INDIAN’S WOMEN Marine Delaporte Inde 2016
« J’ai rencontré des femmes, avec des âges et des histoires différents. Mariages arrangés, violences, obligations, petits travails, interdictions, associations... Je raconte à travers différents portraits et anecdotes ce que j’ai pu voir et entendre. Je n’ai pas la prétention de parler et d’illustrer le cas de toutes les femmes indiennes. Mais juste ce qui m’a été permis de voir pendant mes cinq mois en Inde. » Marine Delaporte
Petite fille à Varnansi, État de l’Uttar Pradesh.
Ă€ Varanasi.
Sommaire
Introduction................................................................................... 5 Le Restore : travailler pour s’émanciper.......................................... 6 Martine, 26 ans, insouciante à Pondy............................................ 8 Le Sheroes Hangout Café à Agra.................................................... 14 Pondichéry : le mariage arrangé de Lakshmi................................. 20 Être mère c’est aussi donner l’exemple........................................... 24 À New Delhi, c’est Women Only !.................................................... 26 À la rencontre d’Amma................................................................... 30 Marianne, une Franco-Indienne pas comme les autres.................. 32 Les Veuves Blanches de Vrindavan................................................. 40 Varanasi où les femmes retiennent les âmes................................. 46
INDIAN’S WOMEN - Inde 2016 - © Marine Delaporte Textes & photos : Marine Delaporte / marine.dlp@outlook.fr Maquette : Vivien Grisotto / grisottovivien@yahoo.fr Financement participatif « Les copains du St Honoré » & Ulule.com Toute reproduction strictement interdite.
Introduction
T
out au long de mon voyage en Inde, je me suis interrogée sur la place de la femme. Où dans cette société, naître fille semble être une difficulté. Toutes sortes d’histoires circulent autour des femmes. Tuées à la naissance, étouffées bébés, abandonnées enfants, violées ou brûlées par acide adolescentes, rejetées lorsqu’elles sont veuves. Voici ce que peut être le destin d’une femme en Inde. Bébé, petite-fille, jeune femme prête à se marier, maman et enfin belle-mère, la femme a sans cesse un devoir à accomplir. Dans ce pays, élever un garçon ou une fille présente des différences notables. Lui, portera le nom de la famille, il permettra la descendance, il sera le chef et exécutera les rituels funéraires. Elle, on hésitera à l’éduquer, il faudra la doter pour la marier et elle partira vivre ailleurs, avec son mari ou dans sa belle-famille. « La fierté d’avoir un fils est ancienne et très ancrée en Asie. La naissance des garçons est particulièrement favorisée en Inde, car ils perpétuent le nom du père, héritent du patrimoine familial, soutiennent les parents dans leurs vieux jours et accomplissent les rites funéraires hindous, que les filles ne sont pas autorisées à effectuer. Engendrer une fille est donc, depuis des siècles, jugé moins utile et moins honorable. Un dernier facteur
fondamental explique le fait qu’elles soient moins désirées : l’obligation, pour leurs parents de payer les frais de leur mariage et d’offrir à la future belle-famille une dot coûteuse, qui les contraignent souvent, à économiser toute leur vie. »(1) Pour prévenir de ce « malheur féminin », les mères avortent des bébés filles. Si l’avortement est légal depuis 1971 en Inde, les interruptions de grossesse en raison du sexe du foetus, eux, y sont strictement interdits. Une loi de 1994 interdit d’ailleurs aux médecins de révéler le sexe du foetus. « C’est une fille » : cette phrase, ailleurs anodine, peut être passible de trois ans de prison et de 10.000 roupies d’amende (125 euros). « Malgré ces précautions, le sex-ratio en Inde est de 940 femmes pour 1 000 hommes au recensement de 2011, alors que le ratio normal est de 1 050 femmes pour 1 000 hommes. Celui-ci a connu une baisse constante depuis le début du XXe siècle, à l’exception de deux légers redressements depuis 2001, traduisant la masculinisation de la société indienne. Le sex-ratio des enfants de 0-6 ans continue, lui à baisser, passant de 927 filles pour 1 000 garçons en 2001 à 914 pour 1 000 en 2011, signe révélateur de la poursuite de la sélection des naissances. En 2011, le surnombre des hommes atteint 37,2 millions. »(1)
Propos de l’article de Bénédicte Manier, journaliste, « Les femmes en Inde : une position sociale fragile, dans une société en transition », Le monde indien : populations et espaces, publié le 24/03/2015 sur geoconfluences.ens-lyon.fr (1)
