Réinventer l'habitat flexible

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RÉINVENTER

L'HABITAT FLEXIBLE : UNE DYNAMIQUE SOCIALE,

POLITIQUE ET DURABLE

ENTRE HIER ET DEMAIN

ENSA PARIS VAL DE SEINE - MASTER D'ARCHITECTURE - MARTIN SIMON SOUS LA DIRECTION DE BORIS WELIACHEV - 2021.2022


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SOMMAIRE : 6

AVANT-PROPOS

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INTRODUCTION

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PARTIE 1 : HABITAT FLEXIBLE ET ARCHITECTURE

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1.1 La flexibilité dans l’Histoire

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1.1.1 Nomadisme, Semi-Nomadisme et Sédentarisation 1.1.2 Impact des avancées technologiques sur l’habiter 1.1.3 Le XXe siècle, thèse et antithèse de la conception flexible.

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1.2 Une vision variable selon les régions

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1.2.1 L’Orient et ses valeurs 1.2.2 L’Occident, entre évolutivité, mutabilité et modularité

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1.3 L’impact des bouleversements sociaux et économiques

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1.3.1 Niveaux de vie et potentialités 1.3.2 La pandémie de COVID-19 et son influence

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1.4 Notions clés et différences

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1.4.1 Habiter 1.4.2 Flexible et architecture 1.4.3 Adapter, Transformer, Déplacer, et Intéragir 1.4.4 Modularité, Réversibilité et Mutabilité 1.4.5 Étude de cas et méthode


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PARTIE 2 : ÉTUDES DE CAS DESCRIPTIVES

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2.1 La modularité en France : Sophie Delhay, Unité(s), Dijon, 2019

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2.2 La flexibilité radicale nippone : Maison nue, Shigeru Ban, Kawagoe, 2000

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2.3 L’évolutivité latine : Quinta Monroy, Alejandro Aravena, Iquique, 2003

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2.4 La mobilité dans l’architecture d’Europe du Nord : Garden House, Caspar Schols, Pays-Bas, 2016

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PARTIE 3 : LE PRÉSENT ET LE FUTUR DE LA FLEXIBILITÉ

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3.1 Appropriation et longévité des logements flexibles

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3.1.1 Liberté d’aménagement des usagers 3.1.2 Une vision durable de l’architecture domestique

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3.2 Les limites du concept dans l’exercice architectural

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3.2.1 L’architecture participative et coopérative 3.2.2 La contrainte du matériau 3.2.3 Le rôle de l’architecte

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3.3 Des pistes pour concevoir intelligemment les logements du futur

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CONCLUSION

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AVANT PROPOS Ce sujet d’étude, portant sur la capacité des architectes à inventer et réinventer le logement d’aujourd’hui et de demain, en y incorporant une dimension flexible, est un sujet qui me touche particulièrement. En effet, d’un point de vue personnel, j’ai vécu dans de nombreux types de logements différents, allant de la chambre étudiante à la maison familiale, en passant par différents types d’appartements, haussmannien, duplex, appartement des années 70, ou encore HLM récent... et, ce qui m’a frappé dans cette expérience, avec mon point de vue d’étudiant en architecture, ce sont les différences d’appropriation et les facilités ou non pour investir les lieux. Ce qui fait que je me sentais bien ou mal dans un espace ou un autre, ou dans un logement ou un autre dans son ensemble m’a intrigué. En outre, la solution pour que je me sente à mon aise personnellement et, dans un plan plus large, que chacun puisse se sentir à son aise, m'a paru être la flexibilité. Si l’on ne construit pas son logement soi-même, comment lui insuffler cette dimension personnelle et singulière qui fait que cet espace nous est propre ? Comment sortir les logements d’une conformité et d’une standardisation liberticides ? Les dispositifs adaptables et les espaces évolutifs, sont apparus pour moi comme l’un des champs les plus concrets et répondant le plus efficacement possible à ces questions. C’est dans ce contexte que j’ai commencé à m’y intéresser, développant des références sur le sujet et essayant d’immiscer ces caractéristiques flexibles à mes propres projets. C’est grâce à l’écriture de mon rapport de licence, prenant appui sur le sujet, que j’ai pu réellement effectuer une entrée plus marquée dans ce champ architectural. J’ai pu en découvrir les origines et les possibilités d’amélioration de l’habitat et, dans quelles mesures, celle-ci influait sur les modes de vie et le bien-être des habitants. En puisant dans mes ressentis, mais aussi ceux de mes proches, j’ai pu constater quels manques étaient observés dans les logements actuels et anciens. Par mon expérience assez globale des logements récents, j’ai pu isoler les problèmes récurrents de ceux-ci, pour en arriver à des conclusions personnelles. En comparant mes affirmations avec les projets d’architectes revendiquant les vertus d’espaces adaptables, dont nous verrons certains de leurs projets... je me suis découvert une sensibilité pour cette architecture plus durable et plus humaine. Cependant, cette vision, qui s’applique au logement, est selon moi une notion exploitable dans une grande partie des domaines architecturaux. C’est aussi un enjeu que je souhaite porter, au-delà du logement, imaginer des espaces appropriables pour le travail, le loisir, les services...

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fig. 1 : Vision schématique d'un foyer contemporain ©Andrea Branzi

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INTRO

DUCTION

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Durant ces dernières années, les préceptes établis depuis des millénaires dans l’architecture, mais aussi dans la société en général, ont été bousculés. La révolution de ces thématiques majeures, qui avaient métamorphosé nos ancêtres en ce que nous sommes, a fait table rase de nombreuses formules et schémas humains et a plongé notre monde dans l’inconnu. Cette catastrophe politique, économique et sociale, au-delà de son impact sanitaire, qu’a engrangée la propagation du virus COVID-19, a permis de tester la capacité de réaction des humains et l’instinct de ceux-ci quant à ce changement si radical et subit de leurs modes de vie. Ainsi, le champ qui a le plus souffert de cette violence psychologique est le logement. Face à des risques létaux au dehors, les populations se sont vues condamnées à s’intérioriser et à se cantonner aux seules limites de leurs habitats. Ce sont ces limites qui se sont démarquées. Des lacunes criantes de l’efficacité des logements à répondre à un problème si inattendu se sont faites ressentir. Ce qui a entrainé une forte implication des acteurs de la construction, et surtout des architectes, à remédier à ces manques d’adaptation. De là, de nombreuses thèses ont émergé pour donner un semblant de direction à ces nouvelles typologies. Dès mars 2020, Eric Cassar écrit à propos des logements : «Les concevoir à partir du concept d’n-spaces, c’est considérer ensemble les relations physiques et digitales, en proposant des systèmes architecturaux liés pour amplifier et élargir le champ des échanges et des sensations, tout en augmentant la flexibilité et la diversité des atmosphères donc la résilience de nos lieux, territoires, de nos villes et de nos vies.»1 Ce concept de «n-spaces» implique de revoir les règles qui contrôlent la construction des logements. Il appuie le fait qu’un logement n’est pas un tissu de nombre : nombre de pièces, nombre de mètres carrés, nombre d’ouvertures... le logement est davantage un lieu de relation et d’humanité. Selon lui, le logement doit se convertir à l’ère du virtuel et de l’information. Ce ne sont plus les Hommes qui se déplacent dans l’espace, c’est l’espace qui se déplace vers les Hommes. Ainsi, nos logements doivent évoluer, comme ils l’ont fait à chaque changement majeur de paradigme. Cette révolution souligne une prise de conscience prise depuis plusieurs années, seulement accentuée par la crise sanitaire. Depuis le début du siècle, l’architecture s’est recentrée sur une nouvelle approche, plus consciente des enjeux qui vont contraindre notre développement si aucune réponse viable ne leur est apportée. L’écologie, premièrement, est devenue un pôle névralgique de la construction, l’économie ensuite, avec les disparités qui se creusent entre les classes, la politique, avec les migrations des populations, ou enfin, la santé, avec les évolutions de nos modes de vie qui entraînent obésité et maladies. Cependant, tous ces points d’interrogation qui entourent l’architecture sont souvent résolus par des réponses anecdotiques : l’écologie devient «green-washing», l’économie devient HLM standardisés, la politique multiplie les camps de réinsertion inefficaces et la santé se mue en surabondance d’équipements sportifs inadéquats.

1. Cassar Eric, COVID-19, Architecture et résilience à l’ère des n-spaces.

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«Les besoins physiologiques humains sont simples : être au chaud, manger et boire en quantités suffisantes. Étendons cela à nos besoins psychologiques : être en sécurité et désiré. La réussite de l’espèce tient à sa capacité de changement. Bien que nous puissions nous accommoder de toutes sortes de privations, une part de notre réussite est liée à notre besoin intrinsèque de changement et d’amélioration.» 1 Avec ces lignes, Robert Kronenburg décrit le comportement primaire de l’espèce humaine quand il s’agit de subvenir à ses besoins. Or, tous ces besoins convergent vers un même théâtre d’opérations : l’habitat. C’est donc au sein de son habitat que se jouent toutes les composantes majeures de la vie d’un être humain. Il endosse alors le rôle de lieu le plus important de son existence qui doit, de ce fait, subir une attention particulière quant à sa mise en place. Comme l’auteur le dit, un Homme peut subsister en se privant de certaines choses. Cependant, la crise sanitaire a forcé les humains à se priver d’un paramètre qui conditionnait leur mode de vie depuis l’invention des premiers langages : les interactions sociales. En effet, confinés dans leurs domiciles, les êtres humains ne pouvaient plus entretenir leurs relations avec les autres et développer des échanges. Cette disette sociale a rendu la vie de certains impossible, ce qui a encouragé l'apparition de nouveaux systèmes de communication, tels les réseaux sociaux, les logiciels de visio-conférence et les jeux-vidéos. Toutes ces nouvelles formes de sociabilisation changent la manière d’appréhender le logement. Ce dernier doit davantage permettre à cet environnement numérique de se mettre en place. Le constat qui se dégage est celui de l’incapacité de nos lieux de vies à encaisser de telles refontes des espaces de sociabilisation et d’activités telles le travail ou le loisir. L’architecture doit donc apprendre de ce cataclysme et en tirer les leçons qui conviennent, en déterminant des espaces plus résilients aux catastrophes sociales, à l’image des architectures face aux aléas climatiques. Une réponse adéquate à ce type de problèmes, que je vais dépeindre dans ce mémoire, est l’architecture flexible des logements. Celle-ci se caractérise par une grande liberté dans l’appropriation et une incitation au mouvement, aussi bien du logement en luimême que de ses habitants. Pour décrire les points de vue et les champs d’exploration de cette architecture, je vais me poser une question : < Dans quelles mesures l’architecture flexible permet-elle de répondre aux enjeux contemporains et d’anticiper les problématiques futures du logement ? > En intégrant les notions de cette thématique constructive, nous aborderons ses caractéristiques temporelles, spatiales et humaines. Tout d’abord, j’établirai le contexte et les événements qui ont amené à cette réflexion des modes de conception, puis j’étudierai les travaux de plusieurs concepteurs travaillant déjà sur ces nouvelles perspectives d’habitat, et, enfin, je développerai un avis critique en proposant une interprétation de l’évolution de la discipline dans le futur.

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1. Robert Kronenburg, Flexible : une architecture en réponse au changement. 2. Maryse Quinton, Habiter autrement.


«L’ARCHITECTURE EST SUPPOSÉE NOUS LIBÉRER ET NON DICTER DES MODES DE VIE DE FAÇON PÉREMPTOIRE. IL Y A MILLE FAÇONS DE FAIRE. IL EST URGENT DE DÉCONSTRUIRE NOS IDÉES REÇUES.» MARYSE QUINTON

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PARTIE 1 :

HABITAT FLEXIBLE ET ARCHITECTURE

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L’Homme, à l’image de ses autres cousins mammifères qui peuplent cette Terre, est un animal flexible : il s’adapte à son milieu. Au cours des millénaires qui constituent son existence, il n’a cessé d’évoluer pour se hisser en haut de la chaîne alimentaire et affirmer sa supériorité sur le règne animal. Depuis sa position dominante, il a accompli des prouesses inimaginables pour tout autre être vivant sur la planète. Au fil de ces accomplissements, son mode de vie a changé et l’impact de ses actions sur son environnement s’est précisé, lui permettant de modeler à sa guise le terrain de jeu sur lequel il s’est développé.1 Cette première partie vise à comprendre comment l’être humain est parvenu à ce niveau de sophistication de ses lieux de vie, et par quels bouleversements il a pu forger son propre paradigme, au-delà de son instinct naturel. Nous verrons d’abord les variations passées, leurs origines et conséquences sur l’architecture domestique, puis, les différences induites par les disparités géographiques. Nous finirons par nous intéresser au rôle de l’économie et la politique sur les habitants et leurs foyers, ainsi que sur la définition des termes qui régissent le sujet aujourd’hui et permettent de comprendre les enjeux qu’il soulève.

1. Yuval Noah Harari, Sapiens : une brève histoire de l’humanité.

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«LES HUMAINS SONT DES CRÉATURES FLEXIBLES. NOUS BOUGEONS À NOTRE GRÉ, [...]AGISSONS DANS DES ENVIRONNEMENTS TRÈS VARIÉS. IL ÉTAIT UN TEMPS OÙ NOTRE EXISTENCE DÉPENDAIT DE NOTRE CAPACITÉ D’ADAPTABILITÉ.»1 ROBERT KRONENBURG

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1.1 LA FLEXIBILITÉ DANS L’HISTOIRE 1.1.1 Nomadisme, Semi-nomadisme et sédentarisation Alors que l’être humain n’était encore qu’un primate, les premières communautés se sont formées et, avec elles, les premiers comportements sociétaux sont apparus. A l’instar des premières grandes inventions technologiques comme la domestication du feu ou l’outillage2 , le confort de ces communautés s’est également réinventé. D’abord radicalement nomade, l’animal qui deviendra Homme quelques millénaires plus tard, se déplace au rythme des troupeaux, variations climatiques ou présence de prédateurs. Ce mode de vie des plus souple implique un mode constructif, lui aussi, purement flexible3. Ainsi, les premières traces d’habitations à proprement parler, sont datées de l’époque de l’Homo Erectus, 400 millénaires avant notre ère. Elles font état d’une organisation en tribus, pouvant regrouper 500 individus, qui, de par leur nombre, furent forcés à quitter les abris géographiques qu’ils habitaient. Le site de Terra Amata, dans la région de Nice, fait état de ce choix de regagner la surface pour y vivre sous de nouvelles structures. Ici, ces structures d’environ 50m², sont au nombre de vingt-et-une et reproduisent toutes le même concept : une organisation circulaire. Le cercle, seule forme géométrique naturellement présente sur Terre, incite les Homo Erectus a développer une vie en communauté et à tisser des liens. C’est également une forme sans début ni fin, sans point faible pour créer une égalité entre ses habitants et se défendre face aux dangers environnants. La flexibilité de ces campements s’exprime par le partage de ces espaces et la simplicité de l’appropriation induite par cette morphologie. D’abord composés de matériaux bruts, ossements, bois, peaux... les logements anthropiques ont progressé avec l’élan de l’espèce elle-même. Homo Erectus laissant sa place à Homo Sapiens, les abris rudimentaires ont laissé leur place à des cabanes plus développées. L’Homo Sapiens, ou Homme Intelligent, s’est distingué de ses congénères par sa capacité à fabriquer des outils efficaces. Grâce à ceux-ci, ils ont maximisé leurs chances de survie et ont pu se reproduire en un nombre d’individus plus conséquent. Toujours dépendantes des migrations des troupeaux, les tribus se déplaçaient cependant en plus grand nombre, limitant leurs capacités à se mouvoir rapidement. Ainsi, comme le témoigne le site d’Arcy-sur-Cure, bâti il y a 50 000 ans, les tribus développèrent un mode de vie semi-nomade, avec des constructions plus durables et résilientes. Les ruines décrivent des bâtisses «en dur», composées avec des pierres, taillées grossièrement pour la plupart4. Ce développement technique chronophage encouragea les populations à s’attarder davantage sur leurs lieux de vie.

1. Robert Kronenburg, Flexible : une architecture en réponse au changement. 2. Yuval Noah Harari, Sapiens : une brève histoire de l’humanité. 3. Robert Kronenburg, Flexible : une architecture en réponse au changement. 4. Pascal Depaepe, La France du Paléolithique.

