Les Smart Grids clés d’une transition énergétique réussie ?
Juillet 2013 – Le magazine du Club Énergie de Sia Partners
Sommaire
Juillet 2013 – Le magazine du Club Énergie de Sia Partners
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Éditorial
Smart Grids 3
“ L ’avenir du marché des Smart Grids est-il dans les pays en voie de développement ?
Impossible d’y échapper, le « SMART » est partout : dans les compteurs, les réseaux, les logements, les données… Grâce à la convergence des nouvelles technologies de l’information et des problématiques énergétiques, tout doit devenir intelligent ! Pour autant, si cette mode répond bien à des enjeux et des besoins réels, peu ont trouvé la recette pour en garantir la viabilité financière. De la Chine aux USA, en passant par la vieille Europe, partout dans le monde on investit massivement dans la R&D et on expérimente.
4 Le déploiement des compteurs
Dans le cycle de vie des innovations, sur le chemin de la maturité technologique et du réalisme économique, les Smart Grids se situent donc au pic de la promesse.
6 À la recherche
Dans cette 8e édition de son magazine Énergie & Environnement, Sia Partners a souhaité faire un état des lieux des investissements dans le monde et en France, et identifier les domaines les plus porteurs.
8 Le stockage de l’électricité,
La France fait partie des nations les plus prometteuses en matière de « Smart Grids », d’abord grâce à son volontarisme en matière de déploiement des compteurs intelligents, mais aussi à cause de son problème de pointe de consommation électrique que les dispositifs d’effacement devraient permettre de régler, ou encore par son souhait de développer les énergies renouvelables au-delà des exigences de 20 % de la Directive Européenne.
intelligents annonce l’essor des Smart Grids en France
d’un business modèle viable pour le marché des Smart Grids clé pour l’intégration des EnR dans le réseau ?
10 Les ZNI françaises :
laboratoires pour développer et tester les Smart Grids
12 Smart Grids : une logique économique contre la précarité énergétique
14 Blackout et vols d’électricité :
des leviers pour le déploiement des Smart Grids dans les PVD ?
Pour y parvenir il faudra innover en matière de stockage d’électricité, de protocole de communication, de rapidité de traitement de données volumineuses (Big Data)… mais aussi innover en matière de modèle d’affaires (marché de capacité, agrégateur de flexibilité…) pour donner de la valeur à des moyens de production, de stockage ou d’effacement, décentralisés et diffus, qui pris unitairement ont peu ou pas de valeur sur le marché.
16 Les Smart Grids, une solution
Beaucoup d’espoir aussi dans la capacité des Smart Grids à résoudre les problèmes des contextes énergétiques précaires : zones non interconnectées, péninsules énergétiques, pays en voie de développement, situation de pauvreté…
17 Les coopératives d’énergie
Ainsi, le champ d’application semble suffisamment vaste pour y trouver des gisements qui tiendront leur promesse. Et la France dispose de nombreux atouts pour y développer un savoir-faire exportable.
miracle pour l’électrification des zones rurales dans les PVD ? comme modèle de réussite pour des projets de Smart Grids
18 La gestion intelligente de
l’eau, une solution pour préserver la ressource tout en générant des bénéfices
Conception et réalisation : créapix - 01 47 42 00 11 Crédits photos : phovoir, fotolia, DR
Bonne lecture ! Stéphane Meunier Directeur associé
”
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L’avenir du marché des Smart Grids est-il dans les pays en voie de développement ? Si la structure du réseau d’électricité n’a que très peu évolué pendant près d’un siècle, des bouleversements sociétaux, environnementaux et économiques récents ont entraîné sa remise en question, favorisant ainsi l’émergence des Smart Grids. Un Smart Grid, ou réseau intelligent, est une infrastructure utilisant les technologies de l’information et de la communication afin de transmettre de façon bidirectionnelle les données relatives à son opération. Un Smart Grid électrique possède en particulier la capacité d’intégrer des sources de production décentralisées.
Bien que le poste de dépenses lié à l’installation de compteurs intelligents représente encore une grosse majorité des investissements sur le marché des Smart Grids (plus de 50 % des investissements mondiaux du secteur en 2012), les problématiques adressées se sont considérablement élargies : détection des pannes, lutte contre les fraudes, sécurité du réseau, intégration de micro-réseaux au réseau principal, injection des productions intermittentes dans le réseau, avec des conséquences telles que la possibilité d’une nouvelle tarification de l’électricité, l’instauration de « places boursières de l’énergie »… De plus, ces réseaux communicants, longtemps cantonnés à l’électricité,
adressent désormais d’autres marchés comme le gaz ou l’eau. Enfin, initialement concentré en Europe et aux États-Unis, le marché des Smart Grids tend à se mondialiser. Ce marché a-t-il encore un avenir dans les pays industrialisés ?
compteurs intelligents d’ici 2017. Quant à l’Europe de l’Ouest, avec 35 et 45 millions de compteurs intelligents potentiellement déployables en France et en Allemagne, elle bénéficie encore d’atouts non négligeables.
Les États-Unis et l’Europe concentrent encore la majorité du marché mondial des Smart Grids
Les nouveaux eldorados des Smart Grids : l’Asie et le Brésil ?
Avec un marché estimé à respectivement 36,5 et 5,5 milliards de dollars en 2012, les États-Unis et l’Europe demeurent les foyers principaux des Smart Grids. La prépondérance des États-Unis peut s’expliquer par un vaste territoire à couvrir (9,8 millions de km² contre 4,4 pour l’U.E.) et une faible densité de population (31 hab/km² contre 113 hab/km² en U.E.) qui nécessitent des investissements importants lors de la réalisation de projets de ce type. De plus, dès 2009, le « Green New Deal », a permis le déblocage immédiat de 4,5 milliards de dollars pour le développement de Smart Grids aux EU tandis qu’en Europe, la directive 2009/72/ CE prévoit d’équiper 80 % des clients européens en compteurs intelligents d’ici 2020 (1). Néanmoins, une certaine maturité du marché et l’épuisement des fonds émanant du « Green New Deal » ont entraîné un recul de 15 % des investissements outre atlantique entre 2011 et 2012. À l’inverse, sur cette même période, ils ont crû de 27 % en Europe. Les opportunités sont donc bien réelles, tout particulièrement en Europe Centrale et de l’Est, où le marché des Smart Grids devrait atteindre 10,3 milliards de dollars en 2020. L’Estonie, par exemple, a déjà annoncé sa volonté de remplacer l’ensemble de ses compteurs par des
Évolution des investissements dans les smart grids 2011 : 12,9 milliards de $ investis Autres 15 % Inde, Corée, Japon 15 % Chine 22 %
2012 : 13,9 milliards de $ investis Autres 16 %
USA 40 %
Europe 8 %
Inde, Corée, Japon 17 % Brésil 3 %
Chine 23 %
USA 31 %
Europe 10 %
Source : Étude Bloomberg New Energy Finance (24/01/2013) : Smart Grid infrastructure remains growth market.
Malgré le vivier du vieux continent, les évolutions de marché les plus importantes sont attendues en Asie et au Brésil. Avec une hausse de 14 % des investissements entre 2011 et 2012 et une croissance qui devrait se confirmer dans les années à venir, la Chine focalise tous les regards. En effet, dans le cadre du 12e plan quinquennal, la State Grid Corporation of China a annoncé vouloir déployer 300 millions de compteurs intelligents d’ici 2015, ce qui représente un marché de 48 milliards de dollars. Néanmoins, L’Inde et le Brésil ne sont pas en reste dans la mesure où ces pays visent le déploiement de respectivement 130 et 63 millions de compteurs intelligents à l’horizon 2021. Ces marchés, représentant 20 milliards de dollars en Inde et de 10,8 milliards au Brésil, ne devraient pas laisser indifférents les acteurs présents sur l’ensemble de la chaîne des Smart Grids.
(1) Les smart meters ou compteurs intelligents disposent de technologies avancées permettant d’identifier de manière plus détaillée, précise et en temps réel la consommation énergétique d’un foyer, d’un bâtiment ou d’une entreprise.
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Le déploiement des compteurs intelligents annonce l’essor des Smart Grids en France En France, les technologies liées aux Smart Grids se développent depuis plusieurs années, avec un fort enjeu autour du déploiement des compteurs intelligents, notamment Linky, le compteur d’ERDF, fortement médiatisé. Le gouvernement a également lancé un programme de développement et d’innovations des projets Smart Grids, les « Investissements d’Avenir », gérés par l’ADEME, afin de soutenir le marché français du Smart Grid. Le gouvernement a récemment annoncé vouloir faire avancer rapidement les appels d’offres pour le déploiement généralisé de Linky, le compteur intelligent d’ERDF. C’est donc un nouveau pas en avant vers la pose d’une pierre essentielle dans le paysage des Smart Grids en France. Émergeant d’une volonté d’amélioration des performances technologiques, énergétiques et économiques du réseau électrique, les réseaux intelligents permettront une gestion optimisée de la pointe, qui ne cesse de croître à un rythme inquiétant depuis 10 ans. Quel sera l’impact des compteurs communicants pour les consommateurs français ? Quels leviers permettront de faire émerger cette technologie coûteuse mais vertueuse ?
