carrés; ceux du Rio Negro, de Santa Cruz sont dans une situation plus défavorable encore. Et, répétons-le, il s'agit là d'un pays dont le sol fécond 11e demande
33o SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* ARGENTINE
qu'à produire, et qui semblerait devoir être la terre d'élection de tous les travailleurs qui ne trouvent pas dans leur patrie un emploi suffisamment rémunérateur de leur activité. O r , il faut le reconnaître, le mouvement d'immigration, jusqu'à ces dernières années, a été très lent. Les gouvernements cependant avaient de bonne heure compris que l'avenir et la prospérité du pays étaient intimement liés
à l'immigration qu'on devait encourager
par tous les
moyens. Rivadavia, le grand administrateur argentin, plus tard Mitre et
ARGENTINE. —
A u b e r g e p o u r les i m m i g r a n t s .
Rawson en i 8 6 3 , s'inspirèrent de ce principe qui dirigea aussi Sarmiento et que seul me'connut Rosas. Les pouvoirs publics consentirent même d'importants sacrifices qui, en la seule année 1889, atteignirent 3o millions de francs. Malgré ces encouragements, la population totale qui était en 1861 de 1 3 7 5 0 0 0 habitants, ne montait trente ans plus lard qu'au chiffre de 3/190000 habitants ; la progression est assurément assez forte si on la compare à celle d'une nation européenne, elle est faible si l'on se représente que l'Argentine, pendant celte période, était, parmi les pays neufs, un de ceux qui eussent dû attirer le plus les émigrants.
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE
I.' \R0E\T1NE
Les principales raisons de cet insuccès relatif sont aisées à déterminer. L'Argentine a porté alors la peine de son inconsistance politique, du manque de sécurité qu'elle offrait à ceux qui auraient désire venir y tenter la fortune, et la défiance que manifestaient ces derniers était, en somme, assez justifiée. En outre, elle avait méconnu cette vérité évidente que les encouragements accordés à l'immigration devaient avoir surtout en vue de fixer l'immigrant au sol et d'empêcher qu'il ne retournât dans sa patrie vivre des bénéfices amassés. Alors que le gouvernement avait en pleine propriété d'immenses territoires qu'il eût pu lotir de façon à rendre facile l'acquisition de parcelles au travailleur ayant réalisé quelques économies, il contribua, par sa politique agraire, à la constitution de vastes latijundia,
accessibles seulement aux gros capitaux, et
qui sont le principal obstacle au peuplement. La première de ces raisons n'existe plus ; c'en est fini des pronunciamientos et des révolutions stériles ! Quant à la seconde, les hommes d'Etat en ont compris toute la portée et, comme nous le montrerons en parlant du régime
actuel de la terre,
ils s'efforcent aujourd'hui de
revenir sur les errements du passé. Aussi peut-on constater depuis quelques années un mouvement croissant d'immigration. Voici les chiffres accusés par la statistique depuis 1890. Nous méttons en regard les chiffres indiquant le nombre des
émi-
grants : MOUVEMENT
MIGRATOIRE
DANS
LA
REPUBLIQUE
ARGENTINE
EXCÉDENT ANNEES
IMMIGRATION
EMIGRATION
IU L IMMIGRATION sur l'émigration.
.895.
.
989
36 8 2 0
44 1 6 9
.896.
.
135 a o 5
4 5 92 1
89
284
1897.
.
io5 i43
5 7 457
47
686
1898.
.
95 1 9 0
53 536
4i 654
•1899.
.
111 o83
62
241
48 84a
1900.
.
ioo 9 0 2
55 417
5o485
1901.
.
125 g 5 1
80
25 I
45 7 0 0
80
1902.
.
96
080
1903.
.
112
671
79427
16 6 5 3
7 4 7 7 6
37 8g5
1904.
.
161 0 9 8
6 6 5 9 7
94 5 o i
1900.
.
177
82
94 345
117
1 3o6 429
772
695 2
l5
611
2l4
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE
327
L* ARGENTINE
En 1906, le nombre des immigrants a atteint 2/18 000 et les résultats des premiers mois de 1907 permettent de prévoir une augmentation sérieuse. On peut donc considérer que cet accroissement n'est que le premier Ilot d'un courant d'immigration qui se grossira de plus en plus. C'est qu'en clTel — bien plus que les subventions accordées aux étrangers et qui sont un moyen artificiel de peuplement — l'augmentation de la richesse du pays, la renommée des progrès accomplis, la connaissance des ressources qu'il offre vont y attirer, avec les capitaux, la maind'œuvre disponible. Et de même que l'immigration avait réagi sur le développement économique, ce dernier réagit à son tour sur l'immigration. D'autre part, les États-Unis du Nord avaient, jusqu'à présent, exercé une sorte de fascination sur l'Européen qui cherchait à s'expatrier. O r voici que leur immense territoire s'est peuplé avec une rapidité extraordinaire et non seulement ils n'attirent plus les étrangers, mais on sait quelles mesures sévères ils prennent pour restreindre les arrivées, et à quelles sélections rigoureuses ils se livrent. Il y a donc tout lieu de croire qu'au fur et à mesure de la fermeture de ce débouché, les immigrants tourneront les yeux vers les riches républiques sud-américaines, le Brésil et l'Argentine, qui toutes deux ont besoin de travailleurs et d'hommes d'initiative. Bien plus que l'Australie dont le climat est dur à l'Européen, et qui se trouve d'ailleurs à une distance double de l'Europe, elles leur offriront des conditions d'existence cl des chances de fortune qu'ils chercheraient vainement ailleurs. Les Italiens ont fourni jusqu'ici le plus fort contingent d'immigrants. D e 1857 à 190!\, ils représentaient G2 %
du nombre total; les Espa-
gnols 20 7 „ , les Français 8 % . L'immigration italienne tend d'ailleurs à s'accroître, alors qu'au contraire les Français arrivent moins nombreux. Les chiffres pour l'année 1900 sont les suivants : Italiens
^
8 8
95°
Espagnols
5 3 03
Russes
10
Syriens
7
Français Autrichiens
9
°"8
3
•
2
793
Hongrois
2
™
Allemands
1
8 3 6
3
33o
SITUATION
ÉCONOMIQUE
D E L* A R G E N T I N E
Le chiffre total de l'immigration se complète des /iSooo Sud-Américains venant par Montevideo et des immigrants des autres nations. On signale enfin l'arrivée d'un nouvel élément forme' par un contingent japonais qui a été autorisé à s'établir en Argentine dans le but de créer des rapports entre les deux pays.
II Le territoire argentin peut actuellement se diviser ainsi au point de vue de ses richesses :
HECTARES
T e r r e s l a b o u r a b l e s p o u v a n t être c u l t i v é e s i m m é d i a t e m e n t . T e r r e s q u i n e p e u v e n t servir a c t u e l l e m e n t q u ' à l ' é l e v a g e . H a b i t a t i o n s , forêts, m o n t a g n e s , arides, etc TOTAL
rivières, lacs salés,
.
régions
104 3 o o 0 0 0 100 0 0 0
000
90 820
000
295 120
000
Des io4 3 o o o o o hectares de terres labourables, 12 millions sont cultivés, c'est-à-dire qu'il en reste encore huit fois autant à mettre en valeur par l'agriculture, sans compter une bonne partie des terrains qui, provisoirement, sont considérés comme réservés à l'élevage. Mais avant de donner quelques indications sur les diverses formes de la production, il est intéressant d'examiner quel est le régime de propriété actuellement en vigueur. Dire que l'Argentine est un pays de grande propriété ce n'est pas assez. P o u r nous autres Français, accoutumés à considérer comme très grand domaine rural une ferme de cent hectares, nous ne nous faisons que difficilement une idée de ces immenses établissements qu'on appelle les estancias et où le m ê m e propriétaire fait valoir à lui seul des surfaces souvent équivalentes à celles d'un ou de plusieurs de nos départements. Plusieurs estancias occupent des superficies de 76000 hectares; il en est même qui arrivent jusqu'à 1 7 6 0 0 0 hectares. Beaucoup d'entre elles sont situées à quelques heures de Buenos Ayres ; presque toutes se trouvent à proximité des centres urbains. Si l'on songe qu'en France la moyenne des exploitations est de 8 hectares 1 / 2 , la comparaison est assez éloquente !
33o SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* ARGENTINE
Celte importance démesurée des exploitations agricoles ou d'élevage ne laisse pas d'ailleurs d'avoir les plus graves inconvénients et constitue assurément l'un des obstacles les plus sérieux au développement de la production. Il est certain en effet que les propriétaires fonciers, pouvant se permettre le luxe de gaspiller, pour ainsi dire, le terrain, ne font rendre au sol qu'une faible partie des richesses qu'il pourrait procurer. Beaucoup même laissent en friche de vastes étendues et attendent tranquillement que, par suite de l'accroissement de la richesse générale, ces parties inutiles aient acquis une valeur plus grande et leur procurent ainsi sans efforts des bénéfices souvent considérables. Ce fut la grande faute du Gouvernement argentin d'abandonner, pour des prix dérisoires, à des spéculateurs et à de grands propriétaires, d'immenses superficies qui, demeurées stériles faute de soins, auraient dû fructifier en d'autres mains. C'est ainsi, par exemple, que, dans les territoires nationaux, plus de sept millions d'hectares exploitables et cultivables restent aux mains de capitalistes indolents, au lieu d'être utilisés pour le développement de la population et de la production. Tant que l'Argentine est demeurée un pays d'immigration restreinte où les nouveaux venus trouvaient largement place et où l'on ne faisait pas autrement cas de quelques lieues carrées, le système de constitution de la propriété a pu paraître sans inconvénients. Mais, de plus en plus la situation se modifie et l'on comprend la nécessité de réagir contre « le plus odieux système de latifundia qu'on ait jamais connu » ('). Les pouvoirs publics ont déjà pris des mesures en ce sens en interdisant notamment par une loi, promulguée en 1903, l'acquisition, au profit d'une seule personne, de parcelles de plus de 2 5oo hectares sur le domaine appartenant à l'État ; il existe d'autre part, dès maintenant, des entreprises commercialesqui, possédant de vastes étendues de terrain, en font le lotissement et les mettent en vente à des prix relativement peu élevés et avec des facilités de paiement. De sérieux progrès ont été ainsi accomplis dans la voie du morcellement de la propriété et le Ministre de l'Agriculture constatait dans ses derniers rapports que depuis quelques années, sur tout le territoire de la République, sauf dans la région du nord, les transactions sur les terres sont d'une activité extraordinaire et donnent lieu à un mouvement énorme de capitaux, le tout normalement et par le simple jeu de l'offre et de la demande. Dans la province de Buenos
( ' )
MARTINEZ
cl
LEWANDOVSKY.