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L’augmentation de la durée des séjours sur leurs lieux de vie, a encouragé les humains à développer de nouveaux moyens de se nourrir, en s’affranchissant des migrations animales. Alors, après la domestication du feu, une autre invention majeure a drastiquement changé le mode de vie des Homo Sapiens : la culture du blé. Le blé, et les autres céréales, adoucirent nettement les conditions de vie des êtres humains qui, dès lors, n’avaient plus besoin que d’un point d’eau et une terre cultivable pour garantir leurs besoins vitaux. Les premières tribus qui se regroupèrent pour former des villages apparurent en Mésopotamie, sur les rives du Tigre et de l’Euphrate, et développèrent un mode de vie sédentaire1. Cette sédentarisation s’accompagna d’un changement profond de paradigme. Avec l’aide de l’apparition de la roue et des routes qui facilitèrent transport et commerce. L’organisation égalitaire et circulaire se métamorphosa en société hiérarchisée et structurée, matérialisée par des constructions angulaires et carrées. Le carré, symbolisant davantage la stabilité, l’ordre et la virilité, encouragea les comportements séparatistes et patriarcales, toujours d’actualité aujourd’hui. Du point de vue de l’habitat, les premiers exemples de cette vision rectangulaire proviennent de l’Antiquité grecque, mère de la démocratie et des Arts. Au cœur des cités, espaces urbains extrèmement politiques, des habitats eux aussi politiques se répandirent : les Oikos. L’Oikos (fig. 2) suit une organisation simple avec un lien fort entre intérieur et extérieur. De ce fait, l’espace central de la maison, la cour, est un espace extérieur, occupé par toutes les castes vivant dans l’habitation et desservant tous les autres espaces. Elle est même reliée à la rue, espace d’expression des Grecs, de commerce et de politique, grâce à l’Andron, une pièce à la fonction adaptable : commerce le jour, salle de réception le soir et chambre la nuit2. Presque un millénaire plus tard, sur les terres florissantes de l’empire romain, un nouveau mode d’habiter se répand. Instigué par l’abondance de blé et la Pax Romana, mais aussi inspiré par les Hautes maisons que l’on retrouve à Carthage, rival ancestral de l’empire latin, des habitats verticaux commencent à voir le jour. Les insulae, premiers immeubles connus, à l’image de l’insula de Diane (fig. 3), sur le port d’Ostie, pouvaient faire jusqu’à 7 étages et regrouper une cinquantaine de logements. En transition avec le mode de vie grec, on retrouve ici une dualité marquée entre intérieur et extérieur, avec des logements qui se développent quasi-exclusivement audedans, à l’exception de certains, plus confortables, disposant de balcons. Dans les ruines et vestiges retrouvés, on remarque les prémices de la modularité des appartements, tous similaires, qui s’imbriquent astucieusement entre eux. Plus précaires que les Oikos, ils sont composés d’une grande pièce où toutes les fonctions se mélangent, surplombée par une mezzanine, seul degré de liberté laissé aux usagers pour séparer leurs espaces de vie3. Cependant, les Romains conservent un certain individualisme en se passant de tout espace commun avec des entrées séparées pour tous les logements.

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1. Yuval Noah Harari, Sapiens : une brève histoire de l’humanité. 2. Pomadère Bourgois, La forme de la maison dans l’antiquité. 3. Alberto Angela, Une journée dans la Rome antique.


SALON

CUISINE

BAIN

COUR

ATELIER

ENTRÉE

ANDRON

fig. 2 : Plan schématique d’un Oikos Grec.

fig. 3 : Reconstitution maquette d’une insula romaine. ©Bjankuloski06

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1.1.2 Impact des avancées technologiques sur l’Habiter Après la chute de l’Empire Romain d’Occident, en 476 après J.C., les cultures barbares, latines et anciennement occupées se mélangèrent, créant un foyer de mixité culturelle sans égal. Cette fusion de modes de pensée tous différents, influencés par des coutumes, des positions géographiques ou des religions différentes, força les populations à mettre en commun leurs connaissances pour le bien de la société et pour concevoir leurs logements Pendant le Haut Moyen-Âge (476-1000 ap. J.C.), les inventions s’orientèrent essentiellement vers la guerre et l’agriculture. Alors que d’un côté une société de servage commençait à se mettre en place, de l’autre un retranchement toujours plus avancé, protégeant les puissants derrière de hautes murailles pour prévenir de toute invasion lors de ces siècles bellicistes. Ce paradigme encouragea les Hommes à imaginer de nouveaux modes constructifs, foncièrement flexibles pour avantager les mouvements de populations face aux invasions intempestives. De ce fait, des habitats modulaires d’un genre nouveau essaimèrent dans toute l’Europe féodale. Constitués d’un niveau bas de commerce et d’entrée puis chapeautés par un nouveau niveau de même dimension, ou en légère saillie. Pouvant se répéter verticalement sur 2 ou 3 niveaux, ces bâtiments permettaient d’économiser l’espace au sol et de rapprocher les constructions des murailles1. Souvent construites à colombages (fig. 4), ces maisons à structure bois imprimaient leur caractère flexible sur la ville en conformisant les rues et les habitations selon le même mode de vie, semblable à celui des insulae romaines. Loin du vieux continent, les peuples d’Amérique centrale comme les Aztèques imaginèrent une conception domestique opposée. Au lieu de protéger les puissants et pousser la population à s’entasser dans des bâtisses closes, ils conçurent des micro-lotissements, composés de quelques maisons qui partageaient leurs espaces extérieurs. Ainsi, potagers et cuisines étaient mis en commun, tout en gardant une intimité notoire dans les espaces privés. Chacun de ses lotissements se défendait de lui-même, entouré d’une enceinte plus ou moins modeste, laissant également la liberté aux occupants d’aménager l’espace délimité à leur guise. Pendant ce temps, de l’autre côté du Pacifique, le Japon observait un développement tout autre. Dans une société féodale stricte, perpétuellement bouleversée par les cataclysmes naturels que subit l’archipel et l'instabilité politique, l’architecture a, très tôt, pris une place prépondérante dans la vie de la population. Influencés par Confucius, le Bouddhisme et par les limites de la vie insulaire, notamment vis-à-vis des ressources disponibles, les Japonais ont développé une philosophie flexible et vernaculaire radicale. Les habitats Japonais étaient alors construits en bois avec des structures légères et des espaces fluides, séparés par des cloisons de papier. Ces «châteaux de cartes» ne sont guère résistants aux séismes, mais c’est de là qu’ils tirent leur force. En effet, la légèreté absolue de ces structures favorise la reconstruction rapide de celles-ci, à l’image du temple d’Ise Jingu (fig. 5), détruit et reconstruit tous les 20 ans, loin de la sacralisation des pierres occidentale.

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1. François Gentilli, Archéologie d’un village du Moyen Âge à la période moderne : L’exemple de Villiers-le-Bel.


fig. 4 : Maison à colombage classique de l’époque médiévale. ©Johan Moison

fig. 5 : Vue du temple d’Ise Jingu au Japon. ©Manuela Zante

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fig. 6 : Relation intérieure-extérieure établie par les shōji. ©Hamada Tomonori

fig. 7 : Shōji en façade d’une pièce à tatami de la maison impériale Shugakuin. ©Liwei

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D’un point de vue plus domestique, l’architecture japonaise se place, dès la fin de l’ère médiévale, en tête de file de la conception et surtout de l’appréhension flexible des espaces. Dès lors, chaque logement, qu’il soit celui d’un riche marchand, d’un guerrier respecté ou d’un pêcheur modeste, comporte au moins une pièce où l’espace, scrupuleusement découpé selon l’unité nipponne du tatami, n’abrite aucune fonction prédéfinie. Cette partie additionelle du bâtiment suit les rythmes de vie de ses occupants, notamment grâce à un mobilier très adaptable et minimaliste. Comme décrit par Robert Kronenburg, «Vivre dans une telle maison demande un engagement bien plus significatif que de simplement tourner un commutateur électrique ou ouvrir une fenêtre. Il s’agit de réaménager son environnement selon son humeur et les circonstances, que l’on ait besoin d’un espace vide pour la solitude et le repos, ou d’objets destinés à recevoir confortablement des visiteurs.».1 Plus proche d’un mode de vie nomade et fluide, cette propension des habitants de l’archipel à établir leurs logements en faisant fi de la hiérarchisation des espaces, encouragea un développement de leur civilisation entière vers des enjeux plus spirituels et en considération du mouvement et de leur environnement. Il permit un soin méticuleux de l’écosystème qui fût la source d’une architecture vernaculaire, encore difficilement copiée de nos jours. On retrouve également cette vision naturelle dans la relation intime entre intérieur et extérieur des habitats japonais où la flexibilité s’exprime également par des ouvertures fluides en façade. A l’extrême inverse de la conception européenne, qui ne laisse que des traces de légère modularité, les espaces inventés par les concepteurs nippons font preuve d’une flexibilité quasi-totale. Celle-ci s'organise plus aisément grâce, notamment, aux shōji, ces portes de bambou et de papier à la finesse inégalable. Symbole de la flexibilité du mobilier, elles permettent à la fois d’ouvrir tous les espaces d’un point de vue traversant, mais aussi de moduler l’apport lumineux et les ombres. Celles-ci prenant une place importante chez les Japonais comme expliqué par Jun'ichiro Tanizaki dans l’Éloge de l’ombre : « La beauté d’une pièce d’habitation japonaise, produite uniquement par un jeu sur le degré d’opacité de l’ombre se passe de tout accessoire.»2 On retrouve, dans le manifeste flexible conservé en plein cœur de Kyoto, la Maison Sugimoto (fig. 6), toutes ces caractéristiques de l’évolutivité constante des espaces, à la fois verticale et horizontale. Mais aussi dans les habitations plus aisées de l’empereur telle la maison impériale Shugakuin (fig. 7), montrant encore cette uniformité entre toutes les régions et classes sociales du pays. La maison traditionnelle japonaise se résume donc en 2 plans fixes, le sol et le toit, porté par piliers et pilotis pour établir, entre, un espace complètement appropriable. Alors que chacune de ces visions se développait, dans des contrées différentes, un siècle remit en cause toutes ces disparités. Amorcé en 1492 par la découverte majeure de l’Amérique par Christophe Colomb, qui avait pris la suite des aventures de Marco Polo en Asie, le XVIe siècle ébranla totalement l'équilibre géopolitique établi.

1. Robert Kronenburg, Flexible : une architecture en réponse au changement. 2. Jun'ichirô Tanizaki, Éloge de l’ombre.

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«DÈS LE XIIE SIÈCLE L’ARCHITECTURE JAPONAISE AVAIT CETTE SOUPLESSE [...] SI ELLE A TRAVERSÉ L’HISTOIRE C’EST SANS DOUTE QU’ELLE N’A JAMAIS CESSÉ D’ÊTRE L’EXPRESSION DES BESOINS [...] DES JAPONAIS.»1 R. & D. FICHELET

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Encore une fois motivées par un mélange de cultures et de civilisations, les manières de penser l’architecture ont vécu une réorientation, s’éloignant de la religion pour revenir aux principes mathématiques de l’Antiquité. Ainsi, la géométrie et l’art des proportions ont repris une place prépondérante au regard de la construction des édifices de la Renaissance. De cette relation arithmétique, comme on l’a vu à l’ère antique ou au Japon médiéval, naît une forte prédisposition à la flexibilité, et notamment dans son aspect modulaire. Ainsi, les façades systémiques de Bramante, Palladio et les autres, encouragèrent une certaine uniformité des espaces, également possible grâce à la composition en enfilade des appartements, du moins pour les personnalités aisées de l’Europe des XV et XVIe siècles. Le fil conducteur technologique de l’humanité et de l’architecture forme une nouvelle boucle quelques siècles plus tard qui bouleverse de nouveau les modes de vie, de pensée et d’habiter : la maîtrise de l’électricité. Théorisée en 1800 par Volta et sa pile, c’est à la fin du XIXe siècle que, via Thomas Edison, les foyers et lieux de travail de la majorité des contrées occidentales furent équipées d’ampoules permettant un éclairage continu et stable. Si certaines typologies ont pu s’adapter pour bénéficier de ce nouvel éclairage artificiel sans altérer leur structure, comme en Asie ou en Afrique du Nord, cet apport inédit au confort des logements a forcé les concepteurs à réinventer les codes. C’est le cas des Européens et, par extensions, de leurs colonies de l’époque, qui développèrent les prémices des habitations occidentales actuelles. Facilités donc par la puissance lumineuse décuplée des ampoules, les espaces de vie occidentaux ont vu leurs dimensions sensiblement augmenter, favorisant les aménagements plus flexibles, et même, l’invention de nouveaux systèmes d’organisation intérieurs et extérieurs. En France, et surtout à Paris, cette transition est marquée de l’empreinte de Georges Eugène Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870 sous le Second Empire de Napoléon III. Il entreprend les plus grands travaux urbanistiques connus dans la capitale. Cette grande entreprise se développe donc en parallèle des progrès scientifiques et technologiques d’Edison et des autres, intégrant donc ces nouvelles dispositions dans la conception des logements. D’un point de vue global, la politique mise en place par Haussmann n’est pas fondée sur la flexibilité ou la mutabilité des espaces. Les découpages du centre historique parisien poussés par les doctrines Hygiénistes et l’essor de la Révolution industrielle ont une ambition pragmatique d’optimisation de la vie urbaine. Que ce soit les transports, la salubrité ou le contrôle des émeutes, sur l’exemple de la refonte de Londres en 1666, de grandes axes urbains sont tracés : les Grands Boulevards. Ceux-ci taillent la ville de part en part, détruisant certains monuments pour en mettre d’autres en valeur, une mise en valeur appuyée également par l’uniformité rigoureuse des façades de tous les immeubles qui borderont ces avenues et qui seront, eux, empreints d’une flexibilité notable.

1. Raymond et Dominique Fichelet, Le logement évolutif.

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Derrière ces façades systémiques très tramées, se développent les appartements des deux tiers du paysage parisien, qui ont développé un style très caractéristique et, à contre-pied des espaces publics, une fluidité apparente. Comme souvent, l’architecture de ces immeubles s’inspire d’autres édifices, de l’insula romaine à la maison japonaise, en passant par la façade italienne du Quattrocento, l’immeuble Haussmannien rassemble des conceptions diverses et variées pour forger la sienne. La façade, premier élément symbolique, adopte un profil similaire à celui de la Renaissance, très symétrique (fig. 8). Défini par un rez-de-chaussée simple, aménagé pour le commerce, puis chapeauté par des niveaux standardisés avec une hauteur sous plafond confortable et des balcons qui rythment et apportent une relation avec le dehors. Haussmann limite la hauteur des immeubles à 6 étages pour aplatir la ligne d’horizon et libérer le ciel aux seuls monuments notables. Pour limiter la consommation de l’électricité, rare jusqu’alors, la façade comporte autant de pleins que de vides, permettant un apport de lumière naturelle dans presque toutes les pièces.1 A l’intérieur, les appartements se développent de part et d’autre des façades pour créer des espaces traversants ou à orientations multiples, grâce à l’épaisseur faible des îlots. Ainsi, les habitants peuvent adapter leurs organisations intérieures selon plusieurs orientations solaires et déterminer plusieurs conforts lumineux. Adapter son habitat, c’est aussi pouvoir le réhabiliter à sa manière. Contrairement aux façades rigides, les intérieurs, par leur hauteur sous plafond significative, pouvant atteindre 3m20 (fig. 9), permettent de développer des demi-niveaux et des mezzanines pour séparer les espaces comme le faisaient les Romains dans les insulae. La structure des bâtiments s’organise en façade essentiellement, ce qui laisse un grand nombre de cloisons légères à l’intérieur des appartements pour moduler les organisations intérieures. A l’image des shōji japonais, les espaces sont séparés par des portes larges qui, une fois ouvertes permettent d’appréhender une transparence entre plusieurs pièces pour en mutualiser certaines à la convenance des usagers (fig. 9). En outre, l’appartement Haussmannien introduit un nouvel élément dans la culture constructive occidentale : la circulation horizontale, le couloir. Plus économique en espace que la distribution en enfilade, il permet de davantage isoler les espaces et de concentrer les flux pour libérer toutes les autres pièces du logement à d’autres usages indéfinis et libres, avec des cheminées dans chaque espace pour un apport thermique partout dans l’habitat. Aujourd’hui, on redécouvre la proportion flexible de cette architecture parisienne emblématique avec l’invention de nouveaux dispositifs structurels et climatiques notamment. Mais, via l’exode rural massif entamé dès le début du XXe siècle et la multiplication de la population mondiale, celle-ci va vite être remplacée par une nouvelle typologie de logement de masse.

