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N° 33 • Été 2011

C’est l’été ! Poésie russe LE FABULEUX DESTIN DE MIKHAËL LERMONTOV

Anniversaire GEORGES POMPIDOU AURAIT EU 100 ANS

Voyages AIX-EN-PROVENCE VILLE D’EAU, DE PIERRE, D’ART

Rencontre DAVID DOUILLET : « MA 3e VIE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE »


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Sommaire

Éditorial

N° 33 • Été 2011 À quand le printemps cubain ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 04 Aussi vermeil que le sang . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 08 Un cadeau pour la vie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 12 Un geste de routine pourtant peu anodin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 14 Neuf Français sur dix concernés par des problèmes de peau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 16 Du développement durable vers la valeur durable Mode d’emploi par l’immatériel . . . P. 18 Expatria cum patria ou Rencontre avec un éditeur bourlingueur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 20 Infos brèves et utiles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 22 “Aux Marins”. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 24 Georges Pompidou aurait eu 100 ans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 26 Dr Bernard Zipfel, un Ami nous a quittés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 32 « Il n’y a de paix possible qu’après la guerre » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 34 « Les idéaux ont de curieuses qualités, entre autres, celle de se transformer brusquement en absurdité quand on essaie de s’y conformer strictement » . . . . . . . . . P. 36 Secret bancaire suisse et fisc français : le fisc français ne peut pas utiliser des données obtenues frauduleusement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 38 Allocution préparée pour la venue de M. Pierre Lellouche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 40 Le fabuleux destin de Mikhaïl Lermontov. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 42 Pour mieux “voir” Genève. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 52 Léonard Gianadda. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 54 Hansi, artiste intemporel, aquarelliste et patriote avant tout . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 62 Ancien Agent Secret contre Ancien Ministre de la Défense . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 66 Du point G aux vergers, le plaisir du Terroir valaisan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 68 David Douillet raconte sa troisième vie à l’Assemblée nationale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 70 Une petite boîte à musique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 76 Aix-en-Provence Ville d’eau, ville de pierre, ville d’art . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 80 En passant par le Nord-Ouest argentin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 88 Tandem, Buenos Aires et Paris unis par la culture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 90 Tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 92 “Une femme disparaît” de Jérôme Coignard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 100 Petit vignoble, grands crus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 103 Porto-Vecchio, cità di Sale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 108 Safari et cuisine ne sont pas incompatibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 112 Expatria Cum Patria Association nationale des Français établis hors de France - Loi 1901 Président-Fondateur : Serge Cyril Vinet Vice-Président : Jean-Jacques Poutrieux Secrétaire Général : Marie-Thérèse Clausen

Éditeur, Directeur de la Publication, Rédacteur en chef Serge Cyril Vinet Rédacteur en chef Adjoint Didier Assandri Éditorialiste Thierry Oppikofer Directeur de la Communication Victor Nahum Directeur du Comité de Rédaction Bernard Daudier Edito : Thierry Oppikofer Politique internationale : Antoine Frasseto Humanitaire : Tania Pauli, Beat Von Burg, Andreas Tobler Santé prévention : Jean-Jacques Descamps Conjoncture : Marie-Ange Andrieux Radioscopie : Joanna David-Mangin Anniversaire, J’aimerais vous dire, La Voix des Français de l’Étranger, Arts et Découvertes : Serge Cyril Vinet Droit bancaire suisse : Patrick Blaser Culture russe : Lydia Yagoroff Genève : Christian Vellas Peinture : Françoyse Krier Moore vs. Morin, Terroir Romand Morand, Échos de Marcillac, Escale : Alain Barrière Rencontre : Anne-Marie Cattelain-Le Du Le billet de Dany : Dany Vinet Carnets de voyage : Kathereen Abhervé La Cédille : Mathilde Sagaire Tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau : Rémy Hildebrand Chronique littéraire : Dominique Ortiz Gastronomie : Jean-Jacques Poutrieux Régie publicitaire Daedalus Publi FM Imprimerie PCL Presses Centrales SA Conception graphique Raphis Tirage : 80.000 exemplaires vérifié par attestation notariale

lors que les actuels ou futurs candidats à la présidentielle de 2012 commencent à se ranger dans les stalles, que les Anglais redorent le blason de leur famille royale, Thierry Oppikofer que M. Obama s’assure une réélection par un sacrifice humain que personne, en Occident, ne regrette, notre France continue à nager dans le petit étang familier du politiquement correct. Au-delà des grandes nouvelles qui bouleversent les mises en page des quotidiens - surtout quand elles ont le mauvais goût de survenir à l’heure de l’apéritif de “bouclage”, nos médias et nos politiciens persistent en leur habitude d’éviter certains sujets, de débaptiser certains phénomènes, de prohiber certains invités. Et lorsqu’un éminent nonagénaire, ancien de la Résistance, publie un essai intitulé « Indignez-vous ! », il remporte un succès de librairie… en enfonçant des portes ouvertes et en ne dérangeant personne. Fort heureusement, nous sommes en France - on me pardonnera d’inclure culturellement, pour une fois, la Suisse romande dans ce propos - et il existe encore des gens pour réagir (ne les traite-t-on pas, d’ailleurs, de “réactionnaires” avant même de les écouter ou de les lire ?). Au livre précité de Stéphane Hessel, répond le « J’y crois pas ! » d’un certain Orimont Bolacre. Qui dénonce les tabous actuels : on ne parle pas d’immigration, on fait semblant de ne pas remarquer la faillite de l’Education nationale, on minimise celle de la Sécurité sociale, on abandonne les principes républicains au nom de l’“ouverture”. Simultanément, grand tollé dans les cercles bien-pensants : Robert Ménard, fondateur de Reporters sans frontières, un homme du sérail, publie un opuscule au titre provocateur : « Vive Le Pen ! ». Juste pour voir. Et il a vu : on le classe désormais, comme Zemmour, comme Elisabeth Lévy, à droite de Mussolini. Mais d’autres, y compris Jean-François Kahn dans Marianne, dénoncent aussi le tabou qui, finalement, fait le lit des extrêmes : on laisse les sujets dérangeants comme l’insécurité, la communautarisation, la perte d’autorité de l’État et l’injustice sociale à Marine le Pen. Reste à savoir si les responsables politiques et médiatiques entendront le message et traiteront, sans langue de bois, sans eau de rose ni périphrases, de tous les sujets qui préoccupent leurs électeurs. L’espoir n’est pas perdu. N

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L’ÉCLOSION, AUX PREMIERS JOURS DE LA DÉCENNIE, DE LA RÉVOLUTION DU JASMIN, ET LE VENT QU’ELLE A FAIT LEVER, PORTANT VERS L’ENSEMBLE DU MONDE ARABE LE FOL ESPOIR D’UNE VIE NOUVELLE, OÙ SE MÊLENT CONFUSÉMENT L’ASPIRATION À LA LIBERTÉ, À LA DIGNITÉ ET À LA JUSTICE, CET ÉLAN IMPRÉVU, JUSQU’OÙ VA-T-IL S’ÉTENDRE ? POUR CERTAINS, C’EST UNE VAGUE PLANÉTAIRE, QUI IRA BATTRE JUSQU’AUX PIEDS DE LA GRANDE MURAILLE, NE LAISSERA À L’ÉCART, DANS UN FUTUR INDÉTERMINÉ, AUCUN DESPOTE, AUCUNE TYRANNIE, AUCUN DES CES POUVOIRS QUI VEULENT LE BONHEUR DES PEUPLES DANS LA SOUMISSION.

Àquandle

printempscubain ?

ourtant, comme dans le cours impétueux d’un torrent, il y a des flaques d’eau où rien ne bouge, certains régimes apparaissent inaccessibles à ce mouvement, insensibles à la marche du monde, repliés sur eux-mêmes : pouvoirs immuables et fossilisés. Deux pays illustrent cet enfermement et cet immobilisme, deux pays hors du temps : en Asie, la Corée du Nord et son “cher leader”. Au cœur des Amériques, Cuba et son “lider maximo”. Ici et là, des histoires de famille, où l’on se passe les rênes de père en fils ou au sein de la fratrie. Ici et là, le même rêve obstiné d’un avenir bercé par l’utopie communiste. Ici et là, un semblable isolement, qui maintient les sociétés dans un air confiné, à l’abri des miasmes de la consommation, de la pollution véhiculée par internet. Ici et là, un commun désastre économique, où la population paupérisée est au bord de la disette. À Pyongyang, un dirigeant malade s’apprête à passer le flambeau à son rejeton. À La Havane, un autocrate en fin de vie cède les commandes, qu’il détenait depuis un demi-siècle, à son cadet octogénaire. Dans ce printemps où l’on voit les foules du Moyen-Orient descendre dans la rue et se battre au péril de leur vie, allons voir ce qu’il advient du côté des Caraïbes. Justement, après une pause de 14 ans, le Parti Communiste de Cuba vient de tenir son 6e congrès. Le choix des dates, du 16 au 19 avril, n’était pas innocent : c’est le 50e anniversaire de la fameuse expédition de la Baie des Cochons, où, au printemps de 1961, plus d’un millier d’exilés entraînés par la CIA débarquaient dans l’île dans le but de chasser Fidel Castro du pouvoir, un pouvoir qu’il avait conquis deux ans plus tôt à la pointe du fusil. La Baie des Cochons, un fiasco qui a signé un moment-clé dans le parcours de la Révolution cubaine, en marquant un point de non-retour dans la rupture avec les Etats-Unis : en ri-

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poste à la tentative d’invasion, Cuba va finir d’exproprier les compagnies américaines ; en représailles, Washington décrète un embargo commercial, économique et financier qui pèsera lourdement sur la situation et sur les choix du pays. Il va exacerber l’anti-américanisme du leader cubain, faire de lui, sur la scène latino-américaine, une manière de héros, celui qui a résisté à l’impérialisme yankee. Puni, étranglé par le grand voisin du Nord, il va, dans le contexte de la guerre froide, se jeter dans les bras de l’URSS, offrant à celle-ci une porte d’entrée sur le continent américain. On connaît la suite : pour protéger son nouvel allié contre les menées des Etats-Unis, Moscou décide, au printemps de 1962, d’installer à Cuba une batterie de missiles à tête nucléaire capables d’atteindre en quelques minutes le sol américain. Trois mois plus tard, l’affaire prendra un tour dramatique, portant à la confrontation directe entre les deux superpuissances. Il faudra les menaces de Kennedy et le prudent recul de Khrouchtchev pour renvoyer le Docteur Folamour dans les coulisses de l’Histoire. Ainsi, pendant près de trente ans, la quarantaine imposée à Cuba sera tempérée par le


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soutien que lui apporte le grand frère soviétique : fourniture de pétrole à bas prix, achat du sucre à des conditions de faveur, au-dessus des cours mondiaux. En même temps, dans le grand jeu d’influence qui se déploie entre l’Est et l’Ouest en maintes parties du monde, Cuba pousse ses pions. L’Afrique est son terrain de prédilection ; on y croise ses médecins, ses techniciens, mais surtout ses guerilleros, qui viennent au secours des mouvements de libération en lutte contre les puissances coloniales. Ils seront plus de 30 000 à se battre en Angola aux côtés du MPLA d’Agostino Neto contre un adversaire soutenu par l’Afrique du Sud. Mais cette période flamboyante, où le castrisme portait hors de ses frontières le souffle de la Révolution anti-impérialiste, va s’achever avec la chute de l’Union Soviétique en 1989. En perdant son puissant allié, Cuba s’est trouvé brutalement victime d’un effondrement de son économie, avec une chute de plus d’un tiers du produit national et du revenu par habitant. Durement frappé par l’embargo américain, le régime cubain payait le prix de son isolement et des choix qu’il avait faits au nom de l’idéologie : étatisation de la société, abolition de la propriété privée, collectivisation des terres. Il pouvait sans doute se prévaloir d’indéniables progrès en matière d’éducation et de santé, assurant à tous la gratuité des soins et de l’accès au savoir, avec, pour résultat, le recul de la mortalité infantile, l’allongement de l’espérance de vie, une alphabétisation massive. Mais la disparition des riches ne laissait plus que des pauvres. Seule demeurait, pour éclairer le quotidien d’une population de fonctionnaires privés des libertés essentielles, la puissance du Verbe d’un chef charismatique, qui prenait, au fil des ans, la figure du patriarche. Orphelin de l’empire soviétique, Cuba va retrouver pourtant, quinze ans plus tard, un nouveau protecteur, et cette fois dans son voisinage, en la personne d’Hugo Chavez. En 2005, le bouillant leader vénézuélien enrôlait Cuba dans sa croisade contre les Etats-Unis, en l’incluant dans son Alliance Bolivarienne pour les Amériques, l’ALBA, destinée à faire pièce à l’influence de Washington dans le sous-continent latino-américain. Une étroite coopération se nouait entre les deux pays, scellée par une multitude d’accords bilatéraux. Au cœur de ces relations, la fourniture à Cuba de pétrole, des livraisons qui s’élèvent aujourd’hui à 100 000 barils/jour. En échange de l’or noir, la matière grise : 40 000 cubains opèrent au Venezuela, médecins, infirmiers, professeurs, entraîneurs sportifs, techniciens agricoles. Au plan politique, Chavez a apporté un soutien enthousiaste à Fidel Castro, l’assurant d’une solidarité entière dans son face-à-face orageux avec les Etats-Unis. C’est lui qui est accouru au chevet du vieil homme quand celui-ci est tombé malade. C’est lui encore récemment qui a témoigné de son plein appui à Raul, le successeur, dans ses efforts pour redresser une économie en perdition. Victime des choix idéologiques du pouvoir, cette économie continue de souffrir cruellement de l’embargo américain, toujours en place depuis près de 50 ans, un record historique pour une mesure de ce type. Certes, depuis la rupture des relations entre les deux pays, les tentatives n’ont pas manqué pour renouer le dialogue. Elles ont traversé toutes les présidences à Washington, en particulier celle de Jimmy Carter. L’obstacle majeur à ces efforts a été l’opposition farouche au régime castriste des deux millions d’émigrés cubains installés en Floride, qui jouent de leur

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puissance financière et de leur poids électoral. S’ils apportent, par leurs envois de devises aux familles restées dans l’île, les remesas, une bouffée d’oxygène, ces émigrés ont longtemps campé dans la résistance à tout rapprochement des Etats-Unis avec un pouvoir diabolisé. L’accession à la Maison Blanche de Barack Obama a bien laissé filtrer une lueur d’espoir aux partisans d’une normalisation. Des mesures ont bien été prises en 2009 pour lever les restrictions qui frappaient les voyages des exilés vers l’île et les transferts d’argent. Mais cette démarche a trouvé ses limites dans le refus du pouvoir cubain de toute ouverture touchant les libertés politiques et l’exercice des droits de l’homme. Là encore, même si la deuxième génération d’émigrés est moins intransigeante que ses aînés, elle demeure

Un Castro peut en cacher un autre : à droite, Raul, le frère “cadet” (80 ans). jusqu’ici un puissant écueil sur le chemin de la réconciliation. Les destinées de Cuba étant intimement liées à la présence et à la personnalité de son leader historique, on a pu croire que la maladie de Fidel Castro et son retrait, annoncés en 2006, allaient provoquer de profonds changements dans la situation du pays ; qu’ils allaient précipiter une évolution timidement engagée avec le développement du tourisme, premier signe d’ouverture au monde extérieur, et l’arrivée prudente d’investisseurs étrangers. C’était sans compter sur les pesanteurs d’un système toujours aux mains de la vieille garde révolutionnaire, devenue aujourd’hui une gérontocratie. Qu’on en juge à l’âge des capitaines ! Contraint par ses médecins et par le sablier du

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temps à céder la barre à 84 ans, Fidel vient de confier ses derniers pouvoirs (le poste de premier secrétaire du parti communiste) à son jeune frère Raul âgé de 80 ans, tandis qu’au Bureau politique, la moyenne d’âge reste proche de 70 ans. Communiste du premier jour, homme austère, aussi terne que son frère était rutilant, méthodique, appliqué, bon organisateur à l’inverse du côté lyrique et brouillon du lider maximo, Raul aura été pendant 47 ans le chef incontesté de l’armée cubaine. Aujourd’hui aux commandes, l’ancien ministre de la Défense, en qui certains voient un réformateur prudent, et en tout cas un réaliste, saurat-il initier et conduire la transition du pays vers une nouvelle ère ? Ses premiers pas soulèvent bien des attentes, où l’espoir se mêle au doute. La tenue, à la mi-avril, du Congrès du Parti, le premier depuis 14 ans, a permis de faire le point sur les difficultés du pays et sur les orientations de ses dirigeants. Réaliste, Raul Castro l’aura été dans le diagnostic, celui d’un pays au bord de la banqueroute : « Ou nous rectifions, ou nous coulons » a-t-il déclaré.

Rectifier, cela relève d’un exercice d’équilibre délicat et périlleux. Il s’agit d’entrer à pas comptés dans l’économie de marché sans rien renier du socialisme, de « changer de mentalité », tout en empêchant le retour au capitalisme. Pour aller dans ce sens, le Congrès a retenu quelque 300 mesures qui visent à une privatisation partielle des moyens de production et façonnent une économie mixte. D’un côté l’armée, qui exerce déjà une forte emprise sur l’économie, gardera la main sur les grands secteurs porteurs d’avenir : le tourisme, que l’on voudrait faire monter en gamme (dans l’attente des touristes américains qui finiront bien par revenir), bientôt le pétrole grâce aux riches gisements off-shore que l’on a commencé à explorer avec l’assistance des Vénézuéliens. Quant au reste de l’économie, elle sera désorwww.expatria-cum-patria.ch

mais ouverte à l’entreprise privée, où devraient s’engouffrer, non sans risques, 1,3 million de fonctionnaires (le quart d’une population vouée depuis des décennies à travailler pour l’État), Cet effectif, jugé excédentaire et qui sera mis à pied d’ici à deux ans, devra se reconvertir dans une série de professions, qui vont de la pizzeria à des métiers improbables tels que la recharge de briquets ou la danse costumée pour touristes. Cette mesure, une révolution sociologique, vise à panser les plaies des finances publiques : l’État va se débarrasser de serviteurs inutiles et prélever sa dîme sur ces nouveaux entrepreneurs qui devront acquérir une licence et payer une patente. Dans ce nouveau paysage dont les contours sont encore incertains, un trait n’échappe pas au regard : c’est l’absence d’ouverture politique. En dépit de quelques gestes (la libération de prisonniers politiques le plus souvent contraints à l’exil), le régime maintient ses entraves aux libertés fondamentales : liberté d’expression, d’association, de réunion, de circulation sont étouffées ou étroitement contrôlées. Il en est de même de l’accès à l’information, qu’il s’agisse des télévisions étrangères ou d’internet, limité à de rares points d’entrée et soumis à des tarifs prohibitifs. Les dissidents, tenus pour de dangereux asociaux, sont enfermés par une justice soumise au pouvoir. Sur un horizon ainsi barré, on n’imagine guère aujourd’hui l’éclosion d’un printemps cubain. Outre le poids du système sécuritaire, il y a peut-être ici des données spécifiques : l’inertie d’une société qui vit depuis un demi-siècle dans l’assistanat, mais aussi le respect et l’affection dont continuent de jouir les pères de la Révolution, et d’abord Fidel Castro, dirigeant charismatique entre tous, que l’âge et la maladie ont rendu plus vulnérable et, en un sens, plus humain. Il est pour beaucoup celui qui a rendu au pays son indépendance et sa fierté. L’avenir de Cuba semble dépendre aujourd’hui de deux éléments : une relève de génération à la disparition des vieux caciques qui emporteront Antoine Frasseto avec eux un pan de l’histoire du pays, et l’attitude ANCIEN AMBASSADEUR des États-Unis qui commande, pour une large DE FRANCE ET CONSUL part, le sauvetage de l’économie avec la levée de GÉNÉRAL DE FRANCE l’embargo et le retour des émigrés. N À GENÈVE

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antoine.frasseto@sfr.fr

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Aussivermeil quelesang « OH ! SI JE POUVAIS AVOIR UN ENFANT AUSSI BLANC QUE LA NEIGE, AUSSI VERMEIL QUE LE SANG ET AUSSI NOIR DE CHEVEUX QUE L’ÉBÈNE DE CETTE FENÊTRE ! », SONGEAIT LA REINE. TROIS PETITES GOUTTES DE SANG SUR LA NEIGE DANS UN CADRE DE BOIS D’ÉBÈNE SYMBOLISENT LA BEAUTÉ SINGULIÈRE DE BLANCHE-NEIGE DANS LE CONTE DES FRÈRES GRIMM. DEPUIS LA NUIT DES TEMPS, LE PRÉCIEUX LIQUIDE EST SOURCE D’INSPIRATION, DE FASCINATION OU DE RÉPULSION. DÉJÀ À L’ANTIQUITÉ, ON PRESSENTAIT SON INTÉRÊT MÉDICAL. MAIS IL A FALLU DES SIÈCLES POUR PARVENIR À RÉALISER EN TOUTE SÉCURITÉ DES TRANSFUSIONS SANGUINES QUI PUISSENT SAUVER DES VIES.

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ÉPOPÉE DE LA TRANSFUSION SANGUINE

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es hommes ont toujours su que le sang était un fluide vital et se sont, dès lors, adonnés à des pratiques effroyables et des expériences cruelles. On procédait à des sacrifices humains pour s'attirer la bienveillance des dieux ou pour utiliser le liquide vermeil comme “remède”. En 1492, les médecins firent boire le sang de trois garçons de 10 ans au pape Innocent III sur son lit de mort, tentative qui se solda par le décès des enfants et celui du souverain pontife. Cet exemple montre que le fluide était d'abord considéré comme une substance thérapeutique et rajeunissante.

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Recherches et expériences farfelues En 1628, le médecin anglais William Harvey posa un jalon dans l'histoire de la médecine en décrivant la circulation sanguine. Sa découverte sans précédent inspira Richard Lower qui pratiqua en 1666 en Angleterre la première transfusion réussie entre des chiens. Dans les décennies qui suivirent, les expériences les plus farfelues furent réalisées - injections de bière, de vin, de mercure, etc. - avec des conséquences souvent mortelles. Du sang de mouton fut administré aux criminels afin de les rendre doux comme des agneaux. Comme on peut l'imaginer, les transfusions de sang animal à l'être humain échouèrent pour la plupart et firent de nombreuses victimes, ce qui mena à leur interdiction dans maints pays. Au début du XIXe siècle, le médecin anglais James Blundell procéda à la première transfusion sanguine d'homme à homme. Sa méthode, très rudimentaire, consistait à inciser l'artère du donneur, à recueillir son sang dans un récipient puis à le faire couler par un tuyau dans la veine du receveur. Elle ne fut que rarement couronnée de succès du fait de la coagulation du sang avant son introduction dans l'organisme du patient. Pendant longtemps, les transfusions sanguines furent considérées comme des pratiques risquées puisque moins de la moitié des receveurs y survivaient. L'on ignorait pourquoi il en était ainsi. Travail de pionnier et solution de l'énigme Ce n'est qu'au début du XXe siècle que la découverte des groupes sanguins par Karl Landsteiner permit de comprendre la raison de ces échecs. Le médecin viennois démontra en 1901 qu'il existait différents groupes sanguins et définit, huit ans plus tard, le classement A, B, O et AB encore utilisé auwww.expatria-cum-patria.ch

Nécessité d’expérimenter oblige, on a transfusé du sang animal à l’être humain.

Karl Landsteiner, lauréat du prix Nobel de médecine en 1930.

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Aujourd’hui, seul du matériel stérile à usage unique est utilisé pour les prélèvements.

jourd'hui, ce qui lui valut le Prix Nobel de médecine en 1930. Sa carrière de chercheur n'avait pourtant pas encore atteint son apogée. Ses hypothèses sur la nature des antigènes et des anticorps posèrent les fondements théoriques de la vaccination contre la poliomyélite et, en 1940, il découvrit, avec d'autres savants, le facteur Rhésus. Ces percées scientifiques contribuèrent à améliorer la sécurité des transfusions sanguines et ouvrirent la voie à une nouvelle

Depuis les années 1950, les produits sanguins sont conservés dans des poches en plastique.

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discipline, l'immunohématologie. En 1914, la découverte que le citrate de sodium empêchait le sang de coaguler à l'extérieur du corps marqua une avancée dans la conservation du précieux fluide. L'année suivante, on assista à la première transfusion réussie de sang conditionné dans des flacons de verre. Et en 1921, le premier service de transfusion sanguine fut fondé à Londres grâce à la contribution de donneurs volontaires et non rémunérés et au rôle pionnier de la Croix-Rouge. La division Chamberville de la Croix-Rouge britannique à Londres reçut un appel du King's College Hospital, qui recherchait urgemment une personne disposée à donner son sang à un patient gravement malade. Percy Oliver, secrétaire bénévole de la division, et six autres collaborateurs offrirent spontanément leur concours. L'un d'eux était heureusement du bon groupe sanguin. Afin de mieux anticiper de tels cas de figure à l'avenir, Percy Oliver fonda le premier service de transfusion sanguine et y fixa déjà alors la condition que le don de sang devait se faire sur une base volontaire et ne pouvait être rémunéré. Mythes et médecine Des transfusions sanguines furent réalisées pour la première fois à large échelle durant la guerre civile espagnole et la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1950, le flacon en verre fut remplacé par la poche en plastique, récipient encore utilisé actuellement et qui présente de nombreux avantages. Le sang conservé peut, depuis lors, être fractionné en ses différentes composantes dans des conditions stériles. Ainsi, le donneur a l'assurance que sa contribution sera utilisée au mieux, puisqu'une unité de sang total permet de générer maints produits de grande valeur thérapeutique et donc d'aider plusieurs patients. Les transfusions sanguines sont considérées aujourd 'hui comme sûres et sauvent quotidiennement des vies humaines. Ce qui n'empêche pas les mythes de continuer à hanter l'imaginaire contemporain, loin de toute réalité scientifique. Les vampires assoiffés de sang font grimper les ventes de livres, remplissent les salles de cinéma et s'érigent en héros dans les séries télévisées. Le sang n'en a décidément pas fini de fasciner et d'inspirer tant les conteurs que les scientifiques. N TANIA PAULI


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Humanitaire

Uncadeaupourlavie CHAQUE JOUR, DES MALADES ET DES ACCIDENTÉS ONT BESOIN D’UNE TRANSFUSION SANGUINE. LEUR SURVIE DÉPEND DE LA DISPOSITION D’AUTRES PERSONNES À DONNER DE LEUR SANG DE FAÇON VOLONTAIRE ET NON RÉMUNÉRÉE. LE SERVICE DE TRANSFUSION SANGUINE DE LA CROIX-ROUGE SUISSE (CRS) VEILLE À UN APPROVISIONNEMENT SUFFISANT ET SÛR EN PRODUITS SANGUINS.

Simone R. a eu besoin d’une transfusion après la naissance de son enfant.

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Une opération cardiaque requiert trois à cinq unités de sang. En cas de polytraumatisme compliqué, cette quantité peut être plus que décuplée.

www.expatria-cum-patria.ch

a naissance de mon premier enfant a été suivie de complications : du fait d'adhérences à la paroi utérine, le placenta ne pouvait être expulsé. A l'hôpital, comme les efforts de la sage-femme pour provoquer son décollement restaient vains, j'ai été transportée au bloc opératoire et mise sous anesthésie générale. A ce moment-là, j'avais déjà perdu beaucoup de sang. Aussi m'a-t-on transfusé deux culots globulaires. » C'est par ces mots que Simone R., une Bernoise de 28 ans, résume ce qu'elle a vécu à l'été 2006. Même si, aujourd'hui, mère et enfant se portent bien, le stress consécutif à cet accouchement laisse un souvenir durable.

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d'entre eux, il en faut parfois plus : une opération cardiaque requiert ainsi généralement trois à cinq unités, et jusqu'à 60, voire davantage, peuvent être administrées lors de polytraumatisme compliqué. La mission première du Service de transfusion sanguine CRS consiste à approvisionner en permanence les hôpitaux en produits sanguins de façon à ce que les établissements puissent faire face à de telles urgences. Le sang est une matière tellement complexe qu'on ne sait toujours pas le fabriquer artificiellement. Toute personne bien portante, âgée de 18 à 65 ans et satisfaisant aux critères d'aptitude, peut donner de son sang.

1200 prélèvements de sang nécessaires chaque jour Simone R. est loin d'être un cas isolé. Pas moins de 1200 culots globulaires sont nécessaires chaque jour pour secourir des malades et des accidentés, dont la survie dépend souvent d'une transfusion. Si un ou deux culots suffisent à la plupart

Dix minutes sans douleur Le don du sang est moins contraignant qu'on ne le pense souvent. L'acte lui-même dure dix minutes. Si l'on y ajoute la préparation, le repos suivant le prélèvement et la collation, le donneur doit prévoir en tout quelque 45 minutes. Le don du sang n'est pas non plus douloureux. La petite piqûre dans la

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Humanitaire Indolore, le prélèvement lui-même ne dure que dix minutes. veine est à peine perceptible et le prélèvement de près d'un demi-litre est indolore.

La high-tech au service du dépistage.

Recueil d’échantillons en laboratoire.

À propos

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Dans le monde entier, seul le don volontaire et non rémunéré est admis à la Croix-Rouge.

Cellules souches hématopoïétiques, un don particulier En Suisse, 800 nouveaux cas de leucémie sont diagnostiqués chaque année. Le seul espoir des malades repose souvent sur une greffe de cellules souches hématopoïétiques. Or, pour qu'ils puissent en bénéficier, un donneur compatible doit être identifié dans un registre mondial. En Suisse, la gestion du registre national incombe au Service de transfusion sanguine CRS et à ses antennes régionales. La détermination du groupe tissulaire se fait en laboratoire au moyen d'un procédé complexe et coûteux. La Fondation suisse Cellules souches du sang fait appel à la générosité du public pour financer cette opération, dont le coût atteint 300 CHF par échantillon. Sa certification par la ZEWO est le gage d'une affectation consciencieuse des dons recueillis.

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Que se passe-t-il après le prélèvement ? Les transfusions de sang total sont devenues rares. En principe, le patient ne reçoit que les composantes du sang dont il a urgemment besoin du fait de son état ou de sa maladie. Grâce à des opérations de centrifugation ou de filtration, différents produits peuvent être obtenus à partir du sang prélevé : concentré globulaire, plaquettes et plasma. Les globules blancs, auxquels se lient souvent des agents infectieux, sont détruits. La transfusion comportant un risque de transmission de maladies graves, une recherche de pathogènes tels que VIH, VHB, VHC, etc. est simultanément effectuée sur chaque prélèvement. Qui reçoit le sang d'un autre peut avoir l'assurance que toutes les mesures ont été prises pour éliminer ce risque infectieux. À cet égard, le donneur est investi d'une grande responsabilité : malgré l'existence de tests de dépistage ultra-sensibles, le VIH par exemple ne peut être décelé que dans un délai de 14 jours après l'infection. Aussi, les candidats au don doivent-ils fournir des réponses fiables à toutes les questions qui leur sont posées. Pourquoi le don du sang n'est-il pas rémunéré ? Le principe de la non-rémunération s'inscrit dans l'intérêt des donneurs comme dans celui des receveurs. Des études internationales montrent qu'il est l'un des meilleurs gages de l'innocuité du sang. Si son geste n'est pas dicté par l'appât d'un gain financier, le candidat au don est plus susceptible de remplir le questionnaire en toute bonne foi. Il ne serait pas non plus défendable du point de vue éthique que des publics en proie à la précarité recourent au don du sang comme à un moyen de se sortir d'une mauvaise passe financière. Dans un souci de sécurité également, il importe que la démarche soit volontaire : une personne qui se sent contrainte - ne seraitce qu'indirectement, par exemple sous la pression de ses collègues de travail - à donner de son sang est moins encline à déclarer un comportement à risque. Aussi, tous les Services de transfusion sanguine de la Croix-Rouge appliquent-ils le principe du don volontaire et non rémunéré. N BEAT VON BURG - PHOTOS : MICHAEL STAHL


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Ungestederoutine, pourtantpeuanodin C’EST UN GESTE PRATIQUÉ MAINTES FOIS CHAQUE JOUR DANS LA PLUPART DES HÔPITAUX - ET PLUS D’UN MILLIER DE FOIS QUOTIDIENNEMENT DANS TOUTE LA SUISSE : DANS LE CADRE DE LA PRISE EN CHARGE D’UNE MALADIE OU D’UN ACCIDENT, UN MÉDECIN DÉCIDE D’ADMINISTRER UN PRODUIT SANGUIN AU PATIENT, QUI REÇOIT AINSI LE SANG D’UN AUTRE.


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Humanitaire

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Chaque unité provient d’une personne qui a donné son sang de façon volontaire et non rémunérée.

L’administration de produits sanguins, un geste de routine à l’hôpital.

L’histoire du patient est aussi spécifique que celle de chaque don de sang.

ne pratique ancrée de longue date dans le quotidien hospitalier qui n'a rien de sensationnel ni n'occasionne de problèmes majeurs. Bien sûr, il faut veiller à la compatibilité des groupes sanguins et au facteur Rhésus. Bien sûr, les produits sanguins doivent être soumis à toute une batterie de tests de dépistage. Pourtant, la transfusion est un geste de routine, au même titre que la réfection d'un pansement ou l'administration d'un médicament. Pourquoi alors consacrer du temps et une réflexion à une pratique aussi banale ? Parce qu'il n'empêche qu'elle ne va pas de soi. Parce qu'entre la décision de recourir à une transfusion et sa mise en œuvre, nombre de conditions en amont doivent être réunies. D'abord, ce geste constitue un défi logistique pour le Service de transfusion sanguine de la CRS : d'une part, les produits sanguins ont une durée de vie limitée et, de l'autre, la décision de pratiquer une transfusion intervient souvent dans l'urgence. Il arrive qu'un même patient ait besoin à très court terme

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de dix poches de sang ou plus - un accidenté grave jusqu'à 50 ! Mais, plus important encore, le sang n'est pas un produit au sens habituel du terme : il n'est pas disponible dans les rayons de magasins spécialisés. A l'origine de chaque poche de sang administrée à un patient, il y a une démarche : celle d'une personne qui a donné une partie d'elle-même de façon volontaire et non rémunérée. A l'origine de chacune de ces poches de sang, il y a une personne qui a pensé à d'autres qu'à elle-même, qui a servi d'autres intérêts que les siens propres. Une personne solidaire des malades et des accidentés. Un donneur conscient de l'importance vitale d'un geste irremplaçable. Car, à ce jour, le précieux liquide ne peut être fabriqué artificiellement. Aussi, pour banal que soit le recours à la transfusion et pour nombreuses que soient les ressources de la médecine de pointe, n'est-il pas inutile de rappeler ces quelques faits essentiels. N

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Pr Andreas Tobler DEPUIS 2003 DIRECTEUR MÉDICAL ET SUPPLÉANT DU PRÉSIDENT DE LA DIRECTION DE L’HÔPITAL DE L’ÎLE/HÔPITAL UNIVERSITAIRE DE BERNE, IL EST EN OUTRE PROFESSEUR ORDINAIRE DE MÉDECINE INTERNE SPÉCIALISÉ EN HÉMATOLOGIE À LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE L’UNIVERSITÉ DE BERNE, DONT IL EST MEMBRE DE LA DIRECTION.


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NeufFrançaissurdix concernéspardes problèmes depeau* *LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN PRÈS DE 9 FRANÇAIS SUR 10 ONT EU UN PROBLÈME DE PEAU DANS LES 24 DERNIERS MOIS, AVEC UN IMPACT MAJEUR SUR LA QUALITÉ DE VIE POUR 50% D’ENTRE EUX, QU’IL S’AGISSE D’UNE GÊNE IMPORTANTE OU PERMANENTE.

www.expatria-cum-patria.ch

gênantes est fortement remise en cause par cette enquête qui montre bien l’importance du coût social et du retentissement psychique engendrés par ces dermatologiques qui gagnent du terrain, que ce soit dans les pays pauvres ou dans les pays riches », a conclu le Pr Louis Dubertret. La peau est un organe complexe, c’est une enveloppe de recouvrement qui protège l’individu. Elle est indispensable à la vie comme en témoigne par exemple la mort des grands brûlés. LA PEAU, CETTE INCONNUE La peau a un rôle de perception Elle est le siège de terminaisons nerveuses directes qui ressentent le froid, la chaleur, le tact, la douleur, le prurit. La peau a un rôle de défense Elle nous protège de toutes les atteintes nuisibles du milieu extérieur. Ce rôle de parapluie est assuré principalement par la couche cornée bien qu’elle soit constituée seulement de cellules mortes. Elle nous protège contre les rayons solaires Ainsi, le vacancier qui, en moyenne, ne peut au début supporter le soleil que pendant quelques dizaines de minutes peut, quelques jours après, Jean Jacques rester toute la journée sur la plage. Descamps La peau nous protège contre tous les PHYTOTHÉRAPEUTE traumatismes THERMALP LES BAINS Grâce à l’élasticité du tissu graisseux. D'OVRONNAZ La peau joue un rôle d’élimination 1911 OVRONNAZ Par la sueur, le sébum, les poils et les cellules SUISSE TÉL. : qui desquament la peau. Elle élimine de nom00 41 27/ 305 11 27 breuses substances. FAX : La peau joue un rôle d’échange thermique 00 41 27/ 305 11 95 La peau est un organe privilégié des allergies et MOBILE : plus particulièrement de l’eczéma. 00 41 79/ 301 01 34

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jjdescamps@thermalp.ch

Arrêts de travail Sur les 18 000 personnes ayant renvoyé le questionnaire, 87% ont déclaré avoir souffert d’un problème dermatologique depuis leur naissance et 43% dans les vingt-quatre derniers mois. Les pathologies les plus fréquemment invoquées sont l’acné (25% des personnes interrogées) suivie par l’herpès (19%), les verrues (19%), les mycoses (18,5%) et l’eczéma (18%), dont la fréquence chez les enfants est impressionnante. Viennent ensuite le psoriasis, allégué par 8,3% des individus, alors qu’il est habituellement considéré comme touchant de 2 à 5% de la population, l’allergie aux médicaments, mentionnée dans 7,6% des cas, et l’érysipèle (0,8%). Certains des résultats de l’enquête sont parfois surprenants et remettent en question des idées reçues, a commenté le Pr Jean Revuz (hôpital Henri-Mondor, de Créteil), lors de la conférence de presse : l’acné, notamment, n’est pas réservée aux adolescents, puisque 20% des femmes et près de 14% des hommes de 35 à 54 ans déclarent en souffrir. De même, l’herpès est beaucoup plus fréquent qu’on ne pourrait le croire et augmente avec l’âge : plus du quart de la population adulte y est confronté. Egalement en constante augmentation, le psoriasis, très invalidant dans ses formes les plus sévères : sa fréquence augmente significativement avec l’âge, pour atteindre 21% des hommes et 10% des femmes de 75 ans et plus. « L’idée selon laquelle les “maladies de peau” ne sont pas graves et pas


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Santé prévention

Cadeaux ! Nous proposons d’offrir aux 20 (vingt) premières personnes qui téléphoneront au 021 626 04 41 un paquet de 100 grammes de rhizomre bio en provenance du Jardin de Jacky.