— L ' A r g e n t i n e au x x e sieclc. — C o l i v r e r é c e n t et très s é r i e u -
s o m e n t d o c u m e n t é d o n n e les r e n s e i g n e m e n t s les plus c o m p l e t s
sur la situation é c o n o m i q u e do
l ' A r g e n t i n e . N o u s y avons pris b e a u c o u p des r e n s e i g n e m e n t s q u e n o u s d o n n o n s dans ce c h a p i t r e .
33o
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE
L* ARGENTINE
A y r e s notamment, on constate une diminution du nombre des grandes exploitations et un accroissement de celui des petites : de i[)o3 à 1906 les propriétés de 10 à 65o hectares ont augmenté de a3 % . Le système d'exploitation dominant adopté par les grands propriétaires est encore cependant celui du fermage et du métayage sous ses diverses formes. Il a de graves inconvénients, car le fermier ou le métayer se préoccupe avant tout de faire rendre beaucoup à la terre sans se soucier
s'il l'épuisé ou non, son unitpie but étant d'amasser assez d'argent pour devenir propriétaire à son tour, dans une autre région. Il y réussit d'ailleurs quelquefois, et beaucoup de riches propriétaires actuels n'ont pas débuté autrement. Si nous cherchons maintenant à donner une idée du prix des terres en Argentine, nous nous heurtons dès l'abord à des différences si considérables non seulement de province à province mais encore d'une e x ploitation à l'autre qu'il serait vain de chercher à fournir des chiffres d'ensemble. Un fait cependant apparaît certain : c'est la plus-value constante du sol depuis quarante ans.
Et lorsqu'on compare les chiffres des
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE
L AUOENT1NE
transactions opérées aussi bien sur les territoires nationaux que sur les propriétés privées, on se trouve en présence de résultats véritablement stupéfiants. En 1870 par exemple, le Gouvernement, pour faire face aux dépenses de l'expédition du général l\oca contre les Indiens, mit en vente une immense étendue de terrains et il ne trouva que difficilement acheteur au prix de 880 francs la lieue carrée (2 000 hectares) ; la plupart des acquéreurs considéraient même à cette époque le sacrifice d'argent consenti par eux c o m m e un placement fictif et y voyaient plutôt un prêt patriotique. O r , aujourd'hui, ces mêmes terrains se vendent 660 000 et 880000 francs la lieue ! Depuis 1902, le mouvement de plus-value s'est encore accentué dans d'invraisemblables proportions cl avec une rapidité déconcertante ; tel champ qui se vend aujourd'hui 60 francs l'hectare se vendra demain 80, après-demain 100 francs ou plus. Dans la même année, les terrains triplent ou quadruplent, laissant abasourdi le premier vendeur qui assiste, navré, à la fuite du bénéfice qu'il eut pu réaliser. Aussi \ oit-on à l'heure actuelle tous les commerçants qui peuvent distraire de leurs affaires des capitaux liquides s'empresser d'en faire l'emploi en terres. Faut-il considérer celte hausse constante cl forcenée comme un accident économique provoqué par la spéculation, par un engouement injustifié pour les placements en terres el qui aboutira fatalement à une formidable crise ? Il ne le semble pas. D e u x ordres de raisons en effet expliquent et justifient abondamment cetlc valorisation de la Ierre. C'est qu'en effet, tant que le pays a été bouleversé par les agitations politiques el les rivalités provinciales, tant que la sécurité n'y a pas été absolue, l'exploilation des richesses du sol s'est faite péniblement et suides superficies restreintes. L'Argentine souffrait comme d'une maladie de langueur à laquelle on a enfin appliqué le remède spécifique, à savoir l'ordre et la sécurité. Alors, comme chez les malades jeunes el de bonne constitution, la réaction a eu lieu rapide et le pays semble même avoir renouvelé pendant cette longue crise toutes ses énergies et son désir de vivre. Lorsque le souci de l'accroissement de l'élevage et de l'agriculture est devenu prédominant, on a vu la terre arrachée à son long sommeil produire des bénéfices de plus en plus considérables et la richesse nationale s'est tellement accrue qu'en quelques années les soldes en faveur du pays se sont élevés à plus de 100 millions de piastres or. Tout naturellement, la terre, source de tant de richesses, a attiré à elle les capitalistes dont la concurrence a pro voquélaplus-value que nous signalons. Mais à côté de cette considération d'ordre général il convient d'en
33o
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* ARGENTINE
signaler d'autres plus spéciales qui expliquent en même temps comment des terrains souvent très rapprochés les uns des autres se vendent cependant à des taux qui diffèrent considérablement, Le premier élément de la valeur d'un champ c'est sa plus o u moins grande proximité des voies de communication le reliant au port d'exportation. C'est un point qui n'a pas besoin d'explication, le prix de la marchandise s'augmentant naturellement des frais de transport. Et ainsi l'on comprend la prodigieuse valorisation des terres situées clans les provinces de Buenos A y r e s et de Cordoba, sillonnées toutes deux par de nombreuses lignes de chemins de f e r : dans la première on a vendu en i g o 5 dans la région de Lobos, à quelques heures de la capitale, à raison de plus de
i 600 francs l'hec-
tare, des champs qui, il y a quinze ans, se vendaient à la lieue carrée et à des prix dérisoires. La faculté d'obtenir de l'eau en permanence pour l'irrigation d'un champ, par la proximité plus ou moins grande de la superficie des nappes d'eau souterraines, est un arçlre facteur du prix de la terre. Un champ qui a de l'eau peut en effet être cultivé en luzerne et cette sorte de fourrage a donné depuis quelques années des rendements si extraordinaires que les acheteurs d'un terrain attachent la plus grande importance à pouvoir la récolter. Des champs qui se vendaient à raison de 2 piastres papier (') l'hectare en valent aujourd'hui 3o, et d'autres que l'on payait 25 ou 3o piastres sont vendus à raison de 80 ou 100 piastres, uniquement parce qu'ils sont exploitables en luzernières. Les terrains forestiers où croît le quebracho, bois très dur qui sert à la construction et d'où l'on extrait le tanin, sont aussi de plus en plus recherchés en raison des bénéfices très sérieux que donne l'exploitation de cet arbre. Des forêts du Chaco, où le quebracho abonde, autrefois délaissées, ont vu leur valeur décuplée et le prix de vente de certains terrains est passé de 2 aoo francs la lieue à 22 000 francs ; cela en un an. Et ce n'est qu'une étape ! Mais ce que nous venons de dire de la luzerne ou du quebracho,
011
pourrait le dire d'autres produits agricoles. Il arrive que subitement, soit par suite de la découverte d'une nappe d'eau, soit par suite d'améliorations artificielles, d'expériences bien conduites, un champse trouve apte à une production plus rémunératrice t|ue celle à laquelle il avait été jusqu'ici consacré ; on découvre, pour ainsi dire, sa valeur. Immédiatement, il acquiert sur le marché un prix double ou triple de celui auquel on l'avait estimé.
( ' ) L a piastre p a p i e r v a u t 2 f r . 20 ; la piastre o r 5 francS.
I
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE
L'ARGENTINE
C'est pourquoi il faut renoncer à évaluer d'avance le prix des terres d'une région, les calculs étant susceptibles d'être faussés par des éléments qu'il était impossible de faire entrer tout d'abord en ligne de compte. La plus-value des terres delà République Argentine s'explique donc par des raisons qui n'ont rien d'artificiel ; elle est une conséquence logique cl naturelle des faits. Les prix actuels correspondent bien à une « valeur », à un
capital largement rémunérateur, et, c o m m e les produits de ces
terres sont de ceux dont le besoin se fera toujours sentir sur les marchés du monde, les dangers de crise semblent assez lointains. La valorisation extraordinaire du sol nous apparaît ainsi comme un indice de la vitalité merveilleuse de ce pays.
111 Pendant richesse
longtemps les produits de l'élevage ont été la principale
de l'Argentine et étaient les seuls exportés. En i 8 g 5 ils représen-
taient 59 "/.. ^ l ' e x p o r t a t i o n totale et ceux de l'agriculture 39 % ; en 1 g o 3 l'élevage donnait encore 49 % cl l'agriculture 47 % • Mais l a proportion s'est inversée en 1 goA et les produits de l'agriculture l'ont emporté sur ceux de l'élevage, les premiers montant à 67 °/0 et les seconds à 3g •/„. Les chiffres absolus continuent d'ailleurs à monter de part et d ' a u t r e ( ' ) . Nous avons estimé à i o 4 millions d'hectares la superficie des terres propres à la culture, mais il faut remarquer que la plupart des terrains regardés comme propres seulement à servir de pâturages le sont aussi à la production agricole. Beaucoup de régions même, considérées longtemps comme improductives, ont été reconnues susceptibles d'amélioration et il a suffi de quelques travaux pour en faire des terres d'excellente qualité. Les chiffres suivants donnent une idée du développement de l'agriculture pendant ces trente-trois dernières années : En 1872
58o 000 hectares cultivés.
1888
2 45OOOO
1890
3 000 000
—
1890
4800000
—^
1 goo igo5
—
7 3oo 0 0 0
—
i 3 000 000
—
E n i g o 6 , on évaluait celte surface à i 3 900000 hectares. (')
I'AVLOVSKV. —
Op.
cit.
33o SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* ARGENTINE
A i n s i , en quinze ans, le n o m b r e d'hectares cultivés a quadruplé. Mais le m o u v e m e n t s'accentue actuellement
dans des proportions considé-
rables. La grande culture en Argentine s'attache principalement à quatre produits principaux, ¡1 savoir : le blé, le maïs, le lin et la luzerne. Le blé occupe le premier rang. En 1888, il y avait environ 8 x 5 438 hectares ensemencés en b l é ; en 1890, 2 m i l l i o n s : il y en a a u j o u r d ' h u i près de (i millions ! 11 y a moins de trente ans, la production indigène était insuffisante p o u r nourrir les habitants ; a u j o u r d ' h u i , la République vient en second r a n g , immédiatement après la Russie, dans le c o m m e r c e mondial. Mieux que ne sauraient le faire de longues explications,
les
chiffres suivants montrent les progrès accomplis : B L
ANNÉES
TONNES
VALEUR EN FRANCS
I O I O ?.G(J 1
929 O7G
2 808 821
358
97
2O0
205 429410705 589 3oo 0 0 0 2 / , 3 138
Les principales provinces productrices de blé sont Rueños A y r e s où 2 millions d'hectares sont consacrés à cette culture,
Sania F é avec
1 4 o o o o o hectares, C o r d o b a avec 9G0000 hectares. Les provinces andines Mendoza, San Juan,
Rioja, Catamarca, produisent suffisamment
de blé pour la c o n s o m m a t i o n locale. Il est à peine besoin de remarquer que la farine importée autrefois du Chili, de Californie ou d'Australie est devenue un article d'exportation.