L’avenir des réseaux énergétiques est intelligent La gestion des réseaux électriques était jusqu’à présent centralisée et unidirectionnelle, allant de la production à la consommation. Demain, son pilotage sera organisé de manière répartie et bidirectionnelle. Il est donc nécessaire d’adapter l’infrastructure à cette révolution conceptuelle et opérationnelle. Grâce au déploiement des NTIC (2) en support du pilotage et de l’exploitation des réseaux de distribution, la réactivité améliorée facilitera la pénétration des énergies renouvelables, en forte croissance, dans le mix électrique dont l’intermittence et le caractère diffus mettent en péril l’équilibre entre l’offre et la demande. Le raccordement de sites de production décentralisés permettra de
réduire en partie les pertes en ligne sur le réseau de distribution, estimées à 21 TWh par an. De plus, les Smart Grids offriront de nouveaux outils de lissage de la pointe de consommation pour les fournisseurs d’énergie et les gestionnaires de réseau. Enfin, la modernisation des infrastructures permettra une meilleure adaptation du réseau aux « nouveaux usages » de consommation avec en tête de liste l’émergence des véhicules électriques et les appareils électroménagers connectés. De nombreuses expérimentations d’installations communicantes sont menées sur notre territoire, parmi lesquelles certaines se basent sur les compteurs intelligents de Linky comme le projet Greenlys. En 2011, la France a investi près de 180 M€ sur des projets Smart Grids parmi lesquels Millener, Une Bretagne d’Avance ou Premio.
Principaux marchés d’expérimentation Smart Grids sur le marché du B2C (business to consumer) (source : SIA Partners, CRE)
Une Bretagne d’avance Vir’volt Ecowatt
Poste Intelligent MIETeC VENTEEA A3M Nancy Grand Cœur Kléber Green Office
ECOZA Nantes Smartgrids Vendée Issy Grid EnergyPositiveIT Omere
Linky SOGRID Toulouse
Rider Smart Water Montpellier
(2) Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.
GreenLys Confluence Multisol Smart Electric Lyon Ecocité Grenoble
Millener
Nice Grid Premio Reflexe Grid Teams Energie Efficace
Le Smart Metering, la pierre angulaire des réseaux intelligents D’un point de vue technique, l’émergence des Smart Grids ne peut s’envisager sans une infrastructure de Smart Metering : les compteurs communicants, base de l’intelligence du réseau. Annoncé depuis 2007 et testé par ERDF entre 2009 et 2011 en Indre-et-Loire et à Lyon, le compteur intelligent Linky devrait être déployé chez 35 millions de consommateurs à partir de 2015. Pour les gestionnaires de réseau, le projet Linky porte la promesse d’une meilleure connaissance de la courbe de consommation et permet d’organiser les opérations de réduction de puissance électrique ou de délestage le cas échéant. Des instructions de pilotage pourront être reçues et mises en œuvre automatiquement afin de répondre aux besoins d’effacement diffus et de réduire la pointe de consommation électrique. Cependant, si le déploiement de Linky est souvent perçu comme un acquis lors de l’évocation de la définition de projets Smart Grids, sa généralisation n’est à ce jour pas encore concrétisée. Un des points clés tient aux modalités de financement du boîtier vert estimé entre 120 et 200 € selon les différentes estimations (3), un coût élevé dénoncé par les associations de consommateurs qui craignent que ce soit in fine le client qui doive payer le dispositif au travers de l’évolution du TURPE (4).
Du consommateur au consomm’acteur Malgré ces débats autour de Linky, Delphine Batho a réaffirmé sa volonté d’avancer vite sur le sujet. Pour autant, l’installation de ce nouveau compteur n’est pas une fin en soi, et le consommateur jouera un rôle crucial. Premier acteur dans la maîtrise de sa propre consommation, le consommateur trouvera d’abord dans le compteur Linky un avantage à être facturé sur ses consommations réelles plutôt que des estimations, ou bien encore un moyen d’être dispensé du rendez-vous avec un technicien ERDF pour le relevé de son compteur, lors de son emménagement ou lors de la modification de sa
puissance souscrite. Mais c’est la mise en ligne de ses données relevées par Linky qui apportera au consommateur les outils pour mieux répondre au signal consommation imputable à son logement. Pour les consommateurs les plus sensibilisés à la Maîtrise de la Demande Énergétique (MDE) l’avènement de Box Énergies complémentaires aux compteurs communicants offre la possibilité d’utiliser la domotique afin d’agir sur les données de consommation énergétique du foyer (consommation électrique le plus souvent, mais aussi consommation de gaz naturel ou d’eau). Cependant, le développement de ce marché n’a pas connu à ce jour la croissance exponentielle escomptée.
Le fournisseur d’énergie, catalyseur du mouvement éco-citoyen Les fournisseurs seront des acteurs clés pour la sensibilisation et la responsabilisation des consommateurs, notamment parce que ce sont eux qui pilotent le signal-prix envoyé au consommateur. Ils pourront proposer de nouvelles offres tarifaires visant à promouvoir la maîtrise active de la consommation des ménages grâce à la mise à disposition d’informations en temps réel ou encore par la valorisation de l’effacement diffus.
L’instauration des offres tarifaires évoluées est par ailleurs préconisée par une directive de l’Union Européenne (5). Si les structures tarifaires déjà disponibles en France sont plus élaborées que dans d’autres pays de l’Union (Heures PleinesHeures Creuses, Tempo, EJP), Linky permettra la construction d’offres encore plus innovantes via les 10 index utiles mesurés par le compteur ou bien la courbe de charge. Les fournisseurs seront à même d’envoyer des signaux-prix plus précis à leurs clients, qui pourront de fait ajuster leurs habitudes de consommation. Les offres évoluées seront également accompagnées de nouveaux services tels que du conseil énergétique, l’installation de box énergie ou des alertes SMS, visant à terme à réduire la facture du consommateur. En France, les Smart Grids n’en sont qu’à leurs débuts mais offrent de belles perspectives pour la maîtrise de la consommation d’énergie. Cependant, la concrétisation de ces promesses est intimement liée au degré d’implication des consommateurs dans la démarche. L’accompagnement du client vis-à-vis de l’évolution de son compteur doit donc être entrepris à tous les niveaux, à condition que chaque acteur de la chaîne de valeur, du distributeur au fournisseur en passant par l’agrégateur de flexibilité (6), y trouve son compte.
Chiffres clés de l’enquête sur le compteur Linky (source : médiateur de l’énergie, enquête menée en décembre 2012 par l’institut CSA sur un échantillon de 1029 personnes)
26 %
des Français ont déjà entendu parler d’un compteur d’électricité communiquant appelé Linky
72 %
des foyers estiment que ce compteur permettra de récupérer des informations sur leurs habitudes de vie
51 %
des personnes interrogées estiment que Linky permettra de réduire leurs factures d’électricité
89 %
des personnes interrogées sont prêtes à modifier leurs habitudes de consommation d’électricité pour réduire leurs factures
(3) La dernière évaluation en date de la part d’EDF chiffre le déploiement des 35 millions de compteurs à 5 à 7 Mds€. (4) Le Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Électricité, est une composante de la facture d’électricité du consommateur final, et assure la rémunération des gestionnaires de réseau. (5) Article 3 de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009. (6) Agrégateur de flexibilité : agrège la flexibilité d’un grand nombre de points de consommation et/ou de production en un groupe cohérent, visible sur les marchés.
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À la recherche d’un business modèle viable pour le marché des Smart Grids Si le développement des Smart Grids pose de nouvelles questions en termes de défis technologiques et réglementaires, il fait également émerger des questionnements quant à leurs modes de financement et leurs impacts sur les modèles d’affaires des énergéticiens. Ces derniers sont logiquement les plus impactés et doivent repenser leur modèle économique et commercial tout en se protégeant de la nouvelle concurrence : d’autres entreprises pourraient en effet se positionner sur le marché des Smart Grids et se créer un accès au consommateur final.
La Commission Européenne estime que 5,5 Mds€ ont été investis depuis 2011 dans plus de 300 réseaux intelligents sur son territoire. Ces montants sont pour le moment largement intégrés aux budgets de R&D. Afin d’anticiper un déploiement industriel, l’ensemble des acteurs doit réfléchir aux investissements nécessaires, à leurs solutions de financement et surtout à l’adaptation de leurs activités, une fois le réseau devenu « intelligent ».