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Le Restore : travailler pour s’émanciper
7 Juin 2016
À
Naddi, village dans l’État de l’Himachal Pradesh, l’association Educare, ONG qui promeut l’environnement, l’éducation, la santé et l’émancipation des femmes, a créé Le Restore depuis 2014. Ce magasin allie projets de microfinance, valeurs de développement durable et tourisme local. Situé sur la place centrale de la commune, quatre filles de 18 à 20 ans y travaillent. Elles cuisinent des plats avec des produits frais, achetés et produits localement et elles y vendent des
articles fabriqués par d’autres femmes des alentours. Ces initiatives leurs permettent de sortir de chez elles, de s’émanciper et de fréquenter la place du village, majoritairement occupée par les hommes. Comme l’explique Coralie Rambaud, 24 ans, originaire de La Garde Adhemar, en France et bénévole pendant trois mois : « Ce shop permet à la gent féminine des environs de sortir, au début ce n’était pas simple, les femmes qui travaillent ici étaient très très
Milan Thur (au premier plan) en train de cuisiner avec Marine Cabrol au Restore pour les clients. timides ! Elles ne sont pas habituées à sortir, voir du monde, et la place est surtout investie par les hommes. » Elle ajoute : « Ici, elles font la cuisine, travaillent, c’est un moyen de les amener à l’extérieur et les rendre plus sûres d’elles. » Marine Cabrol, manageuse en misson pour cinq mois précise : « Une dizaine de femmes des alentours, de 20 à 50 ans, n’y travaillent pas directement mais sont impliquées dans la fabrication des articles vendus. Toutes les filles ne sont pas mariées. Certains maris ont refusé la participation de leur épouse au Restore. D’autres sont plus permissifs ou très souvent absents. Les filles ont un
salaire basé sur les ventes qui se sont déroulées pendant leurs horaires. Elles ne travaillent que le week-end car elles ont école le reste du temps. » Comme raconte Milan Thkur, 19 ans, cuisinière depuis deux ans : « C’est un peu étrange dans le village de voir des femmes qui sortent de chez elle et qui travaillent. Moi, avec l’argent que je me fais, je paye mon transport pour aller à l’école. » Cette initiative encourage les femmes à s’ouvrir sur les autres en travaillant et se rendant sur la place principale du village.
Volontaires et locaux mettent la main à la pâte pour faire tourner la boutique. 9
Martine, 26 ans, insouciante à Pondy Avril 2016
M
artine Lourdusany a 26 ans, elle est née à Pondichéry, dans l’État du Tamil Nadu. Elle est catholique, exerce le même métier que sa mère. Elle est femme de ménage et jardinière au centre culturel Sita à Pondichéry. Martine n’est pas mariée. Cette jeune femme souriante répond à mes questions timidement. Avec l’aide d’une collègue qui parle le Tamoul et l’Anglais, nous discutons. Pensez-vous vous marier bientôt ? « Oui, mais il faut d’abord que mes parents me choisissent un mari ! Je pense que cela arrivera dans deux ans. Mes parents trouveront mon futur époux pour moi. » Êtes-vous contente que vos parents vous désignent un mari ? « Oui, je suis contente, ce sont nos traditions. » Imaginez-vous que cela puisse se passer autrement et choisir vous-même ? « Non, parce que les familles indiennes normales procèdent comme cela, donc, on respecte les traditions, c’est le choix de nos parents, et c’est ainsi que l’on est heureux. »
Comment cela se passe t-il ? « Les parents choisissent un jeune homme, ils nous montrent des photos de lui, pour savoir si on est d’accord. Ensuite, nous nous rencontrons une première fois avant le mariage. Cela permet de savoir si nous sommes toujours contents du choix de nos parents. Si nous ne sommes pas d’accord, nous avons le droit de dire notre opinion et de stopper le déroulement. » Pensez-vous au souvent mariage ? « Non, pas vraiment. J’ai besoin de temps, je préfère m’amuser maintenant. Je vois souvent des couples mariés et j’ai l’impression qu’ils ne sont pas heureux. Avant le mariage, nous n’avons pas beaucoup de responsabilités, nous sommes libres, après lorsque l’on est mariée, il faut s’occuper du foyer, prendre soin de son mari, c’est plus compliqué. » Allez-vous quitter la ville et votre travail pour votre mari ? « Non, mes parents chercheront un homme à Pondichéry, je ne veux pas quitter la ville et mon travail ! J’aime travailler, je me fais de l’argent, c’est un peu mon indépendance. »
Martine en train d’arroser les plantes du jardin du centre culturel Sita. 11
Après avoir nettoyé le sol, Martine dessine chaque jour à l’entrée du centre un Kolam, en signe de bienvenue aux visiteurs et aux bonnes énergies.
