SÈTE 1666 : les bonnes feuilles

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1666 Djinn & Christophe Naigeon

Sète

Imaginer un port, faire naĂŽtre une ville

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En 2016, Sète fête son 350e anniversaire. Une jeunette parmi les ports de cette Méditerranée où l’on naviguait déjà trois mille ans avant notre ère ! C’est pourquoi, à cette gamine turbulente encore en pleine croissance, nous avons voulu écrire un livre d’amour. Ceci n’est donc pas un ouvrage d’historiens. C’est un livre d’histoires tirées d’une compilation de textes de toutes les époques, de toutes les sources, de tous les genres. C’est le résultat d’une enquête à travers des écrits parfois contradictoires, parfois polémiques, parfois partisans, mais toujours documentés et pertinents et, pour la période la plus récente, auprès d’acteurs et de témoins qui nous ont apporté leurs souvenirs et leur passion pour ce port né d’une folle idée en 1666.

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Foxtrot et écrire

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ISBN 978-2-9556227-0-4 Dépôt légal : mars 2016 Prix : 15 € TTC


Sète, fille de roi, pas enfant de marin

B

ien des marins ont fait naître des ports. Prôtis le Phocéen a fait Marseille. Mille anonymes, pour trouver un abri ou de l’eau douce, pour créer des comptoirs ou bâtir des places-fortes, ont jeté à terre la semence d’une cité. Mais Sète est unique. Il n’y avait rien sur cet îlot où les seules options étaient de se fracasser sur les rochers ou s’échouer sur les bancs de sable alentours. Les Grecs avaient créé Agde après Marseille, les Romains Narbonne du temps où la baie était ouverte, Saint-Louis mouillait la flotte des Croisades sur les hauts-fonds d’Aigues-Mortes, les Sarrasins ont occupé un temps l’île de Maguelone. Mais, au fil des siècles, le sable a fermé les graus et rempli les étangs. Le golfe du Lion, aux vents rugissants, était la bête noire des navigateurs. Le Languedoc prospère n’avait pas de port. Pour le commerce, et aussi pour la guerre, il en fallait un quelque part à mi-chemin entre Marseille et Port-Vendres. Trois générations de rois de France ont planché sur la question. Leurs ingénieurs ont désigné le tronçon de côte entre l’île de Brescou - au cap d’Agde - et celle de Sète. Pierres volcaniques du mont Saint-Loup à Agde ou roches calcaires dures de la “montagne de Cette”, les deux sites offraient les matériaux et un appui solide pour bâtir des ouvrages portuaires. Henri IV a choisi le côté Ouest de l’île de Sète. Il a commencé à y faire construire deux digues. Projet inachevé par manque d’argent. Son fils Louis XIII a fait dessiner un plan entre l’île de Brescou et la côte. Il est resté sur le papier. Son petit-fils Louis XIV, avec Colbert, le Chevalier de Clerville et La Feuille ont enfin imaginé le bon projet, celui qui a réussi.

Sète est donc née au XVIIe siècle de la vision territoriale d’un monarque bien conseillé, qui voulait placer ici la pièce manquante d’un jeu économique et stratégique bien plus vaste que le diocèse d’Agde qui avait la tutelle de cette île rupestre presque déserte et dont les évêques tiraient jalousement des subsides. Presque simultanément à sa conception, le projet du port de Sète a trouvé une cohérence et une justification supplémentaire avec un projet encore plus ambitieux et d’importance géographique bien plus large : le canal des Deux-Mers pour relier l’Atlantique à la Méditerranée, imaginé et mis en œuvre par Riquet, très vite chargé de la construction simultanée du port de Sète. La France d’alors traversait des guerres, des épidémies, des famines. Ses caisses étaient vides. C’est justement pour cela qu’il fallait imaginer et investir. C’est d’abord avec de l’argent public que le môle Saint-Louis a été construit et que le canal vers l’étang de Thau a été creusé. Le “privé”, industriel et commercial est venu plus tard, de toute l’Europe, profitant des infrastructures réalisées par l’État. Et, peu à peu, la ville est née. D’abord une sorte de “coron” bâti par Riquet pour accueillir les ouvriers du chantier, puis une vraie cité, autour de deux rues et d’une fontaine, puis des entrepôts et des ateliers le long du canal. Et ainsi de suite, avec des hauts et des bas, des abandons, des ensablements, des crises, des destructions… et autant de renaissances. À chacune, la puissance publique a donné l’impulsion, avec une nouvelle vision pour le territoire. La dernière, en 2008. En cela, l’histoire de Sète est une histoire très contemporaine.