UNE PEAU SANS PROBLEMES GRACE AUX PLANTES ET AUX PRODUITS DE LA RUCHE Deux fois par an, pendant dix jours, boire un litre de décoction que vous préparerez de la façon suivante : • Rajouter dans un litre d’eau froide trois pincées de rhizome de chiendent bio • Faire cuire pendant trois minutes • Filtrer • Rajouter dans ce litre de décoction • 30 gouttes d’actiplante de bardane • 30 gouttes d’actiplante de propolis • 30 gouttes d’actilplante d’ortie • Boire chaud ou froid durant la journée Un traitement d’entretien une fois tous les dix jours est recommandé et souhaitable. En usage externe, l’huile d’argan 100% pure et bio (certifiée écocert) est, sans conteste, le meilleur produit et le plus économique. “La Bourrache peut dire et c’est la vérité Je soulage le cœur j’enfante la gaité” Cette plante, originaire de Syrie, offre une riche gamme d’utilisation, puisqu’on utilise ses feuilles, ses fleurs et sa tige, et que l’huile de bourrache compte parmi les plus prestigieuses pour notre santé. Le mot bourrache est tiré du mot arabe “abou rach”. Bien qu’elle soit originaire d’Asie mineure, elle est répandue en Afrique du Nord (surtout au Maroc) et en Europe centrale. L’huile de bourrache est riche en acide gras-linolénique. Les acides gras existent, certes, dans la plupart des huiles végétales, telles que les huiles de tournesol, de soja, de sésame carthame. Toutefois, la bourrache est la seule plante qui contient autant d’acides gamma-linoléniques. Si notre organisme sait parfaitement fabriquer des corps gras à partir des hydrates de carbone, il ne sait, en revanche, pas constituer des acides gras essentiels. Notre alimentation quotidienne devrait fournir à notre organisme les acides linoléniques et les acides alpha-linoléniques. Seulement voilà, en avons-nous assez ? Il est un fait que nos ancêtres avaient moins de maladies cardio-vasculaires et ne connaissaient pratiquement pas les polyarthrites. En

fait, les graisses jouent trois rôles éminents : • Elles fournissent de l’énergie. • Elles entrent dans la constitution des membranes cellulaires. • Elles sont des messages cellulaires contrôlant non seulement les réactions chimiques, la division cellulaire, l’hémostase, la pression artérielle, mais encore les réactions immunitaires et inflammatoires. C’est dire leur importance et c’est aussi prendre conscience combien cet apport est indispensable. L’huile de bourrache empêche l’encrassement de l’organisme. Elle empêche aussi que le cholestérol et les triglycérides se déposent sur les parois des artères ou sur les coronaires. Les propriétés de l’acide gamma-linolénique contenu dans l’huile de Bourrache, ses principales indications thérapeutiques : Phlébologie : Phlébite, artérite des membres inférieurs, hémorroïdes, varices, mauvaise circulation, gerçures, engelures, maladie de Raynaud. Cardiologie : Angine de poitrine, infarctus, cœur sénile. Gynécologie : L’huile de Bourrache réussit très bien dans le traitement de la plupart des troubles menstruels. L’indication majeure est le syndrome prémenstruel : Règles douloureuses, jambes lourdes, seins gonflés et douloureux, nervosité extrême, peau sèche, douleurs au bas du ventre. L’huile de Bourrache est efficace également dans les règles irrégulières, trop courtes ou trop longues et même dans les aménorrhées. Dermatologie : Plusieurs expériences cliniques réalisées en France (Montpellier et Toulouse) ont démontré les fantastiques propriétés de l’acide gamma-linolénique dans le traitement de l’eczéma. L’huile de Bourrache apparaît comme une thérapeutique privilégiée dans le traitement des peaux sèches, et des peaux dévitalisées. Elle est également le plus efficace antirides connu à ce jour. Système nerveux : Angoisse, stress, spasmophilie, insomnies, tachycardie, ulcère, gastrite, colite. Impuissance mascuRamassage des rhizomes de line : Il est bon de rapchiendent bio au Jardin de Jacky peler que tout le (www.lejardindejacky.ch). Les système hormonal propriétés dépuratives du rhizome de masculin est en relachiendent bio sont incontestables. tion directe avec le Nous en avons longuement parlé métabolisme des lidans un numéro précédent de France pides et des acides Magazine. La fiche technique est gras essentiels. La disponible gratuitement sur simple testostérone, pour ne demande à : citer que cette horjjdescamps@thermalp.ch mone, est un métabolite lipidique. N

Posologie recommandée Une cure d’un mois deux fois par an à raison d’une gélule midi et soir puis continuer une gélule tous les matins en traitement d’entretien. Pas de contre-indications connues.

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Dudéveloppement Mode d’emploi par l’immatériel durable verslavaleurdurable n périmètre d’interférences fortes existe dans l’entreprise entre les domaines du développement durable et du capital immatériel. Le premier repose globalement sur trois grands piliers : économique, social et environnemental. Le second se fonde sur trois composantes largement proches: le capital structurel interne, le capital humain et le capital relationnel externe. La connexité s’établit aussi au travers d’une finalité commune de durabilité. Car une stratégie de l’immatériel1 s’inscrit très clairement dans une combinaison appropriée d’actifs incorporels au service d’un modèle entrepreneurial équilibré qui se veut délivrer de la croissance, de la performance et de la valeur sur le court et long terme.

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Intégrer l’entreprise dans l’environnement Dans l’économie du XXIe siècle, les sociétés évoluent de façon croissante dans un “open business model”, où leur valeur se construit pour beaucoup à l’extérieur, car en forte interdépendance avec les parties prenantes de leur écosystème. Les “consomm-acteurs”, de plus en plus pro actifs, n’achètent plus uniquement des produits ou services mais des solutions complexes à des besoins fortement immatériels car passés de l’“avoir plus” au “vivre mieux et autrement”. Pour satisfaire une relation nécessairement de confiance, voire d’intimité avec l’entreprise, les clients exigent désormais des valeurs au-delà des marques. Actifs stratégiques essentiels dans cet échange, notoriété, image, réputation de l’entreprise évoluent en temps réel dans les réseaux sociaux, prowww.expatria-cum-patria.ch

Actifs stratégiques essentiels dans cet échange, notoriété, image, réputation de l’entreprise évoluent en temps réel dans les réseaux sociaux, professionnels et des communautés virtuelles multiples du niveau le plus global au plus local.

” FRANCEMAGAZINE N°33 18 ÉTÉ 2011

fessionnels et des communautés virtuelles multiples du niveau le plus global (marchés financiers) au plus local (hub de consommateurs sur des “niches”). Dès lors, l’enjeu consiste à mettre en place une dynamique des comportements professionnels des équipes en ligne avec la stratégie de développement et porteurs des valeurs de l’entreprise, aptes à construire avec ces cercles environnementaux une relation active et pérenne, génératrice d’attractivité, et donc créatrice de valeur : les valeurs créent la valeur. Transformer ainsi le capital humain en facteur de croissance et de compétitivité suppose une posture des acteurs économiques acceptant que le pouvoir ne soit plus dans l’avoir mais dans le partage. Dans les années à venir, l’innovation, diversifiée de façon croissante dans des territoires non technologiques d’usage pour répondre à ces besoins immatériels, devra être recherchée autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise. Cela signifie opérationnellement que les entreprises et les clients créent l’offre ensemble et s’enrichissent ainsi mutuellement : le partage crée la valeur. C’est particulièrement efficace dans le domaine des services : capter l’innovation externe favorise un relationnel durable et fidélisant, avantage compétitif exceptionnel à l’heure où clients et partenaires peuvent être extrêmement volatils. Au sein des organisations, il s’agit de favoriser l’ingénierie de collaboration et les plateformes d’intelligence collective par projets pour partager les connaissances, les savoir-faire, les bonnes pratiques, également facteurs de développement de l’innovation interne. Ce partage devrait aussi être financier. Ne faut-il pas


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Conjoncture

réfléchir à des systèmes de motivation et de rémunération comprenant une part variable assise sur des critères de performances extra financiers traduisant une contribution à la création de valeur durable ?

fiques dans les tableaux de bord de gestion), risk management (car il existe aussi des passifs immatériels !). Intégrer la communication de l’entreprise ?

Intégrer l’environnement dans l’entreprise

Au-delà du savoir-faire, les salariés dans leur savoir-être seront les générateurs de valeur de l’entreprise, en développant un actif majeur : la confiance des partenaires opérationnels ou financiers..

1

Voir France Magazine du n° 27 au n° 30 « Actifs immatériels, leviers de croissance – 35 propositions pour une valeur durable » - Commission GPS Innovation & Immatériel, co présidée par l’auteur / Tribune Sciences Po de l’immatériel (disponible sur easybourse.com), dirigée par l’auteur.

maandrieux@deloitte.fr

Par quelles pratiques opérationnelles intégrer les parties prenantes dans la stratégie de management ? La valeur de l’entreprise se construit avec des partenaires très variés qui n’ont pas forcément le même impact sur l’entreprise ou le même niveau de légitimité. Chaque entreprise doit dès lors cartographier et hiérarchiser ses parties prenantes en évaluant leur importance relative pour la mise en œuvre des objectifs stratégiques. Il s’agit ensuite d’analyser, avec des critères adaptés, la nature de ces interrelations et leur impact sur la performance de l’entreprise. C’est ce que nous appelons le management des parties prenantes. L’enjeu pour l’entreprise est ensuite de valoriser ce capital relationnel, à la fois dans le temps et dans l’espace car ces interactions se font dans des durées diverses et à tous les niveaux de l’organisation : c’est le management par les parties prenantes. Ce plan d’action sera un levier de valorisation des autres actifs immatériels, notamment le capital humain. Cela passe par exemple par des mesures de sensibilisation et de formation des salariés au relationnel avec les parties prenantes (en tout premier lieu, les clients et les fournisseurs). Au-delà du savoir-faire, les salariés dans leur savoir-être seront les générateurs de valeur de l’entreprise, en développant un actif majeur : la confiance des partenaires opérationnels ou financiers. Les actifs immatériels, en tant que leviers de développement durable, doivent être intégrés dans la gouvernance institutionnelle et opérationnelle. Ils doivent ainsi s’inscrire dans l’agenda du conseil d’administration et de ses comités, tout particulièrement quant aux débats sur les opérations stratégiques de croissance interne (grands projets) et externe (fusions, acquisitions, alliances). Ils devraient devenir un des facteurs décisionnels connu et reconnu dans le management de l’entreprise : politique d’investissements et de financement (allocation optimale entre matériel et immatériel), analyse de performance (indicateurs extra financiers spéci-

In fine, la démarche doit également trouver place dans la communication externe. Mais attention : on ne parle pas ici de l’information à caractère comptable qui obéit à des normes nationales et internationales. En harmonisant avec les publications existantes sur le développement durable, il s’agit plutôt d’enrichir la communication financière et extra financière d’indicateurs susceptibles de convaincre les marchés de valoriser cette stratégie de développement durable par l’immatériel. Des référentiels existent déjà au niveau européen (Rapport Meritum ou Ricardis par exemple) ou français : le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables a ainsi pris l’initiative de diffuser un tableau de bord de l’immatériel de la PME2. Bien entendu, cette communication doit rester sélective pour respecter le secret des affaires et s’inscrit à terme dans la perspective d’un “integrated reporting3” ou du “one report” visant à donner une image globale de la performance de l’entreprise financière et non financière. C’est ainsi que le supplément de croissance, mais de croissance durable, imposé par l’après-crise comme les enjeux à venir, trouvera sa source dans une compétitivité qualitative par l’immatériel. N

2

Disponible sur son site csoec@cs.experts-comptables.org. Pour qualifier les trois piliers du capital immatériel, il recense douze critères d’analyse mesurés par une quarantaine d’indicateurs, dont l’applicabilité varie suivant la taille de l’entreprise. 3

Cf. les travaux en cours de l’IIRC (International Integrated Reporting Committee).

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Marie-Ange Andrieux DIRECTEUR DES PARTENARIATS DELOITTE, CO PRÉSIDENT DE LA COMMISSION GPS INNOVATION ET IMMATÉRIEL


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Radioscopie La rubrique des Français de Suisse et d’ailleurs

e Royaume séduit des catégories de population très diversifiées. Les retraités, bien sûr, séduits par la douceur de vivre et un coût de la vie inférieur à celui de la France. Mais également les hommes d’affaires et les investisseurs. Près de cinq cents entreprises françaises, actives dans tous les domaines d’activité – agroalimentaire, pharmaceutique, bancaire, assurances, environnement et énergie, tourisme, télécommunications, équipements électriques et électroniques, textile – ont ainsi franchi le détroit de Gibraltar. Les investisseurs en quête de placements immobiliers ont également découvert des biens attractifs bénéficiant d'une importante demande en location saisonnière. De nombreux particuliers s’installent également chaque année dans le Royaume chérifien… juste pour changer d’air. Infatigable voyageur, Denis a vécu sur plusieurs continents. En Afrique, essentiellement, mais pas seulement. De l’Amérique à l’Asie, cet éditeur, installé depuis 6 ans à Casablanca a mené une vie aussi originale que cosmopolite. Une rencontre enrichissante à l’occasion du Salon international du livre et de la presse de Genève qui s’est tenu du 29 avril au 3 mai 2011.

L

> Joanna David-Mangin : Qu'est ce qui vous a poussé à partir travailler au Maroc ? Denis : J’ai attrapé le virus du Globe-trotter à la naissance… et je n’ai jamais trouvé de remède ! Je voyage depuis toujours et j’ai vécu dans de nombreux pays, notamment en Afrique. Il y a 6 ans, alors que je vivais en France depuis plus de 15 ans, j’ai décidé de repartir. Et de troquer le stress de la vie parisienne, les charges trop lourdes et l’hiver trop long contre le soleil de Casablanca et la dilettante de ses habitants. Le déménagement s’est fait très vite et je n’ai eu aucune difficulté à m’installer. Par ailleurs, j’ai la chance de travailler dans l’édition et de pouvoir exercer mon métier dans toute la Francophonie. > JDM : Encourageriez-vous les Français à suivre votre exemple et quels conseils leur donneriez-vous ? D : Venez sans hésitation ! L’expérience est extrêmement enrichissante. Par ailleurs, les Français sont très bien accueillis au Maroc et le travail ne manque pas. Les salaires ne sont évidemment pas les mêmes qu’en www.expatria-cum-patria.ch

Expatriacumpatria ou

Rencontre avecun éditeurbourlingueur SELON LES STATISTIQUES DE LA MAISON DES FRANÇAIS DE L’ÉTRANGER, 41 129 FRANÇAIS ÉTAIENT ENREGISTRÉS AUPRÈS DES CONSULATS FRANÇAIS AU MAROC AU 31 DÉCEMBRE 2010. IL S’AGIT DE LA COMMUNAUTÉ ÉTRANGÈRE LA PLUS IMPORTANTE DU PAYS, AVANT CELLE DES ESPAGNOLS.

France mais le coût de la vie est également inférieur à celui que nous connaissons dans l’Hexagone. Les loyers sont aussi beaucoup moins chers qu’en France et il n’est pas rare de pouvoir louer un grand appartement dans un quartier agréable pour un montant raisonnable. De plus, Casablanca n’est qu’à trois heures de vol de Paris et l’essor des compagnies low cost a rapproché encore un peu plus les deux métropoles. Je rentre régulièrement en France pour voir ma famille, mes amis et flâner dans les rues parisiennes. Un mode de vie beaucoup plus simple qu’il n’y paraît. Il suffit de s’en donner les moyens !

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La mosquée Hassan II à Casablanca.


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La rubrique des Français de Suisse et d’ailleurs

Radioscopie

pour nous. Dans les régions anciennement sous protectorat espagnol (le Maroc a été entre 1912 et 1956 placé sous un double protectorat français et espagnol, ndlr), notamment le Rif et le Sahara occidental, l’espagnol est utilisé comme langue de communication. Casa centralise l’ensemble des activités économiques du pays, les commerces sont nombreux et il y a beaucoup d’épiceries en tous genres. La vie de quartier est très importante. Certes, c’est un peu bruyant, le klaxon n’est pas interdit et les Casablancais s’en donnent à cœur à joie. Dépaysement garanti… mais c’est pour cela aussi qu’on s’expatrie. Quant à l’offre culturelle, elle est certes moins importante qu’à Paris, mais on apprend à vivre autrement. Pour les accros, l’Institut français de Casablanca et sa médiathèque organisent toute l’année des expositions, des animations, des concours et des conférences. Personnellement, je fréquente peu les expatriés et entre l’Océan à quelques enjambées, le soleil toujours au rendez-vous et la douceur de vivre, mon quotidien est très agréable !

> JDM : Quelles sont les différences culturelles avec la France et comment les vivez-vous ? D : À Casablanca, tout le monde parle français, même si l'arabe classique est la langue officielle du Royaume. Les Marocains parlent quotidiennement l'arabe dialectal et le berbère, mais on compte environ 40% de francophones dans tous le pays ; une chance

joanna.david.mangin@gmail.com

En ce qui concerne les formalités administratives, la carte de séjour est obligatoire pour travailler au Maroc – même si les Marocains sont, dans ce domaine, plus tolérants que les Français.

> JDM : Quels sont les produits français qui vous manquent le plus ? D : Les rayons sont bien fournis et on trouve tous les produits, des petites marques au grand luxe. En revanche, les produits français sont chers et un bon camembert coûte environ 6 euros, ce qui représente une somme importante pour le Maroc. Un comble pour une personne qui a passé son adolescence en Normandie ! N

Cette rubrique est la vôtre Vous êtes expatrié et souhaitez partager votre expérience ? Envoyez-nous vos témoignages et vous serez peut-être sélectionnés par notre équipe pour apparaître dans notre rubrique... Bienvenue chez vous ! Radioscopie.francemagazine@gmail.com

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Joanna David-Mangin


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Infos brèves et utiles Renouvellement des certificats de vie

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es élus de l’AFE ont interrogé M. Pierre Mayeur, Directeur juridique de la CNAV (Caisse nationale d'assurance vieillesse) sur le point de savoir comment palier les difficultés rencontrées par les retraités français à l'étranger pour les « renouvellement des certificats de vie ». Ils souhaitaient savoir si une déclaration sur l'honneur, contresignée par l'élu de la circonscription consulaire, pourrait constituer une certification officielle. M. Mayeur a précisé es que lorsque les prestations sont versées à l'étranger, les orgaFrançais nismes doivent demander des pièces pour justifier la réside l’étranger dence et l'existence de l'assuré de nationalité française ou forment un groupe important au sein de non, lors du premier paiement, ainsi que d'une attestala communauté nationale, avec quelque tion d'existence pendant toute la durée du versement de 2 400 000 expatriés sur les 5 continents, dont la retraite. une majorité de doubles nationaux. Cette populaCette attestation doit être authentifiée par l'autorité tion est équivalente à celle des Bouches-du-Rhône compétente du pays de résidence. Les administrations et à celle des départements d’Outre-Mer. qui doivent vérifier le maintien en vie des usagés pour L’Assemblée des Français de l’étranger, créée en le versement de la pension sont invités à leur deman1948, en est l’institution représentative. Elle permet der une déclaration sur l'honneur sans distinction de à nos compatriotes de faire entendre leur voix malnationalité. Une déclaration sur l'honneur contresigré l’éloignement. Les Conseillers de l’AFE, que gnée par un membre de l'AFE ne semble pas pouvoir vous élisez tous les 6 ans dans nos postes être retenue. En effet, les élus de l'AFE doivent se consulaires et diplomatiques, au suffrage conformer aux règles auxquelles les autorités consuuniversel direct, vous représentent aulaires sont elles-mêmes soumises et celles-ci sont fonprès des pouvoirs publics français dées à refuser de légaliser les attestations d'existence. et défendent vos intérêts Les membres de l'AFE étant rattachés à une circonscription d’expatriés. consulaire, la contrainte liée à l'éloignement ne serait pas résolue. Le principe d'égalité des traitements applicable aux assurés en situation identique interdit d'accepter une déclaration sur l'honneur pour les Français, alors que les étrangers devraient produire une attestation d'existence. C'est le lieu de résidence du retraité, quelle que soit sa nationalité qui détermine si l'intéressé doit produire une attestation d'existence ou une déclaration sur l'honneur pour justifier de son existence. Une réflexion commune va être engagée entre la CNAV et Agirc/Arrco afin de déterminer les voies et moyens d'une mutualisation des contrôles d'existence.

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e Conseil des ministres a adopté un projet de loi relatif à l'élection des représentants au Parlement européen. Ce projet vient de rétablir le rétablissement de la participation aux élections européennes des Français de l'étranger, qui avait été abolie en 2003 avec la disparition de la circonscription nationale au profit des 8 circonscriptions “régionales”, la solution du gouvernement choisit le rattachement des Français établis hors de France à la circonscription Îlede-France, et rétablit la possibilité de voter dans les centres de vote à l'étranger, selon les mêmes modalités que pour l'élection présidentielle.

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Création d'un nouveau moyen de paiement : le prélèvement européen

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es banques françaises et/ou européennes ont mis en place définitive depuis le 1er novembre 2010 le prélèvement bancaire européen. Il s'agit d'un prélèvement en euros qui permet de régler vos factures régulières ou ponctuelles auprès d'un créancier (organisme ou société à qui vous devez de l'argent) français, mais également auprès d'un créancier de l'espace SEPA. Espace unique de paiements en euros qui permet d'effectuer des paiements facilement à l'intérieur de la zone euro. Un seul formulaire à remplir et à signer par le client. Vous pouvez négocier ce mode de paiement par prélèvement bancaire avec votre banque, et notamment dès l'ouverture de votre compte.

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Infos brèves et utiles L’Agirc et l’Arrco, retraite complémentaire

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L'Agirc (Association générale des institutions de retraite complémentaire des cadres) gère le régime de retraite complémentaire des cadres du secteur privé de l'industrie, du commerce, des services et de l'agriculture. Elle fédère l'ensemble des caisses de retraite Agirc. L'Arrco (Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés) gère le régime de retraite complémentaire de l'ensemble des salariés du secteur privé de l'industrie, du commerce, des services et de l'agriculture, cadres compris. Elle fédère l'ensemble des caisses de retraite Arrco. Plus d’informations : http://www.agirc-arrco.fr

CulturesFrance devient “Institut français”

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onformément à la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de la France, l'Institut français est en place depuis le 1er janvier 2011. Cette nouvelle structure accompagne la fusion des Centres Culturels français à l'étranger avec les services d'ambassade chargés de la coopération et de l'action culturelle pour former un réseau d'Instituts français. Cette agence est au service du réseau culturel français à l'étranger : Instituts français et Alliances françaises. Elle a pour mission de développer les échanges culturels internationaux, de promouvoir la création contemporaine, la langue, les idées et les savoirs français, ainsi que la coopération avec les pays du Sud. Sous la forme d'un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), ce nouvel opérateur se substitue à l'association Culturesfrance et répond à des missions élargies. Il dispose pour cela de moyens humains et financiers renforcés. Présidé par Xavier Darcos, ancien ministre, entouré de Sylviane Tarsot-Gillery, directrice générale déléguée, et de Laurence Auer, secrétaire générale, l'Institut français travaille en étroite relation avec le réseau culturel français à l'étranger constitué de plus de 150 Instituts français et près de 1 000 Alliances françaises dans le monde. Le processus de rattachement à l'Institut français des structures culturelles de treize missions diplomatiques est mené, depuis janvier, à titre expérimental : Cambodge, Chili, Danemark, Émirats Arabes Unis, Géorgie, Ghana, Grande-Bretagne, Inde, Koweït, Sénégal, Serbie, Singapour et Syrie. • PROMOTION DE L'ACTION CULTURELLE En créant l'Institut français, le gouvernement a en effet souhaité confier à une même agence la promotion de l'action culturelle extérieure de la France en matière d'échanges artistiques spectacle vivant, arts visuels, architecture -, de diffusion dans le monde du livre, du cinéma, de la langue française, des savoirs et des idées. À ce titre, il développe un nouveau programme de diffusion de la culture scientifique.

• ACCUEIL DES CULTURES ÉTRANGÈRES L'Institut français poursuit les missions d'accueil en France des cultures étrangères, à travers l'organisation de “saisons” ou festivals et de coopération avec les pays du sud, en assurant notamment la gestion du Fonds Sud cinéma, dispositif de soutien au cinéma du sud, en partenariat avec le Centre National du Cinéma et de l'image animée. Il développe un programme de résidences internationales en France comme à l'étranger. • MISSION DE FORMATION ET DE PROFESSIONNALISATION Il assure également de nouvelles missions de formation et professionnalisation des agents du réseau culturel français à l’étranger. Avec la création de l’Institut français, la France dispose d’un nouvel instrument au service de sa diplomatie d’influence. Plus d’informations sur le site internet : www.institutfrancais.com/

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“Aux

Marins”

La Pointe Saint-Mathieu, un site impressionnant.

Olivier Dupont, Officier de Marine de réserve, qui est le correspondant en Suisse de l'Association “Aux Marins”. Photo prise lors du départ du dernier Vendée Globe aux Sables d'Olonne. Il est en compagnie de Marie-Christine Caubet du SIRPA Marine (Service d’information et de relations publiques des Armées), alors que tous deux saluent Jean-Pierre Champion, président de la Fédération Française de Voile.

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ous avons eu l’occasion, dans notre précédent numéro (France Magazine n° 32), d’évoquer l’Association “Aux Marins”, qui assure le développement et le rayonnement du Mémorial aux marins morts pour la France, situé à la Pointe Saint-Mathieu, dans le Finistère. Pour des raisons techniques, une partie des illustrations n’avaient pu être publiées. Nous les livrons ici à nos lecteurs, en leur rappelant que ce lieu symbolique et émouvant mérite une visite, et que si l’un ou plusieurs d’entre eux détiennent ou recherchent des documents relatifs à des marins disparus en mission, au combat ou dans un naufrage, l’adresse de l’Association “Aux Marins” est : B.P.4, F-29217 Plougonvelin. Courriel : assauxmarins@orange.fr. Internet : www.auxmarins.com.

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L'Officier Général de la Marine Pierre Léaustic, président de l'Association “Aux Marins”. Photo prise lors d'une cérémonie du souvenir à la Pointe SaintMathieu.

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Le Cénotaphe des Marins.


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5 JUILLET 1911 5 JUILLET 2011

GeorgesPompidou auraiteu100ans LE 17 FÉVRIER 1969, À ROME, GEORGES POMPIDOU, LORS D’UN ENTRETIEN AVEC LA TÉLÉVISION SUISSE ROMANDE, RÉPONDAIT SUR LE FAIT DE SAVOIR S’IL PENSAIT AVOIR UN AVENIR POLITIQUE. SA RÉPONSE FUT LIMPIDE : « JE NE PENSE PAS AVOIR D’AVENIR POLITIQUE. J’AI UN PASSÉ POLITIQUE ; J’AURAI PEUTÊTRE UN JOUR, SI DIEU LE VEUT, UN DESTIN NATIONAL. » l ajoutait en réponse à une question du même ordre du correspondant de l’AFP : « Si le Général de Gaulle venait à se retirer, je me porterais candidat à sa succession (...). Ce n’est, je crois, un mystère pour personne. (...) mais je ne suis pas pressé. » Après l’échec du référendum d’avril 1969, le général de Gaulle mit fin à ses fonctions pré-

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sidentielles ipso facto. De nouvelles élections furent organisées. Le 29 avril 1969, Georges Pompidou fit acte de candidature. À part quelques gaullistes de gauche, l’ensemble des députés UDR lui apportèrent leur soutien. Valéry Giscard d’Estaing semble hésiter... Il encourage la candidature d’Antoine Pinay, peu enclin. Puis s’entretient avec Alain Poher (président par intérim), pour, finalement, apporter officiellement son appui le 30 avril à Georges Pompidou. Le 15 juin 1969, au second tour, Georges Pompidou est élu 19e Président de la République française avec 58,21 % des suffrages face à Alain Poher qui recueille 41,79 % des voix.


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Lors d’une conférence de presse à l’Élysée.

Le 20 juin, il entre en fonction et nomme son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas. Quel curieux destin ! Au moment où Georges Pompidou entre à l’Elysée, son père Léon Pompidou, né en 1887, instituteur, puis professeur d’espagnol, disparaît. Sa maman, Marie-Louise Chavagnac (1886-1945), était aussi institutrice. Fils d’enseignants, petit-fils de paysans cantaliens, il vit le jour à Montboudif, petit village du Cantal, le 5 juillet 1911. C’est l’exemple même de la promotion sociale due au mérite et aux brillantes études. Un premier prix de version grecque vient le

couronner au concours général en 1927. Baccalauréat au lycée Lapérouse d’Albi, classes préparatoires au lycée Pierre de Fermat à Toulouse, il se retrouve aux côtés de Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire au lycée Louis Le Grand à Paris. Reçu à Normal Sup en 1931, il devient agrégé de lettres, 3 années plus tard. Professeur à Marseille, au lycée Saint Charles, puis au lycée Henri IV à Paris, là il est chargé de classes de Lettres Supérieures et de préparation à l’Ecole Coloniale. Il épouse Claude Cahou le 29 octobre 1935. N’ayant pas d’enfant, Georges et Claude Pompidou adoptent leur fils Alain Pompidou, né le 5 avril 1942 à Paris. Ce dernier devint médecin spécialisé dans les maladies du sang. QUELQUES DATES

Avec Claude, son épouse, en vacances.

Sur le balcon du salon Doré, bureau du Président de la République, en 1970.

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À la Libération, il est chargé de mission pour l’éducation nationale au cabinet du Général de Gaulle. Il devient Maître de Requêtes au Conseil d’Etat et reste très proche du général après son départ, notamment en s’occupant de la fondation Anne de Gaulle. De 1954 à 1958, il entre à la banque Rothschild et en devient son Directeur Général de début 1959 à 1962. En 1958, il devient le directeur du cabinet du général de Gaulle, Président de la Ve République. Ce dernier l’invite à ses côtés dans la voiture présidentielle lors de son investiture. > Il est nommé Premier ministre le 14 avril 1962. Au cours de l’été 62, il présente sa démission au général pour obtenir la grâce du général Jouhaud, putchiste d’Alger, qui devait être fusillé après sa condamnation à mort. > Dissolution de l’Assemblée Nationale le 10 octobre 1962. > Gouvernement II Pompidou du 28 novembre 1962 au 8 janvier 1966. > Gouvernement III Pompidou du 8 janvier 1966 au 1er avril 1967. > Retrait de la France du Commandement intégré de l’OTAN en mars 1966 > Lancement du premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins le 29 mars 1967, le Redoutable. > Gouvernement IV Pompidou, du 6 avril 1967 au 10 juillet 1968. Le chômage compte 430 000 personnes et représente 2 % de la population active. Création de trois caisses à la gestion autonome, à l’exception d’une trésorerie unifiée

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ment : • CNAM - Caisse Nationale d’Assurance Maladie. • CNAV - Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse. • CNAF - Caisse Nationale des Allocations Familiales. > 11 mai 1968 : réouverture de la Sorbonne. > 27 mai 1968 : accords de Grenelle avec l’aide précieuse de son secrétaire d’Etat à l’Emploi, Jacques Chirac. > 23 & 30 mai 1968, l’UDR obtient la majorité absolue avec 294 sièges sur 485. La majorité présidentielle dispose de 367 députés pendant que de nombreuses personnalités sont battues, à l’instar de Pierre Mendès France. > Le 1er juillet, selon la Constitution, Georges Pompidou remet sa démission et celle de son gouvernement au Président de la République qui, dans un premier temps, la refuse. > Puis, le 10 juillet 1968, Georges Pompidou prend connaissance d’une missive que lui adresse le général de Gaulle, lui disant, en substance, accepter sa démission et qu’il devait « se sentir prêt à accomplir toute mission et assurer tout mandat qui pourrait un jour lui être confié par la Nation. » > Georges Pompidou est resté 6 ans et 3 mois à Matignon. C’est encore, à ce jour, le record absolu de longévité comme Premier ministre.

Entretien avec le Président Richard Nixon, en 1974.

Un Français parmi les Français. Georges Pompidou en campagne électorale.

Georges Pompidou et Jacques Chirac, lors de la négociation des Accords de Grenelle, en mai 1968.

L’ÈRE POMPIDOLIENNE DU 20 JUIN 1969 AU 2 AVRIL 1974 > 26 juin 1969 au 5 juillet 1972 : Gouvernement Jacques Chaban-Delmas et son programme “La Nouvelle société”. > 16 septembre 1969 : Loi sur la mensualisation et l’actionnariat ouvrier chez Renault. > Inauguration de la première ligne RER. > Abandon de la filière Graphite-Gaz pour la filière nucléaire. > 15 décembre 1969 : Création d’un centre d’Art Contemporain à Paris, le Centre Georges Pompidou. > 7 janvier 1970 : Loi instituant le SMIC. > 2 juillet 1970 : Création de l’Aérospatiale. > 9 novembre 1970 : Décès du Général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises. Georges Pompidou s’adresse au pays par ces mots : « Le Général de Gaulle est mort. La France est veuve. » > 23 juin 1971 : Les 6 Européens acceptent www.expatria-cum-patria.ch

l’adhésion à la CEE du Royaume-Uni. > 4 avril 1972 : Début des essais du TGV sur la ligne d’Alsace. > 23 avril 1972 : Référendum approuvant l’entrée dans la CEE du Danemark, de la Norvège, de l’Irlande et du Royaume-Uni

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Georges Pompidou et l’Empereur Haile Selassie, lors de sa visite en Éthiopie, en janvier 1973.


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Le Centre Georges Pompidou, le monument le plus visité de France.

tations économiques. Georges Pompidou inscrit sa présidence dans un renouveau de l’industrialisation et de la modernisation de ses structures, tout en restant soucieux de préserver les grands équilibres. Près de 40 ans après sa disparition, sa politique sociale restera marquée par la mensualisation des ouvriers et l’actionnariat des salariés. La crise politique et économique internationale provoquée par la Guerre du Kippour et la crise pétrolière qui s’en suivit auguraient de tous les maux qui ravagèrent l’occident par l’inflation, le chômage et les déficits de toute nature. Sa maladie et sa disparition brutale ne lui ont pas permis de perpétuer comme il le désirait la politique gaullienne d’indépendance souhaitée pour notre pays. Ce lettré, devenu homme d’État, est considéré par plus de 75 % des Français comme un grand Président et son action à la Présidence de la République, plus de 37 ans après sa disparition, est jugée comme visionnaire. Un musée rappelle sa mémoire dans son village natal à Montboudif. L’ancien ministre et sénateur, Michel Charasse, aujourd’hui membre du Conseil Constitutionnel, rappelle que François Mitterrand lui rendait visite tous les ans, dont la dernière fois en janvier 1996. « Je le déposais devant la Mairie-École et il me demandait de le laisser, se souvient Michel Charasse. Quand il revenait au bout d’un quart d’heure, il se contentait de dire : « Quand même, quel destin extraordinaire ! » François Mitterrand avait donc changé d’avis sur le Président Pompidou, puisqu’à sa mort, le 2 avril 1974 , il avait déclaré : « Que retiendra la France de ce mort déjà oublié ? Rien ou si Serge Cyril Vinet peu. La France est déjà passée à autre chose. » CONSEILLER ÉLU « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression À L’A.F.E. POUR des méchants, c’est l’indifférence des bons. » LA SUISSE ET LE Martin Luther King, 1929-1968. N LIECHTENSTEIN

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serge.c.vinet@bluewin.ch

(68,3% de oui, 40 % d’abstention). > 24 avril 1972 : Création du serpent monétaire européen. > 5 juillet 1972 : Gouvernement Pierre Messmer. > 14 juillet 1972 : Arthur Conte préside la nouvelle ORTF. > 31 décembre 1972 : Création de la 3e chaîne de Télévision française. > Janvier 1973 : Les 6 de la CEE deviennent 9 (République Fédérale d’Allemagne, Belgique, Danemark, Pays-Bas, Irlande, Italie, Luxembourg, Royaume-Uni, France), la Norvège ayant rejeté son adhésion par voie référendaire. > 3 janvier 1973 : Antoine Pinay devient le premier Médiateur de la République. > 15 mars 1973 : Mise en service de PHENIX, première centrale à neutrons sur le site de Marcoule. > 25 avril 1973 : Inauguration du Périphérique parisien. > 17 octobre 1973 : Premier choc pétrolier dû au déclenchement de la Guerre du Kippour. L’OPEP décide de diminuer de 25 % ses exportations de pétrole et d’en augmenter le prix de 17%. Le prix du baril de brut passe de 5,092 $ à 11,651 $. La facture française passe de 17 milliards à 123 milliards de francs. La France, non concernée par l’embargo, prend conscience de sa dépendance énergétique. > 19 janvier 1974 : La France sort du serpent monétaire européen. > 5 mars 1974 : Pierre Messmer lance la construction de la première ligne à grande vitesse entre Paris et Lyon - TGV. > 8 mars 1974 : Inauguration de l’Aéroport Roissy - Charles de Gaulle. > 11 au 13 mars 1974 : Dernier voyage à l’étranger de Georges Pompidou en URSS où il rencontre Léonid Brejnev, lui-même déjà très malade. > 2 avril 1974 : Georges Pompidou rend son dernier soupir à 21 heures en son domicile, 24 quai de Béthune, dans l’île Saint-Louis, à Paris. Le Professeur Jean Bernard informe que Georges Pompidou souffrait d’une leucémie très rare, dite la maladie de Waldenström, depuis 1968 et qu’il en connaissait probablement l’existence au moment de sa victoire aux présidentielles. Selon lui, la progression de sa maladie s’en serait trouvée singulièrement ralentie, s’il avait renoncé à son mandat. Dans le contexte des Trente glorieuses, la France œuvrait au cœur de profondes mu-


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Georges Pompidou BIOGRAPHIE I. DU FILS DU CANTAL AU PROFESSEUR À HENRI IV Fils d'enseignants, petit-fils de paysans, Georges Pompidou naquit le 5 juillet 1911 à Montboudif, village du Cantal. Il fit ses études primaires et secondaires à Albi. Après le baccalauréat, il prépara son entrée à l'École normale supérieure, à Toulouse puis au lycée Louis-leGrand à Paris. Il intégra l'École en 1931 et ses années d'étudiant furent pour lui l'occasion de connaître la société et la vie culturelle parisiennes, de nouer de profondes amitiés comme celle qui le lia à Léopold Sédar Senghor et d'avoir une première approche de la politique auprès de la Ligue d'action universitaire républicaine et socialiste[1]. Reçu premier à l'agrégation de lettres en 1934 et diplômé de l'École libre des Sciences politiques, il accomplit ensuite son service militaire à Clermont-Ferrand en qualité d'officier de réserve. Après son mariage, il enseigna pendant trois ans au lycée Saint-Charles de Marseille avant d'être nommé au lycée Henri IV à Paris. Au début de la guerre, il fut mobilisé à Grasse puis envoyé en Lorraine avec le 141e régiment d'infanterie alpine. De retour au lycée Henri IV en juin 1940, il enseigna en hypokhâgne et en classe préparatoire à l'École Nationale de la France d'OutreMer[2]. [1] Georges Pompidou, Pour rétablir une vérité, Paris, Flammarion, 1982, p. 11-19. [2] ibid., p. 19-28. II. LA RENCONTRE AVEC LE GÉNÉRAL DE GAULLE ET LES ANNÉES D'APRÈS-GUERRE Dès septembre 1944, ses liens d'amitié avec René Brouillet, rencontré dès la classe de khâgne, lui permirent d'entrer au cabinet du général de Gaulle, président du Gouvernement provisoire. Il y fut chargé de suivre les questions de politique intérieure et d'éducation. Au départ du Général en janvier 1946, Georges Pompidou fut nommé adjoint d'Henri Ingrand, commissaire général au Tourisme. Il devint par ailleurs, cette même année, maître des requêtes au Conseil d'État[3]. Sans toutefois adhérer au Rassemblement du Peuple Français, crée en 1947, il participa à l'aventure de ce parti et resta proche des milieux gaullistes en animant notamment le Comité national d'études présidé par Gaston Palewski. C'est également à cette époque qu'il se vit confier le poste de secrétaire général de la Fondation Anne de Gaulle. Durant cette période, Georges Pompidou fit partie du cercle restreint des proches du Général et cette proximité lui valut d'être nommé chef de son cabinet d'avril 1948 à 1953.

