Vers une écologie spirituelle de la ville Pour une critique du développement durable urbain, approches philosophique et psychanalytique
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Mémoire de : Séverine Duchemin Directeur d’études : Thierry Paquot, Professeur des Universités, IUP, Paris XII, Membres du Jury : Anne Grenier, Expert ville durable auprès de l’ANR, Bernard Salignon, Professeur des Universités, Montpellier II, Serge Thibault, Professeur des Universités, Université François Rabelais, Tours, Chris Younès, Professeur à l’Ecole Nationale d’Architecture de Paris-la-Villette.
Université Paris XII, Créteil – Institut d’Urbanisme de Paris – Soutenance, le 19 décembre 2008
REMERCIEMENTS
Je tiens ici à remercier les premières personnes qui m’ont encouragée et guidée aux commencements de l’étude : ma référente à l’ADEME, Anne Grenier, mes deux premiers directeurs d’étude, Luc Adolphe (IFU), Marc Abélès (LAIOS – EHESS), enfin Irène Bellier (LAIOS – EHESS) et Birgit Muller (LAIOS – EHESS).
Pour m’avoir soutenue, aidée et pour avoir corrigé mon mémoire de thèse, je tiens également à remercier Isabelle Urvoix, Jacques Flore-Thébault, Juliette Leportier, Laurence Ferrette, Migaël Carrias, Stéphanie Barths, enfin mes parents, famille et amis.
Enfin, je tiens particulièrement à remercier mon directeur d’études Thierry Paquot pour m’avoir fait confiance, pour sa réactivité et ses précieuses remarques. Sans lui, ce travail n’aurait pas été possible.
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SOMMAIRE Avant-Propos
9
Introduction
23
I.
DES MYTHES À REVOLUTIONNER
45
A.
Le Jardin des délices, mythe d’abondance et de liberté
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1.
Le mythe de l’Age d’Or et de l’Eternel retour
48
2.
De l’idéal à l’idéal de développement
51
3.
La nature et ses limites, le mythe de l’abondance déchu
54
B.
La relation Homme/Nature, du duel au non-duel
69
1.
Le refus du subissant, le développement de la « noosphère »
70
2.
Pur et impur, déchets et pollutions
74
C.
De la puissance et de l’impuissance du rationalisme
90
1.
Les limites de la science
92
2.
Les contaminations du technique sur le politique
107
II.
DES USAGES À ABOLIR
123
A.
La productivité au service de la jouissance
126
1.
Progrès, modernité et désenchantement
127
2.
Les passionnés de « la grande bouffe »
134
3.
Désirer. Se consumer
140
4.
Les pathologies de la croissance
146
5.
Besoins ou désirs ? Avoir ou être ?
149
B.
Le libéralisme ou la confusion des libertés
161
1.
L’action publique
164
2.
Ville durable : des enjeux, des modèles
183
3.
Condamner l’utopie ?
202
4.
Communier ou échanger ? Le sens de la liberté
208
5.
Le piège économiciste
219
6.
Vices et vertus de l’autonomie
232
Conclusion
253
5
«La pensée simplifiante s’est voulue supérieure à la pensée «naïve» qui s’accommode du flou, de l’incertitude, de l’ambiguïté. Elle a éliminé par principe le flou, l’incertain, l’ambigu et, bien sûr, le contradictoire. Elle s’est voulue et montrée supérieure en rigueur. Mais, au delà d’un certain seuil incertain -, elle est devenue rigide, donc inférieure, et elle a occulté la complexité du réel que la pensée naïve, qui est, en fait, naïvement complexe, tolère sans pouvoir l’expliciter. La pensée simplifiante élimine la contradiction parce qu’elle découpe la réalité en fragments non complexes qu’elle isole. Dès lors, la logique fonctionne parfaitement sur des propositions isolées les unes des autres, sur des propositions suffisamment abstraites pour qu’elles ne soient pas contaminées par le réel, mais qui, justement, permettent les arraisonnements particuliers sur le réel, fragment par fragment. Quelle merveilleuse adéquation «scientifique» entre la logique, le déterminisme, les objets, isolés et découpés, la technique, la manipulation, le réel, le rationnel! Dès lors, la pensée simplifiante ne connaît ni ambiguïtés, ni équivoques. Le réel est devenu une idée logique, c’est à dire idéo-logique, et c’est cette idéologie qui prétend s’approprier le concept de science.»1
1
Edgar MORIN, La Méthode. Tome 2. La vie de la vie, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, 1980, p. 90.
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8
Avant-propos Le monde s’emballe. Déforestation croissante, consommation d’énergies non renouvelables, pollution atmosphérique, réduction de la biodiversité, problème de ressource en eau, pollution des sols, trou de déplétion de la couche d’ozone, effet de serre et réchauffement climatique, « empoisonnement » alimentaire, nous rappellent tous les jours l’instabilité du monde vivant. Les accidents écologiques, des naufrages de pétroliers aux catastrophes nucléaires, se multiplient et mobilisent l’ensemble des citoyens de la planète. Les sociétés ont participé de conserve au dérèglement des équilibres terrestres et se livrent tous les jours à des expériences de plus en plus risquées entraînant des processus irréversibles. Le phénomène polymorphe de ces attaques sur les milieux et les populations dresse le tableau angoissant d’un scénario univoque et plutôt catastrophique. L’urbanisation galopante des territoires a fait de la ville un point focal de réflexions tant cette entité accueille en elle la majeure partie des conflits et des crises de nos sociétés modernes2. Préfigurant une sédimentation née de l’histoire, la forme urbaine s’organise dans la diversité des tissus, comme un artefact à jamais revisité par une demande sociale qui n’a de cesse de se réactualiser. Au cœur de ces mutations, la ville, dans son incontournable expansion, est assujettie à supporter les maints changements de nos sociétés progressistes. Les nouvelles temporalités urbaines3 donnent dorénavant lieu à des dysfonctionnements qui font s’interroger. En effet, l’efficacité économique, une logique du court terme, vitesse des flux et innovations technologiques, dans un système à forte concurrence et à haute globalisation des marchés, actionnent des mécanismes de déboires territoriaux. La métropolisation est le pendant de cette logique économique. Parallèlement, un vide idéologique, chez les urbanistes comme chez les élus, assure bien
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En 2020, 83 % de la population mondiale sera citadine. Il devient en effet bien réel de se préoccuper des possibilités infrastructurelles nécessaires à ces nouvelles problématiques urbaines ; ce qui déplace à mesure des mutations, les formes de gestion des ressources vers nous-mêmes. 3 Les vitesses de la ville, dirigé par André PENY et Serge WACHTER, Collection Société et Territoire, Editions de l’Aube, Paris, 1999.
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souvent la place aux gestions facilitatrices des pouvoirs publics4 quand les grands modèles urbains politiquement caractérisés ont disparu. Certains parlent d’une « défaite de l’imaginaire urbain »5, sans projet ni avenir, d’une profession embourbée dans la rigidité et l’empilement des procédures et des outils d’urbanisme, et dépassée par la complexité croissante des phénomènes. Si pour certains les voies néo-libérales révèlent les forces vives d’un cycle construction/destruction et prévalent sur les logiques écologiques, pour d’autres, le modèle en place, totalement réductionniste, est à l’origine d’un prodigieux gaspillage en énergie, en temps, en espace, et en matières premières. Ainsi, on parle de crise économique, de crise sociale, mais également, et c’est davantage le souci de ce travail, de crise environnementale et de crise politique. Le développement durable se fait le vecteur idéologique des réponses politiques à ces situations de crise. A tout niveau de l’échelle politique, on vient à se mobiliser tant ce concept, en interrogeant le sens des actions humaines dans leurs finalités et dans leurs limites, en servant davantage d’espace de discussion que de dissension, décloisonne, médiatise, et unifie. De la sorte, bien que tout citoyen ne soit pas partisan des mouvements politiques affichés écologiques, cette sensibilité, et l’intérêt pour le développement durable, en France, semblent unanimes6. En effet, dans le même temps que les mots d’ordre environnementaux accusent les idéologies classiques en perte de sens commun et d’exemplarité, ils prêtent main forte aux revendications révoltées et désœuvrées d’une population en crise symbolique. L’écologisme réunit donc, pour un même débat, une nébuleuse de programmes et de pratiques extrêmement variés ; des hommes et des femmes radicalement différents. Par là, la citoyenneté, sous forme associative, se porte vers la participation et se dégage de la responsabilité élective qui ne séduit plus. Les luttes des associations suivent différents thèmes. Les principaux chevaux de batailles sont la déliquescence du lien social, une analyse critique sur l’urbanisme
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Sur ces questions, voir notamment Les Annales de la recherche urbaine, « Gouvernances », Plan Urbanisme et Construction, n° 80-81, décembre 1998. 5 C’est l’expression de Françoise ROUXEL, dans son rapport « L’héritage et la ville de demain. Pour une approche du développement durable », METL, juin 1999. 6 Voir notamment la série d’articles de la revue Problèmes politiques et sociaux, « La sensibilité écologique en France », Editions La documentation Française, n° 651, Paris, mars 1991.
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technocratique ou libéral, la lutte pour le respect de l’environnement 7, et plus globalement l’« inexistence » d’un Etat de droit en France8. Parallèlement, l’Etat, d’autant qu’il est affaibli par les politiques de décentralisation, est amoindri devant la construction du monstre européen et mondial. Du côté national, les évolutions constitutionnelles sont ainsi largement remises en cause. Dans ce contexte politique, on voit émerger un pouvoir décisionnel recomposé et plus ou moins partagé entre l’élu, l’expert et le citoyen. Le concept de « développement durable » a son histoire. En 1972, Ignacy Sachs parle d’écodéveloppement. En 1987, Gro Harlem Bruntland énonce le terme de développement durable et commence à introduire dans les esprits l’idée de la nécessité d’un changement paradigmatique des concepts économiques. En ajoutant au débat politique l’enjeu écologique à travers l’idée d’une viabilité du monde pour les générations futures, le développement durable réintroduit la notion qualitative dans les choix que font les sociétés humaines aux dépens de l’enjeu quantitatif. Cette idée, basée sur une double stratégie du « penser global, agir local », se pose selon trois règles fondamentales : le respect des générations futures, le maintien de l’intégrité de la biosphère, enfin l’équité sociale et la diversité culturelle. Dès lors, on revient sur la notion de croissance comme critère valable pour lui préférer celle de développement. On avantage les visions macro, on élude les analyses partielles quand on ne veut plus penser les choses séparément mais en perpétuelle interaction. Les disciplines scientifiques tendent alors à revoir leurs découpages épistémologiques et sont amenées à travailler aux franges de leurs objets respectifs. Les méthodologies ne suffisent plus pour répondre aux nouvelles préoccupations nées des visions transversales. Les discours, les points de vue et les catégories de pensée se mêlent comme pour reconstruire l’objet dans son entier alors même que la science ou le langage, système de reconnaissance du cosmos, avait pour tâche, par le biais de la discrimination, de comprendre le tout par la partie. L’idée de durabilité, fortement liée à celle d’écosystème, est une pensée qui unit, qui donne à voir le monde, en sa triple unité de temps, de lieu et d’action. Dans cette 7
Voir notamment la plaquette de présentation de la Direction Régionale de l’Environnement de Bretagne, Associations, environnement et développement durable en Bretagne,2005. 8 Voir l’article de Philippe WARIN, « Ignorer les micro-corporatismes locaux, ou « La crise du politique » comme crise de confiance à l’égard de la société », in M, n° 77, Paris, mai-juin 95.
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perspective, les politiques économiques privilégient des instruments qui introduisent les notions d’interface, d’internalisation, et de transversalité en réformant les modes d’action et d’organisations, l’idée étant, par l’articulation des éléments entre eux, d’intégrer la fin au moyen, d’optimiser, dans un sens collectif, la production, et d’adapter par-là notre modernité individualiste à une rationalité globaliste. De ce fait, est soulignée la notion de responsabilité de chacun à participer de ce tout, justifiée par la prise en compte de la précarité et même de la préciosité de la vie, en cessant de réunir sur des plans analogues essentiel et subalterne. Dans le discours des protagonistes du développement durable, est souvent mis en avant la nécessité d’une prise de responsabilité de l’homme sur son milieu. L’Homme aurait pour mission de gérer les ressources naturelles, d’exercer non un droit sur les choses, mais son devoir ; Hans Jonas9 insiste en effet sur ce point, en le plaçant au centre de l’Univers. La totalité-monde devrait alors en ses termes être appréhendée selon l’idée que l’Homme serait le grand chef d’orchestre de la vie planétaire. L’être humain a accru son impact sur les milieux. Les relations d’interdépendances des éléments entre eux au sein du système vivant nous montrent tous les jours des chaînes de causalités jusqu’alors non reconnues et engagent un certain nombre d’entre nous à développer la crainte. La question que beaucoup se posent : si la planète ne ressemble plus à ce qu’elle était, comment pourrait-elle encore nous porter?10 Et comme nous sommes soumis à des phénomènes qui ne ressortiraient plus d’une fatalité puisqu’ils sont pour la plupart directement générés par l’homme, nous devenons responsables de ces phénomènes, responsables de notre propre crainte. Ainsi l’homme, qui avait, dans notre culture, l’habitude de se penser dans le vis-à-vis d’avec la nature quand il avait notamment à combattre contre les éléments pour sauvegarder sa propre existence, a désormais comme "névrotiquement" intériorisé le conflit, conflit qu’il a lui-même contribué à installer. Ce principe même de responsabilité engage alors l’individu à changer sa vision du monde ; ce qui constitue dès lors la recrudescence de principes moraux d’une part, où l’on s’entend sur les conditions du vivre-ensemble, et éthiques d’autre part, où l’on s’attache à redéfinir la notion de bien.
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A lire Hans JONAS, Le principe responsabilité, Collection Champs, Editions Flammarion, Paris, 1995 ; ou Une éthique pour la nature, Collection Midrash Essai, Editions Desclée de Brouwer, Paris, 2000. 10 Le seul titre de l’ouvrage de René DUMONT, L’Utopie ou la mort, Collection Essais Points, Editions du Seuil, Paris, 1973, nous en dit long sur cette perspective.
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Par conséquent, le cadre d’un environnement subissant, avec une extrême rapidité, les influences des activités humaines, sans prévisibilité ni garantie aucune, redevient angoissant. La nature, en ses plus pures images, est dans ce sens à nouveau magnifiée. On se met à rêver à cette nature nourricière, édénique, pérenne, seule capable de maintenir la vie sur terre. Différentes confessions ont à cet effet développé un sens profond du nominalisme comme une sorte de justification du pouvoir de la nature sur le monde. Dans cette perspective où cet hégémonique absolutisme écrase de culpabilité l’individu, on n'est pas loin de revenir sur les principes républicains d’égalité et de droit naturel face au principe de totalité. « La démocratie contre elle-même »11 nous lance Marcel Gauchet12.
Donc l’Homme s’inquiète. Serait-il allé trop loin ? Un retour en arrière paraît bien difficile quand la structure est si prégnante, quand le territoire même et ses possibilités d’investissement spatial déterminent de manière aussi concrète les pratiques économiques et les pratiques sociales. On parle alors de la liberté de chacun de faire autrement. Ici apparaît la notion d’alternative. Dès lors, la liberté que l’on a reconnue à l’individu face à la nature dans sa possibilité de s’en désunir est aujourd’hui en partie réinvestie. La liberté, c’est aussi celle que l’on a de se défaire physiquement et idéologiquement des structures sociales, c’est celle que l’on a de se réconcilier avec la nature, celle de reconstruire un dialogue et des rapports d’échanges et de coopération avec elle. Par-là, on tend à la réintégrer aux systèmes politiques. Dans la social-démocratie, elle pourrait prendre la forme d’un pouvoir législatif, à égale distance du pouvoir exécutif que l’est la société civile. La nature fait figure de personne pour laquelle il pourrait être question de reconstruire un schéma démocratique dans lequel sa propre voix serait entendue. Ce qui avait donc été réifié est à présent partiellement personnifié. En ce sens, on se doit d’élaborer un « biodiscours », capable de remettre en cause les valeurs anthropocentriques. Cette élaboration discursive a pour projet d’être absolue, universelle puisqu’elle se rapporte à une entité extra-humaine. On ne tarde alors pas à l’accompagner de notions spirituelles qui participent directement d’une certaine déification de la nature. On lui donne même un nom : Gaïa. En effet, comment prendre la roue du respect du
11
Marcel GAUCHET, La démocratie contre elle-même, Collection Tel, Editions Gallimard, Paris, 2002.
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A cette occasion, il serait par ailleurs intéressant d’analyser ces phénomènes avec ceux qui, non loin de là, ont conduit à l’arrivée en masse des positions d’extrême droite.
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vivant si ce n’est à partir de la reconnaissance d’une force qui décide de notre sort à tous.13 La spiritualité véhicule donc de nouvelles valeurs vouées à redistribuer les rôles : celui du bien et du mal, à réformer le statut de la conscience : d’une part, dans le sens du recentrement, avec une vision individualiste et égalitaire, et d’autre part dans celui d’un éclatement des responsabilités, avec une vision plus holiste du principe communautaire. Dans cette idée, les conditions concrètes du vivre-ensemble ont tendance à quitter l’espace politique pour regagner celui des vérités religieuses, confessionnelles, et même juridiques14. Parallèlement, réapparaissent des formes d’héroïsme politique et éthique dont les protagonistes, chefs de file de la contre-culture pour la plupart, sont de plus en plus médiatiques et reconnus sur le plan politique des démocraties occidentales. Les barrières économiques tombées, le libéralisme économique tout comme le libéralisme utopique investit le champ de la globalité et cet énorme projet d’une économie monde. Le participationnisme politique n’est en cela plus seulement à regarder sous l’angle démocratique de la négociation entre les individus mais sous celui d’un idéal collectif naissant, d’une idéologie nouvelle ; un nouvel internationalisme pour lequel, par le biais de la donne écologique, une certaine univocité prime.15 Le sens même du politique en vient de ce fait à se réactualiser et renoue avec l’idée de totalité. On explique aux enfants que les êtres vivants sont nos semblables, que les arbres vivent tout comme nous, et on incrimine souvent à cette occasion les actes de destruction massive de la biodiversité. Les notions de respect, de préservation, de protection renvoient toutes à ce principe de responsabilité de l’homme sur son environnement. Le possessif est important ; l’Homme : jardinier de la terre, dirait Gilles Clément16. Dès lors, la notion de plaisir est à redéfinir et se doit de s’accorder avec celle d’écologie ; autant de concepts qui rendent de plus en plus duelle la relation du citoyen à ses propres comportements, de consommateur par exemple. La culpabilité fait, sous un nouveau jour, sa réapparition. 13
Par-là, et il serait particulièrement pertinent de s’intéresser de plus près à ce mouvement culturel, la spiritualité refait, et sous des formes multiples, sa réapparition au sein de la société occidentale. 14 On se rend compte en effet que la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen a pris une place similaire à celle des dix commandements, comme si le texte n’était lui-même pas né du parlementarisme. Voir à ce propos l’article de Marcel GAUCHET, « Quand les droits de l’homme deviennent une politique », Le Débat, n° 110, mi-août 2000. 15 Sur ce sujet, on peut se référer à l’ouvrage de Florence AUBENAS et Miguel BENASAYAG, Résister, c’est créer, Collection Sur le vif, Editions de la Découverte, Paris, 2002. 16 Entretiens avec Gilles CLEMENT, propos recueillis par Patrice VAN EERSEL, in Question de, n° 127, « Vers une écologie spirituelle », Editions Albin Michel, Paris, avril 2002.
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De la libéralisation des mœurs qui a permis à l’individu occidental de détendre ses rapports sociaux et familiaux en quittant les cadres disciplinaires et autoritaires voués à l’origine à assurer la paix sociale à travers la notion de bien, on emprunte désormais le chemin d’une nouvelle moralité qui engage elle aussi des aspects idéologiques et disciplinaires. « L’écologisme », comme une nouvelle tradition, après les quelques tentatives idéologiques nihilistes, existentialistes ou matérialistes, gagne du terrain, au mépris du réel, du présent et de soi-même. Les conflits se sont déplacés de l’extérieur vers l’intérieur, à tel point que les artistes, miroirs en puissance de nos sociétés contemporaines, en sont arrivés à exposer, par érotisation des faits sociaux, des scènes d’automutilation. Le principe de vie n’est pas à remettre en cause et celui qui, par ses actes, ne parvient à le respecter est fustigé. La notion de pureté réapparaît, et avec elle le bouc émissaire et les stigmatisations du mal. Le concept de développement durable, représentatif de cette dimension globale des nouvelles philosophies politiques, arrive sur le champ des politiques publiques comme une inédite perspective de l’idéologie moderne. Mais restent à définir les objectifs politiques à partir de la seule et principale question : quel doit-être le niveau d’intervention de l’homme sur la biosphère ? Et, à cette question, comment serait-il possible de répondre ? En effet, quels critères peuvent cerner cette notion de seuil, et à quelle capacité de maîtrise de la part des appareils institutionnels et des entreprises privées peut-on se fier ? On parle alors de durabilité forte et faible17 comme instruments de mesure de l’impact des sociétés humaines sur la biosphère. « La soutenabilité faible étend le concept de capital à l’ensemble des actifs naturels et des services environnementaux, et suppose toujours un certain degré de substitualité entre ces différentes formes de capital. Ainsi, les biens environnementaux ne méritent pas une attention particulière et le développement sera dit durable si l’on peut définir un stock de capital agrégé qui reste au minimum constant.(…) La soutenabilité forte refuse l’idée de la substitualité entre formes différentes de capital et soutient la nécessité de maintenir constants soit les stocks de capital naturel, soit seulement certains d’entre eux, le capital naturel « critique ». Dans le premier cas est mise en avant une mesure physique du capital naturel à préserver, à l’exclusion de toute valorisation monétaire, tandis que le second cas
17
TURNER, 1992, Speculations on Weak and strong sustainnability, CSERGE , University of EastAnglia and University College London, GEC 92-26, in Philippe BONTEMS et Gilles ROTILLON, Economie de l’environnement, Collection Repères, Editions de La Découverte et Syros, Paris, 1998.
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utilise l’évaluation monétaire pour définir les stocks ».18 Cependant, comment peut-on approcher cette question de la mesure quand les idéaux-types, fondateurs du concept durable, recouvrent une notion dichotomique et téléologique pour laquelle règne à l’inverse du système vivant un système de pensée fermé qui, par le biais de l’information et le recours à la numérisation binaire, s’est en partie consolidé ces dernières années19. Ainsi, dans un double mouvement opposé, d’un côté on capitalise le vivant en espérant accroître les possibilités de maîtrise sur lui : on le possède, on le gère, on le réifie, - tout comme on le personnifie ou le déifie de l’autre. On parle timidement de la nouvelle utopie20 durable. Les notions de progrès et d’idéologie, autant décriées de part et d’autre des lignes de forces politiques, ne sont jamais que réinvesties. On peut alors reconnaître deux principes fondateurs de l’écologie et par influence du développement durable : le premier s’est constitué sur le terreau de la «contre-culture », du New Age21, et de la diabolisation de la société industrielle et postindustrielle dans des dénonciations de l’exploitation de l’homme et de la nature par l’homme.22 Le second, relatif à l’hédonisme et à l’idée de société archaïque23, revendique la reconnaissance d’un mode de vie plus proche de la nature, libéré des assujettissements que la société, par sa structure et sa technicisation, opère sur l’être humain. Ainsi donc les vérités continuent plus que jamais, malgré les apparences peut-être, à être mises en concurrence sur le champ des affaires politiques. Les discours du pour ou du contre vont bon train. Les hommes se toisent comme ils font valoir tous et chacun à leur manière leur capacité de maîtrise de la globalité. Les consciences s’alourdissent. Les enjeux sont devenus trop importants pour cultiver l’insouciance. L’imprévisible n’est plus accueilli. A dire vrai, il fait problème. Le vivant est préjugé alors même qu’on n'a jamais autant reconnu la complexité et l’indétermination de ses systèmes. Les maintes expériences touchant la bioéthique sont diabolisées. L’individu demeure ainsi, dans les esprits, seul décideur du cours des choses, comme s’il n’était lui-même pas, dans un cadre global, assigné à une puissance qui le dépasse. 18
Définitions tirées de l’ouvrage de Philippe BONTEMS et Gilles ROTILLON, op. cit.. Voir à ce sujet le petit ouvrage de Daniel DURAND, La systémique, Collection Que sais-je ? Les Presses Universitaires de France, Paris, 2002. 20 Sur la notion d’utopie, Micheline HUGUES, L’utopie, Collection 128, Editions Nathan Université, Paris, 1999. 21 Michel LACROIX, L’idéologie du New Age, Collection Dominos, Editions Flammarion, Paris, 1999. 22 Voir à ce propos l’ouvrage de Georges FRIEDMAN, Sept études sur l’homme et la technique, Collection Médiations, Editions Gonthier, Paris, 1966. 23 Au sens où l’entend Edgar MORIN, voir son ouvrage Le paradigme perdu : la nature humaine, Collection Essais Points, Editions du Seuil, Paris, 1973. 19
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En revanche, pour autant qu’on se place sous le point de vue judéo-chrétien qui justifie par le biais du péché originel la légitimité de la domination de l’homme sur la nature et par-là, la fin de son droit à l’indolence, une dimension semble nous échapper. En effet, d’autres confessions ne regardent pas les choses sous le même angle24 en considérant l’homme comme partie du tout, ce qui ne légitimerait de fait en rien et sa suprématie et la responsabilité qu’elle impose25. Par là, la notion d’incertitude ou d’imprévisibilité garantissant le monde comme jeu des possibles est appréhendée comme étant au cœur même de l’existence ; autrement dit un joli pied de nez fait au rationalisme qui joue, par l’interface de la responsabilité, avec les mauvaises consciences. Dans cette logique, l’homme tient une position d’humilité dans laquelle il n’est renvoyé qu’à son propre rapport au monde et à la mort comme un fait et non une idée, par delà bien et mal dirait Nietzsche26 ; ce qui simplifie pour autant le débat en distanciant l’écologie de sa posture spirituelle et absolue, en la réintégrant en sa position politique originelle. On dépasse alors les dynamiques de scrupules et les dramatisations des scénarios catastrophes. Autrement dit, on ramène ainsi l’écologie à son caractère premier de choix, au cadre du dialogue que l’on désire entretenir avec le monde. Dans cette perspective, on permet au citoyen de recouvrir son droit d’exister en tant que tel, à savoir dans une conception démocratique pluraliste, et de le rendre à sa qualité essentielle au sens où l’entend Edgar Morin27, à savoir un être, lui aussi, de nature. A partir de ce nouveau paradigme (pour les sociétés occidentales j’entends), l’homme ferait ainsi désormais et à jamais partie du tout, du cycle de la nature au même titre que tous les êtres vivants. Les produits culturels ne seraient plus alors nés de son monde, mais feraient pleinement partie du monde. La nature se voit par là-même un concept «inopérant» parce que non discriminant aux vues d’un cosmos qui n’est en rien figé et qui, de pair avec la culture, ne cesse de se métamorphoser. Dès lors, on sort des catégories de pensées exclusives et linéaires du dedans et du dehors, de l’origine et de l’antécédent, et on amorce une pensée qui se détermine davantage par le cycle, la mesure ou les niveaux de densité des phénomènes : densité de 24
Voir à ce sujet l’ouvrage consacré au thème de l’écologie spirituelle in Question de, n° 127, « Vers une écologie spirituelle », op. cit.. 25 Voir à ce sujet notamment l’ouvrage de THICH NHAT THAN, Soyez libre là où vous êtes, Collection Horizons Spirituels, Editions Dangles, St Jean-de-Braye, 2003. 26 Friedrich NIETZSCHE, Par delà bien et mal, Collection Pluriel Référence, Editions Hachette, Paris, 2004. 27 Edgar MORIN, Le paradigme perdu : la nature humaine, op. cit..
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transformation des milieux par l’activité humaine ou densité de complexité de la nature humaine. Ce que l’on appelle communément nature serait de ce fait ce qui n’a que très partiellement été transformé par l’homme, soumis de toute façon aux influences de ses activités, autrement dit un espace d’altérité pour lui. Ainsi, le choix d’une réduction des transformations irait dans ce sens d’une préservation des espaces d’altérité assurés par une certaine virginité territoriale se justifiant par une culture ou l’équilibration, au sens où l’entend Louis Dumont28, passe par ce rapport du défini à l’indéfini, du visible à l’invisible, de l’un à l’autre ; ce qui serait peut-être au fond le principal présupposé de cette thèse sur le plan philosophique. Le principe d’altérité au sein des sociétés comme au sein du cosmos, dialogue avec le moins transformé, garant de l’imprévisible et du vivant, deviendrait central tel que des théories philosophiques et psychanalytiques ont pu l’argumenter en partie29, notamment aux EtatsUnis à travers le concept d’écopsychologie30. Le concept de développement durable préfigure donc une nouvelle demande éthique pour autant que les situations nouvelles, elles aussi, participent d’une urgence à se repositionner. On serait en effet aujourd’hui en partie porté à des reformulations politiques vouées à redéfinir des convictions à l’origine de l’agir humain. 31 Dans sa définition tripolaire, le développement durable renvoie à l’idée d’une totalité ordonnée et catégorisable. Parallèlement, l’évolution des techniques et des sciences, qui avait jusqu’à aujourd’hui été envisagée dans un sens de progrès, n’est plus vue du même œil. Pour cause, l’homme, alors même qu’il continue à s’évertuer à maîtriser les milieux dans lesquels il est plongé, qu’il déploie ses forces devant une nature réputée invulnérable, n’en demeure pas moins désormais, et de plus en plus, prêt à protéger, à préserver, à respecter ce qui lui semblait menaçant. La relation s’inverse. Le développement durable définit un point de vue sur le monde économique et social comme tout autre idéologie politique, mis à part le fait que pour celle-là, sa volonté de réunir en fait un concept ouvert au sein duquel les discours politiques, aussi 28
Louis DUMONT, Essais sur l’individualisme. Une perspective sur l’idéologie moderne, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, 1983. 29 En cela, le concept économique d’empreinte écologique, comme méthode d’addition des impacts de l’activité humaine sur la biosphère compte tenu de ses capacités d’absorption, s’avère des plus pertinents. Voir à ce sujet l’ouvrage de Mathis WACKERNAGEL et William REES, Notre empreinte écologique, Editions Ecosociété, Montréal, 1999. 30 Voir l’article de François MAZURE, « La révolution de l’écopsychologie », in Question de, n° 127, Vers une écologie spirituelle, Editions Albin Michel, Paris, avril 2002. 31 Sur la notion d’agir, consulter l’ouvrage de Paul RICOEUR, Lectures II, Collection Folio, Editions Flammarion, Paris, 1995.
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antagonistes les uns des autres soient-ils, ont une place ; un concept qui se détermine avant tout sous forme de résultats sans formule véritablement programmatique ou opérationnelle. Rien en lui ne fait réellement système. Ainsi, il demande à être interprété, à être façonné de toute pièce, afin de constituer un ensemble de références vouées à apprivoiser le réel et ce faisant, à fabriquer un nouveau point de vue. Pour autant, si les discours qui tournent autour de ce concept restent encore l’affaire des institutions, du monde politique et des spécialistes, rien ne laisse présager de tel pour l’avenir. Dans la mesure où ils s’apparentent à un changement de point de vue sur le monde, à une révolution culturelle, ils ne peuvent en effet qu’être incarnés par l’ensemble des individus, l’ensemble des citoyens. Dans ce sens, deux tendances fortes sont à dégager de cette prise de conscience. L’une prône les solutions technologiques, mise sur la qualité de l’innovation pour endiguer
les
déséquilibres
écologiques.
L’autre
prêche
pour
un
nécessaire
repositionnement philosophique. Jean-Marie Pelt32 parle de «trajectoire vers soi», qui, en soulageant les besoins de l’avoir par l’être, en réintroduisant la question éthique au cœur du politique, pourrait davantage dévier le sens des prérogatives matérialistes écologiquement amenuisantes de nos sociétés contemporaines. La difficulté d’une pensée construite du développement durable résiderait peut-être ici, à savoir dans le glissement incessant qui s’opère d’une tendance à l’autre, engendrant ainsi un changement de paradigme et d’objet d’analyse ; difficulté qui s’accroît au fur et à mesure que l’on réalise que les deux restent fondamentalement liées. En effet, une révolution culturelle ne pourra en toute évidence se faire sans être accompagnée d’une révolution technologique et vice versa. Dans ce cadre, la ville est appelée à être repensée33. Peu à peu, se dessinent de nouvelles pratiques d’analyse et d’évaluation des « écosystèmes » urbains dans une approche multicritère34. Les pratiques et les procédures de décision en viennent à intégrer une vision transversale de la gestion urbaine, et des démarches plus négociées et transparentes par la généralisation des formes de démocratie participative. Un renouveau idéologique du temps dans la ville, soulève adroitement la question éthique. En effet, la 32
A lire Jean-Marie PELT, L’avenir droit dans les yeux, Collection Poche, Editions Hachette, Paris, 2005 ; ou encore La terre en héritage, Collection Le livre de Poche, Editions Arthème Fayard, Paris, 2000. 33 Voir notamment l’article de Luc ADOLPHE, professeur à l’Université Paris VII, Ingénieur-Architecte, « Vers la ville de Haute Qualité Environnementale ? Développement Durable et VHQE », Dossier de l’IFU, mars 2001. 34 Alain SCHARLIG, Décider sur plusieurs critères : Panorama de l’aide à la décision multicritère, Presses Polytechniques et universitaires romandes, Collections Diriger l’entreprise, 1992.
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notion de durabilité accuse la seule vision à court terme 35 et la négligence des externalités. Les conceptions urbanistiques devraient donc s’ouvrir aux postures alternatives, à la multiplicité des scenarii, et orienter les infrastructures urbaines vers des perspectives de réversibilité. Dans ce sens, une programmation urbaine durable commence à rationaliser la ville. Se profilent des modèles de villes denses, mixtes, compactes, s’organisant sur divers niveaux de polarité. Les professionnels du Projet urbain 36, soucieux du renouvellement de la ville sur elle-même, et attachés au contrôle d’un étalement urbain si coûteux, voient donc d’un bon œil, sur le champ de la pratique, l’arrivée des concepts de ville durable. Le développement durable comme une vaste et difficile remise en cause de la praxis contemporaine reste donc à déterminer. D’autant, les positions politiques peinent à se prendre37. En effet, ce concept, sous ses allures de vérité universelle, n’en demeure-t-il pas moins un choix, ne nous renvoie-t-il pas à un idéal avec en arrière plan la construction internationale d’une nouvelle utopie, ou n’est-il pas encore une forme de développement qui répond de manière pragmatique aux enjeux présentement définis, c’est à dire à une réalité incontestable, déjà là et obligatoirement là ? Autrement dit, le champ des possibles est ouvert. Et la prospective demande à ce que tous les points de vue ayant jusqu’à aujourd’hui servi à définir l’humanité soient pris en considération pour repenser la notion même de Polis38, en tant qu’entité naturelle et légitime. Dans cette perspective, la question du respect n’entre pas en jeu puisqu’il n’y a pas de bases normatives de jugement. En effet, pour respecter, faut-il au moins être en mesure de définir une qualité propre à respecter, une qualité à ne pas altérer ; alors même que le principe de vie est phénomène d’hybridation, de transculturation, d’influences. Pour autant, il redevient possible de retrouver, au-delà des normes et de la morale, le sens des désirs, de ce qui maintient dans son intégrité le mouvement de vie.
35
Pierre VELTZ, « Le développement durable et les temporalités urbaines », in Le développement durable urbain en débat : réflexion à partir de l’exemple canadien, Techniques, Territoires et Sociétés, MELTT, novembre 1995, pp. 69-72. 36 Voir notamment l’ouvrage de David MANGIN et de Philippe PANERAI, Projet Urbain, Editions Parenthèses, Marseille, 1999. 37 Voir à ce sujet notamment l’article de Marc ABELES, « Le défi écologiste », in Le Défi écologiste, sous la direction de Marc Abélès, Collection Environnement, Editions Harmattan, Paris, 1993 ; et d’Henri-Pierre JEUDY et Marc ABELES, « Enjeux éthiques et politiques d’une écologie urbaine » dans Ville et écologie, Bilan d’un programme de recherche (1992-1999), MATE, MELT, PUCA. 38 Au sens où l’entend Hannah Arendt.
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Introduction Différents textes de lois initient désormais l’application sur le territoire de la démarche de développement durable mais des évaluations nous permettent d’attester que les « valeurs durables » ne s’assimilent pas. Une vision du monde des professionnels de la ville et de l’aménagement du territoire continue de véhiculer les idéaux passéistes de la Charte d’Athènes notamment ; et les modèles architecturaux et urbains durables, en réintroduisant au cœur de la forme de nouvelles valeurs, ne sont pas utilisés. A contrario, en Europe du Nord et particulièrement aux Pays-Bas et en Allemagne, le développement durable urbain fait des émules. Les quartiers écologiques se construisent, les architectes utilisent de nouvelles technologies et les habitants participent. Reste donc à élucider le cas français et à comprendre les raisons profondes des persistances endémiques de nondurabilité. En effet, si l’heure semble au consensus dans la prise de responsabilité que ce concept requiert, la société française n’en reste pas moins « empêtrée » dans des conservatismes culturels. On se pose alors la question de déterminer les systèmes de représentation qui font le plus défaut, dans la manière de concevoir notre vie commune sur un territoire à partager. Dans quels systèmes de compréhension du monde, dans quelles logiques de projection en amont des pratiques, dans quels paradigmes esthétiques, se trouvent concepteurs et décideurs de l’urbain, et en quoi la notion de développement durable pousserait-elle un peu trop loin les limites des comportements aux franges d’une culture bien ancrée ? La question est celle du choix politique de la ville et du territoire enchâssé dans celui plus global de la société et de son principe idéologique d’équilibration39. Une transformation du système culturel paraît donc inéluctable à une recomposition durable de la ville. Par système culturel, j’entends l’ensemble des formes acquises de comportement dans les sociétés humaines.
Le terrain Mon terrain d’étude se limite principalement à la ville de Rennes et à son agglomération. En m’intéressant au mode de production de l’architecture et de la forme 39
Notion déjà évoquée dans l’avant-propos et développée par Louis DUMONT dans son ouvrage Essais sur l’individualisme. Une perspective sur l’idéologie moderne, op. cit..
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urbaine, je me suis penchée sur les projets architecturaux et urbains tels, par exemple, l’immeuble d’habitation HQE40 Salvatierra et l’écoquartier de Beauregard. J’ai enquêté sur les outils urbanistiques utilisés au sein de la ville et de son agglomération, tel le Plan Local d’Urbanisme, le Plan de Déplacement Urbain, le Plan Local de l’Habitat, la Taxe Locale d’Equipement, le Schéma de Cohérence Territorial, le Schéma Régional d’Aménagement et de Développement du Territoire. J’ai aussi cherché à comprendre l’impact des politiques publiques assurées par les délégations régionales et départementales des services déconcentrés de l’Etat. En somme, les personnes touchées sont globalement ressortissantes des administrations d’état et des collectivités locales, sont des élus et des professionnels des secteurs privé et public. Un tissu d’acteurs, concepteurs et décideurs, ont ainsi été sollicités et m’ont ouvert leurs portes. J’ai par exemple intégré l’association AUDD41 dont l’objet est de promouvoir la ville durable. Elle réunit majoritairement architectes, urbanistes, élus, promoteurs et aménageurs. Le service de l’urbanisme de la ville s’est montré coopératif et intéressé par l’étude. La SEMAEB42, société d’économie mixte, chargée du pilotage des opérations de l’écoquartier de Beauregard, m’a intégrée dans ses réunions de travail et équipes de réflexion. Ainsi, j’ai interrogé environ 130 personnes. Toutes ont des responsabilités à la DRE43, DDE44, DDA45, DRAF46, DDASS47, DRASS48, DRIRE49, DIREN50, à l’ADEME51, au CSTB52, à l’ANAH53, au Ministère de l’Equipement, de la Culture, dans les écoles d’urbanisme et d’architecture, enfin à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. J’ai rencontré des élus et des fonctionnaires attachés à la Ville, au Département et à la Région. Je me suis intéressée aux personnes influentes au sein des fédérations de transporteurs, d’artisans, d’entreprises en bâtiment : FNT54, CAPEB55, FFB56, des sociétés d’économie 40
Haute Qualité Environnementale. Aménagement Urbanisme et Développement Durable. 42 Société d’Economie Mixte pour l’Aménagement de la Bretagne. 43 Direction Régionale de l’Equipement. 44 Direction Départementale de l’Equipement. 45 Direction Départementale de l’Agriculture. 46 Direction Régional de l’Agriculture et de la Forêt. 47 Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales. 48 Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales. 49 Direction Régionale de l’Industrie de la Recherche et de l’Environnement. 50 Direction Régionale de l’Environnement. 51 Agence de l’Environnement et de Maîtrise de l’Energie. 52 Comité Scientifique et Technique du Bâtiment. 53 Agence Nationale de l’Amélioration de l’Habitat. 54 Fédération Nationale des Transports. 55 Comité des Artisans et Professionnels En Bâtiment. 56 Fédération Française du Bâtiment. 41
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mixte d’aménagement, des sociétés immobilières, des assurances du bâtiment, de l’agence d’urbanisme locale, des divers bureaux d’étude en architecture, urbanisme et aménagement, enfin de la Chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine, des Bâtiments de France, des conseils locaux à l’énergie, des associations aux préoccupations diverses et variées telles la réhabilitation des logements, la protection de l’air, de l’eau, la maîtrise de l’énergie, etc.. J’ai également rencontré des habitants du quartier écologique de Beauregard à Rennes ainsi que des habitants de maisons individuelles écologiques. Je me suis par ailleurs entretenue avec des personnalités importantes sur le plan intellectuel et spirituel en matière d’écologie.
La méthode La méthode tient de différentes disciplines. Sociologie, anthropologie, sciences politiques, économie, philosophie, ont été pour moi d’un grand secours pour analyser mon objet d’étude sous ses multiples facettes. La première hypothèse de ce travail part du principe que notre société, avec ses formes culturelles de vie, est à l’origine d’un mode de développement qui ne cesse de produire, en même temps que des richesses matérielles, de grands déséquilibres écologiques générant nuisances et inquiétudes. Dans cette perspective, il m’a donc fallu reposer le problème du politique et de l’évolution du développement économique et social afin de comprendre la nature des rapports culturels entre l’idée du vivre-ensemble : l’idéal, concomitant à une cristallisation d’une vision déterministe de l’histoire sociale, et la réalité vécue. La manière de penser le rapport est bien entendu culturelle tant elle est générée par des catégories de pensées spécifiques, c’est à dire forcément partielles. La nature de mon objet de recherche étant géographiquement et politiquement global, la notion de vérité, de valeurs universelles, est apparue et m’a engagée à définir le vivant, et le rapport que les individus et les cultures pouvaient entretenir avec lui. Dès lors, le problème du réel et de l’interprétation du réel dont chaque individu et chaque culture fait acte, devenait capital. En cela, différentes lectures m’ont amenée à penser le concept de culture comme une entité informelle en perpétuel mouvement, pouvant s’appréhender comme un continuum historique avec ses processus et ses enchaînements, tout comme un espace multiple, champ des possibles de l’humanité.57 57
Voir à ce sujet l’ouvrage de Michel FOUCAULT, Les mots et les choses, Collection Tel, Editions Gallimard, 1966.
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En effet, l’Histoire, bien qu’ancrée dans des réalités socio-économico-politicogéographiques déterminantes, est aussi une exploration de ce champ ouvert, aucun système n’étant de «loi divine », totalement fermé. Par le fait, si, en règle générale, les sciences positives s’attachent à retrouver les logiques historiques, et ce toujours en référence à des modes de cloisonnement conceptuel révélant souvent des attitudes de pensée justificatrices du modèle culturel à l’œuvre, l’anthropologie permet de sortir des paradigmes en place afin d’investir une pensée de réinterprétation objective parce que comparatiste, permettant de préciser par l’analogue et l’écart, la réalité humaine et ses mouvements. Par conséquent, bien qu’il eût été possible et peut-être souhaitable de repérer l’ensemble des articulations historiques nous permettant d’aborder aujourd’hui la notion de modernité, afin de comprendre ce qui, par le biais de la culture, a promu un système de développement si générateur de transformations, je m’attarderai davantage, dans ce texte, à partir d’un corpus théorique constitué, à comprendre les modes d’existence des conditions de vie de la planète liés à ceux de l’humanité.
La préoccupation première de cette thèse est de participer au changement social, à une réforme des logiques constructives des villes, ce dans une perspective de développement durable. Il y a donc dans ce travail comme dans toute thèse qui se préoccupe de mêler dangereusement connaissance et action, une double problématique, qui d’un point de vue épistémologique m’a « donné du fil à retordre ». La proposition qui suit m’a permis de mieux comprendre le sens réel de mes intuitions et donc de mes stratégies implicites, en organisant la réflexion par phases d’étude.
« Changer, c’est avant tout savoir que les choses pourraient être autrement, mais c’est aussi comprendre les choses telles qu’elles sont en réalité, et s’expliquer enfin à soimême en quoi elles ne sont pas différentes ». Mon travail d’étude reprend successivement ces trois propositions et s’organise en trois étapes.
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…c’est avant tout savoir que les choses pourraient être autrement, La première étape est de déterminer les possibilités de changement, de localiser les «entrées» ou préalables philosophiques et technologiques permettant de concevoir l’évolution sociale. Dans ce sens, je me suis intéressée d’une part aux différentes techniques urbaines utilisées dans le monde. J’ai d’autre part cherché à comprendre les idéaux véhiculés par le développement durable afin de déceler en quoi ils s’apparentent aux formes modernes et post-modernes de la pensée qui mettent en scène des concepts comme le holisme, l’individualisme, l’utilitarisme, le matérialisme, le totalitarisme, le libéralisme, le nationalisme, le traditionnalisme, le spiritualisme, etc.. Je me suis également attachée à étudier les instruments voués à répondre concrètement à ces formes idéologiques. En cela, les thèmes abordés se réfèrent à des concepts relatifs à la communication, à l’organisation, et aux formes d’action. La cybernétique et le réseau, le management et l’animation, la systémique et les formes de gouvernance avec ses outils opérationnels que sont l’équipe, la mission, le projet, sont autant d’éléments de définition. Il s’agit ici de comprendre comment l’homme moderne donne forme à sa vie, comment il la problématise et comment il pourrait la problématiser dans le cadre de nouvelles politiques durables, jouant sur les deux tableaux de l’objectivité et de la subjectivité - remise en cause de tout discours sur l’autre. … mais aussi comprendre les choses telles qu’elles sont en réalité, Comprendre les choses telles qu’elles sont, c’est comprendre un objet avec une perspective moindre. En cela, la posture du chercheur relève de l’immanence, de l’empathie et de l’égalité dans le rapport aux interlocuteurs participant à l’objet d’étude. Cette phase d’approche vise donc à déterminer tel un travail classique de socio-ethnologie les singularités qui se cristallisent au sein des discours et des pratiques. Grâce à l’enquête de terrain, cette étape de la thèse a produit un ensemble de données vouées à être comparées par la suite au corpus théorique mis en œuvre dans la première étape.
…et s’expliquer enfin à soi-même en quoi elles ne sont pas différentes. Dans cette dernière phase d’étude, il s’agit d’opposer un regard aux résultats de la phase précédente, donc d’introduire la méthode anthropologique comme mode de production d’une connaissance spécifique. Par là, un changement de paradigme est 27
intervenu dans l’analyse des discours et des pratiques afin de rendre compte des écarts. Plus question ici de faire une description ethnographique, de réunir rigoureusement les données issues des enquêtes. Plutôt, on se pose la question de l’origine de l’agir de l’Homme et des forces qui le travaillent. Cette phase d’étude a comporté un ensemble d’entretiens semi-directifs, plus orientés ceux-là, à partir d’une grille d’entretien reflétant les zones névralgiques résidant entre pensée urbanistique classique et pensée durable. Construire un propos sur cet écart qui réside entre ce qui est et ce qui pourrait être, constitue pour moi dorénavant un levier d’action du changement social - l’idée étant qu’une véritable réforme ne peut résider seulement dans les textes de lois qui font autorité et génèrent souvent plus de résistances ou de dérogations que de motivations au changement, mais bien au cœur des processus qui accompagnent l’objectivation de ses propres comportements. Cette objectivation participe alors d’une reconstruction symbolique des mythes au cœur du langage, donc de la pensée, et des artefacts ; l’enjeu étant que ces contemporains qui vivent tous des situations similaires puissent se dire : «en y réfléchissant bien, j’aurais pu voir et faire les choses autrement». Dans cet ordre d’idées, il n’est donc aucunement question de réduire la problématique durable à un système fermé, opérationnel et critique, mais plutôt d’offrir pour chaque occasion une perspective, une respiration permettant les tâtonnements. On échappe ainsi à la rudesse d’une «perverse» propension à la singulière vérité, plutôt on découvre les multiples couches du réel en ce qu’elles déploient de matérialité et ce qu’elles génèrent d’abstractions, d’idées, de rationalités autonomes et pourtant liées. Ma démarche n’est donc pas celle d’une dénonciation des systèmes de développement existants qui, de mon point de vue, ont pour légitimité celle d’appartenir au réel ; ce n’est pas un point de vue très prophétique ou normatif, conforté par des constructions intellectuelles idéologiques et économiques - pas plus qu’il n’est critique et protestataire comme c’est souvent le cas dans le champ des sciences sociales. Elle aurait plutôt pour objet celui de participer de l’accompagnement des populations et de l’infléchissement des structures, par objectivation de celles-ci. C’est davantage celui d’une contribution à l’action et d’un droit à la vie, en tout ce que ce terme comporte d’aléas, d’indéterminations, de conflits, de paradoxes, et de choix. Maints écrits peuvent retracer et expliciter ce rapport de l’Homme à la vie qui l’oblige à équilibrer lutte et
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acceptation, liberté des possibles et limitations, durée de vie et intensité de la vie, solidarité et hiérarchie, égalité et domination. Faire ce travail de prospective, c’est donc revenir de manière idéelle sur les équilibres politiques des sociétés humaines et de leurs rapports au monde. C’est un changement de point de vue, un assouplissement de la pensée sur soi, et sur sa propre société ; ce qui devrait permettre d’accéder à d’autres logiques. Si l’idée est celle d’une socio-anthropologie du développement58, on peut alors attendre des phases progressives dans les réformes politiques qui ne soient pas plaquées mais intégrées. Dans cette perspective, on peut se poser la question suivante. La construction d’une utopie durable comme grille d’analyse peut-elle être efficiente ? Si au préalable, ma méthode s’en réclamait, le doute s’est mis en travers de mon chemin. En effet, il est dans ce travail moins question d’opposer au champ des discours et des pratiques une idéologie écologique que de les questionner à partir des acquis anthropologiques, sociologiques, philosophiques, spirituels et psychanalytiques. Pour Jean-Pierre Olivier de Sardan, la notion de développement renvoie à un « ensemble de processus sociaux induits par des opérations volontaristes de transformation du milieu social entreprises par le biais d’institutions ou d’acteurs extérieurs à ce milieu mais cherchant à mobiliser le milieu et reposant sur une tentative de greffes de ressources et/ou techniques et/ou des savoirs »59. On reconnaît ainsi bien le développement comme le fruit d’intentions politiques avec ses configurations développementistes d’experts et de bureaucrates, en même temps que celui des formes de changement et d’inflexion des populations sur ces processus de transformations sociales. On ne peut en effet disjoindre l’analyse des actions de développement et des réactions des acteurs sociaux. La difficulté méthodologique consiste dès lors à jouer l’interface entre anthropologie et sociologie macro d’un côté, et ethnographie et sociographie de l’autre, à aborder la réalité sociale d’une part sous l’angle de la distanciation culturelle afin de faire apparaître les nouveaux paradigmes relatifs à cette nouvelle utopie, et d’autre part sous l’angle expérimental du vécu des populations en terme de pratiques et de représentations. Par conséquent, si l’anthropologie classique avait plutôt pour tâche de déchiffrer les structures et les invariants, pour lesquels on met en valeur ce qui est de l’ordre de l’homogénéité et de la cohérence, il est ici question d’anticiper sur les dynamiques 58
Voir à ce sujet l’ouvrage de Jean-Pierre Olivier de SARDAN, Anthropologie et développement. Essai en socio-anthropologie du changement social, Collection Hommes et Sociétés, Editions Karthala, Paris, 1995. 59 Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN, idem, p. 91.
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culturelles émergentes et innovantes de manière précise et globale 60, de comprendre comment se dessine le mouvement à partir de l’hétérogénéité, des divergences, des syncrétismes. La difficulté c’est donc d’abandonner en partie les systèmes interprétatifs connus et reconnus, sortes de canevas qui ont servi à nourrir tant les études monographiques que les travaux essayistes, et de trouver un juste rapport entre les deux, afin de les réconcilier peut-être, et avec eux leurs dimensions structuralistes et historicistes.61 La socio-anthropologie du développement, à ma connaissance, n’a principalement été mise à l’épreuve que dans le cadre des politiques qui s’exercent par le biais de multiples institutions nationales ou internationales, sur l’idée d’ajustement structurel, en Afrique et dans les pays les moins avancés. Malgré cela, elle me semble pour le moins appropriée et en totale résonance avec l’ensemble de mes problématiques quant à une transversalité des champs épistémologiques, quant à une certaine prévalence de l’objet sur les corpus méthodologiques, quant à une certaine influence de l’objet sur la constitution des savoirs. Son caractère multidimensionnel correspond à la gageure du développement durable. Une quatrième étape, enfin celle de la rédaction, a été de reprendre toutes les thématiques abordées sur le terrain : la question des libertés et particulièrement des libertés économiques, la question des loisirs, des modes de production, la question de la consommation et du gaspillage etc, comme des points d’achoppement à une réalisation politique de l’écologie urbaine. Le travail de rédaction m’a, par conséquent, demandé de développer l’ensemble de ces réflexions telles qu’elles me sont apparues, mais, plutôt que de les amener en déduction d’observation sur les pratiques et les représentations, comme on peut le faire en socio-anthropologie par exemple, ce qui aurait été fastidieux et certainement très lourd, j’ai préféré choisir le mode rédactionnel de l’essai avec sa démonstration et son chapelet d’exemples concrets. En ce sens, ce travail s’apparente, ce qui n’était pas l’objectif de départ, à une critique de la société moderne et post-moderne. Ainsi des philosophes tels Louis Dumont, Edgar Morin, Gilles Deleuze, Martin Heidegger ou Hannah Arendt, qui m’avaient au préalable permis de cerner mon objet, m’ont en définitive aidée, accompagnés d’autres, à 60
Sur cette question de l’innovation, voir le chapitre « Une anthropologie de l’innovation est-elle possible ? », in Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN, ibidem, pp. 77-96. 61 Cette dernière notion, en effet, même si elle tend à éluder la visée comparatiste chère à l’anthropologie n’en demeure pas moins pertinente et est trop souvent oubliée au grand regret de Jean-Pierre Olivier de Sardan, par «les écoles classiques (fonctionnalisme, culturalisme, structuralisme, symbolisme…) qui ont une tendance forte à jeter le bébé historique avec l’eau du bain évolutionniste. », ibidem, p. 15.
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préciser mon propos, et ont donné par là à ce mémoire une allure plus philosophique ; en répondant notamment à cette triple question : quelles sont les représentations à révolutionner ? Quelles sont les pratiques à faire évoluer ? Enfin, quels sont les pièges qui nous sont tendus au travers de l’application politique des principes écologiques urbains ? La pensée écologique, comme une critique de la pensée moderne et post-moderne apparaît ainsi dans l’évidence concrète de la réflexion urbanistique issue du travail de terrain. Résultat qui n’aurait été en revanche pas très différent si l’étude s’était arrêtée à une analyse des problématiques urbaines au filtre de la pensée de Charles Taylor par exemple - regard croisé que je n’avais au commencement nullement anticipé. Aussi, fautil ajouter que bien que le comparatisme ne soit en définitive pas exploité à la mesure de la question : « Pourquoi pas autrement ? », qui n’a pourtant cessé de se poser à moi, il a, néanmoins, comme toile de fond, été un cadre fondamental à l’exercice analytique. Pour autant, j’espère que cet écrit rendra compte de cette mise en perspective des regards (même si son but a été quelque peu détourné), celui du chercheur, et des individus et groupes qui participent du mouvement culturel. Car en effet, le champ de l’observation ouvre non seulement la voie à la connaissance de l’autre, et ce fut important pour moi, mais aussi à la connaissance de soi, de son ou de ses propres points de vue dès lors que l’on s’attache à rendre compte, par la description, du réel. En effet, s’il n’est pas de connaissance sans point de vue, rien qui ne puisse se définir en soi, faut-il placer le lieu de la description dans l’entre-deux ; la gageure étant alors de déterminer pratiques et représentations par le relevé précis des abords de l’objet observé. Ces abords ont une épaisseur à l’infini. La description tendra ainsi à utiliser davantage le versant négatif de l’expression plutôt que son versant positif dans la formule comparative, et ce, faisant toujours honneur à la notion de choix qui incombe au sujet. Partant du principe que le choix s’intègre dans une figure arborescente où toujours un chemin est pris plutôt qu’un autre, définissant ainsi le concept de liberté et déterminant les différences, l’objectif réel de cet essai demeure tout de même celui de reconnaître ces chemins qui n’ont pas été pris, ces choix qui n’ont pas été faits, ces étendues résiduelles et sans limite qui nous font un plutôt qu’autre. Retracer cette arborescence à partir des données principales de l’existence humaine me permet ainsi de mettre en évidence la culture urbanistique française et pour partie rennaise depuis son territoire et ses acteurs.
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La contrainte écologique qui se révèle
« libératrice » réside de manière
permanente au sein des problématiques sociales et territoriales. Néanmoins, elle n’est peut-être pas toujours mise au premier rang des stratégies humaines d’existence et de durabilité de cette existence. Faisons-nous en effet toujours des choix qui nous assurent l’équilibre nécessaire à notre bien-être, et en quoi ces choix vont-ils ou non pérenniser notre vie sur terre? Des niveaux de radicalité écologique peuvent ainsi se dessiner et traduire la nature idéologique des formes produites. Cette analyse, fondée sur une vision duelle du langage saisissant le discours en sa forme creuse, s’élargit peu à peu à des plans conceptuels de modèles de société. L’étude se charge ainsi d’établir le repérage des points d’articulation entre ensemble de pratiques, de représentations et systèmes idéologiques qui leur sont concomitants. On glisse alors d’une analyse qui vise à déterminer les choix des populations observées par des stratégies pratiques et matérielles rapportées à un système de sens, à une analyse, des rapports entre système de sens eux-mêmes, c’est à dire à une analyse idéologique des opérations effectuées reprenant ainsi les principaux concepts de la philosophie politique, avec en arrière plan l’originelle question de l’idéal. Ces pensées seront mises les unes grâce aux autres en perspective. Il s’agira par là de comprendre le sens des politiques publiques selon les fondamentaux idéologiques relevés. Enfin, et parce que le développement durable est un moteur de changement social, j’ai essayé grâce à la grille psychanalytique d’explorer ce qui motive ou rigidifie les pensées et les actions à l’œuvre. Le présupposé psychanalytique qui détermine tout système de sens en système de jouissance, comme l’entend Jacques Lacan, orientera la démonstration. Par là, il ne s’agit pas de défaire les nœuds culturels des sociétés humaines en fonction d’une grille d’analyse moraliste et réformiste, juste de ne pas faire la sourde oreille devant la jouissance générée par le système culturel en place. Cessons ici de parler déterminismes traduits par l’idée d’une acception positiviste de l’évolution sociale, entrons plutôt dans ce champ ouvert dans lequel le discours scientifique s’adresse pleinement à la responsabilité et à la liberté de chacun ; le réel projet de cette thèse étant peut-être au final d’offrir à l’individu et au citoyen l’occasion d’assumer pleinement ses choix en réactualisant sa vision sur sa propre société. En effet, si le développement durable se propose de passer à un rééquilibrage culturel des sociétés humaines, faut-il de mon point de vue, en amont, déloger chacune des jouissances qui font perdurer les directions jusqu’à présent tenues.
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Cette dernière analyse illustre, par conséquent, un parti pris qui n’est pas des moindres, en dégageant notamment les différentes notions de résistance, de jouissance, de pulsion de mort et de pulsion de vie. Ce parti pris pourrait, en s’adressant directement et sans hypocrisie au sujet, déranger l’institution démocratique du fait d’une catégorisation universalisante, et non dénuée de valeurs, des points de vue. Dans cet ordre d’idée, il me semble important d’assurer que si la valeur n’échappe pas à l’analyse, la notion de légitimité, elle, n’y prend aucune place. Le respect de la parole de l’autre reste entier. Chaque personne, idée ou point de vue, entendue comme vérité ne devant nullement être remis en cause, juste en perspective. Pour autant, cette dernière grille d’analyse ne doit donc aucunement, à travers le savoir qu’elle profère, faire acte de pouvoir. C’est davantage une invitation à partager une tentative de conscientisation à travers une déclinaison
maximale
de
l’explication
scientifique
au
sens
où
l’entendait
Nietzsche62lorsqu’il attendait de la psychologie une ultime réponse au questionnement métaphysique. L’expérience de terrain et ses difficultés Le travail de terrain s’est avéré foisonnant de découvertes. Le désordre dans lequel les entretiens se sont succédés m’a obligé à développer une vision très transversale des problématiques urbaines, passant d’une thématique à une autre avec toute la complexité intrinsèque à chacune. À cette étape, une première difficulté fut de reconnaître qu’une phase préalable plus descriptive qu’analytique était nécessaire pour commencer l’étude anthropologique. En effet, je ne comprenais pas qu’il me fallait aller sur le terrain alors même que je n’avais, de mon côté, pas assez assimilé les apports du concept durable pour m’offrir le confort de la perspective et déloger les évidences - plus évidentes encore que je faisais, étant architecte-urbaniste, partie de la même culture que mes interlocuteurs. De fait, pour me préparer à l’enquête de terrain, je fabriquais intuitivement, «en laboratoire», mon corpus théorique à partir de mes lectures et de mes propres expériences de praticienne. Je construisais mon point de vue par reconnaissance de moi-même, par décentrement et assimilation d’un savoir et d’une forme de pensée écologique ou durable. Une seconde difficulté a été de ne pas me perdre, en terme d’hypothèses, entre problématique philosophique et problématique technologique. A t-on peur de la nouveauté par manque de maîtrise des compétences adaptées, pour des questions 62
Il exprime cela à plusieurs reprises dans son essai intitulé Par delà bien et mal, Collection Folio, Editions Gallimard, Paris, 1987.
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d’habitudes, de méthodes difficiles à mettre en place, par manque de financement, ou plutôt est-on incapable d’inventer le nouveau tout simplement parce que l’on reste empêtré dans une idéologie qui n’offre pas de vraies évolutions tout juste des aménagements voués à soulager les consciences? Cette difficulté fut d’autant plus difficile à surmonter que mon discernement sous l’influence d’un militantisme résurgent, se réjouissant des progrès technologiques, m’invitait in fine à ne plus penser en termes de changements paradigmatiques. Cette difficulté est en totale corrélation avec la troisième et dernière, qui, plus combative et résistante, a été d’accepter de ne pas traiter des aspects du développement durable dans une vision exhaustive cohérente, totalisante, glissements qui ne font que confirmer la logique unitaire d’une pensée holiste, alors que le concept même de développement durable demande de par sa pluridisciplinarité une pensée ouverte pour laquelle la Vérité cède devant l’enchâssement d’une pluralité des rationalités. Cette pensée, plutôt similaire à celle de certains philosophes tel que Frege et Dumette63, lorsqu’ils soutiennent la thèse du holisme sémantique qui veut que toutes les propositions soient sur un même plan, qu’il n’y ait pas de différenciation entre le centre et la périphérie, qu’il n’y ait aucune priorité de l’un sur l’autre, fait ainsi affronter de pleine face la théorie toute entière à l’expérience. Seul l’art, dans sa «polyphonie», et malgré sa nature toujours et inéluctablement décalée parce qu’interprétative et imaginaire, peut se permettre pareille relation au réel. C’est toute la différence avec la pensée scientifique qui s’attache à délimiter des ensembles selon des logiques. La transversalité attachée au concept durable n’a fait que me conduire plus loin dans des propensions déjà existantes à penser les systèmes dans leurs indivisibilités, renonçant ainsi à la structure logique de la théorie, à la forme comparative de la pensée, installant par là-même toutes les conditions de l’inhibition ; car une théorie ne peut avoir plusieurs centres. Et dès qu’elle est confrontée à l’hypercomplexité du réel, les connexions que sous-tendent le point de vue ou la valeur ne tiennent plus. Alors, l’approche du réel est réduite à une collection amorphe d’éléments dans l’évidence de leur rapport, autrement dit dans une négation de la relation, puisqu’elle n’y implique plus la discrimination - pensée très bouddhique - qui, si on l’applique sans plus de subtilité, empêche la science d’opérer, en niant la pertinence de la catégorisation et au delà, du langage. 63
Voir à ce propos le chapitre « La question du holisme » dans l’ouvrage de Vincent DESCOMBES, Les Institutions du sens, Collection Critique, Les Editions de Minuit, Paris, 1996.
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Edgar Morin l’explique fort bien dans ce petit extrait qui sert d’introduction à mon présent propos. En effet, pour s’arraisonner au réel, se doit-on de sortir de ce rapport à la totalité, d’isoler, d’exercer un travail de découpage virtuel qui peut parfois s’apparenter, pour ceux que cela choque encore, à une «dissection répréhensible et sanguinaire», comme si découper le vivant revenait à découper, en niant sa nature écosystémique, toute créature divine. L’inquisition, à une certaine époque, s’est chargée de réprimer les scientifiques, et si les temps ont changé, à travers la pensée holiste, des tendances perdurent64, et engagent à l’obscurantisme. Je dirais pour ma part que la ligne de crête est redoutable dans le discernement qu’il faut exercer face au tout et à la partie. Si paradoxalement la philosophie de ce travail reste attachée à une vision globale, en cela que la réflexion ne prend sens que dans le cadre de sa totalité, la méthode permet d’élaborer des réflexions ponctuelles dans un univers de rationalités connexes dont je ne retrace pas les contours cohérents. Par là, j’échappe au piège tendu de l’idéologie, enfermant et déformant. Je revendique l’aléatoire et la teneur paradoxale des propos comme pour mieux brosser le tableau de l’hypercomplexité vivante 65. Multiplier les formes de découpages et par là, les frontières et les centres, autorise ainsi de toucher la réalité dans la diversité des objets, et des rapports entre les objets, et au final d’approcher au plus près peut-être le sens du réel. Le plan de la thèse La thèse a d’un point de vue global pour objectif de décrire la nature des échanges entre la communauté humaine et la planète terre. L’être humain, à l’image de la cellule, ingère un ensemble de ressources, se développe, génère bien-être et nuisances, et rejette déchets ou polluants. Il modifie alors son environnement. Cet état de fait est dans l’ordre des choses, il n’est pas culturel, mais culturellement orienté de sorte que la quantité des ressources utilisées et des rejets produits varie fortement selon les aires culturelles, proportionnellement au paramètre démographique. Aussi, les populations occidentales sont plus gourmandes en ressources et plus généreuses en rejets que les autres populations sur le globe. Le travail que je vais tenter de faire est de révéler ce qui constitue notre culture et les formes de pensée et d’action qui s’y expriment, par la déconstruction des principes de production et de développement, particulièrement du territoire et de la ville. Dans cet 64
Pour certains groupes new age par exemple. En référence à la théorie de la complexité d’Edgar MORIN. Voir par exemple son ouvrage Introduction à la pensée complexe, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, 2001.
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exercice, il s’agit de rendre visible les carrefours où chaque fois les chemins pris ont généré davantage d’exigences en terme de ressources naturelles et humaines, ainsi que des coûts en terme de nuisances et de rejets.66 Si la théorie de l’empreinte écologique67 peut se montrer à la hauteur d’une gestion humaine des ressources, compte tenu d’une définition figée de celle-ci, il paraît en revanche improbable de croire à cette maîtrise tant la vie est mouvement, action68, et sans possible domination. Pourtant, la science par la construction théorique, semble - et la technique en fait la preuve - s’approcher de très près du sens de la réalité, de la « structure naturelle ». Par conséquent, si la maîtrise, au sens absolu du terme, reste a priori de l’ordre de l’impossible, une gestion raisonnable peut néanmoins être réalisée en fonction bien entendu, et comme depuis toujours, de l’état des connaissances. Le principe de précaution69 remet en cause cette position et s’il était lui aussi entendu de manière absolue, l’humanité devrait faire le deuil de son innovation. La question ne peut donc être résolue que par une conception mesurée du développement rapportée à la subjectivité de l’individu. Cette question de la mesure est centrale dans ce mémoire de thèse en cela qu’elle rend compte des niveaux de radicalité des valeurs relatives aux décisions prises. En faisant la description de la nature des choix effectués et ce, toujours en relation au contexte, je tenterai, par la négative, d’éclairer nos lanternes en pointant du doigt le caractère non univoque de ces choix. On pourra alors par cette déconstruction, sorte de libération idéologique, gagner en conscience et peut-être en imagination, pour concevoir d’autres types de relations entre les Hommes et entre l’Homme et la Nature. En effet, les formes de production de la société moderne occidentale, de la ville contemporaine, sont le fruit de notre rapport au monde. Ce rapport n’est pas sans avoir nourri un ensemble de systèmes de représentations ou mythes par lesquels l’Homme doit dominer tout ce qui l’entoure ; raison première du déséquilibre écologique auquel on assiste actuellement.
Les sciences sociales se sont appliquées à relever les intérêts développés dans les rapports de domination que les êtres humains entretiennent entre eux, que la sociologie dénonce au demeurant. Et, si elles ont appuyé leur réflexion sur les idéologies élaborées 66
La notion de coût n’échappant bien sûr pas au jugement de valeur. Théorie qui présuppose de la capacité du territoire à être le creuset d’un certain mode de développement. 68 Je me réfère ici à l’idée développée par Hannah ARENDT, dans son ouvrage La crise de la culture, Collection Folio Essais, Editions Gallimard, 1989. 69 Sur le principe de précaution, voir notamment l’ouvrage de Philippe KOURILSKY et Geneviève VINEY, Le principe de précaution, Rapport au Premier Ministre, Editions Odile Jacob, La documentation française, Paris, janvier 2000. 67
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justifiant les jouissances corrélatives à cette notion de pouvoir, la psychanalyse va plus loin quand elle totalise la conception universaliste de l’Homme, quand elle élabore une théorie de la jouissance permettant d’accéder au concept de changement social par l’ « oedipianisation » du champ social, le principe de castration étant la base même de cet oedipe. Ainsi, lorsque la castration ne s’est pas opérée au sein de chaque individu, la solidarité entre les personnes qui définit le lien social, en cela qu’aucune norme ne vient plus réguler les systèmes de relations, est mise à mal. On revient dès lors sur les principes de cohésion sociale et de précaution chers au développement durable. Par là, l’exemple du libéralisme économique est de tous ses effets quand il semble proposer à chacun, par le marché et grâce à la science, aux dires de Marie-Jean Sauret70 : « la jouissance qui lui ferait défaut ». D’autre part et dans le même temps, il promet de s’accommoder des petites puissances de chacun. Le principe de plaisir prévaut sur le principe de réalité.71 Autant dire qu’un des traits dominants de ce lien social réside dans ce que Jacques Lacan qualifie de « mise du sexuel au rancart » ou mieux « de forclusion de la castration » ; en cela, qu’« il n’est plus requis du sujet qu’il symbolise ce qu’il perd de jouissance à parler et dont le refoulement est constitutif de la sexualité humaine, puisque dans la jouissance il y baigne »72. Le matérialisme, la consommation, compenseraient ce manque de lien social, de rapports d’amour. Dans cette voie, le travail de terrain s’est attaché à observer la nature des aliénations au travers des différentes formes d’identifications des acteurs de la ville, afin d’offrir une perspective sur les symptômes en tant qu’archétypes culturels contemporains. « Rien de nouveau sous le soleil », la crainte de la perte, la gestion de la pulsion - mort et sexualité - organisent les dynamiques égoïstes, stabilisent les positions, et tempèrent le groupe par la prise de pouvoir de l’homme sur la nature, sur l’autre, et sur lui-même. Les formes de résistances des individus à l’approche du réel sont diverses. Elles illustrent l’ensemble des névroses comme forme d’évitement, et élaborent sur fond de mensonge le sens des réalités. Par là, la langue de bois, consciente ou inconsciente, permet au sujet de contourner les « malhonnêtes » jubilations et le non-sens qui guette au cœur du réel. Et, si certains cherchent à jouir et à jouir plus73, d’autres jouissent de la négation de leur propre jouissance. Tous évitent ainsi la castration nécessaire au lien 70
Marie-Jean SAURET, Psychanalyse et politique : Huit questions de la psychanalyse au politique, Collection Psychanalyse &, Les Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 2005, pp. 12-13. 71 En référence à la théorie freudienne. 72 Marie-Jean SAURET, op. cit., p. 40. 73 En référence au concept de « plus de jouir » de Jacques Lacan.
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social et à une paisible résolution de la mort dans la vie, donnant de fait liberté au sujet capable de s’organiser démocratiquement d’aller outre les rapports de rivalité au coeur et au delà de sa propre temporalité, le principe intergénérationnel du développement durable s’en trouvant en l’occurrence respecté. Dans cette perspective, le mémoire de thèse se divise en deux parties. La première partie vise à définir les mythes, ou formations idéologiques qui feraient le plus défaut dans une perspective écologique, et qui sont à l’origine de notre société moderne. Il s’agit ici de décrire les trois principaux cadres idéologiques qui fondent notre civilisation. Le premier : celui du jardin des délices, cristallise la promesse qui nous est faite, à nous humains, qu’un monde meilleur, au sein duquel nous n’aurons plus à transiger, nous attend. Cette promesse sert d’assise à la conception que l’Homme, du fait de son développement, ne peut que progresser pour atteindre l’état de béatitude. En même temps que le mythe du jardin des délices et en concomitance l’idéal progressiste, va se développer la technologie comme forme concrète de cette marche en avant. Seulement, ce qui semblait ne revêtir que des aspects positifs à une certaine époque n’est plus vu du même œil à une autre. Dans ce rapport de l’Homme à la Nature, le réel est au centre du propos en ce qu’il recouvre justement cette notion de nature difficilement définissable, comme « un trou dans le savoir »74, un pied de nez fait au langage, un irréductible de l’idéologie et de la technique. Les êtres humains ont tendance à éluder ce principe même en refusant leur condition, en niant leur finitude, en réclamant une impossible unité, en refoulant une inéluctable division par le langage. Cette difficile acception engage les sociétés humaines, par la science qui en joue, à maîtriser la nature, à canaliser l’imprévu, à se perdre dans l’illusion de la toute-puissance par « l’enserrement » du réel, par la croyance en l’omniscience. La société occidentale a peut-être oublié qu’elle comptait elle-même parmi les êtres de la nature et que sa survie tenait précisément à cette dernière, et qu’il n’est de règles ainsi faites auxquelles on puisse déroger. Et pourtant l’homme ne se lasse de se buter. Pourquoi ? Tout simplement, il en jouit. Dans une instrumentalisation généralisée, l’idéologie techniciste a contaminé le domaine politique et vidé, par les voies du fonctionnalisme, l’agir de son sens. Pour autant, l’idéologie d’une maîtrise de l’homme sur la nature oriente des typologies propres à la ville et à l’aménagement qui posent désormais problème sur le plan de l’écologie. 74
C’est l’expression de Jacques Lacan.
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Mais si la puissance de l’homme se déploie pour rivaliser avec la nature et transcender sa condition de mortel, cette dernière n’en reste pas moins le support d’une autre rivalité : celle des hommes entre eux. Le pouvoir de l’individu sur l’autre se construit donc dans le même temps, et sur les bases du rapport à la nature (support symbolique et matériel du pouvoir au sein de l’organisation sociale), et sur les bases du rapport à l’autre résultant d’une féroce course à la supériorité. Dans l’idée qui nous intéresse, nous comprenons en ces termes comment cette structuration sociale est dépensière en ressources naturelles et en ressources humaines. Nous pouvons également déduire qu’une fois le pouvoir établi sur une ressource générant un certain marché, constitutif au passage d’une insatisfaction sur le plan écologique, - il est difficile de remettre en cause le marché en question. Cette organisation, dans ses formes de divisions des pouvoirs et dans sa classification des représentations, véhicule donc un ensemble de modèles discriminants, qui réduisent, par définition, les perspectives de la vie humaine sur notre planète. La seconde partie a pour objectif de montrer en quoi la culture moderne de nos sociétés contemporaines peut en définitive être tenue pour responsable de nos déboires écologiques. L’idéologie productiviste, le « toujours plus » et « toujours mieux », se fonde sur la croyance que le bonheur des individus est relative à leur niveau de consommation, en terme de quantité, de qualité et de renouveau75. Cet engouement pour la chose répond à un manque à être qui ne cesse de se creuser du fait des acceptions modernes soumettant le sujet naissant à une existence destinée à l’accumulation ou à l’identification ; d’où une série de pathologies très nettes chez un nombre grandissant d’individus qui tentent, pour certains, de s’absoudre de la dépendance à l’objet par une recherche excessive d’indépendance. Mais si hyperconsommation il y a, pour le sujet moderne, il y a par conséquent en toile de fond, l’idée d’une norme de consommation. Cette norme ferait apparaître la notion de besoin, comme consommation mesurée, au détriment de la notion de désir qui ne connaîtrait a contrario aucune limite. On admettrait ainsi l’idée d’une juste consommation et par là d’une juste production. Avec GeorgesHubert Radkowski, nous verrons que le besoin, tel une notion cherchant à réduire l’Homme à son désir le plus élémentaire, celui de vivre, ne connaît en réalité pas de
75
En effet, l’inédit, par le biais de la mode, dans une perspective de distinction sociale, connaît un rôle important.
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signification décisive, puisque derrière ce vocable, il ne peut être question, en définitive, que de l’affirmation du désir. Détourner le désir de son objectif premier pourrait représenter la stratégie la plus adéquate, et peut-être la plus à notre portée, dans le but de répondre aux objectifs écologiques. Ainsi pour réduire la consommation des matières premières et la production de gaz à effet de serre par exemple, il s’agirait que notre désir se détourne des ressources matérielles constitutives, de la notion d’avoir, pour se tourner davantage vers les ressources de l’être. Une existence pour laquelle on chercherait à s’enrichir par le développement des liens plus que par celui des biens, serait plus encline effectivement à faire perdurer les équilibres des milieux et à retarder a fortiori les catastrophes liées au réchauffement climatique. Aussi, le productivisme est appuyé par l’idéologie libérale qui incite les populations à se dégager du sens moral pour s’adonner à leur bon vouloir. L’action publique, vouée à l’origine à protéger l’intérêt général, concourt elle-même à soutenir l’idéologie du libre choix. En cela, elle cadre les activités des populations, et notamment le développement de la ville et des territoires, de manière très souple, et n’obtient pas forcément les résultats, sur le plan de l’écologie,
à la hauteur des espérances des
personnes aux responsabilités. Pourtant, les enjeux écologiques définissent de manière précise des modèles urbains, lesquels pourraient engager de véritables projets de ville. Dans l’idée d’un respect du cycle de l’eau, d’une préservation de la qualité de l’air et d’une économie des énergies fossiles, des solutions concrètes s’opposent aux réalités existantes. Mais le modèle politique, urbanistique, connaît des antécédents. Liés à la notion d’utopie, ces derniers génèrent la crainte ; raison pour laquelle les instruments libéraux, donc économiques, sont privilégiés aux dépens d’instruments
plus
interventionnistes. En revanche, le mouvement de l’économie, dans la manière de traiter les affaires publiques comme dans tous les domaines de l’existence, n’est pas sans connaître sa myriade de pièges ou d’impasses. L’évaluation des biens environnementaux, la certification des produits, l’autonomisation de la société civile, etc., ne demeurent pas sans risque sur le plan primo de la sécurité sanitaire (physique et psychologique), secundo, sur celui de la préservation des milieux, enfin, tertio, sur le plan de la paix sociale. En effet, dans la société narcissique et individualiste que l’on connaît actuellement, l’écologie politique pourrait se mettre à « déraper », en s’introduisant sur la voie de l’« écologisme », comme un nouveau totalitarisme, engageant des formes de 40
« communautarisme vert », hégémonique, et pourquoi pas agressif, en guerre contre tout ce qui ne va pas dans le sens du « plus de vie » ; les frontières du bien et du mal étant alors redéfinies. Comment sortir de cette course infernale au « toujours plus », oppressante et sclérosante ? La voie spirituelle paraît être la seule échappatoire possible. Nous pourrions nous tirer d’embarras en cessant de vouloir faire évoluer notre environnement ou les manières que nous avons de nous en occuper ou de nous en préoccuper, en cessant de nous focaliser sur l’extérieur pour entamer une révolution intérieure. Changer ses pratiques reviendrait en amont à changer la place que nous prenons dans le monde, de par la vision que nous en avons ; raison pour laquelle un certain nombre de deuils doivent être faits. Seul un véritable face à face avec nous-mêmes, et notamment avec notre part la plus sombre, nous permettra de nous libérer de nos héritages, de nos identités, de nos habitudes. Ici alors seulement pourra véritablement s’inscrire une dynamique de résilience. La majorité des courants spirituels va dans ce sens. La marche vers l’écologie sera le fruit du travail conjoint de l’intime, et du spirituel.
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« L’amour est impuissant, quoiqu’il soit réciproque, parce qu’il ignore qu’il n’est que le désir d’être Un, ce qui nous conduit à l’impossibilité d’établir la relation d’eux. La relation d’eux qui ? - deux sexes ? » 76
76
Jacques LACAN, Encore, Livre XX (1972-1973), texte établis par Jacques Alain Miller, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, janvier 1975.
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I. DES MYTHES À RÉVOLUTIONNER Le mythe, à l’image du conte, nous délivre une histoire sacrée. « Il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements. Autrement dit, le mythe raconte comment, grâce aux exploits des Etres surnaturels, une réalité est venue à l’existence, que ce soit la réalité totale, le cosmos, ou seulement un fragment : une île, une espèce végétale, un comportement humain, une institution ».77 Différents mythes sont à l’origine du rapport de notre civilisation à la nature. Ils fondent nos perceptions, nos représentations, le sens que nous donnons à nos pratiques, et sauvegardent les principes moraux par une codification précise des croyances. Le mythe est un élément essentiel de la civilisation humaine. Toute culture connaît ses mythes. Et s’il fut un temps où l’on a pu croire qu’il fut vaine affabulation et légende primitive, il n’en est rien. Il reste, dans une forme récitée ou non, la structure sur laquelle s’accomplit une réalité vivante et humaine. C’est un mode, un support, un vecteur qui permet à l’homme de prendre pied dans l’univers afin de se constituer un monde. En cela, l’expression du mythe importe peu d’une certaine manière, ce qui est majeur, c’est qu’il est fondateur. C’est sa fonction primordiale. Il fournit des modèles aux hommes leur conférant conduite et valeur de l’existence. L’homme ne peut y échapper quand bien même le nihilisme de l’homme moderne pourrait vouloir s’y employer78 ; car le mythe comme le signifiant s’impose à lui dans ses formes d’existence au-delà de la psychose. Le mythe ne figure donc pas de manière univoque une fiction voire une invention, mais une histoire cohérente et forcément vraie, en cela qu’elle pousse à l’exemplarité, et parce que l’existence du monde est là pour le prouver. Cette figure imaginaire apparaît en soi comme une figure mythique en cela qu’elle fabrique le creuset culturel qui va fonder la relation d’intimité du sujet à son environnement, à son objet : le cadre dans lequel il va pouvoir évoluer. Le mythe est constitutif du langage et le langage se reconnaît dans le mythe, dans le monde. Comme une forme juste, complète, sorte de bijection qui permet à l’homme de se parler à lui77
Mircea ELIADE, Aspects du mythe, Collection Folio Essais, Editions Gallimard, Paris, 1963, pp. 16-17. « Davantage encore ; tandis qu’un homme moderne, tout en se considérant le résultat du cours de l’histoire universelle, ne se sent pas tenu de la connaître dans sa totalité, l’homme des sociétés archaïques non seulement est obligé de se remémorer l’histoire mythique de sa tribu, mais il en réactualise périodiquement une assez grande partie. C’est ici qu’on saisit la différence la plus importante entre l’homme des sociétés archaïques et l’homme moderne : l’irréversibilité des événements qui, pour ce dernier, est la note caractéristique de l’Histoire, ne constitue pas une évidence pour le premier. », in Mircea ELIADE, op. cit., p. 25. 78
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même de lui-même, - le mythe conceptualise le réel. La tension préalable au langage peut ainsi trouver satisfaction dans les représentations d’origines, de fins, de moyens. Par cette forme de décharge discursive, l’homme se soulage, s’allège, se rassure. Le mythe comme construction préalable à toute structure procède ainsi par distinctions, oppositions, corrélations. Sa logique organise, inventorie, classe, place, qualifie et devient in fine vérité substantielle alors qu’il était avant toute chose fonctionnel. La force du mythe tient en cela qu’il est à la fois origine et antécédent. Il est l’implicite qu’il s’agit d’expliciter. Le savoir se développe alors comme une construction première imaginaire et « arraisonnante ». Cette révélation du mythe prouve au quotidien un mode d’existence, si bien qu’une déconstruction des concepts peut largement déstabiliser les sociétés humaines. En effet, « (…) dans ce qu’il y a de vivant, le mythe n’est pas une explication destinée à satisfaire une curiosité scientifique, mais un récit qui fait revivre une réalité originelle, et qui répond à un profond besoin religieux, à des aspirations morales, à des contraintes et à des impératifs d’ordre social et même à des exigences pratiques ».79 Pourtant le mythe, s’il permet d’exister au sein du réel sans que l’on sache jamais de quoi ce réel retourne précisément, peut également suggérer des formes d’existence dégénérescentes. Si le mythe est vie parce qu’il oppose l’objet au sujet, et organise le sens de son désir, il se voit également et tout aussi bien conduire l’homme à sa perte, à sa mort ; l’hypothèse étant qu’un développement écologique de nos sociétés humaines ne pourra se faire sans une profonde révolution des mythes ancrés au cœur du langage et des institutions. Les mythes nécessiteraient donc des remises en cause pour que notre rapport à la nature, à l’autre, à nous même, se modifie. Cette première partie se charge d’explorer ces acceptions qui fondent notre relation à la nature, et nous isole des possibles. La première acception « Le jardin des délices » inscrit notre civilisation dans une forme d’inconséquence capricieuse notoire vis-à-vis du vivant et des possibilités d’une existence pérenne des sociétés humaines. La seconde structure une vision humaniste de la vie sur terre. Elle isole le sujet de son milieu, l’enferme dans ses illusions égotistes, coupe ses liens avec le réel en flattant sa liberté. Enfin, la dernière, attachée à l’époque moderne, oriente une vision mécaniste de la nature, immisçant l’idée d’une artificialité et d’une scientificité toute-puissante supplantant la nature elle–même et glorifiant l’humanité.
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Bronislav MALINOWSKI, in Mircea ELIADE, op. cit., p. 34.
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A. Le jardin des délices, mythe d’abondance et de liberté La nature recouvre ainsi différentes acceptions et l’une d’elle, celle de l’abondance, n’est pas sans orienter notre rapport à la biosphère. Cette vision, présente dans notre inconscient collectif, persiste à nous maintenir dans certaines postures figées. Non, la nature n’est pas infinie. Le Jardin des délices où toute richesse abonde est un mythe sur lequel nous avons élaboré des paradigmes. Aujourd’hui, assurément, ils doivent être remis en cause. De Moïse à Rousseau en passant par St Thomas d’Aquin, le mythe du jardin des délices a amalgamé un ensemble d’images qui sert l’idée d’une nature démiurgique. Le paradis terrestre est, au cours de ces siècles, non un leurre, mais le lieu bien réel où séjournèrent nos ancêtres. Beaucoup de nos intellectuels et penseurs y font référence. Calvin, au XVIème siècle, eut même l’audace, le premier, de joindre à son commentaire sur la Genèse, une carte permettant de localiser le paradis terrestre évoqué par Moïse. Il serait situé à l’est de la Séleucie et de Babylone. Alberti, au XVème siècle se penche sur la légende de la vie parfaite. Du XVIème au XVIIIème siècle, on voit se multiplier, chez les jésuites, de nombreux textes sur la Genèse. Rousseau et Kant, au XVIII ème siècle, ont eux aussi leur théorie de la nature en référence constante au jardin des délices. Ce jardin merveilleux a ainsi au fil du temps, par les divers symboles propres à notre culture, initié notre rapport au milieu et à la vie. « Le Seigneur Dieu plante un jardin d’Éden, (…) où vécurent Adam et Ève. »80 Dans ce jardin : un torrent, « au bord du torrent, sur les deux rives, pousseront toutes espèces d’arbres fruitiers, leur feuillage ne flétrira pas, et leurs fruits ne s’épuiseront pas ; ils donneront chaque mois une nouvelle récolte, parce que l’eau du torrent sort du sanctuaire. Leurs fruits serviront de nourriture et leur feuillage de remède »81. La figure du paradis terrestre, est un jardin protégé. C’est un verger généreux, une campagne heureuse où la douceur, les saveurs et les parfums regorgent et enchantent. Dans cette nature édénique, l’harmonie règne de manière incontournable et il n’est besoin de s’organiser pour y résider. Rien n’y est politique. « Sous sa gouverne, il n’y avait point de constitution (…) »82. Il suffit de respecter la loi divine et l’homme gagne son droit à la vie simple. Tout y est jaillissement. L’eau y est toujours présentée comme abondante ; la lumière y est douce, le printemps y est 80
Jean DELUMEAU, Une histoire du paradis, Collection Arthème, Editions Fayard, Paris, 1992, p. 7. EZECHIEL, in Jean DELUMEAU, op. cit., p. 12. 82 PLATON, in Jean DELUMEAU, op. cit., p. 16. 81
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perpétuel. Dans l’enclos paradisiaque, le temps n’existe pas, - pas plus que la mort. Tout se passe comme si la vie suivait son cours, rythmée par le son d’une musique délicieuse. Cette nature clémente peuple nos fantasmes. C’est la félicité éternelle. « Souffrances et peurs sont bannies ». « L’ours n’y rugit point (…) Le sol profond n’y est point gonflé de vipères »83. La nostalgie d’un paradis terrestre, comme celle du sein maternel, nous renvoie à un sentiment d’extase qui révèle un désir sur lequel nous n’acceptons de céder. L’obéissance à l’ordre de Dieu est la condition de cette extase, la condition à l’immortalité et à l’indolence. La notion d’ordre naturel rallie cette croyance en la perfection, la liberté, la paix, le bonheur, l’abondance, l’absence de contraires, de tensions, et de conflits. « Les hommes s’entendaient et vivaient en harmonie avec les animaux »84. Alors les hommes vivaient comme des dieux, à l’abri des peines et des misères. La jeunesse était acquise, et la gaieté des festins après les récoltes fructueuses, remplissait leur vie. « Tous les biens étaient à eux »85. Il y a, en même temps que la notion d’abondance, la notion d’appartenance dans l’ensemble de ces textes relatifs au jardin des délices, nous précise Jean Delumeau. En effet, si généreux Dieu est-il, c’est pour les hommes que tout cela est fait. L’homme a été créé à l’image de Dieu et tel à un dieu, il est légitime qu’on apporte des offrandes. Horace nous décrit ce jardin comme un lieu « où la terre, chaque année rend à l’homme cérès sans labour, où, toujours, la vigne fleurit sans qu’on l’émonde »86… . Le travail y est absent, l’adversité aussi. Pour Rousseau, l’homme (…) « se rassasiait sous un chêne, se désaltérait au pied d’un ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas »87.
1. Le mythe de l’Age d’Or et de l’éternel retour Mais Adam et Eve, natifs du jardin d’Eden sont chassés. Ils ont touchés à l’arbre de la connaissance qui leur était pourtant interdit. Ils n’ont pas respecté le seul tabou alors défini. Dès lors, le jardin des délices n’est plus dans l’ordre des évidences de la vie des hommes sur terre, mais devient un objet à reconquérir. Il renvoie à cet âge d’or auquel on se doit de croire et que l’on doit regagner. Pour Hésiode et Platon, l’ « Age d’Or devait 83
HORACE, in Jean DELUMEAU, op. cit., p. 17. Jean DELUMEAU, idem, p. 15. 85 HESIODE, in Jean DELUMEAU, ididem, p. 15. 86 HORACE, in Jean DELUMEAU, ibidem, p. 18. 87 Jean-Jacques ROUSSEAU, in Jean DELUMEAU, ibidem, p. 297. 84
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revenir périodiquement »88. On l’attendait comme les Hébreux attendent le messie. Pour les chrétiens, « la familiarité avec Dieu et l’absence de mort sont à reconquérir par l’homme. Sa marche vers la « terre promise », lui permettra, s’il se soumet à la loi divine, de retrouver de façon définitive, dans le paradis eschatologique, les biens qu’il ne possédait que de façon précaire dans le jardin d’Éden »89. Les Mésopotamiens, pour appeler symboliquement cet âge d’or à se reconduire, construisaient des temples au sommet desquels, à la cime des ziggourats, se tenaient des sanctuaires sous formes de petits jardins suspendus90. Le paradis apparaît ainsi pour les peuples, religieux ou païens, car le mythe est partagé par tous, comme un idéal à retrouver. L’heure des retrouvailles dépend de la capacité de l’homme à le reconquérir, de son audace même. Tout porte à croire que pour revivre cette complétude, que pour revivre la jouissance absolue, l’extase sensorielle, la satisfaction matérielle et la paix des hommes entre eux, puisqu’il n’est de vivres à se disputer, et de mort à redouter, l’homme doit se dépasser. Un dépassement est attendu à la mesure de son idéal : des jours meilleurs à reconduire. L’idéal est placé au dessus de toute autre volonté. 91 On commence ainsi à développer l’idée d’un destin supérieur de l’homme, objet de sa quête. Mais si le mot d’Eden semble terrestre, il pourrait également être, en son essence, pur et spirituel. 92 Sensualisme et matérialisme ne serait ainsi pas les seuls fondements de cette philosophie déjà progressiste. Le chemin spirituel renvoie à une élévation de l’homme, une ascension, une perfection, renvoie à une verticalité que l’homme ne cesse de vouloir atteindre. Bien que l’homme ne soit parfait comme l’est la nature, il reste perfectible. « Rien n’est à la fois né et parfait », nous renseigne Alberti. Toute sa vie il pourra rechercher la paix du 88
« L’âge d’or naquit le premier qui, sans répression, sans lois, pratiquait de lui-même la bonne foi et la vertu. On ignorait les châtiments et la crainte ; des écrits menaçants ne se lisaient point sur le bronze, affichés en public ; la foule suppliante ne tremblait pas en présence du juge ; un redresseur de torts était inutile à sa sécurité. (…) Sans avoir besoin de soldats, les nations passaient au sein de la paix une vie de doux loisir. La tenue aussi, libre de redevances, sans être violée par le hoyau, ni blessé par la charrue, donnait tout d’elle-même ; contents des aliments qu’elle produisait sans contrainte, les hommes cueillaient les fruits de l’arbousier, les fraises des montagnes, les cornouilles, les mûres qui pendent aux ronces épineuses et les glands tombés de l’arbre de Jupiter aux larges ramures. Le printemps était éternel et les paisibles zéphirs caressaient de leurs tièdes haleines les fleurs nées sans semence. Bientôt la terre que nul n’avait labourée, se couvrait des moissons ; les champs, sans culture, jaunissaient sous les lourds épis ; alors des fleuves de lait, des fleuves de nectar coulaient çà et là et l’yeuse au vert feuillage distillait le miel blond.», HESIODE, in Jean DELUMEAU, idem, p. 16. 89 Jean DELUMEAU, ibidem, p. 15. 90 Jean DELUMEAU, ibidem, p. 14. 91 Dante place le paradis terrestre au sommet de notre planète. 92 Cette quête, Saint Ephren nous invite à la considérer sous sa forme exclusivement spirituelle. La description du jardin des délices ne serait en réalité qu’une transposition imagée de l’accomplissement spirituel de l’individu. « C’est avec l’œil de l’esprit, écrit-il, que je vis le paradis (…). Aux spirituels convient un œil spirituel et des mets spirituels (…). », in Jean DELUMEAU, ibidem, p. 28.
