Le Palais provincial de Namur, son histoire

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Guy Focant©SPW-Patrimoine

D'épiscopal à provincial, les métamorphoses du palais provincial D'un monde à l'autre (1713-1830). Régence, rococo et néoclassicisme

Tel est le thème des Journées du Patrimoine cette année. Au cours de cette période, nos régions sont successivement sous domination autrichienne, française puis hollandaise avant de devenir belges. Cette période est synonyme de mutations profondes sur le plan politique, mais aussi sur le plan économique, culturel et social. Elle voit le passage de l’Ancien régime à la République, puis à une Monarchie constitutionnelle.

« D’épiscopal à provincial. Les métamorphoses d’un palais »

Le Palais provincial, un des joyaux du patrimoine de Wallonie, s'inscrit à merveille dans cette thématique : il a été construit dans sa totalité au cours de cette période. Ce bâtiment est le plus important du 18e siècle à Namur, non seulement en raison de ses dimensions mais aussi par ses qualités architecturales. Il a introduit à Namur l’influence française en servant de modèle à une série d’hôtels de maître.

Par ailleurs, il est le reflet des mutations de l'époque par les évolutions qu'il connaît dans son affectation et son aménagement. D'épiscopal, puisqu’il fut d’abord la résidence de l’évêque, ce palais deviendra le siège de la préfecture sous le régime français dès 1794 puis celui du Gouverneur sous le régime hollandais (1814-1830) et puis du Conseil provincial et du Gouverneur à partir de 1830.

Cette exposition a été réalisée par le service du Patrimoine culturel de la Province de Namur, en collaboration avec Mélanie De Brouwer à l'occasion de la 27e édition des journées du Patrimoine en Wallonie, les 12 et 13 septembre 2015.


In G. DUBY, Grand atlas historique, Paris, 2008, p.175.

Namur entre 1713 et 1830

Silhouette de la ville de Namur d’après un dessin aquarellé du XVIIIe siècle (AEN).

En 1713, Namur est la capitale d'un petit État indépendant (comprenant le comté de Namur et le duché de Luxembourg) dont Maximilien-Emmanuel de Bavière est le souverain depuis deux ans. Cette situation ne dure pas : dès 1714, la ville passe sous domination autrichienne et redevient le chef-lieu du comté de Namur.

Namur sous domination autrichienne : une période de paix et de prospérité 1714-1794

Depuis la fin du 17e siècle, la ville est marquée par de nombreux sièges, apportant leur lot de violences et d'incertitudes pour la population. Avec la gouvernance autrichienne s'ouvre une période de paix relative jusqu'en 1794. Afin de protéger les Pays-Bas de toute attaque éventuelle de la France, les traités de la Barrière prévoient la présence de garnisons militaires dans plusieurs villes des Pays-Bas. Namur, point stratégique de cette barrière, se voit contrainte d'accueillir 300 cavaliers et 3500 fantassins, parfois accompagnés de leurs familles. Les militaires sont donc omniprésents au sein de la ville, même en temps de paix. L’opposition aux réformes de Joseph II a été virulente dans nos régions. La population est peu encline à accepter les transformations sociétales qu’il prévoit. L’opposition s’est manifestée, notamment, à travers la diffusion de pamphlets à l’encontre du souverain. Pamphlets joséphiste et antijoséphiste, Namur, Archives de l’Etat, coll. Golenvaux.

Cette paix et cette stabilité favorisent un redressement économique ; le niveau de vie de la population augmente. Si les corporations de métiers restent traditionnellement

importantes, le développement industriel fait apparaître de premières formes d'économie fonctionnant à côté de ces corporations. Toutefois la société n'est pas prête à voir le cadre ancien disparaître : lorsque Joseph II (souverain autrichien de 1780 à 1792) fait passer des réformes dans ce sens, la Révolution brabançonne éclate et l'ancien mode de fonctionnement est réhabilité.

De l’occupation française à l’indépendance belge en passant par la période hollandaise 1794-1830

In G. DUBY, Grand atlas historique, Paris, 2008, p.176.

En 1780, la citadelle est démantelée par Joseph II. Lorsque les Hollandais arrivent à Namur en 1814, la ville retrouve son importance stratégique : les fortifications sont alors reconstruites et modernisées. Gravure du Général Howen.