Martine et sa joie de vivre pendant sa journée de travail. 12
À Candappa Moudalier Street, Pondichéry, État du Tamil Nadu.
Le Sheroes Hangout Café à Agra Mai 2016
L
a ville d’Agra, située dans l’État de l’Uttar Pradesh, célèbre par le Taj Mahal, joyau de l’Inde, abrite d’autres bijoux. L’association Stop Acid Attacks basée à New Dehli a aidé cinq femmes à créer le Sheroes Hangout Café en octobre 2014. Ces femmes singulières ont toutes un point commun : elles ont le visage brûlé par l’acide. Le nom du café « sheroes » est la contraction de l’Anglais, « she », « elle » et « heroes », « héros ». Cette structure permet d’accueillir les victimes des attaques à l’acide et de leur donner une chance de vivre normalement. « Ouvert depuis octobre 2014, l’idée est de donner aux filles le moyen d’obtenir un job, de les aider à se battre contre le gouvernement pour réclamer justice. L’association paye un avocat. Généralement peu de femmes obtiennent gain de cause. Maintenant, les attaques à l’acide commencent à être reconnues comme un crime. Au départ, il y avait peu de survivantes. Puis certaines ont commencé à venir raconter leurs histoires à l’association. Pour les prendre en charge, nous avons un plan d’opération. En premier lieu, nous devons nous occuper de ces femmes, les emmener à l’hôpital, les faire soigner. La chirurgie terminée, c’est un challenge pour elles de réclamer justice. Ensuite, elles intègrent le café et travaillent. », explique Atul Kumar Singh, 41 ans, manageur et professeur de dessin au Sheroes Hangout Café, à Agra.
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Depuis, d’autres victimes les ont rejointes comme Shabbo Sheikh, 23 ans, née à Mumbai, et serveuse, elle explique : « C’est très commun en Inde. Si une femme refuse les avances d’un homme, il ne comprend pas et se demande comment elle peut le rejeter ? Offensé, l’homme pour se venger, jette de l’acide sur le visage de la fille. Marquée à vie, la victime est défigurée. Les attaques à l’acide sont les marques de ce rejet. » Elle développe : « Sheroes Hangout Café est un lieu créé en octobre 2014. Les gens peuvent y manger, acheter des vêtements, il y a des ateliers dessin, lecture. Après une attaque à l’acide, les femmes se sentent mal, elles ne veulent plus sortir de chez elles et dépriment. Alors pour continuer à vivre, il y a ce café. Un autre existe à Locknow, dans le même État. C’est ouvert à tous ici, sur la carte du menu, il n’y a pas de prix inscrit. Riche, pauvre, tout le monde peut venir et manger. À Agra, les gens de la ville nous connaissent mais ils ne veulent pas venir, ça les dérange. Beaucoup d’étrangers et de collèges viennent, nous les sensibilisons à ce fléau. » Derrière ce café, l’association Stop Acid Attacks basé à New Dehli se mobilise. Pour sensibiliser les indiens à ce drame de société, l’association a réalisé une campagne publicitaire avec des photos. Atul Kumar Singh explique : « Les filles ont réalisé des photos. Le but est de montrer que l’on peut vivre après une attaque ! Que la beauté n’est pas que physique mais que l’âme est importante. Le plus dur a été de trouver un photographe professionnel,
qui mette à l’aise les filles, autant d’épreuves à surmonter après avoir subi une attaque. » Relly Kumari, 16 ans, originaire d’Agra, elle travaille au Café depuis novembre 2015, elle raconte son histoire : « En juillet 2013, un jeune homme me suivait souvent sur le chemin de l’école, parfois il essayait de me toucher. J’en avais parlé à mes parents et à ceux du garçon. Mais ça a été comme un déclic chez lui. Il a continué et a insisté. Un jour, je jouais, il s’est
invité et a tenté de me toucher. Ma soeur est intervenue pour m’aider mais il m’a lancé de l’acide au visage. » Elle explique : « Après mon attaque, j’ai perdu mes amis, j’ai arrêté d’aller à l’école. Heureusement, je vis chez mes parents. Au café, je m’occupe des clients, j’aide en cuisine. Je compte reprendre mes études bientôt. Le coupable est en prison. La justice a mis huit mois à juger les faits.»