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cœur, la sécurité matérielle, et la jouissance sensorielle. Etre, avoir, et jouir. Ainsi voulutil continuer de main d’homme ce qu’il lui avait été au préalable offert par le tout puissant. Le mythe de l’abondance couvre un ensemble important de textes jusqu’à la révolution française. Jusqu’à cette époque en effet, la monarchie détient l’autorité, maintient le pouvoir sur le sujet. La révolution française, en rendant sa « liberté » au sujet, permet de réinscrire le mythe édénique93 au cœur du projet social et politique. L’idéal y est réinterprété à la lumière des nouvelles philosophies bourgeoises. Ainsi malgré une vision historiciste de l’homme moderne qui débute alors, c'est-à-dire une vision où l’Histoire est la création humaine par excellence, des résidus « anhistoricistes » des cultures archaïques subsistent et permettent cette renaissance idéelle du mythe. En effet, le temps cyclique, la regénération péridioque de l’histoire avec ses répétitions et ses archétypes restent une idée forte dans les consciences de cette fin de siècle. Cet archétype historique premier avec ses périodes de naissance, d’apogée et de déclin, au-delà d’une vision événementielle de l’histoire, a marqué le genre humain pour qu’il appréhende aujourd’hui encore le sens de l’histoire comme un mouvement sans fin déterminé par la mort et la renaissance, c'est-à-dire déterminé par l’éternité. Au MoyenAge et après, de Saint Augustin jusqu’à Hegel, malgré les discours ambiants et toujours plus linéarisant du temps de l’histoire, la théorie ancestrale du cycle comme force immanente du cosmos contribue à défendre l’homme contre « la terreur de l’histoire »94, nous souffle Mircéa Eliade. L’événement ne constitue donc en cela pas forcément une valeur ontologique mais une valeur de reconduction archétypale. Le cycle, en insérant le temps dans une logique d’éternité, permet à l’humanité de croire en son destin, et de braver au quotidien la décrépitude et la mort.95 Le mythe de l’Age d’Or et celui de l’Eternel retour permettent ainsi de croire en l’avenir en soumettant les générations prochaines à une promesse. Comme une attente perpétuelle d’une nouvelle purification, l’abolition du temps profane, c'est-à-dire du temps historique, libère l’homme de ses antécédents et l’ouvre à sa régénérescence, à son éternelle nouveauté. Ces mythes véhiculent maintes images qui soutiennent cette croyance en des temps nouveaux et paradoxalement déjà vécus. La promesse d’un avenir meilleur fonde tous les espoirs et toutes les prédispositions. Nietzsche lui-même remet au 93
La philosophie des lumières est par ailleurs une philosophie où la nature prend une place essentielle. C’est l’expression de Mircea ELIADE, dans son ouvrage Le mythe de l’éternel retour : archétypes et répétition, Collection Folio Essai, Editions Gallimard, Paris, 1989, p. 2. 95 Pour Mircea ELIADE, « Heidegger avait pris la peine de montrer que l’historicité de l’existence humaine interdit tout espoir de transcender le temps de l’histoire. », idem, p. 168. 94
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goût du jour le mythe de l’éternel retour comme une remise en forme perpétuelle des grands archétypes. Marx reprend également à son compte cette réélection d’un temps rappelé à l’existence. En ce sens, il apprivoise la philosophie de Hegel et revalorise « à un niveau exclusivement humain le mythe primitif de l’Age d’Or, (…) »96. Aussi la voie tracée par le marxisme continue d’enflammer notre désir pour une libération de toutes les dominations. Dans cette perspective, les exactions ne pourraient ainsi plus apparaître que comme des signes de prédispositions au triomphe prochain marquant la fin d’une histoire et d’un cycle, - alors même que l’historicité de l’existence humaine empêche de transcender le temps de l’histoire. La société moderne n’échappe donc pas, elle non plus, à un ensemble de croyances, qui outre une arrogance bien connue à s’en détacher, la met sur un pied d’égalité avec les sociétés traditionnelles. « Nous n’avons jamais été modernes », nous dit Bruno Latour97, la modernité s’inscrivant elle-même dans une tradition. La « tradition moderne » pourrait-on dire. Cette croyance se confond avec l’agir humain, car s’il faut croire, c’est avant tout pour faire ; Gilbert Rist nous parle de cette croyance comme un acte « performatif », une ultime défense contre la « peur du vide », une construction collective vouée à définir un ensemble de « pratiques qui forment un tout en dépit de leur contradictions », une idéologie en somme.98
2. De l’idéal à l’idéal de développement Cette croyance en l’Âge d’Or, cette croyance en cette reconquête du paradis par l’homme, comme un dû, une fatalité, une fin, comporte en elle-même une stratégie quasimilitaire de démultiplication des richesses terrestres. A ce mythe, se superpose donc, avec l’essor des sciences, celui du développement. Ce terme, plus ou moins synonyme de celui de croissance, terme d’ordre biologique, permet d’intégrer dans les consciences, par un processus langagier implicite, un ensemble de significations faisant valeur de vérités. « Au moyen de cette analogie », nous dit Gilbert Rist, « on rapporte donc un phénomène social à un phénomène naturel, en faisant comme si ce qui est vrai de l’un devrait l’être nécessairement de l’autre ».99 Au cœur de cette notion, se cristallise donc un florilège d’éléments
symboliques
qui
vont
de
96
l’idée
d’achèvement,
d’épanouissement,
Selon Mircea ELIADE toujours, ibidem, p. 167. Bruno LATOUR, Nous n’avons jamais été modernes. Essais d’anthropologie symétrique, Collection Poche, Editions de la Découverte, Paris, 1997. 98 Gilbert RIST, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Les Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, 1996, p. 41. 99 Gilbert RIST, idem, p. 47. 97
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d’aboutissement,
de
progression,
de
permanence
du
mouvement,
aux
idées
d’accumulation des quantités et des qualités. La version progressiste du développement ne tarde pas à acquérir, au fil de l’histoire des idées, sa structure de réalisation. A l’époque des lumières, la raison permet d’ordonner cette réalisation supérieure de l’humanité par la voie de la raison et de la science. La science va seule permettre cette reconquête du paradis sur terre. Pour Jean-Batiste Say, « les seules espèces animales qui survivront seront celles que l’industrie multipliera »100. Aussi, bientôt, ce qui en théorie avait été impulsé par la croyance en l’éternel retour, sera dévoyé par une métaphysique de l’histoire, linéaire et continue. De fait, les visions aristotéliciennes sont supplantées par les visions augustiniennes reprises à leur compte par les philosophes des lumières.101 Pour ces derniers, la voie vers l’opulence est en marche et constitue le processus historique des origines à nos jours. La Rédemption, ou le salut attaché aux idées véhiculées par le christianisme ne sont pas étrangers à une refondation idéelle et linéaire de l’histoire. Tel le christianisme l’a enseigné, en bafouant notamment certaines vérités émises dans l’Ancien Testament, la foi permet de braver cette terreur de l’Histoire, - en cela que toutes nos prières peuvent être entendues. Ainsi, la foi, dans ce contexte, renvoie à l’idée d’une émancipation absolue, d’un dépassement total de ce qui apparaissait être loi de la nature. Cette liberté conduit dans l’imaginaire de l’homme à une révolution du statut ontologique même de l’univers.102. « Il est clair qu’on peut interpréter la vision progressiste de l’histoire, telle qu’elle se constitue aux XVIIIème et XIXème siècles, comme le produit d’une sécularisation du millénarisme chrétien, hérésie qui affirmait comme une certitude l’avènement futur du salut en ce monde. Anticipation, promesse, attente : l’espoir de l’établissement du royaume de Dieu sur la terre oriente l’existence humaine ».103 Par là, on peut considérer que s’échafaude peu à peu, au cœur du dispositif occidental, une histoire naturelle de l’humanité, c'est-à-dire une histoire fondée sur un 100
Gilbert RIST, ibidem, p. 71. Ce qui n’est pas tout à fait exact. Par exemple, Rousseau ne partage pas cette idée positiviste de l’histoire. Dans « Le Contrat Social », il choque l’opinion contemporaine en affirmant : « les progrès sont les résultats de nos vices et de nos vaines curiosités (…), ce qu’il y a de plus cruel encore, c’est que tous les progrès de l’espèce humaine l’éloignant sans cesse de son état primitif, plus nous nous ôtons les moyens d’acquérir la plus importante de toutes ; et que c’est en un sens à force d’étudier l’homme que nous nous sommes mis hors d’état de connaître. », in Gilbert RIST, ibidem, p. 67. 102 « (…) A cet égard le christianisme s’avère sans conteste la religion de l’ « homme déchu » : et cela dans la mesure où l’homme moderne est irrémédiablement intégré à l’histoire et au progrès, et où l’histoire et le progrès sont une chute impliquant l’un et l’autre l’abandon définitif du paradis des archétypes et de la répétition. », in Mircea ELIADE, op. cit., p. 181. 103 Pierre-André TAGUIEFF, Le sens du progrès, une approche historique et philosophique, Collection Champs, Editions Flammarion, Paris, 2004, p. 102. 101
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principe « naturel », auto-dynamique, soldant la possibilité du triomphe de l’humanité par le développement des connaissances et de la richesse. A la théorie de Max Weber 104 sur la relation entre le protestantisme et l’avènement du capitalisme, concomitant au développement, peut s’additionner celle d’une construction naturaliste de l’idéologie de progrès avec pour perspective les promesses ancestrales de l’opulence, et les aspirations chrétiennes de l’homme nouveau. L’évolutionnisme social, inspiré par Darwin et ses théories sur l’évolutionnisme biologique, envahit tous les esprits ou presque. Avec l’arrivée des économistes sur le champ des idées, cette hypothèse d’ordre téléologique devient totalement consubstantielle d’une pensée politique née du nouveau projet social. La bourgeoisie constitue le fer de lance de ce projet social et des visions eschatologiques de l’humanité. L’homme occidental, comme par ingratitude, va abandonner ce qui l’avait justement fait naître ; le christianisme comme processus de libération est abandonné pour une croyance, sans humilité, en l’humanité libérée et autoproclamée. L’humanité devient centrale (en s'esseulant) ; son histoire est celle-là qui va justement la légitimer comme telle : le mythe de l’humanité en progrès. « Pour le moderne, l’homme ne saurait être créateur que dans la mesure où il est historique ; en d’autres termes, toute création lui est interdite, sauf celle qui prend sa source dans sa propre liberté ; et par conséquent tout lui est refusé, sauf la liberté de faire l’histoire en se faisant lui-même. » 105 Dès lors, les idéologies se succèdent et concernent tout un chacun. Le vivre-ensemble n’est plus une affaire divine mais le résultat du parlementarisme, une négociation des hommes entre eux. Toutes ont pour projet l’abondance et la cessation du labeur. Le « toujours plus et toujours mieux » devient une valeur qui s’est, en Europe, totalement enracinée dans les esprits. La science et la technique sont élues les fondements stratégiques et majeurs du projet de cette société nouvelle, bourgeoise et progressiste.
104
Max WEBER, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Collection Agora, Editions Pocket, Paris, 1989. 105 Mircea ELIADE, op. cit., p. 174.
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3. La nature et ses limites, le mythe de l’abondance déchu Dans cette logique, nous en sommes venus à nous comporter comme si les ressources naturelles étaient inépuisables, que l’oxygène ne pouvait venir à manquer, que l’eau provenait d’une source qui ne tarit pas, que l’espace n’avait pas de limite, que les océans, les plaines et les rivières allaient continuer, parce que c’est la loi divine, à nous nourrir indéfiniment et alimenter une production matérielle pléthorique. Nous puisons en effet de manière acharnée sur notre milieu eau et matières premières, sans égard pour l’avenir et la pérennité de la vie sur terre. Nous n’hésitons pas à souiller l’air et l’eau, deux éléments essentiels à notre vie et à notre santé. Nous nous comportons comme si la terre mère de tous les hommes nous aimait d’un amour inconditionnel, comme si, à l’image de la figure de la mère chez Rousseau106, elle était prête à tous les sacrifices.107 L’amour maternel est de nature héroïque et sans limite. « La bonne, la vraie mère s’immole pour son enfant »108. Et à la nature, telle à une mère, l’homme demande de tout donner : ressources naturelles, et de tout recevoir : déchets ou pollutions. Il lui demande de tout donner, y compris sa propre vie. Cependant l’intransigeance a ses limites et l’inconséquence de l’immature ne pourra le mener qu’à sa perte, puisque c’est de cette nature que justement, il vit. Alors peut-être va-t-il se mettre à développer d’autres rapports vis-à-vis des éléments et commencer à se soucier davantage de son milieu en développant de nouvelles techniques et d’autres pratiques et coutumes ? La pénurie d’eau n’est pas une fatalité Donc, nous puisons sans égard. Nous puisons les ressources terrestres, en Occident, comme si elles n’existaient pas en quantité finie. L’eau douce, par exemple, est gaspillée et largement dégradée. On en use comme si elle provenait d’une source intarissable située au cœur du sanctuaire du jardin d’Eden. De temps à autre, et particulièrement en Bretagne, des chiffres inquiétants apparaissent dans la presse, prévoyant à moyen terme une pénurie d’eau. Les nappes phréatiques se vident, le niveau des rivières baisse.109 106 Il n’est pas surprenant de trouver Rousseau dans ces discours sur l’amour maternel, lui qui faisait également de la nature, nous le verrons par ailleurs un peu plus loin, l’espace de complétude par excellence. 107 Dans « La Nouvelle Héloïse », Julie meurt, après avoir sauvé son fils de la noyade. Jean-Jacques ROUSSEAU, La Nouvelle Héloïse, Collection Classique de Poche, Editions LGF, Paris, 2002. 108 Yvonne KNIBIEHLER, Histoire des mères et de la maternité en Occident, Les Presses Universitaires de France, Paris, 2000, p. 146. 109 A la ville de Rennes, on prépare son avenir par l’investissement d’un aqueduc de 100 km de long en aval de la Vilaine afin de canaliser l’eau, depuis Arzal jusqu’aux usines de retraitements et de production d’eau potable ; les quatre ressources actuellement puisées n’étant a priori à long terme plus suffisantes.
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Nous sommes tous et chacun à notre manière de gros consommateurs d’eau. Les différents secteurs de l’agriculture, de l’industrie, de l’aménagement du territoire, consomment de l’eau. Les agriculteurs n’ont pas sélectionné leurs cultures en fonction de cette contrainte et ont depuis longtemps généralisé sur le territoire breton par exemple la culture du maïs, grande consommatrice d’eau. Le secteur de l’industrie ne s’est pas encore vraiment mobilisé.110 L’aménagement du territoire n’a jamais vraiment cherché à économiser cette ressource, ni même à la capter. Que ce soit au niveau des équipements routiers ou d’assainissement collectif, les techniques utilisées sont largement peu enclines à conserver l’eau. Plutôt, ce secteur à travers les différentes politiques d’infrastructure n’a jamais fait, d’une part, qu’imperméabiliser toujours plus le territoire, qu’accélérer la course folle de l’eau vers l’océan, d’autre part qu’utiliser des techniques d’assainissement grosse consommatrice d’eau.111 De catastrophes en catastrophes, les habitudes prises de longue date ont peu à peu été revues. Et dans les ministères, on vient à parler davantage d’économie d’eau et de captation de l’eau de pluie. Du côté de l’agriculture, on attend de la PAC112 des réformes sur la nature des cultures fortement gourmandes en eau. Du côté de l’aménagement du territoire, et c’est peut-être le secteur le plus réformateur, la société civile et les institutions réagissent. A Rennes, les essences des plantations des espaces verts sont choisies pour leur faible besoin en eau ; et dans le cahier des charges du quartier écologique de Beauregard, à la demande des élus rennais, a été intégré le souci des économies d’eau.113
Ainsi, pour répondre à cette problématique d’économie d’eau, on cherche par exemple à retenir l’eau de pluie pour en user directement ou la stocker dans les sols et les nappes phréatiques. En effet, à la ville de Rennes, et conformément au dispositif mis en place contre les inondations développé dans la loi sur l’eau de 1992, la maîtrise de l’évacuation des eaux pluviales est devenue une priorité. On parle de la maîtrise de 110
Peut-on se demander à l’occasion si l’eau coûte assez cher pour qu’on la dépense ainsi sans compter ? Ces politiques territoriales n’ont finalement apporté que déboires aux intersaisons quand les nappes phréatiques n’ont plus rempli leur rôles de réserves, quand les eaux de pluie ont été principalement renvoyées vers les rivières et les fleuves générant ainsi les fortes crues et inondations que l’on connaît un peu partout en France depuis quinze à vingt ans. 111
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La PAC (Politique Agricole Commune). Les architectes ont pu ainsi prescrire un bac à douche non une baignoire pour la toilette des habitants, additionné parfois d’un stop douche branché sur la robinetterie permettant ainsi de réduire l’usage de la douche au simple trempage et rinçage, et des wc à double flux pour optimiser l’usage du toilette selon la quantité des matières ou liquides déversés. 113
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l’imperméabilisation des sols. L’idée est de limiter les surfaces imperméables : toitures, aire de parking bétonnée ou goudronnée, cours d’école en enrobé étanche… . Les dispositifs requis proposent un coefficient de 90% en centre-ville et de 40% en milieu urbain, de surfaces imperméables sur chaque parcelle. En cas de dépassement des taux cités, des solutions sont proposées, l’objectif consistant à réduire largement le débit des eaux pluviales et à aménager leur évacuation. « Plusieurs techniques peuvent se combiner : évacuation vers le sol, stockage des eaux excédentaires (bassins tampons, souterrains et aériens), réservoirs (par exemple récupérateur d’eau de pluie)… . Il est aussi possible d’enterrer un matériau poreux (produit alvéolé par exemple) vers les réseaux d’eau pluviale (…).114 Ces dispositions sont en vigueur depuis le 8 juin 1998, date d’approbation du POS115 modifié. On peut aussi retenir complètement l’eau de pluie avant son évacuation dans la nature afin d’en faire usage. Différents projets existent sur la municipalité rennaise, certains d’habitat collectif, d’autres d’habitat individuel. L’eau de pluie est récupérée sur quelques-uns des projets du quartier de Beauregard, elle sert à l’entretien des parties communes et à l’arrosage des jardins. Par delà l’ensemble des projets parsemés sur l’agglomération, sur la dernière ZAC de Chantepie, l’urbaniste a prescrit un récupérateur par parcelle. Le système est un peu plus sophistiqué que le bidon sous la descente d’eau pluviale reliée à la gouttière. Le récupérateur est enterré, et génère un second réseau destiné à l’arrosage du jardin, aux gros travaux de nettoyage, et à l’alimentation des wc. Le traitement des eaux usées, qu’il soit collectif ou individuel, consomme dans la France d’aujourd’hui une quantité d’eau très importante, tout comme il n’est pas sans changer, au passage, la nature des milieux.116 À Rennes, la majeure partie de l’assainissement est collective. Seuls 100 à 200 logements, on ne connaît pas exactement les chiffres, sont dotés d’un assainissement autonome. Les eaux usées sont donc en grande partie ramenées à la station d’épuration de la ville, du nom de Beaurade. Cette station d’épuration, datant de 1997, est reconnue de haute technologie. Pourtant, le type de système utilisé ici demeure gourmand en eau et en énergie. Enfin, il n’est pas exempt de rejets tels que sables, boues et graisses. Les différentes personnalités rencontrées à la ville, élus et techniciens semblent néanmoins très satisfaites 114
« Eaux pluviales, comment et pourquoi les évacuer ? Deux enjeux, huit questions », Ville de Rennes, Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, février 2001. 115 Plan d’Occupation des Sols. 116 On parle alors de pollution des sols, des nappes phréatiques et des rivières. En cela une perspective écologique sur ces techniques remet en cause les pratiques urbaines.
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de cette opération et plutôt fières de leur station d’épuration en avance sur les normes européennes. Pourtant, un tel système d’assainissement ne va pas dans le sens des économies d’eau.
Une précision doit cependant être émise, car si le système
d’assainissement classique utilise l’eau comme véhicule, rien ne préjuge pour qu’elle soit rejetée à la rivière après épuration. Ainsi la ville pourrait économiser non seulement les réserves d’eau du Coguelais ou du Chèze-Canut, mais aussi la dépense générée par son traitement, en gérant la ressource en circuit quasi-fermé. Il suffirait d’affiner le traitement après épuration. Au regard de certains, la solution serait plutôt bonne sur le plan technique. Seulement la logique technique et fonctionnelle ne trouve pas toujours sa résonance du côté symbolique et les élus rennais peinent à croire que cette solution soit acceptée par les habitants, bien que certains, dans l’erreur, croient que c’est déjà le cas. A cette difficulté, différentes propositions apparaissent, d’une part sous l’influence de l’Histoire, d’autre part sous celle d’autres contrées géographiques pour lesquelles les pratiques diffèrent, et pour lesquelles des expériences novatrices ont été menées telle que la toilette sèche par exemple dont nous allons reparler. Gaspiller ou économiser l’énergie ? La civilisation industrielle a fondé son développement sur l’utilisation des combustibles fossiles. Depuis les années 70, la consommation d’énergie fossile a doublé ; le pétrole demeurant la première énergie employée. A ce rythme, les ressources pétrolières auront disparu d’ici à 2050. L’épuisement progressif de l’or noir nous amène peu à peu à rechercher des gisements toujours plus loin et dans des conditions les plus difficiles. Les puits « offshore » se multiplient et sont situés à des profondeurs à mesure plus importantes. Aussi, il semblerait que le charbon et le gaz naturel reviennent ainsi à la mode et que l’énergie nucléaire soit amenée à se développer. La consommation globale d’énergie dans la ville de Rennes est estimée, hors industrie, à 270 000 tep.117 La consommation totale d’énergie du secteur résidentiel de la ville de Rennes a été estimée en 1999 à 109 527 tep. Le gaz naturel est l’énergie la plus consommée, 51% de part du marché. Vient après le chauffage urbain (incinération des déchets) à 21% et l’électricité à 20%. Dans le secteur tertiaire, c’est l’électricité qui vient en première place avec 49% de parts de marché. Mais pour ces deux secteurs, le 117
Les énergies dépensées proviennent pour 37% de produits pétroliers, pour 31% de gaz naturel, pour 21% d’électricité, pour 10% de chauffage urbain, pour 1% de charbon, bois et GPL réunis. Toujours hors industrie, le CO2 émis par les rennais lié à l’économie du bâtiment est de 56%. Il est relatif au secteur de l’habitat et au secteur tertiaire. La part restante revient au secteur du transport.
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chauffage est le principal usage émetteur avec 85% des émissions de Co2. Le chauffage représente donc un gros poste. Raison pour laquelle il est devenu la cible de bon nombre de politiques publiques. Mais si le bâtiment consomme de l’énergie à l’usage, il en consomme également lors de son processus de fabrication. Ainsi, le choix des produits, des techniques et des matériaux est essentiel à la conception d’un bâtiment.
Les matériaux de construction sont des objets complexes qui subissent un ensemble de transformations avant de remplir leur fonction auprès des populations. L’analyse du cycle de vie (ACV) des matériaux utilisés dans le bâtiment, et des techniques mises en œuvre, rendra compte du caractère durable d’un bâtiment. Cette analyse est une sorte de bilan sur tout le cycle de vie du matériau, de l’extraction des matières premières jusqu’à la mise en décharge des déchets ultimes ; elle comptabilise toutes les matières entrant et sortant et les énergies qui y sont consacrées. Le bilan énergétique des matériaux entre par là en ligne de compte et représente un élément plus simple à maîtriser même s’il n’existe en France à l’heure actuelle aucune base de données reconnue en la matière. Le bilan énergétique fait le rapport entre la part énergétique utilisée lors de la fabrication du matériau et la part énergétique économisée grâce au matériau lors de son usage. Avec ces données, l’architecte peut donc faire le choix d’utiliser du bois plus que de la brique, de l’acier ou du verre. La brique ou terre cuite demande beaucoup d’énergie à la fabrication, à la cuisson. Très isolante, elle permet de faire des économies d’énergie à l’utilisation118. Le bois est peu consommateur d’énergie à la fabrication, idéal en termes de bilan énergétique, il n’est pas difficile à mettre en œuvre et représente un très bon isolant. Le bilan énergétique du bois est meilleur. Pour autant, le matériau bois prend une part importante sur le marché de la construction écologique. Encouragé par la LAURE119, il est intéressant de l’utiliser aux divers niveaux de l’ossature, du parement, enfin de la menuiserie.120 Le panneau solaire photovoltaïque a été pendant un moment dans les journaux spécialisés, l’objet d’une polémique. La rumeur courait que cette technique consommait davantage d’énergie à la 118
La terre crue demande moins d’énergie à la fabrication mais elle reste plus contraignante à mettre en œuvre. 119 Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie. 120 Un décret est à ce titre paru pour « fixer les conditions d’utilisation d’une quantité minimale de matériaux bois dans certaines constructions neuves », voir à ce sujet le Plan Bois Construction Environnement, selon l’article 21-5 de la Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie.
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production qu’elle n’en produisait au cours de sa vie. La rumeur a été dissipée par l’ADEME121. Il n’en est rien. D’une manière générale, différentes initiatives, au sein de l’ADEME, de l’AIMC122, au CSTB123, à l’AFNOR124, tendent à fixer un cadre formel, reconnu, simple et opérationnel de déclaration des caractéristiques énergétiques (et environnementales) des produits et des matériaux utilisés dans le bâtiment. Le CSTB a réalisé des fiches INES prenant en compte la qualité environnementale dans les avis techniques, et l’AFNOR a élaboré une norme relative à la consommation énergétique : la norme XP P- 010.
Le chauffage central, la climatisation, l’eau chaude sanitaire, l’éclairage électrique, la ventilation et l’électroménager sont autant d’installations tout à fait communes pour notre civilisation. Nous avons l’habitude de vivre avec et d’apprécier le confort qu’elles génèrent. Elles sont néanmoins dépensières en énergie. Ainsi, la réflexion des techniciens porte aujourd’hui sur la réduction des besoins, l’efficacité énergétique des installations et des appareils ainsi que sur l’isolation des bâtiments. Dans les immeubles de bureaux, la climatisation aujourd’hui couramment utilisée pour maîtriser le confort thermique du bâtiment, surtout en été, est forte consommatrice d’énergie. De plus, elle utilise des fluides frigorigènes nuisibles à la couche d’ozone. Seules les architectures de verre sans protection solaire nécessitent, dans la région Bretagne, réellement cette innovation technique. Une économie d’énergie passe ainsi par une conception différente du bâtiment, en terme d’enveloppe, d’orientation des parois vitrées et des protections solaires, action qui peut sinon rendre superflue une installation de climatisation125, du moins en réduire fortement son dimensionnement et donc les consommations. Bien que les architectes connaissent ces contraintes, la norme esthétique architecturale aujourd’hui en France, en Europe, et sur Rennes, démontre tous les jours un attrait important pour la transparence et le verre, malgré les problèmes de surchauffe engendrés.126 121
Agence de l’Environnement et de Maîtrise de l’Energie. Association Interconsulaire du Massif Central. 123 Conseil Scientifique et Technique du Bâtiment. 124 Association française de normalisation. 125 La climatisation est aussi surtout utilisée dans les cas d’implantation dans des zones urbaines bruyantes. La nécessité de fermer les fenêtres pour se protéger du bruit invite à ne pas utiliser la ventilation pour le rafraîchissement mais à trouver compensation par cette autre solution coûteuse en énergie. 126 Les bureaux de Rennes Métropole (architecte : Patrick BERGER) sont habillés d’une surface de verre importante. 122
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En opposition à cette architecture moderne de verre et d’acier, d’autres architectes proposent des modèles qui développent l’opacité des matériaux et l’ordonnancement d’ouvertures de faibles tailles. Cela dit il est bon de préciser qu’une façade en verre orientée nord ne générera pas de climatisation, tout comme une façade de verre masquée par des arbres de hautes tiges n’aura également pas véritablement d’incidence sur le confort thermique du bâtiment, sauf éventuellement en hiver à la tombée des feuilles. Aussi, il s’agit de répondre intelligemment à des données de sites plutôt qu’à des principes de bases ; l’architecture étant avant toute chose un objet contextuel. Les données climatiques comme l’orientation et la fréquence des vents sont des éléments capitaux. D’une autre manière, le rafraîchissement, au-delà des systèmes de ventilation, connaît les masques solaires géographiques présents sur le site et d’autres principes comme le puits provençal127.
Dégrader l’atmosphère ou protéger l’élément vital de l’air ? Les effets conjugués des activités industrielles, agricoles et des modes de vie (particulièrement des modes de transport) sont à l’origine de fortes concentrations d’éléments toxiques et corrosifs dans l’atmosphère entraînant des problèmes sanitaires qui inquiètent. On peut noter les pesticides128, les ammoniaques, les oxydes de carbone129, de
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Un tube enterré avec une entrée d’air extérieur chaud rafraîchit l’air par la température du sol de 3 à 4°C pour remonter par le sol à l’intérieur du bâtiment. Ces solutions sont principalement utilisées dans le cas de constructions de maisons individuelles. 128 De nombreux produits pesticides sont en effet suspectés de générer des cancers, des mutations génétiques, des malformations congénitales, d’amoindrir les réactions immunitaires ou d’affecter le système nerveux. Aux Etats-Unis, plusieurs études ont démontré le rôle des pesticides dans l’augmentation des cas de cancers du cerveau chez l’enfant. 129 Le monoxyde de carbone génère des troubles du système nerveux central et des organes sensoriels : céphalées, asthénies, vertiges, troubles sensoriels.
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soufre, d’azote130, l’ozone131, mais également le plomb, les hydrocarbures mal brûlés, les poussières132 (ou PS particules en suspension) et les minéraux lourds133. Les pollutions atmosphériques engendrent de manière générale des agressions cutanées. Elles acidifient la peau, génèrent des troubles d’hydratation, modifient les lipides de surface, développent les crevasses, etc. . 134 Les gaz, s’ils entraînent certaines pathologies, ne font qu’en aggraver d’autres déjà présentes. Ainsi, le Conseil supérieur d’hygiène publique de France a émis en avril 2000 un avis sur les conduites à tenir lors d’épisodes de pollutions atmosphériques, qui visent les populations sensibles, telles que les jeunes enfants, les personnes âgées, les personnes déjà malades sur le plan pulmonaire ou cardiaque. Un service Santé-environnement de la DRASS135 a réalisé un site internet afin d’informer la population des conduites à tenir lors des pics de pollution. Il nous conseille de préférer les squares, le jour seulement et surtout pas la nuit, les parcs, les cimetières, pour la promenade des enfants particulièrement, - de s’éloigner des artères au trafic important.136 Ajoutons à ce bilan pour le moins désastreux sur le plan de la santé humaine, les effets sur les constructions : corrosions des parties métalliques notamment, dégradation des monuments et des statues sous l’effet de l’eau de pluie polluée par le dioxyde de soufre137. 130
Les oxydes d’azote, principalement émis par les véhicules, peuvent entraîner une altération de la fonction respiratoire, une hyper-activité bronchique chez l’asthmatique et un accroissement de la sensibilité aux infections des bronches chez l’enfant. L’émission d’oxydes d’azote est en relation avec les phénomènes de pluies acides et avec l’eutrophisation des cours d’eau et des lacs. 131 L’ozone provoque en plus des problèmes respiratoires des irritations oculaires. Il a également des effets néfastes sur la culture du tabac, du blé ainsi que du caoutchouc. 132 Les particules en suspension qui proviennent de la sidérurgie, des cimenteries, de l’incinération des déchets, de la manutention de produits pondéraux, minerais et matériaux, et de la circulation automobile, comme les composés organiques volatils (ils sont émis lors de l’évaporation du pétrole en milieu aérien et lors du remplissage des réservoirs automobiles), ou COV (dont le benzène), peuvent, surtout chez l’enfant, être la cause d’irritation des voies respiratoires et mettre en difficulté la fonction respiratoire dans son ensemble. Elles sont également mutagènes et cancérigènes, pour certains hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) par exemple. 133 Les gaz ont un effet toxique sur les systèmes respiratoires, cardio-vasculaires et muqueux (l’ozone provoque des irritations des yeux). En outre, certains types de poussières très fines, en pénétrant jusque dans la trachée et les bronches, au contact du tissu pulmonaire, peuvent provoquer une inflammation de la muqueuse bronchique et favoriser une hyperactivité et une baisse possible du seuil de sensibilité aux allergènes, sensibilité que connaît l’asthmatique. 134 Des produits cosmétiques mis au point au début des années 90, répondent comme des complexes antipollution à ces agressions. 135 Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales. 136 A ce sujet, voir l’ouvrage de Carole HERNANDEZ-ZAKINE, Guide de l’air : Comment moins polluer ? Comment le préserver ? Editions du Seuil, Paris, 2003, p. 120. 137 « (…) des composés chimiques apportés par l’air et l’eau polluée (sulfates, nitrates, carbonates) endommagent les monuments de pierre (comme le Parthénon d’Athènes) et peuvent ronger les statues jusqu’à les rendre méconnaissables. A côté de tentatives de protection (injection de résines dans les fissures) et de reconstitution, une méthode de lutte biologique est à l’étude : des bactéries (genre
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On est loin des effluves parfumés du jardin d’Eden. Mais l’inquiétude réside aujourd’hui principalement sur deux plans. Le premier est celui d’une réduction de la couche d’ozone ; le second, désormais majeur, celui de l’effet de serre et du réchauffement climatique. La couche d’ozone nous protège des rayons ultra-violets du soleil en les transformant en chaleur. Sans cette protection, la vie ne serait possible qu’en dehors des couches profondes de l’océan. « En Australie, dans le Queensland, où les préoccupations concernant la destruction de la couche d’ozone sont très fortes, des baisses significatives de récoltes ont été observées. Des expériences sur des légumes ont été menées en laboratoire mais également en plein air. Elles ont permis de conclure que les rayons ultraviolets empêchent une croissance normale des légumes à grandes feuilles (petits pois, concombres) en altérant le processus de la photosynthèse ».138 Le phytoplancton, sorte de pompe à gaz carbonique139 et de base de la chaîne alimentaire marine, se raréfie du fait de cette irradiation. Est ici défini clairement l’enjeu alimentaire d’un affaiblissement de la couche d’ozone si la nature ne prenait le contre-pied de ces processus biologiques.140 Aujourd’hui, l’irradiation par ces rayons affaiblit de manière significative le système immunitaire de notre peau et peut provoquer une opacité de la cataracte. 141 Les cancers de la peau se multiplient.142 Les pouvoirs publics informent tant qu’ils le peuvent chaque été les populations sur les dangers d’une exposition au soleil143. Grâce aux efforts des populations, la concentration d’ozone dans la stratosphère se stabilise144. Depuis le pseudomonas et Bacillus), se nourrissant de calcium qu’elles transforment en un cristal très dur, la calcite, pourraient à leur tour nourrir et protéger la pierre abîmée. », in Encyclopédie des sciences de la nature, Editions Larousse, 1995, p. 135. Cette pollution est nettement plus accentuée en ville et peut être renforcée par l’absence de vent, par des inversions thermiques favorisant la stagnation des gaz, par l’ensoleillement et un processus photochimique. Aussi, les rues encaissées empêchent l’air de circuler et de fait la dispersion des polluants. 138 Carole HERNANDEZ-ZAKINE, op. cit., p. 245. 139 Le phytoplancton des océans est essentiel puisqu’il absorbe une quantité non négligeable du gaz carbonique présent dans l’atmosphère. Qu’en sera t-il demain s’il ne joue plus ce rôle ? 140 On a en effet remarqué un changement de comportement des forêts qui, en s’adaptant aux nouvelles conditions atmosphériques peut-être, absorberaient davantage de gaz carbonique. 141 Un appauvrissemnet de 1% de la couche d’ozone entraînerait 100 000 cas supplémentaires de cécité selon les travaux des Nations Unies, in Carole HERNANDEZ-ZAKINE, op. cit., p. 243. 142 Les animaux ne sont pas épargnés non plus dans cette histoire. Les vaches, moutons, lapins et poissons de la pointe sud du Chili souffrent de cécité et de brûlures cutanées, avec des conséquences sur un ralentissement de la reproduction. Les amphibiens disparaissent peu à peu. 143
Il se pourrait ainsi que nous changions nos habitudes vestimentaires et sanitaires. Nous pourrions devoir nous vêtir davantage et porter systèmatiquement lunettes de soleil et chapeau à bord large afin de couvrir nos visages. 144 Les chlorofluorocarbures (CFC ou fréons) sont considérés comme les gaz responsables majeurs de ce processus de dégradation de la couche d’ozone. On utilise ces gaz dans les bombes aérosols, pour les équipements de réfrigération et de climatisation industriels et domestiques, dans la production de mousses
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protocole de Montréal visant à faire cesser la production et la consommation de chlorofluorocarbures ou CFC au 1er janvier 1996, le développement de la dégradation de la couche d’ozone s’est arrêté. L’effet de serre est un phénomène naturel. La température moyenne de la surface terrestre tient de la teneur en différents gaz de notre atmosphère. L’air est constitué de gaz qui absorbent les radiations infrarouges calorifiques, à l’image des parois d’une serre, opaques aux infrarouges, et qui piègent la chaleur au sein de l’atmosphère. Ces gaz sont appelés des gaz à effet de serre. Sans ce phénomène, la température de la terre serait en moyenne de –18°C et non de +15°C. Au demeurant, des gaz à effet de serre, tels le gaz carbonique145, les chlorofluorocarbones, le méthane, le protoxyde d’azote, grandissent dans la poche gazeuse et relativement de fait à l’oxygène. Primo, les êtres vivants ne parviennent plus à respirer146. Secundo, la planète se réchauffe entraînant un ensemble de catastrophes naturelles. Compte tenu des prévisions faites jusqu’en 2040, si rien n’est fait pour limiter les émissions dommageables, la température moyenne de la terre pourrait augmenter de 4°C.147 Selon le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC)148, le rythme de l’augmentation pourrait être de 0.2°C par décennie. L’augmentation de la température serait alors plus forte aux pôles qu’à l’équateur, plus élevée en hiver qu’en été, et le climat, similaire à celui de l’éocène, époque chaude de l’ère tertiaire, il y a –53 millions à – 34 millions d’années, marquée par la diversification des mammifères149. Certains pourraient alors s’exclamer : « Cessons de craindre le pire et laissons-nous porter par le mouvement supérieur de la nature ». Pourquoi pas ? Parce que ce serait choisir la mort. Il semblerait en effet que les peuplements des écosystèmes ne pourraient s’adapter à des perturbations aussi rapides. La question du rythme de l’évolution est ici capitale. Le réchauffement planétaire, en perturbant le régime des précipitations aurait pour conséquences une aridification des latitudes moyennes de polyuréthanes et de plastiques. 145 La teneur du gaz carbonique dans l’air a augmenté de plus de 25% depuis le début de la révolution industrielle. 146 Il faudrait préciser le propos car les gaz ont tendance selon la température à s’élever naturellement (principe de montgolfière) écartant ainsi le danger de la respiration de ces derniers par les êtres vivants. 147 Un accroissement de 1°C a déjà été observé, bouleversant les écosystèmes marins et ralentissant la reproduction de certaines espèces de poisson. 148 Le GIEC sous la double tutelle du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) et de l’Organisation mondiale de la météorologie, représente un ensemble d’environ 3000 chercheurs du monde entier. Sa mission est d’éclairer les responsables politiques sur les changements climatiques dus à l’intensification de l’effet de serre. Elle est également d’élaborer une réflexion autour des enjeux socioéconomiques de ces évolutions environnementales. 149 A l’époque, des bananiers poussaient en Alaska, in Encyclopédie des sciences de la nature, Editions Larousse, Paris, 1995, p. 139.
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l’hémisphère nord, les plus favorables à la croissance des céréales. Il engendrerait également une hausse du niveau de la mer par fontes des calottes glaciaires, inondant par là même les plaines côtières150 où vivent actuellement plus d’un milliard d’êtres humains. Il pourrait également participer du renversement thermique du Gulf Stream, c'est-à-dire du développement d’un courant froid sur toute la côte atlantique de l’Europe ; on imagine les conséquences sur le climat tempéré et océanique, et de fait sur l’activité agricole d’une partie importante du continent. La vie est ainsi faite. Nous sommes sur cette terre fondamentalement liés les uns aux autres, fondamentalement solidaires. La société industrielle, gourmande en énergie, en agissant sur le cycle du carbone, attire dans sa tombe l’ensemble de l’humanité et parfois sa part la plus innocente peut-être ? L’enjeu des cycles, entre émissions et séquestration Face à cet état des lieux plus ou moins catastrophiste selon les représentations de chacun, la communauté humaine réagit de deux manières différentes. Primo, elle développe des attitudes de protection vis à vis des émissions dangereuses.151 Secundo, elle tente de prévenir les effets néfastes de ces pollutions par la tenue d’un équilibre des cycles dans l’atmosphère entre émission et séquestration des polluants. Assuré d’une part par les émissions en dioxyde de carbone des êtres vivants et de la combustion des énergies fossiles telles que le pétrole, le charbon, et le gaz naturel, et d’autre part par l’absorption en gaz carbonique de la couverture végétale terrestre, le cycle du carbone doit retrouver un équilibre viable. Pour les sociétés humaines, il s’agit donc d’un côté d’utiliser moins de combustibles fossiles grâce à des politiques de développement d’énergies « propres »152 et des politiques d’économie des énergies fossiles, et de l’autre grâce à des mesures de séquestration du dioxyde de carbone (politiques de plantation et de préservation des forêts par exemple). Le protocole de Kyoto a été signé par trente-huit pays industrialisés. Ces derniers se sont entendus pour réduire de 5.2% à l’horizon 2008-2012 les émissions de gaz à effet de serre par rapport 150 Les Pays-Bas ont élaboré un plan de surélévation de leurs digues et polders. Le Bangladesh, territoire dans les premiers touchés, n’a à ma connaissance aucun projet de la sorte. La raison tient sûrement à ses faibles moyens financiers. 151 Les populations commencent donc dans les villes les plus touchées à porter des masques contre les poussières et impuretés présentes dans l’air, ou même contre les grosses particules d’hydrocarbure. 152 Si les Chinois émettaient autant de CO2 que les Américains, ils émettraient plus que les émissions mondiales de l’an 2000. Dans ce sens, il devient évident qu’un autre modèle de développement des pays émergents doit apparaître si nous ne voulons pas courir à la catastrophe.
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aux niveaux enregistrés en 1990. Autrement dit, une réduction de près de 30% des émissions est attendue.153
Les politiques publiques de protection de l’atmosphère Le transport des personnes et des marchandises est à l’échelle de la planète l’une des causes principales des émissions de gaz à effet de serre. L’importance de ces émissions caractérise une équation à quatre inconnues. La première : le choix du mode de transport. La seconde : la distance. La troisième : le temps du déplacement. Enfin la dernière : la quantité effective des déplacements. L’aménagement du territoire ou le territoire pensé comme espace d’échange et de communication est au cœur de la problématique. Une politique économique et culturelle mondialiste ne fera qu’accroître la quantité des déplacements. Une planification urbaine misant sur la densité ne réduit pas la quantité des déplacements mais leurs distances, et de fait la masse énergétique employée à cet effet et les émissions polluantes concomitantes. Autrement dit, on se pose maintenant, dans les bureaux de Rennes Métropole ou d’ailleurs, la question de notre capacité à agir sur ce système de contraintes, d’une part en incitant les personnes à choisir pour leur propre transport ou celui de marchandises les modes les moins polluants ; d’autre part en structurant l’espace géographique vécu, villes et bassins de vie, de sorte à raccourcir le déplacement et le temps du déplacement.
Depuis la LOTI (Loi d’Orientation sur les Transports intérieurs), modifiée par la LAURE (Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie), la loi SRU (Loi de Solidarité et Renouvellement Urbain), le PNLCC (Plan National de Lutte contre le Changement Climatique), renforcé par le Plan Climat 2004, tout un cadre réglementaire a été dressé afin d’engager les collectivités locales à prendre leur part de responsabilité sur cette question.
153 Le Sommet de la Terre, à Rio, en 1992, a marqué la prise de conscience internationale du risque de changement climatique par les états les plus riches pour lesquels une baisse de croissance ne semblait plus supportable et qui étaient en outre responsables des émissions les plus importantes à l’origine du changement. Une volonté de stabiliser en 2000 les émissions au niveau de 1990 se fait entendre. C’est le protocole de Kyoto, en 1997, qui traduisit en engagements quantitatifs juridiquement contraignants cette volonté. A cette occasion, les Etats-Unis immiscent l’idée d’un « droit à polluer », ce qui autoriserait la vente de crédits d’émissions d’un pays à un autre. Les Américains qui n’ont pas signé le protocole de Kyoto défendent également l’idée de la séquestration du carbone, par puits ou reboisement.
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A l’échelle nationale donc, le Plan Climat 2004, succédant au PNLCC, doit permettre à la France d’honorer ses engagements pris lors du Protocole de Kyoto. En matière de transport, le plan porte sur le développement des biocarburants, la limitation des vitesses de circulation, la mise en œuvre de PDE (Plan de Déplacements des Entreprises), et le développement du report modal en faveur des transports collectifs. Au niveau régional, le PRQA (Plan Régional pour la Qualité de l’Air) signé en Bretagne le 9 avril 2001, a pour objectif premier de diminuer les rejets des automobilistes en encadrant les choix urbanistiques, en limitant l’étalement urbain, en favorisant le report modal, la multimodalité des transports, la fluidité des trafics par des aménagements routiers, l’utilisation de véhicules moins polluants, enfin le covoiturage. A l’échelle du Pays, le SCOT (Schéma de Cohérence Territoriale) oriente les choix politiques d’aménagement en élaborant un document réglementaire opposable au PLU (Plan Local d’Urbanisme), PDU (Plan de Déplacement Urbain), et PLH (Plan Local de l’Habitat). Le SCOT succède au Schéma Directeur, relatif au Pays non au District qui n’existe plus depuis la LOADDT154. Il est un outil de planification territoriale, des déplacements entre autre. A l’échelle de l’agglomération, le PPA (Plan de Protection de l’Atmosphère), ainsi que le PDU (Plan de Déplacement Urbain), définissent les mesures concrètes à prendre. L’élaboration du PPA est prévue pour les agglomérations de plus de 250 000 habitants. Il oriente globalement les politiques préventives et correctives sur le champ d’application des collectivités locales. Il réglemente l’information du public en cas de dépassement des seuils réglementaires. Il détermine les mesures d’urgence à prendre en cas de dépassement du seuil d’alerte pour le dioxyde NO2 : circulation alternée, limitation des vitesses et modification des itinéraires de circulation. Le PDU, élaboré pour toute agglomération de plus de 100 000 habitants, disposant d’un périmètre de transports urbains (PTU), a pour objectif de développer les moyens de déplacements les plus économes en énergie et les moins polluants. Le PDU de l’agglomération rennaise a donc 154
La LOADDT, Loi d’Orientation pour L’Aménagement et le Développement Durable du Territoire, du 25 juin 1999 modifiant la loi du 4 février 1995, propose d’organiser le développement durable à partir de schémas sectoriels : les schémas de services collectifs, déterminant des stratégies en termes d’enseignement, de culture, de santé, de communication, de transports, d’énergie, d’espaces naturels et ruraux, de sport. Sur le plan géographique, elle propose une organisation du territoire en agglomérations et en pays. De la sorte, elle offre l’occasion d’une recomposition du territoire par bassins de vie et par là une solidarité entre les territoires. Les schémas de services collectifs sont mis en œuvre selon une procédure contractuelle au niveau régional. Aussi la LOADDT généralise le contrat, avec le Contrat de Plan Etat-Région, le Contrat d’agglomération, enfin le Contrat de pays.
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un « rôle majeur à jouer pour limiter les effets des déplacements dans l’agglomération (…) et pour accompagner les gains dûs à la réglementation, aux améliorations techniques, et surtout aux changements de nos habitudes de déplacements quotidiens »155. La visée du Protocole de Kyoto pour la France est le référent du PDU, à savoir que les mesures engagées doivent répondre à cette exigence de stabilisation des rejets. A l’échelle de la ville, le PADD (Plan d’Aménagement et de Développement Durable), volet du PLU (Plan Local d’Urbanisme), doit être lui aussi l’occasion de creuser la question du transport et de rendre cohérent en matière d’habitat et d’urbanisme les mesures élaborées lors du PDU, à l’échelle de l’agglomération.
Au travers du mythe du jardin des délices, et celui de l’éternel retour, l’homme s’est imaginé capable de vivre dans l’abondance éternelle. Il a perçu la nature non comme un milieu sous contraintes, mais comme espace de jouissance, et qui lui devait tout, du fait de la volonté divine. Cette promesse de vivre la complétude était selon les chrétiens gage de mérite. Les Hommes, dans leur marche vers le progrès, s’exécutent ainsi comme ils mobilisent toutes les ressources dont ils pourraient connaître le besoin ou le désir. Seulement, cette promesse du retour au tout est en réalité un espoir infantile de recouvrir la jouissance première de l’Idéal du moi (dont nous allons reparler), cette jouissance vécue dans la relation à la mère, pour laquelle la satisfaction ne nous trahissait pas encore, pas plus que le besoin. Seul le plaisir, la volupté remplissaient le creux de nos existences. En progressant, nous cherchons en réalité à reconduire cet état indolent, cette perfection existentielle, cette absence de limites qui nous fait tout-puissants, comme si nous parvenions à nous défaire des chemins de l’Histoire et que nous nous butions à exiger de rejoindre ceux de l’éternité. Mais la planète nous rappelle qu’elle n’est pas une corne d’abondance, que la rêverie qui nous permet d’assumer un quotidien éprouvant doit trouver son terme. Fini de croire au toujours plus, terminé l’espérance d’une abrogation des souffrances. La loi de Dieu est celle du sacrifice et une jouissance sans répit conduit sans détour à la mort. Nos attentes, notre bêtise, celle de nos croyances, nous ont donné 155
Voir le document de présentation du Plan de Déplacements Urbains 2007/2017, projet arrêté par le Conseil d’Agglomération de Rennes Métropole le 21 septembre 2006.
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rendez-vous à l’heure de la pénurie d’eau potable, d’air respirable, ou de matières premières, indispensables à notre vie sur terre et à la pérennité de notre civilisation.
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B. La relation Homme/Nature, du duel au non-duel L’Homme n’a cessé de ressentir au travers de son histoire le besoin de déterminer son rapport à la nature, ce rapport qui s’est largement diversifié selon les civilisations ; si bien qu’il recouvre dorénavant un ensemble sémantique pluriel non sans ambivalence. Au demeurant, dans notre monde moderne occidental, la relation Homme/Nature semble avoir pris une direction majeure qui participe de la définition du sujet, et avec lui de l’économie qui le lie à son environnement. Dans l’expérience de la civilisation, la Nature n’a jamais cessé de faire l’objet de différentes représentations. Elle constitue même le référent premier qui va organiser les structures culturelles et psychiques des êtres humains. Tour à tour, et en Occident particulièrement, les hommes se sont appliqués à se dégager de la nature : nature à combattre, nature à maîtriser, nature à préserver ; ou à s’identifier à elle : la nature comme seul modèle de référence valable. L’homme primitif, selon Freud, avait au préalable cherché à se dégager de sa propre nature pour accéder à la civilisation. Il aurait combattu en premier lieu ses propres pulsions naturelles, entendez sexuelles, pour faire céder l’attrait libidinal et incestueux, forme de barbarie, et s’ouvrir au processus civilisateur. L’homme primitif, associé aux névrosés, aux enfants, aux fous, et à tous ces groupes qui manipulent la matière naturelle au quotidien est apprécié comme un sauvage, parangon de la vulgarité, incapable de manquer à sa satisfaction libidinale. Ainsi, en luttant contre la nature, l’homme lutte contre lui-même, lutte contre l’animal qui sommeille en lui, lutte en vue d’une domestication de sa nature bestiale. La référence à l’animal est en effet très présente pour se définir en tant qu’homme. Et il n’est pas rare, à l’antiquité comme au moyen-âge de rencontrer dans les mythes et les symboles156, des hommes mi-hommes mi-bêtes qui laissent libre cours à leur agressivité et leur instinct sexuel. Souvent associé à la forêt, à cette nature dense et obscure, débordante et mystérieuse, cet homme primitif devient bête à abattre. Il est celui qu’il s’agit de démasquer chez les autres et en soi-même, d’extraire, d’étouffer, de mettre au ban, hors de nuire.
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Voir notamment l’ouvrage de Mircea ELIADE, Aspects du mythe, Collection Folio Essais, Editions Gallimard, Paris, 1963.
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1. Le refus du subissant, le développement de la « noosphère » Selon le mythe des origines de Freud157, le processus de civilisation est entièrement lié à cette extorsion des attraits libidinaux de l’enfant pour le parent et du parent pour l’enfant. L’interdit de l’inceste, comme il se doit de l’appeler, ferait passer l’homme, - de la horde à la société, de la barbarie à la culture, - de la féodalité à la démocratie, de la loi du père à celle du frère. Au cœur de cet interdit : la castration. Au cœur de la loi, l’amour filial et fraternel. En cela, nous trouvons les prémisses d’une structuration psychique du ça : relique naturelle, et du surmoi : appendice civilisationnel. Entre ces deux éléments, il y aurait déchirure. Dans cette division interne, se développerait la névrose ; car l’homme garderait, en intimité, dans son inconscient, ses désirs non assouvis et ineffables, pour son parent. Pour Freud, la culture naît donc de ce creuset où la sexualité prend une place importante, naît de cette division entre l’homme de la polis et celui de la pulsion. Cette dissociation première va s’emparer du réel et diversifier les formes symboliques pour rappeler au quotidien les hommes à leur devoir d’humanité. Elle donne corps à cette retenue : la seule qui puisse imposer la grande histoire de la civilisation. La culture assure donc cette dissociation, par le langage, et par un ensemble de symboles structurants, - entre l’Homme et la Nature. Elle se départit ainsi de son origine, entretenant le conflit tragique et presque légendaire entre le pur et l’impur, le civilisé et le barbare, le manifeste et le latent, la surface et la profondeur. Ce conflit apparaît comme une mise en débat de la pression collective avec les exigences de l’instinct, du social avec le biologique. Les points de vue et les catégories de pensées se construisent ainsi dans un rapport de vis-à-vis avec la nature pour laquelle la notion de frontière se fige afin de différencier toujours plus ce qui est naturel de ce qui ne l’est pas, de ce qui va dans le sens de cette rupture ou pas, établissant à jamais la notion de bien et de mal, de normal et d'anormal. Corrélativement, la culture est valorisée, les distinctions comportementales vouées en partie à une reconstruction artificielle de l’altérité comme cadre inaliénable comparatif aussi, tandis que l’instinct, dernière trace du temps où l’homme n’était que « nature », est à éradiquer si ce n’est à réprimer. Autrement dit, la mauvaise conscience de l’homme date du début du monde et n’est « rien d’autre qu’un commentaire plus ou 157
Le chef archaïque de la horde primitive est assassiné par ses fils. Dans une sorte de culpabilité ambiguë, ils rétablissent l’autorité du père par le biais de la loi, devant être respectée par tous. Cette loi n’est plus un arbitraire mais le résultat d’une négociation : un contrat. Ils renoncent ainsi à posséder toutes les femmes. Ils instituent par là un ordre sacré, l’exogamie et la société. Voir à ce sujet l’ouvrage de Sigmund FREUD, Totem et tabou, Collection Petite bibliothèque Payot, Editions Payot & Rivages, Paris, 2001.
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moins fantastique d’un texte inconnu, peut-être inconnaissable, mais ressenti, celui de nos pulsions les plus profondes »158. Ce mythe des origines, sorte de mise en scène imaginaire des tensions entre nature et culture, oriente une idéologie duelle, où cette croyance à une réalité comportant deux éléments opposés et complémentaires permet de toucher une certaine vérité ontologique de l’être humain. En cela, dans le même temps que la culture est appréhendée positivement, parce qu’elle est gardienne du temple de la civilisation, la nature est vue négativement, comme tous ceux qui s’en approchent de trop près, parce qu’elle ramène l’homme à son état primitif. Cette discrimination qui sous-tend des conceptions exclusives du réel ne tarde donc pas à orienter les êtres humains non seulement vers une division interne à eux-mêmes, mais également à une division externe, c'est-à-dire à une division au sein de la grande civilisation humaine. Il y a en effet toujours plus lubrique que soi, plus inachevé, plus barbare, … plus autre. L’altérité, conçue comme telle, devient par là, avant d’engendrer reconnaissance et inter-définition, une forme d’exclusion ; quand la perfection est une. La pensée exclusive Les civilisations se sont évertuées, au cours de leur histoire, et la civilisation occidentale la première, à se revendiquer culturellement supérieure. Les croisades, le prosélytisme, le colonialisme, les divers intégrismes, ont servi d’instruments à ce postulat. La figure du héros, symbole de ce primat, subjugue l’humanité toute entière ; car l’autre est partout, partout où il y a identification au modèle culturel, au modèle de référence garant de l’homme « sur-naturel ». La sauvagerie de l’autre, selon la psychanalyse, est une construction mentale imaginaire, une projection sur l’autre de la véritable sauvagerie qui est profondément enfouie en nous-mêmes. Dans ce cadre, l’Homme ne se reconnaît pas de semblable autre que celui de son clan, générant des notions d’autre, de différent, d’étranger.159 L’autre comme animal exclu du moi idéal160, c'est-à-dire du moi représentatif, voire du moi bourgeois, fait apparaître ainsi le bouc émissaire, celui qui va porter ce que l’on ne peut accepter de porter soi-même. Et il n’est pas rare pour les 158
Friedrich NIETZSCHE, dans l’article de Jean GAYON, « Nietzsche, le déchet et la sélection », in Le déchet, le rebut, le rien, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Claude BEAUNE, Collection Milieu, Editions Champs Vallon, Seyssel, 1999, p. 78. 159 Voir notamment à ce sujet l’ouvrage de Julia KRISTEVA, Etrangers à nous-mêmes, Collection Folio Essais, Editions Gallimard, Paris, 1988. 160 Sur ces notions voir l’ouvrage de Jacques LACAN, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse : 1954-1955, texte établi par Jacques-Alain Miller, Collection Le séminaire de Jacques Lacan, Editions du Seuil, Paris, 1980.
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sociétés qui pourraient apparaître comme étant les plus cultivées, comme celle de l’Allemagne d’avant-guerre, de se voiler la face, d’épouser en cela la barbarie, et avec elle la conviction que l’on a de n’être pas concerné par le sauvage. Donc, l’idée de culture sous-entend que l’homme possède une vision par laquelle il se dissocie de la nature, et par-là, une capacité de maîtrise sur elle, qui, en retour, l’en désolidarise, organisant toute une pensée fondée sur cette dichotomie nature/culture. Le primat culturel, sorte de primat de la domination de l’homme sur l’animal, ne cessera d’être le chantre de la toute puissance humaine, d’un destin humain devant inéluctablement triompher de la nature. Le christianisme, en légitimant, grâce à Dieu, la position supérieure de l’Homme, a dans cette logique érigé une tradition pour laquelle figure toute une batterie de principes qui, s’ils sont suivis, promettent le paradis. « Soyez la terreur des êtres vivants, de tout animal de la terre, de tout oiseau du ciel, de tout ce qui se meut sur la terre, et de tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains… », nous dit la Bible.161 Refuser de se soumettre et chercher à soumettre la nature. La nature contre l’homme. L’homme contre la nature. La nature ou l’humanité. L’un ou l’autre. La nature : objet. La culture : sujet. Cette première discrimination a permis à une conscience morale d’articuler entre elles les notions d’objet et de sujet empruntant par là les premiers sentiers du langage et plus tard du rationalisme. De la nature : origine, à la culture : point de fuite des civilisations, se modèlent des principes majeurs organisationnels en perpétuelles interrelations162. Peu à peu, l’homme glisse alors d’un monde où la nature est maîtresse à un monde où il devient le maître. La figure du maître amène les sociétés à confondre l’univers avec le monde, le réel avec l’ensemble des représentations qui le définissent, comme si la nature restait sans essence au-delà du langage. Par cette dissociation, ou ce dédoublement, il remplace le réel par la figure du réel, le mythe, par celle de l’image, du sens, de Dieu. Il passe alors de la sphère cosmologique et unitaire à une sphère noologique et pluraliste. L’individu commence ainsi à apparaître et avec lui la diversité qui lui est propre. Dès lors, la dialectique essence/existence fonctionne de manière analogue dans un rapport binaire qui ne cesse de parachever cet ensemble dichotomique dans un jeu 161
Genèse IX2. Sur ces questions, voir l’ouvrage d’Edgar MORIN, Le paradigme perdu : la nature humaine, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, 1973. 162
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d’interactions entre objet subissant et sujet agissant, sujet subissant et objet agissant. La structure s’élabore ainsi dans un double mouvement du structuré et du structurant. Dans ce cadre de pensée, le milieu apparaît sans entité propre mais comme un creuset que l’homme cherche à rendre plus maîtrisable. En lutte contre la mort, l’homme lutte contre la nature. En construisant des villes comme enclaves spatiales et milieux protégés, il cristallise la dissociation et accroît la distance. En fondant une morale comme espace social d’harmonisation et de solidarité, il réduit les rapports de concurrence et de conflit entre les individus par le biais de traditions sociales hiérarchiques. Il s’offre le privilège d’une structure dynamique d’évolution. En objectivant ainsi la nature, on tend de fait à considérer l’être humain à l’écart de toute catégorisation naturelle. Tout est alors bon pour justifier les formes archétypales et les valeurs éthiques. La pensée s’est écartée du réel ; elle s’éloigne du référent et lui préfère l’exemple. L’individu hors-du-monde163, comme étant le plus détaché de la nature, est alors considéré comme l’être de vérité et la réalité des stratégies entre les individus est abaissée à la vulgarité d’une nature encore trop présente. Les grandes figures héroïques donnent le ton. L’individu hors-du-monde instruit l’homme dans le monde. L’homme dans le monde perd le droit de diriger sa propre existence, la raison ou même la norme n’étant pas négociable entre les hommes mais du ressort de Dieu. De l’idée à l’idéalisation Ainsi, par la formation de ces principes sociaux et moraux, on fait passer la notion de vivre-ensemble non comme une réalité naturelle 164, mais un fait objectivé, une norme. La communauté est alors par idéalisation un projet, une quête, un but à atteindre. On ne fait pas les choses en référence directe à l’autre, au groupe, au milieu, et à la mort, dans une démarche omniprésente d’écoute des processus sociaux et des phénomènes environnementaux, c’est à dire en référence à une certaine idée de la conscience au sens d’anticipation, et de liberté de choix, mais à ce qui permet de se réunir autour du sens commun représenté par Dieu, autrement dit une autre idée de la conscience. L’autorité165 prend alors toute sa teneur en permettant d’une part, de stabiliser les configurations sociales et de pérenniser les traditions ; d’autre part, en étant l’instrument 163
Voir sur ces notions l’ouvrage de Louis DUMONT, Essais sur l’individualisme, Une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, op. cit.. 164 Au sens où l’entend Edgar MORIN, op.cit.. 165 Voir à ce sujet l’ouvrage d’Hannah ARENDT, La crise de la culture, op. cit..
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de légitimité de l’unité de la communauté sur la pluralité des individus, ayant pour finalité la société. On élabore par-là un langage commun, un paradigme qui énonce les priorités autour desquelles un discours cohérent se construit. Le pouvoir politique se partage de fait avec les instances religieuses et le monde suit le cours des idées qu’on lui attribue, comme objet figé, circonscrit, spirituellement et scientifiquement jalonné d’idées "éthiquement" correctes. Ce qui est reconnu est normal, ce qui reste inconnu ne l’est pas, reste en dehors de toute représentation ou même rationalité, et demeure inexistant en terme de valeurs, échafaudage qui contribue encore aujourd’hui au divorce de l’homme et de la nature, à son inacceptation du réel, auquel il appartient bon gré mal gré, et qui, a contrario, pour les philosophies orientales représente la seule référence valable. Ainsi donc, jamais l’homme n’est plus compris comme un état de nature quand la pensée occidentale n’a de cesse de travailler à l’en dégager.
2. Pur et impur, déchets et pollutions Dans une intersubjectivité structurante, le monde des représentations, fondé sur la discrimination symbolique définie par la règle selon laquelle l’un se détermine à la lumière de l’autre, se répand donc dans tous les domaines d’activités humaines. Un mécanisme quasi logique, s’accomplissant spontanément selon les besoins d’une économie libidinale, obère l’unité cosmologique. A partir de l’interdit de l’inceste, surgissent des valeurs logiques nées de projections libidinales sur des objets à la base interchangeables mais qui élaborent l’ordre social et symbolique. Par le langage, forme d’exclusion par excellence, on écarte précisément, comme un impératif, ce qui ramène à l’unité originelle, c'est-à-dire tout rapport à la mère, matrice, englobante, naturelle, et par la même, puissance démoniaque d’abjection. Se différencier, c’est donc peut-être avant tout, se différencier d’avec la mère, qui menace, par sa dévoration, le propre : le moi. « L’enfant donc, sinon naturellement du moins par contiguïté ou par continuité, est attiré par sa merde et par sa mère alors que l’adulte ne l’est plus. C’est l’étape finale enregistrée. L’hypothèse que j’émets, c’est que les objets dégoûts ont été verpönt, honnis, et non pas verdrängt, refoulés. »166
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Lucien ISRAËL, La jouissance de l’hystérique. Séminaire 1974, Collection Essais Points, Editions Arcanes, Paris, 1996, p. 148.
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De l’ordre symbolique Cet ordre symbolique du propre, aux deux sens du terme, corrobore à une départition des formes, par l’inclusion et l’exclusion, le dedans et le dehors, comme forme du langage, c’est à dire comme langue. Le propre, comme la propriété, voire la propreté, renvoie ainsi à un ordre symbolique porteur de vices et de vertus. 167 Le tabou, au cœur du langage donc de la morale, comme pour définir ce qui appartient à l’état idéal et à ce qui en est le rejet, rend compte d’une structure dichotomique où tout objet prend une place sur l’échelle des valeurs ainsi définies, qui vont du bien vers le mal, de la pureté la plus cristalline à la souillure la plus putride, autrement dit à ce qui se détache le plus promptement de la matrice ou à ce qui nous y ramène inéluctablement. Dans cette expérience d’humanité, deux moments cruciaux recouvrent cette valeur symbolique de l’impur : la naissance et la mort. La naissance, du fait même de cette forme hybride en fusion avec la mère168 qui menace le moi de toute existence propre. La mort, qui nous invite, par la décomposition, à retourner à notre état organique primaire. Toute matière en transformation peut donc apparaître digne d’abjections, puisqu’elle sort des catégories lisibles, représentées, reconnues, possédées, soit objectives. La matière transformée, en repoussant les limites langagières, comme limites du défini, en devenant cet innommable, cet entre-deux, nous renvoie à une perception mortifère de l’existence. Par le langage, le processus du détachement du moi au non-moi relègue ainsi aux objets la part symbolique d’une exclusion vitale et « vitalisante ». Informe, donc infâme, en état de panne sémantique, dans ce passage de la vie à la mort, le déchet comme catégorie va enserrer cette part de réel et porter symboliquement les angoisses de mort que nous devons affronter ça et là au cours de notre existence. Le trou attire l’ordure dit-on. L’eau également, car son courant l’emmène loin, très loin, là même dont on ne sait rien surtout. Le déchet, comme représentation, en détenant ce « pouvoir de l’horreur »169 fait écran à la violence qu’exerce le réel sur le sujet, ou plutôt sur son 167
« Il n’y a pas de bon ou de mauvais en soi, ou de naturel, du moins du point de vue du goût. Il suffit de franchir n’importe quelle frontière pour découvrir que ce que mange les voisins d’à côté, c’est absolument infect et on ne comprend pas qu’ils ne soient pas encore tous morts, à voir les saloperies qu’ils nous font bouffer. Tout le monde sait que seule la nourriture de son pays est comestible, et encore quand je dis de son pays, c’est plutôt de son territoire, de sa région car, même par rapport aux voisins, ça se distingue. Le bon objet merdique de la mère est strictement spécifique et destiné à sa propre portée, à cette mère, il n’est pas exportable. », in Lucien ISRAËL, op. cit., p. 148. 168 Pour Julia Kristeva : « L’interdit de l’inceste tire le voile sur le narcissisme primaire et les menaces, toujours ambivalentes, qu’il fait peser sur l’identité subjective. Il coupe court à la tentation d’un retour, abject et jouissant, vers ce statut de passivité dans la fonction symbolique où, flottant entre dedans et dehors, douleur et plaisir, acte et verbe, il trouverait avec le nirvana, la mort. », in Julia KRISTEVA, Pouvoirs de l’horreur, Collection Essais Points, Editions du Seuil, Paris, 1980, p. 76. 169 En référence à l’ouvrage de Julia Kristeva cité ci-dessus.
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monde. En effet, l’idéal, forme de forclusion du réel, paroxysme de pureté, oppose au déchet le reflet négatif dont il est l’origine. En cela, le symbole de l’exécrable permet de dégager sur le plan aménagé de la représentation toute la violence suggérée par l’idée de mort. Le déchet, sorte de bouc émissaire, est celui qui va donner lieu, par un transfert, au défoulement du sujet. Il est l’espace où le refoulement devient défoulement, où l’énergie libidinale va se projeter et charger le signifiant, donnant lieu parfois à des rituels expiatoires. Pour autant le sacrifice, comme expulsion vers le dehors, est à regarder comme une purification vouée à unifier les sociétés. La crainte de la souillure, via une adhésion au pur et au civilisé, va donc organiser un système de protection symbolique de l’ordre culturel. Grâce aux interdits, on s’oppose à la contagion de la souillure. On préserve alors la santé morale du corps social, on protège son unité. Comme si le désordre préexistait à l’ordre, comme si l’expérience essentiellement chaotique parce que naturelle devait être supplantée par la démarcation, la séparation, la croyance, le construit. « C’est seulement en exagérant la différence entre intérieur et extérieur, dessus et dessous, mâle et femelle, avec et contre, que l’on crée un semblant d’ordre. (…) La réflexion sur la saleté implique la réflexion sur le rapport de l’ordre au désordre, de l’être au non-être, de la forme au manque de forme, de la vie à la mort. », nous explique Mary Douglas.170 Le déchet, du verbe déchoir, cadere en latin, qui choit, qui tombe donc dans l’obscène de l’autre monde, celui qui n’est pas conforme à l’idée qu’on s’en fait, est l’élément phobique par excellence.171 Tel l’excrément, déchet humain, rejet organique, le sale est associé à la faute, au péché, à la souillure. L’excrément devient ainsi l’ombre de l’homme, sa mémoire, sa trace, son désordre, en cela que la propreté, voire la pureté, ne peut avoir d’histoire. Comme l’idéal, la pureté préexiste à toute forme de vie. Il n’en est donc jamais fini de se purifier voire de s’épurer. Comme si la perfection de l’homme revenait à faire de lui un être sans déjection, un être sans histoire. Maints rituels, telles les ablutions avant la prière chez les musulmans, ont pour but de réprimer la puanteur de la déjection. Ces préoccupations hygiénistes ont, au-delà des soucis sanitaires courants, emprunté un chemin souvent totalitaire mis en forme par des comportements excessifs, voire intégristes.
Par une tyrannie tatillonne donc, voire intransigeante, la pureté
dévalorise, enferre, et finalement condamne à l’impur. « Le paradoxe de la quête de la 170
Mary DOUGLAS, De la souillure : essai sur les notions de pollution et de tabou, Editions de la Découverte, Paris, 1992, p. 26-27. 171 Le névrosé obssessionnel pourra par exemple chercher à se soustraire au monde, en se mettant à l’écart des autres pour éviter de s’y corrompre, de s’y salir.
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pureté est que c’est une tentative pour contraindre l’expérience à entrer dans les catégories logiques de la non-contradiction. Mais l’expérience ne s’y prête pas, et ceux qui s’y essaient tombent eux-mêmes dans la contradiction »172. Pour Georges Bataille, cette « part maudite »173 est une intolérance vis-à-vis des choses de la nature. Pour Nietzsche, « Le monde subsiste ; il n’est rien qui devienne, rien qui passe. Ou plutôt : il devient, il passe, mais n’a jamais commencé de devenir ni cessé de passer, il se maintient dans l’une et l’autre activité… Il vit de soi : ses excréments sont sa nourriture ».174 Ainsi, par le biais de maintes déclinaisons relatives à la déchéance, et par la diabolisation de tout ce qui va à sa fin, un déni s’opère. L’exutoire que représente l’objet déchu nous engage à remplir la poubelle de notre âme sans prendre gare aux effets d’accumulation. L’idéal de pureté en niant, par socialité, ce qui n’est pas insérable dans son rapport au monde, nous engage à rejeter et à entasser, si bien que nous sommes souvent, en fin de vie, très embarrassés voire très angoissés, quand des relents nauséabonds surgissent lors de nuits sans sommeil. Pareillement, les sociétés progressistes n’intègrent pas le déchet en cela qu’il n’appartient pas en propre à l’idéal de production/consommation tel qu’il est défini et adoré. L’excrément, la chiffe, l’objet désuet et inutile, tout ce dont on doit se dégager, est donc assimilé à une seule et même chose : ce qu’on appelle communément, la merde. Cette merde, définie par le fait même qu’elle doit être jetée, est la plupart du temps dans le psychisme comme dans la vie, enfouie, ou dans nos couches inconscientes les plus profondes, ou à quelques dizaines de mètres sous terre.175 Mais, tel le lapsus dénonce la teneur de notre inconscient, le déchet remonte subrepticement à la surface. Il pollue les nappes phréatiques, les rivières, les fleuves, les terres agricoles, et l’atmosphère. Il se répand dans notre vie, comme si nous ne pouvions tout à fait le maîtriser. Ainsi, ce qui aura été oublié, occulté, repoussé, éloigné et banni, autant sur le plan psychique que physique, garde, outre la terreur qu’il génère, une existence bien réelle. La nature nous demanderait-elle au final de nous en charger, de nous charger de cette décharge ? Pourrait-on être malade de nos déjections, étouffé par nos matières fécales, croulant sous l’immondice de notre monde aseptisé ? Le bourgeois, 172
Mary DOUGLAS, op. cit., p. 174. Jean GAYON, « Nietzsche, le déchet et la sélection », in Le déchet, le rebut, le rien, op. cit., p. 70. 174 Friedrich NIETZSCHE, La volonté de puissance, II, p. 532, in Jean GAYON, idem, p. 70. 175 Un enfouissement toujours plus profond de déchets industriels est préconisé par certains. On a pu par exemple proposer l’utilisation du phénomène de dérive des continents pour faire passer les déchets sous les plaques tectoniques. Dans un autre registre, on pense également à des systèmes de cimetières sidéraux, en installant sous orbite notre « petit paquet ». 173
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à l’univers le plus discriminant sur l’échelle sociale, est le premier touché tellement il n’intègre cette partie de lui-même, à moins qu’il ne cède sur son désir impur de s’encanailler dans les bas-fonds. Si le sacré peut ordonnancer au cœur du langage la notion de pur et d’impur, des formes profanes de résistance et de contre pouvoir ont au demeurant depuis toujours opérer. En effet, l’idéal civilisationnel, qui « linéarise » l’Histoire comme on l’a vu, n’est pas seule acception. Une manne toujours vigoureuse, accule les puristes, hygiénistes, culturalistes et rationalistes devant un naturalisme voire un vitalisme, qui se réactualise selon les époques et qui fait triompher l’idée du cycle.176 Naturalistes contre culturalistes Dans son histoire de la nature, Serge Moscovici177 reprend cette dialectique et oppose ces deux courants de pensée qui, pour lui, ont existé de tout temps : les courants culturalistes et naturalistes. Il y aurait donc ce premier courant, celui de la culture, courant orthodoxe. Il représente la lignée de Caïn178, c’est la part sédentaire de la civilisation. Les hommes de la culture sont de ceux dont le désir se fonde sur la maîtrise de la nature quand ils cherchent à la domestiquer toujours davantage, et à se distancier d’elle. Pour ces derniers, la nature est associée au biologique, au pulsionnel, au primitif, à l’infantile, au libidinal. Leur mode d’organisation suit un ordre strict et conventionnel, calqué sur un idéal sur lequel un présent doit se projeter. Cette vision ascendante de l’évolution oriente une compréhension très hiérarchisée de la société pour laquelle le progrès est un mot d’ordre. Et puis, il y a ceux de la nature, le courant hétérodoxe. Les hommes de la nature figurent, pour Serge Moscovici, la part nomade de la civilisation, c’est la lignée d’Abel 179. Les choses de la nature sont l’incarnation même de la nature en l’homme, exprimant sa spontanéité et son animalité. Les naturalistes n’ont pas rompu avec cette part sauvage en eux-mêmes et recherchent la sensibilité, la plénitude et la joie au-delà des interdits. Leur
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« Le rationalisme est une position ascétique de défiance envers la nature, d’orgueilleuse domination de celle-ci, une croyance en l’objectivité du péché et, par conséquence, un dualisme opposant le spirituel et le naturel. Le vitalisme est une croyance en la naturalité du surnaturel, un panthéisme qui prône l’unité de la nature et de l’esprit ? L’un veut soumettre et penser, l’autre préfère libérer et jouir. », in Jean-Philippe ZIPPER et Frédéric BEKAS, Architectures vitalistes, Editions Parenthèses, Paris, 2000, p. 4. 177 Voir à ce propos, Serge MOSCOVICI, La société contre nature, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, 1994. 178 Caïn, fils d’Adam et Eve, assassine son frère Abel par jalousie. 179 Abel, frère de Caïn, est un berger nomade. Il vit dans et avec la nature.
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rapport à la sexualité s’exerce dans la jouissance exubérante de l’attrait pour la fécondité, et de tout ce qui est création.180 On aurait avec les culturalistes, la rigueur de l’école classique très ordonnancée, et avec les naturalistes, le baroque proliférant et rabelaisien des adorateurs de Dionysos. Pour les uns, on doit se couper de la nature, pour les autres, c’est elle qui est à l’origine de tout. On retrouve dans cette typologie duelle de l’humanité deux scènes originelles, celle de la mère, « infiniment bonne » telle qu’on a pu la décrire dans le premier chapitre, abondante, et débordante même, et celle du père, castrateur, séparateur de l’enfant d’avec la mère, lui permettant reconnaissance de lui-même, identité, et accès au langage.181 Pour chacun de nous, ces deux parties, sont à l’origine d’une névrose première, ou conflit intérieur entre le ça et le surmoi. En chacun de nous, nous explique Serge Moscovici, s’affrontent un être patient et raisonnable, qui invente et supporte le détour, et un être sensible qui exige immédiatement le retour à tout et à tous. Ainsi les naturalistes ont tous en commun, et à toutes les époques, qu’ils s’appellent Marc Aurèle, Montaigne, Rousseau, Kant, Schelling, Bergson, Serres, Moscovici ou Morin, une vision, non pas duelle mais unitaire de la nature. Tous prônent une écoute profonde de la nature, refusent les identifications obligées, intégrant par là la culture dans une grande histoire de la nature. Dans cette optique, ce qui serait conforme à la nature, le serait de fait à la raison. La nature « aurait ainsi toujours le dernier mot », comme une force première, englobante et définitive. Conformément aux stoïciens, la vraie sagesse serait ainsi de parler et d’agir en écoutant la nature. La nature, presque comme si elle avait une âme. Elle en a d’ailleurs une pour certains. On la nomme Gaïa chez les adeptes du New Age182. Sophocle utilise lui le terme de « déesse terre ».183 180
« La sexualité est inclassable, elle est le seul mystère vrai : elle n’appartient pas à l’univers de la souillure, car loin d’être dégoûtante, elle est passionnante. Elle est dangereuse cependant, source inépuisable de troubles, individuels ou sociaux. Mais elle ne peut être interdite, car la société s’anéantirait. Il faut se résigner à en faire une activité hautement surveillée, conditionnelle, l’interdire certains jours, prohiber certaines femmes, la décréter incompatible avec la chasse, la guerre ou le travail de la forge ; l’isoler, la circonscrire de manière à ne jamais se laisser déborder par elle. (…) Fondatrice de l’ordre symbolique, la sexualité n’en échappe pas moins à sa contrainte. A la limite, on la tiendra pour un crime contre l’esprit. Mais il faudra pour fonder l’Esprit sur des bases enfin rassurantes, se réfugier dans le rêve chimérique de la désincarnation.», in Mary DOUGLAS, op. cit., p. 20. 181
La prohibition de l’inceste, pour Lévi-Strauss, oblige les hommes à communiquer. Ils passent alors d’une structure de la procréation à une structure de la parenté. Ils fondent ainsi la culture. Pour ces questions, voir notamment l’ouvrage de Claude LEVI-STRAUSS, Anthropologie structurale II, Collection Agora, Editions Pocket, Paris, 2003. 182 Sur ces notions voir l’ouvrage de Michel LACROIX, L’idéologie New Age, Collection Dominos, Editions Flammarion, Paris, 1996. 183 Alain LIPIETZ, Qu’est ce que l’écologie politique ? La grande transformation du XXIème siècle, Collection Sur le vif, Editions de la Découverte, Paris, 1999, p. 19.
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Par conséquent, pour les naturalistes, les choses de la matière recouvriraient une perfection qui surpasserait de loin les choses abstraites. L’organisme biologique comme organisation suppléant la loi est le principe fondateur. Il est universel parce qu’il est processuel et parce qu’il intègre l’humanité à une continuité sans faille. Par là, la sensibilité et l’intuition comme conscience globale d’un au-delà de l’analytique sont au devant de la scène. Elles permettent de capter l’essence même de cet « élan de vie », tel qu’en parle Bergson184, d’une dynamique productive et mouvante. L’objet ne peut ainsi plus tout à fait être mis à distance, circonscrit, jalonné, étiqueté, défini, l’ensemble des éléments étant perçu en perpétuels mouvements et interactions. C’est bien le système pour ne pas dire l’écosystème qui apparaît là, fidèle aux premiers concepts idéalistes allemands. Reconduite selon les conjonctures, cette désaffection de la séparation du sujet et de l’objet, par les philosophes, les artistes, les penseurs naturalistes, nous invite à comprendre l’existence comme un phénomène 185 ; le phénomène du vivant, bioculturel186 disent certains, complexes187 disent d’autres, entre espèce, individu et société. La nature figurerait ainsi l’organisation visible de notre entendement, ordonnatrice de l’unité entre le macro et le microcosme. La question de l’amour, chez les naturalistes est de fait prépondérante, car il n’est d’entité à exclure. Cette philosophie de l’inclusion, de reconnaissance des opposés, et d’acceptation pleine et entière de ces derniers, donne à penser l’homme en son unité, l’homme réunifié. C’est la philosophie du paradoxe, de l’ouvert, telle qu’Oscar Wilde, pour qui il n’est de création sans contraire, pouvait lui-même s’y référer : sorte de mise en débat tonique de la vie, préalable à tout devenir.188
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Voir notamment l’ouvrage de Pierre RODRIGO, La pensée et le mouvant, Bergson, Collection Philotextes, Editions Ellipses Marketing, Paris, 1998. 185 En cela, il semblerait qu’une interprétation naturaliste puisse être faîte des textes d’Husserl. 186 Selon l’expression de Claude Lévi-Strauss. 187 Selon la théorie de la complexité d’Edgar MORIN, sur ces notions voir notamment son ouvrage Introduction à la pensée complexe, Collection Points Essais, Editions du seuil, Paris, 2005. 188 Je me permets de reprendre ici le terme utilisé par Edgar Morin quand il exprime son propre sentiment vis-à-vis de cette posture naturaliste : « (…) il est tonique de troquer la sécurité mentale pour le risque, puisqu’on gagne ainsi la chance. Les vérités polyphoniques de la complexité exaltent, et me comprendront ceux qui comme moi étouffent dans la pensée close, la science close, les vérités bornées, amputées arrogantes. Il est tonique de s’arracher à jamais au maître mot qui explique tout, à la litanie qui prétend tout résoudre. Il est tonique enfin de considérer le monde, la vie, l’homme, la connaissance, l’action comme systèmes ouverts. L’ouverture, brèche sur l’insondable et le néant, blessure originaire de notre esprit et de notre vie, est aussi la bouche assoiffée et affamée par quoi notre esprit et notre vie désirent, respirent, s’abreuvent, mangent, baisent. », in Edgar MORIN, Le paradigme perdu : la nature humaine, op. cit., pp. 232-233.
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Il y a donc, en même temps que cet amour de la nature, un amour absolu et inconditionnel de soi et de l’autre ; car les deux restent non séparés. C’est un idéal de réconciliation, au sens psychanalytique et spirituel du terme, qui se joue là, et de retour à l’action éthique. C’est une réaction au cartésianisme mutilant et réductionniste abaissant la nature à son caractère géométrique et semant la confusion entre le tout et la partie. 189 C’est une proposition démiurgique telle que la met en scène un Edgar Morin passionné, qui s’engage dans tout chemin, pourvu qu’il mène à la quintessence. A toute métaphysique, doit donc s’ajouter pour ces penseurs l’idée de force, de vitalité universelle. On n’aurait ici finalement plus d’autres raisons d’être si ce n’est celles qui nous rapprocheraient du réel, c'est-à-dire de la nature. Par « l’entendement intuitif »190, on pourrait ainsi accéder de manière synthétique à cette conscience, telle une poétique du divin et de l’absolu. Par conséquent, si un refus de la spiritualité, comme abstraction et construction purement humaine, se fait entendre du côté des naturalistes, une pleine attention, entendez méditation, est de rigueur, non plus pour convenir191, mais pour embrasser et engendrer ; car en m’identifiant à la nature, je peux la comprendre aussi bien que ma propre vie. Dans cette perspective donc, un lien originel, plus profond et supérieur à la scission entre sphère symbolique et réelle, fonde l’esprit. Cette polarité, entre ombre et lumière, positif et négatif, est une donnée essentielle et commune à tout être vivant. Le principe vivant figure cette rencontre des pôles, lors de laquelle les dualités originelles n’entrent pas en contradiction avec une unité transcendantale. « La nature était pour nous jusqu’ici identité absolue dans la duplicité – nous en venons ici à une nouvelle opposition qui doit de nouveau avoir lieu à l’intérieur de cette identité ».192 Face à ce type de propos, les détracteurs du naturalisme crient à la mort de l’humanité quand ce qui la détermine, sa liberté, est poussée dans la tombe d’une nécessité toute impérieuse et naturelle. La liberté, c’est aussi celle que l’on a d’aller à la 189
Pour Friedrich SCHELLING : « L’intelligence est productive de deux manières, soit aveuglément et inconsciemment, soit librement et consciemment : inconsciemment productive, elle l’est dans l’intuition du monde, consciemment elle l’est dans la création du monde idéel. La philosophie supprime cette opposition en ceci qu’elle suppose l’activité inconsciente comme étant primitivement identique à l’activité consciente et en même temps comme provenant de la même racine. La philosophie démontre cette identité de manière immédiate à même une activité qui est à la fois consciente et inconsciente de façon totalement indissociable et qui s’extériorise dans les productions du génie ; de manière médiate en dehors de la conscience dans les produits de la nature, puisqu’on perçoit toujours en eux la plus parfaite fusion de l’idéel et du réel.», in Introduction à l’Esquisse d’un système de philosophie de la nature, Le livre de Poche, Librairie générale française, Paris, 2001, p. 67. 190 Au sens où l’entend Emmanuel Kant. 191 Tel que Platon s’y réfère quand il dissocie le monde de la nature et celui de la convention. 192 Friedrich SCHELLING, op. cit, p. 119.
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rencontre de cette aventure phénoménale de la nature et vers ce qui la constitue précisément. Pour les naturalistes donc, rien n’existe en dehors de ce qui fonde ce rapport homme/nature et la liberté se prend ou se saisit dans ce cadre même, c'est-à-dire dans la reconnaissance de ses propres limites vis-à-vis de la nature. La discussion philosophique entre culturalistes et naturalistes - pour reprendre les quelques notions préalables à ce texte : position entre la nature et la loi, la sphère du réel et celle du symbole - se cale sur la structure mythologique du paradis et de l’Âge d’or. L’État de nature originaire est synonyme de foison, de liberté, et de jouissance, mais l’homme en est chassé. Il n’est donc pas pérenne. La civilisation est génératrice de bienfaits, mais la vie sociale est corruption et aliénation. Dans cette perspective, il s’agirait peut-être pour nous de trouver les modes d’articulation entre nature et culture, de trouver un fondement naturel à la culture ; refusant par là-même de tenir pour glorifiante cette cassure entre l’homme et son milieu, pour laquelle il n’est pas de raison d’être autre que celle de l’amour-propre. A cela, pourrait-on ajouter qu’au-delà du manque d’humilité auquel nous sommes à peu de choses près tous conviés, la légende culturaliste voire humaniste sert non seulement l’idéal de toute puissance de l’homme sur la nature, mais également la domination de la représentation sur la pensée, et par là une manne sur une autre.193 Quelle liberté ? Une déconstruction des fondements culturalistes menace donc particulièrement l’homme dans sa propre image quand la nature n’avait au final pour objet de ne lui renvoyer que son reflet. Le méditant sait lui que seul face à la nature, il ne sera jamais que rigoureusement, trait pour trait, face à lui-même.194 De la pollution Avec l’écologie, mot forgé par Haeckel au XIXème siècle, à partir du signifiant grec oikos, signifiant le « domaine », la « maisonnée » la philosophie naturaliste se prolonge. De l’écologie scientifique de prime abord, à l’écologie politique195 par la suite, une vision globale et systémique du vivant se développe. L’écologie politique travaille ainsi à l’avènement d’une société non duelle et par laquelle doit se réaliser une révolution 193
« La souillure du monde y imprime la marque de l’humanité ou ses dominateurs, le sceau ordurier de leur prise et de leur appropriation », propos de Michel SERRES, in Le déchet, le rebut, le rien, op. cit., p. 70. 194 Sur ces notions voir par exemple l’ouvrage de Shunryu SUZUKI, Esprit zen, esprit neuf, Collection Points Sagesses, Editions du Seuil, Paris, 1977. 195 Pour une histoire de l’écologie, on peut renvoyer à l’ouvrage de Jean-Paul DELEAGE, Histoire de l’écologie : une science de l’homme et de la nature, Editions de la Découverte, Paris, 1991.
