10 minute read
INTRODUCTION
Depuis le concours du Lycée des Métiers du Bâtiment à Longoni, des permanences architecturales tentent de construire ensemble Mayotte en trouvant des alternatives plus collectives, à l’image de la culture constructive locale tournée autour de l'autoconstruction, sans architecte.
Jusque dans les années 70 le banga6 traditionnel se construit à partir de matériaux locaux. Le bois ou le bambou forme l’ossature porteuse, la terre - disposée en torchis, permet le remplissage et des feuilles de raphia sont disposées en couverture. Ces savoirs-faire étaient originellement transmis par les fundi7 , qui dans certains cas sont aussi les représentants religieux : cadi. La forte présence de l’islam8 et d’un animisme tiré de la culture bantoue d’antan guident les villages vers un modèle aérés et peu dense : celui du shanza9 (voir image 7).
Advertisement
6 Petite maison en torchis - à l’orée des villages mahorais, bâtie par un adolescent pour marquer son passage vers l'âge adulte. 7 fundi signifie celui qui sait, qui possède une connaissance dans un domaine donné, qu’il soit religieux ou non. Pays, la revue qui nous entoure, Pollen Diffusion. Mayotte-N°4. (p.86) 8 95% de la population est de confession musulmane. Ibid. (p.12) 9 Enclos dans lesquels les différents modules de la maison sont disposés autour d’ une cour. Information tirée de l’entretien personnel mené le 20/10/2022 avec Hugues CRESSENT, Chargé de projet à la VIGIE de Petite-Terre.
(Image 7)10
10 Organisation traditionnelle du Shanza. Besombes et Perrot, Habitat Mahorais Tome 3, 1982, page 16.
À partir des années 80, un mouvement hygiéniste - représenté par la Société Immobilière de Mayotte (SIM)11 , entame des hypothèses de structuration de l’habitat (un exemple voir image 8) et qui évoluent encore aujourd’hui (voir image 9).
En ce sens, des typologies de maisons SIM en briques de terre compressée (BTC) et de tôles12 se dessinent dans le paysage mahorais. Les années 90 marquent un tournant, les villages commencent à saturer. Anjouan - visible depuis Mayotte, incite les comoriens en situation précaire à naviguer en kwassa13 (voir croquis en avant dernière double page) jusqu’aux côtes françaises. À cela s’ajoute une forte natalité. Les centres urbains se densifient et certaines entreprises comme ETPC (filiale de Bouygues construction) s’implante sur l’île. Cette dernière est encore aujourd’hui en quasi monopole dans le domaine de la construction et produit plus de 15.000 parpaings de béton par jour14 .
11 Unique bailleur social de l’île depuis 1980. 12 Pays, la revue qui nous entoure, Pollen Diffusion. Mayotte-N°4. (p.88-89) 13 Désigne en comorien le canot de pêche rapide (7 à 10 m de long pour 1 m de large), à fond plat et équipé aujourd'hui d'un ou deux moteurs. 14 Propos recueillis auprès de Guillaume Rognon, Responsable Administratif et Comptable Industrie chez ETPC - COLAS Mayotte.
(Image 8)15
(Image 9)16
15 Simon Rialland. Case SIM des années 80, Kani-Keli. 2021, Mayotte. 16 Ibid.. Logement collectif (SIM) contemporain. 2021, Mayotte.
Cette nouvelle matière première - peu coûteuse, permet de construire la majorité si ce n’est l’ensemble des maisons individuelles. C’est le déclin de la filière BTC et de l’habitat traditionnel. La conséquence à cela : un urbanisme qui tend à s’étaler de manière incontrôlée. Le passage de la terre au béton soustrait aux constructions les qualités bioclimatiques d’autrefois et elles deviennent des « fours »17 dans lesquels il est difficile d’y vivre sans climatiseurs. Ce phénomène d’étalement urbain se ressent particulièrement dans le nord de l’île dans le canton de Mamoudzou. À Kaweni - par exemple, les limites entre les villages ne se ressentent plus (voir images 15 et 16). Les habitations s'agrandissent parfois jusqu’à quatre étages (voir image 10). La démographie subit une hausse moyenne de 3.4% par an, depuis 40 ans18 . Le rythme effréné des réalisations est marqué par le non-respect des règles de prospect, de mitoyenneté ou encore l’absence de permis de construire. “Avec un produit intérieur brut par habitant inférieur à 10.000 euros par an, Mayotte détient le triste record du plus faible PIB de France”19 , soit le “tiers du PIB métropolitain”20 . Aujourd'hui, l’urgence tend à équiper Mayotte comme les autres territoires français, et à pallier le manque d’équipements scolaires et à
17 Ressenti personnel en allant visiter des amis et en habitant dans une maison mahoraise à Cavani Stade, 11 Rue de l’église. 18 Pays, la revue qui nous entoure, Pollen Diffusion. Mayotte-N°4. 19 Ibid. (p.46-47) 20 Ibid.