Relly Kumari, 16 ans, travaille au Sheroes Hangout Café.
« J’avais un mois... »
S
habbo Sheikh, 23 ans, née à Mumbai a été brûlée par acide. Elle raconte : « Je suis ici depuis le 14 mai 2016, j’ai regardé sur Facebook et j’ai contacté l’association Stop Acid Attacks. Je suis arrivée et maintenant je travaille dans ce café à Agra. J’avais un mois quand mon père m’a versé de l’acide sur le visage. Je ne sais pas pourquoi il a fait ça. Ma mère est décédée, mon père est parti, il n’a jamais voulu me revoir. J’ai grandi dans un orphelinat. À 18 ans, il y a une règle, il faut retourner chez soi. Mais je n’avais pas de maison et aucune famille. Je suis venue à Agra. J’ai fait une chirurgie plastique. Dans quelques temps, je dois refaire l’opération. Ici, je me sens très bien, avec d’autres femmes comme moi. »
Des femmes récoltent de l’herbe devant le Taj Mahal à Agra, État de l’Uttar Pradesh.
Pondichéry : le mariage arrangé de Lakshmi
Mars 2016
L
akshmi Dhanalatchoumy Shivakumar, 37 ans, appartient à la caste commerçante. Lakshmi est réceptionniste au centre culturel Sita à Pondichéry, dans l’État du Tamil Nadu, depuis quatre ans. Son mariage arrangé en 2004, comme il est coutume en Inde, elle le raconte : « Je me suis mariée à 26 ans à Shiva, lui en avait 33. Mes parents et mon oncle préféraient un mariage arrangé, c’est-à-dire choisir
quelqu’un pour moi. J’ai donc attendu que ma famille me choisisse un époux. Lui, à la base vivait dans l’État du Karnataka, plus à l’ouest de l’Inde. C’est mon oncle qui le connaissait. Avant de se marier, nous avons eu un premier rendezvous pour se voir, savoir si physiquement on se plaisait. C’est comme ça que mes parents et sa famille se sont mis d’accord. » Comment avez-vous réagi lorsque vous avez su que vous alliez vous marier ? « Ce n’est pas simple ! J’ai mis un an à le
comprendre après notre mariage. À cette époque, je vivais et travaillais à Pondichéry. Quand j’ai su que mon futur mari viendrait ici, j’étais déjà soulagée. Je ne devais pas partir vivre chez ma belle-famille, dans une nouvelle ville. Cela m’arrangeait, ma vie allait commencer ici, à Pondichéry. En général, dans 90% des cas, la femme part vivre dans sa bellefamille. J’avais donc moins peur . » Comment ça s’est passé au début ? « Au début, c’est dur, je ne le connaissais pas, je ne comprenais pas ce qui se passait, je ne savais pas ce que je devais faire. Pendant au moins trois mois, ce n’était pas simple, c’était très étrange, je ne savais pas ce qu’il aimait. La première fois que j’ai dû lui préparer un dîner, j’avais cuisiné plusieurs plats car je n’avais aucune idée de ses goûts et pas de chance, il n’aimait rien de ce que j’avais fait. Puis, doucement, j’ai appris à l’écouter, à le comprendre, ça a commencé comme ça, il parlait davantage, nous apprenions à nous connaître. » Avez-vous imaginé de dire non à ce mariage ? « Je ne pensais pas comme ça car ma famille, me disait : « Le mariage c’est une chose importante, ça n’arrive qu’une fois dans la vie ». Tout le monde me le répétait, c’est dans nos traditions. Mes parents me disaient qu’ils allaient choisir pour moi, mon esprit était conditionné. Si je pensais autrement, je me le rappelais directement. À partir de 19, 20 ans, ils me le répétaient souvent : « On va choisir, on va choisir, on va choisir. » Finalement, je ne me souciais plus de trouver un mari car mes parents le faisaient pour moi. »
Lakshmi à la réception du centre cutlurel Sita à Pondichéry.