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Cette année-là, il entra à la banque Rothschild où il occupa rapidement les fonctions de directeur général et d'administrateur de nombreuses sociétés. Ce fut pour lui l'occasion de participer à la vie économique du pays, d'accroître le champ de ses compétences et d'établir un éventail plus large de relations. Il rédigea néanmoins, durant cette période d'intense activité, trois présentations de Classiques illustrés sur Racine, Taine et Malraux[4]. [3] ibid., p. 31-49. [4] ibid., p. 49-90 et 119-146. III. LES DÉBUTS DE LA Ve RÉPUBLIQUE L'année 1958 fut celle du retour du général de Gaulle au pouvoir et de Georges Pompidou aux affaires politiques. Dans ce contexte troublé dominé par la question algérienne, le dernier président du Conseil de la IVe République fit en effet appel à lui pour diriger son cabinet de juin 1958 à janvier 1959. Il eut alors un rôle décisif auprès du Général, accompagnant les travaux d'élaboration de la Constitution et encourageant les réformes économiques et monétaires. Le général de Gaulle élu à la présidence, Georges Pompidou retourna pendant quelque temps vers le monde de l'entreprise en réintégrant la banque Rothschild. Membre du Conseil constitutionnel en 1959, il profita également de cette période pour rédiger une Anthologie de la poésie française. Toutefois, il resta toujours en relation avec le Général, et en particulier il accepta, en février 1961, une mission secrète afin de faciliter les négociations avec le FLN algérien. IV. À MATIGNON (14 AVRIL 1962-10 JUILLET 1968) Gaulle nomma Georges Pompidou Premier ministre à la place de Michel Debré. C’est ainsi qu’un homme, certes expérimenté, mais peu connu du grand public, arriva à Matignon le 14 avril. L'année 1962 fut marquée par la réforme de l'élection du président de la République. Le choix du suffrage universel direct et surtout le recours au référendum pour faire approuver cette modification constitutionnelle entraînèrent le vote d'une motion de censure et la chute du premier gouvernement Pompidou. Le Général le renomma aussitôt dans ses fonctions, comme il le fit après son élection aux présidentielles de 1965. Georges Pompidou suivit ensuite de près la préparation des élections législatives de 1967 en s'impliquant dans le choix des investitures et dans la campagne. Les résultats ne furent pas ceux escomptés par la majorité puisqu'elle n'obtint qu'une très courte avance. Le Premier ministre fut alors élu pour la première fois député du Cantal.

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Les années 1962 à 1968 furent, en politique internationale, guidées par le principe gaullien de grandeur et d'indépendance de la France et, sur le plan intérieur, elles furent marquées par un réel essor économique permettant d'importantes réformes de structures. Georges Pompidou prit une part personnelle très active au développement de l'économie française dans tous les domaines. La crise de 1968 vint ébranler la République. Depuis Matignon, Georges Pompidou la géra au quotidien, misa sur des mesures d'apaisement, engagea les négociations de Grenelle et préconisa de dissoudre l'Assemblée nationale pour trouver une sortie politique à la crise. Après un départ soudain à Baden Baden, de retour à Paris, le 30 mai, le Général annonça la dissolution. Les élections législatives des 23 et 30 juin 1968 furent un franc succès pour les gaullistes[5]. Le 10 juillet 1968, le Général choisit de remplacer Georges Pompidou par Maurice Couve de Murville. Durant cette “traversée du désert”, l'ancien Premier ministre se retrouva “simple député” du Cantal et organisa ses bureaux boulevard de La Tour-Maubourg, toujours entouré de quelques proches collaborateurs. Georges Pompidou fut alors profondément blessé par l'affaire Markovic[6]. Le 17 janvier, à Rome, une déclaration de Georges Pompidou fut interprétée par la presse française comme annonçant son intention, le moment venu, de se porter candidat à la présidence de la République[7]. L'échec du référendum sur les réformes du Sénat et des régions entraîna le départ du général de Gaulle et l'organisation de nouvelles élections présidentielles. Georges Pompidou fut élu avec 58% des suffrages exprimés face à Alain Poher[8]. [5] ibid., p. 179-207. [6] ibid., p. 255-266 et 269-272. [7] ibid., p. 266-269. [8] ibid., p. 273-279. V. À L'ÉLYSÉE (15 JUIN 1969-4 AVRIL 1974) Georges Pompidou s'installa à l'Élysée le 15 juin 1969. Reprenant la lecture gaullienne de la Constitution, il affirma la prééminence présidentielle. Il choisit comme Premier ministre Jacques Chaban-Delmas, personnalité éminente du gaullisme et ancien président de l'Assemblée nationale. Celui-ci resta durant trois années à la tête du gouvernement, avant de démissionner en juillet 1972 à la suite de tensions relatives à son projet de “nouvelle société” et au partage du pouvoir au sein de l'exécutif. Le gaulliste Pierre Messmer, ministre des Armées du Général, fut alors appelé par Georges Pompidou à Matignon. Il fut ainsi Premier ministre lors des législatives

de 1973, remportées par la majorité face à une gauche réorganisée depuis l'adoption du Programme commun. Il resta à ce poste jusqu'en 1974 et c'est à la fin de cette période que le chef de l'État tenta la mise en place du quinquennat. Président de la République en 1969, il revint désormais à Georges Pompidou de conduire la politique étrangère. Reprenant les grands axes de la politique gaullienne, il s'efforça d'assurer l'indépendance de la France sur la scène internationale tout en tenant compte de l'évolution de la situation (nouvelle politique américaine avec Nixon arrivé au pouvoir en 1969, Ostpolitik allemande à partir de 1969, puissance croissante de l'URSS, tensions au Moyen-Orient). À ces fins, après les tensions des années passées, il noua des contacts plus confiants avec les États-Unis. Tout en demeurant dans le cadre de la solidarité atlantique, il poursuivit les échanges politiques et économiques avec l'URSS. La relance de la construction européenne marqua également son mandat. La conférence de La Haye en décembre 1969 adopta ainsi son programme “achèvement, approfondissement, élargissement”. La Grande-Bretagne put alors devenir membre de la Communauté avec l'Irlande et le Danemark. À la suite de la crise politique et économique internationale provoquée par la guerre du Kippour (octobre 1973) Georges Pompidou accentua encore plus l'orientation européenne de sa politique : à ses yeux l'Europe des Neuf devait se donner les moyens de rééquilibrer l'Alliance atlantique, de contribuer à la cohésion occidentale face à l'URSS, d'encadrer une R.F.A. désormais engagée dans l'Ostpolitik. Sur le plan national, Georges Pompidou fit de sa présidence un temps fort pour l'industrialisation du pays. Il mit l'accent sur la modernisation des structures tout en demeurant soucieux de préserver les grands équilibres. La politique sociale accompagna ce mouvement avec quelques grandes décisions telles la mensualisation des ouvriers ou encore l'actionnariat des salariés. Ce lettré devenu homme d'État s'intéressa aussi avec passion au domaine culturel puisque son attachement à l'art et sa volonté d'en assurer la diffusion auprès du plus grand nombre le conduisirent à décider la création à Paris d'un centre d'art contemporain, qui porte aujourd'hui son nom. Les années Pompidou s'inscrivent enfin au cœur d'une période de profondes mutations économiques de l'Occident. Marquant la fin de la présidence, la crise pétrolière de l'automne 1973 inaugura de nouveaux rapports internationaux et les pouvoirs publics furent dès lors confrontés à d'importantes difficultés économiques et sociales. Son mandat fut écourté par son décès le 2 avril 1974 à Paris. N

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À nos chers disparus

Dr Bernard

Zipfel

AU FIL DU TEMPS, NOUS ÉTIONS DEVENUS AMIS. PARFOIS, LES JOURS DE GRAND VENT, NOUS NOUS PRENIONS POUR CROQUIGNOL, FILOCHARD OU RIBOULDINGUE.

hacun d'entre nous avait des amis qui devenaient aussitôt les amis de l'autre. C'est cela aussi l'Afrique ! Comme beaucoup, nous vivions au beau milieu de tout un réseau d'amitiés qui s'étendait de San Francisco à Tokyo, en passant par Ushuahaïa, Sydney, Moscou... et j'en passe. Mais la cellule, la garde rapprochée, le Saint des Saints, c'était l'Afrique ! Nous ne venions pas des mêmes provinces, mais du même pays. Nous n'avions pas les mêmes croyances. Celui qui croyait au ciel, l'autre pas. Quand nous nous retrouvions ensemble, c'était pour nous moquer de nous mêmes, de nos petits succès, de nos petits pouvoirs comme de notre première chemise. Où que ce soit, sur cette bonne vieille planète, nous riions beaucoup. Nos discussions passionnées entre la poire et le fromage, voguaient immanquablement vers notre sujet favori : « La vie est une véritable Farce ! » Bien sûr, nous parlions de la mort, de la nôtre, bien évidemment. Dans la gaieté, nous nous demandions lequel d'entre nous partirait le premier. Telle une comédie de Federico Fellini, nous

C

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24 MARS 1946 12 AVRIL 2011

nous imaginions les scènes et les discours , la comédie sociale mêlée de chagrin. Voilà que l'un de nous est mort. C'est un fils de l'A.F.E. Nous sommes tous des enfants de l'Assemblée des Français de l'Etranger. Certains d'entre nous ont la chance de s'aimer, de s'accepter, de se supporter. Il était encore jeune, naturellement aussi brillant que discret. Maïté, son épouse, aussi belle, aussi jeune et aussi brillante que lui, l'accompagnait en tous lieux. Il était surtout Bon. Il était surtout Droit. Il était surtout Courageux ! Il avait la vie devant lui. Elle s'est battue pied à pied pour finalement baisser la garde devant la mort. « Et la garde qui veille aux barrières du Louvre n'en défend point nos rois. » A Maïté, à ses deux filles et leurs petits-enfants, tout à coup dépouillés de qui leur était le plus cher, c'est à eux que nous pensons en ces journées pascales, en ces moments radieux où elles avaient encore, leur époux, leur père ; à l'instant obscur où elles ne l'auront plus. Par ces lumineuses journées printanières, au beau milieu des bonheurs et des privilèges, nous sommes bien conscients des peines et des souffrances supportées par nos compatriotes au Japon, en Libye et en Côte d'Ivoire. Mais nous ne nous consolons pas de son absence trop injuste à un moment où, délivré des soucis matériels, il aurait pu savourer auprès de Maïté et de sa petite famille quelques sonates que la vie aurait bien voulu lui distiller et, Parce qu'il est notre Ami ! N MICHEL GUERRY, CHRISTIANE KAMMERMANN, CHRISTOPHE FRASSA, CHRISTIAN COINTAT, JEAN LIBOZ, MADELEINE KATENDÉ, JOËL PICHOT, JEAN-CHARLES PRÉTET, FRANÇOIS CHAPPELLET, GÉRARD TOUPY, NORBERT CHALON, GÉRARD MICHON, ROBERT LABRO, GUY MAKKI, CATHERINE RECHENMANN, DIDIER RICCI, BERNARD SADET, GUY SAVERY, MICHEL TIZON, JEAN-CLAUDE ZAMBELLI, JEANINE SANDMAYER, MICHÈLE GOUPIL, DANIELLE MERLINO, ALEXANDRE LAURENT, SERGE CYRIL VINET


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Iln'yade

paix

on souci d’échotier, d’apostat libre, et celui de Conseiller de l’AFE, me placent bien évidemment dans une position intellectuelle limitée, par rapport à ceux qui nous gouvernent. Il ont perçu bien avant nous autres, je parle de la France d’en bas, les soubresauts des Républiques de l’Est qui débouchèrent sur la chute du Mur de Berlin, comme ils ont pressenti les révoltes arabes... Pour celles et ceux qui suivent cette lettre mensuelle et les chroniques économiques parues dans France Magazine, ça n’est pas faute de constater et d’alerter que le monde change à une vitesse vertigineuse. Les cinquante dernières années ont dessiné de nouvelles frontières, que dis-je, recomposé de fond en comble notre vieille Europe. L’URSS ? Éclatée ! Les accords de Yalta ? Aux oubliettes ! Mao Tsé Tung a laissé sa place à Teng Hsiao-Ping qui, au détriment de l’économie communiste, a délibérément jeté les bases d’une économie libérale, pour ne pas dire ultra-libérale, laissant le milliard 300 millions de Chinois assoiffés de Liberté. Tout cela en à peine 30 ans. Excusez du peu ! Et Nous, pendant ce temps, que faisonsnous ? Nous nous contentons de communiqués sibyllins comme : « Nos indicateurs anticipent un ralentissement de la croissance au deuxième trimestre » ou « La consommation privée est moins performante, liée aux conditions du marché du travail, qui restent difficiles. » Comme nous, pauvres de nous, nous ne percevons pas les méfaits des crises successives qui ne cessent de s’amplifier de maSerge Cyril Vinet nière larvée, on nous explique que le taux de CONSEILLER ÉLU À L'AFE chômage, pour la zone SUISSE & €uro, stagne aux alenLIECHTENSTEIN MEMBRE DE LA tours de 10 % des populaCOMMISSION tions actives. On nous DES FINANCES

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possiblequ'aprèsla

guerre

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*PROVERBE ARABE concède que c’est très haut. Mais pour nous rassurer (sic...), on nous susurre que dans la péninsule ibérique, le record absolu vient d’être atteint au premier trimestre 2011 avec 21,3 % de taux de chômage. C’est vrai que les institutions ont du mal à suivre les changements du monde. Malgré toutes les professions de foi étalées à l’envi, j’ai le curieux pressentiment que les Conseillers de l’AFE qui, jusqu’alors, votaient toujours « bien », vont se mettre à penser fort mal. De quoi rebuter les esprits chagrins... Et Outre Atlantique, pendant ce temps, que font-ils ? Eh bien, après avoir obtenu, à la surprise générale, le Prix Nobel de la Paix, Barak Obama continue la guerre en Irak, celle en Afghanistan, et maintenant en Libye. Et comble du destin pour celui qui entrevoit la guerre comme un enfer, vient de condamner aujourd’hui même un rebelle à mort en oubliant que c’est tout un clan qu’il faut faire savoir disparaître pour avoir la paix dans la région. Pragmatique et usant de la communication showbiz, où, il faut bien le reconnaître, les Américains sont les maîtres en la matière, il vient annoncer aux télévisions de la terre entière l’exécution de Ben Laden. Cela va lui permettre de garder la main encore quelques mois pour rassurer l’opinion américaine et lui annoncer, dores et déjà, que plus rien n’empêche les troupes américaines de revenir au pays de l’oncle Sam. Pour quelque temps, les chaumières du Middle West ont d’autres sujets à commenter que la progression du chômage qui, depuis 3 ans, s’est accentuée de plus de 3 millions de chômeurs supplémentaires. À moins que ce ne soit Wikileaks et les révélations du jeune soldat américain Bradley Manning qui empoisonne l’administration Obama. Détenu depuis le 29 juillet 2010, 34 chefs d’accusation lui sont reprochés dont « Collusion avec l’Ennemi », ses avocats en font un prisonnier politique. Nous avons, chez nous, une fille de la Marine, Il ont le “Tea Party” ; c’est la version

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des States de Neinsager. C’est une réaction populaire, nous dit-on, une réponse à la crise. Sarah Palin émerge de cet imbroglio en réclamant moins d’impôt et moins d’État. Katrina était l’ouragan qui avait, en partie, laminé Bush. La plus cruelle des marées noires que les States ont connue, englue Barak Obama, depuis le 22 avril 2010, date où l’explosion de la plateforme BP déversait près de 800 millions de litres de brut et plus de 7 millions de litres de dispersant dans le Golfe du Mexique. C’est une catastrophe écologique sans précédent qui aura des répercussions sur plusieurs dizaines d’années. Quant à la monnaie, le sacro-saint US $, que devient-il ? Quelle en est sa véritable valeur, quand un pays s’endette de 6 $ pour en créer 1 de richesse ? Les présidents des États-Unis d’Amérique se succèdent et usent du même stratagème pour soutenir leur monnaie en sursis, faisant fonctionner la planche à billets à plein régime. Les dix dernières années ont vu se créer plus de $ que durant les 225 années précédentes. Et puis, il y a la fameuse dette ! Depuis le temps qu’on en parle... Mais, malgré tout, il y a de quoi s’inquiéter. Songez que ce pays, qui passe pour être le plus endetté au monde, et dont la dette s’accroît, chaque minute que Dieu fait, de 2,5 millions de $, le constat est affligeant, déroutant. La dette américaine culmine à plus de 14 000 milliards de $. Affolant, non ? Mais ce n’est pas tout, ce n’est malheureusement que le bilan administratif. Pour qui connaît les États-Unis, chacun sait bien que les ménages et les entreprises ne peuvent pas vivre sans crédits. C’est une religion ! Il faudrait multiplier par 3 la dette des 14 mille milliards de $. Et que dire des engagements sociaux sur les retraites et la santé qui n’ont pas été provisionnés, ce n’est pas par 3, ni par 4 qu’il faudrait multiplier la dette, mais par 10, soit : 140 000 milliards de $ US. Qui va payer ? Comment cela va-t-il se terminer ? Et avec cela, vous voudriez que nous ne soyons pas inquiets ! N


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Lesidéauxontdecurieuses qualités,entreautrescelles desetransformer brusquementenabsurdité quandonessaiedes’y conformerstrictement. ROBERT VON MASIL 1880-1942

l est curieux de constater et d’entendre, au premier chef, des personnes de première importance, s’agissant tout de même du Président de la Commission des Finances du Sénat et du Président de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale, avancer des inexactitudes sur la fiscalité des Français résidant hors de France. D’abord un constat : ni l’un ni l’autre ne semble au fait du sujet évoqué, et mesure encore moins les dégâts occasionnés par la divulgation de contre-vérités claironnées par de nombreux médias. Deux questions viennent immédiatement à l’esprit : A - Pourquoi avancer de tels arguments erronés en cette période pré-électorale ? B - Est-ce inconsciemment ou est-ce de la pure provocation ? Un réponse s’impose : ils confondent l’un et l’autre les 2.400.000 Français résidant hors de France qui paient leurs impôts, comme tout le monde, dans leur pays d’adoption ; d’ailleurs, faut-il le souligner, quasiment 50% sont ou sont devenus des binationaux. Et les exilés fiscaux, au nombre de 900 contribuables (2009) payant l’impôt sur la fortune qui sont partis de l’Hexagone, malgré le bouclier fiscal. 821 avaient fait le même chemin en 2008 et 719 en 2007. Ça n’est pas du tout la même chose. Jugez vous-même :

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Jean Arthuis

Jérôme Cahuzac

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Jean Arthuis (centriste) « À partir de 2012, les Français résidant à l’étranger éliront 11 Députés. Or, le consentement à l’impôt est une mission du Parlement. Il n’y a pas d’identité française sans participation à la charge commune, donc à l’impôt (ce qui voudrait dire que tous les Français de l’Hexagone ne s’acquittant pas de l’impôt, ne seraient pas des citoyens français...). Dans un premier temps, les Français de l’étranger pourraient être imposés à partir d’un certain montant de revenus, sachant qu’ils ne pourront pas régler plus que ce qu’ils paieraient s’ils vivaient en métropole. S’ils refusent d’acquitter l’impôt, alors ils devront rendre leur passeport français. C’est une question de principe. Je pense que cela sera un vrai sujet de la prochaine présidentielle. » C’est habile, effectivement, ce peut être un sujet débattu pendant les présidentielles, mais si, au cas, peu probable, où les électeurs devaient donner raison aux élucubrations de Monsieur Arthuis, c’est un moyen subtil de laisser chez eux les binationaux et de diminuer, pour ne pas dire étouffer, l’impact de l’A.F.E. Jérôme Cahuzac (socialiste) « J’ai proposé de débattre du principe de la fiscalisation en France des revenus de nos compatriotes expatriés, via un amendement, lors de la discussion budgétaire. François Baroin vient de reprendre à son compte cette idée. Il ne s’agirait pas de stigmatiser ceux qui ont décidé, parfois contraints, de s’expatrier pour travailler, mais leur demander de contribuer au redressement de leur pays. Il faudrait, bien sûr, respecter le principe de non double imposition. Cette demande devrait être plus insistante et forte pour les exilés fiscaux. Revoir nos conventions fiscales avec la Belgique et la Suisse pourrait être utile à cet égard. Cette proposition est légitime. En effet, tous les expatriés éliront en 2012 des députés qui voteront un impôt qu’aujourd’hui ils n’acquittent pas. Et puis, tous bénéficient de la gratuité des soins quand ils reviennent se faire soigner en France. Cela justifie, me semble-t-il, un effort. » Reprenant les thèses de Monsieur Arthuis, sur l’identité française, Monsieur Cahuzac devrait savoir qu’en Suisse, le plus petit salaire s’acquitte d’un impôt, fût-il minime, comme participation à l’effort national. Et ce,


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depuis fort longtemps. Quant aux soins, l’assurance est obligatoire en Suisse, vous ne pouvez pas y échapper. Il est particulièrement difficile d’aller “profiter” des bienfaits du système social français, car les assurances en Confédération Helvétique ne remboursent pas les frais occasionnés à l’étranger, sauf accident ou assurances privées particulières. Si vous cessez de colporter des mensonges sur les 2 400 000 de Français établis hors de France, ces derniers s’abstiendront de dire la vérité sur vous. Michel Sapin (socialiste) « Il est nécessaire de modifier la loi pour qu’un Français qui souhaite conserver la nationalité française et qui, à ce titre, peut à tout moment de sa vie, pour lui-même, sa femme et ses enfants, profiter de nos services publics, continue à payer des impôts au budget de l’État. Cela, quand bien même il aurait choisi, pour des raisons fiscales, d’être domicilié à l’étranger. Je ne suis pas favorable à une sanction qui se traduirait par une suppression automatique de la nationalité. Mais comme la majorité des exilés continue à percevoir des revenus ou avoir des biens en France, le fisc aura tous les moyens légaux de récupérer l’argent dû, même s’ils refusaient de payer l’impôt. » Hervé Novelli (UMP) « Instaurer une taxe pour les exilés fiscaux n’est absolument pas souhaitable. Le problème français est justement ses prélèvements obligatoires beaucoup plus élevés qu’ailleurs. Il s’agit d’instaurer une politique de baisse de la fiscalité plutôt qu’une taxation supplémentaire. Pour moi, la rigueur implique une baisse des dépenses et non une hausse des recettes. Retirer la nationalité française à ces expatriés serait encore pire et complètement ridicule. » Pierre-Alain Muet (socialiste) « Je suis très favorable au système américain sur ce point. Il oblige un citoyen américain à payer ses impôts aux Etats-Unis, quel que soit l’endroit du monde où il habite. Rien de plus normal qu’il contribue au financement des services publics dont il peut continuer à profiter, même exilé. Ce système serait sans doute très compliqué à instaurer dans le cadre européen. D’ici là, la création en France d’une contribution spécifique pour

les exilés fiscaux peut être envisagée comme un premier pas. Quant à la déchéance de la nationalité pour les Français qui refuseraient de payer leurs impôts en France, elle serait, dans l’état actuel du droit, jugée inconstitutionnelle. »

Michel Sapin

Hervé Novelli

Pierre-Alain Muet

Louis Giscard d’Estaing

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Louis Giscard d’Estaing (UMP) « Il faut en venir au système américain. Làbas, les expatriés détenteurs d’un numéro de Sécurité Sociale sont imposés. Chez nous aussi, il faut vérifier que les revenus, notamment financiers, perçus en France par les expatriés qui restent titulaires de la carte Vitale sont assujettis aux prélèvements sociaux, CSG & CRDS qui leur permettent d’avoir accès, eux et leur famille, à tous les services de soins. » CONCLUSION Comme vous le voyez, cet amalgame, qui voudrait associer tous les Français résidant hors de France à des exilés fiscaux, frise la malhonnêteté intellectuelle. Les Français expatriés, légalement répertoriés hors de l’Hexagone, sont donc soumis tout naturellement aux conditions fiscales du pays de leur résidence. Dans leur grande majorité, ils sont au bénéfice de conventions fiscales signées entre la France et leur pays d’accueil, avec, comme premier principe élémentaire, celui d’éviter la double imposition fiscale, d’abord dans le pays de résidence, ensuite en France. Il est vrai qu’avec un déficit public de plus de 120 milliards d’€uros, notre dette se situant aujourd’hui à quelque 86 % du PIB et qui file allègrement vers les 100 %, il y a urgence à trouver des recettes. Suggestion : plutôt que de se complaire dans la gesticulation et la politique spectacle, plutôt que de s’évertuer à vouloir faire passer les Français de l’Étranger comme des Français entièrement à part plutôt que des Français à part entière, il serait plus utile, voire plus compréhensible de se pencher sur toutes les composantes du Cac 40 qui, en toute légalité, engrangent des milliards d’€uros de bénéfices sans participer à l’effort national qui nous est demandé. Quoiqu’on en dise... il y aurait vraiment matière et se souvenir de Cicéron lorsqu’il nous assénait : « La Frugalité est une richesse, l’esprit d’économie un revenu. » N SERGE CYRIL VINET


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Droit bancaire suisse

Secret bancaire suisse et fisc français

Lefiscfrançaisnepeutpas utiliserdesdonnées obtenuesfrauduleusement PAR UNE ORDONNANCE RENDUE LE 8 FÉVRIER 2011, LA COUR D’APPEL DE PARIS A INFLIGÉ UN SÉRIEUX CAMOUFLET À L’ADMINISTRATION FISCALE FRANÇAISE EN RAPPELANT À CETTE AUTORITÉ, QUI EN AVAIT MANIFESTEMENT BESOIN, QUE LA RAISON D’ETAT NE SAURAIT JUSTIFIER QU’ELLE BAFOUE OUVERTEMENT LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE TOUT ETAT DE DROIT. EN PARTICULIER, LE FISC FRANÇAIS NE PEUT PAS UTILISER CONTRE UN CONTRIBUABLE DES RENSEIGNEMENTS SOUMIS AU SECRET BANCAIRE SUISSE QUI LUI SONT PARVENUS APRÈS AVOIR ÉTÉ OBTENUS FRAUDULEUSEMENT AUPRÈS D’UNE BANQUE SUISSE.

ans le cas d’espèce, la Cour d’Appel de Paris, et c’est une première, a été amenée à annuler les effets d’une perquisition fiscale menée contre un contribuable soupçonné de fraude fiscale. Motifs ? Cette perquisition, autorisée par le Juge des libertés et de la détention, avait été diligentée sur la base de soupçons fondés sur des documents bancaires qui avaient été dérobés dans une banque suisse à Genève puis remis au fisc français. S’il est communément admis, dans tout État de droit qui se respecte, que l’utilisation par une administration publique de documents volés est illicite, encore fallait-il qu’en France, une autorité judiciaire, suffisamment indépendante du pouvoir, ose le dire. Avec cette ordonnance du 8 février 2011 de la Cour d’Appel de Paris, c’est maintenant chose faite ; ce qui est tout à l’honneur des institutions judiciaires françaises.

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A l’origine : un voleur de fichiers bancaires informatiques En automne 2009, la chronique francosuisse avait été défrayée par l’histoire d’un employé d’une banque à Genève qui avait dérobé auprès de son employeur des fichiers informatiques comportant des bases de données concernant des clients, notamment français, de la banque qui se sont retrouvés, dans des circonstances autant pécuniaires que judiciaires, peu catholiques, en mains de www.expatria-cum-patria.ch

La Cour d’Appel de Paris a clairement refusé de purger des preuves obtenues illégalement. Morale de l’histoire : la raison d’État a, en l’espèce, cédé le pas à l’État de droit (ce qui est assez rare et méritait d’être relevé).

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l’administration fiscale française. C’est à cette occasion que le Ministre français du Budget de l’époque, Eric Woerth, qui avait, par anticipation, de bonnes raisons de vouloir redorer son blason, avait ouvertement menacé d’utiliser les listes de clients, pourtant volées, à l’encontre des fraudeurs fiscaux présumés. Les intermédiaires : des receleurs de documents volés N’entendant que la raison d’État (l’occasion faisant au demeurant le larron), les agents du fisc français ont effectué, tambours battants, des perquisitions à l’encontre de plusieurs contribuables dont les noms apparaissaient sur les listes volées et qui, apparemment, avaient dû omettre de mentionner les comptes bancaires en Suisse dans leur déclaration fiscale française. Au passage, et manifestement consciente de l’aspect illicite de la démarche, l’autorité française avait pris soin de “blanchir” les documents bancaires volés en les faisant formellement transiter par le Parquet de Nice qui les a ensuite, de bonne grâce, officiellement transmis au Ministère du Budget, lequel n’a pas manqué d’en faire des choux gras. Le coup de maître consistant à recourir à la blanchisserie du Parquet de Nice (plutôt qu’à la classique société écran panaméenne) pour donner un semblant de virgi-


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Droit bancaire suisse

nité à des documents bancaires volés a certainement dû forcer le respect des blanchisseurs en tout genre. Ainsi que des adeptes des séries “le pompier pyromane” ou “le gendarme cambrioleur”. Mais pas celui de la Cour d’Appel de Paris qui est restée de marbre !

ment refusé de purger des preuves obtenues illégalement. Morale de l’histoire : la raison d’État a, en l’espèce, cédé le pas à l’État de droit (ce qui est assez rare et méritait d’être relevé).

Entracte : un contribuable se rebiffe

Cela étant, l’administration fiscale française s’est toutefois pourvue en cassation. Pourquoi ? Pour obtenir de la Cour de Cassation qu’elle avalise un procédé de l’administration fiscale française qui ne rebute pas à utiliser des documents volés et obtenir ainsi la bénédiction de la plus haute juridiction française permettant à cette administration de recourir à des procédés déloyaux ? Que l’administration fiscale obtienne gain de cause dans ces circonstances serait aussi surprenant qu’inquiétant. Ce d’autant plus que récemment, la Cour de Cassation, par un arrêt du 7 janvier 2011, avait confirmé urbi et orbi qu’un moyen de preuve obtenu par un procédé déloyal devait être déclaré irrecevable, ce qui est, au demeurant, la moindre des choses dans un État se targuant d’être un État de droit. Dans la procédure État de droit contre Raison d’État, la première manche judiciaire a ainsi été remportée par le demandeur. Gageons qu’il en sera de même devant la Cour de Cassation. Affaire à suivre (de près !) N

Rideau : la Cour d’Appel de Paris annule les effets de la perquisition fiscale Auprès de la Cour d’Appel de Paris, surprise. Les arguments juridiques du contribuable, même s’ils étaient au demeurant parfaitement fondés, rencontrent un large écho. La Cour d’Appel de Paris a en effet décidé de dire le droit (ce qui est d’ailleurs son rôle !) et de l’appliquer au cas d’espèce. Dans ses considérants, la Chambre d’Appel de Paris n’y est d’ailleurs pas allée avec le dos du Code. En effet, la Chambre d’Appel de Paris, même si toutes les vérités ne sont pas toujours bonnes à dire, a d’abord constaté qu’il était indéniable que le fisc français avait effectué la perquisition querellée sur la base des soupçons fondés sur des données bancaires volées, en toute connaissance de cause, ce que le Ministère du Budget avait confirmé (voire s’en était même vanté). Constatant que l’origine de ces données était manifestement illicite, la Chambre d’Appel de Paris en a tiré les conséquences qui s’imposaient : l’ordonnance de perquisition rendue sur la base de tels documents par le Juge des libertés et de la détention devait être annulée. Ce faisant, la Cour d’Appel de Paris a claire-

Patrick Blaser AVOCAT, ETUDE BOREL & BARBEY JUGE SUPPLÉANT À LA COUR DE JUSTICE, GENÈVE

Droit bancaire suisse déjà parus • Obligations du banquier gérant de fortune, France Magazine n° 32 • Crédit immobiliers : la prudence des banques suisses, France Magazine n° 26 • Le secret bancaire suisse n’est pas négociable, France Magazine n° 21 • La banque suisse à l’épreuve du MiFiD, France Magazine n° 20 • Le droit des héritiers aux renseignements bancaires, France Magazine n° 19 • Le devoir d’information de la banque en matière de conseil en placements, France Magazine N° 17 • Blanchiment d’argent : une répression en évolution, RFE Magazine n° 13 • Secret bancaire suisse : du mythe à la réalité, RFE Magazine n° 5 • Banques suisses, les nouvelles exigences de diligence contre le blanchiment de capitaux, RFE Magazine n° 4

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patrick.blaser@borel-barbey.ch

Ce qui n’avait toutefois pas été prévu dans le savant scénario élaboré par l’administration fiscale française c’est qu’un quidam suspecté de fraude fiscale a osé se rebiffer contre les méthodes de ladite administration. Entouré de ses gens de robes, en l’espèce Mes Delphine Ravon et Alain Marsaudon, avocats au Barreau de Paris, notre contribuable s’en est allé, au nom de l’État de droit malmené en l’espèce par ses propres serviteurs, clamer son indignation par-devant la Cour d’Appel de Paris et dénoncer à son tour les turpitudes dont a fait preuve l’administration fiscale française à son encontre.

L’administration fiscale française mauvaise perdante


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J’aimerais vous dire

Allocution préparée pour la venue de Monsieur Pierre Lellouche, Secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, Ministère des Affaires Etrangères

LE 10 MARS 2011 27, RUE DE LA CONVENTION 75015 PARIS

Monsieur le Ministre, Madame & Messieurs les vice-présidents, Mesdames & Messieurs les Sénateurs & Conseillers, chers Collègues, Qu’il me soit permis, Monsieur le Ministre, de vous remercier d’être ici ce soir à nos côtés pour votre intervention, montrant, s’il le fallait, votre détermination à remettre en ordre de bataille le Commerce Extérieur français qui, les indicateurs tout récemment parus nous le rappellent, reste très fragilisé. Mes collègues et moi-même ne peuvent que se réjouir du temps que vous consacrez généreusement aux Français établis hors de France et de votre implication, notifiant tout l’intérêt que vous portez à ces milliers d’entreprises françaises à l’étranger. Ces dernières, dont le mérite est à souligner, réalisent avec beaucoup de difficultés un travail remarquable et remarqué à bien des égards et, faut-il le préciser, générant même en métropole bon nombre d’emplois non négligeables. Depuis votre nouvelle affectation en novembre dernier, vous ne vous êtes pas contenté de regarder passer les trains, vous en avez même vendus au Kazakhstan, il y a de cela quelques jours seulement. Nous apprécions particulièrement vos dernières prises de positions à Tokyo pour la défense de nos intérêts et, dans le même temps, les deux commandes majeures d’Airbus, mettant ainsi fin à la domination insolente de l’américain Boeing qui jouissait au pays du soleil levant d’un quasi monopole historique. Selon la tradition française bien établie, comme tout compromis voit sa conclusion autour d’une table, nous devons saluer la virulence de vos propos pour la défense et la promotion de la gastronomie française à l’étranger. J’y perçois comme une influence paternelle... Quoiqu’il en soit, la campagne “ So French, So Sexy ” ne peut que crédibiliser encore plus, notre gastronomie élevée au patrimoine mondial de l’humanité. D’ailleurs, toujours dans la même région du

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monde, vous avez appelé le Japon à ouvrir ses frontières aux produits alimentaires français, condition pour que Paris soutienne la conclusion d’un accord de libre-échange entre le Japon et l’Union Européenne. Dernier exemple de vos travaux, vos entretiens avec vos homologues Afghans pour faciliter l’accession des entreprises françaises à ce marché régional, qu’il s’agisse du secteur minier, agricole ou celui des infrastructures. Il nous serait par ailleurs agréable que vous nous informiez du contenu de votre réunion avec les représentants des Conseillers du Commerce Extérieur de la France de ce matin et des implications que nous pourrions ressentir sur le terrain pour nos entreprises françaises implantées hors Hexagone. Enfin, lors de vos prises de fonction, vous avez annoncé une offensive digne de nos bonnes années, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, pour le soutien, l’activation et la valorisation des PME. Indéniablement, c’est le grand chantier 2011 ! 42% de la valeur ajoutée française, 54% des actifs, 90% du total des entreprises exportatrices mais seulement 25% de nos exports. C’est à ce niveau que se concentrent nos forces et nos faiblesses, que se jouent notre balance commerciale, nos emplois et, finalement, le financement de notre modèle social. Bien que vos yeux soient fixés sur notre partenaire européen principal, ce n’est pas le seul, s’agissant de l’Allemagne. Je voudrais soumettre à votre sagacité une réflexion au demeurant anodine, et vous rendre attentif sur ce qui, à mon sens, est le premier des maux qui plombent le commerce extérieur français. C’est l’Intérieur ! Je m’explique. J’habite un pays depuis 30 ans qui s’appelle la Suisse. Quand vous prenez le train à Genève pour rejoindre la capitale fédérale Berne, 2 heures vous suffisent. Chacun passe son temps comme il l’entend, mais si l’idée vous venait de lire un petit livre qui s’appelle “ Le Code du Travail ”, au terme de votre périple, vous aurez non seulement fini l’ouvrage, mais vous l’aurez compris. La Conclusion, Monsieur le Ministre ? « La Liberté d’entreprendre » ! Liberté ! Comme nous le rappelait si bien Paul Eluard. Eh bien, Monsieur le Ministre, si d’aventure, vous preniez la liberté de compulser parallèlement le Code du travail français et son homologue helvétique, vous verriez alors la source majeure des contraintes qui engluent notre économie et suis certain que bon nombre de solutions vous sauteraient aux yeux. J’aimerais vous remercier de votre patience et voudrais conclure par un trait d’humour en vous rappelant que la situation est tellement délicate que nous ne pouvons nous contenter de changer les pansements mais de penser les changements. N

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Lefabuleuxdestinde

MikhaïlLermontov QUAND POÉSIE RIME AVEC RUSSIE our vous, Monsieur, je fais un petit cadeau : deux minuscules poèmes de Mikhaïl Lermontov, pleins de finesse et de mélancolie “Écrits en Français”. Les seuls. Malheureusement, malgré toutes mes recherches, je n’arrive pas à trouver en quelle année ils ont été écrits. Mais… pour un jeune Russe… ce n’est pas mal. Il se pourrait que ces petits vers aient été faits pour Varvara, vu leur pureté ! Tandis que je vous écris, Lermontov me regarde de ses grands yeux sombres. Le Musée Lermontov, à Tarkhany - devenu Lermontovo m’a beaucoup gâtée en m’envoyant un beau portrait de Lermontov. J’étais invitée, pour une semaine à Moscou, un peu plus tôt, pour signer les Accords Culturels entre la Suisse et la Russie, et je ne pouvais pas repartir aussi vite, vu mes obligations familiales. Alors, pour me consoler, on m’a envoyé un portrait, lequel tient compagnie à Chaliapine sur un mur du salon. Je rêve toujours d’aller à Lermontovo. En attendant, je suis heureuse d’avoir fait connaître et aimer Lermontov à une foule de gens. Et j’ai eu beaucoup de joie à réciter plusieurs poèmes après les conférences. LYDIA YEGOROFF P.S. J’ai été ravie d’apprendre que vous écrivez, vous aussi, en alexandrins.