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1. Anastasya Cornu, Architecture réversible.


fig. 8 : Axonométrie d’un immeuble Haussmannien type. ©Undo Redo

fig. 9 : Intérieur d’un appartement Haussmannien. ©Ré-Novateurs

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1.1.3 Le XXe siècle, thèse et antithèse de la conception flexible Dans le même élan que le siècle précédent, le XXe siècle débute dans une course toujours plus effrénée à l’efficacité et à la richesse. La Révolution industrielle continue de gangréner le monde et d’appauvrir les campagnes. Cet appauvrissement rural entraîne un fuite des populations rurales vers les aires urbaines qui, couplée avec la Première Guerre mondiale, un des événements les plus meurtriers de l’histoire humaine, va faire exploser la demande en logements. C’est dans ce contexte que le métier d’architecte et son influence politique et économique vont s’affirmer. Portée par cette situation économique particulièrement fragile et par l’avènement de la construction «en dur», cette transition va voir se développer une nouvelle forme de conception d’habitats de masse. Un habitat de masse qui va entraîner une densité urbaine importante et imposer de nouvelles façons de penser la ville et ses connexions. Ainsi, alors que les villes s’étendent inlassablement, un congrès d’architectes présidé par Le Corbusier va rédiger la Charte d’Athènes, en 1933, qui va mettre en place une doctrine urbanistique rigide et obtus. Les logements en eux-mêmes se radicalisent également. Pour faire face à cette demande exponentielle, les architectes et maîtres d’ouvrages réglementent leur discipline, inventant PLU, typologies et autres modèles qui régissent encore le monde de la construction actuel (T1, T2, T3 et autres par exemple). C’est cette philosophie très dirigée qui va mener à la diffusion de logements génériques, que Le Corbusier définira comme des «machines à habiter». Une ère de standardisation se met alors en place et s’affirme encore davantage après le cataclysme de la Seconde Guerre mondiale et l’enracinement de l’idéologie capitaliste. Aux Etats-Unis, pères de cette société de consommation, les architectes imaginent un nouveau système de logement reproductible : Les Case Study Houses. Ces habitats fonctionnels destinés aux individus «type» du nouvel ordre mondial d’après-guerre, ont pour but d’être le moins cher et le plus facilement construits possible, le tout en intégrant des espaces standardisés pouvant abriter les familles américaines et leurs consommables ménagers toujours plus nombreux. Cependant, la deuxième moitié du siècle des Modernes va voir l’apparition de nouvelles techniques, notamment structurelles, qui se rapprochent des idéologies japonaises, flexibles et souples de l’architecture. Les structures poteaux-poutres vont se répandre, plus techniques, mais plus facilement usinables en amont de leur montage pour optimiser les temps de construction. C’est aussi l’avènement des structures démontables, avec les travaux de Jean Prouvé notamment, d’où découlèrent les premiers murs-rideaux et autres systèmes constructifs. Ce sont ces avancées qui vont permettre à certains usagers ou concepteurs de développer des environnements flexibles au cœur de ces machines à habiter.1

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1. Exposition L’empreinte d’un habitat, Pavillon de l’Arsenal. 2. Eleb Monique, L’habitat d’aujourd’hui et de demain : flexible, adaptable, réversible ?


AINSI, LES CONSTRUCTEURS DES GRANDS ENSEMBLES BÂTISSAIENT POUR CE QU’ILS CROYAIENT ÊTRE LA FAMILLE MODERNE [...] AVEC SOUVENT : UN ESPACE DÉFINI, FIGÉ, EN PRÉVISION DE CERTAINS GESTES.»2 M. ELEB

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fig. 10 : Dessin du prototype de la maison Dom-Ino. ©Le Corbusier

fig. 11 : Composition ouverte des parois coulissantes de la maison Schröder. ©Jean-Christophe Camuset

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Les pilotis, le plan libre, le toit-terrasse, la fenêtre en bandeau et la façade libre. Tels sont les cinq points de l’architecture établis publiquement par Le Corbusier en 1927. Une réglementation stricte mais simple qui guida l’architecture mondiale pendant près d’un siècle. Cependant, Charles-Edouard Jeanneret, lui-même, inventa le prototype d’une maison d’un genre inédit quelques années plus tôt : la maison Dom-Ino (fig. 10). Reprenant tous les principes précédemment cités, hormis les fenêtres en bandeau, elle offre cependant, par sa rigueur, une liberté d'aménagement imbattable. Ce projet, modèle de flexibilité et de réversibilité, va à l’encontre de certains principes du modernisme, notamment la volonté d’affirmer le rôle de l’architecte. Ici, l’architecture n’est que le support de la créativité de ses habitants. «La maison ne sera plus cette chose épaisse et qui prétend défier les siècles.»1 trois planchers, six poteaux et une circulation verticale sont les seuls points fixes de ce système constructif, bâti avec le matériau innovant du moment, le béton armé. Outre le principe structurel simple, économique et rapide à mettre en place, la Maison Dom-Ino reste le premier type d’habitat suivant un plan libre, innovation majeure de la conception flexible. En effet, le plan libre, libre donc de tout mur porteur permet à l’architecte d’adapter les dimensions et interconnexions des espaces selon les usagers et leurs désirs, sans pour autant changer de mode constructif. L’habitant peut donc s’affranchir des limites mêmes du bâtiment, pour jouir de possibilités d’extensions, d’évolutions et d’adaptations de la façade, elle aussi libre, accrochée sur la structure porteuse et non partie intégrante de celle-ci. Suite à ces premières expériences d’un nouveau type d’habitat, Le Corbusier a poursuivi sa quête d’un logement plus moderne avec la villa Savoye notamment, beaucoup plus décriée car bien plus rigide dans son organisation interne et externe. Mais, d’autres architectes contemporain du français ont réinterprété, dans le sens de la flexibilité, les potentialités du plan libre. C’est le cas de Rietveld et sa célèbre maison Schröder (fig. 11) en 1924. Encore une fois, certains éléments demeurent fixes, ici les pièces d’eau et l’escalier, mais l’intégralité des autres cloisons de l’habitat sont mobiles. Ainsi, M. Schröder avait le loisir de vivre dans un espace cloisonné ou complètement ouvert. Ce système exploite aussi la nuance avec des espaces qui peuvent se fermer, s’ouvrir et s'entrouvrir à la volonté de celui qui les occupe. C’est la première réelle expérimentation d’une évolutivité quotidienne et d’une souplesse domestique réelle. A l’image des Japonais ou des peuples nomades, le lieu de vie change du jour au lendemain, offrant une véritable dimension sociale à une maison individuelle de taille modeste. Ces deux projets d’entre deux guerres seront les vrais précurseurs d’un certain nombre d’architectures domestiques tournées vers l’appropriation de l’habitant, faisant face aux architectures plus brutalistes et normées qui deviendront générique partout sur le globe.

1. Le Corbusier, Vers une architecture.

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Dans les décennies qui suivirent, et surtout au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les architectes redoublèrent d’inventivité pour reconstruire les zones dévastées. C’est dans ce contexte que se construisirent des projets de plus grande ampleur, à l’échelle de quartiers ou de lotissements entiers, afin d’urbaniser le plus vite possibles les agglomérations occidentales. Le Corbusier fut encore une fois un acteur de cette refonte des villes et proposa un nouveau type de zonage urbain : le plan Voisin. Celui-ci, qualifié d’urbanisme totalitaire1, fut cantonné à l’état d’esquisse. Refusant la mixité pour embrasser un paradigme «fonctionnel» en séparant chaque sphère d’activité, cette nouvelle ville pensée pour la voiture visait à enfermer les êtres humains dans les fameuses «machines à habiter» entourés de machines à se déplacer. Au-delà de cette extrême rigueur, d’autres architectes conçurent des projets moins ambitieux et davantage à l’échelle de ceux qui allaient les habiter. Rogers, d’abord, imagina, à l’instar de Jean Prouvé, une maison démontable et remontable aisément (fig. 12), mais surtout configurable grâce à sa structure en portique plus rare dans les années 60. Cette maison, construite pour les parents de l’architecte, ne tarda pas à être reproduite dans de petits lotissements. Cette multiplication, encore une fois, était facilitée par le plan libre, plus aisément appropriable par chacun, mais aussi grâce aux évolutions rendues possibles par la structure en filière sèche. En effet, il était possible d’agrandir, déplacer ou dupliquer certains portiques pour modifier l’espace intérieur et extérieur. De plus, la Zip-Up house répondait également aux problématiques thermiques et géographiques puisqu’elle intégrait une autre facette du modernisme : un plancher bas sur pilotis. Dans le même esprit, un autre système, imaginé à ses débuts par Renzo Piano, pris le parti de l’évolutivité des espaces. Dans un lotissement en périphérie de la ville de Perugia, l’italien conçut un projet différent des standards édifiés de la famille moderne d’après-guerre. Ces maisons modulaires (fig. 13), à la forme cubique simple présentaient une mutabilité impressionnante ; leurs façades, entièrement vitrées pouvaient se déplacer pour agrandir l’espace de vie intérieur et réduire celui extérieur. En intérieur, les habitations du projet Il Rigo utilisaient leur structure en acier pour permettre aux usagers de les recouvrir de planchers ou non et, ainsi, créer des doubles hauteurs, mezzanines ou étages complets. Ces maisons, par leur simplicité et leur modularité, furent l’un des premiers exemples de construction «en blocs», pouvant se dupliquer, se juxtaposer et se superposer pour créer de véritables immeubles ou ensembles mitoyens. En dehors de ces créations en milieu péri-urbain, d’autres édifices se répandirent dans toutes les grandes villes lors de cette même époque : les immeubles. Ceux-ci furent les premiers témoins des dérives du modernisme et de la généralisation de cette architecture parfois trop conforme et liberticide. Mais certains de ces logements collectifs brisèrent certaines généralités en proposant de nouvelles manières d’habiter moins conformistes.

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1. Marcel Robert, L’urbanisme totalitaire de Le Corbusier.


fig. 12 : Croquis de la Zip-Up house. ©Richard Rogers

fig. 13 : Axonométrie du projet urbain Il rigo et sa modularité. ©Renzo Piano

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fig. 14 : Vue extérieure de la résidence Les Marelles. ©Bernard Kohn

fig. 15-16 : Façade paysagère de la cité de Montereau-Surville et plan d’étage courant. ©Bernard Schoeller

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Après la fin de la guerre la plus meurtrière et destructrice de l’histoire de l’humanité, certains pays sont sortis plus dévastés que d’autres. C’est le cas de la France, où le «Plan Construction», entreprise de densification du paysage urbain sans précédent à l’échelle du pays, engendra le paradigme des Grands Ensembles et fera fleurir les tours et les barres. Pendant les trente glorieuses, les techniques de construction et les matériaux innovants, permirent de multiplier les immeubles de logements collectifs suivant, pour la plupart, la même typologie. Cependant, selon ses travaux préalables, Le Corbusier apporta une nouvelle vision et un sens au travail de l’architecte. La cité Radieuse, remettant le duplex au goût du jour en appliquant un système d’imbriquement astucieux et spatialement économe, fut l’une des premières expérimentations innovantes d’après-guerre. Construite en 1952 à Marseille, et quelques années plus tard à Rezé, près de Nantes, la barre met en place plus de 300 appartements suivant le fameux plan libre de son géniteur. Cette dimension offrait une certaine liberté d’aménagement aux occupants et une souplesse plus importante des intérieurs. Souplesse remise en question cependant par le système à niveaux et demi-niveaux, impliquant un aménagement particulier. «La liberté par l’ordre, c’est précisément en mettant chaque chose à sa place. Si vous groupez les 350 maisons les unes sur les autres d’une manière savante et bien ordonnée, vous arrivez à briser toutes les distances et à permettre la réalisation des fonctions qui constituent la vie domestique. Les seules séparations entre les gens sont les étages différents.»1 une théorie de la liberté par «l’ordre», que l’on retrouve interprétée différemment les années qui suivirent. Pendant la seconde moitié du siècle, les architectes français conçurent de nouvelles typologies innovantes prenant appui sur cette notion d’ordre et de liberté, en apportant une flexibilité plus soutenue. On peut nommer le projet de la Grand Mare, par Marcel Lods en 1969, où l’ordre établi par la structure et surtout les planchers techniques, permettait aux habitants d’organiser leurs logements selon leurs souhaits, des chambres aux pièces d’eau. Dans la même perspective, le projet des Marelles (fig. 14), 4 ans plus tard, inventa un module poteaux-poutres en béton dans lequel les commodités techniques étaient nichées dans l’épaisseur importante des poteaux. Ainsi, chaque espace délimité par les 4 poteaux pouvait devenir n’importe quelle pièce de l’habitat et les habitants gardaient la liberté de fusionner les modules dans le même principe que le plan libre. Enfin, dans la même temporalité, en 1971, la tour de Montereau-Surville (fig. 15), dans laquelle la structure en portiques espacés de 90cm permettait une flexibilité différente avec de grands plateaux aménageable à volonté et fusionnables (fig. 16). C’est dans ce contexte, avec ces recherches menées à la fin des 30 glorieuses pour faire évoluer le logement, que s’est construit un nouveau paradigme, en transition des grands ensembles et de l’idéologie moderne.

1. Agnès Cathou et Camille Renard, Le Corbusier sur sa «Cité radieuse» : «soleil, espace, verdure», et liberté.

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fig. 17 : Frise chronologique des évolutions de la conception flexible dans le monde.

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1.2 UNE VISION VARIABLE SELON LES RÉGIONS 1.2.1 L’Orient et ses valeurs Comme l’Histoire nous l’a démontré, les façons de concevoir le logement sont aussi plurielles que les régions de notre monde. L’une d’entre elles s’est démarquée très tôt avec les influences de spiritualités et d’environnement uniques, restée jusqu’alors très peu endommagée par les contacts avec les autres philosophies : l’Asie. Du Moyen-Orient au pays du Soleil Levant, chacune de ces contrées a évolué selon des rythmes et des contraintes géopolitiques différentes de leurs voisins européens, africains et américains. Conservant jusqu’aux techniques de construction ancestrales face aux progrès drastiques des derniers siècles, ces peuples ont conservé un art de la tradition et du respect d’un mode de vie ancré dans les us et coutumes locales. Longtemps isolée du reste du monde, et notamment des occidentaux qui méprisaient ces peuples, l’Asie a développé son propre système de pensée, de la politique à la religion, en passant par la science, créant une doctrine à part, qui a influencé les pratiques de tous les architectes et constructeurs du continent. Gandhi, résuma cette mentalité comme tel : «C’est dans l’effort que l’on trouve la satisfaction et non dans la réussite. Un plein effort est une pleine victoire.»1 plaçant la philosophie asiatique aux antipodes de toutes les autres et de l’idéologie actuelle capitaliste, basée sur la notion de réussite. Comme pour le logement, l’effort est une forme d’investissement et d’aménagement inégalée, comme on peut l’observer encore aujourd’hui avec les dispositifs mis en place dans les logements asiatiques.

fig. 18 : Emprise de l’Asie sur la surface du globe.

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1. Gandhi, Lettres à l’Ashram. 2. Philip Jodidio, Contemporary Japanese Architecture.


«JE CROIS QUE LE PROCESSUS DE CRÉATION EST SEMBLABLE À L’ÉVOLUTION. LE DESIGN QUI SAIT INTÉGRER DE NOUVEAUX CONCEPTS SURVIVRA. LE DESIGN QUI NE CHANGE PAS AVEC LE TEMPS EST APPELÉ À DISPARAÎTRE.»2 MASAKI ENDOH

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fig. 19 : Schéma animé d'une Maison pour Tous. ©Toyo Ito

fig. 20 : Bhunga House indienne, maison traditionnelle du Gujerat. ©Nina Sabnani

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Le continent asiatique, profondément marqué par des climats hostiles et les risques élevés de catastrophes, a développé un art de construction et de réaction face à ces bouleversements. Parsemée de déserts, chaînes de montagnes, mers et autres grandes étendues sauvages, la région orientale et sa géographie ont forcé les populations, paradoxalement extrêmement denses, à établir des dispositifs et méthodes pour contourner cet environnement rude. L’une des réponses à cette problématique fut la flexibilité, tant conceptuelle que structurelle. Incitées par l’abondance proche, les populations se sont souvent tourné vers le bambou, notamment en Asie du Sud-est, matériau connu pour ses propriétés de souplesse et de grande résistance. A l’image du temple d’Ise jingu (fig. 5), la péninsule japonaise, aux confins du monde oriental, a entretenu cette dimension de renaissance. De nos jours, après la multiplication des incidents environnementaux causée par le dérèglement climatique, cette conception architecturale s’est même renforcée pour entretenir une plus forte résilience des constructions. On peut nommer par exemple les projets de reconstruction menés par Toyo Ito après le séisme de 2011, qui entraîna l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima. Ces bâtisses simples appelées «Maisons pour tous» (fig. 19), encouragent les rencontres et la vie en communauté, moyen le plus logique de reloger temporairement les milliers de sinistrés. Construites avec le bois des arbres déracinés par le tsunami, ces habitats d’un genre nouveau se positionnent comme un symbole d’architecture flexible. La portée de ce geste architectural encouragea même les familles à mettre leurs ressources en commun et à partager les espaces et les temporalités de chacun, rendant la vie sociale ellemême flexible. «Une petite maison appelée « Maison pour Tous » ne peut se permettre de construire un lien avec les gens dans les zones touchées par la catastrophe. [...] Grâce à elle, vous pouvez aussi être en mesure de revenir à l’architecture de processus primitive pour le développement.»1 décrivait Toyo Ito à la Biennale de Venise de 2012. Mais ces prises de positions face aux intempéries ne datent pas d’hier et ne proviennent surtout pas que de la péninsule nippone. En Inde par exemple, dans la province de Gujerat, des habitats traditionnels construits en terre et en bambou résistent depuis des générations aux multiples secousses sismiques de la région (fig. 20). Forts de cette expérience, les habitants de ces Bhunga houses conservent leurs modes de vie ancestraux plutôt que de se conformer au paradigme contemporain. En plus de la résilience prouvée de ces structures, les foyers qui y vivent peuvent occuper plusieurs petites Bhungas et organiser l’extérieur comme espaces de circulation et de rencontre. Aujourd’hui, certaines familles se regroupent même pour partager ces constructions invulnérables. Forts d’une expérience millénaire de la construction flexible, les Asiatiques parviennent aujourd’hui à conjuguer leurs savoir-faire avec une réponse aux assauts climatiques et une préhension à la vie en communauté.