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CHAPITRE 1

Corbita, navire de commerce romain © Navistory

POURQUOI CHOISIR SÈTE ? Pourquoi avoir choisi le site de la Montagne de Sète pour y construire le seul grand port du golfe du Lion ? Les Grecs avaient Agde, les Romains Narbonne, les Sarrasins Maguelone, Louis IX Aigues-Mortes. Alors quelle mouche a piqué Henri IV et son petit-fils Louis XIV pour décider que ce serait au pied de cette colline boisée, cette île presque déserte ? Pour le savoir il faut, comme en toute affaire de navigation, accepter quelques louvoiements : comprendre la mer et les vents, les fonds et les courants, les navires et les marins...

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CHAPITRE 2

Felouque barbaresque © Navistory

C’ÉTAIT COMMENT, SÈTE AVANT SÈTE ? Sète était-elle une ville, un bourg, un village avant que le port ne soit construit ? Voilà une question centrale et une source de vives polémiques entre historiens. Nous avons essayé de faire la part des choses, mais, faute de preuves d’évidence et malgré les efforts de certains auteurs pour soutenir le contraire, il est certain que la montagne de Sète est restée une île quasiment inhabitée jusqu’en 1666. Inhabitée, mais pas déserte. La pêche, l’agriculture, la récolte du vermillon sont devenues peu à peu une source de revenus assez importante pour que féodaux et évêques des diocèses environnants s’en disputent l’exploitation et les taxes qu’elle produisait.

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CHAPITRE 3

Pinasse

© Navistory

LE CHOIX DU BON ROI HENRI IV La Renaissance vient succéder au Moyen Âge. La Méditerranée est “mondialisée”. L’Europe du Nord commerce avec le Levant. Les navires Espagnols et Anglais y occupent une place dominante. La France est en retard. Le Languedoc, pourtant plus riche région du royaume de France, ne regarde pas la mer. La France non plus. Sauf Henri IV qui voit plus loin que les clochers des diocèses languedociens. Il veut créer un port militaire et commercial, une ville portuaire dans le golfe du Lion. Il choisit le cap de Sète. Les travaux commencent. Mais...

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CHAPITRE 4

Galiote à bombes

© Navistory

LE PROJET DU ROI SOLEIL Le port que le golfe du Lion attendait est finalement lancé en 1666. Louis XIV , Colbert et le chevalier de Clerville décident de creuser un canal pour accéder à l’Étang de Thau dont la partie orientale, dite des Eaux Blanches, deviendra un grand bassin portuaire, bien abrité des tempêtes et des pirates. Pour en protéger l’entrée côté mer et créer un avant-port confortable pour les bateaux avant d’embouquer le chenal, est prévu un môle de 500 mètres de long, le môle SaintLouis. Tout ne sera pas facile, mais cette fois est la bonne.

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CHAPITRE 5

Pointu. © Navistory

CE FAMEUX JEUDI 29 JUILLET 1666 Jeudi 29 juillet 1666 est posée la première pierre du môle Saint-Louis. Après les échecs de son grand-père Henri IV et de son père Louis XIII qui avaient tenté sans succès le flanc Ouest du cap et le Cap d’Agde - île de Brescou, Louis XIV croit à ce nouveau projet et veut lui donner toutes les chances de réussite commerciale. Une incroyable opération “marketing” est lancée. L’idée est simple : puisque ce port est destiné à doper le commerce languedocien, le “cœur de cible” est tout naturellement constitué des commerçants et négociants de toute l’Europe. La fête va être magnifique. Sète sera célèbre avant même d’exister.

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CHAPITRE 6

UN CHANTIER DE DIX-SEPT ANS La première pierre est posée en juillet 1666. Le chantier sera officiellement réceptionné en 1683. Les travaux commencent très lentement, manquent de peu d’être abandonnés, repartent avec la prise en main par Pierre-Paul Riquet, l’homme du canal des DeuxMers, puis ralentissent de nouveau, redémarrent... Les difficultés techniques, humaines et financières ne manquent pas. Mais, pendant ce temps, se crée peu à peu une ville éphémère, une économie provisoire qui tourne d’abord autour de l’activité de construction. 53


CHAPITRE 7

Le premier pont de Sète. Coll. Gilles Suquet.