Après la bataille de Fleurus en 1794, nos régions passent sous domination française : le comté de Namur fait partie du nouveau département de Sambre-et-Meuse, dont Namur devient le chef-lieu. Les idéaux révolutionnaires français atteignent Namur et les anciens privilèges sont abolis de manière définitive: c'est la fin de l'Ancien Régime. Pour les Namurois, l'arrivée des Français est synonyme de nombreuses réquisitions et d'une restriction à la liberté de culte. Cette dernière est restaurée en 1801 par le Concordat. Au fil des ans, la cohabitation entre occupés et occupants s'améliore. Au niveau militaire, Namur a perdu de son importance car la Meuse, frontière stratégique au cours de la période autrichienne, n'est désormais plus qu'une rivière intérieure. Après la défaite de Waterloo en 1815, le département de Sambre-et-Meuse devient une province intégrée au royaume des Pays-Bas. Namur retrouve alors de son intérêt stratégique pour les militaires. Lorsque la Belgique devient indépendante en 1830, la province de Namur devient belge.


Jusqu'au début du 18e siècle, la plupart des bâtiments namurois sont construits en bois. À une époque où les campagnes militaires sont nombreuses, le risque d'incendie est omniprésent. Suite aux grands sièges subis par Namur entre 1692 et 1715, des dispositions sont prises afin de remédier à ce problème. Les magistrats encouragent alors la reconstruction de bâtiments en matériaux durs. En 1708, un édit royal de Philippe V confirme cette politique : des réductions d'impôts sont prévues pour les personnes décidant de reconstruire leurs maisons en brique, pierre ou ardoise. Progressivement, des bâtisses en dur remplacent les maisons en torchis et en bois.

À la même époque, les souverains autrichiens soutiennent une importante campagne en faveur de la mobilité dans Namur. Pour faciliter la circulation (donc le transport et le commerce), de nouvelles rues sont créées et certaines routes existantes élargies. Cette dynamique s'étend à tout le comté de Namur par l’aménagement de nouvelles chaussées à travers le territoire. Le réseau routier namurois évolue considérablement et passe de 12 km à 182 km de routes pavées à la fin du 18e siècle. Toujours dans l'optique d'améliorer les voies de communication, les édiles namurois décident de démolir la troisième enceinte : seules les tours Baduelle, Marie Spilar et Saint-Jacques (encore visibles aujourd'hui) sont maintenues. Ces différents aménagements favorisent la circulation urbaine. Les échanges commerciaux s'intensifient.

La prospérité, la période de paix, et les mesures prises par le magistrat incitent à bâtir. Une véritable « fièvre de construction » s’empare de nos régions dans la deuxième moitié du 18e siècle. L'édification du palais épiscopal en donne le coup d'envoi namurois. De nombreux édifices, autant publics que religieux ou privés, voient le jour.

Ce projet de modernisation urbaine prévoit également l'installation de réverbères à lampes à huile dans les rues. Vers 1780, la ville en est agrémentée.

Métamorphoses urbaines e à Namur au 18 siècle

Namur vue de la chaussée de Louvain, dans Voyage pittoresque dans le Royaume des Pays-Bas, Bruxelles, 1825. Lithographie de Jobard redessinée par le général de Howen (Coll. SAN).

Faubourg de Sainte-Croix près de Namur (vers 1825). Lithographie d’après un dessin du général de Howen (coll. SAN). L’église (démolie en 1864) sépare, à gauche, la chaussée de Waterloo, pavée, construite à l’époque autrichienne, de l’actuelle chaussée de Gembloux, encore en terre.

Rue de l’Ange. Dessin et lithographie de Hoolans, vers 1854. Vue à hauteur de l’actuelle rue de la Monnaie vers les quatre Coins. Tous les immeubles qui bordent l’artère la plus commerçante de Namur datent du XVIIIe siècle.


Ce dessin, des années 1820, illustre l’évolution de la place. L’église Saint-Jean-Évangéliste et l’ancienne cathédrale ont disparu ; cette dernière a été reconstruite et a changé d’orientation. Le lien avec le palais épiscopal s’en trouve accentué.