(Image 10)21
21 Simon Rialland. Cavani Stade, maison mahoraise en R+3 et R+4. 2022
produire d’ici 2030 “30.000 nouveaux logements”22 . L’île est en pleine effervescence économique et les concours se succèdent, invitant nombre d’agences métropolitaines à concevoir le territoire et à se mettre en groupement avec des agences locales. Dans ce sens, le Vice-rectorat insistait en 2017 d’une présence du “mandataire ou son représentant architecte sur le territoire”23 lors des différentes phases du projet. Ce mémoire questionne au sein du 101ème département français, la relation entre l’action locale collective et les politiques publiques de développement de l’île. Il naît d’un constat : celui de l'émergence de permanences architecturales dans les politiques publiques de construction des établissements scolaires de premier et second degrés. Sur le territoire métropolitain, elles sont généralement reléguées en second rang, au domaine de l’alternatif et de l’expérimentation. À Mayotte, comme le cadre est expérimental et inédit, elles apparaissent dans des projets publics, comme à Longoni, Tsimkoura, Chirongui ou encore Chiconi. Ces permanences forment un écosystème, comme en témoigne l’affiche des Journées Nationales de l’Architecture 2021 (voir image 11). Ce dispositif architectural s’inscrit dans une remise en question par son fonctionnement, des programmes et son caractère "biblique"24 et intouchable.
22 Géraldine Louis et Maoulida Boinahery, Mayotte la 1ère. À l'horizon 2030, il faudra construire à Mayotte 30 000 logements pour s'adapter au contexte démographique, économique et migratoire. Publié le 23 janvier 2020 à 06h12, mis à jour le 23 janvier 2020 à 10h04. 23 Avis de concours pour le concours de maîtrise d'œuvre du lycée des Métiers du Bâtiment à Longoni, Vice-Rectorat de Mayotte. (p.4) 24 00:26:52 de l’entretien personnel mené avec Blaise TRICON le 13 décembre 2022 : Chef chargé de la division construction au Vice-Rectorat de Mayotte.
(Image 11)25
25 Affiche des JNA2021 à Mayotte, produite par PP7 etAP.
La réflexion qui suit s'appuie sur des enquêtes ethnographiques et interviews menées au sein de trois permanences architecturales et d’une permanence programmatique ; ce afin de comprendre la manière dont se structure la vie en permanence. Elle se poursuit au sein des institutions publiques : l’actuel Rectorat de Mayotte, l'Établissement Public Foncier et d’Aménagement de Mayotte et la Communauté de Commune de Petite-Terre (CCTP). Ce, afin de comprendre les mécanismes qui ont mené à intégrer l’hypothèse de la permanence au sein des politiques publiques de construction des établissements scolaires. Elle se base aussi sur des éditos, de différents récits de situations, ainsi que de lectures complémentaires au retour de cette expérience.
(Image 12)26
26 Simon Rialland. J’affiche une carte de Mayotte sur le mur. 2022
L’objet de ce mémoire a été dans un premier temps de définir le terme de participation. Selon Miessen: la participation est un cauchemar (2010). À Mayotte, à entendre mes interlocuteurs, la participation est omniprésente. À la suite de cela, je me suis rapidement rendu compte qu’il y avait “autant de définitions que d’acteurs au sein du projet”27 - comme dirait Federica Gatta. Afin de ne pas troubler le lecteur avec d’autres termes similaires mais utilisés dans d’autres domaines, nous dissocierons la notion de permanence aux questionnements liés à celles des résidences artistiques, des pépinières urbaines ou encore des maisons du projet. Ce mémoire a la volonté d’en esquisser les limites, de comprendre la complexité d’application pour des maîtrises aux impératifs et intérêts divergents. Notre objectif est de comprendre les frontières qui subsistent dans l’imaginaire entre l’ouvrier qui fabrique, l’architecte qui pense et l’usager qui habite. Ainsi nous pourrons comprendre les différentes échelles de collaboration entre les acteurs du bâtiment, aux cultures et traditions parfois aux antipodes.