Comment vos parents ont-ils choisi votre mari ? « Pour choisir un bon mari, il y a plusieurs critères : la famille, le travail du futur marié, sa ville, son astrologie, et sa beauté. Pour la femme, une bonne épouse doit avoir une bonne famille et une dot convenable. La dot est constituée d’or, de liquidités, de biens immobiliers et de moyens de locomotion (scooter ou voiture). » Deux enfants maintenant, c’est donc un bon mariage ? « Oui, maintenant oui, cela fait douze ans que nous sommes mariés. J’ai eu mon premier enfant un an après notre mariage en 2005 et le second en 2007. » Vous avez deux filles, ce que vous leur souhaitez ? « Maintenant les coutumes sont en train de changer, il y a des mariages d’amour. Ça dépendra de ce qu’elles veulent. Si elles souhaitent un mariage d’amour ou arrangé, je ferai attention à savoir si son futur mari s’occupe bien d’elles, si elles sont dans un situation confortable, dans ce cas là, j’accepterai le mariage d’amour. Mais je les pousse à étudier pour qu’elles deviennent fortes et indépendantes. » À quel âge voyez-vous vos filles mariées ? « Cela dépendra de leur éducation. C’est important d’être éduqué, mais entre 20 et 25 ans, elles doivent être mariées. »
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Lakshmi devant une maison traditionnelle tamoul à Candappa Moudalier street, Pondichéry, État du Tamil Nadu.
Kalapet beach, village de pÊcheurs, État du Tamil Nadu.
Être mère, c’est aussi donner l’exemple... Mars 2016
« Je mets mes déchets plastiques dans la mer car nous n’avons aucune poubelle dans le village. Je sais pourtant que n’est pas bon pour les poissons que nous mangeons, mais l’État ne se préoccupe pas de ce problème. »
À New Delhi, c’est Women Only ! 14 juin 2106
À
New Delhi, capitale de l’Inde, une solution permet aux femmes de se déplacer sans avoir à se soucier des mains baladeuses. Le métro est divisé en deux, avec un wagon exclusivement réservé aux femmes.
Cela a pour but d’empêcher les situations délicates avec les messieurs indiens, bien connus pour leur tactilitée débordante. Attouchements, collés-serrés, frottements durant
les heures de pointes, sont évités avec cette séparation. Soumis à une réglementation stricte, les hommes qui ne respectent pas ce wagon féminin sont punis par une amende de 250 roupies. Le wagon est aussi muni d’une caméra vidéo surveillance, d’une ligne directe pour appeler le train opérateur. Un numéro de secours est mis à disposition.
À New Delhi, le métro réservé aux femmes à l’heure de pointe.
À New Delhi, sur le quai Women Only.
MĂŠtro de New Delhi, dans le wagon fĂŠminin.
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À la rencontre d’Amma Mars 2016
D
ans un village, tout proche de Pondichéry, Mata Amritanandamayi, ou appelée communément Amma (la mère), avait donné rendez-vous aux habitants de l’État du Tamil Nadu pour répandre son amour et offrir ses câlins pendant un week-end. Cette femme est une figure féminine et spirituelle importante
en Inde. Les gens viennent se blottir dans ses bras pour guérir ou avoir une chance de réaliser leurs voeux. Chansons, méditations et discours animent ses manifestations. Des repas sont distribués gratuitement à la foule pendant la cérémonie. Différents articles à son effigie sont vendus sur
Amma, (« Mère » en langue dravidienne) parcourt le monde pour répandre de l’amour via ses câlins.