P

sourire Quand je te vois

Dernier Amour

es s passions dernièr Sur le déclin, no eur ; uc do e qu et te Ne sont que crain e lumière Resplendis, obscur meurt ! r et du jour qui De l’ultime Amou re la terre, L’ombre déjà couv -bas, à l’Occident… là r, eu lu e Seule un ur crépusculaire, jo Ne disparais pas, hantement ! Et fais durer l'enc ite des jours Qu’importe la fu tendresse… ma Si elle épargne ier Amour, rn de n mo i Ô toi, to détresse ! ma et Toi, ma félicité

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sourire, Quand je te vois uit, no pa s'é Mon cœur dire, te is ra ud vo je Et me dit ! Ce que mon cœur Alors toute ma vie ît ; A mes yeux appara ie, pr je et Je maudis ret. Et je pleure en sec

seul guide, Car sans toi, mon feu de rd ga re Sans ton vide, Mon passé paraît Dieu. Comme le Ciel sans range, Et puis, caprice ét bénir à s Je me surprend n ange, mo Oh , ur jo Le beau frir ! uf so Où tu m'as fait

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MikhaïlYourievitchLermontov (1814-1841) omment parler en quelques lignes du génial et fascinant Lermontov, alors qu'après chacune de mes conférences - de plus d'une heure et demie il me semblait qu'il y aurait encore tellement à dire !!! Dans l'histoire de la littérature russe, à laquelle ils ont apporté un éclat sans pareil - non seulement en poésie, mais également en prose - deux noms demeurent, à tout jamais, merveilleusement et tragiquement liés : Pouchkine et Lermontov. même génie, même idéal, et… une mort ignominieusement semblable : en effet, le jeune et brillant Lermontov, avant même d'atteindre ses 27 ans, paiera cher son admiration pour Pouchkine, et son courage à défendre la mémoire du grand écrivain. Pour les Russes, combien il est difficile d'établir une préférence entre ces deux grands poètes ! Que de fois j'en ai discuté avec eux ! Rares sont ceux qui arrivent à émettre une réponse catégorique. Cependant, vous ne

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pouvez savoir la joie que j’ai ressentie - il y a quelques années - lorsque j'ai dit à un Attaché Culturel Russe : « Je me demande quelle conférence je vais proposer, le mois prochain, à Genève : Pouchkine ou Lermontov. » Cet homme charmant m’a souri, avec une sorte de lumière dans les yeux, et a simplement dit : « Ah ! Lermontov ! Quel poète, quelle personnalité ! C'est fabuleux ! ». Puis, nous avons franchement ri, car il avait lu sur mon visage que, pour moi aussi, l'idole c’était - et c'est toujours - Lermontov ! Quant aux admirateurs de Pouchkine, qu'ils soient rassurés : loin de moi l’idée de diminuer sa valeur à leurs yeux. Il est bien certain que ce grand écrivain est le “Père de la littérature russe moderne”, le créateur d'une nouvelle forme d'écriture, et, à ce titre, il ne peut être égalé : il a opposé à une conception métaphysique une attitude lyrique. Lermontov, qui éprouvait une admiration passionnée pour l'œuvre de Pouchkine, a bénéficié de son influence, c’est indéniable. Toutefois, si nous sommes subjugués par la puissance des vers de “Boris Godounov”, la fluidité de ceux contenus dans “Eugène Onieguine”, ou le rythme génial du “Cavalier de bronze”, nulle part, nous ne trouvons des images, des métaphores aussi lumineuses, aussi fines, aussi réellement poétiques que celles de Lermontov. Par ailleurs, avec son célèbre roman “Un héros de notre temps”, le jeune écrivain se montre aussi à l'aise dans la prose que dans la poésie. De plus, cet ouvrage est le premier roman psychologique écrit en Russie. Sans doute pourriez-vous me demander comment il se fait qu’un si grand poète soit relativement peu connu en Occident. Ce serait une question très pertinente. En fait, à la mort du jeune poète, on était tout juste en train de traduire Pouchkine, et… au prix de quelles difficultés ! Or, voici que l’immense Russie annonçait déjà un nouveau génie ! Les traducteurs étaient affolés et débordés ! De plus, il fallut pas mal de temps pour réunir le plus important de l’œuvre de Lermontov, beaucoup de choses ayant été égarées, ou dispersées par l’auteur luimême, au cours des dernières et pénibles années de sa trop courte vie. Toutefois, à la longue, le monde entier connut le nom du jeune poète. Les vers de sa célèbre fresque poétique “Démon” furent traduits dans une multitude de langues. Dans le domaine de la comparaison Pouchkine-Lermontov, il y a encore une chose, très importante à mes yeux, et qui a séduit beaucoup de gens : la personnalité ! Pouchkine, malgré ses immenses qualités, avait, dans l’ensemble, un caractère assez faible, et sujet aux concessions, même à l’égard de Nicolas 1er. Chez Lermontov, malgré son jeune âge, jamais de concessions, à

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Culture russe >> aucun prix. La tête haute, l’allure fière, il défendait ses

fant est devenu sa propriété, elle l’a - en quelque sorte amis et ses idées jusqu’au bout ! - acheté. Elle a de nouveau quelqu’un à diriger dans la Dans le premier contact avec Lermontov et son œuvre, vie, et, plus tard, son petit-fils comblera la solitude de bien des gens se demandent : ange ou démon ? D’ailses vieux jours. L’affection qu’elle porte à Mikhaïl est leurs, le jeune écrivain s’est posé lui-même la question faite de sincérité et d’intérêt. à certains moments de son existence, ne sachant plus Il est bien certain qu’Elizabeth Arsenieva fait le maxiau milieu de sa désespérante solitude - laquelle de ses mum pour son petit-fils dans le domaine du confort et de deux personnalités allait l’emporter sur l’autre : celle l’éducation, mais c’est autre chose qui manque à l’endont la beauté et l’émouvante pureté, jointes à une doufant. Désorienté par tout ce qui s’est passé autour de lui, ceur et une sensibilité extrêmes, placent Lermontov auil n’est pas heureux. Et puis… son père lui manque teldessus de la plupart des humains, ou celle, ironique, lement. À l’âge de 6 ans, délaissant déjà ses jouets, il railleuse, blessante parfois, dont il revêtit le masque s’adonne à la rêverie. Il éprouve une envie folle d’aimer, pour évoluer dans la sode s’attendrir, mais perciété pourrie qui l’entourait. sonne ne s’en préoccupe. Pour comprendre le poète, Sa grande-mère règle il faut savoir percer le tout : les épanchements et masque et, pour cela, forla réserve ! Quand c’est cément, connaître tant de l’heure de se taire… ce choses ayant marqué sa n’est pas l’heure d’aimer, vie… Que de temps il a fallu et vice-versa. à certains pour éclaircir ce Automne 1827. L’enfant atmystère : Lermontov, railtent ses 13 ans. Elizabeth lant et choquant, mais Arsenieva décide de l’emjouant sa vie pour venger la mener à Moscou, et de mort de Pouchkine ! l’inscrire à la “Pension Sa vie ! Elle commence Noble” de l’Université. La bien tristement ! Ses paplupart des grands écrirents et lui habitent chez la vains russes ont fait leurs grand-mère maternelle, études dans l’enceinte de Elizabeth Arsenieva (née ces murs célèbres. Les Stolypine !) à Tarkhany. professeurs de Mikhaïl ne L’aïeule est veuve, fortunée, tardent pas à remarquer et machiavélique : son mari ses dons exceptionnels, s’est suicidé à cause d’elle ! tant dans le domaine de la Par ailleurs, c’est à contrecomposition que dans celui cœur qu’elle a consenti au de la récitation, et lui préAlexandre Sergueïevitch mariage de sa fille unique disent une brillante carPouchkine (1799-1837). avec Youri Lermontov, car rière. ce dernier a une situation 1829. Le jeune homme a 15 très modeste. Elle fait tout ce qu’elle peut pour détruire ans et, à sa vénération des poètes russes, il ajoute le l’harmonie du jeune ménage. culte de Shakespeare, Byron, Goethe, sans oublier VicLe petit Mikhaïl n’a que 3 ans lorsque sa maman décède, tor Hugo. Il prend déjà conscience, également, de la tyemportée par la phtisie ! Anéanti par la douleur, Youri rannie exercée par Nicolas 1er. Cette découverte lui fait écrire des vers inoubliables. Lermontov ne supporte plus Tarkhany, et déclare qu’il Aussi longtemps que Mikhaïl habitait Tarkhany, son veut s’installer à Moscou, avec son fils. L’ignoble belleaïeule avait pu s’arranger pour l’empêcher de voir son mère est épouvantée à l’idée de se séparer du petit Mipère, mais… maintenant qu’il est à Moscou, cela s’avère khaïl. L’enfant est le seul lien vivant qui la rattache impossible. Youri Lermontov demande à son fils de lui désormais à ce monde. Pour fléchir son gendre, elle lui consacrer ses heures de loisir, et le jeune homme rérappelle qu’il n’a pas les moyens d’élever correctement pond avec joie à l’invitation de ce père dont il ne sait son fils. Par contre, si Mikhaïl demeure auprès d’elle, presque rien, et qu’il retrouve vieilli, fatigué, couvert de elle lui assurera un brillant avenir. Dans l’intérêt de l’endettes, seul et triste. De toute son âme, il voudrait réhafant, Youri doit le laisser à Tarkhani jusqu’à sa majorité. biliter cet homme dédaigné de ses proches, et lui donL’habile grand-mère parvient à convaincre ce personner tout ce dont il a besoin. Mais il n’a que 15 ans ! Son nage naïf et bon. Pensant agir pour le bien de son fils impuissance l’accable ! Il explique à son père ses proqu’il adore - et compte reprendre plus tard - Youri, la jets, lui montre ses poèmes, écoute ses conseils avec mort dans l’âme, part seul pour Moscou. Elizabeth Arune attention émue. senieva connaît des heures de jubilitation intense. L’en-

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Elizabeth Arsenieva observe avec inquiétude l’exaltation et doux, capable de le consoler. Il fréquente plusieurs croissante de son petit-fils. Il n’est plus le même : ses jeunes filles, dont sa cousine, Annette Stolypine, puis yeux brillent de hardiesse, et il ne tolère pas que l’on Catherine Souchkov, et Natalia Ivanov. Mais il est trop médise de son père devant lui. La vieille dame sent se jeune pour retenir l’attention de cet essaim de filles à précipiter la menace d’une séparation. Pour couper les marier, lesquelles le traitent de gamin. Pourtant, dans ponts, elle songe à retirer Mikhaïl de la Pension Noble et ses grands yeux sombres brille un regard d’une acuité à l’envoyer terminer ses études en France. Mais, réudéconcertante, et, au milieu de ses déceptions, le jeune nissant ses dernières forces - morales et physiques - le homme ne se rend pas compte du pouvoir et du charme père du jeune homme s’oppose au voyage, brave la coque ce regard pourrait avoir et… aura, effectivement, un lère de sa belle-mère, et prétend régler lui-même l’avean plus tard. En attendant, il se console en écrivant de nir de son fils. Cela provoque la colère de sa belle-mère très belles œuvres, d’une grande pureté. et une scène atroce que Mikhaïl n’oubliera jamais. Cela Et voici que, le 1er octobre 1831, Youri Lermontov quitte provoque une scène atroce que Mikhaïl n’oubliera jace monde, emporté par une maladie dont on ignore les mais. Il ne reconnaît plus sa grand-mère dans cette causes. Sachant l’hostilité que sa grand-mère a toujours femme blafarde, au regard méchant, aux lèvres charmanifestée à l’égard du défunt, le jeune homme garde gées d’insultes. Youri Lermontov n’est pas moins efson chagrin pour lui, et contracte le goût de la solitude frayant dans son ultime sursaut de révolte. Il et du repli en soi. aime son fils, et veut le reprendre. Mais À l’université de Moscou, l’ambiance est lal’aïeule est rusée. Après les menaces et les inmentable : de vieux maîtres, incapables et pésultes, vient la grande scène du désespoir. dants, s’adressent à des élèves que leur Écœuré, bouleversé, Mikhaïl consignera les minable enseignement ne peut intéresser. Il échos de cette dispute dans une pièce qu’il inen résulte un chant épouvantable. Mikhaïl vit à titule “Les hommes et les passions”. Les professeurs de l’écart du tumulte universitaire. Certains garYouri Lermontov demande à son fils de choisir essaient de se lier avec lui, mais il les reMikhaïl ne tardent çons lui-même, selon son cœur. Le jeune homme pousse, désirant préserver sa solitude. désire éperdument partir avec son père, mais pas à remarquer ses Cependant, les mois passant, il se fait tout de il craint la malédiction de son aïeule, a pitié quelques rares amis parmi des jeunes dons exceptionnels, même gens de bonne famille. Son préféré est Alex d’elle - vu son âge - et ne sait que faire ! CeLopoukhine, qu’il connaît d’ailleurs depuis pendant, un de ses oncles plaide en faveur de tant dans le l’enfance, car il le rencontre souvent chez sa Youri et dévoile à Mikhaïl les intrigues et les domaine de la grand-tante, à Serednikovo. Cet ami a une anciennes “précautions” testamentaires d’Elizabeth Arsenieva. Un profond dégoût envahit composition que sœur, Varvara, qui sera le seul véritable de Mikhaïl jusqu’à la fin de sa trop le jeune homme. Il se présente devant sa dans celui de la amour brève existence. Et, bien sûr, le jeune homme grand-mère et lui annonce froidement qu’il a résolu de la quitter. L’aïeule pleure, gémit, se récitation, et lui lui dédie de très beaux vers. Mikhaïl voudrait quitter l’Université de Mostord les mains, et Mikhaïl, stupéfait par le prédisent une cou pour fréquenter celle de Saint-Petersspectacle de cette créature hoquetante, n’ose plus assumer la responsabilité de ce qui sem- brillante carrière. bourg. Malheureusement, l’Université de la capitale lui fait savoir que les deux années ble être un réel désespoir. Et puis, le jeune homme doit reconnaître que - malgré tous ses passées dans celle de Moscou ne peuvent être torts - la vieille femme a beaucoup fait pour prises en considération et qu’il doit recomlui. Alors… il capitule et consent à rester aumencer ses études depuis le début. Découprès de sa grand-mère. Youri Lermontov part, ragé, Mikhaïl abandonne ses projets désespéré. Quant à Mikhaïl, il lui semble que universitaires, et décide de choisir une carsa seule présence ici-bas constitue un sujet de scanrière qui le libèrera de la double tutelle de sa granddale, et cette impression le marque fortement. Cet évémère et des professeurs. Suivant l’exemple de son nement est un véritable drame ! De plus, Mikhaïl n’a cousin Stolypine, il s’inscrit à l’École Militaire des Junpersonne à qui se confier. L’oncle, qui a tenté de l’aider, kers. Elizabeth Arsenieva (de même que la famille de n’était que de passage, et ne reviendra pas de sitôt. Varvara) tente de s’opposer à sa résolution, mais, de disQuant à Youri Lermontov, il réfléchit, et sa bonté natupute en dispute, elle finit par céder. Lermontov entre à relle l’emporte sur son ressentiment. Dans sa lettre tesl’École Militaire des Junkers le 10 novembre 1832, à l’âge tamentaire du 28 janvier 1831, il écrit ses paroles de 18 ans. Dans ladite École, la discipline est de fer, l’end’apaisement, tant à l’égard de son fils qu’à celui de sa semble des cours épuisant, et les sanctions exembelle-mère. plaires, pour des peccadilles, ou même des fautes Les mois passent tristement. Mikhaïl entre à l’Univerimaginaires : on suit les directives de Nicolas 1er. Dans l’ambiance de l’École Militaire, une chose inquiète sité de Moscou. Son besoin de tendresse le jette dans le le jeune homme : le changement qui s’opère en lui, ou sillage des jeunes filles. Il souhaite trouver un être fidèle

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ches les Junkers, il ne reste de valable - à part les qu’il doit adopter s’il ne veut pas paraître ridicule aux poèmes précités - qu’une grande œuvre en vers “Hadji yeux de ses camarades. Oui ! Ridicule, parce que… L’Abrek”, et un récit en prose “Vadim le bossu” évoquant éprise de pureté, de beauté. Entraîné par ses camala révolte de Pougatchev. rades, Mikhaïl prend conscience, avec dégoût, du cyNovembre 1834. Lermontov est nommé cornette au rénisme éclatant, de l’absurdité vulgaire, qui caractérisent giment des hussards de la garde à Tsarskoie-Selo. Sa son nouveau destin ! La vie qu’il mène chez les Junkers grand-mère l’installe luxueusement dans sa dignité n’a rien à voir avec sa véritable personnalité, et nouvelle, voiture, chevaux, domestiques, etc. Avec son l’écœure ! Il écrit à la sœur de Varvara : « Il y a tant de cousin Stolypine - qui se trouve dans le même régiment choses qui se sont passées en moi, que je ne sais quelle - le nouveau cornette partage son temps entre les deroute je vais prendre : celle du vice ou de la sottise. Les voirs du service, et les divertissements mondains. termes vous déplaisent, mais, hélas, dis-moi qui tu Petit à petit, sur les conseils de son aïeule, le jeune hantes et je te dirai qui tu es ! » Ceci est écrit avec le homme se lance à l’assaut des saisons. Il fait la cour à souci évident d’affoler Varvara par l’annonce d’une terune quantité de femmes, et se moque ouvertement de rible métamorphose que sa sœur ne manquera pas de toutes, marqué de son profond dédain pour la société lui raconter. Il éprouve, parfois, le besoin de provoquer qu’il côtoie. Parfois, le souvenir de la petite Varvara l’angoisse de ses proches, mesurant l’Amour triomphe de cette vie désordonnée. Au fond qu’on lui porte à la crainte qu’il fait naître. de son cœur, Mikhaïl ne garde de tendresse que pour les heures délicieuses vécues jadis Pourtant, il y a une part de sincérité dans cet avec la jeune fille, à Serednikovo. aveu d’abaissement. Certes, il continue à Mais tout le monde connaît déjà les excentriaimer Varvara, mais cet Amour lui semble telcités sentimentales de Lermontov. Varvara lement compatible avec l’ambiance qu’il subit Dès qu’il note un aime toujours Mikhaïl, mais elle obéit, et se en ce moment. Avec son goût de l’absolu, du à un mariage sans amour. Lermontov parfait, et vu tout le respect qu’il a pour la trait comique chez résigne croit perdre la raison. Il essaie de revoir Varjeune fille, comment pourrait-il en être autreun camarade, il vara, pour s’expliquer devant elle, mais elle le ment ? Varvara est un ange. Lui, depuis qu’il avec son mari. Le trouble de la jeune est chez les Junkers, se qualifie de démon, et, perd toute retenue. reçoit femme montre clairement que ses senticomme il en souffre sincèrement, il ne peut Beaucoup lui en ments n’ont pas changé, mais elle craint le s’empêcher de l’écrire, et de communiquer sa stupidement perdu par sa faute, souffrance à celle qui l’attend. Cette attitude veulent, mais les scandale, n’est pas étrange de la part de Lermontov. naît alors un livre, dont les héros ont changé plus intelligents de nom, bien sûr, et qui s’intitule “La PrinToute sa vie, il aimera Varvara, mais maintenant, il se juge indigne de la jeune fille. Ce qu’il cesse Ligovsky”. Tout y est vrai : magnifiques’en amusent voulait lui apporter, c’était le merveilleux ment et stupidement vrai, faisant revivre follement. Amour et la vie impeccable d’un poète : pas avec une infinie délicatesse le seul grand celle d’un militaire ! Ses camarades, le monde, Amour de Lermontov. la vie : tout le dégoûte. Et soudain… Il est posEn 1836-37, Mikhaïl consacre beaucoup de sédé par le besoin de ridiculiser ses entoutemps à la poésie. Des œuvres de grande varage. Ayant un esprit vif et très fin, la moquerie leur se font alors remarquer : “Le Boyard monte facilement à ses lèvres. Dès qu’il note Orcha” et surtout “Le chant du Tsar Ivan et du un trait comique chez un camarade, il perd brave marchand Kalachnikov”. Dans ces deux toute retenue. Beaucoup lui en veulent, mais les plus inpoèmes, Lermontov retrouve avec bonheur le ton lent, telligents s’en amusent follement. D’ailleurs, Mikhaïl grave et mystérieux, des vieilles légendes russes. Un tourne en dérision ses propres imperfections. Mais derautre poème, de la même époque, prouve l’étonnant tarière son masque ironique, se cache un réel désespoir. lent du jeune auteur : il s’agit de “Borodino”, dont il n’est pas un Russe qui ne sache plusieurs strophes par cœur. Il trouve la vie ridicule, le genre humain parfaitement Et voici que, grâce à l’insistance de son ami Raievsky, le stupide et lâche. Il exprime alors tous ces sentiments poète se détache de ses camarades officiers, et accepte dans un remarquable poème qui a pour titre “Les hommes de mon temps”. Cependant, ce même Lerde nouer quelques relations dans le monde des lettres. montov, à l’École des Junkers, se glisse un soir dans une Il pourrait être présenté à Pouchkine, mais dans ce dosalle de classe vide, s’assied devant un pupitre et, à l’insu maine, une timidité émouvante le fait reculer ce moment de tous, écrit avec fièvre des hymnes à la beauté, à la pourtant si désiré. Il préfère attendre, ne se jugeant pas pureté, tel son poème “L’Ange”, ou encore “L’Étoile”, puis encore digne d’une telle rencontre. Et pourtant… À cette un autre, très connu, “La Voile”. époque même, lisant quelques poésies inédites de LerMais, bien sûr, les conditions de la vie en commun oblimontov, Pouchkine s’écrie devant son ami Glinka : « Il y gent le jeune homme à ne travailler à sa poésie que par a là les preuves étincelantes d’un très grand talent ! » à-coups, et hâtivement. Des deux années qu’il passe De loin, Mikhaïl suit avec fièvre les événements drama-

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tiques de la vie de Pouchkine. Il souffre de la savoir torturé par la honte, en bute aux railleries de ses ennemis, à cause de son épouse et de D’Anthes. Soudain, fin janvier 1837, une terrible nouvelle plonge toute la Russie dans la consternation. Pouchkine est tombé, mortellement atteint lors de son dernier duel avec D’Anthes. Le 29 janvier, le grand poète s’éteint. Lermontov subit un véritable choc nerveux à l’annonce de la catastrophe. Séance tenante, il écrit un poème vengeur, et lui donne pour titre “La mort du poète”. Son ami Raievsky, enthousiasmé par ce chef-d’œuvre, en fait un grand nombre de copies, lesquelles sont aussitôt colportées aux quatre coins de la capitale par lui-même et quelques camarades. Le poète Joukovsky, le prince-écrivain Viasemsky, et Tourgueniev, déclarent : « Les vers de Lermontov sont admirables ! ». Quant à Mikhaïl, bien plus préoccupé par la mort de Pouchkine que par sa gloire naissante, il songe à provoquer en duel l’assassin du poète. Cependant, très vite, dans le but évident de calmer le peuple, le bruit court que l’empereur s’apprête à châtier D’Anthes. Lermontov se calme un peu. Mais, au bout de quelques jours, par Nicolas Stolypine frère de son cousin - il apprend que le tsar, ses ministres et les courtisans les plus en vue, sont fermement opposés à ce que D’Anthes soit jugé. On le renverra simplement dans son pays, la France. Alors, Lermontov se révolte, et fou de colère, ajoute à son poème une conclusion terrible et menaçante à l’adresse des autorités. Le tsar reçoit aussitôt une copie du poème complet saisi par la police. Raievsky est mis aux arrêts pour avoir distribué les vers de son ami. Lermontov est interrogé, puis arrêté. Elizabeth Arsenieva court les ministères, implore des amis haut placés, pour intervenir en faveur de Mikhaïl et de Raievsky. Elle échoue. Lermontov est envoyé au Caucase, dans un régiment de dragons, et son ami relégué dans le gouvernement d’Olonetz. Le jeune poète est profondément accablé par sa part de responsabilité à l’égard de Raievsky. Hélas, il ne peut rien faire ! En roulant vers le Caucase - infesté de rebelles - Lermontov songe à Pouchkine. Dix-sept ans plus tôt - exilé comme lui pour avoir écrit des vers subversifs - il avait suivi cette même route ! Entre le défunt et ce vivant,

entre l’écrivain célèbre et ce jeune débutant, s’établit une alliance mystérieuse. Dans la deuxième quinzaine d’avril, Lermontov arrive à Guelendjik, mais il prend froid, subit une violente crise de rhumatismes, et est envoyé en traitement à Piatigorsk. Là, une société élégante semble ignorer les combats qui se déroulent non loin d’elle. Tout d’abord, le poète la fuit, préférant les excursions qu’il fait en solitaire. De ces longues promenades, il restera un très beau poème intitulé “Caucase”. Après quelques semaines d’isolement, il retourne tout de même dans les bals, et recommence à railler, à contredire. Puis, guéri de ses rhumatismes, il rejoint son régiment. De son côté, son aïeule reprend ses démarches dans le but de le faire grâcier. Vu son grand âge - et ses relations - on lui accorde enfin la faveur demandée. Lermontov revient à Tsarskoie-Selo. ses chefs sont contents de lui. Puis il compte des protecteurs sérieux dans le monde des Lettres, en particulier Joukovsky et Tourgueniev. Pourtant, ses camarades sont tous d’accord pour noter qu’il souffre d’une lancinante tristesse. Printemps 1838. Varvara et son mari s’arrêtent à Saint-Petersbourg. La jeune femme n’a pas oublié Mikhaïl, et désire ardemment le revoir. Leur ami commun - Chan-Guireï - prépare la rencontre. VarIvan Tourgueniev vara, pâle et maigre, n’est (1818-1883). plus que l’ombre d’ellemême. Lermontov est bouleversé. Il éprouve le sentiment d’avoir irrémédiablement gâché leur vie, à tous deux. Varvara repart, emportant son Amour et sa souffrance. Elle s’éteindra en 1851. À Saint-Petersbourg, la notoriété de Lermontov s’est affirmée durant son absence. On voit en lui l’héritier spirituel de Pouchkine. Les grands poètes l’aiment, et on l’invite de tous côtés. Pourtant, sa tristesse ne diminue pas. Le monde l’ennuie. Il ne trouve de consolation que dans le travail et l’amitié des autres poètes. C’est alors qu’il compose son plus grand chef-d’œuvre “Le Démon”, fresque éblouissante par l’abondance des images et la sûreté de l’écriture. Ce travail terminé, Lermontov retourne dans les salons et les bals. Lors du Nouvel An 1840, il éprouve un tel dégoût à nouveau, pour cette société, qu’il rédige un poème virulent ayant pour un titre

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Culture russe >> “Premier janvier”. Mais le 16 février, lors d’un bal, une

dispute s’engage entre le poète et le fils de l’Ambassadeur de France - Monsieur de Barante - qu’il ne peut sentir. Et, le 18 février, c’est le duel, à l’endroit même où Pouchkine est tombé. Légèrement blessé, le poète est mis aux arrêts. Le grand critique Bielinsky lui rend visite, et dit ensuite à ses amis : « J’ai vu Lermontov dans sa solitude. Quelle âme profonde et puissante ! Ses paroles respirent la vérité, la simplicité, et la profondeur. Pour la première fois, j’ai vu le vrai Lermontov. Que cette âme de poète est fine et tendre ! Et comme il aime Pouchkine ! » Durant son incarcération, Mikhaïl trompe le temps en écrivant de nouvelles œuvres “Le chevalier captif”, “La Voisine”, “Le Vaisseau fantôme”. Mais de Barante vient le voir, se plaignant de la déposition du poète : il est vexé, car Lermontov a déclaré qu’il a volontairement épargné son adversaire. Une dispute s’engage, et, pour en finir, le poète propose un nouveau duel à sa sortie de prison. La mère du diplomate s’empresse de révéler cette histoire aux autorités. Et, pour la seconde fois, le lieutenant Lermontov est envoyé au Caucase. Le 20 avril 1840, le jeune homme court embrasser sa grand-mère, qu’il trouve souffrante et désespérée. En vieillissant, elle s’est attachée plus sincèrement à Mikhaïl. Maintenant, elle l’aime pour LUI, et non plus pour elle, comme jadis. S’arrêtant à Moscou, Lermontov rencontre Gogol, enthousiasmé par son roman “Un héros de notre temps”. Une œuvre en prose cette fois, que le jeune homme vient de terminer. Gogol prédit au poète qu’il deviendra un grand peintre de la vie russe. Puis demande à Mikhaïl de lui réciter son dernier poème “Le Novice”. Gogol est émerveillé. Un critique littéraire - Chevyrev - écrit au même moment : « Depuis la mort de Pouchkine, aucun nom n’a brillé d’un éclat aussi vif à l’horizon de notre littérature que celui de Lermontov. Talent fabuleux et varié, aussi à l’aise dans les vers que dans la prose, Lermontov est, à la fois, un lyrique inspiré et un romancier admirable. » Juin 1840. L’exilé arrive à la forteresse Grozny, où il n’est question que des violents combats qui doivent se déclencher sur le flanc gauche de la ligne du Caucase. Dès les premiers engagements, la conduite de Lermontov lui

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vaut une brillante citation. Il est proposé pour être décoré de l’ordre de Saint-Vladimir. Fin septembre, un détachement de cavalerie passe sous ses ordres. Pour conquérir l’estime de ses soldats, Lermontov se mêle totalement à eux, mangeant à leur ordinaire, dormant côte à côte avec eux. Le Général Golovine note dans son rapport : « Toujours le premier à cheval et le dernier au repos, cet officier courageux et actif mérite les félicitations du haut-commandement ». Puis il ajoute : « Proposé pour le sabre d’or, avec l’inscription : Pour la bravoure ! ». Mais le tsar n’a pas pardonné à Lermontov le poème sur la mort de Pouchkine, pas plus que ses attaques et moqueries à l’égard de la haute société. Il interdit citations et décorations. Janvier 1840. Le poète obtient une permission pour venir embrasser sa grandmère. Puis, il repart pour le Caucase, en compagnie de son cousin et fidèle ami Stolypine, lequel est chargé de l’emmener à Choura, où se trouve son régiment. La route est affreuse ; une pluie diluvienne accompagne les voyageurs. Fatigués par ce pénible parcours, ils décident de se rendre non pas à Choura, mais à Piatigorsk, et de se faire délivrer de faux certificats médicaux leur permettant de passer quelque temps dans la ville d’eau. Ils arrivent à leurs fins, et s’installent dans une maisonnette en bordure de la ville. Lermontov se remet à Nicolas Gogol écrire. Puis il songe à son (1809-1852). curieux destin, à Pouchkine… Il pense… beaucoup trop, et, comme c’est parfois le cas lorsque ses méditations l’accablent, il éprouve le besoin de s’étourdir pour oublier… tant de choses ! Il se joint à un groupe d’amis habitant les maisons voisines, parmi lesquels se trouve un nommé Martynov, puis Léon Pouchkine - frère du poète - le Prince Troubetzkoi, Glebov et Raievsky que Lermontov retrouve avec joie ! La vie est toujours la même à Piatigorsk. La haute société donne ses soirées, mais n’y convie plus le poète et ses amis, par crainte de se compromettre avec un proscrit. Peu importe. Mikhaïl et ses amis organisent leurs propres réjouissances. Le poète fait souvent rire les jeunes filles aux dépens de Martynov, garçon prétentieux et borné. Mais, de plus en plus souvent, Lermontov est sujet à des accès de mélancolie. Un jour, il déclare à un camarade : « Je sens que je n’ai plus beaucoup de temps à vivre. » Pourquoi ?

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Il ne sait pas. C’est un pressentiment. Un officier de gendarmerie - venu de Saint-Petersbourg - prend un vif intérêt à la conduite du poète. Subitement, on remarque, dans Piatigorsk, un nombre étonnant de policiers. Ces émissaires visibles de la volonté impériale donnent du courage aux détracteurs du poète. Ils cherchent un exécutant crédule et téméraire. Ils échouent une première fois auprès d’un nommé Lissanevitch, dont l’amitié pour Lermontov est à toute épreuve ! Mais ils parviennent facilement à convaincre le stupide et ombrageux Martynov, déjà exaspéré par les railleries du poète. Le 13 juillet 1841, au cours d’un bal, Lermontov dessine une caricature très amusante de Martynov. Ses amis éclatent de rire. Mais Martynov - soutenu dans l’ombre par les provocateurs - le prend de très haut. chacun s’étonne, car Lermontov, selon son habitude, a voulu plaisanter mais c’était vraiment sans méchanceté. Le poète répond d’un De plus en plus ton amical à son camarade, mais celui-ci ne se calme pas et ré- souvent, Lermontov clame le duel. Les amis de Mikhaïl essaient d’arranger les choses. est sujet à des accès Lermontov lui-même est perde mélancolie. Un suadé que cela se terminera devant un bon dîner, car cette jour, il déclare à un histoire est absurde, et il ne tient camarade : « Je pas à se battre contre un camasens que je n’ai rade. Il est probable, en effet, que les choses se seraient amicaleplus beaucoup de ment terminées si Martynov avait temps à vivre. » agi selon sa seule initiative. Mais les émissaires du tsar l’entouPourquoi ? Il ne rent, lui conseillent l’intransisait pas. C’est un geance, ne voulant pas manquer cette magnifique occasion de se pressentiment. débarrasser de l’encombrant et indésirable défenseur de Pouchkine. Lermontov, quant à lui, songe que - si le duel a lieu - il tirera en l’air. Il fait part de cette intention au fidèle Stolypine, ajoutant : « Je ne tiens pas à tuer cet imbécile ! ». Les amis du poète pensent comme lui : ce misérable pantin de Martynov ne mérite même pas la mort. Évidemment, il est possible que Lermontov soit tué, puisque c’est le soi-disant offensé qui tirera le premier. Cette pensée ne trouble pas Mikhaïl. La mort ! Plus que jamais, il songe aux délices de cette évasion. Pour lui, c’est l’alliance de l’âme libérée avec le frisson de l’herbe, le souffle du vent ! Et Lermontov se fait à luimême cette émouvante confession : « Pourquoi ai-je vécu ? Pour quel but suis-je né, mis à part la défense de Pouchkine ? Sûrement ce but existait, car je sens en moi des forces immenses, mais je n’ai pas tout deviné de cette destination. Mon Amour n’a apporté de bonheur à

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personne ; je satisfaisais seulement un étrange besoin du cœur. Avec avidité, j’absorbais les sentiments des autres, leur tendresse, leurs joies, leurs souffrances… et je n’étais jamais rassasié. Peut-être vais-je mourir demain, ne laissant sur terre aucune créature qui m’ait pleinement compris ! Les uns me considèrent comme pire, les autres comme meilleur que je ne suis en réalité. Après cela… vaut-il la peine de vivre ? Et pourtant, on vit, par curiosité, on attend quelque chose de nouveau… Comme c’est risible et trite ! » Malgré les efforts des amis du poète pour amener Martynov à une réconciliation, le duel est maintenu. Lermontov demande à Stolypine d’être son témoin. Stolypine ! Ce cousin et ami de toujours : un être noble et généreux, dont la beauté physique est digne de son âme. Il aime Mikhaïl comme un frère, et tremble pour lui ! Glebov sera le témoin de Martynov, bien que cela ne lui plaise pas du tout, mais… il faut bien que quelqu’un se dévoue pour assumer ce rôle ! Le 16 juillet 1841, à 17 heures, les témoins viennent chercher Mikhaïl, et la petite troupe gagne le lieu de la rencontre. Quelques camarades, angoissés, viennent assister au duel. Martynov et le poète sont prêts. Glebov compte. Lermontov demeure immobile, paisible, avec un air étrangement heureux. Martynov doit tirer le premier. Il hésite… Les secondes passent. La pluie commence à tomber. Exaspéré par la terrible Ivan Martynov tension qui règne, et qui (1771-1833). devient insupportable pour les amis du poète, Stolypine hurle : « Tirez donc ou je vous sépare ! ». Au même instant, un coup de tonnerre assourdissant ébranle l’espace. Une détonation sèche, isolée, retentit. Lermontov s’effondre, sans même porter la main à sa blessure. Il ne bouge plus, ne gémit pas. Après un moment de stupeur, les témoins se précipitent vers lui. Épouvanté, le regard vide, Martynov balbutie : « Mikhaïl, pardonne-moi. » Il tremble de tous ses membres. Tel un dément, il s’enfuit vers Piatigorsk. Les témoins échangent des regards navrés. Ils sont dépassés par l’événement. De petits hommes, devant un crime énorme ! Glebov s’assied dans la boue, prend la tête de Lermontov sur ses genoux. Inutile d’appeler un docteur : tout est bien fini ! Le poète n’a pas pu fêter son 27e anniversaire. Nous sommes en juillet ; il est né en octobre. Sur son visage se dessine encore un sourire de souverain mépris. Les autorités sont au courant de ce duel, et auraient pu l’interdire. Mais… la consigne dictée par Benkendorf chef de la police - était de n’intervenir sous aucun prétexte. Exactement la même chose que pour le duel de Pouchkine ! En ville, les personnes dites “de qualité” sont enchantées, mais un grand nombre de camarades pleurent sin- >>

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leur étrange compagnon. Les ennemis du poète interdisent l’enterrement religieux. Cependant, le courageux colonel Traskine prend sur lui de lever cette interdiction. Les funérailles ont lieu le 17 juillet, vers 18 heures, au cimetière de Piatigorsk. Les amis de Mikhaïl portent le cercueil sur leurs épaules. Une foule d’officiers aux voix graves chante la prière des morts. Lorsque tout est fini, quittant le cimetière, beaucoup se souviennent des vers du jeune poète sur la mort de Pouchkine. Comme celui dont il s’était fait le défenseur. Lermontov, traqué par des ennemis haut placés et subtils, a péri en duel, au moment où son génie s’épanouissait incomparablement. Un contemporain note dans son journal, le 13 juillet : « Lermontov a été tué. Son destin a été le même que celui de Pouchkine. J’ai peur pour la Russie quand je pense qu’il ne s’agit pas là d’un hasard, mais d’une sorte d’arrêt fatal, qui condamne les meilleurs fils, les plus grands poètes de notre pays. » Le Prince-écrivain Viasemsky écrit à son ami Boulgakov : « C’est une perte énorme pour notre littérature ! On tire sur notre poésie plus sûrement que sur LouisPhilippe. Coup double ! Pas un raté ! Quelle tristesse ! ». Elizabeth Arsenieva n’est prévenue du décès de son petit-fils qu’au mois d’août. Surmontant le choc que lui cause l’affreuse nouvelle, elle trouve encore la force d’entreprendre les démarches nécessaires au retour du corps de Lermontov. Le 23 avril 1842, Mikhaïl est réinhumé à Tarkhany, auprès de sa mère. Elizabeth Arsenieva s’éteint à son tour le 16 novembre 1845, après avoir versé bien des larmes. Et Martynov ? Quel sort lui réserve-t-on ? Nicolas 1er ordonne à Benkendorf de faire en sorte qu’il soit jugé de la façon la plus indulgente ! Martynov ne sera condamné qu’à 3 mois de forteresse, et à une pénitence religieuse. Il est très satisfait, et pense qu’on oubliera très vite Lermontov. Il invente un tas

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d’histoires pour justifier son duel. Mais plus le temps passe, et plus Lermontov est glorifié par ses concitoyens, lesquels parlent de lui comme étant l’un des plus grands écrivains du siècle. Martynov traînera derrière lui, toute sa vie, ce spectre éternellement jeune, éternellement florissant. Dans les écoles, les enfants apprennent les poésies de Lermontov par cœur. Et la plus grande punition de l’assassin du poète sera d’être montré du doigt, avec dégoût, jusqu’à sa mort, même par les petits enfants, ainsi que le raconte l’écrivain estonien Vilde, dans ses “Souvenirs”. Nous pouvons le croire, car, dès l’âge de 6 ans, il habita à Moscou, près de la maison de Martynov. Piotr Stolypine Disparu avant d’avoir la (1862-1911). pleine mesure de son merveilleux talent, Lermontov laisse derrière lui une œuvre pouchkinienne. Sa prose, précise, nerveuse, d’un réalisme, annonce “Guerre et Paix” et “Anna Karénine”. D’ailleurs, plus tard, quand on demandera à Tolstoï quel est le romancier Plus tard, quand on russe qu’il juge le plus remarquable, il résans hésiter : Lermontov ! Gogol fait demandera à Tostoï pondra, la même réponse ! À tous ceux qui l’ont bien connu, à tous ceux quel est le qui furent ses “vrais” amis, nous devons auromancier russe jourd’hui ce privilège : pouvoir, avec eux, en compagnie de leurs écrits, de leurs souvequ’il juge le plus nirs, lever le masque remarquable, de Lermontov ! À travers la souffrance, les il répondra, déceptions, le dégoût, sans hésiter : l’âme du poète - derrière le masque qui la Lermontov ! aux reGogol fait la même dissimulait gards indiscrets - a toujours conservé sa réponse ! beauté, sa pureté, et sa noblesse, les déLydia Yegoroff voilant dans des œuBONNE ESPÉRANCE vres merveilleuses, 41 qui ont donné à la CU-1006 LAUSANNE Russie un trésor poéTÉL. tique inégalable. N 0041.21.729.88.06

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Genève

Pourmieux“voir”

Geneve

(suite)

POURSUIVONS NOTRE DÉCOUVERTE DE LA GENÈVE INSOLITE ET SECRÈTE GRÂCE AU GUIDE QUE VIENT DE PUBLIER CHRISTIAN VELLAS AUX ÉDITIONS JONGLEZ. NOUS AVONS DÉJÀ PRÉSENTÉ CET OUVRAGE DANS LES N° 30, 31 ET 32 DE FRANCE MAGAZINE. VOICI ENCORE DEUX SUJETS ÉTONNANTS CHOISIS DANS LA CENTAINE QUE COMPTE CE GUIDE. VOUS CROYIEZ CONNAÎTRE GENÈVE ? LAISSEZ-VOUS SURPRENDRE !

