Mémoire de fin d'étude - Habiter les Serres - Ségolène Gaillon - ENP, Blois

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HABITER LES SERRES Quelles interfaces communes pour une campagne durable ?

Ségolène Gaillon - Mémoire de fin d’études - 2020/2021

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CARTE DES PAYSAGES Le terroir des Serres, des piémonts au canal du Midi

Bize-Minervois

Le Pech de Bize Argelliers

Mailhac

Le Répudre

La Serre d’Oupia

Anc

La

Pouzols-Minervois

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Le Pech Migé Mirepeisset Sainte-Valière Ginestas

La Rouquette Le Sommail

Paraza Le lac d’Argens

Argens-Minervois

Ventenac-en-Minervois

Roubia

Le canal d

u Midi

L’Au d

e

Cultures Vignes Vergers Jachères Urbanisme

1 0

2

0,5

1,5 km

Villages

Végétation Forêts, garrigues, landes, ripisylves,... Hydrographie Cours d’eau et canaux Zones inondables


HABITER LES SERRES Quelles interfaces communes pour une campagne durable ?

DIRECTRICE D’ÉTUDE Catherine Farelle Paysagiste et urbaniste Paysagiste-conseil de l’État, région Occitanie Enseigne le projet de paysage à l’École de la Nature et du Paysage de Blois

PROFESSEUR ENCADRANT Olivier Gaudin Docteur en philosophie des sciences sociales Enseignant en histoire de la formation des paysages à l’École de la Nature et du Paysage de Blois 3

PRÉSIDENT DE JURY Bruno Ricard Ingénieur et docteur en aménagement et techniques urbaines Enseignant en hydrologie à l’École de la Nature et du Paysage de Blois


Les Serres en octobre, carnet de pensées La prise de notes écrites et dessinées m’a permis de questionner sans cesse le paysage. Aller au delà du simple dessin illustratif est une manière de garder à l’esprit que chaque observation, chaque point de tension a sa traduction spatiale, permettant ainsi d’expliquer ou simplement d’interroger les processus à l’oeuvre dans le paysage. Mais aussi de garder une trace sur des ressentis, des émotions lors des arpentages. Ces carnets, élaborés à différentes époques sur site illustrent des interrogations qui évoluent avec le paysage et dessinent des chemins vers le projet.

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AVANT-PROPOS Le temps et l’espace, vivre le paysage À L’ORIGINE, LES OLIVIERS. RETRACER UN CHEMIN DE PENSÉE C’est cette fascination pour les paysages méditerranéens et récits anciens de la région, présents depuis mon enfance, qui m’ont conduite vers ces lieux. Il y avait aussi la typicité de la végétation, dont l’olivier. Un spécimen intriguant autour duquel les références culturelles s’accumulent pour lui accorder une reconnaissance sans commune mesure avec la place réelle qu’il occupe.... Ainsi, j’ai eu cette envie de comprendre ce qui se jouait autour des enjeux de représentation collective et les réalités actuelles de la filière oléicole mondialisée. Mais aussi celle de parler d’agriculture dans le paysage, de comprendre notre légitimité d’agir sur de tels processus, de me confronter à ce géant qui semble intouchable. J’ai donc parcouru une grande partie de l’arc méditerranéen durant l’été et me voici donc dans le Minervois. Les oliviers sont moins nombreux mais en développement et j’y ai découvert le vignoble puis de belles garrigues, un lieu adossé aux pentes de la montagne d’où descendent capricieusement les rivières. J’ai alors suivi ce choix et élargi mes pistes d’études initiales. Tout semble riche, complexe et dynamique. Un réel contraste apparaît entre la beauté du site et son relatif vide. La carte des paysages en deuxième de couverture est un outil pour se repérer facilement au long de la lecture de ce mémoire.

«Là où l’olivier renonce, finit la Méditerranée», Georges Duhamel 5


SOMMAIRE INTRODUCTION

P.8

SIGNAUX D’ALARME ET CHOIX DE POSITIONNEMENT

P.16

LE BESOIN D’UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE

Interactions entre les composantes physiques, biologiques et humaines d’un territoire méditerranéen

01 APARTÉ

ET POURQUOI PARLER D’ENJEUX [ COMMENT CLIMATIQUES DANS LE MINERVOIS ?

Entre adaptation et anticipation : une dualité de postures à adopter

]

P.48

Deux massifs pour se repérer Sur le territoire méditerranéen audois

P.24

Entre massifs et plaine Zoom sur le site d’étude Les Serres dans le Minervois Esquisser les contours

P.26

Un paysage arasé, partiellement immergé puis plissé Une roche essentiellement calcaire Territoire sculpté par l’eau, érodé L’aquifère karstique Cesse-Pouzols, principal réservoir en eau potable en interdépendance avec la Cesse

P.32

Une généralisation de la vigne Une diversité de sols pour une même culture

P.38

Interactions roche et flore Des milieux qui s’adaptent et composent avec les aléas climatiques Comment la garrigue s’installe-t-elle et progresse-t-elle ? Intérêt d’adopter une gouvernance «durable» pour ces milieux

P.41

Risque pour les populations et la biodiversité L’incendie au croisement entre sécheresse, déficit hydrique et couverture boisée

P.32

CONSTAT : La nécessité d’une approche systémique Des facteurs physiques et anthropiques qui s’influencent

P.54

DU TERRITOIRE RESSOURCE AU TERRITOIRE PRODUCTIF :

Des premières traces d’exploitation au Minervois Viticole

P.58

Naissance d’un paysage habité et cultivé Premières formes d’occupation Essors de la vigne et de l’olivier, la Gaule Narbonnaise

P.61

Dessin du finage agricole : le paysage ressource La polyculture méditerranéenne La polyculture méditerranéenne a perduré de nombreuses années Hégémonie viticole, essor du vignoble d’exportation Survire face aux crise par le groupement Produits à forte valeur ajoutée, essor du vignoble d’appellation

P.64 P.58 P.72 P.74 P.78 P.8 0 P.8 4 P.8 6

Trajectoire historique d’apparition des friches viticoles Synthétisation des tournants dans l’histoire agricole du site La friche, une opportunité ? Enjeux de représentations et d’usages Comprendre le marché viticole et oléicole aujourd’hui Un système mondialisé peu pérenne et un marché de niche CONSTAT : Une déconnexion progressive du sol Des espaces qui se sont fragmentés au fil du temps

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P.28

02


ART D’HABITER ET TEMPORALITÉS SUR LES SERRES Des trajectoires qui divergent

03

Habiter les Serres L’usage de la voiture comme quotidien

P.90

Grandir sur ce territoire Le temps des transports, une dynamique quotidienne Services et enseignements sur les Serres

P.93

Quatre temps pour les agriculteurs Vivre au rythme des saisons

P.96

Récit d’une journée sur les Serres et ailleurs Mise en miroir des temporalités et paysages agricoles et périurbains

P.98

CONSTAT DE MI-CHAPITRE Relation au temps et à l’espace, des fractures qui se dessinent Expliquer la rupture par les acteurs La nécessité d’une approche territoriale

P.72 P.101 P.102

APARTÉ

ÉCHELLE POUR LE CHAMP D’ACTION LOCALE ? [ QUELLE Un changement de paradigme sur notre relation au temps et à l’espace ]

P.104

QUEL DEVENIR POUR LES SERRES FACE À LA BASCULE CLIMATIQUE ?

Développement du projet P.112

Paysages redoutés, paysage souhaités Trois scénarios pour comprendre les conséquences si l’on décide de suivre la tendance

P.114

Tableau synthétique des relations de cause à effet Des interfaces fragmentées

P.116

Quelles interfaces communes pour les Serres Objectifs et intentions de projet Un projet de territoire pour les Serres Une application sur l’épaisseur du Répudre

P.120

Quels acteurs pour porter le projet de territoire L’entente des Serres pour une coopération entre villages

P.122

Quelles temporalités pour le projet Agir sur le temps proche

P.124

De nouveaux motifs sur les Serres Déploiement d’ambiances et d’usages nouveaux Conclusion Bibliographie Remerciements

P.126 P.128 P.130

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04


INTRODUCTION PARLER DU DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE DANS LE MONDE AGRICOLE Depuis quelques années j’ai choisi de parler d’agriculture pour ce diplôme. C’était ancré. Ceci me venait de l’envie d’explorer la légitimité du paysagiste à agir sur ces territoires. Un doute qui m’habitait tant il est parfois dur de rivaliser avec les grandes orientations économiques et politiques qui régissent ce monde. Pourtant, les paysages agricoles, nous les côtoyons au quotidien. Ils remplissent tous ces vides dessinés en blanc sur les cartes, tous ces espaces qui ne sont pas bâtis. Ils sont à l’interface de nos villages et de nos villes. C’est par l’expérience de mes arpentages quotidiens que j’ai choisi de l’évoquer. Je marchais toujours dans les champs, je me demandais si j’avais le droit d’être là et j’étais toujours étonnée d’être la seule à vouloir explorer ces lieux. Alors j’aimerais interroger le lien de l’habitant à son territoire agricole. Peut-il le parcourir ? en a-t-il envie ? Ma seconde volonté, celle d’aborder les dérèglements climatiques me vient d’une lassitude pour une certaine forme d’inaction des politiques sur ce sujet. Mais aussi des discours alarmants, pessimistes, parfois théâtraux des médias, qui ne semblent toujours pas faire effet sur les populations. Ce sont des termes que l’on entend beaucoup mais sur lesquels on ne pose plus vraiment d’images. On ne comprend plus ce que cela signifie et les techniciens, à force de statistiques et de chiffres, ne rendent pas toujours la tache aisée. Mais j’ai constaté que c’était compliqué de parler de ceci avec les agriculteurs. J’ai fait face à une forme de dénis parfois. « Le changement climatique il a bon dos », « Avant il faisait plus chaud et on faisait toujours de la vigne ».Un défi qui me demandera donc de mettre à l’épreuve mes capacités de médiation entre les acteurs et le paysage... Je n’ai pas envie de leur imposer un projet mais de faire avec eux, d’apprendre d’eux.

LE CHOIX D’UN SITE Le Minervois est une campagne viticole. Le territoire est familier, nous pouvons atteindre beaucoup de lieux à pied. Là encore je me suis souvent demandée si j’avais le droit d’être dans les vignes. Le paysage, quand les viticulteurs n’y sont pas, semble bien vide.... Je ne connaissais pas ce lieu alors il a fallu l’apprivoiser. J’ai pu expérimenter sur le territoire, la sécheresse de l’été, les feuilles de l’automne et les vents violents de l’hiver. J’y ai découvert une mosaïque de paysages riches et changeants. Des collines sèches jusqu’à la plaine, j’ai traversé la garrigue quand elle le veut bien, les peuplements de pins d’Alep qui ont colonisé les pentes, pour enfin rejoindre les rivières. J’ai eu quelques difficultés à obtenir des rendez-vous avec des élus parfois. Pas de refus, juste une indifférence malgré de nombreux appels... LES ÉCLATS DU TEMPS Le climat méditerranéen y est varié et capricieux. Ce sont des étés très chauds et secs, là où le printemps et l’automne annoncent de fortes précipitations. Les températures et l’ensoleillement en font une région très prisée où se construisent de nombreuses résidences secondaires. Le déficit hydrique, l’extrême sécheresse et la violence des vents renforcent la sensation «hostile» d’un climat difficilement «contrôlable». Cette richesse de paysages, face aux dérèglements climatiques actuels et aux activités humaines pourrait alors ne pas durer. Quelques signaux alarmants illustrent dès aujourd’hui les risques : monoculture peu viable à long terme, recours à l’irrigation, enrésinement, progression de la garrigue, incendies proches des habitations...

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DU CHOIX D’UNE MÉTHODE

surcroît, souligner la responsabilité des habitants dès à présent.

Les Serres ont connu l’arrivée des premiers humains et la mise en culture du territoire dès le Néolithque. Je me suis interrogée si l’héritage culturel de ce site pouvait procurer matière à faire projet. Je choisis donc de m’appuyer sur les indices laissés par les sociétés qui ont su vivre sur ce territoire et nous le léguer. La notion d’héritage n’impose pas de calquer des modèles passés mais de s’en servir en tant qu’outil pour imaginer les modèles de demain en les réinventant.

Enfin pour comprendre ce site il semblait important de mettre les acteurs au cœur de ma démarche. J’ai donc établie une grille d’entretiens collective (en plus des questions propre à chaque profession) pour chacun afin de comprendre leur perception du paysage qui les entoure. Personnes rencontrées ou contactées : Christine Agogué, Margot Dulais, Daniel Casteignaux : Chambre d’agriculture de l’Aude. Marie Vidal : Syndicat du cru Minervois Juliette Carré : CAUE de l’Aude Gilles Casty : 2ème vice-président de la Communauté de Communes Lézigan Corbière Minervois Damien Van Gastel : Directeur Plannification, Urbanisme Habitat et Plan Climat, Le Grand Narbonne Viviane Durand : Maire de Sainte-Valière Viticulteurs, oléiculteurs (certains ayant souhaité ne pas être cités) : à Mailhac, à Cabezac, au Sommail, à Lézignan-Corbière Stéphane Angles : Professeur de Géographie, Université de Lorraine -LOTERR, auteur de nombreux ouvrages et articles scientifiques sur la vigne et l’olivier ayant servi mes recherches Habitants et vacanciers

Le choix du phasage dans le temps est un second élément clé de la méthode de projet. En ce sens, si nos impacts climatiques actuels sont irréversibles, les répercutions étant déjà en cours, il est impératif de se saisir du problème. Ceci impose une dualité de posture, celle de l’adaptation à ce qui est déjà en marche et celle de l’anticipation face à ce qui pourrait ensuite advenir. Deux échelles temporelles s’imposent : celle du temps proche («comment je m’adapte ici et maintenant ?») et celle du temps long à très long («quelles potentialités et quels paysages désirables pour les générations à venir ?») dans 10 à 50,100 ans. Il sera important de traiter en premier lieu le temps proche, celui d’une à deux générations afin de rendre concrètes les problématiques climatiques et de

Extrait de mes arpentages estivaux

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Montagne Noire au nord

Les horizons sont toujours habillés par une montagne ou une colline Pyrénées au sud (et le Pic du Canigou au loin)

La Serre d’Oupia est un repère, plus haute colline du site

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Le Répudre, enveloppé d’une épaisse ripisylve, en eau en janvier, asséché par endroit en août

Le canal du Midi, exemple parfait de l’eau artificielle

Le gué de la Cesse témoigne d’un cours d’eau a débit contrasté

L’eau du Quaternaire a applani autour des terrasses anciennes 11


Par endroits, des parcelles d’oliviers en timbre poste se dévoilent, comme une variation dans une partition de musique

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J’ai souvent été seule dans les vignes

Les nombreuses cuves des coopératives, souvent au bord des routes témoignent d’un territoire définitivement viticole

La coopérative oléicole de Bize-Minervois est la seule de l’Aude

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Le cœur ancien est dense et composé de maisons toutes accolées entre elles Les façades sont maçonnées en moellons de pierres

Les villages sont souvent construits en hauteur. Un choix anciennement défensif

On rencontre très peu d’habitants, de nombreuses maisons sont vacantes dans les villages 14


Au loin dans les vignes on devine Pouzols-Minervois par son clocher

Les rues héritées de l’époque médiévales sont étroites, les fenêtres sur rue se répondent Les façades restent peu travaillées

Les rues héritées de l’hégémonie viticole sont larges. Les maisons sont élaborées de telle sorte que l’on puisse stocker le matériel au rez-de-chaussé (comme en témoigne la grande porte en bois ci-contre) 15


QUELLES INTERFACES COMMUNES POUR UNE CAMPAGNE DURABLE, DANS UN CONTEXTE DE BASCULE CLIMATIQUE ? SIGNAUX D’ALARMES ET CHOIX DE POSITIONNEMENT

INTERFACE, n. f. Limite commune à deux systèmes, permettant des échanges entre ceux-ci DURABLE, adj. (bas latin durabilis) De nature à durer longtemps, qui présente une certaine stabilité, une certaine résistance : une influence durable. Qui prend en compte l’avenir de la planète

Définitions issues du Larousse

Lors des mes arpentages quotidiens, je commence à percevoir les signaux arlarmants d’un dysfonctionnement dans le rapport qu’ont les habitants et les gens qui côtoient ce lieu à leurs paysages : je devine une certaine forme de déni des ressources quant à l’aménagement et à la gestion de ce territoire. D’autres semblent alors être des signaux plus faibles à l’heure actuelle mais pourraient se renforcer avec le temps... La sécheresse et la hausse des températures, témoignant d’un déficit hydrique accru, ainsi que la violence des précipitations, sont les effets illustrant le dérèglement climatique sur le territoire. Face à ces phénomènes, certaines pratiques se révèlent à priori peu pérennes. En effet, de nombreux viticulteurs et oléiculteurs ont recours à l’irrigation, impliquant nombre de pompages dans la nappe ou les rivières. Ce qui semble peu viable à long terme, là où la ressource a tendance à se diminuer. L’eau sera au coeur du projet. Les cultures se révèlent être sur un socle particulièrement filtrant, la ressource est à préserver dès maintenant.

entraîné la progression de friches. Le glissement d’un «paysage ressource» à un «paysage productif» a favorisé le développement de la garrigue, à défaut d’une pression pastorale. Elle évolue en forêt, avec boisements de résineux puis tend vers un milieu mono-spécifique de chênes verts. À court terme, ces friches ne semblent pas poser de réels problèmes. Néanmoins, à long terme, elles accroissent le risque incendie (dans une région où la sécheresse et le vent jouent un rôle important) et impactent directement les populations et le paysage.

La monoculture dominante ici est, de plus, un choix imprudent face aux risques de crise sanitaire ou climatiques. Ceci offre peu de possibilités aux agriculteurs de pallier aux pertes par d’autres cultures. De plus, le manque de diversité culturale agit à la fois sur la biodiversité mais aussi sur le paysage laissant peu de place aux diversités de formes, de couleurs, de textures... dans le paysage agricole. Enfin, l’utilisation d’intrants est responsable de conflits avec les habitants.

Enfin, la multitude de lotissements aux formes bâties génériques et peu qualitatives illustre un embonpoint urbain dont le lien au grand paysage semble inexistant. De nombreuses maisons des centres historiques sont pourtant vacantes. Les nouveaux habitants de ces villages ruraux, qu’on qualifie de «néo-ruraux» sont alors majoritaires face aux agriculteurs, là où l’économie viticole était jadis la principale sur ce territoire. Ils ne semblent pas connaître beaucoup le paysage viticole, parlent peu avec les cultivateurs et pratiquent leur territoire principalement en voiture. Il travaillent le plus souvent dans les villes alentours et ne rentrent chez eux que le soir. Finalement il serait plus juste de les nommer des «péri-urbains» que des «néoruraux». Des ruptures semblent se créer. Les cœurs de villages se vident, le vernaculaire se perd. En octobre, lors de ma seconde visite, j’ai croisé si peu de gens. Comment habitera-t-ton ce territoire demain pour effacer ces ruptures ? Quelle sera la relation des espaces bâtis au non-bâti ?

En outre, l’abandon des pratiques (vignes arrachés, pratiques pastorales abandonnées) sur certaines parcelles ont

Je fais alors l’hypothèse que ceci se joue sur les points de contact, les lisères, les épaisseurs qui permettent

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au paysagiste de retrouver des complémentarités entre des espaces fragmentés. La conjugaison des enjeux liés aux pratiques agricoles, aux milieux écologiques et à l’arrivée de nouveaux habitants, énoncés auparavant, s’illustre par une fragmentation des espaces sur le territoire. Elle provoque des ruptures qui sont spatiales mais aussi sociétales entre les populations. La problématique est alors la suivante : QUELLES INTERFACES COMMUNES POUR UNE CAMPAGNE DURABLE, DANS UN CONTEXTE DE BASCULE CLIMATIQUE ? Pour l’exercice de ce mémoire, je choisis de définir l’interface selon cette définition issue du dictionnaire Larousse : «Limite commune à deux systèmes, permettant des échanges entre ceuxci» J’ajouterais que l’interface interroge la relation entre deux espaces. Elle est dynamique, mouvante. Les interfaces communes questionnent la co-existence entre les espaces et les pratiquants des lieux ainsi que l’organisation de complémentarités. Pour le projet, elles seront les espaces d’échanges, de rencontres, de partage des professions. Le paysage est au cœur de ces interfaces communes. Il est l’outil du paysagiste pour tisser les liens entre le territoire et les populations, pour

servir une approche systémique du territoire. Le choix d’interroger la durabilité de la campagne me vient de cette mise en miroir avec le contexte de bascule climatique. La durabilité force à envisager des pratiques soucieuses de l’environnement avec pour objectif la sauvegarde des services et des ressources nécessaires à la vie. Pour ce faire, j’émets l’hypothèse que ceci n’est rendu possible qu’en favorisant l’interaction, le partage des compétences entre les populations. La bascule définit un moment clé (ici et maintenant) où l’on choisit de se saisir de l’enjeu climatique. On ne l’anticipe pas car les dérèglements sont déjà à l’œuvre mais l’on choisit d’infléchir le processus. Alors que l’état vient d’être condamné pour inaction climatique1, ceci me semble être le bon moment pour se saisir de la question. Une campagne durable dans un contexte de bascule climatique est donc le lieu où le paysage est la matière première pour infléchir les processus agissant sur les dérèglements climatiques. On y agit dès à présent et l’on se projette à +5 ans, +10 ans et +20 ans. Une échelle proche, celle d’une génération. Car tout va vite et il faut convaincre, se sentir concerné. Je choisis donc de travailler sur l’espace agricole comme paysage nourricier, adapté à l’évolution du climat. Mais aussi comme un paysage en partage, aux lieux communs.

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POSITIONNEMENT Pour ce projet, je choisis le paysage comme outil de médiation entre environnement agricole et populations. Je définis les objectifs suivants pour le projet : -Adapter le territoire aux dérèglements climatiques en empruntant à l’héritage paysan du territoire -Interroger le lien de l’habitant non-agriculteur au paysage agricole. Et de surcroît, les liens entre les vignerons et les nouveaux habitants. Je me positionne comme traductrice des qualités physiques de ce territoire afin d’y apporter des réponses localisées et spécifiques pour une adaptation la plus cohérente. Mais aussi comme paysagiste médiatrice. En ce sens, le paysagiste imagine les lieux où permettre le dialogue, travailler à plusieurs pour servir ces objectifs. Il ouvre des interfaces communes. 1.Le 18 décembre dernier, quatre ONG, Greenpeace, Oxfam, la Fondation Nicolas Hulot (FNH) et l'association Notre affaire à tous, ont décidé d'attaquer l'Etat pour inaction climatique. Une "demande préalable" accompagnée d'une pétition, signée, en quelques jours, par plus de deux millions de personnes. L'État avait deux mois pour répondre à la demande des ONG


Des cultures dépendantes de la ressource en eau

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Le passage du feu laisse des cicatrices

Des usages en suspens et en mutation

Une esthétique fine et fragile

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Le chemin de l’eau envahi par la canne de Provence

Le déni de la place de l’eau, une eau capricieuse 20


Des lotissements qui «mangent» les terres agricoles

Une perte des formes urbaines vernaculaires

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01 LE BESOIN D’UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE INTERACTIONS ENTRE LES COMPOSANTES PHYSIQUES, BIOLOGIQUES ET HUMAINES D’UN TERRITOIRE MÉDITERRANÉEN

Cette partie s’attache à comprendre les processus qui caractérisent ce territoire et ce climat sur des échelles de temps longs et plus rapides. Elle permet de décloisonner et donc de comprendre les relations entre les différentes interfaces et processus écologiques, physiques, biologiques, climatiques et humains de ce territoire ainsi que les enjeux qui en ressortent. Pour le projet, elle me guidera vers des assolements en lien avec les sols et la réserve en eau ainsi que vers une gouvernance adaptée des milieux comme la garrigue ou la forêt de pin d’Alep.