Pendant la céremonie d’Amma dans un village proche de Pondichéry, ses fidèles l’écoutent chanter.
le site. L’argent récupéré sert au financement de ses ONG tel que « Embracing the World », à but humanitaire et écologique. Amma, est une femme de moyenne caste, née dans la campagne du Kerala (Inde du Sud). Elle développe ce don très jeune. Amma, enfant soigne sa mère souffrante. Puis, elle commence à venir en aide aux habitants de son village, ce qui est mal vu en Inde, à cause du système des castes. Petit à petit, elle en fait une marque de fabrique, jusqu’à être connue internationalement. Sa seule religion
est l ‘amour et ses étreintes sont devenues sa signature. Depuis 1975, elle voyage à travers le monde et propose des assemblées au cours desquelles elle aurait pris des dizaines de millions de personnes dans ses bras.
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Marianne, une Franco-Indienne pas comme les autres Mars 2016
Marianne dans le salon de la maison familiale, accompagnĂŠe de son perroquet Bindi.
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M
arianne Marchat - Carlos, 63 ans, est née à Pondichéry, dans l’État du Tamil Nadu, en Inde du sud. Elle suit des études au lycée français de Pondichéry. À 18 ans, sa famille décide de la marier. De cette union, cinq enfants naîtront en France. Marianne obtiendra la nationalité française, l’obligeant à perdre la sienne et à obtenir un visa à vie, afin de pouvoir retourner en Inde. À travers son témoignage, elle raconte certains souvenirs entre l’Inde et la France. Elle parle des tabous, des traditions. C’est d’abord les bribes d’histoires d’une femme indienne qui s’est vue être obligée de se marier et d’aimer un homme qu’elle ne connaissait pas. Se marier jeune, quel effet ? « Je me suis mariée à 18 ans, je ne voulais pas de ce mariage arrangé. Je n’étais pas enthousiaste, je ne mangeais plus avant et après le mariage. C’était l’inconnu pour moi. Du jour au lendemain, tu as un mari, tu es obligée d’aimer quelqu’un que tu ne connais pas, ces choses la ne se font pas sur commande. Plus tard, j’ai commencé à l’aimer, parce qu’après tout, c’était mon mari. J’étais naïve à l’époque, notre génération arrêtait les études pour se marier. » Le règne de la belle mère « Je vivais chez mes beaux-parents, ma bellemère m’en a fait voir de toutes les couleurs. Pour elle, c’était normal que mon mari, le premier, aide financièrement tout le reste de sa famille. Chez elle, je n’avais pas le droit de
sortir seule, je devais être tout le temps accompagnée de ma belle-soeur. Mon mari sortait avec sa mère et elle me disait : « Lorsque vous aurez des enfants, il faudra faire des sacrifices ! » J’avais 19 ans à l’époque. » Ma belle-mère me répétait que nous devions rembourser les dettes du mariage. Alors, je devais attendre que mon mari paye. Je vivais chez mes beaux-parents. C’était la galère pour moi. Par exemple, je devais préparer les repas pour tout le monde, j’avais une toute petite chambre, c’était vraiment comme Cendrillon. Devant mon mari, ma belle-mère se comportait bien, mais dès qu’il était parti, elle était insupportable. Par exemple, si elle donnait du raisin aux enfants, elle leur donnait le meilleur et à moi, le pourri. Elle m’avait tout pris, mes affaires, mes bijoux, elle gardait tout et prenait des droits sur moi. » Après son mariage, Marianne, très jeune, part s’installer en France avec son mari. Elle raconte son arrivée : « Je suis arrivée en France à 18 ans. J’ai pris le train pour Toulouse en 1972. Au début l’accent toulousain, ce n’était pas facile à comprendre, puis j’ai adoré, je me suis débrouillée. Certains après-midis, j’étais seule à pleurer, mes parents me manquaient beaucoup. À l’époque, je n’avais aucune maturité, il n’y avait pas le choix, il fallait suivre le mari. J’ai dû apprendre à cuisiner, je téléphonais à mon frère et à ma cousine pour leur demander conseils, je me débrouillais bien, j’aime bien cuisiner. Nous sommes restés huit ans à Toulouse, jusqu’en 1980. »
