Voyage pittoresque dans les deux Amériques. Partie 2

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REPUBLIQUE ARGENTINE. vu notre Université, due à la sollicitude de Rivadavia, et fondée par lui en 1820, indépendamment de vingt écoles primaires établies en même temps dans la capitale, et d'une école du même genre dans chaque district de campagne. Malheureusement sa vie politique a été trop courte pour qu'il pût achever et consolider son ouvrage. Immédiatement après sa démission volontaire, tous les hommes d'un mérite distingué qu'il avait fait appeler d'Europe pour le seconder ont dû chercher ailleurs un autre emploi de leurs talens ; et l'avenir seul pourra nous apprendre ce que nous pouvons espérer de la réorganisation toute nouvelle de nos études nationales, sur un plan tout-à-fait analogue à celui de l'Université de France. Malgré tant de revers, nous avons encore beaucoup gagné, même dans cette partie si importante de l'administration publique ; e t , sans être une ville littéraire, Buenos-Ayres peut présenter un assez grand nombre de gens instruits, qui serait, sans doute, beaucoup plus considérable, sans les restrictions apportées à la liberté de la presse. On y trouve encore six librairies, autant d'imprimeries , qui ont publié plusieurs ouvrages distingués, et notamment celui du docteur Funes, le vénérable historien de n o t r e p a y s ; si nous n'avons plus dix-sept j o u r n a u x , comme il y a deux ou trois ans, au moins nous en reste-t-il encore s i x , dont, à la vérité, il faut peut-être défalquer les trois que solde le gouvernement que beaucoup d'entre nous osent appeler obscur. » Ces réflexions d ' u n homme aussi impartial qu'éclairé résumaient pour moi l'état politique et moral de la république Argentine. Jointes à mes observations personnelles sur son aspect physique et sur son régime administratif, elles complétaient assez l'idée que je voulais m'en faire, pour que j e crusse pouvoir poursuivre mon voyage dans le Sud, qui me restait à voir, avant d'achever mon exploration de la république. Mes préparatifs étaient faits depuis long-temps. J e devais m'embarquer sur la Juanita, navire de D . José, qui allait au Carmen prendre du sel pour Buenos-Ayres, à l'effet d'en alimenter les saladeros ; il me serait facile , après avoir exploré les environs, de revenir par terre du Carmen à la capitale. Je n'avais plus qu'à faire mes adieux à mon hôte et à sa famille, sans renoncer à l'espérance de les revoir; le lendemain matin, de très-bonne h e u r e , j'étais sous voile, en dehors de l'Amarado, et j e faisais route pour la Patagonie.

AM.

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CHAPITRE RÉPUBLIQUE

ARGENTINE.

XXXV. —

PATAGONIE.

Il n'y a peut-être pas de pays au monde dont on ait plus parlé et qui soit moins connu que la Patagonie ; elle est regardée, depuis plus de deux siècles et d e m i , comme la patrie d'un peuple de géans qui n'a jamais existé que dans l'imagination des premiers voyageurs, trop bien secondée, dans ses rêves, par la crédulité des u n s , par l'ignorance des autres et par le manque de critique de tous. Il est curieux de voir combien d'opinions divergentes et contradictoires ont eu cours, dans ce long intervalle, sur une pure question de fait, en apparence si facile à résoudre. Soulevée, en effet, par Magellan (mieux Magalanes), elle resta entière, sans faire l'objet d'aucun doute pour personne, jusqu'en 1762, époque où Bernardo Ibeñez de E c h a v a r r i , auteur fort judicieux et qui passe pour très-véridique parmi tous les Espagnols, présenta le premier la chose sous le point de vue le plus rapproché de la vérité, ce qui n'empêcha pas le Commodore Byron et son équipage de remettre sur pied les vieilles idées, que l'autorité de Wallis et de Carteret, en 1766, et celle de Bougainville, en 1 767, p u r e n t à peine ébranler de nouveau , appuyées qu'elles étaient sur cet amour du merveilleux qui a consacré et perpétué tant d ' e r r e u r s ; m a i s , enfin, d'autres écrivains ont commencé à leur porter des coups efficaces, en leur opposant le témoignage d'une longue expérience. Parmi ces derniers, il faut remarquer , comme plus dignes de foi, en raison de leurs lumières acquises, les jésuites Dobrizhoffer et Falconer, tous deux missionnaires dans l'Amérique méridionale, l'un pendant dix-huit a n s , et l'autre pendant quarante. Le premier, résumant les opinions de plusieurs auteurs sur la nature des Patagons, et citant ce qu'ont dit les premiers navigateurs sur la dimension d'ossemens trouvés sur la côte , et par eux réputés humains, cherche à démontrer que ces ossemens appartiennent à quelque grande espèce d'animaux de terre ou de mer, et conclut en ces termes : « Qu'on croie, d'ailleurs, de ces ossemens tout ce qu'on en voudra croire ; mais qu'on n'en conclue pas qu'à mon avis les Patagons sont des géans. » Le second, en reconnaissant que les Indiens Patagons sont assez généralement de grande taille, déclare n'avoir jamais entendu parler d'une race gigantesque, et il explique les exagérations si long-temps consacrées par l'usage dans lequel il dit que sont les hommes de 36


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