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culturelle réformant les pratiques humaines. Cette passion pour le vivant amène les naturalistes à protéger l’homme et son milieu. Pour les écologistes196, il n’est donc pas de souillure, de déchet, de pollution, d’autres197, d’ordre discriminant et excluant, la pollution étant dans un même mouvement partie prenante du tout. Pour cette forme de pensée, l’exutoire déchet n’a aucune valeur sur le plan symbolique. Pour autant si le déchet n’est plus déchu, si la pollution n’est plus, comme il est mentionné dans le petit Larousse, « une dégradation naturelle par des substances chimiques, des déchets industriels ou ménagers », qu’est-ce ? La réponse est simple : une concentration physique qui modifie les comportements d’un milieu. Cette modification peut porter atteinte au milieu en question comme il peut menacer la santé humaine, voire la vie humaine. Ainsi la pollution atmosphérique par le dioxyde de carbone ne doit en cela être diabolisée. Pas de diablotin vêtu de noir, pour passer à l’attaque et empêcher l’oxygénation de notre sang à l’endroit de nos poumons. « Ni méchante, ni gentille », la pollution est d’une nature effective, voire naturelle. Elle doit juste recouvrir un état concourant à un équilibre nous permettant de vivre dans des conditions viables, voire similaires, à celles de nos ancêtres.198 Ainsi s’agit-il de rappeler qu’il n’est de bons ou mauvais produits, de produits spécifiquement polluants199. La seule pollution résulte du décalage entre deux ordres différents et peu compatibles engendrant la destruction de l’un au profit de l’autre, si ce n’est des deux. Il n’y a donc pas plus de supériorité de l’artifice sur le naturel, et inversement, pas de sain ou de malsain chez l’une ou l’autre des catégories ; les principes destructeurs et procréateurs appartenant, outre le niveau de transformation des matières, aux deux. Ainsi, le risque de pollution, qui est avant tout un risque de concentration et d’indisposition de certains milieux, réduit la logique à une simple question de place ; car l’homme déplace les choses de manière parfois un peu « déplacée ». Un mélange de produits pourra activer des phénomènes jusqu’alors inconnus. Une dispersion libre expose tout un chacun à des formes de destruction surprenante. En cela, le développement est en
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Malgré qu’il soit difficile de généraliser. Quand Gérard BERTOLINI titre par exemple son ouvrage : Le déchet, c’est les autres, Editions Erès, Romainville - Saint Agne, 2006. 198 Nous pourrions en effet imaginer que les principes toxiques de certains produits pourraient se dissiper pour, selon les théories évolutionnistes, donner lieu à d’autres principes vivants. Il semblerait en effet que la forêt amazonienne aurait déjà fait évoluer son comportement en retraitant par la photosynthèse une quantité d’ores et déjà supérieure de dioxyde de carbone. 199 La question peut néanmoins éventuellement se poser pour les produits de synthèse. 197
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lui-même un risque qui engage aujourd’hui l’humanité toute entière à prendre ses précautions.200 L’industrie qui avait l’air d’une magicienne, selon l’expression de Cyrille Harpet201, prend désormais des airs de sorcière, en compromettant sérieusement l’idéal civilisationnel de notre société moderne et techniciste. Dans cette affaire, le trouble ne fait qu’augmenter quand on commence à considérer le problème de la pollution non dans sa forme la plus répandue, mais justement dans celle qui n’a pas encore été reconnue. Ainsi, me confie-t-on à Air Breizh202 une crainte toute particulière, celle de la pollution non encore relevée et néanmoins dangereuse. Pour autant, la réflexion sur la pollution est une réflexion sur le risque de l’évolution technique. La non-maîtrise des phénomènes nouveaux, du fait de l’arrivée en masse sur le marché d’artefacts de toutes espèces, engage nos sociétés à différer le moment de la réactivité propre à la médecine. L’antidote ne peut en effet pas toujours suivre le rythme effréné de l’invention, de l’élaboration de nouvelles substances ou molécules. Les médecins se plaignent par là des nouveaux produits du bâtiment par exemple, quand ils ne connaissent pas leurs effets pathologiques et qu’il faudra une longue période avant de déceler tous les signes avant coureurs d’une pathologie pour la diagnostiquer203. Certains regrettent que les industries continuent à chercher mieux quand elles ne cessent de déplacer les sources du problème. Pour un médecin du travail spécialisée dans le bâtiment basé sur le département d’Ille-et-Vilaine, la notion de matériaux sains, telle que le couple Déoux204 l’utilise ne signifie aucune réalité tangible. Pour ce dernier, pas de matériaux sains, pas plus que de matériaux malsains ; tout milieu connaît sa part agressive. Il s’agit alors de connaître les précautions à prendre relativement aux caractéristiques de chaque matériau.
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Selon l’idée du principe de précaution dont il est question par exemple dans le cadre des politiques de développement durable. Voir notamment l’ouvrage déjà cité de Philippe KOURILSKY et Geneviève VINEY, Le principe de précaution, Rapport au Premier Ministre, Editions Odile Jacob, La documentation française, Paris, Janvier 2000. 201 Cyrille HARPET, Du déchet : philosophie des immondices. Corps, ville, industrie, Editions L’Harmattan, Paris, 1998. 202 Air Breizh est l’une des trente-six associations agréées par le Ministère de l’Environnement dans le cadre de la Loi sur L’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Énergie. Elle a pour mission de relever les différents éléments qui participent de la définition de la qualité de l’air. Elle est chargée de l’information des citoyens demeurant sur le territoire breton. 203 Les peintures à l’eau, les acryliques, ont remplacé pour une large part sur le marché les glycérophtaliques. Elles ne sont pourtant pas moins dangereuses sur le plan de la santé. Elles le sont même a contrario davantage du fait du caractère peu agressif qu’elles arborent. 204 Suzanne et Pierre DEOUX, Le guide de l’habitat sain. Habitat qualité santé pour bâtir une santé durable, Editions Médiéco, Andorre, 2002.
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« En disséminant les éléments suspects, on prête le flanc, à une polémique généralisée et incontrôlable, à une contagion de la peur, à sa dissémination : une véritable heuristique de la peur serait à l’ordre du jour, non canalisable, ne trouvant nul exutoire tangible, mais une infinité de signes relatifs en fonction des situations particulières, des humeurs, des tendances (…) ».205 Autrement dit, par l’identification à l’autre, en intégrant sa part, et sa relation intime au déchet, une possibilité émerge quant à son traitement, sa revalorisation, sa récupération, son recyclage. Dans une forme de « contrat naturel », telle l’expression de Michel Serres206, supplantant la vague pasteurienne, pourrait-on accueillir enfin l’infect, l’abject, le dégoûtant, l’odorant, le trivial, l’obscur, le dangereux. Le cycle peut réinscrire, dans le langage, le déchet, non dans sa forme vile mais digne, de matière première. Faudrait-il au préalable que l’homme accepte d’assumer une « auto-coprophagie », selon le terme de Cyrille Harpet207 pour parfaire son développement à travers le cycle. Pour autant, l’élément phobique de premier ordre ne serait pas en toute circonstance traité comme tel. Tout déchet n’est donc pas inéluctablement enfoui, oublié, rejeté. Il peut être fructifié, réutilisé, recyclé, revalorisé. De tout temps, on a collecté les excréments humains. Différentes villes dans le monde telles qu’en Arizona, au nouveau Mexique, en Californie, ou sur la péninsule arabique, ont une gestion de l’eau en circuit fermé. L’eau souillée est ainsi constamment retraitée. Une utilisation réglementée des cadavres, qu’elle soit thérapeutique ou industrielle existe déjà ; peu connue, bien que l’on ne soit pas sans savoir que le placenta est communément introduit dans l’élaboration des produits cosmétiques. A l’antiquité, on utilisait l’urine de jument pour la décoloration des cheveux. La réutilisation des objets inusités : l’occasion a toujours existé et les appareils n’ont cessé de passer de seconde main en seconde main, jusqu’à être détruits. Recycler les matières fécales et les urines Donc pour les écologistes, il s’agirait d’être en capacité de recycler ce qui pourrait nous apparaître comme étant le plus abject : nos matières fécales. Aussi, le problème de pollution des cours d’eau tient pour une large part au traitement des matières fécales et des urines. Autrefois, les matières fécales étaient collectées. On débarrassait les citadins 205
Cyrille HARPET, op. cit., p. 562. Voir notamment la préface de Michel SERRES, pour l’ouvrage de Jean-Marc DROUIN, Réinventer la nature : l’écologie et son histoire, Collection « éclats », Editions Desclée de Brouwer, Paris, 1991. 207 Cyrille HARPET, op. cit.. 206
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de leurs excréments et on amendait les terres agricoles avec ces derniers. Chez les citadins, jusqu’au XIXème siècle, on payait les « gadoues des villes » pour faire le travail. Par la fumure obtenue, on engraissait les terres de maraîchage alentour. 208 La littérature fait en effet au moment de la IVème république la place belle à cette poésie où un cycle à l’équilibre harmonieux entre ville et campagne, se dessinait209. L’arrivée des engrais chimiques sur le marché a mis fin à cette coutume. Aujourd’hui, les eaux usées produites dans les villes sont pour la plupart ramenées vers des stations d’épurations où l’eau souillée est traitée et rejetée dans les cours d’eau. À Rennes, la station d’épuration, que l’on a déjà évoquée, est a priori en effet ce que l’on peut faire de mieux aujourd’hui en Europe.210 Pourtant elle n’est pas sans émettre différentes pollutions : d’une part lorsqu’elle est à l’origine de la production de boues, de sables souillés et de graisses, d’autre part, lorsqu’elle rejette dans la rivière des eaux encore trop riches en phosphore et en azote. Le cycle total de l’épuration n’est donc peutêtre pas tout à fait maîtrisé quand en plus l’enfouissement des boues211 n’est pas satisfaisant sur le plan écologique, centralisant ainsi les pollutions sur des zones sacrifiées pour cela et renvoyant les effets induits sur le long terme. Enfin, les rejets en eau traitées dans les eaux brutes de la rivière ne sont pas sans modifier l’écosystème et une charge encore trop importante en phosphore contribue au développement des algues bleues, qui participent à l’eutrophisation du milieu aquatique et 208
On sait aussi que les cultivateurs romains firent un usage intensif des excréments. Sur ces notions, se référer notamment à l’ouvrage de Catherine DE SILGUY, La saga des ordures : du Moyen-âge à nos jours, Editions de l’Instant, Paris, 1989 ; ou celui de Sabine BARLES, L’invention des déchets urbains. France, 1790-1970, Collection champ Vallon, Editions Seyssel, Paris, 2005. 209
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En effet, les normes de rejet retenues sont plus contraignantes que celles prévues par la directive européenne de 1991 en matière d’azote et de phosphore par exemple. De plus, toutes les zones générant des odeurs sont captées et désodorisées avant d’être rejetées dans l’atmosphère. Le prétraitement de l’eau avant épuration suit trois étapes : le dégrillage, le désablage, le dégraissage. Ce prétraitement essentiellement mécanique est suivi d’un traitement biologique par oxygénation de l’eau. En effet, des bassins d’aération favorisent la reproduction de bactéries qui se nourrissent des matières résiduelles. L’azote et le phosphore sont ainsi transformés par les bactéries qui jouent le rôle d’épurateurs naturels. Cette activité en nécessite d’autres, car ce système d’assainissement s’appuie sur le développement d’un ensemble de facteurs contraignants. Tout d’abord, il est gourmand en eau et en énergie. Enfin, il n’est pas exempt de rejets tels que sables, boues et graisses. Après lavage, les sables sont stockés et transportés par camion pour être mis en décharge. Les graisses et les boues sont transportées à l’usine de Villejean, au nord de la ville, pour être incinérées. 211 Les boues ne sont que peu exploitées sur le territoire quand elles le sont davantage au Danemark, par exemple dans le cadre d’une activité sylvicole pour laquelle ces boues servent d’engrais à la culture de saules destinés à la production de bois de chauffage. Est-ce que l’incinération de ce bois nourris d’adjuvants de toutes espèces est à sa combustion des plus sains ? A cette question, je n’ai pas de réponse. En effet, cette matière non productrice d’oxygène va non seulement en consommer mais rejeter une quantité non négligeable de gaz carbonique. Ensuite, l’incinération de métaux lourds charge l’atmosphère en fumées hautement toxiques. Pour cette raison, la station d’incinération s’est dotée de filtres très performants afin de stopper les particules avant sortie dans l’atmosphère ; ce qui est fait des particules, je n’en sais encore rien. L’incinération des graisses n’est pas non plus satisfaisante sur le plan écologique.
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au final à la mort de bon nombre d’espèces floristiques et faunistiques. La station d’épuration reste en somme peu satisfaisante d’un point de vue global lorsque l’on réalise par exemple que si le système devenait plus performant sur le plan des eaux rejetées, il ne pourrait égaler une qualité d’eau de rivière équilibrée sur le plan organique et ainsi saine pour la faune et la flore. Pour réduire l’impact de l’activité humaine sur le milieu, existent deux types de solutions : agir en aval et/ou agir en amont de la consommation de l’eau. En amont, nous avons le choix de rayer de nos listes les produits les plus nocifs utilisés couramment : bactéricides, lessives et autres détergents. En aval, on pourrait tout simplement augmenter certains seuils d’exigence et accepter un coût supplémentaire du retraitement de nos eaux grises. Sans doute on préfère utiliser notre énergie et de fait nos finances ailleurs. Certaines associations nationales, Eau vivante212 par exemple, ont pour objet de faire évoluer les choses et ont participé notamment aux discussions qui devaient donner le jour à la dernière loi sur l’eau. Elles expérimentent certaines techniques alternatives en adaptant souvent les techniques étrangères au cas français, afin de faire changer la réglementation. Ainsi elles préconisent d’autres solutions d’épuration des eaux grises encore peu utilisées en France et néanmoins majoritaires dans les pays en développement. Ce sont les lagunages. Les lagunages sont des bassins dans lesquels l’activité biologique retraite ellemême les souillures de l’eau. Il existe deux types de lagunage : le lagunage à macrophytes et le lagunage à microphytes.213 Son principe est basé sur la seule fonction microorganique des bactéries dans les eaux grises. Moins utilisé en France214, le lagunage à macrophytes est en revanche le système d’épuration des pays en développement. Commun également aux Ètats-Unis, son fonctionnement repose sur la double utilisation biologique d’épuration des micro-organismes et des plantes telles que joncs, roseaux, massettes, iris, etc.. Plus originaux encore sont les systèmes d’assainissement autonomes par filtres plantés. Le principe consiste à épurer les eaux grises au fur et à mesure de leur passage dans des bassins contenant un substrat entièrement minéral dans lequel se tiennent des 212
L’association Eau vivante a pour but de « favoriser l'exploration continuelle de concepts, savoir-faire, techniques, voire produits nouveaux, permettant de vivre toujours plus en équilibre avec notre environnement naturel et humain, d'une manière qui favorise la santé globale de la planète, donc la nôtre et celle des générations futures ». Voir notamment le site www.eauvivante.net. 213 Plus utilisé, le lagunage à microphytes concerne généralement les communes françaises de petite taille jusqu'à environ 2000 habitants. 214 Nous avons cependant un exemple à Rochefort.
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plantes aquatiques gourmandes en matière organique. Mais parmi toutes ces solutions, une certaine qualité des eaux grises est de rigueur. La solution de la toilette sèche reste une solution alternative, à condition bien entendu qu’un coin de jardin puisse recevoir fèces et urines destinées à la production de compost. Nous pourrions ainsi imaginer pour les zones d’habitat individuel, des composteurs pour immeuble, ou même imaginer le renouvellement de la collecte des selles et des urines organisé par un service public municipal. A Tanum, en Suède, en janvier 2002, pour diminuer les pollutions d’origine humaine, la réglementation en matière d’eau et d’assainissement a été revue et le WC classique n’a désormais plus lieu d’être dans les nouvelles zones d’habitation et les réhabilitations des bâtiments anciens. Les urines, particulièrement à l’origine des pollutions en azote des eaux brutes par les eaux grises, sont collectées et épandues une année plus tard sur les terres agricoles. Aussi, on oblige dorénavant les foyers à s’équiper soit de toilettes à compost sans séparation des urines et des selles, soit de toilettes à séparation. Les toilettes sont raccordées à des cuves qui peuvent être communes à plusieurs habitations. Pour le service rendu, une taxe est versée par les habitants aux paysans. D’autres villes en Suède, sont en train d’étudier des solutions de ce type. De l’urine et des matières fécales, différentes utilisations peuvent être faîtes. Au centre des sciences de Göteborg, en Suède toujours, l’urine est utilisée sur place pour permettre le fonctionnement d’un système aquacole qui associe phytoplancton, zooplancton et poissons. A Vauban, quartier écologique de Fribourg en Allemagne, qui ne fait plus sa réputation, un système sous vide a été retenu et c’est par aspiration que solides et liquides rejoignent une centrale biogaz. Urines et excréments servent ainsi à alimenter les gazinières de tous les appartements, et une fois compostés, à fertiliser les terres agricoles alentours. Les surplus sont envoyés vers une unité de cogénération fournissant chauffage et électricité pour le quartier.215
L’Occident s’est développé dans un rapport dual avec la Nature. Dans cette perspective, l’Homme n’appartient ainsi pas à la Nature ; plutôt la Nature lui appartiendrait. Cette forme de pensée est particulière à l’idéologie culturaliste contre laquelle s’insurgent les naturalistes. Pour ces derniers en effet, l’Homme demeure une 215
Toutes ces informations sont tirées de l’ouvrage de Christophe ELAIN, Un petit coin pour sauver la planète. Toilettes sèches et histoires d’eau, Editions Goutte de sable, Athée, 2005.
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entité pleinement naturelle quand il n’a d’autre choix que celui de s’assujettir aux règles qui lui sont ordonnées. Pour ceux-là donc, la nature, c’est tout simplement le réel ; celui précisément sur lequel on ne peut contrevenir.216 Pourtant l’Homme continue à vouloir s’en dégager quand il n’accepte pas la part d’ombre en lui (qu’il nomme Nature), cette part d’ombre qu’il identifie à cette horreur du trivial ou du fusionnel, posté au détour de chaque chemin, et qui nous prend par surprise comme le lapsus nous confond dans la parole. Notre système de représentation, notre langage, s’est chargé d’élaborer une partition très précise de ce qui apparaît comme naturel ou comme culturel, autrement dit, comme bien ou comme mal, entre ce qui est conforme à l’idéal humain, au construit, et à ce qui ne l’est pas, autrement dit à ce qui nous échappe. Un ordre symbolique s’impose ainsi aux yeux de tous et contracte de manière simultanée, comme on peut contracter une maladie, le malaise du dualisme et par conséquent de l’exclusion ; là se concentre en définitive toute notre souffrance, puisqu’une guerre fratricide interne ou externe s’est dés lors déclarée. La pollution, comme figure représentative de ce qui doit être exclu, angoisse ainsi nos personnes. Comme une part de nous-mêmes, elle demeure cependant une des formes du réel, qu’il est souhaitable, bon gré mal gré, de respecter, d’accepter, d’assumer. Respecter cette sphère, nous incite par là, et les écologistes en sont convaincus, à l’introduire dans une praxis moins discriminante et plus « collaborante », et à dénoncer de fait l’idéal de pureté, idéal pervers qui nie précisément les contraintes de notre incarnation, de notre corps.
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Don Juan qui s’y essaie, en paie de sa vie.
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C. De la puissance et de l’impuissance du rationalisme Sciences et techniques ont de tous temps accompagné l’humanité toute entière. Les sociétés historiques ont fondé leurs représentations sur cette évolution des pratiques et des savoirs217. Motivé par le désir, voire le besoin ou la volonté de puissance, l’Homme n’a jamais cessé de chercher à parfaire sa compréhension de la nature ainsi que son exploitation des ressources présentes sur le territoire planétaire. La technique et la science apparaissent ainsi tout au long de l’Histoire comme des flambeaux permettant de découvrir, plutôt de « dévoiler », pour utiliser un terme cher à Heidegger, l’univers dans lequel l’humanité s’est enracinée. Jusqu’au XXème siècle, la technique et la science sont ainsi assimilées à une vision téléologique de l’histoire de l’humanité en progrès. Pourtant, et ce depuis près d’un siècle maintenant, et pour la première fois dans l’histoire, avec le développement des technosciences, l’humanité ne croit plus à la positivité de son histoire quand elle augure de nouvelles menaces qui pèsent sur elle à travers les dommages écologiques nés de sa civilisation. « Les ultimes triomphes d’homo faber sont désormais à la disposition d’homo demens »218. Le développement techno-scientifique nourrit des acceptions qui structurent nos sociétés. Comme des mythes, elles agissent intensément au cœur de notre culture ; et à partir de Descartes plus fortement encore. En effet, avec Descartes, un changement de paradigmes intervient dans la culture occidentale. A partir du XVIIème siècle, le cartésianisme, doctrine philosophique fondée sur une vision mécaniste de la nature, réforme les principes aristotéliciens de la physique et des philosophies naturelles de la Renaissance219. Le cartésianisme atomise, sépare, calcule. Il enserre le monde sous forme de modèles mathématiques. Avec lui, tout être vivant est assimilé à une machine. Le corps de l’homme devient lui-même une machine et la médecine rend compte d’une capacité à repérer les mouvements entre différentes figures au sein du corps humain. Est alors évacuée la notion de cosmos, de hiérarchie ontologique des choses. Tout est ramené à une
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En cela leur histoire même en porte le nom. On peut noter l’âge de pierre, de bronze, de fer. Il y a la civilisation industrielle, postindustrielle, ou informationnelle. « Les sociétés développent des techniques qui développent les sociétés. », écrit si justement Edgar MORIN. 218 Edgar MORIN, L’identité humaine, La méthode 5. L’humanité de l’humanité, Editions du Seuil, Paris, 2001, p. 117. 219 Voir à ce propos l’ouvrage de Victor BROCHARD, Etudes de Philosophie ancienne et moderne, Editions Vrin, Paris, 1930.
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collection amorphe des éléments que seule la mécanique peut mettre en mouvement, organiser. Cette doctrine sert le mythe selon lequel la machine et la pensée sont potentiellement capables de maîtriser pleinement le milieu où séjourne l’homme. La théorie mécaniste, en reprenant les théories atomistes des philosophes de l’Antiquité, révolutionne en cela la pensée, et même si elle n’est pas extrêmement suivie par la gente scientifique de l’époque, elle s’introduit peu à peu et profondément dans les consciences. L’intelligibilité la plus totale est une perspective qui ne paraît pas déraisonnée. Par l’idée alléchante et ré-jouissante de toute puissance de la science et des hommes, on rompt nettement avec les humbles philosophies médiévales comme « (…) forme de vie anonyme, contemplative, ascétique, à la fois pauvre et noble, rebelle et paisible, libre et contrainte, d’un mot : vacante »220. Ainsi le point de vue cartésien connaît une expansion dans toutes les sphères de l’existence en conférant une logique à toute chose par une détermination souvent univoque des faits, sous la forme de la relation de causalité. Cette forme de découpage du réel, qui procède de la seule logique et de son déroulement, ne tarde pas à générer une instrumentalisation qui se propage dans l’ensemble des domaines de l’activité humaine, quand seul le résultat compte et non plus l’existence des éléments nécessaires au résultat, fussent-ils des êtres humains. Un monde artificiel né de stratégies pour lesquelles toute fin connaît ses moyens, indépendamment des logiques éthiques, religieuses, ou morales, se construit ainsi. Pourtant la méthode scientifique, bien qu’elle eût permis un certain développement de la technique et un développement des sociétés humaines, n’en reste pas moins insuffisante pour comprendre la totalité-monde. Le projet cartésien n’aboutit résolument pas. La pensée scientifique achoppe. Un manque de maîtrise de l’environnement par les institutions scientifiques conduit à un sentiment de grande insécurité chez les populations. A la technophilie du XVIIIème siècle jusqu’au XXème siècle, même si en réalité des critiques ont toujours été faites à l’encontre de l’essor technique221, vient s’opposer une technophobie principalement fondée sur les idéaux de l’écologie politique. La technique et la science collaborent à l’établissement d’une vie 220
Alain de LIBERA, Penser au Moyen Age, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, 1991, p. 356. 221 Ce que nous pouvons notamment réaliser à la lecture de l’ouvrage de Michel ONFRAY, Contre histoire de la philosophie 4, Les Ultras des Lumières de Meslier au Marquis de Sade, Editions Grasset, Paris, 2007.
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confortable des hommes dans leur rapport au milieu naturel, mais l’activité ainsi engendrée par l’homme conduit à des formes de bouleversements importants de la biosphère, et finalement destructreurs. La technique et la science fascinent, mais elles dévoient l’homme du chemin lui permettant d’accéder à son statut ontologique. Alors quand certains appellent une technologie supérieure capable de maîtriser le géant de l’écosystème planétaire et sauver les hommes de la débâcle, d’autres en dénoncent l’ineptie, « tapent du poing sur la table » pour ramener l’homme à la raison et lui faire entendre qu’il ne maîtrisera jamais définitivement la planète sur laquelle il vit. Ces derniers réclament davantage d’humilité et de sobriété de la part de leurs congénères terriens ; deux éléments nécessaires à une sauvegarde des systèmes vivants au-delà de l’entendement dont on pourrait se satisfaire.
1. Les limites de la science Donc la philosophie de Descartes, selon laquelle le mécanisme est la base de toute pensée sur l’univers, se répand comme une traînée de poudre dans les esprits depuis le XVIIème siècle jusqu’à nos jours222 ; car encore aujourd’hui, au-delà d’une évolution notoire, elle reste totalement intégrée à un mode d’intelligence pratique de l’homme moderne. Cette doctrine pose comme postulat que seules les lois des mouvements matériels peuvent expliquer les phénomènes de l’univers. Ainsi, Descartes ne donne son importance qu’à la physique, aux seules grandeurs, figures et mouvements, et impose la notion de quantité au détriment de la notion de qualité, la notion d’objet. au détriment de la notion de relation. Cette vision mécaniste des événements de la vie permet de développer un rapport très méthodique parce que circonscrit au réel. Par ce biais, la science classique se développe et avec elle une idée radicalement neuve de l’univers. En effet, pour cette pensée, l’univers échappe à la relation entre la forme et la matière dans un sens hiérarchique donné et dans un ordre fini. Il confère à la poésie ou à l’imaginaire l’explication des physiques animistes, voire qualitatives, finalistes, spatialisées. Plutôt, et reprenant les thèses atomistes de Démocrite par exemple, Descartes avec Galilée expriment leur volonté de regarder le monde de la matière, dispensée d’âme, de vie. La vie ne tenant qu’au principe de mouvement ; quand seule la rencontre entre les corps produit ce mouvement. La notion de source originelle d’énergie est en cela 222
Voir à ce propos l’ouvrage de François AZOUVI, Descartes et la France : histoire d’une passion nationale, Collection L’esprit de la cité, Librairie Arthème Fayard, Paris, 2000.
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totalement absente du discours cartésien. Il n’y a pas d’énergie à proprement parler, d’impulsion première. Pour Descartes, Dieu est créateur du mouvement et de la pensée fondatrice des lois intelligibles de la nature223. Mécanisme et technicisme, les acceptions cartésiennes Dans cet ordre d’idée, le monde apparaît alors comme dénué de sens. Le pragmatisme, qui réduit la perception à la relation entre cause et effet, englobe l’ensemble des raisonnements scientifiques. Le ressenti, les intuitions, n’ont aucune place dans cet ordre des choses. On assiste ainsi à une démystification de la nature, nature au sein de laquelle la magie est éludée. Pour certains, cette dernière ne représente plus qu’une prise de pouvoir de charlatans sur des candides ; pour d’autres, elle ne se réfère qu’à un état mystérieux et éphémère pour lequel l’entendement aurait un jour le privilège de résoudre l’équation de son existence. Donc, la mécanique sert de postulat à toute forme de vie, par dessus toute physique qualitative ou parapsychique de la nature. La matière est inerte et homogène ; et la nature n’en devient que plus objet, toute prête à être possédée et dont on peut user. La théorie, ou capacité de conceptualisation et d’abstraction des formes du réel, devient la forme de pensée majeure de l’Occident. Le modèle est de fait toujours parfait puisqu’inexistant. Les mêmes lois sont appliquées pour des situations totalement différentes. La conception d’une causalité physique, d’individu à individu, cherche à réduire l’expérience physique à une forme de causalité minimale afin d’en déduire le principe, la loi. La science avance ainsi par comparaison, déduction, et simplification. L’univocité implicite du concept cartésien en fait sa force ; les images mécanistes, sa promotion. Voltaire utilisera le mécanisme de l’horloge pour représenter la logique cartésienne. Les similitudes entre l’être vivant et la machine restent d’une actualité que les progrès médicaux ne font que confirmer. La chirurgie nous donne tous les jours l’occasion d’assimiler le corps humain à une mécanique. En ce sens, nous gardons encore aujourd’hui cette vision mécanique des choses dans la mesure où elle est fondatrice de l’essor des sciences et des techniques ; a contrario, elle s’est délitée car les sciences anciennes pour se réactualiser, les nouvelles pour s’affirmer, ont dû se détacher d’elle. Grâce à la technique, nous vivons ainsi avec la machine comme autrefois nous vivions avec les bêtes de somme. Nous vivons au cœur d’un ensemble d’artefacts qui 223
René DESCARTES, Méditations Métaphysiques, Collection Poche, Editions Hachette, Paris, 2006.
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délimitent au quotidien notre environnement. A partir d’un milieu naturel que fut notre territoire premier, nous nous sommes finalement aménagés un milieu artificiel fabriqué de nos mains : nos campagnes et nos villes. A un premier stade, il ne fut pas difficile de distinguer ce qui fut de l’ordre de l’humain de ce qui fut de l’ordre de la nature, bien que l’un et l’autre n’eussent cesser de s’interpénétrer ; ça l’est davantage aujourd’hui quand on commence avec les technosciences non plus à fabriquer des objets animés, mais à modifier des « êtres vivants ». Avec l’avènement de la biologie moléculaire, l’artificialisation du monde prend le chemin d’une complexification des rapports entre le monde et celui de la nature. Ainsi, les deux catégories d’artefacts tels que les reconnaît Dominique Bourg, tendent à semer la confusion entre ce qui vient de nous et ce qui vient à nous ; « ce en quoi on retrouve le double mouvement d’immanence et de transcendance, la sophistication croissante des savoirs et des techniques conduisant à leur inscription progressive dans la nature »224. Parce que la science s’est, d’une certaine manière, dissociée d’une forme cartésienne de la pensée, elle a pu multiplier ses principes, fussentils contradictoires, et s’inscrire de manière de plus en plus subtile dans le réel, si bien qu’une concrétisation des modèles caractérisés par une recherche d’ « autonomie vivante» a permis de simuler de plus en plus finement la nature. Ainsi, il nous apparaît, à mesure que le temps passe, plus périlleux de ne pas confondre l’artefact de l’être vivant. La machine se serait comme émancipée. A travers le génie génétique par exemple, l’action technique a su authentiquement s’inspirer des mécanismes les plus complexes du monde naturel quand elle ne les instrumentalise pas ou ne les domestique pas, comme ce fut le cas pour les animaux dans le monde agraire d’autrefois ; l’échelle de l’individu étant juste quelque peu différente. Il existe effectivement une véritable exploitation du monde vivant, sorte de «bio-machines, ou machines bio-moléculaires, c'est-à-dire des protéines aptes à produire un travail mécanique. Là encore, il s’agit de simuler la nature, de reproduire l’aptitude des organismes vivants, de convertir, tel un moteur, de l’énergie en mouvement. (…) Certains agencements de protéines, par exemple, se contracteront sous l’effet d’une hausse de la température ambiante, transformant ainsi (…), de la chaleur en travail ; d’autres transformeront de l’énergie électrique ou de la lumière en travail mécanique »225. Avec les biotechnologies, la limite entre le naturel et l’artificiel est de moins en moins nette si bien qu’on assiste de manière corrélative à une artificialisation de l’être 224 225
Dominique BOURG, L’homme artifice, Collection Le débat, Editions Gallimard, Paris, 1996, p. 21. Dominique BOURG, idem, p. 27.
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vivant et à une naturalisation de la machine, pour finalement développer un monde hybride, s’il ne l’a pas toujours été en définitive. Les ratés du cartésianisme, la question de la mesure Au-delà du problème d’ordre ontologique que soulève le développement technique et scientifique sur lequel nous allons revenir, plus grave peut-être parce qu’irréversible, est la responsabilité de la techno-science vis-à-vis de la situation de l’écosystème planétaire. En effet, en généralisant les valeurs de développement à l’ensemble de la planète, la technique a induit une croissance des richesses des sociétés humaines en même temps qu’un appauvrissement de la biosphère, tels que le déséquilibre ainsi produit pourrait participer de la banqueroute de notre civilisation. Aujourd’hui, moins d’un quart des terriens consomme plus de trois quarts des ressources planètaires. Et la courbe est asymptotique, ce qui suppose que dans le même temps que nous multiplions notre production, un accroissement de l’entropie va se faire sentir, avec à la clef diminution des ressources fossiles, pollutions, réchauffement climatique. Certains osent encore croire à la technique. L’antidote serait logé dans le poison. Une recherche accrue aurait raison des menaces écologiques qui pèsent sur nous. Différentes questions se posent. Pouvons-nous être à la hauteur de la complexité planétaire ? Est-on en capacité de produire des modèles assez subtiles pour s’arraisonner au réel, à ce qui nous paraît encore aujourd’hui être un système hypercomplexe et pour lequel la réflexion ne peut toujours pas prévoir avec précision le comportement ? Pour James Lovelock, il s’agit de se rappeler que « le poison est dans le dosage » tel que Paracelse226 a pu, des siècles auparavant, l’affirmer. Autrement dit, il n’entend pas forcément que les terriens dussent passer à une révolution totale des modes de vie et des comportements, juste trouver, en remplaçant peut-être les notions de développement et de croissance par celles de bien-être ou de « bonne vie »227, une mesure plus adéquate. La question de la mesure est déterminante. Et pourtant, pour peu que l’on s’essaye à utiliser ce concept, on comprend de manière assez radicale ses limites opérationnelles ; car toute mesure se rapporte, d’une part à la technique de mesure, d’autre part à un ordre 226
Paracelse faisait lui-même, en tant que père de la médecine hermétique, une correspondance entre le monde extérieur et les différentes composantes de l’organisme humain. 227 C’est le cas au Bhoutan qui explore le concept de « bonheur national brut » comme mesure du succès et du bien-être humain, plutôt que d’utiliser la notion plus connue et matérialiste de produit national brut. Cet indice a été préconisé par le Roi Jigme Singye Wangehuck en 1972, afin de bâtir une économie basée sur les valeurs spirituelles du bouddhisme.
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de grandeur. Faut-il au préalable être en capacité de définir des principes adaptés à la réalité. « On peut donc affirmer que dans le cas général, toute mesure effectuée volontairement suppose un observateur possédant à la fois le concept de grandeur, c'est-àdire celui de l’existence d’un corps muni de qualités et des moyens d’information sur cette grandeur »228. A ce jour, on ne peut pas dire que le concept « terre » soit totalement maîtrisé. En effet, la planète est en mouvement et la vie elle-même est mouvement. Une formule connue d’Héraclite dit qu’ « on ne peut pas descendre deux fois le même fleuve » ; raison pour laquelle une mesure n’est jamais parfaitement reproductible. « Lorsque le phénomène est régulier, il suffit de procéder par échantillonnage229. Ce n’est plus possible quand le phénomène est aléatoire »230. En cela la donnée du temps est déterminante eu égard aux variations qui font elles aussi partie du réel. D’autant, une incertitude sur la mesure d’une grandeur et sur le taux de variation de cette grandeur dans le temps réside de manière incontournable. Dans le cas de la composition de l’atmosphère, la réflexion est historique. Le taux de Co2 dans l’atmosphère a augmenté de manière exponentielle ; une moyenne permet de tabler sur un taux raisonnable et un réchauffement climatique insignifiant. C’est le postulat. Le Protocole de Kyoto va dans ce sens. Sans doute la démarche est-elle positive. A l’inverse, et dans les sciences de l’environnement particulièrement, l’indicateur est souvent employé sans qu’il soit obligatoirement rapporté à son étendue. Nous vivons en effet dans une ère relativiste lors de laquelle l’information primordiale est celle du sens de la progression et non plus celle d’une forme de « vérité » sur notre positionnement rapporté à une globalité. C’est la difficulté. On pourrait en cela multiplier les ordres de grandeurs. L’emploi des indicateurs est commode, il génére la respectabilité et la crédibilité de ceux qui les emploient. Le nombre suppose une vérité scientifique. « On peut ainsi leurrer toute une population en donnant des nombres (…) »231. Les hommes politiques en sont friands ; si bien que l’on assiste depuis peu à une sorte de « mesurite », selon l’expression de Jean Perdijon, obsessionnelle, le danger étant logé au cœur de cette situation où règne la confusion entre l’indicateur et la grandeur Dans le secteur de l’environnement, la difficulté souvent revenue se rapporte à une analyse des seuils. La mission environnement de la ville de Rennes, chargée des bilans annuels, nous montre les évolutions au travers de courbes. Il s’avère que nous 228
Jean PERDIJON, La mesure. Science et philosophie, Collection Dominos, Editions Flammarion, Paris, 1998, p. 74. 229 En deçà de certaines limites. 230 Jean PERDIJON, idem, p. 80. 231 Albert JACQUARD, in Jean PERDIJON, ibidem, p. 31.
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progressons. Mais rien ne nous dit à quelle vitesse et si le progrès aurait un quelconque impact sur le déroulement de notre avenir proche et lointain. Ce manque de référent met tout un chacun dans des positions particulières : pour les uns, de suffisance où une baisse des courbes permet de recouvrer bonne conscience, pour les autres de perfectionnisme puisqu’il n’en est jamais fini de faire mieux232. Résolument, toute donnée scientifique, toute connaissance n’est jamais qu’en rapport direct avec l’observateur. Ainsi le temps de l’observateur importe, en terme de conclusion scientifique, autant que le temps de l’objet observé. Considère t-on l’évolution des phénomènes à l’échelle d’une génération, de plusieurs, ou à l’échelle de l’humanité rapportée à son histoire ?233 Qu’est-on en effet sensiblement prêt à observer et à apprendre sur notre état ? Pour Jean Perdijon, reprenant une formule de Pasteur, la phase d’acquisition est effectivement fortuite, celle de l’interprétation ne l’est jamais en cela que « le hasard ne favorise que les esprits préparés »234. Nous sommes donc complètement impliqués à la nature de nos interprétations face aux objets que nous observons. Mais « revenons à nos moutons ». Donc, toute donnée demande qu’elle soit renvoyée à son étendue selon une échelle de grandeur. C’est le postulat. Pourtant, la mécanique quantique rentre en contradiction avec ce principe très réaliste. Pour cette théorie, en effet, « ce serait la mesure qui déterminerait la grandeur et non l’inverse (…). Ainsi l’incertitude ne porterait plus sur le connu mais sur le réel »235. Cela dit, à la question : le maillage scientifique peut-il être assez fin pour qu’on se risque ainsi, par l’interface d’un « sur-développement », à jouer avec la vie ? Dominique Bourg répond sans ambiguïté. C’est non. « Nous ne serons probablement jamais capables, pour des raisons de principe, de nous hisser à la hauteur de la complexité des régulations propres à la biosphère »236. Sur le plan du climat par exemple, il semble impossible de construire un modèle rendant compte de l’ensemble des phénomènes. Pour lui effectivement, il faudrait considérer la totalité des paramètres en cause, ce qui « nécessiterait des ordinateurs dépassant plusieurs millions de fois la capacité de calcul des machines disponibles »237. En d’autres termes, nous restons globalement impuissants face aux effets que nous 232
A la ville de Rennes, une image positive de la municipalité sur le plan national d’un point de vue environnemental donne peut-être une occasion de « s’endormir sur ses lauriers ». Une fonctionnaire de la ville me confie en effet : « A Rennes, nous n’avons pas à rougir de notre politique environnementale ». 233 Le politicien américain et réalisateur Al GORE dans son film documentaire Une vérité qui dérange, prend en compte la totalité de l’histoire de l’humanité ainsi que les ères antérieures ; Réalisation : Davis GUGGENHEIM, Premier rôle : Al GORE, durée, : 94 mn, année 2006, Etats-Unis. 234 Jean PERDIJON, op. cit., p. 74. 235 Jean PERDIJON, idem, p. 89. 236 Dominique BOURG, op. cit., p. 349. 237 Dominique BOURG, idem, p. 349.
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produisons. James Lovelock238 crie à l’imposture quand ils voient les hommes s’improviser intendants, voire gestionnaires de la terre, tant ils n’ont pour lui pas les compétences nécessaires pour assumer cette fonction. Prudence et sobriété sont ainsi devenues les mots d’ordre d’un nombre grandissant d’intellectuels qui pensent, pareillement à James Lovelock, que la terre saura se débarrasser de ceux qui entravent la vie sur ses forêts, ses plaines, ses fleuves, ses mers et ses montagnes. La vie sur terre n’est en effet pas nécessairement la nôtre. Les principes vivants peuvent largement évoluer ; principes auxquels nous ne survivrons pas forcément. « Médecine chinoise planétaire » ou théorie du baquet Dans cette perspective, James Lovelock développe l’idée de médecine planétaire239. Le concept de santé du système terrestre corrobore un point de vue normatif a contrario d’une vision relativiste. En cela, la reconnaissance d’une certaine autorégulation peut tout simplement immiscer l’idée d’équilibre et de santé propre à tout être vivant, entité appartenant à un milieu : la terre au sein du sytème solaire. Ce concept du nom de « Gaïa », développé par James Lovelock en 1972, se résume ainsi : « La vie ou la biosphère, régule ou maintient le climat et la composition de l’atmosphère dans les limites optimales pour elle-même »240. Par cette proposition, l’écologue prend pour objet le système dans son ensemble et ne dissocie pas la biosphère, de l’atmosphère, de la lithosphère, de l’hydrosphère. Par cette vision globale, il propose de développer l’empirisme, en dépit des habitudes à compartimenter l’objet scientifique, et invoque l’application du bon sens. Si la proposition fait sourire certains, elle n’en rappelle pas moins la posture d’identification dont parle Schelling que nous avons déjà évoquée. Le bon sens viendrait-il de là, de notre empathie, de notre savoir intrinsèque sur tout ce qui participe de près ou de loin, parce que nous appartenons non à nous-mêmes, plutôt à notre milieu, à la vie. Se justifiant par une fraternité universelle et extra-humaine donc, nous pourrions ainsi pratiquer une médecine de l’intuition basée sur l’empirisme. Pourquoi pas ? « S’il faut que les savants reconnaissent la valeur de l’empirisme dans la période troublée qui 238
James LOVELOCK, Gaïa, une médecine pour la planète, Editions Sang de la Terre, 2001. En utilisant ce terme de « médecine », il semble personnifier la terre qu’il nomme par ailleurs « Gaïa ». Cette personnification fait l’objet de maintes critiques qui discréditent son travail. Aussi s’en défend-t-il. Pour lui, en effet, Gaïa n’a rien d’un dieu ou d’une personnne. Elle représente une entité vivante, un organisme. Elle pourrait être humaine, animale… . C’est une planète. Elle appartient à l’univers. Lui donner un nom, c’est tout juste la reconnaître en tant qu’entité propre. 240 James LOVELOCK, op. cit., p. 11. 239
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nous attend, ils doivent d’abord reconnaître l’ampleur de leur ignorance au sujet de la Terre »241, nous lance James Lovelock d’un ton provocateur. Il est vrai que nous utilisons communément et depuis longtemps l’aspirine, alors même que nous ne saisissons toujours pas le principe chimique actif sur notre corps. L’homéopathie, développée par Hahnemann, à partir de la fin du XVIII ème siècle, procède de cette même démarche. Cette thérapie ne résulte effectivement pas de théories sur les molécules, mais plutôt d’une série d’expériences in vivo que le chercheur fit sur lui-même. L’acupuncture est un autre exemple ; l’existence des méridiens n’ayant jamais physiquement été démontrée. L’auteur de Gaïa. Une médecine pour la planète s’oppose à la pratique scientifique dominante, qu’il trouve réductionniste, voire « pinailleuse ». « Elle se concentre avec une quasi-obsession sur des problèmes mineurs qui se trouvent inquiéter le grand public, comme la présence de cancérogène dans l’environnement, ou sur des phénomènes stratosphériques qui intéressent énormément les savants, mais qui sont les uns comme les autres des problèmes environnementaux faciles à régler et dont la solution ne requiert l’usage que du simple bon sens. »242 James Lovelock espère développer une « médecine chinoise planétaire » en cela qu’il aimerait plutôt prévenir que guérir. En s’attaquant simplement aux trois fléaux que sont : « les automobiles, le bétail, les tronçonneuses »243, il préconise de trouver une voie soutenable à travers ce qu’il considère être un devoir d’humilité : agir avant que la maladie ne se déclare. Pour lui non plus la technologie ne saurait être à la hauteur de la vie. Certains scientifiques tentent néanmoins à différentes échelles spatio-temporelles de trouver un équilibre quantifié entre des éléments qui stimulent la vie sur terre. La théorie du baquet constitue le modèle de référence de cette vision d’une économie environnementale. Le baquet ou tonneau est constitué de plusieurs lames. Toutes sont identiques. Une lame plus petite que les autres et la brèche est suffisante pour que le niveau du contenu s’aligne à la lame inférieure. Il est donc important que les lames soient toutes de même taille afin d’optimiser la capacité du récipient. Le principe écologique est similaire, affirme Marc Sauvez.244. Pour ce dernier en effet, il s’agit de rétablir un équilibre au sein 241
James LOVELOCK, idem, p. 15. James LOVELOCK, ibidem, p. 15. 243 James LOVELOCK, ibidem, p. 176. 244 Selon un entretien avec lui. A lire notamment Marc SAUVEZ, La ville et l’enjeu du développement durable, Rapport au Ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, Editions de la documentation française, Paris, 2001. 242
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de toutes les activités terrestres de sorte que la qualité vivante de notre planète ne se détériore pas. La difficulté : comprendre (pour modéliser), le juste rapport entre les différentes lames, entre les différentes activités terrestres. A des échelles différentes : territoriales ou sectorielles, on s’y essaie. L’analyse multicritère, développée notamment par Luc Adolphe245 comme outil d’aide à la décision pour les élus, permet déjà de poser cette équation ardue réunissant sur un plan analogue l’activité humaine et la préservation du monde vivant. Mais laborieuse est la construction de ce qu’on appelle les paniers d’indicateurs. On doit cela dit rester bien conscient que la valeur donnée à l’indicateur reste en totalité relative à la connaissance que l’on possède du milieu à un moment précis, et que cette valeur n’échappe pas non plus à un positionnement philosophique ou politique puisqu’elle résulte d’un choix purement anthropique ; au cas contraire on pourrait rapidement glisser d’un modèle scientifique basé sur l’expérience humaine à un totalitarisme technico-scientifique. L’agrégation ainsi obtenue, au plus grand bonheur de certains, peut générer des modèles architecturaux ou urbains optimaux sur le plan de l’environnement. Quelques travaux exécutés par exemple sur le quartier écologique de Beauregard à Rennes dans le cadre de l’AEU246 vont déjà dans ce sens en ce qu’ils déterminent la pertinence d’un modèle urbain : petits collectifs, densité moyenne, orientation sud, chaussées perméables et jardins, transport collectif à proximité, etc..247 245
Luc ADOLPHE est professeur des Universités. Il enseigne à l’Institut Français d’Urbanisme. Ses axes de recherche sont : l’aide à la décision environnementale pour le projet urbain, les indicateurs environnementaux et le SIG, la morphologie urbaine et le microclimat. 246 L’AEU ou Approche Environnementale sur l’Urbanisme, est une méthode urbanistique développée par l’ADEME. Elle constitue pour les collectivités une démarche d’accompagnement des projets en matière d’environnement et d’énergie principalement. Elle a pour objectifs de contribuer au respect des exigences réglementaires en matière d’environnement, de faciliter l’intégration des politiques environnementales dans le projet, de concrétiser les principes d’une qualité urbaine durable, enfin de contribuer à la qualité environnementale des projets urbains. Les thématiques abordées sont : l’énergie, la gestion des déplacements, l’environnement sonore, la gestion des déchets, la gestion de l’eau, la diversité biologique et le paysage. L’AEU se présente comme une démarche d’assistance à maîtrise d’ouvrage sur l’environnement : par la réalisation d’un état des lieux sur les thématiques environnementales (recensement des informations et des connaissances, définition d’axes prioritaires…), par l’assistance à la conduite de projet ( mise en place de groupes de travail, animation de réunion publique…) afin que les préoccupations environnementales et les enjeux du développement durable soient intégrés tout au long du projet, par l’identification de thématiques ou de problématiques à approfondir (aide à la rédaction de cahier des charges d’études techniques, assistance à l’interprétation des résultats…). L’Approche Environnementale sur l’Urbanisme concerne : l’élaboration de documents d’urbanisme tel que les Schémas de Cohérence Territoriale (Scot) et les Plan Local d’urbanisme (PLU) ; et la mise en œuvre d’opérations d’aménagement, lotissements, aménagement de ZAC. Elle peut aussi être adaptée à des projets plus thématiques tels que les Plan de Déplacement Urbains (PDU), Programme Locaux de l’Habitat (PLH) et Schémas d’Equipement Commercial. Voir notamment : Réussir un projet d'urbanisme durable, Méthode en 100 fiches pour une approche environnementale de l'urbanisme AEU, Document Ademe, Editions du Moniteur, Paris, 2006. 247
« La démarche environnementale mise en place pour la Zac de Beauregard, située sur les hauteurs au nord-est de Rennes, s’inscrit dans la logique d’anticipation engagée par la ville. Une étude de
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Mais plus rigoureuses sont les études menées sur le transport et le développement urbain248 avec pour éléments de réflexion : l’extension et la dilution des villes, la ségrégation spatiale, les mobilités nouvelles, l’accélération du temps, la consommation d’espace, de ressources et d’énergie, la pollution atmosphérique, les nuisances sonores, l’impact sur les paysages, etc. L’analyse multicritère nous permet de répondre, en terme de compromis ou de synthèse et de manière mathématique, aux questions environnementales posées par l’activité humaine et urbaine. Le travail de conception de l’architecte-urbaniste s’informatise et se soustrait par là au principe créatif appelant les ressources supposées de l’intelligence humaine et de l’imaginaire. La folie techniciste, l’exemple de l’eau Il semblerait que nous passions notre temps à régler des problèmes que nous avons nous-mêmes engendrés. La problématique de la qualité de l’eau relate de manière flagrante cette folie techniciste. Avant de rejoindre les canalisations qui mènent à nos robinets, l’eau est traitée et souvent mélangée. La protection de la santé publique impose la connaissance de la qualité de l’eau de consommation. Dans ce but, un contrôle est exercé. La mission est claire. Elle porte sur la qualité de l’eau sur l’ensemble de la distribution. 249 Les exigences de qualité sont fixées pour l’ensemble de la communauté européenne et un programme commun de contrôle définit les modalités de manière précise. La fréquence et les types de visites se régulent selon l’origine et la nature des eaux, des traitements, et de l’importance quantitative de la population desservie.
« prévégétalisation » lancée dans les années 80 avait permis de repérer les haies délimitant les parcelles cultivées, de les protéger et de les renforcer afin de créer des allées bocagères pour le cheminement des piétons dans le futur quartier. Ces éléments du paysage rural assurent la continuité avec la campagne qui borde cette zone périphérique. Ils sont complétés par le traitement paysager des cœurs d’îlot. (…). Les recommandations de l’Analyse environnementale et énergétique sur l’urbanisme », préparée en 1995, ont orienté le projet d’aménagement en intégrant en amont un souci écologique. Afin de garantir une collaboration harmonieuse et efficace entre les acteurs, la méthode de travail associe dans des ateliers communs maîtres d’ouvrage, architectes et paysagistes. L’objectif est de réaliser un ensemble homogène tout en laissant aux concepteurs leur liberté de création : la diversité maîtrisée par le dialogue ! », in Dominique GAUZIN-MULLER, L’architecture écologique. 29 exemples européens, Editions du Moniteur, Paris, 2001. 248
Projet PIE, travail conjoint entre l’INRETS-LTE et l’Ecole d’Architecture de Toulouse, laboratoire GRECO, financé par l’ADEME. 249 Cette mission est édictée par le décret modifié n° 89-3 du 3 janvier 1989 qui traduit en droit français les directives européennes du 16 juin 1975, du 9 octobre 1979 et du 15 juillet 1980. Le texte a été modifié selon la directive du 3 novembre 1998 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.
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Les analyses sont effectuées dans les laboratoires agréés par le ministère de la santé. Les résultats font l’objet d’une interprétation sanitaire, d’un traitement et d’une gestion informatisée. Lorsque les seuils de qualité ne sont pas respectés, ce dernier est tenu d’arrêter un programme d’amélioration, assorti d’un calendrier de mise en œuvre. Il est aussi chargé de prendre toutes les mesures pour protéger la santé du consommateur en l’informant notamment sur la nature des risques encourus. En France, les critères de la qualité potable de l’eau sont de deux ordres. Le premier a trait à la santé. L’eau potable doit être sans risque pour la santé à court et à long terme selon le principe de précaution250. Le second est un critère de confort et de plaisir. L’eau doit être agréable à boire, claire et équilibrée en sels minéraux. L’état français a reconnu 42 paramètres qui peuvent se diviser en 7 groupes251 que sont : les paramètres organoleptiques, couleur, odeur et transparence de l’eau, qui n’ont pas de relation directe avec la santé ; (une eau peut sentir le chlore et être parfaitement consommable); les caractéristiques physico-chimiques acquises par l’eau au cours de son parcours naturel ; les substance tolérées jusqu’à un certain seuil (fluor, nitrate) ou se limitant à un désagrément pour l’usager (fer) ; les substances toxiques dont les teneurs tolérées sont de l’ordre du millionième par litre : plomb, chrome… ; les paramètres microbiologiques : (les bactéries et virus pathogènes sont exclus, comme dans tout milieu vivant une vie bactérienne inoffensive et limitée est admise ) ; les pesticides et produits apparentés limités à des doses infimes ; les eaux adoucies ; (elles sont autorisées sous réserve d’une teneur minimale en calcium, magnésium, en carbonate ou en bicarbonate). Les paramètres constituent la norme aujourd’hui appliquée en France et s’appuient sur les travaux médicaux de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) diffusant des recommandations sur les doses maximales admissibles par l’être humain de manière quotidienne sur la période totale de sa vie. Aussi, la norme est supposée inclure une large marge de sécurité et un dépassement temporaire de cette norme ne doit en principe pas comporter de risque pour le consommateur. Par contre, si les doses sont dépassées quotidiennement, on peut alors s’attendre à des risques de cancer, de stérilité, etc. La notion de risque est importante dans cette affaire, car non seulement nous n’avons pas d’indications totalement fiables sur les influences à long terme de certains produits sur
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Principe de précaution que l’ancien Président Jacques Chirac veut inscrire dans la constitution. Voir à ce sujet l’ouvrage de Philippe KOURILSKY et Geneviève VINEY, Le principe de précaution, op.cit.. 251 Selon la circulaire de septembre 2001 intitulée : « La qualité de l’eau potable distribuée par les services publics communaux », Ministère de l’Agriculture et de la Pêche.
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notre organisme - rien n’est véritablement certain de ce côté - mais en plus, il y a toutes ces pollutions jusqu’à aujourd’hui non décelées parce que non connues. Le contrôle sanitaire relève de la compétence de l’Etat. Il est assuré par la DDASS252. Il porte sur le réseau depuis le point de captage jusqu’au robinet du consommateur. Les données issues du contrôle sont diffusées très largement et en particulier auprès des maires qui restent les principaux responsables de la qualité de l’eau potable distribuée. Trois types de substances particulièrement nocives connues : les nitrates, les pesticides et le plomb. Les nitrates proviennent principalement de l’agriculture (engrais minéraux et déjections animales), mais aussi des rejets domestiques et industriels ponctuels. «L’ingestion des nitrates à forte dose est susceptible, sous certaines conditions, de perturber l’oxygénation du sang chez les nourrissons. Par ailleurs, ils sont suspectés, par certains auteurs, de participer à l’apparition de cancers digestifs. (…). A titre de précaution, la teneur en nitrate des eaux destinées à la consommation humaine doit être inférieure à 50mg/litre ».253 Les pesticides sont utilisés en agriculture, dans les industries du bois, pour le désherbage des voies de communication et dans le cadre de l’activité domestique. Leurs usages : herbicides, fongicides, insecticides. « Pour l’homme, les effets sur la santé sont connus dans le cas d’intoxication aiguë. Les principaux organes cibles sont le système nerveux central, le foie et les glandes surrénales. Aux Etats-Unis, « plusieurs études incriminent les teneurs présentes dans l’eau de consommation, il n’y a pas de risque immédiat de toxicité aiguë ni même de risque à court terme. Par contre, ces produits sont suspectés de présenter un risque à long terme par intoxication progressive, en intégrant la totalité des substances ingérées (eau et autres aliments) pendant une vie entière »254.
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Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales. Le conseil supérieur d’Hygiène Publique de France autorise un dépassement momentanée de l’exigence de qualité de 50mg/litre dans les eaux d’alimentation à condition que : « - une information circonstanciée soit donnée afin que les populations sensibles (nourrissons, femmes enceintes) n’utilisent pas cette eau pour l’alimentation ; un plan de gestion des ressources en eau dans le bassin versant soit défini et mis en œuvre afin d’améliorer la qualité des eaux distribuées, un calendrier de mise en œuvre soit défini afin que soit satisfaite dans les plus brefs délais, la limite de la qualité de 50mg/litre. 254 In Pesticides Danger. Effets sur la santé, l’eau et l’environnement, Guide pratique à l’usage du jardinier amateur, Fascicule de la MCE (Maison de la Consommation et de l’Environnement), Rennes. 253
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Aussi, la question du plomb n’est pas sans alerter les services publics, car si l’eau semble potable à la sortie de l’usine de traitement, elle ne l’est pas toujours aux robinets de nos cuisines et salles de bains. D’une part, l’érosion des canalisations dans le temps peut devenir une cause de pollution, d’autre part des accidents ont parfois lieu. Ainsi par exemple, le plomb, qui nous était apparu à un moment de l’histoire le matériau idéal de la modernisation urbaine, est aujourd’hui interdit puisque son ingestion en infime quantité se trouve être à l’origine de la maladie du saturnisme.255 Bien que les seuils de la quantité des micro-polluants soient respectés, à long terme, il n’est pas de garantie que ces derniers n’aient d’influence sur la santé. La théorie de la mémoire de l’eau256, basée sur l’expérience homéopathique, amène à penser que les doses les plus infimes ou même inexistantes d’un point de vue quantitatif restent opérantes quant à l’information qu’elles peuvent délivrer à notre organisme. La Communauté européenne, si elle soutient et finance les collectivités territoriales, ne se donne néanmoins pas pour mission de comprendre voire d’assister ces dernières, plutôt elle exige des résultats ; une manière de responsabiliser les collectivités locales sans forme d’ingérence, dans le « respect » des cultures, des pratiques, des méthodes des administrateurs locaux. C’est leur mot d’ordre.257 Cependant, la problématique reste entière : l’équation à résoudre pour 2015 de la loi cadre est d’assurer une production agricole et d’améliorer la qualité de l’eau en réduisant notamment le taux de nitrate par litre. Pour améliorer dans le domaine de l’eau l’efficacité de sa politique composée d’une trentaine de directives ou décisions communautaires, l’Union européenne a adopté le 23 octobre 2000 une directive cadre. Elle impose aux Etats membres d’atteindre un bon état écologique (état biologique, chimique, physicochimique et hydromorphologique) des eaux souterraines et superficielles (eaux douces et côtières) en 15 ans. Ce délai doit permettre de dresser un premier état des lieux et d’élaborer des programmes pluriannuels définissant les objectifs à atteindre et les mesures destinées à réduire progressivement les rejets de substances toxiques. 255
Un programme de rénovation des canalisations de la Ville de Rennes a à cet égard été entamé. La théorie de la mémoire de l’eau est une théorie tout d’abord développée par Jacques Benveniste, biochimiste français, accueillie puis réfutée par le monde scientifique international après un article paru dans Nature, récupérée enfin par d’autres biochimistes. Cette théorie comme son nom l’indique propose une conception selon laquelle les molécules pourraient comporter un ensemble d’informations relatives à leur histoire. Voir notamment les interventions de Yann Olivaux, biophysicien de formation, conférencier, auteur d’articles et d’études sur l’eau en sciences, (cf. n° de la revue Biocontact de juin 2004 et du magazine Effervesciences n° 31) et militant environnementaliste (Associations “Eau et Rivières de Bretagne” et “Eau Future”) ; et de Yolène THOMAS, directrice de recherche CNRS (IFR89 – Villejuif), immunologiste et cofondatrice du réseau Vigicell, - lors des Journées toulousaines de l’eau, colloque 2006. 257 Voir notamment l’article d’Irène BELLIER, « Pluralisme linguistique et intégration européenne : les tensions identitaires de l’Union », Horizons philosophiques, vol.12, n° 1, pp. 53-86. 256
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En France, ce texte a été transposé par la loi du 21 avril 2004. Elle complète notamment les dispositions régissant les documents de planification pour les conformer au modèle européen. En cours d’élaboration, ceux-ci doivent être approuvés d’ici la fin de l’année, afin de faire l’objet d’une consultation publique au début de l’année 2008. L’état des lieux réalisé en 2004 à la demande de l’Union européenne révèle que seules 23% des masses d’eau superficielles et 43% des masses d’eau souterraines françaises devraient très probablement atteindre un bon état écologique sans effort supplémentaire. Concernant les masses d’eaux restantes, 32% étaient d’ores et déjà classées en risque avéré de ne pas atteindre cet état si aucune mesure supplémentaire n’était mise en place, 31% étaient classées en doute faute d’une information suffisante, 37% n’avaient pu faire l’objet d’une évaluation. Selon la nature des sols, selon la pluviosité annuelle, selon un ensemble de paramètres écosystémiques, les résultats peuvent différer du simple au double. Le présupposé de cette démarche politique propose une vision très mécaniste des comportements naturels. Que valent donc les documents préparés par l’INRA258et signés par les divers acteurs qui figurent dans le document du PMPOA259 ? Les doses prescrites vont-elles, si elles sont respectées, rentrer dans les clous des obligations citoyennes des collectivités locales. Et d’une manière plus polémique, que vaut donc cette limite que s’est donnée Bruxelles ? Un moyen de se donner bonne conscience ou un élément scientifique de taille à la mesure des problématiques de développement des sociétés humaines sur le territoire et de préservation de la qualité vivante des milieux ? Dans cette histoire, la médecine et la science sont les grands ordonnateurs de la potabilisation de l’eau.260 Depuis Pasteur, une culture hygiéniste est de mise et les procédés de traitement ne cessent de se perfectionner. Au début du siècle, on stérilise l’eau par l’ozone, puis par le chlore en raison des coûts de production. En 1914, la filtration lente se voit remplacée par une filtration rapide appelée aussi physico-chimique. 258
Institut National de la Recherche Agronomique. En octobre 1993, les ministères chargés de l’agriculture et de l’environnement ont élaboré en concertation avec les organisations agricoles, un programme de maîtrise des pollutions d’origine agricole : le PMPOA. Ce programme a pour but de protéger les milieux aquatiques, de conserver une agriculture dynamique. Les principales pollutions des eaux d’origine agricole sont visées. Tous les systèmes de production sont concernés : élevage et cultures. Les volets de ce programme sont : les pollutions par les produits phytosanitaires, les pollutions par les nitrates, les productions végétales et l’élevage. 259
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Sur ces questions voir notamment l’ouvrage de Christine DOURLENS et Pierre A. VIDAL-NAQUET, La ville au risque de l’eau, Collection Logiques Sociales, Editions L’Harmattan, Paris, 1992.
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Puis l’association de désinfectants et du charbon actif améliore le rendement de la filière de traitement. On croit jusqu’en 1945 à l’éradication des risques hydriques. Ce n’est plus qu’une question de temps et d’argent. Mais au fur et à mesure qu’on trouve des solutions aux problèmes de santé posés, qu’on répond de manière efficace aux agents pathogènes que sont par exemple le bacille typhique et le vibrion colérique, les idéologues du progrès qui sont sensés assurer les lendemains qui chantent, déchantent. De nouveaux éléments pathogènes apparaissent. Doit-on continuer à espérer une maîtrise parfaite de la science et de la technique ? Il semblerait que non. On craint aujourd’hui moins les virus que les pesticides, moins la mort que la non reproductibilité humaine. Une agriculture biologique pourrait changer la donne. Lorsqu’il est question de politiques agricoles aux débats de 4D261 ou d’ailleurs, on vous explique qu’une certaine forme de productivisme est inéluctable si on ne veut pas connaître à notre tour les famines que nos ancêtres ont connues.262 Les praticiens et théoriciens de l’agriculture peinent à se mettre d’accord. Néanmoins, les expérimentations263 et les ouvrages sur la question ne manquent pas. Faire autrement, est-ce vraiment possible et surtout à quel prix ? Au prix peut-être de redevenir essentiellement végétarien.264 Il était de coutume autrefois pour une large partie de la population de ne manger de la viande que le dimanche. Et bien qu’on soit souvent amené à penser le contraire, les besoins de l’organisme en apports nutritionnels étaient respectés. Les économistes fervents d’une politique de décroissance265 proposent de relever le défi. En revoyant nos besoins à la baisse, en partageant de manière équitable les ressources existantes, il est encore possible de sauver la planète. La communauté
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L’association 4D (Dossiers et Débats pour le Developpement Durable) a été créée afin de constituer un réseau citoyen pour la promotion du développement durable et pour le suivi des engagements pris par la France comme par les autres Etats membres de l’ONU. Par la suite, elle a été désignée pour assurer la coordination des organisations de la société civile française à l’occasion du nouveau sommet qui s’est tenu en 2002 à Johannesburg. Tous les thèmes abordés dans ce cadre ont une dimension internationale, mais s’imbriquent parfaitement dans les actions menées à tous les niveaux d’organisation de nos sociétés. 262 Certains remettent, à ce titre, en cause la quantité d’hommes sur la planète et l’augmentation de l’espérance de vie de ces derniers. 263 On peut noter l’expérimentation du japonais Masanobu FUKUOKA. Voir son ouvrage La révolution d’un seul brin de paille. Une introduction à l’agriculture sauvage, Guy Trédaniel Editeur, 2000. 264 En effet, la production animale demande pour une production alimentaire équivalente plus de surface que la production végétale. 265 On peut par exemple citer René PASSET ou Serge LATOUCHE, voir notamment l’ouvrage dirigé par Philippe MERLANT, René PASSET, et Jacques ROBIN, Sortir de l’économisme. Une alternative au capitalisme néolibéral, Les Editions de l’Atelier/Les Editions Ouvrières, Paris, 2003.
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européenne reste cependant frileuse266, et ne semble pas prête à prendre le risque d’une telle révolution, voire d’une pénurie, sur le plan de l’alimentation. Nous y reviendrons. Notre espérance de vie a augmenté, notre stérilité aussi. Cette course contre la mort retient la vie.
2. Les contaminations du technique sur le politique Par cet essor technico-scientifique, les sociétés modernes se développent donc de manière totalement inédite. Le monde s’artificialise à un rythme qui produit l’étonnement. L’homo faber prend peu à peu une place déterminante sur le plan historique, et l’ingénieur comme le médecin obtiennent les positions les plus élevées sur l’échelle sociale. L’humanité, en pensant s’arracher à l’emprise que la nature exerce sur elle, conçoit son élévation par le biais d’une technicisation généralisée. Les nouvelles technologies : l’énergie nucléaire, la cybernétique, les biotechnologies, nous amènent à nous penser indestructibles, tout-puissants. L’ensemble des révolutions technologiques auxquelles nous avons assisté, marque cette glorification de la technique267. C’est toute l’institution ainsi qui a, par influence, été revue à la lumière de la technostructure, générant une révision majeure des concepts et des pratiques. Les disciplines que sont l’économie, la sociologie, l’anthropologie ou la science politique s’enrichissent des visions cartésiennes et développent chacune leur outil pour répondre aux problématiques alors définies et par le biais desquelles la spécialisation des tâches s’opère. L’occident s’organise ainsi en fonction non plus d’un ordre moral, religieux ou éthique mais des possibilités techniques envisageables. Telle une machine, une « mégamachine » disent certains intellectuels, la société occidentale a atteint une complexité ou chaque élément résulte d’une logique particulière, et importe pour la pérennité de l’ensemble. Les visions technicistes et fonctionnalistes sont à la hauteur des espérances des individus en terme de rendement ; car la technique produit et permet même de produire de plus en plus de biens de consommation. Elle devient de fait 266 Aujourd’hui encore, beaucoup d’agriculteurs dénoncent une mauvaise distribution des fonds européens, ce qui n’amorcerait pas une politique de développement durable. Autrement dit, selon la dernière Politique Agricole Commune (PAC), les quelques gros exploitants continuent à s’enrichir excessivement pendant que les petits continuent à vivoter et à chercher toutes les astuces pour se faire un peu de marge. 267 « Non seulement notre vision du réel a été transformée par la physique quantique et la relativité ; non seulement les savoirs de tous ordres se sont accrus plus vite que la population et les richesses, mais encore l’industrie, les relations internationales, les rapports économiques, se sont redéfinis en fonction de la recherche et des investissements », in Lewis MUMFORD, Le mythe de la machine, vol. I et vol. II, Editions Fayard, Paris, 1973,1974, p. 1.
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synonyme d’abondance. En cela elle s’autojustifie en totalité. La mort recule. Les richesses s’amoncellent. Comment, dans ce cadre, le caractère positif de la technique pourrait-il échapper au monde des évidences ? La rationalisation des pratiques et la construction d’un monde artificiel ont peu à peu changé les institutions par l’induction d’un sens précis justifié par la logique ; c'est-àdire par l’indubitable. Le monde des hommes en se désacralisant, puisqu’il se plie aux exigences techniques pour assumer des conditions d’existence, s’ouvre ainsi à un monde politique spécifique non plus guidé par la valeur, ou même le désir, mais par l’efficacité pratique. Pour autant, le débat politique est en large partie dévoyé quand il donne à l’outil ou à la solution, soit au moyen, toute la place, et ne prend plus en compte les désirs de « vivre-ensemble ». En cela, avec l’apparition de la technique, c’est tout un projet socio-historique qui est lancé, une domination de la logique de la maîtrise et de la domination de l’homme sur la nature et bientôt sur lui-même. En effet, le cadre de la rationalité n’échappe pas, biensûr, à l’organisation collective du travail, rendant absente la liberté de l’homme face à un implacable pragmatisme, technique et domination étant en cela totalement consubstantielles. Le confort, l’abondance matérielle, servent de principale légitimation à la technique et de fin au travail. D’abord on enferme l’esprit pour ensuite enfermer le corps. L’illusion technique et scientifique Notre pensée sur la nature s’est donc dégradée au fur et à mesure que notre monde s’est élargi, que cette dimension purement humaine, c'est-à-dire artificielle, s’est au fil du temps déportée sur la biosphère. Les transformations matérielles et la multiplication des arraisonnements268 scientifiques ont échangé, dans les représentations, l’inconnu pour le connu, l’incertain pour le certain, et la spiritualité pour la science et la technique. Aux questions métaphysiques les hommes ont trouvé des réponses scientifiques. Depuis Descartes, cette motivation anthropocentriste n’a fait que s’amplifier et avec les lumières, elle n’en est pas restée à une appropriation philosophique de l’espace social, plutôt elle a déployé ses valeurs sur l’ensemble des dimensions économiques de la société. La place de la nature dans cet ordonnancement : un objet immédiat de la science que traite l’homme, une sorte de « cobaye » pour lequel nous n’avons aucune forme de respect. 268
Ces notions ont été particulièrement développées par Martin HEIDEGGER, dans Concepts fondamentaux, texte établis par Pétra Jaeger, Editions Gallimard, Paris, 1985.
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Avec la technique, la notion de développement comme de sous-développement se cristallise. En cela que l’expansion de la mégamachine offre puissance et gloire, l’homme a tendance à vouloir reproduire cet essor sur l’ensemble du territoire du globe. La technique et la science constituent pour lui une vérité fondée, non comme dans la tradition sur une croyance, mais sur une réalité tangible puisque scientifiquement vérifiable. Par là, elles vont peu à peu s’arroger le statut de religion pour laquelle l’adhésion est résolument universelle. « En un siècle ou deux, la charpente idéologique qui soutenait la mégamachine ancienne avait été reconstruite sur un modèle neuf et amélioré. Puissance, rapidité,
mouvement,
standardisation,
production
de
masse,
quantification,
réglementation, précision, uniformité, régularité astronomique, contrôle, surtout contrôle, tels devinrent les mots de passe de la société moderne dans le nouveau style occidental. Une seule chose était nécessaire afin d’assembler et de polariser tous les éléments nouveaux de la mégamachine : la naissance du dieu du soleil. Or au XVIème siècle, grâce à Kepler, à Tycho Brahé, à Copernic, jouant le rôle d’accoucheurs, le nouveau dieu du soleil était né »269. En devenant référentiel, puisque « potentiellement partagé » par tous, le développement technique et scientifique établit une idéologie vis-à-vis de laquelle l’étrangeté de l’autre disparaît. « (…) on ne voit plus, on compare », nous expose Gilbert Rist, et il ajoute : « Du coup, les sociétés non occidentales se trouvent privées à la fois de leur histoire et de leur culture. La première est réduite à l’imitation de l’épopée occidentale, la seconde ne survit qu’à l’état de restes ou de vestiges qu’il convient de faire disparaître ».270 Pour légitimer l’orgueilleuse prise de pouvoir des occidentaux sur le reste du monde, il n’y a qu’un pas, qu’on ne tarde pas à faire. Le colonialisme donne le ton à cette mise en œuvre au travers de laquelle un prosélytisme technique banalisé fait tâche d’huile. Parce que la technique rend l’homme puissant, tout puissant même comme le suppose le fantasme, elle s’autojustifie. La méthode scientifique, sorte de modèle rationnel de présence au monde, constitue ainsi une forme d’autosatisfaction excluant le principe culturel et ralliant l’utilitarisme271. Nous vivons donc ainsi sur les trois derniers 269
Lewis MUMFORD, op. cit., p. 392. Gilbert RIST, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Editions Presses de Sciences Po, Paris, 1996, p. 74. 271 Sur ces notions, voir l’ouvrage de John Stuart MILL, L'Utilitarisme, traduction et présentation de Georges Tanesse, Collection Champs, Editions Flammarion, Paris, 1988.
270
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siècles un retournement fondamental que nous appelons moderne, comme une négation de l’être et des problèmes de l’âme272. La technique évolue, se développe, et les solutions qu’elle propose n’en finissent par là jamais de reporter à demain la réalisation humaine comme conscience de mort, de finitude, comme acceptation pleine et entière de sa destinée273. Par l’espoir techniciste, l’homme est appelé à ne rien résoudre de sa problématique existentielle. Dans un autre mouvement, il est amené à développer la patience. La spéculation techniciste crée l’attente mortifère et réduit la réflexion profonde. Une forme de passivité s’installe ainsi. Par là, on assiste au développement d’une culture où la pratique l’emporte systématiquement sur le critique, ou la technique prévaut sur la posture274. « La crise des humanités se situe d’abord sur le plan du savoir : la prédominance de l’information sur la connaissance, de la connaissance sur la pensée, ont désintégré le savoir. Les sciences ont contribué puissamment à cette désintégration en spécialisant à l’extrême ce savoir. La science n’a pu susciter qu’un agrégat de connaissances opérationnelles (…). La science, de par son caractère relationnant et relativiste, sape en profondeur les bases mêmes des humanités (…) enfin la science, en développant l’objectivité, développe en fait une dualité permanente entre le subjectif et l’objectif. »275 Prolifère sur le territoire un système technicien pour lequel l’universalité rationnelle s’enracine dans les cultures et les civilisations. La culture comme « domaine où se déroule l’activité spirituelle et créatrice de l’homme »276, selon la définition de Martin Heidegger, se trouve ainsi vidée de sens puisque précisément dénuée de signification au temps et aux représentations humaines. « La culture vraie ne peut être universelle », nous confie Jacques Ellul277. Dans cette perspective, l’homme a tenté d’échapper à la nature en se confectionnant un monde sur-naturel, que lui seul maîtrise. Refusant ainsi sa position de subissant, il cloisonne la nature et institutionnalise le rationalisme. La vérité n’est désormais plus à chercher dans la contemplation comme le faisaient les philosophes grecs 272
En référence à Martin Heidegger. Ce qui renvoie à la notion de « surhomme » chez Friedrich Nietzsche, selon l’interprétation qu’en fait Michel ONFRAY, dans notamment les conférences de l’Université d’été de Caen, retransmises par France Culture en août 2007. 274 Pour les philosophes atomistes de l’Antiquité qui cherchaient plutôt à fonder l’indépendance de l’homme vis-à-vis des liens qui l’attachaient à la nature, le désir de possession du monde par la connaissance n’est pas dans leur intention. En effet, Epicure ou Lucrèce, dans une forme de renoncement à leur liberté, entretenait une idée plus morale du rapport de l’homme avec son milieu, dans une perspective salvatrice d’un détachement que seule une physique pouvait soutenir. Les uns mortifient et s’approprient la nature. Les autres s’en détachent et développent une éthique déterminant un ordre dans la relation entre l’homme et le vivant. 275 Edgar MORIN, in Jacques ELLUL, Le bluff technologique, Editions Hachette, Paris, 1988, p. 175. 276 Martin HEIDEGGER, Essais et conférences, Collection Tel, Editions Gallimard, Paris, 1980, p. 49. 277 Jacques ELLUL, op. cit., p. 178. 273
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de l’antiquité par exemple, mais dans les logiques qui n’appartiennent qu’au monde et aux théories sur le monde, c'est-à-dire à un espace délimité par les frontières de la connaissance, un espace fragmenté, découpé, mortifié. L’état des savoirs organise ainsi l’insularité278 de l’homme moderne. Dans cette idée, l’homme apparaît sans filiation à un ordre, comme s’il n’était né de nulle part, tout juste de lui-même. Cet homme « autoconstruit », « sans racine », « autoformé », développe un rationalisme à toute épreuve pour lequel rien n’existe au-delà des présupposés. On rejette ainsi l’inexplicable comme insignifiant. On imagine que les progrès scientifiques et techniques sauront nous donner satisfaction et prouver notre omnipotence en repoussant notamment toujours plus loin le moment où il nous faudra mourir. Cette illusion scientifique et technique implique donc un ensemble de contaminations du réel ou archétypes qui nous empêchent de penser l’au-delà279. Autrement dit, comme le souligne Edgar Morin, « la maison est close »280, et bien que la science, au travers des diverses découvertes, aurait pu permettre d’ouvrir grandes les portes de cette maison, c’est l’inverse qui se passe. Paradoxalement, nous n’avons fait en réalité que les refermer davantage en figeant toujours plus les centres et les frontières disciplinaires. En élaborant un langage scientifique précis afin d’accéder partie par partie au réel, nous sommes tombés dans le piège du réductionnisme scientifique et de l’idéologie. Pourtant, l’homme n’a jamais fait autre chose que de faire coopérer idée et réel, rationalité et mythe, technique et magie. Dès la préhistoire, nous dit Edgar Morin, on retrouve ces formes complémentaires au service du rêve humain : maîtriser les terres, les mers et le ciel.281 Les mythes n’ont jamais cessé de se soustraire au réel, de s’infiltrer dans chacune de nos pensées. Qu’il soit religieux, philosophique ou scientifique, le mythe, forme récitée et paradigmatique, confère en lui-même le sens du langage, ce dédoublement récursif, par lequel le monde opère et s’opère. Edgar Morin utilise le terme 278
Expression d’Edgar Morin utilisée dans Le paradigme perdu : la nature humaine, op. cit.. Vimala THAKAR, en faisant la critique d’une pensée capitalisante et hégémonique, analyse la complexité de la conscience humaine en distinguant trois niveaux : « Nous avons le niveau perceptif, le niveau conceptuel, et un troisième niveau, impossible à nommer, appelons-le transconceptuel, (…) nous sommes amenés à vivre avec la nature, avec le monde créée par l’homme, et à prendre conscience de ce qui est au-delà de ce monde. Entre autres, elle constate : « le niveau intermédiaire est devenu si important que les deux autres ont été négligés. », in Alain DELAYE, Sagesses concordantes. Quatre maîtres pour notre temps : Etty Hillesum, Vimala Thakar, Prajnanpad, Krishnamurti, Editions Accarias - L’originel, Paris, 2003, p. 111. 280 Edgar MORIN, op. cit., p. 21. 281 Edgar MORIN, La méthode. L’humanité de l’humanité, tome 5 : l’identité humaine, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, 2002. 279
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de noosphère. « La noosphère, milieu conducteur et messager de l’esprit humain, nous fait communiquer avec le monde tout en faisant écran entre nous et le monde. Elle ouvre la culture humaine au monde tout en l’enfermant dans sa nuée. Extrêmement diverse d’une société à l’autre, elle emmaillote toutes les sociétés. La noosphère est un dédoublement transformateur et transfigurateur du réel qui se surimprime sur le réel, semble se confondre avec lui. La noosphère enveloppe les humains, tout en faisant partie d’eux-mêmes. Sans elle, rien de ce qui est humain ne pourrait s’accomplir. Tout en étant dépendante des esprits humains et d’une culture, elle émerge de façon autonome et par cette dépendance ».282 Mais si la noosphère est celle-là même qui nous définit comme humain, et qui fait notre vie et notre monde surtout, peut-être s’agit-il de ne pas oublier qu’elle n’est qu’une construction. L’humanité ne peut en effet se déterminer autrement que dans ce qui la définit universellement : la nature ; car « un homme qui ne serait qu’homme, uniquement de et par lui-même : une telle chose n’existe pas »283. En effet, si nous avons fini par considérer les points d’accroche au réel comme des vérités alors qu’ils n’en constituent qu’un agrégat, que nous avons compris l’objet fabriqué comme unique et totalement asservi à la société humaine, nous avons par là même assassiné l’inaliénable. Bref, nous avons cédé sur notre orgueil et nos peurs, et trahit l’humilité qui dessine si soigneusement le contour de notre humanité profonde, celui d’un être libre. Nous nous sommes aliénés à notre monde. Par cette idéologie de la maîtrise nous avons réinvesti la figure du maître, nous avons ainsi supplanté celle de l’autre, de l’indéfini, du vide. En remplissant ce vide nécessaire au souffle de vie, nous avons succombé à la tentation de combler nos manques. Alors le moment de l’angoisse lors duquel « le manque vient à manquer », selon un petit jeu de mots de Lacan, est latent. Dans la culture japonaise, ce vide est symbolisé par le tokonoma. Le tokonoma est un petit creux au cœur de la maison qui la rend habitable, un petit creux dans un mur par exemple, qui nous rappelle à la loi du manque. « Le manque de Tokonoma (…), ce serait le manque de ce petit symbole qui est un manque en soi et dont la disparition provoquerait l’angoisse et la nécessité de fuir dans la phobie et la claustrophobie ».284
282
Edgar MORIN, idem, p. 38. Martin HEIDEGGER, op. cit., p. 43. 284 Miquel BASSOLS, De la panique à l’angoisse, Actes du Pont freudien, Conférences et Séminaires, 3ème rencontre, Montréal, 1999. 283
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Ce manque est en réalité un manque symbolique de mort. Et à l’époque moderne la mort manque affreusement ; car l’homme ne peut vivre sans elle ; elle est à l’origine de toute vie.285 Elle est renouvellement et mutation. Elle est la forme de castration la plus aboutie. « Nous ne savons pas mourir, dit Krishnamurti, parce que nous ne savons pas vivre. »286 Les Grecs nommaient mortels les hommes parce qu’ils avaient justement de spécifiquement douloureux leur disparition. Le traumatisme de la mort n’est que peu assumé pour l’espèce humaine. Maintes traditions invitent à nier ce mouvement vers le néant, cette décomposition latente où se rencontrent l’esprit humain et le monde biologique. La mort apparaît ainsi comme un point d’articulation crucial entre l’homme et la nature. Dans son refus de mourir, l’homme ne se résout ainsi pas à recouvrir son unité. Par sa souffrance de subissant, dans ses résistances, il convoque sa dualité, il se refuse à la nature. Au centre des préoccupations du sujet, la mort, où cette contradiction entre le tout et le rien engage les plus fortes contrariétés. Les fantasmes d’immortalité consolent les fortes têtes. Pourtant, sans la mort et les préoccupations qui s’engagent avec elle dans leur forme conscientisée, pas d’espace de vie. Il n’est en effet d’espace sans vide, d’habité sans creux. Pour Heidegger, il nous faut penser la mort, faire émerger son être-pour-lamort, son être-jeté dans le monde, sans quoi nous sommes pour lui automatiquement portés à ne vivre que dans l’immobilisme de l’angoisse, parce que résidant en dehors du monde. Penser sa mort, c’est intégrer le monde, sa propre temporalité ; alors le Dasein peut devenir sujet.287 Ce destin cosmique pour lequel l’heure de la mort n’est jamais définie par avance, s’imprime dans les consciences du jeune humain. Dès l’âge de huit ans, le petit de l’homme pense à la mort, celle des êtres aimés et de la sienne propre. Il pourra ainsi se développer et grandir, en son sein, comme porté par elle. Notre identité de mortel est largement masquée par notre imaginaire et nos mythes tant religieux que technicistes. La civilisation occidentale, en repoussant les limites de la mort, paie tous les jours ses progrès scientifiques par une régression de conscience ; au sens où la conscience est avant toute chose une conscience de mort. Alors ce refus de mort biologique invite, dans les pratiques, à une mort spirituelle.
285
Le reste est libertinage et grossière méprise. Alain DELAYE, op. cit., p. 295. 287 Ces notions sont développées dans son ouvrage, Être et temps, Collection Bib Philosophie, Editions Gallimard, Paris, 1986. 286
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La civilisation techniciste ne gagnerait donc pas sur tous les plans malgré des croyances largement répandues ; car ce manquement à la nature et à la mort ébranle au quotidien les hommes de l’époque moderne. Georges Friedmann pose cette question cruciale : « La civilisation technicienne participe aux modèles des sociétés industrielles évoluées, à leurs mythes : culte des innovations techniques, de l’efficacité, de la productivité, fétichisme de la croissance économique continue. En quoi ce processus d’expansion doit-il continuer ? A quels genres de besoins correspondent beaucoup d’innovations techniques ? Tout ce qui est efficace est-il bon pour l’homme et contribue til pour lui à la « bonne vie ?» » 288 Il semblerait que cette perte de contact avec la nature, avec ses rythmes, avec ses contraintes comme forme d’altérité, voire comme roc, qui seules engagent le respect et l’amour, éloigne l’humanité de son essence profonde. Dépouillés de l’essentiel, perdus dans des spéculations technicistes où la confusion règne entre la fin et les moyens, avides de matérialité, les hommes des sociétés industrielles évoluées sont devenus incapables, parce qu’ils n’en ont plus l’occasion, de se dépasser eux-mêmes, puisqu’ils ont malheureusement effectué ce que Cournot289 appelle le passage
du « vital » au
« rationnel »290. Sigmund Freud parle de Malaise dans la culture, Hannah Arendt de Crise de la culture. La civilisation techniciste a enrichi les sociétés développées. Néanmoins l’espace devient saturé. Nous y étouffons.
288
Voir l’ouvrage déjà cité de Georges FRIEDMANN, Sept études sur l’homme et la technique. Le pourquoi et le pour quoi de notre civilisation technicienne, Editions Denoël/Gonthier, Paris, 1966, p. 200. 289 Antoine-Augustin COURNOT, in Georges FRIEDMANN, op. cit., p. 200. 290 « Les valeurs et les buts accordés à nos croyances ou incroyances, quelles qu’elles soient – se découvriraient à travers notre maîtrise des forces de la nature mais aussi et surtout, dans notre esprit et dans notre cœur, à travers notre difficile victoire sur nous-mêmes. », in Georges FRIEDMANN, idem, p. 202.
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De la machine à l’homme-machine Ce mythe du progrès technique se lie à la notion de destin humain où il devient impensable de résoudre les problèmes sans apport technique. La posture échappe à la réflexion. Seul le moyen compte. Par là, l’instrumentalisation devient le seul choix possible dans un monde où le sujet travestit toute chose y compris lui-même en objet. Par cette instrumentalisation, sorte d’autorité nouvelle où se mêlent hiérarchies rationnelle et sociale, se consument la liberté de l’homme et son bien (et mal) fondé, sa poésie en somme, et grandit l’enfermement totalitaire d’une rationalité toute-puissante parce que tout simplement reconnue comme telle. Pouvoirs scientifique et technique associés à celui du savoir, deviennent ainsi les bases d’une tyrannie objective pour laquelle une moralité moderne se déploie dans les affects et les valeurs. Jürgen Habermas regrette cette fuite en avant d’humanité et de liberté dans les pratiques et les représentations des sociétés de l’époque moderne, et propose une autre alternative par l’idée d’une nouvelle technique. « Au lieu de traiter la nature comme objet dont il est possible de disposer techniquement, on peut aller à sa rencontre comme à celle d’un partenaire dans une interaction possible. »291 En développant l’idée de fraternité dans des relations espérées avec la nature, il prête une certaine subjectivité à cette entité vivante, ce qui n’est pas sans rappeler les traditions animistes des peuples amérindiens et asiatiques. Cela dit, explique-t-il, il serait important, non pas de reconnaître la nature comme un autre sujet comme le proposent les idéologies New-Age,292 mais plutôt reconnaître en elle-même l’autre du sujet. Dans cette perspective, une resacralisation de la nature prendrait la direction d’une révolution culturelle médiatisée par un renouveau symbolique. Ainsi, le présupposé technique pourrait s’éluder devant le présupposé politique autonomisé ; car bien que l’action signifie toujours un point de rencontre, une anticipation évaluée entre un mouvement et le résultat de ce mouvement, via une motivation qui s’y attache, la technique reste pardessus tout un moyen. Pour autant, seule l’intentionnalité compte et la structure sociale et politique qui la détermine dans l’espace public. Autrement dit, l’homme peut rester libre de la technique et de la mécanisation à condition qu’il ne succombe à son identification voire à sa soumission à elles. Mais l’activité instrumentale ne cache-t-elle pas une difficulté très humaine à assumer sa liberté. Certains diraient qu’il n’y a rien de plus angoissant pour l’homme que 291
Jürgen HABERMAS, La technique et la science comme « idéologie », Collection Tel, Editions Gallimard, Paris, 1973, p. 14. 292 Voir à ce sujet notamment l’ouvrage de Michel LACROIX, L’idéologie du New Age, op. cit..
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l’idée de sa liberté ou même de son bonheur. La recherche du bonheur, comme une activité reconnue par tous, ne serait pas forcément une fin, mais une activité permettant au contraire d’effacer la piste qui pourrait y mener. L’institutionnalisation de la technique par la société bourgeoise a généré une hiérarchie technique et sociale qui pérennise dans la pratique un mode de vie très régulé. Pour ainsi dire, la tradition rationnelle, nous confronte à l’époque moderne moins à nos désirs qu’à une projection de nos besoins, qu’à une production conditionnée, dans une réciprocité sans faille. En quelque sorte, nous y sommes bien tranquillement « planqués ». Jürgen Habermas le souligne d’une certaine manière quand il dit : « À cette catégorie de la réciprocité, l’idéologie bourgeoise fait ellemême d’un rapport propre à l’activité de type communicationnelle le fondement de sa légitimation »293. C’est toute la forme de la rationalité économique qui biaise le politique par la notion d’échange. L’échange, légitimé par la rationalité, et l’efficacité, au cœur du politique, prend le pouvoir. Ainsi le pouvoir politique, légitimé par le biais des pratiques sociales, assure par des jeux de langage un semblant d’équité, où le statut de domination et de celui de propriété deviennent de simples éléments du marché où chacun tient une place. Cette forme démocratique s’étend à tous les domaines d’activité ; et les relations à l’origine d’interactions entre les sujets situent par là la plate forme d’une activité rationnelle par rapport à une fin, et pendant laquelle chacun se retrouve être l’objet de l’autre.294 La tradition économique renverse donc les traditions éthiques, morales, religieuses, liées à l’idéal d’un bien commun, en réorganisant les contenus selon des règles de droit formel et d’échange des équivalents. Elle se fait la critique des idéologies fondées sur les philosophies humanistes comme forme de pouvoir, et isole la fonction économique de toute idéologie en apparaissant comme l’unique résultat d’une négociation. Les outils économiques et techniques deviennent ainsi suprêmes et souverains. Jürgen Habermas nous rappelle subtilement que « les idéologies sont indissociables de la critique de l’idéologie. (…), et que dans ce sens il ne saurait y avoir d’idéologies pré-bourgeoises ».295 Le mythe, la religion, les rites, la métaphysique, ne peuvent donc être totalement éludés, juste remplacés par l’idée d’une délibération positive et rationnelle, qui fait non seulement autorité mais totalise l’ensemble des activités humaines. On a de ce fait le 293
Jürgen HABERMAS, op.cit., p. 30. Nous y reviendrons. C’est l’idéologie du libéralisme. 295 Jürgen HABERMAS, idem, p. 34. 294
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sentiment d’une justice sociale basée sur le « mérite », pour laquelle chacun vit à sa mesure, selon ce qu’il a à échanger. On oublie rapidement les conditions préalables à la production de biens. On trouve là peut-être l’élément majeur de distinction à faire de cet économisme bourgeois quand il se dégage des règles normatives des interactions au sein de l’espace public, quand il les dépolitise et les subordonne à une activité rationnelle en devoir d’efficacité. « La nouvelle idéologie porte par conséquent préjudice à un intérêt qui est lié à l’une des deux conditions fondamentales et culturelles de notre existence – autrement dit au langage, ou plus exactement à la forme d’une socialisation et à l’individuation telle qu’elle est déterminée par la communication établie dans le langage courant. Cet intérêt concerne aussi bien le maintien d’une intersubjectivité de la compréhension que la réalisation d’une communication exempte de domination ».296 L’invention de la machine a eu des conséquences majeures sur les évolutions de nos sociétés. La technologie a transformé notre vision du réel et notre sens de l’organisation. Nos pratiques ont évolué, nos mythes également. A l’encontre de tout obscurantisme, un dénigrement de tout ce qui s’apparente au mystère et à la magie s’est généralisé dans ce monde nouveau de la transparence et de l’omniscience. La culture techniciste s’est peu à peu ingérée dans tous les domaines de l’activité humaine, introduisant le concept d’instrumentalisation et de régulation rationnelle au cœur de nos consciences. Le salut humain n’est alors plus perçu comme le résultat d’un chemin personnel et intérieur, comme c’est le cas dans maintes traditions religieuses ou spirituelles. Il ne demeure alors que peu de choses, dans les représentations, de la nature de l’homme, de ce qui précisément le rend humain : le cœur. « En ce point « omega », rien ne subsisterait de la nature originelle autonome de l’homme, excepté l’intelligence organisée : une couche universelle et toute puissante d’esprit abstrait, sans amour et sans vie ».297 La technologie, de prime abord, centrée sur la vie, vouée à servir l’humanité, s’est peu à peu rendue indispensable à ceux qui recherchaient la puissance. Cette jouissance due à la technique et à la science a pléthoriquement comblé l’humanité angoissée et affamée, produisant tous les égarements que l’on connaît : de la destructivité morale et éthique à une destructivité de masse de l’homme envers lui-même et son milieu. Par cette croyance en la science et la technique, l’homme s’enferme dans des représentations où la finitude domine et où la figure du réel comme figure de l’au-delà se disloque à mesure 296 297
Jürgen HABERMAS, ibidem, p. 58. Lewis MUMFORD, op.cit., p. 2.