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DEUX MASSIFS POUR SE REPÉRER

À L’EST DU TERRITOIRE MÉDITERRANÉEN AUDOIS L’AUDE, COMPLEXITÉ ET RICHESSE DE PAYSAGES MÉDITERRANÉENS

Occitanie

À cheval entre l’Aude et l’Hérault Le Minervois est à la fois le nom de l’appellation d’origine contrôlé du vin cultivé sur ce territoire et une région naturelle. 368 000 HABITANTS EN 2019 DANS L’AUDE,

croissance constante depuis les années 1970 Un territoire prisé, une tendance qui pourrait tendre à s’inverser à la vue des évolutions climatiques... UN COULOIR DE VENT

Site

250 à 300 jours de vent par an

L’Aude fait partie d’un grand amphithéâtre régional. Ce système de reliefs étagés tournés vers la Méditerranée est enrichi par l’ouverture vers l’ouest qu’offre le sillon audois. Entre la montagne Noire au nord, dernier témoin du Massif central, et l’ensemble pyrénéen au sud, un vaste couloir de plaines se dessine, large d’environ 15 km et long d’une centaine de kilomètres. L’Aude se place ainsi en position de carrefour entre le Bassin aquitain et la Méditerranée d’ouest en est (Atlas des paysages du Languedoc-Rousillon). Le département est un concentré de paysages où, sur un même territoire, on peut rencontrer une pointe de montagne du Massif central, un bout des Pyrénées, une épaisseur de Méditerranée avec son littoral, ses collines sèches (Minervois, Corbières) et ses plaines viticoles, mais aussi un avant-goût de l’influence atlantique. Le Minervois est situé à cheval entre l’Aude et l’Hérault. Le site d’étude se situe sur la partie sud-est du Minervois, une région appelée les Serres, du nom donné à ces collines et crêtes formant des «rides» dans le sillon audois. Épaulée par la montagne Noire et son piémont, elle fait la transition 24

avec le sillon audois. Au sud ce sont les Pyrénées qui habillent l’horizon, précédées par les Corbières. L’effet de couloir du sillon audois en fait une région très venteuse. Un ensemble où se rencontrent deux vents différents : le Cers venant du nord-ouest, un vent de terre très violent et sec et le Marin, venant de l’est, chargé d’humidité et de chaleur, provenant de la mer et expliquant la présence de nombreux arc-enciel sur le site. Au sud, le territoire est longé par le canal du Midi, précédant la plaine de l’Aude. Il «referme» le site car sa rive sud annonce des paysages absolument différents. UN TERRITOIRE D’ACCUEIL Depuis les années 60’, le littoral est aménagé mais son hyperurbanisation progressive a saturé la côte. Ainsi, la tendance est plutôt au replis vers l’arrière-pays, là où le foncier est moins cher et encore disponible à la construction de maisons individuelles, souvent en lotissement. La population ne cesse donc de croître sur les Serres. Des migrations habitantes auxquelles on ajoute le facteur des résidences secondaires influençant l’augmentation des habitants à certains moments de l’année.


HÉRAULT

TARN

Montpellier

PNR du Haut-Languedoc

Toulouse

ie Vo

La montagne Noire

rée fer

HAUTE-GARONNE

Le Sillon audois

idi

uM al d

Carcassone

LézignanCorbières

Béziers

L’Aude

can Le

AUDE

A61

Narbonne A9

Les Corbières

PNR du la Narbonnaise en Méditerranée Périmètre de la communauté de communes LézignanCorbières Minervois

1h45

AU NORD DE LA COMMUNAUTÉ D’AGGLOMÉRATION

5

1h4

in

Le terroir des Serres se situe au nord de la Communauté d’agglomération du Grand Narbonne. Il rejoint l’EPCI en 2012 après la fusion de la communauté de commune du canal du Midi en Minervois avec celui-ci. Le Grand Narbonne réunit 37 communes sur 973 km², pour plus de 130 000 habitants. Les documents d’urbanisme traduisent pour ce site une position géographique en retrait, faisant peu de poids face au littoral. J’ai eu cette sensation que ces paysages viticoles du nord apparaissaient comme «les oubliés de la communauté d’agglomération», comme on me le confirmera par la suite.

in

m

20 mi n

n

40 mi 25

50 m

Périmètre de la communauté d’agglomération du Grand Narbonne

À L’INTERFACE DE DIFFÉRENTS PÔLES URBAINS Les Serres sont multipolarisées par les villes de part et d’autre du site (notamment Carcassonne, Narbone, Béziers, Montpellier et la métropole de Toulouse). Elles sont accessibles en voiture et relai train en peu de temps. Ainsi, de nombreux habitants effectuent ces migrations pendulaires pour se rendre au travail vers ces pôles et ne reviennent que le soir vers leur domicile. 25


ENTRE MASSIFS ET PLAINE ZOOM SUR LE SITE D’ÉTUDE

La Cesse, des gorges à la plaine, une rivière capricieuse Le Pech de Bize s’avance dans la plaine

En fond de scène, la montagne Noire surveille les Serres La Serre d’Oupia, un massif allongé

Canal du Midi Le Répudre, parfois débordant, parfois asséché

Ancien tracé de la Cesse

Bize-Minervois

Argelliers Pouzols-Minervois

Sainte-Valière

ENVIRONS 8500 HECTARES 1300 hectares de forêt de résineux

Paraza

Ginestas

Ventenac-en-Minervois

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LES SERRES

Le Sommail

Carte mentale élaborée d’après souvenirs

Le territoire est épaulé par la silhouette imposante et sombre de la montagne Noire et une continuité de reliefs au nord. La Serre d’Oupia et le Pech de Bize qui s’avance dans la plaine sont les deux massifs qui dominent le site. Ce sont pour moi des repères constants lors de mes visites. Des alliés sur lesquels je me concentre pour comprendre le paysage qui m’entoure et me repérer dans l’espace. La plaine est mouvementée, entrecoupée de collines ou de crêtes arides qui dessinent les horizons des plaines viticoles. Elles sont couvertes d’une végétation souvent 1.L’INRA et l’INAO rase de garrigues évoluant parfois avancent la définition en bois de pins d’Alep comme sur suivante du terroir : la Serre d’Oupia et le Pech de Bize. «un espace géographique Au sud, le relief est plus mou, les délimité, dans lequel une horizons plus dégagés, ouverts sur communauté humaine le grand paysage de plaine. construit au cours de son histoire un savoir collectif Les cours d’eau ont façonné le socle à l’ère quaternaire. On retrouve la de production, fondé sur un système d’interactions Cesse à l’est, le Répudre à l’ouest entre un milieu physique et et l’ancien tracé de la Cesse qui a biologique, et un ensemble creusé un sillon au pied des hautes de facteurs humains. [...]. terrasses alluviales. Les terroirs sont des espaces Les villages sont parsemés comme vivants et innovants qui ne des archipels, d’ailleurs, le vignoble peuvent être assimilés à la est nommé «la mer de vigne» dans seule tradition.» l’atlas des paysages. Définition que je Ils semblent isolés comme des îles, conserve pour ce mémoire. sans véritable liant entre eux.

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APPARITION DE LA NOTION DE TERROIR1 Le site d’étude est appelé terroir des Serres. Cette «segmentation» du territoire en différents terroirs a été initiée autour des années 1975 (date précise non-connue) par la chambre d’agriculture afin d’établir les caractéristiques de chaque petite région du Minervois à superposer avec des informations climatologiques : comportement des sols, gestion hydrique, morphologie racinaire selon les types de sols... C’est la première fois que l’on aborde ce terme de Serres qui reste aujourd’hui peu connu (peu de connaisseur du mot lors des entretiens). Chaque terroir a été nommé selon les caractéristiques physiques des lieux : «balcons de l’Aude», «L’Argent Double» (nom d’une rivière), «les Mourels» (nom de collines),... Le Syndicat du cru Minervois mais aussi de l’AOC Languedoc ont repris ces études afin d’explorer les cultures viticoles les plus adaptées aux terroirs et pour comprendre le comportement de la vigne face à ces contraintes naturelles. Les Serres designent alors, à la fois ces collines de formations allongées (Serre d’Oupia ci-contre) que l’on retrouve en piémont et le nom de ce terroir, emprise du site d’étude.


LES SERRES DANS LE MINERVOIS ESQUISSER LES CONTOURS

L’ART D’HABITER : LES TROGLODYTES-REFUGES, OPPORTUNITÉS GÉOMORPHOLOGIQUES Les limites du Minervois peuvent être complexes à définir en tant que région naturelle. Peut-on se réduire à son simple périmètre d’appelation ? Mais alors qu’en était-il avant son obtention ? Comprendre les limites et l’origine du nom du Minervois me permet d’appréhender les composantes physiques du paysage et la manière dont les sociétés les ont exploitées, apprivoisées. Pour le projet, je fais l’hypothèse que cette étude me guidera vers une approche du territoire par le paysage plutôt que par les contours administratifs. Ce qui me permettra d’affiner mon aire d’action.

1.Originaire du village de Félines-Minervios, enfant de vignerons et passionné de préhistoire il participera à faire connaître et valoriser le patrimoine local de cette région

Il faut puiser dans ses tréfonds et remonter jusqu’à son étymologie. Suffit-il alors de n’évoquer que la déesse Minerve...? Habité depuis 170 000 ans et marqué par les dolmens du néolithique et de l’âge du Bronze, le Minervois pourrait bien trouver son origine dans les mots celtes. Men : la pierre, le rocher et Herberc’h : l’asile, le refuge. (selon l’historien Cesseras et Robert Marty1). Une origine confortée par le Docteur Coulouma (archéologue) et Jacques Miquel dans leur ouvrage «Le bassin de la Cesse») où ils suggèrent que Menerbo, a été la capitale de l’Énéolithique, de l’ Âge du cuivre et de l’Âge du bronze final entre 850 et 725 av. J.C. Ce sont les romains au cinquième siècle avant J.C. qui auraient

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donné son nom au village en construisant un temple dédié à la déesse de la guerre, des arts, de la sagesse et de la stratégie : « Minerva ». Minerve, bien qu’on ne la connaisse peu pour ces qualités, est aussi la déesse des rochers, hauts lieux et promontoires. Du Néolithique à l’époque romaine, la région dont les limites sont encore bien différentes, tire donc son nom de l’histoire géologique et anthropique des lieux (exploitation des roches calcaires et construction d’habitats troglodytes). TROIS TERRITOIRES EN UN, OÙ DONC LE MINERVOIS CESSE ? Appelé le Menerbes, ce territoire a longtemps été situé dans la région romaine de la Narbonnaise, puis dans le comté de Narbonne. Dans les textes de 836, il apparaît comme une circonsription administrative : in territorio Narbonense, suburbio minerbense (« dans le territoire de Narbonne, la banlieue de Minerve »). En 866, sous l’époque carolingienne, le Minervois est pour la première fois qualifié de pays : pagus minerbensis.


Saint-Pons-de-Thomières Saint-Pons-de-Thomières

Citou Félines

Vélieux

Citou

Vélieux

Félines-Minervois Minerve

Siran

Bize

Mailhac

Siran

Laure-Minervois

Pouzols

Laure

Minerve

Montouliers

Paraza

Paraza

Lézignan-Corbière

Lézignan-Corbière

Le pagus minerbensis, limites anciennes du Minervois au Moyen-Âge Les Serres, porte du Minervois

Montouliers Bize-Minervois Mailhac Pouzols-Minervois

Les limites du Minervois physique et de l’aire AOC Limites de départements

1318 : BOULEVERSEMENT DU PÉRIMÈTRE ANCIEN

LE HAUT ET BAS MINERVOIS DES GÉOLOGUES

ÉCLOSION D’UN TROISIÈME MINERVOIS

À cette époque un deuxième territoire apparaît. Le diocèse de Toulouse est démembré par ordre du pape Jean XXII. C’est l’apparition de celui de Saint-Pons-de-Thomières. Le Minervois est partagé en deux par le milieu. Une partie pour SaintPons, l’autre pour le diocèse de Narbonne. Le pays est ensuite ravagé par les anglais durant la guerre de cent ans par le Prince Noir puis par les guerres de Religions au 16ème et 17ème siècle. La révolution de 1789 et la création de l’Aude et l’Hérault vont confirmer cette coupure administrative.

La partition «haut» et «bas» du Minervois fait état des qualités et typicités géologiques et physiques du site. Le «Haut-Minervois» forme une large frange «témoin» des Corbières au pied de la montagne noire, alors que le «Bas-Minervois», arasé et aux traits plus doux s’étend au sud jusqu’au pied des Corbières

Au 20ème siècle, la vigne devient le seul cep conducteur. Un dernier Minervois fait son apparition, quand les vignerons choisissent la qualité à la quantité. Les deux départements s’unissent pour obtenir une appellation d’origine contrôlée en 1985 : l’AOC Minervois. Cependant la particule «Minervois» est ajoutée aux noms des villages bien avant cette obtention. Pouzols devient Pouzols-Minervois en 1932. Les limites AOC sont pratiquement issus Minervois physique. Ceci s’explique par la limite nord de la montagne Noire est la limite du socle primaire (ne semble pas idéal pour la vigne).

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TROIS PÉRIMÈTRES EN UN, L’AIRE DE LA RÉGION NATURELLE COMME UNITÉ PARLER DU MINERVOIS AUJOURD’HUI

1.L’Atlas des régions naturelles (ARN) est issu d’un questionnement de E. Tabuchi et N. Monnier sur la question de la documentation de l’architecture vernaculaire française et, plus largement, la manière de représenter un territoire dans toutes ses nuances. Il aborde les régions naturelles de France par ce qui les distingue physiquement et culturellement, évitant la limite adlinistrative.

Les régions naturelles selon l’ARN «Le terme “région naturelle“ ou “pays“ désigne des territoires de petites tailles dont les limites renvoyant à leurs caractéristiques naturelles sont, par opposition aux départements administratifs issus de la Révolution, difficiles à tracer.»

Quand ce territoire est évoqué actuellement, on parle en premier lieu des frontières du vignoble d’appellation protégée, de Trèbes à Montouliers. Ce Minervois, territoire de 4500 hectares, débute alors dès la sortie de Carcassone. En revanche il s’arrête sur les hauteurs de la montagne Noire. Le périmètre ancien, déployé davantage vers le nord et l’est n’est plus considéré. On peut alors envisager qu’il existe un Minervois «historique» et un Minervois «productif». La région naturelle du Minervois est celle des géologues, ce concept est actuellement repris dans l’Atlas des Régions Naturelles1. La région culturelle doit croiser, de manière nuancée, chacun des périmètres culturels. Le « pays », région naturelle et culturelle, est un terme utilisé en ce sens, dans le domaine du paysage, depuis longtemps, le guide méthodologique des atlas de paysages 1994 intègre cette approche culturelle. B. Lassus a défini le terme d’ « entité paysagère » comme ce concept de croisement culturel et naturel associé au paysage.

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UNE RÉGION NATURELLE: DES FRONTIÈRES HISTORIQUES QUI COEXISTENT Les limites des régions naturelles telles qu’expliquées par Tabuchi dans l’Atlas des régions naturelles sont floues et difficiles à définir avec précision. S’il est impossible d’en définir exactement les formes, leurs frontières, d’abord physiques et géologiques mais aussi historiques et culturelles, persistent à dessiner, dans une sorte de tradition orale, les contours d’une géographie dont la vivacité demeure bien réelle («Atlas des régions naturelles»). Ainsi, le Minervois tel que délimité cicontre rassemble l’histoire et la culture des lieux ainsi que diverses entités géographiques : des avant-monts et causses héraultaises, en passant par les Mourels (collines à l’interface des Avants-monts et du site) et les Serres jusqu’à la plaine viticole quelques kilomètres au sud de l’Aude. C’est donc un territoire dense et riche de paysages aux divers visages, façonné par son passé historique et dont l’histoire géologique a influencé les stratégies d’occupation et d’adaptation.


Saint-Pons-de-Thomières

Vélieux

Citou Félines-Minervois

Minerve

Montouliers Bize-Minervois

Siran

Mailhac Pouzols-Minervois

Laure-Minervois

Paraza

Lézignan-Corbière

Cadrage sur le site d’étude

L’aire actuelle du Minervois en tant que région naturelle Le Minervois est plus vaste que sa simple aire AOC. Les limites de l’aire ne sont pas franches, elles restent poreuses.

QUE PEUT-ON EN RETENIR ? Cette superposition des différents périmètres établis d’après lecture de textes anciens et arpentage du territoire dans sa globalité lors du mois d’août me permet d’établir et de comprendre la surface d’une région naturelle par ce qui fait sa typicité physique mais aussi culturelle là où le périmètre du Minervois n’est souvent renseigné que par les contours de l’AOC. Une aire fondée sur un système d’interactions physiques, biologiques et humaines.

Les Serres sont, à l’image du Minervois auxquelles elles appartiennent, une entité physique et culturelle. Leur situation et morphologie de collines qui en font les « portes du Minervois » en ont fortement orienté l’histoire et forgé les caractéristiques au fil du temps (jusqu’à en faire aujourd’hui un territoire « oublié »). C’est donc en portant attention aux singularités culturelles encore transmises par les habitants que le projet devra émerger.

31


UN PAYSAGE ARASÉ, IMMERGÉ PUIS PLISSÉ UNE ROCHE ESSENTIELLEMENT CALCAIRE

Formation du Sillon audois

1

1

Ère primaire : Orogénèse varisque Le territoire est occupé par le massif hercynien (primaire sur la carte des affleurements géologiques). Puis les montagnes disparaissent par érosion ; il n’en reste que le socle ancien que forment aujourd’hui les roches profondes : granites et roches métamorphiques. C’est la pénéplaine.

2

-245 Ma : La pénéplaine est couvert par la mer, d’épaisses couches de sédiments calcaires, marneux et argileux s’y déposent durant plus de 100 millions d’années.

3

Fin secondaire début tertiaire : l’ouverture de l’océan Atlantique provoque le rapprochement de la plaque ibérique et européenne. Ce mouvement de compression entraine la surrection des Pyrénées jusqu’au Massif central et des Alpes. Les eaux palustres se retirent. Puis vient le soulèvement de la montagne Noire, lisière du Massif central.

4

Ère tertiaire : Le bassin méditerranéen s’effondre en palier successifs jusqu’à la mer, le golfe du Lion s’ouvre, autour la mer recouvre alors la plaine de Béziers et de Narbonne jusqu’à LézignanCoribière et Roubia. Elle érode les reliefs pyrénéens avancés dans le sillon. Commence l’aplanissement de tout le bas-minervois, en continuité avec les Corbières entre le Miocène et le Pliocène, ceci ne laissera que des lambeaux des Corbières et du haut-minervois. Le basminervois est totalement arasé. La chaîne pyrénéo-provençale s’affaisse. Cette transgression marine entraîne le dépôt de marnes à huîtres.

2

Rapprochement de la plaque ibérique et européenne.

4

3

Formation des Serres

5

Au milieux de l’Éocène, suite à une régression marine, la sédimentation devient marécageuse puis continentale lacustre avec le dépôt des calcaires de Ventenac.

6

Affecté par la tectonique pyrénéenne, le relief va se plisser par plusieurs phase de compression du sud vers le nord. Les Serres se forment alors selon l’axe nord-est/sud-ouest en synclinaux et anticlinaux.

7

Pliocène : La mer se retire de nouveau. La méditerranée connaît plusieurs phases d’assèchement avec la fermeture du détroit de Gibraltar.

8

Ère Quaternaire : Après plusieurs phases de glaciations, C’est essentiellement le travail de l’eau qui va sculpter le territoire. Dans les montagnes plus basses, la gélifraction va fortement éroder les reliefs. Se forme alors la Cesse selon une premier tracé Bize-Minervois/ Paraza puis selon le cours actuel. Dans les calcaires, l’eau va s’encaisser, former des cavités et des réseaux karstiques.

5

6

7

8

32


AFFLEUREMENTS ACTUELS DU MINERVOIS D’après Nou, Pistre, Batiot-Guilhe et Borrell‑Estupina, «Évolution hydrogéologique de l’hydrosystème karstique Cesse-Pouzols (Minervois, France) au cours du quaternaire »

Du Nord-Ouest au Sud-Est du bassin on distingue une double ligne d’anticlinaux déversés vers le nordouest : -l’anticlinal de la Serre d’Oupia -le synclinal de Pouzols-Minervois -l’anticlinal du Pech de BizeMinervois/Roubia

Anticlinal : pli convexe dont le centre est occupé par les couches géologiques les plus anciennes Synclinal : pli concave dont le centre est occupé par les couches géologiques les plus récentes

UN MINERVOIS AFFECTÉ PAR LA TECTONIQUE PYRÉNÉENNE Ces mouvements variables de compression sont responsables de la formation plissée du relief comme expliqué ci-contre. En effet, sous la poussée de la plaque ibérique, plusieurs phases importantes de plissement en rapport avec une compression du sud vers le nord, vont se succéder sur une durée d’une dizaine de millions d’années (de l’Éocène final à l’Oligocène inférieur). Elles sont à l’origine du plissement souple des couches tertiaires, avec formation de plis anticlinaux et synclinaux. La Serre d’Oupia est ainsi un anticlinal tandis que Oupia à l’ouest et Pouzol à l’est sont situées dans un 33

synclinal. Plusieurs failles suivent cette structuration, notamment la grande faille de Sainte-Valière. Le flanc sud de la Serre d’Oupia est très peu penté (environ 20° sud-est) et le flanc nord renversé. L’étude des formations sédimentaires montre que le cœur du pli est composé du calcaire de Ventenac, et ses flancs externes par la formation d’Assignan. L’histoire tectonique du Minervois s’arrête à l’Oligocène inférieur. À partir de là, la région languedocienne se trouve soumise à un étirement tectonique, en rapport avec la création, plus à l’est, du golfe du Lion.


e6

Le Pech de Bize Bize-Minervois

e5a

e4eV

e4b

C

C

e4eA

1

3

A

Mailhac

Serre d’Oupia

Fx

A’

Fw

e4Vm

e4a

B

C’ Pouzols-Minervois

e4eA

e4eA

e4eMi

e4c-d

C

Fv

Répudre Cf

Fw 2

Paraza

Cesse

Faille de

Sainte- Sainte-Valière Valière Fv

Fw

e4-6

Ebr

e4b

P

Fw

Fy C Fv

Fz

Canal du Midi Fx

B’

Fz

Aude

Fz Légende QUATERNAIRE Pliocène continentale : limon Fv : Alluvion des hauts niveaux Fw : Alluvion de hautes terrasses Fx : Aluvions de moyennes terrasses Fy : Alluvion de basses terrasses Fz Alluvions actuelles et récentes EBr. Éboulis et brèches de pentes. C : Colluvions et alluvions associés tapissent les fond de vallon Nord-Ouest

Fz 0

TERTIAIRE e4eMi Éocène, Cuisien. Calcaires lacustres du Sud-Minervois e4a : Éocène Calcaire lacustre de Ventenac e4b: Éocène formation d’Assignan, argile, conglomérat, grès e4eVm1 Éocène niveaux marneux

Anticlinal d’Oupia Synclinal d’Aigne

1

1,5 km

e4Vm Ilerdien supérieur niveaux marneux parfois riche en coquille e4c-d Éocène, Ilerdien moyen-suprieur calcaire géseux et marnes e5A : Luttien : calcaire lacustre d’Agel e6 : Formation d’Aigne Les deux formations d'Assignan et d'Aigne ont été alors regroupées sous la dénomination de «molasse de Carcassonne»

Synclinal de Pouzols Faille de Sainte-Valière

34

0,5

Sud-Est

Succession de synclinaux et anticlinaux sur la Serre d’Oupia


TERRITOIRE SCULPTÉ PAR L’EAU, ÉRODÉ

UN RELIEF PLISSÉ, RIDÉ FORMATION GÉOLOGIQUE

Qualité des roches pour la vigne Calcaire Sous un sol très superficiel, la fracturation du calcaire sous l’action du climat permet à la vigne de s’enraciner profondément dans les failles Galets roulés Ces sols sont des terrasses caillouteuses déposées par les rivières de la région lors des grandes crues fluviatiles de l’ère quaternaire. Ils présentent des caractéristiques essentiellement liées à leur teneur très élevée en éléments grossiers (galets roulés). Ils sont ainsi souvent très filtrants mais permettent aussi un enracinement très profond

De manière générale, Les sols alternent entre des grès érodés plus ou moins profonds, des calcaires (dont celui de Ventenac) et des terrasses caillouteuses du quaternaire plus ou moins filtrantes. Même si elle n’apparaît pas toujours au premier regard, l’eau a intégralement «modelé» ce paysage.

L’arc formé par le relief au nord du site, de la Serre d’Oupia jusqu’au Pech de Bize -Minervois présente une série de reliefs plissés, mouvementés, ridés par l’orogénaise pyrénéenne. La plaine, vers Ginestas, forme une terrasse au relief plus mou, les pentes des collines sont plus douces. Cette étendue est tapissée de limons La diversité des reliefs datant du Pliocène continental. induira des cultures et des pratiques par déduction Dans le secteur de Pouzols-Minervois/ différentielles car adaptées à Mailhac/Bize-Minervois : la partie ces affleurements complexes. sud-est du bassin a été charriée sur le bassin molassique au niveau de la Les calcaires sont, pour Serre d’Oupia. la plupart, très filtrants. La moitié du site est concerné par Le système de failles de Sainte-Valière : un aquifère karstique. Très De nombreuses failles mettent en filtrant, cela met en avant, contact le Jurassique ou le Crétacé et pour le projet, une nécessité chevauchent les formations éocènes de préserver la ressource du secteur Roubia/Sainte Valière/ en eau là où les pertes sont Bize-Minervois. conséquentes sur cette nappe.