En
1906, cette exportation a été de
important
1447G0
tonnes,
valant 2G 8G8 496 francs ('). La culture du maïs a été étendue cl généralisée par les Espagnols de très bonne heure et l'exportation de cette céréale a précédé celle du blé. La province de Rueños A y r e s présente des conditions très favorables aux plantations, en raison de la température égale qui règne pendant le printemps et 1 été et des pluies assez abondantes pour assurer l'humidité
( ' ) E n 1 9 0 6 , l ' e x p o r l a t i o n avait l é g è r e m e n t baissé et a t t e i g n a i t e n v i r o n i 3 o o o o tonnes.
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE
I," ARGENTINE
335
nécessaire ; niais on cultive le maïs dans l'Entre-Rios (i 18000 liect.) et les provinces de C o r d o b a ( i 1 19800 liect.)et Santa Fé ( g 3 5 o o o liect.). La superficie des terrains ensemencés en maïs, qui était en 1881 de 100000 hectares, avait atteint, en i 8 g 5 , 1111 million d'hectares et n'est pas aujourd'hui inférieure à 2 8 6 0 0 0 0 liectares ; la quantité exportée en 1906 a été de 2 500 000 tonnes, estimée i 5 o millions de pesos-or. Le maïs d'ailleurs a été cultivé surtout jusqu'ici en vue de l'exportation: mais la consommation intérieure s'accroîtra considérablement avant qu'il soit longtemps, du fait de l'emploi de cette céréale dans l'alimentation, sous forme de farine, cl de son usage pour l'engraissement du bétail. Les champs de lin occupent une surface de 1 i 5 o o o o hectares et, en 1906, on a exporté environ 684 000 tonnes de ce produit représentant une valeur de 137 millions de francs. C'est donc là une branche importante de la production agricole. On le récollc principalement dans les provinces de Santa Fé el Córdoba. Jusqu'ici cependant, on le cultivait surtout en vue d'en cueillir la graine pour l'exportation et la semence; mais, au coursdc l'année dernière, on a fait des essaisde variétés plus particulièrement propres à être employées par l'industrie textile et les résultats obtenus sont des plus encourageants. C o m m e on calcule que 10 millions d'hectares environ sont placés dans des conditions très favorables à la production du lin, 011 peut voir dans la réussite des premiers essais tentés l'origine de bénéfices considérables dans l'avenir. En ce qui concerne la production du fourrage dit luzerne, nous avons en déjà occasion de mentionner l'influence qu'elle exerçait pour la valorisation de la terre. E11 1890, il n'y avait guère que 600000 hectares ensemencés en luzerne, presque tous situés dans la région andine à raison des facilités d'irrigation ; il y en a aujourd'hui 2 800 000 hectares dont 600000 environ dans la province de Buenos Ayres. Les progrès de cette culture depuis quelques années dans la P a m p a sont véritablement extraordinaires. Elle répond à un double but : l'exportation sous la forme de foin luzerne, ou l'alimentation et l'engraissement du bétail. L'exploitation pour l'exportation se fait dans des fermes d'importance moyenne et les métairies situées à proximité des lieux d'embarquement ou des stations de chemin de fer; elle comporte une série d'opérations : fauchage, séchage, • emballage sous un volume réduit au moyen de presses. Les plus petits établissements possèdent de 2 à 3oo hectares de luzerne, mais dans les estancias où ce fourrage est consommé par le bétail, l'étendue des luzernières atteint souvent d'immenses proportions : 011 en cite de i 5 à 20000
33o
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* ARGENTINE
hectares appartenant à un même propriétaire. La terre étant légère, les labours ne sont pas pénibles et le matériel de labourage, sur une vaste échelle, oblige à des débours relativement peu considérables. L'on attelle douze juments à chaque charrue double et l'on arrive avec une charrue à labourer plus d'un hectare par j o u r . Chaque jument coûte de 12 à 20 fr. au plus. Généralement, on sème du blé ou du maïs les deux premières années afin de préparer le terrain à recevoir la luzerne et pour rentrer dans ses débours. Pourtant, beaucoup d'éleveurs sèment la luzerne dès la première année et souvent ces luzernières sont excellentes : question de chance, de pluies opportunes, enfin de conditions
favorables.
Ainsi, sur un champ ensemencé de luzerne, 011 voit des éleveurs engraisser du bétail dès l'année suivante jusqu'en septembre ; trois mois après, au printemps, la luzerne atteint parfois
IM,85
ou
IM,QO
de hauteur; ce sont
là des faits pratiques qui attestent suffisamment la fécondité de la région pampéenne ('). En 1900, une lieue carrée de luzernière, dans le sud de la province de Cordoba, avait donné un bénéfice net de 100 000 piastresor ( 7 5 0 000 francs) et 1 année précédente elle avait donné 21/j 000 piastres (1 0 7 0 0 0 0 francs). O n conçoit aisément qu'en présence de rendements aussi fantastiques, les propriétaires font tout leur possible pour ensemencer leurs champs de celte façon et, si l'on songe qu'environ Go à 80 millions d'hectares sont aptes à se transformeren luzernières, on peut avoir une idée de l'importance que ces dernières pourront acquérir par la suite. Le Brésil et l'Afrique du Sud ont été jusqu'ici les seuls débouchés donnés au fourrage de luzerne ; ils sont déjà insuffisants et le deviendront de plus en plus. A côté de ces éléments de grande culture, il y a lieu de signaler d'autres produitsqui, par leur valeur et leur abondance, constituent d'importantes sources de prospérité. La première est celle de la canne à sucre, pratiquée surtout dans la province de T u c u m a n et aussi dans une partie de Santiago, Salta et Juj u y , au Cliaco et aux Missiones. Depuis quelques années, les usines à sucre ont pris une importance croissante avec le développement de la production elle-même. On estime à i 4 o millions de kilogrammes le produit des plantations de cannes. Les primes d'exportation ont été complètement supprimées et l'Argentine s'associe ainsi pleinement à l'accord réalisé par la conférence de Bruxelles, mais l'exportation du sucre a
( ' ) ¡Moniteur officiel d u C o m m e r c e <lu I " f é v r i e r 1 9 0 6 . — de France. '
Rapport
de M. FRAXCASTEL,
consul
33o SITUATION
considérablement
baissé
ÉCONOMIQUE
depujs
DE L* A R G E N T I N E
cette époque ; elle atteignait encore,
en 190/j, 20000 tonnes ; elle est tombée en i g o 5 à 2 700 tonnes, et en 1906 elle n'était plus que de 2G9 tonnes, achetées presque
exclusive-
ment par le Chili. La vigne a été introduite par les conquérants espagnols, qui plantèrent les premiers ceps dans la province de Mendoza. C'est encore cette province qui attire le plus les viticulteurs; la vigne n'est guère exploitée d'ailleurs que dans les régions andines. Mais l'essor des vignobles, qui date seulement de 1880, est remarquable puisque depuis 1885 la superficie qui y est consacrée a passé de 32 541 à Go 000 hectares en 190G. Il faut reconnaître cependant que, quel que soit le soin pris parles viticulteurs de choisir les meilleurs cépages de France, la qualité des vins mis en vente jusqu'à ce jour n'a pas toujours donné satisfaction. Le manque de capitaux, qui ne permet pas de donner au vin tout le soin nécessaire, en est la cause principale. Les produits du pays sont uniquement destinés à la consommation intérieure et les vins fins continuent toujours à être importés. On évalue à 2 200000 hectolitres la production totale du pays. Les Argentins s'adonnent plus particulièrement à la culture du tabac dans les provinces de T u c u m a n , Corrientes, Salta et sur les territoires du Cliaco et des Missioncs. Les 1 120 fabriques du pays avaient employé, en 1902, plus de 7 041 8 1 0 kilogrammes de tabac. Mais le produit obtenu est tout entier consommé dans le p a y s ; on 11e le recherche pas sur les marchés étrangers. Nous avons déjà indiqué que le lin cultivé en Argentine pour sa graine était susceptible d'être utilisé comme plante textile. Mais les essais de production de colon tentés il y a sept ou huit ans et poursuivis avec persévérance appellent surtout l'attention.
En raison de leur climat, le
Cliaco et les Missioncs paraissent être la terre d'élection de cet arbuste qui occupe actuellement plus de 5 5oo hectares. Ainsi que l'exposent les rapports officiels,
les résultats obtenus en font prévoir de meilleurs
encore pour l'avenir. La rémunération donnée par ce textile est des plus encourageantes puisqu'on peut considérer que, la première année, et déduction faite des frais d'exploitation, le bénéfice net n'est pas inférieur à 100 piastres l'hectare ; il peut atteindre 200 piastres dès la seconde année. Les variétés jusqu'ici produites sont le Louisiana, le Georgiaàsoic longue et le Georgia à soie courte. Parmi les autres cultures intéressantes à noter, il faut mentionner le mûrier;
l'élevage du ver à soie peut en effet être un élément de richesse
pour l'Argentine et les essais tentés jusqu'à ce j o u r sont très intéressants. IIE.NRI
TUKOT.
2 2
33o
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* A R G E N T I N E
Dans la province de Santa Fé on compte 5 millions de mûriers de plant récent en plus des 200000 existant depuis quelques années; on peut estimer ainsi à 100000 kilogrammes les cocons qui seront produits annuellement. Dans la province de T u c u m a n , où les mûriers sont plantés depuis longtemps, on recueille environ 2 5oo 000 kilogrammes de cocons. Les provinces de Cordoba, Salta, J u j u y et Santiago del Estero sont également propres à cette industrie, qui est tout entière au* mains des immigrants italiens. Il se fait aussi une grande consommation de maté presque tout entier importé du Brésil, bien que les régions propres à la culture de ce produit ne manquent pas. Mentionnons encore la culture de la pomme de Ierre, qui occupe une surface de 25 000 hectares dans la province de Buenos Ayres, 12 000 dans celle de Santa F é et 5 000 dans celle de Mendoza. Les arbres fruitiers
enfin sont susceptibles de donner des bénéfices
sérieux. La variété des fruits en Argentine est infinie, depuis la banane, l'ananas, le chirimoya et la goyave jusqu'à l'orange, la mandarine, le limon, la pêche et la prune. En raison de la variété de climat 011 peut dire que presque tous les fruits sont susceptibles
d'être cultivés. Et
comme les saisons du pays sont inversées par rapport à l'Europe, il est certain qu'au fur et à mesure de l'amélioration des moyens de transport permettant la conservation des fruits frais, 011 trouvera sans aucun doute dans cette branche une abondante source de profits à exploiter. »
•
#
•
L'élevage, qui pendant longtemps a été la seule affaire de l'Argentine est demeuré aujourd'hui encore la grande source de richesse. Mais il y a loin de l'ancienne forme d'exploitation à celle qu'ont adoptée les modernes estancieros. Sans être encore semblables aux fermes normandes ou nivernaises, les établissements de la pampa ont perdu cet aspect de biens vacants et sans maître que parcouraient les gauchos
au
galop de leurs chevaux fougueux et où le droit de pacage et de passage pour les troupes de bétail en marche était établi par la loi et respecté. Il y a quarante ans, aucune clôture, aucune borne ne marquait la ligne séparative des estancias ; le maître et ses gauchos devinaient d'instinct la limite du domaine et les troupeaux eux-mêmes continuaient à paître à l'intérieur de cette limite que l'accoutumance seule indiquait.