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que la puissance technico-scientifique s’accroît. Par une rationalisation qui flirte avec l’hégémonie, la fonction remplace le désir, faisant triompher les adeptes de l’abnégation. Les philosophies baroques ou hédonistes se voient ainsi asséchées, voire broyées, par la vision machinique qui décrédibilise le hasard, le frivole, l’aléatoire ; au plaisir s’est substituée la jouissance.298 Lewis Mumford semble effrayé par « ce qui arrive ».299 « Grâce à cette nouvelle « mégatechnologie »,
la
minorité
dominante
créera
une
structure
uniforme,
supraplanétaire, embrassant tout, et destinée au travail automatique. Au lieu de fonctionner activement comme une personnalité autonome, l’homme deviendra un animal passif, sans but, conditionné par la machine, et dans des fonctions propres, suivant l’actuelle interprétation du rôle de l’homme par les techniciens, seront soit insérées dans la machine, soit strictement limitées et contrôlées au profit d’organisations dépersonnalisées, collectives »300. En cela, il propose de transformer le « complexe de puissance en complexe organique, et une économie d’argent en économie de vie (…) ». Plus loin, il ajoute : « quand le moment viendra de remplacer la puissance par la plénitude, les rituels extérieurs compulsifs par une discipline intérieure, imposée par soimême, la dépersonnalisation par l’individuation, l’automation par l’autonomie, nous découvrirons que le nécessaire changement d’attitude et de but s’est poursuivi sous la surface au cours du dernier siècle, et que les graines longtemps enfouies d’une plus riche culture humaine sont maintenant prêtes à germer et à pousser, dès que sera brisée la glace (…). (…) Mais, c’est à nous de jouer, à nous qui avons rejeté le mythe de la machine ; en effet les portes de la prison technocratique s’ouvriront automatiquement, en dépit de leurs vieux gonds rouillés, dès que nous aurons choisi d’en sortir ».301
Les mythes qui fondent notre civilisation occidentale : le mythe du progrès, de l’homme « surnaturel », et celui de la machine, sont à l’origine d’une disharmonie entre l’Homme et son milieu. Les représentations de l’Homme au centre du monde et possesseur de la nature ont exhorté les populations à tous les abus. L’image de l’Homme surnaturel l’a posé comme en dehors de tout cycle pour qu’il n’accepte de négocier avec 298
Selon les définitions qu’en donne Lucien ISRAËL dans son introduction de l’ouvrage La jouissance de l’hystérique, op. cit.. 299 Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Paul VIRILIO qui développe lui la thèse de « l’accident intégral », in Ce qui arrive, Editions Galilée, Paris, 2002. 300 Lewis MUMFORD, op.cit., p. 2. 301 Lewis MUMFORD, idem, pp. 591-592.
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cette part de lui-même qui le fait naissant et mortel, le positionnant dans un rapport duel avec la nature. La technique, comme produit de sa pensée, l’a subjugué tant il s’est vu devenir tout puissant et même d’une puissance sans borne. Cette culture techniciste l’a conduit à se posséder, voire à s’instrumentaliser lui-même. Au respect, et au cœur propre à l’humanité comme dépassement de la jouissance, comme « désir de l’ouvert »302 et cultivé par la frustration, s’est substitué l’assouvissement, voire la satiété, forme de démesure narcissique primaire. « Nous serons comme des dieux, voilà l’illusion que promet la jouissance à venir ».303 Dans cette perspective, tout sujet devient potentiellement objet. Ainsi la culture occidentale est parvenue à réduire peu à peu toute forme de vie à un ensemble d’objets que l’on classe selon la nature du service qu’ils peuvent nous rendre. Notre rapport au monde est devenu essentiellement instrumental quand il avait pu être contemplatif ; le rationalisme ou l’utilitarisme ayant peu à peu appauvri les panthéismes médiévaux qui obèrent à toute chose une considération ontologique. Une révolution des mythes pourrait parfois revenir sur ces affections et cette propension mortifère à la « facilité techniciste » comme réponse à la demande de jouissance. Il n’y a pas si longtemps encore, et jusqu’au XIXème siècle, les forestiers allemands demandaient « pardon aux arbres avant de les abattre. »304 Les chefs de file de la contre-culture proposent, après avoir renversé tout un ordre moral paternaliste, réactionnaire et machiste, d’autres valeurs qui engagent à des relations d’un autre type. Un intérêt pour les civilisations animistes chez les occidentaux donne à penser un renversement des acceptions technicistes, productivistes et libérales. Une nette ouverture à la spiritualité pourrait remettre le cœur de l’homme au centre de ses préoccupations. De la survivance, serions-nous appelés au retour à la vie. Et je fais le choix de vous délivrer quelques extraits du célèbre texte dit du chef Seattle qui est peut-être en réalité l’un des premiers textes écologistes rédigé par un ressortissant de la civilisation occidentale. Malgré la supercherie, le texte n’en demeure pas moins d’un grand intérêt. Il y a, semble t-il, en ces mots, le contenu nécessaire à un repositionnement philosophique urgent, à une re-fondation des mythes, tellement ils nous éclairent sur ce qui a pu être à l’origine de cette situation de crise écologique. 302
Pour reprendre une expression de Slavoj ZIZEK, voir notamment l’article « Le désir ou la trahison du bonheur », propos recueillis par David RABOUIN, in Le Magazine littéraire, « Le désir, de Platon à Gilles Deleuze », n° 455, juillet-Août 2006. 303 Jean-Claude LIAUDET, L’impasse narcissique du libéralisme, Collection Climat, Editions Flammarion, Paris, 2007, p. 94. 304 Dominique BOURG, op. cit., p. 327.
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« Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? L’idée nous paraît étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et le miroitement de l’eau, comment est-ce que vous pouvez les acheter ? (…) Nous savons que l’homme blanc ne comprend pas nos mœurs. Une parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c’est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n’est pas son frère, mais son ennemi, et lorsqu’il l’a conquise, il va plus loin. Il abandonne la tombe de ses aïeux, et cela ne le tracasse pas. Il enlève la terre à ses enfants et cela ne le tracasse pas. La tombe de ses aïeux et le patrimoine de ses enfants tombent dans l’oubli. Il traite sa mère, la terre, et son frère, le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu’un désert. (…) Mais nous savons au moins ceci : la terre n’appartient pas à l’homme ; l’homme appartient à la terre. Cela, nous le savons. Toutes choses se tiennent comme le sang qui unit une même famille. Toutes choses se tiennent. (…) Où est le hallier ? Disparu. Où est l’aigle ? Disparu. La fin de la vie et le début de la survivance ».305
305
Discours dit du Chef Seattle intitulé « La fin de la vie et le début de la survivance ». En vérité, ce texte a été écrit par un Texan, Ted Perry en 1871 et diffusé par Susan Jeffers. Il est repris dans la revue l’Ecologiste, « Religions et Ecologie », n° 9, février 2003, volume 3, n° 1, pp. 26-27.
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« Ma formule pour ce qu’il y a de grand en l’homme est amor fati : ne rien vouloir d’autre que ce qui est, ni devant soi, ni derrière soi, ni dans les siècles des siècles.» « (…) ce qui a le caractère de la nécessité ne me blesse pas ; amor fati, tel est le fond de ma nature. »306
306
Friedrich NIETZSCHE, in Antoine COMPAGNON, Les Antimodernes. De Joseph de Maistre à Roland Barthes, Collection Bibliothèque des idées, Editions Gallimard, Paris, mars 2005, p. 443.
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II. DES USAGES À ABOLIR Les mythologies de l’homme occidental n’ont pas été sans conséquence sur le plan politique. Les formes économiques et sociales de nos sociétés l’attestent. L’ « homme blanc », en troquant la spiritualité pour la liberté et le rationnalisme, a plus qu’un autre développé une culture communément dénommée moderne. Matérialisme, productivisme, libéralisme, individualisme, nihilisme, hédonisme sont autant de notions qui, rassemblant une myriade de valeurs, nous permettent d’appréhender ce concept de modernité en ce qu’il détermine l’individu dans son rapport à sa communauté, à son environnement, à son désir, à l’autre, à lui-même. La tentation narcissique, la sortie de la sphère symbolique ordonnancée par les bouleversements moraux (des révolutions sexuelles aux reconstructions des modèles familiaux), l’affirmation d’un droit au plaisir, le refus du sacrifice, l’imposition de l’échange comme élément central des sociabilités au détriment du partage et de la solidarité, le recours à la concurrence comme vecteur de progrès, tous ces éléments caractérisent un mode existentiel tout à fait inédit, davantage emprunt d’une dynamique de l’avoir au détriment d’une dynamique de l’être. Dans les sociétés modernes, l’homme est amené à vouloir tout posséder y compris lui-même. Erich Fromm en fait une question centrale pour qui veut comprendre en profondeur les fondamentaux de toutes cultures : « Avoir ou être, un choix dont dépend l’avenir de l’homme ? ».307 Le développement durable peut-il raisonnablement se frayer un chemin concluant dans cette forêt idéologique plus fertile au développement du désir individuel qu’à faire évoluer le groupe dans son désir éthique de « vivre ensemble » au sein et par-delà sa propre contemporanéité ? Le développement durable peut-il vraiment émerger dans cette idéologie du progrès et de la croissance, dans cette frénésie productiviste, dans cette boulimie pour la chose, et cette identification à elle, comme forme de maintien existentiel de l’individu au sein de sa communauté, propre à la société de consommation ? Le développement durable ne peut-il en définitive que jouer la contiguïté avec une inclination pour le moins perverse à cette évolution nerveuse car sans cesse reconduite
307
Erich FROMM, Avoir ou Être ? Un choix dont dépend l’avenir de l’homme, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, janvier 1998.
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des pratiques sociales relatives aux sociétés progressistes?308 Peut-on en toute bonne foi continuer à discourir sur le développement durable et ses méthodes d’action sans remettre profondément en cause notre attachement égotiste à cette forme de liberté qui vise à faire passer le désir individuel avant l’intérêt collectif, faisant par là peser de tout son poids l’enjeu social et environnemental sur cette petite entité responsable et accablée qu’est devenu le citoyen? Ecrasé, intoxiqué, addict, tout puissant et narcissique, c’est le scénario le plus noir, résolument politique puisque exerçant son pouvoir dans ses choix de consommation, le citoyen advient comme le moment précis où s’articule le politique avec l’économique dans une société pour laquelle l’idéologie libérale prime. Par-delà l’interdit destiné à réguler le social, la construction d’un univers de contraintes et se substituant aux contraintes réelles, comme une donnée naturelle, « climatique » presque, sert de creuset ou de légitimation à l’action publique. Vidé de discours et de signification, l’outil juridique est censé orienter le citoyen dans ses choix, sans imposition apparente, voire sans opposition d’autorité garante, de tradition rassurante, de philosophie savante, de tiers. Sous le signe de la stratégie économique pour laquelle le rapport entre coût et avantage est sacralisé, on actualise et réactualise, à la demande et au flitre du renouveau, les termes de l’échanges. Les institutions sont invitées, dans ces formes politiques naissantes, à jouer le jeu libéral. Dépossédées de force symbolique, elles sont dorénavant amenées à participer du modèle édicté par un gouvernement qu’on voudrait sans tête, sans voix, d’une politique sans âme, modelée au gré d’un mouvement plus ou moins harmonieux qui se profile selon les flux et reflux de l’offre et de la demande. Gouvernance, c’est le terme utilisé pour nommer cette nouvelle réalité politique née du néo-libéralisme. Gouvernance ou comment « noyer le poisson »309 ; car personne ne sait tout à fait ce qu’il signifie. En cela, il sert à coup sûr à entretenir le malentendu. Gouvernance, terme qui définirait une situation pour laquelle les hommes ne devraient plus décider ensemble et par voie discursive de leur destin ; le parlementarisme évincé.310 308
Pierre-André Taguieff, déjà cité, initie le concept de « bougisme » pour qualifier ce goût particulier pour la mode et l’accélération du turn-over des productions culturelles. Voir notamment André TAGUIEFF, Résister au bougisme. Démocratie forte contre mondialisation techno-marchande, Collection Fondation du 2 Mars, Editions des Milles et une nuit, Paris, 2001. 309 Sur l’utilisation abusive du langage en politique, voir par exemple l’article en ligne « La politique, le langage et la culture », de Jacques BOUVERESSE, philosophe, www.lautrecampagne.org. 310 Sur la question de la gouvernance, voir notamment l’article de Thierry BRUGVIN, « La gouvernance par la société civile : une privatisation de la démocratie ? », dans l’ouvrage collectif Quelle démocratie voulons-nous ? Pièces pour un débat, sous la direction d’Alain Caillé, Collection Sur le vif, Editions de La Découverte, Paris, 2006, pp. 68-77.
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Aussi, s’agit-il en toute évidence de se poser la question de la cohérence entre les concepts de gouvernance et de développement durable. Sont-ils complémentaires ou antinomiques ? La mise en œuvre du développement durable invite-t-elle à une vision politique de gauche, avec un état fort, redistributif et régulateur, ou une vision de droite libérale pour laquelle le politique se réalise par le biais d’incitations financières ou de promotions publicitaires, avec les outils que sont la fiscalité et la certification par exemple ? La « ville durable » : marché ou agora ? Jacobine ou girondine ? Sectorielle ou territoriale ? Les écologistes en perdent parfois leur latin. A dire vrai, ils ont plutôt tendance à piocher çà et là ce qui les arrange sur le moment. L’ouverture des marchés de l’énergie est l’occasion de développer la production des énergies renouvelables, les gouvernements français ne s’étant jamais fortement impliqués dans ce secteur, toujours plus intéressé par l’énergie nucléaire. On réclame a contrario un fort investissement du secteur public dans l’aménagement des transports en commun aux différentes échelles du territoire afin de réduire durablement les gaz à effet de serre. Pour le coup, on se doit de s‘interroger sur la question des politiques urbaines pour lesquelles la place est faite au collectif plus qu’à l’individu - à moins que ce ne soit devenu le contraire. Les techniques d’assainissement, l’approvisionnement en eau et en énergie relèvent encore aujourd’hui de la responsabilité collective. Les municipalités, les agglomérations s’emploient à cette tâche. Mais qu’en sera-t-il demain lorsqu’un nombre important de maisons individuelles passives connaîtront en plus de leur indépendance énergétique, leurs propres réserve en eau et dispositif de potabilisation et d’assainissement, pour finalement les rendre totalement autonomes ? Alors peut-être le politique se réduira au développement de polices spécialisées engendrant ainsi la faillite des institutions vouées à développer réseaux et infrastructures. Techniques urbaines à venir : vision collective ou autonomisante, développement des polices ou des infrastructures, responsabilité individuelle ou collective, boycott et choix éthique ou consommation partagée, démocratie représentative ou participative, incitations financières ou réglementations et négociations. Parmi toutes ces options, il s’agit de développer des équilibres positifs sur le plan de la vie de la planète dans ses formes environnementales et humaines.
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A. La productivité au service de la jouissance Le productivisme est le fruit de l’idéologie moderne. Il naît d’une attention particulière des hommes à combler un désir d’effacer les lignes de partage entre ce qui est de l’ordre du possible et de l’impossible ; tant en terme de qualité qu’en terme de quantité. Aussi, avec l’idéologie moderne, les formes de libération du désir311, et le renouvellement du capitalisme, la production industrielle a décuplé, menaçant par cette croissance l’humanité d’un épuisement général des ressources nécessaires à sa vie : air, eau, matières premières. C’est l’heure du désenchantement. Au beau milieu de cette grande fête où l’abondance est encore de mise, des rabat-joie, à l’humeur chagrine, augurent d’un avenir inquiétant. Les « passionnés de la grande bouffe »312 devraient se résoudre à se « serrer la ceinture ». Les « objecteurs de croissance » l’entendent ainsi : « que tous ces « toxicos » de la société de consommation « raccrochent ». C’est la seule perspective écologiquement viable ! ».313 Mais pour se faire, il s’agit de résoudre, et pour chacun de nous, en son propre sein, le problème de l’humanité : son rapport à la mort, au désir, au manque, à l’angoisse en somme. Le manque est ravageur, mangeur d’hommes. Il ronge chacun de nous tant que nous ne l’avons, à l’instar d’Hercule et de ses cabales, pas maîtrisé. En cela, la croissance, au-delà des enjeux économiques et écologiques, est source d’un florilège de pathologies qui marquent l’époque d’une société. Elle génère un nouvel ordre esclavagiste, ordre au sein duquel l’objet a commuté en addiction. Mais s’agit-il de considérer avec sérieux que les êtres humains ne sont pas sans ressources pour lutter contre les attaques lancées tant de l’intérieur que de l’extérieur, si même elles pourraient être extérieures à eux. Comme prise entre deux feux, l’idéologie de la surproduction devra donc un jour ou l’autre céder sa place aux modèles culturels plus sages, à ceux-là qui font prévaloir l’être à l’avoir.
311
Sur cette question, on peut notamment se référer au célèbre ouvrage de Jean-Pierre LE GOFF, Mai 68. L’héritage impossible, Collection Cahiers Libres, Editions de la Découverte, Paris, 1998. 312 En référence au long métrage La grande bouffe, réalisation : Marco FERRERI, scénario : Marco FERRERI, Rafaël AZCONA, Francis BLANCHE, avec pour comédiens pour n’en citer que quelques uns : Marcello MASTROIANNI, Philippe NOIRET, Michel PICCOLI, Bernard MENEZ, Ugo TOGNAZZI et Andréa FERREOL, Production : Mara Film, 1973. 313 Au-delà de la conception schumpeterienne de destruction créatrice peut-être.
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1. Progrès, modernité et désenchantement Notre civilisation contemporaine, née sous le signe de la modernité, est appelée au changement, est appelée à réformer un ensemble de valeurs qui lui feraient défaut sur le plan de la reproduction des conditions de la vie sur terre. Les traits caractéristiques de la modernité définissent un mode de vie qui a pour raison d’être de rompre avec la tradition. Ils viennent par là s’opposer aux notions de diversité géographique, symbolique, pratique, des sociétés humaines. La modernité se rapporte à une forme culturelle discontinue, dénuée d’événement
fondateur,
de transmission
intergénérationnelle,
d’identité
communautaire basée sur le respect des lois ancestrales : pas de reconnaissance d’un héritage particulier qui serait le vecteur d’une mémoire à partager, délimitant ainsi le champ propre d’une conscience collective. Aux antipodes de la tradition donc, du défini, du particulier, du revendiqué, de l’identifiable, du local, la modernité, multidimensionnelle, hégémonique, universelle, totale. La pensée moderne nous indique que la tradition n’est qu’une des formes existentielles possibles, en cela elle est impermanente, en nous éclairant sur ce qui est le propre de l’homme : ce qui le caractérise de manière permanente : son universalité314. Elle nous propose d’élargir le champ de la perspective, et ce, jusqu’à la disparition de cette dernière. Plus de perspective pour plus d’unité. Comme par une phagocytose des mises en regard donc, la dimension unitaire de la modernité, portée par son caractère universel, sortirait l’humain du culturel, puisque excluant le champ comparatif et par là son vecteur : l’autre. Pour cette raison, « pour les anthropologues traditionnels, il n’y a pas, il ne peut y avoir, il ne doit pas y avoir d’anthropologie du monde moderne »315. C’est bien évidemment ce par quoi a eu lieu l’hégémonie du concept, par et pour l’ensemble de l’humanité.316 Les valeurs universelles, base de discussion, table de négociation, donnent lieu à une unification, voire à une pacification (d’un certain côté) des peuples et des cultures autour d’un seul et même projet : le projet de l’espèce humaine. Une espèce humaine en progression vers la vérité universelle. C’est elle qui servira de règle à l’ensemble de nos comportements. Et à la vérité universelle, on se doit d’accéder ; un chemin difficile et sans fin qui génère le changement, un mouvement perpétuel vers le salut éternel. En cela, la notion de progrès est totalement consubstantielle de la notion de 314
Comme le signale Bruno LATOUR, il y aurait entre modernes et anciens des vainqueurs et des vaincus, dans l’ouvrage déjà cité, Nous n’avons jamais été modernes. Essais d’anthropologie symétrique, p.20. 315 Bruno LATOUR, idem, p. 24. 316 Sur ces notions, voir l’ouvrage déjà cité de Louis DUMONT, Essais sur l’individualisme. Une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, 1983.
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modernité ; une marche en avant qui révolutionne chaque chose. C’est le principe élémentaire. Le dogme fondamental des modernes se fonde sur l’idée de progrès, sur l’idée d’ « un accomplissement des fins dernières séculières, à savoir l’émancipation de tous les hommes, la justice pour tous par-delà les frontières, la prospérité générale ou la paix définitive »317. Avec la modernité en effet, on suppose que l’histoire constitue la découverte de la vérité de l’humanité dans sa plus grande positivité, que l’histoire connaît un sens. A cet endroit, c’est alors tout un système de croyance qui s’effondre, puisque la vérité désormais se dévoile progressivement sous nos yeux. Nous n’avons par conséquent plus à croire, mais à constater et à attendre le moment final où nous aurons atteint notre but supérieur. Dans cette perspective, la notion de modernité s’offre à nous comme une promesse de libération. Avec cette idée de dépassement des contraintes, c’est tout un fantasme qui se cristallise. C’est l’espoir de sortir de la condition humaine. La « condition de l’homme moderne »318, ou encore la tentative d’évasion de l’homme des geôles que constituent
tant
la
physique
que
la métaphysique. 319 La révolution de 1789 s’inscrit dans l’histoire comme l’un des premiers grands vecteurs de progrès pour lequel s’établit l’Etat bourgeois, moderne, central, une constitution, et une organisation politique et démocratique.320 Elle est le point de départ d’une remise en cause continuelle de la société ; en cela elle met en place une structure qui porte en elle la capacité à changer. En effet, avec la règle de négociation entre vivants, le parlementarisme, une restructuration politique et de fait socio-économique, une réorganisation du travail, des clivages politiques vont apparaître et avec eux une dimension de lutte qui n’est pas sans faire évoluer les idéologies en profondeur. Dans une logique de réévaluation ininterrompue des idées, des réformes techniques et scientifiques, 317
Pierre-André TAGUIEFF, Le sens du progrès. Une approche historique et philosophique, Editions Flammarion, Paris, 2004, p. 259. 318 Pour reprendre le titre de l’ouvrage d’Hannah ARENDT, Condition de l’homme moderne, Collection Agora, Editions Calmann-Lévy, Paris, 1983. 319 Le progrès, comme un point fixe à l’horizon, sert de support à nos parjures, à cette poursuite d’un idéal transcendant, dans l’attente d’une ultime perfection. 320 Marx nous dit : « L’abstraction de l’Etat comme tel n’appartient qu’aux temps modernes, parce que l’abstraction de la vie privée n’appartient qu’aux temps modernes. L’abstraction de l’Etat politique est un produit moderne… . Au Moyen Age, la vie du peuple et la vie de l’Etat sont identiques. L’homme est le principe réel de l’Etat, mais l’homme non libre. C’est la démocratie de la non liberté. L’opposition abstraite réfléchie n’appartient qu’au monde moderne. Le Moyen Age est le dualisme réel, les temps modernes, le dualisme abstrait… Dans les temps modernes comme dans la philosophie du droit de Hegel, la réalité consciente, la réalité véritable des affaires générales n’est que formelle, or le formel seul est une affaire général. Hegel n’est pas à blâmer parce qu’il décrit l’être de l’Etat moderne tel qu’il est. Que le rationnel est réel, c’est précisément en contradiction avec la réalité irrationnelle qui est partout le contraire de ce qu’elle exprime et exprime le contraire de ce qu’elle est. », in Henri LEFEBVRE, Introduction à la modernité, Collection Arguments, Les Editions de Minuit, Paris, 1962, p. 170.
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se développe l’exigence continuelle de réinterrogations des concepts et de fait des pratiques et des comportements. Ainsi, la modernité est principalement fondée sur une logique de changement. Sorte de morale du mouvement, de fétichisation du nouveau, elle a cela de particulier qu’elle dynamise tout ce qui est voué à se figer, à se conforter, à prendre racine. Pour s’assurer des renouvellements, elle provoque la crise. C’est, en effet, grâce à la crise ou à cause d’elle, que la société moderne ne cesse de réinventer de nouveaux modes d’existence. Comme idéologie de la déconstruction, de la destructuration, de la destruction même, peut-on s’avancer à dire, la modernité assure avec passion 321 la pérennité de son mouvement et par là une fonction de régulation ; cette forme de régulation que nous connaissons aujourd’hui et qui s’apparente en définitive à une nouvelle tradition322. La modernité connaît par conséquent ses logiques, ses logiques d’idées, ses idéologies. Elle reste, comme toute culture, un jeu de signes, de mœurs, avec ses rituels323 et ses sociabilités : son esthétique. Son goût pour la nouveauté est central. C’est peut-être l’élément essentiel à retenir. Tout ce qui est nouveau et qui doit permettre d’avancer sur le chemin salutaire est élevé au meilleur rang. Tout ce qui est nouveau est devenu nécessaire au bonheur, supérieur à l’ancien. Cette orientation néophile n’est pas sans favoriser le jeunisme comme idéologie de la perfection.324 Ainsi, cette passion pour le nouveau détourne le sujet de l’ancien. En cela, bon nombre de mes interlocuteurs au sein des administrations comme dans la société civile conçoivent davantage le développement durable dans ses évolutions hautement technologiques plutôt que bassement simplistes et idéologiques. Revenir en effet aux pratiques de générations passées, même si elles ont été quelque peu améliorées, bousculant une vision progressiste du développement, n’est pas l’apanage philosophique des rennais. L’agriculture biologique ou la toilette sèche fait sourire. De plus, faire confiance aux pouvoirs épurateurs de la nature, travailler dans une relation très tendue avec elle, par le développement des techniques dites douces, paraît 321
On peut notamment se référer à l’ouvrage d’Erich FROMM, La Passion de détruire, Collection « Réponses », Editions Robert Laffont, Paris, 2001. 322 C’est le point de vue de Bruno Latour déjà cité. 323 On peut notamment citer l’ouvrage de Martine SEGALEN, Rites et rituels contemporains, Collection 128, Editions Nathan/VUEF, Paris, 2002. 324 Sur ces questions, lire le dixième prélude intitulé « Renouvellement, jeunesse, répétition » de l’ouvrage d’Henri LEFEBVRE, op. cit., pp. 159-168.
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des plus naïfs et agresse même l’individu-sachant, se considérant libre de la nature par son savoir sur elle, et maître en partie de la complexité à laquelle il doit avoir recours pour exercer son pouvoir de transformation sur elle. J’ai plaisir à me souvenir, parce qu’illustrant bien mon propos, d’une parole d’un fonctionnaire ministériel me racontant le caractère « jouissif », c’est le terme utilisé, de la représentation de sa propre puissance, lorsqu’il avait participé à la réalisation d’un barrage dans les Alpes. Il m’explique alors que s’il commence à être interpellé par les préoccupations environnementales, il est hors de question pour lui de revenir sur cette jouissance. De là à en déduire qu’une station d’épuration telle que Beaurade, l’une des premières en Europe de ce genre, déployant les technologies du dernier cri, enorgueillit davantage les ingénieurs et notables de la ville qu’un simple système de lagunage à macrophytes additionné de toilettes sèches ellesmêmes complétées par des systèmes autonomes de filtres plantés, il n’y a qu’un pas. Dans les écoles d’architecture, peu de considération est donnée à l’architecture vernaculaire, aux techniques de construction anciennes, telles que moellons de pierre, terre crue, torchis ou enduits à la chaux, néanmoins si souvent pertinentes sur le plan écologique. Ces techniques portent en effet le stigmate de l’obsolescence. Elles possèdent cependant un double intérêt. D’une part, elles usent de matériaux locaux (peu de transport de marchandises et peu d’énergie consacrée à cet effet) et d’autre part, elles utilisent généralement des matériaux peu transformés (faible consommation d’énergie à la fabrication et bon isolant thermique) : un bilan carbone très positif donc. L’utilisation des matériaux locaux et anciens serait associée à la construction des bâtiments agricoles et représenterait par là une esthétique arriérée exclusivement digne de l’espace rural.325. Prescrire une dalle de chaux teintée dans la masse pourrait au demeurant et sans grande perte remplacer les sols PVC dont on commence à avoir la mauvaise habitude. 326 Mais les organismes HLM327 par exemple, qui luttent déjà depuis quelques décennies contre la stigmatisation du logement social, hésitent à s’engager sur des choix techniques et architecturaux que leurs locataires pourraient fortement désapprouver328. 325
La Coop de construction, coopérative de construction en logement collectif rennaise, s’est néanmoins, dans le cadre d’un programme européen, risquée à cette tâche sur le projet Salvatierra. Un mur de façade sud en terre crue, (confort thermique en été comme en hiver, nul besoin de climatisation et faible consommation énergétique pendant les périodes de froid) ; une terre livrée par un paysan du département, un système constructif simple. Voir notamment l’ouvrage déjà cité de Dominique GAUZIN-MULLER, L’architecture écologique. 29 exemples européens, Editions du Moniteur, Paris, 2001. 326 Consommateur d’énergie à la fabrication, très émissif en gaz à effet de serre et très dangereux pour la santé humaine au stade de la fabrication. Pour cause, l’utilisation en est interdite sur la municipalité de Berlin. 327 Selon une série d’entretiens avec différents bailleurs sociaux rennais. 328 C’est leur point de vue. Il resterait à vérifier la véracité de ce dernier.
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La génération moderne n’aime pas l’ancien parce que sa vanité, obtenue de sa capacité d’innovation, ne peut, dans la reconduction du déjà réalisé, véritablement s’exprimer. Elle ne tire par conséquent aucune satisfaction de faire aussi bien que ses ancêtres, d’emprunter un chemin que d’autres ont emprunté avant elle - quand bien même elle pourrait se l’approprier. En effet, placer le progrès au cœur de son existence, c’est souvent aussi mal tolérer les écrans du passé, les retours en arrière, le recours aux vieilles recettes, l’empirisme. Cette quête du nouveau, sans quoi il serait difficile de justifier de son existence, comme une exaltation des subjectivités, va en ce sens nous inciter à privilégier tout ce qui est singulier, éphémère, inédit. De là, s’élabore l’esthétique moderne, qui fait éclater toutes les règles. En architecture, en littérature, comme en peinture, le moderne qui s’oppose au traditionnel comme au classique et à l’académisme, met à sac les cadres coercitifs existants d’expression culturelle, nous entraînant par là dans une phénoménale ouverture, et dans une redécouverte de la multiplicité des possibilités de liens qui se tissent entre la forme et le sens. L’expérience est d’un extrême intérêt tant elle met à nu les formes du langage et notre façon d’y exister329. La « tabula rasa » est l’expression consacrée pour tous ces artistes novateurs qui vont justement tenter de réinventer les termes du langage330 et réinterroger les formes traditionnelles ou classiques, (jusqu’à épuisement peut-être) autant que les autorités qui les ont authentifiées comme règle. Les médias participent non sans impact à ce gigantesque chantier social, culturel, politique. Ils participent de cette rénovation stupéfiante en matière de mode, de sexualité, de conduites sociales : ce, plus fortement dans les années 70. Mais si la liberté est un principe donné en vue du plein épanouissement de l’humanité, le mouvement destruction/construction ne va finalement que dessiner de nouveaux contours à une nouvelle tradition : la tradition du changement. La culture bourgeoise, qui a pour principe de faire de l’autre son semblable, de ne rien laisser au hasard qui ne puisse se départir d’elle, ne va pas tarder à s’emparer de ce qui fait déviance et défiance pour l’intégrer au modèle social à l’œuvre : l’esthétique de la déconstruction, de la destructuration, et finalement du compromis, jeu culturel pour le moins subtil, entre ce qui va advenir et ce qui est déjà là. C’est le paradoxe de la modernité : une idéologie qui n’existe qu’à l’endroit de la crise et que par le biais de sa démonstration surtout. La modernité : un simple jeu de représentations. 329
C’est tout le travail de Jacques Lacan et d’autres, du structuralisme en général, en ce milieu du XXème siècle. 330 Sur ces notions, on peut par exemple se référer au célèbre ouvrage de Michel RAGON, Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes. Tome 1 et tome 2, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, 1991.
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C’est précisément ce qui va faire le bonheur d’un bon nombre d’intellectuels qui se sont peu à peu détournés de la philosophie (au sens étymologique du terme : « amour de la sagesse »), pour s’en affranchir et s’accomplir dans une histoire plus libertine, moins vertueuse, moins spirituelle surtout. Les intellectuels vont en effet s’amuser de manière forcenée de cet écart si incertain entre sphère symbolique, réelle et imaginaire331. Dans cette optique et par le double aspect de la subjectivité, on s’évertue à l’activisme, et dans la créativité, et de fait dans la critique.332 L’imaginaire (puisque désormais « tout est permis »), prend alors une place déterminante. Son objet concerne autant le dedans que le dehors, le montré que le caché. Cette esthétique se veut par conséquent totale, « invincible »333. Il ne reste de ce fait que peu de place à l’humilité (c'est-à-dire la conscience d’être limité, de n’être qu’une partie du tout) puisque désormais, la perspective s’inscrit dans l’objet lui-même : la représentation de l’objet représenté. On ne dit ainsi pas seulement ce qu’on pense, mais aussi comment on le pense. Le discours entame par là un divorce avec la critique, le point de vue. « L’esthétisme comporte des prétentions à la totalité, à l’unité, à la cohérence, au « monde » total, à la conception ou 331
Sur ces notions voir notamment l’article en ligne de Jean-Pierre BEGUE, psychanalyste, « Réel, imaginaire et symbolique. Le réel n’est pas la réalité », Psychanalyste-Paris.com, mai 2005. 332 « L’illusion ontologique, dans la modernité, confond « être » et « représentation » ; elle s’accroche aux représentations pour se figurer être en représentant l’être et satisfaire ainsi la subjectivité déchaînée. » in Henri LEFEBVRE, op. cit ., p. 216. 333 C’est l’expression de Bruno LATOUR qui titre son paragraphe de la sorte : « L’invincibilité des modernes » et argumente ainsi : « Les indiens ne se trompaient pas lorsqu’ils disaient que les blancs avaient la langue fourchue. En séparant les rapports de forces politiques et les rapports de raisons scientifiques, mais en appuyant toujours la force sur la raison et la raison sur la force, les modernes ont toujours eu deux fers au feu. Ils sont devenus invincibles. Vous croyez que le tonnerre est une divinité ? La critique montrera qu’il s’agit là de mécanismes physiques sans influence sur la marche du monde humain. Vous êtes enfermés dans une économie traditionnelle ? La critique vous montrera que les mécanismes physiques peuvent bouleverser la marche du monde humain en mobilisant des forces productives gigantesques ? Vous pensez que les esprits des ancêtres vous tiennent à jamais dans leurs lois ? La critique vous montrera que les lois sont des constructions sociales que vous vous êtes données à vous-mêmes. Vous pensez que vous pouvez tout faire et développer vos sociétés comme bon vous semble ? La critique vous montrera que les lois d’airain de la société et de l’économie sont beaucoup plus inflexibles que celles des ancêtres. Vous vous indignez que l’on mécanise le monde ? La critique vous parlera de Dieu créateur à qui tout appartient et qui donna tout à l’homme. Vous vous indignez que la société soit laïque ? La critique vous montrera que la spiritualité s’en trouve libérée et qu’une religion toute spirituelle est bien supérieure. Vous vous dites religieux ? La critique rira de vous à gorge déployée ! (…). Vous ne pouvez même pas les accuser d’être incroyants. Si vous leur dites qu’ils sont athées ils vous parleront du Dieu tout-puissant infiniment éloigné dans l’au-delà du monde. Si vous dites que ce Dieu barré est bien étranger, ils vous diront qu’il parle dans l’intimité du cœur et qu’ils n’ont jamais cessé, malgré leurs sciences et leurs politiques, d’être moraux et pieux. Si vous vous étonnez d’une religion qui n’ait aucune influence ni sur la marche du monde ni sur celle de la société, ils vous diront qu’elle les juge toutes deux. Si vous demandez à lire ces jugements, ils vous objecteront que la religion passe infiniment la science et la politique et qu’elle ne saurait les influencer, ou que la religion est une construction sociale ou l’effet des neurones ! Que leur direz-vous alors ? Ils tiennent toutes les sources de pouvoir, toutes les possibilités critiques, mais ils les déplacent d’instance en instance avec une telle rapidité qu’il n’est jamais possible de les prendre la main dans le sac. Oui, décidément, ils sont, ils ont été, ils ont failli être, ils se sont crus invincibles.», in Bruno LATOUR, op. cit., p. 55-59.
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création du monde. Or, il accepte la fragmentation et le morcellement ; il les accroît, séparant le chaos sensible des concepts et valeurs esthétiques qui l’ordonnent. Il voit dans la fragmentation ce qui introduit au monde transcendant de l’inquiétude, de l’angoisse, du pur subjectif… ».334 La modernité, avant de contenir en elle le sens de la civilisation en ce qu’elle a de plus progressiste, est peut-être devenue par cette totalité qu’elle enserre, une représentation d’elle-même, pour elle-même, un narcissisme par lequel se mire la « société du spectacle », tel que Guy Debord en a fait le titre de son ouvrage 335. Pour le coup, ce n’est pas tant la science et la technique qui sont modernes, mais ce qu’on a fait d’eux. Dans cette illusion de toute puissance et d’omniscience, la subjectivité s’est affranchie de la relation à l’autre. Telle une parodie, la civilisation moderne singe la révolution qu’elle n’a finalement peut-être jamais fait qu’effleurer. Les valeurs de progrès ont été abandonnées au profit d’un nombrilisme sclérosant. L’Occident, alors qu’il abjure l’accomplissement véritable, en cela qu’il développe une culture de la quotidienneté, culture des médias, des modes, des gadgets, une culture du domus au désavantage d’une culture de la polis, pourrait bien se voir perdre la face. La reconstruction de valeurs nouvelles, d’une nouvelle éthique qui fasse autorité, au sens où l’entend Hannah Arendt336, se fait urgente337. La modernité pousse à l’innovation puisqu’elle croit au mieux possible, mais les bouleversements qu’elle génère sont synonymes d’inquiétude, de crise, d’inconstance, d’inconfort. Ainsi le développement technique, à l’origine d’une phénoménale croissance démographique, de l’expansion des villes et des moyens de transport et de communication aura particulièrement modifié l’ensemble des pratiques sociales et des modes de vie. Notre rapport au temps et à l’espace est en effet très différent de celui de nos ancêtres. Nous ne suivons plus, pour beaucoup d’entre nous, le temps des saisons, du travail des champs et des fêtes liées à ces activités. Notre usage de l’espace est en général plus étendu même s’il demeure ramifié. Notre temps n’est plus cyclique. C’est un temps linéaire ou vécu dans le présent. Sa gestion est chronométrée. L’ensemble de ces découpages espace/temps suit des schémas d’efficacité maximale. A plus grand 334
Henri LEFEBVRE, op. cit., p. 215. Guy DEBORD, La société du spectacle, Collection Folio Essais, Editions Gallimard, Paris, 1992 336 Voir sa définition de l’autorité dans son chapitre intitulé « La crise de l’éducation » dans son ouvrage : La crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, Collection Folio Essais, Editions Gallimard, Paris, 1972, pp. 223-252. 337 C’est aussi l’opinion de Michel ONFRAY. Séminaire de l’Université d’été de Caen, retransmission par France Culture en août 2007. 335
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rendement, plus de temps libre. La civilisation du travail et du progrès a fait naître en moins d’un siècle celle de la consommation et du loisir, et avec elles celle du désir individuel. A partir de cette seconde moitié du XXème siècle donc, les ressources planétaires sont avalées par la bouche d’une humanité ravageuse pour laquelle « (…) toute chose produite est sacralisée par le fait même de l’être ».338 . Dès lors, nous produisons des biens de consommation en quantité pour calmer un appétit que nous semblons à mesure ne plus pouvoir contrôler. Avec le système fordien, nous glissons peu à peu vers une organisation du travail fortement réévaluée, générant un nouveau style de vie, avec des objectifs individuels et collectifs quelque peu modifiés. Un engouement pour l’objet, une démultiplication à l’infini des besoins, encouragés par une offre qui n’a de cesse de se renouveler, est la base de cette culture émergente. Fondé sur la consommation accrue des populations au détriment des économies de production, un capitalisme nouveau encadre économiquement ce changement de perspective culturelle. Le mieux-vivre, le bien-être, toute notion associée à l’idée d’une recherche du bonheur, sont progressivement associés à cette capacité de la société de production à répondre aux désirs de confort, aux satisfactions en tous genres que peut apporter la relation à l’objet. La culture de la consommation est advenue. Le virage se prend plus exactement dans les sociétés occidentales dans la période de l’après-guerre, pendant les années 50-60. Le supermarché339 symbolise un tournant manifeste pour ces valeurs nouvelles de celle que l’on va désormais appeler très communément : la société de consommation.
2. Les passionnés de « la grande bouffe » Production et consommation, comme les deux faces d’une même réalité, vont donc simultanément orienter la culture occidentale dans un mouvement binaire et récurrent assuré par la dynamique de l’échange. Dans cet ordre des choses, le bien de consommation, comme bien extérieur apparaît peu à peu comme seul capable de satisfaire l’individu. Dans une logique simple, complète, les populations sont amenées à penser le travail comme l’élément moteur de cette bijection pour laquelle donc image et antécédent sont renvoyés à la même entité. L’hyperconsommateur réduit ainsi le champ de son 338
Jean BAUDRILLARD, La société de consommation, Collection Folio Essais, Editions Gallimard, Paris, 1996, p. 46. 339 Le premier ouvre ses portes en 1957.
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existence à une sorte de ressac jubilatoire rythmé par son activité de production et son activité de consommation. Force de travail et pouvoir d’achat. Pour ce dernier, il aura une sollicitude sans borne ; passant le plus clair de son temps à la recherche de l’objet, qui le fera jouir. L’ensemble des valeurs sociales se mettent au diapason de ces nouvelles coutumes pour lesquelles l’avoir matériel prend une place centrale dans la vie des concitoyens. Dans l’imaginaire du producteur, la société d’abondance est indissociable de la spécialisation des tâches, de la standardisation, de l’automatisation, de l’élaboration des chaînes de montage, pour produire toujours plus. De surcroît, les instances qui régissent la production se doivent de s’adresser à toutes les bourses. Elles invitent par conséquent la totalité de la population à participer à ce nouveau rituel que beaucoup d’intellectuels ont depuis longtemps associé à un grand délire collectif, voire à une nouvelle religion. Donc une logique productiviste appelle à des économies d’échelle, à des méthodes scientifiques d’organisation du travail et du territoire. Ainsi, en Europe par exemple, on intensifie les activités agricoles et industrielles en agrandissant exploitations et entreprises. Les quantités produites plus élevées deviennent de cette manière plus rentables même si les marges des entreprises sont plus faibles et les rotations des marchandises plus importantes. On entre ainsi dans une logique économique productiviste pour laquelle le concept de croissance est devenu essentiel pour qui veut analyser l’état d’une société. Mais l’offre commerciale, comme pour mieux huiler les rouages de la mécanique économique, ne s’emploie pas seulement à produire, elle s’affaire également à stimuler la demande. Elle crée le besoin, elle excite l’appétit et le goût pour la nouveauté, pour la mode, par des stratégies de séduction aussi appelées « marketing ». De cette façon, un nombre grandissant de fabrications connaît une utilité extrêmement réduite, ou même une durée de vie très insignifiante. 340 Elle n’excède souvent pas les deux ans. Il y a aussi l’arrivée sur le marché de tous ces produits conçus pour ne remplir qu’un seul usage ou presque, qu’on appelle ordinairement les produits jetables. Associés à cette hyperproduction, le gaspillage et la destruction écologique.341 A l’origine de cette course à l’innovation, ce n’est pas seulement un appel à la consommation qu’il y a, mais aussi le résultat de la concurrence. Les entreprises pour investir de nouveaux marchés cherchent à se démarquer.
Les nouveaux produits
apparaissent en cela comme éléments majeurs de la croissance des entreprises. A leur 340
En référence à la conférence d’Yves SALESSE sur les aberrations de la société de consommation, Le Champs de Mars, Rennes, 2002. Voir également son ouvrage : Réformes et Révolution : proposition pour une gauche de gauche, Editions Agone, Marseille, 2001. 341 On estime que l’espérance de vie des produits high-tech a été diminuée de moitié depuis 1990.
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époque, Marx puis Schumpeter avaient déjà mis en lumière le fait que « le capitalisme était un système fondé sur le changement des méthodes de production, sur la découverte de nouveaux objets de consommation et de nouveaux marchés. Plus systématique que jamais, le processus de « destruction créatrice réelle ou fictive de nouveaux produits s’impose comme le nouvel impératif catégorique du développement, un de ses outils marketing les plus puissants.».342 Les marques qui apparaissent dès 1870, formes de distinction ainsi développées pour vanter les qualités d’un produit, et le conditionnement, spécifiquement réalisé pour allécher, sont autant de propositions pour pousser le consommateur à la dépense. La publicité, les manipulations du désir, par la télévision notamment, se développent sous le masque bienveillant d’une communication généreuse, ludique, auparavant réservée aux classes bourgeoises.343 Dans cet idéal de consommation, se propage la vision d’une société nouvelle et séduisante, synonyme d’amélioration des conditions de vie, d’augmentation des sources de confort, de développement du loisir. Dans ce cadre, c’est quasiment toute une société qui se mobilise autour du projet hédoniste et consumériste en changeant la majeure partie de ses préoccupations. « Voilà un type de société qui substitue la séduction à la coercition, l’hédonisme au devoir, la dépense à l’épargne, l’humour à la solennité, la libération au refoulement, le présent aux promesses du futur. ».344 « Jouissez sans entrave ! », nous dit le slogan au moment des émeutes de Mai 68, et « Libérez-vous du sens ! », pourrait-on ajouter. En réalité, il n’a pas fallu beaucoup de temps au consommateur pour bien le comprendre ; car pour « combler ses désirs, ce dernier consomme du signe, à défaut de faire signe et sens par ses propres actions. Son désir s’éteint non pas dans sa réalisation, mais dans sa formalisation, sa potentialité. ».345 Se délite par conséquent, sous une myriade hypertrophique d’invitations à la jouissance, la culture de l’ancienne Europe : éthique, morale, religieuse. Les jouissances exposent le sujet à l’individualisme de masse. Comme tapi dans l’ombre, l’individualisme sévit sitôt le désir personnel devenu, dans les représentations, dominant - puisque 342
Gilles LIPOVETSKY, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation, Collection Nrf essais, Editions Gallimard, Paris, 2006, p. 77. 343 Ainsi s’exprime Patrick LE LAY, PDG de TF1 : « Il y a beaucoup de façon de parler de la télévision. Mais dans une perspective « business », soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider CocaCola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c'est-àdire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. », in Les dirigeants face au changement, Les Editions du huitième jour, Paris, 2004. 344 In Gilles LIPOVETSKY, op. cit., p. 32. 345 Thierry PAQUOT, « Consommer pour se consommer ?», in Le magazine littéraire, « Le désir, de Platon à Gilles Deleuze », n° 455, juillet-août 2006, p. 62.
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désormais c’est lui qui fait sens. Sautent par là les barrières de la retenue, de la mesure, des culpabilités usuellement à l’origine des formes d’ascétisme, des sobriétés existentielles, du respect. Sont légitimées la passion effrénée pour la consommation et l’ouverture à la démesure. Gilles Lipovetsky assimile ce passage à une seconde révolution individualiste de la société de consommation « marquée par la culture hédoniste et psychologique, par la privatisation de la vie, et l’autonomisation des sujets vis-à-vis des institutions collectives. Elle peut être considérée comme le premier moment de l’effacement de l’ancienne modernité disciplinaire et autoritaire dominée par les affrontements et les idéologies de classes. ».346 Donc les populations se sont « faites » à ces nouvelles modalités d’existence. Leur dépendance est acquise aux biens de consommation. Elle est devenue structurelle. Les consommateurs ont intégré les habitus347 que l’on attendait d’eux puisqu’ils appellent désormais de tous leurs vœux, et surtout pour se distinguer348, toute forme nouvelle de consommation. Intensifiant ainsi un renouvellement perpétuel des choses, ils cautionnent avec cupidité la mode, forme de complot, et avec elle, cette résistance du genre à ne se présenter à l’autre que « dans le coup ». « Has been » est le terme communément utilisé pour faire la critique des populations en marge. « Etre à la page » participe assurément de l’intégration sociale. Avec cette nouvelle figure du citoyen/consommateur donc, qui ne cherche plus l’abondance mais le renouvellement en chaque chose, s’exacerbe le productivisme. Le développement d’une esthétique du mouvement au sein de laquelle le nouveau dépasse de manière obligée le meilleur, engage la société à produire des biens de consommation de plus en plus rapidement. Les flux se tendent. Les cadences dans les usines s’accélèrent. La ville ellemême devient un espace où les temporalités s’uniformisent quand l’échange commercial prévaut sur l’ensemble des activités sociales. La morale en plus d’être associée au « fun » est dorénavant associée au neuf, à l’inédit. Dans cette perspective, l’innovation augure ce qui apparaît comme l’élément principal d’un dérapage culturel puisqu’elle fait passer les valeurs symboliques au second plan. En effet, dans le même temps qu’on assiste aux révolutions technologiques, voire à 346
Gilles LIPOVETSKY, op. cit., p. 34. La première révolution étant marqué pour Gilles Lipovetsky, par « la constitution, à partir de 1880, de grands marchés nationaux développés grâce aux nouvelles infrastructures telles que le chemin de fer, le télégraphe, le téléphone, et la mécanisation des outils de production pour finalement ouvrir la voie à la production de masse. », idem, p. 15. 347 Pour reprendre le célèbre concept de Pierre Bourdieu. 348 Nous reviendrons sur ces notions de distinction liées à celle d’identification.
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une réforme de la vie pratique, on assiste également à une réforme du langage, des formes d’expression de la société par un renouvellement des produits culturels, renouvellement capable d’effacer le caractère d’impermanence qui nous détermine universellement comme semblables. Cet abandon du sens, sorte de réalisation pulsionnelle de notre attrait pour la mort, préfigure un manque de considération pour le langage et son caractère unificateur. Avec la course à l’innovation donc, un changement de repères pratiques engage un changement de repères symboliques. En ces termes, que nous-reste-t-il ? Réponse : Nous. « Le un du narcissique, c'est-à-dire sa propre image, prend le relais du un symbolique du signifiant maître, des noms-du-Père : ce solipsisme fait passer le collectif au multiple. Il rompt toute solidarité entre les organes qui composent le lien social qu’aucune norme (aucun signifiant maître) ne vient plus réguler, état qu’Emile Durkheim qualifiait d’anomie. »349. Le sujet dans les sociétés modernes tendra à se posséder luimême, à se remplir de lui-même, plus précisément de son image, comme pour baliser un océan de signes sur lequel il navigue à vue. C’est l’entrée en narcissisme du sujet, typique de la société moderne. Nombre
de
penseurs
contemporains
déplorent
cette
tendance
à
l’hyperconsommation, qu’ils jugent psychiquement infantilisante, et cette suractivité destructrice du côté humain comme du côté planétaire. Gilles Lipovetsky nous instruit sur le plan historique de cet état de faits, comme participant de ce qu’il appelle la phase III, dernière étape d’expression de la société de consommation. Il ne s’agit ainsi pour notre génération, non plus seulement d’amasser, mais de s’évader par le vécu d’expériences subjectives, sensationnelles et émotionnelles ; non plus pour faire sens, mais au contraire pour oublier le sens. Par une identification partielle à l’objet, notre génération va chercher à sectionner le lien qui l’attachait encore à la sphère symbolique. Par l’instrumentalisation du sens, par l’hyper-relativisme, forme de « défonce moderne », (elle suscite en effet le vertige), le langage se vide de signification350. Nihilisme, décadence ou légèreté, on 349
Marie-Jean SAURET, déjà cité, Psychanalyse et politique : Huit questions de la psychanalyse au politique, Collection Psychanalyse &, Les Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 2005, p. 12. Anomie : terme qu’Emile Durkheim a en réalité emprunté à Jean-Marie Guyau, philosophe et poète français (18541888). 350 « Autrement dit, le langage, cet instrument et cette médiation essentielle par lesquels la pratique sociale se porte à la conscience, à travers lesquels l’homme se dit et se cherche, cet outil de l’action et de la désaliénation, devient aliénant et aliéné, jouant un rôle immense et croissant. A travers les superfétations du verbalisme, à travers l’illlusion magique du verbe (le monde nouveau, la vie nouvelle, la transformation esthétique par le verbe), le langage se substantifie. Il se réifie, cas limite de l’aliénation. Devenu bien suprême, il entre dans le commerce ; il devient marchandise. Il se vend et s’achète. Il se durcit et devient extérieur à la parole vivante. En dehors de sa commercialisation, le pur langage esthétique, littéraire ou autre, s’extériorise par rapport aux communications concrètes, dans lesquelles quelque chose est fait et dit et
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appellera ça comme on voudra. Pour autant, dans cette troisième phase, la société de consommation menace plus fortement encore la morale que la subversion ne le fit avant elle, en cela qu’elle restait corrélée à sa référence et obéissait de la sorte davantage à un travail du négatif351. Aux premières loges, touchée en plein cœur, la responsabilité, davantage appréhendée comme poids de l’existence et de moins en moins comme désir éthique352. On lui préfère l’action gratuite et futile, plus « tendance ». Pour Gilles Lipovetsky en effet si « le cosmos de la rationalité instrumentale est témoin d’une poussée de « quête de sens », il l’est encore du besoin croissant d’oublier le sens, de s’évader de la vie courante dans des activités insignifiantes et gratuites qui « nous libèrent de l’œuvre de la liberté, nous rendent une irresponsabilité que nous vivons avec plaisir ». Plus loin, il ajoute : « Plus il y a de souci et de responsabilité de soi, plus s’affirme le besoin de légèreté vide, de délassement, proche du « zéro effort » d’insouciance futile. ».353 Pour Peter Sloterdijk, la modernité s’appréhende ainsi comme un rêve d’allégement de la vie dans laquelle rien ne peut être authentique. « Civilisation de la distraction, bavardage, curiosité, hors-dechez-soi, échéance (on pense à toutes sortes de vices), sans abri, angoisse, être pour la mort : tout cela ressemble à la misère de la grande ville, captée par un miroir un peu brouillé, un peu trop net. (…)
En bref, la ville n’est pas l’accomplissement de
l’existence ; les buts du capitalisme industriel ne le sont pas non plus ; le progrès scientifique ne l’est pas non plus ; un plus haut degré de civilisation, une fréquentation accrue du cinéma, une amélioration de l’habitat, une augmentation du kilométrage automobile, une meilleure nourriture, tout cela ne l’est pas. L’authentique sera toujours autre. ».354
transmis. Le beau langage, le style artiste, l’esthétisme ne sont que l’aboutissement d’une aliénation, celle du logos, dont l’artiste devient le prêtre, le mage ou simplement le mandarin.», in Henri LEFEBVRE, op.cit., p. 176. 351 Voir sur ces questions l’ouvrage psychanalytique d’André GREEN, Le travail du négatif, Collection Critique, Editions de Minuit, Paris, 1993. 352 Voir sur ces notions l’ouvrage de Jacques LACAN, L’éthique de la psychanalyse. Le séminaire VII, Collection Le séminaire de Jacques Lacan, Editions du Seuil, Paris, 1986 ; on peut également faire référence au texte de Jacques Lacan, Discours aux catholiques, Collection du Champ freudien, Editions du Seuil, Paris, janvier 2005. 353 Gilles LIPOVETSKY, op.cit., p. 68. 354 Peter SLOTERDIJK, Critique de la raison cynique, Christian Bourgois Editeur, Paris, 1983, p. 267.
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3. Désirer. Se consumer Mais d’où nous vient donc cet engouement pour l’objet ? Sur quelle accroche se fixe l’offre des produits pour que la réponse du côté humain soit si franche ? L’objet comble un vide, un manque à être, ainsi qu’on vient d’y faire référence. Il semble donner l’occasion au sujet de se réhabiliter ; d’une part par le remplissage (le passage par la bouche permet cette revalorisation par ingurgitation), d’autre part, par l’identification. On s’identifie en général à ses biens et à son entourage : parents, amis, relations355. L’objet est alors symbole. Il donne du poids sur l’échelle sociale. Plutôt que de boucher ce « trou » avec lequel nous avons tant à faire, il s’agit ici de le parer, de le faire disparaître sous les couches d’objets auxquels on croit bon devoir être associés. Au beau milieu du flot matériel qui jonche les sols des surfaces commerciales, du monde de l’abondance, le consommateur aura l’illusion que par la partie, il est possible d’accéder au tout. « L’espérance qui veut qu’il y en ait non pas assez, mais trop, trop pour tout le monde, est là : vous emportez la pyramide croûlante d’huîtres, de viandes, de poires ou d’asperges en boîte en achetant une parcelle. Vous achetez la partie pour le tout. ».356 La valeur est toujours une affaire commune ; et dans la société moderne, elle se rapporte symboliquement à la nouveauté. Ainsi, dans l’enjeu moderniste, la mode, ou canon périodiquement changeant, prendra une place déterminante. Dans toutes les affaires concrètes, elle se positionne et active l’engouement. Dés le XVème siècle, la mode est le centre de beaucoup d’interrogations tant elle est une des représentations du mouvement social. Des écrivains d’abord, puis des sociologues et des anthropologues en feront leur sujet de prédilection. C’est le cas de Charles Baudelaire, d’Oscar Wilde, ou de Georg Simmel, et particulièrement celui de Norbert Elias357. La mode témoigne des influences qui s’opèrent sur le social. Mais au-delà de ce qu’elle exprime, de ses tendances, elle est l’étalon majeur de la société bourgeoise. Elle sert à mesurer le niveau de supériorité sociale. Ne pas la suivre revient à s’asocialiser. Difficile en architecture par exemple de dénoter, d’inscrire dans le paysage urbain des formes plus opaques, moins transparentes, plus terriennes, et souvent plus écologiques quand la mode est à la transparence, au verre, à l’acier, au plastique, même si les choses évoluent. Difficile d’utiliser des produits que l’industrie chimique n’a pas 355
C’est particulièrement le cas du personnage principal de l’ouvrage de Simone de BEAUVOIR, Les belles images, Collection Folio, Editions Gallimard, Paris, 1972. 356 Jean BAUDRILLARD, op. cit., p. 19. 357 Voir notamment ses deux ouvrages : La Société de cour, Collection Champs, Editions Flammarion, Paris, 1985 ; et La Société des individus, Collection Pocket Agora, Editions Pocket, Paris, mars 1998.
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traités, que l’industrie métallurgique n’a pas profilés, et qui ne correspondent par conséquent à aucun DTU358. Vertigineux de se passer de VMC359, de climatisation ou d’automatisation des ouvertures et des systèmes d’obturation des baies. Pas toujours évident d’expliquer aux usagers comme aux professionnels du bâtiment que le mur tel qu’il était conçu autrefois possède de multiples avantages. Le vocable monomur sera pour le coup utilisé pour lancer une nouvelle mode et singer l’inédit quand au final l’invention ne procède en réalité que d’une réactualisation de techniques anciennes. Monomur terre, monomur paille, monomur brique ou béton de chanvre : un vocabulaire pour crédibiliser ce qui constitue pourtant notre patrimoine architectural. Le recours à la main et non à l’énergie électrique pour actionner un volet ou une porte, le recours aux matériaux poreux et pertinents du point de vue des transferts hydriques, le recours aux matériaux naturels, ne sont pas tout à fait de mode quand ils ne correspondent pas à l’offre industrielle. En cela, les stigmatisations sont fortes et parfois violentes dans le rejet qu’elles impliquent ; à moins que l’écologie ne devienne elle aussi…
un objet de convoitise, phagocytée,
engloutie par l’ogre idéologique de la société de consommation. En effet pour certains militants écologistes, le travail politique se situerait à cet endroit de la communication. C’est par ailleurs ce à quoi on est en train d’assister depuis plus d’un an. La télévision n’est pas innocente dans cette affaire, au plus grand drame de l’écologie politique peutêtre. Autrement dit, la mode, comme un piège, par cette contamination de type social, se referme sur l’individu et sur la marge. La société de production use de ce chantage à l’exclusion, pour développer sa production. La mécanique fonctionne très bien. Si « être au goût du jour » est de la plus haute importance, il suffit en effet, pour l’industrie, d’accélérer le turn-over communicationnel afin que la majeure partie de la population suive et augmente par là les débits, en terme de demande. C’est pour Veblen360 un véritable « gaspillage ostentatoire », participant d’une multiplication des formes de socialité et d’une accélération du mouvement dans le changement de ces formes. Le rythme de ces évolutions devenant à mesure plus soutenu, les modes se superposent. Donc, des groupes sociaux font d’un objet une norme sur un laps de temps parfois très court engendrant de la sorte un immense gaspillage développant ainsi le 358
Document Technique Unifié. Il est élaboré par le CSTB, Comité Scientifique et Technique du Bâtiment. Ventilation Mécanique Contrôlée, obligatoire pour tout logement. 360 Voir notamment l’ouvrage de Thorstein VEBLEN, Théorie de la classe de loisir, Collection Tel, Editions Gallimard, Paris, janvier 1979. 359
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productivisme ou « la civilisation de la poubelle », telle que pouvait l’appeler Jean Baudrillard. En ce sens, la notion d’objet est modifiée. L’objet n’a plus grande valeur, quand seul le posséder ou s’identifier à lui, ce qui revient quasi au même, compte. C’est le paradoxe. Il ne tient sa valeur non de son utilité mais surtout du contexte dans lequel il fait sens. L’usage est subsidiaire, contrariant ainsi les morales anciennes « en guerre contre la dilapidation des richesses, depuis l’individu privé qui ne respecte plus cette sorte de loi morale interne à l’objet qui serait sa valeur d’usage et sa durée, qui jette ses biens ou en change selon les caprices du standing ou de la mode, etc., jusqu’au gaspillage à l’échelon national et international, et même jusqu’au gaspillage en quelque sorte planétaire (…). » 361 Ainsi, aujourd’hui, qui possède détruit.362 Dans la société de consommation, la destruction est intrinsèque à la jouissance, tirée de la pratique de consommation. Avoir et déchoir.
Posséder et jeter. L’abondance n’aurait-elle d’autre mobile que celui du
gaspillage comme affirmation de puissance ? Pour Jean Baudrillard comme pour Marcel Mauss363 « (…) le gaspillage, l’excès, la perte, l’abus, l’irrationnel, sont constitutifs du lien social (…).364 » Ils pensent en effet « (…) que s’en passer reviendrait à rompre la cohérence et la cohésion du groupe. Celles-ci ne résultant pas seulement de l’économie de marché, mais aussi du « sacré », des « mémoires communautaires », des « tensions », des « dysfonctionnements », etc.. »365. L’échange serait un partage. Voilà ce que nous apprendrait la notion anthropologique de potlatch366. Ce à quoi rétorque Thierry Paquot : 361
Jean BAUDRILLARD, op. cit., p. 48. Si même la possession n’a pas toujours été une forme de destruction interne à la relation possesseur/possédé. 363 Ils font tous les deux le lien entre intention du consommateur et fonction du potlach. In Thierry PAQUOT, Eloge du luxe, Bourin Editeur, Paris, 2005, p. 80. 364 Thierry PAQUOT, idem. 365 Thierry PAQUOT, ibidem. 366 « Le terme de potlatch est un terme d’origine chinook, qui signifie « don » ou « donner ». Il fut rapidement repris par les Blancs et employé par eux dans le vocabulaire de traite utilisé avec les Indiens. Ce vocable désigne une forme particulière de don, que pratiquent avec des variantes toutes les sociétés autochtones de la côte nord-ouest de l’Amérique entre l’Alaska et le nord des Etats-Unis, en particulier en Colombie Britannique. (…). En fait le terme de potlatch recouvre deux réalités : Un phénomène récurrent dans l’ensemble des sociétés ci-dessus : là, il consiste en une pratique ritualisée et cérémonielle de don, qui ne vise pas à donner pour donner mais à donner pour dominer et/ou recevoir en retour. Ce n’est donc pas un don de générosité, mais un don de réciprocité, qui en outre comporte souvent un aspect de défi. Il enclenche la dialectique du don et du contre-don. Un concept anthropologique classique : ce phénomène étudié en premier par Franz Boas dès les années 1880-1890, et par bien d’autres ensuite, est devenu un référent classique de l’anthropologie. Une multitude d’écrits ont été consacrés à la question. Mais de phénomène social emblématique et maintes fois observé, le potlatch est devenu un concept anthropologique. C’est essentiellement Marcel Mauss, dans son célèbre Essai sur le don, publié en 1923-1924 dans l’Année sociologique, qui opère ce glissement du phénomène observé au concept. Cherchant à forger une analyse des formes « archaïques » des comportements économiques, et en particulier de l’échange, Mauss esquisse une typologie dans laquelle figure ce qu’il qualifie de « prestation totale de type agonistique » (1973, p. 153). Et ce type de prestation, 362
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« Un partage qui sous-entend la rencontre, et par conséquent le sentiment. On est loin de la pensée unique du moment, et plus encore du marxisme vulgaire ! »367. En effet, sous ses allures de grande fête, la participation des individus à la consommation (de mêmes produits, comme forme de reconnaissance), dans le but de sceller le pacte social, n’aurait finalement comme résultat que celui inverse de la discrimination, du développement des disparités sociales résultant des capacités de dépense des individus, assimilant ainsi la consommation à un outil de premier ordre dans l’exercice des rivalités. Pour autant, la logique fétichiste,368 pour reprendre l’expression d’Henri Lefebvre, est à proprement parler à son paroxysme. « Toutes proportions gardées, les objets et les besoins sont ici substituables comme les symptômes de la conversion hystérique ou psychosomatique. Ils obéissent à la même logique du glissement du transfert, de la convertibilité, limité et apparemment arbitraire. Quand le mal est organique, il y a relation nécessaire du symptôme à l’organe (de même que dans sa qualité d’ustensile, il y a relation nécessaire entre l’objet et sa fonction). Dans la conversion hystérique ou psychosomatique, le symptôme comme le signe, est arbitraire (relativement). Migraine, colite, lumbago, angine, fatigue généralisée : il y a une chaîne de signifiants somatiques au long de laquelle le symptôme « se balade ». Tout comme il y a enchaînement d’objets/signes ou d’objets/symboles, au long duquel se balade non plus le besoin (qui est toujours lié à la finalité rationnelle de l’objet), mais le désir, et quelque autre détermination encore, qui est celle de la logique sociale inconsciente. »369 Par un jeu de signifiants sociaux donc, on réactualise une course à la supériorité. Par le standing, on gagne en prestige. Le statut social, ou l’héritage culturel, cher à la société bourgeoise ancienne, corrélé au sentiment de responsabilité, perd peu à peu de sa valeur. La capacité à consommer (peu importe les moyens qui assurent la dépense, pourvu qu’ils restent conformes à la règle) est devenue ce qui détermine le valeureux de celui qui ne l’est pas, vice et vertu demeurant hors du champ symbolique.370 C’est donc un ajoute Mauss, « nous avons proposé de l’appeler potlatch » (ibid., p. 151). Par son entremise, le potlatch devenait donc un type générique, Mauss procédant selon une astuce très en vogue à son époque, qui consistait à conceptualiser à partir de mots empruntés à des langues exotiques. Le potlatch était ainsi promu au rang de concept, dans la même veine que les tabou, mana, totem, etc. C’est bien cette double dimension, le potlatch comme pratique et comme concept, que l’anthropologie se doit de traiter, dans son enchevêtrement même. », in Francis DUPUY, Anthropologie économique, Collection Cursus, Editions Armand Colin/VUEF, Paris, 2001, pp. 37-38. 367 Thierry PAQUOT, op. cit., p. 80. 368 Le fétiche est en effet cet objet de remplacement auquel on peut attribuer toutes les propriétés et qui va servir de support à tous les transferts. 369 Henri LEFEBVRE, op. cit., p. 215. 370 Le malin trouvera ainsi, dans cette configuration, davantage sa place que le courageux ou le besogneux.
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déplacement de la morale qui s’opère ici. Le lien social est figuré par la consommation, car elle assure un système de communication, « un ordonnancement de signes et l’intégration au groupe. ».371 Baudrillard l’associe à un langage. Au puritanisme se substitue la règle de jouissance, plus exactement celle du « plus de jouir ».372 Jouir plus, pour rivaliser. Se contenter serait la plus grande preuve d’asocialité. La concurrence, à travers la consommation : un jeu, une agressivité détournée, un pacte social. Ce n’est pas l’adversaire qui fait problème mais celui qui résiste à participer. On joue à celui qui jouit le plus, à celui qui ne va rien rater, à celui pour lequel les jouissances vont s’enchaîner comme par enchantement dans un parcours sans faute. Dans le « fun-system », on ne peut courir le risque de se laisser aller au contentement. Chaque case temporelle, spatiale, matérielle, doit être remplie pour affirmer sa complétude. « J’étais complet », déclare le héros de Fight Club373. Il y a effectivement une idée de panoplie dans cette attente à se « compléter à l’infini » ; démontrant précisément que la consommation n’est pas seulement un acte d’achat, mais revêt pour l’individu tout un
371
Jean BAUDRILLARD, op. cit., p. 109. Il nous dit aussi : « Nous sommes là au foyer de la consommation totale de la quotidienneté, homogénéité totale, où tout est ressaisi et dépassé dans la facilité, la translucidité d’un « bonheur » abstrait, défini par la seule résolution des tensions. Le drugstore élargi aux dimensions du centre commercial et de la ville future, c’est le sublimé de toute vie réelle, de toute vie sociale objective, où viennent s’abolir non seulement le travail et l’argent, mais les saisons – lointain vestige d’un cycle enfin homogénéisé lui aussi ! Travail, loisir, nature, culture, tout cela, jadis dispersé et générateur d’angoisse et de complexité dans la vie réelle, dans nos villes « anarchiques et archaïques », toutes ces activités déchirées et plus ou moins irréductibles les unes aux autres – tout cela enfin mixé, malaxé, climatisé, homogénéisé dans le même travelling d’un shopping perpétuel, tout cela enfin asexué dans la même ambiance hermaphrodite de la mode ! Tout cela enfin digéré et rendu à la même matière fécale homogène (bien sûr sous le signe précisément de la disparition de l’argent « liquide », symbole encore trop visible de la fécalité réelle de la vie réelle, et des contradictions économiques et sociales qui la hantaient jadis) – tout cela est fini : la fécalité contrôlée, lubrifiée, consommée, est désormais passée dans les choses, partout diffuse dans l’indistinction des choses et des rapports sociaux. Comme dans le Panthéon romain venaient syncrétiquement coexister les dieux de tous les pays, dans un immense « digest », ainsi dans note Super-Shopping Center, qui est notre Panthéon à nous, notre Pandémonium, viennent se réunir tous les dieux, ou les démons de la consommation, c’est-à-dire toutes les activités, tous les travaux, tous les conflits et toutes les saisons abolis dans la même abstraction. Dans la substance de la vie ainsi unifiée, dans ce digest universel, il ne peut plus y avoir de sens : ce qui faisait le travail du rêve, le travail poétique, le travail du sens, c’est-à-dire les grands schèmes du déplacement et de la condensation, les grandes figures de la métaphore et de la contradiction, qui reposent sur l’articulation vivante d’éléments distincts, n’est plus possible. Seule règne l’éternelle substitution d’éléments homogènes. Plus de fonction symbolique : une éternelle combinatoire d’ « ambiance », dans un printemps perpétuel. », idem, p. 26. 372
Selon l’expression de Jacques Lacan. On peut notamment en lire une définition dans les premières pages de son ouvrage : Encore : Le séminaire XX, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, 1999. 373 Fight Club, long métrage par réalisé David FINCHER, scénario : Jim UHIS, Chuck PALANIUK ; acteurs : Edward NORTON, Brad PITT, Helena BONHAM CARTER, Meat LOAF, Jared LETO, production : Ross GRAYSON BELL, Cean CHAFFIN, Art LINSON, septembre 1999, USA.
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projet social. En effet, l’objet de consommation n’est jamais isolé mais appartient toujours à un réseau qui fait sens.374 Cependant
le
plus
prestigieux,
souligne
David
Riesman375,
c’est
une
personnalité376. Alors autant il y a la famille d’objets que l’on veut acquérir dans son entier, autant il y a « (…) la concentration monopolistique industrielle qui, abolissant les différences réelles entre les hommes, homogénéise les personnes et les produits, inaugure simultanément le règne de la différenciation ».377 Le nec plus ultra de la consommation doit passer dorénavant par la distinction, la singularité, isolant de fait le sujet dans un individualisme glacial, instrumentalisant le signe pour s’affirmer davantage au sein du groupe. Alors quand les moyens financiers manquent, la solution est encore pour les populations les moins argentées d’inventer de nouvelles formes de valorisation. Ainsi, le déplacement des valeurs paraîtra créatif et inédit, faisant varier les normes du bon goût par la subjectivation378. Bref au final, tous les coups sont permis, jusqu’au dépouillement, comme si le « mouvement » de la consommation était devenu son contraire. C’est notamment ce dont nous fait part Thierry Paquot dans son essai Eloge du luxe. Au « gaspillage ostentatoire » de Veblen correspond en filigrane la « sous-consommation ostentatoire ».
En ce sens, toute velléité vouée à la singularité se retrouve assez
rapidement ramenée à la conformité la plus absolue. « Il y a d’abord une logique structurelle de la différenciation, qui produit les individus comme « personnalisés », c'està-dire comme différents les uns des autres, mais selon des modèles généraux et selon un code auquel, dans l’acte même de se singulariser, ils se conforment. »379 La singularité
374
« Machine à laver, réfrigérateur, lave-vaisselle, etc., ont un autre sens à eux tous que chacun d’eux comme ustensile (…).», in Jean BAUDRILLARD, op. cit., p. 123. C’est un peu comme au jeu des sept familles, si vous n’avez pas la famille au complet autant dire que vous allez perdre la partie. 375 Sociologue américain, David RIESMAN est célèbre en France pour son travail sur la société de consommation, il a notamment écrit : L’abondance, à quoi bon ? , Editions Robert Laffont, Paris, 1969. 376 Jean BAUDRILLARD, idem, p. 123. 377 Pierre BOURDIEU, La distinction, Collection Le sens commun, Les Editions de Minuit, Paris, 1979, p. 575. 378 Sur ces notions, voir l’ouvrage de Pierre Bourdieu cité ci-avant. 379 Jean BAUDRILLARD, op.cit., p. 133.
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vraie tiendrait effectivement du désir authentique, par là même simple, du sujet.380 C’est en effet dans son propre rapport au luxe que s’étiole la simplicité et que fond le désir. Pour Erich Fromm, « l’individu en devenir est contraint d’abandonner la plus grande partie de ses désirs et de ses intérêts autonomes, authentiques, et sa propre volonté, et d’adopter une volonté, des désirs, des sentiments, qui ne sont pas autonomes mais surimposés par les modèles sociaux de pensée et de sentiment. »381 Pour Thierry Paquot, « La résistance commence avec le devoir de se libérer, c'est-à-dire d’être soi pour soi, en connivence avec autrui, dans l’amitié de la nature. »382
4. Les pathologies de la croissance Depuis longtemps donc, ici ou là, on dénonce cette forme d’existence humaine et sociale qui, en occultant ce qui fait sens pour le sujet, c'est-à-dire en le « gavant » d’avoir, lui ôte sa capacité à être. Parmi ces pourfendeurs : Erich Fromm, Jean Baudrillard, Henri Lefebvre, Guy Debord, déjà cités, Claude Guillebaud383, Georges-Hubert Radkowsky384, et bien d’autres. Seul Edgar Morin, nous informe Thierry Paquot 385, semble reconnaître dans L’esprit du temps 386 la consommation sous un jour ludique. Il ne se résout ainsi pas à l’étudier, comme les autres, dans sa face exclusivement négative. Donc, à combler le sujet dès son plus jeune âge comme il est désormais de coutume de le faire en Occident, on s’exécute à le paupériser psychologiquement dans un systématisme inquiétant. Il en oublie de la sorte sa valeur propre. En effet, la culture du progrès et de la consommation ne l’engage pas à puiser ses forces dans son puissant
380 Ces notions d’authenticité et de simplicité renvoient à des considérations sur l’origine du désir et de fait sur l’histoire du sujet. On peut par là avancer l’idée qu’un désir soit le résultat d’une histoire subjective sur le long terme avec des jeux d’influence profonds, plutôt que d’une histoire sociale courte et capricieuse, en total décalage avec la structure première du sujet. La question d’authenticité du désir, sur laquelle nous allons revenir, fait l’objet d’une réflexion chez Charles TAYLOR, in La liberté des modernes, Collection Philosophie morale, Presses Universitaires de France, Paris, 1999. 381 Dans l’ouvrage déjà cité d’Erich FROMM, Avoir ou être ? Un choix dont dépend l’avenir de l’homme, Collection « Réponses », Editions Robert Laffont, Paris, 1978, p. 98. 382 Dans son article, « De la « société de consommation » et de ses détracteurs », Revue Mouvements, n° 54, février 2008. 383 Claude GUILLEBAUD, voir son ouvrage : La tyrannie du plaisir, Collection Points Essais, Edition du Seuil, Paris, janvier 1998. 384 Georges-Hubert RADKOWSKY, voir son ouvrage : Les jeux du désir. De la technique à l’économie, Collection Quadrige, Les Presses Universitaires de France, Paris, 2002. 385 Thierry PAQUOT, dans son article « Consommer pour se consommer ? », in Le magazine littéraire, « Le désir, de Platon à Gilles Deleuze », n° 455, juillet-août 2006, pp. 61-63. 386 Edgar MORIN, L’esprit du temps, Collection Médiacultures, Editions Armand Colin, Paris, 2008.
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courant libidinal.387 Pour lui, seule réponse à la question humaine : l’objet - comme si aucune ressource interne ne pouvait venir à bout de cette tension exercée par le manque. Pour autant, dans la société de consommation, la recherche de satisfaction immédiate est de rigueur. Satisfaire sans relâche son égo qui demande à se compléter, tel un nourrisson qui réclame le sein maternel, est une activité de tous les jours ; d’autant que, dans l’idéologie, on ne voit rien qui pourrait être à même de restaurer le sujet dans son manque. Subir plutôt qu’agir. Ainsi, la dissonance se fait toujours plus forte et cinglante, dépossédant à mesure le sujet de lui-même. Le cercle est vicieux. En n’interrogeant plus ses ressources personnelles, on ne peut se rendre de fait et progressivement que plus dépendant de son activité de consommation. On entre ainsi dans une relation au monde infernale parce qu’infinie. En effet, cette faim n’a pas de fin. Comme un puits sans fond, elle embarque le consommateur dans une destinée tragique ; en cela qu’elle mène à des formes
d’excès
en
tous
genres,
d’obésités
multiples,
de
toxicomanies
pluridimensionnelles : le drame de la « toute-puissance ». « Bouffer », voilà devenue la raison d’être, ce qu’il nous est suggéré de vivre au quotidien dans cette culture nouvellement édifiée. En cela, les comportements alimentaires deviennent à mesure plus pathologiques. Boulimie, anorexie, sont symptomatiques de cette évolution.388
Dans un mouvement de balancier, elles se
déclinent autour de la gestion du sujet vis-à-vis du manque. Ainsi, il y a ceux qui se remplissent, obsédés par le vide profondément inscrit en eux et qu’ils se refusent à assumer. Et puis, il y a les anorexiques, les révoltés de la « grande bouffe ». Ces derniers, en réponse à la boulimie, véritable enfermement intérieur, recours abusif à l’objet, au trop plein, à la luxure, s’insurgent389. A la culture du plein, il en est qui s’opposent donc, et développe une culture du vide, une culture où « se délester » est la préoccupation exclusive de l’attention. L’obsession : débouter ce dopage de tous les instants, décliner cette loi du manque dans une rigidité sans faille ; posture qui ressemble aux corps squelettiques et raides de 387
« Seule en effet la mobilisation libidinale, autant espérée que crainte comme en témoigne la « technique du rendez-vous manqué », conduit à la liaison des pulsions destructrices, à la suture du clivage et à une possible introjection jusqu’alors précaire et ignorée en profondeur. », in Catherine GRANGEARD, Obésités. Le poids des mots. Les maux du poids, Editions Calmann-Lévy, Paris, 2007, p. 216. 388 « L’obèse, par la recherche du plaisir immédiat dans la nourriture, même si les conséquences sont catastrophiques pour lui, se trouve (…) dans ce principe de plaisir au détriment du principe de réalité.», in Catherine GRANGEARD, op. cit., p. 152. Sur ces deux dernières notions voir notamment l’ouvrage de Sigmund FREUD, Abrégé de psychanalyse, Collection Bibliothèque de psychanalyse, Les Presses Universitaires de France, Paris, 2001. 389
Les boulimiques sont souvent les mêmes qui refusent l’appétit.
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personnalités qui ne plieront pas. «Agitation justifiée», nous glisse Jean-Phillipe de Tonnac390. La diète, comme une démonstration d’indépendance, une démonstration des forces vives et intérieures d’un corps qui ne voudrait plus connaître le besoin, doit être entendue comme une expression de dissidence radicale envers un monde résolument trop gras : une grève de la faim en quelque sorte. Les anorexiques tels des martyrs 391 des temps modernes, cherchent subséquemment à avilir les passionnés de l’appétit, à expier la faute des dévorants. La société de consommation a fort à apprendre de cette couche sociale et politique surtout, en guerre contre les idéaux gloutons. Refuser d’avaler, c’est refuser la parole de l’autre, celui qui accepte cette forme d’aliénation. Dire : « Je ne mange rien. », c’est dire aux autres : « Vous mangez trop, vous mangez mal ! ». Cette passion guerrière, ce mépris pour le gros, ce dégoût, jusqu’à disparaître, se durcit à mesure qu’ils purgent la chair de la graisse impure qui enrobe et enferme l’être dans le corps, l’être devenu esclave d’un monde amollissant. Ainsi jouit-on à braver la faim. Jouit-on à tourner des heures dans les rayons des supermarchés sans passer à l’acte de l’achat. Le pied de nez de l’anorexique à la société de consommation, outre de ne pas prendre, est surtout de perdre, et de perdre, fin du fin, jusqu’à l’os. Ce dégraissage, accompli avec grande provocation et violence, traduit une volonté de contrer cette idéologie moderne qui incite à la soumission du sujet, à l’objet. Refuser cette incorporation obligée, cette manipulation du désir, devient une posture politique de taille. Et si l’instinct fait défaut, alors on supprime l’instinct. On s’élève au rang des dieux. Refuser l’objet avec toute sa force de sujet, comme un appel express au divin. Les victimes du trop, toutes ces jeunes filles cachexiques, qui peuplent les cliniques spécialisées de psychiatres souvent très déstabilisés par ce type de symptômes, ont mal d’une absence. Elles n’ont en général nullement besoin d’aliments solides ; plutôt, de nourritures spirituelles, dont elles manquent à en mourir, et pour lesquelles elles ont décidé de souffrir jusque dans leur chair. « La nourriture ne saurait être bonne à manger si elle ne peut être bonne à penser », nous éclaire si justement Claude Lévi-Strauss392. Car en effet, « ce n’est pas tant que la pomme soit habitée par un ver, voire un serpent, qui la rend si pathétique aux yeux du jeûneur, c’est bien plutôt parce qu’elle est vide de Dieu, Dieu ou ce qu’on voudra qui, présent bien en elle, l’eût arraché à
390
Jean-Phillipe de TONNAC, Anorexia. Enquête sur l’expérience de la faim, Collection Essais Doc, Editions Albin Michel, Paris, 2005. 391 Au sens des premiers chrétiens mis à mort ou torturés pour avoir témoigné de leur foi. 392 Jean-Philippe DE TONNAC, op. cit., p. 42.
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son destin de créature et son destin de mort – Dieu seul (ou ce qu’on voudra…) qui eût pu combler sa faim. »393 L’anorexique crie au sacrilège. Il rappelle à nous, dans cette société de la « grande bouffe », dans l’orgie organisée : la loi du manque, l’appétit d’être. Il rappelle à nous cette règle indéfectible : surtout ne jamais « céder sur son désir »394.
5. Besoins ou désirs ? Avoir ou être ? La question des besoins apparaît ainsi de premier ordre. Cesser de cautionner cette folie productiviste nous demande de nous positionner sur l’essentiel, de définir ou de redéfinir les nécessités élémentaires dont notre vie dépend et qui nous ramènent au plus profond, à ce qui nous constitue en propre. Pour John Rawls, les biens de base sont les conditions nécessaires à la liberté individuelle. Pour Keynes, il y a les « biens absolus », ceux que nous désirons pour l’autre et les « besoins relatifs », ceux que nous désirons pour nous-mêmes en vue de dominer l’autre (biens qui ne peuvent véritablement nous engager à une politique de l’homme, voire à une politique de l’être).395 Aussi pour Michael Ignatieff, « les seules choses bonnes pour l’être que puisse spécifier un langage des besoins, ce sont les préalables absolus à toute quête humaine. Si l’amour, le respect, la fraternité, sont des besoins pour nous, ce n’est pas parce que, quoi que nous choisissons de faire de notre vie, sans eux, nous ne pouvons être en harmonie avec les autres ni avec nous-mêmes ».396 Les besoins ne seraient donc pas systématiquement associés à la notion de survie mais plutôt à celle d’une existence pleinement vivante. Pour autant, définir les besoins essentiels reviendrait au final à identifier la question humaine. Il est du reste très périlleux de s’aventurer à évaluer ce qui est de l’ordre des besoins d’une personne, d’autant que cette personne en question est en général elle-même très loin d’être en capacité de mettre le doigt sur ses réels besoins, comme nous l’avons esquissé dans les paragraphes précédents. En effet, influencées par l’environnement social, nous avons pour habitude de nous tromper nousmêmes sur nos propres désirs, notre moi intérieur ne nous étant que trop rarement accessible. 393
Jean-Philippe de TONNAC, idem, p. 34. Selon l’expression consacrée de Jacques Lacan. 395 Michael IGNATIEFF, La liberté d’être humain. Essai sur le désir et le besoin, Collection Armillaire, Editions de La Découverte, Paris, 1986, pp. 16-17. 396 Michael IGNATIEFF, idem. 394
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De quoi avons-nous donc besoin pour nous réaliser en tant qu’être humain ? Par cette notion de besoin, c’est un regard en creux qui se pose sur le sujet attestant de satisfaction obligée dans le cadre d’une vie potentiellement épanouie. Aussi relève-t-on la nécessité de manger, de s’abriter, de se chauffer, de se soigner, d’engendrer, mais aussi celle d’aimer, de respecter, de communiquer, d’entretenir des relations de solidarité. « C’est parce que la fraternité, l’amour, l’appartenance, la dignité et le respect ne peuvent être spécifiés comme des droits que nous devons les définir comme des besoins et chercher, au moyen des procédures institutionnelles limitées dont nous disposons, à faire de leur satisfaction une pratique humaine courante », nous dit Michael Ignatieff.397 En définitive, une théorie des besoins ne saurait en rien être rapportée à une théorie du progrès dans laquelle l’homme apparaîtrait libre et heureux, mais plutôt à une théorie de l’éthique pour laquelle tout un chacun aurait la possibilité de son développement.398 Epicure399 a lui classé les besoins en trois catégories. Il y a les besoins naturels, indispensables au fait même de se tenir en vie (boire, manger, dormir), indispensables au bien-être (maison, hygiène, diététique, affection), et enfin indispensables au bonheur (philosophie, amitié, sagesse). Il y a ensuite la catégorie des aspirations naturelles dont on peut à la rigueur se passer (le sexe, l’amour, le jeu, les arts, les sciences, etc.). Il y a aussi les aspirations de création humaine et donc artificielles (richesse, gloire, etc.), tout ce qui fait la vanité de l’homme. Il y a enfin les aspirations mystiques et non réalisables (désirs d’immortalité, etc.). Enfin, Abraham Maslow400 a développé le concept de pyramide des besoins à partir d’observations sur la motivation de l’être humain. Il hiérarchise ainsi les fondamentaux qui permettent à l’homme d’exister, hiérarchie en cela qu’il en a une vision dynamique ; (depuis le premier niveau, on peut accéder au second et ainsi de suite). Sa pyramide des besoins est constituée de cinq niveaux distincts. Le premier niveau est le niveau physiologique. Ce dernier concerne le maintien de l’organisme vivant dans un état de santé stable. C’est en quelque sorte ce qui permet de réguler les grands équilibres biologiques nécessaires au maintien de l’ordre physique. Respirer, boire, uriner, déféquer, 397
Michael IGNATIEFF, ibidem, p. 15. Le communisme a, en ses temps, véhiculé ce genre d’idées. En ce sens, la politique devenait l’instance de décision des besoins des personnes. Malheureusement, les sociétés qui ont expérimenté la vulgate marxiste « à chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins », ont toutes développé une intolérance désastreuse sur le plan de la liberté humaine. 398
399
Alain GIGANDET, Pierre-Marie MOREL, Epicure et les épicuriens, Collection Quadrige Manuel, Presses Universitaires de France, Paris, 1978. 400 Abraham MASLOW, L’accomplissement de soi, de la motivation à la plénitude, Editions Eyrolles, Paris, 2003.
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manger, dormir, se réchauffer…, semblent être indispensables pour assurer la vie de l’homme. Le second niveau concerne le besoin de sécurité. Ce besoin, lié au vécu de l’homme dans le temps, concerne notre rapport à la mort et de fait, à ce qui peut conduire à une durabilité des situations permettant justement que se confortent les conditions relatives au premier niveau. Il s’agit donc ici des conditions matérielles telles que le logement, le revenu ou la sécurité physique. Le troisième niveau a trait à la recherche de reconnaissance et d’appartenance sociale : faire partie d’un groupe, s’unir au travers d’un couple à une autre personne, renvoient à un besoin de communication, voire de communion. Le quatrième niveau se rapporte au besoin d’estime que l’on peut ressentir envers soi-même, son semblable, ainsi qu’à l’estime que l’autre peut nous témoigner. Vient enfin le cinquième niveau : le besoin d’autoréalisation, d’accomplissement personnel. Ce besoin
préfigure de cet intérêt qui nous est propre, nous humain, à
poursuivre avec engouement et efforts les différents apprentissages qui nous élèvent, nous arrachent à notre égoïsme légendaire pour nous ouvrir au désintéressement le plus noble, dans le cadre du rapport que nous entretenons avec notre univers. Au travers de ces différentes définitions, on peut réaliser combien cette notion est vaste ; d’autant plus vaste que nous savons pertinemment bien aujourd’hui, grâce aux sciences de la psychologie liées à celles de la médecine, que les niveaux s’interpénètrent. Le cinquième niveau peut de toute évidence, en faisant défaut, engendrer une dégradation de la personne sur le plan physiologique, etc. Comment donc approcher au mieux cette notion afin qu’elle devienne opératoire ? Comment s’exprimer sur ce qui, au fond, n’existe pas, ou alors seulement sous la forme d’un appel ? Comment cadrer cette vacuité qui nous demande au final tant d’effort au quotidien ? Comment définir l’incomplétude ? Pour Georges-Hubert de Radkowski, il n’est de concept de besoin qui tienne. « La « satisfaction des besoins » ne désigne rien, de même qu’elle ne renvoie à aucune finalité : elle n’est pas la raison d’être, ni même une des raisons d’être des activités des vivants, elle est la condition de leur être. Non pas le « ce pourquoi » ils sont (ils vivent) – s’activent, peinent, se dépensent – ni donc, malgré les apparences, ce qu’ils recherchent, mais le « ce sans quoi » ils ne sont pas, ne peuvent pas être. Aucun vivant, aucun animal – et nous en sommes, - ne satisfait ses besoins pour vivre, et encore moins ne vit pour les satisfaire, il vit en les satisfaisant. Il ne dort, ni ne mange, ni ne se préserve d’excès de chaleur ou de froid, etc., pour vivre, il vit en dormant, en mangeant, etc.. Le sommeil, la 151
nourriture, les parades contre les conditions atmosphériques défavorables ne sont pas ce dont il aurait « besoin » - singulier euphémisme !-, ils sont requis par son existence même qu’ils rendent seuls possible. Au même titre que le sol ferme sous ses pieds, le ciel audessus de sa tête, ses membres locomoteurs « pour » (qui lui servent à…) se déplacer, ses oreilles « pour » entendre, son système digestif « pour » ingérer ce qu’il absorbe.»401 Le besoin ne serait ainsi en aucun cas celui de s’alimenter, mais de disposer de denrée. La perspective est inversée. La notion de besoin est comme internalisée par un recentrement sur le sujet. Les besoins d’un être vivant ne seraient en cela rien d’autre que lui-même. Pour lui en effet, le concept reste inopérant ; la satisfaction que l’homme pourrait ressentir n’étant dans l’absolu pas celle des besoins, mais seule celle du désir : un désir d’exister qui le rend aspirant. Il y aurait donc ici « illusion d’extériorité » dans cette lutte pour la vie que connaît tout un chacun ; car cette satisfaction ne saurait être placée en dehors de ce qui lui est propre.402 « Le seul besoin qu’il lui faut « satisfaire », c’est celui d’avoir à le satisfaire : besoin de se dépenser à la recherche de sa nourriture, de son partenaire sexuel, des matériaux pour son abri ou son nid, etc. Cette nourriture, etc., il la trouve non au dehors, mais au-dedans de son parcours vital, de son espace de vie. Espace qui lui est aussi « intérieur » que le sont les battements de son cœur.»403 Il n’y aurait en ce sens aucune possibilité de séparation, aucune hiérarchie possible dans ce qui rassemblerait l’ensemble de nos besoins, et avant tout celui de vivre, comme si le manque n’était pas exogène mais totalement endogène, intrinsèque à l’existence. Ainsi, il n’est d’être humain assujetti à ses besoins, plutôt à la nécessité déployée par son milieu. De cette nécessité, le sujet est dans l’obligation de se soumettre, de s’adapter. Lors de cette adaptation et dans le cadre des possibilités qui lui sont seules offertes par la nature, il développe son désir, et par là développe le cadre même de son environnement en transformant les objets naturels en objets artificiels. Aussi on peut comprendre un peu mieux la notion de besoin ici, rapportée au temps et à la technique, en cela qu’elle recouvrirait un absolu, une permanence, un objet qu’aucune altération n’aurait pu modifier ; une stabilité existentielle qui prétendrait à jamais au monde répétitif du Même défini. Il n’y aurait donc aucune entité ontologique préalable, aucun invariant de la nature humaine, mais une création permanente de l’histoire et des structures sociales, de ce qui infléchit au quotidien sur notre désir. 401
Georges-Hubert de RADKOWSKI, Les jeux du désir. De la technique à l’économie, Collection Quadrige, Presses Universitaires de France, Paris, 2002, p. 141. 402 « (…) nul ne peut être à la fois son propre maître et son esclave, assujetti, soumis à soi-même. », in Georges-Hubert de RADKOWSKI, idem, p. 142. 403 In Georges-Hubert de RADKOWSKI, ibidem, p. 147.