L’eau a creusé les reliefs calcaires et le pied des terrasses

1

2

3 35


L’AQUIFÈRE KARSTIQUE CESSE-POUZOLS, PRINCIPAL RÉSERVOIR EN EAU POTABLE EN INTERDÉPENDANCE AVEC LA CESSE

Bize-Minervois

Mailhac Cesse

Pouzols-Minervois Sainte-Valière

Légende Entités hydrogéologiques affleurantes par état

Ginestas

Entité hydrogéologique à parties libres et captives Entité hydrogéologique à nappe captive Entité hydrogéologique à nappe libre

Répudre Paraza

Entités hydrogéologiques affleurantes par milieu Milieu fissuré karstique

L’aquifère est alimenté par les pertes de la Cesse dans son haut bassin versant et également par la pluviométrie sur les affleurements

Milieu poreux Sources Villages où existent des puits et forages pour l’irrigation agricole et l’AEP

NAPPE LIBRE, NAPPE CAPTIVE L’eau s’écoule horizontalement

Couche imperméable, protection contre les pollutions Niveau piézométrique

Couche imperméable

Eau sous pression

Protection naturelle imperméable

Pas de rempart contre les pollutions

36


La faille de Sainte-Valière fait barrage aux écoulements vers le Sud-Est car elle met en contact l’aquifère de Pouzols avec la nappe captive 1. Dans l’ «Étude des zones de sauvegarde - Aquifère des calcaires éocènes du Minervois (Pouzols) - Phase 2» de l’agence de l’eau RhôneMéditerranée & Corse Données chiffrées de l’étendue du texte d’après: (Yvroux M. (2001), L’Aquifère Karstique de Pouzols-Minervois : système karstique Cesse-Pouzols – synthèse hydrogéologique et données nouvelles. Rapport du conseil général de l’Aude).

L’unité aquifère est entièrement en relation d’interdépendance avec la Cesse, on l’appelle d’ailleurs l’hydrosystème karstique CessePouzols. En effet, Les principaux exutoires connus sont représentés par le lit de la Cesse. Ces émergences sont situées à Bize-Minervois. À l’étiage, on peut considérer que la Cesse, à partir de Cabezac (hameau du village), constitue l’essentiel de l’écoulement de ce système. Ces émergences représentent le trop plein de cette unité. L’unité aquifère est composée essentiellement par les calcaires lacustres de Ventenac affleurants à la périphérie de la zone synclinale (secteur de Sainte-Valière). Plus de 5000 habitants (communes de Bize Minervois, Pouzols Minervois, Mailhac, Ginestas, Paraza et Sainte Valière sont desservies en eau à partir de la ressource contenue dans les calcaires de Ventenac. D’autres forages, implantés dans l’aquifère calcaire, sont exploités pour l’irrigation (Pouzols et Sainte-Valière). Le volume prélevé est actuellement estimé à 1,5 million de mètres cubes par an, avec une répartition quasi égale entre l’irrigation et l’eau potable. Néanmoins, cette dualité adduction d’eau potable (AEP)/irrigation

PRINCIPE DE KARSTIFICATION

Altérites

Calcaire fissuré Réseau karstique

n’est pas viable à long terme. Cet aquifère est très important localement et pourrait faire l’objet d’une exploitation plus soutenue dans l’avenir (AEP pour d’autres communes), il convient donc de protéger cette ressource uniquement pour cette vocation. Ceci impose de penser l’arrêt du pompage dans la nappe et la rivière à long terme pour l’agriculture (dont la viticulture). En 2014, on lisait1 : «La ressource en eau souterraine contenue dans cet aquifère est relativement peu exploitée, avec une utilisation partagée entre l’alimentation en eau potable et l’usage agricole. Mais les pressions risquent de s’accentuer dans le futur, du fait d’une croissance démographique significative, de l’augmentation des besoins d’irrigation et de l’intérêt de syndicats limitrophes pour diversifier leur production. L’enjeu majeur sur ce territoire est donc la préservation et la gestion de la ressource.» Aujourd’hui, l’enjeu de préservation est devenu impératif. Les exploitants agricoles ont toujours recours à l’irrigation et les techniciens les invitent à forer dans des nappes plus superficielles. Une solution qui reste à évaluer, temporaire et difficilement durable. Avec le changement du climat, il convient de s’intéresser à préserver toutes les ressources en eau,et à privilégier une indépendance des cultures à cet égard.

L’eau s’écoule dans le calcaire fissuré et peut déplacer des pollutions vers la nappe profonde

Couche imperméable Aucun rempart contre les pollutions sauf dans les zone captives

Degré d’exposition aux pollutions 37


UNE GÉNÉRALISATION DE LA VIGNE UNE DIVERSITÉ DE SOLS POUR UNE MÊME CULTURE

Le Pech de Bize

1

Collines de calcaire lacustre détritique, compact, serré par des combes marneuses (limon d’Assignan). Garrigue dégradée à chêne sur calcaire, pins localisés sur formation meubles. Sols peu profonds.

2

Sols marneux en place ou colluvionés. Molasse gréseuse. Réserve en eau moyenne

3

Sols marneux en place ou colluvionés. Molasse gréseuse. Réserve en eau moyenne

4

Sols observés sur les hautsniveaux de terrasses peu remaniés par l’érosion. Sols caillouteux, faible réserve en eau

5

Pierrosité très élevée, galets roulés silicieux. Réceptacle en eaux de terrasses.

Serre d’Oupia

2 Cesse

1

5 Répudre

3

Canal du Midi

4 Aude 0 0,5 1 1,5 km

Privilégier la ressource en eau, adapter les cultures, implique une connaissance fine des qualités pédologiques. Malgré les différents sols existants sur les Serres, on constate un casi monoculture de la vigne et une développement de friche induites par ces pratiques.

rapides, il convient de s’interroger... En effet, si les sols sont différents, l’assolement ne l’est pas. La vigne persiste. Une vigne dont l’irrigation est impérative pour s’assurer de bons rendements.

Néanmoins, au vu des perturbations climatiques actuelles, changeantes, violentes et

Que peuvent donc permettre ces sols pour une diversification de cultures ? 38


Pouvons-nous alors imaginer, dès maintenant, un système polycultural en accord avec la nature des sols des Serres? Durable, pour lequel le recours à l’irrigation ne serait plus nécessaire. Dans l’Hérault (canton de Peyriac-Minervois), un agriculteur a valorisé de terres peu propices en utilisant des variétés anciennes de légumineuses et de graminées adaptées au climat. Il n’utilise ni intrant ni irrigation. Il vend en vente directe, aux coopératives et à Agribio Union

d’altitude, au Nord, à moins de 50 m dans le couloir de l’Aude. Les zones trop gréseuses ou conglomératiques de la molasse sont laissées en friches et portent des restes de la forêt de chênes-verts (Quercus ilex), avec des bosquets de pin pignon et de pin d’Alep. Souvent situé autour de Pouzols-Minervois, le périmètre du site de projet devra s’y attacher. L’étude des sols me permet de mettre en avant leur capacité à retenir l’eau, afin de pallier à l’irrigation. Globalement, la capacité reste faible sur le territoire. Il faudra donc proposer un assolement en fonction de cette donnée.

SOLS ET VÉGÉTATION Bien que tous exposés au sud, les terroirs tirent leur diversité de la variété de ce substrat rocheux et d’un gradient altimétrique qui amène les vignes de 400 m

Les coupes ci-dessous, extraites de la carte géologique font état d’une uniformité de terres agricoles induites pas la monoculture 74m

64m

76m

72m

53m

87m

49m

A

A’

FA

Alluvions de hautes terrasses

FA

Friche de résineux

Vignes, garrigues, friches

Alluvions de basses terrasses Vignes

Bâti diffus

3,5km

50m

75m

87m

104m

38m

25m

B

B’

Alluvions de Colluvions hautes terrasses

Le Répudre

FA

Vignes et friches

Pliocène : limons

Vignes et oliviers

Alluvions des hauts niveaux

Un bras du Répudre

Pliocène : limons

Vignes, garrigues et oliviers

Alluvions actuelles et récentes

La Cesse

6km

Les secteurs laissés en friche et retournés dans une dynamique naturelle, laissent bien percevoir la diversité des sols (la carte ci-après l’illustre nettement). 39


Bize-Minervois Pech de Bize

Mailhac

Serre d’Oupia Pouzols-Minervois

Cesse

Sainte-Valière

Ginestas

Canal du Midi

Répudre Paraza Ventenac-en-Minervois

40


INTERACTIONS ROCHE ET FLORE

Le pin d’Alep, essence de reconquète

Gradient d’occupation sur site

Carte de végétation Légende

Le Pin d’Alep est un pionnier (premiers arbres à coloniser un milieu après son apparition ou après une catastrophe naturelle : incendie, crue, etc...).

Pins d’Alep Conifères Feuillus Landes et garrigues Pins mélangés Pins larricio, Pin noirs Boisements mixtes 0m

800m

1,6km

2,4km

La disposition des couches calcaires de la serre d’Oupia induit une structure en bandes de plus en plus arides et constitue des zones de garrigue à taillis de chênes-verts très dégradés et à flore très variée : kermès, romarin, buis, oxycèdre, genêt scorpion, ciste, lavande, euphorbe.... Sur les Serres, le pin d’Alep prend place majoritairement sur les coteaux et les collines. Le retour du pastoralisme par endroit pourrait être une solution pour ouvrir de nouveau certaines parcelles envahies.

L’épais manteau de pin d’Alep au pied de la Serre d’Oupia

41

Les graines ne vont pouvoir germer qu’en pleine lumière, en lisière, conquérant toujours de nouveaux espaces. L’abandon des cultures et du pastoralisme en garrigue lui a été très favorable, lui permettant de partir à l’assaut des nouvelles friches. Phase intermédiaire entre la garrigue en cours de fermeture et la forêt de chênes, la pinède de Pin d’Alep s’est trouvée un allié dans le feu. Très inflammables, les pins adultes vont se «sacrifier» pour laisser la place aux jeunes. En effet, les cônes résistant au feu, s’ouvrant avec la chaleur, libèrent de très nombreuses graines qui vont très vite former un tapis de germination après l’incendie.

Pinus halepensi


DES MILIEUX QUI S’ADAPTENT ET COMPOSENT AVEC LES ALÉAS CLIMATIQUES MÉDITERRANÉENS LA GARRIGUE, RECONQUÊTE DE MILIEUX ANCIENNEMENT ANTHROPISÉS SUR SOL CALCAIRE Le terme de garrigue désigne pour les botanistes une formation végétale xérophile (c’est-à-dire adaptée à la sécheresse) basse sur sol calcaire. Elle résulte le plus souvent de la dégradation des milieux par anthropisation de la forêt originelle de chêne pubescent/vert (expliqué dans les pages suivantes). Il n’existe pas une seule garrigue mais plusieurs types. Continuum entre la pelouse et la forêt, elle varie selon la hauteur de la végétation, l’histoire de l’utilisation du milieu, la topographie, la nature de la roche et du sol, les conditions micro-climatiques, etc.... Elles sont en progression sur les Serres, notamment là où les pratiques agricoles ont été abandonnées. Ces milieux ont pour caractéristiques communes, la diversité d’adaptation des végétaux à la sécheresse estivale : -Adaptation morphologique : systèmes racinaires profonds et étendus pour aller chercher l’eau en profondeur -Tiges sclérifiées (ayant subi un durcissement) pour limiter les pertes d’eau -Feuilles réduites ou absentes pour éviter les pertes d’eau ou avec une

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épaisse cuticule (membrane imperméable épaisse constituée de lipides, Quercu ilex). -Port dense et compact pour réduire les surfaces exposées au soleil (Cistus monspeliensis) -Adaptation physiologique : régulation de l’ouverture des stomates (qui se resserrent en cas de fortes chaleurs), etc.... Ces milieux secs ont participé, par la diversité de leur patrimoine naturel mais aussi par leur fragilité, au classement de la zone méditerranéenne comme un des 34 «hot spot» de la biodiversité mondiale. UN ÉTAT DANS UN PAYSAGE EN MOUVEMENT En milieu méditerranéen sec, un des premiers stades est la pelouse sèche constituée de poacées et autres herbacées. Puis, apparaissent des espèces ligneuses et arbustives formant des milieux de garrigue (deux formations visibles ci-contre). Ensuite, ce sont les arbres qui vont se développer aboutissant au final à des formations forestières. Cette dynamique de la végétation peut repartir de «zéro» lorsque d’importantes perturbations (incendies, événements météorologiques, activités anthropiques,...) ramènent l’écosystème d’un stade «mature» (le climax en écologie, ici la forêt) vers un stade «jeune».

«Dans les garrigues, les pentes qui étaient au 19e siècle couvertes d'une végétation très rase et râpeuse suite au surpâturage des troupeaux d'ovins, se sont souvent reboisées en résineux (pin d'Alep)» Atlas des paysages de l’Aude


Au sommet de la terrasse de Sainte-Valière, les moutonnements de résineux tapissent la pente. Au loin, la Serre d’Oupia. 43


COMMENT LA GARRIGUE S’INSTALLE-T-ELLE ET PROGRESSE-T-ELLE ? QU’EST-CE QUE L’ÉTAT DÉGRADÉ DE LA FORÊT ?

Expliqué précédemment, la garrigue résulte de la dégradation des milieux par anthropisation (ici de la forêt) : agriculture, incendies.... Plusieurs définitions sont attribuées à cette notion, j’ai donc choisi la définition de la convention sur la diversité biologique (CDB)1 qui me semblait convenir pour ce sujet:

1. D’après l’étude du dossier : «Vers une définition de la dégradation des forêts : analyse comparative des définitions existantes», Markku Simula, 2009 pour Le Programme d’évaluation des ressources forestières, coordonné par le Département des forêts au siège de la FAO à Rome

«Une forêt dégradée est une forêt secondaire qui a perdu, à la suite d’activités humaines, la structure, la fonction, la composition ou la productivité des essences normalement associées à une forêt naturelle. De ce fait, une forêt dégradée offre une fourniture réduite de biens et services. (...) La diversité biologique d’une forêt dégradée comprend de nombreuses composantes non arborées, qui peuvent dominer le sous couvert végétal.»

115m

FA*

Niveau marneux

Vignes

278m

240m

Alluvions de hautes terrasses

290m

Ainsi, il y a environ 9000 ans (au Néolithique), le territoire languedocien est recouvert d’une forêt constituée essentiellement d’arbres à feuillage caduc (chêne pubescent/verts et érables notamment). Les activités anthropiques responsables de la dégradation de la forêt sont alors les pratiques comme l’agriculture et l’élevage ovin et caprin (nécessitant le recours au brûlage pastoral qui a aussi modifié le milieu). La forêt commence donc à être défrichée pour accueillir ces nouvelles activités. L’ouverture des milieux favorise peu à peu le développement des plantes xérophiles et héliophiles (adaptées à un important ensoleillement) typiques des garrigues. Avec l’arrêt du pastoralisme et de l’agriculture sur certaines terres, la reconquête de la garrigue et des résineux (comme Pinus halepensis) progresse...

189m

Éocène niveaux Alluvions de hautes terrasses marneux

Pelouse sèche Cours d’eau et résineux

Forêt de résineux et feuillus (beaucoup de pin d’Alep)

65m

FA

Vignes, friches et oliviers

4km La Serre d’Oupia est désormais recouverte entièrement d’un boisement forestier. Le pin d’Alep semble majoritaire. Au pied, des prairies à brachypodes s’installent entourées des pins

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DYNAMIQUES DE VÉGÉTATION DE LA GARRIGUE (PERTURBÉES SI L’HOMME INTERVIENT)

1

1 Garrigue haute sur sol calcaire compact 2 Jeune forêt de 40 ans : chênes verts

Pas d’intervention anthropique

3 Forêt de 100 ans : chênes verts, 300 ans et plus : chênes blancs

4 Pelouse steppique à

brachypodes rameux 5 Garrigue basse : plantes piquantes et/ou aromatiques (thym, romarin,...)

Brûlage pastoral Arrêt du pâturage

2

4

Pâturage Entretien Écobuage

5

Pas d’intervention anthropique Coupes et incendies Pâturge en déclin

3

INTÉRÊT D’APPORTER UNE GESTION «DURABLE» À CES MILIEUX ENJEUX DE COLONISATION PERCEPTIONS ET REPRÉSENTATIONS Les garrigues comme les pelouses sont aujourd’hui menacées. Elles se referment progressivement au profit des boisements de chênes verts mais aussi de pins d’Alep (flagrant sur la serre d’Oupia). Ceci, qualifié de «fermeture du paysage», peut poser question. En effet, cette évolution vers des milieux forestiers tend à brouiller la lecture du paysage et à diminuer la diversité floristique et faunistique du milieu. Si pendant longtemps, la garrigue a été considérée comme le résultat négatif d’une surexploitation des milieux, le regard qu’on y porte aujourd’hui a changé faisant apparaître la valeur écologique de ces milieux «ouverts» et l’intérêt de leur maintien. Néanmoins, leur «conservation», amène à de nombreuses problématiques car leur présence est liée à l’activité anthropique. 45

Il ne s’agit donc pas seulement de traiter des enjeux de «protection» mais aussi de maintien de l’agriculture, du pastoralisme, de leur économie locale, du lien aux habitants, des représentations sur ces milieux, de la question des incendies et de la production sylvicole par exemple, etc.... Ceci pose donc la question de l’attention que l’on porte à une approche englobante et territoriale. Les garrigues et les espaces non-cultivés colonisés par les résineux par les enjeux qu’ils sous-tendent me semblent être des interfaces à explorer pour le projet où se joueraient des vcomplémentarités. Ce pourrait être des espaces multifonctionnels, ouverts au pastoralisme, à la découverte du territoire, dont la gestion serait bénéfique aux viticulteurs.


RISQUE POUR LES POPULATIONS ET LA BIODIVERSITÉ L’INCENDIE AU CROISEMENT ENTRE SÉCHERESSE, DÉFICIT HYDRIQUE ET COUVERTURE BOISÉE

L’étude de l’aquifère karstique a permis de mettre en évidence un sol très filtrant, peu propice à la conservation de l’eau. De plus, en ajoutant l’augmentation des températures et la baisse des précipitations en été ont constate que le territoire est en déficit hydrique (constaté en août, certaines sections du Répudre étaient asséchées). Cette sécheresse ainsi que la puissance et la récurrence du vent favorisent le risque incendie à la rencontre entre plusieurs facteurs. En effet, l’arrachage croissant des vignes sur certaines terres a entraîné l’installation de friches où progressent pelouses sèches puis garrigues, résineux, certains sources de combustible, parfois aux portes des villages. Ce sont des milieux qui, touchés par la sécheresse, favorisent la propagation du feu, là où les vignes sont d’efficaces coupe-feu. Ci-contre on remarque que le secteur concerné par un aléa moyen-fort (entre 30 et 50%) sur le site de l’étude, est l’arc formé par les reliefs au nord, tous occupés par une dense couverture boisée (principalement de résineux). Pourtant, si l’arrachage viticole progresse dans les années à venir, l’augmentation des friches pourrait devenir problématique. En outre, si une gestion des espaces de garrigues n’est pas appliquée, si les résineux prolifèrent, le couvert forestier pourrait se développer plus au sud du site, à partir du piémont de l’arc. On peut donc émettre l’hypothèse que la zone la plus claire du

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site (entre 0 et 5%) pourrait évoluer vers un aléa compris entre 5 et 30% dans les années à venir. DÉPRISE AGRICOLE ET FORÊT, L’EXEMPLE DE MAILHAC En juillet 2016, un incendie brûle une maison au hameau de Caneyère, à l’est de Mailhac. En effet, l’incendie s’est propagé sur la colline du Cayla, au nord. Les secours au sol et aériens ont du concentrer leur force sur cette colline car, attenante à la serre d’Oupia (inaccessible par les secours aériens du fait des éoliennes à son sommet), un saut de flamme vers celle-ci était très probable. Proche du village, il a donc fallu éviter par tous les moyens ce phénomène. Entre Mailhac et Bize-Minervois, le vent tournant a aussi favorisé la propagation du feu sur les bords de ruisseaux non-entretenus. Preuve que le volume de végétation combustible et la nature du climat audois sont des facteurs influençants. La rencontre de l’incendie avec les populations du site le rend dangereux. Ainsi les friches au contact des villages, des bois de pins d’Alep, des pelouses sèches sont à éviter impérativement. Le projet doit s’attacher à explorer les enchaînements et interactions entre les composantes du paysage selon la proximité des friches aux villages ou encore à la forêt par exemple.


1 Degré en plus = Risque augmenté de 20%

Cadrage sur le site d’étude

Proportion de la surface totale du massif en aléa subi, modéré, fort ou très fort 0 à 5% 5 à 15% 15 à 30% 30 à 50% 50 à 77% Sources : Cartographie de l’aléa 2004, département de l’Aude

Prévisions pour 2100 Le Giec prévoit +1,5°C (inévitablement dépassé) à +2°C Ce qui augmenterait le risque incendie à +40%, dramatique pour les habitants et le territoire 47


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APARTÉ

ET POURQUOI PARLER D’ENJEUX [ COMMENT CLIMATIQUES DANS LE MINERVOIS ?

Entre adaptation et anticipation : une dualité de postures à adopter

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]


CLIMAT : DE L’ÉCHELLE DE L’ENVIRONNEMENT À CELLE DU PAYSAGE

1.GIEC : Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat 2.Vincent Berdoulay et Olivier Soubeyran , «L’aménagement face à la menace climatique», 2020 3. Pierre Selpulchre, «La conjugaison du climat», les Cahiers de l’École de la Nature et du Paysage de Blois, 2018, n°16

DÉRÈGLEMENTS CLIMATIQUES, POURQUOI PEINE-T-ON À S’EMPARER DU PROBLÈME ?

la «technique» au détriment d’une approche systémique qui intègre pleinement les habitants grace à différents scénarios.

Dès leur première édition en 1990, les rapports du GIEC1 ont mis en évidence un changement climatique qui a commencé au début du XXe siècle. Dans les instances internationales, comme au niveau des États, l’injonction de l’adaptation au changement climatique s’est récemment généralisée, comme l’accord de Paris sur le climat de décembre 2015 l’exprime. Si le mot d’ordre est la réduction des températures à la surface du globe, il s’agit aussi de s’adapter aux effets des dérèglements du climat. Cette partie s’attache à reformuler les enjeux locaux d’un dérèglement climatique général et sa traduction plus précise à l’échelle des Serres dans les pages qui suivent.

VERS UN SCEPTICISME ACCRU, UN BESOIN DE COMPRENDRE LA BASCULE CLIMATIQUE ANTHROPIQUE

Le passage d’une politique d’atténuation à une politique d’adaptation et d’anticipation semble alors plus que nécessaire. Dans «L’aménagement face à la menace climatique»2, Vincent Berdoulay et Olivier Soubeyran pointent la difficulté des élus à comprendre de quoi il retourne, si ce n’est que la question environnementale se voit augmentée d’une couche supplémentaire de contraintes, ce qui risque d’être un frein de plus à leur action, mais à l’inverse peut donner matière à des conduites de projets d’aménagement. Néanmoins, le défi de mettre en rapport l’action aménagiste avec le milieu «naturel» (ou cultivé) est encore d’actualité, là ou l’adaptation présuppose leur articulation. En effet, la pensée aménagiste, même si ceci est évidemment à nuancer, peut montrer des faiblesses à intégrer pleinement l’environnement dans sa démarche. On se voit alors confronter à un unique recours à 50

De nos jours, la remise en question des travaux scientifiques progresse à travers les réseaux sociaux, médias et discours politiques. Le climato-scepticisme est sans doute multifactoriel, il est probable qu’il tienne à la fois à la confusion sémantique qui existe pour le grand public entre climatologie et météorologie, et à la difficulté de percevoir, à l’échelle temporelle d’une génération et à l’échelle spatiale des paysages, les conséquences du changement climatique en cours selon Pierre Sepulchre3. Il souligne le besoin d’ «apporter un éclairage sur les notions fondamentales du changement climatique en cours et de l’histoire du climat, selon plusieurs temporalités distinctes, en vue de permettre aux non-spécialistes d’appréhender au mieux la soudaineté, l’importance et les conséquences à long terme de la transition climatique provoquée par l’activité humaine». PLUSIEURS TEMPORALITÉS, DE L’ÉCHELLE HISTORIQUE À L’ÉCHELLE GÉOLOGIQUE

L’observation du changement climatique d’origine anthropique révèle donc un système en changement qui, selon l’auteur, ne peut être quantifié que par la détermination de son état initial (« Comment se comporte le système climatique avant la perturbation humaine ? ») et de


son état final (« À quoi s’attendre dans le futur ? »). Une telle démarche revient à prédire l’évolution du climat actuel et à en rechercher des analogues dans le passé. Seule l’étude des climats anciens offrirait de telles perspectives, d’où la nécessité de faire comprendre la bascule climatique par l’étude historique et géologique des évolutions de celui-ci. Certaines archives ont fait ressortir des études à l’échelle des stades phénologiques1 des plantes, ainsi les dates de vendanges et de moissons ont montré une excellente corrélation avec les températures enregistrées. Ceci est particulièrement intéressant sur les sites viticoles du Minervois et plus largement ailleurs en France, car le changement du climat a influé sur la production viticole et oléicole (grands gels de 1956, canicule, avancée ou recul des vendanges,...), le cultivateur doit donc vivre à ce rythme. Si l’on regarde le climat à échelle géologique, on remarque que celui de l’ère tertiaire est loin d’avoir été constant dans le temps et que des variations de température bien plus élevées que celles enregistrées aux échelles historiques ont eu lieu. Durant tout le Paléocène-Éocène, une augmentation de 4°C à 6°C des températures du fond des océans et de 8°C à 10°C de celles des mers des hautes latitudes illustrent un réchauffement global dès cette ère. Mais ce qui est alarmant aujourd’hui, c’est l’extrême rapidité des changements à l’échelle temporelle de notre ère, ceci en partie par le rejet de CO2 croissant par les activités anthropiques. Ainsi que la violence et l’intensité des déséquilibres qui se créent. «Il n’y a donc pas de passé géologique «récent» d’événement climatique enregistré dont la brutalité atteigne celle du changement actuel» (Pierre Sepulchre, «La conjugaison

Comprendre l’impact de l’évolution climatique anthropique et l’implication des populations, impose un changement d’échelle étudiée À Sainte-Valière, comme sur d’autres villages des Serres les places publiques sont avanttout occupées par la voiture.