La rue du dernier bourreau genevois ’est au 9 rue Tabazan qu’a habité le dernier bourreau genevois, François Tabazan (1534-1624), descendant d’une longue lignée. Quand on naît fils de bourreau, tout autre profesLe personnage sion était en effet socialedu bourreau dans ment barrée. Cet ultime le cortège de spécialiste, expert de l’estral'Escalade. pade, des osselets ou des brodequins, maître du grand spectacle de la roue en place du Molard, virtuose de la hache, a connu ses heures de gloire au lendemain de l’Escalade de 1602, dans la nuit du 11 au 12 décembre (calendrier Julien). Les Savoyards du duc Charles-Emmanuel ayant été vigoureusement repoussés, c’est lui qui dut étrangler treize - ou quatorze ? - illustres prisonniers, avant de leur couper la tête. Il trancha ensuite le chef de 54 assaillants morts au combat, ces crânes étant ensuite exposés, fichés sur des poteaux, durant six mois ! La coutume étant que le bourreau récupère les habits des suppliciés pour les revendre, on voit que le malheur des uns faisait le beurre des autres. L’émolument pour une décollation étant cependant modeste : dix florins (soit quelques centaines de francs suisses), et la besogne n’était pas quotidienne. Les Tabazan avaient reçu la bourgeoisie genevoise en 1490. Des vrais Genevois, donc. Mais à Genève, on ne veut plus le savoir ! Sur la plaque, apposée sur la rue, on se contente de souligner que les ancêtres du bourreau

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étaient des Savoyards de Chilly. Vous l’avez remarqué ? Le dernier bourreau genevois est mort à l’âge de 90 ans. Ce qui est exceptionnel pour l’époque et prouve que le métier conservait bien son homme. Dans la rue Tabazan, au numéro 9, il suffit de lever la tête pour voir l’enseigne représentant le bourreau avec sa capuche et son énorme épée de fonction. Son costume officiel était noir et violet. Mais c’est un des rares cas où le prestige de l’uniforme n’était pas un atout auprès des dames (quoique…). N

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LÉNINE, SYMBOLE DES RÉFUGIÉS ?

Un bas-relief controversé au Molard eu de Genevois le remarquent encore : gravé à mi-hauteur sur la face principale de la Tour du Molard, un bas-relief porte l’inscription « GENÈVE CITÉ DE REFUGE ». En regardant attentivement, on s’aperçoit qu’il représente la République accueillant sous son bras protecteur un personnage qui n’est autre que … Lénine. Construite en 1591, la tour du Molard a été plusieurs fois restaurée. La dernière rénovation datant de 1906-1907, période durant laquelle le révolutionnaire russe promenait sa calvitie naissante et sa barbichette dans les cercles influents de Genève. Lénine, exilé politique, a fait de longs séjours à Genève,

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en particulier dans les années 1903-1905 et 1907-1908. Ce bas-relief a été ajouté en 1920. Aucune inscription n’indiquant que le personnage pris comme modèle est bien Lénine, on se demande pourquoi ce manque d’information. Est-ce que cette discrétion est due au choix controversé de faire de Lénine le symbole des milliers de réfugiés que Genève a accueillis au cours des siècles ? Certains Genevois, qui auraient préféré que l’on choisisse un autre illustre réfugié pour cet hommage – il n’en manque pas ! - ont parfois ressenti cela comme une provocation… Lénine arriva en Suisse après avoir passé trois ans de déportation en Sibérie, et c’est en Helvétie que mûrit sa conception du parti révolutionnaire. Une plaque commémorative est posée sur le domicile qu’il occupa à l’époque, 5 rue des Plantaporrêts. N

D’où vient le mot “Molard” ? Le lac pénétrait autrefois jusqu’ici et il exista un port marchand jusqu’au début du 19e siècle. “Molard” vient de môle, la jetée qui protégeait l’entrée du port.

1 Un imposant bas-relief montrant Lénine sous les bras accueillants de Genève.

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christian.vellas@gmail.com

2 Portrait de Lénine : c’est en Suisse que le révolutionnaire russe mûrit son projet.

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Christian Vellas


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Léonard

Gianadda

LÉONARD GIANADDA EST UN INGÉNIEUR, PROMOTEUR IMMOBILIER ET MÉCÈNE SUISSE, NÉ À MARTIGNY LE 23 AOÛT 1935. APRÈS SES ÉTUDES AU COLLÈGE DE L'ABBAYE DE SAINT-MAURICE, LÉONARD GIANADDA DEVIENT REPORTERPHOTOGRAPHE POUR LA TSR EN 1957, PUIS ÉTUDIE À L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE FÉDÉRALE DE LAUSANNE (EPFL) AVEC L'OBTENTION, EN 1960, DU TITRE D'INGÉNIEUR CIVIL. IL OUVRE UN BUREAU D'INGÉNIEURS EN 1961 À MARTIGNY. IL CONSTITUE, EN 1978, LA FONDATION PIERRE GIANADDA, EN SOUVENIR DE SON FRÈRE, MORT ACCIDENTELLEMENT LE 31 JUILLET 1976, SUITE À UN ATTERRISSAGE RATÉ D'UN AVION À BARI. LE 4 JUIN 2003, IL ENTRE SOUS LA COUPOLE DE L'INSTITUT ET DEVIENT MEMBRE DE L’ACADÉMIE DES BEAUXARTS. EN 2009, IL CONSTITUE LA « FONDATION ANNETTE ET LÉONARD GIANADDA », UNE FONDATION À CARACTÈRE SOCIAL.

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> Serge C. Vinet : “More Majorum” à la manière de nos anciens. On sent chez vous, Monsieur Gianadda, une avidité à transmettre, à passer le flambeau, à laisser quelque chose aux générations futures. Qu'est-ce qui vous anime ? Léonard Gianadda : Certains des vestiges gallo-romains découverts à Martigny datent d’avant le premier millénaire. Enterrés le plus souvent, ils ont survécu, ce qui nous permet aujourd’hui de mieux connaître les civilisations qui nous ont précédés. Il me paraît, en effet, naturel de conserver ce patrimoine, non seulement pour notre génération, mais pour celles qui vont nous suivre. D’origine italienne, j’ai toujours eu le sentiment que l’époque romaine du pays dans lequel je vis aujourd’hui constituait le socle commun sur lequel se sont construites les civilisations successives, au-delà des Nations qui se sont créées. J’ai eu souvent l’occasion de dire aux visiteurs de la Fondation que nous, Suisses et Italiens, avions des ancêtres communs et des origines semblables. La connaissance du passé peut donc représenter un pont entre nous. > S.C.V. : Vous avez aujourd'hui la possibilité de jeter un regard par-dessus votre épaule jusqu'en 1889, quand, à pied, votre grand-père Baptiste Gianadda franchit le Simplon et qu'en 1916, il obtint la naturalisation valaisanne. C'est un parcours peu commun. Quel est votre sentiment ? L.G. : Mon grand-père a effectivement émigré en Suisse à l’âge de 13 ans. Il y a fait sa vie et a obtenu la nationalité suisse et la citoyenneté valaisanne ainsi que la bourgeoisie d’un village proche de Martigny : Salvan. Je tiens de mes ancêtres paternels, et tout particulièrement de mon grand-père, un certain esprit d’aventure mais surtout le


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Arts et découvertes

goût de la pierre, ce qui m’a incité à choisir un métier de la construction. En tant qu’ingénieur, j’ai eu l’occasion, en 1993, de construire le deuxième pont de Gueuroz, situé entre Martigny et Salvan. Mon grand-père avait participé à la construction du premier pont, entre 1931 et 1933. Soixante ans plus tard, le bureau que je dirigeais à l’époque avec l’ingénieur Umberto Guglielmetti s’est vu confier la construction d’un deuxième ouvrage, à côté de celui construit par mon grand-père. Je tiens par ailleurs de ma mère mon goût pour toutes les formes d’art. Lorsque j’avais 15 ans, elle nous a emmenés, mes frères et moi à Florence, Rome et Naples, visiter les plus grands monuments et musées italiens. J’en ai gardé un souvenir ébloui. J’ai, par conséquent, le sentiment d’avoir suivi un parcours tracé aussi bien par ma parenté paternelle que maternelle. > S.C.V. : Votre tante, Adèle Ducrey, qui vient de fêter ses 100 ans, est l'histoire vivante de votre parcours. Elle a même connu votre arrièreLéonard grand-père, Angelo, qui fit la bataille de Gianadda en Solférino en 1859. Cela dépasse compagnie de l'imagination. Elle habite toujours dans Cécilia Bartoli.

l'immeuble Miremont où vous êtes né le 23 août 1935 à Martigny. Lion ascendant Lion !... Est-elle la réflexion, ce regard en arrière, qui vous a projeté à constituer une nouvelle fondation “Annette et Léonard Gianadda”, une fondation à buts sociaux. Pourriez-vous nous décrire les buts et les finalités de cette fondation ? L.G. : Ma tante a fêté ses cent ans l’année où j’atteignais les trois-quarts de siècle. C’est un âge où les forces déclinent et où l’on regarde volontiers dans le rétroviseur. On songe sans doute davantage à tous ceux qui n’ont pas connu ou qui ne connaissent pas la prospérité dont nous avons bénéficié. Après avoir consacré quelques décennies à un soutien actif dans les domaines artistique ou historique, je souhaitais partager mes acquis avec ceux qui ont eu moins de chance que moi. J’ai pensé évidemment aux personnes âgées, à celles qui sont dans une situation économique précaire et aux très jeunes enfants. La Résidence “À tout âge” que j’ai bâtie accueille toutes les générations : une crèche pour les enfants d’âge préscolaire, des appartements pour les familles, des studios aménagés à l’intention des personnes âgées qui disposent aussi de locaux de vie communs. Ce complexe a été offert à la communauté martigneraine. Les revenus des locations sont gérés par la “Fondation Annette et Léonard Gianadda” qui a pour mission de les redistribuer aux personnes ou aux familles dans le besoin. Cela représente plus de CHF 350 000.- par année. Par ailleurs, à titre personnel, je poursuivrai l’aide que j’ai toujours apportée aux institutions et sociétés locales, qu’elles soient à but social, sportif ou culturel. > S.C.V. : Raymond Queneau disait « qu'il ne fallait jamais faire de confidences, car cela abîmait les sentiments ». Malgré tout, vous pouvez peut-être nous expliquer pourquoi et comment le 31 juillet 1976, à la disparition tragique de votre frère Pierre, âgé de seulement 38 ans, vous décidez de créer une fondation à son nom. Fondation connue et reconnue comme un véritable phénomène dans le domaine de l'Art, bien au-delà des Alpes valaisannes, de la Suisse et même de l'Europe. L.G. : J’étais très attaché à mon frère, avec qui notamment j’avais beaucoup voyagé. Sa

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Arts et découvertes >> disparition tragique m’a donc profondément

marqué. A cette époque, je projetais de construire un immeuble à l’emplacement actuel de la Fondation. Au moment du creusement des fouilles, nous avions découvert les vestiges d’un temple gallo-romain, probablement le plus ancien connu en Suisse. C’est la conjonction de ces deux événements qui m’a incité à créer la Fondation à laquelle j’ai donné le nom de mon frère, pour perpétuer sa mémoire. Au départ, j’envisageais surtout de créer un musée pour conserver le site et les multiples objets antiques découverts à Martigny. J’ai très vite réalisé qu’un musée, pour être vivant, doit offrir davantage à ses visiteurs. C’est la raison pour laquelle j’ai songé à y organiser des expositions et des concerts, qui ont très rapidement connu un grand succès, S’y sont ajoutés les jardins et le parc de sculptures. Puis le musée a débordé de son enceinte et s’est répandu dans la ville, sous la forme des sculptures qui ornent aujourd’hui tous les giratoires de Martigny. > S.C.V. : Il y a une dizaine d'années, j'étais à Moscou. J'ai eu le privilège de visiter le Musée Pouchkine et de découvrir les splendeurs de nos maîtres français. Je ne vous dis pas l'intense émotion ressentie lorsque, quelques années plus tard, j'ai revu chez vous, à Martigny, les mêmes œuvres. Renoir, Monet, Manet, Watteau, Courbet, Pissaro, Matisse... Je me suis souvenu, ce jour-là, d’une phrase d’Amédéo Modigliani : « D’un œil, observer le monde extérieur, de l'autre, regarder au fond de soi-même ». Est-ce que l'émotion vous accompagne dans vos choix, est-ce qu'elle vous guide ? L.G. : Sans nul doute. Certaines œuvres d’art nous touchent davantage que d’autres. Lorsqu’on a la chance de rencontrer l’artiste, cette émotion se nourrit aussi de l’échange, de la relation. J’ai ainsi pu nouer de véritables liens d’amitié avec certains artistes, comme Hans Erni, Sam Szafran ou Cecilia Bartoli. > S.C.V. : Le 4 juin 2003, Jean-Jacques Aillagon, Ministre de la Culture à l'époque, vous remet votre épée d'Académicien. Votre installation sous la Coupole fait de vous, à l'Institut, un membre éminent de l'Académie des

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Beaux-Arts, mais aussi un Immortel. J'ai même entendu dire que vous étiez le seul membre étranger de cette très honorable institution à avoir le privilège d'acheter des œuvres pour certains musées français. « Pour jouir d'une vie heureuse et accomplie, la clef est l'état d'esprit. C'est l'essentiel. »* Après avoir été décoré et adulé dans le monde entier, dans quel état d'esprit êtes-vous ? L.G. : Il serait évidemment facile de répondre qu’à côté de ces événements glorieux, je continue à savourer les bonheurs simples : celui de manger les asperges avec mon ami Chambovey, artisan menuisier ou avec Nato Visentini qui a réparé toutes les voitures anciennes exposées à la Fondation. J’ai conscience d’avoir vécu des événements exceptionnels, parce que l’époque était particulièrement favorable à l’expansion artistique, parce que mes moyens me permettaient d’agir, parce que j’ai eu la chance de rencontrer tout au long de mon parcours des personnalités audacieuses, prêtes à m’accompagner dans mes démarches. Au-delà des satisfactions narcissiques qu’elles procurent, ces formes de reconnaissance ont aussi contribué au succès de la Fondation et, à ce titre, j’en suis très heureux. > S.C.V. : Du 17 juin au 20 novembre prochain, vous entamez une nouvelle exposition “Claude MONET au Musée Marmottan et dans les Collections suisses”. Le Maître incontesté de l'Impressionnisme de Giverny va vous occasionner sans aucun doute un énième succès. Qui ne succombe pas aux Nymphéas, ce sont des Odes à la nature, des Myriades de couleurs. À quand le 10 millionième visiteur de la fondation Pierre Gianadda ? Cette année ? L.G. : Commençons par atteindre le neuf millionième ! > S.C.V. : Vous êtes également membre du Conseil de l’Ente Veneto Festival (I Solisti Veneti). Une rétrospective des Grands Maîtres Vénitiens avec, en toile de fond, leurs homologues musiciens, sous la baguette du magistral Claudio Scimone, spécialiste incomparable d'Antonio Vivaldi, Alessandro Marcello, Otto Rino Respighi, etc. Avec son ensemble I Solisti Veneti. Est-ce envisageable ? L.G. : Après avoir réuni une centaine d’œuvres de Van Gogh en 2000, présenter une exposition Monet, pourquoi pas ? > S.C.V. : « Exige beaucoup de toi-même et attends peu des autres », nous enseignait Confucius. Qu'attendez-vous des autres ? L.G. : Quand on attend beaucoup de soi-même, on attend généralement beaucoup des autres. Je n’échappe pas à cette règle. J’attends des gens qui m’entourent qu’ils fassent leur travail avec la meilleure volonté possible, qu’ils partagent mon souci de faire de la Fondation un espace d’accueil ou du bureau un lieu où le travail soit efficace. Même si la patience n’est pas ma principale vertu, je crois que je sais manifester ma reconnaissance aux gens avec qui je collabore au quotidien. Plus globalement, j’attends des autres non pas qu’ils m’approuvent en toute chose, mais au moins qu’ils acceptent d’envisager le changement, non comme une impossibilité mais comme une chance. C’est à ce prix que notre société peut évoluer. N SERGE CYRIL VINET *Tenzin Gyasto, 14e Dalai Lama

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Exposition Monet

LéonardGianaddaetClaudeMonet

Route près de Giverny, 1885, huile sur toile, 65 x 81, Collection particulière.

Champs de coquelicots près de Vétheuil, vers 1879, huile sur toile, 71.5 x 91.5, Fondation Collection E.G. Bührle, Zurich.

La Rue de l'Epicerie à Rouen, 1892, huile sur toile, 92 x 52, Collection particulière, Claude Mercier photographe.

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Matinée sur la Seine, 1896, huile sur toile, 92 x 92, Collection particulière.

Peupliers au borf de l'Epfte, effet du soir, 1891, huile sur toile, 100 x 62, Collection particulière.

Printemps à Argenteuil, 1872, huile sur toile, 51 x 65, Collection particulière.

Cathédrale de Rouen. Effet de soleil. Fin de journée, 1892, huile sur toile, 100 x 65, Musée Marmottan Monet, Paris. Legs Michel Monet, 1966.

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Exposition Monet

Poirier en fleurs, 1885, huile sur toile, 65 x 81, Collection particulière.

La Terrasse à Vétheuil, 1881, huile sur toile, 81 x 65. Collection particulière © Reto Rodolfo Pedrini.

Nymphéas, vers 1914, huile sur toile, 135 x 145, Collection particulière. Londres. Le Parlement. Reflets sur la Tamise, 18991901, huile sur toile, 81 x 92, Musée Marmottan Monet, Paris. Legs Michel Monet, 1966.

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Falaises, temps gris, 1882-1886, huile sur toile, 54 x 73, Collection particulière, Atelier für fotografie Mathias Leemann.

La promenade d'Argenteuil, 1872, huile sur toile, 53 x 73, Collection particulière.

Iris, 1914-1917, huile sur toile, 120 x 100, Collection particulière.

Le Train dans la neige. La locomotive, 1875, huile sur toile, 59 x 78, Musée Marmottan Monet, Paris. Legs Victorine Donop de Monchy.

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Exposition Monet

Paysage d'hiver au val de Falaise, 1885, huile sur toile, 65 x 81, Merzbacher Kunststiftung.

Nymphéas, 1907, huile sur toile, 92 x 73, Collection particulière.

Sur la plage à Trouville, 1870-1871, huile sur toile, 38 x 46, Musée Marmottan Monet, Paris. Legs Michel Monet, 1966.

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Peinture

Hansi

artisteintemporel,aquarelliste etpatrioteavanttout…

L'EXPOSITION QUE L'ON A PU VOIR AU MUSÉE HISTORIQUE DE LAUSANNE JUSQU'EN MAI, A PERMIS DE DÉCOUVRIR OU REDÉCOUVRIR UN ARTISTE ATTACHANT ET TRÈS ATTACHÉ À SON ALSACE NATALE ET PARTISAN DE SON RETOUR À LA FRANCE. CAR JEAN-JACQUES WALTZ, DIT HANSI, NAIT EN 1873, AU CŒUR D’UNE ALSACE ANNEXÉE AU REICH ALLEMAND, DANS UNE FAMILLE FRANCOPHILE, PROTÉGÉE DE TOUTE INGÉRENCE ALLEMANDE.

e petit monde de Hansi - entre humour et naïveté - fait naître une intense palette d’émotions. Les cigognes sur les toits des maisons à colombages, les beaux atours et l’effervescence des villages en fête, c’est lui. Les cortèges d’enfants aux coiffes alsaciennes et lorraines, portant des kougelhopfs et des bouquets aux fleurs bleublanc-rouge, suivis par des oies curieuses, c’est lui. Les caricatures de personnages aux casques à pointes, les détails des dessins du Village d’Alsace (Saint Amarin) Avant et Après (L’occupation), subtils et travaillés avec un soin minutieux… C’est encore lui qui, de par ses phrases écrites dans des bulles, s’avère un des précurseurs de la bande dessinée. C’est à l’initiative de la Société des Alsaciens & Lorrains de Lausanne et de Suisse romande, de son président Bertrand Picard et de Yannick Scheibling, directeur du Musée Hansi de Riquewihr, que cette exposition a pu voir le jour. Les œuvres présentées provenaient toutes du musée de la célèbre cité alsacienne, dévoilant un artiste complet, “touche-à-tout” : sa phase pointilliste, son sens très développé de la publicité (perchée sur une patte, la cigogne veille toujours sur la potasse d’Alsace), sa période Art nouveau à laquelle il était particulièrement sensible, la lithographie et l’aquarelle, arts dans lesquels il excellait. On a pu y admirer de nombreux dessins, paysages, caricatures acidulées, essais pour des étiquettes de vin,

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Peinture Ci-dessous : “Ne m'appelez pas Maître, 1945” et “L’Alsacienne Piou Piou”. © Musée Hansi Riquewihr

études d’enseignes en ferronnerie qui ornent encore les rues de Colmar. Ce paysagiste talentueux qui a su croquer sa chère Alsace dans tous ses états fait penser à un autre univers enchanteur, peuplé d’animaux : celui de Benjamin Rabier, créateur de Gédéon. « IIs se connaissaient et se sont

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côtoyés, tous les trois, Hergé, Rabier et Hansi ! » s’exclame Yannick Scheibling. C’est à Lyon que le jeune Hansi apprend les techniques de l’aquarelle et de la gravure. Il ne cessera jamais de dessiner et se lance dans la réalisation de cartes postales, d’éti>> quettes de vins, d’ex-libris, d’affiches...


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Peinture

Le village de Riquewihr où se trouve le Musée Hansi, souvent peint par l’artiste. © Guillaume Graff

© Photo FK

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Vue de sa fenêtre a Pully Lausanne, 1943. © Musée Hansi Riquewihr

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Peinture

Le succès rencontré avec ses vues de paysages des Vosges et des rues de Colmar lui confère une grande popularité. Il succède à son père au poste conservateur du beau Musée Unterlinden à Colmar, devient l’Ami des enfants, l’Oncle Hansi… Succès également à Paris, où il rencontre ses amis chez Bofinger, un autre Alsacien. En 1931, il y signe de nombreux décors, notamment un salon au premier étage, en compagnie d’un autre compatriote : Spindler, poète en marquetterie d’art… Cette sorte de “Hergé patriotique” aura connu deux guerres. En mai 1913 et en juin 1914, il est emprisonné à plusieurs reprises pour raison de persécution et d’outrage envers l’occupant. Dès la déclaration de guerre en août 1914, il s’engage dans l’armée française. Au déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, il fuit l’Alsace et se rend dans le sud-ouest de la France. Roué de coups par des commanditaires de la Gestapo à Agen en 1941, il parvient à la frontière suisse où un capitaine Guillermet l’autorise à se rendre à Lausanne fin 1942. Il vivra - de sa peinture, d’aquarelles, de lithos - chez une famille Trimbach qui lui trouvera par la suite un autre point de chute : une pension pour jeunes filles anglaises, rue des Chamblandes à Pully. Peut-être y a-t-il encore dans quelques greniers lausannois, dans quelques albums de familles oubliés, des aquarelles signées Hansi, représentant les vignobles, les villages surplombant le lac

qu’arpentait l’artiste au chapeau noir (alsacien), flanqué de ses inséparables pinceaux et couleurs… Hansi quitte définitivement sa chère Alsace en juin 1951, à 78 ans. Son petit-neveu, Jacques Feger, artiste peintre et cofondateur du Musée Hansi de Riquewihr, créé en 1993, fait revivre les couleurs de l’Alsace et perpétue le souvenir de son grand-oncle à travers ses livres où l’on retrouve avec bonheur ses plus belles aquarelles. Car l’engouement envers l’imagier archi-populaire est intact. Un film retraçant les phases importantes de la vie de Hansi sera bientôt diffusé sur France 3. L’exposition était plébiscitée par les Japonais, lesquels vouent une véritable vénération pour Hansi, à l’occasion du marché de Noël de Tokyo. L’actualité en décidera peut-être autrement… Dans le monde de Hansi, la vie s’est figée en images, paysages enchantés chers à l’enfance… N

Accueil au Musée historique de Lausanne, de MM. Bruno Perdu, Consul général de France à Genève, son épouse Claudine, et Olivier Français, Municipal de Lausanne.

Françoyse Krier

140e anniversaire de la Société des Alsaciens & Lorrains de Suisse romande

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a Société des Alsaciens & Lorrains de Suisse romande, ne pouvait fêter son 140e anniversaire, le dimanche 20 mars, qu’au Musée Historique de Lausanne, dans le souvenir bienveillant de Hansi. Comme les nombreux Alsaciens, Lorrains et… Savoyards venus de Suisse romande et de France voisine, MM. Olivier Français, Municipal de Lausanne, Roland Rappaz, Président du Conseil municipal étaient attentifs aux explications fournies par M. Laurent Golay, directeur du musée. M. Gérard Staedel, Président de l’Union internationale des Alsaciens et Lorrains, avait fait le déplacement depuis Strasbourg. Pendant l’assemblée générale qui s’est tenue dans une des très jolies salles du Musée, chacun des orateurs fit état des bonnes relations entre l’Alsace-Lor-

raine et la Suisse, de l’importance de ces deux régions si riches en histoire et de la société, fondée en 1871, qui fête cette année son 140e anniversaire comme… l’association des Alsaciens de New York ! Le discours de M. Bruno Perdu, Consul général de France à Genève et ardent promoteur de l’Alsace, en France comme à l’étranger, a fait l’unanimité : « Dans le monde, et en particulier en Europe, en Allemagne et en Suisse, vos associations, sont comme le “Levain du Kougelhopf” une levure qui contribue au développement des relations bilatérales. En Suisse, votre association joue un rôle actif dans le dialogue entre nos nations et dans la construction d’une Europe unie… La vitalité de la communauté alsacienne est une force pour l’influence et le rayonnement de la France à l’étranger. »

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Moore vs.Morin

Crans-Montana, en décembre 2010, a eu lieu le “Cristal Festival”. Ce festival d’origine française est dédié à toutes les formes de publicité. Hervé Morin (Président du Nouveau Centre et Ancien Ministre de la Défense) devait être un intervenant à la conférence « Comment les nouveaux médias ont-ils modifié la communication politique et publique ? ». Malheureusement, le comble d’un ancien Ministre de la Défense, ne pas pouvoir se déplacer en hélicoptère à cause de la météo ! Arrivé avec 2 h de retard, il accompagna Sir Roger Moore et Kristina Tholstrup, ainsi que David Bagnoud, Président des Communes de Crans Montana. N

a.barriere@romandie.com

AncienAgentSecret contre AncienMinistredelaDéfense

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Alain Barrière


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Écho du Terroir Romand Morand

DuPointGauxVergers, leplaisirduTerroirValaisan e Valais terre promise pour l’agriculture et la viticulture, comme une certaine maxime qui dit que « Le Valais c’est la Californie pour le terroir, mais en mieux ! ». En remontant le Valais, les altitudes varient de 450 m à 4 500 m. A 450 m dans la plaine, terre de limon où coule le Rhône, vous trouverez des pommiers et poi-

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Du verger à la dégustation des produits à Shanghaï, New York, Paris, Moscou ou Sydney. Il est aussi utilisé par les plus grands cuisiniers et pâtissiers du monde. La Distillerie Morand SA allie la plus pure tradition paysanne aux moyens technologiques les plus sophistiqués. De lourds investissements récents permettent à la maison martigneraine d’atteindre des objectifs qualitatifs, économiques et écologiques sans précédent grâce à des solutions novatrices, en particulier en terme d’économie d’énergie, de recyclage des déchets et d’optimisation des nouvelles installations. Triés à la main, seuls les fruits sains et d’un calibre déterminé passent à la broyeuse puis dans les cuves de fermentation. Ensuite, les alambics recueillent la purée de fruits et la distillation commence, ceci de manière indépendante pour chacun des 15 alambics en cuivre de la distillerie. Cette façon de procéder permet, d’une part, de programmer des réglages très Martigny Distillerie Morand. Brunot Vocat, Julien Morand et Didier Fischer, Directeur Général.

riers, à 700 m sur le versant nord, les abricotiers, les framboisiers, ainsi que la vigne en plaine, sur le versant sud et, un peu au nord, de 1000 m à 4 500 m, les forêts, les alpages et les glaciers avec la neige éternelle, enfin presque ! Morand est né en 1889, cette entreprise n’utilise pour ses produits que des fruits de qualité, pour les abricots Luizet. Elle possède en bien propre de quoi satisfaire presque à 100% la production en abricotine et liqueur d’abricot ; pour les poires Williams, elle a recourt à bon nombre d’arboriculteurs dans le Valais, car pour la production, elle a besoin en moyenne de 30 000 kg/jour de purée de fruits pour alimenter les alambics. Savez-vous qu’il faut 8 kgs de fruits pour une bouteille de Williamine®. La gamme s’étend du 2 cl au 150 cl. La Williamine® Morand doit sa riche personnalité à l’action conjuguée de la nature Valaisanne, de l’homme et de l’art du distillateur. À presque 125 ans, Morand reste le nom le plus prestigieux de Suisse dans le monde des alcools distillés et des sirops. Baptisée en 1953, la Williamine® est le seul alcool blanc suisse connu dans le monde entier. www.expatria-cum-patria.ch

Martigny Distillerie Morand Alambics.

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Écho du Terroir Romand Morand Morand, gamme de bouteilles Williamine.

Morand, bouteilles “Douce de”. Martigny, Distillerie Morand. Le barman François Femia.

Morand, outil de production moderne. Martigny, Distillerie Morand Sirops.

précis, spécifiques à chaque fruit et de déterminer ainsi une distillation optimale et sur mesure, d’autre part, de récupérer la chaleur d’une distillation pour préchauffer la purée de fruit en attente pour la prochaine charge. Chaque cycle dure 4 h avec 350 à 400 kgs de purée de fruits.

Le saviez-vous ? Petit mémento sur le sirop de grenadine A l’origine, il était fait à base de pulpe de grenade. Dans quelques pays méditerranéens, il reste fabriqué ainsi, mais en Europe, il s’agit, dans le meilleur des cas, d’un assemblage de 10% de fruits rouges et de vanille ou extraits, avec éventuellement un peu de jus de citron. Les fruits utilisés varient selon les marques : framboises, cassis, groseilles, sureau et fraises. Si on utilise des extraits de fruits, on parle de sirops aromatisés à la grenadine.

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La Distillerie Morand a divisé par deux ses émanations de CO2. Elle est complètement autonome en chauffage en été, en ayant remplacé le système qui chauffait les 10 000 mètres carrés des bâtiments. Le raccordement au chauffage à distance de la ville de Martigny permet de faire l’appoint en hiver. Le contrôle des températures et des temps de cuisson, des niveaux, des éventuelles fuites ou autres problèmes incombaient à du personnel qui se relayait jour et nuit au cœur de l’usine. Aujourd’hui, on est beaucoup plus près du jeu vidéo que du piquet de permanence. Une caméra ultra sophistiquée peut se focaliser sur n’importe quel point essentiel du processus de distillation, télécommandée par un ordinateur, ou même par un simple smartphone. Une éventuelle alerte est transmise à un responsable qui, grâce à la technologie la plus moderne, peut commander à distance n’importe quelle opération en rapport avec la distillation. Des nouveaux consommateurs, et surtout les législations et contrôles liés à l’alcool, ont fait innover depuis 2 ans la société Morand avec une nouvelle gamme “Douce de®” quand même à 30° de volume d’alcool avec la Williamine®, l’abricot et le coing, toujours dans une bouteille ronde. Ces produits voluptueux et très fruités sont destinés aux jeunes adultes, aux femmes, aux citadins et sont à la base de nouveaux cocktails élaborés par François Femia qui s’occupe de Mixologie (Belle de coing, cerise chérie, Williamine® mojito, sirop d’orgeat et pastis, etc.) pour le plaisir des « couples mixtes au logis ». La maison Morand possède aussi une gamme sans alcool avec les 100% pur jus de fruits framboise, cassis et fraise, ainsi que les sirops, où le leader reste, depuis l’origine, la grenadine. N ALAIN BARRIÈRE


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SOUVENIRS D’UNE ANNÉE D’ÉLU PASSIONNANTE

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Rencontre

DavidDouillet RACONTE : « MA TROISIÈME VIE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE » MÉDAILLÉ D'OR AUX JEUX OLYMPIQUES, DIRECTEUR DE DÉVELOPPEMENT SUR CANAL +, AUJOURD'HUI DÉPUTÉ SIÉGEANT À L'ASSEMBLÉE NATIONALE, DAVID DOUILLET SE BAT DANS L'HÉMICYCLE AVEC AUTANT DE PASSION QUE SUR UN TATAMI POUR FAIRE TRIOMPHER SES IDÉES.

PAR ANNE-MARIE CATTELAIN-LE DÛ PHOTOS : ALAIN SMILO, ASSISTÉ DE LOUIS-BERNARD LÉGRIER. PHOTOS MC2 : DR MC2.

arrure impressionnante, silhouette amincie, l'homme en impose autant dans les couloirs de l'Assemblée Nationale que sur un podium, levant les bras en signe de victoire. David Douillet est tel qu'on l'imagine, carré, direct, présent. Si la cravate remplace désormais le ruban médaillé, et le costume le kimono, lui conférant une allure de notable, fonction oblige, ses yeux bleus mobiles un rien moqueurs parfois et ses cheveux rebelles laissent deviner derrière la “carcasse” un bonhomme au grand cœur. Année après année, son engagement aux côtés de Bernadette Chirac lors des “Opérations Pièces Jaunes”, en faveur des petits hospitalisés, l'a prouvé. Même si, faute de temps désormais, il a mis entre parenthèses ses actions de bénévolat humanitaire. Entre parenthèses seulement.