Le Smart Metering, au cœur des Smart Grids, peine à trouver des solutions de financement Comme tout modèle émergent, le Smart Metering demande des financements massifs. Imposés aux pays européens, ces compteurs intelligents et bidirectionnels permettront de communiquer à intervalles réguliers les données de consommation des clients vers le distributeur, ainsi que d’agir à distance sur les caractéristiques techniques de ligne (puissance, incidents etc.). Ce maillon très capitalistique représente une première étape nécessaire au déploiement des Smart Grids. Le programme Telegestore d’Enel en Italie a par exemple coûté plus de 2 Mds€, le programme suédois environ 1,5 Mds€. En France, Henri Proglio a annoncé un investissement global de 5 à 7 Mds€ pour le déploiement de 35 millions de compteurs Linky d’ici 2020. Les modalités de financements restent floues et nourrissent de nombreuses polémiques. Un plan de financement d’une telle envergure implique une multitude d’acteurs technologiques et politiques. La ministre de l’Énergie Delphine Batho a d’ailleurs rappelé que le déploiement des compteurs intelligents devra être neutre pour le consommateur français. Pour assurer le retour sur son investissement, ERDF peut compter sur la réduction de ses dépenses d’exploitation notamment au travers des coûts associés au relevé régulier des compteurs ou aux interventions liés aux actes de gestion
du contrat – mais aussi à une réduction des fraudes ou une meilleure maîtrise des pertes. Face à ces revenus le business model oppose les coûts de développement et de fabrication des compteurs Linky, de déploiement – avec 35 millions d’interventions à réaliser -, de mise au rebut des anciens compteurs, et aussi la couverture du risque de changement de concession, puisque dans le modèle électrique français, les collectivités locales, autorités concédant la distribution électrique à ERDF sur leur territoire, sont les propriétaires du compteur.
Quelles opportunités économiques pour les fournisseurs d’électricité ? Au cœur du marché de l’électricité, les fournisseurs sont dès aujourd’hui impactés par le développement des Smart Grids, comme le prouve la multiplication des expérimentations locales auxquelles les fournisseurs s’associent. Ces projets testent les nouvelles technologies à déployer en termes de système d’information, de Box Énergie ou d’unités de stockage, et sont pour les fournisseurs l’occasion de qualifier l’appétence de leurs clients pour ces offres et services innovants. Ils peuvent ainsi tester leurs nouveaux modèles d’affaires en vue d’une diversification de leurs activités. Le développement de nouveaux marchés tels que les téléservices pourrait être un levier de croissance important pour les fournisseurs, encore fortement mis sous contrainte par les tarifs régle-
mentés et qui pourraient voir leurs revenus diminuer suite aux promesses d’économies d’énergie. Reste à savoir si ce que les consommateurs sont prêts à payer est suffisant pour couvrir les investissements nécessaires au développement de ces nouveaux services… Les Smart Grids font émerger d’autres leviers économiques pour les fournisseurs grâce à une optimisation de leurs activités. Chaque fournisseur d’électricité, aujourd’hui responsable d’équilibre sur le réseau, doit être capable de prévoir la consommation de ses clients pour permettre d’assurer l’équilibre production-consommation à chaque instant. Les Smart Meters permettront de disposer d’une meilleure connaissance des consommations via la courbe de charge ou bien une connaissance plus fine du portefeuille de clients par la création de profils de consommations sur base des 10 index relevés par le compteur Linky. Enfin, un autre gisement de valeur important est lié à l’émergence de l’agrégateur de flexibilité (7). Ce dernier permet d’agréger les gisements de flexibilité émergents chez les consommateurs suite au développement des technologies Smart (effacements, stockage et production décentralisée), puis de les valoriser sur les marchés. La valorisation des effacements diffus par exemple, permet d’inclure le consommateur dans la gestion de la pointe électrique en le délestant lorsque le coût d’approvisionnement est trop élevé et/ou que le réseau est sous tension. Le fournisseur maîtrise plus facilement l’ensemble de ses activités, gagne en efficacité opérationnelle et en efficience économique. Si l’agrégateur de flexibilité a actuellement de jolies perspectives d’avenir, la valeur réelle que les fournisseurs peuvent espérer de cette activité est difficile à estimer. Dans un contexte règlementaire flou, les acteurs attendent beaucoup du futur marché de capacités, dont les modalités apparaissent progressivement.
Les fournisseurs d’électricité qui doivent de plus en plus réinventer leur modèle d’affaires peuvent transformer le déploiement des Smart Grids en véritable vecteur de croissance.
Les Smart Grids, promesses de nouveaux revenus, mais pour qui ? Face à ces promesses de gains, nombreux sont les investisseurs à s’intéresser au développement de ces réseaux intelligents. En première ligne nous retrouvons les équipementiers pour qui cette nouvelle ère est une promesse de marché massif : a minima 3 Mds€ pour les compteurs et concentrateurs Linky. Parallèlement, d’autres entreprises peuvent espérer développer des offres de téléservices grâce à des Box Énergie installées directement par le client, coupant l’herbe sous le pied à l’énergéticien. D’autres secteurs tels que les acteurs de l’information et de la télécommunication lancent des box Internet de plus en plus évoluées, intégrant des fonctionnalités
« énergie » et ouvrant la voie vers le Smart Home. Le risque est grand pour les fournisseurs : le vainqueur sur ce marché sera l’acteur qui aura réussi à mettre le premier pied chez le client final. Or les opérateurs télécoms profitent d’un business model actuel bien plus ancré chez le consommateur que les fournisseurs d’électricité. Enfin, nombreux sont les candidats, qu’ils soient énergéticien, trader ou pure player, à vouloir se positionner sur des nouveaux métiers tel que l’agrégateur de flexibilité. Si les opportunités semblent nombreuses, la concurrence, elle, s’annonce féroce. Aucun business model ne semble faire consensus actuellement, que ce soit sur les Smart Grids ou le développement de nouvelles activités. Les enseignements tirés des démonstrateurs, des expérimentations et des expériences à l’étranger devraient permettre de préciser ces premières analyses coûts-bénéfices et d’appréhender une certaine acceptabilité sociale sans laquelle, aucun modèle économique, aussi rentable soit-il, ne peut espérer prospérer sur un marché engageant les consommateurs…
De nombreux acteurs se positionnent sur les marchés des Smart Grids : la preuve en image sur 5 expérimentations clés Smart Electric Lyon Systèmes de gestion d’énergie, pilotage des équipements électriques, suivi consommation, offres tarifaires innovantes
Greenlys Effacement diffus, système de gestion d’énergie, pilotage des équipements électriques, suivi consommation, offres tarifaires innovantes
Une Bretagne d’Avance Effacement diffus, Pilotage des Équipements électriques, Suivi de Consommation, offres tarifaires innovantes
Millener Gestion des énergies renouvelables, stockage, suivi consommation, installations de panneaux photovoltaïques, gestion équipements électriques
IssyGrid Gestion des consommations d’énergie à l’échelle d’un quartier, production décentralisée et unités de stockage
(7) Voir l’article précédent « Le déploiement des compteurs intelligents annonce l’essor des Smart Grids en France »
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Le stockage de l’électricité, clé pour l’intégration des EnR dans le réseau ? En France, l’essor des énergies intermittentes a débuté à partir de 2006 pour l’éolien et 2010 pour le photovoltaïque. Malgré un fort développement initial, notre pays reste moins développé que ses voisins allemands ou danois en termes de puissance installée. Aujourd’hui, la part toujours croissante des énergies intermittentes dans le mix électrique a de réelles conséquences sur l’équilibre local de l’offre et demande et donc sur la gestion et le pilotage du réseau au jour le jour. Au-delà des problématiques techniques, l’intermittence des EnR entraîne une distorsion des prix du marché visible par l’apparition des prix de l’électricité négatifs.
Au vu des objectifs affichés à l’horizon 2020 (8) en termes de production d’énergie renouvelable – 25 GW d’éolien et 6 GW de solaire en France –, l’intégration des énergies intermittentes intensifiera les contraintes réseau. Si quelques
pays précurseurs ont lancé depuis 2006 des programmes de développement de systèmes de stockage électrique, quels bénéfices peut-on attendre de telles installations ? Quel modèle réglementaire mettre en place afin de permettre le déploiement de ces solutions énergétiques?
De multiples solutions de stockage Le développement des infrastructures de stockage est un véritable challenge pour les équipes de R&D, qui travaillent sur de multiples solutions aux spécificités et stades de maturité variables. Le temps de décharge des installations de stockage peut être très différent selon la solution technique. En fonction du besoin exprimé, deux grandes familles de solutions se distinguent : les stockages se déchargeant dans un temps de l’ordre de la minute seront privilégiés pour gérer l’intermittence d’une production renouvelable, tandis qu’un stockage se déchargeant en plusieurs heures est plus indiqué pour la gestion de l’énergie. Aujourd’hui, le stockage de l’électricité se réalise quasi-exclusivement à l’aide de Station de Transfert d’Énergie par Stockage (STEP (9) ) sur le territoire français. Ces stockages, centralisés, sont directement raccordés au réseau de transport d’électricité et sont aujourd’hui dans une position de concurrence avec les moyens de production de pointe et les offres de
contrôle de la demande ou d’effacement. À plus petite échelle, les caractéristiques techniques des batteries électrochimiques leur permettent d’être utilisées pour la gestion de l’intermittence.