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du climat», 2018). DE L’ENVIRONNEMENT AU PAYSAGE Les conséquences du changement climatique anthropique sont déjà visibles à l’échelle du paysage mais sont encore difficiles à anticiper. «Les rapports du Giec, qui incluent des simulations numériques du climat futur, permettent de quantifier le changement à venir à l’échelle globale et s’intéressent aux conséquences environnementales». Néanmoins, la résolution spatiale est peu informative sur l’échelle locale, décrite comme celle du paysage dans l’article. Ainsi, un travail sur des scénarios anticipatifs passant de l’échelle de l’environnement à l’échelle du paysage semble aujourd’hui impératif. Les scénarios traduisent d’une incertitude quand aux bouleversements climatiques et nous demandent donc de travailler selon des hypothèses afin de décliner ces estimations en scénarios localisés.

1.Phénologie : étapes de croissance de la plante, de la dormance à la production de fruits (vendanges)


RÉPERCUSSION DES DÉRÈGLEMENTS CLIMATIQUES À L’ÉCHELLE VITICOLE 1. LACCAVE : Long term Adaptation to Climate Change in Viticulture and Enology LACCAVE (2012-2016), INRA. Comme expliqué par l’INRAE, le projet vise à capitaliser, coordonner et mener des recherches dans différentes disciplines : climatologie, écophysiologie, génétique, agronomie, pathologie végétale, œnologie, économie géographie, mathématique. Ces travaux s’inscrivent dans une démarche de prospective à l’horizon 2050.

Le changement climatique est un enjeu majeur pour le secteur de la vigne et du vin. Ses effets sont déjà sensibles dans de nombreux vignobles et variables selon les régions: avancée de la date des vendanges, baisse de rendement, modification des caractéristiques des vins. Il contribue à une redistribution des potentialités viticoles de certains territoires viticoles français et européens. Bien que les recherches aient été appliquées à des territoires extérieurs au Minervois (l’AOC Ventoux et de plusieurs AOC du CentreVal de Loire), cette étude peut m’offrir des modèles inspirants pour mon échelle de site. Les chercheurs de l’INRAE et de laboratoires associés (CNRS et Universités) ont collaboré pour étudier une adaptation souhaitée du secteur viticole face aux changements climatiques à travers le projet LACCAVE1. Quatre points impactant la viticulture pour les années futurs ont été relevés : – l’avancée des stades phénologiques de la vigne, déjà observée (vendanges plus précoces) et qui va se poursuivre ; – l’évolution des caractéristiques des vins : augmentation du taux d’alcool, baisse de l’acidité, des modifications d’arômes et de couleurs – la modification des bilans hydriques, avec des effets contrastés selon les régions, notamment une baisse des rendements potentiels au sud, – et, au nord une évolution de la pression des maladies.

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Par ailleurs, les régions au climat méditerranéen, deviendraient moins favorables à la viticulture du fait d’une augmentation excessive de la température moyenne et de périodes de sécheresse plus prononcées. Les impacts du changement climatique diffèrent selon les régions viticoles, les appellations mais aussi au sein même des appellations, voire d’une parcelle à une autre (Gautier, 2014). Ils ne peuvent donc être précisément appréhendés que de façon extrêmement située.

Saint-Émilion

Chateauneuf du Pape

Alsace

21 oct. 16 oct. 11 oct. 6 oct. 1er oct. 26 sept. 21 sept. 16 sept. 11 sept. 6 sept. 1er sept. 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010

Les trois vignobles étudié ont tous fait état d’une avancée des vendanges entre 1950 et 2010. L’impact du climat sur la vigne n’est donc pas anodin.


EFFETS ATTENDUS SUR LA VIGNE

Documents élaborés d’après les études du projet LACCAVE sur

Les territoires étudiés sont des références utiles à la comparaison avec le site du Minervois où les études sont très peu développées

Zones favorables à la culture de la vigne actuellement

Zones favorables à la culture de la vigne en 2050 ENJEUX DE RELOCALISATION POUR LE PROJET Les travaux au sein du projet LACCAVE ont permis d’affirmer qu’à l’horizon 2050-2100, les vignobles vont se délocaliser en explorant de nouvelles régions, tout en abandonnant une partie des régions en particulier autour du bassin méditerranéen. En parallèle, ils vont pouvoir se relocaliser au sein même des terroirs viticoles. Ceci me permet donc d’étudier deux échelles d’adaptation, celle de la relocalisation au sein même du territoire dans un premier temps, sur une échelle de +10 ans, +20 ans (en gardant en vue les potentialités foncières possibles pour ceci), puis celle du déplacement du vignoble vers des régions qui seront plus adaptées (plus au nord) dans un second temps sur une échelle de +30 à +50 ans. Il faudra alors explorer le devenir et les potentiels agricoles des terres (quelles cultures pour remplacer la vigne ?). Si le déplacement du vignoble peut sembler dur à accepter pour une région traditionnellement viticole depuis plus de 100 ans, il faut garder à l’esprit qu’il s’est déjà déplacé à maintes reprises : abandon des terrasses pour la plaine au profit de rendements plus élevés par exemple.

On observe un déplacement des zones favorables à la vigne vers le nord et le Massif central pour 2100. D’une année sur l’autre un viticulteur peut perde 80% de sa récolte selon les aléas climatiques. Une catastrophe économique qui contraint le vigneron à repenser son modèle. Les oliviers semblent plus résistants à la chaleur du climat mais les rendements restent fluctuants car ils sont vulnérables au gel, aux pluies irrégulières. Cet enchaînement de chocs météorologiques a fait baisser la production d’olives en Grèce de 20% sur la dernière décennie.

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CONSTAT DE CHAPITRE : LA NÉCESSITÉ D’UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE DES FACTEURS PHYSIQUES ET ANTHROPIQUES QUI S’INFLUENCENT L’étude des caractéristiques physiques (géomorphologie, pédologie, hydromorphologie), climatiques et des dynamiques de végétation sur ce territoire a permis de montrer qu’elles étaient interdépendantes et entrelacées avec les activités humaines. Ainsi, elles sont indissociables. En ce sens, la roche calcaire et les grottes creusées par l’eau ont permis l’arrivée des premières formes d’habitats. Les premiers arrivants ont aussi été les premiers cultivateurs qui, par plusieurs campagnes de défrichements par exemple, ont influencé la qualité

et la structure des milieux écologiques. Ceci illustrant des paysages changeants allant de paire avec leur perception et la façon de les pratiquer. Les schéma ci-dessus reprend ces interactions entre les composantes physiques, biologiques et humaines des Serres, développées précédemment. Ces interactions indissociables mettent en avant la nécessité de soigner les points de contact entre ces composantes, les lieux où elle se rencontrent.

Synthétisation des interactions entre les composantes physiques, biologiques et humaines spécifiques au territoire des Serres

1.Agit sur les formes du paysage, qualité des milieux pratiques de gestion et de plantation

Pelouse sèche à herbacées

Garrigue

1

Biodiversité méditerranéenne

1b. Influence les perceptions, attitudes, représentations sociales, usages,...

1b

Agriculture

Forêt de pins d’Alep

2 Forêt de chênes verts 2. Formes de l’environnement et dispersion des espèces (garrigue sur calcaire) Adaptations biologiques (face à la sécheresse, l’eau, le vent...) 2b. Agit sur le climat et le socle (séquestration de carbone, érosion...)

Roche calcaire

Activités humaines

2b

Arboriculture

3

Morphologie du sous-sol

3b Urbanisation

Pastoralisme

3.Dynamiques et échelles dans le temps

Climat

Précipitations rares mais plus violentes Sécheresse

Réseaux karstique Chaleur

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3b.Influe sur les premières formes d’occupations, façons d’habiter, pratiques, usages


Synthétisation des influences croisées entre risques et enjeux, spécifiques au territoire des Serres

Étalement de la garrigue, évolution vers la forêt Prolifération de résineux Fermeture du paysage Incendie : plus de combustiblesGarrigue

Abandon des pratiques Intrants Irrigation

1.Agit sur les formes du paysage, qualité des habitats, pratiques de gestion et de plantation

Pelouse sèche à herbacées

1b. Impact les perceptions, attitudes, représentations sociales, usages,...

1

Biodiversité méditerranéenne

1b

Agriculture

Forêt de pins d’Alep

2 Forêt de chênes verts 2. Formes du paysage et dispersion des espèces (garrigue sur calcaire) Adaptations biologiques (face à la sécheresse, l’eau, le vent...)

Roche calcaire

Activités humaines

2b

Arboriculture

3

Morphologie du sous-sol

3b Urbanisation 3.Dynamiques et échelles dans le temps

Climat

2b. Agit sur le climat et le socle (séquestration de carbone, érosion...)

Précipitations rares mais plus violentes Sécheresse

Réseaux karstique

Filtration, pertes Diminution de la ressource en eau Infiltration des intrants : pollutions des nappes

CE QU’IL FAUT EN RETENIR : Le milieu a un effet sur nos pratiques, et nos pratiques influencent le milieu. Mais les activités humaines et le climat sont facteurs des enjeux. Il s’agit donc bien de dédier notre champ d’action à ces deux facteur largement influençant.

Pastoralisme

3b.Influe sur les premières forme d’occupations, façons

d’habiter, pratiques, usages

Chaleur

Facteurs Effets

PISTES DE PROJET Si ces nombreux facteurs suscitent dans le paysage des interfaces dynamiques qui s’influencent, les risques et enjeux associés sont donc aussi interdépendants. En ce sens, à travers le projet, il ne s’agit donc pas uniquement de parler d’agriculture. Mais aussi des habitants, des pratiques du territoire ou encore des milieux écologiques. Ceci est intéressant car nous pouvons y trouver des complémentarités, différents services bénéfiques entre chacun, des interfaces communes.

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02 DU TERRITOIRE RESSOURCE AU TERRITOIRE PRODUCTIF : DES PREMIÈRES TRACES D’EXPLOITATION AU MINERVOIS VITICOLE

OBJECTIF : Comprendre l’histoire humaine et sociale qui a modelé le territoire ainsi que les relations entre les dynamiques physiques et les pratiques culturales du site. Ce chapitre commence dès l’histoire des premiers habitants jusqu’à la monoculture viticole actuelle. Il permet d’explorer le passé agricole des Serres, là où la vigne n’a pas toujours été privilégiée et analyse les indices dans le paysage hérités du système agricole ancien. L’héritage agricole sera un outil à réinventer pour imaginer les pratiques agricoles futurs pour le projet.

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NAISSANCE D’UN PAYSAGE HABITÉ ET CULTIVÉ PREMIÈRES FORMES D’OCCUPATION

La particularité des lieux est, en partie, héritée des qualités physiques et des pratiques anciennes associées qui ont façonné le paysage. Néanmoins, les populations laissent entrevoir une négation progressive de ces ressources locales. Pour comprendre ces dynamiques, il convient de revenir aux sources des premières traces de civilisations : du paysage ressource au paysage hyper-productif.

L’étude des périmètres du Minervois a mis en évidence une présence de l’homme depuis la préhistoire. Depuis cette vaste période jusqu’à la Révolution française, le territoire agricole s’est vu évoluer au gré des pratiques et des sociétés. De la polyculture méditerranéenne à la monoculture viticole les Hommes ont progressivement abandonné le sol comme ressource pour un territoire productif et rentable. LA PRÉHISTOIRE La présence de civilisations à cette période est surtout constatée grâce à des traces d’occupations : grottes dans les calcaires karstiques creusés par la Cesse (grotte d’Aldène, Cesseras) dolmens, outillage, mégalithes,... La hauteur des habitats sera dépendante du niveau d’eau. Au fil des années, les Hommes vont occuper des grottes de moins en moins hautes dans la falaise. LA PROTOHISTOIRE Cette époque voit apparaître les premières traces de l’élevage et de l’agriculture avec

Reconstitution d’une gravure retrouvée dans la grotte de l’Aldène, Minervois héraultais. Extrait de l’article «Grotte de l’Aldène à Cesseras (Hérault)», Denis Vialou Gallia Préhistoire,1979, pp. 1-85

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plusieurs défrichages, les premiers habitats agglomérés, oppida1,.... MAILHAC 5000 ANS D’HISTOIRE L’oppidum de Mailhac est révélateur de ces premières traces d’occupation (vers 900 à 200 av. J.-C.). Des vestiges ont été retrouvé en haut de la colline du Cayla. Un emplacement stratégique, au dessus de l’eau et «sécurisé» d’où l’on surveille le territoire. Ces populations sont les premières à se regrouper dans une agglomération : on les appellera «les Elisyques», une des plus anciennes peuplades de Méditerranée. Le Cayla sera occupé du IX au IIe siècle avant notre ère. À l’exception de l’intervalle 775-575 avant J.-C. où l’habitat se serait déplacé vers la plaine donnant lieu à deux nécropoles. Après avoir été emporté par les inondations et les incendies, l’habitat rejoindra le Cayla, plus protecteur. Au total, on dénombrera quatre villages successifs.


Son nom vient du Domaine d'Oppianus, du latin "oppida", qui signifie "hauteur"

Le site du Cayla a été classé «Réserve d’état», des fouilles ont été initiées en 2012? 2013 et 2015, les derniers sondages datant de 1992 59


ESSOR DE LA VIGNE ET DE L’OLIVIER, LA GAULE NARBONNAISE

1.Carte retravaillée d’après LEVEAU Philippe, L’oléiculture en Gaule Narbonnaise : données archéologiques et paléoenvironnemtales, Revue archéologique de Picardie, 2003, Cultivateurs, éleveurs et artisans dans les campagnes de Gaule romaine. pp. 299-308

L’ANTIQUITÉ

OLÉICULTURE

L’histoire du vignoble et des oliviers débute avec les grecs au 5ème siècle avant J.-C.. Mais ils prennent réellement leur essor sous l’impulsion des Romains au 2ème siècle av. J.-C.. La Narbonnaise est également une des plus anciennes régions viticoles de l’Europe. C’est depuis cette époque que la viticulture joue un rôle vital dans l’économie régionale. La culture de la vigne est la principale ressource économique du département depuis le 17ème siècle. Le vin, produit commercial, est implanté près des axes de communication (ports essentiellement, Sète, Narbonne, Agde,...). Le vignoble sera alors puissant et fera de l’ombre aux vins romains. Après le déclin de l’Empire, et les différentes vagues d’invasion, la part liée à la viticulture décline.

À l’inverse de l’aire viticole, qui s’est très largement étendue car elle supporte beaucoup mieux des climats froids et humides, l’aire oléicole est plus restreinte. De plus, l’investissement dans la plantation suppose une implication de génération en génération. Un trait qui s’est perpétué au fil des temps et montre l’attachement à l’arbre et à la valeur différée qu’il représentait. L’archéologue Jean-Pierre Brun, dans ses recherches a constaté que la majorité des pressoirs antiques découverts en Narbonnaise étaient destinés à la production de vin et non d’huile qui était, somme toute, assez marginale comme l’est l’olivier dans le sud (car il occupe une zone à la limite climatique de son habitat naturel).

Aire de répartition de l’olivier sous la Gaule narbonnaise1

Valence

300m

C’est l’altitude maximum de son aire de développement

7000 ans

Limite de la Narbonnaise Limite actuelle de l’olivier Zone de forte présence de l’oléiculture antique Zone de présence sporadique

Nimes Lodève Lattes Arles Fos Béziers Narbonne

ari Alpes M

C’est l’âge des plus vieux oliviers

tim es

Aix Rians

Antibes Fréjus

Toulon

0km

60

50km


DESSIN DU FINAGE AGRICOLE : LE PAYSAGE RESSOURCE LA POLYCULTURE MÉDITERRANÉENNE

Ager : fondée sur la triade céréales vignes, oliviers Plaines et terres fertiles

Saltus : terres intermédiaires POLYCULTURE MÉDITERRANÉENNE

Friches, garrigues ou les bois clairs : vaines pâtures (communaux)

Silva : Chêne vert exploité en taillis, bois de chauffe et charbonnage Avants-monts, Causses, collines et vaines pâtures

À cette période, le territoire s’urbanise progressivement. Dès le XIe siècle, une armature urbaine dense se constitue, pour l’essentiel, en quatre siècles, et se perpétue jusqu’à aujourd’hui. Apparaissent des jardins, des horts le long des 1.Ager : Terres ruisseaux, des tènements proches composés de destinées à parcelles exiguës à cause du morcellement. Il s’agit l’agriculture, de la structuration du finage agricole autour de la appartenant à un polyculture méditerranéenne, structurée autour seigneur à cette de trois composantes : l’Ager, la Silva, le Saltus1. période 2.Sylva : La forêt Dès lors, l’abbaye de Fontfroide (située à 22km au sud du site des Serres) gère un impressionnant 3.Saltus : Les terres non-cultivées, domaine agricole comprenant 25 dépendances. Y sont cultivés raisin et blé (stockés dans la qualifiée de «sauvages» grange de Fontcalvi à 13km à l’est du site). Les 61

paysans ont chacun quelques bêtes pour pâturer (ovins et caprins) leur procurant de la laine. Les terres (friches, garrigues, vaines pâtures,...) leur étant dédiées sont partagées, on peut émettre l’hypothèse que ce sont des communaux. La viticulture est alors qualifiée de «suburbaine» et ce sont surtout les coteaux les mieux exposés qui sont cultivés. À cette époque, la vigne permet de valoriser les terres médiocres. Ce sont aussi les premiers axes de communication après ceux de la via domitia et aquitania dont le tracé conditionne grandement l’implantation humaine.


1 2

À l’est de Bize-Minervois Les murets sont édifiés à partir des pierres récupérées dans les champs lors des labours Les traces des anciennes terrasses sont encore visibles sur les collines

LA SILVA DANS LES VALLÉES RECULÉES, LES AVANT-MONTS ET LES ANCIENNES RÉSERVES SEIGNEURIALES L’économie agraire locale est aussi tournée, à cette époque, vers l’exploitation du bois et des forêts (notamment de chênes verts). Les boisements sont alors exploités en taillis de coupes pour le bois de chauffe et le charbonnage et alimenter les verreries. À côté certaines pratiques ont permis de garder un paysage «ouvert» peu colonisé par les boisements tels que la cueillette des plantes aromatiques ou médicinales ou la pratique de la chasse. LE SALTUS SUR LES TERRES PEU VALORISABLES (VAINES) L’élevage est le troisième élément de ce système agrosylvo-pastoral. Jusqu’au siècle dernier, il constituait comme le second pilier de l’économie rurale. L’élevage occupe la grande majorité des causses et 62

de manière plus épisodique les «mauvaises terres» comme indiqué sur le cadastre napoléonien. Il occupait néanmoins une part importante des terroirs et des activités. En Méditerranée, l’agriculteur n’était pas éleveur, les cultures y étaient trop fragiles. Le pacage se faisait alors dans les friches, garrigues ou les bois clairs durant l’automne, l’hiver et une partie du printemps. Durant les mois d’été, les troupeaux étaient conduits aux pâturages d’altitude du Massif central via un réseau confluant de drailles. DES BOURGS QUI S’OUVRENT À NOUVEAU Les villages médiévaux changent de forme en faisant tomber les fortifications et en comblant les fossés défensifs. Des faubourgs se construisent par la suite, le long des nouvelles voies de communication. C’est à cette époque que les premières formes de tourisme apparaissent.


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Ancien moulin en haut de la terrasse de Sainte-Valière, héritage du passé agricole


LA POLYCULTURE MÉDITERRANÉENNE A PERDURÉ DE NOMBREUSES ANNÉES

Fin 18e, début 19e siècle 8

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À la fin de l’ancien régime, la polyculture méditerranéenne ou agro-sylvopastoralisme est encore une réalité et ce depuis plus de deux millénaires. Le nombre de moulins en amont des pertes de la Cesse traduit bien l’importance de la transformation locale des récoltes. On cultive pour les besoins vivriers et l’attention portée au sol est fine. Les paysans soignent leur paysage agricole car il est l’unique ressource essentielle à leur survie et chaque terre est valorisable à sa façon.

Cultiver la terre : les ressources agro-sylvo-pastorales

L’agriculture est fondée sur la triade céréales, vignes, et oliviers. Elle est localisée sur les terres les plus fertiles de la plaine et des piémonts et de façon plus anecdotique, les fonds de vallée étroits des Avant-Monts. Les collines difficiles d’accès seront valorisées grâce à l’édification de murs de soutènement (terrasses appelées «Soubergues» en Occitan) et par l’entretien des murs existants édifiés durant l’Antiquité.

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Légende

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Agriculture Vignes Céréales Arboriculture Terres vaines pâturées Milieux naturels Les Avants-Monts sont ponctués de chênes verts exploités en bois de chauffe

Éléments agricoles bâtis 5 Murets et terrasses hérités de l’Antiquité et entretenues 6 Bergeries 7

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Quelques résineux Garrigue 12 13 14

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Moulins pour la farine Villages Villages de plaines et de piémonts prospères qui profitent du canal du Midi pour l’export Eau Canal du Midi Cesse Répudre


Le pain étant la denrée essentielle des populations rurales, la culture de céréales était la préoccupation principale. À la veille de la Révolution, la région ne produit encore que 10% des vins français et l’Aude reste donc un département céréalier, surtout réputé pour la qualité de son blé. En effet, par crainte d’un manque de céréales, un arrêté du 5 juin 1731 interdit la création de nouveaux vignobles. Le Narbonnais produisait assez pour se subvenir et pour nourrir les départements de l’Hérault, le Gars, les Bouches-du-Rhônes et les Alpes-Maritimes. La vigne et dans une moindre mesure l’oléiculture sont deux cultures complémentaires dans le calendrier cultural qui participaient également aux ressources de la population.

Carte de Cassini, 18e, 19e siècle Néanmoins, les débuts de cette spécialisation viticole sont clairement visibles sur la carte dite de Cassini (ci-dessus) au sud d’Argelliers, sur le coteau exposé au sud à l’est de Pouzols et sur la « cuesta » au sud-ouest de Ste Valière. Le cadastre napoléonien, plus précis que Cassini, illustre des parcelles de vignes isolées sur tout le territoire. Les terres labourées restent majoritaires. Pouzols est le village où apparaît le plus de terres vaines (surement pâturées à l’époque). Les prémices viticoles signent le démarrage d’une culture d’exportation grâce, notamment, aux débouchés commerciaux offerts par la création du Canal Royal, le rail et du port de Sète. La canal du Midi, construit en 1667, n’est aujourd’hui plus navigué à des fin commerciales mais seulement touristique. Néanmoins sa remise en service pour l’export est actuellement intérrogée. Les fluctuations de la partition entre la triade ont peu à peu transformé le paysage et la société rurale.