A cette
époque certains estancieros commencèrent à se clore, mais le fil de fer
BITUATION
KCONOMIQ1T.
1)IÎ
I. AHGF.NTINK
lourd, peu résistant et Ires coûteux dont on se servait alors rendait l'opération peu pratique. Depuis la découverte de Ressemer, les fils d'acier plus légers, plus résistants et moins coûteux ont été plus
universellement
employés et il en est entré à la douane de quoi faire huit fois le tour de la terre. Tous les domaines aujourd'hui sont enclos de celte façon : les divisions intérieures permettent de séparer les laiftilles, de classer les divers élémentsdu troupeau, dedonner à chacun les soins spéciaux qu'il requiert. Si les frais de premier établissement sont considérables ( i o o o francs par kilomètre de clôture), ce système a l'avantage de rendre inutile l'emploi de gardiens n o m b r e u x ; dans un estaneia de douze mille hectares ilsulfit de quatre à cinq gardiens à cheval pour inspecter l'état des fils et dos pieux el ramener les animaux échappés. Lors des travaux exceptionnels de la tonte des moutons, de la marque des agneaux, du sevrage des veaux et des poulains, on a recours à un personnel nomade qui, bien (pie la population soit très rare, est toujours assez abondant et passe sa vie à errer d'une estaneia à l'autre ('). Tandis qu'autrefois le bétail vivait sans abri, exposé aux intempéries, se nourrissant de l'herbe dure et coupante qui croissait naturellement, il s'abrite maintenant dans des écuries cl des élablcs installées dans de bonnes conditions et qui partout ont remplacé l'antique corral. En se multipliant, les troupeaux ont piétiné el engraissé le sol, provoquant ainsi sans effort ni dépenses pour le propriétaire la création de pâturages substantiels. Mais le grand effort des éleveurs argentins a surloul tendu versl'amélioralion constante des races. Commencée dès le commencement du siècle, l'introduction des animaux choisis destinés à la reproduction a pris depuis une vingtaine d'années une importance considérable.
Pour
les races ovines, on peut citer les brebis et moulons mérinos, les Leicester, L i n c o l n Q , etc..., puis les Soulhdown, Hampshiredoxvn, Oxfordsbircdown et autres races à tète noire; pour l'espèce bovine, les taureaux et vaches Shorthorn, Ilcreford et surtout les Durham( : 1 )el des races flamandes, suisses cl hollandaises ; pour les chevaux enfin, les étalons et juments arabes pur-sang, les meilleures races anglaises, les anglo-normands, percherons, flamands, etc... L'Angleterre a fourni le gros conlin-
(')
DAUIEALX. —
L'élevage en Argentine ( R e v u e «le Paris, aoi\t i g o 3 ) .
( 2 ) L a r a c e L i n c o l n est celle q u i a d o n n é les m e i l l e u r s résultats. O n a i n t r o d u i t en
igo5,
Il 54G r e p r o d u c t e u r s de cette r a c e , en i g o G , 0 5 5 5 . ( 3 ) E n i g o i , o n a i n t r o d u i t î i ï [ \ r e p r o d u c t e u r s de race D u r l i a m , e n i g o 5 , i 3 G o , en i g o G , 2 1 8 0 . L e s r e p r o d u c t e u r s des a u t r e s races ne sont i n t r o d u i t s q u ' e n petit n o m b r e .
33o S I T U A T I O N
ÉCONOMIQUE
D E L* A R G E N T I N E
gent du bétail importé pour la reproduction et les propriétaires argentins ont d'ailleurs si bien compris l'importance de l'amélioration de leurs troupeaux qu'ils n'ont pas hésité
faire de
à
gros sacrifices
pour la réaliser.
On a vu un seul taureau acheté 88000 francs et il y a moins de deux ans qu'un des beaux étalons des écuries du roi d'Angleterre était acheté par le propriétaire d'un stud de chevaux de course en Argentine pour la somme fabuleuse de 3-j 000 livres sterling. Bien qu'il soit assez difficile d'évaluer exactement le nombre de tètes de bétail que possède la République Argentine, le tableau suivant(') donne une approximation satisfaisante :
NOMBRE DE
TÈTES
KILOMÈTRE
POSSIBLE
par
par CARRÉ
KILOMÈTRE
3 5 000 000
IO
ho
5 800 000
2
20
5 3 o 000 122 000 000
M o u l o n s et brebis
DENSITÉ ACTUELLE DENSITÉ
800 000 3 200 000
0,2G
CARRÉ
IO
ko
230
o,3o
IO
1
ia
*
,
La comparaison des chiffres indiquant la densité actuelle et la densité possible des
animaux
par kilomètre carré est assez significative. Encore
ne donne-t-elle pas une idée définitive des résultats qu'il serait possible d'obtenir et l'on peut considérer q u e l a m i s e en valeur des terres jusqu'ici délaissées, déduction faite de celles qu'on pourrait consacrer à l'agriculture, jointe à un
système
intensif d'élevage rendu possible p a r l a création
de prairies artificielles et notamment la culture de la luzerne,
permet-
trait à l'élevage de prendre un développement presque indéfini, I/JO millions de hôtes à cornes et 7/io millions de moutons pourraient trouver ainsi à vivre aisément. Les bénéfices résultant de l'élevage proviennent de deux sources principales : l'exportation des laines et de la viande congelée ou salée. L'amélioration des pâturages a eu pour effet non seulement de permettre l'acclimatement des moutons de bonne race, mais encore a eu pour résultat l'amélioration progressive des laines obtenues.
C'est ce
qui
explique l'augmentation considérable de la production dans ces cinquante (')
IVYLOWSKY. —
Op.
cit.
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE
^ARGENTINE
3/| I
dernières années. De 8 millions de kilogrammes auxquels elle se montait en 1849-1860 elle a atteint G6 millions de kilogrammes en 1869-1870, 1 1 9 millions de kilogrammes en 1889-1890 et 289 millions en 18991900. Aujourd'hui la production argentine est évaluée à 20 °/„ de la production universelle, qui est estimée à 1 000000000 de kilogrammes. Voici la marche de l'exportation des laines depuis 15 ans :
ANNÉES
I895 I9°°
TONNES
VALEUR EN FRANCS
201 353
155 147 G i o
101
113
i3g 957 8o5
191 007
3 a 1 56/, 6 3 5
Depuis quelques années, on note une baisse assez notable à l'exportation (') et aucune épidémie n'ayant affligé le bétail ovin, certains ont voulu voir là, aucune opération exacte de recensement n'ayant été faite, la preuve de la diminution du nombre d'animaux. Il est possible, en effet, qu'un certain nombre d'éleveurs, désireux de consacrer une partie de leurs domaines à l'agriculture, se soient décidés à abattre leur bétail car l'élevage du mouton cesse d'être rémunérateur dans les régions agricoles et partout où il est possible de créer des prairies artificielles.
(
Mais la diminution de l'exportation s'explique surtout par les progrès réalisés dans l'industrie du tissage, qui utilise sur place une quantité toujours plus grande de la laine produite. Cette laine comporte trois catégories principales : les laines croisées Lincoln, les laines mérinos qui servent pour tous tissus et les laines de moutons bruts servant pour la fabrication des tapis et tissus ordinaires. A côté de la vente des laines il faut signaler encore, comme bénéfice provenant de l'élevage des moutons, l'exportation dans des frigorifiques de grandes quantités de viande congelée ; la viande de quatre millions de moutons a été ainsi envoyée à l'étranger en 1905. Cette exportation de viande congelée est la principale source de bénéfices des éleveurs du gros bétail. Autrefois on se contentait de saler les quartiers d'animaux abattus dans les établissements spéciaux appelés « saladeros »; les produits obtenus étaient dirigés principalement vers le Brésil et les Antilles. Mais, depuis quelques années, l'introduction des (•) E n
1 8 9 9 , l ' e x p o r t a t i o n s'était élevée à 2 3 7 1 1 1 t o n n e s ; c'est le c h i f f r e le plus fort q u ' o n
ait o b t e n u . E n 1 9 0 6 , l ' e x p o r t a t i o n a été de i i g u o t o n n e s , e s t i m é e s 292 m i l l i o n s do f r a n c s .
SITUATION
3h a
ÉCONOMIQUE
F)E
INARGENTINE
appareils frigorifiques a considérablement diminué l'importance des saladeros qui finiront peu à peu par disparaître. La conservation des viandes par congélation a donné des résultats tels que cette industrie se développe chaque j o u r . Voici d'ailleurs les quantités de viande congelée exportées :
TONNES
ANNÉES
l8g5
VALEUR EN FRANCS
4 5 5<)2
to o3o 555
84
.77
3(i Q 3 7 o 3 o
2 3 G 6<JO
109 55o 255
Les viandes sont transportées sur des bateaux aménagés spécialement. On
peut compter qu'actuellement
l'exportation
porte
sur plus
de
Tiooooo novillos (bœufs de 3 à k ans). Quelque lucrative que soit cette industrie, l'exportation (les animaux sur pied donnerait assurément des bénéfices plus considérables encore, si ce commerce ne se heurtait aux obstacles suscités par les différents pays importateurs. A la suite d'une épidémie de fièvre aphteuse qui décima, il y a quelques années, les troupeaux de la République, les éleveurs virent interdire à leurs produits l'accès des ports européens et cette interdiction subsiste encore, les privant ainsi d'un débouché important. Malgré les mesures prises par le gouvernement, mesures qui ont abouti à la disparition complète des cas de fièvre aphteuse, les marchés étrangers continuent à rester fermés et l'on peut se demander s'il n'y a pas là moins un souci de police agricole
que le désir de protéger l'élevage
national
auquel les exportateurs argentins faisaient un tort considérable. Quoi qu'il en
soit, les expéditions
de bétail sur pied sont
aujourd'hui
uniquement dirigées vers l'Afrique du Sud et les Républiques voisines du Paraguay, de l'Uruguay et du Brésil. Le Chili même, dans le but de favoriser son propre élevage, a mis des droits élevés à l'entrée du bétail argentin. Les statistiques accusent d'ailleurs une diminution constante et alors qu'en 1898 l'exportation du bétail vivant atteignait une valeur de i o i 3 3 8 6 8 piastres-or, elle est tombée en 190/i à l\ millions 1/2 de piastres-or. Les chiffres, qui s'étaient relevés en 1905 à plus de 5 millions et demi, ont considérablement diminué en 1906 ('). ( ' ) L ' e x p o r t a t i o n s u r p i e d dès a n i m a u x de race b o v i n e , q u i avait atteint en i g o 5 le c l i i f l r e de 2 6 2 6 8 1 têtes, est t o m b é e n 1 9 0 G à 7 1 1 0 6 têtes (Estadística
agricola,
año igoG,
p.
g).