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Les contours symboliques du besoin, sorte de mise en équation entre le désir attaché au manque et les possibilités de satisfaction que le milieu offre, se dessinent. Autrement dit, et conformément à la théorie de la complexité d’Edgar Morin 404, le manque comme le milieu s’auto-engendrent dans un mouvement réciproque et infini. Grâce au « bruit » ou petit décalage entre le manque et le milieu, comme si les deux ne s’emboîtaient véritablement ou harmonieusement, la dynamique s’opére. Le vivant ne supportant l’homéostasie, il ne peut y avoir de normes, de ratios pour décider, pour délimiter ce qui est de l’ordre de la carence, de ce qui ne l’est pas, de l’acceptable comme de l’inacceptable. Radkowski parle lui de « faille », de « césure », de « fracture » même, qui, à l’endroit précis de la frontière de l’étant et de son milieu, génère la discordance comme si le principe même du sujet était celui du désir donc de l’insatisfaction, selon la loi d’incomplétude que nous avons déjà mentionnée. C’est en cela que « je veux tout avoir, que posséder, et non pas partager, me procure du plaisir, que je dois devenir cupide parce que mon seul but est d’avoir : plus j’ai, plus je suis ; que je dois me sentir hostile à l’égard de tous les autres : mes clients que je dois tromper, mes concurrents que je désire éliminer, mes ouvriers que je veux exploiter. Je ne peux jamais être satisfait parce que mes désirs sont sans fin ; je dois envier ceux qui ont plus que moi et avoir peur de ceux qui ont moins. »405 Par là, le sujet s’applique davantage à reproduire qu’à produire, en comblant ce qui apparaît sur le plan historique comme manque. Par cette représentation, il en vient à torturer son être, à le diminuer, à le soustraire à son essence même : sa subjectivité, son désir propre, sa singularité. Il s’offre, de par le fait, en pâture à une forme de pauvreté autre que celle couramment définie, celle d’une misère intérieure - notion épargnée à ceux qui ne se sont pas résignés à la soumission au manque. Le désir ou celui qui « (…) nous fait abandonner les rivages du Même pour nous introduire dans la terre de l’Autre, la terre-Autre. Dans ce qui est autre que le « déjà-là », le donné : ce milieu où nous immergent nos besoins et avec lequel ils nous confondent. »406 Aussi s’agit-il de nous souvenir que la vraie vie est ailleurs, au-delà du manque et de la peur de perdre, qui génèrent en nous la volonté de posséder. La seule vie n’est pas la vie bourgeoise, et avec elle cette nouvelle religion qui est celle du progrès et d’un hédonisme de plus en plus radical. 404
On peut ici se référer à son ouvrage déjà cité : Introduction à la pensée complexe, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, 2005. On peut également à ce sujet consulter son autre ouvrage : La Méthode. Tome 1. La nature de la nature, Collection Points Essais, Editions du Seuil, Paris, 1981. 405 Erich FROMM, op. cit., p. 22. 406 Georges-Hubert de RADKOWSKI, op. cit., p. 164.
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Erich Fromm offre une alternative, comme d’autres, au mode avoir. Le manque qui suscite en nous la cupidité (cupidité qui peut transformer tout être en objet), peut tout à fait s’inverser et transformer la passion gloutonne en une passion joyeuse et vivante. L’évolution ne serait pas univoque. Pour autant il nous est possible à tout moment de bifurquer. Pour autant, à la question que l’économie politique pose en général, et particulièrement dans le cadre du développement durable, sur les quotas à respecter en terme de ressources naturelles par exemple, ou de capacité de la planète à absorber les pollutions, il est possible de répondre. Quels sont nos besoins ? Ils vont de l’infini, pour un développement hégémonique de l’homme et de ses sociétés tel qu’on le connaît en cette période de l’histoire, à la valeur proche du zéro, dans le cadre d’un développement physique infime, permettant à la rigueur le seul souffle de vie. Aussi, nous comprenons que derrière cette question réside celle plus subtile du sens du développement humain et de la nature des projections des désirs des hommes. « Le désir, c’est la faute, la faute originelle », nous lâche Radkowski.407 Cette faute répond à l’impératif d’illusion d’une libération des limites imposées aux hommes par leur finitude, leur mort.408 C’est à cette question qu’Erich Fromm répond avec d’autres. Dans le creux du manque, avec la naissance du désir, il y a le devoir de se réaliser soi-même. Le désir ne serait ainsi pas la faute originelle mais ce par quoi justement l’homme est en passe de se libérer. C’est en effet par le retournement de « l’avoir », et ainsi par la limitation, dans l’expérience de castration, dans une annulation des tentatives de toute-puissance, que se révèle l’être. C’est en effet par le déplacement du désir et une désidentification aux causes de la souffrance, c'est-à-dire au manque ou aux besoins, que le désir fondateur, le « désir de l’ouvert »409, se réalise410, que l’homme persiste dans son être (au sens de Spinoza). « L’ascétisme, le renoncement, ne sont pas « mortifiants », ils sont vivifiants, ontologiquement libérateurs : non pas privatifs mais « donatifs », donatifs de l’infinitude, de l’illimité. Car, en payant tout ce que nous avons - toutes nos possessions – « au prix 407
Georges-Hubert de RADKOWSKI, idem, p. 177. « (…) l’orgie dissout les formes limitées et périssables où nous tient enfermés la vie quotidienne. », in Georges-Hubert de RADKOWSKI, ibidem. 409 Nous pouvons ici rappeler l’entretien de David Rabouin avec Slavoj ZIZEK déjà évoqué, intitulé « Le désir ou la trahison du bonheur », in Le magazine littéraire, « Le désir de Platon à Gilles Deleuze », n° 455, juillet-aôut 2006, pp. 30-33. 410 « (…) Et l’exploration analytique amène à réaliser que c’est dans l’expérience de la castration, d’un « plus rien à perdre » toujours renouvelé, que s’accomplit un être dans l’audace et la confiance. La problématique de la castration se révèle ici comme un processus dynamique et créateur : condition et réalisation du désir fondateur. », in Christiane BERTHELET-LORELLE, La sagesse du désir, Collection Couleur psy, Editions du Seuil, Paris, septembre 2003, p. 173. 408
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coûtant », celui de votre vie, non seulement nous le troquons contre ces possessions, en nous dépensant pour les acquérir, mais encore nous convertissons notre être qui nous « qualifie » en notre avoir qui nous quantifie, faisant de nous des individus « riches », « puissants », « influents » (socialement), « savants »… . »411 C’est donc par cette limitation première que l’homme se délivrera de la finitude. Le reste n’est qu’imposture idéologique. C’est l’imposture de la modernité, et avec elle, ses promesses de bonheur412. En effet, comme nous l’avons déjà évoqué, c’est par le respect du vide, du manque, que l’être peut se développer. Jésus nous dit : « Celui qui voudra la vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la sauvera. Et que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s’il se détruisait et se perdait lui-même ? »413 C’est par le respect de ce qui est et par la conscience de n’être pas séparé du monde que peut se dissoudre la cupidité, sans quoi la joie ne pourrait se substituer au plaisir, au jouir. La définition que donne Erich Fromm du plaisir est la suivante. Le plaisir est la satisfaction d’un désir qui n’exige pas d’activité « dans le sens de vie éveillée ».414 « Ce plaisir peut être d’une grande intensité (nous dit-il), le plaisir de remporter un succès social, d’augmenter ses revenus, de gagner à la loterie ; le plaisir sexuel conventionnel ; manger à « satiété » ; gagner une course ; l’état d’exaltation procuré par la boisson, la transe, la drogue ; le plaisir de satisfaire son sadisme ou sa passion de tuer ou de mutiler ce qui est vivant. »415 En cela, le plaisir est ressenti dans une satisfaction au désir, à un point culminant de l’excitation, dans une passivité sans borne. Il y a plaisir justement parce qu’il y a passivité, même si cette passivité demande un certain « affairement », comme le souligne Fromm. La société moderne est en effet très active dans sa recherche d’excitations toujours nouvelles, mais passe à côté de l’activité réelle, celle productrice de joie. En cela, ces deux notions ne peuvent par l’expérience connaître la simultanéité. Comme deux vases communicants, l’une et l’autre s’échangent. Quand la joie apparaît, le plaisir s’efface et inversement. Mais la joie, à l’opposé du plaisir, n’est pas une expérience culminante, avec une naissance, un état extatique, et une fin, plutôt elle détermine un état affectif d’expression de l’être dans toutes ses potentialités. Par là, elle est totalement productive et active, et transforme l’être en son cœur. Le plaisir, inversement, est une 411
Georges-Hubert de RADKOWSKI, op. cit., p. 239. « Le bonheur, cette idée neuve en Europe. », nous dit Saint-Just, in Georges-Hubert de RADKOWSKI, idem, p. 241. 412
413
Erich FROMM, op. cit., p. 33. Erich FROMM, idem, p. 138. 415 Erich FROMM, ibidem, p. 139. 414
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passade. C’est l’expérience d’un moment ; ce genre de moments que l’on cherche à cumuler dans le système capitaliste ; alors que la joie est l’humeur qui vit en compagnie de l’être.416 Spinoza417, Maître Eckart418, ainsi qu’une majeure partie des philosophies orientales419, ont donné une place prépondérante à la joie. En effet, en devenant, tel que Spinoza le conseille, ce que nous pouvons être, à savoir ce que nous ressentons de nousmêmes dans l’évolution qui nous est due et dans le rapport au monde que nous engendrons ; ainsi la joie surgit. Elle surgit de cette découverte de nous-même intimement liée à celle du monde. Encore faut-il que nos peurs ne nous encombrent pour que le monde s’ouvre à nous, sans quoi, de manière obligée, nous sommes instantanément poussé à verser dans la jouissance - jouissance qui nous rassure - jouissance de notre égo. Cette dernière est souvent et peut-être même systématiquement accompagnée de culpabilité : culpabilité à passer outre les règles de dépassement du sujet, culpabilité de n’être pas sur le chemin de son propre épanouissement, culpabilité qui lorsqu’elle persiste, engendrera destruction et recours au plaisir ; le plaisir vécu ici comme temps de répit ou défoulement, ou encore comme punition.420 « L’homme a vécu dans le trouble et la crainte jusqu’à ce qu’il découvrît l’uniformité de la loi dans la nature ; jusqu’alors le monde lui était étranger. Or la loi découverte est uniquement la perception de l’harmonie en la raison, qui est l’âme de l’homme, et le jeu de la nature. C’est le lieu par lequel l’homme est uni au monde dans lequel il vit. Quand il le découvre, l’homme éprouve une joie intense, car il se réalise alors dans son milieu. Comprendre quoi que ce soit, c’est y trouver quelque chose qui nous appartient, et c’est la découverte de nous-même au dehors de nous qui nous rend joyeux. »421 Autrement dit, la joie est toujours connaissance. Le mode avoir ne serait donc pas le seul mode de développement des sociétés humaines. Le mode être a lui aussi ses valeurs de développement, des valeurs qui auraient finalement été, dans l’histoire de l’humanité, à en croire Fromm, plus banales que celles liées à l’avidité. En effet, alors « (…) que la propriété privée est censée être une catégorie 416
« Dans le Nouveau Testament, la joie est le fruit de l’abandon des richesses, tandis que la tristesse est l’humeur de celui qui s’accroche à ses biens matériels. », in Erich FROMM, ibidem, p. 141. 417 Voir Baruch de SPINOZA, L’éthique, Collection Folio Essais, Editions Gallimard, Paris, 1954. 418 Voir Johannes ECKART, Voici Maître Eckart, édité sous la direction d’Emilie Zum Brunn, Editions J. Millon, Grenoble, 1994. 419 Sur ce sujet, à lire par exemple l’ouvrage de Serge-Christophe KOLM, Le bonheur-liberté. Bouddhisme profond et modernité, Collection Libre échange, Presses Universitaires de France, Paris, 1982. 420 Encore une fois, le cercle est vicieux. 421 Rabindranath TAGORE, in Danielle et Olivier FÖLLMI, Sagesses. 365 pensées des maîtres de l’Inde, Editions de la Martinière, Paris, 2004.
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naturelle et universelle, elle est en réalité l’exception, et non la règle, si on considère l’ensemble de l’histoire humaine (y compris la préhistoire) et particulièrement les cultures extérieures à l’Europe où l’économie n’est pas la principale préoccupation de la vie ».422 Georges-Hubert Radkowski semble également nous éclairer sur la question en prenant appui sur d’autres modèles culturels. Il étend même le débat quand il va jusqu’à s’interroger sur la notion de « besoins primaires ». Qu’est ce qui est véritablement essentiel pour l’homme ? Nous voyons en effet ici que les peuples y répondent de manières très différentes. « Et dans le cas de l’homme, le besoin non de se chauffer, s’abriter, se vêtir, etc., mais de disposer de combustibles ou de matières premières pour se chauffer, s’abriter, etc. A supposer que ces « besoins primaires » soient réellement tels. Rien de plus douteux. Les aborigènes de l’Australie centrale où la température peut descendre la nuit au-dessous de zéro, les Fuégiens de la Terre de Feu qui vivaient dans un climat froid et très pluvieux, ni ne s’abritaient – tout en pratiquant, en ce qui concerne ceux-ci, un art assez raffiné de la construction rituelle -, ni ne se vêtaient d’une façon efficace (les premiers vivant même nus comme des vers), ni ne se chauffaient réellement. Bien entendu, les Esquimaux, ces représentants de la civilisation la plus polaire que l’Histoire a connue, n’auraient pas pu se permettre une pareille nonchalance quant à « ces besoins primaires ». Mais l’homme ne provient pas, que l’on sache, des régions situées autour du cercle polaire. S’il a pu s’y installer ultérieurement, c’est qu’il est devenu capable de parer non pas à ses besoins « primaires » et « naturels », mais de faire face aux besoins « secondaires » et « artificiels », suscités par les capacités de sa technique qui a rendu possible cette installation écologiquement « excentrique ». A quelle portion congrue peuvent par ailleurs se réduire ces besoins censés être primaires, et cela dans un climat aussi hostile à l’homme que celui de la Sibérie septentrionale, la vie des prisonniers du Goulag le prouve éloquemment et abondamment. »423 L’écologie politique est adepte de ce genre de vision. Elle a par ailleurs dans sa théorie, élaboré tout un basculement des valeurs depuis « la prédominance de valeurs matérielles jusqu’à une recherche de valeurs spirituelles. »424 Le développement durable ne passerait ainsi pas par la restriction ou la culpabilisation, tant notre situation planétaire pourrait apparaître scandaleuse, mais par un désir de déloger au cœur de notre humanité un autre type de ressources, renouvelables, les ressources de l’être. « La peur ne peut-être 422
Erich FROMM, op. cit., p. 89. Georges-Hubert de RADKOWSKI, op. cit., p. 143. 424 Pour reprendre les termes de Dimitrios I. ROUSSOPOULOS, L’écologie politique. Au-delà de l’environnementalisme, Les Editions Ecosociété, Montréal, 1994, p. 79. 423
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notre guide, il nous faut avoir du désir et du désir positif. (…) Ce fameux développement durable doit être en même temps un développement désirable. »425
Le productivisme, notion qui apparaît au XXème siècle, dénonce sous ce vocable l’ère qui a fait de la production l’objectif premier de l’activité des sociétés humaines, et qui a sacrifié, pour plus de productivité et par souci d’efficacité, toute exigence anthropologique et écologique. En se focalisant sur la massification de la production, cette idéologie fait par conséquent oublier à l’Homme l’essentiel : ce qui devrait primer au sein de son existence. La conscience de la mort est la première responsable de cet état de fait quand, avant nos besoins, elle fait passer nos désirs. Désirs d’acquérir plus de richesses, plus de pouvoirs, plus de reconnaissances. C’est le piège qui nous est tendu, à nous humains, tout au long de notre existence et vis-à-vis duquel nous devons procéder à une condamnation pour nous relever d’une dépression intérieure toute prête, d’instant en instant, comme à l’affût, à s’approfondir. Tombé dans ce piège, nous tombons aussi dans une forme de barbarie, dans laquelle « on ne fait qu’entretenir le couple dépression/excitation, autrement appelé sur le plan personnel la psychose maniacodépressive… celle-ci n’est pas seulement une pathologie individuelle, mais fonde le maldéveloppement de nos sociétés. »426 A cette problématique, la notion politique de décroissance ou encore de bioéconomie pour reprendre le terme de Nicolas Georgescu-Roegen, en réponse au productivisme moderne, donne des indications sur une marche à suivre. Concept hérité des courants de pensée critique du XIXème siècle représenté notamment par John Ruskin, Henri-David Thoreau, et Lev Tolstoï, né dans les années 70, avec Ivan Illich, Günther Anders, René Dumont, René Passet, Ignacy Sachs ou encore Hannah Arendt et d’autres, il lance le défi d’une transformation économique de l’Occident en proposant une augmentation de la qualité de vie aux dépens de la quantité des biens et des services
425
Patrick VIVERET, Reconsidérer la richesse, Collection Poche Essai, Editions de l’Aube, Paris, 2005, p. 30. 426 Patrick VIVERET, idem, p. 27.
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cumulables.427 Les protagonistes de la décroissance croient aux liens428 plus qu’aux biens, comme on a peut-être maintenant pris l’habitude de l’entendre dire. Aussi, la décroissance ne serait pas une fin en soi, un dogme politique avec ses méthodes et ses outils, mais un mot valise (un peu comme le développement durable) permettant d’ouvrir le débat sur d’autres formes économiques et idéologiques mettant l’accent sur le bien-être et le soin accordé à l’Homme et à son milieu. 429 La décroissance s’oppose à l’idéologie de la croissance et particulièrement à ses outils de mesure qui mélangent toutes les formes de production, et qui découplent l’économique de l’éthique et du politique. Penser la décroissance, c’est de fait dénoncer l’impensé écologique, l’impensé politique, l’impensé anthropologique et les systèmes de comptabilité « niais », du PIB par exemple, parce que dans l’incapacité de rendre précisément compte d’une situation sociale. Ainsi pour Patrick Viveret, « ce projet appelle nécessairement un surcroît de qualité démocratique ; car c’est la démocratie qui permet d’agréger des préférences individuelles autrement que par la monnaie grâce à la délibération publique et au vote ; 427
Nicolas Georgescu-Roegen, économiste roumain, travaille notamment avec l’équipe de Joseph Schumpeter. Ses études sont centrées sur ce qu’il appelle la bio-économie. Cette discipline qu’il invente fait le lien entre sciences économiques et sciences biologiques. On lui attribue l’origine du concept de décroissance. John Ruskin, critique d’art britannique, est fondateur du mouvement Art and Craft dont William Morris est le chef de file. Il a pour volonté de relier art, nature et moralité. Il est précurseur de l’Art Nouveau. Henri David Thoreau, est essayiste, philosophe et poète américain, il anticipe les pensées sur l’environnementaliste et la décroissance. Il est notamment lu par Léon Tolstoï et Mahatma Gandhi. Il est lui-même influencé par la pensée indienne. Connu pour ses deux ouvrages Walden et La Désobéissance civile, il est toujours lu actuellement. Léon Tolstoï, romancier et essayiste russe, développe des pensées similaires à celles de Thoreau et s’engage politiquement dans, notamment, la défense des plus démunis lors des famines de la période pré-révolutionnaire. Ivan Illich est une figure importante, avec son ami Jacques Ellul de la pensée critique de la société industrielle. Il est l’un des précurseur de l’écologie politique et des théories sur ce qu’il appelle « l’après développement ». Il est notamment influencé par Karl Marx et Erich Fromm. Gunther Anders a été l’élève de Martin Heidegger qu’il appréciait peu. Il est l’époux d’Hannah Arendt dans les premières périodes de sa vie, et l’oncle de Walter Benjamin. Il côtoie Hans Jonas ainsi qu’Herbert Marcuse. Ses idées sont directement inspirées de celles de Karl Marx. René Passet, économiste avec Edgar Morin, sociologue et philosophe, font partie du Groupe des dix, réunissant Henri Atlan, Jacques Attali, Jack Baillet, Jean-François Boissel, Alain Laurent, Annie Robin, Jacques Robin, Michel Rocard, Joël de Rosnay, Jacques Sauvan, enfin Michel Serres. Le Groupe des dix se constitue après Mai 68 pour engager des discussions autour de la place des intellectuels au sein de la société. Ignacy Sachs, économiste polonais, est considéré comme l’économiste précurseur de la notion de Développement Durable, avec son concept d’écodéveloppement. Il a notamment travaillé sur l’économie brésilienne et indienne. Hannah Arendt, philosophe, essayiste, est connue pour son travail sur l’antisémitisme, le totalitarisme, et la modernité, sur le politique en général. Elle est l’élève et amie de Martin Heidegger dans l’Allemagne d’avant-guerre, et continuera sa vie durant à entretenir des rapports avec Hans Jonas qu’elle a rencontré sur les bancs de l’université. 428 Le lien est le fondement de la culture amérindienne qui, nomade, ne s’est jamais développée sur la recherche de satisfaction matérielle. Voir notamment l’article de Philippe JACQUIN : « De l’Amérique indienne à l’Amérique blanche », dans l’ouvrage collectif Terre indienne. Un peuple écrasé, une culture retrouvée, série Monde, n° 54, Editions Autrement, Paris, mai 1991. 429 C’est par exemple l’objectif du chapitre intitulé « L’utopie de l’échange égal », de Serge LATOUCHE dans son ouvrage Justice sans limites. Le défi de l’éthique dans une économie mondialisée, Editions Arthème Fayard, Paris, 2003, pp. 233-274.
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c’est elle qui conserve le meilleur de l’individu en le mettant en relation avec autrui pour délibérer du bien commun à travers la construction de la citoyenneté ; c’est elle qui permet de penser une éducation du désir de l’enfant pour l’aider à grandir en humain au nom des valeurs civiques tout en respectant sa liberté de formation. »430 Une citoyenneté active pourrait peut-être autoriser le dégagement de nouvelles perspectives au sens que nous accordons à la vie. La construction d’une citoyenneté forte, d’un profond attachement au lien que nous pouvons entretenir avec autrui, sous la forme du participationnisme par exemple, pourrait achever le défi démocratique et sortir l’humanité de l’habit dans lequel elle demeure comme « engoncée ».431 Il s’agit de remettre à l’ordre du jour une révolution des valeurs, d’instituer les paradigmes nécessaires à la durabilité ou à la soutenabilité, pour reprendre le terme anglo-saxon, de notre système de développement. La démocratie comme une promesse, comme le soulignait Jacques Derrida432, pourrait devenir l’espace de communion et d’émulation des individus, selon les idées d’Albert Jacquard433, autorisant l’articulation entre le local et le global, le personnel et le mondial, les transformations des sujets et les transformations sociales.
430
Patrick VIVERET, op. cit., p. 64. Sur ces notions voir notamment l’article d’André BELLON, « Un débat très révolutionnaire : la démocratie », dans l’ouvrage collectif déjà cité Quelle démocratie voulons-nous ? Pièces pour un débat, sous la direction d’Alain Caillé, Collection Sur le vif, Editions de la Découverte, Paris, 2006, pp. 57-67. 432 Sur le sujet, voir notamment l’article de Philippe CORCUFF, « La question démocratique, entre présupposés philosophiques et défis individualistes », dans l’ouvrage Quelle démocratie voulons-nous ? Pièces pour un débat, idem, pp. 78-86. 433 Albert JACQUARD, De l’angoisse à l’espoir. Leçons d’écologie humaine, Collection Le livre de Poche, Editions Calmann-Lévy, Paris, 2002. 431
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B. Le libéralisme ou la confusion des libertés Face aux catastrophes écologiques subites comme latentes, les médias donnent désormais l’alerte et les groupes humains réagisent. Les pratiques tant individuelles que collectives évoluent. L'aménagement du territoire se diversifie. La ville se transforme. Les concepts d'écologie urbaine et industrielle, de durabilité et de soutenabilité, s'intègrent dans les esprits. Il n'est plus de débat politique sans s’exprimer sur sa propre vision face à l’enjeu écologique. Les discussions des citoyens sur le sujet ne manquent pas. Les écologistes de la première heure ont fini de s'impatienter d'une prise en compte de cette dimension sur le plan des affaires locales, ont fini de trépigner devant la cécité ou la surdité des personnes aux responsabilités. L'écologie, on en parle. On en parle même beaucoup. C'est un sujet désormais à la mode. Il ne suscite plus la moquerie mais invite aux positions graves et sérieuses. Au demeurant, la question de l'action reste encore pleine et entière. Que faire ? Des recettes sont élaborées. Les solutions se divulguent de part et d'autre. Reste à vérifier la valeur de leur pertinence. Reste à se fixer sur le sens de leur mise en œuvre. Reste à programmer un ensemble de politiques publiques durables effectives. Certains attendent de la nouvelle donne écologique une refonte totale des pratiques et des représentations des hommes. Pour ces derniers, le respect de la biosphère ne passera pas autrement que par une révolution culturelle, voire spirituelle de chacun. C'est par la remise en cause de son rapport à l'autre, à son environnement, et à soi-même qu'une véritable prise en compte de l'écologie pourra graduellement, via les voies du désir, s’effectuer. Cette voie spirituelle et intérieure portée par des individus de tous horizons et par certains représentants religieux devrait ainsi subordonner l'action politique à une communion planétaire, qui diminuerait ainsi les conflits entre des intérêts divergents. Le développement durable se voit par là non plus investi sous sa forme classique à trois piliers : social, économique et environnemental, mais sous la forme d'un seul et même pilier : celui de la Nature, au sens large du terme. D'autres plaident pour que le développement durable soit politiquement et planétairement pleinement assumé. Pour ceux-là, le pouvoir politique doit se charger de réaménager la superstructure dans l'optique de rendre viable la vie des hommes sur terre.
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La posture est interventionniste. Le pouvoir revient à une collectivité organisée, planificatrice, voire centralisée. Il ne s'agit ici pas seulement de faire des lois, mais surtout d'offrir les moyens physiques et techniques à chaque citoyen d'assumer son existence en relation avec son environnement. Dans cette idée, une construction des modèles, au sens d'utopie, est fortement attendue, des modèles ayant la capacité de nous aiguiller sur les pratiques à promouvoir sur le plan domestique comme sur le plan professionnel. Plus sensible à la formation qu'à l'information, ce courant élabore souvent des conceptions internationalistes et protectionnistes. La maîtrise est son mot d'ordre. D'autres encore prennent l'option du libéralisme économique, de la responsabilité individuelle du citoyen, du marché. Pour ces derniers, le développement durable est une affaire économique pour laquelle le rapport coût/avantage dans chaque prise de décision, prévaut. La logique du marché n'intègre encore pas assez aujourd'hui, selon eux, la donne écologique. La gratuité des ressources planétaires, de l'air, de l'eau, entretient un rapport faussé entre l'homme et son milieu. Pour ces derniers, l'écologie recouvre une myriade d'externalités, à savoir une somme d'éléments qui ne participent pas de manière directe à notre économie de marché. En intégrant ces externalités, c'est l'écologie que nous intégrerons à nos pratiques quotidiennes. Si nous prenons en compte l'ensemble des éléments qui nous environnent à leur juste valeur, et que nous les incluons aux valeurs économiques en cours, alors nous pouvons parier sur le juste équilibre entre le développement du monde humain et le développement du monde extra-humain. Cette approche demeure fondamentalement économiciste. Aussi, la recherche scientifique en matière d'économie s'est donné pour objectif de définir des indicateurs monétaires permettant cette intégration. Différents principes comme le coût d'évitement, la dépréciation de valeur marchande, le coût de réparation, le coût de substitution, ou l'acceptation à payer, permettraient d'internaliser les externalités et dans cette logique de nous rendre plus responsables car plus lucides, grâce à la révélation du prix des choses, des réalités interactionnelles terrestres. Le souci environnemental se verrait ainsi devenir un élément en plus dans la mise en compétitivité des entreprises sur le plan international. Dans cette perspective, la mondialisation économique ne figure pas une difficulté supplémentaire. Encore faut-il que les politiques d'internalisation des coûts se réalisent effectivement sur l'ensemble des territoires du globe. Au cas contraire, nous verrons qu'un certain nombre de fuites ou trappes rendent inexploitables ces outils monétaires, d'autant que le protectionnisme n'a pas sa place dans l'idéologie libérale. 162
Enfin il y a les partisans de l’autogestion. L’autonomie politique, l’économie domestique, ou même le troc, seraient des voies qui nous permettraient d’endiguer les problèmes écologiques.434 Si même la première posture dépend intrinsèquement des trois suivantes, et si on l'aura compris, elle est centrale dans cette thèse, elle ne sera traitée qu'en conclusion. L'engagement spirituel est personnel, et même s'il concerne la collectivité humaine, nous allons pour l'instant davantage nous pencher sur la prise de décision collective, et l'action publique qui en résulte, soit qu'elle soit déterminée par l'idéologie socialiste : le pouvoir aux collectivités territoriales ou à l'État planificateur (dont nous allons peu parler), soit qu'elle soit spécifiée par les principes libéraux d'intégration des valeurs sociales et environnementales sur le marché, soit qu'elle soit portée vers un transfert de pouvoir du secteur public sur la société civile dans la perspective d'une autonomisation des formes de vie. Le monde de la recherche impliqué dans l'action donc s'est donné pour tâche de rendre perceptible le caractère soutenable du développement par des indicateurs. Les indicateurs sont nombreux.435 Ils permettent de cadrer notre approche sur la question du développement et d'évaluer l'impact que nous avons sur notre environnement comme sur nous-même. Par le fait, il procure un langage commun utile au débat démocratique et par là des outils d'approche permettant de piloter l'action publique.436 Par la détermination des facteurs d'influence, par la dénomination précise des valeurs, on peut ainsi cibler l'action. C'est la perspective libérale. Notre société fait de nos jours la part belle à cette posture. C'est la raison pour laquelle nous allons nous attacher plus précisément à en faire la critique. La monétarisation de l'environnement (le « tout économique »), comme la désolidarisation du citoyen d'avec la collectivité, n'augurent pas de lendemains meilleurs. D'une part, on peut demeurer suspicieux sur l'efficacité écologique des instruments économiques. D'autre part, la relation instrumentale à l'autre ou à l'environnement, sous le seul rapport coût/avantage, de même que la communautarisation des moyens et des valeurs, pourraient bien enfreindre les lois psychologiques de l'équilibre du sujet. Si le mouvement ancestral 434
Sur la question de l’autogestion, un classique : Pierre ROSANVALLON, L'âge de l'autogestion : la politique au poste de commandement, Collection Politique, Editions du Seuil, Paris, 1976. 435 Voir notamment l'ouvrage de Françoise ROUXEL et Gilbert RIST, Le développement durable : Approche méthodologique dans les diagnostics territoriaux, Document édité par le CERTU, Paris, 2000. 436 Nous avons déjà cité l'approche multicritère développée notamment par Luc Adolphe.
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du centre vers la périphérie, de l'ego vers l'alter-ego, de l'anthropos vers le bios, par le truchement du soin, de la préoccupation désirante, affective, ne s'exerce pas chez le sujet, si le décentrement n'extirpe pas la personne humaine du groupe duquel elle s'est comme "éprise", pour le projeter dans l'espace–autre, c'est-à-dire l'espace public, on peut s'attendre à des désordres infiniment regrettables, avec pour point de butée : la folie. L'échange via la liberté, la liberté via l'autonomie, pourraient bien nous tendre le piège de la régression narcissique passant tantôt de l'instrumentalisation du monde à l'auto-aliénation de l'entre-soi.
1. L'action publique Dans la mesure où je vais cibler mon propos sur l'action du secteur public, et pour offrir un contexte à la réflexion, j'aurais aimé faire un petit rappel sur le thème des politiques publiques et particulièrement des politiques publiques environnementales.437 Premièrement, les champs d'action des politiques publiques environnementales recouvrent des dimensions très différentes. Elles n'ont pour certaines pas grande relation les unes avec les autres, même si elles ne doivent pas être envisagées séparément. Cela dit, la détermination et la dénomination de ces dernières permettent de marquer de manière évidente un ensemble de priorités. Il y a la dimension écologique (la préservation du monde vivant animal et végétal), la dimension pollution (liée aux rejets du monde humain), la dimension sécuritaire (le risque lié aux déséquilibres écologiques), la dimension économique (liée aux déséquilibres écologiques et aux corrections à opérer), la dimension sociale (liée aux inégalités nées des nuisances écologiques : pollution par le bruit, par l'odeur, risques sanitaires, etc.), enfin la dimension esthétique et culturelle (le souci du patrimoine paysager). Les politiques environnementales françaises se sont fixées, depuis la création d'une Europe politique, des valeurs limites de concentration de polluants. En effet, les modes d'intervention développés jusque-là par l'administration française n'allaient pas dans ce sens. Plutôt des exigences très générales étaient formulées de manière très abstraite :
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Ce petit exposé s'appuiera pour l'essentiel sur la thèse d'habilitation à diriger des recherches de Corinne LARRUE, Maître de conférence à l'Université de Tours, intitulé Environnement, Aménagement du territoire et politiques publiques, octobre 1997, Université Paris Val-de-Marne, Créteil, Direction de la Thèse : Rémy Prud'homme, Membres du Jury : Jean-Paul Carrière, Gabriel Dupuy, Peter Knoepfel, JeanPaul Laborie, Gilles Novarina.
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"recours à la meilleure technologie disponible économiquement supportable pour l'entreprise".438 L'Europe, par le biais de ses directives, a donc, dans tous les domaines, de l'air, de l'eau, du patrimoine écologique, etc, eu un fort retentissement au niveau national et par là au niveau local. Les mouvements de décentralisation439 ont permis de territorialiser les objectifs fixés par l'Europe et par les ministères concernés. La Région directement en lien avec l'Europe, puis le Département, les Pays, enfin les Agglomérations et les villes, ont tous une interprétation locale des préoccupations nationales et continentales. Pour autant, ces échelons territoriaux ont élaboré somme de documents réglementaires, planificateurs et opérationnels : plans, chartes, Agenda 21, PLU440, SCOT441, etc., intégrant à mesure la donnée écologique, même si cela n'est pour l'instant pas suffisant. Deuxièmement, les politiques publiques, comme "action des autorités publiques au sein de la société"442 sont à évaluer selon six dimensions dissociables et néanmoins corrélatives les unes aux autres. La première dimension est idéologique. L'idéologie, c’est la référence. Elle représente un cadre. Elle constitue la construction ou la préservation d'objets et de liens mettant en relation ces objets. La deuxième dimension est relative au degré d'investissement de l'action publique dans la société, le domaine d'action. Quelle est la limite entre sphère publique et sphère privée ? Jusqu'où une collectivité locale ou même l'Etat doit-il se rendre responsable par exemple des impacts de la vie des citoyens sur la biosphère? La troisième dimension a trait à la porosité des décisions du secteur public vis-à-vis de l'opinion et des attentes des citoyens. L'approche, ici, est fonctionnaliste, concevant l'Etat ou les collectivités territoriales comme un guichet. « (…) les politiques publiques sont conçues comme des réponses à des demandes sociales et leur analyse se place dans une perspective d'optimisation des choix collectifs et de rationalité des processus de décision des comportements des bureaucrates."443 La quatrième dimension concerne la distribution 438
Corinne LARRUE, idem, p. 71. La décentralisation a commencé à se mettre en œuvre à partir de la Loi Deferre promulguée le 2 mars 1982. Depuis, différentes dates ont marqué les avancées sur ce plan : la loi Chevènement en 1986, etc.. Dernièrement, le gouvernement Raffarin a mis sur l'agenda politique la réforme sur la décentralisation. Le 28 mars 2003 est votée la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République française. Cette loi pose l'autonomie financière des collectivités territoriales comme principe constitutionnel. De plus, elle instaure le référendum décisionnel local et le droit de pétition. 440 Plan Local d’Urbanisme. 441 Schéma de Cohérence Territoriale. 442 Yves MENY et Jean-Claude THOENIG, in Corinne LARRUE, op. cit., p. 3. 443 Corinne LARRUE, idem, p. 4. 439
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des pouvoirs. A qui donne t-on le pouvoir ? A l'Etat qui désire le conserver, à la société civile, à une classe particulière (approche néo-marxiste), ou à des groupes spécifiques (approche néo-managériale)444. "Dans ce cadre, l'analyse de l'action publique permet de mettre en évidence la faible autonomie de l'Etat vis-à-vis des intérêts capitalistes et/ou vis-à-vis des acteurs et organisations qui le composent." 445 La cinquième dimension suscite une analyse sur les processus de décision et sur les stratégies des acteurs du secteur public. Elle est relative aux structures, procédures et formes institutionnelles de l'administration
publique.
"Cette
approche
constitue
l'essentiel
des
sciences
administratives et du droit administratif. Elle s'attache à décrire les modes de fonctionnement des institutions administratives, et plus généralement étudie les politiques institutionnelles au sens de Jean-Louis Quermonne, c'est à dire comme "des politiques dont l'objet principal est la production, la transformation ou le dépérissement d'institutions publiques ou privées."446 La sixième dimension enfin concerne les modes opératoires utilisés illustrant dans leurs fondements l'ensemble des approches ci-dessus citées. Les modes opératoires permettent de comprendre la place du secteur public au sein de la société. Cette dimension fait par exemple acte du degré d'autorité que le secteur public peut prendre au sein de la société. Ces modes sont-ils coercitifs ou persuasifs? C'est cette dernière dimension qui va plus longuement être étudiée et critiquée d'un point de vue éthique comme d'un point de vue rationnel, c'est à dire en termes d'efficacité.
Le concept d'objectif d'une politique publique est fortement lié à l'idéologie définie en amont de l'action. La notion d'objectif renvoie ainsi à la notion d'orientation politique d'un territoire déterminé par un ensemble de choix opérés par le secteur public. Les choix sont ordonnancés selon un florilège de présupposés souvent controversés et constituent au final un but à atteindre en termes d'organisation des activités sur un territoire donné. Identifier les objectifs d'une politique publique demande d'opérer à des analyses préalables. Il s'agit en effet de saisir la réalité dans toute sa complexité ; complexité que les différents acteurs du système politico-administratif veulent modifier. En cela, ils tentent d’anticiper sur des formes politiques qui pourraient répondre aux problématiques écologiques révélées. Bruno Jobert et Pierre Muller appellent cette mise
444
Corinne LARRUE, idem, p. 4. Corinne LARRUE, ibidem, p. 4. 446 Jean-Louis QUERMONNE, in Corinne LARRUE, ibidem, p. 7. 445
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en projection : le référentiel.447 "Le référentiel d'une politique est constitué d'un ensemble de normes prescriptives qui donnent sens à un programme politique en définissant des entrées de choix et des modes de désignation des objectifs." 448 Les instruments des politiques de l'environnement, appelés aussi éléments opératoires, connaissent une myriade de typologies élaborées par des politologues que sont par exemple Yves Mény, Jean-Claude Thoenig ou Lester Salamon. Corinne Larrue, en combinant les principales analyses de ces derniers, en a précisé l'essence qu'elle décline selon quatre grandes familles. Il y a d'abord les instruments coercitifs, les instruments persuasifs, les instruments infrastructurels, et enfin les instruments incitatifs. Les éléments opératoires Les instruments coercitifs font l'objet de lois, d'obligations. Ils ont pour but de contraindre les populations à adopter un certain nombre de comportements plus respectueux de l'environnement. Il s'agit ici d’obliger le citoyen, l'entreprise ou la collectivité territoriale à des règlements déterminés par des normes. La norme, parce qu'elle fait loi, est toujours accompagnée de pénalités destinées à dissuader les agents économiques de commettre des fautes.449 La norme est imposée, et le non respect de la norme pourra engendrer, selon les cas, des peines allant du paiement d'une amende à l'emprisonnement. La police assure le respect de la loi, les instances judiciaires la sanction en cas d'infraction. La norme peut imposer aux agents économiques, peu importe s’ils sont des entreprises ou des particuliers, des seuils de pollution ou de bonnes pratiques rapportés à des quotas évalués à un moment précis de l’état planétaire. C’est le principe du Protocole de Kyoto dont il a été question dans la première partie. En pratique, la norme « peut prendre différentes formes, selon qu’elle définit la technologie utilisable (norme de procédé), les critères auxquels doivent se conformer les produits nuisibles à l’environnement (norme de produit), les caractéristiques des milieux
447
Bruno JOBERT et Pierre MULLER, L'Etat en action. Politiques publiques et corporatismes, Les Presses Universitaires de France, Paris, 1987, p. 63 ; in Corinne LARRUE, op. cit., p. 3. 448 Pierre MULLER, Les politiques publiques, Collection Que sais-je? Les Presses Universitaires de France, Paris, juin 2000, p. 43 ; in Corinne LARRUE, op. cit., p. 65. 449 A lire par exemple Jacqueline MORAND-DEVILLER, L’environnement et le droit, Collection Politiques locales, Librairie de droit et de jurisprudence, EJA, Paris, 2001.
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récepteurs (norme de qualité) ou le seuil maximal de polluant acceptable (norme d’émission). ».450 La norme reste politique. Elle est négociée devant le parlement et applicable pour tout agent économique. En cela, la norme n’est pas toujours équitable car elle contraint les populations les plus défavorisées aux mêmes astreintes que les populations fortunées. La difficulté politique, comme l'a affirmé Michel Charasse, sur des questions d'énergie, c'est que "ce sont avant tout les personnes les plus modestes qui seraient touchées par ces réformes. Proportionnellement à leur budget, les dépenses de voiture et de chauffage sont les plus importantes."451 L’effort porte ainsi davantage sur les pauvres, au bénéfice des riches. Les normes anti-pollution appliquées aux automobiles représentent en effet un des meilleurs exemples. Le budget d’une famille aisée ne sera pas trop lésé par l’achat d’un pot catalytique très performant sur le plan des rejets, alors que de plus gros efforts devront être faits, et notamment sur la nourriture ou sur la santé, pour une famille moins argentée. Pour cette raison, l’Etat tend à faire passer la communication et la sensibilisation devant la coercition, afin d’éviter peut-être de mettre certains groupes sociaux au pied du mur. L’ANAH452 connaît particulièrement bien cette problématique quand des propriétaires de logements vétustes ont d’énormes difficultés à assurer une isolation correcte à leur logement ainsi qu’une consommation électrique conforme à leurs besoins. Des menuiseries anciennes et mal entretenues, des appareils ménagers en mauvais état de fonctionnement et la consommation énergétique culmine, pour preuve le montant des factures énergétiques de ces familles.453 On parle alors d’inégalités écologiques454 dans les mesures tenues par les gouvernements.455 450
Philippe BONTEMS et Gilles ROTILLON, Economie de l'environnement, Collection Repères, Editions de La Découverte & Syros, Paris, 1998, p. 54. 451 Michel CHARASSE, sénateur, in Marc SAUVEZ, La ville et l'enjeu du développement durable, Rapport au Ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, Collection des Rapports Officiels, La documentation française, Paris, 2001, pp. 59-60. 452 Agence Nationale pour l'Amélioration de l'Habitat. 453 Voir notamment le dossier de l'ADEME Bretagne préparé en coordination avec la Région Bretagne, dans le cadre du Projet Edéa, Contrat de plan Etat/Région, Avec les éconocroc'h, maîtrisons l'énergie, support pédagogique de formation à la maîtrise de l'énergie. 454 Voir notamment l'article de Jacques THEYS, "L'approche territoriale du développement durable", Dossier 1, in La revue Développement durable et territoires, septembre 2002. 455 Raison pour laquelle d'autres idées sur le plan politique émergent. Nous voulons réduire les pollutions dues aux transports routiers, nous pouvons pour ce faire réduire l'étalement urbain. Pourtant habiter dans la zone périurbaine est la seule alternative viable pour un ménage aux revenus moyens. Seule alternative, car le foncier et l’immobilier près des centres sont hors de prix et les banques refusent de prêter les sommes adéquates. Cependant, en prenant en compte l’ensemble des coûts engendrés par la vie périurbaine : trajets pendulaires, seconde voiture etc., on s’aperçoit que ces derniers correspondent sensiblement à ceux engendrés par un prêt au montant plus élevé, et que de surcroît les équipements et infrastructures routières vont, fidèle à une logique d’aménagement, au final suivre. Ils vont ainsi développer une richesse peu rentabilisée car peu mutualisée. Donc, d’un point de vue global, la périurbanisation coûte cher à la société.
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D'un autre côté, les politiques publiques restent frileuses sur le plan des normes à adopter. Avec le libéralisme, la coercition ne fait plus l'unanimité comme cela avait pu être le cas pour les générations précédentes. Ainsi, il ne serait par exemple pas très compliqué de réglementer la composition chimique des lessives si problématique sur le plan de la qualité de l'eau, sur les doses de phosphore employées.456 On pourrait réglementer d'une manière générale les détergents et ramener la norme aux compositions fixées par les labellisations biologiques. On pourrait tout simplement bannir, comme c'est le cas dans le secteur de l'agriculture, certaines consommations encore usuelles. Qu'en pense-t-on à la DRCCRF457, si même on se pose ce genre de question ?458
Les instruments persuasifs concourent à gagner la sensibilité des populations, par le discours. On mise sur l'information et la formation pour modifier les comportements des citoyens. Les instruments persuasifs sont utilisés sur des cibles particulières : groupes de personnes ou activités reconnues comme étant à l'origine d'un problème écologique de manière directe ou de manière indirecte. On s'adresse ainsi au groupe dont on désire changer les attitudes, ou on s'adresse aux différents acteurs publics influents sur le comportement des groupes cibles. On élabore par exemple des codes de bonne conduite que l'on vulgarise afin qu'ils soient suivis par une majorité de personnes. On utilise par là souvent les réseaux déjà constitués pour mettre en place des formations ou pour diffuser l'information. On peut par exemple citer la directive "ozone" (Directive n°92/72) imposant aux autorités nationales de prévenir la population des dépassements des seuils de pollution en ozone dans les zones urbaines, ce qui a donné lieu à la création Marc Sauvez, déjà cité, propose de prendre en compte ces transferts financiers et d’y répondre politiquement par des prêts à taux réduits pour les ménages défavorisés afin de ramener ces derniers sur les centres urbains. On pourrait simplement penser à une maîtrise du prix du foncier et de l’immobilier de la part des collectivités territoriales, à une politique sociale un peu plus importante sur le plan du logement que celle que l’on connaît actuellement. Malgré une idéologie néo-libérale croissante, certains osent encore le revendiquer : « si on veut que les transports ne se contentent pas de déplacer les problèmes en courant derrière un développement anarchique de l’urbanisation, il faudrait mieux lier organisation des transports et organisation de l’espace urbain bâti et non bâti. Ce qui pose le problème de savoir quelle ville voulons-nous pour demain, et celui de se donner le moyen d’agir en amont, notamment par une réelle maîtrise du foncier.», intervention de Jean-René CARRE (Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité), lors des débats de 4D (Dossiers et Débats pour le Développement Durable), janvier 2003. 456 Du côté de la société civile, on pense alors en utiliser moins en augmentant les capacités mécaniques du lavage par l'addition de boules de bois dans le tambour de la machine à laver, et en évitant les surdoses. 457 Direction Régionale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes. 458 Une fonctionnaire de la police de l'eau et de la pêche me confie : « On pourrait tout à fait imaginer qu'on interdise les lessives au phosphore, après tout, c'est une histoire de lobbying (…), mais on est quand même dans une économie de marché, voilà, quoi bon, (…) ; par contre on sensibilise les gens, et on fait passer des messages pour dire que ça coûte cher en définitive, (…) mais on ne peut pas mettre à la rue les gens qui travaillent dans ces usines-là quoi. » ; entretien avec elle en janvier 2004.
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d'associations spécialisées dans l'observation de l'atmosphère et subventionnées par les collectivités territoriales. C'est le cas d'Air Breiz459 en Bretagne. On assiste ainsi à la mise en œuvre de chartes au niveau local, correspondant à cette philosophie qui privilégie la cohésion du groupe (par l'identification à des valeurs communes), à la rigidité de la réglementation.460 On peut aussi se référer aux politiques pédagogiques d'éducation à l'environnement. Des programmes pédagogiques sont mis en place par les écoles en relation avec les institutions.461 Les enfants sont directement visés, les parents indirectement.462 Les
instruments
persuasifs misent donc sur la communication.
Cette
communication use de deux types de stratagèmes. L'un, positif, se détermine sur le mode de la conviction. L'autre, négatif, exploite la peur de l'individu face à la catastrophe écologique en marche. Ces modes connaissent donc selon les psychologies et selon les domaines des résultats très variables, invitant les individus à la passivité, à l'engagement, ou à des postures très mitigées. Le choix de l'individu, au delà de sa sensibilité et de ses 459
L'association Air Breizh est une association de surveillance de la qualité de l’air. Ses missions sont de « mesurer en continu les polluants urbains nocifs (SO2, NOx, HC, CO, O3 et Poussières) dans l'air ambiant de la Bretagne et d'informer les services de l'Etat, les élus, les industriels et le public, notamment en cas de pic de pollution. Air Breizh étudie aussi l'évolution de la qualité de l'air et vérifie la conformité des résultats par rapport à la réglementation. Air Breizh mesure en continu 6 polluants différents : 1 indicateur de la pollution industrielle : le dioxyde de soufre (SO2) ; 4 indicateurs de la pollution des transports routiers : les oxydes d'azote (NO et NO2), le monoxyde de carbone (CO), les hydrocarbures (HC) et les poussières (Ps) ; 1 indicateur de la pollution photochimique : l'ozone (O3). Ces mesures sont réalisées par l'intermédiaire d'analyseurs localisés pour l'Ille-et-Vilaine sur 6 sites à Rennes, 1 site à Saint-Malo et 1 site à Guipry ; pour le Finistère, 3 sites à Brest, 1 à Quimper, 1 à Morlaix et 1 à Brennilis ; pour le Morbihan, 2 sites à Lorient et 1 à Vannes ; pour les Côtes d'Armor, 1 site à Saint-Brieuc. Ces sites ont été choisis soit pour leur bonne représentativité de la pollution moyenne de la ville, soit pour leur proximité de gros émetteurs de polluants atmosphériques (CITROEN, SOBREC, SOCCRAM), soit en plein centre ville sur des axes à forte circulation, soit en zone rurale pour mesurer les déplacements de la pollution (Guipry sous le vent de Rennes). L'indice ATMO, calculé à partir de 4 polluants (NO2, SO2, O3 et PM10) et définissant la qualité de l'air d'une agglomération, est transmis quotidiennement aux médias (Presse, télévision, radios...), à différents organismes et services de l'Etat, ainsi qu'aux collectivités concernées. Les données de mesures actualisées trois fois par jour et l'indice ATMO des agglomérations de Rennes, Brest et Lorient sont disponibles sur un site internet. Les chiffres clés sont repris par département dans un bulletin trimestriel édité à plus de 1500 exemplaires. En cas de pic de pollution, une procédure d'information, voire d'alerte, est déclenchée lors d'un dépassement de seuil fixé par Arrêté Préfectoral pour le SO2, le NO2 et l'O3. Air Breizh informe dans l'heure qui suit les organismes et les services de l'Etat concernés, notamment la Préfecture qui en informe les médias et prend si nécessaire les mesures visant à diminuer les niveaux de pollution.», sur le site d’Air Breizh : www.airbreizh.asso.fr.
460
Des expérimentations, par exemple, en référence, en psychosociologie, à la théorie de l'engagement, ont été mises en place dans le cadre du programme de réduction des déchets ménagers de l'agglomération rennaise. 461 C'est par exemple la réalisation de la Malle "1°C de plus", projet réalisé en partenariat entre l'ADEME et l'association nationale Les petits Débrouillards en 2003. 462 Cela dit, « la relation entre conscience environnementale et comportements est cependant assez faible et il a été démontré que l'éducation scolaire n'a aucune influence sur les attitudes vis-à-vis de l'environnement. Cependant, la relation est plus forte entre des attitudes ponctuelles et spécifiques envers certains aspects de l'environnement et l'adoption de comportements. », in Corinne LARRUE, op. cit., p. 86.
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possibilités matérielles, est aussi déterminé par le facteur social. Un choix fera-t-il l'objet d'un rejet sur le plan social ou a contrario d'une mode? Si, aux premières heures, la sensibilisation des acteurs a pu être développée davantage par les associations au détriment des institutions, aujourd'hui, les institutions prennent largement le relais par la publication de guides, de fascicules d'information, de journaux trimestriels ou autres. Aussi l'IFEN comme l'ADEME ont par là démontré leur influence notoire, ce qui a par ailleurs "conduit à des conventions formalisées pour la collecte d'informations, et à des protocoles précis pour la mise à disposition des différents publics intéressés".463 Les instruments infrastructurels consistent à répondre par la maîtrise économique et l’aménagement du territoire à la problématique écologique. Si dans les pays de l'est, et avant la Perestroïka, ces types d'instruments faisaient l'essentiel de la politique gouvernementale, en cela qu'elle était collectiviste, dans les pays de l'Europe de l'Ouest de tradition social-démocrate, ils ne concernent qu'une partie restreinte de l'aménagement de l'espace : construction des routes, équipements collectifs, logement social. En terme d'environnement, le secteur public tarde à véritablement s'engager dans des politiques environnementales. Son alibi : les surcoûts engendrés par les techniques écologiques464. 463
Corinne LARRUE, op. cit., p. 91. « Alors que certains attendent encore un coup de pouce de l'action publique pour les "surcoûts" engendrés par la contrainte de la performance énergétique par exemple, d'autres prennent la question de manière très différente. Refusant la notion de surcoût, ils lui préfèrent la notion de priorité des investissements. En effet des concepteurs : architectes, urbanistes, se posent cette question du transfert des postes et d'une révision des programmes et des prestations. Est-il en effet possible pour 2050 de parvenir à construire des logements ayant une consommation négative et contribuant à un abaissement de la consommation énergétique vers la valeur moyenne de 50KWh/m2 pour l'ensemble des bâtiments en service, sans lâcher certaines de nos exigences architecturales et urbaines actuelles, en terme de confort, de pratiques et d'esthétiques. Cette question recoupe celle qui fait débat depuis que la notion de développement durable s'est immiscée dans les réflexions de l'ensemble des acteurs politiques : promotion des énergies renouvelables ou sobriété énergétique, croissance et développement des hautes technologies ou décroissance et recours aux techniques simples, anciennes et souvent locales. Et pourquoi pas les deux, s'exclament certains? Les torchis et laines de chanvre ou de lin sont non seulement des matériaux fortement isolants, mais également à bilan énergétique intéressant, quand l'utilisation des fibres végétales permet de surcroît de séquestrer une partie des émissions carbonées. Les architectes les plus investis dans le développement durable attendent une réforme du cadre dans lequel ils évoluent actuellement en termes de normes, de procédures, et de modèles de références architecturales afin d'engendrer des économies non négligeables capables, dans des conditions d'habitation tout à fait correctes, de répondre de manière totalement satisfaisante au défi du Facteur 4 (diviser par quatre nos besoins énergétiques). Telle la maison écologique à 100 000 euros, certains concepteurs réfléchissent sur l'habitat écologique à 1200 euros/m2. On avance le chiffre de 25% d'économie à faire sur une modification de la programmation architecturale et urbaine et sur une réforme relative à l'ensemble des procédures de contrôle et de certification, notamment générées par des politiques locales et nationales de développement durable. On parle de 10% sur les garages enterrés habituellement programmés. C'est ce qu'il faut pour changer la valeur énergétique d'un bâtiment, et de 10% sur l'ensemble des procédures de contrôle et de certification. En effet, si certaines actions ont été motrices à un moment de l'histoire, elles peuvent aujourd'hui apparaître comme des freins à l'innovation en alourdissant la part budgétaire consacrée au contrôle et à l'estampillage. », in réponse du bureau d’étude Aures (Nantes), à l’appel d’offre du Prébat (Plan Climat, ADEME), septembre 2007. 464
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Pour l'instant, il a plutôt tendance à conduire des projets d'assainissement (assainissement collectif, usine d'épuration) et des projets d'usines de retraitement des déchets, de traitement de l'eau potable, quand il ne finance pas, c'est un des rôles de l'ADEME, des projets de production d'énergie renouvelable à l'échelle de l'entreprise comme des collectivités locales. Les instruments incitatifs trouvent leur justification sur le plan économique. Ces instruments misent sur la rationalité économique des acteurs qui sont censés ne cesser de soupeser le rapport entre avantage et inconvénient d’une situation donnée. En instrumentalisant le ratio individuel coût/bénéfice, pour rendre avantageux ou désavantageux un comportement favorable ou défavorable à l'équilibre écologique, le secteur public cherche à manipuler les individus et les groupes selon les prérogatives environnementales. C'est l'attrait ou l'agression économique qui va tempérer les prises de décision du secteur privé : la carotte ou le bâton. Les outils financiers sont de cinq ordres ; il y a les écotaxes, les redevances, les aides financières, les systèmes de consignation, enfin la création de marché des biens environnementaux. Les écotaxes peuvent être appliquées sur toute activité polluante. Il s'agit ici de rendre économiquement contraignant l'exercice de l'activité en question. Un prix élevé des carburants pourra par exemple démotiver les conducteurs à utiliser leur véhicule motorisé et les encourager à investir d'autres modes de transport comme la bicyclette ou même la marche. La redevance est considérée comme la rétribution des pollueurs envers l'environnement. Elle est calculée selon le coût des "services environnementaux" destinés à répondre à la problématique écologique selon les normes en cours. "On distingue généralement les redevances de déversement (qui sont les paiements sur les rejets dans l'environnement calculés en fonction de la quantité et/ou de la qualité des polluants rejetés), des redevances pour service rendu (qui sont perçues au titre du financement du traitement collectif ou public des rejets)465, des redevances sur produit (qui sont 465
La gestion de la ressource en eau est un bon exemple de l’utilisation de l’outil de la redevance. En effet, "la gestion des ressources en eau en France est confiée principalement à deux organismes. Le territoire est découpé selon les limites naturelles en six grands bassins hydrographiques. Dans chaque bassin, un comité de bassin définit la politique d'intervention qu'une agence de l'eau est chargée de mettre en œuvre grâce à des moyens financiers adéquats. Ce financement est fourni par le paiement de redevances, liées soit à l'utilisation des ressources, soit à la pollution. L'assiette est déterminée par le gouvernement tandis que les taux sont fixés par le comité de bassin sous contrôle parlementaire. La mission de l'agence est d'aider au financement des travaux améliorant la qualité ou la quantité de la ressource en eau, tout en respectant une contrainte d'équilibre budgétaire. Ainsi, un industriel, soucieux de réduire ses rejets polluants par l'installation d'une station d'épuration des eaux usées, peut bénéficier d'un prêt financier, lui-même financé
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appliquées au prix des produits particulièrement polluants), des différenciations par l'impôt (qui se traduisent par des prix plus favorables pour les produits respectant l'environnement), enfin des redevances administratives qui sont des paiements acquittés auprès de services administratifs pour financer le contrôle du respect de réglementations spéciales (redevance pour les installations classées par exemple)."466 Les aides financières ont pour objectifs de rendre attrayants sur le plan économique certains comportements écologiques. Délivrées sous forme de subventions ou de prêts à taux réduits, elles sont souvent englouties par le secteur privé qui a malheureusement tout loisir d'augmenter ses prix, autrement dit sa marge. C'est le cas des aides attribuées aux systèmes de chauffe-eau solaire, systèmes qui connaissent actuellement une hausse des prix sans précédent. On peut aussi faire référence aux subventions accordées par l'Agglomération rennaise au logement social et notamment pour faire apparaître des clauses environnementales (imposant des surcoûts) dans les cahiers des charges des programmes d'habitation, subventions qui sont au final, à mesure, pompées par les promoteurs et entreprises du bâtiment sous la forme d’une augmentation du coût du logement au mètre carré ; raison pour laquelle cette formule est peu appréciée des économistes. Les systèmes de consignation visent à développer le recyclage. Ces systèmes ne datent pas d'hier. On les connaît pour les étoiles imprimées aux cols des bouteilles de verre consignées. On les connaît également sur les bouteilles de gaz. Une surtaxe est appliquée sur le produit. Une fois le produit consommé et son conditionnement retourné, un remboursement est réalisé. La consignation évite le gaspillage.
par les redevances collectées. L'établissement des redevances est essentiellement de nature forfaitaire. Chaque industriel fait une déclaration annuelle de production qui est transformée en volumes d'effluents via une nomenclature constituée de coefficients techniques. La redevance pour pollution brute (avant épuration) est perçue par application des taux unitaires pour chaque type de polluant. Il existe une certaine variabilité géographique des taux en fonction des zones vulnérables. Puis une prime pour épuration, fonction du taux de rendement de la station, est versée à l'industriel pour tenir compte de l'effort de dépollution fourni en aval. Pour certains gros pollueurs, l'agence évalue la production et le taux de rendement en effectuant des mesures, continues ou régulières. Parfois, le système employé est mixte, à base de mesures et de déclarations. Plus récemment, la possibilité de moduler la prime d'épuration en fonction de caractéristiques qualitatives observables concernant le procédé d'épuration a été introduite de manière à inciter à la réduction des rejets. Ainsi, ce système complexe de redevances reflète deux tendances opposées. L'une est d'asseoir les cotisations sur la production pour des raisons d'équité dans le financement des projets d'installation de nouvelles stations d'épuration plus performantes. Chacun paye donc de manière proportionnelle par rapport à sa taille. L'autre est de rendre les redevances incitatives en les faisant dépendre des mesures des rejets effectifs des industriels. L'obstacle du coût des mesures est partiellement contourné en ne mesurant que des variables qualitatives.", in Philippe BONTEMS et Gilles ROTILLON, op. cit., pp. 70-71. 466 Corinne LARRUE, op. cit., p. 92.
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La création de marché des ressources environnementales est une autre option pour la démarche économique incitative. Si la ressource prend de la valeur sur le plan financier, alors elle sera logiquement préservée. Nous y reviendrons. En terme d'environnement, les politiques publiques cherchent d'une part à minimiser les coûts : coûts de la dégradation de l'environnement, coûts de la prévention de pollution, coût social, etc.. Cette recherche s'inscrit dans un type d'analyse coût/bénéfice : un type d'analyse spécifiquement économique avec cette optique d'une rationalisation des choix budgétaires du secteur public. D'autre part, elles cherchent à déterminer un objectif global dit de développement durable. "La définition la plus courante du développement durable est celle du rapport Bruntland qui définit ce mode de développement comme un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs". Cette définition fait l'objet de différentes interprétations selon les sensibilités politiques.467 En cela chaque politique pouvait pourvoir à la constitution d'un référentiel, souvent repris à leur compte par les agendas 21 sur le plan des territoires.468 Jusqu'à dernièrement, l'Etat français avait privilégié la subvention à la taxe ou à la redevance, le produit des redevances étant par exemple redistribué sous forme de subventions. Mais via la progression idéologique néo-libérale, les choses sont en train de changer, et les éco-taxes vont sans aucun doute, à en croire les avis ministériels 469, se développer. L'ensemble des instruments politiques ou éléments opératoires conviennent selon les situations, mieux les uns que les autres, s’ils ne se complètent dans d'autres situations. Aussi, Hans Bressers a formulé dans un article « différentes hypothèses concernant les choix opérés entre différents instruments dans le domaine de l'environnement. Il ressort de cet article que les instruments choisis seront fonction des caractéristiques du "réseau d'acteurs" ("policy network") responsable de la politique publique tant pour ce qui 467
A lire notamment l'ouvrage de Teddy FOLLENFANT, Développement durable, 21 maires s'engagent, Collection documents, Editions du cherche midi, Paris, 2003. 468 Voir notamment Repères pour l’Agenda 21 local. Approche territorial du développement durable, Dossier 4D (Dossiers et Débats pour le Développement Durable), septembre 2001. 469 On peut notamment retenir le décret de loi sur le bonus et malus écologique appliqué sur les automobiles en fonction de leur niveau de rejets en terme de pollution, dont l'annonce a été faite le 5 décembre 2007 par Jean-Louis Borloo au Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de l'Aménagement du Territoire. On peut également se référer d’un point de vue global au bilan qui a été fait suite au Grenelle de l’environnement, Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire, septembre 2007.
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concerne la formulation que la mise en œuvre. Bressers distingue deux caractéristiques principales de ces réseaux : le niveau des interactions entre les membres du réseau, et le degré de cohésion du réseau. L'idée principale développée par H. Bressers est que les instruments qui permettent de maintenir les caractéristiques du réseau d'acteurs seront les plus souvent choisis. »470 Ainsi pour Corinne Larrue, "si l'on retient notre propre typologie des instruments des politiques environnementales, et en appliquant le raisonnement proposé par Hans Bressers, on peut avancer que les instruments coercitifs seront le fait de réseaux ayant un faible degré d'interaction et un faible niveau de cohésion, tandis que les instruments incitatifs relèvent de réseaux ayant un degré élevé d'interaction mais un faible niveau de cohésion. Parallèlement, les instruments persuasifs seront le fait de réseaux à faible degré d'interaction mais à fort degré de cohésion et enfin les instruments infrastructurels relèvent de réseaux ayant un fort niveau d'interaction et un fort degré de cohésion." 471 Ainsi ces choix instrumentaux ne sont pas sans conséquences sur le plan des relations sociales au sein du système politico-administratif et dans son rapport avec les organismes privés. Les politiques publiques relatives à la pollution des eaux en Bretagne et particulièrement sur l'Ille-et-Vilaine, représentent un bon exemple pour illustrer l'action publique et la complexité politique et économique au sein de laquelle elles ont pu opérer, usant tour à tour d’instruments coercitifs, persuasifs, ou incitatifs. Pollution des eaux, agriculture et jardinage L’eau est une ressource essentielle pour l’humanité. Elle étanche la soif lorsqu’elle est potable. Elle irrigue les territoires agricoles qui nourrissent les populations, participe aux diverses productions industrielles, aux pratiques d’hygiène, tout comme elle véhicule en ses canalisations, canaux, rivières et fleuves une grande partie des rejets des populations citadines. S’alimenter en eau potable nécessite de trouver une source d’eau brute de meilleure qualité possible, de traiter l’eau afin qu’elle puisse être consommée dans des conditions d’hygiène respectant les critères de santé publique, puis qu’elle soit distribuée aux consommateurs. Ces trois phases : pomper, traiter et acheminer, engendrent maints dispositifs scientifiques, techniques, enfin politiques et administratifs.
470 471
Corinne LARRUE, op. cit., p. 98. Corinne LARRUE, op. cit., p. 98.
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Les réserves d’eau brute sont de trois ordres. Il y a les nappes phréatiques, les rivières et les fleuves, enfin l’eau de pluie. L’eau est rarement potable à l’état naturel. Elle peut contenir dans des proportions variables des matières dissoutes telles que magnésium, sodium, calcium, potassium, bicarbonates, sulfates, chlorures, - de l’argile en suspension favorisant le développement de bactéries, et des matières organiques issues de la décomposition animale et végétale. On y trouve également des éléments nocifs provenant des rejets de l’activité urbaine, industrielle, agricole et du ruissellement des eaux de pluies. (L’eau qui ravine sur les routes peut par exemple charrier avec elle adjuvants pétrochimiques et métaux lourds). La pollution de l’eau peut alors être de nature virale, bactérienne, chimique. Aussi, certaines eaux brutes peuvent paraître impropres à devenir des eaux potables. On cherche donc à protéger les eaux brutes afin d’obtenir une eau la plus « saine » possible et la moins difficile et de fait onéreuse à traiter. La maîtrise des pollutions d’origine urbaine, industrielle ou agricole est de mise et des programmes politiques visent à tous les niveaux de l’activité humaine et de l’échelle territoriale les points d’achoppement. De grandes orientations se définissent au niveau européen. Elles sont retranscrites au niveau national, dont l’application revient à l’Etat. Cependant, une multitude de textes sectoriels ne font pas toujours l’objet d’une retranscription en droit interne et donc d’une application472. La loi de 1964 établit un découpage du territoire français en six grands bassins hydrologiques ; chaque grand bassin possédant son agence de l’eau. La loi de 1992 renforce la police de l’eau et met en place le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE), un programme réalisé pour 15 ans sur l’ensemble du territoire français. Les SAGE (Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux) sont l’application par bassin des SDAGE. De même, la Direction Cadre Communautaire sur l’eau doit articuler les directives entre elles pour obtenir de bons résultats en termes de qualité de l’eau et des produits agricoles. La Mission interdépartementale et régionale de l’eau (MIRE) est mise en place en 2001 pour coordonner la politique de l’Etat en Bretagne en matière de préservation et de reconquête de la qualité de l’eau. Les pollutions d’origine agricole sont en Bretagne, du fait de l’élevage, très importantes. La Bretagne, qui représente 5% de la surface agricole utilisée sur le territoire 472
On vise une refonte complète, en fixant un échéancier précis, des textes à abroger telles les différentes directives « eaux brutes » le 6 juin 1975, « eaux de baignades » le 8 décembre 1975, (…) « nitrate » le 12 décembre 1991, et la Directive Cadre du 23 Octobre 2000.
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français, produit 55% des porcs, 46% des volailles, 20% de la production de lait, 16% de la production de légumes. Dès les années 70, les pollutions agricoles sous forme de nitrates sont révélées au grand jour. On reconnaît dans le déversement de fosses à lisier, dans la fertilisation des sols par épandage des déjections animales, et des produits phytosanitaires, la principale raison d’un taux élevé en nitrate dans les eaux brutes. Aujourd’hui, les pollutions ont largement évolué. Elles sont principalement dues aux fuites d’effluents, aux transferts de produits de traitement des cultures du fait de mauvaises manipulations, aux apports d’engrais, d’azote, de nitrates, de phosphores et de pesticides, à l’épandage de lisiers et des boues des stations d’épuration. En 1976 commencent à se mettre en place des actions de recherche pour le traitement des déjections animales et une meilleure maîtrise des exploitations agricoles en la matière. En 1995, en Bretagne, l’action menée par Bretagne Eau Pure (BEP II) démarre et doit s’exécuter sur une période de 4 ans. Depuis, les politiques se sont succédées aux différents niveaux de l’échelle territoriale. En 1991, une directive du conseil des communautés européennes a été adoptée pour la protection des eaux permettant de financer des initiatives locales. On dépasse alors le seul aspect nitrate et on envisage de « restaurer » la qualité de l’eau de manière plus globale, incluant les pollutions urbaines, industrielles et les pesticides. Dans le même temps, un schéma doit mettre en cohérence les réflexions des Conseils généraux, en liaison avec l’Etat et l’Agence de l’eau. Son élaboration repose sur une connaissance précise de la distribution d’eau, en termes de qualité et de quantité et sur une analyse de l’évolution des besoins et de la ressource. En 1993 est officialisé pour une période de 6 ans un accord cadre entre l’Etat et le professionnel agricole représenté par les chambres d’agriculture. Il organise l’intégration des élevages dans le système des redevances payées à l’Agence de l’eau. On applique ainsi le principe économique pollueur-payeur.473 En Bretagne, le Programme de maîtrise des pollutions d’origine agricole (PMPOA) est lancé. 13 500 élevages sont concernés et 11 150 font une demande de diagnostic d’exploitation (DEXEL). Il est suivi du Programme de maîtrise des pollutions liées aux effluents d’élevage (PMPLEE) pour la période 2002 – 2006. Des lois apparaissent, comme « la loi de protection des points de captage, des puits et des forages », comme « la modification de la loi contre la pollution phytosanitaire » du 2 novembre 1943 par la loi du 9 juillet 1999. Cette dernière a notamment pour objet d’interdire les deux produits que sont l’atrazine et le dioron. Les 473
Sur lequel nous allons revenir.
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SAGE font suivre au niveau des chambres d’agriculture un guide des bonnes pratiques. Mais des paysans entêtés et économes n’adhèrent pas de manière immédiate aux projets et continuent d’écouler leurs stocks en libérant dans le sol les substances chimiques interdites.474 Des délations permettent de mener devant les tribunaux les insoumis. Une des principales plaignantes : la ville de Rennes. Elle veut protéger ses ressources. Par là l’opposition ville/campagne réapparaît. La question de l’échelle territoriale de la décision est posée. « Non seulement la ville prend l’eau à la campagne, mais en plus elle lui impose un certain nombre de conduites.»475 Néanmoins, les délations sont moindres au regard du nombre d’infractions. En effet, à la Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt, on soupçonne une multitude d’abus. Seulement, les contrôles restent infimes parce que les services de la Police de l’eau n’ont pas assez de moyens. Alors les associations comme Eaux et Rivières de Bretagne tente de pallier les inssuffisances de institutions. Son président, JeanFrançois Picot,476 révolté par la situation et avec le franc-parler qui lui est propre, s’indigne de la politique de l’eau en Bretagne, quand il dit observé lors des commissions auquelles il était convié, l’attribution des subventions pour l’établissement d’exploitations agricoles, alors même que ces dernières ne respectaient pas la réglementation en termes d’effectifs d’animaux rapportés à la surface. La Région Bretagne pourrait en revanche le regretter car la Communauté Européenne dresse des procès verbaux aux régions lorsque les seuils autorisés sont dépassés. Il apparaît ainsi de toute urgence que les Bretons respectent les directives en cours. Le problème de cette réglementation qui vise le seuil comme garantie : les coupables resteront impunis, à leur place peut-être des innocents. La pollution est souvent longue à déceler dans les eaux brutes. Un délai de vingt à trente ans est en effet requis. Et quand je demande à une personne chargée de la Police de l’eau et de la Pêche à la DDAF si la loi sur l’eau est suffisante afin de coller aux normes européennes, elle me répond : « Suffisante, je ne sais pas. Si c’était appliqué, ce serait déjà pas mal (…) ça se compare pas avec une opération coup de poing de gendarmes sur la route. La répression, il en faut, mais ce qu’il faut faire comprendre aux gens, c’est pourquoi ce n’est pas bien de le faire. Il faut que le message passe par eux. Le territoire est trop grand. » 474
Quand ils ne sont pas revendus à bas prix aux pays en développement au sein desquels la réglementation n’a pas sévi. 475 Jean Michel Hery, conseiller municipal chargé de l’eau et de l’assainissement de la ville de Rennes. 476 Jean-François Picot, écrivain, a été remplacé par Camille Rigaud, désormais présidente d’Eau et Rivières de Bretagne, et implantée sur le Pays d’Auray.
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Donc, beaucoup d’agriculteurs entravent la loi. A cela, deux raisons majeures. D’une part, c’est parfois un peu lourd de s’informer constamment sur les bonnes pratiques, les seuils à ne pas dépasser. D’autre part, c’est ce que certains disent dans les bureaux de la DDAF, la désobéissance, le non-respect de la loi, est une habitude prise de longue date, du fait même d’une répression de la part des services de l’Etat non exercée sur cette catégorie socioprofessionnelle. En vrai dissident, et peut-être parce que propriétaire de sa terre, l’agriculteur se sentirait ainsi hors d’atteinte. Et puis, longtemps les paysans ont compté comme électorat majoritaire en France. C’est une donnée sociopolitique de taille. Ne pas les contrarier pour ramener leurs voies dans les urnes à son propre avantage. Les gouvernements, et plutôt de droite dit-on, aurait joué ce jeu. Il est sûr qu’après des manifestations lors desquelles des agriculteurs ont déversé des citernes de lisier dans les rues des villes ou dévasté mairie et préfecture, les représailles ont souvent été inexistantes ou totalement insignifiantes.477 Mais revenons sur ce point : la taille importante du territoire face au peu de moyen de la Police de l’eau est-elle la véritable raison du laisser-faire des services publics? Il semblerait plutôt que l’institution abandonne en partie son rôle. Elle paraîtrait en effet plus entraînée à sensibiliser, à convaincre, qu’à réprimer. Une culture peut-être même généralisée du consensus pousserait en effet les fonctionnaires des administrations, depuis les ministères jusque dans les directions, à préférer une forme de tolérance, d’attentisme, de bonne entente, voire de conservatisme. Comme si changer ses représentations suffisait. Comme si les pratiques étaient subsidiaires. Comme si le travail politique et administratif consistait à accumuler, année après année, de bons textes de référence. L’administration française manquerait-elle de poigne, de courage, d’autorité et par là même de crédibilité ? Les choses sont peut-être un peu plus compliquées. Elle sait aussi que la concurrence relative sur le marché mondialisé qui attend les produits des paysans à la sortie des champs, peut être terriblement agressive. Le secteur de l’agro-alimentaire français doit pour elle rester compétitif sur le plan des marchés mondiaux. Que faire en effet devant les prix défiants toute concurrence du poulet brésilien, du bœuf argentin et de l’agneau néozélandais ?478
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D’autres groupes sociaux ne sont pas traités à la même enseigne. Le secteur de l’agriculture a été depuis l’après guerre jusqu’à la fin des années 70 et du fait d’une politique productiviste, très florissant. Même si les fortunes pour certains continuent à se constituer, c’est beaucoup plus difficile aujourd’hui. Et il n’est pas rare d’entendre parler du suicide d’un agriculteur, quand on vit à la campagne, suite à la faillite économique de son exploitation. 478
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Alors, au-delà d’une pléthore de lois qui visent, non à former l’agriculteur à de nouvelles pratiques, mais plutôt à lui en interdire certaines, on change de stratégies pour faire du paysan le nouveau responsable de l’équilibre écologique de nos campagnes. En 1999 est mis en place le Contrat territorial d’exploitation (CTE) par la loi d’orientation agricole. Un CTE dure 5 ans. Il est signé par l’Etat et l’agriculteur volontaire. Le but est de maintenir l’emploi en zone rurale et d’aménager l’espace rural en incluant la donnée environnementale. Cette formule a du succès, si bien que les budgets alloués ne suffisent plus. Par conséquent, les CTE sont remplacés par les CAD en 2003 (Contrats d’Agriculture Durable). Les objectifs sont les mêmes, pas les avantages. Aujourd’hui encore, dans le milieu de la paysannerie fervente d’une agriculture biologique ou durable, labellisée ou non, on regrette les CTE. Et puis, depuis la dernière PAC, on tend de plus en plus à remettre la qualité, au détriment de la quantité, au centre des préoccupations. L’agriculture durable et l’agriculture biologique sont subventionnées, ce qui n’était pas le cas auparavant.479 Par conséquent, à Bruxelles, on commence à rejoindre ceux qui ont depuis longtemps pris le parti de l’écologie. Il s’agit de la Confédération paysanne, du Réseau pour l’agriculture durable (RAD) et d’autres. Pionniers d’une agriculture alternative, ils travaillent sur d’autres typologies d’exploitations agricoles. Leur recette : une agriculture de qualité, un prix de vente plus élevé, un label, de petites exploitations avec une production diversifiée (élevages et cultures sur une surface de 40 ha environ) ; pas de produits phytosanitaires ou très peu, plutôt la jachère et la préservation d’un mail bocager et par là du patrimoine floristique et faunistique (une bonne solution pour l’amendement des terres, contre l’érosion, et pour les retenues des eaux dans le sol, évitant ainsi les crues hivernales). Leur talent : la sensibilité, la connaissance subtile de leur territoire et du cycle de la nature. Ils n’attendent pas qu’une prairie soit appauvrie pour en sortir les bêtes et ne plus avoir le choix que d’utiliser des engrais. Les changer de prés à temps, c’est offrir à une herbe la possibilité de s’étoffer rapidement et sans aide chimique. Les agriculteurs du RAD s’expliquent sur leur passion à exercer de la sorte leur métier, attestent de la qualité de leurs produits, s’expriment sur l’intérêt écologique de leur technicité, et font état de la bonne santé économique de leur activité.480 479
L’Agenda 2000 de la Politique Agricole Commune ou PAC, propose d’octroyer des primes aux agriculteurs biologiques qui sont également des aides aux investissements. La quantité d’aides diverge selon les pays de l’Europe. De plus, ces aides sont cumulables avec les aides accordées à l’agriculture conventionnelle. En outre, des programmes locaux et nationaux (sous forme de crédits d’impôt) font progresser cette technique agricole. Un nouveau règlement doit normalement voir le jour en 2009.
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Serait-ce à dire que la solution réside dans une agriculture biologique ou durable?481 Au risque d’une pénurie alimentaire disent certains, et notamment les responsables de la FNSEA482 partisans d’une agriculture productiviste et encore majoritaires dans les chambres d’agriculture. Alors, plutôt que de réformer l’agriculture, ils préconisent de la « raisonner ». Ainsi, ils opposent leur propre label Agriculture raisonnée au label AB et durable. Les « BIO » et « Durables » excéderaient pour eux en radicalité483 ; eux prônent la mesure. La vérité, c’est aussi que les gros exploitants ont beaucoup trop d’intérêts financiers à faire perdurer leur technicité car la Politique Agricole Commune subventionne encore à ce jour les agriculteurs au prorata de leur surface d’exploitation. Donc les techniques productivistes restent encouragées. Les agriculteurs ne sont pas les seuls à cultiver la terre et à déverser dans le sol, saison après saison, une quantité non négligeable de produits phytosanitaires. Les habitants des villes, des maisons individuelles avec jardins, sont largement tenus pour responsable de la pollution des cours d’eau sur le territoire ; les services espaces verts des communes de l’agglomération rennaise aussi, même si les choses sont en train de changer. En effet, du côté des habitants, des études ont démontré qu’un usage immodéré de pesticides, à l’image d’un amateurisme totalement inconséquent, s’avère désastreux sur le plan, primo de la santé publique (les pulvérisations au printemps arrosent les parcelles des quartiers résidentiels et avec eux les enfants et habitants qui les peuplent) ; secundo sur le plan de l’écologie du milieu. A Rennes, tout un programme de sensibilisation est lancé. L’Agglomération a déjà publié un ensemble de petits guides du jardinage afin d’inciter les citadins à changer leurs pratiques.484 Une rubrique jardinage dans le journal de Rennes Métropole, fait honneur à 480 De quoi se sentir revalorisé ; car la dignité de l’agriculteur est depuis longtemps largement attaquée. On ne cesse en effet d’affirmer dans les médias et ailleurs, qu’on le paye à surproduire et que sa production, de surcroît, avec les scandales de la vache folle par exemple, ne vaut rien. En définitive, qu’il a une large part de responsabilité dans les problèmes écologiques actuels. Beaucoup d’agriculteurs expriment aujourd’hui leur difficulté à tenir leur rang sur le plan social. 481 Lorsque les agriculteurs du Réseau d'Agriculture Durable (RAD) vont défendre leur position, accompagnés de leur député socialiste Georges Garrot, auprès des technocrates de la Commission européenne à Bruxelles, on leur répond : « ne comptez pas sur vos élus, monter des lobbyings », propos recueillis lors d’un voyage organisé à Bruxelles, printemps 2001. 482 La FNSEA est la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles. 483 Sur ces questions, lire par exemple l’ouvrage d’André POCHON, Les champs du possible. Plaidoyer pour une agriculture durable, Editions de La Découverte & Syros, Paris, 1998. 484 "La Charte "Jardiner au naturel, ça coule de source!", a été créée dans le cadre du programme Eau et pesticides, effet sur la santé et l'environnement en 2005. La Charte a été conçue en complément d'un travail multi-partenarial de sensibilisation des acteurs non agricoles aux pratiques d'entretien d'espaces verts et de jardinage sans pesticides, en plus d'une information largement diffusée via des livrets, expositions, conférences, surfaces de ventes, afin que le conseil délivré en jardinerie soit identique à celui délivré par les
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la débrouillardise du « jardinier bio ». Pas la peine d’inonder vos allées d’herbicides ; un peu de gros sel ou une eau ayant servi à cuire des pommes de terre à l’endroit des mauvaises herbes sera tout à fait efficace. Et puis un peu d’exercice maintient en forme et un sarclage vaut mieux qu’un désherbage. On mise ici sur la persuasion et sur l’information.485 Le travail de sensibilisation et d’éducation à l’environnement ne s’arrête pas au particulier et à l’espace domestique. Il touche les collectivités locales de l’ensemble des territoires, quant à l’entretien des berges des cours d’eau, des bas-côtés des routes, des parcs et jardins, des parterres, trottoirs et autres voiries. Par là, des plans de désherbage communal sont réalisés par le SAGE et suivis par l’ensemble des collectivités territoriales, et ce, appuyé par Rennes Métropole. Aussi, pour expliquer comme le programme d’action est important, il s’agit aussi de rappeler aux élus des communes qu’on cherche à protéger la richesse et la beauté du patrimoine faunistique et floristique. 486
Par exemple, à Vezin-le-Cocquet, commune attenante à celle de Rennes, on a remplacé les techniques de pulvérisation ponctuelle au glyphosate dans le centre bourg par un désherbage à la vapeur. Ainsi le SAGE a prévu que les communes de moins de 5000 habitants réalisent ce plan avant cette année. Les autres ont dû le faire avant 2005487. Comme le préconise le SAGE, le relais et le soutien des structures intercommunales (Communauté d’agglomération et syndicats des rivières) doivent participer à développer cette démarche. A la ville de Rennes, on a fait le choix de ne plus désherber les trottoirs et les pieds des arbres qui jalonnent les rues, avenues et boulevards. On les fauche et on les sarcle de temps en temps. Certains pourraient y voir de la négligence de la part des partenaires publics et associatifs dans le cadre des actions de reconquête de la qualité de l'eau; et ainsi diminuer le vente des pesticides au profit de matériels et produits alternatifs.", in La Charte de Rennes Métropole et ses bassins d'alimentation en eau, élaborée en 2005. 485 Et quand cela n’est pas suffisant, le droit est là ; et comme le précise l’adage « nul n’est censé ignorer la loi ». Ainsi par exemple, est bien précisé dans le Code de l’environnement que l’usage de phytosanitaires est dangereux sur les berges et dans le lit des cours d’eau. On continue pourtant de temps à autre à en faire usage. « Nuire au poisson, à sa nutrition, à sa reproduction ou à sa valeur alimentaire (art. L. 432.2 du code de l’Environnement) et plus généralement, nuire à la flore ou à la faune (art. L. 216.6 du Code de l’Environnement), en jetant ou en laissant s’écouler, directement ou indirectement, des substances quelconques dans les eaux superficielles est passible de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. » La Police de l’eau intervient essentiellement sur délation. Ce sont souvent les pompiers ou la mairie qui avertissent les services publics. 486
Un inventaire des zones humides et des cours d’eau est ainsi réalisé afin d’imposer une valeur symbolique forte dans les esprits des citoyens et des élus, pour ces espaces naturels, et de ce fait la nécessité de les protéger. 487 Un bilan de cette action n’a à ma connaissance pas été tiré.
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services municipaux. La mairie prend ce risque et mise sur l’information. L’esthétique de l’espace urbain s’en trouve largement revisitée.
2. Ville durable : des enjeux, des modèles Si il semblait important d’introduire mon propos, dans ce dernier chapitre, par un exposé sur le sens des politiques publiques, il me paraît tout aussi important de faire la description des principes architecturaux et urbains de la ville durable. Nous aurons ainsi connaissance des éléments nécessaires à une réflexion sur les difficiles croisements entre dévéloppement durable urbain et libéralisme. La ville durable, qu’est-ce que c’est - ou plutôt, que serait-elle si elle existait? La ville durable est basée sur deux principes : celui de l’économie des ressources : eau, énergies fossiles, matières premières, territoires ; et celui de la préservation de la biosphère, des espèces vivantes. Pour développer ces deux principes, la décroissance et la technologie sont les deux voies à suivre : low tech et high tech. C’est ainsi que les fervents de l’écologie se disputent en général sur le plan des idées. À une extrémité donc, la ville durable offre toutes les possibilités de développement territorial. La forme de la ville importe peu. La ville peut-être plantée de tours488, comme elle peut être horizontale, étendue, verte et riche. La technologie règle dans sa totalité le problème écologique. À l’autre extrémité, la ville durable demande aux citadins d’adopter des comportements ascétiques et solidaires pour économiser au maximum les ressources et surtout les ressources non renouvelables, et pour minimiser l’impact de la vie urbaine sur les milieux naturels extra-humains. En réponse à ces deux types d’exigence, deux modèles de référence. C’est le modèle de la ville horizontale, la ville verte, la ville à la campagne, avec ses unités d’habitations autonomes en eau et en énergie, avec des systèmes de transport propre, et le développement du télétravail ; et le modèle de la ville verticale, la ville dense, qui remporte le plus de crédibilité, et dont nous allons majoritairement parler. Cela dit, les deux concepts restent liés et ne seront jamais tout à fait départagés. Pour comprendre les enjeux de la ville durable, et ce qui va la définir, trois termes fondamentaux importent, en cela qu’ils orientent typologies urbaines, typologies architecturales, et choix techniques. Il y a la gestion du cycle de l’eau, les économies des 488
Voir à ce sujet notamment l’article de Thierry PAQUOT, « Plus haute sera la prochaine tour », Le Monde Diplomatique, numéro de mars 2008.
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énergies fossiles et la préservation de la qualité de l’air, enfin l’économie des matières premières. L’ouvrage de Dominique Gauzin-Müller, intitulé L’architecture écologique 489, très complet sur la question, sera notre principale référence comme source d’informations. Le cycle de l’eau De prime abord il faut rappeler que le cycle de l’eau, jusqu’à aujourd’hui immuable, assure de par sa nature une quantité d’eau sur la planète inchangée, quasi éternelle, au demeurant redistribuée selon l’activité de l’homme et de la biosphère. A la différence des territoires plus secs, la France n’a jamais eu vraiment à se soucier de sa ressource en eau d’un point de vue quantitatif. Mais les choses changent. Non seulement on commence à manquer d’eau (c’est le cas de la Bretagne), mais en plus sa qualité laisse, à mesure des années qui passent, à désirer. La pollution de l’eau est essentiellement due aux nitrates et aux phosphates d’origine agricole. Les activités industrielles, domestiques et urbaines pollueraient moins. La pollution des sols affecte la ressource en eau. Une mauvaise gestion des déchets, des systèmes d’assainissement peu satisfaisants, et la qualité de l’eau des nappes phréatiques, cours d’eau, rivières et fleuves, se dégrade. La fosse septique, l’épandage, le filtre à sable et la tranchée filtrante, sont des techniques d’assainissement qui demeurent peu performantes. Les spécialistes en écologie préconisent le lagunage ou l’épuration des eaux par les plantes.490 Aussi les déchets, quand ils sont enfouis, constituent une forte source de pollution des sols et donc en aval, des eaux souterraines. Dans cette logique, il serait souhaitable de fermer nos décharges et de trier nos ordures. Par conséquent, dans ce cadre, l’élimination et le traitement des déchets ménagers ou industriels sont d’une importance capitale. D’un côté, l’économie de la production de déchets, par la production d’emballage par exemple, ou l’incinération (quand elle sert à produire de la chaleur voire de l’électricité), représente une issue. D’un autre côté, le recyclage et le tri sélectif permettent la réintroduction des matières dans le cycle de production. Pour cette raison le tri sélectif doit entrer dans les habitudes. Les villes françaises ont toutes ou presque développé le tri sélectif même si le déchet en aval reste encore peu valorisé. L’isolement des déchets toxiques, l’utilisation des déchets 489
Dominique GAUZIN-MÜLLER, L’architecture écologique. 29 exemples européens, Editions du Moniteur, Paris, 2001. 490 On pourrait alors développer, comme c’est davantage le cas en Allemagne, la filtration des eaux usées par les plantes sous forme de bassins paysagers en cœurs d’îlots. Des expériences d’épuration par marais plantés de saules ont également été faites et semblent répondre à la contrainte écologique, d’autant qu’on produirait du bois de chauffage au moment de l’élagage des saules.
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recyclés et la séparation des éléments biodégradables pour diminuer le volume final des déchets, constituent la voie à suivre. La pratique du tri sélectif demande aux habitants d’être attentifs et engagés, et aux professionnels de la construction (architectes, promoteurs, bailleurs sociaux…), de programmer les équipements nécessaires dans les cuisines et locaux d’immeubles par exemple. Certaines villes européennes ont développé ce type de programme pour lesquels chaque foyer connaît son bac à déchets vert compostables, son bac à papier, son bac à emballages ménagers, et son bac à déchets non recyclables. Préserver la qualité de l’eau demanderait par ailleurs que des opérations de décontamination des sols se multiplient.491 Respecter le cycle de l’eau, c’est également préserver la ressource en terme de quantité. Faire des économies d’eau passe notamment par une perméabilisation des sols urbains afin d’alimenter un peu plus abondamment les nappes phréatiques et de désengorger les rivières en hiver. Moins de bitume dans les rues, dans les cours d’immeubles, plus de toits végétalisés, contiendraient les masses d’eau en trop.492 Alimenter les nappes phréatiques en eau permettrait par la même occasion de constituer des stocks en freinant le débit des cours d’eau en partance vers la mer. Par ailleurs, de nouvelles habitudes sont aussi à prendre : fermer le robinet lorsqu’on se lave les dents, etc. ; cela dit un ensemble de gadgets tels que stop-douche, chasse d’eau à double commande, robinets équipés d’un limiteur de débit, etc., doivent être davantage programmés dans les cahiers des charges des immeubles d’habitation. 493 L’économie de l’eau passe également par la réutilisation des eaux grises : l’eau de vaisselle pour les plantes, l’eau de pluie pour la machine à laver, ou les eaux usées pour les WC.494 491 La décontamination des sols est régie par la loi du 13 juillet 1992 relative aux installations classées. Différents traitements sont prescrits : confinement, extraction hydraulique, vitrification, traitements physico-chimique, extraction bactérienne, extraction par les plantes. Le chanvre possède par exemple le pouvoir d’extraire des quantités importantes de métaux lourds du sol. En cela, il est utilisé pour nettoyer les sols d’anciennes zones industrielles. 492 « Toutes les communes allemandes perçoivent une taxe sur les surfaces imperméabilisées raccordées à une canalisation. Cela rend très attractifs les systèmes permettant l’infiltration de l’eau de pluie sur la parcelle et la végétalisation des toitures. De nombreuses villes appliquent depuis déjà plusieurs années un principe de compensation qui prévoit de végétaliser en toiture l’équivalent de l’emprise au sol qui ne peut plus être plantée. Cette mesure, obligatoire dans certaines zones d’activités construites dans des sites sensibles, est imposée dans le plan d’occupation des sols de plusieurs communes.», in Dominique GAUZIN-MÜLLER, op. cit., p. 53. 493 « Ces mesures n’engendrent qu’un surcoût minime amorti en un ou deux ans sur la facture en eau. Pour une famille de quatre personnes, elles représentent une économie d’environ 100 000 litres d’eau potable chaque année. Dans les logements collectifs, l’installation de compteurs individuels sensibilise les utilisateurs et favorise les économies. », in Dominique GAUZIN-MÜLLER, idem, p. 119. 494 Ce qui demanderait de revoir la réglementation.