Mailhac dans les années 1920 À cette époque les villages sont «vivants», la rue est un espace vécu, de rassemblements, de rencontres et de vente pour les paysans 66


Cette portion de cadastre permet de constater que la Serre d’Oupia était cultivée par endroit mais constituait aussi un certain nombre de terres «vagues» (comme les terres vaines ce sont les terres non cultivées). On peut donc hypothétiquement dire qu’elles étaient pâturées et qu’elles constituaient des «communaux». Terres partagées entre les agriculteurs pour y faire pâturer leurs bêtes. Ce système me semble à explorer de nouveau pour le projet afin de ménager des espaces ouverts et accessibles. Aujourd’hui, la forêt couvre presque toute la Serre.

Extraits du cadastre Napoléonien, 1807, Archives départementales de l’Aude

Le coteau de la terrasse de Sainte Valière était occupé par des vignes et des terres labourées. Aujourd’hui les pentes sont colonisées par la garrigue, la lande, les pelouse sèches. Ces espaces sont classés en zones naturelles dans les PLU. Le cadastre ancien peut permettre de confirmer qu’elles pourraient être remises en culture afin d’accorder plus de place au paysage nourricier. 67


HÉGÉMONIE VITICOLE, ESSOR DU VIGNOBLE D’EXPORTATION

Fin 19e, début 20ème siècle 7

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Les vignerons profitèrent de la pénurie de vins qui fut la conséquence de l’hiver particulièrement rigoureux de 1709 qui décima une grande partie des vignes françaises. Le recours aux vins méditerranéens fut alors abondant et une frénésie de plantations s’empara des viticulteurs, qui se détournèrent des céréales lors de la crise du blé dans le Narbonnais. Choix qu’ils eurent à regretter à l’ère phylloxérique.... Dès 1815, les surfaces viticoles sont supérieures aux surfaces céréalières. Au XIXème siècle, le système polycultural passé se voit changer et les sociétés rurales évoluent. Le territoire se tourne vers une production de masse. Favorisées par le développement des transports, les régions agricoles s’ouvrent à la concurrence du marché et se spécialisent. L’économie est alors presque entièrement viticole. Le rapport au sol et les paysages sont totalement modifiés. La marée viticole envahit les lieux. Les labours sont remplacés et le pastoralisme existe surtout dans la montagne. L’oléiculture subsiste comme une culture d’appoint mais fait aussi face à différentes crises : « petit âge glaciaire » survenus en 1709, 1748 et 1788, gel de 1956, et cela s’accentua au 19ème siècle en raison de l’extension du vignoble et de la baisse de sa rentabilité due à une concurrence accrue des huiles d’olive espagnoles notamment.

Vers une spécialisation des cultures : le paysage productif

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Légende

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Agriculture Vignes Arboriculture Multiplication des friches agricoles Milieux naturels Dynamique lente de fermeture sur les AvantsMonts : moutonnement de chênes verts et résineux Enrésinnement progressif Garrigue

Éléments agricoles bâtis 4 Murets et terrasses nonentretenues 5 Coopératives et caves viticoles, oléicoles 6 Domaines viticoles par endroits 10

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Villages Villages viticoles Eau Canal du Midi Cesse Répudre


ENJEUX DE VISIBILITÉ L’économie générée par la viticulture va favoriser un «renouvellement» des bourgs anciens. Les villages, les plaines et piémonts s’agrandissent. L’extension urbaine va se caractériser par l’arrivée d’une architecture viticole occupant les parcelles les plus grandes. Les caves et les remises s’installent surtout le long des voies nouvelles. Ces éléments bâtis serviront à afficher la prospérité des cultivateurs. Les plus «chanceux» financièrement parlant auront des domaines d’un seul tenant dont les villas romaines sont à l’origine. Les paysans deviennent vignerons. ARRIVÉE DU CHEMIN DE FER À la fin du XIXème siècle, le développement du chemin de fer permit d’expédier plus facilement du vin aux mineurs et ouvriers du nord de la France et aux parisiens privés de vignoble de proximité suite à l’arrachage de leur vignoble (pour le remplacer par la culture céréalière). Il va faire décliner l’activité du canal du Midi, d’autant que Napoléon III avait confié en 1858, la gestion du canal à la compagnie des chemins de fer du Midi, qui préférait avant tout développer le rail. Les taxes pour transport par le canal étaient alors plus élevées que par le train.

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Révolte des vignerons de 1907 Le château de Paraza, cave viticole Coopérative oléicole : l’Oulibo, elle reçoit les olives de trois départements : l’Aude, l’Hérault, les Pyrénées Orientales


“C’est le moment où les agriculteurs cessent d’être des paysans, vivant de la polyculture, pour devenir des viticulteurs qui achètent leur nourriture et travaillent pour le marché.”, Leroy-Ladurie, historien L’ÈRE DU DÉCLIN Le phylloxéra, dans les années 1870, fut terrible pour la région. Le négoce face aux manques de production des vignobles languedociens et d’Aquitaine, va réagir rapidement en se tournant vers les colonies françaises, sans s’embarrasser de vues à long terme. D’immenses vignobles modernes et très productifs furent créés en Algérie, Maroc, Tunisie et même en Italie du Sud, où la main d’œuvre était bon marché à cette époque. Ce sont les prémices de l’importation de masse. Une fois que les vignerons comprirent qu’il fallait greffer sur les pieds de vigne américains résistants, un élan de replantation s’empara de ceux qui n’avaient pas fuit vers les villes et leurs usines. Elles ne se firent qu’avec des cépages très productifs. Le rendement pouvait aller jusqu’à 120 hl/ha (moyenne de 20hl/ha en 1873). Les récoltes étaient abondantes, mais les vins légers et sans saveur. Ils étaient utilisés pour couper les vins d’Algérie plus fort. De plus, JeanLouis Chaptal, chimiste de l’époque, découvre qu’en ajoutant du sucre au vin au moment de la fermentation, on en augmente le degré : c’est la «chaptalisation». Ainsi ,on obtient bientôt des quantités énormes d’une «horrible piquette» mais qui se vend, en particulier à Paris. En 1900, une récolte volumineuse entraine la chute des cours 71

malgré un recours à la distillation. Rajouté au phénomène de surproduction nationale, le cours des vins s’effondre. Il s’ensuivit un soulèvement des vignerons en 1907. Événement tristement connu pour les troubles d’Argelliers et de Narbonne (7 morts). Les vignerons demandent des taxes sur le sucre pour freiner les imports, qu’ils obtiendront bien plus tard au terme de la révolte. Ajouté à cela le phénomène de fraude. En effet, au début du XXe siècle, elle est générale chez les commerçants et négociants, les prix sont au plus bas et les stocks au plus hauts. Cette révolte parvient à maintenir la viticulture sans lui redonner un réel élan. Pour faire face aux crises viticoles, les vignerons se regroupent en coopératives notamment à Argelliers, PouzolsMinervois, Lézignan-Corbières,... C’est le début de ces caves coopératives qui marquent aujourd’hui de leur présence massive de nombreux villages audois, souvent le long des routes. L’enchaînement de ces différents événements auront pour conséquence une fluctuation dans les productions et l’apparition de nombreuses friches viticoles ou pastorales suite à l’abandon des terres peu accessibles.


SURVIVRE FACE AUX CRISES PAR LE GROUPEMENT Le développement viticole du Haut-Languedoc profite aux petits propriétaires. Certains ont un autre métier et un revenu d’appoint tiré de la vigne. Il existe de nombreuses petites exploitations familiales qui vivent de la viticulture. Elles procurent beaucoup d’emplois induits, ouvriers agricoles, tonneliers, fabricants d’engrais, d’outils, de machines, mais aussi dans le transport et le négoce. Les petits propriétaires doivent s’organiser pour mieux écouler leur production. Au début du 20ème siècle les coopératives se fondent. Une grande majorité de ces «petits vignerons» coopérants du Languedoc et du Roussillon sont de sensibilité socialiste, voire communiste (mise en commun des outils de production et des bénéfices de la vente, principe de base des caves coopératives), formant ainsi un «Midi Rouge». La majorité des élus locaux, issus de communes rurales ou du milieu viticole, sont les représentants politiques de celui-ci faisant des coopératives de véritables lieux de débat et de discussion. Des liens politiques unissent les vignerons et ouvriers agricoles du Languedoc aux classes ouvrières de la France du nord et de l’est où étaient exportée la production. La mise en coopérative illustre un véritable élan de solidarité face aux aléas économiques. Les viticulteurs semblent attachés à leur profession et se sont longtemps battus pour la faire perdurer. Aujourd’hui, ceci se fait encore sentir à travers sur les Serres et sur tout le territoire languedocien. Mon expérience de terrain l’a confirmé lors de mes différents entretiens. Actuellement, le Languedoc-Roussillon compte plus de 550 caves coopératives. Elles sont des entités remarquables dans le village par

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leur ampleur architecturale industrielle. Face à la mondialisation, se pose aujourd’hui la question de leur reconversion. Pour certains elles semblent inadaptées aux évolutions technologiques actuelles et doivent être remplacées pour produire de nouveaux vins, pour d’autres, leur localisation est une opportunité pour engager une opération immobilière, d’autres enfin, y voient une ressource pour un nouveau projet individuel ou collectif, parfois sans aucun rapport avec le vin. C’est le cas à Sainte-Valière, où une architecte a fait l’acquisition du bâtiment pour un projet privé de tiers-lieu. La reconversion des coopératives abandonnées semble intéressante si elle s’ancre dans les besoins et les dynamiques du territoire. Mais il apparaît important de ne pas négliger le fait que ce sont aussi des lieux témoins d’un héritage agricole et habité des Serres. Il ne s’agissait pas que de produire du vin, c’était aussi une manière de parler, de penser, de dialoguer, de pratiquer,... qui constituait un mode de vie particulier. Ce modèle de groupement semble intéressant dans une perspective de diversification des cultures. En effet, le partage des outils, des connaissances, des lieux de stockage et de transformation pourrait se faire dans la même perspective de mise en commun des outils et des compétences.


DANS L’AUDE 140 CAVES COOPÉRATIVES EN 1980 POUR 75% DE LA PRODUCTION DE VIN ACTUELLEMENT 45 POUR 70% DE LA PRODUCTION DE VIN

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1. Coopérative de Pouzols-Mailhac, SUR LES SERRES visible au loin depuis la D5 2. 3. 4. L’imposante coopérative 4 CAVES COOPÉRATIVES d’Argelliers CAVE COOPÉRATIVE DE POUZOLS-MAILHAC, ROUBIA, GINESTAS ET ARGELIERS La coopérative de Pouzols-Mailhac compte 110 viticulteurs et celle d’Argelliers, environ 300 viticulteurs

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PRODUITS À FORTE VALEUR AJOUTÉE ESSOR DU VIGNOBLE D’APPELLATION

Depuis les années 50’ 7

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Après une période d’intense activité succède un abandon progressif et définitif des terres peu mécanisables et des parcours pastoraux . Cette déprise rurale et l’abandon de pratiques traditionnelles s’accélèrent en 1970. Les milieux se ferment progressivement et ceci de façon remarquable sur les Causse, les Avants-Monts, les reliefs de la Serre d’Oupia au Pech de BizeMinervois. Cette enforestation confère un caractère «naturel» (qui ne l’est en aucun cas) à ces espaces autrefois exploités et suscite la curiosité de nombreux touristes intéressés par l’image «pittoresque» des lieux. Toujours affaibli par la piètre qualité des rendements économiques du vignoble, l’obtention de l’AOC Minervois en 1985 permet de passer d’une économie de quantité à une économie de qualité. Néanmoins, les quotas de production imposent une nouvelle campagne d’arrachage et les friches viticoles se multiplient à nouveau... Beaucoup de vignerons n’ayant pu s’adapter ont dû revendre leurs terres et exercer une autre profession. L’image de l’appellation profite de nombreux atouts culturels afin de promouvoir une production de qualité et développer l’oenotourisme.

Affirmation des déséquilibres dans le paysage productif 10

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Légende 1 2

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Agriculture Vignes Arboriculture Multiplication des friches agricoles Milieux naturels Dynamiques lentes de fermeture sur les AvantsMonts : moutonnement de chênes verts et résineux Enrésinnement progressif Garrigue

Éléments agricoles bâtis 4 Murets et terrasses nonentretenues 5 Coopératives et caves viticoles, oléicoles 6 Domaines viticoles par endroits 10

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Villages Périurbanisation sur les terres anciennement agricoles Eau Canal du Midi Cesse Répudre


PÉRIURBANISATION INTENSIVE Cette revente des terres viticoles est souvent propice à la périurbanisation. De plus beaucoup de viticulteurs arrivent en fin d’activité et préfèrent vendre afin de s’assurer une retraite plus confortable. Si les friches agricoles subsistent sur ce territoire c’est donc aussi la raison de la rétention foncière : les agriculteurs attendent une arrivée plus massive de «néo-ruraux» pour vendre leur terre à bâtir. L’arrivée de l’éolien influence cette même rétention. Le prix de location des terres par le propriétaire est calculé au prorata du MW et cela rapporte aussi à la collectivité. Les projets éoliens font débat sur les Serres. Ils se multiplient et pourtant, certains y sont réticents. Souvent mal placée (comme c’est le cas sur la crête de la Serre d’Oupia) elles ménagent peu les horizons et ont un impact visuel conséquent. De plus, les collines ne sont plus cultivées en partie, les murets se délitent par endroits. La société rurale a évolué vers une population qualifiée de «néo-rurale». En effet, le territoire des Serres voit arriver de nouveaux habitants : des travailleurs des pôles urbains alentour, venus chercher de l’espace pour un jardin, des retraités de toute la France venues s’installer définitivement dans leur maison secondaire et des touristes venus construire leur résidence secondaire. Ainsi la société rurale n’est plus aussi ancrée qu’avant. Le rapport au paysage n’émane plus du même attachement familial et historique. Le caractère «traditionnel» du territoire évolue avec les sociétés habitantes nouvelles.

« Il y a un problème de consommation d’espace depuis les années 70, c’est difficile de lutter contre. Avant les gens cohabitaient davantage en famille. Maintenant on veut un parking chez soi pour la voiture, et aussi une piscine... » (élu, village inconnu) ET LES OLIVIERS ? L’oléiculture connait un regain depuis la fin des années 1980, en France, à l’instar de nombreux pays méditerranéens comme l’Espagne, la Grèce, le Portugal ou le Maroc (Conseil oléicole international, 2012). Le département de l’Aude ou des PyrénéesOrientales enregistrent aujourd’hui une forte progression de leurs oliveraies, elles qui avaient connu une quasi éradication. Elles demeurent néanmoins encore modestes mais semblent en plein essor malgré une dépendance et concurrence au marché mondial. 76


8 MOULINS À HUILE

dans l’Aude et plusieurs unités de confiserie

1500 TONNES d’olives à huile 600 TONNES d’olives de table. 77


TRAJECTOIRE HISTORIQUE D’APPARITION DES FRICHES VITICOLES

SYNTHÉTISATION DES TOURNANTS DANS L’HISTOIRE AGRICOLE DU SITE

Friche

F

Révolte des vignerons

luctuatio nd es pr od

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n

s

Second Empire : triplement des surfaces viticoles

Crises phylloxériques : importation des vignobles des colonies françaises

Années 1870

1857 Arrivée du chemin de fer

La crise en est déjà à sa septième année. Crise financière, marchés trop bas, fraude : appel à l’aide au gouvernement, nombreux conflits violents

La demande en vin de table est très forte. En 1970, la région produisait 30 millions d’hectolitres et dégageait un chiffre d’affaire de 10 milliards de francs. Les cépages les plus plantés étaient de gros producteurs

1907

Années 1970

À partir de 1900

Années 1950- 1960

Crises de surproduction pour «relever» le vignoble. Chute des cours malgré un recours à la distillation. Rajouté au phénomène de surproduction nationale, le cours des vins s’effondre Fuite des vignerons vers les usines et villes

Remembrement, «lois d’orientation agricole», aides à la cessation des exploitations Volonté de faire reculer le vignoble

Friche 78


Friche

Labellisation AOC du vignoble La qualité prime sur la quantité

1985

Friche

Des investisseurs étrangers commencent à s’intéresser de près au vignoble languedocien: bas prix des terres, climat adapté à une production biologique, réseau autoroutier parfait et chômage élevé sur cette zone

Années 1990 et surtout 2000

Années 1980-2011 Émergence des primes à l’abandon définitif (PAD), mesure européenne Baisse de 44% du nombre d’exploitants Reconversion aisée avec la croissance économique de la France depuis les années 55’ et exode rural

2004 à 2010 Crise financière : beaucoup de viticulteurs sont en dessous du seuil de pauvreté : déclin du vignoble. Beaucoup de vignerons sont en fin d’activité : difficulté à la reprise

Friche 79

De nombreuses friches subsistent. Le vignoble se maintient, l’export est encore majoritaire Aujourd’hui

Et demain ?


LA FRICHE, UNE OPPORTUNITÉ ? ENJEUX DE REPRÉSENTATION ET D’USAGES QU’ENTEND-ON PAR FRICHE? La friche fait suite à l’abandon cultural. Elle conduit le plus souvent au boisement spontané. La friche peut englober les espaces de landes, garrigues, maquis,... car ce sont des sites en marge d’être exploités. Ces zones sont qualifiées de «zone de l’entre-deux» par les historiens (Charbonnier et al., 2007). QUELLES REPRÉSENTATIONS ? ENJEUX DE RENÉGOCIATION DES RAPPORTS SOCIAUX À L’ESPACE ET À LA NATURE

Dans «La France des friches» (Schnitzler, Génot, 2012) la friche est décrite comme dotée d’une charge émotionnelle fortement négative. Et ce, parce que les paysages en déshérence sont souvent associés au malheur des hommes, une nature qui ne plaît pas, désordonnée, foisonnante, non valorisée, associée en France, depuis la Révolution de 1789, à des sociétés paysannes incultes, enclavées. La friche serait donc «le résultat d’un abandon social, un espace qui se vide de ses hommes». Sur les Serres, si les résineux et la garrigue progressent d’année en année c’est en premier lieu car les pratiques pastorales ont été progressivement mises de côté au profit du vignoble. Néanmoins, aujourd’hui l’abandon des parcelles de vignes, résultant de 100 ans de crise est la conséquence de la prolifération d’un second type de friche : les friches viticoles. Celles-ci font face à différents enjeux climatiques (notamment la progression des incendies) mais aussi sociaux-économiques : rétention foncière des viticulteurs en fin d’activité. En effet, il s’est avéré très rentable pour eux de revendre leur terre pour l’urbanisation afin de s’assurer une retraite plus confortable, là où continuer de cultiver leur assurait moins de revenus.

INVERSER LA TENDANCE, VERS UNE OPPORTUNITÉ Si les friches sont avant tout considérées comme la résultante d’un abandon dans l’imaginaire commun, elles pourraient être, en revanche, de nouveaux lieux à «réinventer», des espaces à investir de nouveau. Pour ceci il faut jouer et intervenir sur les représentations ancrées afin d’inverser la tendance pour en faire des opportunités. R. Larrère posait, dès le début des années 1980, la question de la possibilité d’appropriation des boisements et des friches par les populations locales : ces espaces «constituent un saltus qui offre aux habitants une manne de “menus produits” commercialisables» (Larrère, 1980). En effet, le pin d’Alep est entré en 2018 dans la catégorie des bois de construction (mais il trouve aussi des débouchés dans l’industrie de la pâte à papier, la production d’énergie et le bois d’œuvre de catégorie palette), il pourrait ainsi être une opportunité à exploiter sur les Serres là où les terres subissent une dynamique de fermeture. Sensibiliser les habitants et les politiques locales à l’importance de «gérer» les espaces de garrigue permettrait aussi d’inverser cette image peu attractive d’une friche abandonnée et délaissée. En terme d’agriculture, il est évident que les surfaces agricoles sont en recul dans toute la France. NOURRIR LE PROJET Ainsi, les friches sont, pour moi, un levier pour envisager de nouvelles cultures, peu exigeantes en eau. Ces terres pourraient alors être des modèles, des espaces tests pour imaginer le devenir d’un territoire actuellement en monoculture peu durable. En revanche il est impératif d’explorer les différentes manières d’accéder au foncier, chose à l’heure actuelle peu aisée pour les agriculteurs.

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1 3

LUTTE CONTRE LES FRICHES DANS LE DÉPARTEMENT L’importance des friches et la difficulté d’accéder au foncier agricole ont conduit l’État, le conseil départemental de l’Aude et la chambre d’agriculture de l’Aue à initier la mise en place d’une politique départementale de lutte contre les friches. Un plan d’actions concerté a été mis en place au niveau départemental. Ceci illustre de la nécessité de s’emparer de ces questions de déprise. Néanmoins ce sont souvent des projets qui sollicitent des nombreux porteurs de projets, dynamiques et des élus impliqués ce qui peut faire défaut par endroit sur le site d’étude.

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1. En bas de la terrasse de Sainte-Valière 2. Au dessus du Répudre, sud du site 3. Friche viticole au dessus de la D5 4.Sur le coteau de la terrasse de Sainte-Valière


Afin d’enquêter sur les perceptions des habitants pour ces terres en friche, je leur ai demandé de dessiner ce qu’ils voudraient y voir à la place (ils pouvaient aussi laisser l’espace tel quel). J’ai constaté que beaucoup ressentaient l’envie de voir revenir des vignes.... Certains, conscients de l’importance de diversifier l’assolement ont proposé de planter des fruitiers (amandiers, oliviers,...), d’autres ont proposé des moutons dans les vignes et même un schéma explicatif de la nécessité d’une barrière coupe-feu...

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1. Manuel Mounié, maraîcher, viticulteur, oléiculteur 2.Un viticulteur dans les champs 3. Juliette Carré, CAUE11 4. Marie Vidal, Syndicat viticole de cru Minervois 5. 6. Daniel Casteigneau, responsable gestion quantitative et qualitative de l’eau

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Syndicat viticole du cru Minervois

Viticulteur

Chambre d’agriculture 83


COMPRENDRE LE MARCHÉ VITICOLE ET OLÉICOLE AUJOURD’HUI UN SYSTÈME MONDIALISÉ PEU PÉRENNE ET UN MARCHÉ DE NICHE

PRODUCTION ANNUELLE Rosé 10% Blanc 3%

130 À 140 00 hL À L’ANNÉE Rouge 87% CIRCUIT DE COMMERCIALISATION 44% Cavistes, restaurants, autres circuits 34% Export 1% «Hard Discount»

De manière générale, les producteurs «historiques» de vin sont la France, l’Italie, l’Espagne. Ce sont les pays où la viticulture est très ancienne. Des pays qui ont la culture de la transmission (à la fois familiale et à travers les âges). Aujourd’hui ils font face à la concurrence des pays du Nouveau Monde (États-Unis, qui produisaient dès les années 1960, Chili, Argentine, Australie, Nouvelle-Zélande...) et de l’Inde, le Brésil et la Chine. Ce sont de gros compétiteurs sur le marché international. La filière viticole est essentiellement tournée vers une exportation croissante du fait d’une consommation locale qui diminue. En France, le système familial d’origine évolue, mais relativement lentement. Alors que les vignobles du Nouveau Monde, plus récents, se sont structurés directement sur un système ouvert à l’international. PRODUCTION TOTALE

CONSOMMATION NATIONALE

21% Grande distribution CHINE

USA

SUISSE

CONSTAT : HIÉRARCHISATION DU SYSTÈME D’APPELLATION

-CRU DU LANGUEDOC 7% de la production en AOC -GRANDS VINS DU LANGUEDOC 75% de la production en AOP -AOP RÉGIONALE : LANGUEDOC 18% de la production en AOC - AOC MINERVOIS -SPÉCIALISATION À L’INTÉRIEUR DE L’AOC : La Livinière, Saint-Jean de Minervois L’AOP régionale «languedoc» couvre l’ensemble du territoire en AOP du Languedoc Rousillon.

La filière semble ne voir que par la vente à l’international. En effet, la demande locale en vin n’est plus au beau fixe. Les producteurs font face à une nécessité de se tourner vers d’autres pays pour vivre de leur production. Pourtant, ce système est de moins en moins pérenne et «stable». La crise sanitaire actuelle en est le parfait exemple. La fermeture des frontières a engendré une distillation de masse dans certains vignobles. Les taxes à l’import/export sont fluctuantes, le marché est dépendant des mobilités carbonnées (avion, bâteaux,..). Du jour au lendemain, le marché peu s’écrouler. Il est impératif de changer de paradigme.