1. Toyo Ito, Discours à la Biennale de Venise.

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«LA RECONVERSION DES GRANDS ENSEMBLES EST LA COMPLÉTUDE DU PROJET MODERNE CAR ILS ONT ÉTÉ RÉALISÉS DE FAÇON INCOMPLÈTE [...] NOUS ALLONS VERS UNE ACTUALISATION CONTEMPORAINE DES IMMEUBLES AU SERVICE DES GENS.»1 ANNE LACATON

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1.2.2 L’Occident, entre évolutivité, mutabilité et modularité D’un point de vue cardinal, l’Orient s’oppose à l’Occident. Bien que les mentalités évoluent depuis le début du siècle, la conception des foyers montre, elle aussi, de fortes disparités. Tout d’abord, moins bouleversée par les risques naturels, l’Europe a développé une philosophie aux antipodes de celle des Japonais. Le culte de la pierre et de la conservation des édifices historiques prévaut dans tout le continent. Ainsi, les constructions se font plus lourdes et plus durables, loin des ossatures légères asiatiques. Cette différence s’observe aussi bien dans les caractéristiques structurelles que conceptuelles. En effet, là où les peuples d’Asie s’orientent fortement vers les modes de vie individuels, vers la maison, les Occidentaux optent davantage pour la densification et le logement collectif, vers les immeubles. D'ailleurs, dès l’étymologie, le mot immeuble renvoie à une notion d’immobilité et de stature qui décrit la majorité des architectures de l’Ouest. Largement influencée par l’économie libérale, cette partie du monde a développé une culture du profit amenant à la fabrication en chaîne des principes les plus efficaces. Cette culture de l’efficacité règne toujours et gagne même certaines autres parties du monde, de par l’influence du modèle capitaliste. Si elle a pu engendrer des progrès techniques importants dans d’autres domaines, son impact sur la construction a engendré une architecture stéréotypée. Que ce soit par la matérialité, les promoteurs encourageant l’utilisation des matériaux les moins chers, faisant fi de leur durabilité. Mais aussi dans la conception, avec l’apparition du pavillon standard de banlieue, et des immeubles et grands ensembles qui peuplent encore aujourd’hui l’essentiel des zones urbaines. «Bien que les gens aient évidemment droit à tous les types de maisons, [...] de telles constructions ne sont, en fin de compte, pas du tout leur choix. Elles leurs sont imposées de façon subversive à travers le marketing intensif des organismes de consommation de masse qui cherchent à homogénéiser la société pour en retirer un avantage commercial.»2 Ce contrôle des firmes et grandes entreprises force bien souvent la main aux concepteurs pour pourvoir des logements identiques pour tout le monde. Bien souvent, ceux-ci ne sont que loués indéfiniment à des gens qui ne s’approprient aucunement l’espace. Cette conception en série limite la liberté des occupants de ces logements mais marque également profondément la nature des villes. C’est dans ce contexte obtus, ignorant totalement les enjeux géographiques, climatiques ou même sociaux de milieux tels que l’Europe ou l’Amérique du Nord, que se développent certains projets innovants. Ceux-ci, prenant le contre-pied de l’utilisation démesurée des typologies reproductives s’appuient cependant sur les atouts de la production en série pour développer des espaces plus souples, remettant au goût du jour les travaux du siècle dernier.

1. Léa Muller, Imaginaire de transformations. 2. Robert Kronenburg, Flexible : une architecture en réponse au changement.

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La puissance de l’économie occidentale et son impact décisionnaire sur l’architecture ont longtemps restreint les concepteurs. Aujourd’hui cependant, la nouvelle génération d’architectes essaie d’utiliser ces contraintes pour en isoler des avantages. Le monopole des usines de production et de transformation a donc permis le développement d’un nouveau système constructif : la préfabrication. D’abord vue comme un modèle péjoratif, elle se répand dorénavant pour ses caractéristiques évolutives et écologiques, notamment du point de vue de la construction en filière sèche. Ainsi, préfabriquer des éléments, notamments structurels, permet de concevoir des espaces similaires d’un point de vue pratique, mais beaucoup plus souples d’un point de vue théorique car plus aisément appropriables et aménageables. De nombreux projets majeurs promeuvent aujourd’hui la préfabrication. C'est le cas de la Brick Vault House (fig. 21), ou le campus de Paris-Saclay, qui parvient à composer avec une structure de béton préfabriquée, ou encore le projet Lopaul + de Sophie Delhay. Grâce à l’élaboration de ces technologies constructives majeures, les concepteurs occidentaux ont pu reproduire le système flexible oriental des structures légères, en l’adaptant à leur propre monumentalité. Dès lors, la culture de la pierre et du béton s’est fragilisée, permettant au bois et à ses qualités de souplesse de flexibilité de s’affirmer, même pour les constructions de grande hauteur grâce au CLT. Ce nouveau cycle écologique du début du XXIe siècle signe un tournant majeur pour l’architecture occidentale, en transition avec le courant moderne et ses dérivés qui régnaient jusqu’alors. Si certains principes modernes, comme le plan libre ou la toiture terrasse, gardent un intérêt dans la fluidité de l’architecture domestique, de nouvelles intentions émergent dans le sens de la flexibilité. En dehors du vivier technologique et scientifique développé par ces pays dans le sens de la construction, les mentalités sont également intéressantes puisque très diversifiées et en recherche constante de la solution la plus pérenne. Ainsi, une problématique se transforme assez rapidement en solution. C’est grâce à cette réflexion que les villes européennes et américaines, endiguées par leur passé industriel et les nombreuses friches et hangars handicapant le développement d’un environnement social viable, ont utilisé cet obstacle à leur avantage. En outre, l’occident est devenu le terrain de jeu de la réhabilitation, cet exercice technique qui donne une deuxième vie aux vestiges de l’ère industrielle et moderne. La réhabilitation, en dehors de ses vertus écologiques et économiques, possède également une dimension flexible et évolutive importante. De nombreux architectes, dont les derniers Pritzker Price, Lacaton et Vassal portent cette dimension de transformation qui améliore la durabilité des espaces et leur fluidité intérieure vis-à-vis des conceptions fermées du XXe siècle qu’il faut compléter. Ils ont signé des parangons de réhabilitation en France avec la Tour Bois-Leprètre ou la Cité Grand Parc.

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fig. 21 : Vue extérieure de la Brick Vault house. ©Léa Balmy

fig. 22 : Tableau comparatif des conceptions flexibles entre Orient et Occident.

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1.3 L’IMPACT DES BOULEVERSEMENTS SOCIAUX ET ÉCONOMIQUES 1.3.1 Niveaux de vie et potentialités Depuis toujours, l’architecture porte une dimension sociale et politique prépondérante. En effet, l’architecture c’est l’aménagement d’espaces habitables pour les habitants. Le concepteur se doit donc de penser d’abord aux usagers potentiels de son projet et, aujourd’hui, les usagers potentiels sont marqués d’une forte empreinte sociale. En effet, l’idéologie capitaliste, la culture du profit et de la réussite, a ancré de profondes disparités économiques et sociales entre les différentes classes qui forment la société. L’objectif reste cependant, encore davantage avec l’architecture domestique, de réduire ce fossé croissant et de permettre à chacun de se loger dans des espaces aux potentialités équitables. Ainsi, pour mieux répondre aux besoins de tous, l’architecture flexible est une réponse utilisée par beaucoup d’architectes. Concevoir un espace flexible et évolutif permet de laisser une marge d’extension ou de transformation des logements. Par ce procédé, on intègre à la fois les classes aisées et leurs ambitions volatiles et changeantes, et les classes plus populaires à qui on laisse l’opportunité de faire évoluer leur surface habitable dans le temps, en économisant donc de l’argent sur la durée. Aujourd’hui, le problème de la précarité du logement reste d’actualité. Dans toutes les agglomérations mondiales, les SDF se multiplient1 (fig. 23). Ces êtres humains au mode de vie nomade dans un environnement purement sédentaire, à l’image d’autres rejetés de la société, les immigrés, bénéficient de plus en plus d’opérations de logements d’urgence. Cette stratégie de logements temporaires a un impact politique de plus en plus significatif et accroît donc l’intérêt des architectes qui, à l’image du projet de Toyo Ito après le tsunami, intègrent de nouveaux mode de vie adaptables à ces «camps». En effet, les populations qui habitent ces pseudo-quartiers s’adaptent à un nouvel environnement en migrant de leurs pays d’origine. Il est donc naturel d’expérimenter par eux, un mode de vie adaptable et en communauté. C’est le cas du projet de l’atelier RITA, qui intègre de nombreux espaces partagés et multi-fonctionnels permettant de réduire l’étalement du camp et de renforcer les liens entre ces oubliés de la société (fig. 24). Aujourd’hui, alors que l’architecture est en transition écologique, elle suit aussi les évolutions sociales et politiques du monde. Ce dernier, souffre de plusieurs changements profonds de son organisation, avec des bouleversements dans toutes les sphères d'intérêt, de la politique au divertissement, et même, depuis quelques années, à la santé.

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1. 300 000 aujourd’hui contre 142 000 en 2012. source : INSEE


fig. 23 : Manifestation de sans-abris à Lyon en Octobre 2021. ©Robin Favier

fig. 24 : Vue du centre d’hébergement d’urgence d’Ivry. ©David Boureau

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«DES VILLES TOUJOURS PLUS BÉTONNÉES. TOUT REGROUPER DANS LES MÉTROPOLES N’EST NI UNE NÉCESSITÉ, NI UN GAGE DE QUALITÉ DE VIE. PENDANT LE PREMIER CONFINEMENT, LA DENSITÉ URBAINE EST APPARUE INTENABLE.»1 LESLIE GONÇALVES

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1.3.2 La pandémie de COVID-19 et son influence Au cœur de ces bouleversements qui ont altéré les modes de vie de chacun, ces dernières années ont été marquées par l’une des épidémies les plus meurtrières de l’Histoire : la pandémie de COVID-19. Au début de l’année 2020, dans une société loin d’être préparée à un événement de cette ampleur, est apparu ce virus hautement contagieux et volatile, à Wuhan en Chine, qui s’est répandu à une vitesse phénoménale. Cette rapidité a pris de cours les médecins et les Etats du monde entier, donnant lieu à des décisions inédite pour endiguer la propagation du virus. Premièrement, et c’est ce qui a eu l’impact le plus significatif sur les populations et l’architecture, un grand nombre de pays ont instauré un confinement strict, empêchant tout le monde de sortir de chez soi. Cette décision a eu un impact massif sur l’appropriation de leurs logements par chaque individu touché. En effet, les gens, forcés à rester chez eux toute la journée, ont aussi été forcés de redécouvrir leurs logements et leurs façons de l’occuper. Une grande scission s’est opérée entre ceux qui vivaient en ville, en appartement, et les habitants des zones rurales disposant de maisons et d’espaces extérieurs. L’expression du confort s’est alors orientée vers les espaces verts, que ce soient ceux en zones urbaines ou dans les logements eux-mêmes, avec un constat : l’accès aux zones naturelles n’est pas assez garanti. Des dizaines d’autres mesures prises par les gouvernements, celle qui impacta sûrement le plus les organisations intérieures des logements est la mise en place du télétravail. Celui-ci força une bonne partie de la population à travailler à domicile, isolée la plupart du temps. Ainsi, de nombreuses personnes se rendirent compte de la difficulté de réorganiser leur habitat en intégrant cette dimension de travail. Que ce soit par manque de place, manque d’isolement, manque de cloisonnement, manque de connexions, etc. Autant de problèmes que d’individus forcés à ce nouveau mode de vie. Si certains s’y sont assez vite accommodés, pour d’autres, ce fut un moyen d’exprimer leur mécontentement vis-à-vis de la conception obtus de leurs logements, laissant trop peu de place aux adaptations. La pandémie a mis en exergue les problèmes à court terme de nos logement. Toutes les choses qui arrivent dans la vie quotidienne et auxquelles on n'est pas forcément préparés, mais qui, pourtant, impactent sérieusement les vies privées et les espaces où on les pratique. Que ce soit en changeant de logement, ou même de ville, la plupart des concernés ont modifié leurs situations. Certains ont pu développer des stratégies dans leurs logements. Que celles-ci soient intégrées préalablement aux habitats ou non, des dispositions plus souples et adaptables ont pu être mis en place. De cette obligation de réaction instantanée, est née une prise de conscience des concepteurs sur les habitats de demain. De profonds changements subviennent dans la façon de concevoir les logements, pour leur apporter cette flexibilité désormais recherchée par tous. Cependant, composer avec les logements déjà existants semble obligatoire pour réorganiser les lieux de vie selon les nouveaux besoins de chacun en conservant leurs attaches respectives.

1. Leslie Gonçalves, Vers une nouvelle architecture régénérée.

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Cette réflexion, déjà amorcée avant que la pandémie ne s’installe, réoriente les besoins de la population. De nombreux architectes estiment désormais que l’avis des habitants doit être pris en compte pour la conception de leurs futurs logements. Ce qu’on appelle l’architecture participative, imaginée par Walter Segal dès 1975, existe toujours selon plusieurs degrés. Certains l’expérimentent de façon totale, en concevant conjointement du début à la fin du processus, comme les habitants de La Convention à Auch, qui ont accompagné l’architecte lors de la réhabilitation d’un ancien bâtiment du XVIIe1. D’autres, orientent leurs recherches vers des attraits spécifiques de leurs logements comme La Ruche à Bègles (fig. 25), où les habitants ont influencé les choix de l’architecte vers de nouveaux types d’énergies et vers des espaces pensés pour leurs modes de vie plus éco-responsables. Cependant, c’est en Suisse, et plus particulièrement à Zurich, que s’expérimente un nouveau système où la vie en communauté est au centre des préoccupations. L’habitat coopératif se répand, en effet, partout en Europe, mais Zurich en est l’épicentre. D’abord présentant de nombreux avantages sociaux et économiques en mettant en commun les ressources d’un groupe de personnes pour acquérir un terrain ou un immeuble existant, ce nouveau type de financement a influencé la façon même de vivre de ces associations d’individus. Aujourd’hui, plus du tiers des logements de la ville fonctionne ainsi. 2 Plus qu’un biais financier, ce mode de vie est un nouveau terrain de jeux pour les architectes. Souvent, ces nouveaux immeubles s’organisent comme un village de chambres et d’espaces privés au milieu de vastes appartements partagés par tous. Au dehors, de grands espaces communs permettent de vivre ensemble en gardant son intimité. C’est le cas de la résidence Kalkbreite, à Zurich (fig. 26), qui regroupe plus de 80 logements ainsi que des lieux de vie sociale tel des bars et bibliothèques, au cœur d’un complexe paysager et ludique. La réalité nouvelle du COVID-19 a montré que ces logements coopératifs développaient des stratégies plus intelligentes et souples de vie sociale et permettaient une approche plus fluide des changements quotidiens. Pour résumer les conséquences de la pandémie mondiale meurtrière que l’on a vécu dernièrement, l’avis de Catherine Sabbah semble assez cohérent : «La production de logements a été tellement standardisée au cours des trente ou quarante dernières années… Elle répond à une surface, au prix du terrain, à une série de normes et c’est tout. On se dit on va faire des T1, des T2, des T3, des T4, sans se soucier des gens qui vont y vivre. Pourquoi ? Parce que tout se vend. Le logement est devenu un produit, pensé pour enrichir ceux qui le fabriquent plutôt que loger ceux qui l’habitent.»3 En bref, un nouveau type de conception est désormais requis pour de nombreuses personnes à travers le monde, quelle que soit leur origine ou leur milieu social. Un type de conception plus intelligent et plus regardant vis-à-vis de l’avenir comme peut l’être la conception flexible, qui peut aussi s’ajuster en collectant l’avis des futurs usagers.