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Économiser les énergies fossiles et préserver la qualité de l’air La consommation d’énergie sur la planète a doublé en trente ans. Cette énergie est vitale pour notre système de production, de transport, de chauffage, d’éclairage et de production d’électricité domestique. Les réserves d’énergies fossiles telles que pétrole ou gaz se vident. Les extractions deviennent à mesure plus difficiles sur le plan technique et par là plus onéreuses. La combustion de cette ressource dégage majoritairement du Co2, responsable en partie de l’effet de serre. Une ville durable est une ville qui consomme peu d’énergie. La maîtrise des consommations en énergie fossile engage d’une part notre société à économiser la ressource en changeant nos habitudes de vie, et la conception de nos villes et de notre territoire ; d’autre part à développer des énergies renouvelables.495 Une grande part des énergies fossiles est employée dans nos déplacements. Maîtriser le déplacement des personnes et des marchandises demande de repenser notre territoire.496 Les grands principes retenus sont la densité, la mixité, enfin le développement de la production et de la consommation locales, ainsi que l’investissement par les habitants de leur patrimoine géographique sur le plan des loisirs. Une réduction territoriale de nos déplacements quotidiens ou annuels (travail et vacances) ainsi qu’un choix de consommation déterminé par la provenance des produits peut pour une large part résoudre le problème des économies d’énergie et de la préservation de la qualité de l’air. L’idée est ici de revenir à une économie répondant à des besoins primordiaux et de réduire, autant que possible les échanges, à une économie locale. Une couronne alimentaire autour des villes pourrait répondre de manière pragmatique à la réduction des transports de marchandises.497 En effet, une des spécificités de la ville tient à son éclatement des lieux de vie tout comme à son unité organisatrice et organisée. Les lieux consacrés à l’habitat, l’emploi, les loisirs, le commerce, etc., constituent un périmètre restreint que l’on parcourt au gré de 495
« En 2001, les énergies renouvelables fournissaient en France environ 16% d’électricité. La directive européenne prévoit que ce taux passera en 2010 à 21%, soit une production de 35 à 40 Twh (billions de wattheures) supplémentaires. », in Dominique GAUZIN-MÜLLER, op.cit., p 26. 496 En France, les plans de déplacements urbains ou PDU, qui ont été introduis par la loi sur l’air, en 1996, définissent pour les agglomérations de plus de 100 000 habitants les principes d’organisation des transports, de la circulation et du stationnement. Nous allons revenir sur cette question avec l’exemple du PDU de Rennes Métropole. 497 La Municipalité de Shanghai a pour projet de construire une ville écologique de 500 000 habitants du nom de Dongtan, qui servirait de modèle au monde entier : pas de déchets ni d’émissions de CO2, des économies d’énergie et des transports « verts », une couronne alimentaire, etc. En France, même si cette idée n’est pas généralisée sur le plan national, j’ai, au demeurant, lors de mes entretiens dans les services de la ville, rencontré un bon nombre de personnes plutôt partisanes de ce genre de positions. En cela, la ville écologique serait une ville très autonome, sur le plan de l’alimentation particulièrement.
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ses désirs, besoins, obligations. Cette spécialisation des lieux entraîne de fait un ensemble de déplacements arbitrés par la forme de la ville et les modes de déplacements et réseaux existants. Dans les villes françaises, villes en étoile pour la plupart, on remarque que les déplacements domicile/travail correspondent aux mouvements pendulaires du centre vers la périphérie. Le centre des agglomérations est souvent plus dynamique sur le plan économique. Le prix du foncier s’en ressent. Et tout « naturellement », l’habitat est renvoyé à la périphérie des villes où le foncier redevient abordable pour les ménages qui peuvent par là réaliser leur projet de construction de maisons individuelles. Résultat : un étalement périurbain, un bassin de vie élargi, une utilisation de la voiture accrue. 498 Cette observation est bien connue des spécialistes de l'urbain. Pour autant, la densité urbaine représente pour une large part des urbanistes français actuellement en exercice, le choix essentiel pour lequel opter.499 Une politique urbaine environnementale est une politique de densification urbaine. C’est la théorie de la ville verticale développée sur l’ensemble du territoire français et repris par la loi SRU. En effet, la loi sur la Solidarité et le Renouvellement Urbain incite les planificateurs locaux à reconstruire la ville sur ellemême, en la densifiant, en la structurant, en rentabilisant au maximum son patrimoine foncier.500 La forme de la ville est donc prépondérante dans le cadre de la problématique transport. A l’écoute des nouveaux modes de vie, en particulier de la révolution du travail féminin, dans le projet d’agglomération de Rennes, est mis au centre des préoccupations la proximité entre les lieux de vie quotidiens. C’est l’un des fondements des propositions dites d’ordonnancement du territoire, à savoir une hiérarchisation précise selon les localisations dans l’espace des équipements et services.501 498
Jean-Pierre Orfeuil et Caroline Gallez de l’Institut National de Recherche et d’Etudes sur les Transports et la Sécurité (INRETS) se sont interrogés sur la dépense énergétique que cet usage quotidien de la voiture occasionne. Ils calculent le Budget Energie-Environnement ou BEEP qui définit en grammes équivalents pétrole la dépense énergétique et la production de cinq gaz à l’origine de l’effet de serre ou de la destruction de la couche d’ozone. Leur calcul montre une décroissance exponentielle des consommations énergétiques donc des émissions avec la densité urbaine. 499
Lire à ce sujet : Habitat et formes urbaines – Densités comparées et tendances d’évolution en France, la FNAU (Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme), Innovapresse, Paris, ocobre 2006. 500 Tout le monde n’est cela dit pas en phase avec ce principe. Quelques dissidents, tel Olivier Piron au PUCA (Plan Urbanisme Construction et Architecture, Ministère de l’Equipement), n’attendent pas de la forme urbaine une révolution, plutôt de la recherche des innovations technologiques liées aux modes de communications, et croient davantage à la ville horizontale, la ville verte, la ville à la campagne. Entretien avec lui en septembre 2004. 501 Pour l’AUDIAR (Agence d’Urbanisme de Développement Intercommunal de l’Agglomération Rennaise) ou encore Rennes Métropole, les territoires ou les centres de vie que constituent les bourgs ou les quartiers sont les foyers et les supports de fonctions culturelles, sociales, récréatives, commerciales, et économiques qui sont au service des habitants. Les équipements et services correspondants peuvent être très concentrés
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Cette conception du territoire affirme une organisation d’un tissu déjà bien fabriqué avec une ville-centre dense, active, et largement desservie par les transports collectifs, avec des pôles d’appuis ou quartiers pour garder une dimension humaine à la vie sociale. On s’arrange par exemple pour que chaque quartier ait son petit supermarché et ses commerces de proximité.502 La mixité des fonctions urbaines est donc une priorité, de sorte qu’une maîtrise très importante du foncier par les services municipaux est nécessaire pour planifier, quartier après quartier, opération après opération, la vie urbaine. La densification de l’habitat, notamment par l’élévation du bâti, la collectivisation du logement et la multiplication des niveaux, permet de rentabiliser et le réseau de transports public et l’activité commerciale de proximité, ce qui favorise l’émergence de modes de déplacement doux.503 La TGU ou Taxe Globale Unifié, née de la loi sur l’Intercommunalité,504 permet des projets d’envergure à forte cohérence territoriale. Le Plan Local de l’Habitat (PLH), né de cette loi, va dans ce sens de la mixité et du renouvellement urbain.Par là, l’agglomération tente de mettre toutes les chances de son côté pour valoriser les lieux de connexion entre les réseaux de transport. Le Plan Local d’Urbanisme est, en participant notamment de la définition des coefficients d’occupation des sols ou COS505 selon les zones, le document réglementaire le plus à même d’encourager cette mixité urbaine et cette densification.
en un seul point ou au contraire selon leur nature et leur taille répartis sur le territoire. 502 Rennes a particulièrement développé ce modèle qui articule densité et mixité. Ainsi, elle a su préserver depuis des décennies son urbanisme des difficultés de l’étalement urbain et de la périurbanisation. Une rocade ou couronne verte l’en protège. C’est la limite d’extension de l’urbanisation jusqu’à aujourd’hui respectée. Elle est de temps à autre remise en cause. L’espace rural aux portes de la ville est par le fait préservé lui aussi. 503 « L’impact d’un bâtiment sur son environnement varie selon son implantation, sa forme, sa structure, ses besoins énergétiques et les matériaux mis en œuvre. Pour l’habitat, il est mesuré par unité de logements. Si les usagers l’acceptent, et quand le contexte du site et le plan d’occupation des sols le permettent, le regroupement de plusieurs unités dans un volume simple et compact apporte des avantages écologiques et économiques sensibles. Il permet de réduire : l’emprise au sol, la surface d’enveloppe, la quantité de matière mise en œuvre, la consommation d’énergie, le coût de la construction. La manière la plus simple d’intégrer les unités au sein d’un seul volume est de les superposer dans des immeubles collectifs. Pour ceux qui ne veulent pas renoncer à une maison, le logement semi-collectif, qui a déjà été expérimenté en France dans les années 70 sous l’appellation d’habitat intermédiaire, apporte une solution intéressante. (…) . Pour éviter l’étalement des villes vers la campagne, il est également important de densifier les quartiers anciens. Si la structure existante le permet, on peut surélever les bâtiments d’un ou deux niveaux. Ces extensions sont généralement réalisées avec une ossature en bois, à cause de la légèreté du matériau. Quand les cœurs d’îlots sont très vastes, on peut envisager de construire à l’intérieur un nouvel immeuble. Si les bâtiments forment un U, refermer l’espace par une quatrième construction permet de créer un cœur d’îlot plus intime. », in Dominique GAUZIN-MÜLLER, op. cit., p. 42. 504 La loi sur l’Intercommunalité date du 12 juillet 1999. 505 Qui définit le nombre de m2 habitables sur la parcelle constructible.
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Par ailleurs, la création de parcs naturels, de parcs urbains, de jardins familiaux, de zones de loisirs nautiques, pourrait, en plus de concourir au bien-être des citadins aux abords de leur ville, participer de la diminution des gaz à effet de serre.
Réduire l’utilisation des énergies fossiles, c’est aussi réduire la production de chaleur. L’isolation thermique des bâtiments avec des matériaux pertinents à la fabrication sur le plan énergétique est d’une importance majeure.506 L’utilisation du double, voire du triple vitrage, la multiplication des peaux isolantes, la réduction des ponts thermiques, une enveloppe épaisse et une architecture compacte, du bâtiment, permettraient de faire des économies très importantes sur notre consommation de pétrole par exemple. La récupération de chaleur grâce au système de ventilation mécanique double flux, tout comme la cogénération507, doivent elles aussi être sytématiquement envisagées. Par ailleurs, le choix d’appareils à faible consommation énergétique, l’éclairage naturel comme élément prioritaire dans la conception architecturale, - tous ces éléments ne doivent pas être négligés. Ainsi la faible dimension de l’îlot dans les quartiers résidentiels ou dans les quartiers d’affaires, la conception de bâtiments de moindre épaisseur, devraient être privilégiées.508 Il est également de rigueur pour l’architecte et l’urbaniste spécialisés en écologie de préconiser l’utilisation de matériaux locaux ou à bilan énergétique positive sur le plan des économies à faire.509 Concevoir les bâtiments en optant pour le matériau bois comme structure et enveloppe au détriment du béton510 pourrait par exemple largement modifier la quantité de polluants atmosphériques. En règle générale, veiller à l’utilisation de matériaux nécessitant peu de mise en œuvre à la phase de transformation est une notion importante pour tous les concepteurs de l’urbain. Par ailleurs la potabilisation de l’eau entraîne un coût énergétique qui a son impact. Economiser l’eau potable et l’utiliser autant de fois que se peut est une manière 506
C’est la logique des « Négawatts ». A lire notamment l’ouvrage de Thierry SALOMON et Stéphane BEDEL, La maison des (Néga)watts. Le guide malin de l’énergie chez soi, Editions Terre vivante, Mens, 2005. C’est aussi la logique du Plan Climat 2004 : « Face au changement climatique. Agissons ensemble ! », en éditorial le discours de Serge Lepeltier, alors Ministre de l’Ecologie et du Développement Durable. 507 La cogénération permet de créer simultanément de la chaleur et de l’énergie mécanique, produisant ainsi de l’électricité. 508 Pour les zones industrielles, on pourrait par exemple retrouver les typologies des usines plutôt encore appréciées d’un point de vue esthétique, avec sheds et conques en toitures. 509 Faire venir du granit de Chine pour paver l’esplanade de la gare de Rennes devrait par exemple ne plus avoir lieu d’être. 510 On peut évoquer Le plan bois, intégré à la loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie, dont nous avons déjà parlé lors de la première partie de cet exposé.
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de faire des économies d’énergie. En effet l’utilisation de l’eau potable pour assurer un ensemble de fonction (travaux ménagers, jardinage, utilisation dans l’industrie) est une aberration ; l’eau potable n’étant véritablement nécessaire qu’à l’alimentation et à la toilette.511 Dans cette mesure, le double réseau et la récupération des eaux de pluie au niveau des quartiers, représentent des solutions crédibles dans la lutte contre l’effet de serre. L’eau potable est souvent le résultat d’un mélange d’eau de qualités très différentes. Aussi, à Rennes, l’eau du robinet provient de trois sources peu comparables sur le plan de la qualité. Le double réseau permettrait de distinguer l’eau de boisson des eaux vouées à d’autres usages.512 C’est le cheval de bataille du Dr Michel Coste qui soutient qu’une eau ne doit pas seulement être potable mais bonne pour la santé, régénératrice et meilleure que les eaux de source ou minérale mises en bouteille. 513 En effet la mise en bouteille plastique ne serait pas conseillée du fait de la libération des POPS514 dans l’eau de boisson.515 On peut également récupérer les eaux de pluie pour les potabiliser par systèmes individuels, ce qui diminuerait la consommation d’énergie à cet effet.516 511
« En Europe on consomme selon les pays entre 110 et 200 litres d’eau potable par jour et par personne. On pourrait réaliser une économie d’environ 30% en réservant l’eau potable à l’alimentation et à l’hygiène corporelle, et en couvrant les autres besoins avec les eaux pluviales. », in Dominique GAUZIN-MÜLLER, op. cit., p. 105. 512 Système notamment développé dans certaines communes de France. 513 Je me réfère à son discours délivré au Forum de l’Habitat 2004 de Bazouges-sous-Hédé (35). Sur ces questions, voir le site dourstivell.org. 514 Les POPs sont des polluants organiques persistants. Voir le site de l’ADEME sur ce sujet. 515 La qualité d’une des ressources rennaises serait à la hauteur des espérances de certains pour un tel développement, seulement l’infrastructure coûte chère. L’idée est émise qu’on conçoive un réseau partiel, en s’arrêtant à des points stratégiques de la ville : en réalisant des projets de fontaine de quartier. Bien que ces idées courent, il n’y a pas, à ma connaissance, d’étude sérieuse menée sur la question. Pourtant une telle politique sanitaire pourrait sembler des plus pertinentes et demanderait qu’un bilan économique global soit effectué afin d’attester ou non de son intérêt sanitaire, et de son intérêt économique et social. On peut en effet se demander s’il ne vaut pas mieux investir pour une eau saine que de faire travailler l’industrie pharmaceutique en ingérant, au fur et à mesure que les années passent, de plus en plus de compléments alimentaires. Par ailleurs, la fontaine a toujours été un lieu fort de sociabilité, ce qui n’est pas sans valeur sur le plan urbanistique. 516 « Une série de recherches scientifiques effectuées depuis de nombreuses années, en particulier en Allemagne par le professeur Otto Wack, confirme la qualité de l’eau de pluie épurée, qui a des caractéristiques correspondant à celle de l’eau distillée. Le préalable est bien sûr une installation technique bien conçue et correctement mise en œuvre. Les systèmes les plus sûrs et les plus efficaces comprennent : la récupération de l’eau tombant sur les toitures, sa filtration avant l’arrivée dans la citerne avec des systèmes autonettoyants, la mise en place de deux étapes d’épuration ne nécessitant pas d’entretien à l’intérieur du réservoir, la conservation de l’eau dans un endroit frais et sombre, l’emploi de pompes économes en énergie pour distribuer l’eau recyclée, le marquage de tout le système de canalisation avec la mention « eau non potable ». Au cours des années 1990, des systèmes performants avec des filtres autonettoyants, comme ceux de l’entreprise Wisy, ont contribué à un essor rapide des récupérateurs d’eaux de pluie en Allemagne. Ces technologies, qui représentent déjà un important chiffre d’affaires et ont permis la création de nombreux emplois dans la production et l’artisanat, sont exportées dans d’autres pays européens, en particulier au
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Au-delà des économies qu’il serait bon de faire sur les énergies fossiles, la construction de la ville écologique doit être l’occasion de développer l’utilisation des énergies renouvelables. L’énergie solaire dans sa forme passive comme dans sa forme active, thermique comme électrique, est une donnée essentielle dans la conception d’un bâtiment ou d’une ville. L’exposition des façades et des fronts bâtis au sud, l’emploi de techniques architecturales mettant en avant le solaire passif (vérandas, serres, murs trombes…), ainsi que l’utilisation des panneaux solaires thermiques et photovoltaïques, en toitures comme en façades, sont de tout premier ordre. L’emploi de ces techniques demande aux concepteurs, sur le marché du neuf, de passer à un renouvellement esthétique de l’architecture.517 Parallèlement, ces techniques doivent également accéder au marché de la réhabilitation de bâti ancien et intégrer par exemple les zones de protection du patrimoine architectural et urbain (ZPPAU) gérées par les Bâtiments de France.518 D’autres types d’énergies renouvelables sont elles aussi à développer. L’éolien, le biogaz, le bois-énergie, l’énergie hydraulique, le chauffage thermodynamique, les piles à combustibles sont autant de sources qui pourraient pallier notre déficit énergétique. Chaque agglomération pourrait connaître son parc éolien et des projets individuels pourraient se multiplier.
« Plusieurs pays
d’Europe disposent d’un potentiel
économiquement viable, et le nombre des sites exploités croît rapidement, surtout en Allemagne, aux Pays-Bas, au Danemark. »519 Le biogaz représente une autre solution. Il est produit à partir de la fermentation de déchets (déchets verts, matières fécales, fumiers, déchets ménagers et industriels). Le biogaz, par sa combustion peut-être transformé en électricité ou en chaleur. Aujourd’hui en France, il est de plus en plus valorisé dans le cadre d’exploitations agricoles. Au demeurant, la réglementation française continue d’interdire la connexion des centrales biogaz au réseau gaz de ville pour des raisons sanitaires. L’Allemagne ne connaît pas ces restrictions.520 Une autre filière à développer : Danemark et aux Pays-Bas. », in Dominique GAUZIN-MÜLLER, op.cit., p. 105. Les architectes sont encore peu sensiblisés par ces techniques du fait des contraintes esthétiques qu’elles engendrent. 518 Beaucoup de réticences empêchent aujourd’hui encore leur mise en œuvre, à la déception des habitants des centres anciens. Néanmoins, les architectes des Bâtiments de France, à la rigidité légendaire, multiplient pour certains de plus en plus les exceptions. Les Plans Locaux d’Urbanisme ou PLU figurent un outil majeur pour la mise en place d’une politique soleil. Une clause pourrait en effet par exemple obliger, selon les expositions, à développer le solaire thermique pour l’eau chaude sanitaire pour tout bâtiment neuf ou en réhabilitation lourde. La ville de Barcelone a depuis longtemps pris cette option. 519 In Dominique GAUZIN-MULLER, op. cit., p. 103. 520 « Dans l’immeuble Habitat et travail de Fribourg-en-Brisgau, une cuve reçoit les eaux vannes des toilettes à dépression (eaux noires), des ordures ménagères pour compost et les déchets de jardin. La fermentation de ces matières organiques produit du biogaz, utilisé dans les cuisinières en remplacement du gaz de ville. Les cuisinières comptent parmi les appareils ménagers consommant le plus d’énergie, 517
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le bois. Le bois est peut-être l’énergie la plus utilisée actuellement dans la construction de maisons écologiques.521 Le poêle à bois ou à granulés522, en fonte ou en acier, ou encore le poêle de masse, tous ces systèmes participent de l’équipement de la maison écologique. 523 Pour autant en Bretagne,
certains périmètres se voient, à l’automne, complètement
dépourvus de bois de chauffage du fait d’un approvisionnement encore insuffisant. Cette pénurie a forcément des répercussions sur le prix du stère. Dans le secteur urbain ou villageois, le réseau de chaleur à partir de chaudières à bois automatisées s’est développé. Le combustible utilisé est à base de sciure, de bois déchiqueté, d’écorces ou de plaquettes. Cette énergie pour le moins intéressante doit donc être développée et avec elle l’exploitation forestière. Le territoire français, avec ses zones de friches agricoles devrait pouvoir permettre de mener une telle politique. Le chauffage thermodynamique date du XIXème siècle. Plus employé sous le nom de pompe à chaleur, il transfère la chaleur de l’eau, de la terre et de l’air. « Une pompe à chaleur transfère vers un échangeur l’énergie gratuite contenue dans l’air extérieur et le sol, qui sont réchauffés par le rayonnement solaire. »524 Le système fonctionne grâce à un fluide caloporteur. Valoriser la chaleur de la terre ou de nappes phréatiques demande de procéder à des forages verticaux ou horizontaux selon les cas. Les forages verticaux profonds peuvent être la cause de pollution des nappes phréatiques, une des raisons pour laquelle les spécialistes de l’architecture écologique demeurent réticents devant ces procédés. L'énergie hydraulique représente environ 15% de l'électricité verte actuellement produite sur le territoire français. Elle provient d’installations lourdes comme d'installations plus légères. En effet, à côté des équipements industriels de 1800 MW, il existe 1700 installations hydrauliques d'une capacité inférieure à 8 MW.525 L'énergie hydraulique est très pertinente dans la mesure où elle n'engage de manière directe aucun rejet. Cela dit, la mise en œuvre de ces équipements dans les milieux naturels (retenues l’économie est importante. Le compost est récupéré par des agriculteurs locaux pour l’épandage. Son utilisation comme engrais permet de boucler le cycle naturel. », in Dominique GAUZIN-MÜLLER, idem, p. 103. 521 Le bois dégage du CO2 lorsque le matériau brûle. Pourtant le bilan CO2 reste nul du fait que la quantité émise lors de la combustion est la même que celle absorbée par les arbres au moment de la photosynthèse. 522 « Originaire des Etats-Unis, le poêle à granulés de bois se répand depuis peu en Europe. Il dispose d’un silo de 20 à 30 kg pour une autonomie de 24 à 72h, et d’une régulation thermostatique. Son rendement de combustion, de 75%, est bien supérieur à celui d’un appareil classique. », in Dominique GAUZIN-MÜLLER, ibidem. 523 La typologie de ces maisons est particulière puisque guidée par cette donnée de la logique de distribution de la chaleur dans l’espace. 524 Dominique GAUZIN-MÜLLER, op. cit., p. 102. 525 Dominique GAUZIN-MÜLLER, Idem., p. 29.
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d'eau et barrages) doit être appréciée avec beaucoup de rigueur sur le plan du respect de la faune et de la flore. L'expérience nous a en effet montré tous les désordres que l’installation de turbines dans l'espace marin comme sur les cours d'eau pouvait engendrer. La construction de systèmes pour la migration des poissons, du type des passes à saumons, doit donc accompagner des projets de ce type. La pile à combustible pourrait être une solution d'avenir. Son principe est simple. L'électricité et la chaleur sont produites de la réaction chimique entre le fluide d'alimentation et l'oxygène contenu dans l'atmosphère. Ce système pollue très peu. Des émissions de soufre et d'oxyde de carbone sont dégagées, mais au demeurant subsidiaires au regard du rendement énergétique. Un projet expérimental franco-allemand prévoit depuis 2002 la mise en service d'une pile de 1MW capable d'alimenter une ville de 2000 habitants.526 Préserver la qualité de l'air nous demande d'être attentif aux produits utilisés dans la construction des bâtiments et des infrastructures ainsi qu'au procédé de fabrication des matériaux de construction comme de tout produit industriel. Dans le secteur de l'architecture, on est principalement regardant sur les processus de fabrication. (L'industrie du PVC, comme on l'a déjà évoqué, pollue énormément). Dans cette mesure, certains matériaux sont à proscrire. Cela dit, on reste également préoccupé par les émissions dégagées dans l'atmosphère par le matériau mis en œuvre et stabilisé. Les colles et peintures peuvent en effet continuer leur vie durant à dégager des particules solides (fibres, poussières…), du formaldéhyde ou d'autres composés organiques volatils (COV) et des micro-organismes. Ces émanations peuvent générer des problèmes de santé en termes cardio-vasculaires et allergiques.527
526
Dominique GAUZIN-MÜLLER, Ibidem, p. 105. Sur le plan de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire, on pourrait attendre de la Direction Régionale de l’Industrie, de la Recherche, et de l’Environnement (DRIRE), une durcification de la réglementation en termes de rejets industriels dans l'atmosphère, ainsi qu'une présence renforcée des inspecteurs de police sur le terrain. 527
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Économiser les matières premières L'économie des matières premières représente le troisième et dernier point important à traiter. Le mouvement construction/destruction, dans la société moderne, s'accélère et nous incite à démolir la ville pour la reconstruire à un rythme effréné, le rythme de nos « soi-disant » besoins. Freiner la démolition architecturale, recycler les matériaux de construction et les matières premières en générale, économiser le territoire, les réseaux et les équipements en maîtrisant l'étalement urbain, représentent un ensemble de solutions totalement crédibles. Des normes anti-démolition pourraient très bien être appliquées. De même, des projets de recycleries urbaines pour les appareils ménagers ou les matériaux de construction pourraient davantage se développer. Un nouveau style architectural pourrait ainsi trouver ses points d'ancrage. Par ailleurs, l'économie des matériaux passe par une mise en réseaux et une solidarité des acteurs économiques. Au niveau de l'industrie, cette mise en réseau, développant les interdépendances, se réfère à un concept encore naissant : l'écologie industrielle 528 ; car une planification des zones industrielles écologiques formalisant l'écosystème industriel pourrait, par la réalisation de boucles, réduire en grande partie les rejets industriels et augmenter l'économie des ressources.
Le cas du transport dans l’agglomération rennaise Dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’Agglomération rennaise, en résonnance avec les modèles de ville durable, a développé sa politique de déplacement.
Il n’est plus de mode de transport autre que le mode motorisé, si ce n’est la marche à pied, la bicyclette, la trottinette ou les rollers. Nous ne nous transportons plus, ni plus rien, à cheval, en diligence, en charrette ou à dos de mulet depuis longtemps, si ce n’est encore dans les régions les plus escarpées. Ainsi, nous polluons. Du côté des ingénieurs spécialistes du transport, on souhaiterait davantage développer le fer : train, tramway, métro ; l’électricité ne génère pas de gaz à effet de serre, et surtout cette énergie produite à partir d’uranium n’est pas prête de manquer, comme c’est le cas des énergies fossiles. Le fer ou la route ? La peste ou le choléra ? Les visions catastrophistes glissent d’un réchauffement climatique quasi certain à une 528
Sur ce sujet, à lire l’ouvrage de Suren ERKMAN, Vers une écologie industrielle, Editions Charles Léopold Mayer, Paris, 2004.
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accidentelle pollution nucléaire à haut risque additionnée d’un problème notoire de retraitement des déchets. Claude Roy, coordinateur interministériel pour la valorisation de la biomasse, se prononce pour le développement de l’énergie nucléaire pendant en tout cas que nous n’aurons pas la possibilité d’utiliser en totalité des énergies renouvelables et propres. « La suraccumulation du CO2 dans l’atmosphère, cette couverture chauffante de la planète, étouffante et dangereuse »529, nous dit-il, ne nous laisserait pas le choix. Le réseau « Sortir du nucléaire » n’est cela dit pas d’accord.530
L’utilisation de l’automobile constitue un poste important d’émission de gaz à effet de serre. A travers le Plan de Déplacement Urbain ou PDU, l’agglomération rennaise tente par le biais de diverses stratégies de désengorger les réseaux existants. L’agglomération s’est donnée les seuils établis par les accords de Kyoto comme référence. Au demeurant, elle attend 40 000 habitants ou plus dans les quinze ans à venir. Choisir son mode de transport se rapporte au système de contraintes relatif à chacun des modes de déplacement aujourd’hui connus et développés. La marche à pied et la pratique du vélo, de la trottinette et des rollers pour les courtes distances, ou les transports collectifs, sont adéquats à une politique de développement durable, quand ils peuvent, pour une large part, remplacer aisément l’utilisation de la voiture. 531 Mais pour amener la société civile à quitter le « quatre roues », il faut également être au fait de l’ensemble des contraintes dans lesquelles évolue le citadin. Les spécialistes relèvent le 529
Intervention de Claude Roy, Coordinateur interministériel pour la valorisation de la biomasse, aux 3ème Assises de la Construction en Chanvre (organisateur : l’association Construire en chanvre), qui se sont déroulées au Ministère de l’Ecologie et du Développement durable en septembre 2006. 530 Sortir du nucléaire, pourquoi ? Le réseau s’explique : « Un accident nucléaire, c'est une région entière inhabitable pendant des milliers d'années, et des victimes innombrables. Peut-on se permettre de courir un tel risque ? Il n'existe aucune possibilité d'élimination des déchets radioactifs : ils sont dangereux aujourd'hui et pour des dizaines de milliers d'années. Le coût réel de l'électricité nucléaire est sous-évalué. Elle est en réalité très chère quand on prend en compte l'ensemble de ses coûts : recherche publique, démantèlement des centrales, gestion des déchets pendant des milliers d'années… Le nucléaire produit peu de gaz à effet de serre, mais il contamine la terre pour des millions d'années. Il ne faut pas choisir entre la peste et choléra. Ni nucléaire, ni effet de serre : tel doit être l'objectif d'une politique énergétique responsable. Nous vivons en France nucléaire, le pays le plus nucléarisé au monde. Mais cette dépendance vis-à-vis du nucléaire est une exception française. Des pays proches comme l'Italie, l'Allemagne ou la Belgique ont déjà décidé de sortir du nucléaire. », in le site du réseau Sortir du nucléaire : www. Sortirdunucléaire.org. 531
L’agglomération rennaise a ainsi pour projet de développer autant que se peut les modes de déplacement dits alternatifs, mais il ne faudrait pas que cela puisse nuire à l’activité économique et commerciale. Aussi la logique retenue par les élus et techniciens semble se résumer en trois points : les actifs dans les bus, les voitures aux abords des domiciles ; seules les automobiles qui ont leur part d’influence sur le plan économique sont souhaitées sur le réseau viaire.
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plaisir, la sécurité, la commodité, le temps, la santé, l’effort, enfin la dimension ostentatoire. Ainsi, pour faire basculer l’usage de la voiture particulière à des modes de transport plus doux, les politiques publiques vont s’affairer à changer la qualité de l’usage et la représentation sociale des modes de transport alternatifs ; à rendre plaisant, sécurisant, rapide et valorisé sur le plan des représentations sociales, ce qui ne l’était pas forcément. A contrario, le transport automobile, en tout cas au niveau urbain, doit devenir déplaisant, appréhendé comme dangereux et à haut risque pour soi et pour l’autre, difficile d’usage, long, et stigmatisé aux vues des enjeux écologiques. Rendre attrayant et décourager deviennent les principaux leviers d’action. Par l’incitation, non la coercition, les politiques publiques vont agir sur les habitudes des citadins et leurs flux quotidiens. A ce titre, tout un programme répondant à une série de diagnostics rendant compte des aspects concrets de l’utilisation des modes alternatifs à la voiture a été mis en place lors de l’élaboration du PDU. Quatre cibles sont visées : les modes doux (marche à pied, vélo…), les transports en commun, l’usage collectif de la voiture, enfin la gestion du stationnement.
Les modes doux Pour réduire les nombreux trajets en voiture domicile/école, trajets souvent les plus polluants532, un service d’accompagnement des enfants vers l’école à pied ou à vélo est amené à se développer533. Ces services des noms de Pédibus et Vélobus, organisés par les parents d’élèves, sont assistés par l’agglomération et les municipalités alentour 534, dans la définition des circuits à emprunter. Pour promouvoir l’usage du vélo, un schéma directeur vélo et une campagne de sensibilisation doit voir le jour. Le schéma directeur, en complément des réseaux départementaux et régionaux, définit le réseau cyclable primaire d’agglomération en fonction des fréquentations des voies de circulation entre les communes. Il connecte les zones d’habitat aux équipements de l’agglomération et dessine également les itinéraires majeurs à vocation de loisirs. 532
Il faut en effet faire environ 5km pour qu’un moteur arrive à la bonne température et qu’un pot catalytique fonctionne efficacement. Or les deux tiers des déplacements en voiture sont inférieurs à 5km… comme par exemple un trajet domicile/école. 533 Pour ce faire, il s’agit pour les communes de l’agglomération de se doter d’un Plan Communal de Déplacement ou PCD afin d’inscrire notamment un maillage de cheminements piétons et cyclables confortables, sécurisants et directs. 534
Le conseil local à l’énergie s’est déjà largement investi dans ce type d’action. Il est aujourd’hui reconnu pour sa technicité.
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Rennes Métropole engage ainsi, avec la Loi sur l’air, les gestionnaires de voirie à prévoir lors des travaux de voiries un itinéraire cyclable 535. Mais posséder un vélo lorsqu’on habite en zone urbaine nécessite de pouvoir le stocker. Or, ce n’est pas toujours possible. Pour cette raison, chaque Plan Local d’Urbanisme des communes de l’agglomération doit désormais préciser des normes prescrivant la réalisation d’un minimum de places de stationnement couvertes, en rez-de-chaussée et sécurisées pour les vélos, peu importe le type de construction.536 Ce qui pourrait paraître un détail, ne l’est pas, car le local à vélos est, dans les projets récents de logements collectifs, inexistant, résiduel, voire peu fonctionnel, entraînant par là une véritable difficulté pratique quotidienne totalement démotivante pour les habitants. Les campagnes de sensibilisation sont destinées à rappeler aux citadins les bienfaits du cyclisme et de la marche à pied. Le vélo, non seulement ça ne pollue pas, mais en plus, c’est bon pour la santé et la sociabilité 537 : allongement de l’espérance de vie ; développement des capacités respiratoires ; combat du stress et de l’agressivité ; développement
de
la
maîtrise
de
l’équilibre,
coordination
des
mouvements,
développement des acuités visuelles et auditives, pour l’enfant ; facilité de sociabilité.538
Les transports en commun Développer les modes doux nécessite pour les techniciens de Rennes Métropole, de développer de manière concomitante, les transports en commun et la multi-modalité. En effet, s’il paraît difficile de demander à l’usager de se déplacer à pied ou à vélo, tout simplement parce que son parcours est long et qu’une performance sportive quotidienne 535
Un guide, édité par le service transport de Rennes Métropole doit être élaboré pour préciser les solutions les plus sécuritaires. En effet, la sécurité est le point noir, selon les études, d’une politique vélo. La collectivité veut donc rendre le plus sûr possible ce mode de déplacement par une réduction de la vitesse autorisée des automobiles sur les voies, et par un dessin approprié des pistes cyclables. La sécurité, c’est aussi celle de limiter les vols. Car souvent, on ne sort pas son vélo en ville tout simplement par crainte qu’il soit dérobé. Rennes Métropole envisage de construire des abris et des parcs fermés avec contrôle d’accès. 536
Une étude doit à ce sujet être commanditée par Rennes Métropole afin de préciser une logique normative claire relative à ces besoins. Un guide des aménagements, caractérisant les locaux privés destinés à entreposer les vélos (modalités d’accès, dimensions, formes…) est dans cette logique en cours de rédaction. 537 Voir notamment la circulaire intitulée « Le vélo et l’enfant », Les dossiers du vélo n° 4, septembre 2001. Circulaire d’information subventionnée par l’ADEME, le MATE, la Sécurité routière, l’ADAV et le FUBicy (Fédération française des usagers de la bicyclette). 538
La ville de Rennes a également développé depuis 1998 un système de prêt de vélos, système de prêt à carte de courte durée, comme c’est le cas sur la ville de Paris ou sur l’agglomération nantaise avec l’opération Bicloo.
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semble difficile et peu probable, en revanche, en offrant un service de transport performant, avec des navettes accueillant cycles et cyclistes, les modes doux deviennent attrayants. Ainsi une harmonie est recherchée pour l’élaboration du schéma directeur vélo à partir du maillage existant reliant centralités communales, quartiers et surtout arrêts de transport collectif. Des aménagements seront par là réalisés afin de constituer un espace public viable permettant d’organiser le stationnement des vélos sur la voirie. Les transports publics seront aussi amenés à être développés pour offrir un service qui, efficace et pourquoi pas supérieur à celui de la voiture, pourrait peut-être, on l’espère, la supplanter un jour. Par là, on confirme sur l’ensemble de l’agglomération toute une politique de transport en commun assurant les liaisons intercommunales le long des axes à forte concentration, et les lignes intracommunales reliant les zones d’habitat aux centres d’activité. En augmentant les fréquences, 10 mn d’attente maximum, pour les axes « les plus denses de l’agglomération, qui en font les lignes les plus fréquentées » et en développant les sites propres bus pour augmenter la vitesse de desserte, on espère développer le transport en commun. Aussi, on souhaite continuer à étendre le réseau de métro et offrir sa jumelle à la ligne déjà existante pour 2015. Le transport ferroviaire n’est pas oublié. Avec ses cinq axes, le TER Bretagne dessert les pôles les plus importants de l’agglomération. Pour Rennes Métropole, il s’agit de valoriser au maximum cette structure en place en constituant de véritables pôles d’échanges notamment par la rénovation de certains points d’arrêt existants.539 La Région Bretagne, en tant qu’Autorité Organisatrice de Transport (AOT),va augmenter les capacités unitaires des trains et les fréquences de desserte. Des études de faisabilité doivent être engagées entre partenaires pour définir les modalités d’intervention sur les voies ferrées. Les lignes d’autocars du Conseil Général540 tissent en complémentarité avec les cinq lignes de TER Bretagne une toile qui dépassent les frontières de l’agglomération et constituent un substitut attractif à la voiture pour desservir l’aire urbaine.
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Ce projet devra par ailleurs se mettre en œuvre dans le cadre d’un partenariat entre le Conseil Régional de Bretagne, Rennes Métropole, les communes de l’agglomération concernées, la RFF ou Réseau Ferroviaire Français, enfin la SNCF. 540 C’est le réseau Illenoo.
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L’usage collectif de la voiture Conscient qu’on ne parviendra pas à inciter toute la population de l’agglomération à monter dans les bus, cars, ou trains, on tente éventuellement de l’amener à remplir ses véhicules. Le taux d’occupation moyen de 1.35 personnes/véhicule et de 1.02 pour les trajets domicile/travail pourrait avec l’aide de l’association « Covoiturage+ » augmenter considérablement. Fin 2005, 500 usagers réguliers sur 3000 adhérents amorcent le système. Rennes Métropole propose aux Autorités Organisatrices de Transport de soutenir cette initiative financièrement, et par la mise en place d’aires de stationnement « spécial covoiturage ». Ces aires de stationnement devront être avantagées par notamment une proximité des grandes infrastructures, la sécurité, une forte capacité de parcage. En somme, le développement des modes doux, le transport en commun et le covoiturage ont augmenté la quantité de déplacements alternatifs à la voiture particulière. Reste que ces derniers doivent présenter toutes les commodités pour gagner un véritable essor. A ce titre, le moteur de cette progression se nomme intermodalité. Selon les techniciens de Rennes Métropole, la véritable stratégie d’une politique durable de transport réside en cette coexistence des réseaux et surtout en leur articulation. Cette mise en articulation demande d’une part, pour l’agglomération, que soit constitué un Syndicat Mixte de Transports, que soient édifiés des pôles d’échanges (ou gares-pôles) aux intersections des lignes, que soient construits des parcs-relais541, que soit mis en service une nouvelle billettique commune introduisant d’éventuelles offres tarifaires comme la dégressivité et le titre multimodal faisant ainsi collaborer les différentes échelles territoriales.
Le stationnement La logique de maîtrise de stationnement développée par Rennes Métropole consiste dans un premier temps à offrir aux ménages un stationnement des véhicules qui soit suffisant mais non excessif afin de ne pas encourager leur motorisation. 542 Dans un 541
Le parc relais est un parking pour véhicules motorisés. Souvent situé aux entrées des villes, il n’est jamais très loin d’une gare. De la sorte il permet aux voyageurs de changer de mode de transport. 542 Tant que la voiture représentera autant de commodité au temps présent, il y a peu de chance pour que l’automobiliste abandonne cet objet de plaisir et de satisfaction. Selon Jean-René Carré (Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité), « chaque région urbaine devrait être aménagée et organisée de telle sorte qu’en tout point de la région les avantages de ne pas posséder de voiture soient au moins égaux aux avantages de posséder une voiture. », in les actes des conférences de 4D (Dossiers et
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second temps, il s’agit de réduire le stationnement des actifs et des visiteurs quand cela semble possible. Au sein de l’habitat, comme au sein de l’espace urbain, une politique de restriction est mise en œuvre. Prendre les transports en commun, c’est pouvoir laisser sans problème sa voiture aux abords de son domicile. Rennes Métropole demande aux municipalités d’accorder des abonnements « résidents » à un niveau de prix réduit par rapport aux abonnements pour les actifs. Aussi, l’agglomération entend par là planifier un stationnement restreint et progressif en fonction des offres de desserte.543 Rennes Métropole propose ainsi des normes, sachant que dans le secteur du logement social la norme reste respectueuse du code de l’urbanisme qui limite le stationnement à une place par logement. Plus que le stationnement du visiteur, c’est le stationnement de l’actif qui semble être la bête noire de la politique urbanistique. En cela, d’un côté l’agglomération encourage et stimule la rotation du stationnement par une tarification des zones du centreville assurant l’usage pour les visiteurs attirés par l’activité commerciale, et par l’extension probable de cette zone ; de l’autre, l’agglomération a pour projet de plafonner les créations d’aires de stationnement pour les bâtiments du secteur tertiaire. Les PLU devraient donc conformer leurs normes à ces exigences.544 Par ailleurs, jouer sur la vitesse apparaît également comme un moyen d’action. « La vitesse est néfaste à plus d’un titre. Elle contribue localement à l’augmentation des nuisances (sonores, atmosphériques), produit de l’insécurité, renforce l’étalement urbain, et, dans certaines circonstances, conduit à une surconsommation d’énergie et réduit les capacités de circulation. »545 Réduire la vitesse évite en centre ville que la voiture reste performante en terme de temps, on peut alors lui préférer le métro ou le bus. Débats sur le Développement Durable), janvier 2003. On établirait ainsi de manière artificielle un système de contraintes micro-économiques traduites d’autres : macro-écosystèmiques. 543 Sur la ville de Rennes, le Plan Local d’Urbanisme est censé respecter un découpage en deux zones concentriques. « (…) la plus centrale mieux desservie par les transports collectifs se rapproche du périmètre de stationnement payant ; la seconde concerne les secteurs péricentraux, irrigués par de multiples lignes du réseau de bus et qui intègre les abords de la ligne de métro (rayon de 400m autours des stations). Au delà, trois autres périmètres se dessinent (…), qui concentrent de nombreuses lignes du réseau de bus (rayon de 250m), un secteur qui légitime des normes particulières, enfin le reste de Rennes Métropole qui compose le dernier périmètre de ce zonage. », in Le document de présentation du Plan de Déplacement Urbain de Rennes Métropole, voté en 2007 pour 10 ans. 544 Faire respecter cette politique de stationnement demande primo que le contrôle de légalité assuré par la préfecture de département soit effectué, secundo que des moyens coercitifs (procès verbaux) soient mis en oeuvre par les municipalités. Rennes Métropole invite la Ville de Rennes à se conformer au ratio d’un agent de police pour 200 places payantes et rotatives tandis qu’il en conseille 300 pour les emplacements de longue durée. 545 In Le document de présentation du PDU, op. cit., p. 52.
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Pour parfaire la politique de transport de l’agglomération, une bonne connaissance des phénomènes de flux, une communication efficiente, enfin une promotion des modes alternatifs sont envisagés. D’une part, un observatoire, déjà crée autour de l’AUDIAR546, doit collecter l’ensemble des données relatives aux déplacements pour constituer un outil d’évaluation des politiques locales et des flux financiers liés aux déplacements des personnes. D’autre part, Rennes Métropole compte organiser, telle que la loi de Solidarité et de Renouvellement Urbain l’exige, un service d’information multimodale à l’intention des usagers, en concertation avec l’Etat, les collectivités territoriales ou leur groupement, et les entreprises publiques ou privées de transport. Enfin, un conseil en mobilité à l’intention des employeurs sera initié afin de développer ce qu’on appelle de plus en plus communément les PDE, Plans de Déplacement des Entreprises547. Différents PDE ont déjà vu le jour dans les grandes entreprises de l’agglomération.
Toutes ces données nous amènent à penser que la ville durable est le support d’une réflexion urbanistique sur de nouvelles formes d’organisations, de nouveaux modèles politiques et spatiaux, sur une nouvelle utopie ?
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L’audiar est l’Agence d’Urbanisme et de Développement Intercommunal de l’Agglomération Rennaise. Le PDE est un outil d’analyse des besoins en déplacements et de mise en place collective des réponses à ces besoins en terme de navettes, covoiturage ou autres. 547
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3. Condamner l’utopie ? Si Anne Ducroux choisit, avec ses co-auteurs, d’intituler son ouvrage « Les nouveaux utopistes du développement durable »548, c’est qu’en effet la notion d’utopie est présente, et à plus d’un titre, dans une réflexion sur la ville durable. L’écologie urbaine, une vision éco-systémique du territoire, demande que la société et son système socio-économique soient repensés dans leur entier ; car chaque action est liée à une autre et engendre ainsi son lot de retentissements à toutes les échelles de la vie terrestre et peut-être même universelle. Faire ce travail de réadaptation en chaîne, conformément à la donne écologique, comme la fabrication d’un nouvel idéal, d’une nouvelle harmonie Homme/Nature, nous renvoie de suite aux utopistes qui, depuis Thomas More549 jusqu’aux chefs de file du mouvement New-Age, n’ont cessé de germiner, d’écrire, et d’expérimenter de nouveaux modes de vie. Les textes utopiques toujours tant politiques qu’urbanistiques, idéologiques que pratiques, cherchent à percer, dans sa plus grande concrétude, la vérité du meilleur des possibles du vivre-ensemble. « L’Utopie : pays imaginaire où un gouvernement idéal règne sur un peuple heureux. »550 L’utopie fait rêver. Elle nous projette dans un univers au-delà de tout conflit, dans l’entente recherchée entre les hommes, et entre les hommes et la nature. Elle fait état de la cité parfaite, de la cité du bonheur. Elle figure le lien en lequel les hommes auraient assez d’amour pour ne faire de leur union qu’une construction digne et élevée. Dans ce cadre, la beauté ne peut que transcender le projet politique. Ainsi l’utopie attire à elle. L’utopie, c’est le moment où « le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. »551 C’est ce moment aussi où le sujet en vient à « démontrer qu’il n’y a pas d’Autre qui contreviendrait à sa capacité d’acte et entre les mains duquel remettre sa responsabilité de sujet »552. L’utopie, c’est la passe. Pourtant, le mot utopie, nous dit Thierry Paquot, dans son ouvrage « Utopies et utopistes », « (…) depuis cinq siècles, possède, telle une médaille, deux faces : l’une positive – le projet d’une nouvelle société plus juste, plus fraternelle, plus généreuse et 548 Les nouveaux utopistes du développement durable, sous la direction d’Anne-Marie DUCROUX, Collection Mutations, Editions Autrement, Paris, 2002. 549 Thomas More, né en 1478, mort en 1535, canonisé en 1935, homme politique, humaniste et juriste, est le premier écrivain utopiste avec son ouvrage L’Utopie (1516). A lire Thomas MORE, L’Utopie, Collection Librio Philosophie, Editions Librio, Paris, 2003. 550 Définition tirée du Dictionnaire Le Petit Robert de la Langue Française, édition 2005. 551 MARX, in Marie-Jean SAURET, Psychanalyse et politique. Huit questions de la psychanalyse en politique, op. cit., p. 72. 552 Marie-Jean SAURET, idem, p. 72
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libératrice – et l’autre négative – un projet contraignant, totalitaire, irréfléchi, inconséquent, peu sérieux… ».553 Positive ou négative ? La relation à l’utopie, faite d’amour et de haine, d’adhésion et de rejet, est ambiguë, en cela que les idées qu’elle véhicule, viennent toujours à déstabiliser nos vies. Elle dérange nos affects. Elle met à sac le monde de nos représentations. L’utopie nous dit : « Il y a une alternative. Ayez le courage de changer et cela vous sera rendu au centuple ! » L’utopie, c’est un espoir, une promesse… rarement tenue. Elle fait croire à la perfection. Elle fascine, elle envoûte, elle hypnotise. Elle « embobine », car le monde n’est pas parfait et ne le sera sans doute jamais. C’est du fait de cette déception que l’homme va développer vis-à-vis d’elle ce sentiment de mépris, que nous connaissons bien, et qui apparaît si souvent au détour de tant de conversations politiques. Nous préférons en effet ne pas croire en notre désir, si fort soit-il, de crainte de nous risquer aux déboires de la déception, de crainte de buter sur le roc de la castration. Le choix du rien, de ne rien attendre, de ne pas s’exposer, est souvent le choix veule de la toute-puissance. N’être rien, pour être tout… en secret. L’utopie apparaît ainsi comme ce qui nous travaille au quotidien, et particulièrement dans nos sociétés progressistes ; ce possible que toujours il nous est offert de saisir. L’utopie, c’est une théorie, une thèse, un modèle. Elle donne un cadre à notre jugement, et nous permet de prendre position sur le plan moral. 554 En cela, nous ne pouvons vivre sans utopie en Occident comme ailleurs, le fait religieux en étant peut-être la plus belle preuve ; de même que nous la craignons tant elle peut aussi, comme un « miroir aux alouettes », nous mener à notre perte, quand nous perdons pied. C’est une représentation essentielle et dangereuse, puisqu’elle est une des formes de l’idéal. Thierry Paquot, dans ce même ouvrage, nous fait part de la définition de Pierre Larousse qui renvoie la notion d’utopie à celle d’idéal : « le mot idéal », nous dit-il « pris dans le sens le plus général, est synonyme de fictif ou d’imaginaire, et il s’applique à tous les objets qui n’ont pas d’existence hors de l’esprit qui les conçoit. L’idéal s’identifie pour une part avec le possible (…) ; si tout idéal n’est pas nécessairement possible, le simple fait de le penser dote l’esprit d’une « conscience morale » (…), ainsi la conception de l’idéal est nécessaire au progrès ».555Jean-Yves Lacroix donne lui une définition du Littré. On appelle utopiste celui qui « prend ses rêves pour des réalités » ; et l’auteur ajoute : « le 553
Thierry PAQUOT, Utopies et utopistes, Collection Repères, Editions de La Découverte, Paris, 2007, p. 9. 554 Un des projets de cette thèse a justement été celui d’élaborer l’utopie durable sous forme de modèle, afin de passer en revue, à savoir dans une perspective comparatiste, un réel perçu comme disharmonieux. 555 Thierry PAQUOT, op. cit., p. 9.
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mot est dépréciatif, et il est fréquemment utilisé pour condamner ou discréditer un projet politique, par exemple. Il n’est pourtant pas sévèrement péjoratif. Une utopie, c’est une chimère, un projet irréalisable, une des formes de la déraison. Tout comme le machiavélique agit sans scrupule, l’utopiste est irréaliste. Tel le Socrate d’Aristophane, il s’élève mais dans les nues. »556 Alors quoi ? L’homme n’est pas parfait, mais il est perfectible. L’utopie est déraison, mais sans elle, aucun guide, aucun sens moral. L’interprétation se complique quand on en vient à questionner cette notion au filtre du temps. En effet, ce qui n’était qu’utopie à une époque a pu devenir norme à une autre. Pourquoi est-on si réticent à l’approche de cette notion à laquelle on doit tant, pour l’irréel ou le « non encore réel » qu’elle suggère ? D’abord, l’utopie est souvent le fruit de la pensée solitaire d’un esthète. Elle est une projection d’un seul sur une multitude. Elle ne construit pas avec, mais sur. En cela, l’utopiste, souvent humaniste, doté en apparence des meilleurs intentions, s’inscrit dans un registre politique précisément antidémocratique du fait que la loi ne s’élabore pas à partir du débat mais du désir intime, personnel. Avec l’utopie apparaît en filigrane le dogme, et disparaît la négociation, si même la négociation n’est pas devenue le dogme. La vie est de fait confisquée au groupe, puisque la vérité ne passe pas par lui ici et maintenant, dans une réalisation consciente, dans un accomplissement civilisationnel, mais par un ensemble de déterminations projectives et narcissiques, et par là forcément décalées ; comme si l’utopiste se confondait avec le monde. En utopie, nous ne pouvons alors plus faire avec ce que nous sommes, mais contre, ou à l’insu de ce que nous sommes, ce qui revient au même. C’est peut-être la plus grande erreur de l’utopiste qui préfère souvent le rêve à la réalité, l’idée à la personne, la romance à la vie. En cela, il vole, il soustrait l’individu à sa destinée, à lui-même. Il extirpe au sein de la relation la magie de l’union, née de l’interdépendance des attitudes et des intentions : le propre du vivant. Le surmoi domine ; l’utopie devient morbide et angoissante. Maintes expériences communautaires ont connu ces tensions et n’en sont souvent pas revenues. C’est d’autant plus vrai que les utopistes, dans leur réflexion, ont donné une place importante à l’éducation. « L’éducation est une des composantes essentielles des utopies : vouloir créer un homme nouveau, vouloir décrire un monde heureux suppose une éducation de qualité, différente radicalement des modèles existants. » , nous dit Anne556
Jean-Yves LACROIX, L’utopie, Editions Bordas, Paris, 1994, p. 5.
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Marie Drouin-Hans.557 Et c’est bien parce qu’elle s’impose dans la sphère familiale et qu’elle fait exploser l’autorité parentale qu’elle est la cible de tant de critiques. Dans sa vision totale, elle ne dissocie souvent pas le politique du domestique, le public du privé. Toute affaire est ainsi comprise comme publique, invitant l’intimité au dévoilement et par là les mises au pilori. L’utopie devient disgracieuse, et source de violence. L’utopie refoule la vie, parce qu’elle refoule le mal plus qu’elle ne le condamne. Elle s’en défend en le contenant ; comme si on pouvait lui échapper, comme s’il était extérieur à nous et que de solides fortifications pouvaient nous en protéger. 558 Nombreux sont les récits utopiques qui décrivent des Cités-Etat isolées par des murs épais ou par de vastes étendues d’eau. L’île en est l’archétype le plus démonstratif. Le mal ? La guérison, c’est de lui faire face, parce que tout simplement il se loge à l’intérieur. Le mal559 s’inscrit dans la différence. La différence, c’est le mal, la névrose. Freud nous l’explique fort bien au terme de son ouvrage « Malaise dans la culture »560. Toute culture est une forme de névrose collective qui s’affiche selon les cadres politiques, sociaux et culturels. Chaque culture a sa forme névrotique ; raison pour laquelle peut-être nous y sommes tant attachés. Refouler le mal, c’est ainsi refouler la culture. La culture comme forme de résistance. Une société juste, née de l’accomplissement d’une humanité profonde et par là universelle, est ainsi une société sans culture, sans identité, sans différence : une société de l’uniformité. L’urbanisme et l’architecture utopiques561 trahissent cet attrait pour le même. « L’île compte cinquante-quatre cités, raconte Raphaël Hythlodée 562, toutes vastes et magnifiques : langue, mœurs, institutions, lois sont partout identiques. Toutes ont même configuration et partout, dans la mesure où le site le permet, même apparence. La distance qui sépare les villes les plus proches les unes des autres (donc la même) est de vingtquatre milles ; mais aucune n’est tellement isolée qu’on ne puisse s’y rendre en une seule 557
Thierry PAQUOT, op. cit., p. 54. Pour Cabet, la ville idéale ne comporte « pas d’estaminets, de prostitués, de jeux de hasard. », in Thierry PAQUOT, idem, p. 87. 559 A lire notamment Paul RICOEUR, Le mal. Un défi à la philosophie et à la théologie, hors collection, Editions Labor & Fides, Paris, 2004. 560 Sigmund FREUD, Malaise dans la culture, Collection Quadrige Grands textes, Les Presses Universitaires de France, Paris, 2004. 561 Termes que Thierry Paquot refuse. Pour lui en effet, « (…) il paraît totalement erroné de qualifier une architecture ou un urbanisme d’utopique (…) », du fait que la ville et l’habitation ne sont que peu « sollicitées comme éléments actifs de la transformation sociétale. », in Thierry PAQUOT, op. cit., p.73 ; ce qui n’est pas le cas de Micheline Hugues. A lire l’ouvrage de Micheline HUGUES, L’Utopie, Collection 128, Editions Nathan/HER, Paris, 1999. 562 Thomas MORE, L’Utopie, op. cit. 558
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journée de marche »563. La ville dont rêve Fourier « contient autant de pleins que de vides, pour chaque construction il prévoit une surface égale réservée au jardin ».564 Dans la description de l’architecture utopique de Micheline Hugues, les maisons où vivent les utopiens sont toutes semblables.565 Ainsi dans le récit utopique, le même préside quand l’autre manque affreusement. Le projet utopique s’assimile dans cette mesure facilement aux expériences de l’urbanisme moderne d’un Le Corbusier avec son unité d’habitations de Pessac, ou d’un Auguste Perret, avec la reconstruction de la ville du Havre, architectures très uniformes imposant à différentes échelles du territoire un modèle esthétique très spécifique. Des hommes qui pensent sur et non avec, qui développent souvent une vision verticale (c'està-dire une vision en plan) au détriment d’une vision horizontale du paysage urbain. Mais ces architectes-urbanistes, peuvent-ils véritablement être comptés parmi les utopistes même s’ils se sont souvent livrés à l’exercice du manifeste ? On peut se poser la question. Thierry Paquot ne le pense pas effectivement. Pour lui, « l’architecte et l’urbaniste ont trop souvent pensé au bonheur de tous, imposant à chacun des normes et des standards qui ne correspondent à personne, sans jamais se préoccuper du sens même du mot « bonheur » et encore moins de celui du mot « utopie » ; et plus loin il ajoute « il serait temps d’y revenir. Avec simplicité et amour. ».566
L’utopie est-elle si néfaste à la vie urbaine, et le modèle à l’exercice architectural ? La solution est peut-être d’employer ces deux termes davantage au pluriel et moins au singulier. Le développement durable, l’écologie urbaine, nouvelle « écotopie »567, pourrait à l’occasion engendrer, selon les géographies, une diversité architecturale cohérente et viable. On a tout simplement depuis toujours construit notre habitat, en positionnant, autant que possible, les façades principales au sud. L’utilisation des matériaux du terroir était de rigueur. Il n’est pour autant en aucune manière question de traiter cette architecture vernaculaire d’uniforme. Si même il faudrait, après l’avoir bien critiqué, reprendre en partie le modèle fonctionnel au compte des nouvelles prérogatives écologiques.568 Si même on devrait repenser les bassins de vie dans leur globalité et 563
Thierry PAQUOT, op. cit., p.74. Thierry PAQUOT, idem, p. 80. 565 Michelin HUGUES, op. cit., p. 42. 566 Thierry PAQUOT, op. cit., p. 96. 567 Terme utilisé par Thierry PAQUOT, idem, p. 108. 568 « On pourrait dire que contrairement au modèle urbain rigide des années 70, il faudrait aujourd’hui consciemment travailler des modèles variés reposant sur des montages culturels et économiques 564
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construire des cohérences entre les différentes échelles territoriales569, on se doit aussi de pourfendre les diabolisations des modèles urbains de la ville planifiée. Cessons donc d’adopter des positions craintives ! Mes interlocuteurs, architectes, urbanistes, comme « traumatisés » par l’expérience moderne, me l’ont à plusieurs reprises signalé. En effet, bien qu’ils gardent pour certains une vue d’ensemble sur la problématique urbaine, pour autant ils préfèrent néanmoins les concepts aujourd’hui à la mode : de sédimentation urbaine, de fragmentation, de renouvellement de la ville sur elle-même, de complexité urbaine relevant d’une multiplicité des acteurs et des points de vue.570 J’aurais tendance à ajouter que cette profession, pour la connaître bien puisque j’y appartiens, vouerait aujourd’hui peut-être davantage un amour pour le désordre, l’aléatoire, le rugueux, gage du mouvement et de l’inscription poétique car individualisée des cultures au sein du paysage urbain. Les opérations des années 60, la forme des villes maîtrisées, l’uniformisation esthétique moderne, telles l’exemple des villes de l’est européen sous le régime des soviets, sont les garde-fous de velléités globales, pour ne pas dire totales, voire totalisantes et totalitaires. Il s’agirait peut-être pour cette profession de faire la part des choses, de faire cesser les diabolisations, d’aller voir « ce qui marche » sur le terrain. Brasilia, modélisée par Niemeyer, fait la fierté de ses habitants. On se bat à Rezé près de Nantes pour habiter la ville verticale ou cité radieuse de Le Corbusier. L’utopie n’est pas réalisable ou irréalisable. Elle n’est faite que des possibles qui s’accrochent ou au contraire glissent sur la réalité historique qui l’accueille, ou ne retient rien d’elle.571 La rencontre se fait ou ne se fait pas. Aussi, plus qu’une totalité qui
contemporains. Par exemple, c’est la politique A, B, C des Pays-Bas qui partage l’espace urbain en zones spécialisées en type de desserte. Ceci est transposable en France par la création de multipolarités (zone A) avec forte densité et bonne desserte par les transports collectifs, et enfin des zones de relative faible densité qui organiseraient les espaces les plus éloignés en recherchant à les densifier, les desservir, et à y incorporer des espaces de loisirs. », in Marc SAUVEZ, La ville et l’enjeu du développement durable, Rapport au ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, Collection des rapports officiels, Editions La documentation française, Paris, 2001, p. 222. 569 Voir notamment les travaux de Thérèse SAINT-JULIEN, Nadine CATTAN, Sandrine BERROIR, CNRS, Equipe Paris, CNRS URA 1243 Université de Paris I, La structuration des territoires de la ville, entre agglomération et aire polarisée ; programme de recherche du MATE 1992-1999. 570 Voir par exemple à ce sujet les ouvrages : Projet urbain, ménager les gens, aménager la ville, sous la direction de Jean-Yves TOUSSAINT et Monique ZIMMERMANN, collection Architecture + recherches, Editions Pierre Mardaga, Sprimont (Belgique), 1998 ; David MANGIN et Philippe PANERAI, Projet urbain, op. cit.. 571 Sur ces notions foucaldiennes que des historiens et anthropologues comme Sophie Wahnich par exemple (EHESS - LAIOS), peuvent reprendre, voir notamment l’ouvrage de Mathieu POTTE-BONNEVILLE, Michel Foucault, l’inquiétude de l’histoire, Collection Quadrige, Les Presses Universitaires de France, Paris, 2004.
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s’accomplit, elle ne prend sens que dans la trajectoire qu’elle dessine. « La trajectoire appartient à l’utopie comme l’itinéraire au voyageur. »572
4. Communier ou échanger ? Le sens de la liberté Ainsi, aujourd’hui en France, dans les milieux politiques et ailleurs, et malgré l’enjeu écologique qui exige de trouver des solutions déterminées, comme on vient de le voir, on se méfie du modèle comme de l’utopie. Au modèle, on préfère la règle. 573 Plus implicite, elle masque les attentes des politiques publiques. Faire croire à la liberté du citoyen dans un ensemble cadré alors que le chemin est balisé par la loi, passerait mieux auprès de la société civile, qui se sentirait ainsi plus libre. Il n’y aurait donc plus dans les esprits, en tous cas de moins en moins, l’idée d’un projet commun, d’une construction collective née du débat au sens de démocratie, mais un cadre fait de règlements isolés les uns des autres, c'est-à-dire privé de relation formalisant une logique globale, des règlements répondant partiellement, c'est-à-dire partie par partie aux enjeux socioéconomiques. Pourquoi ? Sans doute parce que l’idée de globalité renvoie à l’idée de totalité et qu’au cours du XXème siècle, comme on vient de l’évoquer, on a appris à la craindre574, allant même jusqu’à lui préférer le chaos. Aussi, et pour ces raisons en partie, parce que la philosophie libérale l’emporterait désormais. Le choix individuel, singulier, partiel, prévaudrait de fait au-delà de toute symbolique figée, de toute idéologie, de toute morale, de toute autorité, mis à part celle de la loi, seule garante de sa viabilité. Le libéral oublie souvent que le libéralisme est également une idéologie et qu’en cela, il est aussi écrasant pour la liberté individuelle puisqu’il contraint à sa propre forme et nie le sujet dans son désir d’exister.
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Thierry PAQUOT, op. cit., p. 12. A lire notamment l’ouvrage de Françoise CHOAY, La règle et le modèle, Collection Philosophie générale, Editions du Seuil, Paris, 1998. 574 C’est l’opinion de Jean-Pierre LE GOFF, voir notamment son chapitre intitulé « La crise de l’engagement », dans son ouvrage : Mai 68, l’héritage impossible, Collection Cahiers libres, Editions de La Découverte & Syros, Paris, 1998. C’est aussi l’opinion de Charles Taylor : « Je soutiens que c’est la crainte de la menace totalitaire qui a conduit à abandonner ce terrain à l’ennemi. », in Charles TAYLOR, La liberté des Modernes, Collection Philosophie morale, Les Presses Universitaires de France, Paris, 1999, p. 261. 573
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Le choix individuel est monolithique Par définition, le choix individuel ne se divise pas, il ne s’hybride pas. Il résulte avant tout, avec la liberté (dans sa conception la plus commune), d’un constat : celui qu’aucune domination ne contraint ma personne, ni en termes pratiques, ni en termes symboliques. Ainsi la liberté de pensée est peut-être la première idée libérale qui soit. De même, le libéralisme résiste aux formes dogmatiques d’une pensée sur le politique. C’est précisément une idéologie moderne puisqu’elle se détermine en opposition avec l’idée de tradition ; raison pour laquelle peut-être elle est si séduisante car les conceptions qui découlent d’elle ne cessent de se renouveler, en cela qu’elles sont authentiquement portées par des subjectivités désinhibées, vivantes et mouvantes. Le libéralisme, dans l’espace élargi qu’il déploie au bénéfice de l’individu, comme un tapis rouge en l’honneur de chaque ego, détrône par là toute forme politique et idéologique, la tolérance demeurant une des composantes les plus importantes de la posture libérale. Mais si refuser le dogme est une chose, nier la vérité en est une autre. Dans le sillage libéral voguent souvent des idéaux nihilistes, individualistes et libertaristes qui se nourrissent d’un désintérêt profond pour la vérité comme dispositif témoignant des possibilités de vivre-ensemble, au bénéfice du doute. Ici et là il est vrai, on se tue à répéter avec vertige et jouissance, comme il en a été question dans le chapitre précédent, qu’il n’y a pas de vérité ; autant s’écrier qu’il n’y a plus de projet démocratique, mis à part celui d’un arbitrage des intérêts individuels ou « tyrannie de la majorité », selon la célèbre expression de Tocqueville. La vérité n’est pas une, définie une fois pour toute et répondant à chacune de nos problématiques.575 Elle prend tour à tour de nouvelles figures, et quand nous voulons l’utiliser sous forme de principes, alors elle nous fuit. Si même on croit la saisir, de suite elle nous échappe. Elle meurt. La vérité est éphémère comme tout ce qui est vivant parce qu’elle est multiple, paradoxale, et située, dans le temps et dans l’espace, immanente576. Au demeurant, le simple fait qu’elle réside au cœur de nos pensées sous forme de 575
Une légende indienne compare la vérité à un éléphant dans la nuit. Elle raconte que nous séjournons dans l’existence comme dans le noir. Nous n’y voyons pas grand-chose et pourtant nous parvenons toujours, qui que nous soyons, à saisir un membre de l’ « éléphant-vérité ». L’un va attraper la patte avant gauche, l’autre la trompe, le dernier la queue. Personne ne parlera de la même chose. Chacun sera déstabilisé par de telles différences de discours sur ce qu’il aura découvert, et chacun aura tendance à chercher querelle à l’autre du fait de ce désaccord, et tentera parfois de convaincre ce dernier. Et pourtant chacun aura saisi une part de vérité. Il n’y a que dans l’échange que l’on pourra reconstituer l’ « éléphant-vérité » et finalement avoir une idée sur ce à quoi il ressemble. 576 Sur ces notions, lire le chapitre « Le plan d’immanence », in Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Qu’est-ce que la Philosophie ?, Collection « Critique », Les Editions de Minuit, Paris, 1991.
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préoccupation quotidienne et de recherche collective lui confère, à la manière de l’utopie, le statut de tiers. « Ni Dieu, ni maître », mais de grâce pourrait-on ajouter : « Epargnez donc la vérité car sans elle, la communauté ne fait sens ». La vérité, c’est le médium, le seul espace de communication, voire de communion, qui nous est donné pour rencontrer l’autre, l’étranger. Nous ne pouvons nous aimer, au sens d’agapè, que dans la vérité577 ; c’est l’universel qui nous fait humain. Hannah Arendt, dans La crise de la culture578, explique fort bien qu’en évinçant la notion de vérité, c’est toute la parole de l’adulte que l’on disqualifie sur la place publique et par là le savoir, au profit d’un pédagogisme libéral ; détruisant ainsi les conditions nécessaires au développement des enfants.579
La vérité mise au ban, reste l’échange. Communier ou échanger ? Là est peut-être la question politique par excellence. Avec le libéralisme et cette disparition de la valeur vérité, les individus sont amenés à ne plus faire qu’échanger entre eux. Le marché devient l’espace-maître. Dans cet ordre d’idées, le marché, précisément pour continuer à remplir son rôle, doit aussi obéir à des règles.580 Il est en définitive un espace réglementé et contractuel. Le projet démocratique se résume dans cette logique à un ensemble de procédures et de règles de droit, se réduisant au formalisme le plus fonctionnel et le plus mortifère peut-être ; le droit non la morale ou l’intelligence humaine, devenu seule référence pour ordonner les rapports sociaux, et ce au nom de la liberté. S’entretiennent ainsi des formes de relations perverses entre les individus et les groupes sociaux, puisqu’ en définitive chaque partie en est venue à se jouer des règles de droit pour mieux les abuser, pour mieux s’en arranger. La perversion est un déni. C’est un savoir qui ne s’assume pas. Autrement dit : « La morale n’est pas à ma convenance. Je choisis donc le contrat additionné du droit. Je choisis une forme d’économie symbolique capable de dépasser les notions de juste et 577
Voir à ce sujet l’ouvrage de Catherine BENSAID et de Jean-Yves LELOUP, Qui aime quand je t’aime ? De l’amour qui souffre à l’amour qui s’offre, Editions Albin Michel, Paris, 2005. 578 Ouvrage déjà cité : Hannah ARENDT, La crise de la culture, Collection Folio Essais, Editions Gallimard, Paris, 1989. 579
« Il nous faut relire Rousseau, dont l’Emile vient nous rappeler deux choses. D’abord que la vérité de tout apprentissage ne se confond pas avec celui des compétences, des conduites, des valeurs, mais réside dans l’apprentissage de soi parce qu’être homme, c’est apprendre à le devenir. Autrement dit, par le truchement de nos maîtres, nous apprenons à devenir autres que ce que nous sommes non comme une aliénation, une perte d’originalité foncière, mais comme une chance. », in Pierre AUREGAN dans son article « Quelle vérité enseigner aujourd’hui à l’école ? », dans l’ouvrage De la Vérité en ethnologie, Séminaire de Jean Malaurie, 2000-2001, Collection Polaires, Editions Economica, Paris, 2002, pp. 287-300. 580 Sur ces notions lire l’ouvrage de Monique CANTO-SPERBER, Les règles de la liberté. Les idées libérales sont l’avenir du socialisme, Collection Omnibus, Editions Plon, Paris, 2003.
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d’injuste pour manipuler à ma guise ce qui devrait être de l’ordre du réel et de la loi ». Le pervers ne reconnaît pas que l’objet du désir maternel appartient à un autre espace que le sien, un espace dont il est précisément exclu. Il préserve ainsi son illusion narcissique, sa mégalomanie, comme il refuse toute triangulation. « (…) si c’est lui dont sa mère fait son tout, il ne faut pas qu’elle désire le père. C’est dire qu’il refuse un grand Autre qui serait l’objet du désir de la mère et, par la même occasion, qu’il rejette la loi qu’il donne. Le pervers, en ce sens, refuse toute filiation et ne reconnaît les lois que pour avoir le plaisir de les transgresser : pour le libéral, l’héritage du passé est « has been », et l’Etat le persécute. Car il y a une loi au-dessus des lois, c’est celle de sa jouissance. En ce sens, le pervers cherche à se poser comme un dieu sur terre, selon la logique du narcissisme primaire ; soit, en langage d’entreprise, la logique du monopole. »581 Aussi, pour le libéral, la vérité, c’est qu’il n’y en a pas. La vérité, c’est le « désir qui fait force de loi », loi de la nature, comme le prônent Quesnay, Adam Smith, ou bien plus tard Hayek.582 En effet, comme le souligne Jean-Claude Liaudet, le libéral est scientiste, il croit au déterminisme absolu, dont il se sert. Il fait de l’économie psychique, au sens de Freud583, l’unique filtre d’analyse donnant lieu aux représentations qui structurent notre rapport au monde. Cette posture totalement égocentrée est à l’origine des organisations comptables des choses et des êtres, car l’autre n’existe pas au-delà du fairevaloir ou de la plus-value qu’il recouvre, et c’est même pour cela qu’il est reconnu. La posture est celle du chef d’entreprise qui se saisit de toutes les opportunités, en perpétuel recherche de profit et rapport d’échange. Le contrat est censé préciser l’ensemble des droits et devoirs qui lui sont adressés et à ceux qui signent avec lui, participant de la ronde des plaisirs échangés. Jean-Claude Liaudet compare ce type de contrat au contrat décrit par Sacher-Masoch, un type de rapport froid, sans empathie et absolument dénué de toute génitalité, d’où son caractère morbide. Dans la névrose libérale, on ne construit pas ensemble, mais on pousse l’idéal de liberté et de détachement à son paroxysme. C’est la philosophie de « l’électron libre ». Le libéral nous dit : « Je n’ai pas besoin de toi. Je suis riche de ce que je suis et je possède ce que je suis, et te pose comme égal à moi, à savoir dans les mêmes possibilités d’échange, c'est-à-dire indépendant et responsable (peu 581 Jean-Claude LIAUDET, L’impasse narcissique du libéralisme, Collection Climat, Editions Flammarion, Paris, 2007, p. 178. 582 Sur Smith, Quesnay ou Hayek, on pourra consulter les ouvrages de Louis DUMONT, Homo Aequalis : Tome I, Genèse et épanouissement de l’idéologie économique, Collection Tel, Editions Gallimard, Paris, 2008 ; ou celui de Pierre MANENT, Les libéraux, Collection Tel, Editions Gallimard, Paris, 2001. 583 Cette notion d’économie est définie par le rapport entre coût et avantage que nous avons tendance à établir avant de procéder à un choix, notion définie dans l’ouvrage de Sigmund FREUD, Abrégé de psychanalyse, Collection Bibliothèque de psychanalyse, Les Presses Universitaires de France, Paris, 2001.
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importe la situation sociale dans laquelle tu te trouves). Et je considère cela comme un fait, une fatalité ». C’est le sens du respect et de l’égalité dans l’optique libérale.584 « Stratégie perverse », s’exclame Jean-Claude Liaudet, (…) « le sadique fait accepter son désir comme une fatalité, il fait du masochisme de sa victime une loi naturelle.».585 L’exploitation des moyens de production et l’asservissement des hommes sont choses de la nature. Et à la nature comme à son propre destin, personne ne peut se refuser ; destin qui n’est d’aucune manière entendu comme chose collective mais par essence individuelle et individuellement assumée.586Dans cette logique, le libéral demande à son adversaire de devenir son partenaire, soit : dans cette confusion des genres, que la violence physique ou symbolique soit librement consentie. « Ni bien, ni mal, puisque de toute façon tu es d’accord ». C’est un jeu totalement sado-masochiste qui s’exerce au travers de cette économie pour laquelle, dans le libéralisme, il n’est plus de pouvoir très affiché, mais un système en réseaux : le marché.587 Plus de pyramide donc, avec base et sommet, mais un réseau d’acteurs, une interpénétration des échelles pour réaliser un ensemble matriciel invisible et disparate. Des têtes qui s’amalgament les unes les autres, si bien qu’on ne sait plus très bien lesquelles on doit couper ; à part peut-être celles qui « tirent de toute évidence les marrons du feu ». Le réseau est l’outil le plus adapté au projet libéral, puisqu’il n’a pas de sens, ni dans l’ordre des valeurs ni dans la manière dont le pouvoir est assumé.588 584 « (…) par la relation qu’il établit entre les choses, il (le commerce) se réfère à un critère d’objectivité par lequel les individus tout à coup s’égalisent. Ici rien ne compte de tous les avantages de la naissance ou du rang, du corps et même de l’esprit et le commerce, selon Montesquieu, est la profession des gens égaux. C’est l’égalité entre les marchandises échangées qui crée une sorte d’égalité entre ceux qui les échangent. Et c’est pour cela que la justice trouve sa première application, la plus simple et la plus évidente, dans le commerce. », in Louis LAVELLE, Traité des Valeurs. Tome II, Collection Dito, Les Presses Universitaires de France, Paris, 1955, p. 87. 585 Jean-Claude LIAUDET, op. cit., p. 179. 586 « ( …) Sade pousse l’idéal de la liberté à ses limites : personne, homme comme femme, ne devrait se dérober aux avances sexuelles de qui que ce soit, et le meurtre même devrait être toléré, puisqu’il n’est rien de moins naturel. », in Jean-Claude LIAUDET, idem, p. 180. 587 « Le nouveau conformisme a pour thèmes centraux l’affirmation d’une autonomie sans référent, érigée en un nouvel absolu, et son corollaire : le rejet ou la méfiance à l’égard du pouvoir, considéré comme la figure du mal et de l’oppression. Ils s’accompagnent du fantasme d’une société composée d’individus autonomes et créateurs, égaux quant à leurs compétences et leurs talents, société purement horizontale organisée en réseau dans la plus grande transparence, ignorant les frontières résorbant tout pouvoir et toute hiérarchie dans la dimension de la pure fonctionnalité. Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication vient alimenter ces fantasmes. », in Jean-Pierre LE GOFF, op. cit., p. 459. 588 Pierre Musso fait le rapport entre réseau et tissage et se sert de ces dernières notions pour analyser le phénomène politique. « Le politique, comme le tisserand, exerce une activité de surveillance pour assurer la combinaison des oppositions. Le tisserand commande et surveille tous ceux qui contribuent à la fabrication du tissu, « les suivant pas à pas » ; de même la politique « gardera elle-même le commandement et la surveillance », l’exercice du pouvoir pouvant être délégué et confié « aux hommes capables de servir ». Cette analogie platonicienne entre le tissage et la politique entendus comme activités de direction de l’entrelacement, est fondatrice. Elle traversera toute l’histoire du réseau-filet interprété comme moyen de
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Mais qu’est-ce qu’être libre en réalité ? Que recouvre cette notion, pourtant en apparence si claire dans nos esprits? Isaiah Berlin589 dissocie deux types de liberté. Il dissocie la liberté positive de la liberté négative. La notion de liberté est souvent associée à la notion de liberté négative en cela qu’elle suppose l’absence d’obstacle à la volonté du sujet ; l’absence de barrage à la multiplicité des choix. C’est une possibilité d’agir. C’est la possibilité qu’il m’est donné, égale à celle des autres, de réaliser une action. C’est une ouverture à l’alternative. La liberté « (…) suppose non seulement l’absence d’insatisfactions (ce qui peut s’obtenir en supprimant les désirs), mais l’absence d’obstacles à l’exercice du libre-arbitre ; absence d’obstacles sur les routes qu’un homme peut décider d’emprunter ».590 C’est donc un laisser-faire, une suppression des entraves qui est évoquée ici. Pour Isaiah Berlin, la liberté négative, ou liberté de choix, est l’essence même de la condition humaine, cette condition contrariante et parfois difficile à soutenir qui nous demande de faire des sacrifices, c’est-à-dire de nous soumettre à la dure nécessité du choix et de la discrimination pour entrer dans l’action591 : le choix comme confrontation à la frustration. Je te choisis pour époux ou pour épouse, et je reconnais l’autre, par la négative, comme exclu(e). Le choix, c’est la castration. « Il en résulte que l’idée même d’un monde idéal dans lequel aucune valeur ne serait jamais perdue ou sacrifiée, dans lequel tous les désirs rationnels (vertueux ou légitimes pour quelque autre raison) pourraient être satisfaits. Cette vision classique n’est pas seulement utopique, mais insoutenable ».592 Nous nous devons de trancher et perdre par là une part de notre liberté, une part des possibles. Ainsi pour Berlin : « Réduire les domaines où peut s’exercer la liberté de choix, c’est porter atteinte à l’essence même de l’homme. ».593 La liberté de provoquer son destin serait ainsi ce qui nous constitue en propre. Il peut par conséquent paraître légitime d’invoquer la loi de la nature ou celle de Dieu pour imposer à la société des hommes, des formes qui permettent cette autonomie. La liberté négative devient de fait un plaidoyer contre tout excès d’ingérence, tout excès de contrôle du pouvoir sur la société civile. En ce sens, elle représente une réaction aux despotismes, surveillance du social. Désormais, le tissage, le filet et le réseau ont une signification non seulement mythologique, mais aussi politico-sociale. », in Pierre MUSSO, Critique des réseaux, Collection La politique éclatée, Les Presses Universitaires de France, Paris, 2003, pp. 52-53. 589 Isaiah BERLIN, Eloge de la liberté, Collection Liberté de l’esprit, Editions Calmann-Lévy, Paris, 1994. 590 Isaiah BERLIN, idem, p. 37. 591 La notion de vita activa est notamment développée dans l’ouvrage d’Hannah ARENDT, La condition de l’homme moderne, Collection Agora, Editions Pocket, Paris, 2002. 592 Isaiah BERLIN, op. cit., p. 47. 593 Isaiah BERLIN, idem, p. 48.
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aux régimes fascisants, à l’intolérance. C’est une réponse individuelle et salvatrice à la barbarie collective, en cela qu’elle interroge la relation entre le sujet et l’instance mise au pouvoir, et qu’elle pose la question des limites du privé et du public, de l’intime, du cadre de gouvernabilité. « La liberté réelle est le désir d’être souverain, de s’autodéterminer à tout le moins de participer à la mise en place des conditions qui déterminent mon existence. Je désire que ma vie dépende de moi et non de forces extérieures : l’Etat, autrui, la nature. Je veux être autonome, être mon propre maître. »594 Dans ce cadre, les rapports sociaux sont à réinventer selon les situations et les individus. Ils ne sont plus de l’ordre du préconçu comme dans les sociétés traditionnelles. Ils sont le résultat d’une négociation, d’un commerce et se soldent souvent in fine par un jeu d’intérêts. « J’ai besoin de ce que tu as et tu as besoin de ce que je possède. Échangeons ! » La logique libérale serait marquée par le constat « d’un certain penchant naturel à tous les hommes (…) : c’est le penchant qui les porte à trafiquer, à faire des trocs et des échanges d’une chose pour une autre »595 - puisque nous nous complétons. Pour cette raison, l’État est prié d’intervenir le moins possible. Par conséquent, avec la liberté négative s’est institué la notion de propriété. Être libre, c’est disposer d’un domaine protégé où aucune autorité ne peut intervenir. La loi est garante de cette liberté. Ce domaine protégé comprend non seulement les objets matériels, mais la vie, le patrimoine de chaque individu. On collabore par là au respect de l’intégrité individuelle. Être libre serait en somme être en droit de disposer d’un capital. Et cette dernière notion peut être entendue en son sens le plus large, à savoir l’ensemble des biens que l’on possède et que l’on peut faire valoir. Poussée à l’extrême, « je suis donc en droit de tout échanger à ma guise, jusqu’à mon corps ou mes enfants ». « Que les parents ne soient pas obligés de s’occuper de leur enfants ne pose aucun problème puisque dans une société anarcho-capitaliste, il existe un marché libre des bébés, permettant aux parents de les vendre en adoption. Grâce à ce marché, on réduirait les cas d’abandon et on ferait baisser le prix des bébés ».596 Chaque individu aurait donc un capital qui lui serait attribué par la nature (ou qu’il serait amené à développer) en vue de l’échanger avec les membres de son groupe ou d’autres groupes. Ce serait le sens de l’activité humaine par excellence. Certains rajouteraient qu’ainsi l’échange est seul capable d’engendrer le sentiment de dignité chez 594
Isaiah BERLIN, ibidem, p.114. Jean-Claude ST-ONGE, L’imposture néolibérale. Marché liberté et justice sociale, Les éditions Ecosociétés, Montréal, 2000, p. 138. 596 Jean-Claude ST-ONGE, idem, p. 38.
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une personne. « Je suis digne, puisque capable d’échanger ma force de travail, mon capital, avec celui des autres. Digne et libre. » Hayek « soutient que les entreprises (…) ont un pouvoir sur les choses, mais pas sur les hommes ».597 En ce sens, la concurrence, comme une rivalité entre des droits distincts, une mise en valeur individuelle à l’échelle de la société, assure cette fonction d’octroi de la dignité. A chacun selon ce qu’il mérite car « la concurrence est toujours un processus dans lequel un petit nombre oblige indirectement un plus grand nombre de gens à faire quelque chose qui leur déplaît ».598 La liberté devient relative. C’est pourquoi ces libertés formelles : libertés économiques (droits de contracter, liberté d’entreprendre), libertés personnelles (liberté de culte, de mouvement et d’expression), libertés politiques (droit d’élire et d’être élu), comme des possibilités, sont réduites à leur statut précisément aléatoire. Et c’est là que « le bas blesse », car avoir la possibilité ou le droit de choisir une voie ne donne pas les moyens de l’emprunter. Défendre le droit à la vie n’offre pas la possibilité de mener une existence digne d’un être humain, et le droit au bonheur n’a jamais permis d’être heureux. « Même la liberté d’expression est relative si je n’ai pas les moyens de me faire entendre ». La liberté comme un droit dédicacé aux fantasmes. Ainsi aujourd’hui en France, 75 % de la population déclare désirer accepter une augmentation du prix des objets de consommation, encore faut-il que cet effort embraye de réelles avancées sur le plan de l’écologie. En face de tant de bonne volonté, ne fussentelles qu’intentionnelles, la liberté collective n’est pas respectée. Ainsi, bien plus qu’une possibilité, la liberté est une question de pouvoir. Le pouvoir de vivre selon ses propres désirs. Le pouvoir de vivre selon le principe de réalité si cher à Sigmund Freud à défaut du principe de plaisir autour duquel la société d’aujourd’hui s’est organisée. On ne vous demande pas vraiment au quotidien ce que vous voudriez construire aujourd’hui, pour demain, pour vos enfants et les générations futures, mais plutôt de quoi vous avez envie ici et surtout maintenant.599 Mais revenons sur cette question de la dignité humaine. Aussi la capacité à échanger est-elle garante de la dignité dans la vie d’un homme ? N’est-elle pas une qualité 597
Jean-Claude ST-ONGE, ibidem, p. 108. Jean-Claude ST-ONGE, ibidem. 599 « Rien d’étonnant à ce que, sous la pression des possibilités de souffrance, les hommes n’aient cessé de modérer leur prétention au bonheur – tout comme le principe de plaisir lui-même, sous l’influence du monde extérieur, s’est bel et bien remodelé en ce principe plus modeste qu’est le principe de réalité – à ce qu’on s’estime déjà heureux de s’être sauvé du malheur, d’avoir échappé à la souffrance, à ce que, de façon tout à fait générale, la tâche de l’évitement de la souffrance repousse à l’arrière-plan celle du gain de plaisir. (…) Une satisfaction sans restriction de tous les besoins s’impose comme la façon la plus tentante de conduire sa vie, mais cela signifie mettre la jouissance avant la prudence et cela trouve sa punition après une brève pratique. », in Sigmund FREUD, op. cit. , pp. 19-20. 598
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relative non à un homme mais à l’humanité toute entière ? Chaque être humain mérite le respect en cela même qu’il est l’égal de son congénère au regard de Dieu ; ou alors la dignité humaine devient une affaire d’opinion. Digne ou pas d’être considéré, soigné, logé… ?600 Liberté et dignité ? Il a été prouvé au cours de l’histoire que cette liberté donnée aux loups ne les a pas rendus très « dignes » ; quand elle ne les a incités qu’à mener les agneaux à la mort. « Sauras-tu faire vivre ensemble le loup et l’agneau, demande le maître à son disciple ? »601 Le règne de la liberté individuelle, sans l’encadrement des préoccupations liées au sentiment solidaire et empathique, n’a pas mieux combiné les énergies qu’en exploitant depuis des siècles à outrance, hommes, femmes, enfants, vieillards. La liberté comme un droit, devient un droit à l’ignominie et à la supercherie. « (…) le droit des pauvres et des faibles à dépenser leur argent comme bon leur semble ou à poursuivre des études (…) n’était qu’odieux simulacre », nous dit Isaiah Berlin.602 Derrière la liberté négative donc, se cache un monstre. Contre ce monstre, lutte la liberté positive. A la liberté de poursuivre des objectifs délétères sur le plan de la conscience, s’oppose la liberté de s’élever. La liberté positive est cette liberté de développer les valeurs qui nous tiennent le plus à cœur, valeur d’amour et de paix.603 En cela la liberté positive ne s’exerce que dans le cadre des interrelations, de ce qui fait de nous une communauté, un groupe, un couple, une famille, ce qui contraint précisément notre liberté individuelle. La liberté positive, c’est la liberté de prendre ce chemin - le plus difficile - nous permettant de nous extraire du magma égotiste. C’est cette liberté d’être qui nous permet d’accéder à notre humanité profonde, inscrite dans notre capacité génitale à construire ensemble.
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« Le concept chrétien originel d’agapê est celui de l’amour que Dieu éprouve envers tous les êtres humains, qui répond de leur bonté en tant que créatures (bien que nous n’ayons pas décidé s’ils sont aimés parce qu’ils sont bons ou s’ils sont bons parce qu’ils sont aimés). Les êtres humains participent à cet amour par la grâce. Il y a une affirmation divine de la créature, que formule l’expression reprise au premier chapitre de la Genèse, à chaque étape de la création : « Et Dieu vit que cela était bon. » L’agapê est inséparable d’une telle façon de « voir que cela est bon ». », in Charles TAYLOR, Les sources du moi. La formation de l’identité moderne, traduit de l’anglais par Charlotte Melaçon, Collection La couleur des idées, Editions du Seuil, Paris, novembre 1998. 601 Au terme du long métrage Rencontres avec des hommes remarquables tiré de l’ouvrage du même nom, autobiographie de Georges Gurdieff, réalisation : Peter BROOK, scénario : Peter BROOK, Jeanne SALZMANN, et Georges GURDIEFF d’après son œuvre, Directeur de production : Roy GODDARD, avec pour comédiens : Dragan MAKSIMOVIC, Terence STAMP, Martin BENSON, durée : 108 mn, 1979, USA. 602 Isaiah BERLIN, op. cit., p. 44. 603 « Vous ne pouvez pas ne pas savoir que le seul but véritable de l’existence, qui comprend tous les autres buts, est de vivre le court laps de temps qui nous a envoyés dans ce monde. Et cette volonté ne désire qu’une chose : l’amour des hommes pour les hommes. », in Léon TOLSTOÏ, Ecrits politiques, Textes choisis, traduits du russe et présentés par Eric Lozowy, Collection Retrouvailles, Les Editions Ecosociété, Montréal, 2003, p. 142.
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Pour Kant, comme pour Platon, cette voie est une et une seule. « La nécessité d’effectuer des choix, de sacrifier certaines valeurs essentielles à d’autres, est une dimension inséparable de la condition humaine ; inutile de dire que cela sape toutes les doctrines pour lesquelles la liberté de choix est une valeur parce que c’est elle qui nous permet d’accéder à une existence parfaite, avec ce corollaire : lorsque cette perfection sera atteinte, la nécessité de choisir entre plusieurs options disparaîtra. Ainsi, dans la société parfaite, platonicienne, théocratique, jacobine ou communiste – où tout regain de désaccord ne peut être qu’un symptôme d’ignorance ou de vice, le fait de choisir devient superflu, au même titre que le système des partis ou le droit de voter contre les candidats du parti au pouvoir. »604 Seulement où sont les désirs résident souvent simultanément les projections, quand nous ne sommes pas prêts à assumer ce à quoi nous aspirons. On en vient ainsi à confondre théorie et pratique. Quand c’est le cas, la liberté positive, entraîne avec elle tous les fanatismes, le parti d’un monisme destructeur et sclérosant commun à tous les systèmes totalitaires. « Ceux qui attaquent la conception de la liberté positive ont souvent à l’esprit des théories gauchistes et totalitaires, selon lesquelles la liberté résiderait exclusivement dans le fait d’exercer un contrôle collectif sur notre destinée dans le cadre d’une société sans classes. »605 En cela, peut-être que la question de la liberté serait une mauvaise question. C’est ce que Charles Taylor insinue vraisemblablement dans son ouvrage La liberté des modernes. En effet, il y a quelque chose « qui ne tourne pas rond dans la liberté négative »606. Et d’une certaine manière, il répond à Berlin. En effet, la liberté conçue à la manière d’Hobbes, ou de Bentham, exclusivement « comme une absence d’obstacles extérieurs, physiques, légaux », (…) « cette conception se fait muette devant les obstacles moins évidents, plus subtils ou internes que sont le refoulement, le déni, le refus. De plus, elle ne dessine comme chemin de l’accomplissement du sujet que celui parcouru dans l’indépendance. Le sujet devrait être le seul à savoir si ses désirs sont authentiques, et être le seul à faire autorité sur lui-même. Nous savons pourtant bien que tous nos désirs ne sont pas authentiques et que certains même sont justement liés, par le jeu de l’inconscient, en prise avec Thanatos, à nous en éloigner ; ce qui, par le mépris de l’indépendance, ouvre la voie à la manipulation la plus terrifiante. C’est par conséquent cette même 604
Isaiah BERLIN, op. cit., p. 47. Charles TAYLOR, La liberté des modernes, Collection Philosophie morale, Les Presses Universitaires de France, Paris, 1999, p. 256. 605
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C’est le titre de son avant-dernier chapitre.