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L’OLIVIER SUBIT MOINS LES EFFETS DU MARCHÉ MONDIAL DANS L’AUDE «Depuis la décennie 1980, l’oléiculture est confrontée à la tension dialectique entre mondialisation et localisme, entre global et local. L’huile d’olive a conquis les marchés internationaux et fait partie désormais des denrées alimentaires mondialisées et, concomitamment, les indications géographiques pour des productions oléicoles localisées se sont multipliées.»1 L’oléiculture n’a pas échappé au système de la mondialisation. En revanche, dans l’Aude, beaucoup produisent pour leur consommation personnelle. Ceux qui en font leur activité principale ou d’appoint ont souvent choisi de se tourner vers un produit à forte valeur ajoutée afin de concurrencer les marchés mondiaux (le tourisme d’été leur est très bénéfique pour la vente). Miser sur l’appellation permet «d’incorporer une valeur ajoutée significative et des attributs spécifiques aux produits oléicoles, pour qu’ils accèdent à des segments et à des niches de marché caractérisés par une qualité et une typicité reconnues (Sanz Cañada&Muchnik, 2010)». L’oléiculture audoise semble peu subir les effets de la mondialisation. Ceci s’explique à la fois par les appellations mais aussi par une aire de production qui reste restreinte en France (300m d’altitude maximum). Les oliveraies intensives d’Espagne (43,5% de la production mondiale) ont de plus montré une baisse de rendement au bout de 10 ans. Ainsi, il est finalement plus durable de produire moins mais mieux.

NOURRIR LE PROJET Si le système viticole mondialisé n’est pas viable à long terme, il convient de repenser les schémas de commercialisation mais aussi les productions. La diversification semble être une proposition cohérente pour pallier au déséquilibre offre/demande du vin. Le système oléicole, plantes aromatiques et trufficoles pourraient aussi servir d’exemple aux vignobles en monoculture et être des choix de cultures d’appoint, tournées vers la vente locale. Enfin, afin de diversifier leurs revenus économiques, les agriculteurs peuvent miser sur la diversité de produits que peut offrir une même culture : savon, tisanes, cosmétiques, grignon (noyeau de l’olive après extraction de l’huile, 3 kg équivaut à 1L de fioul, une source d’énergie renouvelable).

POLITIQUE DE RELANCE ET RELATION DE COMPLÉMENTARITÉ AVEC LA VIGNE Après le gel de 1956, les oliviers sont arrachés et remplacés par les vignes. En 1995, grâce aux aides État/ Région, de nombreux vergers sont replantés. Cette culture est très liée à la prospérité de la vigne et reçoit plus d’aide à la plantation. La chambre d’agriculture me disait «Quand la vigne va mal, l’olivier va bien !». Il y a donc des relations de complémentarités qui se jouent entre les deux cultures. On commence à voir ceci s’illustrer avec les filière «plantes à parfum, aromatiques et médicinale» (PPAM) et la filière trufficole, mais de manière plus marginale.

1.Stéphane Angles. Oléiculture, systèmes oléicoles et territoires méditerranéens : de la filière au paysage.. Géographie. Universite Paris 13, 2016. 85


CONSTAT DE CHAPITRE : UNE DÉCONNEXION PROGRESSIVE DU SOL DES ESPACES QUI SE SONT FRAGMENTÉS AU FIL DU TEMPS

Les premières civilisations ont tiré parti de la forme du socle et de la richesse que les ressources avaient à leur offrir. Plus tard, la polyculture méditerranéenne illustre une agriculture en adéquation avec son socle. On produit pour soi, pour son autoconsommation. On cherche à préserver et obtenir le meilleur des terres car elles sont les seules garantes de la survie des habitants. Lors des grandes phases de spécialisation des régions agricoles françaises, les agriculteurs cessent d’être des paysans et deviennent des agriculteurs qui ne produisent plus pour eux mais pour le marché. Le territoire produit pour exporter, la relation au temps et à l’espace se voit totalement renouvelé. On ne produit plus sur les quelques parcelles proches de chez soi mais sur des domaines accessibles et mécanisables. Le lien au local se perd, les paysans deviennent des travailleurs de la ville et le peu de vignerons qui subsistent bataillent pour maintenir une viticulture de qualité mais tournée vers un export accru. Les parcelles les moins accessibles sont délaissées, là où la difficulté existe, l’effort ne suit pas. Le regroupement en coopératives témoigne néanmoins d’une énergie collective et d’une solidarité à l’intérieur de la profession exemplaire. On m’a même raconté qu’elles devenaient aujourd’hui le lieu de débat

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politique. Quand on n’est pas d’accord avec l’un, on change de coopérative ! Les cœurs de villages sont désertés petit à petit en même temps que les viticulteurs arrêtent leur activité. Les vignerons diminuent, peinent à trouver des repreneurs, les nouveaux habitants ne semblent pas trouver le même intérêt à la pratique de leur paysage local. Les populations laissent entrevoir une négation progressive des ressources, n’y portent plus le même regard. Les nouveaux habitants expriment des conflits quant à l’utilisation des pesticides dans les vignes ou les oliveriaes trop proches des lotissements nouvellement construits. Les Serres, polarisées par les agglomérations et métropoles, pourraient ne devenir qu’un territoire de passage, d’entredeux, qu’on ne traverse qu’en voiture. C’est un fonctionnement qui semble alors peu durable et qui interroge notre relation à un héritage agricole qui semblait plus attentif au sol, porté par des sociétés paysannes. Non loin dans l’esprit de calquer ce modèle mais dans l’intention de réinventer les pratiques actuelles. Comment s’inspire-t-on du passé pour retrouver un paysage qui fait sens en terme de durabilité.


Exemple des ruptures et conflits entre les différentes interfaces sur la séquence Mailhac/Pouzols-Minervois Distance Mailhc/Pouzols-Minervois : 1,5 km

Conflits autour de l’interface lotissements /vignoble

Les «nouveaux habitants» de lotissements récemment construits expriment souvent des conflits quant aux pesticides, trop proches de leur habitation et pouvant nuire à leur santé.

Les friches viticoles (lignes horizontales ci-contre) sont particulièrement nombreuses au pied de la Serre d’Oupia. Elles forment avec les villages-archipels, les parcelles cultivées et les bosquets de résineux, un paysage fragmenté. Des terres qui n’ont plus d’usage, friches, pelouses sèches...

L’arrêt des pratiques pastorales a produit une évolution des garrigues vers des forêts, les moutonnement de résineux progressent surtout sur les pentes des terrasses (vert foncé ci-contre). Elles augmentent la vulnérabilité des populations face à l’incendie, referment certains points de vues, appauvrissent de la diversité faunistique et floristique. Des terres qui n’ont plus d’usage, friches, pelouses sèches... 87

PISTES DE PROJET -Réconcilier les nouveaux habitants et les agriculteurs grâce au paysage comme outil, rendre accessible le territoire -Retrouver des cultures rustiques qui ne demandent pas d’intrants

PISTES DE PROJET -Valoriser ces friches grâce à des cultures non-demandeuses en eau, adaptées à l’évolution climatique (nécessité d’acquisition foncière), diversifier les formes et textures dans le paysage -Explorer de nouvelles pratiques agricoles pour retrouver du lien entre bâti et nonbâti et valoriser les services écosystémiques : agroforesterie, bandes enherbées,...

PISTES DE PROJET -Reconquérir les pentes à l’aide de terrasses cultivées -Miser sur la multifonctionalité des espaces : petite filière bois, pastoralisme, partage des pratiques entre habitants et agriculteurs,... retrouver des interfaces communes


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03 ART D’HABITER ET TEMPORALITÉS SUR LES SERRES DES TRAJECTOIRES QUI DIVERGENT

Comprendre les ruptures plus récentes qui se créent à la fois entre les dynamiques habitantes et entre les manières d’appréhender ce territoire. Mettre en parallèle les processus d’installation des nouveaux habitants avec les «modes de vie» des agriculteurs qui ont longtemps été les plus «nombreux» sur ce territoire dont la viticulteur est encore l’économie principale. Explorer les raisons des ruptures «territoriales», la sensation d’isolement. Appréhender de nouvelles échelles d’approche dans les choix d’habiter, de vivre et d’aménager

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HABITER LES SERRES

L’USAGE DE LA VOITURE COMME QUOTIDIEN

LES «OUBLIÉS»

Légende :

Bassin de vie de Lézignan-Corbière Bassin de vie de Narbonne Bassin de vie de Capestang Bassin de vie de Coursans Bassins de vie de Sigean Bassin de vie de Port-la-Nouvelle Bassin de vie de Leucate

Structuration des bassins de vie du Grand Narbonne

Des bassins de vie perméables, dépassant les frontières du Grand Narbonne

Le bassin de vie tel que défini par l’INSEE constitue «le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants. On définit tout d’abord un pôle de services comme une commune ou unité urbaine disposant d’au moins 16 des 31 équipements intermédiaires. Les zones d’influence de chaque pôle de services sont ensuite délimitées en regroupant les communes les plus proches, la proximité se mesurant en temps de trajet, par la route à heure creuse».

Lors de l’élaboration des différents documents de planification (SCOT,...) le Grand Narbonne avait pour intention de nommer le nord de la communauté d’agglomération, les «Atoll»1 pour décrire une territoire lointain, presque isolé. La maire de Sainte-Valière avait alors refusé cette dénomination, car, bien que lointaine elle estimait que cette «portion» de territoire avait tout autant ses raisons d’exister que les autres. De manière générale, ceci confirme mes premières intuitions : les Serres semblent être «les oubliés» de la communauté d’agglomération. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer : en premier lieu, l’EPCI est très tourné vers l’aménagement et la protection de milieux sur le littoral ainsi que sa valorisation touristique. De plus, lors d’un entretien avec le responsable planification, urbanisme, habitat et plan climat du Grand Narbonne, j’apprends que les élus ont longtemps été désintéressés des questions environnementales, climatiques et territoriales. Le refus d’être impliqués dans l’établissement d’un PLUi en est un exemple. Plusieurs facteurs auxquels viennent s’ajouter de maigres budgets au sein de ces communes. La structuration des bassins de vie du Grand Narbonne illustre, en outre, l’inclusion des Serres dans celui de Lézignan-Corbière et non dans celui de Narbonne. L’EPCI est assez perméable vis-à-vis des espaces extérieurs et en fait un territoire d’accueil. Pourtant, si ces interdépendances déploient l’aire d’influence au delà de son périmètre, j’ai constaté que, sur les Serres, il est presque systématique de prendre sa voiture pour accéder aux différents services, bien que plutôt proche (en voiture). J’ai donc cherché à comprendre comment on habitait sur ce territoire de l’enfance à la retraite... 1.Mot associé au vocabulaire insulaire marin, désignant un type d’île.

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Ce sont de grandes lignes droites, très fréquentées, toutres semblables... presque impossible d’accès pour les piétons, pour en avoir fait l’expérience... Pourtant, sur les épaisseurs de ces routes, les paysages appelent à être explorés.

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Vers Toulouse

Vers Béziers 76000 habitants

Castelnaudary

Carcassone

11951 habitants Bram

11951 habitants 45096 habitants

Lézignan-Corbières Narbonne 11295 habitants 53452 habitants

Perpignan

121934 habitants 92


GRANDIR SUR CE TERRITOIRE

LE TEMPS DES TRANSPORTS, UNE DYNAMIQUE QUOTIDIENNE Afin de comprendre les différentes dynamiques de déplacement mais aussi de vie, j’ai réparti les lieux d’accès à la santé, à l’enseignement (à partir du collège jusqu’au supérieur) et à la culture. Je me souviens lors d’un entretien avoir entendu, au détour d’une discussion, un monsieur au téléphone : «Ah oui en effet, si c’est la cheville c’est Narbonne, sinon Béziers...». Il faut faire un peu de route pour accéder aux hôpitaux car tous ont leur spécificité et n’ont pas forcément une capacité d’accueil adaptée.

Cette carte ne s’attache pas à répartir de manière exhaustive tous les lieux de santé, enseignement, culture et loisirs mais à comprendre où ils se concentrent le plus. Légende : Santé Hôpitaux

Répertorier les différents lieux d’enseignement m’a permis de comprendre les différentes temporalités des enfants et étudiants à partir de leur entrée au collège. En effet, dès leur sortie de l’école élémentaire, ils doivent prendre les transports en commun ou la voiture pour aller étudier. Ce sont souvent de longs trajets (surtout si l’on est le dernier village sur la ligne). Pour ceux qui décident d’aller en études supérieures, les temporalités se rallongent car beaucoup doivent aller vers les métropoles. Narbonne et Carcassone sont deux campus de l’université de Perpignan Via domitia. Il y a un pôle universitaire juridique ainsi que scientifique & technologique à Narbonne.

À Carcassone, le département Techniques de Commercialisation et le département Statistique et Informatique décisionnelle sont les deux pôles de l’université. Ceci reste, tout de même, limité pour les deux villes. Le site de Narbonne compte 900 étudiants et celui de Carcassone 260. Il y a aussi plusieurs IUT et formations BTS et DUT. Ainsi, pour accéder à une offre plus large de formation, les jeunes étudiants doivent souvent se diriger vers les métropoles de Toulouse, Perpignan ou encore Montpellier. Il faut, de plus, se déplacer plus loin si l’on veut accéder aux lieux de culture et de loisir. Finalement les services sont essentiellement localisés sur le Sillon audois : un espace géographique qui concentre les principaux axes de communications et agglomérations. Ceci s’explique par la proximité des territoires de montagne qui le cernent au nord et au sud et qui sont souvent des territoires en marge, difficiles d’accès et qui ont tendance à se «vider» (bien que cette tendance tend à s’inverser).

Enseignement Collèges Lycées Universités Culture et loisirs Nathan, en étude à Strasbourg, ici pour les vacances

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Bize-Minervois Argelliers

872 habitants

1237 habitants Mailhac 373 habitants Pouzols-Minervois 329 habitants Ginestas 1059 habitants

Sainte-Valière 392 habitants

Paraza 390 habitants

Mirepeisset

Ventenac-en-Minervois 349 habitants

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451 habitants


SERVICES ET ENSEIGNEMENT SUR LES SERRES En zoomant à l’échelle des Serres, on fait le constat qu’il y a peu de services. L’économie est entièrement viticole. En effet, il y a presque une cave par village où l’on peut acheter du vin. On appelle d’ailleurs les villages des Serres les «villages-viticoles». Même quand il ne s’agit pas de vignerons, ce sont alors principalement des personnes rattachées aux secteurs viticoles qui travaillent sur ce territoire. Les commerces alimentaires sont souvent de petites épiceries. Il n’est pas rare de devoir prendre la voiture pour trouver une boulangerie. Les commerces de proximité sont peu présents. En ce qui concerne l’enseignement, les Serres comptent sept écoles primaires et maternelles confondues. Les enfants n’ont alors pas à passer beaucoup de temps dans les transports.

L’étude de ces deux échelles a donc permis de mettre en avant, à la fois, différentes temporalités de vie des jeunes générations mais aussi les peu de services disponibles sur les Serres. Est-ce critiquable ? Pas forcément. Ceci aura au moins permis aux Serres d’échapper à la profusion de zones commerciales qui sont en train de sortir de terre comme c’est le cas près de Lézignan-Corbière. C’est une forme de retard qui pourrait finalement se révéler être une avance.... Néanmoins, il est aussi vrai que ceci peut renforcer la sensation d’isolement que l’on peut y ressentir, souvent responsable de la fuite de jeunes diplômés qui ne souhaitent pas reprendre les domaines viticoles familiaux. Il conviendrait alors de réfléchir à une offre de proximité qui limiterait les mobilités carbonnées et qui pourrait participer à l’économie locale.

Légende : Enseignement

Écoles élémentaires Services de proximité Commerces, épiceries

Caves, commerces viticoles

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Passant rentré pour les vacances chez sa famille


QUATRE TEMPS POUR LES AGRICULTEURS VIVRE AU RYTHME DES SAISONS

En dehors des vendanges, où les viticulteurs et leurs employés sont tous réunis dans les vignes, les coopératives et les caves, le paysage viticole semble bien vide. Pourtant, la vigne et l’olivier demandent une présence constante toute l’année. Ainsi, le vigneron et l’oléiculteur sont occupés tous les mois de l’année et vivent au rythme des saisons. Attentifs au climat local, ils doivent s’adapter en fonction des différents aléas (gels, précipitations, canicule,...). La vigne et l’oliver sont complémentaires dans le calendrier saisonnal et peuvent être pratiqués en parallèle : les vendanges se passent de la fin de l’été au début de l’automne alors que la récolte des olives intervient en hiver. Certains ont souvent décidé de diversifier leur production afin de s’assurer un revenu complémentaire. Pour concurrencer les marchés mondiaux et une lourde image de mauvais vins, longtemps peu valorisante, les cultivateurs ont dû s’adapter et misent sur des productions à forte valeur ajoutée (AOC Minervois pour le vin, AOC Lucques et Picholine pour l’olive).

des nouveaux habitants se font face et divergent. En effet, l’agriculteur vit au rythme de la saisonnalité, du temps et des aléas climatiques. Son lieu de travail se trouve dans les vignes, souvent sur plusieurs villages dans les Serres (les exploitations sont rarement d’un seul tenant en Languedoc). Les nouveaux habitants travaillant dans les agglomérations parcourent des territoires plus élargis, en voiture, sans vraiment les pratiquer. Ils ne retournent sur les Serres que le soir pour les quitter le lendemain matin. Ainsi, ces deux typologies de travailleurs ont finalement peu d’interactions communes.

Domaine du Grand-Caumont, Lézignan-Corbière, cet été

1 2

Les temporalités des agriculteurs et Les vignerons indépendants ont des domaines d’environ une vingtaine d’hectares. En revanche les coopératives disposent de plus vastes surfaces (allant jusqu’à 1600 hectares pour la cave coopérative d’Argelliers Une grande partie des domaines sont transmis depuis plusieurs générations. D’autres ont été achetés par des personnes non originaire du Languedoc. Souvent par passion du vin.

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La salle des fûts de chêne

La salle des cuves


Calendrier viticole et oléicole L’approche par la saison est plus cohérente que par le mois car les travaux sont perméables en terme de temporalité. En effet, selon les aléas climatiques il peut y avoir des reports ou avancées de ceux-ci.

Tirage des bois

Traitement

Taille

Taille

Travaux de palissage Ébourgeonnage Premiers traitements

Récolte

Premiers rognage

Arrachage Plantation pieds en mauvais état

Floraison premier rognage Premier effeuillage

Vinification

Véraison Deuxième effeuillage Vendanges

Traitement

Vendanges Récolte

Vigne Oliviers

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RÉCIT D’UNE JOURNÉE SUR LES SERRES ET AILLEURS MISE EN MIROIR DES TEMPORALITÉS ET PAYSAGES AGRICOLES ET PÉRIURBAINS Sur le parking

Sur la route

Café ?...

Vrrrrr...

Toum toum toum...

Au travail

Sur la route

Possible moment de rencontre

Brrbrrrbrrr... Et j’appris que...

Eeet hop ! Oh ! Et ta fille comment ça va ?

Au «hangar»

Sur la route

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Au travail

Sur la route


Sur le parking

Sur la route

Dans sa piscine

Chez soi

Vraiment sympa les gens ici !

Tiens c’est les vendanges ?

Couic couic

Pffiou

Possible moment de rencontre

Belle récolte cette année !

Au travail

Ce soir, fête des vendanges !

Sur la route

Enfin à la maison

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Au «hangar»

Chez soi


Titre du graphique

RÉPARTITION DES RÉSIDENCES 8,8% 25,4% 65,8%

Résidences principales

1

2

Résidences secondaires

3

Logements vacants

Sources : INSEE, RP2017

La part des résidences secondaire exprime un attrait touristique surtout pour le littoral et indique une saisonnalité des activités. Elles ont été principalement construites entre 1975 et 1989, lorsque le tourisme a pris son essor.

«La conjonction d’une forte croissance démographique, d’une hausse des prix et d’un faible revenu des ménages, s’accompagne d’un étalement urbain. Les ménages s’installent de plus en plus loin en périphérie des pôles urbains pour accéder à un logement d’une surface adaptée à leurs besoins, souvent en habitat individuel. Ce phénomène de périurbanisation induit une consommation importante d’espace grignoté sur les terres agricoles ou espaces naturels et s’accompagne d’une intensification et d’un allongement des flux domicile-travail le long des axes de communication.» SCOT du Grand Narbonne

Ce récit est volontairement, un tant soit peu, caricatural. En effet, il ne prétend pas raconter avec exactitude la journée d’un agriculteur et d’un péri-urbain de manière binaire. Il est bien entendu réel que les périurbains peuvent randonner, se balader sur le Serres. Pourtant un fait qui est véridique, c’est qu’à chacune de mes visites sur le site, en semaine ou le week-end j’ai souvent été très seule sur ces paysages.

entre ces différents choix de vie. Le récit dessiné en fait le constat. Le seul moment de potentielle rencontre se fait sur la route... J’interroge donc la possibilité de retrouver des intérêts communs mais aussi des interactions renouant le lien entre ces deux catégories d’habitants.

En revanche, les paysages viticoles sont les paysages agricoles les plus enclin à être parcourus. En effet, avec le développement de l’oenotourisme par exemple, des démarches de découverte du territoire local sont de plus en plus amorcées. Des projets qui sont encore peu développés pour les plaines agricoles céréalières par exemple.

Si j’ai questionné les liens peu perceptibles des nouveaux habitants à leur territoire, c’est parce que j’ai dressé le constat suivant : En venant s’installer sur les Serres, on choisit la proximité et l’accessibilité aisée aux agglomérations tout en profitant d’un foncier encore peu élevé pour construire une maison avec un jardin (très important). Souvent, on viendra ensuite creuser une piscine dans ce jardin. Le périurbain s’enferme donc dans le lieu clos du jardin et de la maison alors que ce jardin, cet espace de jeu, d’expérimentation pourrait être ce territoire local d’une grande richesse, à portée de main. Ceci fait état d’une autre forme de déni, selon moi et créer des ruptures entre le lieu clos de vie et le paysage. Pourtant cette limite entre les deux, cette interface pourrait être perméable.

La question du parcours et de l’accès au territoire agricole m’a souvent interrogée et animée. J’imagine que le territoire des Serres, territoire familier, intime et changeant, se prête parfaitement pour explorer cette question. Interroger les moments de rencontre entre agriculteurs et nouveaux habitants est tout aussi légitime. Si les vignes et les oliviers sont les principales composantes du paysage, les cultivateurs font tout autant partie de ce territoire. Il semble pourtant y avoir une fracture

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CONSTAT DE MI-CHAPITRE

RELATION AU TEMPS ET À L’ESPACE, DES FRACTURES QUI SE DESSINENT Plusieurs facteurs permettent de dresser le constat de fractures qui s’esquissent sur ce territoire. Elles sont administratives et politiques : désintérêt de certains élus pour les politiques intercommunales (qui diluent les enjeux, éloignent les décisions…), pour l’environnement. Financières, car ce sont des communes peu peuplées, disposant d’un budget relativement maigre. Il est aussi vrai que les élus qui s’investissent n’ont pas toujours les moyens nécessaires pour suivre leurs ambitions. Territoriales, car peu de personnes parlent des Serres comme une entité paysagère à part entière et qu’elles semblent «déconnectées» de la communauté d’agglomération du Grand Narbonne. Et sociétales car les viticulteurs diminuent et les nouveaux habitants progressent. Ce qui implique des nouveaux moyens d’habiter, des métiers qui ne se font plus sur les mêmes territoires et des mobilités nécessairement carbonées. Ceci est aussi vrai pour les enseignements. Dès le collège, les élèves ont cette culture du temps de trajet, du déplacement vers d’autres territoires pour avoir accès à un enseignement, un service, etc... Seuls les enfants qui reprendront l’exploitation ou les jeunes installés resteront sur le territoire après le lycée

ou le collège. Ce qui explique aussi l’âge de la population sur ce site et plus largement dans l’Aude. Mais si les viticulteurs diminuent et que les périurbains travaillent ailleurs, qui peut encore prétendre à faire vivre ce paysage des Serres ? Je pose alors l’hypothèse suivante : Après la fuite des campagnes, il est probable de voir un retour des habitants sur ces territoires. Dans un contexte territorial décarboné les trajets seront alors moins longs, le recours à la voiture moins systématique. Les Serres par la taille de ce terroir, la proximité des villages entre eux et la richesse de ses paysages se prêteraient parfaitement à explorer de nouvelles façons d’habiter et de vivre. Plus localement, plus en lien avec le territoire nourricier afin d’effacer les ruptures entre les différentes interfaces pour en faire des épaisseurs communes. Un territoire qui pourrait alors être un lieu exemplaire pour ses voisins.