Les technologies de stockage au secours des gestionnaires du réseau électrique Le développement d’infrastructures de stockage permettrait aux gestionnaires de réseau de fiabiliser leur gestion de l’équilibrage. Cet usage va ainsi de pair avec le développement des Smart Grids qui visent à harmoniser efficacement l’offre et la demande sur le réseau électrique. De plus, la gestion de l’équilibrage permet de stabiliser la fréquence sur le réseau. Grâce à leur temps de réponse de l’ordre de la milliseconde, les infrastructures de stockage de type électrochimique constituent une solution pour les opérateurs de réseau afin de piloter localement la charge en évitant le recours aux centrales thermiques, installations usuelles de réserve. En effet, le stockage couplé à une expertise des flux en circulation sur le réseau permettrait d’anticiper et de résoudre à la maille locale, les situations de congestions occasionnelles. L’impact financier sousjacent est immense, car ce fonctionnement permettrait de différer les investissements d’extension ou de sécurisation des réseaux de transport ou de distribution.
(8) Objectifs du Grenelle de l’Environnement. (9) Les STEP sont des installations hydroélectriques qui puisent aux heures creuses de l’eau dans un bassin inferieur afin de remplir une retenue en amont (lac d’altitude). L’eau est ensuite turbinée aux heures pleines.
Le stockage comme planche de salut d’un mix électrique verdissant Les Smart Grids ont notamment pour vocation d’intégrer de la manière la plus cohérente possible dans le réseau les sources décentralisées d’énergies renouvelables et de mieux piloter la gestion des pointes de consommation, génératrices de pannes et de pollution. La tendance sera donc au stockage décentralisé pour pallier l’instabilité provoquée par le caractère intermittent des EnR fatales (10), principalement situées sur le réseau de distribution. Ainsi dès lors que les solutions de stockage sont intégrées, le producteur d’un parc photovoltaïque devrait respecter et déclarer un profil de production, tandis qu’un producteur éolien pourrait utiliser le stockage pour contrôler ou lisser sa production. Stocker l’électricité deviendrait alors un levier économique important grâce à l’exploitation de la volatilité du prix de l’électricité sur le marché. Enfin, le stockage représente une solution technique pour faciliter la décarbonation du mix énergétique. En effet, avec l’émergence des EnR intermittentes, le besoin en capacités d’ajustement thermiques par exemple – très polluantes et peu rentables – est décuplé lors de la gestion de la pointe. Aussi, l’installation d’unités de stockage sur les sites de production EnR se substitue au besoin en installations thermiques d’ajustement : la part d’énergie verte restituée à tout instant est maximisée tandis que l’appel aux moyens de production de pointe thermiques est différé, ce qui réduit fortement leur impact carbone global.
La rentabilité de la gestion intelligente de l’intermittence au cœur du débat Les bénéfices du stockage seront amenés à se déployer sur toute la chaîne de valeur
le développement du stockage à grande échelle. Ancien parent pauvre du débat sur les EnR, le stockage est aujourd’hui une priorité R&D mondiale dans le développement de réseaux intelligents et un des sujets-phare du débat sur la transition énergétique. Ce changement de paradigme est nécessaire pour le développement de la filière, passant principalement par la revue des responsabilités entre producteurs et gestionnaires sur le réseau électrique. En France, la loi NOME pourrait accélérer la potentielle valorisation de ces capacités de stockage sur le marché de l’électricité. La réduction des coûts du stockage rendra rentable un plus grand nombre d’applications du stockage, et permettra l’installation d’ici à 2030 de plus de 300 GW de capacité commerciale (11).
électrique. Les modifications nécessaires du cadre réglementaire ne se feront pas sans une volonté politique forte, puisque les investissements en stockage restent conséquents en comparaison de ceux des moyens conventionnels de gestion de la pointe. Ainsi, pour permettre l’émergence de cette filière d’excellence du secteur électrique, les obligations d’achat doivent être révisées afin d’aménager une place pour le développement du stockage sans pénaliser la filière production. Une analyse fine des conditions d’accès pourrait permettre l’élaboration d’une tarification mieux adaptée. Le contexte de régulation européen, qui multiplie les acteurs au sein du système énergétique, complexifie voire limite le potentiel du stockage. Actuellement, il n’existe pas à l’échelle européenne de cadre régulateur clair et harmonisé pour
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Inventaire et classification des solutions de stockage existantes à date (source : SIA Partners)
Temps de décharge
10 heures
Power-to-Gas STEP
Hydrogène et PaC CAES Batterie Batterie Zinc-Bromine Vanadium
Heures
STEP marines
Inertiel
Batterie Lithium-Ion
Electrochimique
Batterie Plomb-Acide Batterie Nickel-Cadmium Minutes
Gestion de l’énergie Volants d’Inertie
(10) EnR « fatales » : ce terme désigne l’énergie qui serait perdue si on ne l’utilisait pas au moment où elle est disponible. (11) Hypothèse optimiste, White Paper BCG « Revisiting Energy Storage, There is a Business Case », février 2011.
Air comprimé Electromagnétique Chimique
SMES Secondes
Gravitaire
Gestion de l’intermittence
Thermique
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Les ZNI françaises : laboratoires pour développer et tester les Smart Grids Les îles, synonymes de Zones Non Interconnectées (ZNI) pour le réseau électrique, sont des territoires aux caractéristiques spécifiques qui en font des laboratoires idéaux pour déployer et tester des systèmes Smart Grids. En France, la gestion des ZNI a un impact important sur le montant de la CSPE (12). La fourniture électrique dans ces territoires est complexe et gérée par un unique acteur, EDF SEI (Systèmes Electriques Insulaires). Avec une fourniture électrique relativement coûteuse et complexe, les systèmes électriques insulaires occupent une place particulière dans le paysage énergétique français. Regroupant principalement les réseaux des territoires îliens d’outre-mer et de la Corse, ils se distinguent du réseau métropolitain par des aspects techniques, écologiques et économiques. Un cadre régulatoire spécifique est appliqué à la Corse et aux DOM, avec notamment un acteur unique, EDF SEI, à la fois producteur, acheteur, distributeur et fournisseur. Ces éléments font de ces territoires un laboratoire particulièrement propice aux démonstrateurs Smart Grids.
En 2013, les réseaux îliens français gérés par SEI représentent 28 % de la CSPE La taille réduite des réseaux îliens et l’absence d’interconnexion avec d’autres infrastructures (ou très limitée dans le cas de la Corse) sont une faiblesse endogène aux ZNI. Contrairement aux vastes réseaux continentaux interconnectés, elles ne bénéficient pas du foisonnement, qui permet de maîtriser la fréquence et donc garantir une robustesse face aux évènements inattendus – perte de moyens de production, variation brusque de la production intermittente. Cette faiblesse est accrue par le dimensionnement des parcs de production et l’intégration d’énergies dites intermittentes (solaire, éolienne). Les premiers, calibrés au plus juste car fortement carbonés et chers, ne laissent que de faibles marges de manœuvre en cas de perte d’un poste de production en période de pointe. Les secondes, au taux de pénétration très élevé dans certaines îles (13), sont sujettes à de brusques variations de production. La particularité économique des ZNI tient de la disparité entre prix et coût de l’électricité dans ces régions. La péréquation tarifaire impose que le prix de vente de l’électricité (hors taxes) soit le même partout en France. Pour ces territoires privés de production nucléaire, le coût élevé pour l’importation des combustibles fossiles implique un coût total de l’électricité
bien plus élevé que son prix de vente. Le surcoût engendré pour EDF SEI est alors compensé par la CSP, que paie chaque consommateur français dans sa facture d’électricité. De plus, le contexte démographique très dynamique des îles accentue la pression sur la sécurité du réseau, nécessitant des investissements coûteux chaque année pour alimenter un nombre croissant de consommateurs.
Les Smart Grids, levier technologique pour résoudre une situation économique difficile Pour EDF SEI, il apparaît donc pertinent de tester, voire développer, des Smart Grids sur son réseau. En métropole, la notion de Smart Grids est née avec l’apparition de technologies pour lesquelles les acteurs essayent d’imaginer de nouveaux modèles d’affaires. Pour EDF SEI, le paradigme est en partie inversé : les Smart Grids sont une réponse technologique au problème économique de la CSPE. Réduire la consommation pendant les heures de pointe, fournir des moyens pour faciliter le réglage de la fréquence, contribuer à l’insertion des EnR intermittentes sont autant de services attendus des Smart Technologies pour limiter la consommation, éviter des investissements, sécuriser le réseau et permettre de limiter les émissions de CO2.
Fonctionnement d’une passerelle énergétique (source : EDF SEI)
La passerelle communique avec les usages auxquels elle est connectée à tout moment (climatisation, chauffage,…) et avec le dispatching, ainsi informé du niveau de consommation de la maison. (12) Contribution au Service Public d’électricité. (13) Leur taux de pénétration dans la puissance instantanée est limité à 30 % dans les îles en l’absence de moyens de stockage associés.
De nombreux projets Smart Grids aux enseignements variés Les projets menés par EDF SEI sont nombreux et couvrent l’ensemble de la chaîne de valeur, de la production décentralisée, au client final en passant par le stockage centralisé. Certains projets, comme Millener, sont menés en collaboration avec différents industriels ce qui permet de tester de nouvelles solutions au stade pré-industriel. Le projet SIGMA se penche sur la mise à contribution des potentiels d’effacement chez les industriels. SYSCO DOM s’est attaqué au renouvellement du système de télé-conduite du système électrique et prévoit d’intégrer des fonctionnalités avancées pour améliorer la fiabilité, la résilience et la sécurité du réseau et optimiser la gestion des EnR intermittentes. Le projet Pégase évalue les effets de l’intégration du stockage centralisé (batterie d’1 MW) à la Réunion sur la gestion de parcs de production solaire et éolienne.