33o S I T U A T I O N
ÉCONOMIQUE
DE L* ARGENTINE
Enfin, il n o u s reste à dire u n mot des chevaux et mulets de l ' A r g e n tine. Les quelques a n i m a u x introduits par Mendoza avaient tellement progressé qu'après trois siècles et demi le nombre des c h e v a u x était supérieur à t\ millions et demi : il atteint aujourd'hui G millions. C e s chevaux sont résistants, v i g o u r e u x et valent certainement mieux que la réputation qu'ils ont acquise chez nous à la suite d'essais tentés dans quelques corps de troupe de cavalerie. Le dressage qu'on leur fit alors subir ne convenait guère à ces bêtes presque sauvages, accoutumées à la vie libre de la pampa cl à une nourriture particulière : c'est pour avoir v o u l u les assimiler aux chevaux d'Europe qu'on n'obtint que de mauvais résultats. Les Anglais au contraire font des expéditions suivies de ces anim a u x au C a p , cl m ê m e aux Iles Britanniques ; quelques envois effectués par nos compatriotes ont d'ailleurs donné des résultats satisfaisants.
IV L'industrie est loin d'avoir progressé dans les mêmes proportions que l'élevage et l'agriculture. Cela se conçoit. Il était naturel, en présence des bénéfices provenant de la mise en valeur du sol, que toute l'activité se portât d'abord de ce côté. P a r surcroît, l'Argentine manque ou du moins n'a pas encore exploité les
produits
essentiels au développement de toute
industrie : le minerai de fer et le charbon. Les principales industries du pays se rattachent presque toutes à son agriculture et à son élevage. En première ligne il faut citer celle dont nous avons eu déjà occasion de parler : les établissements frigorifiques. Les dividendes distribués par ces derniers sont de plus de 10 % '. ^s ont atteint j u s q u ' à 5 O % au moment de la guerre du Transvaal. La fermeture
des ports
européens
au bétail vivant en même temps que leurs
procédés perfectionnés sont les principales causes de leur succès. O n évalue à près de 22 millions et demi de piastres-or les capitaux ëngagés dans cette industrie. L'industrie laitière et fromagère, de son côté, tend à prendre une extension toujours plus grande. Les importations étrangères de ces produits ont complètement cessé et en ce qui concerne le beurre, l'Argentine fait même aujourd'hui une exportation
assez considérable.
Les progrès à
cet égard sont d'ailleurs remarquables si l'on songe que l'exportation est passée depuis 1891 de 1 a3o kilogrammes à 7 millions de kilogrammes. Encore faut-il remarquer que'celte industrie est à ses débuts et que les
33o
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* ARGENTINE
modifications, provoquées d'ailleurs par les pouvoirs publics, qui y seront apportées ne pourront qu'en accroître l'importance. Les tissages et tanneries sont aussi des industries connexes à l'élevage. Malgré les conditions favorables elles n'ont jusqu'ici qu'une importance secondaire, mais des progrès sérieux ont été accomplis depuis quelques années. Parmi les industries dérivées de l'agriculture, il faut signaler tout d'abord celle du sucre qui s'est considérablement développée. O n compte à l'heure actuelle plus de trente sucreries en pleine activité représentant un capital de 48 millions de piastres-papier. T u c u m a n est le centre principal. Cette industrie a dû, pour éviter des crises comme celle qui ruina plusieurs usines en 1897,
se
mct
lre
sous
l'égide d'un syndicat qui règle
la production dans les limites de la consommation et de l'exportation et sert de comptoir de vente pour tous les établissements. C o m m e dans tous les pays producteurs de cannes, la concurrence du sucre de betterave a amené des troubles sérieux dans les conditions de la production argentine. Le développement de la minoterie est une conséquence naturelle de l'augmentation de la production du blé. Le premier moulin à eau fut installé à Cordoba en i 8 5 o , aujourd'hui il y a plus de 700 moulins en Argentine représentant un capital de 25 à 3o millions de piastres.
Plu-
sieurs sont des établissements très importants avec un outillage de grande puissance. Enfin, une mention particulière doit être faite del'industrie forestière. L'étendue des bois à exploiter en Argentine est d'environ 385 000 kilomètres carrés. Dans ces forêts abondent le quebracho('), le palissandre, le lapacho, le bois de rose, le santal, le palmier rouge, le tuya, le cèdre, le noyer, etc... De plus en plus, les capitaux se portent de ce côté et l'exportation des produits forestiers accuse la progression suivante : 1894.
7 555 725
1899-
11 o 4 4 080
1905.
3 5 G26 6G0
francs. — —
En ce qui concerne les brasseries, celles qui existent sur le territoire de la République ont fait disparaître l'importation des bières étrangères. A côté des industries nées des progrès de l'agriculture ou de l'élevage, ( ' ) E n 1 9 0 6 , l ' e x p o r t a t i o n d u q u e b r a c l i o e n rondelles a atteint a 3 o 100 tonnes. O n a d ' a u t r e part e x p é d i é à l ' é t r a n g e r 3 o 8 3 g tonnes
d ' e x t r a i t de q u e b r a c l i o et 3 5 3 a traverses.
de ce d e r n i e r p r o d u i t a baissé c o n s i d é r a b l e m e n t d e p u i s q u e l q u e s années.
L'exportation
* 33o SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* ARGENTINE
il en existe d'autres qui, il faut le reconnaître, sont encore très peu développées. Parmi les objets fabriqués il faut citer: le papier, les verres ordinaires, les tissus de laine et de coton de qualités inférieures, les chaussures, les chapeaux, les
conserves,
les cuirs et peaux, quelques produits chi-
miques, etc... A Buenos A y r e s et dans les grands centres, l'industrie électrique a fait de rapides progrès et les entreprises de tramways et d'éclairage fonctionnent dans les conditions les plus satisfaisantes. Quant à l'industrie minière, s'il est vrai que les gisements de minerai de feret de charbon sont assez nombreux, ils sont aussi trop disséminés et trop éloignés des voies de communication pour être facilement exploitables. Par contre, il semble résulter de multiples et persévérantes recherches poursuivies depuis quelques années que l'exploitation des mines d'or, d'argent, de cuivre, de nickel, de platine et d'aluminium, comme aussi de pétrole et de soufre, donneraient des résultats
appréciables.
O n est loin d'ailleurs d'avoir aujourd'hui des données précises et complètes sur les richesses du sous-sol argentin. On comptait, au 3 i décembre 1905, 2 6 7 2 8 établissements industriels de tous genres dont 4 8 1 7 seulement aux mains des Argentins, le reste, soit 23 4oG, étant exploité par des étrangers. Le nombre de personnes employées s'élevait à 1 8 7 7 8 4 et on estimait à 764 millions la valeur de ces établissements. * *
*
Les facilités de transport résultant de la disposition des lleuves qui sillonnent l'Argentine ont été un des principaux auxiliaires du développement de la richesse nationale. Dans cette immense plaine qui s'étend depuis la Cordillère des Andes jusqu'à l'Atlantique, on ne trouve guère de hauteurs que dans la partie accidentée du nord-ouest de la
Répu-
blique, le sud-est d e l à province de Buenos A y r e s et la région formée par les provinces d'Entre-Rios, de Corrientes et du territoire des Missiones. Il en résulte que, plus qu'au Brésil (exception faite pour le bassin de l'Amazone), les rivières suivent un cours régulier qui les rend é m i nemment propres à la navigation. Le réseau principal est constitué par lousles lleuves qui, directement ou indirectement, se jettent dans le Rio de la Plata, immense golfe accessible aux navires du plus fort tonnage et qui couvre une superficie de
346
SITUATION
ÉCONOMIQUE
35 o o o kilomètres carrés. Le Parana
DE
L'AHOENTINE
avec son afiluent le P a r a g u a y ,
l ' U r u g u a y sont des artères lluviales de premier ordre qui mettent en c o m munication directe avec la mer et sans transbordement toutes les riclies provinces du nord, à une distance qui dépasse i o o o kilomètres. Les trav a u x d'approfondissement du Parana années
accomplis durant ces dernières
ont permis aux navires de i o o o o tonnes d'atteindre
jusqu'à
Hosario ; ceux de 6 o o o tonnes arrivent facilement j u s q u ' à Parana ou Colastiné.
D e s bateaux spéciaux faisant le service du llcuve
peuvent
remonter j u s q u ' à Corrientes et, d e l à , vers le P a r a g u a y et le Brésil ou vers l ' U r u g u a y , c'est-à-dire à plus de 2 o o o kilomètres. L e système du Bio de la Plata est complété sur certains points par les fleuves et rivières qui terminent leur cours dans les lacs et les étangs, ou se perdent en formant des marais ou des salines, et aussi par les cours d'eau qui se jettent directement dans l'Océan c o m m e la plupart de ceux de la province de Buenos A y r e s et de la Patagonie. Enfin, le Gouvernement d e l à province de B u e n o s A y r e s a mis à l'étude un réseau de canaux appelés à faciliter le développement de la vie agricole de cette région par le bon m a r c h é des transports. L e canal de Mar Chiquita à Baradcro, qui dessert les principaux centres de production e t d ' é l e v a g e , a une longueur de 253 kilomètres. L e long des fleuves sont établis les ports dont plusieurs sont des c e n tres de trafic de toute première importance. L e premier d'entre eux est Buenos A y r e s , dont l'outillage peut rivaliser avec celui des grands p o i l s européens ; il a coûté plus de 1 7 5 millions de francs. En
190/1, le ton-
nage du port aété de 10/100000 tonnes. Son immense entrepôt deslinéà recevoir les produits de l'élevage peut contenir /¡oooo m o u l o n s et plus de i 5 o o b œ u f s ; le grand Mercado
Central de Frutos
est le plus grand
dock du m o n d e et, en m ê m e temps q u ' u n entrepôt pour les produits de l'agriculture, est encore une véritable bourse où s'effectuent d'importantes transactions sur les principales productions du pays. L e port de la Plata, racheté à la Province et transformé en établissement national, a lui aussi une valeur économique considérable en
tant
que tète de ligne des chemins de fer desservant les parties les plus fertiles de la province de Buenos A y r e s . Son m o u v e m e n t est cependant inférieur à celui de Rosario qui occupe le second rang dans 1 Argentine et qui, après l ' a c h è v c m e n t d e s travaux confiés à une société française, deviendra un centre maritime de tout premier ordre. L e trafic du port de Bahia Blanca sur l ' O c é a n , où aboutissent plusieurs lignes du S u d et qui ne tardera pas à être complètement transformé, ne cesse enfin de s'accroître constamment.