Transformations de la place Saint-Aubain Extrait du plan relief de la ville de Namur, réalisé par Larcher d’Aubancourt en 1747, peu avant la construction de la nouvelle cathédrale. Dans le coin inférieur droit, on distingue la forme en U du palais épiscopal, construit « à la française » en 1728. Entre ce dernier et l’ancienne cathédrale Saint-Aubain, de style roman, se dressait l’église Saint-Jean-l’Évangéliste, démolie en 1751. En haut à gauche, le palais des gouverneurs du comté, siège du pouvoir princier à Namur, reconstruit en 1631 (actuel palais de justice). Le quartier réunit déjà les deux pouvoirs : civil et religieux.

Ce dessin de Jean de Beyer, daté de 1740, montre l’ancienne cathédrale (à gauche), le clocher de Saint-Jean-l’Évangéliste (à droite) et la tour de l’ancien palais du gouverneur Maximilien de Bavière (au centre, actuel palais de justice).

La transformation que connaît la place Saint-Aubain dans la deuxième moitié du 18e siècle illustre bien l'urbanisation de Namur à cette époque. Après l'édification du palais épiscopal en 1732, la place, progressivement agrandie, se métamorphose. Jusqu'au milieu du siècle, la place est occupée par l'église Saint-Jean-l'Évangéliste et par l'ancienne cathédrale Saint-Aubain. Après 1760, l'église Saint-Jean-l'Évangéliste avec son cimetière urbain est démolie, autant par souci d'hygiène que d'urbanisation. L'objectif est aussi d'agrandir l'espace sur la place et d'assurer une meilleure communication entre le palais épiscopal et la cathédrale. Suite aux inondations fréquentes de la vieille cathédrale gothique, l'évêque Paul Godefroid de Berlo (1741-1771), influencé par l’atmosphère ambiante, décide de construire une cathédrale « digne de ce nom ». L'ancienne collégiale, fondée en 1047 par Albert II, comte de Namur, et devenue cathédrale lors de la création de l'évêché de Namur en 1559, est rasée. Seule la tour adossée à l'abside de l'actuelle cathédrale est préservée. En 1750, la première pierre de la nouvelle cathédrale est posée, selon les plans de l'architecte Pisoni. De style classique et baroque, elle devient l'élément central de la place, en face du palais épiscopal. Le changement de son orientation, désormais vers l'ouest, souligne la volonté de faire le lien avec le palais épiscopal. En 1787, un voyageur estime que « si le Bon Dieu est bien logé à Saint-Aubain, les pasteurs de cette église le sont également1 », ce qui montre l’importance emblématique des deux bâtiments, se répondant l’un l’autre. Ces deux édifices majeurs, parmi les plus imposants de la ville, marquent fortement le nouveau visage de la place Saint-Aubain. La recherche de cohérence et d'harmonie est grande : la place est encadrée de nombreux immeubles dont l'hôtel du Gouverneur (l'actuel palais de justice, embelli par Maximilien-Emmanuel de Bavière qui y résidait) et l'hôtel de Groesbeeck de Croix (actuel musée des Arts décoratifs de Namur). La plupart des autres demeures, basses et larges, étaient habitées par des chanoines. 1

DUQUENNE, X., Une description de Namur en 1787 par Cyprien Mergeai : un témoignage inédit confronté au regard des historiens de l’époque, Namur, 2011, p. 41.


Une nouvelle figure architecturale : l’hôtel de maître

Élément significatif de l’hôtel de maître, l’escalier joue un rôle important dans la distribution. Il marque très clairement la distinction entre la vie privée et la vie publique. Ici, l’escalier du palais dont la rampe en fer forgé a été réalisée en 1732 par Antoine Gilen, est emblématique de la richesse du lieu. Guy Focant©SPW-Patrimoine

L’élan bâtisseur qui caractérise Namur en cette seconde moitié du 18e siècle s'est développé dans les milieux aisés : de nombreux hôtels de maître sont édifiés. Construit en 1728, le palais épiscopal est le premier d'une longue série. L'influence classique du modèle français qui le caractérise marquera la conception des hôtels namurois au fil du 18e siècle. Le modèle français veut que l'hôtel de maître soit construit selon un plan en U. Le corps du logis doit se situer entre cour (au milieu) et jardin (situé à l'arrière du bâtiment). À Namur, l'espace ne le permet pas toujours et les corps de logis de certains hôtels se trouvent parfois le long de la rue (c'est le cas notamment de l'hôtel de Propper, construit en 1763 à l'angle de la rue du Collège et de la rue Saintraint).