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EXPLIQUER LA RUPTURE PAR LES ACTEURS LA NÉCESSITÉ D’UNE APPROCHE TERRITORIALISÉE Le grand acteur du réseau hydrographique est BRL. Il gère tout le réseau à l’échelle du bassin Rhône Languedoc et revend des prestations aux agriculteurs et aux ASA. Les ASA sont des petits groupements d’individus historiques qui géraient le réseau sur de petits territoires. Pour ce qui est des acteurs de l’aménagement, l’ONF a travaillé en collaboration avec la fédération de chasse afin d’établir un OCAGER (Opération Concertée d’Aménagement et de Gestion de l’Espace Rural) contre le risque incendie sur toute la Serre d’Oupia (qui ne semble pas avoir eu de suite). La DREAL accompagne les plans de paysage sur la région (13 au total, dont un sur les Causses et Minervois mais seulement sur la partie héraultaise) et anime le réseau paysage Occitanie. Elle pourrait est un acteur à solliciter l’accompagnement d’un plan de paysage pour les Serres mais les candidastures restent à l’initiative des élus. Le CAUE à l’échelle du département assure des missions de conseils. La paysagiste est ici beaucoup plus sollicitée pour des demandes privées concernant des jardins que pour de l’espace public ou du grand paysage. Enfin, la chambre d’agriculture est plutôt dynamique et pluridisciplinaire puisqu’elle dispose à la fois des pôles polyculture, arboriculture, viticulture/œnologie mais aussi gestion quantitative et qualitative de l’eau. Elle a déjà travaillé avec l’INAO notamment quant à une nouvelle cartographie des aires d’appellation. La SAFER développe des fonds d’aide à l’installation sur toute la région. Sa mission principale est la facilitation de l’accès au foncier et la valorisation des terres cultivables et forestières, avec un engagement pour le développement local et la protection environnementale. En 2018 lors de la conférence «Parlons foncier» la SAFER se saisit des enjeux liés à la déprise en abordant la «reconquète des friches agricoles». Elle travaille en partenariat avec la chambre d’agriculture, l’ONF et la DDT. La Safer semble peut active sur les Serres (manque de moyens, de projets...) et pourrait être un des

acteurs principaux à solliciter pour le projet. Le PCAET mis en œuvre animé par le Grand Narbonne est un document important pour les Serres car il aborde la reconquête des friches, la transmission, la préservation de l’eau, les changements climatiques, la diversification... Néanmoins il conviendrait de renforcer les objectifs en faveur de la diversification si la vigne venait à disparaître. UNESCO : Le canal du Midi est protégé au titre des sites classés et certains de ses éléments sont également protégés au titre des monuments historiques. En outre, les abords du canal font désormais l’objet d’une protection, avec le classement au titre des sites des paysages du Canal du Midi. Un cahier de gestion est actuellement en cours dans la perspective d’une nouvelle délimitation de la zone tampon. Le préfet de la région Occitanie est chargé de coordonner les services de l’État impliqués dans la gestion du site avec VNF. Une « charte d’insertion paysagère et architecturale » définit des orientations générales qui serviront de base au plan de gestion en cours d’élaboration. En parallèle, des contrats formalisent des partenariats locaux. On constate au niveau de l’action collective une proportion d’acteurs plus faible voir inexistante. Il y a donc une rupture entre les grandes orientations dictées par les documents de planification à l’échelle de la région, du département et des EPCI et leur traduction spatiale sur le domaine des Serres. Ceci reflète, en outre, des fragilités de communication entre acteurs locaux avec les institutions plus importantes (en taille et nombre) telles que la chambre d’agriculture, les EPCI, etc... Proposer une nouvelle approche par le territoire des Serres pourrait alors être une orientation vers une gouvernance territoriale plus «durable» et «locale» réinterrogeant notre relation au grand au territoire et à nos manières d’y habiter.

Clés de lecture Acteurs de l’aménagement Acteurs agricoles Acteurs de l’eau Acteurs existants mais intervenant peu SRADDET

Outils administratifs, politiques/projets en cours ou inachevés 102

Des manques à l’échelle de l’unité paysagère et de la cohabitation collective sur un territoire restreint


MONDE •

Grands exportateurs (Asie, USA)

EUROPE ÉTAT

FEDER

SDAGE

ONF

Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse

SAFER

VNF, Entente canal du Midi BRL

DDTM DREAL

RÉGION

PAC

Europe

UNESCO

Conseil régional

SRADDET

DRAAF

Conseil départemental

SAGE

DÉPARTEMENT

SCOT

Chambre d’agriculture

Observatoire des paysages

CAUE11

C.A du Grand Narbonne

EPCI ET COMMUNES

Gestion canal du Midi

PGRE

SMMAR

Étude Climagri

Pôle arboriculture oléiculture Responsable gestion quantitative eau risques naturels Pôle viticulture/oenologie

Gestion du risque inondation et des milieux aquatiques

PCAET

Pôle drection attractivité économique et innovation sociale/Service Politique territoriale de développement durable/Pôle développement agricole durable

Pôle direction aménagement durable du territoire/Service transition énergétique

Des champs d’action plutôt localisés sur les Corbières et alentours

Communes

Les structures qui composent la Maison paysanne

ASA (seulement sur certaines communes ou secteurs localisés) Maison paysanne de l’Aude

Représente la profession

Viticulteurs Saisonniers Négociants

Oléiculteurs Saisonniers Négociants

ACTEURS DE L’AMÉNAGEMENT

Acronymes : PAC : politique agricole commune FEDER : Fonds européens agricoles pour le développement rural VNF :Voies naviguables de France BRL : Bas Rhône-Languedoc

Acheteurs Détaillants/cavistes

Vend ses prestations aux ASA et agricutleurs

Entretiennent le réseau et vend des prestations

INDIVIDUS

Met en relation producteurs, transformateurs et distributeurs

?

Syndicat du cru minervois Travail en lien étroit INAO Syndicat des vignerons de l’aude AFIDOL Coopératives oléicoles Coopératives viticoles Fédération de chasseurs

Gestion et défense de l’appellation

ASSOCIATION/ COHABITATION COLLECTIVE

Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc

-Confédération Paysanne 11 -ADEAR 11 -Accueil Paysan 11 -Graines de Paysans -Solidarité Paysans 11 -Nature et Progrès 11 -AFOCG 11 -Terre de lien

Acheteurs Détaillants

ACTEURS VITICOLES ET OLÉICOLES

ACTEURS DE L’EAU

SMMAR : Syndicat mixte des milieux aquatiques et des

rivières

DREAL : Direction régionale de l’environnement, de

ASA : Associations syndicales autorisées INAO : Institut nationale de l’origine et

de la qualité l’aménagement et du logement AFIDOL : Association française CAUE : Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement interprofessionnelle de l’olive PCAET : Plan climat air énergie territorial (aujourd’hui renommée «France Olive»)

103


104


APARTÉ

ÉCHELLE POUR LE CHAMP D’ACTION LOCALE ? [ QUELLE Un changement de paradigme sur notre relation au temps et à l’espace ]

105


S’AFFRANCHIR DES LIMITES ADMINISTRATIVES : QUE SERAIT UNE ÉCHELLE ÉCOLOGIQUEMENT «COHÉRENTE ET DURABLE» ? Si le Minervois est vaste et que les territoires du nord semblent être les «oubliés» de la communauté d’agglomération, trop éloignés, trop «différents»,... il convient alors de choisir les limites d’étude cohérentes du territoire. Le terroir des Serres, dont le nom est emprunté à sa typicité géologique, présente alors des limites plus écologiques qu’administratives UNE ÉCHELLE DE VIE DURABLE ?

Dans le préambule au premier Congrès biorégional nordaméricain, en 1984, nous lisons: « Le biorégionalisme reconnaît, nourrit, soutient et célèbre nos liens locaux avec la terre, les plantes et les animaux, les rivières, les lacs et les océans, l’air, les familles, amis et voisins, les communautés, les traditions autochtones et les systèmes de production et de commerce. Être biorégionaliste, c’est prendre le temps d’apprendre les possibilités locales. »

Si cela peut paraître utopique, nostalgique ou impertinent, il convient d’adopter un changement d’attitude vis-à-vis des limites de l’espace vécu et cultivé, plus ou moins poreuses. Ceci face à une société industrielle, mondialisée, qui a façonné le monde au nom d’une généralisation des cultures indépendamment du sol et du lieu depuis bien des années. Le temps long est alors nécessaire pour faire voir et reconnaître que le projet de reterritorialisation n’est ni nostalgique ni «utopique» mais plutôt un travail réaliste dans lequel chacun peut intervenir au quotidien se donnant une chance d’infléchir les processus économiques d’hyper-rentabilité et de rendement mais aussi d’imprudence face aux enjeux climatiques qui pèsent sur un paysage en constant mouvement. Les Serres peuvent alors être habitées différemment. Ceci, sous-tendant des lieux de travail plus proches, des professions différentes, une échelle de vie plus locale. 106

BIOREGIONALISME Ce concept de relocalisation à une échelle cohérente choisie est inspiré de la notion de «biorégionalisme», empruntée à Kirkpatrick Sale. Plus un concept, qu’un mot selon luimême, il est un mode d’organisation alternatif de la société à des échelles écologiquement salubres (celles des bassins versants), avec des communautés attentives aux modes d’habitat et des systèmes économiques renouvelables («Dewellers in the Land», 1985 traduit en français par «L’art d’habiter la Terre» en 2020). L’essence même est la conscience du lieu traduite par la connaissance des limites de ses ressources, la capacité de charge des terres et des eaux, les endroits fragiles, ceux où les fruits peuvent se développer au mieux, la présence des trésors cachés, etc... mais aussi les cultures des peuples, les arrangements humains, sociaux et économiques dessinés et adaptés selon les paramètres géo-morphiques, à la fois humains, urbains et ruraux. Ainsi, le travail à l’échelle des Serres peut alors s’inscrire dans cette pensée, n’excluant pas un travail à l’échelle de la communauté d’agglomération, néanmoins, la nécessité de s’affranchir des limites administratives au profit des limites «naturelles» des lieux semble impératif.


Si le questionnement de la notion d’échelle est important vis-à-vis des problèmes environnementaux, c’est parce qu’ils se manifestent différemment selon les territoires. Prenons pour exemple le dérèglement climatique. C’est aujourd’hui une notion très vaste, qui ne fait plus sens auprès des populations. Deux mots que l’on entend partout, un recours à la morale et à la sensibilité des habitants pour montrer la gravité de la situation et de l’impact humain avec insistance,... Pourtant ce recours à la morale et à l’ «éthique» du comportement n’a aucun sens si l’habitant ne comprend pas le rôle qu’il a à jouer à son échelle et comment ceci se traduit sur son territoire. Selon Kirkpatrick Sale, «Il n’existe aucune manière fructueuse d’enseigner ou de forcer une vision morale ni d’imposer des solutions éthiquement correctes quel que soit le champ d’action. Le seul moyen pour que les gens agissent de manière responsable, c’est de mettre en évidence le problème concret, leurs liens directs avec ce problème et cela ne peut être fait qu’à une échelle limitée. (...) Lorsque les forces du gouvernement et de la société sont encore reconnaissables et compréhensibles, lorsque les relations entre les choses sont encore intimes et les effets des actions individuelles encore visibles, lorsque l’abstrait et l’intangible s’effacent pour laisser place à l’ici et au maintenant (...).». L’échelle du terroir et plus spécifiquement, celui des Serres est alors l’espace où le champ d’action du projet local est possible, non pas parce que les habitants agiront «correctement» mais parce que ceci s’avérera alors «pratique» et nécessaire. 107


108


04 QUEL DEVENIR POUR LES SERRES FACE À LA BASCULE CLIMATIQUE ? DÉVELOPPEMENT DU PROJET

Les constats établis lors du diagnostic ont permis de guider vers le projet. Le parti pris d’envisager le devenir durable des Serres face à la bascule climatique impose d’associer les habitants agriculteurs et non-agriculteurs autour d’un paysage en commun. Les intentions de projet cherchent à répondre aux deux objectifs définis en introduction : adapter le territoire aux dérèglements climatiques en empruntant à l’héritage paysan des lieux et interroger le lien entre les viticulteurs et les nouveaux habitants. Le projet dessine et tisse des liens entre les motifs de paysage créés afin de d’atténuer le processus de fragmentation des interfaces. Ces liens sont spatialisés à deux échelles, celles des Serres pour un projet territorial englobant puis, plus précisément, sur l’épaisseur du Répudre. Solliciter plusieurs acteurs et les faire cohabiter pour soutenir cette démarche sera alors nécessaire

109


Le territoire aujourd’hui

110


PAYSAGES REDOUTÉS, PAYSAGES SOUHAITÉS

TROIS SCÉNARIOS POUR COMPRENDRE LES CONSÉQUENCES SI L’ON DÉCIDE DE SUIVRE LA TENDANCE OU D’ INFLÉCHIR LE PROCESSUS Face à l’incertitude des changements climatiques, difficilement quantifiables avec exactitude, le travail en scénario semble la meilleure approche. Ici cette méthode est utilisée pour montrer les risques d’évolution de ce territoire si l’on ne choisit pas de se saisir de la problématique et que l’on n’infléchit pas le processus. D’un paysage qui serait subi face à l’inaction jusqu’au paysage

souhaité grâce à l’adaptation puis à l’anticipation des grands changements à venir ainsi qu’à l’investissement des politiques locales et des aménagements. Ces scénarios mettent en miroir les conséquences spatiales des pratiques et usages sur le paysage avec les répercussions sur les manières d’habiter et de pratiquer le territoire.

Aujourd’hui, de la matière à faire mais... DES PRATIQUES ET USAGES Une filière viticole dépendante des marchés mondiaux, des aléas climatiques et de la ressource en eau

Des terres délaissées, un abandon des pratiques agricoles anciennes et une difficulté à retrouver des repreneurs

De nouvelles formes d’habitats-archipels

AU PAYSAGE Des cours d’eau contraints entre les cultures Des cultures peu diversifiées

Un enfrichement et un enrésinnement progressif, fermeture des vues et des accès. Abandon à l’éolien

Un rupture de lien entre le paysage bâti et non-bâti, une diminution de l’espace nourricier

Renforcement des ruptures entre viticulteurs et périurbains, enfermement dans l’espace clos de son jardin et de sa maison

De nouveaux habitants travaillant à la ville, des trajets en voiture, des temporalités différentes

AUX DYNAMIQUES HABITANTES De viticulteurs dans l’incertitude, des vignes monotones peu de périurbains

111


Et si l’on subissait ?

Demain, si l’on suit la tendance...

DES PRATIQUES ET USAGES Inaction1 face aux risques climatiques AU PAYSAGE

Surexploitation du sol

Augmentation des émissions de CO2, augmentation de la récurrence et de la violence des catastrophes climatiques

AUX DYNAMIQUES HABITANTES Accentuation du rempart entre le territoire agricole et les nouveaux habitants

Embonpoint urbain croissant

Érosion des sols, épuisement, baisse des rendements : utilisation des pesticides et intrants en hausse

Perte des formes vernaculaires, diminution des surfaces nourricières, artificialisation des sols

Accentuation du conflit entre habitants (nonagriculteurs) et agricultures intensifs, risque sur la santé

Plus aucun contact entre les agriculteurs et nouveaux habitants. Lieux de travail, de vie dans le village et lien au paysage différent

1. L’inaction se définie à la fois par un manque vis-à-vis de l’État et, sur les Serres, par le peu d’intérêt (et/ou de moyens) des élus locaux à agir, s’adapter et se prémunir des changements climatiques à l’œuvre.

112


Et si l’on se saisissait du problème?

Demain, si l’on infléchit le processus

DES PRATIQUES ET USAGES Une agriculture diversifiée, en cohérence avec le sol inspiré de l’héritage agricole des lieux

Une mutualisation des compétences entre agriculteurs et nouveaux habitants, de nouveaux métiers sur les Serres

Une reconquête des cœurs de village et des maisons vacantes au regard de l’héritage vernaculaire

AU PAYSAGE Une multitude de rythmes, couleurs et textures, terrasses, agroforesterie, fruitiers, céréales, pastoralisme...

Entretien des garrigues, exploitation du bois,...

Diminution de l’embonpoint urbain et des formes d’habitat génériques

AUX DYNAMIQUES HABITANTES Des terres accueillantes à la faveur d’interraction entre les habitants

Des professions sur les Serres, temps de trajets diminués, alternatives aux mobilités carbonnées

113

Des lieux multifonctionnels de partage, rencontre, stockage, à proximité des villages entre tous les habitants


TABLEAU SYNTHÉTIQUE DES RELATIONS DE CAUSE À EFFET DES INTERFACES FRAGMENTÉES Le diagnostic a permis de mettre en avant un système de causes à effet dont les enjeux sont multiples et responsables de la fragmentation des espaces et du lien entre les différentes typologies d’habitants. Placé en haut, le dérèglement climatique est le facteur qui pèse sur ce système et qui est subi. Il serait alors important d’inverser la tendance pour en faire un opportunité au changement choisi. CLIMAT, SÉCHERESSE, INCERTITUDE DE LA RESSOURCE EN EAU

Monocultures

Vulnérabilité face aux dérèglements climatiques s’illustrant par une fluctuation des rendements et une vulnérabilité économique

Irrigation des cultures

Diminution de la ressource en eau, pollution de la nappe due aux forages

Changement des pratiques agricoles (amnésie des pratiques culturales anciennes)

Vieillissement des viticulteurs : difficultés de reprise des exploitations Primes à l’abandon définitif pour le recul du vignoble Arrivée des nouveaux habitants périurbains, amnésie du bâti vernaculaire adaoté aux lieux CAUSE

-Évolution des terres non-cultivées et non-pâturées en lande et garrigues basses, hautes puis en forêts de résineux et chênes verts (+40 à +100 ans) -Déploiement des surfaces de pins d’Alep : augmentation de la surface combustible Vulnérabilité augmentée des populations face au risque incendie Fermeture des espaces ouverts, accentuation du sentiment de rempart entre les villages et le paysage non-bâti Revente ou abandon des terres Enfrichement et vulnérabilité augmentée face au risque incendie Sentiment de paysage en déshérence des populations Industrialisation des paysages face à l’éolien

Objectifs définis dans le diagnostic

1

Adapter le territoire aux dérèglement climatiques en empruntant à l’héritage paysan du territoire

2

3

Nouvelles manières d’habiter, accentuation de l’archipel, rempart entre le vignoble et le bâti en périphérie de village, conflit autour des pesticides, peu de liens humains entre le monde agricole et «périurbain» qui pratique peu le territoire

EFFET

INCIDENCE SUR LE PAYSAGE

114

Interroger le lien de l’habitant non-agriculteur au paysage agricole. Et de surcroit, les liens entre les vignerons et les nouveaux habitants


Fragmentation des motifs résiduels du paysage des Serres

Légende Friches Garrigue en progression sur les pentes Vignes Vergers Légumineuses Extension urbaines depuis les années 2010

0m

500m

1km

Mailhac

2

Pouzols-Minervois

Sainte-Valière

3

Hybridation des usages sur les différents motifs Instaurer de nouvelles relations entres agriculteurs et nouveaux habitants

Paraza Vignoble

1

Zones N Friches

Ventenac-en-Minervois

Nouveaux habitants, non-agriculteurs

Viticulteurs agriculteurs

115


QUELLES INTERFACES COMMUNES POUR LES SERRES OBJECTIFS ET INTENSIONS DE PROJET

La problématique interroge les interface communes sur les Serres dans un contexte de bascule climatique afin de renouer des liens entre des espaces et des groupes humains fragmentées. Pour y répondre, deux objectifs ont été définis précédemment. Ils sont déclinés en orientation afin d’établir des pistes de projet menant vers leur traduction spatiale. Le projet s’appuiera sur une approche systémique en observant l’héritage des modes culturaux. Ceci signifie que, pour répondre aux enjeux climatiques actuels, le projet devra privilégier une approche englobante, au regard des dynamiques physiques, climatiques et habitées des lieux. Transversalement aux objectifs d’adaptation et d’anticipation face aux dérèglements climatique, le paysage sera un outil pour tisser des coutures humaines entre agriculteurs et non-agriculteurs. Objectifs définis

Déclinaison des objectifs

Appliquer une gestion territorialisée, transversale, à l’échelle des Serres Préserver la ressource en eau Adapter le territoire aux dérèglements climatiques en empruntant à l’héritage paysan des lieux S’appuyer sur les ressources naturelles et humaines du territoire pour en définir son avenir

Lutter contre le risque incendie afin de préserver les populations et le paysage Préserver des espaces ouverts et accessibles Adapter la vigne aux changements climatiques Trouver une alternative à la monoculture afin de s’adapter en cas de crise climatique, sanitaire, économique,... Reconvertir les friches agricoles

Interroger le lien de l’habitant nonagriculteur au paysage agricole. Et de surcroit, les liens entre les vignerons et les nouveaux habitants

Retrouver un paysage ressource, levier pour le développement local Unir les différents motifs paysager crées en s’appuyant sur le chemin Envisager des collaboration et des échanges dans le paysage agricole

116

Pistes de projet

-Travailler sur la zone d’aquifère karstique et la vallée du Répudre, supprimer l’irrigation, relancer la vocation marchande du canal du Midi -Apporter un gestion durable aux espaces de landes et garrigues (lutte contre l’incendie et évite d’envahir les terres cultivées) -Imaginer la relocalisation de la vigne sur les zones les moins exposées à la sécheresse et à la chaleur dans un premier temps. Puis, dans le cas d’un relocalisation du vignoble hors du territoire réfléchir un assolement sans irrigation et viable économiquement -Retrouver un équilibre entre qualité du sol, nature des cultures et des usages et empêcher les pollutions diffuses ainsi que l’érosion -Valoriser les friches en terres nourricières, limiter le développement des invasives et des résineux -Faire tomber la sensation de rempart entre le vignoble, les landes, la forêt et les nouveaux habitants non-agriculteurs grâce aux chemins existants et nouveaux Créer des espaces collectifs d’abord autour des village puis les étendre à tout le territoire


Clé de lecture sur la carte en annexe (p.119)

Traduction spatiale sur les Serres Choisir des cultures viables sans irrigation Arrêt des pesticides Travailler porosité du lien entre parcelles cultivées et Répudre, préserver les zones humides de la canne de Provence

Freins actuels

Nécessité d’acquisition foncière

Valoriser la multifonctionnalité des garrigues et landes (pâturage ovin et caprin, cueillette, filière bois,...)

Peu d’élus volontaires pour se saisir des enjeux (cela peut évoluer et évolue déjà)

Préférer une diversification de l’assolement : arboriculture, oléiculture, amandes, trufficulture, PPAM, céréalières, fourrages, semences,... et des pratiques : agroforesterie, bandes enherbées ,... aux nouveaux cépages hybrides (perte de diversité et adaptation au maladies récurrentes)

Peu de retours d’expériences quant à la viabilité économique d’un système agricole alternatif

Dessiner une couture entre plaine et coteau par la reconquête des terrasses

Pour l’instant peu de repreneurs et de nouveaux arrivant agriculteurs

Créer des itinéraires entre les villages et à travers le vignoble comme prétexte à la découverte, la participation au projet et à la connaissance des paysages

Matériel agricole, autre que viticole très limité

Envisager des coopérations sur l’espace agricole et pâturée (cueillette dans la garrigue, partage des tâches agricoles, transformation collectives des produits,...

117


UN PROJET DE TERRITOIRE POUR LES SERRES La Serre d’Oupia1

Le Répudre

Le canal du Midi Le Pech de Bize

La Rouquette

Agriculture Restructurer le vignoble au regard des typologies de sols Diversifier les cultures et les pratiques

La Cesse

Liens entre les populations, l’espace bâti et non-bâti

Cultiver les pentes en terrasses et les valoriser dans leur relation visuelle au Répudre (emplacements stratégiques en fonction de ma connaissance du site et de l’intérêt des points de vues) Travailler la porosité du lien entre parcelles cultivées et Répudre, préserver les zones humides de la canne de Provence Envisager de renouveler la vocation marchande du canal du Midi pour les transports nourriciers

Coutures entre l’espace bâti et agricoles : envisager des lieux communs sur l’espace agricole près des villages puis sur l’ensemble du territoire Développer la coopération et les échanges par le fonctionnement en réseau des villages Apprendre du territoire agricole par des mobilités douces à renforcer ou à créer Unir les différents motifs paysagers crées Préserver les points de vue en hauteur

Milieux Pâturer les espaces de garrigues et lande, préserver les ouvertures

Valoriser les exploitations et sites «remarquables» des villages

Préserver des ouvertures sur les reliefs et étendre la démarche de petite filière bois, notamment avec le pin d’Alep 1. La Serres d’Oupia présente deux types de calcaires, l’un est plus marneux. De plus, il y a un versant exposé au nord, l’autre vers le sud. Cela induit des différences d’utilisation et dessine plusieurs motifs de paysage à terme ?