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1. Cécilia Condemi - Bérénice Guégan - Maria Loizou, Architecture Participative. 2. Cité de l’Architecture, Le Laboratoire du logement “Zurich. Les coopératives réinventent le logement social”. 3. Isabelle Reigner, Coronavirus : habitat et logement à l’épreuve de la vie confinée.


fig. 25 : Vue extérieure du projet La Ruche. ©Dauphins Architectes

fig. 26 : Vue de la cour du projet Kalkbreite. ©Martin Stollenwerk

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1.4 NOTIONS CLÉS ET DIFFÉRENCES 1.4.1 Habiter < Habiter, verbe transitif (latin habitare, avoir souvent) : Avoir son domicile quelque part, y résider de manière relativement permanente, y vivre > Au-delà de la définition du dictionnaire l’action d’habiter, ou l’habiter, est une notion sociologique ambiguë. En effet, longtemps imprécise et vaguement explicitée, elle est source d’interprétations. Afin d’être le plus juste possible et de replacer le sujet dans le contexte, voici ce qu’en pensent quelques acteurs de la conception aujourd’hui : «Habiter est la manière dont les mortels sont sur Terre»1 décrit d’abord Martin Heidegger, donnant un sens philosophique large à la notion. Ici, tout être vivant habite la planète et l’utilise à sa manière. l’utilisation du verbe être est intéressante puisqu’elle évoque le fait que chacun a l’habiter en lui, naturellement et instinctivement. «Être un homme veut dire habiter» écrit Gaston Bachelard, insufflant à la notion son rapport avec l’Humanité. Ici, il définit même d’un humain qu’il n’en est un que s’il habite. Montrant l’étendue des thèmes que dépeint l’habiter. On habite aussi bien un corps qu’un espace ou même un dialogue. «Habiter, c’est envisager des possibles, savoir s’adapter, autoriser les incertitudes, faire montre de souplesse pour accepter l’inconnu.»2 explique ensuite Maryse Quinton. Ici, habiter se rapproche davantage d’une utilisation flexible et évolutive de l’espace et des imprévus qui l’accompagnent. On a une dimension temporelle ajoutée à cette notion, et surtout de conscience du temps et des conséquences qu’il peut avoir sur un habitat ou un lieu. «L’habiter devient le lieu d’où on regarde le monde.»3 de Perla Serfaty nous apporte une nouvelle donnée, le dedans et le dehors. En effet, il y a les endroits qu’on habite et il y a le reste, définissant l’habiter avec une corrélation entre l’intimité et la familiarité. Un lieu qu’on habite est un lieu où l’on est à son aise, sinon on n'en est que le visiteur. Pour résumer, habiter, c’est s’approprier. C’est faire d’un espace son espace, y laisser son empreinte, soit physique, en aménageant par exemple, soit usuelle, en utilisant l’espace à sa manière, en l’expérimentant, le modifiant. Ainsi, habiter induit une sorte d’implication personnelle pour que, au-delà de l’impact de l’Homme sur l’espace, ce soit l’espace qui impacte l’Homme et lui apprenne à habiter. Un espace habité est donc profondément personnel et propre. Alors, chacun habite à sa manière, l’habiter est pluriel. Selon Fischer, un espace habité représente «une sorte de biographie sociale et individuelle de ses occupants»4.

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1. Martin Heidegger, Essais et conférences. 2. Maryse Quinton, Habiter autrement. 3. Sabine Vassart, Habiter. 4. Idem


1.4.2 Flexible et architecture flexible < Flexible, adjectif (latin flexibilis, souple) : Qui s’accommode facilement aux circonstances. > < Flexibilité, n.f. (latin flexibilitas, pliant)[Arch] : Aptitude d’un espace construit à se plier à une utilisation évolutive ou différente. > Cette première définition, bien qu’isolée de tout concept architectural, démontre tout de même les qualités de la flexibilité. Ce qu’on attend d’un objet, environnement ou caractère flexible, c’est d’épouser toutes les éventualités, et il en va de même pour l’architecture. Comme on peut le voir avec la seconde définition, centrée cette fois sur l'architecture, où plusieurs autres principes sont pris en compte : l’évolution et la différence. Ici, on définit la flexibilité comme une capacité à changer d’utilisation, à différer de sa fonction initiale. Le point de vue des théoriciens de la notion exprime des développements plus poussés. «La flexibilité est la possibilité donnée aux habitants de modifier l’agencement intérieur du logement dans une structure de gros-oeuvre préétablie, avec des variantes selon que cette modification est prévue quotidiennement ou en fonction d’une évolution à long terme.»1 écrit Christian Moley, apposant cette relation à la temporalité des évolutions que subit l’espace, qui peut se faire au jour le jour, ou selon un temps plus long. En revanche, sa définition implique une intervention sur l’existant ou, en tout cas, isole le gros-oeuvre de ce caractère flexible. C’est Robert Kronenburg qui théorise ensuite le sujet de façon plus exhaustive : «L’architecture flexible porte sur des constructions conçues en vue de répondre aisément aux changements durant leurs existences. Les avantages de ce type de construction sont considérables : ils sont utilisables plus longtemps, conviennent mieux à leur finalité, s’accommodent de l’expérience et de l’intervention de l’usager, sont plus aptes à bénéficier de l’invention technique. Enfin, ils sont plus viables d’un point de vue économique et écologique et aussi potentiellement plus aptes à s’adapter aux tendances culturelles et sociales.»2 on ressent ici la relation avec la définition précédente d’habiter, et notamment avec l’influence qu’elle a sur les humains, l’investissement qu’elle implique. On observe simplement ici que cet investissement procure des effets bénéfiques à la construction comme à l’habitant. L’architecture flexible semble, avec cette prise de position, être une posture viable pour le futur aussi bien économique qu’écologique, mais aussi pour le confort des habitants. Enfin, l’architecture flexible est une architecture qui répond aux besoins de l’habitant, en considération de ses habitudes ou de ses futures habitudes. C’est donc une architecture du possible où toutes les éventualités doivent être envisagées.

1. Christian Moley, Plan Construction, l’innovation architecturale dans la construction du logement social. 2. Robert Kronenburg, Flexible : une architecture en réponse au changement.

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1.4.3 Adapter, Transformer, Déplacer et Interagir. < Adapter, verbe transitif (latin adaptare, ajuster) : Appliquer, ajuster une chose à une autre. > < Transformer, verbe transitif (latin transformare) : Rendre quelque chose différent, le faire changer de forme, modifier ses caractères généraux. > < Déplacer, verbe transitif : Changer quelque chose de place, ou le mettre ailleurs. > < Interagir, verbe transitif indirect : Avoir avec quelque chose d’autre une action réciproque. > Encore une fois, ces définitions sommaires ne semblent pas impacter l’architecture en elle-même, mais elles jouent un rôle majeur dans le concept développé plus tôt de l’architecture flexible. En effet, et comme le résume encore Robert Kronenburg : «Adapter se rapporte aux bâtiment conçus pour convenir à différentes fonctions, à des changements d’usagers ou de climats. C’est une architecture souple parfois appelée Open building. Transformer concerne les bâtiments dont la forme, l’espace, le type ou l’apparence changent du fait de l’altération physique de leur structure, de leur enveloppe extérieure, ou des surfaces intérieures. C’est une architecture qui s’ouvre, qui se ferme, se dilate et se contracte. Déplacer se rapporte aux constructions que l’on transporte d’un endroit à un autre pour qu’elles répondent mieux à leur fonction. C’est une architecture qui roule, flotte ou vole. Interagir regroupe les bâtiments qui répondent aux demandes des usagers de façon automatique ou intuitive.»1

1.4.4 Modularité, Réversibilité et Mutabilité < Modularité, n.f. : Soumis aux règles d’emploi du module, codifiées à partir des conceptions vitruviennes par les architectes de la Renaissance. > < Module, n.m. (latin modulus, mesure) : Unité déterminant des proportions. > La modularité, comme on l’a vu dans notre Histoire, est un élément technique majeur de l’architecture flexible. Elle permet la reproduction en série et l’évolution des espaces, notamment du gros œuvre, que celle-ci soit horizontale ou verticale. La modularité est un outil pour parvenir à une conception flexible aussi bien extérieure qu’intérieure. Elle n’est, en aucun cas, un passage obligatoire pour obtenir un espace évolutif et souple. Elle facilite simplement les modifications induites par la flexibilité puisqu’elle se compose d’éléments qui peuvent être assemblés et détachés individuellement, le tout sans endommager la structure globale.

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1. Robert Kronenburg, Flexible : une architecture en réponse au changement.


< Réversible, adjectif (latin revertere, retourner) : Qui peut revenir en arrière, qui peut se produire en sens inverse. > De ce caractère réversible, qui se définit par un retour en arrière, l’architecture se démarque puisqu’elle en isole la façon dont les espaces ou les programmes qu’ils hébergent peuvent changer du tout au tout. La réversibilité implique également une programmation de ces changements au préalable de la construction d’un bâtiment, de les envisager au moment de la conception. < Mutabilité, n.f. (latin mutabilitas) : Caractère de ce qui peut subir des changements. > < Évolution, n.f. (latin evolvere, dérouler) : Passage progressif d’un état à un autre. > La mutabilité, fortement liée à l’évolutivité, s’en remet aux modifications, parfois profondes, de l’architecture dans le temps. Un espace disposant d’une grande mutabilité aura la liberté de modifier sa dimension comme sa fonction à moyen ou long terme. Elle décrit donc des évolutions lentes mais majeures, qui peuvent mener à une altération de la forme même du logement.

1.4.5 Étude de cas et méthode. Pour développer cette démarche de recherche par laquelle je terminerai par établir un avis critique et personnel, j’ai déterminé quatre études de cas qui décriront des échelles de vie différentes, des populations différentes et des milieux sociaux différents. Chacune d’elle sera située dans un environnement unique et avec une dimension internationale, pour comparer les visions et traditions de tous les concepteurs, notamment vis-à-vis de l’architecture française locale. Chacun de ces projets se situera dans une temporalité actuelle et contemporaine, pour apprécier toutes les variations qu’ont subi les méthodes de conception jusqu’à leur forme d’aujourd’hui. Cette sélection de bâtiments s’effectue selon mon ressenti personnel, et ce qui, pour moi, correspond le mieux à mon idée de l’architecture flexible. Ces habitats divers montreront les qualités intrinsèques de la flexibilité, ainsi que ses travers ou chemins à améliorer. Celles-ci imageront les notions précédemment expliquées pour les rendre plus concrètes et réalistes. On aura, dans un premier temps, la description technique du projet qui permettra de mieux l’identifier. Ensuite, nous verrons les dispositifs flexibles et adaptables mis en place dans chacun des projets afin d’établir un tableau comparatif des solutions proposées pour garantir la pérennité des habitats par l’évolutivité.

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PARTIE 2 : ÉTUDES DE CAS DESCRIPTIVES

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Après une lente évolution des techniques de construction et de conceptions, les Hommes et leur architecture ont atteint aujourd’hui un niveau technologique inégalé. Ainsi, ces avancées et les influences des projets du passé ont permis l’élaboration de nombreux ouvrages innovants, développant des usages nouveaux et, par extension, des modes d’habiter. Dans l’histoire du logement, le renouvellement est essentiel et la société actuelle en est particulièrement avide. Entassés dans des métropoles surdimensionnées, la population, en explosion démographique permanente, requestionne la question du confort, dans ce monde en mouvement perpétuel de l’ère de l’information. Aujourd’hui, le logement est le noyau d’un grand atome, dont les habitants sont les électrons. Dans cette partie, nous allons voir quatre projets que j’ai sélectionnés selon des critères personnels mais aussi selon les horizons géographiques divers qui les caractérisent. De ces diversités spatiales, en ressort une diversité d’interprétation, mais aussi d’échelles, qu’il sera intéressant de confronter pour comprendre les modes de vie et leurs prédispositions flexibles ou non. Cependant, ces projets se situent tous dans la même temporalité pour une comparaison plus juste.

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2.1 LA MODULARITÉ EN FRANCE : SOPHIE DELHAY, UNITÉ(S), DIJON, 2019 Ce projet, construit en France, sur la Via Romana de Dijon, en août 2019, répond en écho aux critères précédemment énoncés qui font une architecture flexible. Cette commande de logement collectif d’échelle moyenne par Grand Dijon Habitat comporte 40 logements et un espace partagé, sur un espace de 2800m². Ce dernier prend place dans un milieu fort en contraste social et écarts de densités urbaines : en zone péri-urbaine. Dans une optique d’insertion, le bâtiment se développe en gradins, à la fois pour pourvoir des espaces extérieurs aux logements et pour nuancer la barrière entre tissu pavillonnaire et centre-ville plus dense (fig. 27). Cette intelligence d’insertion dans le quartier se retrouve dans l’organisation intérieure des espaces, basée sur le partage et l’équité. Ce principe a d’ailleurs permis au projet de décrocher l’équerre d’argent 2019 dans la catégorie habitat, qui récompense le meilleur projet de l’année en France. Cette remise en question de la manière d’implanter le bâtiment dans son milieu est décrite par l’architecte elle-même comme une donnée centrale de mise en place d’une architecture innovante. «La densité, qui est le premier levier écologique, est une opportunité pour créer des rapprochements autour d’usages, de panoramas, de rapports à la ville, de modes d’habiter. Le logement peut ainsi être un moteur de cohésion sociale, une porte vers le territoire, une fenêtre sur l’espace public.»1 Hébergeant plus d’une centaine d’habitants, il est construit avec une structure modulaire poteaux poutres en lamellé-collé. Cette structure orthogonale de 3,6x3,6m de côté permet à Sophie Delhay de composer ses logements avec des pièces de 13m² chacunes qui s’imbriquent entre elles. Cette «unité» de 13m² convient parfaitement à chacun des espaces qui forment un logement, de la chambre au salon. Ces 40 appartements sont donc tous réalisé par la juxtaposition de ces briques habitables pour former des habitats allant du studio de 32m² au T5 de 91m² (fig. 28). Davantage qu’un système structurel astucieux, ce projet comporte également une façade épaisse, de plus de 80cm, qui lui offre de nombreux avantages. Le premier est l’impact sur le confort thermique et notamment sur la consommation en énergie, nettement réduite par la quantité de matières isolantes entre les parois. Cette largeur permet également la suppression des ponts thermiques. La seconde utilisation de cette marge de façade concerne, encore une fois, le confort puisqu’elle permet d’habiter les rebords des grandes fenêtres qui la composent et d'y insérer des espaces de rangement. Enfin, elle offre l’opportunité à l’architecte d’aménager des espaces extérieurs, ou de transitions comme des loggias, pour la majorité des logements (fig. 29).

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1. Sophie Delhay, Portfolio.


fig. 27 : Vue de l’extérieur du projet avec la morphologie en gradins. ©Bertrand Verney

fig. 28 : Typologies de logements déployées. ©Sophie Delhay

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fig. 29 : Vue de l’intérieur des logements avec la façade épaisse et les espaces extérieurs. ©Bertrand Verney

fig. 30 : Déclinaison des typologies grâce à la modularité. ©Sophie Delhay

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«Alors que les projets sont toujours plus contraints et déterminés par les normes, la réglementation ou des restrictions, nous choisissons de déplacer notre attention vers d’autres desseins que celui de résoudre des problèmes insolubles. Un projet qui ne viserait qu’à répondre au programme serait une impasse ; selon nous, le programme invite à ce qu’on le dépasse.»1 Comme l’exprime Sophie Delhay, elle et son équipe ont préféré se détacher quelque peu du programme demandé par le maître d’ouvrage pour proposer une réponse plus adaptée aux habitants du projet. Ainsi, en faisant des choix économiques, notamment avec les matériaux utilisés, ils ont pu ajouter des espaces communs sans dépasser les limites du budget. Par ce biais, l’immeuble comprend deux grands espaces dédiés à la communauté et la vie associative, accessibles par tous depuis les communs. Le premier, en double hauteur, est une salle commune gérée par une association, mais laissée libre aux occupants du bâtiment les week-ends. Le second, quant à lui, prend place en extérieur puisqu’il s’agit d’un large balcon, en double hauteur également, qui offre un espace de vie en communauté abrité et qui s’ajoute aux généreux jardins qui s’articulent au creux du bâtiment en L. Afin de s’affranchir des règles et lois qui régissent le logement aujourd’hui en France, et de proposer une architecture plus contemporaine, les typologies précédemment décrites s’organisent selon des morphologies différentes. Ainsi, très peu d’appartements sont similaires. A l’exception des T1, la trame structurelle uniforme et l’épaisseur mesurée du projet permettent cette souplesse d’aménagement. Tout en proposant des intérieurs traversants la plupart du temps, Sophie Delhay décompose les typologies pour retrouver des solutions adaptées à chaque foyer. Chaque logement peut également contenir une loggia, un balcon ou une terrasse. Ce qui permet notamment de retrouver jusqu’à 6 options d’aménagements pour les T4 (fig. 30). Encore une fois, l’architecte affirme ses positions, en opposition aux architectures dites «fonctionnelles», qui ont laissé leur empreinte sur le paysage architectural français depuis près d’un siècle. «C’est en faisant différemment que l’on produit des manières d’habiter différentes. Nous nous inventons des protocoles de travail. Ces protocoles emportent tout sur leur passage, ils font la règle pour toutes les décisions que nous devons prendre lors de la conception.»2 cette affirmation prône l’indépendance des architectes vis-à-vis de normes instaurées à une époque révolue ou par des politiques économiques rigides. Cependant, comme elle nuance son propos elle-même, certaines de ces règles apportent un cadre au projet et une notion de sécurité, notamment pour les réglementations contre les risques d’incendie. Un discours nuancé, comme l’est le parcours de Sophie Delhay qui, bien que démarquée grâce à ses logements souples et inédits, s’implante bien au-delà, dans la théorie de l’architecture contemporaine.