Millener, un démonstrateur intégré entre effacement résidentiel et production décentralisée Outre la maîtrise de la demande électrique, le projet Millener se penche sur l’alliance entre actions décentralisées au niveau des clients finaux et pilotage centralisé,
Vers un business model des Smart Grids dans les îles ?
afin de contribuer à la stabilité du réseau électrique. Financé par l’ADEME, les régions Corse, Guadeloupe, Réunion et les fonds FEDER, le projet allie différent partenaires : EDELIA, BPL Global, Saft, Delta Dore, Sunzil et Schneider Electric, pilotés par EDF. À cet effet, depuis 2012, des passerelles énergétiques sont installées chez les clients afin de piloter les usages énergivores tels que les chauffages, les climatiseurs, les chauffeeaux (objectif projet de 1000 installations à fin 2014). En parallèle, des batteries Lithium-Ion alliées à des panneaux photovoltaïques sont déployées chez des particuliers, permettant de stocker l’énergie solaire produite pour la mettre à disposition du réseau en période de pointe ou en période de risque tout en assurant un backup pour le client. Les premiers retours d’expérience du projet permettent d’améliorer la mesure de la complexité des systèmes déployés, de leur coût, et du niveau d’implication du consommateur, plus impacté sur les îles que dans un contexte métropolitain. Le recrutement client est néanmoins fortement limité par l’éligibilité technique des installations électriques, souvent vétustes et la difficulté d’intégrer le client dans la démarche, notamment lors de l’installation de passerelles énergétiques.
Les différents projets déployés actuellement dans les îles permettent une première estimation des impacts de ces systèmes sur le réseau électrique existant. Leur réplicabilité et leur déploiement à l’échelle des territoires sont des enjeux clés pour le business model et la viabilité des Smart Grids, notamment dans ce contexte particulièrement favorable. Les coûts élevés de la production îlienne donnent au business model de ces Smart Technologies, encore peu matures économiquement, la possibilité d’être viables. Les ZNI françaises et leurs nombreuses contraintes en font des zones riches d’enseignement. La fragilité du réseau et l’intégration croissante des énergies renouvelables sont des enjeux communs à de nombreux territoires îliens permettant à SEI d’envisager une valorisation de son savoir faire auprès des gestionnaires de ces réseaux. De même, les pays en voie de développement peuvent présenter des réseaux aux caractéristiques parfois similaires à celles des îles : territoire couvert limité, réseaux instables et chers, fort potentiel de renouvelable intermittent. Bien que leurs exigences demeurent différentes de celles des ZNI, ces territoires pourraient donc aussi représenter un marché potentiel pour les savoir-faire développés dans les territoires insulaires français.
Zones Non Interconnectées françaises (source : EDF SEI)
Guadeloupe EDF SEI
Saint-Pierreet-Miquelon EDF SEI
Îles du Ponant EDF SEI
Corse EDF SEI
Nouvelle Calédonie Enercal
Martinique EDF SEI
Îles non gérées par EDF SEI Guyane EDF SEI
Polynésie française EDT
Mayotte EDM La Réunion EDF SEI
Wallis & Futuna EEWF
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Smart Grids : une logique économique contre la précarité énergétique Smart Grids et précarité énergétique, deux sujets brûlants au cœur du débat sur la transition énergétique. Deux sujets profondément antinomiques selon les opposants à Linky qui craignent qu’une part du financement du projet soit reportée in fine sur les consommateurs. Et pourtant, ces thèmes pourraient être réconciliés dans le cadre d’un autre débat d’actualité : la rénovation thermique des bâtiments.
Afin d’accélérer le chantier de rénovation thermique des bâtiments en France, les acteurs de l’énergie ont tout intérêt à développer des outils « intelligents », pour intensifier la lutte contre les épaves thermiques et la précarité, tout en facilitant l’identification des cibles prioritaires.
DPE des bâtiments : constat d’un échec Depuis une dizaine d’années, de nombreuses collectivités locales tentent, souvent en vain, de détecter les logements vieillissants, dont l’isolation médiocre doit être rapidement améliorée. La région Haute-Normandie a ainsi participé au
programme de thermographie des villes de Rouen et du Havre pour identifier des viviers d’économies d’énergie auprès de ses administrés. Ce type d’action isolée fait écho à la politique nationale du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE), instaurée en 2007 et qui rencontre de nombreux obstacles. Tout d’abord, le DPE reste peu accessible à l’ensemble des professionnels de la rénovation thermique, il s’adresse surtout aux propriétaires et bailleurs. Une base de données nationale des DPE existe désormais mais elle aura mis plus de deux ans à voir le jour. Les propriétaires, eux, tardent à s’impliquer dans la rénovation du parc français. En 2011, une étude montrait que les Français jugeaient le DPE utile avant tout pour l’anticipation du budget énergie et à la négociation du prix d’un bien immobilier. D’autre part, la fiabilité du DPE en tant qu’outil de diagnostic n’est pas éprouvée. En 2011, une enquête UFC Que Choisir a montré que la qualité du DPE n’avait pas progressé depuis 2008. La réforme du DPE, entrée en vigueur en 2012, met en place un durcissement du diagnostic et des conditions de certification des organismes le réalisant. Les retours d’expérience sont encore minces, mais l’universalité de la norme, principal problème du DPE, reste en suspens.
L’identification des passoires énergétiques facilitée par les Smart Grids Les Smart Grids pourraient constituer une solution innovante pour combler
les lacunes du DPE. En effet, la généralisation des compteurs télé-relevés sur les réseaux d’électricité et de gaz permettra l’accès à des données fiables de consommation pour un grand nombre de logements. Ces données sont préciseuses pour l’établissement d’une cartographie énergétique rapide et précise, utilisant la signature énergétique des bâtiments. Cet outil illustre la consommation de chauffage en fonction de l’écart de température entre l’intérieur et l’extérieur d’un logement. D’après l’ADEME c’est un outil efficace pour réduire efficacement la consommation de chauffage tout en mettant en évidence les problèmes d’isolation, de surdimensionnement et d’excès de chauffage par les usagers. Le seul défaut de cette méthode aujourd’hui est qu’elle nécessite un relevé journalier de la consommation du logement - simple à obtenir avec des compteurs intelligents. La signature énergétique, une méthode moins lourde que le DPE, permettra d’identifier efficacement les passoires thermiques. Enfin, en normant la signature énergétique avec un indicateur de précarité, par exemple le taux d’effort énergétique, défini comme la part des revenus d’un ménage consacrée aux factures d’énergie, une cartographie à la fois énergétique et sociale des logements pourrait être dessinée. Il serait ainsi possible de prioriser les chantiers de rénovation au niveau national en prenant en compte précisément la rigueur climatique, le comportement des ménages, leur situation et les caractéristiques des logements.
Un indicateur pour catalyser la réussite des programmes du gouvernement
Les Smart Grids et la précarité, deux chantiers à mener de front avec une législation incitative
Cette thermographie sociale est nécessaire pour rendre efficace la politique du gouvernement. En effet, l’annonce de la rénovation en 2014 de 90 000 logements sociaux ne serait pas la première à rester lettre morte pour cause de restriction budgétaire. Depuis 2007 et le Grenelle de l’environnement, la rénovation thermique des logements sociaux est une priorité et pourtant le chantier, extrêmement coûteux, tarde à démarrer. De nombreux programmes sont mis en place, en particulier le programme Habiter Mieux, qui cible 300 000 propriétaires modestes, mais ces derniers sont aujourd’hui freinés par la difficile identification des cibles prioritaires sur le terrain. Il est pourtant primordial de rénover prioritairement les épaves thermiques pour assurer la rentabilité des investissements, alors que la facture énergétique de la France s’envole depuis quelques années, avec un record à 61,4 Mds€ atteint en 2011. D’après une étude Sia Partners sur la rénovation thermique, les 20 % de logements les plus énergivores sont responsables de plus de 45 % de la consommation du parc français. La priorité donnée à la rénovation des habitats précaires a également un intérêt social et économique : de solides gains sont réalisés sur la facture d’énergie – donc sur la balance commerciale française –, sur les dépenses de santé et sur les aides financières allouées dans le cadre de la lutte contre la précarité énergétique – tarifs sociaux, aides du Fonds de Solidarité pour le Logement, etc. Les Smart Grids permettront donc d’identifier les passoires thermiques habitées par des ménages en situation de précarité énergétique, tâche aujourd’hui difficilement réalisée par les travailleurs sociaux, faute de moyens.