118


UNE APPLICATION SUR L’ÉPAISSEUR DU RÉPUDRE Les pistes de projet découlant des objectifs définis dans le diagnostic et répondant à la problématique sont applicables à l’ensemble des Serres. En effet, il s’agit d’un projet de territoire dont le périmètre est celui de l’entité paysagère (comme il l’a été défini auparavant). Le projet se construit autour de la coopération et de la mise en réseau des villages à l’échelle du territoire pour le rendre viable et efficient. Cette approche englobante s’inscrit dans la volonté de faire des Serres un territoire exemplaire pour ses voisins. Cette démarche est appliquée au canal du Midi dans le cadre du projet de classement UNESCO. Ainsi, d’étendre le périmètre de la zone tampon UNESCO plus au nord jusqu’au Serres. L’expérimentation de cette démarche et sa mise en œuvre permettront de se saisir des enjeux climatiques dès à présent afin d’aller au delà du sentiment d’impuissance et de l’inaction actuel. Une fois le processus amorcé, la démarche pourra être généralisée et revisité au delà du site d’étude. Le choix de cadrer sur le Répudre et son épaisseur vient de mes observations, entretiens de terrain et des constats établis dans le diagnostic. La rivière, est au contact d’une diversité de motifs paysagers riches mais aussi de nombreux espaces fragmentés. La superposition des enjeux au contact de ce site permettra d’illustrer le projet de territorial dont l’objectif premier est d’envisager l’avenir habité et cultivé des Serres face aux dérèglements climatiques.

Carte des intentions de projet

119


MONDE •

Grands exportateurs (Asie, USA)

EUROPE ÉTAT

PAC

Europe

FEDER

SDAGE

Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse

ONF

UNESCO

RÉGION

Inventaire ZNIEFF

SRADDET

Conseil départemental

SAGE

DÉPARTEMENT

CAUE11

EPCI ET COMMUNES

Chambre d’agriculture

Observatoire des paysages

C.A du Grand Narbonne SCOT

Gestion canal du Midi

SAFER OCCITANIE

DRAAF DREAL

VNF, Entente canal du Midi BRL

PGRE

Gestion du risque inondation et des milieux aquatiques

SMMAR

Étude Climagri

Pôle arboriculture oléiculture Responsable gestion quantitative eau risques naturels Pôle viticulture/oenologie PCAET

Regroupement autour d’une entente du terroir des Serres

Pôle drection attractivité économique et innovation sociale/Service Politique territoriale de développement durable/Pôle développement agricole durable

Pôle direction aménagement durable du territoire/Service transition énergétique

Communes ASA (seulement sur certaines communes ou secteurs localisés)

Les structures qui composent la Maison paysanne

Maison paysanne de l’Aude

Représente la profession

INDIVIDUS

Viticulteurs Saisonniers Négociants

Oléiculteurs Saisonniers Négociants

ACTEURS DE L’AMÉNAGEMENT

Acheteurs Détaillants/cavistes

-Confédération Paysanne 11 -ADEAR 11 -Accueil Paysan 11 -Graines de Paysans -Solidarité Paysans 11 -Nature et Progrès 11 -AFOCG 11 -Terre de lien Des champs d’action plutôt localisés sur les Corbières et alentours

Acheteurs Détaillants

ACTEURS VITICOLES ET OLÉICOLES

Précédemment, le schéma d’acteur a mis en avant le manque de coopération entre les villages et les techniciens à l’échelle des Serres. Pourtant afin de porter un projet de territoire, la coopération entre les acteurs est indispensable. La proximité et la faible taille des villages est un argument allant en faveur d’un regroupement de ceux-ci, nécessaire car ils sont artificiellement divisés entre deux EPCI alors qu’il s’agit d’une même entité. Ainsi, l’Entente des Serres

Vend ses prestations aux ASA et agricutleurs

Syndicat du cru minervois Travail en lien étroit INAO Syndicat des vignerons de l’aude AFIDOL Coopératives oléicoles Coopératives viticoles Fédération de chasseurs

Entretiennent le réseau et vend des prestations

L’entente des Serres

Gestion et défense de l’appellation

ASSOCIATION/ COHABITATION COLLECTIVE

Met en relation producteurs, transformateurs et distributeurs

Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc

ACTEURS DE L’EAU

pourrait se constituer à partir de la volonté des communes de s’associer pour travailler autour d’enjeux qui leur sont communs et transversaux, pour un territoire vertueux. Si auparavant les élus se souciaient peu des enjeux environnementaux, il semblerait que cela commence à évoluer, mais encore très doucement. L’entente pourrait donc se concrétiser progressivement en même temps que les volontés politiques des élus.

120


QUELS ACTEURS POUR PORTER LE PROJET DE TERRITOIRE ? L’ENTENTE DES SERRES POUR UNE COOPÉRATION ENTRE VILLAGES

Comité de techniciens DDTM, DREAL,...

Animent un OCAGER pour porter le projet

Communes

SAFER OCCITANIE

ente l’ent Place du pa giste dans ys a

Acteurs de l’aménagement portant le projet de l’entente

Entente du terroir des Serres

Agriculteurs

ONF

Oléiculteurs Viticulteurs Coopératives oléicoles

Maison paysanne de l’Aude

SMMAR/VNF

Acteurs consultés régulièrement ou ponctuellement par l’entente afin d’élaborer le plan de paysage

Chambre d’agriculture de l’Aude

Coopératives viticoles Décline et hiérarchise les actions de l’OCAGER

Assure la durabilité dans l’application des actions

L’entente est portée par les communes et la SAFER. Elle consulte régulièrement ou ponctuellement certains acteurs (partie inférieure du schéma ci-dessous), notamment les agriculteurs, les premiers concernés. Elle pourra s’appuyer sur le cahier de gestion de l’espace tampon UNESCO. Un cahier de gestion est déjà en cours, mais il n’a qu’une dimension de développement touristique, sa valeur n’est pas englobante et n’a donc aucun impact pour les objectifs définis pour le projet. Il permet de donner les lignes de gestion, les références, les savoir-faire, en lien étroit avec les lieux concernés. Si les Serres ne sont pas dans un périmètre classé, le cahier de gestion sert de référent pour l’ espace tampon : les collectivités peuvent dans ce cadre et pour aller plus loin, signer une charte pour s’engager à contribuer à l’appuyer. Pour contribuer à la mise de cette démarche, l’OCAGER est un outil d’aménagement concret.

Mis en place par le Conseil Régional du Languedoc Roussillon, dans le cadre de sa politique de développement économique et d’aménagement des territoires ruraux, ce sont des actions collectives répondant à des enjeux locaux, dont les objectifs sont économiques, sociaux, paysagers, culturels et patrimoniaux et qui sont basées sur la concertation et l’implication des acteurs du territoire. Les objectif sont multiples : accompagner et amplifier le renouveau agricole du territoire, accueillir les projets de jeunes installés, favoriser une agriculture et un tissu rural durable. À l’intérieur de cette entente, le paysagiste met au centre le paysage comme outil d’évolution agricole. Médiateur et traducteur sensible de l’espace, il dialogue avec tous les acteurs afin de tisser les liens les plus cohérents pour le projet de paysage.

1.Opération concertée d’aménagement et de gestion de l’espace rural

121


TEMPS 1 +5 ans Établir une prise de contact avec les communes, argumenter sur le bien fondé d’une coopération entre les villages sur les Serres

Partir à la reconquête des terres en déshérence par une politique foncière

TEMPS 2 +5 à 10 ans

TEMPS 3 +10 à 20 ans

Faire appel à une maitrise d’œuvre pour accompagner l’Entente des Serres (maitrise d’ouvrage) dans l’élaboration d’un cahier de gestion du territoire tournée autour de plusieurs volet : agriculture, sylviculture, milieux, habitats, coopération. Inclure les habitants dans la démarche

Replanter les friches par un assolement diversifié ou trouver une alternative de valorisation économique

Diversifier l’assolement sur toutes les Serres en s’inspirant des pratiques expérimentées sur les friches

Envisager une nouvelle vocation économique de l’agriculture si les vignes venaient à disparaître Développer des lieux communs de prêt de matériel et d’échange autour des pratiques agricoles, organisation des journées de formation Initier le déplacement du vignoble vers les coteaux

Engager la restauration des terrasses sur les pentes les plus accessibles et les moins enfrichées

Établir un guide de bonne pratique des garrigues pour les terres communales et propriétaires privés Prendre contact avec les éleveurs existants dans l’Aude et l’Hérault

S’appuyer sur les chemin existants et les points remarquables existants pour initier une démarche exploratoire du territoire Communiquer et renforcer la lisibilité du réseau Organiser des rencontres autour de la lecture et découverte du paysage

Étendre la (re)conquête des terrasses sur tout le territoire des Serres

Inclure les habitants et les nouveaux exploitants dans la valorisation des produits de la garrigue : cueillette, pâturage, filière bois,...

Étendre le réseau de chemins plus largement avec une attention portée à la multifonctionnalité des chemins (desserte, petite transhumace, balade, bandes enherbées,...)

122

Gestionnaires de garrigues, transformateurs des produits du terroir, bergers,... de nouveaux métiers sur les Serres

Entretenir le réseau de cheminements, et l’étendre aux territoires limitrophes


QUELLES TEMPORALITÉS POUR LE PROJET ? AGIR SUR LE TEMPS PROCHE

SE SENTIR CONCERNÉ Les échelles temporelles de référence pour le projet seront celles d’une à deux générations dans un premier temps. Il convient, en effet, de se saisir des enjeux climatiques dès à présent et d’être proactif. Si nos modes de vie actuels ont un impact sur les 20 prochaines années, il convient donc d’aller au devant du problème pour que ce système ne perdure pas. Une échelle de temps à +20 ans maximum permet aussi de garder une certaine lisibilité pour impliquer les habitants. C’est une temporalité cohérente et adaptée à ce territoire d’ampleur modérée. ASSURER UNE DURABILITÉ Les actions sont complémentaires et dessinent un territoire vertueux au fil des années. Néanmoins, ça n’est pas une fin en soi. Il est impératif d’assurer une durabilité du projet, de transmettre lorsque les acteurs se renouvelleront et de faire évoluer les actions en

fonction des changements climatiques car, du fait de l’incertitude, il peut y avoir une marge d’erreur. La place à l’expérimentation et à l’adaptation est alors très importante. PRENDRE LE TEMPS Il faudra aussi se laisser du temps pour arriver à un fonctionnement coopératif au delà du fonctionnement viticole unique. La médiation entre les intentions individuelles et collectives permettra de trouver un équilibre. Après mise en place d’une politique foncière et constitution d’une entente, toutes les actions pourront être mises en œuvre. Néanmoins certaines nécessiteront plus de temps, comme la relocalisation progressive du vignoble vers les terres les plus appropriées puis vers des territoires plus au nord des Serres. Ensuite, viendra la restructuration du territoire agricole.

123


DE NOUVEAUX MOTIFS SUR LES SERRES DÉPLOIEMENT D’AMBIANCES ET D’USAGES NOUVEAUX

2

1

1

2

3

124

4


5 4 3

5

1

Des points de vue sur la Serres d’Oupia sont aménagés

1

Les chemins valorisent des points de vue sur le grand paysage

2

Les vignes sont relocalisées en hauteur et accompagnées de fruitiers

2

Les terrasses regardent vers le Répudre

Les ovins et caprins pâturent les coteaux 3 de la Serre d’Oupia

3

Les habitants viennent aider les agriculteurs dans la cueillette

4 Les chemins unissent les villages

4

Les cultures sont diversifiées sur le territoire et à la parcelle (services écosystémiques rendus)

5

La garrigue offre une diversité de services, de nouveaux métiers se créent

125

5

Les abords du Répudre sont élargies et la ripisylve entretenue. Lors des crues, l’intensité est réduite et l’érosion ainsi que les inondations diminuées


CONCLUSION ET PROLONGEMENT Dans le territoire des Serres, la mosaïque des paysages qui se font face est changeante et précieuse. Les civilisations qui se sont succédées ont su nous léguer ce territoire. Certains indices, encore intacts dans la mémoire du site constituent un héritage habité et cultivé dont on peut s’inspirer. Avant la spécialisation des territoires, le paysage ressource est le terreau d’un système de polyculture observant les qualités et typicités du sol. Après le 19ème siècle, il glisse vers un territoire hyperproductif de monoculture viticole intensive soumis à diverses crises climatiques, sanitaires et économiques. À la fin du 19ème siècle, la labellisation AOC souligne un nouveau revirement pour les producteurs. La spécialisation viticole de ce territoire ne se résume pas qu’à la viticulture. Il s’agit d’une réelle façon de parler, débattre, s’engager politiquement... unissant les ouvriers viticoles autour d’une manière de vivre singulière qui les rassemble. Face aux dérèglements climatiques qui s’accélèrent, le territoire n’est plus en mesure d’envisager une évolution durable par luimême. Vient s’ajouter une dépendance aux marchés mondiaux et un climat méditerranéen déjà capricieux, difficile à apprivoiser du fait de son irrégularité. Il convient donc d’être proactif et d’envisager dès à présent son avenir habité. Ceci interroge nécessairement une évolution vers des pratiques agricoles plus durables, une diversification des cultures et des pratiques sur des sols parfois difficiles à cultiver. Il faudra alors trouver la méthode qui unira les différentes interfaces fragmentées du paysage afin de tisser des liens entre celles-ci. La notion d’interfaces 126

communes questionne la co-existence entre les espaces et les pratiquants des lieux ainsi que l’organisation de complémentarités. Elle est dynamique et mouvante. Ici, elle concerne les relations entre villages, friches, vignoble, garrigues et landes, viticulteurs, nouveaux habitants... La diminution du nombre de vignerons et l’augmentation progressive des nouveaux habitants engendrent des typologies de manière d’habiter qui se font face, parfois s’opposent et dont la relation au paysage se distend. La durabilité de ce territoire passe aussi par des formes de cohabitation et de partage des ressources, des usages... Réunir les acteurs les plus pertinents pour initier la démarche autour d’une entente est une première étape. Le paysage agricole peut être l’espace où s’associent ces différents habitants. Des lieux collectifs au partage des tâches et des compétences, de la multifonctionnalité des milieux à leur gestion collective, les motifs créés dessineront alors de nouvelles interfaces communes pour un territoire efficient et durable. Je propose de prolonger ces orientations et intentions par le projet détaillé qui s’appuiera sur les constats dressés tout au long de ce mémoire et les pistes de projets esquissées. La rencontre avec les acteurs de ce site devra se poursuivre afin de dessiner les motifs les plus justes possibles. Le projet détaillé illustrera cette opportunité pour rêver le devenir des Serres, se confrontant à une dualité d’échelles temporelles. Celle du temps long au rythme des cultures et celle de l’urgence face à la bascule climatique d’agir dès à présent.


Relation entre un territoire «naturel» et apprivoisé. La terrasse de Sainte-Valière regarde vers l’ouvrage hydraulique du pont canal sur le Répudre et les vignes à ses pieds.

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BIBLIOGRAPHIE Articles scientifiques AGRICULTURE Planchat-Héry C., « Les outils graphiques paysagers, révélateurs des enjeux agricoles, dans un Plan Local d’Urbanisme », Norois [En ligne], 209 | 2008/4 Guillain, Rachel, Sophie Legras, et Elsa Martin. « Usages agricoles diversifiés du sol : le rôle des effets de voisinage », Revue économique, vol. vol. 68, no. 3, 2017, pp. 409-433. Le Floch, Sophie, Anne-Sophie Devanne, et Jean-Pierre Deffontaines. « La « fermeture du paysage » : au-delà du phénomène, petite chronique d’une construction sociale », L’Espace géographique, vol. tome 34, no. 1, 2005, pp. 49-64. Léonhardt, Gilbert. « Contre l’Écologisme - Pour une croissance au service de l’environnement. Par Bruno Durieux, Éditions de Fallois, Paris, avril 2019 », Pour, vol. 237-238, no. 1-2, 2019, pp. 421-423. Fassier-Boulanger, Sylvaine. « L’AOC ne ferait-elle plus rêver ? Quand des vignerons y renoncent pour mieux valoriser leurs terroirs », Pour, vol. 237-238, no. 1-2, 2019, pp. 283-295. Legouy, François. « La mondialisation du vin par les exportations ou le modèle français en transition », Pour, vol. 237-238, no. 1-2, 2019, pp. 55-72. Legouy, François. « Les nouveaux paysages de la vigne. Par Perdereau Ph., Camou Ch. et Dubarry F, 2016. Paris, Les éditions Ulmer, 192 p. », Pour, vol. 237-238, no. 1-2, 2019, pp. 427-428. Sentou J. «Les facteurs de la révolution agricole dans le Narbonnais», Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, tome 18-19, fascicule 3-4, 1947. pp. 89-104. Gavignaud-Fontaine G. «L’extinction de la «viticulture pour tous» en Languedoc », 1945-1984, Pôle Sud, n°9, 1998. La «grande transformation» du Midi Rouge. pp. 57-70. Bertrand, François, Corentin Thermes, et Isabelle La Jeunesse. « Stratégies d’adaptation au changement climatique à court et long terme : quelles actions pour les viticulteurs en région Centre-Val de Loire ? », Norois, vol. 254, no. 1, 2020, pp. 59-73. Thermes, Corentin, François Bertrand, et Isabelle La Jeunesse. « Les différentes formes de déplacement du vignoble : des leviers pour adapter la viticulture au changement climatique ? », Norois, vol. 254, no. 1, 2020, pp. 75-90. Grimonprez, Benoît. « Le stockage agricole de l’eau : l’adaptation idéale au changement climatique ? », Revue juridique de l’environnement, vol. volume 44, no. 4, 2019, pp. 751-767. Stéphane Angles. «Oléiculture, systèmes oléicoles et territoires méditerranéens : de la filière au paysage», Géographie. Universite Paris 13, 2016. Stéphane Angles. « L’olivier et les territoires méditerranéens ». L’histoire de l’olivier, 2012. Renard L., « La place du paysagiste dans le paysage agricole », Projets de paysage, 2017 Jarrige F., Touzard J.M. « Les mutations de l’organisation coopérative à travers l’évolution de ses règles : la rémunération de la vendange dans les caves coopératives du Midi », Revue internationale de l’économie sociale : Recma, n° 280, 2001, p. 36-48. Janin, Claude, et Lauren Andres. « Les friches : espaces en marge ou marges de manœuvre pour l’aménagement des territoires ? », Annales de géographie, vol. 663, no. 5, 2008, pp. 62-81. PAYSAGE Denis Delbaere, « Le projet de paysage, une approche non techniciste de la transition ? », Métropolitiques, 23 novembre 2020. R. Ambroise, P. Frapa, S. Giorgis. « Paysages de terrasses », Edisud, 1989. GÉOLOGIE Lobre, Magali. « Pays Corbières & Minervois : approche typologique », Pour, vol. 194, no. 2, 2007, pp. 81-90 Antonin Genna et Jean-Pierre Capdeville, « Réorganisations hydrographiques du Minervois, exemples de la Cesse et du ruisseau du Saint-Michel (Hérault, France) au Quaternaire, conséquences géologiques », Quaternaire, vol. 18/3 | 2007, 271-282.

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Ouvrages CLIMAT Berdoulay V., Soubeyran O. « L’aménagement face à la menace climatique », 2020 . Selpulchre P., «La conjugaison du climat», les Cahiers de l’École de la Nature et du Paysage de Blois, 2018, n°16. AGRICULTURE Schnitzler, Génot « La France des friches. De la ruralité à la féralité », QUAE, 2012. Préface par Larrère R. Teisseire-Dufour P., Palau P. « Minervois, L’enchantement simple.», 2017. Beau C. « Itinérences vigneronnes. Une poétique des vins », Cambourakis, 2020. Amouretti M.C., Comet G. « Le livre de l’Olivier », Édisud, 1985. Angles S. « Atlas des paysages de la vigne et du vin », QUAE, 2014. PAYSAGE Kirkpatrick Sale, «Dewellers in the Land», 1985, traduit en français par «L’art d’habiter la Terre» en 2020. Braudel F. « La Méditerranée. L’espace et l’histoire », Flammarion, 1999 Folléa B., « L’archipel des métamorphoses, la transition par le paysage », Parenthèses, 2019 Podcast AGRICULTURE Brun J.P. « De l’olivier sauvage à l’olivier domestique, une histoire naturelle », Les cours du collège de France, Fance culture, 2019 Cardebat J.M., Gallot J. « Marché du vin : la conquête du monde », In éco veritas, France culture, 2019 SOCIOLOGIE Delfosse C., Gucher C., « L’heure où blanchit la campagne », Dis-moi où tu habites, je te dirais qui tu es, France culture, 2021 Sites web fréquemment consultés Données agricoles : https://occitanie.chambre-agriculture.fr Données climatiques : https://www.ecologie.gouv.fr Dossier sur les garrigues : http://www.wikigarrigue.info Actualité sur le vigne : Niedercorn F. «Trois menaces pour les vignes à l’horizon 2050», Les Échos, 2019. : https://www.lesechos.fr http://www.aude.gouv.fr/la-lutte-contre-les-friches-agricoles-r2135.html Atlas des paysages du Languedoc-Roussillon : http://paysages.languedoc-roussillon.developpement-durable.gouv.fr Données sur les ressources forestière : http://www.fao.org ; https://www.onf.fr Pour la cartographie et les données géologiques et pédologiques : https://www.brgm.fr ; https://www.ign.fr ; https://www.geoportail.gouv.fr Pour le projet de classement canal du Midi : http://www.occitanie.developpement-durable.gouv.fr Pour les documents de planification : https://institution.legrandnarbonne.com/63-les-elus.html Sur le climat : https://www.revue-openfield.net/2021/01/11/climat/ Sur le projet LACAVE : https://www6.inrae.fr/laccave Statistiques : https://www.insee.fr/fr/statistiques/zones/2011101 Filmographie Romer E. « Conte d’automne », 1998

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REMERCIEMENTS

Merci à mes deux encadrants de mémoire À Catherine pour ton infaillible disponibilité et précision. À Olivier pour la justesse de tes remarques. À vous deux pour m’avoir aidé à trouver les bons mots À ma famille Pour m’avoir ouvert les portes de l’apprentissage, pour m’avoir accompagnée et soutenue Aux personnes rencontrées sur le terrain Pour m’avoir accordé du temps et livré un bout de leur histoire Merci à Louise, Madenn, Pauline, Coline, Flavie Pour leur douce amitié Merci aux copains de l’école et de Blois Pour avoir rendu ces années inoubliables Merci aux copains de 6A Pour leur temps et tous les conseils

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À l’interface entre les avants-monts de la Montagne Noire et la plaine de l’Aude, «les Serres» désigne l’un des terroirs du Minervois. Le climat méditerranéen y est capricieux et difficile à apprivoiser : violence du vent, sécheresse, fortes et rares précipitations, débordement des cours d’eau,... Cette région viticole, essentiellement cultivée en monoculture a remplacé le «paysage ressource» de polyculture pour glisser vers un paysage productif. Le paysan devient viticulteur, il ne produit plus pour ses besoins mais pour le marché mondial. La proximité au canal du Midi a largement contribué à l’installation du vignoble. Suite à de nombreuses crises sanitaires et climatiques faisant sans cesse fluctuer la production viticole, le regroupement en coopératives intervient au début du 20ème siècle. Il est le parfait exemple d’une population qui s’est longtemps battue pour faire perdurer la vigne. Aujourd’hui, la labellisation AOC permet de miser sur la qualité d’un produit à valeur ajoutée plutôt que sur la quantité. L’abandon des pratiques de polyculture et l’histoire mouvementée du vignoble ont provoqué la fragmentation de nombreux espaces sur les Serres dont les liens sont rompus : progression des friches, de la garrigues et des landes, enrésinnement,... L’héritage habité et cultivé transmis par le «paysage ressource» sera alors un modèle à explorer et à réinterpréter. L’arrivée de nouveaux habitants à la fin du 20ème siècle et l’embonpoint urbain vont accentuer la fragmentation des espaces. Des ruptures se créent entre de nouveaux habitants non-agriculteurs et une société traditionnellement agricole. Les villages, pourtant très proches, semblent ne tisser aucun lien entre eux. Cernés par le vignoble, ils sont tels des archipels sur une mer de vigne sur laquelle on n’ose pas s’aventurer. Face à la bascule climatique, ce territoire ne semble plus être en mesure d’évoluer durablement par lui-même. Il convient alors d’adopter une dualité de postures : celle d’agir dès maintenant et celle d’anticiper les changements à venir. L’enjeu du projet est de retrouver des interfaces communes entre ces différents espaces fragmentés. Il se décline en deux objectifs : Adapter le territoire aux dérèglements climatiques en empruntant à l’héritage paysan des lieux ; et interroger le lien de l’habitant nonagriculteur au paysage agricole (et de surcroit, les liens entre les vignerons et les nouveaux habitants. Le projet se concrétisera sur l’ensemble des Serres pour un projet territoriale et s’appliquera plus finement sur l’épaisseur du Répudre. Associer et impliquer les acteurs du site autour des enjeux climatiques sera alors nécessaire pour initier la démarche.

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