Le palais épiscopal de Namur, exemple type de l’hôtel en U entre cour et jardin. Après la cour se trouve le bâtiment central (le corps de logis), suivi d’un jardin. Remacle Leloup (1708-1746). Dessin à l’encre rehaussé de lavis. Musée diocésain de Namur.

Le modèle français accorde aussi la plus grande importance à la distribution intérieure. Une nouvelle organisation du bâtiment prévoit une séparation entre le bel étage, le niveau principal, où se trouvent le vestibule et les appartements de parade, et les appartements privés à l'étage. L'escalier les sépare et les relie à la fois. Il devient un élément capital de la construction. Cette organisation reflète un changement profond des modes de vie. Une distinction plus nette se fait entre la vie familiale et la vie professionnelle ; une plus grande intimité est réservée à la famille. Au sein de certaines demeures, un boudoir (espace réservé aux femmes) est intégré. Une place de plus en plus importante est accordée au confort, et les premières pièces de commodités font leur apparition.

Extrait de Hôtels de maître à Namur, du style Louis XIV au premier Empire, Namur, 2001, p. 35.

Détail de la cheminée en marbre noir enchâssé de marbre rouge de l’ancienne salle à manger. Plusieurs cheminées de ce type équipaient les salles du nouveau palais épiscopal, signes d’une importance grandissante accordée au confort des nouveaux hôtels de maître. (Photo : Dany Noé©PN/PatCult)

Signe d'une grande richesse, l’édification de ces hôtels, dits aussi particuliers, reste souvent le privilège de nobles ou de magistrats. À l'époque, la plupart des Namurois vivent dans des appartements où plusieurs locataires cohabitent fréquemment dans une grande promiscuité. Toutefois, au cours du siècle, quelques industriels namurois, maîtres de forges ou batteurs sur cuivre, font aussi ériger des hôtels de maître, vitrines de leur ascension sociale, et preuves du rôle accru de cette nouvelle classe au sein de la société namuroise.


La construction du palais épiscopal (1728-1732)

Drapé d’un manteau pourpre, Thomas Strickland se tient debout au milieu d’un fastueux décor. Ce portrait, qui le montre dans une position digne d’un personnage royal, a été réalisé en 1729 par Edmond Plumier.

Détail du plan de Namur par Masius (1715). La flèche indique les quatre maisons achetées par le premier évêque de Namur en 1562. Situées à l’emplacement de l’actuel palais, elles serviront de résidence aux évêques jusqu’en 1732.

Extrait de N. BASTIN, Le palais provincial de Namur, Namur, 1980, p. 76.

En 1559 la ville de Namur devient le siège d’un nouveau diocèse : la collégiale Saint-Aubain obtient alors le statut de cathédrale et un évêque réside désormais à Namur. En 1562, le premier évêque, Monseigneur Antoine Havet, achète quatre maisons particulières pour se loger (situées en face de la cathédrale SaintAubain, à l'emplacement actuel du palais). C'est dans ce modeste logement (agrandi de quatre maisons voisines en 1602) que résideront les onze premiers évêques, sans y apporter de changements majeurs. En 1727, Thomas Strickland devient le douzième évêque de Namur. Sous son règne, l’ancienne demeure épiscopale est rasée et un imposant palais érigé à sa place. Cette entreprise constitue une priorité aux yeux du prélat qui obtient un prêt afin de lancer ces travaux d'envergure. En juin 1728, le chantier commence par le démontage des toitures de l’ancien évêché, et dès octobre, la construction du palais est lancée, sous la supervision du géomètre JeanThomas Maljean.

En moins de quatre ans, le palais est achevé. Par la suite, son aspect extérieur ne connaîtra pas de changements majeurs. Construit dans le style Louis XIV, dit classique, et réalisé selon les plans de Maljean, probablement sous l’étroite supervision de l'évêque, il constitue l'exemple namurois le plus abouti des hôtels à la française.