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Rencontre >> > Entrer en politique, est-ce comme

entrer sur un ring ? Cela ne procède pas du tout de la même démarche. Je fais de la politique pour servir mes concitoyens, pas pour flatter mon ego. En remportant des médailles d'or, en étant champion, j'ai connu les honneurs, la gloire, la reconnaissance. C'est fabuleux et j'en ai réellement profité. Aujourd'hui, je veux juste être en accord avec moi-même. Cela me confère une vraie liberté. Si un jour, la politique m'ennuie, je changerai une nouvelle fois d'orientation.

> Se prépare-t-on à être député comme on se prépare à affronter un adversaire sportif ? Non pas du tout. La meilleure préparation c'est la motivation, l'envie de s'engager. Les premières qualités demandées à un député : la faculté d'écoute, la patience, la disponibilité. > Les parallèles, pour vous, entre la politique et le sport ? Lobligation de se surpasser, d'atteindre son objectif, d'être le meilleur pour la cause commune. Et de tenir ses promesses. > D’un côté, on signe des autographes, et de l’autre ? On répond au courrier, très nombreux que l'on reçoit. Chaque semaine, 140 lettres manuscrites me sont adressées, auxquelles s'ajoutent les mails. Au bout d'un an, je commence seulement à être à jour. Je tiens à répondre à toutes les personnes relevant de ma circonscription et à orienter les autres vers le bon interlocuteur. On serre aussi des mains avec plaisir, dans la rue, sur les marchés. Les marchés permettent de rencontrer un maximum de personnes et je suis désolé de constater qu'en Ile-de-France tout du moins, les marchés s'appauvrissent, le nombre de vendeurs diminue. Cela mérite que l'on se penche sur cette situation car non seulement ce sont des lieux de convivialité, mais aussi des sources saines d'approvisionnement et de revenus pour toute une population de producteurs.

Cela va être plus vrai encore lors du rééquilibrage géographique en cours, compte tenu des mouvements de population. Je vais récupérer 15 communes du sud des Yvelines où cohabitent des ruraux, notamment des céréaliers, des urbains et des personnes aux petits revenus. Il est effectivement assez difficile de contenter les uns et les autres, en particulier ceux qu'on qualifie de “rurbains”, ces ménages trentenaires qui quittent Paris pour les villages alentours afin de bénéficier d'une qualité de vie meilleure mais aimeraient trouver à la campagne toutes les in-

UNE AMITIÉ INDÉFECTIBLE « Si, aujourd'hui, je parraine et soutiens Frédérique Mora, qui a le courage d'entreprendre, d'ouvrir un restaurant au concept très innovant, le MC2 à Monaco, c'est par fidélité à son père, François-Xavier Mora. Un homme droit, entreprenant, esthète autant qu'épicurien. Je l'ai rencontré il y a plus de vingt ans au cours d'une manifestation sportive alors qu'il était PDG du groupe Lanson. Depuis, nous ne nous sommes jamais quittés. Il m'a très souvent reçu chez lui avec son épouse Marie-Laurence, aussi bien en Corse où il était propriétaire des eaux Orezza, que sur ses terres dans le Midi où il produisait des vins de qualité Clos Réquier et Domaines du Lac. C'était un fanatique de sports, de football notamment, très investi dans des œuvres caritatives. Son décès brutal, cet été, m'a foudroyé. Frédérique, sa fille unique, mérite qu'on la soutienne, qu'on tente d'adoucir sa peine immense. Je l'ai connue toute petite avec un caractère déjà bien affirmé qui lui permet dorénavant de faire face, aux côtés de sa maman, à toutes les responsabilités qui lui incombent désormais, de poursuivre les activités de François-Xavier. Elle sait qu'elle peut compter sur moi. En mémoire de son Papa. »

> Justement, vous êtes député dans une circonscription des Yvelines où il existe une vraie mixité sociale entre des communes très favorisées, bourgeoises et d’autres plus populaires, comment passez-vous de l’une à l’autre ? www.expatria-cum-patria.ch

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Rencontre

David Douillet, l’épicurien Amateur de vins ? Oui, de bons vins que je partage avec mes amis, ma famille, mes collaborateurs. Pour célébrer une victoire politique ? Un événement à l’Assemblée vous optez pour ? Le champagne qui n’a pas son pareil dans le monde, symbole d’une des spécifiées françaises. Pour un événement familial marquant ? Nous aimons, avec mon épouse, ouvrir une excellente bouteille de temps en temps à l’apéritif. Un joli Rouge, soit un Bourgogne, avec une préférence pour le Clos des Mouches de Joseph Drouhin, ou un Clos Vougeot, soit un grand Bordeaux, Château Talbot ou Château Haut-Brion. Vos tables fétiches ? À Paris, le Plaza Athénée, une fois encore en souvenir d’un mémorable déjeuner dans les cuisines avec Alain Ducasse en compagnie de François-Xavier Mora. Plus modestes mais formidables, l’Auberge Calabraise, authentique trattoria dans le XIVe et Pietro Alati, dans le Ve. En Savoie, l’Oxalys de Jean Sulpice à Val Thorens. À Monaco : le MC2 de ma “filleule” de cœur Frédérique, qui a su en très peu de temps donner une âme à son restaurant et qui propose une cuisine raffinée, naturelle, saine. Elle a aussi mis au point un service traiteur haut de gamme et une épicerie fine.

Avez-vous toujours le temps de pratiquer un sport ? Incitez-vous vos enfants à le faire ? Avec ses cortèges de déjeuners, de dîners, de cocktails, de vins d’honneur, d’inaugurations, la politique a vite fait de vous enrober. Je prends le temps de me poser pour déjeuner équilibré. Et surtout après avoir suivi un régime, je pratique intensivement le cyclisme et le ski. Une façon de rester en forme physiquement mais aussi moralement, de décompresser, de déstresser. Avec mon épouse, je forme une famille recomposée : 5 garçons, 1 fille, de 13 à 21 ans. Tous pratiquent un sport, certains davantage que d’autres. L’un envisage de suivre mes traces, mais je le laisse décider en fonction de ses résultats. On peut dire que vous êtes comme les chats, vous avez déjà eu mille vies, quelle sera la suivante ? Pour le moment, je suis très heureux comme député. Un an à l’Assemblée Nationale, cela équivaut au moins à cinq ans d’une autre existence. Mais le bilan est plus que positif. Si, un jour, je m’ennuie ou je doute de mes capacités à remplir mon mandat tel que je le souhaite, c’est sûr et certain, je partirai. Je prendrais une autre voie, cela ne m’inquiète pas. Je ne manque pas d’idées, mais pour le moment, ce n’est pas à l’ordre du jour. Mais pas du tout.

frastructures des villes : crèche, garderie, centre de loisirs, etc. C'est impossible de le leur offrir, mais il est de mon devoir de les aider à s'adapter. Avec les cultivateurs, le dialogue s'établit facilement ; originaire de la campagne, je connais leurs problèmes, je les comprends. > À la tête d’une grande tribu, six enfants, vous affirmez volontiers « je crois en la famille, à l’équilibre personnel qu’elle procure, aux protections qu’elle peut garantir », est-ce à dire que vous menez une politique très volontariste dans ce domaine ? Oui, je travaille sur un sujet que j'aimerais défendre : la possibilité pour la mère ou le père de percevoir un salaire parental afin de rester auprès de son petit pendant les premières années de sa vie. L’État ne prend pas assez en considération le métier à part entière de parents qui consiste à former ni plus ni moins un futur citoyen, à le doter de bases solides, d'un équilibre affectif pour affronter l'avenir. Actuellement, pour faire face aux dépenses de la vie courante, et notamment

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celles, surréalistes du logement, les jeunes couples doivent disposer de deux salaires. Une situation stressante, qui coûte cher aux collectivités en matière de structures d'accueil et aux couples eux-mêmes. Il faudrait, par une réelle compensation financière, laisser le choix de travailler ou d'élever ses gamins. Cela n'entraînerait pas d'investissement supplémentaire pour l'Etat par le jeu d'équilibrage des dépenses liées à la petite enfance. Le dossier est long à monter car il relève de plusieurs ministères. > Vous êtes un politique très branché nouvelles technologies : un site Internet à l’ergonomie parfaite, une newsletter, et surtout un profil Facebook, avec 4 964 amis et 231 photos de vous… ? Je suis très sollicité. Ma notoriété de médaillé y est pour beaucoup. Mes “fans” même si je n'aime pas ce mot, aiment savoir ce que je deviens. Ce sont eux qui me demandent des photos, qui veulent suivre ma carrière. Et puis, c'est un moyen rapide, pratique d'informer, de dialoguer, de prendre le pouls de sa circonscription. N

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Rencontre >> LE MC2 : UN CONCEPT INÉDIT, TRENDY ET GOURMAND « J'ai souhaité apporter à la Principauté de Monaco une cuisine gastronomique de partage, adaptée au rythme de la vie actuelle, plus légère et accessible que la cuisine gastronomique classique, sans pour autant transiger sur la qualité. MC2, c'est ma vision d'une cuisine méditerranéenne aux horizons multiples, contemporaine et responsable dans le choix de ses produits, authentique et sans prétention, une cuisine de plaisir et de curiosité proposée dans un lieu, près de Sainte Dévote, voué à la convivialité. » Telle est la philosophie de Frédérique Mora, propriétaire et conceptrice. A 24 ans, la jeune femme, très déterminée, assure ses choix d'épicurienne, amoureuse de la vie. « Avec mon chef, débauché dans un restaurant étoilé, nous mettons en avant les produits, réinventons des plats classiques, soignons la présentation. Chaque jour, nous affichons un menu du marché à 28 euros et le soir à 45 euros. Nous avons déjà nos fidèles, une clientèle haut de gamme, plutôt jeune. » L'hiver, dans la salle en dégradés de noir et rouge, et l'été, plus encore sur la jolie terrasse, la vue panoramique sur la Méditerranée, sert de toile de fond, de décor au MC2.

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David Douillet et Frédérique Mora, propriétaire et conceptrice de MC2, à Monaco. Pour elle, MC2 Mediterranean Cuisine sonne comme une célèbre équation de physique. Si formule il y avait, ce serait ici, celle de l’alchimie parfaite entre les saveurs du grand pourtour méditerranéen, du Portugal à l’Arménie, et l’approche très personnelle d’une jeune équipe enthousiaste qui souhaite, tant dans l’assiette que dans le service, imprimer fortement son énergie et les codes de sa génération.


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Unepetiteboîteàmusique… PENDANT LONGTEMPS, LA BOÎTE À MUSIQUE MÉCANIQUE A DONNÉ D’ELLE UNE IMAGE DÉSUÈTE, VOIRE POUSSIÉREUSE. DEUX JOURNÉES PASSÉES AU SEIN DE LA MANUFACTURE SUISSE DE REUGE, DANS LE CANTON DE VAUD, SUFFISENT POURTANT À SAISIR LA MODERNITÉ ET LA POÉSIE DE CET OBJET ÉTONNAMMENT POLYMORPHE.

Si l’entreprise s’est dotée des équipements les plus pointus, c’est le savoir-faire séculaire des artisans qui font la différence…

ondée en 1865 par un certain Charles Reuge, horloger du Val-de-Travers, la maison Reuge peut aujourd’hui se targuer d’être le premier fabricant mondial de boîtes à musique haut de gamme, complétées par une collection exceptionnelle d’oiseaux chanteurs et de montres musicales. Pourtant, à la fin des années 90, rien n’était acquis : « Reuge n’était plus assez innovant, les réseaux de distribution avaient besoin d’être renouvelés et le secteur était mal connu, explique Kurt Kupper, chaleureux Directeur Général de la société depuis 2006. Nous avons travaillé sur l’ensemble de ces défaillances et aujourd’hui, non seulement la maison se porte très bien, mais elle a affirmé son ancrage dans le domaine du luxe. »

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LA TRADITION CONJUGUÉE AU FUTUR Le secret de cette prodigieuse reconquête ? www.expatria-cum-patria.ch

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De vieilles collections de plumes de colibris aux couleurs éclatantes côtoient des machines d’usinage à commandes numériques.

Au sein de la manufacture, l’art ancien de la musique mécanique se voit enrichi, jour après jour, par des innovations permanentes destinées à améliorer les performances, diversifier les matériaux et répondre aux désirs d’une clientèle de plus en plus jeune et hétéroclite. Ainsi, sur les trois gammes proposées par la marque, deux affichent clairement leur modernité. La première, dénommée “Lounge”, se compose d’articles destinés à s’intégrer dans des intérieurs contemporains (boîtes à cigares, porte-bougies, cadres photos…), faisant ainsi entrer la boîte à musique dans l’univers dynamique de l’architecture et de la décoration. Une étape supplémentaire est franchie avec la gamme “Studio”, laboratoire d’objets conceptuels le plus souvent conçus autour d’une thématique particulière. Modèle

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“Winch” inspiré du thème du bateau, boîte Ferrari reprenant tous les codes de la mythique voiture italienne ou encore écrins célébrant le célèbre sorcier Harry Potter : avec cette collection résolument avant-gardiste et audacieuse, la marque fait preuve d’une belle originalité. La gamme “1865”, caractérisée quant à elle par un classicisme parfait, des marqueteries exceptionnelles et des oiseaux chanteurs d’une remarquable technicité, s’inscrit délibérément dans l’histoire d’une noble tradition. Reuge réussit ainsi le mariage parfait entre histoire et modernité. De la même manière, si l'entreprise s'est dotée des équipements les plus pointus, c'est le savoir-faire séculaire des artisans qui fait la différence. « De la conception au montage, raconte Kurt Kupper, des compétences très techniques sont déployées. Or, quand le secteur de la boîte à musique allait mal, beaucoup de personnes ont été licenciées. Nous avons donc réembauché de nombreux “anciens” car leur maîtrise, acquise avec le temps, est tout simplement irremplaçable. Pour assurer une transmission de ces compétences, nous avons également recruté de très jeunes salariés. » Quatrevingt personnes travaillent ainsi au sein de la manufacture de Sainte-Croix où sont localisés la direction , la fabrication des mécanismes, l'assemblage et le réglage des boîtes, tandis que vingt autres se chargent de la marqueterie dans un atelier situé près de Milan en Italie. Pour chaque pièce, un véritable travail d'équipe est mis en œuvre afin d'assurer toute une série d'opérations complexes (usinage, estampage, fabrication des claviers, goupillage, fixage, emboîtage...) et faire revivre la magie de la boîte à musique. Car cet objet techniquement virtuose - certains cylindres contiennent jusqu'à cinq mille goupilles - qui nécessite environ trois mois de travail par pièce, reste avant tout un instrument à forte dimension sensible et artistique. À chaque nouvelle création, plusieurs musiciens s'échinent à adapter les partitions de la manière la plus harmonieuse possible : « Il faut réduire le morceau pour le faire entrer dans la durée imposée, mais aussi et surtout isoler les éléments indispensables pour reconnaître, au final, la mélodie originale. Cette étape est d’autant plus importante que la musique mécanique détient incontestablement des effets tranquillisants sur l’être humain. » >>


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>> TECHNICITÉ ET CRÉATIVITÉ

Nos possibilités finissent tout simplement là où s’arrête la fantaisie du client !

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Kurt Kupper, qui a travaillé pendant longtemps dans l'industrie horlogère avant de reprendre les rennes de Reuge, a immédiatement été séduit par le potentiel créatif des boîtes à musique : « On peut y ajouter plus de valeur ajoutée que dans une montre. Il y a certes tout l'art mécanique qui permet de constituer le moteur de base, mais il y a aussi l'âme musicale et l'emballage, avec lesquels les horizons sont quasiment infinis. » De fait, entre la variété des mélodies - de Giuseppe Verdi aux Beatles - le choix des matériaux traditionnels ou high tech (étain, verre, cristal, bois, céramique, carbone, corian, métaux,...), la bigarrure des plumes des oiseaux chanteurs et l'intégration dans d'autres objets (voitures, lampes, avions privés, hôtels, meubles...), presque tout est permis. « Nos possibilités finissent tout simplement là où s'arrête la fantaisie du client ! » Finalement, c'est au sein de la manufacture, au cœur du cadre exceptionnel du Jura vaudois, que l'on saisit le mieux l'âme de la boîte à musique. Un four antique y côtoie des ordinateurs servant à modéliser les nouveautés en images de synthèse, de même que de vieilles collections de plumes de colibris aux couleurs éclatantes frôlent des machines d'usinage à commanderie numérique. Le grand écart est symbolique : Reuge montre avec brio que loin d'être un objet de musée, la boîte à musique vibre d'une vitalité toute retrouvée. « Ici, nous travaillons tout à la fois sur le passé, le présent et le futur. L'art de la musique mécanique est plus que jamais un art vivant. » N

L’art de la musique mécanique

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n dit que la boîte à musique fut inventée par l’horloger Antoine Favre en 1796. Il s’agit d’un instrument de musique mécanique qui produit des sons en faisant vibrer, au moyen de goupilles pointées sur la surface d’un cylindre rotatif, des lamelles d’acier de différentes longueurs. Ces lames, accordées aux sons de la gamme musicale, sont disposées comme un clavier (ou peigne). L’énergie est fournie par un ressort qui doit être remonté manuellement. Les boîtes à musique penvent comprendre d’autres éléments (clochettes, tambours, tuyaux d’orgues pour les plus complexes). Elles sont parfois agrémentées d’automates. Au sein de ses trois collections, Reuge propose : • des boîtes à musique avec des mouvements de 36, 72, et 144 lames ; • des cages et des tabatières à oiseaux chanteurs mécaniques ; • une gamme horlogère (montres de poche musicales avec ou sans automate, montres-bracelets musicales et réveils.

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Dany Vinet


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AIX-EN-PROVENCE EST NÉE IL Y A 22 SIÈCLES DU JAILLISSEMENT D'UNE SOURCE D'EAU CHAUDE. DEPUIS LES PREMIERS THERMES ROMAINS QUI LUI SERVIRENT DE FONDATIONS, LA CITÉ S'EST LENTEMENT ET SOMPTUEUSEMENT ÉPANOUIE COMME UNE GRACILE FLEUR DE PIERRE. VILLE COMTALE TOUT D'ABORD, AGRANDIE QUELQUES SIÈCLES PLUS TARD PAR DE PUISSANTS ARCHEVÊQUES, PUIS VILLE ROYALE SOUS LE ROI RENÉ, AIX-EN-PROVENCE, EMBELLIE AU XVIIe SIÈCLE PAR DE RICHES ARISTOCRATES, A ACCUEILLI AU CŒUR DE « L'ÉTÉ 48 », UN FESTIVAL D'ART LYRIQUE CONSIDÉRÉ AUJOURD'HUI COMME L'UN DES PLUS FAMEUX D'EUROPE.

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1. Le Pavillon Vendôme. 2. Un heurtoir métallique en tête de lion. 3. La fontaine de la cour Albertas. 4. Le fronton d’une porte en bois.

Aix-en-Provence

Villed’eau, villedepierre, villed’art PHOTOGRAPHE : JEAN-CLAUDE CARBONE

Une ville de charme Aix-en-Provence séduit tous les visiteurs qui pénètrent dans son dédale de rues fraîches pour se soustraire de la caresse torride du soleil provençal. La cité du bon roi René envoûte tous ceux qui, le nez au vent, les sens en alerte, s’en vont perdre dans son lacis de ruelles pavées, piétonnes pour la plupart. Chaque place, chaque rue, chaque hôtel particulier cache un joyau et la ville se révèlera dans toute son élégance, au hasard de la flânerie. Ici, au centre d’une placette ombragée, on découvrira une délicate fontaine où des dauphins de marbre blanc crachent aux quatre vents une eau fraîche et cristalline. Plus loin, la belle ordonnance d’une façade de pierre dorée, révèlera portes sculptées, frises, entablements et corniches, pilastres et atlantes musclés, cariatides soutenant de gracieux balcons aux délicates ferronneries. Là, une grille de fer forgé laissera entrevoir le charme discret d’un petit jardin ou d’une cour intérieure rafraîchie par un bassin d’eau claire. Ici, derrière une lourde porte sculptée, un escalier monumental à double volée. Là-bas, sous des platanes centenaires, un marché aux fleurs multicolores ravira les photographes dont les épreuves ne parviendront jamais à restituer les senteurs enivrantes de la lavande fraîchement coupée. Ou attiré par une mélodie jouée par un piano invisible s’échappant d’une haute fenêtre, on sera rattrapé par la subtile odeur de l’ail grillé se mêlant au thym et au romarin. Alors, afin d’échapper à ce foisonnement de sensations, on poussera doucement la porte de la paisible église SaintJean-de-Malte, pour une petite pause de silence avant de retrouver l’animation du cours Mirabeau dont les nombreuses terrasses ombragées inviteront au farniente. Deux millénaires d’histoire A l’origine d’Aix-en-Provence, était un oppidum édifié sur un promontoire rocheux par une tribu celto-ligure, les Salyens, qui fut entièrement détruit par les Romains du consul Sextius Calvinus en 122 av. J.C. On peut encore apercevoir les ruines de l’Oppidum d’Entremont dans la campagne aixoise. La première cité romaine, Aquae Sextius (Les eaux de Sextius), se développa alors autour des sources d’eaux chaude et froide et devint une étape importante sur la via Aurélia reliant Rome à l’Espagne. Puis la ville s’est transformée au gré des invasions, des conquêtes et des partages politiques. À la fin du XIIe siècle, elle devint la capitale de la Provence des comtes, puis métropole religieuse et siège d’une municipalité forte jusqu’à ce que le roi René y installe sa cour en 1471. Devenue une importante cité administrative, Aix-en-Provence se développa considérablement du XVIe à la fin du XVIIIe siècle par l’implan-

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tation de nouveaux quartiers et la mise en valeur de l’espace urbain. La Révolution mit un terme à ce développement qui ne reprit véritablement qu’au milieu du XXe siècle par la création d’industries et d’entreprises de pointe, comme l’aéronautique, l’agroalimentaire et le nucléaire, qui favorisèrent son essor économique et démographique. Capitale historique de la Provence, pôle juridique, ville thermale, cité administrative, important centre culturel, ville universitaire de plus de 40 000 étudiants, Aix-en-Provence, longtemps restée à l’écart du flux des voyageurs et des marchandises, attire aujourd’hui de nombreux visiteurs, grâce à des transports performants comme le TGV, le réseau autoroutier et les lignes aériennes. Aujourd’hui, avec ses près de 150 000 habitants, Aix-enProvence a retrouvé le rang de son passé glorieux.

Une ville d’eau Depuis la découverte de sources d’eaux thermales par les Romains, l’histoire et la vie d’Aix-en-Provence sont étroitement liées à ce bien précieux provenant d’une importante nappe phréatique qui s’étend sous le plateau de Puyricard. Si durant des siècles on oublia les bienfaits de ces eaux, ils sont désormais reconnus et appréciés. Des thermes luxueux se sont implantés au centre de la ville à proximité des anciens bains romains, offrant un espace de remise en forme et de soins de 3 000 m2. Outre ces thermes, Aix possède de très nombreuses fontaines dont la première date du XVe siècle. Mais il fallut attendre le milieu du XIXe pour que la ville soit alimen-

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5. Dans l’atelier Cézanne, cet “Amour” de plâtre. 6. “Jas-de-Bouffan”. 7. Un ange de la rotonde. 8. L’Archevêché. 9. La fontaine moussue. 10. La fontaine aux Quatre-Dauphins . 11. La montagne Sainte-Victoire. 12. Le cloître.

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conflit, comme la fontaine des Augustins créée au début du XVIIe siècle et la fontaine Espéluque, la plus ancienne d’Aix, qui durent déménager à plusieurs reprises. Aujourd’hui, plus d’une quarantaine de fontaines publiques, dont certaines alimentées en eau thermale, et tout autant de fontaines privées sont liées à l’image d’Aix-en-Provence. Elles ravissent les visiteurs par leur profusion, leur diversité et remplissent accessoirement la gourde des pèlerins assoiffés.

tée en eau courante grâce au barrage Zola construit au pied de la montagne Sainte Victoire pour récolter les eaux pures du Verdon acheminées ensuite par le canal de Provence. Quoique les fontaines soient devenues un ornement du paysage urbain dès le XVIIe siècle, elles conservèrent longtemps leur utilité première, les puits, abreuvoirs et lavoirs étant indispensables aux besoins et à la vie des habitants. Certaines d’entre elles furent même l’objet de

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Les plus belles fontaines d’Aix Très tôt, leur réalisation fut confiée à des artistes, fontainiers et hydrauliciens qui réalisèrent de véritables joyaux de raffinement et d’élégance

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comme la gracieuse fontaine des Quatre-Dauphins sculptée dans le marbre par Claude Rambot (1667) ou celle réalisée en 1756 face à l’Hôtel de Ville par le sculpteur aixois Chastel, qui dessina également la fontaine des Prêcheurs (1760). Pierre-Henri Revoil réalisa, quant à lui, celle du roi René en haut du cours Mirabeau tracé sur l’emplacement des anciens remparts de la ville. Plusieurs fontaines rythment la descente de cette artère ombragée de platanes majestueux. Au bas du cours, la fontaine de la Rotonde, la plus imposante de la cité, construite en fonte, fut édifiée en 1860 à l’entrée de la ville et marque aujourd’hui le cœur de l’agglomération. Le visiteur pourra achever sa flânerie sur la discrète et harmonieuse place d’Albertas enchâssée dans d’élégantes façades, au centre de laquelle murmure une charmante fontaine néo-baroque. Érigée au XIXe siècle, cette délicate vasque de fonte aurait sans doute ravi le marquis Jean-Baptiste d’Albertas, qui créa à l’extérieur d’Aix, un jardin extraordinaire aux multiples bassins. Des jardins fabuleux Premier président de la cour des comptes de Provence dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le marquis d’Albertas, homme fantasque et raffiné, fit aménager dans la campagne aixoise, un jardin somptueux pour y abriter un château. Il sera poignardé au début de la Révolution avant qu’il n’ait pu réaliser son rêve. Constitué de terrasses reliées par des escaliers de pierre, ponctué de statues et de fontaines jaillissantes par la seule loi de la gravité, ce jardin d’une beauté mélancolique est classé aux monuments historiques. Restauré dans les années 50, ce lieu étrange au charme discret ravira les promeneurs solitaires, les poètes et les photographes. La campagne

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quartiers qui se développaient progressivement autour de la cité comtale et du bourg Saint-Sauveur. Au cœur de ce quartier moyenâgeux, se dressent depuis huit siècles la cathédrale gothique et son cloître roman aux fines colonnettes et aux chapiteaux de marbre, accolés au palais de l’Archevêché dont la cour intérieure accueille depuis 1948, le Festival d’art lyrique. Le paisible quartier Mazarin créé au XVIIe siècle est apprécié pour ses luxueuses demeures patriciennes abritant des jardins secrets et ses fastueuses résidences aux façades richement décorées reflétant le rang social de leur commanditaire. De styles différents selon leur époque de construction, le goût des propriétaires, l’imagination des architectes et l’art des sculpteurs, ces façades présentent toutefois un air de famille qui s’illustre par leur belle pierre calcaire, leur noblesse, leur rigoureuse

aixoise est parsemée d’autres jardins tout aussi étonnants entourant les magnifiques bastides ou « folies » qui servaient, durant la période estivale, de lieu de villégiature aux aristocrates du siècle des lumières. A la fin du XIXe, la région d’Aix comptait près de 5 000 bastides dont la plupart ont été transformées en hôtels de prestige ou en musées. Les autres, restées dans le domaine privé et savamment restaurées, ont conservé leurs fonctions agricole et viticole, et perpétuent ainsi la tradition de ces grandes familles aristocratiques. Seuls les jardins des Châteaux de la Gaude (domaine viticole), de la Mignarde et du Pavillon de Lenfant qui accueille une université, peuvent, dans certaines conditions, se visiter.

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Une ville de pierre Après cette petite bouffée d’oxygène dans la campagne aixoise, on retrouvera les façades de pierre blonde, austères ou somptueuses des nombreux hôtels particuliers édifiés par des aristocrates et des parlementaires, dans les 13. La place de l’Hôtel de ville. 14. Le fameux café “Les Deux Garçons”. 15. Le cabanon Cézanne. 16. L’Atelier Cézanne.

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ordonnance et certains détails architecturaux comme les cariatides et les atlantes qui serviront de fil rouge au visiteur. Chercher ces colosses musclés est un jeu d’enfant car Aix en possède quelques beaux exemples. Il y a ceux qui soutiennent les lourds balcons de pierre de l’hôtel Manuel de Pontevès, dus au ciseau de Jaques Fossé, ceux très expressifs de l’hôtel d’Arbaud ou ceux, puissants, du Pavillon Vendôme, sculptés par Jean-Claude Rambot. Le cours Mirabeau Le cours Mirabeau, anciennement « cours à carrosses » où, jadis, on venait se pavaner dans de beaux équipages, est actuellement le lieu le plus vivant, le plus bruyant et le plus animé de la ville. Bordé de chaque côté par une succession de fastueuses demeures dont la plupart ont cédé leur rez-de-chaussée à des commerces, cette artère rafraîchie par plusieurs fontaines et une arche de verdure, grouille le jour et la nuit d’une population joyeuse et bigarrée de touristes, d’étudiants, d’Aixois affairés, de « festivaliers » et de camelots. D’un côté, quelques banques et des confi-

series. En face de nombreux commerces, des restaurants, brasseries et cafés installés au rez-de-chaussée d’anciens hôtels particuliers, s’ouvrent sur de larges terrasses surpeuplées. Certains de ces cafés ont acquis une renommée internationale. Le cafébrasserie Les Deux Garçons, « Les deux G » comme l’appellent les Aixois, est décrit dans tous les guides touristiques comme un endroit incontournable pour le charme de sa vaste terrasse et l’authenticité du décor Second Empire de sa salle. Installé dans l’ancien hôtel Gantès, ce café, lieu de tous les rendez-vous, aussi célèbre que Les Deux Magots à Paris, attire de nombreuses personnalités. Les festivaliers viennent après le spectacle y prolonger leur plaisir sous les frondaisons tremblantes des platanes. Il n’est d’ailleurs pas rare d’y croiser divas et célébrités. Une ville d’art Aix-en-Provence n’a cessé d’être au cœur d’un ferment culturel intense, depuis que le roi René y accueillit poètes, peintres et sculpteurs et dota sa capitale d’un important patrimoine artistique. Cette politique culturelle amorcée au XVe, s’est poursuivie au fil des siècles grâce aux puissants archevêques, puis aux aristocrates mécènes, qui engagèrent architectes, peintres et sculpteurs, fontainiers et jardiniers de talent. Outre un patrimoine architectural à ciel ouvert, la capitale historique de la Provence fut le berceau de nombreux artistes dont les aptitudes exacerbées par cet environnement de qualité y trouvèrent leur plein épanouissement. Des compositeurs comme André Campra (1660-1744) et Darius Milhaud (1892-1974), des peintres comme Jean-Baptiste Van Loo, portraitiste de Louis XV, François Marius Granet (1775-1849) et Paul Cézanne, chef de file du mouvement impressionniste, des écrivains comme Émile Zola, père des Rougon-Macquart, et des hommes politiques comme Mirabeau, brillant orateur révolutionnaire et Adolphe Thiers, président de la République française après la Commune. Tous ces grands hommes, nés à Aix ou dans sa région, y puisèrent sans doute leur inspiration. Si d’aucuns cherchèrent la gloire et les honneurs à Paris, d’autres restèrent ou revinrent au pays pour s’en nourrir comme Paul Cézanne, l’un des Aixois, le plus célèbre, avec son ami Émile Zola, qui se consacrera à la peinture de plein air. La montagne Sainte Victoire, magnifique falaise de plus de 1000 mètres dominant la région, deviendra son motif de prédilection. Musées et fondations d’exception Sa dernière maison aménagée en musée, l’Atelier des Lauves, restitue l’ambiance dans laquelle Cézanne vivait, mais ne présente aucune de ses œuvres. Une visite s’imposera également à la bastide familiale du jas de Bouffan où il passa les premières années de sa vie, ainsi qu’un détour par les carrières de Bibémus où il y louait un cabanon. Un itinéraire jalonné dans les rues d’Aix permet de retrouver les lieux où il a vécu. Pour

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La cuisine aixoise

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ille de tradition, Aix-en-Provence possède une cuisine parfumée aux herbes de ses collines, colorée de ses légumes frais, gouteuse de ses poissons de mer et de ses viandes d’agneau et de gibier cuits dans l’huile d’olive. L’olivier, introduit par les Grecs depuis 25 siècles, se partage les collines avoisinantes avec la vigne et l’amandier dont le fruit est à la base des fameux calissons. Cette petite confiserie en losange est devenue l’une des spécialités de la ville avec les vins du Pays d’Aix dont les rosés sont très appréciés en été pour accompagner la cuisine provençale.

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Les escapades musicales de Kathereen Abhervé >>

ceux qui souhaiteraient contempler quelques-unes de ses œuvres, le Musée Granet possède, entre autres trésors, huit tableaux du maître. Les amateurs d’art moderne seront à la fête à la Fondation Vasarely créée en 1976 par l’artiste lui-même, pour démontrer ses recherches sur la lumière et l’illusion du mouvement obtenu par des procédés optiques cinétiques. Ceux qui s’intéressent aux manuscrits ou aux incunables se rendront à la Cité du Livre installée dans une ancienne manufacture d’allumettes. Cet espace culturel regroupe la Fondation Saint-John Perse et une formidable bibliothèque possédant un très important fonds de documents écrits et une vidéothèque d’art lyrique où tous les opéras du Festival d’art lyrique d’Aix peuvent y être visionnés. Un foisonnement culturel La ville d’Aix foisonne de projets et encourage la création en accueillant des artistes en résidence comme la compagnie de danse d’Angelin Preljocaj qui y est installée depuis 2006, et en organisant des événements

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lieu durant l’été 1948. L’année suivante, le peintre Cassandre les rejoignit et transforma la cour de l’Archevêché en un véritable théâtre. Le succès fut immédiat. Mozart profita de cet engouement pour afficher quelques-uns de ces opéras oubliés des mélomanes. Depuis cette époque de pionniers qui durera jusqu’au départ de Dussurget en 1972, les éditions se sont succédées sans interruption ou presque. Le directeur suivant, Bernard Lefort s’attellera à rebâtir le festival sur des bases nouvelles : « Le Festival d’art lyrique et de musique d’Aix-en-Provence doit être une grande fête du Chant ; le Chant y règnera en Maître absolu... » Ses successeurs, Louis Erlo et Stéphane Lissner, tout en poursuivant ces principes, ne manquèrent pas d’ouvrir le festival à la création et à l’innovation, comme l’adjonction au festival de l’Académie européenne. Depuis 2007, l’organiste Bernard Foccroule a vaillamment repris le flambeau.