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relation qui met en tension le principe de plaisir avec celui de réalité. Charles Taylor parle lui de rapport d’importance entre le trivial et le suprême, et rend compte de ce que le sujet ne sait pas toujours se prononcer sur ce qui est de l’ordre du premier ou du second. « D’ailleurs, nous sommes bien obligés d’admettre la forme d’appréciation fausse que l’agent est lui-même en mesure de détecter, afin de rendre compte des cas où nous ressentons nos propres désirs comme des entraves. Comment pourrions-nous exclure par principe qu’il puisse se tromper profondément, c'est-à-dire avoir une conception entièrement erronée de ses propres finalités ? Qui peut dire qu’il n’existe pas d’individu de ce genre ? »607 En effet, nos objectifs les plus capitaux sont souvent sapés par nos propres désirs, chose que nous regrettons au plus profond de nous-mêmes, et que nous vivons comme une entrave certaine. L’être libre serait cet être « capable d’impulser un sens à sa vie et à l’histoire, grâce à une volonté puissante, il serait susceptible de vaincre toutes les déterminations au point de modifier l’univers, voire l’humanité. »608L’être libre serait donc avant toute chose le libre penseur, celui qui a su se préserver de l’idéologie, au sens où l’entendait Spinoza. Le concept de liberté ne peut en ces termes se réduire à un simple concept de possibilité.
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Charles TAYLOR, op. cit., p. 279. Michel BENASAZAG, Penser la liberté. La décision, le hasard et la situation, Collection Armillaire, Editions de La Découverte, Paris, 2002. 608
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5. Le piège économiciste Pourtant, dans la société moderne, il continue bon gré mal gré à être appréhendé comme tel. En effet, si dans les sociétés traditionnelles, la sphère symbolique est sacrée, dans les sociétés modernes, libérales, et laïque, elle est relative et temporaire. Dans les sociétés traditionnelles, la sphère symbolique ordonne faits et gestes selon le groupe, la caste, le sexe, l’âge, auquel nous appartenons. La pleine adhésion du sujet au rôle qu’il se voit attribué, sera le gage de sa communion avec le monde. Sa sphère est unitaire. Les valeurs ne sont pas discutées mais édictées. Elles connaissent leur hiérarchie propre et ne font pas l’objet de comparaisons car toutes coexistent dans un ensemble harmonieux. L’amour naît du sacrifice de l’ego pour la réalisation de soi et la réalisation de l'unité sociale. Dans la société libérale moderne donc, le champ des possibles est ouvert au sujet, ce qui lui demande de faire des choix. Ainsi le sujet se verra confronté à lui-même, à ses désirs, aux possibilités qui lui sont données, et à cette activité qui consiste à « peser le pour et le contre ». L’action politique découle de cette mise en comparaison et par là d'une recherche des équilibres. Le sujet, libre, ordonne le sens de ses priorités par l’attribution de valeurs au monde qui l’entoure. Sa sphère est plurielle. Ainsi, la valeur se définit à partir du désir individuel. La référence n’est plus le livre sacré, la parole des ancêtres, mais la jouissance comme élément fondamental et subjectif surtout de la vie d’un homme. Cette valeur, il peut l'échanger. En cela, elle devient transférable. C’est-à-dire qu’elle devient un objet de commerce. Le marché est l’espace qui assure par le transfert la valeur d’un objet et qui va définir son prix, c’est-à-dire le résultat de la rencontre entre une offre, un capital disponible, et une demande, portrait des préférences à un moment précis d’un groupe sur un espace déterminé à un moment donné. Ainsi, dans la société libérale, moderne, société de l’échange par excellence, nous sommes plus enclins à préférer qu’à aimer , puisque nous sommes incités à donner à chacune de nos activités et chacun de nos rapports un sens rapporté aux autres possibles. Nous sommes ainsi portés, pour choisir ou discriminer, à évaluer ce qui nous environne dans une position, de fait, relative et égocentrée. Nous sommes amenés à développer des comportements économicistes. Et ces comportements ne connaissent pas que des avantages ; car c’est eux, primo qui nous amènent à procéder à l'évaluation des biens environnementaux de manière parfois totalement aberrante, secundo qui nous incitent à utiliser des instruments
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économiques correctifs pas toujours performants, tertio qui nous invitent à faire la publicité de ce que nous avons à vendre, instaurant ainsi une confusion des valeurs, et qui en conclusion, ne nous offrent pas la vie dont on aurait pu rêver.
L'évaluation des biens environnementaux A l’heure donc, où la biosphère paraît ne plus promettre de nous octroyer les mêmes garanties de vie, et semble-t-il parce que nous surconsommons, nous sommes poussés à ne pas nous servir en matières premières sans souci aucun des déséquilibres écologiques ; nous sommes invités à définir un ensemble de priorités négociables avec la pérennité du monde vivant ; nous sommes en définitive sommés de procéder à l’évaluation des biens environnementaux. Et particulièrement parce que ces biens apparaissent comme gratuits, ils semblent ne pas avoir de valeur. Pourtant, et comme on reconnaît l’amour au bruit qu’il fait quand il claque la porte en sortant, on reconnaît la valeur de notre environnement au moment de sa disparition ; la valeur de l’environnement liée à sa dégradation. Du point de vue de la loi divine, on ne peut que s’incliner devant la mort et la finitude, au demeurant la loi des hommes commence à demander réparation. On demande réparation aux responsables, générant ainsi une évaluation économique des biens environnementaux pour assurer un transfert de valeurs, un transfert de ce qui était de l’ordre de l’utilité, des possibilités de production, de la possession (comme exclusivité), à ce qui est de l’ordre du commerce. Un transfert d'une valeur d’usage, d’existence, à une valeur d’échange, imposant la détermination d’un prix. Pour évaluer l'environnement, Philippe Bontems et Gilles Rotillon relèvent trois types de valeurs différentes : la valeur d’option, la valeur de legs, la valeur d’existence. Les deux premières valeurs sont des valeurs d’usage, distinguant ainsi ce qui relève d’un usage futur pour notre génération ou celle qui vient. « Enfin la valeur d’existence est attachée au maintien du bien indépendamment de ses usages présents ou futurs ».609 Si la valeur d’existence a trait à un objet qui ne peut s’échanger contre un autre, la valeur d’usage, a contrario, se commute en valeur d’échange du fait de la substitualité potentielle des objets auxquels elle est attachée, compte tenu que le même usage peut en 609
Philippe BONTEMS et Gilles ROTILLON, Economie de l’environnement, Collection Repères, Les Editions de La Découverte, Paris, 2001, p. 26.
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être fait. C’est à ce moment précis que le bien environnemental, de par sa valeur d’échange, peut s’assimiler à une marchandise. « La valeur d’échange d’une marchandise est représentée par son prix, qui permet de la convertir en d’autres marchandises. Le prix est fixé théoriquement par la loi de l’offre et de la demande, s’il n’intervient aucun artifice qui empêche la concurrence de jouer. Ainsi, il y a un prix des choses qui est l’effet des lois du marché ».610 Ce postulat amène à penser le concept de soutenabilité faible et de soutenabilité forte, par la possibilité ou le niveau de substitualité des différents biens environnementaux entre eux. On entre ainsi dans un monde d’équivalences qui permet de réaliser un certain nombre d'échanges.611 Les prises de décisions publiques dans le cadre de politiques environnementales, qu’elles soient de nature préventive, curative ou réparatrice, connaissent des référentiels permettant d’étalonner chacune des décisions prises d’un point de vue pécuniaire.612 On apprend par là à « mélanger torchons et serviettes », tout simplement parce qu’on peut en faire le même usage. La posture est ici, loin d'être ontologique, essentiellement instrumentale.613 La valeur d’existence est déterminée selon le prix qui serait à payer pour préserver concrètement le bien en question. Elle peut aussi être évaluée selon le consentement à payer des citoyens pour sa préservation. Quand il y a un écart trop grand entre ces deux valeurs, alors l'environnement, pour des questions de choix, de goût,
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Louis LAVELLE, op. cit., p. 97. « La soutenabilité faible étend le concept de capital à l’ensemble des actifs naturels et des services environnementaux, et suppose toujours un certain degré de substitualité entre ces différentes formes de capital. Ainsi les biens environnementaux ne méritent pas une attention particulière et le développement sera dit durable si l’on peut définir un stock de capital agrégé qui reste au minimum constant. Il est alors possible d’épuiser complètement une ressource naturelle si celle-ci est remplacée par davantage d’éducation (augmentation du capital humain), d’hôpitaux ou de biens marchands. Cette possibilité trouve son expression formelle dans la « règle d’Hartwick », qui stipule d’investir dans le capital produit (et/ou humain) le montant des profits tirés de l’exploitation des ressources naturelles. La soutenabilité forte refuse l’idée de la substitualité entre formes différentes de capital et soutient la nécessité de maintenir constants soit les stocks de capital naturel (Daly, 1992), soit seulement certain d’entre eux, le capital naturel « critique » (Turner, 1994). Dans le premier cas, est mise en avant une mesure physique du capital naturel à préserver, l’exclusion de toute valorisation monétaire, tandis que le second cas utilise l’évaluation monétaire pour définir les stocks. Enfin, il faut citer le courant de l’économie écologique, qui tente une synthèse entre les deux positions précédentes, tenant compte de critères à la fois physiques et économiques. », in Philippe BONTEMS et Gilles ROTILLON, op. cit., p. 100. 612 « (…) préventive (que faut-il faire pour empêcher la dégradation de la nappe phréatique d'Alsace?), curative (le coût de cette station d'épuration est-il acceptable en regard des bénéfices attendus?), ou réparatrice (quelle indemnisation pour ce dommage?). », in Philippe BONTEMS et Gilles ROTILLON, idem, p. 5. 613 A lire à ce sujet la deuxième partie intitulée : « L’environnement dans les décisions : place de l’évolution économique », de l’ouvrage de Michel COHEN DE LARA et Dominique DRON, Evaluation économique et environnement dans les décisions publiques, Collection des rapports officiels, Editions de La documentation française, Paris, 1997, pp. 87-215. 611
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d’opinion, de réputation ou de mode, ne connaîtra aucune action en vue de sa protection.614 Notre activité sur les territoires engendre des transformations sur les milieux : captation des ressources non renouvelables (confiscation pour les générations futures), pollutions générant métamorphoses des milieux, pertes en termes d'espèces vivantes : végétales, animales, etc. . Ces types d’attaques représentent des externalités, c’est-à-dire des situations où le choix d’un agent économique intervient sur un autre agent en dehors du marché, c’est-à-dire des contraintes qui ne rentrent pas dans le rapport entre l’offre et la demande ; d’une part parce que l’on ne fait que peu rentrer la dimension du temps sur le marché (le marché demeure peu soumis aux enjeux révélés par les bilans relatifs à l’état des ressources), d’autre part parce que l’on ne fait pas assez cas des pollutions engendrées alors qu’elles sont elles-mêmes à l’origine de coûts non négligeables sur un bon nombre de secteurs d’activités : coût social, par exemple. Le concept d’externalité est essentiel du fait qu’il ramène la valeur économique à un contexte global, voire planétaire, c'est-à-dire qu’il peut prendre en compte la dimension du temps, du territoire et du secteur d’activité.
Il y a différentes manières d’agir sur les externalités, selon notamment que l’on agisse dans la sphère publique ou que l’on agisse dans la sphère privée. 615 Pour ce qui est de l'action publique, on espère actuellement internaliser les externalités en les intégrant au marché. On a l'habitude de distinguer quatre grandes catégories d'instruments pour modifier les comportements des individus, comme on l'a déjà évoqué. Il y a ceux qui limitent par la réglementation : les instruments coercitifs. On réduit ainsi l’espace de mouvement de l'activité des agents économiques. Il y a les instruments infrastructurels. On fait pour le citoyen les choix qui vont organiser son mode de vie. Il y a les instruments persuasifs. On cherche à l'influencer dans ses prises de décision. Enfin il y a les instruments économiques incitatifs, qui au contraire, poussent le secteur privé à se 614
Le marché connaît ses artifices, en effet. « La valeur économique est encore instructive à un autre point de vue car elle rend possible une distinction entre des valeurs vraies et des valeurs fausses, c'est-à-dire faussées soit par une action frauduleuse de la volonté, comme le cours forcé ou une réclame abusive, soit par une perversion de la hiérarchie des besoins comme dans les séductions de la mode ou du luxe. Ainsi la valeur économique elle-même n’est jamais en fait pure, comme le pensent certains économistes, mais elle porte en elle une exigence par laquelle elle demande à être justifiée : or, comme toutes les affirmations, l’affirmation sur la valeur comporte tous les degrés, depuis l’opinion jusqu’à la science. », in Louis LAVELLE, op. cit., p. 100. 615 Sur ces questions, voir notamment l’ouvrage d’Alain LIPIETZ, Qu’est ce que l’écologie politique ? La grande transformation du XXème siècle, Collection Sur le vif, Editions de la Découverte & Syros, Paris, 1999.
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débrouiller de trouver les solutions adéquates aux problématiques posées en cadrant ses possibilités d'action. Nous allons plus précisément nous préoccuper de ces deux derniers.
L’écotaxe La taxe, solution qualifiée de « pigouvienne »616, consiste à imposer une taxe sur les produits engendrant pollution ou dépenses des ressources à préserver. Cette taxe doit ainsi freiner la production ou contrarier des techniques employées peu écologiques ; une taxe pourra par exemple être imposée à l’entreprise « par unité de rejet égale au coût marginal de réduction de la production".617 "La mise en place d’une écotaxe nécessite de définir l’assiette de façon à ce qu’elle soit reliée étroitement à l’externalité et que les coûts d’administration et de contrôle ne soient pas trop élevés. La fixation du taux varie en pratique entre un taux élevé incitatif destiné explicitement à modifier le comportement des pollueurs, et un taux faible, surtout destiné au recouvrement de fonds pour la collecte des rejets, l’activité d’épuration, voire pour tout autre projet sans rapport nécessaire à l’environnement. »618 On espère ainsi réduire la pollution en modifiant les techniques de mise en oeuvre, en freinant la déflagration de produits polluants sur les territoires. C’est le principe pollueur-payeur.619
L’écotaxe et le transport routier 616
Car préconisée par Pigou en 1932. Arthur Cecil Pigou est un économiste britannique du début du XXème siècle. Il s’est intéressé dans les premiers à l’économie du bien-être et a travaillé sur le rôle de l’Etat dans la répartition des richesses. 617 Dans l'exemple de Philippe Bontems et de Gilles Rotillon, l'entreprise peut choisir de cette façon « de manière décentralisée de déverser la quantité optimale de déchets dans un lac puisqu’elle ajuste le niveau de rejets de manière à minimiser le coût de dépollution augmenté des taxes à payer à l’Etat. Il se pose alors le problème de la redistribution de ces taxes qui doit être réalisée de telle sorte que les agents évitent de tenir compte des effets revenus dans leurs décisions. Implicitement, cette solution revient à donner le droit de propriété sur l’environnement aux pollués et la distribution des revenus entre les pollués et les pollueurs qui en résulte est évidemment moins favorable pour les pollueurs que dans le cas de la norme. », in Philippe BONTEMS et Gilles ROTILLON, op. cit., p. 55. 618 Philippe BONTEMS et Gilles ROTILLON, idem, p. 84. 619 « Le principe pollueur payeur est un principe d’internalisation des coûts qui consiste à faire supporter au pollueur cette différence entre coût social et coût privé. Ainsi, c’est le coût social de ses décisions qui sera considéré par le pollueur, ce qui conduira à l’optimum de pollution (sous réserve bien entendu, d’une juste évaluation de ce coût social). Contrairement à son appellation « politiquement correcte », ce n’est pas un principe juridique d’équité, mais un principe d’efficacité économique. Il se traduit par une augmentation du prix du bien vendu par le pollueur (qui répercute l’augmentation de ses coûts), et donc par une baisse de la demande de ce bien, ce qui conduit à en produire moins et par conséquent à diminuer la pollution. L’existence de l’externalité est ainsi prise en compte (internalisée) d’abord par le pollueur, puis par les consommateurs, par l’intermédiaire du prix. », in Philippe BONTEMS et Gilles ROTILLON, ibidem, p. 55.
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Une des logiques libérales des économistes nous démontre par exemple que le prix à payer par le véhicule polluant ne correspond pas aux externalités économiques, coût social et coût reporté sur la biosphère. Dans cet ordre d’idées, le principe pollueur/payeur peut revenir sur cet état de fait et rendre au moteur à combustion ce qui lui revient. On peut par exemple imaginer que les coûts engendrés par la séquestration du gaz carbonique émis par les automobilistes via des politiques curatives, soient rétribués par une taxe sur l’automobile et sur le carburant, que cette taxe sur l’automobile, qui permit à un moment de l’histoire de financer les retraites, ait plus à faire du côté de la promotion d’une politique de transport durable, comme du côté de la recherche pour endiguer les phénomènes induits.620 On pourrait appeler cela responsabiliser le conducteur et individualiser la responsabilité écologique. Mais ces politiques sont-elles suffisantes? Ne devraient-elles pas être un peu plus radicales afin d’éviter, et de peu, si jamais on y parvient - tous les climatologues ou presque ont l’air d’accord là-dessus - les catastrophes que pourraient engendrer la fonte des glaciers? Beaucoup de personnes rencontrées, chercheurs ou associatifs, le pensent. Les politiques relatives à la pollution atmosphérique des transports dans les villes, (thème que l’on a traité ci-avant pour l’agglomération rennaise), et plus largement sur le territoire, demeurent peu crédibles. En effet, si par exemple le SRADDT621 rend compte d'une détermination de la Région Bretagne et de l'Etat sur le développement du fer, les entreprises ont encore trop d'intérêt(s) à faire usage du poids lourd qui premièrement coûte moins cher (le pétrole est finalement encore bon marché), et deuxièmement reste le plus rapide. Du fait des ruptures de charges occasionnées par le transfert des marchandises du camion au fret, on perd du temps, d'autant que les containers pas toujours standardisés ne peuvent directement s'inscrire dans la chaîne ferroviaire ; tout comme les rails eux-mêmes entre la France et l'Italie par exemple, de tailles différentes, occasionnent des ruptures. 622 Et puis le système ferroviaire serait plus imprévisible que le transport routier. Les retards 620
C’est le point de vue de Dominique BIDOU, ce n’est pas forcément le mien. En effet, doit-il, de toute obligation, y avoir cohérence entre objet d’imposition et politique publique. Rien n’est moins sûr, si c’est au demeurant la pensée économique actuellement majoritaire. A lire son ouvrage, Tous gagnants. La dynamique du développement durable, Collection Aménagement et nature, Editions Ibis Press, Paris, 2005. 621 Le SRADDT est le Schéma Régional d’Aménagement et de Développement Durable du Territoire. 622 Le problème devrait néanmoins se régler d'ici sous peu. Les acteurs concernés ont signé un accord pour développer un système ferroviaire européen unique à l'horizon 2020. La part du trafic de marchandises devrait alors passer de 8% à 15%. Voir à ce sujet l’ouvrage déjà cité de Carole HERNANDEZ-ZADKINE, Guide de l’air : comment moins polluer ? Comment le préserver ?, Editions du Seuil, Paris, 2003, pp. 120-205.
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peuvent paraît-il dépasser les vingt-quatre heures bien que le rail-route ait doublé son activité en dix ans. En tous cas, aujourd'hui rien n'arrête les camions sur les routes ou presque, qui, de plus en plus nombreux, vont et viennent sur un espace économique européen pour le moins étendu.623
L’écotaxe et la pollution de la ressource en eau Un autre exemple nous montre que si la qualité des eaux n’avait pas été aussi endommagée par l’activité humaine, l’étape de traitement apparaîtrait moindre en termes d’énergie, de complexité technique et administrative. L’adage qui dit que l’homme passerait son temps à régler les problèmes qu’il s’est lui-même posés est de mise. Et ici, l’aspect financier tient toute sa place. A Rennes, l’usine de traitement de Villejean a vu en cinq ans son coût de traitement se multiplier par deux. A la ville, on commence à penser à demander aux pollueurs de payer leur part réelle dans cette phase de plus en plus onéreuse de la potabilisation de l’eau, on commence à penser à internaliser l’ensemble des coûts de l’activité agricole. Mais au frais de qui, en définitive, une telle opération peut-elle s’exécuter ? De l’agriculteur, qui doit se conformer au prix du marché, ou des consommateurs de produits alimentaires, qui paieront en définitive l’addition dans leur assiette et irons, à l’occasion, chercher de quoi assumer les surcoûts ailleurs ? En réalité, la taxe connaît un certain nombre de difficultés de mise en œuvre, ou trappes. La première : une taxation des produits pétroliers ne va par exemple pas forcément réduire l’usage qu’il en est fait. La part du budget de chaque agent économique alloué aux produits pétroliers peut de toute évidence s’accroître au détriment d’autres 623
Pour un responsable de la FNTR (Fédération Nationale des Transports Routiers), le problème de la route aujourd'hui réside davantage dans un espace social encore peu constitué sur le plan européen générant une concurrence rude et déloyale, que dans les arcanes écologiques d'une pensée sur le transport. On m'annonce en effet que plus d'un camion sur trois circulant sur les routes de l'hexagone est étranger, et qu'il n'est de meilleurs avantages sociaux dans le domaine des transports qu'en France, plus pour longtemps… . On pense moins économie du transport qu'innovation sur le plan des énergies propres, d'autant que pour la FNTR les camions ne sont pas la première source de pollution et qu'ils représentent encore aujourd'hui la solution la plus performante. Un petit dépliant édité par cette fédération nous rappelle ainsi que le prix du transport apparaît comme négligeable en ne représentant en moyenne que 2.5 % de la valeur des marchandises transportées, que le rail coûte dix huit euros de plus au contribuable pour le transport d'un tonnage type poids lourd sur cent kilomètres, que la consommation énergétique des camions n'est que de 14 % aux vues des 56 % des voitures particulières, enfin que sa part de responsabilité dans les émissions de gaz à effet de serre n'est que de 3 %. Pour les deux personnes rencontrées à la FNTR, les efforts ne doivent pas forcément être faits au niveau de leur activité. Il y a effectivement peut-être des choix à faire. Mais n'est-on pas tout simplement en train de se « refiler la patate chaude » ? ; entretien avec lui en février 2005.
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types de consommations. La seconde : une taxe sur les produits pétroliers, pour reprendre ce même exemple, pourrait inciter les agents économiques à pallier l’augmentation des prix par l’accroissement de la production. On n’accepterait ainsi pas de réduire son niveau de consommation du fait de l’augmentation des prix, mais de travailler plus pour produire plus, et garantir un même niveau si ce n’est un niveau supérieur de consommation. Travailler plus, pour consommer plus ou autant, pour produire plus, pour polluer plus. On voit bien ici que le cercle est vicieux. Sans la garantie d’un consentement à payer stable sur une production donnée, l’écotaxe ne peut avoir une influence certaine sur l’état des pollutions, sur l’effort des entreprises à rechercher de nouvelles technologies moins polluantes.
Le consommateur/producteur
pourra ainsi toujours courir derrière
l’accroissement des coûts de production par une productivité supérieure, voire une exploitation à l’extérieur des frontières de la nation ou du continent des ressources, tant en termes de travail qu’en termes de matières premières, et du même coup assumer cette inflation. Autrement dit, nous sommes amenés aujourd’hui, et nous pourrions l’être encore davantage demain, à pallier notre déficit écologique par l’exploitation des territoires exogènes via par exemple des délocalisations. Nous consommons des produits chinois qui ne connaissent ni normes ni taxes vouées à lutter contre la pollution et l’effet de serre ; et nous exploitons la main d’œuvre des pays les moins avancés par mesure d’économie sur notre propre travail.624 Une radicalité attendue par certains, et négligée par d’autres, ne représente en effet pas un mot d’ordre des politiques qui n’entendent plus depuis longtemps traiter les affaires courantes de manière un peu « musclée ». Des contraintes infrastructurelles trop fortes, une maîtrise des pouvoirs publics trop importante et les économies se déplacent, avec à la clef une augmentation du chômage, une fuite des capitaux à l’étranger, un appauvrissement du territoire. Devant cet état des lieux, les plus libéraux diront que la machine égalitaire625 par l’homogénéisation des marchés mondiaux trouvera son point d’équilibre. Nous pouvons semble-t-il encore attendre longtemps. D’ici là, qu’en sera-t-il de notre planète ? Si nous ne colmatons pas la brèche que représente la mondialisation économique, comment assumer une politique environnementale sur ce plan? Tant que les
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Sur ces questions, voir l’ouvrage de Serge LATOUCHE, Survivre au développement, Collection les petits libres, Editions Mille et une nuits, Paris, octobre 2004 ; ou encore l’ouvrage d’Amy CHUA, Le monde en feu. Violences sociales et mondialisation, Collection Les livres du nouveau monde, Editions du Seuil, Paris, septembre 2007. 625 A ce sujet voir l’ouvrage d’Alain MINC, La machine égalitaire, Collection Livre de Poche, Editions LGF, Paris, 1988.
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externalités du type marché mondiaux étrangers ne seront internalisés, alors les politiques instrumentalisant les écotaxes ne sauront être crédibles.
Les permis à polluer Une manière de répondre au problème de pollution a été de créer de nouveaux marchés capables d'internaliser les externalités écologiques, a été de mettre en place un marché boursier où il serait possible d'échanger des titres de propriété environnementale sachant qu'ils sont fixées en quantité. 626 La logique : l'Etat se donne un objectif de pollutions (atmosphériques ou hydriques) soutenables ou quotas de pollution, et distribue sous forme de dons ou sous forme de ventes l'ensemble des droits à polluer à la totalité des acteurs : collectivités locales, particuliers, entreprises.627 Aussi, l'Etat, en fonction des seuils de pollution à tenir, peut racheter les permis, faisant ainsi monter le cours et rendant plus exigeant les modes de production, le cours se modifiant en fonction des observations faites sur un territoire donné. Par le rationnement de notre impact sur notre environnement, nous pourrions atteindre nos objectifs sur le plan écologique. Encore fautil que les lobbyings ne fassent pas pression sur les pouvoirs publics en place, comme c'est parfois le cas, pour obtenir davantage de permis à polluer. Encore faut-il aussi que les inégalités entre acteurs et entre territoires ne concourent pas à des disqualifications, voire à des exactions. La difficulté dans cette affaire : stipuler la titularisation des droits, la durée des droits, le mode de rétribution des droits628, enfin le territoire concerné par ces droits (bulles écologiques).629 Une autre difficulté tient à la capacité d’épargne des propriétaires. Une épargne trop forte pourrait en effet bloquer toute activité économique. La captation de droits par des associations écologiques pourrait par exemple mettre en difficulté 626
Elles gagnent par là leur statut de monnaie. « L'entreprise doit posséder un nombre de droits au moins égal aux rejets effectués ; si elle en possède plus que nécessaire, elle peut décider de les revendre aux riverains ou, à l'inverse, leur en acheter si elle n'en a pas assez. En achetant des droits, les riverains diminuent le stock de permis disponibles pour les entreprises réduisant d'autant la pollution. L'établissement de ce marché fait apparaître un prix d'équilibre pour les droits à polluer et rétablit l'optimalité des décisions de l'entreprise, car au coût de réduction de la pollution s'ajoute le prix des permis à acheter.», in Philippe BONTEMS et Gilles ROTILLON, op. cit., p. 57. 628 Les territoires en difficulté économique, voire les pays en développement, ne devraient-ils pas être privilégiés? Reste à savoir en quels termes. 629 En effet le territoire écologique ne correspond pas toujours au territoire politique. Lire par exemple l’exposé de la recherche d’André MICOUD, Pierre VALARIE, Spyros FRANGVIAKIS, « L’écologie urbaine au risque de la cité », pour l’appel à projet lancé par le PUCA et la DGUHC, Ministère de l’Equipement et du Transport et du Logement, intitulé : La ville au risque de l’écologie : questions à l’environnement urbain, programme 92-99. 627
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certaines entreprises. Dans la réalité, des expériences ont montré un manque de liquidité du marché tenant à différentes raisons : "trop peu d'acteurs, position dominante de certains, manque d'habitude de négociation entre les participants."630 Ainsi comme on capte les ressources, terres et matières premières des territoires les plus en difficulté économique et les plus vulnérables sur le plan de la sécurité sanitaire, alimentaire, et civile, on pourrait être amené par le biais des permis à capter l'air. Cette éventualité doit être prise très au sérieux. Après la guerre du feu, de l'énergie, de l’eau, et des matières premières : la guerre de l'air. 631
Pour les libéraux les instruments économiques incitatifs sont préférables aux autres. On canalise ainsi les flux comme on peut canaliser le lit d'une rivière en lui opposant somme d'obstacles. La règle est celle de la déviation et de la correction de trajectoire. Bon nombre de citoyens font entendre leur ras-le-bol. La « politique de l’entonnoir »632 ne leur convient pas. Ils attendent des solutions viables, économiques et technologiques, de la part du gouvernement, et des directives claires. Pour ces derniers, c’en est assez d’être sans cesse renvoyés à la responsabilité individuelle ou à celle des collectivités locales qui n’ont que trop peu de moyens pour faire face. Ils réclament un Etat fort capable de réformer le système dans son entier, capable de réunir les diverses échelles territoriales qui après les politiques de décentralisation ne peuvent s’entendre sur un projet global. Des intérêts divergents, des rythmes politiques différents, des couleurs politiques opposées, et les projets de lutte contre le réchauffement climatique par le biais d’économie de transport ne parviennent pas réellement à se mettre en place ; plutôt des formes d’actions au coup par coup, perdant par là une grande efficacité.633
630
Philippe BONTEMS et Gilles ROTILLON, op. cit., p. 69. C’est aussi l’opinion de Marc Sauvez déjà cité, entretien avec en lui en mars 2003. 632 Sur ces questions des modes politiques actuels, on pourra lire Jean VIARD, Le nouvel âge du politique. Le temps de l’individu-monde, Collection Monde en cours, Editions de l’Aube, Paris, 2004. 633 C’est ce qui se serait passé lors de l’élaboration du Plan de Déplacement Urbain entre la ville, l’agglomération, le département, la région et le reste des Autorités Organisatrices du Transport (AOT). 631
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« Surchoix » et labels de qualité Une interdiction de fabriquer ou d’importer certains produits néfastes pour l’environnement arrangerait beaucoup nos affaires. Pourtant, les pouvoirs publics ne font pas ce choix. Les lobbyings économiques seraient trop imposants. Dès lors, la politique se retranche sur ses possibilités d’une part de sensibiliser les populations, d’autre part de les rendre maîtresses du marché, du fait de leur pouvoir de consommation.
La qualité fait depuis longtemps déjà l'objet de politiques publiques. Elle est mesurée par un ensemble de critères et elle est établie par une multitude de normes, ou référentiels développés sur une échelle donnée. Ainsi la norme, négociée entre acteurs, gage de qualité, défend les intérêts de tout un chacun. C'est une prescription développée par l'institution à l'égard des citoyens. Elle protège des déviances. Elle fait la police aux comportements non attendus. Elle sauvegarde l'intérêt particulier comme l'intérêt général. Elle arrête à un moment donné de l'histoire la perspective que l'on a sur un objet. C'est une prescription, dans l'absolu aléatoire, mais toujours négociée, qui devient modèle de référence interne à l'action, idéologie, en cadrant la réalité connue.634 La norme enserre l'action et la société civile qui lui doit obéissance. L'institution est à l'origine de la norme, à l'origine du dispositif de jugement des conflits. Elle reste ainsi du domaine des conventions. La norme s'attache à des catégories de natures très différenciées comme le travail ou le produit. Les politiques publiques se sont affairées à produire des normes ou modèles de qualité. Elles ont cherché à délimiter les possibilités de la nature d'un produit ou d'un processus selon un ensemble de propriétés intrinsèques à la chose et selon les procédures utilisées. Les normes participent d'une recherche à faire justice sur le plan de l'action en termes juridiques (permis ou non d'exécuter telle ou telle tâche) et sur le plan de l'échange (comme forme de garantie d'un produit utile à l'exercice commercial entre fabricants, vendeurs et consommateurs).635 Le produit appartient ainsi, par la norme, à un dispositif légal encadrant un ensemble de relations commerciales. Avec le développement du libéralisme, les institutions ont tendance à moins jalonner, à la mesure des connaissances scientifiques, la production des entreprises ; le 634
Sur ce sujet, lire La qualité des produits en France, sous la direction d’Alessandro STANZIANI, (XVIIIème – XXème siècles), Collection Histoire et Société, Editions Belin, Paris, 2003. 635 Sur ces notions voir l’ouvrage de Bénédicte LOESTIER et Stephan MARETTE, Economie de la qualité, Collection Repères, Editions de La Découverte, Paris, 2004.
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relais étant pris par la certification. Le droit cède sa place à la référence, la coercition à l'invitation. La norme devient label. Les producteurs se voient ainsi moins dans l'obligation d'assurer une qualité donnée, mais sont invités à le faire et surtout à le faire savoir comme forme de reconnaissance ou de revendication. La qualité n'est plus chose assurée par la loi. Elle est défendue par la publicité, offrant ainsi plus d'espace politique au consommateur, qui « parlementera individuellement » sur la qualité d'un produit ou d'un processus de production. Le référentiel du produit ou de la procédure devient essentiel au consommateur pour qui il est un outil capital dans toute démarche décisionnelle. En quelque sorte, le parlement s'est déplacé sur les étals des commerçants, sur lesquels une multitude de repères idéologiques, ou logos, se rendent nécessaires à l'exercice politique du citoyen/consommateur. Dans ce cadre, l'exercice politique s'individualise en cela que nous ne cherchons plus à partager ou même à construire des valeurs communes, mais à ce que chacun convoite ses propres valeurs sur le marché et trouve satisfaction. L'exercice de la consommation devient graduellement plus politique et l'exercice politique plus marchand. L'achat, et corrélativement le boycott, sont des actes politiques quotidiens : des votes. Le vote n'est en cela plus échelonné dans le temps, ni situé dans l’espace. Il n'est plus territorial puisqu'il concerne des produits venant de partout. L'influence du consommateur est grande et reconnue comme telle. Au pouvoir politique s'est substitué le pouvoir économique. Dans cet univers donc, seul le consommateur, et non plus le citoyen, semble avoir encore un peu de prise sur sa réalité collective. La représentativité des citoyens attachée à la notion de démocratie migre de ce fait de l'élu (personnage politique avec lequel on partage une même vision du monde) au certificateur qui, selon le cahier des charges qu'il défendra, nous séduira ou pas. Dans cette perspective, le citoyen est amené à élargir le territoire de ses connaissances, afin de procéder aux comparaisons indispensables entre valeurs personnelles et référentiels, nécessaires à la réalisation de ses choix. L'individuation des prises de décision concourt inéluctablement à l'expertise, expertise qui était au préalable assumée par l'institution. Si la confiance était requise, la méfiance, voire la défiance, est aujourd'hui de mise pour les générations naissantes : savoir tout et sur tout afin de prendre individuellement ses responsabilités sur le plan personnel comme sur le plan politique. Autant dire que la posture libérale n'est pas de tout repos. Etre responsable de ses choix, c’est aussi être coupable de ses mauvais choix. C’est prendre le risque de se
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tromper.636 C’est devoir être certain. Alain Ehrenberg parle de « gouvernement de soi » dans « la prise en charge croissante de problèmes par l’individu lui-même, à tous les échelons de la société ». En effet pour lui, « Le nombre de mécanismes sociaux qui favorisaient des automatismes de comportements ou attitudes a largement diminué au profit de normes incitant à la décision personnelle, qu’il s’agisse de recherche d’emploi, de vie de couple, d’éducation, de manière de travailler ou de se conserver en bonne santé : dans des domaines ou dans d’autres encore, nous sommes incités à être responsable de nous-mêmes. »637 Certaines enseignes de magasins et coopératives, spécialisées dans les produits écologiques, peuvent alors prendre le relais des institutions en renvoyant la responsabilité du citoyen à une collectivité d'adhérents appuyée de spécialistes. Des structures se constituent et assurent cette fonction d'expertise. De quoi soulager les consommateurs! La représentativité politique se métamorphose : la politique confisquée par le pouvoir associatif et commercial. En ce sens, et c'est le sens des libéraux, la consommation constitue le point de rencontre entre l'écologie et la société. Pour cette raison, et puisque le choix est laissé au citoyen, même s'il est entravé par le prix notamment, la sensibilité, l'information et la publicité deviennent les nœuds principaux autour desquels s'articulent les politiques publiques d'aujourd'hui au détriment de la coercition. Les guides : guide de l'eau, guide de l'air, de l'énergie, guide des déchets, le guide de l'alimentation, des vacances éthiques… , connaissent un développement manifeste ; des guides qui informent, et qui posséderont bientôt un système de référence à étoiles ou à points, si bien qu'on pourra évaluer notre mode de vie, notre citoyenneté, l’éthique de nos pratiques.638 La société de consommation est une société de l'information. L’information procède tel un écran devant les réalités structurelles de notre civilisation ; écran qui fait obstacle à une remise en cause des cadres idéologiques à l'origine de nos pensées et de nos comportements, qui fait barrage à ce qui précisément collabore à l'éveil de notre intelligence qui toujours doit s’appliquer à comprendre les dessous de la structure. Le flot informationnel nous exhorte davantage à nous tenir au courant (des contraintes 636
Sur l’individualisation de la prise de risque, lire l’ouvrage d’Ulrich BECK, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Collection Alto, Editions Aubier, Paris, 2001. 637 Alain EHRENBERG, L’individu incertain, Editions Calmann-Lévy, Paris, 1995. Il ajoute : « Une exigence accrue de responsabilité est au cœur de l’individualisme contemporain. Enjoint de décider et d’agir en permanence dans sa vie privée comme professionnelle, l’individu conquérant, analysé dans Le culte de la performance, est en même temps un fardeau pour lui-même. Tendu entre conquête et souffrance, l’individualisme présente ainsi un double visage. ». 638 Comme on peut déjà évaluer sur internet notre empreinte écologique.
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techniques, économiques, sanitaires, écologiques), pour être le plus réactif possible dans le jeu auquel il nous est proposé de jouer, et duquel on accepte majoritairement les règles.639 A la formation, nous avons substitué l'information. Nous perdons la forme, nous gagnons l'informe.
6. Vices et vertus de l’autonomie Donc d’une certaine manière, à travers les formes d’individualisation de la consommation, les citoyens s’engagent. Ils ont laissé les grandes utopies de côté et parient sur un réformisme en douceur, en agissant ici et maintenant selon les valeurs de ce que Jacques Ion640 appelle un idéalisme pragmatique. Si l’idée est de faire selon ses propres moyens et en empruntant les chemins les plus courts, les petites échelles sont avantagées au détriment des grandes : l’échelle de l’individu, de la famille, du groupe associatif.641 En se réunissant autour d’actions pratiques et écologiques, les citoyens parviennent ainsi à prendre en partie, envers et contre tout, leur destin en main.642 Face à l’économie libérale, face à la mondialisation vis-à-vis de laquelle l’Etat ne semble plus que pouvoir se soumettre : l’autonomie. A l’encontre des modes de gouvernement assurés par l’Etat, ou par le marché gouvernement et gouvernance643- l’autonomie apparaît donc comme la troisième voie. En sortant du débat droite/gauche - plus d’Etat ou plus de marché - elle inscrit la société civile au cœur du dispositif collectif. D’une vision linéaire et progressive à deux termes, nous passons à une vision en plan, plus exactement en aire, définie par trois points et formant un triangle : le triangle de Kolm.644 Il s’agit ici, et c’est l’affaire de l’écologie politique, de trouver la mesure entre ces trois entités : marché, Etat, autonomie. 639 Sur ces questions, à lire notamment le chapitre : « Des origines généreuse de la distribution moderne au commerce équitable », in Robert ROCHEFORT, Le bon consommateur et le mauvais citoyen, Editions Odile Jacob, Paris, mars 2007, pp. 151-178 ; ou encore le paragraphe : « Mobilité des identités de consommation », in Rémy SANSALONI, Le non-consommateur. Comment le consommateur reprend le pouvoir, Editions Dunod, Paris, 2006, pp. 197-200. 640 Philippe CORCUFF, Jacques ION, François DE SINGLY, Politiques de l’individualisme : entre sociologie et philosophie, Collection La discorde, Editions Textuel, Paris, 2005. 641 A lire à ce propos l’article de Pierre ROSANVALLON, « L’autogestion, d’hier à aujourd’hui : vers un nouveau contrat social », in M, n° 77, Paris, mai-juin 95 ; ou encore celui, même s’il commence à dater, de Monique DAGNAUD, « La classe « d’alternative », réflexion sur les acteurs du changement social dans les sociétés modernes », in Sociologie du travail, n° 4, 1981. 642 Sur ces questions, voir le dernier chapitre, déjà cité, intitulé « La crise de l’engagement », de l’ouvrage de Jean-Pierre LE GOFF, Mai 68, l’héritage impossible, op.cit.. 643 On peut éventuellement sur ces questions se référer à un des numéros des Annales de la recherche urbaine, « Gouvernances », Plan Urbanisme et Construction, n° 80-81, décembre 1998. 644 Sur le triangle de Kolm, voir notamment l’article de Philippe VAN PARIJS, « Impasses et promesses de l’écologie politique », Revue Esprit, n° 171, mai 1991, pp. 54-70.
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Vivre et travailler autrement Promouvoir les activités autonomes au détriment des activités du secteur privé ou du secteur public permettrait de réduire les circuits et d’intensifier les relations locales. Développer les activités autotéliques645, une réponse directe et individuelle aux contraintes des milieux, en agissant à la source, serait très pertinente d’un point de vue politique, économique, comme d’un point de vue écologique. Le travail possède assurément sa propre valeur sans forcément qu’il fasse l’objet d’un échange. On a effectivement tendance à l’oublier ; sans compter que l’espace du marché, réducteur, empêche sa valorisation. Par conséquent, il semblerait que d’autres espaces d’activités restent à construire, ou à reconstruire, car les anciens, dans les campagnes, n’ont jamais manqué de travail. « Il y a tellement de choses à faire », nous diraient-ils encore à présent. Il est des sociétés en effet ou le concept de chômage n’a pas lieu d’être ; comme une invention de la société moderne : société de marché, société du gaspillage non seulement des ressources matérielles, mais aussi des ressources humaines. Ignacy Sachs, dans les premiers, s’est révolté contre l’injustice faite aux sans-travail et à cette ineptie théorique qu’est la conception du travail exclusivement échangé ou échangeable. « Permettronsnous que dans la société post-industrielle, la production marchande envahisse tous les aspects de notre vie, supplante ou colonise les derniers recoins du secteur hors-marché et la sphère ludique, nous prive de toute autonomie et nous transforme en robots programmés du dehors ? Ou bien au contraire, profiterons-nous de l’occasion qui s’offre aujourd’hui pour diminuer sensiblement le travail professionnel (…) , transformant le temps ainsi libéré en une source de nouvelles activités économiques et ludiques situées hors-marché et authentiquement autonomes. »646 La logique est simple. Travailler moins pour travailler mieux et vivre mieux. Le temps dégagé par l’activité professionnelle est investi sur le plan domestique, comme sur le plan local, dans le cadre de la vie familiale, amicale, associative, individuelle, ou de réseaux d’entreaide ; ce qui concourt à rentabiliser davantage les ressources locales existantes. En effet, lorsqu’il est question de toilette sèche, de production de compost ou d’entretien d’un système phyto-épuratif, on me répond : « les gens n’ont pas le temps ».647 645
« Les activités autotéliques sont des activités qui sont elles-mêmes leur « propre fin, plutôt que d’être mues par une fin extérieure à elles-mêmes. », in Frank DE ROOSE et Philippe VAN PARIJS, La pensée écologiste. Essai d’inventaire à l’usage de ceux qui la pratiquent comme de ceux qui la craignent, Collection Sciences Ethiques Sociétés, Editions De Boeck Université, Bruxelles, 1991, p. 141. 646 Ignacy SACHS, in Frank DE ROOSE et Philippe VAN PARIJS, idem, p. 142. 647 Le temps est une donnée qui revient souvent dans la bouche de mes interlocuteurs : le temps de s’informer, le temps d’agir.
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Et le temps comme chacun le sait, c’est aussi de l’argent. Autrement dit, peu de place est donnée à une activité économique domestique, qui pourrait pourtant, en allégeant les systèmes centralisés, être valorisée et très rentable et efficace sur le plan de la collectivité.648 Il s’agirait ainsi de déplacer la charge de travail en revenant en partie sur une vision exclusivement spécialisante de la répartition des tâches, - accroître par là même donc, et le niveau d’utilisation des ressources, et celui de la productivité. Prendre le temps de réparer un objet, de faire la cuisine, de raccommoder un pantalon, ou de s’occuper d’un potager, pourrait en effet être un moyen de rééquilibrer le rapport entre production et consommation ; et d’éviter in fine d’être confrontés ou de confronter nos enfants à une décroissance forcée. Cette limitation dans les pratiques pourrait par ailleurs faire plus de place à un type d’activités sociales pertinentes, « en raison par exemple des relations humaines fraternelles, des « solidarités chaudes » qu’il permet de préserver, d’un enracinement dans le terroir qu’il restaure, face à la mobilité géographique induite dans la société industrielle.»649 L’idée est manifestement intéressante. Par le découplage partiel du travail et du revenu, on pourrait accroître non seulement notre productivité, donc nos richesses, mais surtout notre qualité de vie par ces nouvelles formes d’organisation, en termes de nouvelles sociabilités (densification des relations de voisinage, densification des relations familiales, densification des relations citoyennes…), en termes de stress (plus de temps, moins de transport) ; d’autant plus qu’une croissance moindre n’a jamais signifié un défaut en termes de bien-être, n’a jamais signifié une société fragmentée et conflictuelle.650 648
Le temps est également une donnée qui revient dans son rapport direct à l’économie : investir, amortir. Changer de politique urbaine sur le plan de l’assainissement, c’est changer les infrastructures urbaines, parier sur la pertinence de l’innovation et comprendre sa relation avec l’avenir comme une relation de solidarité avec les générations futures. C’est cesser d’enfouir les matières souillées par exemple en pensant : on verra demain, mais s’en préoccuper au présent et se donner les moyens de le faire. C’est-à-dire changer le sens de nos priorités. Ici apparaît la notion de collectif, d’efficacité, enfin la notion de responsabilité. Il semblerait effectivement qu’une vision globale et transversale des problématiques urbaines, ramène le citoyen à une vision très collective de sa vie en société : s’organiser pour faire des économies sur les ressources planétaires et être par là-même plus performant. Dans son ouvrage déjà cité intitulé « Gagnant, gagnant », Dominique Bidou, nous incite à ce défi de performance. Pour lui, en effet, c’est le système qu’il faut optimiser avec ses composants élémentaires, mais aussi son architecture d’ensemble et les charnières entre les éléments. Le plus difficile ici, c’est de « comprendre, à la fois, et la nouveauté fondamentale et l’évidente simplicité de ce nouveau mode de pensée économique ». Il s’agit donc d’évaluer les solutions qui nous sont données d’un point de vue très collectif et global ; vision qui demanderait peut-être la reconnaissance et l’implication d’un groupe identifié pour qu’il entretienne à l’intérieur de lui des rapports de solidarité. 649 Frank DE ROOSE et Philippe VAN PARIJS, op. cit., p. 143. 650 En effet, « Un PNB plus élevé peut aller de pair avec un bien-être matériel total moindre dont le partage occasionne des luttes plus âpres et des frustrations plus profondes. », in Frank DE ROOSE et Philippe VAN PARIJS, idem, p. 149.
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Des jardins familiaux dans les cœurs d’îlots, des vergers en libre-service à la sortie des villes, des réseaux de solidarité au sein des quartiers, constitueraient des éléments de mise en œuvre de cette troisième voie. Pourquoi pas ? Mais jusqu’où peut aller l’autonomie ? Jusqu’où charger la responsabilité du citoyen ? Quelles sont les compétences que peuvent acquérir les habitants ? Quelles responsabilités leur accorder d’assumer et à quel prix ?651 De l’autonomie et des risques Dans le cadre de solutions écologiques d’assainissement autonomes, on engage par exemple actuellement une forte responsabilité du citoyen ; car bien que les techniques de compostage des matières fécales et des urines, ou celles de phyto-épuration offrent particulièrement de bons résultats, si elles ne sont pas correctement mises en œuvre, la catastrophe écologique et sanitaire n’est pas loin. En effet, premièrement, laisser un tas de matières fécales dans un coin de jardin à même le sol sans paillage et sans aération par retournements successifs à la fourche du mélange, va produire un lixiviat qui, en s’infiltrant dans le sol, a des chances de rejoindre et de polluer la nappe phréatique quelques dizaines de mètres plus bas ; deuxièmement, des bassins de filtres plantés non entretenus, des plantes malades et non régénérées au fil des ans, représentent une véritable menace sur le plan de l’environnement ; troisièmement, du côté de l’assainissement autonome, on sait que les excréments véhiculent bactéries et virus, et qu’un contact avec les matières pourrait être à l’origine de contaminations généralisées. L’eau et le passage dans les canalisations font barrage à cette possibilité de contracter des maladies. De plus, on peut émettre quelques réserves sur le fait d’utiliser un compost à base de matières fécales pour la culture maraîchère, une hypothèse étant faite que les virus se transmettent du substrat à la plante652 ; quatrièmement, les systèmes d’épuration des eaux grises par les plantes sont tous des systèmes aérobie et paysagers. Si l’œil de l’esthète peut y trouver son compte, une chute dans un bassin pourrait s’avérer des plus regrettables. On pense très vite au danger que cela pourrait représenter pour des enfants en bas âge. La notion de responsabilité n’est donc pas, pour ces solutions, une notion à prendre à la légère. Raison pour laquelle, un fonctionnaire de la DDASS653, chargé de 651
Voir à ce sujet, L’auto-organisation. De la physique au politique, Colloque de Cerisy, sous la direction de Paul DUMOUCHEL et Jean-Pierre DUPUY, Editions du Seuil, Paris, 1983. 652 On préconise ainsi de ne manger que des légumes cultivés et engraissés par ses propres productions fécales. L’affaire devient compliquée. La meilleure solution est encore d’user du compost pour les cultures non alimentaires. 653 Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales.
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faire appliquer la réglementation me confie qu’il ne croit pas à la légalisation de ces techniques alternatives, qu’elles resteront à jamais à la marge, bien qu’elles soient reconnues intéressantes.654 Certains crient du côté des associations écologistes à l’infantilisation du citoyen par l’État, à l’abus de pouvoir de la part des services publics. D’autres demandent plus sagement le contrôle d’organismes publics pour vérifier le bon usage par les particuliers des techniques alternatives d’assainissement.655 En terme de traitement de l’eau potable, des consommateurs de plus en plus nombreux retirent leur confiance aux services publics et engagent une seconde phase dans le traitement de l’eau de boisson par leurs propres moyens. 656 Les procédés connus à ce jour : charbon actif, résine échangeuses d’ions, osmose inverse. L’épurateur ou purificateur utilise les deux procédés que sont le charbon actif et la résine. Il a pour but « d’éliminer ou de diminuer certains polluants (nitrates, pesticides, métaux lourds, matières organiques…), ainsi que d’améliorer la qualité gustative de l’eau en éliminant le chlore. Trois types d’appareils : les appareils sous évier avec l’installation 654
Le filtre planté est malgré tout une solution acceptée par la loi pour les petits collectifs, et deux maisons suffisent parfois pour recouvrir ce statut. 655 Les SPANC (Service Public d’assainissement non collectif), nés de la nouvelle loi sur l’eau, ont pour mission le contrôle de conception et de réalisation des systèmes autonomes classiques, et éventuellement l’entretien des installations. Selon le Code Général des Collectivités Territoriales (articles L 224-8 et 9), les communautés de communes ou les communes qui ne réalisent pas de dispositif collectif d’assainissement (« tout à l’égout ») ont dû mettre en place un Service Public d’Assainissement Non Collectif (SPANC) à partir du 1er janvier 2006. Les différentes prestations donnent lieu au paiement par l’usager d’une redevance d’assainissement non collectif. Il ne serait donc pas si difficile d’étendre l’opération à des systèmes plus alternatifs. Il faudrait en effet au préalable changer la réglementation. Et la réglementation oblige encore aujourd’hui, malgré une souplesse bien réelle de la part des services publics, au raccordement au tout à l’égout quand il existe, et indique les règles de construction et d’installation à respecter dans la mise en œuvre d’un assainissement autonome classique. Tout porte à croire qu’il n’y a aucune échappatoire afin de biaiser la législation. Et pourtant, un ensemble de textes de lois sème la confusion et invite les instructeurs du permis de construire et permis de lotir à lâcher la bride. Car fréquemment, l’application stricte d’un texte de loi s’avère impossible. Et puis il y a tous ces interstices juridiques qui font la place belle aux positions alternatives. On peut noter par exemple l’obligation d’installation d’un wc à chasse dans chaque logement. Il n’est néanmoins précisé nulle part l’imposition d’usage de ce wc. L’obligation de raccordement au tout à l’égout reste valable, seulement rien ne contraint l’habitant à y déverser ses eaux grises. L’avis des SPANC doit être favorable quant au système d’assainissement retenu par l’obtention du permis de construire ; pourtant, sauf arrêté préfectoral particulier, la décision finale revient au maire ; ce qui n’empêche pas le citoyen habitant de faire une demande de dérogation auprès de la DDASS, en faisant valoir par exemple l’article 3 de la directive européenne du 21 mai 1991 qui précise : « Lorsque l’installation d’un système de collecte ne se justifie pas (…), des systèmes individuels ou d’autres systèmes appropriés assurant le niveau identique de protection de l’environnement sont utilisés ». Et si un problème de pollution survient, le maire exerce son pouvoir de police mais n’est en aucun cas tenu pour responsable. Cela engage un bon nombre de maires aujourd’hui et de maires écologistes, surtout sur l’agglomération rennaise et alentour, à émettre le désir de développer les systèmes alternatifs quand ils ne sont pas au demeurant subventionnés à hauteur des systèmes classiques par le Conseil général d’Ille-et-Vilaine. 656
Le décret 2001-1220 du 20 décembre 2001 prend en compte cette possibilité. Il oblige même l’installateur du système de traitement à garantir le respect des limites réglementaires de qualité sanitaire lorsque l’eau provient d’une source privée.
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d’un robinet supplémentaire, les appareils à brancher sur un robinet déjà existant et les carafes filtrantes ». Il est important de changer régulièrement le filtre épurateur car « saturés ou mal entretenus, les filtres à charbon actif et les résines de dénitratation peuvent s’avérer inefficaces, rejeter subitement les éléments retenus, faire l’objet de rejets de nitrites cancérogènes ou d’un développement de bactéries nocives, voire mortelles. »657 Autrement dit, l’enjeu sanitaire est de taille. Les appareils de traitement de l’eau se doivent d’une efficacité sans borne et le consommateur n’a pas droit à la négligence. L’osmoseur, « qui fonctionne par un procédé d’osmose inverse, va filtrer pratiquement tous les éléments présents dans l’eau, y compris les sels minéraux. Ce purificateur « plus », à brancher sous l’évier, doit traiter l’eau destinée à la consommation et nécessite en général l’installation d’un 3ème robinet. L’eau ainsi filtrée est stockée dans un petit réservoir. Elle est donc à consommer assez rapidement, d’autant que l’osmose inverse a filtré le chlore. Outre le risque bactériologique, les osmoseurs présentent deux inconvénients principaux : le prix d’achat initial relativement élevé et la surconsommation en eau : il faut trois à quatre litres d’eau pour produire un litre d’eau épurée. Enfin, l’eau épurée ne comporte plus de sels minéraux. »658 Au demeurant, les services publics, et peut-être parce qu’il sont mis « en concurrence », n’ont pour l’instant réalisé aucun test garantissant la fiabilité des appareils. Ils ne peuvent donc attester de l’innocuité et de l’efficacité de ces derniers. Le Ministère de la Santé et ses directions départementales incitent tout juste les producteurs à faire vérifier les appareils de traitement de l’eau par un des trois laboratoires français agréés.659 Toutefois des certifications de l ‘AFNOR660, du CSTB661 ou du NSF662 ont été réalisées. Même si pour la technique de la carafe épuratrice, la responsabilité des ménages reste entière, pour les techniques plus douces installées sur le réseau, cette responsabilité pourrait se substituer. Pour la MCE663, l’achat d’un appareil ne devrait pas se faire sans un contrat d’entretien avec le vendeur, renvoyant ainsi la responsabilité au spécialiste. Par ailleurs, des militants écologistes engagés veulent aller plus loin en boycottant complètement le réseau municipal d’eau potable. Ainsi, ils captent eux-mêmes l’eau de 657 Guide de consommation de la MCE (Maison de la consommation et de l’environnement), Adoucisseurs, purificateurs, osmoseurs : faut-il traiter l’eau à domicile ?, janvier 2003, p. 9. 658 Idem, p. 9. 659 Conformément à la circulaire DGSVS n° 99-360 du 21 juin 1999. 660 Association Française de Normalisation. 661 Centre Scientifique et Technique du Bâtiment. 662 La marque américaine NSF (National Sanitation Fondation) a été reconnue par le CSTB lors d’un accord validant un référentiel technique commun. 663 Maison de la Consommation et de l’Environnement, association loi 1901, basée sur Rennes.
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pluie afin d’en faire tout usage664, et la traitent pour celui de la boisson. Des techniques et des ouvrages sur ces techniques se multiplient depuis une trentaine d’année. Des conférences, des visites sont organisées sur le thème : « Fabriquez vous-mêmes votre système de traitement des eaux de pluie » ; si bien qu’il semble que tout et n’importe quoi se transmette en termes d’informations, dans les milieux sensibles, au risque de catastrophes sanitaires. J'ai par exemple entendu dire qu'une simple épaisseur de coton pouvait suffire à transformer une eau de pluie en eau de boisson. Aujourd’hui des systèmes standardisés et commercialisés au coût encore élevé existent et semblent fiables. Pourtant une plainte de particulier a tout dernièrement été déposée avec l’appui de la MCE665, pour inefficacité de l’appareil vendu, offrant après filtrage une eau totalement impropre à la consommation voire dangereuse.666 Par conséquent, si les systèmes écologiques se portent garant d’une préservation de la biosphère, du côté de l’hygiène, de la sécurité sanitaire, les techniques alternatives peuvent paraître un peu risquées. D’un autre point de vue, développer les techniques autonomes ou semi-collectives pourrait générer individualisme et communautarisme, quand ce n’est pas déjà le cas au sein des quartiers écologiques qui se construisent quand des habitants partageant valeurs et idéaux similaires se regroupent spontanément. Est-ce pour autant qu’ils ne vont pas 664
Un arrêté ministériel du 21 août 2008, tant attendu, semble décourager ces derniers. Cet arrêté précise les conditions d’utilisation de l’eau de pluie récupérée en aval des toitures non accessibles pour des usages à l’intérieur des bâtiments ; récupération qui a fait l’occasion d’un crédit d’impôt lors de la loi sur l’eau de 2006. Cet arrêté en quelques phrases : l’usage des eaux pluviales récupérées « est limitée aux WC et lavage des sols (lave-linge a titre expérimental avec traitement de l’eau) ; chaque point d’accès aux EP et toutes les canalisations par lesquelles transitent ces eaux doivent être identifiées par un pictogramme « eau non potable », y compris dans les passages de cloisons et murs ; un point d’accès au réseau EP est interdit dans les pièces où il existe un robinet d’eau potable ; le réseau EP à l’intérieur d’un bâtiment et raccordé au système d’assainissement doit comporter un compteur pour calculer le volume d’EP utilisé ; la cuve de stockage doit faire l’objet d’une vidange et d’une désinfectation annuelles ; un carnet sanitaire doit être établi et tenu à jour avec le nom de la personne ou l’organisme chargé de l’entretien, le plan des installations de récupération des EP et d’eau potable, une fiche de mise en service attestant de la conformité du dispositif, les dates de vérification et le détail des opérations d’entretien, le relevé mensuel des consommations d’EP (pour les installations raccordées au réseau d’assainissement) ; l’installation fait l’objet d’une déclaration en mairie avec identification du bâtiment concerné et évaluation des volumes d’EP utilisés ; enfin l’arrêté est rétroactif et s’applique donc aux installations existantes. (…) En définitive, si l’utilisation des EP mérite d’être réglementé pour des motifs sanitaires et une exigence de conformité, il est permis de se demander si l’encadrement excessif du dispositif n’a pas finalement pour objectif de dissuader les usages pour lesquels l’eau potable n’est pas requise. (…) Il est vrai que l’utilisation d’une ressource gratuite, abondante et renouvelable ne fait l’affaire ni des collectivités, ni des sociétés exploitantes qui perçoivent des ressources substantielles de l’eau (production, potabilisation, distribution, collecte et traitement des eaux uséees). Développement durable n’est pas toujours synonyme de bon sens et rime trop souvent avec buisness durable… . », in Roland GICQUEL, « Récupération de l’eau de pluie. Un encadrement très strict voire dissuasif », L’info Métropole. Le magazine de l’agglomération rennaise, n° 172, septembre 2008. 665 Maison de la Consommation et de l’Environnement, Bretagne. 666 Dossier ML/144.
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développer des solidarités avec d’autres groupes ? Rien ne nous en fait la preuve. Au demeurant architectes et urbanistes m’exposent leur crainte de voir se déployer sur le territoire un communautarisme vert participant de la déréliction du lien social. Ainsi, certains craignent de prescrire des techniques autonomes en continuant de préférer le réseau comme la mise en forme architecturale et urbanistique du lien fondamentalement politique et social que nous entretenons les uns les autres. L’autonomie comporte certains risques. Reste à savoir si ces risques valent la peine d’être pris. Autonomie ou narcissisme ? Le libéralisme ainsi que l’urbanité ont mis au monde un individu indépendant, libre de ses pensées et de ses paroles, autoproducteur et responsable de lui-même. Cette visée d’autonomie a quasi embrigadé le sujet dans une logique telle qu’il se doit désormais d’apparaître détaché de toute construction sociale et de toute appartenance identitaire. Etre vraiment soi-même, ce devoir d’authenticité, à la hauteur de la convention jadis observée, fait dorénavant autorité ; comme si l’individu devait préexister à son histoire. C’est l’idéologie de l’individu auto-construit, sans filiation, que nous avons déjà évoquée. Pour Christopher Lasch, « le refus du passé, attitude superficiellement progressiste et optimiste se révèle, à l’analyse, la manifestation du désespoir d’une société incapable de faire face à l’avenir. »667 L’individu ne s’apprécie plus dans un continuum historique pour lequel sa génération allait faire sens, mais dans l’expérience d’un moment : le moment de sa vie. L’existence devient expérientielle. Puisque la société n’a pas d’avenir, il est normal de vivre pour l’instant présent, de fixer notre attention sur notre propre décadence et enfin de cultiver « un intérêt transcendantal pour soi-même », (selon l’expression de Christopher Lasch).668 Il s’agit juste pour l’individu de notre période contemporaine d’assurer pour lui une existence pleine et singulière. Sa religion a pour symbole sa propre effigie. Seulement, sa croyance profonde en l’autonomie le rend terriblement dépendant des autres, parce qu’en coupant le lien qui le rattachait aux siens, il ne sait plus qui il est. L’individu narcissique de nos sociétés contemporaines vit dans l’incertitude de son identité et par là de son existence, en cela qu’il ne se situe plus ni dans le temps ni dans 667
Christopher LASCH, La culture du narcissisme, traduit de l’anglais par Michel L. Landa, Collection Sisyphe, Editions Climat, Castelnau-le-Lez, 2000, p. 27. 668 Christopher LASCH, idem, p. 32.
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l’espace, mais dans l’éternité.669 Narcisse est un errant ; une errance vécue comme initiation nécessaire à l’avènement du sujet. Pour autant, c’est dans le regard de l’autre qu’il va chercher des indices qui devront lui donner sa position. Comme un navire égaré en plein océan, il ne cesse en effet de s’ingénier à trouver sa route en scrutant l’horizon, les astres, le vol des oiseaux, puisque de lui il ne sait presque plus rien. Il ne sait rien de lui, parce qu’il n’est plus rien - puisqu’il voulait être tout. Ulysse « en son temps » a dû faire ce choix d’existence, plus précisément d’incarnation, en quittant sa déesse, en choisissant la mortalité, et en épousant Pénélope.670 L’incarnation, la relation au temps et à l’espace, apparaissent ainsi comme une castration nécessaire à toute vie. En effet, c’est cette illusion d’omnipotence, recherchée notamment dans l’autonomie qui rend au final le sujet si dépendant du public, de l’admiration qu’on pourrait lui témoigner, à lui qui est presque mort.671 Ce regard qu’il attend doit le rappeler à la vie, à l’autre ; car en réalité, il a peu d’expérience de l’autre si ce n’est celle du miroir que ce dernier semble ne cesser de lui tendre, et dans lequel, selon le célèbre mythe, il se noie. Cet autre, qu’il côtoie comme pour vérifier, que sa différence porte en elle sa propre valeur ; autrement dit, qu’il est toujours en vie ; cet autre, avec lequel il échange, et négocie peu (il en irait de sa compromission) ; cet autre, duquel il n’attend pas d’exercice de contrôle ou de sanction. Narcisse est, et tout à la fois : sa propre police, son propre juge, son propre bourreau. Comme un transfert de compétences, dans la société permissive qui est la nôtre, le contrôle a migré du groupe vers l’individu. Est ainsi encouragé « le développement d’un surmoi sévère et punisseur qui, en l’absence d’interdictions sociales faisant autorité, tire la plus grande part de son énergie psychique des impulsions agressives et destructrices émanant du ça. »672 Une société qui n’offre pas tous les repères, un code de conduite clair et facilement interprétable, une société qui soumet l’individu à la difficulté de faire la part des choses entre le bien et le mal, invite le sujet à se concentrer sur lui-même pour maintenir un état psychologique supportable. Dans le cadre du rapport social, cette vie sous surveillance offre un support de plus à l’orgueil et à l’exercice des rivalités. Le moi est devenu une obsession et la culpabilité fait rage. « Que suis-je en train de faire ? Que 669
De la modernité, ou encore mod(e ét)ernité, en contiguité : l’errance. A lire HOMERE, L’odyssée, Editions Garnier-Flammarion, Paris, 1965. 671 « Les familles bourgeoises de XVIIIème et XIX siècles, (…), posaient pour des portraits qui montraient la situation sociale du groupe familial ; l’album de photographies familial lui vérifie l’existence de l’individu, les documents qui résument son développement depuis l’enfance constituent finalement la seule preuve de son existence qu’il puisse considérer comme absolument valide », in Christopher LASCH, op. cit ., p. 80. 672 Christopher LASCH, idem, p. 39. 670
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suis-je en train de ressentir ? Quelles sont mes intentions ? » Comme une introjection du sens, l’individu narcissique moderne en est arrivé à se dévorer, à « s’absorber » lui-même, selon l’expression de Christopher Lasch ; puisqu’il ne vit plus que pour l’intériorité. En effet, tout est mis au service de cet intérieur qui pose tant de questions et auquel on doit assurer un équilibre. Le sujet, non plus au service du monde, mais le monde au service du sujet. Cette notion d’équilibre nous renvoie par conséquent aux principes normatifs de tant de méthodes thérapeutiques qui sont censées nous délivrer les bonnes recettes du bien-être. Le bien-être devient la principale motivation existentielle. Les valeurs d’amour, de respect, de dignité, d’honneur, pour lesquelles il fut un temps où on était prêt à payer de sa vie, n’ont pas plus de poids que celles de vulgaires instruments d’épanouissement. « « L’amour », en tant que sacrifice de soi ou humilité, et « la signification », ou le « sens » en tant que soumission à une loyauté plus haute, voilà des sublimations qui apparaissent à la sensibilité thérapeutique comme une oppression intolérable, une offense au bon sens et un danger à la santé et au bien-être. Libérer l’humanité de notions aussi attardées que l’amour et le devoir, telle est la mission des thérapies post-freudiennes, et particulièrement de leurs disciples et vulgarisateurs pour qui santé mentale signifie suppression des inhibitions et gratifications immédiates des pulsions. »673 Le sujet, ainsi dépossédé de signifiants forts, se perd.674 Par conséquent, la volonté d’être autonome vide la relation à l’autre de son sens à tel point que la sphère privée a perdu tout contenu puisqu’il n’y a de négation des frontières entre sphère privée et sphère publique. 675 Dans cette négation, le sujet n’est plus en mesure de coopérer avec l’autre, attendu qu’il n’a pas su conserver la distance nécessaire à la viabilité de l’espace public. La réserve, attitude sociale nécessaire à la civilité, brille par son absence. Impossible de ne pas opposer à l’autre son pedigree, car non seulement l’autre nous doit de nous révéler, sur le mode de l’échange et du contraste, mais en plus il se doit de nous accueillir, de recevoir notre différence : l’universalisme vu sous son angle rassembleur plutôt que discriminant, comme somme des possibles 673
Christopher LASCH, op.cit., p. 41. « (…) subjectivisme total et parfaitement conséquent tend vers le vide : aucun accomplissement n’aurait de valeur dans un monde où littéralement rien n’aurait d’importance que l’accomplissement personnel. (…) La recherche d’un pur accomplissement expressif subjectif peut rendre la vie superficielle et la vider de sa substance et peut ultimement se retourner contre elle-même, comme je l’ai soutenu plus haut. Mais cela n’établit en aucune façon que l’accomplissement subjectif, n’est pas un bien. Cela prouve seulement qu’il doit faire partie d’un ensemble qu’il faut chercher dans une vie qui aspire aussi à d’autres biens. », in Charles TAYLOR, op. cit., pp. 633-637. 675 « Quand les relations personnelles n’ont d’autre objet que la survie psychique, le « privé » ne constitue plus un refuge contre un monde sans cœur. », in Christopher LASCH, op. cit ., p. 57. 674
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humains, non plus comme invariants. Ainsi, on ne s’investit pas dans la relation, mais dans sa relation à l’autre. L’espace public en devient lui-même totalement instrumentalisé. On ne s’engage de ce fait pas en amour, pas plus qu’en amitié, relations ne nous rendant que plus dépendants ; on ne s’engage que sur soi-même et dans la démonstration de ce que l’on est ; alors que c’est objectivement du fait de cette attitude que s’est installé le malaise. A l’art de vivre, s’est substitué l’art d’être. Narcisse est déçu. Par l’introjection de sa libido, il tente de réduire la souffrance vécue dans ses tentatives d’amour, et nie cette rage née du sentiment d’abandon, qui en réalité l’accable. La personnalité narcissique est un peu celle à qui l’on a tout promis et qui se retrouve au fond totalement démunie. Sa difficulté est celle d’en avoir trop attendu.676 Du fait d’un surmoi important, elle fait taire cette rage qui n’a de choix que de se retourner contre elle-même. Elle est dès lors clivée entre les bons et les méchants : ceux qui acceptent de coopérer avec elle et les autres ; ces autres tout-puissants, qui semblent la nier dans son désir premier. Elle rejette ainsi ces « monstres voraces » qui ont tout pouvoir sur elle, tout comme elle intériorise cette image et ce, sans effectuer aucune synthèse. Elle deviendra à son tour ange et démon. Pour compenser le sentiment de rage, l’enfant narcissique va apprendre à se défendre du sens par son contraire, d’où le caractère ambivalent de sa personnalité. Ainsi, des fantasmes de richesse677, de beauté, de bienveillance, de réussite sociale, d’omnipotence, l’aideront à maintenir une structure originellement défaillante. « Les fantasmes associés aux images intériorisées des bons parents, avec lesquels il essaie de se défendre, deviennent le centre d’une « grandiose conception du moi » ».678 Pour Otto Kernberg, cette attitude ressemble à une sorte « d’optimisme aveugle »679 ; car Narcisse est en réalité désespéré tant il intériorise la désillusion comme une dépression qu’il ne surmontera pas, n’ayant finalement jamais réellement abdiqué sur cet idéal qui le tient, et qui serait une tentative de récupération de la toute-puissance perdue, cette toute-puissance vécue dans le giron maternel avant les premières frustrations, dans la sécurité et le plaisir absolu, sur cet Idéal du moi. Il y aurait donc un clivage profond chez ces personnalités, entre ce qui reste encore attendu et ce qui n’est plus à attendre, entre une dureté qui rend la réalité peut-être même plus tranchante qu’elle n’est, et la chimère qu’il existe un paradis terrestre, un jardin des délices, un 676
« Nos critères d’un travail créatif et rempli de sens sont trop élevés pour survivre à la déception. Notre idéal de « l’amour véritable » pèse trop sur nos relations personnelles. Nous demandons trop à la vie, pas assez à nous-mêmes. », in Christopher LASCH, idem, p. 306. 677 Christopher LASCH, idem, p. 71. 678 Christopher LASCH, ibidem. 679 Christopher LASCH, ibidem.
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nirvana, qui résiste et trouve à se vivre dans la rêverie, le fantasme. C’est un refus de la peine qui se paie, et qui peut même se payer très cher ; car surmoi et idéal du moi, en constituant deux pôles contraires, s’opposent dans des conflits intérieurs parfois très violents. De la dépression première, l’issue est le retournement de l’amour objectal sur lui-même à travers l’élaboration d’un projet, non de couple, de groupe, ou de société, mais individuel, celui de devenir son propre idéal : ce Moi idéal. Si le monde nous échappe, la solution devient alors de le reconstituer à notre goût, en notre moi intérieur, comme « sous cloche », en élaborant a fortiori des théories sur ce qui devrait être et, de s’y coller et pourquoi pas avec tyrannie. Des affinités électives Cette vision du développement humain, ayant pour fin l’accomplissement de soi, l’autoréalisation, a corroboré la reconstitution du collectif à partir de groupes d’affinités.680 L’utopie communautaire, comme une renaissance de l’avant-garde des années 70, réapparaîtrait ainsi sous un autre jour. On se sentirait finalement trop seul en ville, cette ville qui provoquait l’engouement justement parce que l’anonymat devait nous rendre plus libres, - trop seul et perdu. La communauté nous manquerait-elle, et avec elle le contrôle social, la rumeur, l’identité collective… ? L’individualisme a détruit les solidarités populaires et villageoises pour reconstruire d’autres formes de cohésion. L’appartenance au groupe ne se définit plus du fait de son appartenance sociale, géographique ou familiale, mais du fait d’une appartenance que l’on choisit, une appartenance basée sur l’entente, autrement dit une appartenance sous condition - sous condition d’affinité.681 Qu’est-ce qu’avoir des affinités ? Le petit Robert de la langue française parle de « rapport de conformité, de ressemblance ; liaison plus ou moins sensible. » On s’unit ainsi avec son semblable pour créer un groupe fondé sur des valeurs communes, ou une communauté, pour s’extraire d’une société éclectique au sein de laquelle on peine à agir. La personnalité narcissique pourra ainsi, de temps à autre, projeter ses principes théoriques sur le monde, comme des résurgences de tentatives d’existence collective. 680
Si désormais, les quartiers ou groupes d’habitations se construisent autour du projet écologique parce qu’abordable de par sa taille, il y a eu un temps où l’autonomie, voire l’autogestion, était une forme politique défendue et revendiquée par une classe politique et intellectuelle très active sur le plan des idées. Pierre Rosanvallon, en 1973, ouvre la voie par son ouvrage, déjà cité, devenu un classique de cette réflexion politique qui préconise des formes de démocratie plus directes. 681 Nous perdons ainsi l’amour inconditionnel de la « mère patrie » qui se devait de nous soutenir dans notre singularité ou même notre dissidence la plus jusque-boutiste.
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Janine Chasseguet-Smirgel, pour qui « toute situation de groupe serait vécue comme réalisation imaginaire du désir »682, nous explique qu’ainsi le projet de Narcisse est toujours utopique ; car en effet, « si l’institution du Surmoi soulage les exigences sans limites de l’Idéal du Moi en instituant la barrière de l’inceste et en transformant l’impuissance intrinsèque de l’enfant en obéissance à un interdit (ce qui lui permet non seulement de sauver la face mais de retirer une satisfaction narcissique de son obéissance même), et s’il est vrai, d’une manière générale, comme le souligne Francis Pasche dans son article « De la dépression », qu’il est souvent plus facile d’obéir à des principes moraux que de devenir une personnalité de premier plan, il n’en reste pas moins que le désir d’être, comme à l’orée de la vie, son propre idéal, ne semble jamais définitivement abandonné par la plupart des hommes, chez lesquels, à des degrés divers, il persiste inchangé, malgré les vicissitudes qu’il subit à un autre niveau, parallèlement à l’évolution du Moi, celui-ci subissant là, vraisemblablement, un processus de clivage analogue à celui que Freud décrit chez le fétichiste. »683 En effet, et pour reprendre les thèses déjà abordées, on peut observer à quel point le groupe a été imaginé comme ce lieu merveilleux de satisfaction de tous les désirs. Pareil au rêve, le groupe est le support de régressions ; quand le moi ou le surmoi n’a plus aucune capacité de regard sur la réalité, quand le ça subordonne l’ensemble de l’énergie psychique à sa propre cause, dans cette recherche incontrôlée et incontrôlable de fusion d’avec la mère tout-puissante, dans cette recherche de retrouvailles d’avec le premier objet d’amour perdu. Le groupe fait figure de mère. Il porte comme elle en son sein, englobe, soutient, guide. Fût-il de lui appartenir, de se confondre avec lui, c'est-à-dire de fonctionner selon ses règles, dans l’ordre de l’illusion d’être ce qu’il est, de n’être pas différent, puisque démuni d’organisme de contrôle chargé d’effectuer l’épreuve de réalité, démuni de tiers.684 Pour autant l’idéologie communautaire comme une idéologie de l’entre-soi, se fixe précisément sur ce malaise individuel. La communauté devient alors une mère toute-puissante au sein de laquelle le vœu de fusion peut s'exhausser, au sein de laquelle l’espace public, comme coulé, ne peut plus castrer le sujet dans ses désirs intimistes et unitaires. Pour Richard Sennett, la communauté, dans ce désir même, ne peut que pécher par son incivilité. Comme une impasse ne pouvant conduire qu’à l’aliénation, la 682
Janine CHASSEGUET-SMIRGEL, La maladie d’idéalité. Essai psychanalytique sur l’idéal du moi, Collection Emergences, Editions Universitaires, Paris, 1990, p. 77. 683 Janine CHASSEGUET-SMIRGEL, idem, p. 72. 684 Voir Janine CHASSEGUET-SMIRGEL, ibidem, p. 75.
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communauté, sorte de ghettoïsation, ne pourra jamais pleinement éduquer le sujet, dont l’avènement tient précisément de la nécessité politique et psychologique d’expérimenter différents types de rapports sociaux, d’apprécier la relation avec l’inconnu, le territoire « non familial et non familier », qu’il nomme « secousses ».685 Sans elles, nous devenons effectivement incapables de mettre en perspective nos propres conditions d’existence, incapables de demeurer autrement que dans un enfermement idéologique mortifère, puisque sont éludés en partie le travail de la conscience, les notions de ce qui est juste, puisque sont en réalité négligés nos véritables mobiles, à savoir nos jouissances. Dans son analyse de la société intimiste (que Christopher Lasch appelle narcissique), Richard Sennett fait la description d’une classe sociale moyenne et urbaine en recherche d’identité et de reconnaissance sur le plan social. L’avènement de cette classe néo-bourgeoise, qu’on dénomme aujourd’hui en France très communément « bobo », a pour origine cette recherche narcissique évoquée ci-avant, dont l’identification sera le principal moteur et l’émotion le critère adéquat pour mesurer l’authenticité des similitudes. « L’émotion vécue dans un groupe communautaire moderne indique qui l’on est, et qui sont les « vrais frères » des membres du groupe. »686 L’égalitarisme comme un nivellement, l’égalitarisme au sens absolu du terme, est le substrat de l’auto-engendrement réalisé par le groupe, un substrat ordonnateur et défensif des trouble-fêtes : les différences, différences d’opinion, de culture, de sexe… . Quand la sympathie s’introduit dans la relation sociale, l’espace public est noyé ; comme si vie collective et vie affective se devaient précisément de tenir une distance : la distance qui réside entre les sujets, du fait du langage, un langage ni soutenu, ni familier, mais terriblement commun.687 « Tel est l’étrange sectarisme d’une société sécularisée, telle est la conséquence du fait d’avoir transformé l’expérience du partage affectif en principe social », nous dit Richard Sennett.688 685
« Ces secousses sont nécessaires à l’être humain, elles lui permettent de mettre en question ses propres croyances, et par conséquent de devenir civil. La destruction des ghettos urbains, ou de la ville considérée comme une somme de ghettos, est une nécessité politique et psychologique. », in Richard SENNETT, Les tyrannies de l’intimité, Collection Sociologie, Editions du Seuil, Paris, 1979, pour la traduction française, p. 233. 686 Richard SENNETT, idem, p. 245. 687 Tel est le paradoxe mis en évidence par le sociologue Robert E. Park, « en dépit de l’optimisme affiché de son modèle d’évolution cyclique : plus les distances sociales s’amenuisent ou s’effacent, plus les croisements interraciaux se multiplient, plus les cérémoniaux et les préjugés « conservateurs » perdent leur fonction symbolique. Bref, plus s’accélère la marche vers la ressemblance ou l’assimilation généralisée, et plus les conflits s’exaspèrent. La marche vers l’unité est en même temps accroissement de conflictualité. », in Pierre-André TAGUIEFF, La république enlisée : Pluralisme, Collection Document/ Histoire, Editions des Syrtes, Paris, 2005, p. 330. 688 Qui argumente son propos en expliquant que c’est notamment en négligeant l’importance de l’esprit ludique que la nouvelle bourgeoisie a annulé l’espace public. Il se réfère aux théories de Mélanie Klein sur
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La communauté, nourrie d’un narcissisme ambiant et quasi valorisée sur le plan politique, pourrait bien glisser du sens à l’insensé, de l’amitié à l’exclusion, de l’ouverture à l’intolérance. En effet, dans un mouvement pernicieux et qui nous concerne tous d’attachement et de détachement, entre intériorité et extériorité, l’individu pourrait s’égarer au bénéfice de son idéal. En détruisant certains biens pour en construire de nouveaux, il est en passe de refermer le livre de la vie, au nom de l’écologie, du vivant, de l’éthique. Dès lors, il se piège dans une vision totale non seulement en oubliant de reconnaître la nécessité de l’autre, mais en sous-estimant de surcroît la nécessité du mal. Ces deux nécessités, comme intimement liées, n’ont eu de cesse de nous accompagner et avec nous, notre sens moral, tout au long de notre histoire. Avec une montée en puissance de « l’écologisme », un retour de l’intolérance, une intolérance au visage de la tolérance (un non qui dit oui), nos griefs pourraient bien rejoindre la liste des dernières justifications totalitaires toujours basées sur le primat de l’homme théorique689, jamais sur celui de l’homme réel. La République s’enlise.690 Les affres du communautarisme vert En effet, un collectif basé sur des valeurs communes 691 et qui tient du fait même de l’homogénéité éthique « ne peut accepter, absorber, assumer le dehors, parce qu’il deviendrait impur »692 , et de fait conflictuel. Le dehors est ainsi perçu non comme gage d’équilibre mais comme danger. Ainsi la communauté basée sur le même est précisément une notion contraire à celle de société ou de sociabilité, basée sur le différent, le pluriel. L’idéal unitaire est un idéal d’amour, mais n’est pas l’amour, un idéal d’harmonie mais n’est pas l’harmonie ; tout simplement parce que l’amour ne doit, ne peut d’aucune manière se définir en terme d’idéal, puisqu’il demeure un état. C’est un état sans besoin, le jeu pour en déduire que la distanciation expérimentée dans l’espace ludique est celle-là même qui se transfert sur l’espace public et que l’abandon de cette dimension ludique dans notre société moderne a en partie pour conséquence une incapacité à tenir notre rôle ; le rôle comme un jeu. Christopher Lasch, dans son ouvrage déjà cité, ne partage pas son point de vue qu’il qualifie de bourgeois. Je me range à ses côtés. En effet, le devoir d’authenticité ne s’assimile pas au devoir d’intimité. Dire vrai, n’est pas tout dire et tout partager. La réserve, non le jeu (commun aux personnalités hystériques), peut suffire à réaliser l’espace public, non comme un espace artificiel et bavard, mais comme celui de la retenue, du juste, de l’invariant, néanmoins capable d’accueillir avec bienveillance les débordements de personnalités excessives. 689 Pour reprendre l’expression de Friedrich Nietzsche. 690 En référence à l’ouvrage de Pierre-André TAGUIEFF, déjà cité. 691 Sur ces questions, on pourra par exemple se référer aux deux articles de Jean-Louis LAVILLE, « Associations et pouvoirs publics : le problème français », in M, n° 77, Paris, mai-juin 95 ; et « L’association comme lien communautaire propre à la démocratie », Economie et humanisme, n° 332, mars 1995. 692 Richard SENNETT, op. cit., p. 247.
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et surtout sans besoin d’unité, du fait même qu’il est l’unité. Ainsi, cet idéal d’amour, ou idéal du moi, ne saurait être un objectif collectif, quand il doit rester un espoir personnel de vivre la paix du cœur que seule la pluralité est en mesure d’offrir au sujet. 693 Dans l’objectif et dans la satisfaction se loge souvent l’orgueil quand, dans l’amour, aucune place n’est faite à l’orgueil. Dans la communauté idéalisée, on poursuit une illusion qui doit se lire en chacun, et pour peu que ce ne soit possible, alors le groupe se charge d’éliminer ce qui entrave l’accomplissement de l’illusion ; celui qui ne pense pas comme le groupe est par conséquent exclu, tenu pour fou, pourchassé ou même détruit. Des supports de projection décevants, et la frustration des « capricieux » conduit au bain de sang. En posant cette promesse d’une unité retrouvée entre les hommes comme principe, est ainsi activé le désir d’union du moi et de l’idéal, est développée l’identification du moi à l’idéal, jusqu’à se fondre au groupe : « objet primaire tout-puissant ». Pour autant, les limites du moi se délitent sous la pression idéologique. Les structures internes se dégradent pour nourrir le collectif tout entier. La mégalomanie du sujet est « rassasiée ». « (L’homogénéité de la masse dans son ensemble) permet ainsi à chaque membre, non pas de se sentir une infime particule indifférenciée d’un grand ensemble, mais au contraire de s’identifier au groupe global, se conférant de ce fait un Moi tout-puissant, un corps colossal. »694 En vue de la préservation de la santé de ce « corps », il serait en définitive requis de manière obligée, pour Janine Chasseguet-Smirgel, de chercher à détruire tout ce qui fait dissidence. La difficulté dans cette histoire : résister à l’embrigadement, à l’exclusion et au déni, accepter la solitude et ne pas céder aux attaques du doute et de la gratification narcissique d’être resté en dehors de la formation idéologique du groupe, compte tenu du fait que si l’on s’exclut, on exclut à son tour. Le mal que l’on représente aux yeux de l’autre devient le mal chez l’autre ; cet autre qui nous a abandonnés au profit de sa communauté narcissique et qui nous prive de son amour. En lui gardant rancune, et dans la déception de cette absence « injuste », le sujet fera perdurer le cycle narcissique ; car à son tour, il passera outre le deuil du plaisir infantile. Pour cette raison l’illusion 693
Pour Richard Sennett, « Cette vérité est la suivante : les gens ne peuvent être sociables que lorsqu’ils sont protégés les uns les autres. Sans barrières, sans limites, sans cette distance mutuelle qui constitue l’essence même de l’impersonnalité, les hommes deviennent destructeurs. Non parce que la « nature humaine » serait en soi mauvaise (c’est là l’erreur des conservateurs), mais parce que la culture édifiée par le capitalisme et la sécularisation conduit nécessairement au fraticide quand les gens font des relations intimistes la base même des rapports sociaux. », op. cit., p. 247. 694 Janine CHASSEGUET-SMIRGEL, idem, p. 78.
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idéologique est similaire à la perversion, en cela qu’elle est un déni du savoir, voué à maquiller la perception dégoûtante, la vision des organes génitaux féminins, et voué à supplanter l’interdit de l’inceste et la loi d’exogamie. L’écologie, comme science de la nature, autrement dit science du Tout, peut facilement devenir une légitimation de taille pour restaurer l’illusion de la symbiose et de l’indifférenciation. En cela « l’écologisme » comme le « technologisme » sont portés par le même affront, la même désinvolture, le même désir d’omnipotence, élevant l’étendard de la volonté humaine au plus haut et niant tout simplement leurs limites. Par la négation d’un monde où la douleur sévit et sanctionne, l’Homme s’est idéologiquement construit un autre monde. L’autre monde ne serait accessible que par les voies du savoir, de la sagesse, de la forme de spiritualité la plus haute, libérant ainsi le divin du corps. Le mouvement New Age porte en lui cette pensée d’une libération totale.695 Aussi, et puisque l’écologie se réclame du vivant, une politique qui protègerait la vie, difficile de faire autrement que de tenir cette idéologie pour une idéologie de premier rang, difficile d’assumer les positions semblant faire triompher les pulsions de mort, quand la vie est au centre de nos conceptions judéo-chrétiennes. Pourtant, il semblerait que le respect de la mort soit aussi important que celui de la vie, puisque qui ne respecterait la mort ne respecterait la vie. Vie et mort comme les deux faces d’un même ruban doivent coexister, tout simplement parce que l’un est le terreau de l’autre. Pour le coup, on serait amené à penser le bien par la répudiation de l’éthique de la bienveillance.696 Car, en effet, « le sentiment menaçant d’être indigne peut aussi conduire à projeter le mal hors de soi ; on identifie alors le mal, l’échec, à une personne ou à un groupe. J’ai la conscience tranquille parce que je m’oppose à telle personne ou à tel groupe, mais que puis-je faire ? Ceux-ci font obstacle à la bienfaisance universelle ; il faudrait les liquider ».697 Notre attitude instrumentale envers la nature comme envers nos propres sentiments, conduit à nous distancier du sens.
Nous nous divisons ainsi
intérieurement entre raison et sentiment ; discrimination qui dissout le commun et multiplie les divorces.
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Ce qui fut précisément le cas des gnostiques, selon Christopher LASCH, op. cit., p. 304. C’est aussi la conception de Nietzsche. Lire notamment sur ce sujet l’ouvrage déjà cité Par delà bien et mal, Collection Folio, Editions Gallimard, Paris, 1987. 697 Charles TAYLOR, op. cit., p. 644.
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« Connais-toi toi-même » Pour autant, c’est peut-être en quittant l’idée du bien que nous rejoindrons le bien, en quittant l’idée d’amour que nous vivrons l’amour, et le soin accordé à ceux-là que nous aimons et qui nous environnent, de manière naturelle ou spontanée. Trop de langage tue le langage. La parole connaît ce besoin du silence, de la ponctuation. Trop et pas assez en même temps. Trop pour ce qu’il nous sépare en nous nommant, en nous singularisant, et par là en nous atomisant ; et pas assez pour ce qu’il nous lie au travers de ce commun, cet invariant qui nous fait même, c'est-à-dire frère ; car nous nous aimons autant pour ce qui nous fait différents que pour ce qui nous fait semblables. Par là, si l’écologie reste une idéologie (intégrant ainsi le cadre du pluralisme), elle doit rester non pas fausse ou faussée, instrumentalisée, mais molle, souple. Elle ne doit pas séparer (mais unir), ni le sujet au sein duquel un conflit intérieur par excès de bienveillance pourrait survenir, ni le groupe qui pourrait être amené à se communautariser par la légitimation des représentations et des pratiques revendiquées et acquises ; car en effet, « (…) les exigences de bienveillance peuvent entraîner un coût élevé en termes d’accomplissement et d’amour de soi, qui peut à la fin devoir s’acquitter par l’autodestruction ou même par la violence. »698 En cela, si les « hyperbiens » de la morale traditionnelle et de la religion, tels que Charles Taylor les nomme, ont pu faire figure à un moment de l’histoire de l’oppression ; la révolte naturaliste représentant la résultante de cet écrasement - comme une respiration - à présent, il semblerait que les choses s’inversent. Et voilà désormais le naturalisme, qui au nom de la science, commence à discriminer, à moraliser, à dénoncer, à incriminer, à exclure.699 « Dès le début de l’histoire religieuse de l’humanité, notre relation avec le supérieur a été de façon récurrente associée à des sacrifices, à des mutilations même, comme s’il fallait nous arracher quelque chose ou nous immoler pour plaire aux dieux. »700 Pour autant, il ne faudrait pas qu’une décroissance économique se mette en œuvre sous la forme d’un ascétisme intransigeant, dévastateur, et terriblement orgueilleux, à tel point que toute forme de rencontre devienne impossible. Ce ruban à deux faces, bien et mal, serait en réalité le ruban de Mobius, puisque l’un devient l’autre.701 Un vieux proverbe chinois nous demande de respecter notre 698
Charles TAYLOR, idem, .p. 647. Michel Foucault, en son temps, a développé ce genre de réflexion. 700 Charles TAYLOR, op. cit., p. 648. 701 « (…) Nietzsche propose souvent de la morale une image qui la réduit simplement à l’envie, à une ruse des faibles ou au ressentiment, et il lui retire ainsi tout droit à notre allégeance. », in Charles TAYLOR, idem, p. 648. 699
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ennemi autant que nous-même ; qu’il se loge à l’intérieur donc ou qu’il se loge à l’extérieur. Par là, notre foi ne doit jamais, et c’est peut-être la règle à observer, devenir plus puissante que notre intention profonde et inconsciente ; comme si l’un et l’autre ne devaient s’éloigner pour se perdre de vue, comme si l’un et l’autre ne pouvaient se lâcher la main dans cette expérience d’élévation de notre humanité. Il y aurait ainsi peut-être un juste mal, comme une récréation, un répit, de quoi reprendre son souffle, nécessaire à tout effort.702 En cela la bienveillance devient non seulement essentielle, mais nécessaire. Pour Charles Taylor : « Si les idéaux les plus élevés sont aussi potentiellement les plus destructeurs, alors la voie la plus prudente est peut-être la plus sûre ; il n’y aurait aucune raison de se réjouir sans réserve d’une réhabilitation inconsidérée de biens qui donnent du pouvoir. Une judicieuse retenue peut faire partie de la sagesse. »703 Pour ma part, je comparerais cette tension entre idéal et moi, à l’élégance, ou au contraire, au grotesque, au ridicule, dont on peut être l’objet, affublé de vêtements étriqués ou trop amples. Les premiers entravent nos mouvements et réduisent notre champ d’action. Les seconds sont sujets à nous faire trébucher. Se munir de vêtements à notre taille, encore faut t-il que nous en changions de temps à autre en fonction de l’évolution de notre corpulence, encore faut-il également que nous la connaissions (cette taille), cela paraîtrait relever de la précaution la plus « ajustée ». Par conséquent, si l’écologie demeure une idéologie, elle doit s’exprimer davantage par le projet et moins par la valeur. Ne jetons pas le voile sur ce qui nous sépare, mais n’exacerbons pas non plus les tensions qui sont les nôtres. Le concept de développement durable offre un terrain à cette posture subtile et mesurée : humble.704
702
Le long métrage d’Ingmar BERGMAN, Fanny et Alexandre, met en scène ce dilemme du vice et de la vertu : vertu incendiaire et vice blagueur et cajoleur. Fanny et Alexandre, réalisation : Ingmar BERGMAN, scénario : Ingmar BERGMAN, avec pour principaux comédiens : Eva FROLING, Bertel GUVE, Pernilla ALLWIN, Jan MALMSJO, montage : Sylvia INGMARSSON, producteur : Jörn DONNER, durée : 188 mn, décembre 1982, Suède. 703 Charles TAYLOR, op. cit., pp. 649-650. 704 « Les forces centrifuges des cultures particulières et de l’individualisme ne se corrigeront mutuellement que si la possibilité d’une correction est prévue. Il faut se donner comme objectif un équilibre des deux forces, ce qui signifie que nous ne pouvons pas être des défenseurs inconditionnels du multiculturalisme et de l’individualisme : nous ne pouvons pas être simplement communautariens ou libéraux mais parfois l’un, parfois l’autre, selon ce que réclame l’équilibre. », in Michael WALZER, « Individus et communautés : les deux pluralismes (1994), traduit en français par Marc-Olivier PADIS, Revue Esprit, n° 212, juin 1995, p. 113, in Pierre-André TAGUIEFF, La république enlisée : Pluralisme, op. cit., p. 334.