Thomas Strickland (vers 1679-1740) Gravure de Remacle Leloup. Dans le coin supérieur gauche : blason de Thomas Strickland. Extrait de N. BASTIN, op.cit., pp.108 et 109.

Armes de Thomas Strickland exécutées en stuc par les frères Moretti dans le vestibule du palais. Photo © Dany Noé - Patrimoine culturel

Né en Angleterre, Thomas Strickland de Sizergh passe une partie de son enfance en France, où son père, membre de la cour de Jacques II Stuart, avait suivi le roi en exil après la révolution de 1688. Après des études au collège anglais de Douai, il entre au séminaire à Paris. Avant d'être nommé évêque de Namur en 1727, il fréquente plusieurs cours européennes (Londres, Paris, Vienne, Rome) : cela explique son goût pour l’architecture et sa volonté de bâtir, dès son arrivée à Namur, une demeure épiscopale imposante et digne de son rang. Il est également à l'origine de la construction de l'ancien château de La Plante et d'une partie de l'ancien séminaire. Il meurt à Louvain le 14 janvier 1740, sans avoir remboursé les trois prêts obtenus pour la construction du palais et laissant de nombreuses dettes à ses successeurs.


Le palais épiscopal connaît une importante phase d’embellissements sous l'impulsion du quatorzième évêque de Namur, Ferdinand-Marie prince de Lobkowitz. D'importants travaux sont entrepris et l'intérieur du palais est considérablement modifié. L’évêque fait appel aux célèbres stucateurs Moretti pour enrichir la décoration du hall, du plafond de la chapelle et de la cage d’escalier. C'est également sous son épiscopat que la nouvelle cathédrale Saint-Aubain est consacrée. A l’extérieur, la galerie qui ferme la cour d’honneur est dotée d’un garde-corps en fer forgé et le balcon qui surplombe la porte du corps de logis est remplacé par un avant-corps à pans coupés percés de trois arcades. Des piliers angulaires Né à Vienne en 1724, Ferdinand Marie, prince de Lobkowitz, est nommé évêque de Namur en 1772 (il le restera jusque 1779). Il consacre alors la nouvelle cathédrale SaintAubain et entreprend de vastes travaux de réaménagement du palais épiscopal, dès 1772. Portrait par Jean-Baptiste Baudin. Evêché de Namur.

servent de piédestal à quatre statues, reliées entre elles par un balcon en fer forgé. Cet ajout, de style Louis XV, donne une empreinte rococo au palais.

La seconde phase de travaux (1772-1779) La distribution intérieure du palais

Elle correspond en tous points au modèle de l’hôtel de maître à la française et traduit parfaitement une nouvelle façon de vivre des nobles et des nantis au XVIIIe siècle. Le rez-de-chaussée est dédié à la vie sociale et mondaine du prélat : salle de billard, salon de réception (modifié depuis), chapelle, secrétariat, salle à manger et cuisines. Ces dernières donnent sur la basse-cour, pourvue de lieux d’aisances. Du vaste vestibule, on accède tout droit au jardin. Avant le 20e siècle, le palais ne connaît qu’une transformation majeure au niveau extérieur : la construction de l’avant-corps de style Louis XV du palais épiscopal, commanditée en 1772 par Lobkowitz. Photo © Dany Noé - Patrimoine culturel

Un escalier d’honneur mène à l’étage réservé à la vie privée et domestique de l'évêque. L’aile sud est composée d’un cabinet de travail, une chambre à coucher précédée d'une chambre-vestiaire, ainsi qu'un cabinet de toilette. L'aile nord occupée à l’époque par la bibliothèque et la chapelle privée du prélat, est consacrée aux affaires spirituelles et intellectuelles. Au second étage, un petit appartement était probablement réservé à son secrétaire. Les armes de Ferdinand de Lobkowitz, le commanditaire des stucs pour le palais épiscopal, font face à celles de Thomas Strickland. Les deux prélats qui ont marqué le palais de leur empreinte sont ainsi représentés. Photo ©Aurélire Morimont

Côté jardin, cette grande salle d’apparat, de plus de 18 m de long, a été réalisée en supprimant la cloison qui, lors de la construction du palais, séparait la chambre-vestiaire de l’évêque de son cabinet de toilette. (©Photopresse)


