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C’est à partir de cette question fondamentale que des internautes ont interpellé notre grand témoin Claude Lelièvre. Comment prendre en compte chaque élève, penser la formation des enseignants, organiser une orientation positive, rêver une École du XXIe siècle qui réponde à de nouveaux défis ? Les questions ont été nombreuses et les réponses de Claude Lelièvre précises et exigeantes.
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ÉCOLE POUR LA RÉUSSITE DE CHACUN
DOSSIER
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On pourrait peut-être commencer par la reconnaissance de chacun tel qu’il est et non tel que l’École voudrait qu’il soit ? Ostiane Mathon – PE
Claude Lelièvre : Il est impossible d’arriver à une réussite pour tous effective si on ne tient pas compte des différences entre élèves. L’indifférence aux différences a pour effet des différences considérables. Néanmoins, il faut en partir mais ne pas y rester : c’est tout le problème de l’École «d’élever» à un bien commun, de faire que chaque «élève» maîtrise ce bien commun. Cela pose le problème d’un cadre national, adapté de façon locale, donc de toute la dialectique entre des définitions précises de ce que l’on doit attendre de chaque élève à la fin de la scolarité obligatoire, et des synergies différentes entre acteurs éducatifs au niveau local. On doit avoir des compétences différentes pour que la société fonctionne, mais en même temps il faut qu’il y ait un fond commun, c’est le socle commun de connaissances et de compétences. Il doit être acquis par tous, pas seulement par les mauvais élèves comme on le croit, par tous ! •••
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Le blocage de l’évolution de la forme pédagogique ne repose-t-elle pas sur notre conception de l’orientation scolaire (notation, compétition, individualisme, paradoxe de faire réussir tout le monde et de sélectionner) ? Bernard Desclaux – directeur de CIO
C. L. : Le collège d’enseignement secondaire de 1963 avait pour fonction principale de repérer tous les bons élèves et de les mettre dans la voie la meilleure pour accéder à une élite élargie. On comprend que la notation «classante» de type zéro à vingt règne alors sans partage : le problème n’est pas d’abord de savoir où les élèves en sont dans leurs progressions respectives, mais de les évaluer les uns par rapport aux autres. En 1975, il y a eu la tentative de mettre en place un collège unique et nous y sommes toujours ! Notre collège est encore dominé par l’idée qu’il est une gare de triage. Il y a une contradiction entre la forme du collège initiale qui est de sélectionner les meilleurs pour un accès limité au lycée général -c’est ce qu’on
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Claude Lelièvre est chercheur et historien de l’Éducation, sa réflexion s’appuie à la fois sur les aspects historiques de notre profession et sur une vision résolument moderne des défis que notre École doit relever pour former les citoyens du XXIe siècle. Vous retrouverez la vidéo intégrale de cette interview sur notre blog ainsi que toutes les contributions des internautes pour sa préparation : http://ecolededemain.word press.com/ N’hésitez pas à venir commenter et débattre...
enseignants - Unsa • www.se-unsa.org
appelle l’orientation- à laquelle participent activement les enseignants ; et un autre rôle qui est de faire réussir tous les élèves. Pour moi, la question de l’orientation ne devrait pas être dans les mains des enseignants de la scolarité obligatoire, mais se situer après. C’est difficile parce qu’il faut alors renoncer à la croyance (élitiste) très répandue que l’on peut compter en quelque sorte sur la «hausse du plafond» pour «élever le plancher»... N’est-il pas urgent de repenser les articulations du système scolaire autour de deux grandes périodes : l’éducation fondamentale commune à tous avec l’obligation de résultats sur les éléments que tous doivent acquérir ; et une période de formation différenciée avec une articulation mieux pensée du lycée à l’université ? Luc Bentz - PE
C. L. : Si l’on veut refonder une grande École républicaine, je crois aussi qu’il faut vraiment distinguer deux grandes périodes. Une première période, le primaire et le collège, pour traiter le fond commun qui doit
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Questions préalables à l’interview : Estelle Pour la formation on pourrait envisager un compagnonnage : un enseignant confirmé déchargé de classe dans chaque circonscription pour accompagner 4 nouveaux enseignants. Ces postes valoriseraient les enseignants confirmés en deuxième moitié de carrière.
être acquis et maîtrisé par tous et où il n’y a pas de spécialisation. Et une deuxième période, celle du lycée et des trois premières années du Supérieur, où l’on doit être dans une logique de spécialisation progressive. L’orientation se faisant à partir d’une seconde pour l’essentiel indifférenciée, avec ensuite un processus de différenciation, y compris pour la filière S qui doit avoir sa spécificité et ne plus être un super bac ! Si vous deveniez ministre de l’Éducation nationale, quel serait votre premier chantier ? Stéphanie de Vanssay - PE
C. L. : Si je devenais ministre de l’Éducation nationale, je commencerais sans hésiter par un dossier particulièrement difficile : la question de la formation professionnelle des enseignants ; pédagogique, didactique, pratique. C’est pour moi essentiel parce que si on veut faire réussir tous les élèves, il faut tenir compte de leurs différences, de ce qu’ils sont et savoir comment les aborder de façons différentes selon leurs spécificités. C’est une question très difficile à résoudre, qui demande une forte formation professionnelle. Si on est dans une perspective, et
je pense qu’on peut l’être, de refondation d’une École d’avenir républicaine, ça veut dire qu’il faut faire aussi non seulement une formation initiale qui «donne le La» sur ce que l’on pense du rôle de l’enseignant, mais aussi une formation continue pour l’ensemble des enseignants déjà en poste. C’est inouï que ce soit au sein du ministère de l’Éducation nationale, qu’il y ait le moins de formation continue. Il faut que ça change ! L’École dont je rêve est avant tout un lieu de vie d’échanges, de partage, au cœur de la Cité, qui lui soit ouverte. Une École qui soit un projet architectural, pédagogique et citoyen.