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Conclusion Les mythes sont l’expression de notre civilisation. Ils sont à l’origine de nos représentations. Nous élaborons des mythes pour donner sens à nos pratiques. Ce sont des repères culturels forts, sorte de structure primaire latente à toute pensée, à toute action. Ils sont une figure imaginaire qui nous cadre ou nous recadre. Ils s’intègrent au langage dans chacune de nos expressions. Ils disent le vrai et le faux, le bien et le mal. Ils nous donnent à voir le monde. Ils constituent une manière d’approcher le réel, l’espace et le temps. Les mythes nous inscrivent dans le monde au travers de formes qui sont des partis pris, non sans ambiguïté, des prises de position. Les trois mythes qui soutiennent notre relation à la Nature nous exhorte à l’heure actuelle à surconsommer, à nous comprendre libres et différents de la Nature (alors que nous lui appartenons en propre), à nous croire toutpuissants du fait de l’étendue de nos connaissances. Ces trois mythes, qui demeurent capitaux aux vues de leurs influences à l’époque moderne, nécessitent d’être remis en cause. En effet, il semblerait qu’aujourd’hui nous devions en changer, tant ils nous mèneraient à notre perte. Le Jardin des délices, mythe du paradis terrestre, nous a engagé à développer notre civilisation sur le mode de l’abondance. Par une productivité croissante, nous cherchons inconsciemment à vivre dans l’opulence promise, pour qu’aujourd’hui les ressources, non renouvelables pour certaines, viennent à manquer. Le mythe de l’éternel retour soutient cette croyance au retour de l’Age d’Or. Nous serions inéluctablement guidé vers ce temps ancien et paradoxalement nouveau de complétude, et de jouissance absolue. Ainsi l’Homme va provoquer son destin par le développement de la science et de la technique qui va au final confirmer la prédiction. Seulement ce qui apparaissait offert par le Tout-Puissant commence à apparaître au XVIIIème siècle du ressort de l’Homme. L’Humanité s’émancipe alors. L’arrivée de la
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classe bourgeoise est constitutive de cette marche en avant et de cet affranchissement comme une prise de pouvoir de l’Homme sur la Création. Dès lors, l’idée d’un ordre juste quitte les esprits. La Monarchie qui avait pour tâche de le maintenir n’a plus sa place dans cette société nouvelle. L’Humanité, en tant qu’elle se libère de ses croyances, et notamment religieuses, en est venue à s’autoproclamer souveraine. Son Histoire est cellelà même qui va justifier sa légitimité : le mythe de l’Humanité en progrès. Ainsi, le politique, laïcisé, libéré des vérités religieuses, est devenu objet de négociation. Le projet social : l’abondance et la cessation du labeur. La science et la technique doivent servir le projet de cette société du « toujours plus et toujours mieux » : bourgeoise et progressiste. En ne reconnaissant pas la puissance divine et en misant désormais sur sa propre puissance, l’homme occidental va exacerber son caractère artificiel comme pour se départir à jamais de ce qu’il est censé dominer. Pourtant, maîtriser la Nature en tous points, c’est aussi maîtriser sa propre nature, pour s’en dégager jusqu’à ne plus reconnaître son rapport de filiation avec elle. C’est une lutte acharnée dont il est ici question. En luttant contre la Nature, c’est contre lui-même que l’Homme va lutter, contre la part pulsionnelle qui sommeille en lui, et le dévoie quand son seul chemin devrait être celui qui fait société. L’interdit de l’inceste apparaît comme le tabou majeur qui fonde le processus civilisationnel. Par la restriction sexuelle, naissance de la division entre l’homme de la polis et l’homme de la pulsion, entre le conscient et l’inconscient, entre le bien et le mal, va advenir le langage. Le mythe des origines de Sigmund Freud traduit sous la forme du récit cette progression du fait d’une mise en tension entre Nature et Culture. En effet, c’est toute une partition idéologique, et exclusive, qui s’élabore ainsi, distendant toujours plus l’objet de sa représentation, le réel de la figure du réel pour in fine ne plus prendre véritablement en compte notre environnement, mais seulement notre propre regard. L’Homme passe alors de la sphère cosmologique et unitaire à laquelle il appartenait, à une sphère noologique et pluraliste, car les regards divergent en effet. Aux questions métaphysiques, il trouve des réponses scientifiques. La connaissance a comme recouvert la conscience d’un voile opaque et l’Homme ne parvient plus à distinguer le réel de l’imaginaire. Il instaure ainsi un ordre symbolique, un monde, un langage qui écarte de lui la tentation originelle de l’idéal du moi, tentation de retour à la fusion mère/enfant, pour exister en propre. En ce sens l’ordre symbolique est cette affirmation d’une pensée exclusive, c’està-dire une pensée qui sépare, classe, ordonne, une pensée duelle, du pur et de l’impur, du 254
propre comme de l’impropre. Ce rapport au réel inscrit dans le langage invite l’Homme à appliquer ces codes langagiers à toutes les échelles de la vie pratique. En cela toute une symbolique de la souillure, du désordre, du sale, est tenue pour être la base même de nos postures idéologiques. Ici un déni s’opère. L’Homme ne consent à appartenir à la Nature puisqu’il se refuse à la Totalité, puiqu’il se refuse comme déchet, comme mort. En s’excluant ainsi, il réfute sa finitude. C’est la raison pour laquelle tout ce qui va à sa fin est difficilement assumé en Occident. L’écologie demanderait néanmoins qu’il le soit. Un assouplissement langagier, symbolique est prôné par les naturalistes qui s’opposent aux conceptions culturalistes comme ils n’acceptent, d’une certaine manière, de devoir choisir entre le père et la mère, entre le Moi idéal et l’Idéal du moi, entre l’ordre strict et conventionnel calqué sur le refus du biologique, du pulsionnel, et la part sauvage qui dit aux hommes combien ils sont sensibles, fertiles, et jouisseurs. Ils regrettent la pensée duelle dans laquelle la culture occidentale s’est comme embourbée, et aspirent à une conscience qui intègre la totalité dans un au-delà de l’analytique. L’Ecologie aurait en effet tant à gagner d’une attitude plus clémente à l’égard du trivial, de l’impur, incluant par là une pensée plus adéquate à la vie terrestre, une pensée du cycle. Avec la science et la technique, et avec Descartes plus encore, un changement de paradigme a lieu au sein des sociétés occidentales. A partir du XVII ème siècle, Descartes modèlise le monde et développe une vision atomiste et mécaniste de la Nature. Est par là écartée toute notion ontologique du monde, toute vision cosmique de la Nature, en cela que la doctrine cartésienne réduit toute forme de vie à la somme des éléments qui la composent. En effet, cette forme de pensée est une pensée qui découpe, dissèque, une pensée pour laquelle chaque unité connaît sa logique propre et entretient une relation de causalité univoque et définitive. Par conséquent, elle met un point d’honneur à dénombrer et dévoiler les grands principes logiques. Par cette vision excessive d’une domination de la logique sur la Nature, de la logique sur l’onto-logique, échouent ainsi la notion d’être et avec elle celle de respect. La relation de causalité, comme voie de l’intelligibilité, offre une perspective sur une maîtrise totale de l’Homme sur la Nature. Une vision instrumentaliste se développe alors quand la fin nous préoccupe davantage, moins les moyens. Un monde artificiel et rationnel, né du seul principe de finalité et d’utilité, s’édifie ainsi. Cependant la méthode scientifique demeure insuffisante. A mesure que les connaissances s’accumulent, que nous affinons notre perception de la Nature, nous 255
observons aussi à quel point nous demeurons impuissants et ignorants devant le phénomène terrestre. Le défi écologique augure de cette incapacité de nos sociétés, malgré leur niveau de connaissances, à réagir. A la technophilie du temps des Lumières, vient à mesure s’opposer une technophobie en colère et rétrograde. Non seulement la science et la technique ne nous permettent pas de répondre à toutes nos exigences – elles apparaissent finalement très insuffisantes, voire faillibles – mais encore, elles sont à l’origine, du fait du développement de nos sociétés, de la destruction de la biosphère, et d’une prédominance de l’objet sur le sujet. Dans cette logique, doit-on continuer à développer les sciences et à croire à une résolution technologique comme à une maîtrise ultime, ou doit-on au contraire mettre un point final à ce jeu pervers qui ne connaît pas de fin et qui comme la poule et l’œuf ne cesse de s’auto-engendrer ? Le parti de la sobriété et de l’humilité connaît de plus en plus d’adeptes. Pour ces derniers, la technologie ne saurait être à la hauteur de la vie. Les modes de vie contemporains trouvent leur origine en partie dans les trois mythes ici définis. L’homme moderne a trouvé dans cet imaginaire la clé de voûte de son système de représentation. Selon les époques, des variations idéologiques se sont déterminées, en donnant corps aux philosophies matérialistes, libéralistes, individualistes nihilistes, hédonistes… . Le mouvement moderne a ainsi développé chez l’individu une série d’attitudes qui lui sont caractéristiques : postures narcissiques, refus des obligations morales, affirmation d’un droit au plaisir, imposition de l’échange au détriment du partage, développement des rivalités à défaut des solidarités. La modernité, principalement fondée sur une logique de changement, d’autonomie vis-à-vis des traditions et du passé, fait table rase. Le mouvement s’accélère dans les années 70 où la liberté devient une notion capitale. Tout est alors possible. On ne se sent, pour certains, limité en rien. L’imaginaire prend dès lors une place déterminante et casse la plupart des cadres archétypaux. En révolutionnant les formes de langage, en méprisant les structures classiques, on totalise un rapport au monde qui devrait nous rendre invincibles. C’est l’expression de Bruno Latour. Mais la société moderne, par cette totalité à laquelle elle aspire, est devenue une représentation d’elle-même pour elle-même. Elle est « narcississée ». Une illusion de toute-puissance l’enferme dans la recherche effrénée d’accomplir sa volonté, de dépasser les frontières du réel, de la finitude et de la mort. Par là, elle incite les populations à innover. Seulement les bouleversements engendrés, malgré un niveau de vie qui s’élève, génèrent crise, inconstance, inquiétude, stress. 256
Avec le système fordien, une meilleure productivité donne lieu à des modes de vie différents, basés sur l’activité de consommation. Un capitalisme nouveau sous-tend le changement culturel à l’œuvre. En misant sur la recherche de bien-être et sur celle du bonheur des individus, il fait naître de nouveaux besoins, pour que bientôt le bien de consommation apparaisse comme incontournable à la satisfaction du sujet. La société de consommation est née et avec elle tous ses excès. La mode en est un. Un renouvellement incessant procure aux consommateurs une excitation sans borne, mais également le stress ne n’être jamais tout à fait « dans le coup », d’où le développement d’une course à l’innovation qui s’accélère, d’où un gaspillage insensé des ressources de la planète, d’où une dépression des valeurs, et une dépréciation du sens en général. On assiste ici à un véritable dérapage culturel. A lieu un changement de repères symboliques, contexte au sein duquel Narcisse ne peut que se complaire. Beaucoup d’intellectuels s’inquiètent de cette fuite en avant qui ne mène en définitive qu’à la dépression, au nihilisme, à la décadence, tel que le sujet ne pense plus qu’à s’évader des réalités sur lesquelles il croit ne plus avoir prise. L’insouciance futile, le besoin de légèreté, l’irresponsabilité, semblent mieux convenir à son quotidien détaché des repères anciens. Le système fonctionne admirablement bien. La déréliction de la sphère symbolique exacerbe le sentiment de vide qu’il nous suffit de combler par l’accumulation matérielle. Cette vie n’en reste pas moins insatisfaisante ; raison pour laquelle le vide se creuse et l’avidité s’accroît. Le cercle est vicieux. La consommation se referme ainsi sur l’homme moderne comme un piège duquel il peine à se tirer, tout simplement parce qu’il a construit dans son rapport à l’objet tout un système de valeurs qui, malgré tout, maintient existantes des formes sociales : logique de rivalité, de distinction, d’appartenance, etc. Pour autant, dans cette ambiance où l’incorporation est quotidienne et aliénante, dans cette société de « la grande bouffe », il y en a qui, dissidents, déclinent l’invitation à combler leur faim. Ils résistent quand ils ne consentent plus, à leurs dépens, à devenir esclaves de leurs désirs, esclaves d’un manque à être qui les torture et qui fait de la Terre le vaste garde-manger d’un appétit grandissant, alors même que les enjeux écologiques actuels nous demandent de revoir nos besoins à la baisse. Dans cette perspective, on pense alors à mesurer ce qui est de l’ordre de l’essentiel, ou du subalterne. John Rawls, Abraham Maslow, Epicure, nous font part de leur conception du besoin. Georges-Hubert Radkowski ne reconnaît en ce terme qu’un concept erroné. Le besoin ne serait en réalité jamais que désir. Notre rapport au monde ne peut pour lui se déterminer que dans notre rapport au désir. La question de l’essentiel 257
resterait dans cette logique sans fondement. Erich Fromm nous informe avec d’autres qu’il existe une échappatoire à la consommation quand le désir n’est pas restrictivement celui de l’avoir, puisqu’il peut également résider dans l’être. Dans le creux du manque, naît le désir. Par le retournement de l’avoir, par le respect du vide et la condamnation de la jouissance, se révèle l’être. Le désir s’ouvre alors. L’autre, non comme objet, mais comme infini, s’affirme par conséquent, et annule les projets gourmands et omnipotents. Ainsi advient la joie. S’appliquer à développer une dynamique de l’être au désavantage d’une dynamique de l’avoir pourrait pour le coup soulager notre planète et par là assurer aux générations futures un avenir plus clément. Cette carte est jouée tant par les partisans de l’écologie politique que par les adeptes du concept économique de décroissance. La décroissance, non dans sa forme restrictive mais plutôt dans un recouplage de l’économique, de l’éthique, du psychologique avec le politique, devrait dans cette optique pouvoir aider à une recomposition des modes de vie, émancipatrice et épanouissante. Dans cette perspective, nous serions donc amenés à developper de nouveaux modèles politiques cohérents en phase avec le concept de développement durable. Pour ce faire, il faudrait intégrer la notion de décroissance à l’idée de ville durable. Et d’une certaine manière, c’est déjà fait. Depuis plus de trente ans, architectes et urbanistes planchent sur ces questions. Les modèles politiques et urbanistiques de la ville durable, les réflexions sur l’écodéveloppement ne manquent pas. Néanmoins rares sont les résultats ? Pourquoi ? Parce que derrière les nouveaux modèles déclinés, planent en réalité l’ombre inquiétante d’une nouvelle utopie : l’utopie durable. Et l’idée même d’utopie sème la terreur. Après l’échec socialiste à l’est de l’Europe, les visions politiques et urbanistiques modélisées, globales, ont perdu pour beaucoup d’acteurs de leur intérêt. Le libéralisme prévaudrait par ce fait aujourd’hui largement devant l’interventionnisme. Dans ce même mouvement, l’action publique mise donc de nos jours avant tout sur des instruments incitatifs (outils financiers : écotaxes, redevances, aides, systèmes de consignation, création de marché), plutôt que coercitifs. En ce sens, les politiques publiques environnementales visent à intégrer à l’économie la donnée écologique selon le rapport coût/bénéfice. Le libéralisme est un concept qui enferme en lui-même le principe économique en cela qu’il s’édifie sur la relation d’échange, peu importe son caractère moral. Dans cet ordre d’idées, l’idéologie libérale pourrait soutenir toutes les perversions. Jean-Claude 258
Liaudet, avec d’autres, compare ce type de rapport au rapport sado-masochiste, en cela que la possibilité d’échanger tout objet, confère à ce dernier une valeur qu’il ne pourrait connaître dans un autre contexte. Mais la liberté n’est-elle celle que de choisir ou d’échanger ? Isaiah Berlin dissocie deux types de liberté. L’une est négative. L’autre positive. La première, forme la plus reconnue, nous rend maîtres de nos décisions et nous incite à vivre les contrariétés de la discrimination. La seconde nous demande de répondre positivement à notre éthique ou à notre morale. Elle exige de nous que nous soyons en capacité de vaincre nos déterminismes, que nous échappions en cela à toute forme idéologique, tel que Spinoza pouvait l’entendre : la liberté au sens de liberté de penser. Donc, la liberté négative connaît à l’heure actuelle ses heures de gloire. En cela, tout objet ou toute relation tend à être évaluée et à faire le jeu des préférences, perdant par là toute valeur ontologique. Cette approche est essentiellement instrumentale. Les biens environnementaux sont eux-mêmes évalués au point où ils sont devenus transférables en valeurs marchandes. Une économie de l’environnement peut alors se constituer. Le coût d’évitement, la dépréciation de valeur marchande, le coût de réparation, le coût de substitution, l’acceptation à payer, représentent une myriade de principes économiques qui vont dans ce sens. Ils permettent de rendre présentes des contraintes qui ne l’étaient pas au départ. Mais l’expérience nous montre que des trappes rendent inefficaces ces outils monétaires. La mondialisation en est une. Le libéralisme engage l’activité de consommation à connaître des mutations. L’achat éthique et écologique prend pouvoir par le biais de l’économique sur le politique. Chaque achat devient en quelque sorte un vote pour lequel le souci d’être juste, trop souvent revenu, mine le consommateur/citoyen quand il se sent chargé d’une responsabilité de plus en plus oppressante. S’informer toujours plus est la résultante de la pluralité des choix. La certification va peut-être soulager en partie ces consommateurs de leur difficulté à vivre dans l’incertitude, voire dans la culpabilité de n’avoir pas pris les bonnes décisions. Dans l’optique libérale, se développe l’idée d’autonomie. Pour l’écologie politique entre autre, l’autonomie représente une voie dans laquelle s’engager : c’est la troisième voie après le « tout-Etat », ou le « tout-marché ». Pour ces derniers, l’activité autotélique, caractéristique de l’autonomie, figure une triple réponse aux contraintes des milieux : milieux économiques, milieux écologiques, milieux sociaux. D’une part, elle peut, en échappant au cadre du marché, enrayer une partie du chômage. D’autre part, redonner du 259
temps de travail aux ménages pour qu’ils l’investissent sur le plan local, voire domestique, peut concourir à régler bon nombre de problèmes sur le plan de l’écologie (rapport à l’économie et à la qualité de la ressource en eau par exemple), et accroître tant le niveau d’utilisation des ressources locales (d’où des économies d’énergie à faire), que celui de la productivité. Enfin, grâce à une inscription plus nette en notre environnement, nous pouvons accéder à une meilleure qualité de vie (plus de disponibilité, moins de stress et de temps de transport). Mais l’autonomie comporte des risques. Renvoyer à la charge du citoyen certaines activités qui étaient par exemple sous la responsabilité de la collectivité n’est pas sans danger. La sécurité sanitaire par exemple, dans le cadre de la potabilisation individuelle des eaux de pluie, semblerait moins garantie. Par ailleurs l’autonomie pourrait également développer un narcissisme destructeur. Avec une vision extrêmement individuelle du développement humain, avec cette idée obsédante d’autoréalisation, dans la société contemporaine, le collectif s’est reconstitué sous la forme du groupe d’affinité, de la communauté d’idées. Pour Richard Sennett, la communauté est dangereuse. Forcément idéologique, elle empêche, par une sorte de ghettoïsation des points de vue, de libérer le sujet de ses affects identitaires quand elle le confine au familier, à l’intime, à l’entre-soi. Dans cette logique, l’individu pourrait être amené à se perdre dans son idéal et à développer des formes d’intolérance agressive et meurtrière. L’écologie pourrait ainsi glisser d’une attitude ouverte et unifiante à un totalitarisme vert, sectaire, conduisant à projeter le mal hors de soi, à diaboliser tout ce qui ne va pas dans le sens du plus de vie. Pourtant vie et mort, bien et mal doivent continuer à co-exister, c’est la règle de l’équilibre. Une moralité écologique exacerbée ne représente donc d’aucune manière une solution viable, mais bien le piège dans lequel il nous faut éviter de tomber. Pour trouver la juste posture, c’est-à-dire une posture nonduelle, il semblerait que nous soyons convié à remettre en cause nos identités, et dans ce but même, à faire la lumière sur ce qui nous mobilise réellement. L’identité comme résistance La mort en tant que perte du pouvoir sur soi-même invite à penser l’existence du moi. La vision de cette existence engage la personne à une multiplicité d’identifications qui influencent les habitudes comportementales et travaillent les idéologies. La construction de l’ego et la justification de l’ego par l’idée développent un ensemble de modèles idéologico-esthétiques qui structurent le paysage de nos villes. La 260
« patrimonialisation » de l’architecture, le développement d’une culture localiste basée sur l’affectif, freinent le mouvement du changement social en diminuant la place faite à l’innovation. Ce rapport narcissique de l’homme à sa société ne lui permet pas de dépasser les forces d’attachement identitaire et de s’engager dans l’aventure d’une relation étroite avec le réel, l’engageant à prendre ses responsabilités et à ne plus se perdre dans le dédale de ses croyances. La notion de vivant, en sa détermination paradoxale de mouvement de vie et de mort, en ses insondables limites, ne fait que pérenniser l’incertitude de l’individu face à son environnement et augmenter en puissance la montée de ses angoisses pour qu’il n’accepte de lâcher ce qui lui paraît vrai, mais qui n’est, du reste, pas réel. Rejets humains et exploitations des ressources, dans ce souci de définir les seuils et les mesures « durablement » acceptables, nourrissent les doutes et figent les positions. La recherche d’une autorité nouvelle, institutionnalisée, se fait entendre quand l’individu succombe, dans sa grande solitude, devant la perte du sens commun. La nécessité d’une apparition du sujet au sens où l’entend Jacques Lacan, dans un passage à l’acte, semble nécessaire pour défier l’angoisse ; le passage n’étant possible, je précise, que dans la satisfaction que trouve le sujet à se réaliser dans celle de chacun. Nous devrions donc être amenés à révolutionner usages et mythes, pratiques et représentations, même s’ils constituent des formes diverses de notre héritage. L’Histoire de l’Occident tient autant de cette relation à la Nature et à la vision qu’elle dégage, qu’à la vie de la Polis et aux idéologies qui lui sont relatives. Le Jardin des délices, l’imposition du pouvoir humain sur le monde naturel extra-humain, la volonté de puissance déterminée par un rationalisme impérieux, la productivité comme fin et la recherche de liberté comme stratégie de détournement des forces du réel, ont forgé pendant des siècles l’identité de l’homme moderne. Faire cette révolution nous demande par conséquent de procéder à une déconstruction dans les pensées et dans les actes, et marquer une rupture là où il y avait continuité, constance, même dans le changement. En effet, ce qui permet de définir la notion d’identité, indéfinissable en elle-même, puisqu’elle est définition, est ce rapport au même dans l’espace où la similitude d’un élément vis-à-vis des autres permet l’identification, et dans le temps où la persévérance d’un élément s’affirme dans la durée. L’identité serait ainsi d’une certaine manière l’envers de la variation, variation qui supplante les cohérences établies, les logiques d’idées, les habitudes pratiques, les 261
enchaînements préconçus. L’identité, c’est une permanence, une demeure, ce à quoi l’on revient, dans laquelle on s’inscrit, et au sein de laquelle on s’investit. C’est une forme stable où siège l’action. C’est une entité qui découpe, tranche, s’approprie. Elle permet les démarcations. C’est une dialectique puisqu’elle est exclusive et fonctionne à la mesure du langage, excluant toute notion de degré, comme si l’identité était celle-là même qui se refusait à la progression, à l’altération, à la transcendance, puisque précisément l’identité, c’est ce qui ne change pas, autrement dit ce qui fait reconnaissance. Nous nous reconnaissons ainsi parce que nous ne changeons pas, ou plus exactement parce que quelque chose ne change pas en nous. Comme la condition d’une substitualité des éléments, du fait même des possibilités de ressemblance, l’identité aurait cette capacité à recomposer l’unité du même, non comme similaire, mais comme identique. Ainsi l’identité ne demande pas à être assurée en substance, seulement en apparence. C’est la forme qui compte, une forme qui perdure et symbolise. Le même peut tout à fait être identique à l’autre, le critère de l’identité confirmé. En ce sens, l’identité serait tant une confirmation qu’une cohésion, que la confirmation de cette cohésion. Elle se caractérise par un ensemble de propriétés qui nous sont chères puisqu’elles sont à la base de cette élaboration. Nous possédons des caractéristiques, des signes, des idéogrammes qui disent ceux qui nous appartiennent et à qui nous appartenons, et en parallèle à qui nous n’appartenons pas, et qui ne nous appartiennent pas non plus ; l’entité n’est ainsi pas affectée dans sa réalité. C’est important, puisque si l’identité noue, elle sépare encore davantage. Dans sa forme la plus stricte, l’identité subsume l’impossibilité d’aimer et par là d’évoluer, en cela qu’elle maintient une forme pleine et n’offre de creux à aucune altérité. L’identité engage ainsi un narcissisme, une résistance, une aliénation à nos propriétés, à ce caractère qui nous fait partie. « Je serais ainsi toujours attaché à un autre, mais à un autre qui n’a pas d’existence. Sa seule existence est un signe ». C’est donc une impossibilité que dénonce la notion d’identité, qui de ce fait ne prend sens que sous la forme d’un paradoxe. Le paradoxe naît du même à l’autre, à ce même qui ne l’est jamais tout à fait et à cet autre qui demeure un semblable. L’identité nous enseigne ainsi à quel point la variation ne se joue que dans le rapport aux invariants qui eux-mêmes lui doivent de prendre sens et forme, comme les berges de la rivère et la rivière elle-même sont constitutives l’une de l’autre. Par là, nous ne saurions nous passer de notre identité sans nous anéantir définitivement, comme effacés ; l’existence se détermine ainsi par le jeu des 262
permanences et impermanences au travers desquelles nous nous réalisons au fil de notre histoire. Quête, perte ou affirmation identitaires sont par là, d’une certaine manière, des fictions qui nous disent à quelle allure nous acceptons de suivre le mouvement de vie qui nous est proposé. Le sentiment d’identité, c’est-à-dire le fait de se percevoir même et dans le temps et dans l’espace, organise une psychologie pour le sujet qui se définit autour d’une préservation des identifications au moi ou au nous, ou à l’inverse d’une désaffection. La personnalité préserve la permanence et fixe valeurs, significations, idéaux. Ainsi, elle donne corps à ce sentiment par lequel je me reconnais, me fais reconnaître, et reconnais les autres. L’identité confère ainsi à la personnalité sa capacité à la séparation, à l’autonomisation et à l’affirmation. Sans cette forme d’opposition qui fait du sujet un individu, sans la personnalité comme forme tutélaire, alors inéluctablement le sujet s’assimile à ce qui l’entoure. Il se dilue dans son environnement, se con-fond à l’autre. En perdant ses contours, du fait même qu’il croit être le monde (qu’il n’a pas reconnu), il ne cesse de tenter un retour à l’unité symbiotique primaire. En cela, il meurt, au sens où exister, c’est assumer le duel en nous. En effet, par ce processus même, se réalisent les projections du moi sur le monde, alors le moi prend la forme d’objets multiples et variés : le territoire, la famille, la nation, les idéaux…, objets investis par le moi introjectif. Le sujet s’aliène ainsi à ce à quoi il s’identifie, qu’il institue. L’Histoire comme récit, relique, monument (objet de mémoire), prend ainsi une place importante justement par ce qu’elle fait durer ce qui n’est plus, offrant ainsi une permanence à l’impermanence. Les éléments qui perdurent dans le présent et qui appartiennent au passé sont ainsi chéris pour ce qu’ils renforcent la jouissance identitaire. Le patrimoine est par conséquent protégé à la mesure de l’attention que nous portons au moi. Dans cette période de l’Histoire où le narcissisme s’est développé comme on l’a évoqué précédemment, le patrimoine prend une importance grandissante au sein des politiques publiques. Le paysage urbain comme le paysage rural, réceptables des identifications, à l’endroit de leurs spécificités souvent, sont ainsi supports d’investissements égotistes des individus et des groupes, d’où une attention renaissante pour l’échelle locale. « On chérit à cet égard trois traits principaux », nous dit David Lowenthal. « Apparaissant d’origine « naturelle », et intrinsèquement local, le paysage est ressenti comme le reflet de désirs d’appartenance innés (par opposition à acquis), 263
authentiques (par opposition à artificiels) et sincères (par opposition à calculés). Foyer central de la vie entière et de l’expérience journalière, le paysage est considéré comme plus important que les aspects d’un héritage dont on ne profiterait qu’occasionnellement. Parce qu’il est caractéristique et quotidien, le paysage porte sur lui un imprimatur venu du peuple qui lui confère autorité parce que expression de la volonté populaire. A partir de là, le paysage devient le sceau de l’identité des nations nouvelles par opposition aux frontières bien enracinées des Etats souverains ».705 Ainsi, nous avons tendance à nous attacher aux paysages parce qu’ils nous procurent tant une représentation de nous-mêmes qu’une représentation de nos ancêtres. Nous voudrions par conséquent les confiner dans un état fixe, stable, stabilité qui nous sécurise. Pour ces raisons en partie, mais pour d’autres également et sur lesquelles je ne m’attarderai pas, de plus en plus d’associations de protection du cadre de vie se forment afin d’influer sur les décisions publiques en vue d’une préservation paysagère. Les étendards se brandissent au nom du besoin identitaire et de l’impératif esthétique (ce qui revient quasi au même), au désavantage parfois de projets innovants, pertinents sur le plan écologique et s’inscrivant au cœur des enjeux contemporains. L’implantation de panneaux solaires sur les toitures de nos bâtiments, des éoliennes dans nos plaines, tous ces changements ne sont pas toujours très appréciés par les populations, et particulièrement par les populations riveraines qui se sont attachées à un état existant, et en ont fait une part d’elle-même.706 La crise écologique, en cela qu’elle nous incite à revoir nos pratiques, nous exhorte par conséquent à engager notre ego en une crise profonde, crise identitaire, en cela que nous ne pourrions continuer à assumer nos identifications ou à nous conformer aux modèles auxquels nous avons cru ; nous devrions de la sorte conjurer l’aliénation en coupant en partie avec notre passé.707
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David LOWENTAL, Passage du temps sur le paysage, Collection Archigraphy Témoignages, Infolio Editions, Paris, 2008, p. 299. 706 C’est le cas en Bretagne. Voir par exemple l’article en ligne de Jean-Noël ESCUDIE (PCA), « Le Monde du patrimoine mobilisé contre les éoliennes », sur le site www. Localtis.info.org. Il est fait référence à la manifestation nationale du 4 octobre 2008 à Paris, organisée par le Collectif du 4 Octobre contre l’éolien industriel, auquel différentes associations de préservation du patrimoine se sont jointes. 707 « Il n’y pas d’autre esclave dans la vie que celui du passé. Celui qui est libre du passé est libre, il est mukta (libéré). Pourquoi ? Parce que seul le passé est la cause du futur. Le futur n’est rien d’autre que la prolongation du passé. C’est le passé insatisfait qui cherche sa satisfaction dans le futur… Au lieu de vivre dans le présent et dans le maintenant, où est-ce que vous vivez vraiment ? Apparemment, bien sûr, vous avez l’air d’être ici et maintenant, mais vous vous trahissez par votre comportement, et vos actions montrent que vous êtes dans le passé et dans le futur… (…) Le futur cependant n’a aucune entité indépendante qui lui soit propre. C’est seulement le passé qui cherche sa satisfaction dans le futur… », Svâmi PRAJNANPAD, in André COMTE-SPONVILLE, De l’autre côté du désespoir. Introduction à la pensée de Svâmi Prajnanpad, Editions Accarias / L’Originel, Paris, 1997, p. 91.
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En effet, le développement durable nous incite à muter. Par là, telle une crise pubère d’adolescence, nous serions amenés à contrer tout ce qui nous faisait, afin de retrouver le juste sens de notre existence. Mais la contradiction peut elle-même revêtir les habits du moi et enfermer sous une coque résistante ce que l’on avait justement pour projet de libérer. S’identifier au nouveau projet peut en effet d’une autre manière devenir aliénant. Une vigilance intransigeante doit ainsi toujours permettre un repositionnement dans le nouveau contexte, sur le terrain de la réalisation et de la relation. Croire Ainsi donc, l’identité servirait de prétexte aux résistances pour nous maintenir dans une mobilité sclérosante, comme soumis. Les résistances nous empêchent de suivre notre mouvement intérieur. Elles servent notre névrose comme elles entretiennent nos clivages par le refoulement. Elles nous étourdissent devant ce que nous n’acceptons pas de voir, sur ce que nous ne nous résolvons pas tout à fait, ou pas du tout à entendre. Freud utilise l’image du gardien pour expliquer le phénomène. Les résistances tels des gardiens situés entre deux espaces celui de l’insconscient et celui du conscient, en désaccord, permettent l’accès ou non de l’un à l’autre. Dans le cas de la permission, il y a réalisation consciente : ce qui était négatif est positivé puisque formulé, - dans le cas contraire, il y a refoulement.708 Freud identifie cinq formes de résistance attachées au moi, au ça, enfin au surmoi. Toutes servent la pulsion de mort. Il y a le refoulement, la résistance de transfert (c’est la résistance proprement narcissique), la préservation des bénéfices secondaires liés à la persistance de la névrose (ou jouissances709), la peur (peur de la guérison comme un 708
« La représentation la plus simple de ce système est pour nous la plus commune : c’est la représentation spatiale. Nous assimilons donc le système de l’inconscient à une grande antichambre, dans laquelle les tendances psychiques se pressent, tels des êtres vivants. A cette antichambre est attenante une autre pièce, plus étroite, une sorte de salon, dans lequel séjourne la conscience. Mais à l’entrée de l’antichambre, dans le salon veille un gardien qui inspecte chaque tendance psychique, lui impose la censure et l’empêche d’entrer au salon si elle lui déplaît. Que le gardien renvoie une tendance donnée dès le seuil ou qu’il lui fasse repasser le seuil après qu’elle ait pénétré dans le salon, la différence n’est pas bien grande et le résultat est à peu près le même. Tout dépend du degré de sa vigilance et de sa perspicacité. Cette image a pour nous cet avantage qu’elle nous permet de développer notre nomenclature. Les tendances qui se trouvent dans l’antichambre réservée à l’inconscient échappent au regard du conscient qui séjourne dans la pièce voisine. Elles sont donc tout d’abord inconscientes. Lorsque, après avoir penétré jusqu’au seuil, elles sont renvoyées par le gardien, c’est qu’elles sont incapables de devenir conscientes : nous disons alors qu’elles sont refoulées. Mais les tendances auxquelles le gardien a permis de franchir le seuil ne sont pas devenues pour cela nécessairement conscientes ; elles peuvent le devenir si elles réussissent à attirer sur elles le regard de la conscience. Nous appellerons donc cette deuxième pièce : système de la pré-conscience. Le fait pour un processus de devenir conscient garde ainsi son sens purement descriptif. L’essence du refoulement consiste en ce qu’une tendance donnée est empêchée par le gardien de pénétrer de l’inconscient dans le préconscient. Et c’est ce gardien qui nous apparaît sous la forme d’une résistance, lorsque nous essayons, par le traitement analytique, de mettre fin au refoulement. », in Sigmund FREUD, Introduction à la psychanalyse, Collection Petite Bibliothèque Payot, Editions Payot et Rivages, Paris, 2001, pp. 355-356. 709 Terme que Sigmund Freud n’emploie quasiment pas quand il appartient davantage à Jacques Lacan.
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changement, mise en danger du moi face à l’inconnu). Il y a aussi ce phénomène de compulsion de répétition qui rigidifie notre système organisationnel. Nous répétons ainsi les mêmes gestes et les mêmes pensées pour que surtout rien ne change. Enfin, il y a la résistance surmoïque, déterminé par le sentiment de culpabilité et le besoin d’être puni.710 Toutes ces formes de résistance font écran à une perception juste du réel. La psychanalyse, l’activité de l’esprit en général, comme méthode, par l’introspection notamment, permettent de faire tomber l’une après l’autre ces résistances qui bloquent les dynamiques de pulsion de vie, pulsion de vie qui nous rend à notre capacité à évoluer. Il y aurait donc possibilité de résilience. Nous pourrions défaire ce qui nous a fait et entrer dans un processus de reconstruction. Mais qu’est ce qui fait résilience exactement ? Quels sont les éléments essentiels pour causer en nous un réveil ? Qu’est-ce qui nous fait rebondir ? D’où nous vient cette capacité à nous échapper des déterminismes, des sillons dans lesquels nous avons tracé notre trajectoire et souvent dès notre plus jeune âge ?711 Quel est le point de rupture essentiel à toute existence et comment advient-il ? Liée à la pulsion de vie et dans un combat sans merci avec la pulsion de mort : la pulsion du changement, la résilience. La résilience serait cette capacité universelle à mettre entre parenthèses notre identité pour la modifier. C’est un affect positif qui prend la place des affects anciens pour soutenir le sujet dans sa démarche de réhabilitation. Comme une forme d’étayage, elle permet de faire front aux situations pathogènes, de contrarier les automatismes, d’autoriser le même à se dégager de l’identique. En effet, pour quitter cette empreinte à laquelle on colle, il faut avant tout croire que cela est possible ; et croire pour que cela soit possible. La croyance comble par un affect positif le vide crée par la dépression qui suit la suppression des jouissances (comme si nous ne pouvions cesser de croire). Nous devons alors croire à la substitualité de nos jouissances pour ne plus croire en la jouissance, c’est l’étayage ultime et nécessaire avant de ne plus croire du tout, si même cela est possible. Autrement dit, la croyance, la foi, sont essentielles au processus résilient. Dans cette perspective, il faut bien admettre que c’est la foi en une valeur qui nous est extérieure qui permet le transfert de cognition et de fait le changement. C’est une foi en l’inconnu. Il nous faut ainsi accepter que nous savons ce que nous ne savons pas 710
Tout ceci est très bien expliqué dans l’ouvrage d’Elisabeth ROUDINESCO et Michel PLON, Dictionnaire de la psychanalyse, Librairie Arthème Fayard, Paris, 2006, pp. 916-917. 711 Les amérindiens ont pour habitude de donner comme conseil à celui qui cherche sa voie, celui de monter dans le canoë plutôt que de continuer à le porter.
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encore, que nous possédons ce qui ne nous appartient pas. C’est une croyance en cette possibilité d’intimité avec l’exogène. C’est en définitive une croyance en l’amour. Croire c’est donc toujours poser l’idéal du moi comme réalisable. C’est cette illusion qui oriente le désir et définit les intentions. « Pas d’illusion sans désillusion, pas d’accès à une croyance qui ne va sans « décroire », nous dit Philippe Gutton712. La croyance sert donc d’illusion, ou d’écart, par le lien qu’elle occasionne entre l’objet interne et l’objet externe. Elle relie, au sens de religion, et sépare. Elle travaille tant dans la traction (entendez attraction) que dans la compression (c’est-à-dire dans l’éloignement). En réalité, elle maintient la juste distance entre le trop et le pas assez. La croyance nous anime, insuffle la vie, la marche. Cette image a été maintes fois reprise par les chrétiens. La vie serait une marche, l’équilibre dans le mouvement, cette capacité à prendre appui sur l’une ou l’autre de nos jambes, l’une après l’autre, comme si nous avions tour à tour la possibilité de résilier un contrat et de le renouveler, à la mesure d’une contradiction pleinement assumée. Quelque chose de différent doit advenir. La résilience, c’est un possible. « On ne peut pas communiquer sans croire que l’on vit. On ne peut pas communiquer sans croire que les autres ont une conscience. On ne peut pas percevoir le monde extérieur sans croire à la réalité », s’exprime Didier Anzieu.713 Ainsi toute évolution psychique partirait d’une fiction à laquelle nous devrions croire. Sigmund Freud le confirme quand il parle du doute comme d’un refuge, refuge du patient qui s’obstine à demeurer tel qu’il est , tel le névrosé obsessionnel qui entendra mais s’entêtera à ne pas croire. Ce dernier pense à peu près ceci, nous dit Freud : « Tout cela est très beau et fort intéressant. Je ne demande pas mieux que de continuer. Cela changerait bien ma maladie, si c’était vrai et tant que je n’y crois pas, cela ne touche en rien ma maladie. »714 Nous retrouvons des réactions similaires vis-à-vis de la gageure que représente l’écologie. « Si je change se dit-on, en quoi cela changera vraiment le cours des choses ?» La croyance, c’est un investissement affectif, une fantasmatisation qui empêche le vide de nous anéantir, de nous crevasser. C’est ce qui va nous consoler de la perte de l’omnipotence narcissique infantile et s’opposer aux injonctions morbides qui nous demandent de temps à autre de forcer, en s’y heurtant, une porte illusoire, comme en trompe l’œil, qui ne s’ouvre pas, et parfois jusqu’à la mort. Il n’y a résolument pas de 712
Philippe GUTTON, «La résilience comme affect », dans l’ouvrage collectif dirigé par Joyce AÏN, Résiliences. Réparation, élaboration ou création ?, Editions Eres, Ramonville Saint-Agne, 2007, p. 230. 713 Didier ANZIEU, in Philippe GUTTON, idem, p. 231. 714 Sigmund FREUD, op. cit., p. 349.
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possibilité de retour. Il nous faut pourtant croire au retour pour qu’il advienne… d’une autre façon, dans l’amour ou la sublimation. Il faut croire qu’Inger va réssusciter pour qu’elle ressuscite effectivement?715 Croire le miracle possible. Dans cette perspective, croire, c’est se risquer à poser une valeur sur quelque chose qui est extérieur à soi, c’est supposer qu’il y a à gagner à se risquer ; une supposition, non une certitude qui viendrait en ce cas obturer l’ouverture comme possibilité de résilience. Pour Emmanuel Lévinas, « la foi n’est pas la connaissance d’une vérité susceptible de doute ou de certitude ; en dehors de ces modalités, elle est le face-à-face avec un substantiel interlocuteur – origine de soi, déjà dominant les puissances qui le constituent et l’agitent, un toi, surgissant inévitablement, solide et nouménal, derrière l’homme comme dans ce bout de peau absolument décent qu’est le visage, se ferment sur le chaos nocturne, s’ouvrant sur ce qu’il peut assumer et dont il peut répondre. »716 Croire c’est donc toujours croire à un autre.717 La résilience serait ainsi, de par la croyance, l’arrêt des méfiances, serait une ouverture première, une avidité destinée au renouveau. Par la croyance, par la stimulation de l’activité psychique, on entrerait dans un processus de sublimation ou de réenchantement. Le sujet peut alors se dégager du narcissisme dans lequel il demeure comme englué ; la résilience, en définitive, comme une capacité à penser, c'est-à-dire à installer du tiers, de l’idéal dans sa relation au monde. « Si la sublimation est le processus central que la résilience active anime, elle a besoin pour ce faire de l’idéalisation d’un Autre (il y acquiert son grand A) : mettre l’objet sur un piedestal, le purifier, le « dépulsionnaliser » de telle sorte qu’il puisse être un référent identificatoire intéressant. Je pense que ce mécanisme est à l’origine de ce qui est nommé « tuteur de résilience » (personnes, groupes, ensemble de valeurs sociétales) »718, nous dit Philippe Gutton. Croire, c’est ainsi croire en l’humanité, en son caractère universel et total ; car ce qui fait la raison de notre perte, la défait tout aussi bien, puisque au cœur de la différence, toujours se trouve le semblable. Il y a une dimension positive à l’effet « négatif » de la 715
Dans le long métrage La parole (Ordet), réalisation : Carl Théodor DREYER, Scénario : Carl Théodor DREYER, d’après la pièce de Kaj Munk, production : Carl Théodor DREYER, Erik NIELSEN, Tage NIELSEN, avec pour comédiens : Henrik MALBERG, Emil HASS CHRISTIANSEN, Birgitte FEDERSPIEL, Preben LERDOFF RYE, montage Edith SCHËSSEL, durée : 126 mn, sorti le 10 janvier 1955, Danemark. 716 Emmanuel LEVINAS, Entre nous. Essais sur le penser-à-l’autre, Collection Figures, Editions Grasset et Fasquelle, Paris, 1991, p. 45. 717 Une critique de la religion en a souvent fait une aliénation. Pour Freud, il n’en est rien. Seul l’objet de croyance aliène, objet auquel les religions en général soumettent leurs adeptes, au désavantage du mouvement spirituel, engendrant ainsi tous les intégrismes et fanatismes que l’on connaît. 718 Philippe GUTTON, op. cit., p. 234.
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castration puisqu’elle nous fait accéder au tiers, au commun et entrer en génitalité. La résilience ainsi à jamais liée à l’autre et par là à ce qui nous fait autre. En effet, « non seulement on ne saurait jamais résilier seul, mais c’est ce que nous avons en commun qui résiste mais aussi féconde, (…) c’est la résilience culturelle, « l’ambiance résiliente » qui permet la démarche. »719 C’est un partage nécessaire (différent de l’échange), c'est-à-dire un rapport d’amour qui nous permet en nous livrant de nous délivrer, de nous débarrasser des identifications négatives qui nous séquestrent et nous étouffent, et ce en sacralisant ce qu’il y a de commun entre nous. La résilience ne serait donc pas une adaptation forcée à la dynamique du réel, mais une ressource autonome et partagée qui nous permettrait, par l’effet de l’autre, de changer de voie et peut-être de mieux réaliser notre intégration au réel, à la Nature.
La voie de la spiritualité Donc croire serait le passage obligé de tout processus de changement. Croire pour recomposer l’unité originelle cosmique, pour communier. La croyance comme un lâcher à l’autre, le suivi d’un ordre qui nous échappe : une confiance. Toutes les traditions spirituelles d’Orient ou d’Occident ont pareillement développé ce rapport de confiance à un ordre universel qui nous surplombe, nous unit, et nous guide. Tous les ordres religieux ont tenté de cerner la vérité, le juste chemin. C’est la vérité du réel auquel l’Homme ne cesse d’être confronté, et contre laquelle sa volonté ne cesse de se buter. Il y aurait une juste forme qui répondrait à l’équilibre vivant des êtres entre eux. Il y aurait le chemin de la vie comme il y aurait le chemin de la mort. Ainsi, les courants spirituels, face aux défis de la sauvegarde de la planète, s’en remettent à la parole de Dieu et sont sans cesse renvoyés aux textes de référence afin de découvrir pas à pas, dans le champ des possibles720, ce chemin.721 Les juifs, les musulmans, les bouddhistes, les francs-maçons, et bien d’autres confessions et confréries ont pareillement développé leur point de vue sur l’écologie. 719
Philippe GUTTON, idem, p. 235. « Car Dieu a fait l’homme libre parce qu’il n’a pas voulu l’insulter », aux dires de René Coste, entretien avec lui en août 2004. A lire René COSTE, Dieu et l’Ecologie – Environnement, théologie, spiritualité, Collection Débattre, Editions de l’Atelier, Paris, septembre 1994. 721 La Commission sociale des évêques de France a effectivement édité plusieurs ouvrages sur le respect de la création et l’aménagement du territoire. Elle fait la critique des politiques gouvernementales avec pour grilles analytiques les textes bibliques. Il m’est arrivé, en consultant certains dossiers appartenant à la Commission sociale, d’apercevoir différents documents attestant de la participation à cette Commission de hauts fonctionnaires de l’Etat, ce qui nous informe des possibles influences de la spiritualité sur la politique. 720
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Pour le Père René Coste, les trois visées essentielles de l’éthique de la création sont : « - une conscience écologique qui soit prête à assumer les contraintes nécessaires pour la sauvegarde et la promotion de l’environnement ; qui accepte même de promouvoir et de vivre une culture ascétique du monde et une nouvelle ascèse ; - la concrétisation collective du principe de la destination universelle de nos ressources terrestres, de telle sorte qu'elles bénéficient réellement à l'ensemble des pays économiquement sous-développés autant qu’aux pays riches, trop tentés de les exploiter sous la forme d’un néo-colonialisme caché : ce qui, dans la situation actuelle, appelle un rééquilibrage considérable ; - la concrétisation délibérée des droits des générations futures, envers lesquelles la génération présente est redevable de la préservation de notre planète, qu’elle devrait même s’efforcer d’améliorer, comme le fait un bon jardinier de la planète Terre. C’est ce rôle que l’humanité serait appelée à jouer. Ces dernières requêtes sont d’une importance majeure dans les débats actuels sur la mondialisation, dont elles appellent d’urgence une correction en profondeur. ».722 Pour le Rabbin Haïm Korsia, il s’agit de tisser un lien avec la nature pour ainsi devoir la respecter, d’occulter le côté moderniste des choses afin de revenir à l’essentiel, l’essence même de l’homme, c’est à dire à ses racines, à son rapport à la terre. Pour le musulman Fazlun Khalid, « l’ensemble de la Création étant l’œuvre d’un Créateur, elle fonctionne selon une trame stable bien que complexe. Toute création appartient au Créateur et obéit à Sa volonté, et la vérité émane de toutes ses fibres. Il n’existe qu’une nation et l’espèce humaine a été créée à partir d’une seule âme. Ainsi, la création a été prévue pour fonctionner comme un tout dont chacune des parties complémentaires tient son propre rôle de conservation et, ce faisant, soutient le reste ».723 Pour le moine bouddhiste Jacques Brosse, l’écologie est la résultante d’une maturation de l’homme. Un homme non éveillé, c’est à dire non conscient, n’est pas encore un homme, la conscience étant fondée sur la relation de l’être humain avec l’autre,
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Voir aussi l’article de René COSTE, « Ethique et spiritualité de la création », in Vers une écologie spirituelle, Question de n°127, Editions Albin Michel, 2002, pp. 97-98. 723 Voir l’article de Fazlun KHALID, directeur, fondateur de la Fondation Islamique pour l’Ecologie et les Sciences de l’Environnement (Angleterre), « L’approche islamique de la protection de l’environnement », in L’usufruit de la terre. Courants spirituels de la sauvegarde de la planète, dossier coordonné par JeanPierre Ribaut, Marie-José Del Rey, série Dossiers pour un débat, La librairie FPH, 1997, p. 62.
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avec le monde. Elle est le réseau de relations entre les êtres vivants, le mode de communication, de communion.724 Dans les philosophies anciennes, grecques, égyptiennes ou de l’Inde des Védas, existe pareillement cet ordre cosmique. Chez les Grecs anciens, les lois conformes à l’ordre cosmique sont appelées Nomos ou Dikê (justice, droiture ou moralité). Dikê signifiait également « le chemin du monde, la manière dont les choses se produisent. » C’est pour les Grecs ce qui est à l’origine des comportements des dieux qui gouvernent le monde. Ce chemin devait être suivi par tous, monde humain, animal, végétal et divin. Une loi unique et totale serait pour eux à l’origine de la vie. « Ainsi, dit l’Odyssée, quand un roi irréprochable maintient la Dikê, « les noirs sillons produisent les orges et les blés ; les arbres sont chargés de fruits, les brebis prolifèrent et la mer donne du poisson grâce à sa droite règle et les peuples prospèrent. »725 Pour le Maat égyptien, il y a également une notion de récompense dans le fait de vivifier les êtres vivants du fait même d’une juste relation entre eux, d’une relation harmonisée. Aussi, nous explique Teddy Goldsmith 726, dans toutes les sociétés traditionnelles, l’Homme comprend qu’il est intégré au cosmos et qu’il doit harmoniser sa vie avec ce dernier dont il fait partie intégrante. Pour lui en effet, et s’opposant à la thèse de Karl Marx selon laquelle la religion ne serait que l’instrument d’aliénation du pouvoir sur le peuple pour le soumettre, la religion a pour fonction première de préserver l’univers. La religion des Vedas, le Taoïsme, le Bouddhisme, le Christianisme, l’Islam, ou le Judaïsme, toutes ces traditions parlent de la création dans une conception vitaliste. C’est la grande vérité qui se déclare dans l’ensemble des textes, l’erreur étant considérée comme ce qui s’écarte de cette conception. Il y aurait loi d’union fondamentale, de solidarité totale. Il y aurait le chemin conforme à la loi, de même que l’anti-chemin, qui sème la désolation. C’est l’A-Rte de l’Inde védique, l’Adharne des Bouddhistes, le diable chez les chrétiens, Isft chez les Egyptiens… Il y a le bien, comme il y a le mal : la vie et la mort. Et cette terre, qui dispense tous ces bienfaits quand nous la traitons selon les règles, peut tout aussi bien nous conduire au désastre dans le cas contraire. Les mythes sont nombreux en effet où apparaissent les vengeances d’une terre maltraitée, négligée. Diane chasseresse « qui dispense les bienfaits peut aussi les refuser, au lieu de bénédictions, 724
Tiré de son article : « Ecologie, bouddhisme et christianisme », in Vers une écologie spirituelle, Question de n° 127, éditions Albin Michel, 2002, p. 87. 725 Teddy GOLDSMITH, « Les religions au tournant du millénaire, dans la revue l’Ecologiste, intitulée Religions et Ecologie. Réenchanter le monde, n° 9, février 2003, p. 29. 726 Teddy Goldsmith cité ci-avant.
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répandre des fléaux ; la terrible puissance qui hante le Némos peut anéantir le profane qui envahit son sanctuaire. »727 Tout cela pourrait ne paraître que superstitions revenant à des conceptions naïves et désuètes, d’un autre âge. Et pourtant, nous pouvons penser aux ouragans qui du fait du réchauffement climatique et sous l’effet du jet-stream pourraient bien se multiplier ces prochaines années.728 Par conséquent, si nous n’assurons pas nous-mêmes le juste équilibre de la planète, d’autres éléments pourraient s’en charger à notre place et pour notre plus grand malheur. Une croyance en cet ordre supérieur, à ce qui nous délimite et qui nous dépasse, pourrait peut-être nous sauver des pires catastrophes. Cependant, retrouver le juste chemin, celui de la vérité, nous incite à accepter de nous être trompés, d’avoir blasphémer, de reconnaître en nous-mêmes la justesse des textes anciens, ressentant à quel point tout se lie, se tient - et ce sont peut-être les animistes qui ont le plus à nous apprendre à ce sujet - comme un commandement. La Nature devrait nous commander. « Mais pour que ce commandement ne comporte aucune humiliation – qui n’enlèverait la possibilité même de respecter -, le commandement que je reçois doit être aussi le commandement de me commander celui qui me commande. Il consiste à commander à un être de me commander. Cette référence d’un commandement à un commandement, c’est le fait de dire Nous, de constituer un parti. Par cette référence d’un commandement à l’autre, Nous n’est pas le pluriel de Je »729 ; et j’ajouterais en tant qu’il est le soi. En effet, « (… ) Nous sommes Nous en tant que nous commandons pour une œuvre par laquelle précisément nous nous reconnaissons. S’en dégager tout en accomplissant une œuvre, ce n’est pas se poser contre la totalité ; mais pour elle, c’est-à-dire à son service. Servir la totalité, c’est lutter pour la justice. »730 Mais comme l’explique Emmanuel Lévinas, c’est toujours à partir du visage, c’est-à-dire à partir du sentiment de responsabilité pour autrui que naît la nécessité de justice. Il semblerait que cela soit tout aussi vrai pour le paysage. Le paysage comme un visage. C’est en effet dans ce regard sur le paysage qu’advient le sentiment du devoir de le protéger. C’est dans le regard qu’apparaît la conscience, cette « charité initiale »731, nous dit Lévinas, cette conscience du bien qui nous demande de communier. Cette posture requiert de dépasser la pensée, la volonté, pour accéder à la vision (le soi), la conscience. Mais qu’est ce que la conscience au juste ? La conscience ne se 727
Teddy GOLDSMITH, idem. Sur le jet-stream et la climatologie, voir notamment le site www. La.climatologie.free.fr 729 Emmanuel LEVINAS, op. cit., p. 49. 730 Emmanuel LEVINAS, idem. 731 Emmanuel LEVINAS, ibidem, p. 122. 728
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définit que par la pensée de laquelle elle est l’antithèse. Les philosophies de L’Inde, hindouïsme et bouddhisme, ont particulièrement développé ces notions et nous instruisent sur cette dissociation essentielle à faire entre conscience et connaissance, entre sujet conscient et sujet qui pense, puisque l’un et l’autre se surimposent et nous illlusionnent. En effet, « la solution indienne consiste à rendre compte de cette identité de fonction par une relation de réflection : le « soi », qui correspond au « sujet conscient » de la philosophie occidentale, en se reflétant dans le sujet de la pensée (le moi), prend indûment sa nature et s’imagine donc qu’il pense. En réalité, il n’en est rien puisque le soi ne pense pas, mais le soi et le moi fusionnent dans l’illusion du soi qui pense. Pour échapper à ce leurre, l’alternative est simple : soit il existe un sujet conscient mais alors il ne pense pas ni ne connaît, soit il existe un sujet de pensée et de connaissance, mais alors il n’existe pas, au sens conscient du terme. Le sujet conscient ne doit s’identifier en aucune manière au sujet de la pensée, tel est l’enseignement des philosophies de l’Inde. »732 Le moi témoignerait d’une vision intellectuelle du monde quand le soi, comme résurgent, impliquerait de renoncer à cette identité qui nous fait vouloir, penser et agir ; reprenant ainsi pour nous-mêmes ce qui nous a été légué par nos ancêtres dans une capitalisation d’actes et de biens qui ont souvent eu pour effet d’obstruer le champ de notre vision. Dans ce renoncement, sans reniement, sans refoulement, sans refus (c’est important), la pensée se purifie. La pensée se purifie par elle-même et pour elle-même, dans cette pensée du lâcher-prise. On se libère ainsi de la pensée par la pensée, qui en vient par là à annuler les causes d’erreurs, puisqu’en gagnant le plan de la connaissance elle rejoint celui de la conscience, quand ces deux plans ne font plus qu’un. Dès lors, le sujet est réunifié, et peut par là appréhender toute réalité dans la non-dualité, puisqu’il ne doit pas choisir entre son cœur et sa raison, une partie contre une autre. Ainsi il se libère de la pensée exclusivement conceptuelle et s’ouvre à la pensée du multiple et de la plurivalence, plus en phase avec le réel. De la sorte, la pensée ne se soumet plus à une logique aristotélicienne, elle ne se laisse plus enfermer dans la logique des jugements parce qu’elle lie la logique avec l’ontologique. C’est donc une pensée peu discriminatoire d’où la possibilité d’une expression plurielle des points de vue sur le réel. « Le mot 732
Pour expliquer cette confusion que l’on a coutume de faire entre ces deux entités, « l’exemple classique (la fleur rouge donne au verre transparent qui la cache la couleur du rubis) a pour but de montrer que l’illusion colorée (le verre paraît rouge) laisse intacte les deux choses en présence : ni la fleur ni le verre n’échangent leurs propriétés mais le rubicond de la fleur se projette sur la transparence et l’envahit complètement. » , in Marc BALLANFAT, Introduction aux philosophies de l’Inde, Collection Philo dirigée par Jean-Pierre Zarader, Ellipses Editions, Paris, 2002, p. 36.
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sanscrit darsana (traduit souvent par philosophie) témoigne à lui seul de cette double valeur à la fois logique et ontologique d’une pensée non binaire, puisqu’il signifie « point de vue, regard, vision », chacune des écoles se présentant à cet égard comme l’expression particulière d’un aspect de la réalité tel qu’il peut être explicité à travers un certain nombre de concepts ».733 On s’arraisonne ainsi à la réalité sans jamais en venir à bout, on la contient par notre savoir sur elle sans jamais la posséder, et par là la sacrifier. Dans l’évitement du sacrifice, nous continuons ainsi à croire, c'est-à-dire à connaître l’ouverture nécessaire au prolongement de notre mouvement.
Lâcher-prise S’il faut croire pour changer, il faut dans le même temps se libérer des affects égotistes, des jouissances. Aussi, toutes les traditions spirituelles sont d’accord sur deux choses. La première : le moi empêche la conscience de mettre en lumière le sujet et ainsi de lui offrir sa pleine capacité d’existence et de résilience. La seconde : seul, dans cette existence pleinement consciente, le respect de la création saura nous mettre à l’abri des dévastations du monde humain sur le monde extra-humain. Mais comme on l’a vu précédemment, de plusieurs manières le moi résiste, et peut-être même de plus en plus depuis ces dernières décennies dans nos sociétés modernes. La psychanalyse et la spiritualité, rarement complices, ont l’une et l’autre, leur méthode de libération. Cette libération ne s’effectue que par la pensée qui vient se substituer à l’attachement, celui de l’Histoire, comme identité commune, et de notre propre histoire comme repère narcissique ; cette histoire qui nous justifie dans le rôle que l’on nous a attribué, et que l’on a accepté de jouer.734 Etre disposé à changer de rôle, c’est ainsi guérir de la violence faite à soi-même dans la tolérance dont nous faisons preuve à l’égard des agressions, lesquelles on a concédé à accueilllir souvent dans l’impensé le plus banal. L’impensé serait le premier coupable. « La banalité de la répétition, la normalité du pire, le consentement à l’immuable font de lui le vivier des malveillances
733
Marc BALLANFAT, idem, p. 42. « En développant dans son article intitulé « Kant avec Sade », d’une équivalence entre le bien kantien et le mal sadien, Lacan entend montrer que la jouissance se soutient de l’obéissance du sujet à une injonction, quels qu’en soient la forme et le contenu, qui le conduit, en abandonnant ce qu’il est de son désir, à se détruire dans la soumission à l’Autre (grand autre). », in Elisabeth ROUDINESCO et Michel PLON, op. cit., p. 563. 734
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quotidiennes. L’impensé se nourrit d’habitude. Figure de l’inconscient et de la surdité, il fait corps avec la mort. » 735 Comment donc nous libérer d’une situation qui nous fige? Réponse : réintégrer la pensée. On s’éloignerait ainsi de la mort grâce à la vie de l’esprit, qui examine, observe, compare, et comprend.736 Le sujet doit comprendre les mobiles du moi, des rigidités, des violences, des luttes pour y mettre fin. Il doit faire la lumière sur ses souffrances pour les anéantir. Pour cela, un face-à-face avec lui-même est incontournable, en cela que pour appréhender l’Histoire avec un grand H, il faut d’abord appréhender sa propre histoire, l’histoire d’un avènement, d’une pensée, d’un sujet, qui s’est édifié dans les antres de l’inconscient de nos relations aux autres, aux premiers autres. Quelle est la perspective ? Une fois encore, c’est la pensée. La pensée prend conscience d’elle-même. C’est le paradoxe. « La conscience de la conscience de la conscience… », et cela indéfiniment, s’amuse à dire Edgar Morin. Dans ce face-à-face, la pensée doit livrer une guerre sans merci à la pensée de l’autre qui est aussi nôtre. C’est un travail de fine discrimination. Qu’est-ce qui m’appartient et qu’est-ce qui ne m’appartient pas, doit-on se demander ? Il s’agit de percer ce qui gît dans l’inconscient. L’autre terré dans l’ombre de sa grotte veut continuer à agir dans l’anonymat. L’ignorance de son existence, de sa forme, est toute sa force. C’est en quelque sorte une guerre fratricide qui a lieu ici. La légende égyptienne d’Isis et d’Osiris nous raconte cette bataille qui doit s’accomplir entre Seth et son frère Osiris, entre l’Ombre et la Lumière, entre le lunaire et le solaire.737 La mort, c’est la victoire de Seth sur son frère, la victoire du refoulement de la vérité sur nous-même, coincé dans l’angoisse d’en sortir indigne d’humanité. La vie, quand elle gagne, a réussi à comprendre, à entendre, à accueillir toute cette amertume qui ternit notre rapport au monde. L’amour (représenté par Isis dans la légende égyptienne) a permis de tirer le voile de notre vérité ignorée, cachée dans les plis de l’inconscient.738 735
Christiane BERTHELET-LORELLE, déjà citée, La sagesse du désir, Collection Couleur psy, Editions du Seuil, septembre 2003, p. 22. 736 Les Grecs, nous dit Hannah Arendt, avaient la conviction que « la philosophie met les mortels à même de hanter le voisinage des choses immortelles et d’acquérir par là, ou de nourrir en eux-mêmes « l’immortalité… le principe qui demeure dans la partie la plus élevée de notre corps. » , Timée, in Hannah ARENDT, La vie de l’esprit, Collection Quadrige Grands Textes, Les Presses Universitaires de France, Paris, février 2005, pp. 171-172. 737 Cette légende est reprise par Guy Corneau pour expliquer les franchissements à effectuer sur le chemin de la transformation intérieure. Guy CORNEAU, Victime des autres, bourreau de soi-même. Se réconcilier avec soi-même, Collection J’ai lu Bien être, Editions Robert Laffont, Paris, 2003. 738 « Quand une cure analytique permet à un sujet de rencontrer l’inconscient, il devient humble devant l’idée de la « connaissance de soi », car il sait que la pulsion de mort est infiniment plus puissante qu’il ne pouvait auparavant l’imaginer et souvent, à l’insu de tous, bien plus forte que celle de vivre. », in Christiane BERTHELET-LORELLE, op. cit., p. 31.
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La pulsion de mort, nous pensons la posséder alors que c’est elle qui nous possède. En cela, comme à un bien, nous y sommes attachés, nous cherchons à la préserver, en la mettant à l’abri des regards, du dire ; l’angoisse étant de perdre ce qui nous appartient, perdre les attributs qui nous maintenaient dans la défiance et la normalité. Renoncer au moi, c’est ainsi renoncer à une possession, celle de tous et de toutes, qui nous rassure et nous fait jouir au quotidien. C’est accepter qu’au fond il n’y ait rien, accepter de vivre ce choc de la méditation qui comprend le vide que nous portons et qui nous porte. Toutes ces identifications auxquelles nous tenons tant ne sont en réalité que des mensonges, des affabulations créées de toutes pièces pour nourrir le désir de faire de notre histoire une saga comme justification de notre souffrance. La pulsion de mort, sorte de monstre imaginaire, n’existe que de notre esprit, que de la réception de cette parole de l’autre qui nous y a fait croire. C’est un bluff. Notre dignité est à nos pieds, ne se lassent de déclarer tous les textes religieux, nous n’avons qu’à la ramasser. Le pouvoir de l’autre c’est justement de nous faire croire le contraire, de nous assujettir au mérite. Pour nous tenir, il nous con-tient. Renoncer, c’est donc révoquer les jouissances de l’Histoire, comme forme logique, psycho-logique. C’est accepter cette amputation narcissique et douloureuse qui nécessite l’abandon, le lâcher-prise. C’est effectivement faire un pas vers l’inconnu que d’accepter cette épreuve de la disparition. C’est un risque. Le dépassement du moi demande de l’audace. Audace à affronter le danger de l’autre dans la nouvelle posture. Audace à traverser le manque, ce manque d’autre qui nous comblait. Audace à se penser légitime, à s’affranchir, dans l’arrachement à l’autre de sa propre liberté.739 Et c’est en se dénudant, c’est-à-dire en parvenant à ne plus « céder sur notre désir », que l’on réussit à regagner le règne du vivant. Le face-à-face peut être terrifiant puisqu’au sein de l’ego demeure toujours la jouissance. Le passage est délicat. Il s’agit de reconnaître en soi ce qui fait mal, et comme cela peut être bon d’être mauvais. Dans cette réalisation, la culpabilité, en tant que jouissance, est souvent présente et avec elle un certain abattement. Difficile en effet de s’observer lâche, menteur, tricheur, manipulateur. Inaudible de s’entendre prononcer des 739 Pour s’affranchir de ses chaînes, l’esclave ne doit pas supplier le maître, ou même accepter de lui une libération, mais tuer le maître en lui, en s’arrachant de lui-même et par lui-même, de sa condition. Sa reconnaissance ne doit ainsi pas lui être offerte. Il doit la saisir sans détour. Une scène du film Queimada explique bien cette vérité sur le processus de libération. Long métrage Queimada, réalisation : Gillo PONTECORVO, scénario : Franco SOLINAS, Giorgio AULORIO, avec pour comédiens : Marlon BRANDO, Evaristo MARQUEZ, Renato SALVATORI, Norman HILL, Dana GHIA, Valeria FERRA WANANI, Ciampiero ALBERTINI, Carlo PALMUCCI, Thomas LYONS, Joseph P. PERSAUD, durée : 110 mn, sortie en 1969, France, Italie.
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jugements cruels ou complaisants. Choquant de s’examiner dans notre haine, notre rivalité, notre cupidité, notre voyeurisme ou notre égoïsme profond. Il nous faut pourtant brûler en enfer pour parvenir à renaître de nos cendres. Cette renaissance ne peut se passer d’amour, tout comme cette mise en observation par ailleurs ; car seul l’amour au sens de compassion peut nous garantir de survivre au démembrement. Cette guerre fratricide qui durera jusqu’à épuisement nous a en effet dispersés, nous confie Guy Corneau. Nous avons perdu notre identité. Nous ne savons plus qui nous sommes. C’est en effet l’épuisement qui détermine le seuil de la passe : se battre « (…) jusqu’à ce que vous abandonniez toutes vos postures, et le courage, et la détermination, et la persévérance, et la bougie et tout ce que vous avez appris, jusqu’à ce que vous vous déclariez battu à plate couture. Pire encore, jusqu’à ce que vous vous fichiez éperdument d’être vainqueur ou vaincu, battant ou battu. Sans le savoir, vous aurez eu le bon réflexe au bon moment. Car à cet instant précis, vous serez face-à-face avec le monstre, à sa merci. Les méandres de l’Ombre ne servent à rien d’autre qu’à vous épuiser, qu’à faire mourir en vous tout autre désir que celui de vivre quelques instants de paix véritable. Les miroirs de l’Ombre servent à vous pousser fermement vers la simplicité de l’essentiel. »740 Faut-il encore donc que l’amour soit au rendez-vous pour se relever d’une pareille épreuve, en cela que nous nous devons de nous accueillir, de nous pardonner, c’est-à-dire de nous rendre au tout, à la totalité. Comme si on se devait de s’offrir à soi-même ce droit d’existence de sa dissidence la plus intime. Comme si on se devait de naître une deuxième fois, et cette fois, par nous-même. Il s’agit ici de s’accepter, d’accepter la totalité de ses émotions, et même les moins valorisantes : la colère, la jalousie, la haine… Les refuser serait inéluctablement échouer et effectuer un retour vers les choses du passé. Chose difficile, car l’ego est « prisonnier du refus, comme il l’est, ou parce qu’il l’est, de son passé et de lui-même. Le passé survit en effet dans le présent comme une cicatrice, à proportion de nos blessures, de nos traumatismes, de nos frustrations. »741 (…) « Le passé insatisfait enserre le présent dans ses griffes. »742 L’amour inconditionnel, celui que l’on trouve en Dieu, nous aide à nous recueillir, c’est-à-dire à recueillir chaque partie blessée de nous-mêmes. Toutes sont « tolérées » selon le terme de Lacan, toutes sont chéries et nous donne le droit d’exercer notre désir le plus intime en changeant une part de ce réel qui nous constituait autrefois.
740
Guy CORNEAU, op. cit., p. 307. André COMTE-SPONVILLE, op. cit., p. 90. 742 PRAJNANPAD (Svâmi), in COMTE-SPONVILLE, idem, p. 90. 741
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« Comment céder le passage sans céder sur son désir », c’est la question que se pose Christiane Berthelet-Lorelle. « Nous ne pouvons résoudre cette équation qu’en faisant du passage un désir, et du désir un passage. C’est dans ce travail-là que nous sortons de nos liens névrotiques au désir, dans notre faculté d’assumer que soit reconduit le risque qu’il implique… là où le temps s’était arrêté », répond-elle.743 « C’est quand le conflit se dénoue, quand le refoulement cesse que le changement peut réellement s’opérer selon les voies du désir. Ici, le désir, nous dit-elle « n’est pas à entendre comme l’obturation d’une avidité mais au contraire, comme le lieu où quelque chose est à perdre pour continuer d’être. »744 Il y a donc dans le chemin de libération, en même temps qu’un lâcher-prise, un engagement ferme, une détermination, un désir brûlant. C’est une éthique du désir745 qui fera de nous les hommes du changement et de la responsabilité.
743
Christiane BERTHELET-LORELLE, op. cit., p. 38. Christiane BERTHELET-LORELLE, idem, p. 39. 745 Selon l’expression de Christiane BERTHELET-LORELLE. 744
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Encyclopédie Encyclopédie des sciences de la nature, Editions Larousse, Paris, 1995.
Filmographie Fanny et Alexandre, long métrage, réalisation : Ingmar BERGMAN, scénario : Ingmar BERGMAN, avec pour principaux comédiens : Eva FROLING, Bertel GUVE, Pernilla ALLWIN, Jan MALMSJO, montage : Sylvia INGMARSSON, producteur : Jörn DONNER, durée : 188 mn, décembre 1982, Suède. Fight Club, long métrage, réalisation : David FINCHER ; scénario : Jim UHIS, Chuck PALANIUK ; avec pour comédiens : Edward NORTON, Brad PITT, Helena BONHAM CARTER, Meat LOAF, Jared LETO ; production : Ross GRAYSON BELL, Cean CHAFFIN, Art LINSON ; septembre 1999, USA. La grande bouffe, long métrage, scénario : Marco FERRERI, Rafaël AZCONA, Francis BLANCHE, avec pour comédiens pour n’en citer que quelques uns : Marcello MASTROIANNI, Philippe NOIRET, Michel PICCOLI, Bernard MENEZ, Ugo TOGNAZZI et Andréa FERREOL, production : Mara Film, 1973. La parole (Ordet), long métrage, scénario : Carl Théodor DREYER, d’après la pièce de Kaj Munk ; production : Carl Théodor DREYER, Erik NIELSEN, Tage NIELSEN ; avec pour comédiens : Henrik MALBERG, Emil HASS CHRISTIANSEN, Birgitte FEDERSPIEL, Preben LERDOFF RYE, montage Edith SCHËSSEL, durée : 126 mn, sorti le 10 janvier 1955, Danemark. Queimada, long métrage, scénario : Franco SOLINAS, Giorgio AULORIO ; avec pour comédiens : Marlon BRANDO, Evaristo MARQUEZ, Renato SALVATORI, Norman HILL, Dana GHIA, Valeria FERRA WANANI, Ciampiero ALBERTINI, Carlo PALMUCCI, Thomas LYONS, Joseph P. PERSAUD ; durée : 110 mn ; sortie en 1969, France, Italie. Rencontres avec des hommes remarquables tiré de l’ouvrage du même nom, autobiographie de Georges Gurdieff, long métrage, réalisation : Peter BROOK, scénario : Peter BROOK, Jeanne SALZMANN, et Georges GURDIEFF d’après son œuvre, directeur de production : Roy GODDARD, avec pour comédiens : Dragan MAKSIMOVIC, Terence STAMP, Martin BENSON, duréé : 108 mn, 1979, USA. Une vérité qui dérange ; film documentaire, réalisation : Davis GUGGENHEIM, premier rôle : Al GORE, durée : 94 mn, année 2006, Etats-Unis.
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Personnes rencontrées ALLIAUME Daniel, co-gérant de la SOREIM, Société Rennes Immobilier. AMPE Francis, enseignant-chercheur à l’ENPC, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. ARRES-LAPOQUE Patrice, directeur adjoint de la Direction Régionale de l’Environnement Bretagne, chef du service évaluation et développement durable. AUFFRAY Frédéric, ingénieur, attaché au bureau d’étude de la direction de l’urbanisme, Ville de Rennes.
BAFFOU Thierry, militant écologiste, éditeur, Association Terre de vent, développe le concept maison paille. BASSET Yvon, chargé de mission, maîtrise de l’énergie, collectivité, qualité de l’air, ADEME Bretagne, aujourd’hui délégué adjoint.
BENIS Jean-Christophe, Maire de Bazouge-sous-Hédé (35), à l’origine du lotissement écologique de sa commune. BERROCHE Eric, 2ème adjoint au Maire, délégué aux déplacements, transports, stationnement, et voiries, Ville de Rennes.
BERTHET Jean-Marc, ingénieur, chef du service Patrimoine, chargé du dossier Energie-Cités, Ville de Rennes. BERTHOMMIER Gilles, Maire de St Erblon (35). BERTON Stéphanie, chargée de la certification, au CSTB (Comité Scientifique et Technique du Bâtiment). BIDOU Dominique, essayiste, président de l’association HQE (Haute Qualité Environnementale). BLOT Nadine, chargée de mission à L’AUDIAR (Agence d’Urbanisme et de développement intercommunal de l’Agglomération rennaise), projets ADDOU (Approche Développement Durable dans les Opérations d’Urbanisme).
BOUCAULT Philippe, Architecte des Bâtiments de France, chargé du secteur Rennes-centre, Direction Départementale de l’Equipement (35).
BOUET Joël, Maire de Brécé (35). BOURCIER Frédéric, 11ème adjoint, délégué à l’éducation et à l’enfance, Ville de Rennes. BRAS-DENIS Annie, directrice générale adjointe en charge du développement, Archipel Habitat (bailleur social), Agglomération rennaise.
CHAPUIS Jean-Yves, conseiller municipal, vice-président délégué aux formes urbaines, chargé de mission à la coordination des secteurs entre ville et agglomération, Ville de Rennes.
CHARDONNET Hubert, 6ème adjoint, délégué à l’urbanisme et à l’aménagement, Ville de Rennes. CHARRETON Philippe, chef du service régional d’économie agricole, Direction Régionale de l’Agriculture et de la Forêt Bretagne.
CHENUT Jean-Luc, Maire du Rheu (35). CHEVASSUT Stéphan, chargé de mission énergies renouvelables, éolien, Ademe Bretagne. CLEMENT Philippe, chargé de mission à la SEMAEB (Société d’Economie Mixte et d’Aménagement de la Bretagne), Rennes.
COGNON Michel, récupérateur en matériaux de construction (53). COLDEFY Anne, vice-présidente déléguée à la politique de la ville, chargé de mission, contrat de ville, Ville de Rennes.
CORRON Magali, présidente de l’association Air Breizh, chargée de la mesure de la qualité de l’air en Bretagne. COSTE René, père, essayiste, militant écologiste, dans la lignée de Pierre Theilhard de Chardin. CROSLARD Laurence, architecte-urbaniste en exercice, vice-présidente du Conseil National de l’Ordre des Architectes.
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CROC Didier, chargé de la construction de l’Immeuble Salvatierra, quartier de Beauregard, pour la Coop de construction, Rennes.
CUEFF Daniel, Maire de Langouët (35), engagé dans l’architecture et l’urbanisme écologique. DAUBAIRE Jean-Luc, conseiller municipal, chargé de mission à l’énergie et à l’éclairage public, Ville de Rennes. DEMESLAY Nathalie, chargée du Plan Local de L’Habitat pour Rennes Métropole. DESCAMPS Catherine, chargée de la Politique de l’habitat, service Urbanisme Habitat Construction, Direction Départementale de l’Equipement (35).
DESDOIGT Jean-Yves, chargé des pollutions, nuisances et verdissement liées aux questions d’énergie, référence éolien, à la Direction Régionale de l’Environnement Bretagne.
DIVANACH’ Loïc, ancien chef du service environnement de la Ville de Rennes. DOLOWY Inga, architecte-urbaniste en exercice, démarche environnementale. DORANGE Alain, responsable de la Commission énergie, Parti des Verts. DOUCET Jean-Luc, vice-président, chargé du Schéma de Cohérence Territorial, à l’Agence d’Urbanisme et de Développement Intercommunal de l’Agglomération Rennaise.
DOUILLARD Patrick, directeur général de la SECIB, Société d’Etude et de Construction Immobilière de Bretagne. DUBOIS-LOUVEAU Christian, chef du service Patrimoine naturel et Urbanisme, Région Bretagne. DUFFAUD Laurence, conseillère municipale, chargée de mission à la jeunesse, au développement éducatif, et à la formation professionnelle, Ville de Rennes.
DUPEUX Thierry, architecte en exercice, projet sur le quartier de Beauregard, démarche environnementale. DUVAL Daniel, Infrastructure et routes, Plan Urbanisme Construction et Architecture, Ministère de l’équipement. FERRE Annelyse, chargée de mission à la Chambre d’agriculture d’Ille et Vilaine, Programme Terre en ville. GAOUYER Jean-Paul, responsable de la délégation de l’ADEME Bretagne, aujourd’hui à la retraite. GARGAM Nicole, conseillère municipale, chargée de mission à la consommation, Ville de Rennes. GAUTHIER Michel, Maire de Betton (35). GICQUEL Roland, chargé du service environnement, Rennes Métropole. GLOROT Yves, chargé de mission à la division énergie, projets de transport électrique et gaz, Direction Régionale de l’Industrie de la Recherche et de l’Environnement, Bretagne.
GOETBER Rebecca, chargée d’étude sur les systèmes de représentations des élus et du personnel de Rennes Métropole, sur le développement durable, étude menée sous forme de questionnaires, Rennes Métropole. GOUDET Françoise, chargée de mission recherche au Plan Urbanisme Construction et Architecture, Ministère de l’équipement.
GOURIO Loïc, direction réseaux et assainissement, Ville de Rennes. GUILLAUDEUX Philippe, chargé de mission aux énergies renouvelables, EDF, Antenne de Rennes. GUILLOTIN Daniel, Directeur du Conseil Local à l’Energie, pour l’Agglomération rennaise. HAMON Frédéric, chargé de mission à la SIEMPE, Société Immobilière d’Economie Mixte, Ville de Paris. HANNEDOUCHE Bertrand, animateur de l’association Envirobat Bretagne. HEDOU Joëlle, chargée de mission à la Direction de l’Aménagement Foncier et de L’urbanisme, Ville de Rennes. HEDOUVILLE (DE) Bertrand, expert-conseil pour la SMABTP, filiale SOCABAT (Société de Conseil et d’Assistance pour les Assurances du Bâtiment et des Travaux publics).
HERY Jean-Michel, conseiller municipal, chargé de mission à l’eau et à l’assainissement, Ville de Rennes.
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HUSTACHE Yves, chargé du développement de la construction chanvre pour l’association Construire en chanvre. JACQ Alain, responsable du service de la qualité et des professions, à la DGUHC, Direction Générale de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction, Ministère de l’équipement.
JEAN Olivier, architecte en exercice, Président de l’Ordre des Architectes Bretagne. JEANNERET Nicolas, chargé de mission, Agence Qualité Environnement (comité de validité de l’assurabilité des matériaux).
JOLY Catherine, conseillère municipale, chargée de mission aux déplacements alternatifs, Ville de Rennes. JOSSE Loïc, architecte-urbaniste en exercice, concepteur d’une des tranches du quartier écologique de Beauregard, Rennes.
JOULEAU Emmanuel, conseiller municipal, chargé de mission aux personnes âgées et handicapées, Ville de Rennes. JOURDREN Alain, ingénieur, chef du service hygiène santé, Ville de Rennes. KNOP Jean-Michel, chef du bureau des enseignements à la DAPA, Direction de l’Architecture et du Patrimoine, Ministère de la culture.
LAIGLE Lydie, sociologue, chargée de mission HQE, Haute Qualité Environnementale au CSTB, Comité Scientifique et Technique du Bâtiment.
LAURENT Guy, chargé de mission maîtrise de l’énergie des bâtiments neufs, HQE, opération d’urbanisme, ADEME Bretagne.
LEBON Ronan, ingénieur à la SOBREC, Société Bretonne de Collecte. LE DAFNIET Marie-Rose, service de la police de l’eau et des milieux aquatiques, Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt.
LEDET Jean-Pierre, adjoint à l’urbanisme, Mairie d’Acigné (35). LEFEVRE Pierre, architecte, auteur d’ouvrage sur l’architecture durable, enseignant à l’Ecole d’Architecture de la Villette, module HQE pour la formation professionnelle.
LE JEUNE Hervé, délégué régional de la Fédération National du Transport Routier, Antenne Bretagne. LEFEVRE Maurice, élu de Rennes Métropole, chargé de la politique de l’Habitat de l’agglomération. LE GARCIC Georges, architecte en exercice, co-concepteur du lotissement écologique de Bazouges-sous-Hédé (35), démarche environnementale.
LE MASSON Jacques, délégué adjoint de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat, Direction Départementale de l’Equipement.
LENAIN Gérard, artisan-maçon, spécialiste de la construction chanvre, précurseur en la matière, Entreprise SI2C et Be3C, La Mézière (35).
LE PROUST Christelle, chef du service environnement, Ville de Rennes. LE VACON Jacqueline, animatrice spécialisée en éducation à l’environnement, MCE, Maison de la consommation et de l’environnement.
LHOSTE Michel, Secrétaire général de la Fédération Française du Bâtiment, Rennes. LOGET Pascal, vice-présidente, chargée de la préparation et de la mise en œuvre de l’Agenda 21 Bretagne, Conseil Régional Bretagne.
MACE Denise, chargée de mission, mission coordination des politiques territoriales et des programmes européens, Région Bretagne.
MARCHAND Daniel, ingénieur de génie sanitaire, service santé et bâtiment, DRASS, Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales.
301
MICHEL Serge, chargé de mission à la CAPEB, Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (35).
MICHEL Renaud, chargé de mission déplacements et transports, ADEME Bretagne. MICMACKER Claude, architecte en exercice, concepteur en construction paille. MIGNARD Samuel, chargée de mission au Pays de Rennes, responsable de la Charte de Pays. MILVOY Anne, responsable de l’observatoire de l’eau, AUDIAR, Agence d’Urbanisme et de Développement Intercommunal de l’Agglomération Rennaise.
MORANTIN Marie, architecte, chargée de mission à la CAPEB, Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (35).
MOREL Gildas, architecte en exercice, co-concepteur d’un immeuble à l’éco-quartier de Beauregard, Rennes. NAGY Laurence, chargé de mission, service développement durable du CSTB, Comité Scientifique et Technique du Bâtiment, Champs-sur-Marne.
NICOLAS Yves, Maire de St Sulpice-la-Forêt (35). NICOT Hervé, chargé d’étude aménagement, Direction Régionale de l’Equipement Bretagne. OLIVAUX Yann, enseignant de biologie, a publié un ouvrage sur la mémoire de l’eau, président d’Eaux futures, Rennes.
ORHANT Olivier, médecin du travail spécialisé dans les métiers du bâtiment, Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales.
PENNEQUIN Gilles, chargé de mission à l’aménagement durable, à la DGUHC, Direction Générale de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction, Ministère de l’équipement.
PERCHE Jean-Michel, architecte en exercice, adhérent de l’association AUDD, Aménagement Urbanisme et Développement Durable, Rennes.
PETITJEAN Gilles, chargé de mission, bio-énergie, FEDER (Fonds européens de développement régional) ADEME Bretagne, aujourd’hui délégué régional.
PICOT Jean-François, écrivain, président de l’association Eaux et Rivières de Bretagne. PIRON Olivier, secrétaire permanent du Plan Urbanisme Construction et Architecture. PLACE Guillaume, chargé de mission au service Prospective et évaluation, Rennes Métropole. POIRIER Bernard, Maire de Mordelle (35). POUESSEL Michel, responsable du service eau potable, Direction Santé publique, DDASS, Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales.
RABILLARD Samuel, responsable de l’unité production logement, OPAC 35. RANSON Erwan, chargé du Plan de Déplacement Urbain, Rennes Métropole. REMY André, délégué à l’action économique, Fédération Nationale des Transports Routiers, Paris. REVERS Jean-François, architecte, enseignant à l’école d’architecture de Bretagne. RIAUX Jean-Yves, chargé de mission au CNDB, Comité National pour le Développement du Bois, Antenne de Rennes.
ROSE Michel, Maire de Cesson-Sévigné (35). ROUMET Bruno, responsable de l’unité de gestion de la SMABTP, Société Mutuelle des Assurances du Bâtiment et des Travaux publics, Rennes.
SAGLIO Thomas, urbaniste, chargé de mission à Territoires, Société d’Aménagement du Pays de rennes.
302
SAUVEZ Marc, auteur d’ouvrage et de rapport, enseignant à ScPo, à l’ENPC, à l’ENA international et à l’Université de Marne-la-Vallée, ingénieur civil des Ponts et Chaussées, architecte-urbaniste, chargé de mission, d’expertise et de conseil.
SEVELLEC Bernard, directeur de l’environnement et des infrastructures, Conseil Général d’Ille-et-Vilaine. SOURDENNE Jacques, technicien-conseil, maître d’œuvre pour la réhabilitation d’immeubles d’habitation, Pact’Arim, Rennes.
TANDILLE Claire, chargée de mission, direction prospective et aménagement de l’espace, Rennes métropole. THOMAS Fiona, chargée du SCOT, Schéma de Cohérence Territorial du Pays de Rennes.
N.B. Toutes ces personnes ont été rencontrées globalement entre 2003 et 2005. Certaines sont désormais à la retraite, d’autres occupent à l’heure actuelle d’autres postes.
303
Table des matières Avant Propos
9
Introduction
23
I. DES MYTHES À REVOLUTIONNER
45
A.
Le Jardin des délices, mythe d’abondance et de liberté
47
1.
Le mythe de l’Age d’Or et de l’Ếternel retour
48
2.
De l’idéal à l’idéal de développement
51
3.
La nature et ses limites, le mythe de l’abondance déchu
54
. La pénurie d’eau n’est pas une fatalité
54
. Gaspiller ou économiser l’énergie?
57
. Dégrader l’atmosphère ou protéger l’élément vital de l’air ?
60
. L’enjeu des cycles, entre émissions et séquestrations
64
. Les politiques publiques de protection de l’atmosphère
65
B.
La relation Homme/Nature, du duel au non-duel
69
1.
Le refus du subissant, le développement de la « noosphère »
70
. La pensée exclusive
71
. De l’idée à l’idéalisation
73
Pur et impur, déchets et pollutions
74
. De l’ordre symbolique
75
. Naturalistes contre culturalistes
78
. De la pollution
82
. Recycler les matières fécales et les urines
85
C.
De la puissance et de l’impuissance du rationalisme
90
1.
Les limites de la science
92
. Mécanisme et technicisme, les acceptions cartésiennes
93
. Les ratés du cartésianisme, la question de la mesure
95
. « Médecine chinoise planétaire » ou théorie du baquet
98
. La folie techniciste, l’exemple de l’eau
101
Les contaminations du technique sur le politique
107
. L’illusion technique et scientifique
108
. De la machine à l’homme-machine
115
2.
2.
305
II. DES USAGES À ABOLIR
123
A.
La productivité au service de la jouissance
126
1.
Progrès, modernité et désenchantement
127
2.
Les passionnés de « la grande bouffe »
134
3.
Désirer. Se consumer
140
4.
Les pathologies de la croissance
146
5.
Besoins ou désirs ? Avoir ou être ?
149
B.
Le libéralisme ou la confusion des libertés
161
1.
L’action publique
164
. Les éléments opératoires
167
. Pollution des eaux, agriculture et jardinage
175
Ville durable : des enjeux, des modèles
183
. Le cycle de l’eau
184
. Économiser les énergies fossiles et préserver la qualité de l’air
186
. Économiser les matières premières
194
. Le cas du transport dans l’agglomération rennaise (Les modes doux, Les
195
2.
transports en commun, L’usage collectif de la voiture, Le stationnement)
3.
Condamner l’utopie ?
202
4.
Communier ou échanger ? Le sens de la liberté
208
. Le choix individuel est monolithique
209
. Mais qu’est-ce qu’être libre en réalité ?
213
Le piège économiciste
219
. L’évaluation des biens environnementaux
220
. L’écotaxe (L’écotaxe et le transport routier, L’écotaxe et la pollution
223
5.
de la ressource en eau)
6.
. Les permis à polluer
227
. « Surchoix» et label de qualité
229
Vices et vertus de l’autonomie
232
. Vivre et travailler autrement
233
. De l’autonomie et des risques
235
. Autonomie ou narcissisme ?
239
. Des affinités électives
243
. Les affres du communautarisme « vert »
247
. « Connais-toi toi-même »
249
Conclusion
253
306