1. Sophie Delhay, Espaces de liberté. 2. Idem.

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Née en 1974 à Lyon, Sophie Delhay est diplômée de l’ENSAP de Lille en 1999. Après quelques stages et autres contrats dans des agences tiers, elle co-fonde Boskop architectes en 2004, agence qui perdurera 4 ans. Une longévité mesurée jusqu’à l’avènement de l'architecte en 2008 avec la livraison du projet LoNa +, complexe de 55 logements, qui feront le début de sa renommée et celle de son architecture. Peu avant ça, en 2006, elle s’était déjà fait remarquer en devenant lauréate des Nouveaux albums des jeunes architectes. Après ces débuts remarqués donc, elle fonde sa propre agence éponyme en 2010 et devient, peu après, enseignante à l’ENSA Versailles. A partir de là, les projets s’enchaînent et font d’elle une figure emblématique du logement en France. Après LoNa+, elle construira notamment l’ensemble LoMix+ à Lille et, dans la même ville, Machu Picchu. Cependant, elle n’a jusqu’alors conçu que des projets de logements, prouvant la qualité de ceux-ci, mais le déplore parfois aujourd’hui. Tête d’affiche de la nouvelle génération d’architectes en France, elle a pu affirmer sa méthode et son architecture comme celle d'aujourd'hui et de demain. Celle-ci, largement orientée vers ses habitants et la dimension sociale et politique plus qu’esthétique de l’architecture, remet en question le rôle de l’architecte. Sa position d’architecte femme dans un monde largement dominé par les hommes inspire le respect. Les figures féminines ayant transformé le paysage architectural se comptent sur les doigts d’une main. Cependant, la dynamique qu’elle, et d’autres comme Anne Démians par exemple, endossent encourage à faire évoluer les débats quant à l’étroitesse de l’architecture du dernier siècle et l’ouverture qu’elle doit prôner aujourd’hui et demain. Dans un monde où elles ont trop longtemps été marginalisées, ce sont elles les mieux placées pour gommer les inégalités qui se creusent de jour en jour entre les populations. De cette architecture nouvelle du logement, empreinte de flexibilité, Sophie Delhay s’évertue à suivre six thèmes qui, selon elle, regroupent toutes les facettes d’un habitat d’aujourd’hui et de demain. Parmi ceux-ci, l’évolutivité, qu’on a déjà vue, mais aussi la libre appropriation, l’interprétation, le protocole et la mixité, tous mis au service de la liberté, qu’elle porte dans la conception de chacun de ses habitats, quelle que soit l’échelle. «A l’agence on souhaite faire des projets interprétables par les habitants. En fait, on les souhaite émancipatoires, ouverts. On a envie de faire des espaces fertiles, en tout cas qui soient bouleversés par l’imagination au quotidien des habitants. L’imagination n’est pas réservée aux architectes. Celle des habitants est au moins aussi importante que la nôtre.» 1 D’un point de vue plus littéraire et philosophique, elle compare sa version de la pratique au recueil de poèmes de Raymond Queneau : cent mille milliards de poèmes. Celui-ci évoque la multiplicité des points de vue et des personnalités face à la beauté de la poésie et de l’écriture. Il en va donc de même pour Sophie Delhay lorsqu’elle conjugue les pièces pour proposer des logements singuliers et pluriels.

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1. Sophie Delhay, Espaces de liberté. 2. Idem.


«LA SOCIÉTÉ S’ATOMISE [...], CHAQUE MEMBRE D’UN FOYER À UNE VIE PLUS OU MOINS INDÉPENDANTE. [...] TOUT EST RÉVOLU, ON NE PEUT PLUS PENSER À PARTIR DES MÊMES MODÈLES, ET C’EST UNE CHANCE POUR LES ARCHITECTES.»2 SOPHIE DELHAY

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Parmi ses projets les plus singuliers, Unité(s) apparaît comme l’un des symboles de sa vision d’une architecture nouvelle de l’habitat, tournée vers la flexibilité des espaces, des usages et des individus. A l’image des projets d’habitats flexibles qui ont traversé les siècles, et plus particulièrement de ceux du XXe siècle, Sophie Delhay se positionne comme une architecte du mouvement. Ici, le mouvement s’opère via un plan modulaire avec des pièces de dimensions et de caractéristiques uniformes. Cette unité est la source principale de la fluidité de ces logements. Le système fonctionne de la même manière quelle que soit la typologie de logement, en dehors du T1 qui a un fonctionnement plus standard. Nous allons étudier un T3 qui, comme elle le présente elle-même, retranscrit le plus efficacement le concept. Dans celui-ci, cinq blocs ou pièces, dont une extérieure, une loggia ou un balcon. On compte aussi deux demi-blocs de pièces d’eau : la cuisine et la salle de bain. Pour finir la composition de ce logement, Sophie Delhay a cherché à composer avec des parois coulissantes, qui rappellent les shōji traditionnels japonnais. Davantage que les pièces uniformisées, ce sont ces séparateurs d’espaces mobiles qui permettent à ces appartements de déployer toute leur astuce. Une simple planche de bois permet donc d’établir des connexions nuancées, de cloisonné à totalement ouvert et permet à l’espace de changer de dimensions en quelques secondes. Cette partition se retrouve donc dans le logement entier, à l’exception des pièces humides, et encourage les habitants à réorganiser, au quotidien, leur foyer. En effet, la dimension rapide et simple de ce dispositif permet une flexibilité sans efforts, plus instinctive pour les usagers. A contre-pied des projets de la fin du siècle dernier, qui proposaient des solutions qui demandaient un démontage des cloisons ou un effort conjugué de plusieurs tiers pour effectuer de réels changements, Unité(s) met en place une solution efficace et à la portée de chacun, individuellement. C’est là la force du concept, réutiliser et réadapter un système connu de tous : une porte coulissante. Bien que de nombreux autres projets composent déjà avec des ouvertures similaires, Unité(s) tire sa singularité de l’assemblage des pièces, en quinconce, qui permet à chacune d’être connecté à au moins deux autres, et, pour les blocs centraux, à quatre autres. Cette optimisation des connexions permet de maximiser les échanges entre chaque pièce et résulte donc en une architecture plus sociale. Les dispositions structurelles plus classiques, positionnées orthogonalement, ne favorisent pas ce type d’interconnexions et encouragent une certaine dualité, soit ouvert, soit cloisonné, qui empêchent les usagers de moduler leur intimité à leur gré. Ces deux positions conceptuelles, le quinconce et les parois coulissantes, résultent en un logement qui peut suivre plusieurs typologies (fig. 31). Grâce à l’épaisseur relative du bâtiment, les habitants peuvent composer leurs habitats de façon traversante, diagonale ou encore groupée, selon le positionnement des pièces de séjour.

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fig. 31 : Organisations possibles du logements et mises en situation photographiques. ©Sophie Delhay et Bertrand Verney

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fig. 32 : Exemples d’appropriation de l’espace au sein d’une journée.

fig. 33 : Exemple de types de foyers possibles dans les logements. ©Sophie Delhay

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Ces dispositions ne sont que celles proposées initialement par l’architecte. En fait, ce système permet une multitude de postures qui peuvent varier au sein d’une même journée. Selon les besoins de chaque membre du foyer, les pièces peuvent changer de fonction et les barrières entre elles se lever pour développer des ambiances différentes. Ainsi, en positionnant les séjours dans l’axe de l’espace extérieur, on obtient un espace de vie de 3 blocs, 40m² environ donc, traversants aussi bien visuellement que dans la circulation et l’apport lumineux. De même, en empilant ces 3 pièces dans la continuité, en formant une diagonale, on sépare deux chambres pour plus d’intimité, en gardant cette percée visuelle et cette luminosité traversante. Enfin, dans un paradigme plus classique, il est possible également de grouper les pièces de vie le long de l’espace extérieur pour obtenir un double séjour plus compact et orienté du même côté. Ces organisations demeurent plutôt classiques. La flexibilité des espaces d’Unité(s) s’exprime aussi par la variété de compositions possibles. Comme Sophie Delhay le schématise (fig. 32), au sein d’une même temporalité, une journée ou une semaine, les fonctions des pièces elles-mêmes peuvent varier. En outre, une composition groupée classique peut se cloisonner entièrement pour pourvoir un espace clos, intime, à chacun des membres du foyer. Au contraire, elle peut s’ouvrir en totalité, rendant la barrière privée des chambres plus imaginaire, pour des fêtes ou des événements en commun par exemple. Par ce même principe, les usagers peuvent rivaliser d’ingéniosité pour développer un espace qui leur correspond réellement, selon leur nombre, leurs envies et leurs emplois du temps. Les appartements d’Unité(s), peuvent donc vivre une multitude d’existences différentes et s’adapter à de multiples foyers et temporalités. Ces adaptations se traduisent donc aussi en fonction du type de foyer engagé dans ces espaces (fig. 33). En effet, ces appartements peuvent se métamorphoser pour proposer une solution de co-living, notamment pour étudiants, en définissant trois chambres et un séjour central. De plus, avant même que ce problème ne devienne un atout majeur après la pandémie, une des unités peut se désolidariser du reste en journée pour proposer un espace de télétravail à domicile, sans impacter le reste de la vie du foyer. Enfin, davantage que pour du logement, ce système peut également abriter une entreprise ou une solution temporaire de co-working en allouant un bureau à chacun. Le dernier élément majeur de la conception de ces logements est l’espace extérieur. Grâce à celui-ci, les cuisines possèdent toujours une ventilation naturelle et le bloc central obtient un apport lumineux satisfaisant. En plus de répondre aux besoins de pièces primordiales du logement, il permet d’isoler deux espaces d’entrée. L’un, dans la pièce centrale, et l’autre dans celle en façade, pour isoler plus encore un membre du foyer, par exemple un adolescent en quête d’autonomie, ou, un sous-locataire potentiel.

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Le projet Unité(s), prototype d’un habitat collectif flexible et adaptable, offre une grande liberté à ses usagers permanents, mais aussi aux plus éphémères. Par son système ingénieux d’abord, qui permet d’assembler des modules uniformes, en quinconce, pour composer chaque logement, à l’image d’un jeu de construction. Puis, par des dispositifs intelligents et simples comme les parois coulissantes qui, plus large qu’une porte classique, permettent une réelle ouverture et un réglage des limites optimal. Enfin, par des aspects plus urbains, à l’échelle du bâtiment en lui-même, le concept renforce cette uniformité d’espace qui permet l’établissement d’une évolutivité et d’une libre appropriation importante. Cette polyvalence s'exprime par l’épaisseur faible de l’ensemble d’une part, et d’autre part, par la disposition en gradins qui permet d’allouer un maximum d’espaces extérieurs de transition. Ce projet, à la fois loin de l’idée de l’architecture participative ou encore des grands ensembles montables et démontables de Lods, en est pourtant si proche. Sans composer avec l’opinion et les idées des usagers futurs, Sophie Delhay répond à toutes les fluctuations qui pourraient rythmer leurs vies et celle de leurs logements. Cette souplesse des espaces réside dans l’uniformité totale de ceux-ci, des ouvertures au nombre de rangement en passant par la dimension, chaque pièce peut revêtir plusieurs casquettes. Ce procédé architectural inédit provient d’une extrême rigueur, paradoxalement puisqu’il est porteur d’une grande fluidité et réversibilité. En plus de cette flexibilité, le projet peut se transformer de lui-même, sans intervention pécuniaire ou physique des usagers, si ce n’est l’ouverture d’une porte. Pour encaisser toutes les modifications, plus ou moins profondes, des modes de vie de chacun, qu’ils soient temporaires ou continus, le foyer doit se munir d’une capacité à passer d’un état à un autre instantanément sans endommager le confort. C’est le cas d’Unité(s) qui abrite des projets susceptibles de convenir à un large éventail de profils, allant du groupe de co-working, à la colocation étudiante, en passant par le schéma familial classique. Sans évoquer la modularité prépondérante de la structure et de l’organisation du bâtiment, Unité(s) déploie aussi une notion d’interaction. Qu’il s’agisse des interactions des usagers sur la morphologie de leur logement, ou des interactions potentielles entre chaque pièce, qui sont poussées à un niveau inatteignable dans un immeuble standard. Cet intérêt porté par Sophie Delhay pour les échanges entre les gens se traduit aussi dans les échanges entre les architectures : «C’est une collection de pièces de tailles identiques, mais elles sont toutes différentes de par leurs relations les unes par rapport aux autres, par leurs connections, par leur relation à l’extérieur, etc..» 1 Ce projet relève le défi, rarement exploité, d’une conception flexible dans le domaine du logement collectif. Cette interprétation du genre apporte un regard neuf et une dynamique nouvelle à cette architecture innovante et traditionnelle à la fois, en France, comme ailleurs où les logements sociaux se détériorent en permanence.

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1. Sophie Delhay, Espaces de liberté.


fig. 34 : Tableau récapitulatif des expressions de la flexibilité dans le projet.

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fig. 35 : Vue aérienne de la maison nue et son environnement. ©Hiroyuki Hirai

fig. 36 : Vue de la façade de la maison nue de nuit. ©Hiroyuki Hirai

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2.2 LA FLEXIBILITÉ RADICALE NIPPONE : MAISON NUE, SHIGERU BAN, KAWAGOE, 2000 Cette maison conçue par Shigeru Ban, grand nom de l’architecture japonaise actuelle, fait partie de ses projets emblématiques. Elle est un symbole de l’architecture de ce dernier, par la simplicité et la frugalité qu’elle offre à son occupant ou visiteur, pour simplement apprécier l’espace et ses capacités. A plus de 43 ans, Shigeru Ban livre ici un projet abouti, fruit de ses recherches suite à la pléthore de maisons expérimentales qu’il a conçu depuis le début de sa carrière. Déjà architecte prestigieux et pilier du renouveau de l’architecture contemporaine de son pays, Ban se détache de ses comparses par sa quête de réinterprétation de la conception flexible traditionnelle de l’archipel. La Maison nue, livrée en 2000, revêt le costume de modèle pour les logements individuels du XXIe siècle. Elle empreinte à la fois la facilité de lecture de l’architecture moderne, les matériaux et techniques actuelles et les traditions conceptuelles locales. Ainsi, elle se compose d’un seul grand volume, disposé dans la longueur et largement percé d’ouvertures, sur trois des quatre façades. Ce volume à l’aspect épuré est terminé par un toit courbé, unique fantaisie morphologique de l'enveloppe, l’éloignant des toitures terrasses omniprésentes au siècle dernier. La forme de l’habitat comme sa matérialité rappellent les serres agricoles présentes autour, dans cet environnement rural. Prenant place dans une zone pavillonnaire, en périphérie de la ville de Kawagoe, non loin de Tokyo, la maison se distingue nettement de ses voisines, plus classiques (fig. 35). Encerclée de zones agraires et bordée par un fleuve, au Sud, sur lequel elle s’oriente généreusement, la Maison nue est aisément remarquable et impose son empreinte architecturale sur le lotissement alentours. Résolument contemporaine, elle affirme sa position dès la façade avec une double peau composée d’une première couche en polycarbonate ondulé renforcé et d’une seconde, sur l’intérieur, en tissu de nylon (fig. 36). Le tout, fixé sur des menuiseries en bois protégées par une fiche couche de plastique, donne au logement une expression double, très épurée au-dehors, presque futuriste, et plus traditionnelle au-dedans avec le principe de tissu qui filtre la lumière, et rappelle les shōji en papier de riz. On retrouve donc les jeux de lumières avec les façades est et ouest, en verre transparent, et la façade sud, elle, avec son aspect translucide qui réinterprète les principes de l'Éloge de l’ombre. «Une maison qui offre le moins d’intimité possible pour que les membres de la famille ne soient pas séparés les uns des autres, une maison qui offre la liberté de pratiquer des activités personnelles dans une atmosphère de partage» 1 tels étaient les mots des clients, un couple avec 2 enfants et une grand-mère, lors de la commande à Ban.