Par son architecture et son histoire, le palais provincial est un bâtiment remarquable. Les stucs réalisés par les frères Moretti en 1773, à la demande de l’évêque Lobkowitz, pour décorer le vestibule, le plafond, la cage d'escalier et la chapelle épiscopale contribuent à sa renommée. La technique des stucs Le stuc est un matériau élaboré à base de chaux et de poudre de marbre auquel on ajoute des éléments variant en fonction des périodes et des régions (dans le cas du palais il s'agit de sable fin et de plâtre fin). Mélangés, ces éléments forment une pâte homogène, modulable et qui durcit à l'air libre. Une fois poli, le stuc imite le marbre. Pouvant se modeler directement sur le mur, il est utilisé afin de décorer les murs ou réaliser des sculptures. La technique du stuc, mise au point dans l'Antiquité, a été introduite dans nos régions par les Romains. Moins prisée durant la période médiévale, elle est remise au goût du jour au 16e siècle en Italie. Son usage se généralise en Europe au 17e siècle et connaît de nouveau un vif succès au 18e siècle, … notamment en namurois. Les frères Moretti dans nos régions La présence des stucateurs Moretti à Bruxelles et dans la vallée mosane ainsi que le nombre d’œuvres qu'ils ont réalisées au cours du 18e attestent de leur popularité. Originaires d'Italie, les frères Moretti ont probablement grandi dans le Tessin. Ils font partie d’une famille de stucateurs appréciés. Leur père, en particulier, a travaillé comme maître-stucateur à la cour de Charles de Lorraine lors de la construction de son palais de Bruxelles dans les années 1760. Si les deux frères, Antonio et Carlo, ont eu une carrière distincte, ils ont régulièrement collaboré pour réaliser les stucs de plusieurs édifices. C'est le cas notamment des stucs de la cathédrale Saint-Aubain, du château de Freÿr, du château d’Ostin à Villers-lez-Heest (La Bruyère) et du palais épiscopal. L'envergure de pareils travaux a nécessité leur présence simultanée. Photos © Aurélie Morimont

Les Moretti et leurs stucs

Le hall blanc De style Louis XVI, les stucs du palais sont caractérisés par une ornementation qui n'est pas surchargée. Le style bien particulier des frères s'y retrouve : les stucs plus soignés et plus sobres sont de la main d'Antonio tandis que ceux plus imprécis au répertoire décoratif plus développé sont de la main de Carlo. Si les stucs des frères Moretti sont présents à différents endroits du palais, ceux du hall d'entrée sont d'une richesse considérable. Entièrement blanchis, ils constituent un splendide décor d'apparat. Sur les murs, les quatre vertus cardinales (la Justice, la Prudence, la Force et la Tempérance) sont représentées. Au plafond, on peut admirer l’Église triomphante, entourée de trois figures féminines incarnant les trois vertus théologales : la Foi, l'Espérance et la Charité. Sur les trumeaux, différents éléments évoquent les saisons : le chapeau de paille, le printemps, les épis de blé, l'été, le raisin, l'automne et le fagot, l'hiver.

Photos Guy Focant©SPW-Patrimoine


La salle du conseil À l'origine, cette pièce était composée d'un salon et d’une chapelle. Ces deux pièces n'en forment plus qu'une actuellement : la salle du Conseil provincial. Si la décoration d'origine a presque totalement disparu (à l'exception des quatre colonnes inspirées du baldaquin du Bernin de la cathédrale SaintPierre à Rome), il est certain qu'elle était somptueuse. La chapelle était la pièce maîtresse du palais et reste encore aujourd'hui une des plus belles salles. Photo © Aurélie Morimont