27 Federica Gatta, Donner lieu. (Contre) pouvoirs urbains ? Éléments pour une critique anthropologique de l’ urbanisme participatif. (p.8)
(Image 13)28
28 Les bouénis préparent ensemble la nourriture en vue d’un mariage, Cavani Stade. 2022.
Les différentes situations étudiées se trouvent dans différents secteurs géographiques. Tout d’abord dans le nord de l’île, à Longoni se situe le projet de construction d’un des plus grands lycées de France : le Lycée des Métiers du Bâtiment de Longoni. Le projet porte la volonté de redémarrer la filière de brique de terre compactée fortement impactée par la prolifération des constructions en béton depuis la fin des années 80. Ensuite, dans le Sud nous étudierons la restructuration en réhabilitation et constructions
En intégrant la permanence architecturale du Collège de Tsimkoura durant neuf mois en 2021-2022, j’ai eu l’occasion de m’immerger au cœur du sujet. J’ai donc pu observer et participer aux différentes actions et réflexions menées sur le terrain et échanger autant avec la maîtrise d’ouvrage (MOA), que la maîtrise d'œuvre (MOE) et la maîtrise d’usage (MUE). J’ai donc dû prendre - à l’image de Federica Gatta, une position externe-interne
nécessaire à la compréhension de mon propre rôle sur le terrain
(Image 14)29
29 Croquis personnel. Fahd Mestour -Actuellement Responsable du département projet immobilier au Rectorat de Mayotte.
et donc aussi celui des autres permanents. En oscillant entre la demande sociale, les demandes de la maîtrise d’ouvrage et celle que suppose le projet in situ, j’ai pu former un socle de réflexion étendu aux autres permanences, à l’échelle des dynamiques du territoire. Cette longue immersion suscite transversalement la définition de notre objet d’étude. Quels sont les outils et pratiques employés par la permanence ? En quoi sont-elles différentes de celles en métropole et ne participent elles pas à une énième volonté de faire métropole à Mayotte ? Ces interrogations, nous les suivrons durant l'ensemble de cette réflexion afin de répondre au questionnement suivant :
L’objet de ce mémoire est aussi éminemment politique puisqu’il traite notamment pour les projets de Longoni et de Tsimkoura de la relation entre la société civile, des intérêts privés et les institutions publiques, après une phase de concours. La permanence de Chiconi intervient cependant avant, durant l’écriture du programme et en collaboration avec la Mairie. Nous suivrons donc ici des projets régis par le modèle classique de la commande architecturale qui s’est constituée durant la seconde moitié du XXème siècle30 , mais qui suivent des méthodologies alternatives. Nous chercherons à établir les rôles, relations entre les différents protagonistes au sein de ces projets qui se veulent inclusifs, participatifs. Dans un premier temps, nous reviendrons aux prémices de la permanence, comment les relations entre les acteurs se définissent selon des degrés de pouvoirs et selon les rôles de
30 Ibid. (p.14)
chacun ; puis de tenter de comprendre comment la méthode de la permanence est reprise à Mayotte, au sein d’une situation géopolitique complexe. Enfin, le positionnement des acteurs sur le sujet nous permettra de mettre en exergue les critiques des acteurs de cette méthode et ses limites.
Cette architecture, à la pensée plus “humaine”, vient en réponse aux dérives de l’architecture moderne et porte un espoir pour certains d’une amélioration de la condition humaine au sein de la production architecturale.
“Il nous faut comprendre, assimiler, décrire. En quantité, au risque sinon de n’avoir qu’une vue partielle. Il nous faut admettre que le rôle d’observateur, ou d’opérateur est toujours pernicieux, réducteur, brutal, maladroit. Il nous faut admettre que l’observateur et l’opérateur portent en eux, de ce fait, les éléments d’une culpabilité originelle. Il est possible de rejeter d’un trait et avec beaucoup d’agacement cette culpabilité inévitable. La quantité de cynisme nécessaire pour cela nous est banale, naturelle. Nous vous proposons au contraire de conserver cette culpabilité précieusement. (...) Il nous faudra alors entendre sans comprendre, accepter sans assimiler et décrire sans juger.” - CHEYSSIAL Attila, CHATAIN Bernard, FREY Sylvia, L’habitat Mahorais, 1977-1978 et 1987-1988 , p. 153.
(Image 15)31
(Image 16)32
31 Simon Rialland. Vue de Cavani Stade, depuis Convalescence. 2022 32 Simon Rialland. Vue de la baie de Sada. 2021