Olivier Quinet prof en collège Il faut supprimer la moyenne, on ne parle que d’elle mais jamais vraiment de ce que sait faire l’élève. Prosopee – prof français en LP La pédagogie de demain reposerat-elle sur une véritable démarche psychologique et sur des fondements théoriques solides autres que ceux du constructivisme ?
Mila Saint Anne – prof en collège
C. L. : Il faut rêver à un dépassement de l’École dite sanctuaire, qui n’a d’ailleurs jamais vraiment existé, on devrait aller vers une École beaucoup plus ouverte dans ses fonctions, dans ses liens avec l’environnement local ; rêver à une synergie beaucoup plus grande entre parents et enseignants, et de façon plus générale entre enseignants et autres acteurs éducatifs. L’École devrait être au cœur de la cité, elle n’est pas à protéger de toute influence. Certains s’imaginent que c’est un endroit extrêmement spécial qui n’est pas pour eux, en particulier un certain nombre d’enfants ou de jeunes. Il faudrait arriver à ce que ce soit un lieu pour tous.
Alphonse Brunstein – prof de math en collège Comment peut-on réellement juger de l’adéquation entre l’orientation et les aptitudes (et non seulement les résultats notés) de l’élève ?
Propos recueillis par Anthony Lozac’h et Stéphanie de Vanssay
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Ils se bougent pour 2012...
Les Francas sont à la fois un mouvement d’éducation et une fédération de centres de loisirs éducatifs qui impliquent près de 50 000 bénévoles et concernent près de 1 200 000 enfants et adolescents, en France, en Europe et à l’international. Nous avons posé trois questions à Didier Jacquemain, délégué général adjoint de la Fédération nationale des Francas.
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Quel est le sens de l’action des Francas ? Notre conception de l’Éducation, bien illustrée par le proverbe Wolof «Il faut tout un village pour élever un enfant», inscrit la nécessité d’une large mobilisation des acteurs éducatifs. C’est dans ce sens que nous agissons dans l’action éducative locale.
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Est-il nécessaire de repenser les rythmes scolaires ? Sous quelle forme ? Nous travaillons depuis de nombreuses années sur la problématique des temps de vie des enfants, des adolescents et de leur famille. Restreindre aujourd’hui la problématique des temps à la seule approche des rythmes scolaires serait une erreur qui nous entraînerait dans les mêmes impasses que celles connues depuis
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trente ans. Puisqu’il est acquis aujourd’hui qu’il faut prendre en compte la globalité de l’Éducation, il faut le faire également sur tous les temps éducatifs. Qui a conscience qu’un enfant et un adolescent, dès qu’ils vont être scolarisés, vont passer entre 40 h et 50 h par semaine dans diverses institutions éducatives ? Se préoccuper de seulement réorganiser le temps scolaire ne suffit pas !
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En quoi les projets éducatifs locaux sont-ils un outil pertinent pour l’Éducation ? Il convient demain de construire une mobilisation la plus large possible pour réfléchir en cohérence et en complémentarité les diverses interventions de ces temps éducatifs. Le Projet local d’éducation est dans cette perspective, une politique, une démarche, un outil pour construire, au plan local, le Service public d’éducation dont les enfants et les adolescents de notre pays ont besoin. L’expérience des dix dernières années, acquise par les associations éducatives complémentaires de l’enseignement public, et notamment par les Francas, est une ressource certaine pour relever ce défi.
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NOS 12 LEVIERS POUR 2012
RÉACTIONS À LA VIDÉO La classe doit exploser (compétences multi-âges), la formation continue des enseignants est stratégique, l’École doit s’ouvrir. François Meroth - parent Ne pas ranger les enfants dans des boîtes, «comme si le plus important était leur date de fabrication» est une évidence ! À appliquer d’urgence ! Mila Saint Anne - prof en collège Oui, il appartient au système d’offrir un cadre propice pour que chacun s’y retrouve et se sente appartenir au collectif car l’École, doit «faire société». Stéphanie Valmaggia La refondation de l’École, je rêverais que ce soit évident pour tout le monde ! C’est long, de faire comprendre que l’avenir n’est pas dans le repli et le conservatisme... Karine Esperanto
L’ÉDUCATION NATIONALE N’EST PAS ORGANISÉE pour assurer la réussite du plus grand nombre d’élèves mais pour sélectionner les meilleurs et renforcer leur excellence. Le SE-Unsa propose 4 leviers pour que ça bouge enfin : 1 assurer la continuité éducative entre les différents niveaux ; 2 construire réellement un socle pour des acquis communs ; 3 se donner les moyens d’une école inclusive ; 4 bâtir des parcours de réussite du lycée au Supérieur. C’est ce que défend Claude Lelièvre. Tenir compte des différences entre élèves pour les conduire vers des acquis communs, c’est construire, au delà de la question du handicap, l’École inclusive que nous appelons de nos voeux. Le socle commun est au coeur de la refondation de l’École républicaine. Sa mise en œuvre passe par une transformation des représentations et des pratiques pédagogiques. La formation initiale et continue des enseignants devra être l’outil majeur de cette transformation. Claire Krepper, secrétaire nationale du SE-Unsa
Rappel historique salutaire sur la création du collège en 1963 par «Mon Général» comme machine à trier les «bons» élèves. Dommage qu’on en soit encore là 48 ans après... Thierry Patinaux
LE MOIS PROCHAIN «Des moyens oui ! Mais pour quoi faire ?» avec François Dubet Pour participer
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