33o SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* ARGENTINE
En i g o 3 , les chiffres indiquant le mouvement maritime des ports d e l à République Argentine accusaient un tonnage de 3a millions de tonnes, tant à l'entrée qu'à la sortie, L'aménagement des moyens de transports naturels par l'établissement
Chemin de fer Iransandin.
de ports d'accès facile a été complété par la création d'un vaste réseau de chemins de fer qui a été l'agent le plus puissant du développement de la culture et de l'élevage dans certaines parties du pays moins bien servies au point de vue des transports par eau. Les premiers dix kilomètres de voie ferrée
furent livrés
au trafic en I 8 5 7 ; en i885 la longueur totale
33o
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* A R G E N T I N E
était de 4 5 o 2 kilomètres, en i 8 g 5 de I 4 3 2 O ; elle atteint aujourd'hui 22 g8G kilomètres auxquels il faut ajouter i 906 kilomètres en construction et i 5 3oo kilomètres en projet. Cet accroissement montre assez l'importance que les Argentins attachent à cette partie de l'outillage. Ils ont tôt compris qu'au fur et à mesure que les voies ferrées relieraient entre eux les principaux centres agricoles et ouvriraient des débouchés vers les ports, les terrains laissés incultes jusque-là attireraient à eux les exploitants qui feraient surgir de nouvelles richesses. C'est grâce aux chemins de fer notamment que les provinces de Buenos Ayres, Santa Fé et Cordoba ont atteint le degré de richesse où elles sont actuellement parvenues ; c'est par eux que les riches territoires de la Pampa prendront peu à peu toute leur valeur. Tous les chemins de fer de la République convergent soit vers le Rio de la Plata, soit vers les ports du Parana, soit vers Bahia Blanca, le principal port sur l'Océan. A^ers l'Ouest, on poursuit leur raccordement avec le réseau chilien à travers la Cordillère des Andes. On compte qu'en 1909 les deux pays, qui chacun de leur côté poussent actuellementles travaux, pourront se trouver réunis. Le trajet entre Valparaiso ou Santiago et Buenos A y r e s s'effectuera alors en moins de 4o heures, alors qu'aujourd'hui il faut y employer de douze à quinze jours et affronter des difficultés de navigation dans les parages du détroit de Magellan. Le transandin provoquera entre les deux pays des échanges suivis rendus difficiles à l'heure actuelle par l'énorme barrière qu'oppose la Cordillère. Les chemins de fer argentins ont été construits par des Compagnies auxquelles l'Etat a accordé des concessions illimitées, mais avec faculté de rachat. Des garanties d'intérêts ont été accordées par l'Etat et les provinces dans les premiers temps de la création du réseau ; ce dernier système est actuellement abandonné et le Gouvernement lui préfère la construction directe. Les tarifs restent malheureusement trop élevés en raison des frais de premier établissement. V Presque toute la production de l'Argentine est destinée aux marchés étrangers. Les statistiques d'importation et d'exportation sont donc particulièrement intéressantes à étudier, puisqu'elles donnent la vraie mesure de la prospérité du pays. Le commerce extérieur de la République a passé par deux phases bien
33o S I T U A T I O N
ÉCONOMIQUE
D E L* A R G E N T I N E
distinctes. D e p u i s 1861 j u s q u ' à 1 8 9 0 , , la balance commerciale lui a été c o n s t a m m e n t défavorable : en 1889, à la veille de la grande crise qui fit tant de m a l au pays, l'excédent des importations atteignit j u s q u ' à 75 millions de piastres. Mais à partir de 1890, et exception faite p o u r i 8 g 3 , le m o u v e m e n t c o m m e r c i a l a accusé constamment une plus-value i m p o r tante des exportations. Voici d'ailleurs- le tableau des importations et des exportations d e p u i s 1900:
ANNÉES
I9°! I9<>3 1 9° 4 i9°5
IMPORTATIONS
EXPORTATIONS
BALANCE
(PIASTRES-OR)
(PIASTRES-OR)
(PIASTRES-OR)
1 1 3 485 069
1 5 4 600 4 1 2
-+-
1 1 3 9 5 9 749
167 7 iC 102
-4-
5 3 7 5 6 3 5 3
IO3O39 256
I79486727
-t-
7 6 4 4 7 4 7 1
1 3 1 206 Coo
2 2 0 9 8 4
8 9 7 7 7 9 2 4
1 8 7 3 0 5 969
2C4 1 5 7 5 2 5
-+-
2 o 5 i 5 4 000
322
H— 1 1 7
269 9 7 1 000
i9oC
+
5a4
4 i 1 1 5 343
844
000
-+-
292 254 000
Ainsi, l'excédent d'exportation qui, en 1900,
76851 556 C90
000
22 283
000
était seulement
de
4 i 1 1 5 000 piastres est monté en i g o 5 à 1 1 7 G90000 piastres. P e n d a n t la m ê m e période, le m o u v e m e n t c o m m e r c i a l
est passé de
2 6 8 0 8 5 000 piastres-or à 6 2 7 9 9 8 0 0 0 piastres-or. Il a donc presque doublé ! E t cela ne saurait nous étonner puisque nous avons v u q u e cette période correspondait à un accroissement extraordinaire de la quantité de terres cultivées, à une amélioration constante des procédés de culture et d'élevage. Bien plus, pendant ces dernières années on dut faire des dépenses considérables pour l'augmentation de l'outillage national, des frais de premier établissement pour les propriétaires et les industriels, et il est permis d'espérer
qu'au
f u r et à mesure que
ces
dépenses
s'amortiront, la
balance commerciale dénoncera une situation toujours meilleure. Il suffît d'ailleurs de jeter u n coup d'œil sur les tableaux donnant la v a l e u r des articles importés durant ces dernières années pour se rendre
compte
que le premier rang est réservé à ceux-là qui ont pour but de favoriser directement la production, tandis que ceux qui sont destinés à la consommation diminuent. E n i 8 g 5 , les premiers représentaient 2 5 %
et les
seconds 76 % de l'importation, tandis qu'en 190/i ceux-ci ne comptaient plus que pour 45 % . ceux-là pour 55 °[0.
35O
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE
L'AIICENTINE
Voici, pour KJO5, le tableau des principales marchandises importées :
MIL.LIENS D E P I A S T R E S
P R O D U I T S
A L I M E N T A I R E S
Huile d'olive
*977 597
G
Riz en g r a i n s
I
8IG
Café
I
008
A U T R E S
P R O D U I T S
P a p i e r et ses a p p l i c a t i o n s
/| i3/, 37G
P r o d u i t s c h i m i q u e s et p h a r m a c e u t i q u e s
G
V ê t e m e n t s et c o n f e c t i o n s Houille (et coke) ( de coton p u r Toiles.
.
.
I
GI3
10
5A3
I G 5 I
. < à sacs
G
( de l a i n e p u r e
7
119
/1G82
C u i r s et o u v r a g e s en c u i r B o i s de toutes sortes, b r u t s et o u v r a g é s
14
797 168
F e r et acier b r u t s et o u v r é s
26
172
1
Kérosine
I
A
Les principaux pays importateurs sont, p a r ordre d'importance : l ' A n gleterre ( G 8 3 Q I OOOpiastres-or), l ' A l l e m a g n e ( 2 9 0 8 3 O O O ) , lesEtats-Unis ( 2 8 9 2 0 0 0 0 ) , la France (21 2/18 000), l'Italie (20 285 000) puis, bien loin derrière, la Belgique
(8727000),
l'Espagne ( 5 7 2 7 0 0 0 ) et le Brésil
( 5 3 2 8 000). Les principaux objets d'importation de l'Angleterre sont le charbon, qui figurait en i g o 5 pour une valeur de 10 5 2 3 000 piastres, le matériel de chemins de fer et les tissus. Les Etats-Unis importent
surtout du
matériel agricole, du pétrole, et des bois de pins ; l'Italie, des vins, des huiles et du riz. Quant aux importations allemandes et françaises, elles se répartissent sur un grand n o m b r e de produits ; les premières cependant se rapportent surtout à la métallurgie, les secondes a u x tissus, vins et spiritueux, aux produits métallurgiques et aux spécialités de p a r f u merie et de pharmacie. Nous avons.pu constater, d'ailleurs, par l'énumération des principales marchandises importées, que l ' A r g e n t i n e était tributaire de l'étranger 11011 seulement pour la plupart des produits manufacturés indispensables, mais encore pour certains produits alimentaires. Celte situation ne laisse
33o SITUATION ÉCONOMIQUE DE L* ARGENTINE
pas d'ailleurs d'être une des causes principales du renchérissement de la vie en Argentine, d'autant plus que les droits élevés qui frappent à l'entrée les marchandises étrangères augmentent considérablement les prix de ces dernières. En ce qui concerne les exportations, le tableau suivant nous donne la valeur des principales marchandises pour iç)o5(') : MILLIERS DF. PIASTRES 1» R O D U I T S
A L I M E N T A I II F. S a l5~ 5 8ô 40 !>
Tr.
, , , ,, % V i a n d e conservée (congelce). .
AUTRES
.
l de b œ u f • j (,e m o
u
l
o
n
. . . .
374 883 537 160
364 15 386 6a68 3738
PRODUITS
P e a u x g r a n d e s d e v a c h e o u d e b œ u f , J S G|£ ES
Ces diverses marchandises
9 9 9 64 26 5 1
929 484 3i3 s34 3a i a46
ont été expédiées vers les destinations
suivantes : VALEUR PAYS
DE
DESTINATION
EX M I L L I E R S D E
PIASTRES
44 8 2 7 3 7 5g4 37 o 5 8 20 781 15717 i 3 039 6 705 6 4O9
( ' ) Les tableaux d'importation et d'exportation sont donnés d'après les Annules extérieur,
do 1 9 0 7 , pp. 238 à il\ 1.