L’identification des ménages « passoires précaires » facilitée, les législations actuelles concernant les acteurs du secteur de l’énergie pourraient cibler non seulement les habitats énergivores mais également les ménages en situation de grande précarité. Les acteurs pourraient-ils conduire cette double lutte ? Dans le cadre de l’intensification de leur politique de lutte contre la précarité énergétique et de réduction des impayés, les fournisseurs d’énergie, poussés par le poids financier croissant du dispositif de Certificats d’Économie d’Énergie (CEE), auraient tout intérêt à perfectionner leurs méthodes d’identification des passoires énergétiques – chantiers qui affichent le meilleur retour sur investissement. Ils auront en outre, à partir de 2015 - début du déploiement des compteurs intelligents Linky et Gazpar -, plus facilement accès aux données réelles de consommation d’énergie de leurs clients, à un pas de relève plus fin. L’enjeu est aujourd’hui de préparer cet indicateur intelligent afin d’enrayer la dynamique actuelle qui a relié passoire énergétique et précarité. D’après
l’INSEE, « les progrès énergétiques ont davantage profité aux ménages aisés pour lesquels le poids de la facture énergétique dans la consommation a baissé d’un tiers depuis 1985, contre une réduction d’un quart pour les ménages les plus pauvres ». Conditionnée par le déploiement des compteurs intelligents, l’émergence d’une thermographie sociale à l’échelle nationale devra encore attendre quelques années. Dès à présent, de nombreuses mesures peuvent néanmoins être prises pour soutenir la lutte contre la précarité énergétique. L’urgence sur ces problématiques continue de s’intensifier, en particulier à l’issue d’un hiver rigoureux et à l’heure où les résiliations de contrat d’électricité à l’initiative du fournisseur sont en hausse. Toutefois les fournisseurs d’énergie commercialisent leurs premières offres « Smart » susceptibles d’alimenter d’ores et déjà une base de données nécessaire à l’élaboration des calculs pour cet indicateur. La législation devra alors évoluer pour prendre en compte le volet social dictant les mécanismes d’incitation à la rénovation. Cette évolution est la condition indispensable à une transition énergétique smart, sociale et sobre.
Les bâtiments anciens, fortement consommateurs d’énergie (source : Sia Partners)
Bâtiments récents
25 %
10 %
45 % 55 %
Bâtiments 1974-2000
20 %
Bâtiments antérieurs à 1974
45 %
Répartition par période de construction
% de la consommation
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Blackout et vols d’électricité : des leviers pour le déploiement des Smart Grids dans les PVD ? Partir avec un handicap pour remporter la course ! C’est le paradoxe que l’on pourrait appliquer au secteur énergétique de certaines économies émergentes rongées par les vols d’électricité et les blackouts récurrents. Au lieu de considérer ces handicaps comme des gouffres financiers, ces derniers peuvent être vus comme des leviers opportuns de financement des SmartGrids dans les pays en voie de développement et émergents. L’électricité est un vecteur incontournable de l’essor socio-économique des Pays en Voie de Développement (PVD). Elle apporte en effet un double avantage : un bénéfice social d’une part, puisqu’elle facilite l’accès à l’information, aux soins et à certains moyens de communication tels que les téléphones et les ordinateurs, et un bénéfice économique d’autre part du fait de l’amélioration de la productivité et de la rentabilité des installations et processus existants. Dans ces pays, de nombreux arguments semblent appuyer la viabilité des Smart Grids. Dans ces régions où le vol d’électricité et les blackouts récurrents causent un manque à gagner considérable pour l’industrie électrique et le reste de l’économie, les sommes potentiellement économisées par la mise en place de technologies palliant ces problèmes peuvent s’avérer alléchantes pour nombre d’investisseurs.
De nombreux pays touchés par les blackouts et les vols d’électricité Les blackouts sont monnaie courante dans les pays en situation de sous-capacité de production, notamment en Afrique, en Amérique Latine et en Asie du Sud. Face à une demande excédant l’offre, les opérateurs du réseau n’ont d’autre choix que de délester certains consommateurs pour assurer l’équilibre offre-demande. Par exemple, la Banque Mondiale estime à plus de 10 le nombre mensuel moyen de coupures de courant en Afrique sub-saharienne, et à environ 6 heures leur durée moyenne, avec d’importantes disparités suivant les pays, les villes et les quartiers d’une même agglomération. Les habitants les plus aisés ainsi qu’un nombre croissant d’industriels ont recours à des groupes électrogènes tandis que les autres vivent au rythme des délestages imprévisibles. Le délestage est parfois organisé pour permettre aux consommateurs de planifier leurs journées : à Katmandu (Népal), ville divisée en sept zones, les 10 heures quotidiennes de délestage de chaque zone sont prévues à l’avance et publiées dans le journal local. De manière plus ponctuelle, des blackout généralisés surviennent également dans des pays n’ayant pas de problème aigu de sous-production : c’est le cas du Brésil ou de l’Inde. La faible résilience de ces réseaux aura marqué les esprits en novembre 2009 où un quart des foyers brésiliens s’est vu privé d’électricité pendant 7 heures ou plus récemment, en juillet 2012, lorsque la moitié de la population indienne a été plongée dans le noir pendant plus de 15 heures.
Le second « handicap » électrique des pays en développement réside dans leurs importantes pertes non techniques liées au « vol d’électricité ». En pratique, il peut s’agir aussi bien d’une erreur de comptage, de relève ou de facturation que du raccordement illégal, du piratage du compteur ou de corruption de l’agent de relève. Bien que les fournisseurs d’énergie communiquent peu sur ce chiffre, le pourcentage d’électricité volée dépasserait couramment les 10 % selon la Banque Mondiale. Ces pertes s’élèveraient même à 20 voire 30 % de l’électricité injectée sur le réseau en Inde, au Bangladesh et au Pakistan, et localement à plus de 50 % dans certaines de leurs régions. Dans quelques favelas brésiliennes, on parlerait même de 80 % de vol d’électricité. À titre de comparaison, les pertes nontechniques s’évaluent à moins de 1 % de la production électrique totale dans les pays occidentaux. Afin de traquer ces pratiques la plupart des économies émergentes ont d’abord réagi en développant un cadre législatif strict, comme l’Afrique du Sud qui a mis en place en 2006 son « Electricity Regulation Act » pour condamner pénalement la fraude d’électricité. En réalité, l’efficacité de telles lois n’a été que partielle en raison notamment de la difficulté d’identifier les vrais auteurs des vols. Les Smart Grids, et plus particulièrement les compteurs intelligents, sont aujourd’hui vus comme un moyen plus adapté pour réduire sensiblement les pertes non techniques.
La technologie « Smart Grid » pour réduire les blackouts et le vol d’électricité Les progrès technologiques réalisés dans le secteur des Smart Grids contribueront largement à la résolution des problématiques de blackouts et de vol d’électricité, en suivant le cas précurseur d’ENEL en Italie. Par exemple, la généralisation des compteurs intelligents dans les quartiers dangereux, comme certaines favelas brésiliennes, permettra d’arrêter d’éventuelles pratiques frauduleuses sans risquer l’agression des agents de relève. À Rio de Janeiro, 150 000 compteurs communicants capables de couper à distance l’électricité des mauvais payeurs ont déjà été installés. En plus d’être compliqués à pirater, ils sont positionnés de façon à être difficilement accessibles. Les compteurs intelligents ont également un effet psychologique chez les consommateurs qui se sentent surveil-
lés : des expériences au Honduras et en République Dominicaine montrent que les consommateurs arrêtent de frauder lorsqu’ils risquent une condamnation sociale. Cet effet n’est pas spécifique aux petits consommateurs comme le montre l’exemple suivant. En Inde, la société NDPL qui fournit l’électricité à plus de 5 millions d’habitants de Delhi a réduit ses pertes non-techniques de 53 % à 15 % entre 2002 et 2009, 90 % des gains étant attribués à l’installation de 30 000 compteurs intelligents capables de mesurer, relever et monitorer à distance les plus gros consommateurs de son parc. Ces compteurs permettent aussi de garantir un accès plus large à l’électricité. Ainsi en Afrique du Sud, EDF et l’électricien sud-africain Eskom ont mis en place dès 1994 un système de compteurs à prépaiement par carte dans le bidonville de Khayelitsha, réduisant les pertes non techniques à près de 10 %, un des taux les plus bas du pays. La ville
Raccordements illégaux dans une banlieue de Karachi au Pakistan (source : Shariq Barlas)
de Johannesburg a depuis mis en place un programme visant à équiper tous ses habitants de compteur à prépaiement d’ici 2015. Des fonctionnalités de gestion de la demande permettront à terme d’inciter à la réduction des consommations aux heures de pointe via un signal prix, et même d’optimiser la gestion des délestages en abaissant temporairement la puissance souscrite de l’ensemble des consommateurs au lieu de délester complètement certains quartiers.
Des investissements financés par les futurs gains escomptés Emboitant le pas à l’Italie, des pays émergents utilisent déjà le levier de la fraude pour rentabiliser le déploiement de compteurs communicants. L’attention est d’abord portée sur les gros consommateurs avec des temps de retour sur investissement de quelques semaines à quelques mois en Amérique Latine et en Asie du Sud selon la Banque Mondiale. Le segment des petits consommateurs est plus incertain à l’image des clients colombiens desservis par CODENSA qui ont divisé leur consommation par 2 depuis l’impossibilité de frauder. Ce changement allégera les problématiques de sous-capacité de production de nombreuses économies émergentes et permettra donc aussi de réduire sensiblement les délestages. En parallèle, les blackouts causent des pertes financières à la fois aux fournisseurs et à l’activité économique globale des pays pouvant atteindre plus de 6 % du PIB dans les cas du Malawi ou de l’Afrique du Sud, avec d’importantes inégalités entre les entreprises selon qu’elles possèdent ou non leur propre moyen de génération. De nouvelles technologies de réseaux permettraient, a minima, de réduire ces pertes en prévoyant et organisant les délestages. Autant de leviers de financement des Smart Grids qui restent à exploiter.