Le 63e festival de musique d’Aix-en-Provence L’édition 2011, qui se déroulera du 5 au 25 juillet prochain, s’inscrit sous le signe de la jeunesse qui s’illustrera dans les cinq œuvres lyriques d’époque et de style différents, la pièce musicale et théâtrale et la vingtaine de concerts mariant récitals vocaux, musique symphonique, musique de chambre, contemporaine et musiques traditionnelles. Une exposition et des rencontres européennes complèteront cette affiche pleine de jeu18 ponctuels ou des manifestations pérennes nesse et de d’audience internationale. Ces rendez-vous mouvements comme touchent des domaines aussi variés que la l’indique le visuel tubande dessinée (Rencontres du 9e art, Festival multueux de ce 63e de la bande dessinée), le cinéma (Festival infestival. Cette phrase ternational du Court métrage Aix et Pays d’Aix ; inachevée : « Comme Festival du film sur l’architecture et l’espace une pierre au milieu du urbain – Image de ville), les arts plastiques torrent... » cherche(grandes rétrospectives de peinture) ou l’art lyrait-elle à illustrer la rique (Festival international d’art lyrique d’Aixstabilité de l’institution en-Provence). prise dans les 17. La Fondation Vasarely. 18. Le marché bouillonnements de la aux fleurs. 19. Le théâtre de l’Archevêché. Seule la foi peut abattre les montagnes création et les remous 20. Une réprésentation du Nez de L’histoire du festival d’Aix-en-Provence comde l’innovation ? Il est Chostakovich. mence juste après la guerre de 39-45. Après permis de le penser ces longues années d’obscurantisme, de folie puisque les festivités destructrice et de cruauté, les hommes souhaitaient retrouver une diouvriront par la création mondiale d’un opéra gnité et une raison d’être. Et seul l’art leur permettait cette élévation et qu’Oscar Bianchi aura composé à la demande ce renouveau. A l’origine, ils furent une poignée, Gabriel Dussurget, du festival, d’après la pièce Grâce à mes yeux Henri Lambert, Roger Bigonnet, Hans Rosbaud et la comtesse Lily Pas(Thanks to my eyes) de Joël Pommerat. Ce tré, à être convaincus du bien-fondé et de l’importance capitale de la jeune auteur français, signataire du livret ascréation d’un festival d’art lyrique à Aix-en-Provence. Leur persévérance surera la mise en scène de ce spectacle à quaet leur engagement indéfectible permirent au premier festival d’avoir tre personnages coproduit avec deux théâtres www.expatria-cum-patria.ch

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dirigés par Kazushi Ono, dans une nouvelle production du Nez de Chostakovitch coproduite avec le Metropolitan Opera de New York. Le vidéaste William Kentridge signera la mise en scène et la scénographie de cet opéra composé d’après une nouvelle éponyme de Gogol (8, 10, 12 et 14 juillet). Une installation « I am not me the horse is not mine, 2008 » lui sera consacrée durant l’été à la Cité du Livre et à l’Atelier Cézanne. Les festivaliers découvriront un univers bien différent de style et d’époque avec Acis et Galatée de G.F. Haendel mis en scène par le chorégraphe Saburo Teshigawara qui signera décors, costumes et lumières. Le jeune et talentueux chef argentin Leonardo Garcia Alarcón dirigera l’Orchestre baroque de l’Académie européenne de musique, coproducteur de ce spectacle (9, 10, 12, 13, 16, 17, 19, 20, 22 et 23 juillet). Une vingtaine de concerts complèteront cette programmation lyrique, qui permettra de retrouver, sous la baguette de Sir Colin Davis, le London

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dier et scénographiée par Alexandre de Dardel. Nathalie Dessay et Irina Lungu se partageront le rôle de Violetta, Charles Castronovo et Fabrizio Mercurio celui d’Alfredo. Le baryton français Ludovic Tézier sera le père Germont dans ce spectacle coproduit avec le Wiener Staatsoper, l’Opéra de Dijon et le Théâtre de Caen (6, 8, 9, 12, 14, 16, 18, 20, 22 et 24 juillet). L’Opéra de Lyon sera, quant à lui, représenté à Aix par son orchestre et son chœur

Symphony Orchestra en résidence à Aix depuis deux ans, dans un programme Haydn, Mozart et Nielsen (17 juillet). Le chef russe Valery Gergiev lui succédera pour diriger La Mer de Debussy et la 8e symphonie de Chostakovitch (23 juillet). Des concerts de jeunes solistes, de la musique de chambre avec le Jerusalem String Quartet, le Quatuor Keller dialogueront avec les musiques traditionnelles de l’Atlas, les musiques contemporaines et des récitals de grands solistes comme Véronique Gens qui sera accompagnée par les Talens Lyriques de Christophe Rousset (20 juillet). L’Orchestre des jeunes dirigé par François-Xavier Roth, aura l’honneur de clôturer le festival avec des œuvres de Charlie Piper, Chostakovitch et la Symphonie n°1, dite Titan de Gustav Mahler (25 juillet). N

Renseignements

k.abherve@geneveopera.ch

© Festival d'Aix-en-Provence

parisiens, la Monnaie de Bruxelles et le Festival Musica de Strasbourg (5, 6, 8, 9 et 11 juillet). S’appuyant sur des bases posées par Stéphane Lissner, Bernard Foccroule développe le principe des coproductions permettant de proposer une affiche plus étoffée et de gagner une plus grande autonomie financière. Les cinq productions lyriques et la pièce musicale et théâtrale commandée par le festival seront, de ce fait, reprises sur d’autres scènes et accessibles à un public plus important. Ainsi, l’Opéra de Lille accueillera Eine Kindheitsreise - Un voyage d’enfance - composé par Jérôme Combier d’après le roman Austerlitz de W.G. Sebald, pour un comédien et l’Ensemble instrumental Ictus, commanditaire de l’œuvre, avec le festival. Ce « voyage » sera orchestré par le compositeur et le vidéaste Pierre Nouvel (19, 20 juillet). Retour à la tradition avec La Clémence de Titus de Mozart, un ouvrage coproduit avec le Théâtre du Capitole de Toulouse et l’Opéra de Marseille. David McVicar en signera la mise en scène et la scénographie, et Sir Colin Davis sera dans la fosse à la tête du London Symphony Orchestra (7, 10, 13, 15, 19 et 21 juillet). On retrouvera cette formation dirigée par Louis Langrée dans La Traviata de Verdi mise en scène par Jean-François Siva-

Festival d’Aix-en-Provence +33 434 08 02 17 • billetterie@festival-aix.com www.festival-aix.com Office de Tourisme d’Aix-en-Provence +33 442 16 11 03 • infos@aixenprovencetourism.com www.aixenprovencetourism.com Kathereen Abhervé

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La Cédille

Enpassantparle

Nord-OuestArgentin DANS CE NUMÉRO, LA CÉDILLE NOUS EMMÈNE TOUJOURS PLUS AU NORD, AU FIL DE LA PROVINCE DE JUJUY, PLEINE DE COULEURS ET DE TRADITIONS INDIENNES, POUR CLÔTURER CE PÉRIPLE AU PIED DE LA BOLIVIE. ar la route nationale nº9, le voyageur fait son entrée dans la province de Jujuy. A une heure de la capitale, Jujuy, débute la spectaculaire “Quebrada de Humahuaca”, qui mérite largement son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Les montagnes qui l’entourent révèlent une gamme de couleurs d’une richesse époustouflante. Le rouge, le vert, le violet, le blanc se côtoient, se mélangent, et l’œil humain s’étonne devant les potentialités de la nature. Les villages qui la parsèment sont des haltes plaisantes, plongeant le visiteur tout entier dans la culture indienne avec ses maisons en « adobe », ses habits traditionnels et

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ses spécialités culinaires. Laissez-vous tenter par le “locro”, les “humitas”, les “tamales” ou autres steaks de lama… Purmamarca est le premier village de la Quebrada. Il est situé au pied du “Cerro de los Siete Colores”, colline de pierre aux spectaculaires strates de couleurs. Une courte promenade aménagée en fait le tour. Sa place centrale accueille également tous les jours un marché d’artisanats. De nombreux voyageurs en font aussi leur point de départ pour visiter les “Salinas Grandes”, situées dans la province de Salta. Une “remis” (voiture de remise) partagée coûte à chacun 50-60 pesos environ. En pleine saison, l’affluence touristique atteint en journée un pic quelque peu désagréable, et il est difficile de trouver un hébergement. Il est fortement conseillé de réserver à l’avance ou de trouver un logement dans les localités voisines. Entre Purmamarca et Tilcara, un arrêt aux abords du village de Maimará s’impose, afin d’admirer la fameuse “Palette du peintre”,

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La Cédille

formation rocheuses aux vagues de couleurs impressionnantes. Tilcara, localité plus étendue, mais qui a su garder son côté pittoresque, constitue une halte agréable. La visite de son “Pucará”, fortification précolombienne en hauteur, est fortement conseillée. L’entrée est gratuite le lundi et des visites guidées, gratuites également, sont proposées. Le jardin de cactus à l’entrée vaut aussi le coup d’œil. Une randonnée de deux heures jusqu’à la “Garganta del Diablo”, un canyon avec cascade, est également une option agréable. Enfin, il est possible de se rendre aux “Salinas Grandes” pour 60-70 pesos en réservant une excursion. Renseignements et réservations à l’office du tourisme local. Humahuaca, au charme authentique et aux rues pavées, est la dernière étape de la Quebrada. Son ambiance paisible en fait une ville sympathique où il fait bon déambuler au hasard de ses maisons et ses places typiques. Le “Cabildo”, à l’architecture particulière côtoie l’Eglise sur la Plaza Gómez. Non loin, se situe le “Monument de l’Indépendance”, à la gloire des cultures indigènes. Un petit détour par le marché couvert, non loin de la gare routière, achève la visite. Depuis Humahuaca, il est possible de se rendre au petit village reculé de Iruya, situé à l’écart de la nationale à la fin d’une route pittoresque. Sa petite église jaune, ses petites rues pavées en pente et ses nombreuses possibilités de randonnées en font une localité – à juste titre – très prisée par les visiteurs. En remontant toujours plus vers le nord par la nationale nº 9, la Quebrada de Humahuaca fait place aux paysages de l’“altiplano”, froids et arides, et peuplés d’élevages de lamas. Le voyageur arrive alors à La Quiaca, villefrontière avec la Bolivie, froide et

désolée. L’étonnant chassé-croisé de boliviens, transportant sur leur dos d’énormes charges au point de passage entre les deux pays, a quelque chose d’insolite et d’hypnotisant. Du côté bolivien de la frontière, à Villazón, il est possible d’acheter de l’artisanat local meilleur marché. Le véritable charme de la région se trouve à Yavi, minuscule village de quelque 300 âmes, à vingt minutes en voiture de La Quiaca. Son église, ses maisons typiques en adobe, ses randonnées, et ses peintures rupestres, valent vraiment le détour. Pour s’y rendre depuis La Quiaca, il faut se rendre derrière le “Mercado Central”, de l’autre côté de la voie ferrée, et prendre un taxi partagé pour 6 pesos. Dans cette atmosphère tranquille de bout du monde, dans la fraîcheur de l’altitude, le voyageur achève son périple, à 1 787 kilomètres de Buenos Aires. Le retour à la Capitale peut se faire directe-

ment depuis La Quiaca (compter trente heures de bus, et il est difficile de trouver toutes les gammes de confort), ou en redescendant à Jujuy ou Salta, qui proposent plus d’options. Bon voyage ! N

Mathilde Sagaire

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La Cédille

Tandem,BuenosAiresetParis

unisparlaculture L'ambassadeur de France Jean Pierre Asvazadourian et le ministre de la Culture du GCBA Herman Lombardi présentent Tandem.

n programme d’automnes croisés sur lequel nous travaillons depuis deux ans et qui a mobilisé beaucoup d’énergies de part et d’autre. Plus de 200 artistes français se mobiliseront pour présenter des événements de grande qualité. L’année 2011 sera une année française à Buenos Aires » soulignait l’ambassadeur à cette occasion. De son côté, Herman Lombardi expliquait enthousiaste que « “Tandem” est un lien constitutif entre les deux capitales. Une initiative de très grande ampleur qui sera appreciée par plus de trois millions de personnes durant 180 jours, avec une forte projection vers l’avenir. » Tandem a démarré en beauté samedi dernier par la Noche en Vela en honneur à la Nuit Blanche parisienne qui amène l’art contemporain dans l’espace public, depuis le coucher du soleil jusqu’à l’aube, avec des présentations diverses dans tous les quartiers de la ville.

U

Une programmation alléchante De grands noms de la culture française viendront à Buenos Aires. Ainsi Aldo Ciccolini, enfant prodige de la musique en 1971, revient jouer au Colón après l’avoir fait voici 30 ans. La soprano française Donatienne MichelDansac donnera une masterclass et trois concerts, accompagnée par des musiciens argentins. Deux au théâtre General San www.expatria-cum-patria.ch

EN PRÉSENCE DU MINISTRE DE CULTURE DE LA VILLE DE BUENOS AIRES HERMAN LOMBARDI, ET DE L’AMBASSADEUR DE FRANCE JEAN-PIERRE ASVAZADOURIAN, LE 10 MARS, S’EST OFFICIELLEMENT PRÉSENTÉ DANS L’AUDITORIUM EL ALEPH DU CENTRO CULTURAL RECOLETA, TANDEM, UNE PLATEFORME CULTURELLE ENGLOBANT TOUS LES DOMAINES DES ARTS, LITTÉRATURE INCLUSE.

Martin, et l’autre dans le Salon Doré du Teatro Colón. Pendant 10 jours le Théâtre du Rond-Point sera l’hôte du Teatro San Martin pour monter des spectacles de Philippe Genty. Dans le cadre de “Buenos Aires Capital Mundial del libro” se tiendra la “Première semaine du livre français”. Aura lieu également un hommage aux 100 ans de la maison d’édition Gallimard qui a publié de nombreux écrivains argentins contemporains. Par ailleurs, le Salon du livre de Paris a reçu Buenos Aires du 17 au 21 mars en tant qu’invitée d’honneur. Son stand a vu passer 15 écrivains portègnes qui ont participé à de nombreuses causeries, présentation de livres, tables rondes et débats. Le “Nouveau cirque français” sera aussi au rendezvous avec sept différentes compagnies, ainsi que l’école de cirque du Lido, au Polo Circo de Parque Patricios. Le cinéma ne pouvait être absent. Le “Festival itinérant du cinéma français pour enfants” parcourerra les quartiers de la ville, et il est prévu une “Nuit du cinéma français” au BAFICI. De plus, 137 originaux du photographe Robert Doisneau pouront être appréciés pour la première fois en Argentine au Centro Cultural Recoleta et dans le Museo de los Niños de l’Abasto. Même le sport a été tenu en compte avec deux événements : une marathon simultannée Buenos Aires Paris où, pendant que quelqu’un court à Paris, un autre le fait à Buenos Aires. Des temps mis par ce “tandem” pour parcourir les 42,195 km sortira le couple gagnant. Pour clôturer la journée, deux équipes emblématiques de rugby – URBA et Stade Français – s’affronteront dans un match pour la première fois de leur histoire dans le stade portègne Ferrocarril Oeste. Et puis, en septembre, octobre et novembre, ce sera au tour de Buenos Aires d’assaillir culturellement Paris ! N

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Expatria Cum Patria B U L L E T I N D ’A D H É S I O N

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Tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau

“Dovedale par pleine lune“, vers 1784-85. Huile sur toile par le peintre anglais Joseph Wright de Derby (1734-1797). Allen Memorial Art Museum.

INTRODUCTION Je fis ma première excursion botanique, j’ascensionnai le volcan éteint derrière la ville, je remontai la forêt et revins par la vallée conquise à la culture du taro par une savante irrigation. Je fis connaissance avec la fraîcheur des vallées de la montagne et la température plus élevée qui vous accueille dès que l’on débouche de celle-ci sur le bord ensoleillé de l’île. Comme je parcourais tous les jours la contrée et la montagne, je ne décrirai pas davantage mes promenades solitaires, mais je rapporterai ici quelques-unes des petites aventures qui me survinrent alors. Adalbert von Chamisso(1)

Il existe une abondante littérature relative aux voyages à pied accomplis par Jean-Jacques Rousseau ; l’on connaît aujourd’hui leur rôle dans la genèse de son œuvre. Plus d’une fois l’on s’est intéressé à quelques lieux situés au cœur de la forêt, parmi les fougères, près de rochers spectaculaires. Refuge occasionnel, une cabane y est dissimulée aux yeux des promeneurs. Des chercheurs ont relevé chez le citoyen de Genève la signification symbolique et ésotérique des nuits passées à la belle étoile. Que de retraites choisies par l’homme de la Nature ! Autant de www.expatria-cum-patria.ch

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moyens de se fondre dans un cadre accueillant, bienveillant, capable d’inspirer au “philosophe-sociologue” une réflexion originale sur la société de son temps… Jean-Jacques Rousseau voit dans la nature cette plongée dans l’état originel. Elle lui procure cette sensation d’extase, de ravissement et de bonheur jamais atteinte par ailleurs. La nature et sa contemplation imprègne tout son être. Et cette sensation de profonde félicité, éveillée dès le plus jeune âge, ne fera que s’accentuer dans la vieillesse.(2) Ainsi une grotte, un promontoire, une cabane, un simple banc, constitue un espace propice à la rêverie, à la plongée dans un univers végétal exubérant, à la méditation, à l’inspiration, à la joie. Et jusqu’au chagrin qu’apaisera l’écoulement d’une rivière. Parcours fascinant, qui explique le rôle de la nature pour Jean-Jacques Rousseau, et


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© Musée Jean-Jacques Rousseau-Ville de Montmorency

l’usage qu’il en fait : L’eau ainsi est le regard de la terre, son appareil à regarder le temps…(3) Il s’agit bien là d’un lien symbolique, d’une trace subtile, d’un ressourcement recherché par ce marcheur en quête d’un monde à repenser. Souvenons-nous de la nuit de mars 1728 : aux abords immédiats des premières fortifications de Genève, Jean-Jacques Rousseau voit se dresser l’un des ponts-levis. Il a pour habitude de le franchir avant l’heure fatidique. Pourtant, cet après-midi-là, il n’y parvient pas. Il se résigne à dormir au pied des murailles.

Jean-Jacques Rousseau, apprenti graveur.

rien de l’accouchement tragique. Il n’écarte pas l’idée qu’il a été le confident de son père. Ce tête-à-tête le prépare à une écoute toute particulière. Je sentis avant de penser.(6) Souvenons-nous de l’événement évoqué plus haut (la nuit au pied des fortifications). Jean-Jacques Rousseau ouvre le chapitre de l’intime, de la confidence orale qu’il pourrait écrire tant son imagination s’enflamme lorsqu’il évoque ses rêves, ses emportements. Dans les Iles anglo-normandes, d’abord à Jersey, puis à Guernesey, Victor Hugo devient le propriétaire – grâce à ses droits d’auteur – d’une maison qui domine fièrement la ville. Le poète désire ardemment communiquer avec les siens. Il a perdu son frère, il ne se console pas de la noyade de sa fille Léopoldine ni de l’amour impossible d’Adèle partie sous d’autres cieux. Pour tenter d’y voir plus clair, Victor Hugo recourt à la télépathie. Cette “consultation” préfigurerait-elle la psychanalyse et ses séances ? Dans le petit salon de “Hauteville House”, ne serait-il pas l’ancêtre de nos divans(7) interroge Jean-Bernard Pontalis ? Bien avant « l’exilé de Guernesey », Jean-Jacques Rousseau – en fuite – aurait-il eu l’intuition du “protocole analytique” ? En effet, cette méthode serait prémonitoire : un fils s’adresse à sa mère disparue, à partir de souvenirs transmis par son père. Ainsi serait “né” le Devin du village. Le petit opéra doit absolument tout à Jean-Jacques Rousseau qui en fut l’auteur du texte et de la musique ce qui mérite d’être relevé en raison même de sa rareté… et de son succès considérable à l’époque (succès d’ailleurs loin d’être complètement oublié aujourd’hui). La mélodie champêtre devient pour Jean-Jacques Rousseau création musicale. Un couple vit sur scène, grâce au devin, consolateur d’une douleur toujours présente, atténuée par la musique. Paroles ensoleillées ! Gaston Bachelard songe à JeanJacques Rousseau pris par le brusque désir d’habiter “la maison aux contrevents vers”(8) et commente son rêve : Notre rêverie veut sa maison de retraite et elle la veut pauvre et tranquille, isolée dans le vallon. Cette rêverie habitante adopte tout ce que le réel lui offre, mais aussitôt elle adapte la petite demeure réelle à un songe archaïque. C’est ce songe fondamental que nous appelons la maison onirique.(9) Notre philosophe de la symbolique des rêves d’ajouter : On ne peut pas écrire l’histoire de l’inconscient.(10) La formation de l’individu, son histoire, sa trajectoire, son attention à la dimension consciente et inconsciente de son être mérite toute notre attention ; l’être humain serait en effet

Dans un premier temps, il parle de son effroi, de sa terreur à se confronter au maître d’apprentissage n’autorisant aucun retard. Cette halte imprévue hors des murs l’entraîne à prendre une décision : Je jurai de ne retourner jamais chez mon maître.(4) La fascination de l’univers nocturne ne cessera jamais. Envoûtant, fascinant, “émancipateur”, le goût de la surprise révèle un trait marquant de Jean-Jacques Rousseau. Imaginons-le étendu sur le sol, dialoguant avec lui-même, désirant établir une bonne distance avec ce maître d’apprentissage trop violent. Il tient à ses propres règles de vie, conformes à son entendement. Son père lui a répété inlassablement l’amour qu’il voue à son épouse, brutalement disparue. Ah ! disait-il en gémissant ; rend-lamoi, console-moi d’elle; rempli le vide qu’elle a laissé dans mon âme.(5) Ce cri le renvoie à ses parents tels Jean-Jacques qu’il les imagine. Jean-Jacques Rousseau adolescent, Rousseau entend-t-il la voix du œuvre d’artiste inconnu. couple ? Jean-Jacques Rousseau n’ignore

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© Collection privée, photographie de l’auteur

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Huile sur toile de Jacques-Laurent Agasse (1767-1849), réalisée avant 1789 de Bossey sous Salève.

BOSSEY, UN SOUVENIR ENCHANTEUR A la pré-adolescence, accompagné de son cousin Abraham Bernard, Jean-Jacques Rousseau est pensionnaire au presbytère de la paroisse de Bossey, appartenant au Chapitre de Genève. L’un et l’autre sont confiés au pasteur Jean-Jacques Lambercier et à sa sœur Gabrielle. Je restai sous la tutelle de mon oncle Bernard alors employé aux fortifications de Genève. Sa fille aînée étant morte, mais il avait un fils de même âge que moi. Nous fûmes mis ensemble à Bossey en pension chez le Ministre Lambercier, pour y apprendre avec le latin, tout le menu fatras dont on l’accompagne sous le nom d’éducation. […] A Bossey le travail me fit aimer les jeux qui lui servaient de relâche. La campagne était pour moi si nouvelle que je ne pouvais me lasser d’en jouir.(14) Jean-Jacques Rousseau fut profondément marqué par ce séjour. On se souvient de l’épreuve qu’impose le pasteur Lambercier à JeanJacques Rousseau prêt à se moquer d’Abraham, son cousin, singulièrement poltron, surtout la nuit.(15) Le pasteur me donna la clé du temple, et me dit d’aller chercher dans la chaire la Bible qu’on y avait laissée. Il ajouta pour me piquer d’honneur quelques mots qui me mirent dans l’impuissance de reculer. Je partis sans lumière; si j’en avais eu ç’aurait, peut-être, été pis encore. Il fallait passer le cimetière ; je le traversai gaillardement ; car tant que je me sentais en plein air je n’eus jamais de frayeurs nocturnes.(16) L’audace de Jean-Jacques Rousseau est manifeste. Dans L’Emile, il érige en principe ce type d’exercice dans lequel l’enfant (ou le groupe d’enfants) doit accomplir un exercice conçu de manière à ne pas l’effrayer et, surtout, lui permettre d’être rassuré par des bruits familiers. Des chants, des propos, des rires que l’on entend d’une chambre à l’autre ou d’un carré de jardin, procurent une bonne humeur contagieuse. www.expatria-cum-patria.ch

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A la fin de sa vie, il se souvient dans les Rêveries du promeneur solitaire de cette époque lumineuse. Dans la Troisième promenade, il raconte: Né dans une famille où régnaient les mœurs et la piété ; élevé ensuite avec douceur chez un ministre plein de sagesse et de religion, j’avais reçu dès ma plus tendre enfance des principes, des maximes, d’autres diraient des préjugés, qui ne m’ont jamais tout à fait abandonné.(17) Ces préceptes exerceront une durable influence sur sa vie et sur son œuvre. L’attention qu’il porte simultanément à la nature guidera et stimulera la pensée d’éminents naturalistes. Nous songeons notamment à Philibert Commerson (1723-1773), à

© Musée Jean-Jacques Rousseau-Ville de Montmorency

la juxtaposition de souvenirs incessants fixés par la matière et dont la ligature n’est elle-même qu’une habitude chevauchant toutes les autres.(11) […] une habitude qui en s’instruisant construit.(12) Cette lecture de lieux emblématiques a le mérite de guider le pèlerin sur un sentier symbolique. A même le sol, à même le ciel, à même les grottes, pour Jean-Jacques Rousseau, enfin réconcilié avec l’obscurité, la nuit devient l’amie du voyageur qui moud les sensations du jour dans le moulin des rêves. Mieux! Elle est le drap dans lequel il se love, recru de sa journée.(13)

“La chasse aux pommes”. Illustration de Maurice Le Noir.


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Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814), à Jacques-Henry Fabre (18231915) à Elisée Reclus (1830-1905), énumération non exhaustive de savants littéralement guidés par ses écrits. Tous voient le Citoyen de Genève saluant le sol et admirant la nature, cartographe-arpenteur se proposant d’établir, pour son plus grand bonheur, une encyclopédie des fleurs de l’Ile de Saint-Pierre du lac de Bienne. Plus près de nous, Henri Vincenot affirme que seul, l’homme debout fait du bon travail, et c’est quand il marche qu’il pense droit ! Garde-moi de ne rien faire le cul sur une chaise ou sur un lit, sinon manger, dormir ou reposer ! Si tu veux comprendre, débattre sainement, imaginer, organiser ta pensée, concevoir et décider : Marche ! marche, tu verras !(18) Jean-Jacques Rousseau évoque dans Les Confessions son adolescence. L’on se sou-

Jean-Jacques Rousseau, peinture d’artiste inconnu (non datée).

vient du vol de très belles asperges, ainsi que de la chasse aux pommes. Occasion de franchir quelques interdits, entreprise d’autonomie bienvenue au sein d’un univers rigide, découverte de nouvelles aptitudes, envie du fruit défendu. L’audace lui permet d’outrepasser les contraintes, les refus. Jean-Jacques Rousseau songerait-il à un atelier éclairé par les lueurs célestes, ouvert à l’inspiration joyeuse et à la fantaisie divine, outils symboliques sur le chemin de la connaissance ? Sa soif de grandir, de tout savoir, le pousse à oublier, à dépasser ses angoisses. Il marche en arpenteur. Les connaissances viennent à lui. Sa tâche sera de les formuler pour le plus grand nombre. Son esprit vierge est la meilleure longue-vue pour balayer les horizons.(19) Il propose à ses contemporains une attention nouvelle aux beautés de la nature et aux vertus du silence. Il quitte sa famille, le monde de la Fabrique genevoise, les paysages familiers. Sylvain Tesson résume admirablement cette transition : Au tictac de l’horloge, le voyageur répond par le martèlement de sa semelle.(20) Les promenades près de Bossey au pied du Salève et les randonnées autour de Genève lui proposent une navigation dans le monde de la botanique (il n’en connaît alors que les rudiments). La passion pour cette discipline ne va pas tarder à donner à ses marches une nouvelle dimension : ses pas l’entraînent d’une prairie à un taillis, d’un parterre à telle fleur préférée, d’une ruche à un tronc d’arbre… quel enrichissement ! Un jour Jean-Jacques Rousseau rédigera un cours de géographie; quelques pages en sont présentées dans les Textes scientifiques.(*) En classe, le bourguignon, Henri Vincenot se souvient avec bonheur des escapades qu’organisait son maître d’école : il nous emmenait en cortège pour nous faire découvrir la nature, dans des taillis que nous connaissions par cœur, arbre par arbre, herbe par herbe. Là parmi les envols de merles ou de ramiers, l’instituteur répétait sa leçon de choses sur le vif, levait des greffes, recueillait les pollens des noisetiers ou des cornouillers, surprenait la germination des graines, déterrait les bulbes de “scilles à deux feuilles”, Scilla bifolia, que nous appelions “puce”, tentait de féconder, pour les améliorer, la fleur d’ellébore avec un pollen de rose de Noël, entait avec succès des poiriers sur des scions d’aubépine, greffait des yeux de lilas sur des tiges de frêne, ce qui donnait des fleurs de lilas énormes, et que sais-je encore.(21) EN CONTEMPLANT LE RHÔNE Après quelques épisodes mémorables, Jean-Jacques Rousseau se rend à Lyon. Souvenons-nous : Bossey, presbytère attentionné ; Abel

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Plan d’eau. Huile sur toile de Gérald Comtesse, 2008. pensent que la terre est dure et le ciel lointain.(22) Au bord du Rhône, à son tour, JeanJacques Rousseau apprécie que la première lui serve de paillasse et le second d’auvent.(23) Préservant ses quelques sous pour se nourrir simplement (et non pas se procurer un toit), Jean-Jacques Rousseau fait le récit d’un de ses séjours lyonnais(**) : …après tout, je risquais moins de mourir de sommeil que de faim. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que dans ce cruel état je n’étais ni inquiet ni triste. Je n’avais pas le moindre souci sur l’avenir, et j’attendais les réponses que devait recevoir Mlle du Châtelet, couchant à la belle étoile, et dormant étendu par terre ou sur un banc aussi tranquillement que sur un lit de roses. Je me souviens même d’avoir

© Bibliothèque nationale de France / Gallica

Ducommun, maître graveur rigide ; Benoît de Pontverre, curé prosélyte à Confignon ; Mme de Warens, « charmante maman ». La musique occupe toute son attention, il en oublie son logis pour la nuit. En lisant le récit rousseauiste, nous passons une nuit à la belle étoile ! JeanIllustration du Jacques Rousseau l’évoque avec émotion. “Devin du Village”. Il rejoint les Mongols, ces fils du vent qui

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Les bains de Matlock et la rivière Derwent (Derbyshire). Huile sur toile, 1780, par William Marlow (1740-1813).

passé une nuit délicieuse hors de la ville dans un chemin qui côtoyait le Rhône et la Saône, car je ne me rappelle pas lequel des deux. Des jardins élevés en terrasse bordaient le chemin du côté opposé.(24) Lors de cette veillée en automne 1731, allongé sur un banc, observant les étoiles, Jean-Jacques Rousseau médite. Au hasard de ses rêves, la nuit devient un cheminement sans limite. La voûte céleste qu’il observe lui procure un grand bien-être. Proche du sommeil, il entend de petites phrases musicales souvent répétées, de charmantes mélopées… berceuses de ses émotions. Ce moment donne à Jean-Jacques Rousseau le goût de fredonner… la voûte céleste lui répond! L’inspiration se fait confidence. Jean-Jacques était né pour la musique; non pour y payer de sa personne dans l’exécution, mais pour en hâter les progrès et y faire des découvertes.(25) Plus tard, l’instant privilégié se prolongera, divertissement musical chanté dans la rue par des spectateurs ravis d’avoir assisté au spectacle du Devin du village. En 1752, JeanJacques Rousseau présente à Fontainebleau devant leurs majestés un intermède musical, Le Devin du village. Il est question d’une cabane obscure(26) chantée par Colin, époux attentionné de Colette. Un devin a convaincu ces deux êtres que les sentiments qui les animent leur offrent la chance de vivre ensemble. Cependant persuadée de ne plus répondre aux attentes de son ami Colin, Colette se désespère. Le Devin trouve une parade qui permet à ces

héros, cœurs sensibles à la magie d’une poésie pastorale, de se réconcilier. Le rôle du devin, le charme d’un rythme séduisant, une cabane accueillante… Autant d’arguments pour Colette de voir Colin retrouver sa bien aimée et, pour Colin, de convaincre sa fiancée de la pureté de ses sentiments. DANS LES PRAIRIES DE WOOTTON HALL Au cours de ses années d’exil, JeanJacques Rousseau suit le conseil d’une de ses amies : quitter le continent pour l’Angleterre. A Londres, Richard Davenport lui propose sa propre résidence dans le Derbyshire. Durant quelques semaines Jean-Jacques Rousseau apprécie grandement le dépaysement. Les collines de ce lieu l’enchantent : le vallon de Dovedale retint son attention par son paysage singulier où s’alimentait une imagination préromantique, éprise de ces renforcements énigmatiques, dont le charme ténébreux associait l’eau, la verdure, et les rochers. (…) Autre but de promenade, la forêt Dovedale. de chênes au nord de Wootton, et ses cascades… C’est en botaniste que Rousseau put arpenter ces lieux qui lui livraient leur moisson d’espèces végétales qu’il ignorait encore: « J’espère que vous n’employez pas tout votre temps à chercher des plantes par monts et par vaux », devait s’inquiéter Davenport, « et que vous songez encore à l’éducation et à l’édification de l’humanité ».(27) Au milieu de l’environnement enchanteur, Jean-Jacques Rousseau retrouve son énergie ! Le travail ne lui manque pas. Il se rend à tout moment dans cette grotte (aujourd’hui, les pèlerins la visitent). Qui n’a pas souhaité s’y rendre ? Les images de l’enfance prennent place dans une configuration souterraine, magique, ésotérique. Charles Baudouin montre que le re-

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© Simon Manby

nord; une marche de 4 ou 5 milles l’amenait de Dovedale. Restauré frugalement à la vieille auberge qui surveille l’entrée du vallon, il atteignait bientôt la Dove capricieuse qui se glisse entre les deux collines tristement gazonnées du Bunster et du Thorpe Cloud; un gué de pierre plates à passer et Jean-Jacques s’appartenait pour la journée, ravi de la solitude et du calme à peine interrompu par les rares oiseaux chanteurs. Les arbres se serrent au pied des parois et les escaladent de ci de là, tandis que la paroi occidentale se couronne d’un bois en surplomb que percent, ici, une aiguille rocheuse de plusieurs dizaines de mètres aux flancs tapissés de lierre, là, de farouches masses de calcaire grisâtre, prisonnière durant 3 milles du vallon étroit.(31) À Marie-Anne de Luze, il fait une description de sa maison et parle de la vie quotidienne ; il aime ainsi se rapprocher d’elle. Il gagne souvent la grotte de la propriété de Richard Davenport, y laisse vagabonder son imagination emportée vers des images de repos. Et l’ombre tout de suite sollicite les images de l’abri souterrain.(32) Emotions et souvenirs l’accompagnent; il songe à une manière particulière de les exprimer. Les Confessions sont en chantier, plus tard Les Rêveries du promeneur solitaire en parleront avec ravissement aux lecteurs.

la Grotte de Wootton Hall.

tour à la grotte magique est un retour à la mère, retour de l’enfant prodigue qui s’est chargé, dans ses lointains voyages, de fautes et de malheurs.(28) Jean-Jacques Rousseau se souvient de son père reprenant si pathétiquement l’éloge de Suzanne, l’épouse disparue quelques jours après l’accouchement fatal. Et Jean-Jacques Rousseau de parler de ce coeur qu’il reçoit en héritage, ce cœur qui pour eux fait leur bonheur et (29) qui, pour lui, fit tous les malheurs de (sa) vie.(30) Tantôt, il poursuit la rédaction du Dictionnaire de musique, tantôt il continue les Confessions, tantôt il écrit à ses chers correspondants. Souvent donc, il s’achemine dès le petit jour dans la direction du

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LE PARC D’ERMENONVILLE Les plantes qu’il décrit stimulent sa passion pour les végétaux. Il se donne pour mission de faire mieux connaître la Nature par la botanique. De plus, sans s’en douter, JeanJacques Rousseau ouvre le chapitre d’une

Le tombeau de Jean-Jacques Rousseau dans le parc d’Ermenonville.


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nouvelle expression littéraire, l’utilisation du “je”. Il contribue ainsi – beaucoup le mesurent aujourd’hui – à la naissance du Romantisme. Le rêve partagé devient réalité, offerte à chacun. La cabane de JeanEn 1778, Jean-Jacques Rousseau – Jacques Rousseau. il ignore qu’il sera emporté par une crise d’urémie quelques semaines plus tard – accepte l’invitation du marquis de Girardin, occupé depuis longtemps à transformer son jardin en lieu de contemplation, ouvert aux entretiens philosophiques, tout au bonheur d’une végétation et d’une nature toujours renouvelées. Le marquis faisait bâtir pour lui [Jean-Jacques Rousseau] une maisonnette, une sorte de chalet rustique qui rappelait Clarens. Elle n’était pas encore achevée, et Jean-Jacques s’installa dans un pavillon entouré d’arbres à côté du château.(33) Une cabane au toit de chaume est presque dissimulée dans la propriété du marquis. Jean-Jacques Rousseau s’y rend, son bâton, son

chapeau, un papier sous le bras. Ouverte à tous, la cabane devient pour lui un lieu privilégié. Construite en pierres sèches, la cabane offre un refuge à ses élans passionnels, à ses émotions enfouies. Dans l’îlot de verdure, le “vagabond” installe son bivouac, écoute les bruits d’une végétation qui a trouvé son héros. Apaisé, en quête de lui-même, Jean-Jacques Rousseau n’oublie pas l’itinéraire des autres. Il entend le chant des oiseaux, contemple les arbres, admire l’éclat d’une fleur sauvage, goûte la fraîcheur des mûriers, vit dans un paradis que personne ne lui ravit. La nature le comble. Il en pleure de joie, toujours prêt à de nouveaux voyages. Jean-Jacques Rousseau sera inhumé au cœur du parc d’Ermenonville, dans l’île des Peupliers, le 4 Rémy Hildebrand juillet 1778. N

Notes (1) Adalbert von Chamisso, Voyage autour du monde 18151818, Corti, 1991, p. 180-181 (2) Rémy Hebding, Jean-Jacques Rousseau, les lumières grâce à Dieu, Punctum 2005, p. 16 (3) Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves, José Corti, 1942, p. 42 (4) Jean-Jacques Rousseau, OC I, p. 42 (5) Jean-Jacques Rousseau, Ibid., p. 7 (6) Jean-Jacques Rousseau, Ibid., p. 8 (7) Jean-Bernard Pontalis, Traversée des ombres, Gallimard, 2003, p. 82 (8) Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, José Corti, 2010, p. 114 (9) Gaston Bachelard, Ibid., p. 114 (10) Gaston Bachelard, Ibid., p. 130 (11) Gaston Bachelard, L’intuition de l’instant, Gonthier, 1971, p. 68 (12) Gaston Bachelard, Ibid., p. 79 (13) Sylvain Tesson, Petit traité sur l’immensité du monde, Editions des Equateurs, 2005, p. 132 (14) Jean-Jacques Rousseau, OC I, p. 12 (15) Jean-Jacques Rousseau, OC IV, p. 385 (16) Jean-Jacques Rousseau, Ibid., p. 385 (17) Jean-Jacques Rousseau, OC I, p. 1013 (18) Henri Vincenot, Les étoiles de Compostelle, Denoël, 1982, p. 211 (19) Sylvain Tesson, Petit traité sur l’immensité du monde, Éditions des Équateurs, 2005, p. 86 (20) Sylvain Tesson, Ibid., p. 19 (21) Henri Vincenot, La billebaude, Denoël, 1978, p. 172 (22) Sylvain Tesson, Petit traité sur l’immensité du monde, Éd. des Équateurs, 2005, p. 63 (23) Sylvain Tesson, Ibid., p. 63 (24) Jean-Jacques Rousseau, OC I, p. 168

(25) Jean-Jacques Rousseau, OC I, p. 872 (26) Jean-Jacques Rousseau, OC V, p. 1163 (27) Monique et Bernard Cottret, Jean-Jacques Rousseau en son temps, Perrin, 2005, p. 415-416 (28) Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, José Corti, 2010, p. 225 (29) Jean-Jacques Rousseau, OC I, p. 7 (30) Jean-Jacques Rousseau, Ibid., p. 7 (31) Louis-John Courtois, Le séjour de Jean-Jacques Rousseau en Angleterre, Université de Genève, 1911, p. 43-44 (32) Gaston Bachelard, Le Terre et les rêveries du repos, José Corti, 2010, p. 210 (33) Raymond Trousson, Jean-Jacques Rousseau, tome II, Tallandier, 1989. p. 441 (*) Jean-Jacques Rousseau, OC V, p. 535-544 (**) Félix Desvernay pense que Rousseau a vraisemblablement dormi sous l’arcade d’un mur de terrasse, qui existe encore au n° 22 du quai des Etroits (la seule arcade dont l’aire inférieure soit formée par une dalle de pierre que Rousseau appelle une tablette). « Le Rhône, grossi de la Saône, coulait dans un vaste lit, se divisait en plusieurs bras, séparés par des îles verdoyantes », dit P. Grosclaude (Jean-Jacques Rousseau à Lyon, pp. 67), « ce n’est qu’après 1772, que cet espace fut en partie asséché, la presqu’île prolongée, le Rhône légèrement dérivé vers la gauche et le confluent reporté 2 km en aval ». L’incertitude de Rousseau s’explique parce qu’il avait sous les yeux un bras du vaste fleuve non endigué et que le lieu du confluent du Rhône et de la Saône n’était pas fixé (cf. A. Kleinclausz, Lyon des origines à nos jours, 1925, chap. II). in/Notes et Variantes des œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau, tome I, p. 1310.

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LE MUSÉE DU LOUVRE À PARIS A LA RÉPUTATION FLATTEUSE D'ÊTRE LE MUSÉE LE PLUS VISITÉ AU MONDE. CHAQUE ANNÉE, CE SONT, EN EFFET, QUELQUE 8 MILLIONS ET DEMI DE VISITEURS QUI FRANCHISSENT LES GRILLES DE CETTE ANCIENNE FORTERESSE MÉDIÉVALE QUE L'ON DOIT À PHILIPPE AUGUSTE (1165-1223) ET QUE FRANÇOIS 1er (1494-1547) TRANSFORMA EN PALAIS AVANT QUE LE XVIIIe SIÈCLE NE CONSACRE LES BÂTIMENTS EN MUSÉE POUR Y ACCUEILLIR DES MILLIERS D’ŒUVRES ET DE CHEFS-D’ŒUVRE ALLANT DE L'ANTIQUITÉ JUSQU'AU MILIEU DU XIXe SIÈCLE.