1. Shigeru Ban, Naked House.

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«LES ARCHITECTES TRAVAILLENT SOUVENTPOURL’ARGENTETLEPOUVOIR, QUI SONT INVISIBLES [...] MAIS NOUS POUVONS UTILISER NOS COMPÉTENCES POUR DES POPULATIONS PLUS LARGES, MÊMES CELLES TOUCHÉES PAR DES CATASTROPHES.»1 SHIGERU BAN

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Shigeru Ban, architecte japonais né le 5 août 1957 à Tokyo, fait partie du Panthéon des figures de sa discipline au Japon, mais aussi dans le monde entier. Il commence son apprentissage à l’université des Arts de Tokyo, mais ce sont ses voyages, comme il l’affirme lui-même, qui vont parfaire sa maîtrise. Il restera longtemps aux Etats-Unis, où il étudiera notamment à la Cooper Union de New York et dans une école d’Architecture de Californie. Il y étudiera les travaux des architectes qui ont marqué le XXe siècle, notamment Frank Lloyd Wright, et sortira diplômé en 1984. Il reprendra ensuite le chemin de son pays natal pour y commencer sa carrière d’architecte. Là-bas, il développera un goût prononcé pour les matériaux innovants et légers, comme le papier et le carton, qui deviendront ses marques de fabrique. Il concevra une série de maisons d’un autre genre pour réinventer les manières de vivre, plus fluide. Parmi celles-ci, la Maison de Papier ou la Maison aux 9 carrés sont les plus radicales et édifiantes. Elles lui permettront d'ajuster sa maîtrise de la conception de logements. En parallèle de ce début de parcours modeste, il fonde une ONG regroupant tous les architectes volontaires à la reconstruction des zones sinistrées. Avec ce groupe de concepteurs, ils proposent des dizaines de solutions d’habitats temporaires, notamment en 1995 après le séisme de Kobe, où il proposera sa Paper Log House, construite en carton afin d’être assemblée vite et économiquement. Shigeru Ban devient donc le super-héros architectural de toutes les régions souffrant de catastrophes naturelles. Il interviendra au Rwanda, en Turquie, en Inde, en Chine, en Italie et chez lui, au Japon. Caractérisé par son audace structurelle et matérielle, Ban ira jusqu’à installer un bureau temporaire pour son agence sur le toit du centre Pompidou à Beaubourg, construit, encore une fois, en carton et papier. Il sortira de la bulle du logement avec des réalisations renommées comme le centre Pompidou de Metz en 2005, le Paper Theatre d’Amsterdam en 2003 ou le Nomadic Museum en 2002. Des travaux qui lui vaudront, en 2014, le prix Pritzker, firmament de la carrière de tout architecte, que le jury accompagnera d’un éloge de sa production : «l’approche créative et innovante, notamment en ce qui concerne les matériaux et les structures, est l’élément qui unit toutes ses œuvres. Grâce à un excellent design, qui répond aux défis les plus urgents, Shigeru Ban a élargi le rôle de la profession, en permettant aux architectes de participer au dialogue avec les gouvernements et les organismes publics, avec les philanthropes et les communautés touchées par des événements catastrophiques.» 2 Aujourd’hui, et à plus de 60 ans, Ban reste un architecte respecté et poursuit son travail dans la même veine à la surface du globe. En dehors de ses convictions d’un habitat nouveau et en lien avec son temps, il intègre désormais une notion plus organique à ses projets de grande échelle, comme au Mémorial international du Mont Fuji ou à la Seine Musicale de Paris, deux bâtiments qui conservent un rapport aux matériaux de prédilections du Japonais.

1. Rinny Gremaud, Le Pritzker pour un architecte de l’humanitaire. 2. Jury Pritzker Price, Discours de remise de prix.

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Pourtant construite au cœur de la carrière de Ban, la Maison nue ne reprend pas ses codes habituels. Les matériaux sont plus classiques et industriels, à l’exception du bois et du verre et aucun papier ou carton n’ont été utilisé. On retrouve donc la volonté de mettre ce projet à part, pas uniquement vis-à-vis du quartier, mais aussi de ses autres réalisations. La façade sud, largement ouverte à la lumière, peut cependant paraître totalement opaque vue de l’extérieur, grâce à la seconde peau de tissu qui filtre les vues et apporte l’intimité contre les étrangers au cocon familial. Les seules ouvertures, dimensionnées pour la ventilation uniquement, sont de tailles modestes, hormis la double porte qui donne accès au jardin et à la rivière (fig. 37). Ces façades à l’opacité spéciale permettent de nuancer la relation entre extérieur et intérieur, typologie conceptuelle classique de l’architecture nipponne depuis plus d’un millénaire. La structure, quant à elle, est doublée pour réduire la section des poteaux de bois, qui, positionnés à des intervalles resserrés, permettent de supporter la charpente bois en arc du toit. La structure sert aussi de menuiseries à une fenêtre sur deux et est complétée par des contreventements en X qui permettent à cette «halle» de tenir. Le volume créé par cette structure évolue en double hauteur sur toute la surface de 195m² de l’habitat, ce qui augmente la perception de l’espace intérieur et diminue l’effet «couloir». Cependant, c’est bien comme un couloir que la maison est appréhendée du point de vue de la circulation et des ouvertures. En effet, si les façades sud et nord sont faiblement ouvertes sur l’extérieur et offrent une luminosité naturelle diffuse, les façades est et ouest sont plus largement ouvertes, pour développer un espace traversant dans le sens de la longueur. A l’ouest, la façade s’ouvre totalement pour créer un lien physique et visuel vers la terrasse, abritée par le débord de toit, qui se développe de ce côté (fig. 38). A l’opposé, les espaces plus intimes se mettent en place tels que la salle de bain et les espaces de rangement, ce qui oblige l’architecte à renforcer l’intimité. Bien que plus fermée via des stores vénitiens en intérieur, cette façade comporte tout de même des portes qui s’ouvrent sur l’extérieur, où des arbres fabriquent encore une fois une barrière aux vues indésirables. Au niveau de l’aménagement intérieur de cet espace généreux, en double hauteur, Shigeru Ban a décidé d’offrir une liberté quasi-totale à la famille qui habite la maison. En effet, seuls les pièces d’eau et espaces de rangement sont fixes. Le reste subsiste comme un espace totalement définissable par les usagers. Afin de donner un cadre à ces perspectives d’organisation, l’architecte a inventé des pièces complètement mobiles, sur roues, qui meublent l’espace et permettent d’isoler des chambres ou des espaces semi-intimes (fig. 39). Ces 4 boîtes, dont le sol est composé par des tatamis traditionnels, mesurent soit 2,7x2,7m ou, avec un demi-tatami, 2,7x2,4m, offrant des espaces individuels modestes pour favoriser les échanges dans le vaste espace commun.

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fig. 37 : Vue depuis le jardin de la maison nue. ©Hiroyuki Hirai

fig. 38 : Ouverture totale sur l’extérieur à l’ouest. ©Hiroyuki Hirai

fig. 39 : Axonométrie de la maison. ©Shigeru Ban

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Comme on peut le voir sur le plan, ces pièces sont complètement mobiles et pensées à l’échelle de l’homme afin de les déplacer plus aisément (fig. 40). A l’intérieur de celles-ci, les usagers découvrent une décoration spartiate et un espace de taille modeste qui rappelle les petites pièces flexibles qui composaient les masures de l’archipel comme les palais quelques siècles auparavant. Shigeru Ban laisse entendre, via ce dispositif ingénieux, que l’aménagement est entièrement laissé à la volonté des clients. Plus que ça, il peut être modifié dans une temporalité record. En quelques minutes, la morphologie de l’intérieur peut changer du tout au tout. D’un espace orthogonal à la disposition conventionnelle à une organisation plus éparpillée, les usagers peuvent jongler avec ce «mobilier», le téléportant même à l’extérieur lorsque le climat le permet. Au-delà de la conception de ces «boîtes», la création de l’architecte japonais est également remarquable de par son dimensionnement. En effet, à tout dispositif innovant, s’ajoute un support, une base, qui doit l’être tout autant. Ici, la base est l’enveloppe de la maison et l’espace abrité qu’elle offre. Celle-ci, bien qu’étroite, permet tout de même la juxtaposition de deux cellules mobiles en laissant un espace de circulation entre elles (fig. 41). Cet assemblage intelligent offre des repères intéressants pour les membres de la famille, en apparence étrangers à la conception d’espace. Ce cadre induit par le bâtiment en lui-même masque ce manque d’expertise et permet à chacun de devenir l’architecte de son espace intime pour conjuguer l’organisation de ce dernier au quotidien. En plus d’apporter une aide à l’emboîtement des espaces du logement, les deux murs les plus opaques, au nord et au sud, permettent de connecter chaque pièce mobile au réseau électrique. La proximité entre ces deux plans verticaux, résultant à cet effet «couloir», offre plus de possibilités d’accroche des boîtes et, par extension, plus de flexibilité. Ainsi, Ban a su transformer cet inconvénient morphologique complexe à habiter, en un avantage offrant plus de liberté aux usagers. Cependant, ce dispositif d’organisation modulaire, déplaçable et flexible doit son efficacité à un contexte idéal. Le premier élément favorable étant le client, cette famille intergénérationnelle en quête d’une ouverture sociale quasi-totale entre eux, avec une intimité très relative. Le second est le lieu. En effet, cet aménagement demande une implication mentale et physique qui, comme je l’ai dit auparavant, sont des paradigmes asiatiques et plus particulièrement japonais. Un projet similaire construit en occident aurait sûrement été témoin de davantage de réticences de ses occupants. C’est donc bien là que réside le génie de l’architecte : répondre à une situation complexe par une solution simple mais très efficace. Comme le montrent les croquis préparatoires de Shigeru Ban, le concept réside simplement en une grande boîte, qui renferme quatre autres petites boîtes (fig. 42). Une sorte de village miniature à l’échelle d’une maison ; à ceci près que le village est mobile.

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fig. 40 : Plan schématique des boîtes mobiles intérieures.

fig. 41 : Plan schématique de la disposition classique de la maison.

fig. 42 : Croquis de concept. ©Shigeru Ban

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fig. 43 : Plan schématique d’une disposition en mouvement.

fig. 44 : Vue intérieure des boîtes et leur toiture accessible. ©Hiroyuki Hirai

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Si l’on met en perspective tous les concepts que Shigeru Ban a convoqués pour la conception de cette maison, on se rend compte que rien n’a été laissé au hasard. En effet, ce qui semble un détail d’enveloppe ou d’ambiance, prend une ampleur majeure une fois mis en relation avec les espaces mobiles et l’organisation flexible imaginée par l’architecte. Ici, la flexibilité prend donc le rôle de liant parmi toutes les dimensions de l’habitat, mais aussi de la famille. Ce lien social qui se créé par le mouvement et par l’ouverture des pièces entre elles pour réduire l’intimité et accentuer la proximité. Cette proximité, Shigeru ban a également voulu la retranscrire à l’extérieur. Au Japon, la relation entre espace intérieur et extérieur est importante, tous les japonais sont à la recherche d’un foyer avec un jardin, auquel ils portent grand soin. Paradoxalement, les façades les plus larges de la Maison nue sont aussi les plus opaques, pour filtrer les vues sur l’extérieur. La relation aux espaces externes se matérialise autrement, et notamment via les deux autres façades, qui elles, sont complètement transparentes et ouvrables. C’est cette ouverture qui permet aux usagers d’organiser une rencontre entre dedans et dehors, une rencontre qui s’effectue en transition, avec un premier espace en terrasse abritée qui mène ensuite au vaste jardin paysager. Dans lequel les pièces mobiles peuvent également s’implanter pour se permettre de rêver d’un séjour ou d’une chambre qui migre de l’intérieur vers le vaste monde. Cette symbolique n’est pas sans rappeler la philosophie contemplative nippone. Au-delà de l’exportation du dedans au dehors, l’architecte a mis en place une autre nuance importante : la frontière entre privé et public. Si les seuls espaces pleinement fixes sont les zones humides et les rangements, le mouvement qui régit le reste de l’habitat ne reste jamais très loin. En effet, ces pièces non-déplaçables sont cloisonnées par des rideaux, comme dans certains autres projets de Ban, ce qui atténue leur isolement du reste de la dynamique (fig. 43). Ainsi, les rideaux, séparation fluide, permettent de moduler l’ouverture de ces zones instantanément pour masquer les barrières visuelles et rendre l’espace total de la maison entièrement traversant. En plus des ouvertures traversantes de chaque côté de la maison, un autre détail morphologique permet une interprétation singulière de l’espace : la double hauteur. Bien que l’espace ne soit encombré par aucune dalle intermédiaire, la partie supérieure du volume n’en reste pas pour autant inutilisable. Ce sont, encore une fois, les boîtes qui meublent l’espace et qui permettent d’apprivoiser cette surface en hauteur. Chacune de celles-ci est conçue pour permettre de grimper jusqu’à ce niveau haut où Ban a imaginé un mobilier discret en carton (fig. 44). Ces mezzanines improvisées font donc office d’unique séparation entre les habitants. Ceux-ci ne pouvant jouir que d’une intimité partielle dans les pièces privées, profitent de cette surélévation pour s’isoler du reste. Cette séparation reste simplement visuelle, mais accroît la liberté des occupants quant aux possibilités d’appropriation du logement.

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Avec la Maison nue, Shigeru Ban livre une leçon de conception. D’une maison à l’apparence simple et frugale, qui rythme cependant l’uniformité du quartier, Ban propose une réinterprétation de la façon de vivre l’architecture. En effet, beaucoup d’architectes ont cherché à atteindre un grand niveau de transparence, mais ici, elle est quasi-totale, avec comme seul obstacle les quelques drapés qui partitionnent les pièces fixes. La Maison nue expose donc un espace traversant presque parfait, aussi bien dans la circulation que dans la perception. Pour permettre cette expression totale de la flexibilité et du mouvement, la maison doit cependant se parer d’une enveloppe immobile et épaisse, prouesse structurelle, avec une triple peau. Ce dispositif met en valeur l’ambiance interne grâce à la lumière diffuse qu’il émet et à l’obstruction des vues externes, permettant le développement d’une proximité forte entre les membres de la famille. C’est donc au sein de cette enveloppe technique, couronnée par une toiture arrondie, que se développe cet espace étroit qui s’étend sur une longueur de 24m pour une largeur plus modérée de 8m. Une morphologie en «couloir» difficile à aménager selon les règles classiques de l’architecture, notamment établie au siècle précédent, que Shigeru Ban a décidé de briser. Cette rupture avec l’architecture classique moderne prend ses sources dans celle, plus traditionnelle, de son pays. Des conceptions fluides des palais, temples ou maisons plus modestes, la Maison nue empreinte les concepts de circulation et de mouvement. Alors que les Japonais sont habitués aux shōji, aux échanges avec le jardin ou encore aux tatamis, Ban s’inspire de ces bases en les remettant au goût du jour et en défiant leurs limites établies. Le mouvement, qui s’effectuait dans une seule direction, induite par les rails des parois coulissantes, s’effectue maintenant, avec les pièces mobiles, selon toutes les directions possibles sans limites puisqu’elles s’exportent même vers le dehors. Les tatamis, quant à eux, ne sont que des rappels qui amènent un contexte familier aux habitants du lieu, mais les confortent par la relation ancestrale au sol, omniprésent dans le projet avec l’absence de cloisonnement. Enfin, la maison ne se limite pas à ses seules boîtes et rideaux mobiles et flexibles, elle intègre pleinement les usagers à son développement. Si le bâtiment n’a pas été conçu avec la participation des clients, celle-ci s’expérimente au quotidien. Chaque jour les habitants influent sur la morphologie de l’intérieur à une échelle maximale. Les possibilités d’appropriation et de liberté dans l’utilisation de l’espace sont innombrables et permettent à la construction de s’adapter aux besoins sociaux, climatiques et personnels de chaque individu. Si la Maison nue doit son fonctionnement à la demande précise du client, elle reste un manifeste de l’habitat flexible, édifié dès l’avènement du XXIe siècle, comme pour annoncer ce qui constituerait l’habitat contemporain idéal.

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fig. 45 : Tableau récapitulatif des expressions de la flexibilité dans le projet.