LE VILLAGE DEVIENT UNE VILLE Après 1673, Sète obtient le statut d’une ville, avec ses consuls, ensuite son Hôtel de Ville, son église consacrée. D’un village d’ouvriers chargés de la construction du port géré par ses maîtres d’ouvrage, Sète passe, non sans mal, à une économie de cité maritime. Les salins et la pêche, la savonnerie et la manufacture du tabac, mais surtout le vin et les eaux-de-vie vont assurer son développement. Avec des hauts et des bas, Sète se transforme et s’achemine peu à peu vers la modernité que la Révolution va amener. Mais avant cela, beaucoup de choses vont encore se passer…

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CHAPITRE 8

Clipper

© Navistory

UN RÉVEIL POUR LE MOINS AGITÉ ! Révolution, République, Empire, Restauration, Journées révolutionnaires, Monarchie de Juillet, Révolution de 1848, IIe République... à la veille du Second Empire, la France a vécu pour le moins intensément. Dans ces convulsions vers la modernité, alors que tout était sans cesse bouleversé, Sète a connu un long sommeil, puis un lent réveil. Son éclosion lui a valu bien des inimitiés et des concurrences peu loyales de Bordeaux, Marseille, Montpellier. Mais rien n’a arrêté son émancipation et la progression du port qui entraîne derrière lui une ville de plus en plus nombreuse et industrieuse.

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CHAPITRE 9

OÙ IL EST QUESTION DE FÛTS ET DE VIN La fin du XIXe siècle sera politiquement plus calme. Mais d’autres ennemis sont aux portes et vont envahir le territoire : ils s’appellent Oïdium, Mildiou et, surtout Phylloxéra. Le port de Sète, qui vit à ce moment-là pour l’essentiel de l’exportation de vin, va souffrir de la crise viticole. Mais c’est aussi l’époque de la conquête coloniale. Sans autre considération, c’est une époque bénie pour le commerce maritime sétois. L’Algérie vers laquelle Sète exportait, va devenir un important marché d’importation et sauver Sète du marasme. Et arrivent d’autres enfants de la modernité...

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CHAPITRE 10

18 mars 1901 « … Il a plu tout le temps, impossible de sortir. Pour occuper nos loisirs, nous avons dansé. M. Émile m’a appris le pas des patineurs. Le soir, nous avons joué aux cartes, c’est encore lui qui faisait le professeur. » Coll. Claude Bonfils

UN SIÈCLE AVANT L’OCCUPATION Pour le port et pour la ville qui croissent ensemble, le XIXe siècle est celui de changements profonds qui apparaissent en se promenant dans les anciens plans de la ville. À l’aide de quatre de ces plans superposables, réalisés pour les années 1808, 1860, 1900 et 1936, faisons donc un tour de ville, par les rues, les canaux et les ponts, des quartiers industriels du Nord au port des pêcheurs du Sud, jusqu’à la veille de la seconde Guerre mondiale, quand les premiers touristes” sont arrivés et que Sète s’est découvert, pour quelque temps, une vocation balnéaire.

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CHAPITRE 11

Bombardements alliés en juin 1944. Coll. Christophe Laurent

HAUTS ET BAS DE L’APRÈS-GUERRE Après la guerre, tout est à reconstruire mais le moral est au beau fixe. L’argent irrigue l’économie, le trafic repart, la ville se refait une beauté et le port a plus de mille dockers. Puis surviennent la décolonisation et l’indépendance de l’Algérie. Coup dur pour le commerce du vin. Coup dur aussi pour le pétrole et pour les bois tropicaux. Malgré des investissements importants dans les infrastructures portuaires, l’activité stagne. Heureusement, la pêche vit ses grandes heures avec des bateaux de plus en plus grands, puissants et efficaces. Qui pense à ce moment-là à préserver la ressource ? Le XXe siècle se termine entre pessimisme et euphorie.

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CHAPITRE 12

pel Coll. David Ca

ÎLE SINGULIÈRE, PORT PLURIEL L’histoire va se terminer là. Trois cent cinquante ans ont passé. La grande nouveauté de la période, c’est le retour d’une vision territoriale autour du port, renouant avec les toutes premières origines : un projet d’aménagement et des financements publics pour stimuler une activité économique et profiter à une ville. Cette page se termine sur de grands espoirs, de premières réussites, et quelques questions pour l’avenir.

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