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Seule et maman « Le premier, c’est Edwin, en hommage aux américains qui sont allés sur la lune. Le deuxième, c’est Steve, comme Steve McQueen. Jennifer, je l’avais en tête depuis longtemps. Mon mari partait souvent en déplacement, je devais me débrouiller seule avec mes cinq enfants. Une fois, le second était malade, il n’avait que deux ans. À l’école, il avait attrapé les oreillons et moi aussi, car je ne les avais jamais eu étant enfant. J’ai dû trouver une solution pour le soigner. Souvent, je me suis retrouvée seule face à des situations compliquées. Un jour, Edwin avait reçu un coup dans les parties génitales, il avait convulsé, j’ai appelé les pompiers, ils sont venus et il s’est fait hospitaliser tout de suite. J’avais eu peur de voir mon fils convulser. À cette époque, nous étions à Toulouse.» Les interdictions « Lorsque nous habitions à Toulouse, des photographes cherchaient des visages. Ils sont venus me chercher plusieurs fois, me demander de poser pour des revues, juste quelques photos. J’avais 18 ans, j’étais fine à l’époque, avec de longs cheveux. Mais mon mari me l’a interdit, comme les études. Il ne voulait pas que j’étudie, ce serait maintenant, après, 43 ans, je ne me laisserais plus faire. Mais j’étais soumise, naïve, j’aurais dû avoir le courage de reprendre mes études et d’obtenir le bac. » Plusieurs déménagements. « Puis arrivée dans les Yvelines. Il y a eu la naissance de Richard (le 3ème) et de John (le 4ème). J’ai eu du mal à m’adapter. On y est resté trois ans.
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Nous sommes partis en Guyane française en 1984. Mon mari est parti 30 jours avant nous. Un mois après, je suis arrivée avec mes quatre garçons. Toutes les familles d’expatriés étaient venues à l’aéroport, nous souhaiter la bienvenue. Mon mari n’était pas là. Sa raison ? Il s’était endormi. Moi, si j’étais un homme, ma femme viendrait dans un pays inconnu, je serais le premier à l’aéroport. Alors on me demandait : « Mais où est votre mari ? » Mais je ne pouvais pas répondre. Parfois, je me retrouvais seule avec les enfants, des fauves rôdaient autour de la maison. Ce n’était pas facile, une voisine était sympa mais souvent les Guyanais nous rejetaient. Des amis m’avaient demandé : « Mais pourquoi tu ne sais pas conduire ? Tu dois apprendre, nous te gardons les enfants et tu apprendras ! » J’ai appris à conduire en Guyane. Je suis tombée sur un moniteur coureur de jupons. Il ne m’apprenait rien, il me faisait des avances tout le temps. À 29 ans, j’ai obtenu le permis mais mon mari ne me laissait jamais vraiment conduire. Je conduisais juste pour faire les courses. » Le poids de la belle-famille « Entre temps j’ai fait deux fausses couches. Mon époux partait au travail alors que je me vidais de mon sang, mon mari savait bien que je n’étais pas bien. Un docteur habitait dans l’immeuble, à l’étage du dessus, j’allais le chercher, il me disait : « Pas question de rester ici, vous vous videz de votre sang, il faut partir à l’hôpital, sinon sans ça, il peut vous arriver quelque chose.» Il a appellé les pompiers pour me faire hôpitaliser. »
« J’avais 22 ans, j’étais enceinte de Steve et j’étais sur le point d’accoucher. Je ne dormais plus la nuit, j’avais les jambes lourdes. Ma belle-famille devait venir chez nous. La veille, j’avais dû cuisiner pour eux, nettoyer la maison, c’était beaucoup d’efforts pour une femme enceinte. Le lendemain, j‘accouchais mais mon mari était avec sa famille.» Enfin une fille « Il y a des mamans qui préfèrent les garçons parce que ce sont des héritiers. La fille, elle se marie et part vivre dans sa belle-famille. On se marie, puis du jour au lendemain, on se retrouve à vivre dans la belle-famille ou seule. Ma dernière, Jennifer, est née à Paris en 1987. J’avais toujours voulu avoir une fille. Nous
habitions dans un immeuble de cinq étages, nous logions au deuxième. Je montais et descendais tout le temps les étages, à tel point qu’au cinquième mois de ma grossesse, j’ai eu des contractions. Mon mari, absent était de permanence pour son travail. Je devais me rendre à l’hôpital de toute urgence au risque de perdre le bébé. J’ai pris un taxi pour m’y rendre et laisser mes enfants à l‘école. Quand je suis arrivée à l’hôpital, il y avait plein d’internes qui étaient là pour observer. Je n’ai pas aimé ce moment, je me sentais violée dans mon intimité. Ils ont réalisé un cerclage m’évitant de perdre le bébé. Les médecins m’ont endormi et opéré. À mon réveil, mon mari n’était pas là. Il est venu me rendre visite le soir avec ma belle-famille.»