Photo © Guy Focant - SPW Patrimoine

La chapelle a été construite en 1730 dans un style baroque. Des tableaux de grands maîtres (dont un Van Dyck et un Rubens) décoraient les murs. À la mort de Thomas Strickland, ces tableaux ont été revendus afin de rembourser les dettes contractées par le prélat pour l’édification du palais. Le baldaquin d’époque est décoré d'une couronne, probablement placée en 1830, remplaçant le chapeau épiscopal originel. Lors de la phase de transformation du palais, entreprise par de Lobkowitz en 1772, la chapelle est considérablement rénovée. Les frères Moretti réalisent une grande partie de son décor. Les stucs, peints et décorés de dorures, contrastent avec la sobriété du hall d'entrée, le hall blanc. Ils symbolisent la puissance de l’Église. Derrière le baldaquin se trouve une colombe rayonnant au milieu de nuages et de têtes d'angelots. Elle représente l'Esprit Saint, entouré de l'emblème des quatre évangélistes (le lion de Marc, l'aigle de Luc, le bœuf de Mathieu et l'ange de Jean). Le médaillon principal du plafond, qui porte la signature des Moretti, reprend le thème de l’Église éclairant le monde. Le décor du plafond est assez pompeux et contraste avec le dépouillement des murs, qui sont simplement moulurés. Les toiles peintes qui s'y trouvent actuellement ont été réalisées par Ferdinand Marinus (1808-1890). Placées en 1854, elles représentent les monuments et sites jugés alors comme les plus caractéristiques de la province : l'abbaye de Floreffe, la cathédrale et l'ancien port de Namur, les collégiales de Walcourt et de Ciney, les ruines du château-fort de Rochefort, la maison du Bailli à Gembloux, les ruines du château de Poilvache et celles de Montaigle. Photo © Guy Focant - SPW Patrimoine

Photos © Aurélie Morimont


Le Palais provincial sous l’occupation allemande pendant la première guerre mondiale. (Coll. Christophe Liégeois).

D’un monde à l’autre, un palais en mutation D'épiscopal...

Lorsque l’évêque Thomas Strickland lance la construction du palais en 1728, son objectif est clair : il veut construire une demeure épiscopale digne de ce nom. Tout au long de la période autrichienne, les évêques résident dans le palais. Lorsque Namur passe sous domination française en 1795, la France est en pleine Révolution, marquée par un anticléricalisme radical. Arrivés à Namur, les Français saisissent la plupart des biens du clergé : le palais épiscopal est confisqué et des officiers français s'y installent. L'évêque de l'époque, Albert-Louis, comte de Lichtervelde, fait preuve de résistance et ne quitte pas le palais pour autant : pendant plusieurs mois, il est forcé de recevoir des Français à sa table, avant de devoir quitter les lieux, définitivement. Thomas Stirckland, évêque de Namur de 1727 à 1740

Goswin de Stassart (1780 – 1834) est le premier gouverneur de la province de Namur après l’indépendance.

Nommé en 1803, le nouvel évêque de Namur, Monseigneur Pisani, installe,

en 1804, sa résidence dans l'ancien refuge de l'abbaye de Malonne, qui demeure encore aujourd’hui le siège de l’évêché. Le palais n'est désormais plus épiscopal.

.. À provincial

Une fois le palais devenu propriété de l’État français, l'occupant y installe le siège de l'administration civile du département de Sambre-et-Meuse (dont Namur est le chef-lieu). Gilles Emmanuel Perès, nommé préfet, y réside vraisemblablement de 1799 à 1814. En 1803, il y reçoit d’ailleurs Napoléon et Joséphine de Beauharnais. Après la défaite de Waterloo en 1815, le préfet quitte les lieux. Il est remplacé par un gouverneur et une partie du département de Sambre-et-Meuse devient la Province de Namur. Dès ce moment, et jusque 1830, le palais devient la résidence du Gouverneur de la Province de Namur, Jean-Baptiste Omalius d'Halloy.

L’actuel « salon royal » dont les murs sont recouverts de 6 portraits de souverains et de princes de Belgique, était à l’origine, la chambre à coucher de l’évêque. (©Photopresse)

Dès l'indépendance de la Belgique, le bâtiment devient le siège des institutions provinciales et accueille les Gouverneurs de l’État belge. En 1937, l’État construit une aile administrative homogène, inspirée du projet initial du palais. Afin d'agrandir l'espace de travail, la Province rachète en 1971 l'hôtel de Propper, à l’angle de la rue du collège et de la rue Saintraint. Relié au palais par une passerelle, cet hôtel est le siège de travail de la Députation permanente du Conseil provincial appelée désormais le Collège provincial de la Province de Namur.


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