du
Commerce
33o
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* ARGENTINE
Les Pays-Bas, l'Espagne, le Chili, la Bolivie, le Paraguay cl Cuha absorbent la différence, mais n'ont qu'une importance restreinlb au point de vue du commerce général. On voit que l'Angleterre, qui occupe le premier rang à l'importation, est aussi le premier client de l'Argentine : elle importe grandes
quantités de
viande congelée, céréales,
en
laines. Sa
effet de colonie
l'Australie achète également des stocks considérables de blé et de maïs. La France qui, jusqu'en 187G, occupa le premier rang parmi les pays d'exportation, occupe maintenant le second. Bien entendu, l'Argentine a favorisé les pays étrangers qui avaient une tendance à augmenter leurs achats chez elle et, comme nous l'avons vu, la France n'occupe plus que le quatrième rang à l'importation. Si l'on consulte d'ailleurs les statistiques indiquant la participation proportionnelle de la France dans le mouvement général d'échanges de la République Argentine, on se trouve en présence de chiffres dont l'éloquence est vraiment saisissante et qui indiquent assez la décroissance de noire commerce dans un pays où l'influence de 110s idées, de notre science, de notre littérature, est pourtant prépondérante. Ces chiffres sont reproduits dans le tableau d e l à page suivante. Or, tandis que nos importations de 187G à 190/1 diminuaient de % , celles de l'Angleterre augmentaient de 9,5 "/,,, de l'Allemagne de 8,3 "/„, de la Belgique de 0,8 % , des États-Unis de 7,7 % , l'Italie de 3,G
Depuis quelques années', il est vrai, la valeur des objets entre les
deux
de
%. pays augmente, mais
la France,
loin de
circulant regagner
l'avance qu'elle avait autrefois sur les autres nations, arrive avec peine à maintenir son pourcentage dans le commerce général. La Chambre de commerce française de Buenos A y r e s , après une enquête ayant pour but de dégager les causes de la déchéance de notre commerce en Argentine, a formulé les opinions suivantes dans un rapport adressé au Ministre du Commerce en 190/1 : i° L'exagération des droits dont beaucoup de nos articles sont frappés à leur entrée dans l'Argentine ; a 0 La concurrence de l'industrie produits ;
locale pour un certain nombre de
3° La cherté de notre main-d'œuvre et par conséquent de notre fabrication, ce qui dans bien des cas ne nous permet plus de lutter contre nos concurrents ; 4° Les imperfections de notre outillage pour certains articles ;
33o SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* ARGENTINE
5° La persistance de nos industriels à ne pas vouloir se conformer aux goûts de la clientèle ;
P II 0 P O R T I O N ANNÉES
DE
L-'LMIMJUTATLON
M
française.
pour la France.
I.'KXI>OIITATIO\
FOUR LA
FIASCE
îles importations et exportations réunies.
0/0
0/0
0/0
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20,4
20,5
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11,6
11,1
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'3,7
G" L'insuffisance des crédits accordés par les fabricants ou négociants français, comparativement à ceux de leurs concurrents ; 7" Le
manque fréquent de connaissances techniques des voyageurs
HENRI TUROT.
A3
33o
SITUATION
ÉCONOMIQUE
DE L* ARGENTINE
que les commerçants et industriels envoient sur nos marchés, ce q u i les empêche presque toujours de tirer tout le profit qu'ils seraient en droit d'attendre de cc contact direct avec la clientèle ; 8" Enfin, en cc qui concerne la navigation, la cherté de notre armement, et, par conséquent, de nos frets. Nous retrouvons là les critiques et doléances que répètent à l'envi tous ceux qui ont pu constater combien nos habitudes
commerciales
préjudiciaient à notre situation sur les marchés étrangers. Quant à l'exagération des droits dont nos produits
sont frappés, elle est en une cer-
taine mesure justifiée aux yeux des Argentins par les taxes rigoureuses qui frappent à l'entrée en France les viandes importées de leur pays. Il est naturel qu'une nation dont toute l'activité commerciale est à l'extérieur et pour laquelle, plus que partout ailleurs, la balance commerciale marque exactement le degré de prospérité, s'attache à favoriser les p a y s qui augmentent leurs achats. Il ne serait pas impossible au Gouvernement français de concilier les intérêts de nos agriculteurs et de nos éleveurs en entr'ouvrant à l'Argentine les barrières douanières. A u moment où nous écrivons, on annonce une hausse générale des farines et le prix d u pain est augmenté considérablement : celle situation pourra inspirerà M. Mélinc, noire grand protectionniste national, d'utiles réflexions. L'abaissement des droits sur les produits de l'agriculture et de l'élevage ne constituerait pas pour le producteur argentin des avantages unilatéraux : en particulier nos éleveurs pourraient trouver là-bas des débouchés sérieux pour les animaux reproducteurs de bonne race. D e même il y aurait lieu d'envisager cotte réforme comme une solution à la crise viticole qui désole le Midi. L'importation des vins français a diminué de 8 0 %
depuis
3o ans, tandis que
l'importation des vins
d'ori-
gine italienne a triplé. En tenant compte même des modifications apportées dans la situation antérieure par la production locale toujours accrue, par le discrédit dans lequel tendent à tomber les vins français en raison des produits de qualité inférieure livrés par nos viticulteurs, il est certain qu'une entente douanière activerait considérablement les relations des deux pays dans celte branche spéciale du commerce. Notre industrie manufacturière, enfin, ne pourrait que gagner à une telle entente, car il est un certain nombre de produits, surtout ceux qui se caractérisent par l'élégance et la finesse, qui, bien que pouvant défier toute concurrence, tendent cependant à être supplantés par ceux des nations rivales.
CONCLUSION
Une conclusion s'impose après un si grand parcours à travers l'Amérique du Sud. Toutefois, ce n'est pas à l'auteur qu'il appartient de la formider, mais bien au lecteur. En ce qui me concerne, j'ai dit au début quelles raisons m'avaient attiré en Amérique du Sud et à quel point il m'apparaissait urgent que la France soit informée sur le prodigieux développement économique •des Républiques latines. Je me suis efforcé, dans un voyage trop rapide, de regarder autour de moi avec le plus d'attention possible et j'ai réuni dans les pages qu'on vient de lire, toutes les observations que j'ai cru de nature à édifier mes lecteurs. A ceux-ci de dire maintenant si j'ai réussi 11 les intéresser et s'ils pensent comme moi qu'il y aurait grand dommage à rester inactifs dans nos frontières alors que tant d'activités allemandes, anglaises, ou nordaméricaines, luttent pour maintenir et pour augmenter l'influence de leurs pays respectifs par delà l'Atlantique. Mon ambition est d'attirer l'attention et de diriger vers l'Amérique du Sud les regards de ceux qui se sentent l'audace et l'endurance nécessaires pour tenter l'aventure en ces pays où l'on a de l'espace,
où on se
heurte moins que dans notre vieux Monde encombré, à d'âpres compétitions. Cela ne signifie pas qu'il suffise de franchir l'Océan pour trouver, soit au Brésil, soit en Argentine, l'occasion certaine d'une rapide fortune. Là bas comme partout, il y a des aptitudes indispensables à posséder ; il y faut et de l'ingéniosité et de l'opiniâtreté, de la force morale et de la résistance physique. Il faut aussi posséder le pécule qui permet au nouveau venu d'étudier son champ d'opérations et qui le garantit contre le découragement fatal à l'étranger quand les premières démarches furent vaines et les premières tentatives improductives. Je ne saurais donc prendre la responsabilité de conseiller l'émigration d'une façon générale. Mais ce que je puis dire, c'est qu'il y a là-bas une
356
CONCLUSION
grande tâche à accomplir ; c'est que le Brésil et l'Argentine peuvent devenir, si nous le voulons bien, d'admirables colonies françaises qui ne coûteront à la Métropole aucune dépense d'entretien, de défense et d'organisation. J'entends ainsi que nous devons nous efforcer, non pas d'exercer une inlluence dans les affaires politiques de l'Amérique florissante, ce qui risquerait de froisser le patriotisme susceptible des Argentins et des Brésiliens; mais bien d'augmenter notre influence par l'envoi de nos capitaux, par l'habileté de nos ingénieurs, le goût de nos architectes, l'érudition de nos savants, la conscience professionnelle de nos industriels et de nos commerçants.
\\ \
TABLE
DES
MATIÈRES
Pages. PRÉFACE
V
_
CHAPITRE
1
Vers l'Amérique du Sud. L e d é v e l o p p e m e n t des R é p u b l i q u e s a m é r i c a i n e s . — Souvenirs d'Espagne. — Luso et C o ï m b r a . —
L'effort S accomplir. —
L'inllucnco du milieu. —
C e q u e disent les v i e i l l e s p i e r r e s . —
L e s p i c s bavardes. —
E n route !
Q u e l q u e s j o u r s en P o r t u g a l . La M o n t a g n e de C i n t r a .
L i s b o n n e , les G a l l e j o s et les Y a c i n a s
i
» •
'
CHAPITRE
II
Trois escales. L a vie à b o r d . —
Q u e l q u e s h e u r e s ii D a k a r . —
m e n t «le la v i l l e . — A u l a r g e ! —
Opinions négrophilcs. —
Le développe-
U n e h é l i c e nous a b a n d o n n e . —
L e s p e r r o q u e t s l i n g u i s t e s . — B a h i a , la V i e i l l e M u l à t r e s s o . — Princesse
P a r a g u a s s o u et d u b e a u C a r a m o u r o u .
Essai de .cuisine b r é s i l i e n n e . —
—
Pcrnambuco. H i s t o i r e de la
Philosophie indienne.
—
Vieux souvenir CHAPITRE
21
III
Rio de Janeiro. L a baie de B i o et ses m u l t i p l e s aspects. — L a ville et ses e m b e l l i s s e m e n t s . — état sanitaire. — p0rt. —
L ' A s s i s t a n c e p u b l i q u e et l ' E n s e i g n e m e n t .
Patriotisme brésilien.
—
Promenade
—
au Corcovado.
Excellent
Les travaux —
du
Excursion
à
P c t r o p o l i s . — R i o de J a n e i r o , la n u i t
47
CHAPITRE
IV
États-Unis et Brésil. Les Américains du Nord. —
I m p é r i a l i s m e é c o n o m i q u e . — L e u r ellort au B r é s i l .
v o y a g e de M . B o o t et l ' e n t h o u s i a s m e b r é s i l i e n . —
—
Le
Le Congrès panaméricain de
1 QoG. — Sa portée et ses c o n s é q u e n c e s . — L e s déclarations de M . de l l i o - B r a n c o . CIIAPITBE
V
Coup d'oeil historique. D é c o u v e r t e et c o n q u ê t e d u B r é s i l . — gaise.
—
E x p é d i t i o n de C a b r a i . —
Les Français au Brésil. —
établissements français. — Portugais. —
L a Colonisation
E x p é d i t i o n do V i l l e g a i g n o n . —
portu-
Buine
des
L ' o c c u p a t i o n hollandaise. — L e t r i o m p h e définitif des
L a c o n q u ê t e de l ' i n t é r i e u r . — L e s P a u l i s t e s . —
Politique du l'or-
74
358
TABLE
l u g a l à l ' é g a r d de sa c o l o n i e . —
DES
MATIÈRES
A r r i v é e de la f a m i l l e de B r a g a n c e . —
La lulle
pour l'Indépendance. — Constitution du royaume du Brésil. —
R è g n e s de D o m
P e d r o I e r et de D o m P e d r o I I . —
P r o c l a m a t i o n de
la
République.
—
Crise
de
L'abolition de l'esclavage. — —
1890.