JérômeCoignard

Unefemmedisparaît LevoldeLaJocondeauLouvreen1911 ÉDITIONS LE PASSAGE armi ceux-ci, un tableau peint à l’huile sur panneau de bois de peuplier aux dimensions modestes : 77 centimètres de hauteur sur 53 de largeur et représentant un portrait de femme peint au début du XVIe siècle par Léonard de Vinci s’offre aux yeux de générations successives de visiteurs comme le tableau le plus célèbre au monde : La Joconde. Ce portrait de Monna Lisa, dont le sourire mystérieux et le regard insinuant qui semble suivre ses déplacements auront troublé plus d’un visiteur, est en effet un chef-d’œuvre absolu ; consacré par la critique, magnifié par les siècles et dont l’aura de son auteur, Léonard de Vinci, génie universel comme il s’en rencontre peu, ne fait que souligner l’éclat. Mais ce qu’ignore sans doute bon nombre

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des visiteurs du Louvre et de La Joconde qui se sont succédés depuis presque un siècle, c’est un événement qui a eu lieu il y aura tout juste cent ans le 21 août prochain. Ce jour-là en effet, l’œuvre emblématique, aujourd’hui présentée à l’Aile Denon du musée du Louvre, a été volée en plein jour sans que personne, gardien ou visiteur, s’en aperçoive. Promptement décroché de ses supports métalliques, dissimulé sous une couverture de fortune, subtilisé à la barbe des gardiens et aux yeux du grand public avant d’être exfiltré par le quai du Louvre, le portrait de Monna Lisa quitte le Salon Carré où il était exposé grâce à l’audace d’un voleur que les mœurs de l’époque se plairont à imaginer sous les traits d’Arsène Lupin lui-même, désireux d’ajouter l’original du chef-d’œuvre de Léonard aux autres trésors décorant les murs de son repaire d’Etretat. Mais Arsène Lupin ou pas, ce qui est sûr, en ce 21 août 1911, c’est que La Joconde quitte le Louvre, à l’insu de son Administration, pour une destination et une période inconnues. Au tout début, nous apprend Jérôme Coignard dans son livre remarquablement bien documenté, il n’y a même pas de panique lorsque l’on découvre l’espace

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vide qu’occupait la Joconde dans le Salon Carré du Louvre. Elle doit être à l’atelier photographique ou ailleurs, se dit-on. Il est vrai que l’Administration de l’époque déplace les tableaux sans réelles procédures ni contrôles bien établis. La Joconde, en ce lundi 21 août 1911 que les Parisiens s’apprêtent à vivre sous une canicule de plus de 34 degrés, est sans doute temporairement quelque part dans le musée ; il n’y a pas matière à s’affoler ni à s’activer outre mesure, pensent les gardiens interrogés. Finalement, les heures passant et renseignement pris, La Joconde semble n’être nulle part. Il faut alors se résoudre à envisager le pire : elle a disparu. La police commence à mener l’enquête et s’aperçoit avec effarement que voler un tableau au Louvre est chose relativement aisée pour quelqu’un de décidé. La sécurité du musée est en effet si déficiente que se laisser enfermer dans le musée après l’heure de clôture est un jeu d’enfant, et si l’on s’est muni d’un minimum de matériel adéquat, en sortir de nuit ne pose guère de problème. Comme il se doit, la presse s’empare de l’affaire et crie au scandale. Elle fustige l’incompétence du Pouvoir et de l’Administration en

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charge des trésors du Louvre. Des plumes célèbres s’étonnent de la légèreté de la République qui laisse des pans entiers du patrimoine national sans surveillance ou presque. Les mesures classiques de reclassement des fonctionnaires responsables et l’arrivée d’un nouveau directeur soucieux de se saisir du problème et d’améliorer la sécurité des bâtiments sont un premier élément de réponse au tollé général. Dans le grand public, que l’actualité internationale ne ménage pas depuis plusieurs années dans cette période qui précède la future conflagration mondiale de l’été 1914, on redécouvre à loisir l’immense Léonard de Vinci au travers de son œuvre à présent absente des murs du Louvre. Le public qui suit les développements de l’affaire lit alors sous la plume enthousiaste des journalistes que Léonard de Vinci, outre ses talents de peintre, était aussi un inventeur, un précurseur de génie, ayant été à l’origine de l’aviation ; laquelle passionne si fort le citoyen de ces premières années du XXe siècle. La fierté nationale française se souvient aussi que Léonard de Vinci est venu travailler et vivre en France à l’invitation de François 1er. Qu’il est venu avec, dans ses bagages, le célèbre tableau de Monna Lisa que le Roi de France décida de lui acheter afin d’étoffer sa collection de peintures italiennes qui fait aujourd’hui encore la richesse des collections du Louvre. Enfin que Léonard a fini ses jours en France et indiqué son souhait d’être inhumé à Amboise, se rattachant tout à fait à la patrie qui l’avait accueilli et qui, aujourd’hui, déplore la perte de son chef-d’œuvre. Perte qui, en cet automne 1911, semble bien consommé et peut-être irrémédiable tant les pistes sont minces ou inexploitées. La police, en effet, semble être dans l’impasse, tandis qu’au contraire, les spéculations vont bon train. Les archives regroupées par Jérôme Coignard montrent en effet la diversité des hypothèses allant parfois jusqu’au pur fantasme : pour certains, le vol est l’œuvre sophistiquée d’une organisation agissant pour le compte de riches passionnés vivant outre Atlantique : de Rio à New York, les douanes sont sur le qui-vive afin d’appréhender le précieux tableau avant qu’il ne rejoigne irrémédiablement la collection privé de quelque richissime passionné. Pour d’autres, il s’agit du vol d’un esprit dérangé, de l’acte sordide commis par un maniaque que l’étrangeté du sourire de la

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Léonard de Vinci (né à Vinci le 15 avril 1452 et mort à Amboise le 2 mai 1519).

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Joconde et les théories nombreuses sur son modèle (Monna Lisa ou autoportrait déguisé de l’artiste), voire l’idéal de beauté qu’il représente auront conduit à ce vol et à quelque dégradation probable de la toile qu’on ose espérer sans conséquence. Pour d’autres encore, la piste politique est la seule sérieuse, celle du complot et des minorités agissantes qui le conduisent. A toutes ces idées et autres théories plus ou moins fantaisistes, s’ajoutent certaines manifestations concrètes et inattendues qui ne laissent d’agiter le microcosme parisien. Le musée du Louvre devient en effet le théâtre pathétique où l’on se précipite pour voir "l’Absente". Pour regarder l’emplacement où se trouvait La Joconde. Cet emplacement qui devient l’endroit où il faut s’être rendu : comme le dit la chronique de l’époque et l’auteur de l’ouvrage : « On vient voir “Celle

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qu’on ne peut plus voir en peinture” (...). On va se recueillir et s’étonner au Salon Carré devant l’emplacement de La Joconde comme les disciples de Jésus se recueillirent et s’étonnèrent devant le tombeau vide ». On admire également les quatre pitons auxquels était accroché le célèbre tableau : on vient voir “le clou du spectacle” comme disent les gardiens avec humour. En 1954, trois ans avant sa mort, Sacha Guitry lui-même racontait encore volontiers à la radio l’incroyable anecdote qu’il était allé vérifier sur place, insistant sur le fait qu’un service d’ordre avait dû être organisé afin d’endiguer et de canaliser le flot innombrable de visiteurs qui allaient voir le clou auquel avait été accrochée La Joconde. Conséquence inévitable vu l’intérêt des médias de l’époque pour ce vol sacrilège, La Joconde devient bien plus célèbre après le vol. Elle est maintenant connue dans tout ses détails ; magnifiée au-delà du raisonnable et devient - avatar moderne - l’objet d’un merchandising effréné déclinant La Joconde à l’infini. Et puis, finalement, en 1913, La Joconde réapparaît enfin. Le voleur, moins spectaculaire que l’avait rêvé l’époque, avait conservé le célèbre portrait sous son lit, très modestement, avant d’être tenté d’en négocier la valeur auprès d’un marchand qui donnera l’alerte et mettra fin à cette “cavale de Monna Lisa”. Les lecteurs de Jérôme Coignard découvriront avec bonheur cette surprenante histoire richement illustrée par les témoignages de l’époque faisant ressusciter un monde aujourd’hui disparu mais dont les ressorts ne sont pas toujours si éloignés de notre XXIe siècle commençant avec ses phénomènes d’ultra-médiatisation et sa passion pour le fait divers ou le merveilleux. Aujourd’hui, les millions de visiteurs qui croisent le regard de Monna Lisa peuvent, comme Léonard de Vinci en son temps, comme le Premier Consul Bonaparte lorsqu’il la fit accrocher aux murs des Tuileries en 1800, comme le public américain au temps du Président Kennedy, quand André Malraux l’avait accompagnée pour être présentée dans la capitale nord-américaine, comme nous tous enfin et tant d’autres sans doute à l’avenir, ces millions de visiteurs disions-nous, peuvent méditer à loisir quant au destin étrange qu’une jeune italienne d’il y a cinq cents ans peut avoir de fasciner au travers de la représentation qu’en a donnée d’elle un artiste à la recherche de l’absolu. N


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vignoble crus

Petit grands

ENCADRÉES PAR LES SCHISTES HOUILLERS DU BASSIN DE DECAZEVILLE, LES PLATEAUX CRISTALLINS DES SÉGALAS ET LES BARRES CALCAIRES DU CAUSSE COMTAL SURGISSENT DE POURPRES COLLINES DE GRÈS ROUGE ET DE MARNE, SÉPARÉES D’ÉTROITES LANGUES DE PLAINES : VOICI LE VALLON (OU ROUGIER) DE MARCILLAC, FORTE PERSONNALITÉ DU ROUERGUE.

arcillac-Vallon, petit village situé contre les derniers contreforts du Causse et les prémisses de la vallée du Lot, son micro-climat et le travail des vignerons ont donné son vin dans l’un des plus petits vignobles AOC de France. Situé à 19 km de Rodez, Conques, haut lieu sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle.

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Les vignobles et cépages de l’Aveyron Quelques cépages ont trouvé ici des terroirs qui leur permettent de s’exprimer pleinement. Pour les rouges, le Fer Servadou ou Mansois, le Cabernet-Sauvignon noir, le Gamay, le Merlot, le Prunelard qui vient du Menu ; c’est un ancien cépage qui a résisté au phylloxéra et à une queue rouge, il en reste 50 pieds. Pour les blancs, le Chenin, le Mauzac appelé aussi la Blanquette (en vignes en espaliers dans les éboulis) et un cépage qui a presque disparu, le Saint-Côme, descendant du Gouais. Il n’en reste que 30 pieds. Le Fer Servadou fait partie de l'encépagement des vins de Marcillac, d'Estaing, d'Entraygues et du Fel. Il présente généralement une certaine fraîcheur en bouche. Arômes de cassis (lorsque le vin s'affine en cave), cerise, épices, framboise, poivron vert. Ses synonymes sont le Pinenc et Brocol (ou Braucol) dans le Sud-ouest, Hère sur la rive gauche de la Garonne, Mansois ou Soumanès en Aveyron.

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Les 4 appellations de l'Aveyron > AOVDQS Côtes de Millau Les vignobles des Côtes de Millau se situent dans les coteaux qui surplombent la vallée du Tarn, avec 60 hectares de vignes, l’appellation d’origine VDQS date de 1994. > AOVDQS Entraygues le Fel et l’AOVDQS Estaing Les vignobles d’Entraygues le Fel et Estaing sont situés sur les pentes qui surplombent les vallées du Lot et de la Truyère ; ces 2 vignobles sont les petits poucets du grand Sud-Ouest : 22 hectares pour Entraygues le Fel et 16 hectares pour Estaing. Le label AOVDQS date de novembre 1965. > l’AOC Marcillac. Il fête ses 20 ans. Le vignoble de Marcillac Vignes en espalier, région de Marcillac.

Il compte 200 hectares de vigne à une altitude de 500 m maximum situés à quelques kms au nord-ouest de Rodez, avec une pro-

duction de 8500 hl et un rendement de base de 55 hl/ha. Accroché sur les pentes des petites montagnes souvent aménagées en terrasses, le Fer Servadou représente 90% de la production de l’AOC Marcillac. Ce cépage introduit au IXe siècle par les moines de Conques, offre au vin de Marcillac toute sa typicité. Les vignerons ont obtenu l’AOC Marcillac en 1990, ils élaborent des vins rouges et rosés. Cuvées traditionnelles, issus de macérations longues ou courtes, les rouges, remarquablement typés par ce cépage, s’associent à merveille aux plats de la région. Le territoire du vin Marcillac AOC se trouve dans le vallon, coïncé entre les schistes ségaliens et la viadène granitique. Les sols des vallées sont soit purement argilo-gréseux, soit argilo-calcaire. La création du vignoble de Marcillac commence, avec la fondation du monastère de Conques, au IXe siècle ; les moines offraient aux pèlerins, qui venaient adorer les reliques

Marcillac, grappe de Mansois ou Fer Servadou.

Marcillac, tonneau de vin.

Vignes et raisins, région de Marcillac.

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de sainte Foy, du vin de Marcillac. C'est ainsi que ce vignoble connut un essor important et propice au développement de ce territoire. Que les propriétaires de la vigne fussent les moines ou les bourgeois de Rodez, seuls les paysans la travaillaient. Ils défrichaient les coteaux, construisaient des murets de pierre afin d'utiliser toutes surfaces plantables et d'éviter aussi le ravinement des sols. Actuellement, le prix de la vigne à Marcillac est de 1500 €/ha contre environ 850 200 €/ha en Champagne et 66 900 €/ha en Bordelais. Actuellement, la coopérative de Marcillac/Cave de Valady représente 55% de la production, et une douzaine de caves particulières représentent le reste, comme le Domaine du Cros avec Philippe Teullier à Vins de Marcillac et Ratafia.

du soleil. Il existe aussi le soleil de SaintChristophe. Le gâteau cuit à la broche est une spécialité aveyronnaise et pyrénéenne. Il est fait au feu de cheminée en versant une pâte liquide sur une broche de forme cônique. En se solidifiant, la pâte fait ressembler le gâteau à un sapin. On peut le trouver ailleurs, soit en Angleterre (“king of cakes - roi des gâteaux”), en Allemagne (“baumkuchen - gâteau arbre”), en Suède (“spettekaka”), en Pologne, en Lituanie (“ëšakotis”), et même le Japon en raffole (peut-être le côté phallique !). La pompe à huile est une sorte de plaque de pain, sucrée et imbibée d’huile de noix, ce qui lui confère un moelleux humide et

RECETTE POUR UN GÂTEAU DE 30 CM DE HAUT ET DE 2 KG 500 g de beurre, 750 g de farine, 750 g de sucre, 18 œufs, 15 cl de rhum, 5 cl d'eau de fleur d'oranger, 1 zeste d'orange, 5 g de sel.

pe

, vin.

Marcillac, gâteau Soleil de Marcillac.

Goutrens (président de l’AOC Marcillac), le Domaine du Vieux Porche avec Jean-Luc Matha à Bruéjouls ou le Domaine de l’Albinie avec Alain Falguières à Rodez. Terroir et gourmandise (à consommer après le régime) Le “Soleil de Marcillac” croquant aux amandes parfumées à la fleur d’orangé. Cette fouace aveyronnaise est une pâtisserie croustillante consommée tout au long de l’année. L’origine du “Soleil de Marcillac” vient du fait que chaque lundi de Pentecôte, à Marcillac, est célébrée la Saint Bourrou, fête païenne au cours de laquelle se perpétue la tradition de bénir les bourgeons de la vigne. A l’époque, tout le monde emportait comme souvenir de cette journée du vin et

Marcillac, Eschansonnerie Saint Bourrou.

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Auberge du Créneau de Pont les Bains. Cyrille Ajuto et son gâteau à la broche.


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friton, le jambon, la saucisse à la perche (sèche), les tripous du Rouergue, le pâté doré, la falette (voir région Auvergne), la viande de veau d‘Aveyron et du Ségala, la viande de bœuf, le coufidou, le poulet sauté, le gibier, le stockfisch (estofinado), l’aligot, la pascade, les cèpes et morilles, le touril (soupe à l’oignon aveyronnaise), sans oublier les spécialités au roquefort (dont feuilleté au roquefort).

Cascade de Salles la Source.

A la recherche du pain perdu, le tourisme pas “quel Conques”

Emmanuelle et Jean-Luc Fau posent devant leur restaurant “Goûts et Couleurs”.

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Lorsque vous venez de Marcillac, en remontant vers Salle la Source, vous suivez le Créneau (pas celui en voiture) mais le petit ruisseau qui a donné son nom à l’Auberge du Créneau à Pont-les-Bains. Le restaurateur Cyrille Ajuto, collectionneur d’objets du terroir a une passion : les vélos Solex. Mais vous pouvez lui faire confiance… Entre le petit-déjeuner et toutes les spécialités citées ci-dessus, le dimanche midi et les Viticulteurs de Marcillac à Bruéjuls, dans le jours fériés, vous plus grand Tassou du monde. pourrez déguster le “farçous”, les écrevisses en persillade, la tête de veau sauce ravigote et, selon les saisons, d’autres saveurs du terroir. À voir aussi, la commune de Salles la Source de 7 800 ha, dont les 2/3 sont occupés par l'extrémité luisant. La pâte, abaissée sur ouest du Causse Comtal, avec des terrains une plaque à pâtisserie calcaires et un milieu naturel très riche du après qu’on l’ait laissée se point de vue de la faune et de la flore. Salles développer, est ensuite badila Source est une des communes de France geonnée à l’huile de noix méqui compte le plus de mégalithes, menhirs, langée avec un ou deux dolmens et de tumulus. L'homme primitif jaunes d’œuf. L’huile, pesant occupait la commune de Salles-la-Source un quart du poids total des ingrédients, est (Homo Erectum). En atteste un biface en versée en trois ou quatre fois, le temps que silex daté de 100 à 120 000 ans, découvert la pâte la “pompe” (d’où le nom de la spésur le causse à Montaubert. cialité). La plaque panifiée, une fois gorgée Le village de 230 habitants possède le d’huile, est piquée (pour l’empêcher de gonmusée du Rouergue, aménagé dans les mafler), saupoudrée de sucre en poudre et gnifiques bâtiments d’une ancienne filature d’amandes ou de noix effilées ou brisées, et de laine et manufacture de drap de pays où enfin soumise à une cuisson à assez haute l’on peut découvrir les Arts et Métiers traditempérature (environ 250°C) durant une tionnels. Sa cascade fait l’objet d’une bataille vingtaine de minutes. entre la centrale hydroélectrique et les Autres produits et spécialités gastronoamoureux de la nature quand le Créneau et miques : le foie gras truffé, les pâtés, le sa cascade qui jaillit à plus de 20 m inspi-

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raient la poétesse romantique Pauline de Flaugergues au château de Cougousse. À Bruéjouls, en août 2010, autour de la place de l'église, après le plus grand tassou du monde qui est un énorme récipient pour boire du vin, 1 312 personnes de 3 à 110 ans se sont mis à danser tous ensemble le “Brise-Pied”. Il s’agit d’une danse en ligne occitane. Le but de cette danse est d'éviter d'écraser le pied de son voisin et d'éviter de se faire marcher sur les siens. Les pas sont très simples et à la portée de tous. L’amusant est que les musiciens accélèrent la cadence. C'est une danse ludique et festive avec le rythme de la polka. À Rodez, se trouve un restaurant haut en “Goûts et Couleurs” tenu par Emmanuelle et Jean-Luc Fau. Des plats aux tableaux culinaires sur ses murs tout est couleur avec les copeaux de foie gras de canard à la betterave crue, les calamars poêlés “Pierre Soulages” à l'encre, basilic et anis vert, écume à la violette, poivron rouge et riz “noir”, la mousse légère de Roquefort Baragnaudes, bille de coing et à la recherche du pain perdu... Pain, foie gras rôti, crème glacée aux cèpes, caramel et jus vanillé. Conques (du latin “concha”, coquille, en occitan “conca”) Peu de lieux en France ou même en Europe, peuvent s'enorgueillir d'une telle accumulation de richesses dans ce village : l'abbatiale romane et son célèbre tympan du Jugement dernier, les vestiges du cloître avec le grand

bassin de serpentine, le trésor d'orfèvrerie et le musée, le village enfin, comme sorti intact du fond des siècles. Le tout s'enchâsse dans un site admirable, en forme de conque, site qu'avait choisi l'ermite Dadon pour se retirer du monde, au VIIIe siècle. Tous les voyageurs, depuis l'écrivain Prosper Mérimée, par ailleurs inspecteur des monuments historiques, qui avouait, en 1837, n'être « nullement préparé à trouver tant de richesses dans un pareil désert », furent frappés par l'aspect “sauvage” du site de Conques. Un des plus beaux villages de France... Au cœur de la vallée du Lot, cette étape incontournable des Chemins de SaintJacques recèle bien des trésors : autour des maisons à colom-

bages, l’abbatiale Sainte-Foy des XIe et XIIe siècles avec ses 250 chapiteaux, ses vitraux contemporains de Pierre Soulages et son tympan aux 124 personnages sculptés dans la représentation du Jugement Dernier, mais aussi le trésor, celui de Sainte-Foy, reliquaire recouvert d’or et de pierres précieuses. De Conques, l’aéroport de Rodez est à 35 km et celui de Toulouse à 170 km. N ALAIN BARRIÈRE

À gauche : l’abbatiale Sainte Foy, à Conques.

Le tympan aux 124 personnages sculptés, à Conques.

Quelques adresses • Office du Tourisme de Marcillac - Tél. : +33 5 65 71 13 18 - ot-vallonmarcillac@orange.fr • Office de Tourisme de Conques - Tél. : +33 5 65 72 85 00 - tourisme@orange.fr • Syndicat des Vignerons de l’AOC Marcillac - Tél. : +33 5 65 72 71 77 - http://www.aoc-marcillac.com • Auberge du Créneau à Pont les Bains - Tél. : +33 5 65 71 74 21 • Auberge de Bruéjouls - Tél. : +33 5 65 72 70 74 • Auberge de l’Ady à Valady - Tél. : +33 5 65 72 70 24 • Restaurant Goûts et Couleurs à Rodez - Tél. : +33 5 65 42 75 10 • Gîte/Ferme Auberge du Domaine des Costes Rouges - Combret de Nauviale/Marcillac - Tél. : +33 5 65 72 83 85 • Hôtel Restaurant Le Relais de Marcillac - 14 Tour de Ville à Marcillac - Tél. : +33 5 65 71 75 57

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Porto-Vecchio

CitàdiSale PLANTÉ À L’EXTRÊME POINTE SUD DU GOLF DE PORTO-VECCHIO, UN JOYAU DES RELAIS ET CHÂTEAUX BAIGNE DANS UN CALME ET UNE DOUCEUR DE VIVRE OÙ HÉLÈNE CANARELLI ET PATRICIA BIANCARELLI, LA DIRECTRICE, VOUS ACCUEILLENT. Hélène Canarelli. ’est un hôtel qui a grandi avec Hélène. Jean-Toussaint Canarelli, son père, devient propriétaire en 1978 d’un bâtiment au bord d’une plage de rêve. Ce petit hôtel, à force d’endurance et de persévérance, est devenu le Grand Hôtel de Cala Rossa. Tous les ans, des transformations ont lieu. Cette année, c’est la petite cabane de massage avec vue sur la mer qui deviendra en été une chambre, une île d’intimité sur cette Île de Beauté. Le centre de bien-être, d’esthétique et de massage s’agrandit, après son passage en

C Pascal Cayeux.

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centre Clarins, car ce n’est pas un péché de se faire du bien en s’hydratant au lait de pêcher. Des séjours forfaits Tentations / Beauté / Forme sont proposés du 17 septembre au 15 octobre. Baigné dans une luxuriante végétation, vous aurez le choix, dans vos ballades, soit à la nage ou en bateau, à la découverte des Iles Lavezzi et de la Costa Smeralda en Sardaigne, du merveilleux Domaine de Murtoli. Vous mouillerez dans son anse et vous aurez la possibilité d’un dîner dans un restaurant au bout du monde ou dans une grotte dans le spectaculaire enchevêtrement du maquis. Pour la restauration, vous ne serez pas en reste avec le Chef de cuisine Georges Billon que vous pourrez retrouver à travers son livre “Hommes et saveurs de Corse”. Le Ch’ti Pascal Cayeux vous fera découvrir la magie de la cuisine de saison avec les poissons pêchés dans la nuit : rouget, araignée, langouste, denti, le seigneur des poissons avec sa forte dentition ou les viandes de cabri, agneau de lait, brocciu, veau, gibier ou porc sauvage. Pour le dessert et les gruyériens, vous trouverez même des meringues ! Le directeur de la restauration et Maître Sommelier Patrick Fioramonti qui a édité “Le Vin Corse, a tarra l’omini a passioni”, vous fera déguster les senteurs des cépages


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PLAISIR ET VOLUPTÉ AU GRAND HÔTEL DE CALA ROSSA

que vous découvrirez dans le paragraphe suivant. Le meilleur moyen de rêver est de venir sur cette plage ou est dessiné le doux visage du plaisir ! http://www.hotel-calarossa.com Tél. 0033 (0)4 95 71 61 51 Le Vignoble Corse Bien avant que les Grecs ne la cultivent, la vigne poussait en Corse à l’état sauvage et l’on prenait soin d’en recueillir les petites baies si douces au palais. Dès l’antiquité, six siècles avant J.C., les Grecs importent sur Kallisté (“la plus belle”) leur savoir-faire viticole. Le vin d’Alalia (Aleria sur la côte orientale) devient l’un de leurs breuvages favoris. Les Romains prennent le relais. En 35 avant J.C., Virgile vante déjà les qualités du vin de Balagne, couleur de rubis et agréable

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au goût. Depuis 1769 et la souveraineté française, l’activité viticole, autant qualitative que quantitative, ne fait que s’améliorer. Grâce aux nouvelles pratiques viticoles et œnologiques, ainsi que l’entêtement des hommes et des femmes du vignoble corse qui ont porté leurs fruits, la Corse est devenue la 3e île viticole de la Méditerranée (derrière la Sicile et la Sardaigne). Avec plus d’une centaine de producteurs en caves particulières, cinq caves coopératives et une SICA, la Corse élabore des vins à travers neuf AOC : Ajaccio, Calvi, Coteaux du Cap Corse, Figari, Patrimonio, Porto Vecchio, Sartène, Vins de Corse et Muscat du Cap Corse autour des cépages traditionnels corses Niellucciu et Sciaccarellu pour les Rosés et les Rouges, Vermentinu pour les blancs. A part ces cépages, la Corse possède une variété de cépages exceptionnelle : Codivarta, Aléatico, Barbirossa, Montanaccia, Rossol, Brandica, Riminese, Morescone, Rugughonna ou Biancu Gentile, le Grenache ou l'Alicante corse ou l'Elegante, le Muscat Petit Grain... En goûtant ces vins, on constatera que le cépage ne fait pas tout le vin et que l'influence de la nature des sols et du climat est pré-

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Escale >> pondérante pour ce qui est de la couleur, du

Le Clos Canarelli.

tanin ou du degré d'alcool. L’Appellation d’Origine Contrôlée “AOC Corse Porto-Vecchio” s’étend sur une superficie de 89,74 ha. Avec une terre aride, elle plonge vers la mer, où les vignobles, battus par le vent, portent des ceps robustes et fiers comme ces vignerons corses qui travaillent cet univers somptueux mais rude. L’Appellation d’Origine Contrôlée “AOC Corse Figari”, d’une superficie de 130 ha, est retiré dans les terres, à l’abri du clocher de Tarabucetta. Le vignoble le plus méridional de Corse porte les vestiges des premiers ceps plantés à la nuit des temps. Le climat y est si rude que la vigne semble pousser à la seule force des vignerons, pour donner des flacons d’un vin d’une extrême finesse. Au sud-est de l’île, les cépages originaux de Niellucciu et Sciaccarellu ou Sciacarello, qui veut dire craquant sous la dent, s’allient au traditionnel Grenache pour donner naissance à des rouges élégants et ronds ou à des rosés fins et aromatiques. Les blancs, issus du Vermentinu, secs et fruités à souhait, raviront les amateurs de fruits de mer et de poisson. J’ai rencontré un propriétaire-récoltant atypique en Bio-dynamie Yves Canarelli dans sa cave à Tarabucetta (Figari). En 1993, il reprend le vignoble et l’agrandit avec les cépages Syrah, Nielluciu, Vermentinu et le Grenache, mais aussi avec des cépages corses oubliés comme le Minustellu, le Carcagholu Neru ou le Muresconu, pour produire des vins d’une extrême qualité où se perpétuent les pratiques ancestrales de

Les “œufs” de Patrick Fioramonti et Yves Canarelli.

Le Muscat du Clos Canarelli.

La salle à manger du Grand Hôtel Cala Rossa.

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Escale

À savoir Conseil Interprofessionnel des Vins de Corse (C.I.V.C.) www.vinsdecorse.com - Courriel : civ@vinsdecorse.com Maison de l’Agriculture (OPAMTC-CREPAC) à Ajaccio http://www.corsica-terroirs.com Collectivité Territoriale de Corse - http://www.corse.fr Office du Tourisme de Porto-Vecchio http://www.destination-sudcorse.com

Le groupe polyphonique I Muvrini.

l’élevage sur lie et le bâtonnage. Yves Canarelli fait son blanc avec le Vermentinu, sa fermentation se fait en foudre et œuf béton, le rouge issu du Nielluciu et Syrah vieilli en amphore sera un merveilleux vin de garde avec des notes sauvages de maquis, son rosé est élaboré à base de Sciaca-

La Corse, c’est le pied !

rellu. Une visite ou une dégustation s’impose (tél.: 0033 (0)4 95 71 07 55 ou courriel : closcanarelli2a@orange.fr). Originalité croissante de procédés ou retour aux sources : “l’Amphore” et “l’Œuf en Béton” (non, ce n’est plus Pâques) se fait de plus en plus, de Portimão en Algarve au Portugal, jusqu’à Montigny-lès-Arsures, dans le Jura en France. La preuve en est une dégustation des viticulteurs bio adeptes “Les Amphorés ?” se tenait au mois de mars en Côtes du Rhône dans la Drôme chez un fervent défenseur de la Bio-Dynamie le Domaine Viret à St Maurice/Eygues. Quelques découvertes gustatives en Corse Vous pourrez déguster avec ces produits : les fromages de chèvres et de brebis, de Figari et le Brocciu, le Whisky Altorre de Patrimonio, l’eau de source St-Georges à Grossetto Prugna, l’apéritif Cap Corse Mattei, la Brasserie Pietra et la Charcuterie Fontana avec la Coppa, Lonzu, Figatellu, Prisuttu et Saucisson de Sanglier à Borgo. “Corsica Gastronomia” viendra à vous avec ses spécialités corses. http://www.corsicagastronomia.com À visiter : Bonifaccio avec “l’Escalier du Roi d’Aragon” et ses 187 marches qui fut réalisé en 1420 lors du siège de la ville. À déguster : “I mirizani”, les aubergines à la bonifacienne, ainsi que la viennoiserie “Le Pain des Morts”. À découvrir, une fête le 31 juillet à PortoVecchio, la mise à mort de l’abominable “Luddareddu”, ou l’homme des lièges, qui sera pendu et brûlé. Concernant la musique, savez-vous qu’Alizée est née à Ajaccio ? Le groupe polyphonique I Muvrini, ici sur le tarmac de l’aéroport de Sion, se produira en Suisse Romande début octobre, ne les manquez pas ! http://www.muvrini.com N ALAIN BARRIÈRE

Pour venir en Corse L’avion Air France - http://www.airfrance.com Air Glacier - http://www.air-glaciers.ch Ryan Air - http://www.ryanair.com XL Airways - http://www.xlairways.fr Le bateau Corsica Ferries - http://www.corsica-ferries.fr la S.N.C.M. - http://www.sncm.fr Moby Line - http://www.mobylines.fr

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Gastronomie Votre serviteur entouré de la “brigade de cuisine” et son directeur.

Safari etnecuisine sont pas incompatibles e retour du Kenya où je suis allé denièrement assister à l'Assemblée des Anciens de GIHE (Glion Institut de Hautes Etudes), école hôtelière où j'ai enseigné la cuisine pendant 22 ans, je vais vous donner mes impressions “culinaires” de ce pays tropical, et naturellement vous parler du safari photo que j'ai pu faire, safari que j'ai beaucoup apprécié. Ayant passé, en tout et pour tout, une dizaine de jours dans la région de Mombasa, je n'ai pas la prétention de vous faire un historique sur le Kenya, mais simplement vous relater ce séjour sur la base du vécu et, peut-être, vous donner quelques conseils utiles si vous vous rendez dans ce pays fantastique. Le Kenya est un pays de l'est africain, juste sur l'équateur, baigné par l'Océan Indien, à peine plus grand que la France, mais moitié moins peuplé. Mombasa n'est qu'à huit heures de Zurich.

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Défilé de phacochères devant le minibus.

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À l'arrivée, juste après avoir survolé Nairobi, on voit le Kilimandjaro et ses neiges éternelles qui donnent une impression de fraîcheur, bien que la chaleur suffocante ressentie à l'arrivée nous plonge directement dans le contexte. Même si nous avons très bien mangé tout au


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Gastronomie

long de notre séjour, je n'oserais pas vous parler de gastronomie dans un pays où le niveau de vie est très bas, où beaucoup de gens vivent avec très peu, cela serait vraiment indécent. La population est pauvre mais pas forcement malheureuse, elle subit moins le besoin de consommation généré par notre société. Beaucoup de Kenyans, surtout les jeunes, possèdent des téléphones portables, les contrats et les communications étant à un tarif dérisoire. Il est très facile de communiquer, car où que nous soyons allés, la population comprend et parle l'anglais. Les Kenyans sont très affables, courtois, hospitaliers. Les établissements qui accueillent les touristes n'ont rien à envier à notre hôtellerie. Le climat, le pays font qu'ils sont différents, mais l'exotisme est bien là. Nous étions logés à l' Hôtel "Leisure Lodge Beach & Golf Resort", un véritable paradis.

1. Des waterbocks, cousins des springbocks. 2. Un troupeau d’éléphants s’apprête à traverser la piste. 3. Une femme Masaï et son petit. 4. Ne jamais réveiller une lionne pendant sa sieste…

Son Directeur, John Mutua, un ancien de GIHE des années quatre-vingts, a su former son personnel pour qu'il soit accueillant, prévenant, et agréable avec ses hôtes. Côté nourriture, il faut d'abord relativiser avec tout ce qui se raconte. C'est évident qu'il ne faut pas boire l'eau du robinet, il y a certaines règles à respecter vu la fragilité de notre constitution due à notre régime alimentaire surprotégé ! La cuisine kenyane diffère d’une région à une autre, elle dépend des ressources naturelles et surtout des différentes ethnies, c'est une cuisine faite pour se nourrir. Dans la région de Mombasa, les poissons et les crustacés trouvent une place importante dans la restauration locale, la proximité de l'océan y est pour quelque chose. Si je puis vous donner un conseil, sous les tropiques, poissons, crustacés et coquillages sont à consommer cuits ; les fruits sont 2

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Toutes les chambres et les infrastructures sont harmonieusement réparties dans un parc de plusieurs hectares en bordure de l'Océan Indien, avec une nature luxuriante, des hibiscus, des flamboyants, des bougainvilliers aux couleurs lumineuses, des baobabs énormes et majestueux.

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Gastronomie

reuse, son goût n'a rien à voir avec celle que nous avons chez nous qui a subi toutes sortes de traitements, à pousser avec de l'engrais, a été cueillie verte, avant de mûrir dans une chambre hermétique, à température conditionnée et avec du gaz pour éviter la pourriture. Il y a deux plats typiques qui sont à la base de la nourriture des Kenyans : l’ugali et le githeri. Ce sont deux mets de base traditionnels que l'on retrouve dans la restauration sous forme de garniture. L’ugali est une pâte faite avec de la farine de maïs blanc, souvent mélangée avec du sorgho, quelquefois du mil ; elle est cuite à l'eau. Dans la restauration, c'est un accompagnement présenté sous forme de boulette, parfois de galette. Le githeri est un mélange de maïs en grains et de fèves, on peut y ajouter d’autres légumes. Je n'irai pas jusqu'à vous conseiller l'aliment de base des Massaï qui est du sang de jeune bovin mélangé à du lait de chèvre, le sang est prélevé sur les animaux mais ils ne sont pas abattus. J'ai eu le privilège d'aller manger au Tamarind Restaurant, considéré comme le meilleur restaurant de Mombasa. Nous y avons dégusté des crabes que ma femme a choisis avec une sauce au gingembre et moi-même avec une sauce au chili… Un vrai régal ! Les cartes des mets et des vins y sont comparables à celles d'un grand restaurant européen. On retrouve tout ce qu'on trouverait à Paris ou à Genève avec, en plus, de l'autruche, des cailles, des langoustes, des crabes, autant de produits locaux dont la qualité et la fraîcheur sont irréprochables. Ma qualité de cuisinier m'oblige à aller en cuisine saluer les chefs qui œuvrent aux fourneaux, démarche qui m'a été facilitée, le couple gérant et propriétaire de l'établissement étant deux anciens élèves de GIHE des années quatre-vingt-dix, Nadège et Jonathan Seex, dont le papa a démarré une chaîne de restaurants au début des années soixante-dix et qui ne cesse de s'agrandir. Avant d'aller au Kenya, "pollué" par la télévision, safari voulait dire, pour moi, forêt dense et surtout savane sèche, aride, sous un soleil de plomb. Nous sommes partis trois jours dans le Tsavo. Nous avons "erré" dans les deux parcs nationaux Tsavo Est et Tsavo Ouest. En

www.expatria-cum-patria.ch

fait, le parc est scindé en deux par la route nationale Nairobi-Mombasa. Les deux parties réunies représentent à peu près la superficie de la Suisse avec une savane, des chaînes montagneuses et des collines, des forêts d’acacias. Le soleil est de plomb, certes, mais pour le reste, c'est faux, la savane est verte, les pistes rouges à cause de la latérite, puis subitement noires à cause de la roche volcanique. Le spectacle est féérique. Il faut que la savane regorge d'animaux sauvages pour pouvoir en voir autant sans sortir des pistes.

Nous avons passé deux nuits agréables dans des lodges très confortables. Les moments les plus propices pour voir des animaux sont le soir jusqu'à la tombée de la nuit et le matin au lever du jour. Les animaux sont aussi imprévisibles qu'impressionnants. C'est un enchantement de voir des girafes à quelques dizaines de mètres manger tranquillement, des lionnes se prélasser dans l'herbe le matin pour se sécher de la rosée de la nuit. Plusieurs fois, notre minibus a dû s'arrêter pour laisser des zèbres, des éléphants, des phacochères et bien d'autres animaux traverser la piste. Aux abords des points d'eau, le spectacle était garanti, mon appareil photo pourrait vous en dire beaucoup plus. Si vous vous posez quelque question que ce soit pour faire un safari, n'hésitez pas, c'est fantastique et surtout inoubliable. N

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À déguster des yeux et de la bouche, ce plateau de fruits de mer.

jjpoutrieux@bluewin.ch

>> excellents, une simple banane est savou-

Jean-Jacques Poutrieux


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