Marianne choisit un sari dans un magasin à Pondichéry.
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Marianne dans le salon de la maison de sa mère entourée de sa cousine (à gauche), de son mari (au centre) et de sa mère Cecilia (à droite), à l’heure du thé.
Les Hindouistes viennent de toute l’Inde pour se rendre à Vrindavan, admirer les temples où le dieu Krishna a passé sa jeunesse.
Les Veuves Blanches de Vrindavan
20 Mai 2016
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rindavan, dans l’État de l’Uttar Pradesh, à 164 km au sud-est de New Delhi, est l’un des lieux de pèlerinage les plus importants pour les Hindouistes. C’est ici, que le dieu Krishna aurait passé sa jeunesse. Ainsi nombre de temples lui sont destinés. Mais Vrindavan accueille d’autres curiosités. Des milliers de veuves s’y réfugient depuis le début du siècle, on les appelle les « Veuves Blanches ». Elles viennent vivre dans des ashrams où elles chantent et prient Krishna depuis 500 ans. Vrindavan offre à ces femmes une chance de survie. Cinq Bhajan ashrams emploient à peu près 6 000 veuves pour chanter.
Si autant de veuves se retrouvent à Vrindavan, c’est qu’en Inde, une femme perd ses biens et son statut social lorsque son époux décède. Pour les plus conservateurs, l’épouse cesse d’exister car elle n’a pas sû retenir l’âme de son mari. Si le remariage des veuves est autorisé depuis quelques années, dans les faits, cette « reconversion » reste très marginale. La veuve appartient alors à sa belle-famille qui décide de son sort. Vrindavan appartient aux hommes religieux et les veuves qui présentent leur indigence à la porte des ashrams. Elles offrent des chants dévotionnels tout au long de la journée en échange de nourriture et d’un abri. Cette alternative est une solution pour les plus démunies, les rejetées, toutes celles qui veulent vivre et refusent d’être un fardeau pour leur famille. Ici, la caste de chacune n’a aucune importance, elles appartiennent toutes à la même famille.
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Les veuves devant l’entrée de leur ashram à Vrindavan.
« Les Veuves de Vrindavan » habitent les rues des temples et mendient de l’argent aux visiteurs.
À Vrindavan, les mendiants se trouvent aux différentes entrées du temple de Krishna pour réclamer quelques roupies aux touristes.
Varanasi oÚ les femmes retiennent les âmes
10 Avril 2016
S
ur le Manikarnika Ghat, longeant le Gange, fleuve sacré à Varanasi, dans l’État de l’Uttar Pradesh, des hommes s’activent au petit jour. Dès cinq heures du matin, les premiers corps s’embrasent. Les Hindouistes viennent dans cette ville pour se baigner dans le fleuve sacré. En faisant cela, ils se nettoient de leurs péchés. Mourir à Varanasi, c’est aussi casser le cycle de la réincarnation et permettre à l’âme d’atteindre le Nirvana.
Pour ce faire, le mort est entouré de bûches de bois. Lors des funérailles, le fils aîné est le principal acteur de la cérémonie. Il doit allumer et éteindre le bûcher selon un rituel précis. La présence des femmes y est interdite. Elles n’assistent pas aux crémations car leur sensibilité retiennent l’âme du défunt sur terre, l’empêchant de s’élever dans les cieux.
Passante Ă Candappa Moudalier street, PondichĂŠry, Tamil Nadu.
Femmes sur un gaht, longeant le Gange, à Varanasi, État de l’Uttar Pradesh.
Contact : Marine Delaporte / marine.dlp@outlook.fr