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Les Smart Grids, une solution miracle pour l’électrification des zones rurales dans les PVD ? En 2000, 193 états et 53 organisations internationales signaient les objectifs du millénaire visant à répondre aux besoins des populations les plus pauvres. Bien qu’il ne fût alors pas explicitement évoqué, l’accès à l’électricité constitue l’une des composantes essentielle à l’atteinte de ces objectifs. Une problématique d’autant plus critique que dans les pays en voie de développement, les zones rurales constituent de vrais déserts électriques. En 2013, l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA) et la Banque Mondiale estimaient à 1,2 milliard le nombre d’habitants sans accès à l’électricité soit près de 20 % de la population mondiale. Parmi eux, 83 % vivaient dans des zones rurales. L’Afrique Subsaharienne est particulièrement touchée : seule 10 % de sa population rurale a accès à l’électricité.
Taux d’électrification et population sans accès à l’électricité en Afrique (source : World Energy Outlook 2013) Taux d’électrification Inférieur à 20 % Entre 20 et 50 % Entre 50 et 90 % Supérieur à 90 % Population sans accès à l’électricité > 50 M > 20 M > 10 M >5M
(14) UN-Energy Africa 2008.
En effet, populations dispersées, zones très peu connectées et souvent difficiles d’accès, conditions climatiques contraignantes y compliquent le déploiement des réseaux électriques... De plus, ce contexte se conjugue parfois avec des problèmes de gouvernance propres aux PVD, capacités d’investissement limitées, infrastructures usuelles inadaptées et absence de personnels qualifiés pour gérer et installer ces infrastructures. Comment alors électrifier les zones rurales des PVD ?
L’isolement de la zone, paramètre discriminant du coût du projet Pour ces zones reculées, deux approches principales semblent se dégager. Dans les zones péri-urbaines ou rurales situées à proximité du réseau existant, la solution la moins onéreuse consiste à étendre ce dernier. Dans le cas de zones plus isolées, cette approche n’est pas viable économiquement. L’alternative des micro-grids non connectés au réseau représente alors le moyen optimal en termes d’investissement pour étendre la couverture électrique. Cette solution encourage le recours aux énergies renouvelables et limite ainsi les émissions de gaz à effet de serre. Bien qu’attrayants, les micro-grids restent difficiles à mettre en œuvre. En effet, les fluctuations de la production et du facteur de charge rendent la stabilisation de tels réseaux compliquée. Par ailleurs, jumeler un micro-grid et des moyens de production d’énergies renouvelables demeure une solution coûteuse. La mini-hydroélectricité, nettement plus rentable, est de plus en plus exploitée mais ne peut être généralisée à toutes les zones rurales, faute de ressource.
Les Smart Grids, une solution pour améliorer la qualité de la fourniture d’électricité ? L’adéquation entre offre et demande d’électricité n’étant pas encore optimisée dans ces pays, les Smart Grids permettent d’y remédier, notamment via le pilotage intelligent des délestages, très fréquents, en préservant des infrastructures clés. Les Smart Grids, en privilégiant une production et une consommation locale pourraient également améliorer l’efficacité énergétique en évitant le transport sur de trop grandes distances. L’approche locale permet de réduire les pertes, un des problèmes majeurs des réseaux actuels dans les PVD, celles-ci s’élevant par exemple à 41 % (14) sur les réseaux en Afrique Subsaharienne.
Des rentabilités avérées mais des investissements initiaux importants Si certaines études démontrent que les Smart Grids couplés aux EnR sont rentables sur le long terme, il n’en demeure pas moins que l’investissement initial à fournir est conséquent. Dans un contexte parfois jacobin hérité d’une passivité des pouvoirs centraux, le développement de ces réseaux pourrait venir d’initiatives locales. Financées par des organisations internationales, celles-ci pourraient ensuite être remises progressivement aux mains des populations locales. Alors que même les pays industrialisés peinent à développer ces solutions intelligentes, la force des PVD ne viendrait-elle pas du paradoxal avantage que tout reste à faire sur leur infrastructure ?
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L’année 2012 a été déclarée Année Internationale des Coopératives par les Nations Unies. À l’heure où le financement, l’acceptation publique et le modèle économique des projets Smart Grids restent à préciser, les coopératives d’énergie ont possiblement leur rôle à jouer. Peu connues du grand public, les coopératives sont présentes dans de nombreux secteurs, de la banque à l’agriculture, en passant par la grande distribution et, de plus en plus, dans l’énergie. Selon l’Alliance Coopérative Internationale, une coopérative est une association de personnes réunies volontairement pour satisfaire leurs aspirations et besoins communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement. Sur le marché de l’énergie, la grande majorité des coopératives ont pour membres des consommateurs, alliés dans l’objectif commun d’obtenir des prix et une qualité de service qu’ils n’obtiendraient pas à titre individuel. Nées aux États-Unis dans les années 30, les coopératives ont entrepris le développement des infrastructures dans le cadre de la relance de l’économie voulue par Roosevelt au travers du New Deal, alors que le retour sur investissement de l’électrification des zones rurales était trop faible pour attirer le secteur privé. Les coopératives ainsi formées sont principalement spécialisées dans la distribution/fourniture, et permettent aujourd’hui à 18,5 millions de
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Les coopératives d’énergie comme modèle de réussite pour des projets de Smart Grids consommateurs-membres d’avoir accès au réseau. En Europe, les coopératives de distribution sont bien moins développées étant donné la densité plus importante de population et le caractère de service public associé aux infrastructures électriques. Il existe cependant des coopératives de fourniture d’électricité, comme EnerCoop en France ou de coopératives de producteurs, comme le danois Middelgrunden, opérant une des plus grande ferme éolienne au monde au large de Copenhague.
Coopératives et Smart Grids : un train d’avance aux États-Unis Aux États-Unis, en 2012, le taux de pénétration des compteurs intelligents (15) est de 31 % sur les réseaux de coopératives de distribution, alors qu’il n’est que de 18 % chez les autres distributeurs, une avance remarquable depuis des années même si l’écart tend à s’amenuiser. Profitant d’une aide financière du gouvernement fédéral, l’engouement des coopératives de distribution pour les technologies « Smart » semble avoir plusieurs origines. Par leur caractère rural, les coopératives de distribution gèrent de grandes longueurs de réseaux, souvent isolés, sur lesquels sont connectées de nombreuses
sources de production d’énergie, principalement intermittentes. Ces caractéristiques poussent les coopératives à investir dans des infrastructures modernes et communicantes pour garantir un niveau de service approprié à leurs membres. Outre la ruralité des zones gérées, les coopératives se distinguent par une démarche construite d’avantage sur la qualité des services proposés à leurs membres que sur une logique commerciale envers leurs clients. Cette différence par rapport aux énergéticiens privés est majeure : en effet, les coopératives sollicitent leurs membres par voie démocratique dans leurs décisions d’investissements, s’assurant de l’adhésion publique lors de la prise de décision. De plus, les coopératives informent et impliquent leurs membres sur les problématiques de gestion de l’énergie. Ceux-ci, sont alors réceptifs aux gains apportés par une relève fine, un suivi de leur consommation et une facturation précise. À l’heure où les projets de déploiement de compteurs intelligents se généralisent aussi bien dans les pays développés que dans les pays émergents, les coopératives de distribution semblent avoir surmonté plusieurs difficultés rencontrées en Europe et pourraient peut-être servir d’exemple pour le déploiement de systèmes similaires dans les pays émergents.
Taux de pénétration de compteurs intelligents aux États-Unis (Source Assessment of Demand Response and Advanced Metering (FERC), Décembre 2012) 35 % 30 % 25 % 20 % 15 % 10 % 5% 0%
2006
2008
2010
Coopératives (15) Nombre de compteurs intelligents installés sur le nombre total de compteurs installés.
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Autres (moyenne)
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La gestion intelligente de l’eau, une solution pour préserver la ressource tout en générant des bénéfices Les enjeux liés à la ressource Eau sont d’une importance capitale dans l’ensemble des régions du monde. Preuve en est : en 2011, plus d’un milliard d’humains n’avaient pas accès à l’eau potable et 2,6 milliards étaient privés d’installations d’assainissement. Une situation d’autant plus alarmante que la population mondiale devrait augmenter de 45 % d’ici 30 ans, tandis que l’écoulement d’eau douce n’augmentera que de 10 %. Cet état des lieux met en lumière la nécessité d’optimiser la gestion de l’eau, que ce soit au niveau de l’accès à la ressource, de la gestion de la qualité de l’eau ou encore de la lutte contre les pertes via les infrastructures.
tures de comptage intelligentes (mesure de l’eau sur des volumes périodiques, des débits ainsi que la qualité de l’eau), et le « Smart Pipe » d’autre part, faisant référence à la nature communicante des réseaux d’approvisionnement et de collecte des eaux usées (sondes mesurant les niveaux de pressions à des nœuds de distribution d’eau pour détecter d’éventuelles fuites…).
