DEUXIEME SOUS-PARTIE : LE BAGNE ET SON ENJEU COLONIAL. A côté des travaux à l’intérieur du dépôt auxquels sont employés les relégués collectifs existent d’autres statuts permettant aux relégués de s’affranchir de l'internement collectif. Les relégués peuvent être tour à tour assignés auprès de particuliers ou de services publics de la colonie, bénéficier d’une concession industrielle ou agricole et peuvent en dernier lieu être placés en relégation individuelle. Ces deux derniers dispositifs sont des passerelles destinées à leur permettre de s’installer plus ou moins librement en Guyane et de devenir des colons susceptibles de participer à l’effort de développement colonial. Mais cet objectif fixé à l’entreprise de la relégation sur les berges du Maroni ne donne guère de résultats et constitue un des éléments majeurs dans l'échec de la colonisation pénale par les relégués. La relégation individuelle produit effectivement des résultats très marginaux et le camp de concessionnaires ouvert à Saint-Louis au début du XXème siècle se solde quelques années plus tard par la mort ou la réintégration de la plupart de ses occupants. Ces expériences s'accompagnent de l'envoi de femmes reléguées destinées à devenir des épouses et permettre aux relégués d'établir un début de colonie de peuplement au Maroni. Mais cet envoi ne donne également aucun résultat et la relégation des femmes est abolie en 1907. Ces échecs remettent directement en cause la conception mobilisée par le législateur de la relégation, celui de faire de vagabonds et de délinquants récidivistes des colons honnêtes et « régénérés » grâce au labeur et à l'octroi d'une propriété. Le changement de milieu salvateur auquel devait donner lieu cette peine se traduit essentiellement par un environnement hostile et peu propice aux travaux coloniaux face auxquels les relégués sont brutalement exposés sans aucune formation adéquate. La part de l'administration pénitentiaire est écrasante dans cet échec car en plus de ne pas organiser leur préparation aux travaux coloniaux, cette dernière les encadre mal, leur donne peu de moyens et ne croit pas en cette initiative. Le régime de la relégation individuelle devient rapidement à ses yeux un régime discrédité et qu'elle accorde avec parcimonie sous la pression du département des colonies qui ne voit pour sa part dans ce dispositif qu'un expédient pour réaliser toutes les économies susceptibles de soulager son budget. Le régime du relégué demeure donc celui de la relégation collective, c'est-à-dire qu'il est exclusivement employé aux propres besoins de l'administration pénitentiaire. Bien loin d'être un colon destiné à s'installer durablement et à s'insérer au sein du tissu économique de la Guyane, le relégué ne sert qu'à la construction d'un bagne destiné à le surveiller et à le punir, mais certainement pas à l'affranchir de sa tutelle. L'administration pénitentiaire s'arroge ainsi un grand nombre de relégués pour poursuivre son activité et pour justifier la pérennité d'une institution qui s'auto-alimente et qui s'auto-génère d'une année sur l'autre grâce aux condamnés que les tribunaux s'évertuent à lui confier. 480