R é t a b l i s s e m e n t du
c r é d i t e t prospérité
actuelle
88
CHAPITRE
VI
Situation économique du Brésil. I . Conditions
(Situation, orographie, climat). —
géographiques
II. Population
et
immigra-
tion ( L e s d e r n i e r s r e c e n s e m e n t s ; nationalité des i m m i g r a n t s ; les a v a n t a g e s r e c o n n u s aux étrangers). — minéral). —
I I I . Les
richesses
I V . Industrie.
Voies
(Produits du règne végétal, animal,
naturelles
et moyens
(Industrie du coton,
de communication
des tissus ; m a n u f a c t u r e s diverses ; c o u r s d ' e a u ; c h e m i n s de fer ; ports et n a v i g a tion- c ô t i è r c ) . —
V . Le commerce
extérieur
( I m p o r t a t i o n s et e x p o r -
et la navigation
tations ; p r i n c i p a u x a r t i c l e s d u trafic ; l e c o m m e r c e des diverses nations ; m o u v e m e n t m a r i t i m e ; trafic des d i v e r s ports ; c o m m u n i c a t i o n s e x t é r i e u r e s ) . — Finances
(Papier-monnaie,
VI.
Les
c h a n g e et c o m m e r c e . L a caisse de c o n v e r s i o n . S i t u a -
tion b u d g é t a i r e ; dettes i n t é r i e u r e
et e x t é r i e u r e ; les dettes p a r t i c u l i è r e s
des
É t a t s ; b a n q u e s et c o m p a g n i e s d ' a s s u r a n c e s ) CHAPITRE
120 VII
Les relations franco-brésiliennes. L'influence morale
de la F r a n c e au B r é s i l .
Manifestations cordiales. — mercial.
—
prendre. —
—
Sympathies hautement exprimées.
—
L a r é c e p t i o n faite à M . D o u m e r . — E f f a c e m e n t c o m -
Effort à accomplir.
—
L a q u e s t i o n des tarifs. —
L e s e r r e u r s de M . M é l i n c . — S i t u a t i o n ¡'1 Insuffisance d u personnel c o n s u l a i r e .
CHAPITRE
.
.
1O9
VIII
L i t t é r a t u r e brésilienne. L e c u l t e des L e t t r e s . — V i e i l l e s l é g e n d e s et c h a n t s p o p u l a i r e s . — d é f e n d u . — L e V a u t o u r c l le C r a p a u d . — L a Y a r a . — plainte du navire Catharineta.
—
L e J a b o t y et le
Fruit
L'Anhanya. — La C o m -
Q u e l q u e s pages d'Innocencia. —
P o é s i e s de
G o n ç a l v e z D i a z et d ' O l a v o B i l a c
208
CHAPITRE
IX
Säo Paulo. — Parana. — Minas. L ' É t a t de S à o P a u l o . — U n e v i l l e q u i se d é v e l o p p e . — L a diversité des c u l t u r e s . — question hardie. —
du
café. —
L a s u r p r o d u c t i o n et la baisse des p r i x . —
La
U n e solution
L a r é g i e d u c a f é . — Q u e l q u e s statistiques édifiantes. — L e b é n é f i c e des
intermédiaires. — C e que pourrait gagner l'État français. — objections. —
Réponse à différentes
U n e s x c u r s i o n au P a r a n a . — Q u e l q u e s j o u r s dans l ' É t a t de M i n a s . CHAPITRE
aa3
X
Buenos Ayres. D a n s le R i o de la P l a t a . — Q u e l q u e s h e u r e s à M o n t e v i d e o . A r r i v é e à B u e n o s A y r e s . P h y s i o n o m i e de la v i l l e . — V i l l e d ' a f f a i r e s et de plaisirs. — cipale. —
L a mission de M . B o u v a r d . —
peut s'augmenter encore. —
Organisation
L ' i n f l u e n c e française. —
L e patriotisme argentin/
—
muni-
C o m m e n t elle 354
358 TABLE
DES
MATIÈRES
CHAPITRE
XI
Voyage à l'intérieur. R o s a r i o c l son n o u v e a u p o r t . — L a p a m p a et sa m a j e s t u e u s e s o l i t u d e . — A r r i v é e à T u c u man. —
L ' h o s p i t a l i t é d e M . I l i l c r e t . — E x c u r s i o n d a n s la S i e r r a . —
de C o r d o b a . — M e n d o z a c l les v i g n e s . —
La v i e d ' e s t a n c i a . —
Impressions
Quelques pages
de M . C a h e n d ' A n v e r s , CHAPITRE
XII
Notes historiques. L o s p r e m i è r e s e x p l o r a t i o n s . — M e n d o z a , Irala e t C a b c ç a de V a c a . — Indiens ; les diverses r a c e s . — I n f l u e n c e des J é s u i t e s . —
L a colonisation e s p a g n o l e . —
L a p o l i t i q u e c o m m e r c i a l e de la m é t r o p o l e .
e n t r e E s p a g n o l s et P o r t u g a i s . — Espagnols loyalistes. — taires e t f é d é r a u x . — Mitre. —
L a résistance des
Les Adelantados.
—
—Luttes
L a l u t t e p o u r l ' I n d é p e n d a n c e . — Résistance des
Etablissement d'une constitution républicaine. —
Luttes intestines. —
L a t y r a n n i e de R o s a s . —
L e s p r é s i d e n t s successifs : S a r m i e n t o , A v e l l a n e d a . —
Le
Uni-
général
L a crise é c o n o -
m i q u e de 1 8 9 0 . — M e n a c e s de g u e r r e entre l e C h i l i et l ' A r g e n t i n e . —
Rétablisse-
m e n t du crédit
299 CHAPITRE
XIII
Situation économique de l'Argentine. I. La Nationalité argentine. —
P o p u l a t i o n et i m m i g r a t i o n . —
p r i é t é ; la v a l e u r de la t e r r e . — L'élevage. —
I I . L e r é g i m e de la p r o -
L o s richesses a g r i c o l e s et l e u r e x p l o i t a t i o n .
I I I . L ' i n d u s t r i e , les voies et m o y e n s de c o m m u n i c a t i o n . —
—
IV. Le 3a3
c o m m e r c e extérieur.
355
CONCLUSION
CHARTRES.
—
IMPRIMERIE
DURAND,
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FULBERT*
Librairie VUIBERT et NONY, 63, Boulevard Saint-Germain, PARIS, 5''. L I V R E
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par P a u l DOUMER. V o l . 2 0 / 1 3 c m de 3/|3 pages. Broché Relié à l ' a n g l a i s e , titre or A N N U A I R E
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128
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de
pages. 3 fr. 50 4 fr. 50
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L'Annuaire de la Jeunesse
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L ' O C É A N O G R A P H I E , p a r le D RICHARD, directeur d u M u s é e o c é a n o g r a p h i q u e de Monaco. T r è s beau v o l . 3 1 / 2 1 r m , illustré de 3 3 g gravures, broché. . 10 fr. » Relié toile, fers spéciaux, tranches dorées, 14 fr. » ; relié a m a t e u r . . 18 fr. » R
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J A P O N :
C H O S E S
V U E S ,
par
CLIVE
IIOLLAND.
Traduit
de
l'anglais
par
M. LCGNÉ-PIULIPON. — T r è s joli v o l u m e ao/IS"™, illustré de 4 8 planches p h o t o g r a p h i q u e s de toute beauté o c c u p a n t u n e page entière, avec b a n d e a u x et culs-del a m p e spécialement gravés p o u r l ' o u v r a g e . Broché R e l i é toile, tète dorée
4 fr. 6 fr.
» »
L a m y s t é r i e u s e s p l e n d e u r d u p a y s d u C h r y s a n t h è m e , l ' o r i g i n a l i t é d e l ' A m e j a p o n a i s e o n t tenté l ' a u t e u r et il les a p r o f o n d é m e n t g o û t é e s . L e s b e a u t é s les p l u s s u b t i l e s , l e s p l u s d é l i c a t e s n u a n c e s ne l u i o n t p a s é c h a p p é ; il a su les l i x c r en q u e l q u e s t o u c h e s s o b r e s et j u s t e s , q u i f o n t d e l ' e s q u i s s e la p l u s s o m m a i r e u n t a b l e a u a c h e v é . D a n s l e texte si s a v o u r e u x , si p o é t i q u e , s o n t e n c h â s s é e s c o m m e d e m e r v e i l l e u x j o y a u x des i l l u s t r a t i o n s d ' u n e v a l e u r a r t i s t i q u e i n c o m p a r a b l e . C e s o n t là îles d o c u m e n t s p r e s q u e u n i q u e s , m a i s aussi d e v é r i t a b l e s couvres d ' a r t , d ' u n g r a n d effet d é c o r a t i f .
Paul
DOVMEIj
F R A N Ç A I S E (Souvenirs). V o l . 3 I / 3 I " " de de 1 - 3 illustrations par G . FHAIPONT, d'après ses croquis pris sur par différentes cartes, d o n t u n e en couleurs de l ' I n d o - C h i n e , portrait de l ' a u t e u r , gravé par PANNEMAKER. Broché Relié toile, fers spéciaux, tranches dorées, 1 4 fr. ; relié a m a t e u r .
L ' I N D O - C H I N E
LE
428 pages, orné place, complété et enrichi d ' u n 10 fr. » . . 18 ir. »
P A R T A G E D E L ' O C É A N I E , par Henri RUSSIER. U n très beau v o l u m e 2 5 / I 6 c , n d e x i - 3 7 0 pages, illustré de 95 photographies, 12 cartons et schémas dans le texte et u n e g r a n d e carte hors texte de l'Océanie 7 fr. 50
'Vient de paraître L'ÉDUCATION PHYSIQUE R A I S O N N É E , par a 5 / i G C I \ illustré de m g r a v u r e s o u photographies
G.
;
HÉBERT. B e a u
volume 3 fr. »
D é v e l o p p e r h a r m o n i e u s e m e n t l e s d i v e r s e s p a r t i e s d u c o r p s , a s s u r e r le f o n c t i o n n e m e n t r é g u l i e r d e nos o r g a n e s , s u i v a n t l ' i m p o r t a n c e r e l a t i v e q u e l e u r c o n f è r e l e u r rùle p h y s i o l o g i q u e , tel est le b u t a u q u e l M . H é b e r t n o u s p e r m e t d ' a r r i v e r p a r u n e m é t h o d e à la p o r t é e d e t o u s , des h o m m e s d e s p o r t , des s é d e n t a i r e s , des j e u n e s g e n s e t d e s h o m m e s m û r s . O n o b t i e n d r a ces effets sans r e c o u r i r à des a p p a r e i l s c o û t e u x et c o m p l i q u é s q u i p r é s e n t e n t s o u v e n t d e s i n c o n v é n i e n t s ou d e s d a n g e r s . O n l e s d e m a n d e r a à des séries d e m o u v e m e n t s s i m p l e s , f a c i l e s à a p p r e n d r e e t à e x é c u t e r p a r t o u t , sans
aucun accessoire.
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