Pour répondre aux enjeux liés à l’eau, une gestion plus intelligente de cette ressource est nécessaire. L’intégration des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) dans les réseaux d’eau permet de les rendre communicants et offre aux gestionnaires une connaissance approfondie et une meilleure maîtrise de leurs infrastructures. Le concept de « Smart Water » qui découle de cette démarche se décompose selon deux axes : le « Smart Metering » d’une part, désignant les nouvelles infrastruc-
La gestion intelligente des réseaux : le levier principal pour concilier performance économique et performance environnementale
La présence du SmartPipe/Meter tout au long du cycle del’eau
Bien que les prévisions de croissance du marché mondial du Smart Water s’affichent à 19 % d’ici à 2016, le coût des investissements et la difficulté à mesurer leur rentabilité demeurent de véritables barrières au développement de projets dits « smarts » dans le secteur. Pourtant, les différentes expérimentations réali-
sées démontrent la véritable efficacité de ces dispositifs en réponse aux problématiques des gestionnaires de réseaux d’eau, telles que la lutte contre les fuites. Dans le monde, 34 % de l’eau injectée dans les réseaux de distribution est perdue du fait de fraudes ou de fuites. Ces pertes s’élèvent à 25 % en France alors qu’elles sont réduites à 10 % dans les réseaux les plus performants. C’est dans les grandes mégalopoles des pays émergents que ces fuites sont les plus significatives. Ainsi, à Mumbai (Inde), les pertes atteignent 50 % de l’eau injectée, ce qui représente plus de 700 millions de litres d’eau perdus par jour. Les coupures d’eau sont quotidiennes et un véritable marché parallèle de l’eau a émergé. Chaque jour, plus de 50 millions de litres d’eau sont vendus sur le marché alternatif et acheminés par des camions citernes, mais à un prix égal à plus de 10 fois la référence officielle que seuls les habitants les plus fortunés ont les moyens d’acheter. Afin de fournir une eau potable au plus grand nombre de manière régulière, la ville a investi 15 millions de dollars en 2010 dans l’installation de 150 000 compteurs permettant une relève sans fil des consommations. Ces compteurs fournissent également des informations sur les fuites ou dysfonctionnements éventuels du réseau. Trois ans après cette
expérience pilote, les résultats se sont avérés à la hauteur de l’investissement. La société Itron, en charge du projet, a annoncé en mars 2013 que dans les zones équipées de Smart Meters, les fuites et pertes d’eau ont été réduites de moitié. Une économie potentielle de 350 millions de litres par jour est donc envisageable à Mumbai, ce qui augmenterait la quantité d’eau disponible pour la distribution et réduirait les coûts dus au gaspillage.
La collecte intelligente des eaux usées, un vecteur de bénéfices importants Si la gestion des réseaux d’acheminement d’eau potable est primordiale, celle des réseaux de collecte des eaux usées n’est pas non plus à négliger. Tout comme les eaux usées domestiques, les eaux de pluie doivent être traitées avant d’être rejetées dans le milieu naturel, car elles peuvent se charger en matières polluantes lors du ruissellement sur les routes ou les toitures. Une mauvaise gestion de ces installations peut avoir des répercussions économiques et environnementales notables : fréquence élevée des interventions humaines (réseaux bouchés, débordements) ou encore déversement d’eaux usées non traitées directement dans la nature. À titre d’exemple, la ville de South Bend (Indiana – USA), 100 000 habitants, a pris l’initiative, en 2006, d’investir 400 000 dollars dans un chantier de modernisation de son réseau de collecte des eaux usées. Cependant, plutôt que d’investir dans de nouvelles infrastructures, la ville a fait le choix d’améliorer la gestion et le contrôle en temps réel de son réseau de collecte des eaux usées, afin de mieux comprendre quand et pourquoi les incidents comme le débordement et le blocage d’égouts se produisent. Par le biais de vannes « intelligentes », capables de réagir en temps réel aux prévisions météorologiques et de capteurs installés sur le réseau, et via la fourniture de données continues aux agents municipaux, la ville a obtenu des résultats significatifs. Le nombre d’incidents majeurs sur le réseau
a diminué de 30 à 2 par an et la capacité de collecte et de traitement des eaux usées s’est vue augmentée de 23 %. La réduction des coûts de maintenance et l’économie d’investissements ont permis au projet d’afficher un retour sur investissement en 1,3 an et des économies de 300 000 $ par an en moyenne.
Accompagner le consommateur : une nécessité Une gestion des réseaux d’approvisionnement et de collecte des eaux usées de façon intelligente et communicante engendre des résultats économiques tangibles tout en permettant de gérer durablement la ressource. Cependant les leviers d’action ne sont pas les mêmes concernant les compteurs intelligents. Bien qu’ils puissent fournir des informations en temps réel sur la consommation en eau d’un établissement, l’utilisation de ces données à bon escient revient au consommateur lui-même. Or l’information à elle seule peut-elle être un vecteur de changement des habitudes de consommation de l’utilisateur ? La ville de Dubuque (Iowa), 60 000 habitants, a tenté de répondre à cette question en créant en 2009 un projet pilote, comparant les consommations en eau de 300 ménages. Les ménages-test ont été divisés en deux échantillons : 150 d’entre eux avaient un compteur d’eau intelligent seul tandis que les 150 autres étaient
équipés du même compteur mais disposaient en outre d’un accès à un portail web. Celui-ci leur permettait de suivre en temps réel leur consommation, de la comparer avec d’autres volontaires, d’être alertés en cas d’anomalie, ou encore de participer à des jeux incitatifs visant à promouvoir un comportement responsable. À l’issue des 9 semaines de tests, les résultats furent plus que probants : les ménages équipés du portail ont économisé 6,6 % d’eau par rapport à ceux de l’autre échantillon. Étendu à l’échelle de la ville et ses 23 000 foyers, cela représenterait une économie globale de plus de 190 000 dollars par an. De plus, 8 % des foyers équipés ont déclaré une fuite, contre 0,9 % pour les foyers n’ayant pas accès au portail. Ce projet a mis en lumière l’importance d’aider le consommateur à comprendre sa consommation pour modifier son comportement. Contrairement à la gestion des réseaux, réaliser des économies en eau via le consommateur est une science pour le moins aléatoire car malgré toute la volonté de la collectivité et du gestionnaire d’approvisionnement en eau, la réelle clé de succès repose entièrement sur l’attitude du consommateur. Si les informations brutes de suivi de consommation sont une base prometteuse, elles ne peuvent suffire à générer des résultats satisfaisants. L’accompagnement, par une démarche de suivi et d’éducation du consommateur reste primordial.
Consommation annuelle mondiale en eau (Source : World Bank, ministère de lÉcologie)
Surplus de consommation si l’ensemble de la population mondiale avait accès à l’eau potable
Milliards de m3
Eau réellement consommée 0
1000
2000
Eau perdue 3000
Une réduction de 4 % des pertes en eau dans les réseaux
4000
Une réductionsuffirait de 4 %àdes pertes eau dans lespotable réseaux couvrir les en besoins en eau suffirait couvrir de les personnes besoins enn’ayant eau potable du milliard de personnes duà milliard pas accès à l’eau potable. n’ayant pas accès à l’eau potable.
Juillet 2013 – Le magazine du Club Énergie de Sia Partners
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Sia Institute, nos formations dans le secteur de l’énergie, en collaboration avec Les Echos Formation LE MARCHÉ DU PÉTROLE
LE MARCHÉ DU GAZ
FORMATION (21 novembre 2013)
FORMATION (28 novembre 2013)
Quelles perspectives pour le secteur au niveau mondial ? Quelles stratégies concurrentielles ?
Gaz non conventionnels, GNL, gaz de schistes, … Quelle place pour le gaz dans le nouveau mix énergétique français ?
OBJECTIFS : uC omprendre les spécificités et le fonctionnement du marché mondial et analyser la chaîne de valeur de l’exploration à la distribution
OBJECTIFS :
uC omprendre la détermination des prix et leur volatilité
u Établir une cartographie des flux gaziers et comprendre les spécificités du marché sur chaque brique : marché amont, infrastructures, marché aval et enjeux concurrentiels
uE valuer la stratégie des acteurs pétroliers et l’évolution des positions concurrentielles uD éterminer les perspectives du secteur sur les innovations et la distribution
u Situer la place de la France sur le marché mondial gazier et les enjeux concurrentiels
u Obtenir une vision complète du marché français et de ses évolutions futures
D’autres formations Sia Partners/Les Echos Formation sont disponibles : le marché du nucléaire et le marché des déchets Inscription www.lesechos-formation.fr
Cécile AUDURU • Les Echos Formation 16, rue du Quatre Septembre • 75112 Paris CEDEX 02 Tél. : 01 49 53 22 25 • Fax : 01 49 53 68 74 e-mail : canduru@lesechos.fr
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