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2.3 L’ÉVOLUTIVITÉ LATINE : QUINTA MONROY, ALEJANDRO ARAVENA, IQUIQUE, 2003 En 2003, à Iquique, ville touristique et portuaire du nord du Chili, le gouvernement demande à l’agence ELEMENTAL d’Alejandro Aravena, de trouver une solution à un problème de squat d’un terrain vague proche du centre-ville. Le projet proposé par celui-ci est détonnant et force l’administration à accepter cette proposition grâce à son poids économique, social et politique. Plutôt que de délocaliser les populations qui occupaient illégalement le terrain, l'architecte propose de leur donner le site afin qu’ils l’occupent sans risques. Ainsi, alors que la mairie souhaitait libérer l’espace pour renforcer l’économie, l’architecte conçoit un complexe de 93 logements individuels à très bas prix pour reloger ces personnes dans le besoin. Le budget de 750 000 dollars, environ 7 500 par familles donc, ne permettait qu’une très faible marge de manœuvre pour occuper ce terrain vierge de plus de 5000m². Les calculs préliminaires prévoyaient un espace maximal de 35m² par habitations, et ce en économisant les matériaux au maximum, très loin des dimensions moyennes d’un logement familial au Chili. Cependant, l’intention première d’Aravena était de favoriser l’insertion et la mixité sociale en conservant le terrain, trop cher pour établir un logement social classique. Ses seules options restantes étaient de construire 30 logements avec des dimensions viables, ou la centaine demandée avec des surfaces nettement moindres. Le concept fort que celui-ci choisit finalement est totalement inédit puisqu’il opte pour une construction basée sur l’évolution. En effet, au lieu de diminuer la taille des maisons proposées, il décide de construire la moitié d’une maison de taille normale pour permettre aux occupants d’agrandir leur espace vital à mesure que leurs moyens financiers grandissent (fig. 46). Afin de faciliter ces expansions, l’architecte et son équipe proposent également des biais structurels plus simples qui soutiendront ces greffes futures. D’un point de vue urbain, le projet met également en place un système typologique intelligent avec une économie de place notoire. Ces demi-maisons suivent en effet un principe de densité important pour créer des logements mitoyens après les agrandissements et offrir des espaces extérieurs généreux pour les circulations publiques (fig. 47). Ainsi, un terrain qui regroupait des bidonvilles où les familles présentes s’entassaient sur un espace insalubre, devient un lotissement aéré où la notion d’intimité est davantage respectée. Ces caractéristiques urbaines permettent aussi au gouvernement d’offrir un accès plus simple aux services de santé et de sécurité notamment, ce qui améliore encore les conditions de vie de ces anciens reclus de la société qui habitent la Quinta Monroy.

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fig. 46 : Croquis de concept. ©ELEMENTAL

Faible hauteur mais grande densité

Ne pas surpeupler

Laisser des possibilités d’extension

fig. 47 : Schéma du système triangulaire choisi.

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Encore une fois contraint par les ressources très faibles des clients du projet, l’agence a opté pour une architecture simple avec un choix des matériaux uniquement orienté vers la rentabilité. Les volumes simples et rectangulaires des logements se développent sur la hauteur pour réduire leur emprise sur le terrain onéreux sur lesquels ils prennent place. La surface initiale de 30m² proposée pour chaque maison entrevoit une capacité d’évolution pour obtenir plus du double de celle-ci, jusqu’à 72m². Pour réduire les freins budgétaires et techniques des familles, l’agence a d’abord conçu la moitié essentielle au développement d’un habitat, avec les pièces d’eau et les chambres, laissant le développement des pièces de vies et autres à l’appréciation des occupants. Comme les façades simplifiées au maximum le montrent, ce projet à l’apparence austère répond de façon optimale aux problématiques économiques. Le béton structurel est apparent en façade, les surfaces vitrées sont très faibles et le toit plat réduit l’utilisation de matériaux. Des percements dans les rez-de-chaussées encouragent les circulations plus fluides dans l’espace public du quartier et laissent une autre possibilité d’extensions aux usagers (fig. 48). «S’il y a un seul pouvoir dans le design, c’est celui de synthèse. Plus le problème est complexe plus la réponse apportée doit être simple.» 1 Cette création unique a une proportion sociale en plus d’économique puisqu’elle favorise les rencontres. Chaque maison est juxtaposée aux autres sans jardins individuels et avec un grand espace extérieur partagé. Cependant, les blocs construits ne sont pas mitoyens pour autant, ils se décalent les uns des autres pour diversifier la façade urbaine et densifier plus intelligemment en libérant des vues plutôt que de développer les constructions en hauteur, comme les immeubles HLM classiques pour les classes populaires (fig. 49-50). Ainsi, par cet imbriquement astucieux, l’agence peut proposer des logements individuels à des familles à la situation financière précaire. En plus de répondre à de nombreuses problématiques locales de la ville d’Iquique, le projet propose une solution à l’échelle nationale pour le Chili, un pays en transition lente et manquant énormément de logements. Ce concept aisément répétable avec quelques ajustements pour correspondre au milieu dans lequel il s’implante, a permis au Chili de proposer des logements à leur population plus accessible au niveau de revenu moyen, comme à Constitucion, avec la construction du quartier de Villa Verde en 2009. «Notre idée du design est de lier les capacités constructives propres des personnes. Avec le bon concept, les favelas ne sont peut-être pas le problème, mais l’unique solution à l’explosion de la demande en logements citadins.» 2 Ces projets forts en symbolique sont le fruit d’un travail en coopération avec les habitants eux-mêmes, faisant de ces projets les figures de proue de l’architecture participative. C’est par ceux-ci que la carrière d’Alejandro Aravena et son agence ont pris une toute autre ampleur, propulsant son nom parmi les grands théoriciens d’aujourd’hui et de demain.

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1. Alejandro Aravena, Ma philosophie architecturale ? Engager la communauté dans le processus. 2. Idem..


fig. 48 : Vue extérieure des maisons du lotissement à la livraison du projet. ©Cristobal Palma

fig. 49 : Axonométries des concepts rejetés. ©ELEMENTAL

fig. 50 : Axonométrie des concept choisis. ©ELEMENTAL

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«SI QUELQU’UN SAIT COMMENT UTILISER LE PLUS EFFICACEMENT POSSIPLE LES RESSOURCES RARES CE SONT LES FAMILLES PAUVRES, ELLES MAÎTRISENT LE SENS DES PRIORITÉS, ET NOUS VOULONS INTÉGRER CETTE SAGESSE AU SYSTÈME CONCEPTUEL.»1 ALEJANDRO ARAVENA

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Alejandro Aravena est un architecte chilien très concerné par l’avenir de son pays et la misère sociale qui touche sa population. Enfant d’une famille aux revenus aisés vivant à Santiago, la capitale du pays, il naît le 22 juin 1967 et grandit dans un milieu en contraste, entre les quartiers d’affaires, zones touristiques et bidonvilles. Il effectuera ses études à l’Université pontificale catholique du Chili, un établissement privé duquel il sera diplômé en 1992. Il fonde d’abord une agence en solitaire en 1994, effectuant des projets de petite envergure au Chili, puis, en 2000, il co-fonde Elemental Team avec deux associés. C’est dans cette même année, alors que l’agence n’est encore qu’un embryon, qu’il se voit confier le projet de Quinta Monroy à Iquique, qui propulsera la méthode et les trois hommes sur le devant de la scène architecturale chilienne. Il restera dans la même veine avec la construction de Villa Verde, trois ans plus tard, et, dans la même ville de Constitucion, le projet urbain ultérieur au tsunami de 2010. Ces trois projets significatifs de l’architecte et son agence ont tous été réalisées selon une logique d’architecture participative, en considération des doléances des habitants. Déjà connu pour des projets de plus petite échelle, c’est l’une des premières fois qu’un véritable travail coopératif entre usager et concepteur est mené à terme dans des projets urbains. Au-delà de ces projets de réinsertion sociale et de remodelage urbain, Aravena, gagnant en notoriété, s’est aussi vu confié d’autres commandes. Parmi celles-ci, de nombreuses écoles et projets de logements collectifs, mais aussi, deux bâtiments de recherche culturelle qui impacteront le monde entier. Le premier, lui valut l’obtention du prix Pritzker en 2016, le centre d’innovation de Santiago, sa ville natale. Celui-ci, est construit selon des principes climatiques intelligents et une architecture monumentale prenant en compte les conditions de vie et la façon de travailler de demain. Véritable réflexion sur le partage et la vie sociale dans un mileu tertiaire, celui-ci fait état de symbole de l’architecture chilienne du XXIe siècle. Le second, construit, encore une fois, à Constitucion porte le renouveau de la ville. Livré en 2015 et, bien que de plus petite échelle que le précédent, il reprend les mêmes principes de connexions sociales. «Alejandro Aravena a été le pionnier d’une pratique plus collaborative de l’architecture qui produit des œuvres puissantes en relevant les défis majeurs du XXIe siècle. Son travail donne des opportunités économiques aux moins privilégiés, atténue les effets des catastrophes naturelles, réduit la consommation d’énergie et produit de l’espace public accueillant. Il montre comment, si elle est innovante et inspirée, l’architecture peut améliorer la vie des gens.» Alejandro Aravena parvient à faire d’une architecture à l’esthétique prononcée une plus-value socio-économique tournée vers la résolution de la pauvreté. Dans un pays au cœur des problématiques de lutte des classes et de catastrophes naturelles, il met en place des espaces flexibles et évolutifs au sein d’une architecture frugale et épurée, tournée vers l’avenir.

1. Alejandro Aravena, Ma philosophie architecturale ? Engager la communauté dans le processus. 2. Jury Pritzker Price, Discours de remise de prix.

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fig. 51 : Vue extérieure des maisons après appropriation par les habitants. ©Cristobal Palma

fig. 52 : Plans des logements. ©ELEMENTAL

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L’avenir du Chili et d’Alejandro Aravena, se sont joués via la carte du logement social. Ce projet à l’évolutivité modèle a permis à la carrière de ce dernier de s’envoler. Si le concept paraît simple, une fois en place, la réussite de cette théorie repose sur plusieurs paramètres. Le premier, a rencontré un franc succès, puisqu’il s’agit des habitants eux-mêmes. Longtemps marginalisés, ceux-ci ont saisi cette opportunité pour créer une architecture singulière et sensible, qui reflète les personnalités de chacun. Ainsi, quelques années après la construction, le quartier à l’architecture uniforme, simple et spartiate, s’est métamorphosé en un mélange de couleurs et de morphologies (fig. 51). Chaque espace vacant laissé par la typologie a été utilisé pour former des façades asymétriques. Chacune de ces extensions fonctionne comme un livre biographique, racontant la temporalité des évolutions, la singularité de chaque famille et le plaisir de cet exercice de conception personnelle de leurs logements. Cette expérience montre donc la force d’un concept imaginé en amont avec les usagers, plutôt qu’une architecture conventionnelle qui aurait réfreiné les ardeurs de ces individus longtemps baignés dans la culture de l’auto-construction. Le cadre fourni par Aravena est resté tel quel dans certains cas, mais d’autres ont même saisi l’opportunité de remodeler l’apparence de leur maison sur toute sa surface. Ainsi, certains murs gris et sobres sont devenus des façades aux couleurs vives et chatoyantes, démarquant le quartier du reste des constructions environnantes. «La régularité de l’édifice, en plus de répondre au facteur du coût, était souhaitable parce qu’elle permettrait d’accentuer, par contraste, l’individualité de chaque logement.» 1 Pour ce qui est de l’aménagement intérieur, les habitants avaient le loisir de modifier chaque cloison interne grâce à la structure, déportée en façade. Certains ont donc joui de cette possibilité en créant des espaces ouverts, surtout au rez-de-chaussée, où se développent les pièces de séjour (fig. 52). Pour les étages supérieurs, la démarcation entre architecture initiale et rajouts postérieurs est plus fine. La majorité des occupants ont pris appui sur la conception initiale pour organiser leurs chambres de manière plus commune. Cependant, certains ont pris des libertés importantes. En effet, une famille a cassé une dalle pour créer une double hauteur avec une mezzanine, pendant que d’autres, ont téléporté leurs pièces de vie au premier étage pour mieux séparer chambre parentale et chambres d’enfants. Cette stratégie de l’«édifice parallèle» engage des risques pour les concepteurs, qui laissent l’avenir de leur création entre les mains des habitants, complètement étrangers au monde de l’architecture. Dans certains cas, les familles ont construit des extensions en dehors des limites imposées par la structure et l’urbanisme. Ceux-ci, en empiétant sur l’espace de leurs voisins, ont été repris par la justice pour que l’ordre puisse survivre et que, sans endommager la liberté d’autrui, chacun puisse développer sa propre idée d’un habitat personnel et singulier.

1. Lise Gaillard, De la participation habitante au design participartif.

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A la Quinta Monroy, Alejandro Aravena et son équipe ont répondu selon leur credo : à toute situation complexe, une réponse simple. Cette solution simple, en apparence, s’est prise en considération des habitants, ce qui a permis de s’assurer de son efficacité. Cependant, solution simple ne veut pas toujours dire solution miracle. Pour de nombreux habitants, ce système a davantage été un tremplin qui a permis aux maisons de prendre de la valeur et aux propriétaires de les revendre pour déménager ailleurs. L’une des sources de ces pratiques, pas généralisées pour autant, peut être la rigidité du concept. En effet, hormis ces extensions et les possibilités intérieures d’aménagement, pas induites de prime abord, ces logements sont assez statiques. A cause du budget très modeste de l’opération, les matériaux, les morphologies et les dimensions ont dû être pensés le plus économiquement possible. Ce manque d’ambitions budgétaires a impliqué le développement d’espaces très conventionnels qui ne favorisaient pas vraiment d’adaptations profondes ou de réversibilités quotidiennes. Si le principe est très avantageux économiquement et permet de mettre en exergue les capacités conceptuelles et décoratives de chacun, il n’établit ces évolutions que dans une temporalité longue. Les premières maisons à atteindre leurs apparences finales furent terminées en 2007, quatre ans après la livraison du projet, et la majorité en 2010. Ainsi, la flexibilité est moindre via ce concept, au profit d’une évolutivité maximale. Mais, qui dit évolution, dit processus développé sur la longueur. En dehors de ces espaces vacants à remplir, le projet ne propose pas de réels modes de vie innovants ou d’expression de mouvement. Une fois la capacité maximale du logement atteinte, les habitants n’ont plus aucune interaction possible à réaliser, sauf si ceux-ci les ont prévu dans leurs interventions. Malgré ces approximations dans la conception d’un espace qui favorise un mode de vie flexible et en libre appropriation, le projet et ses logements restent un archétype de l’évolution. Il utilise certains biais connus des habitats flexibles comme la modularité et l’uniformité de sa structure, qui permettent une équité initiale entre tous les individus. La transformation de l’enveloppe est également un facteur important de liberté dans l’usage des maisons par les habitants. Ce projet a une dimension individuelle, il est prévu pour une famille et ses besoins, avec des extensions qui vont se faire jusqu’au double de la surface initiale, perspective inédite offerte à chacun. Mais, cette moitié de 35m² laissée à l’appréciation de chacun implique un processus de reconstruction permanente. En effet, dès qu’une famille s’étend trop pour les dimensions pré-établies par le projet, un départ reste forcé. C’est ce départ qui va, à l’emménagement d’un autre foyer sur le site, impliquer une destruction des extensions pour les reconstruire selon les intentions des nouveaux propriétaires. Cette dimension rend le projet nettement moins social et ôte l’intérêt économique sur la durée.

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fig. 53 : Tableau récapitualtif des expressions de la flexibilité dans le projet.

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fig. 54 : Vue extérieure de la Garden House. ©Jorrit't Hoen

fig. 55 : Vue aérienne de la cabane. ©ANNA

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2.4 LA MOBILITÉ DANS L’ARCHITECTURE D’EUROPE DU NORD : GARDEN HOUSE, CASPAR SCHOLS, EINDHOVEN, 2016 En 2015, alors qu’il n’est même pas encore diplômé d’architecture, le jeune Caspar Schols se voit confier un petit projet demandé par sa mère : une cabane de jardin. Très impliqué par ce projet qui prend place au sein même de son foyer, le jeune homme, alors seulement titulaire d’une formation de designer, imagine la Garden House. Cette petite cabane de jardin répond initialement aux seuls besoins d’un aménagement de ce type : la protection contre les intempéries, la facilité d’usage, l’ouverture sur l’extérieur et le rangement. Or, la réponse de Schols à ces problématiques est celle d’une structure hautement flexible et mobile, permettant d’ajuster les dimensions et l’ouverture de l’espace selon la variation des conditions climatiques et les besoins des usagers (fig. 54). Le fait que ce projet soit conçu dans la sphère familiale a permis au concepteur d’apporter une touche très personnelle au projet et de connaître, en plus du site, les envies et besoins du client, sa propre mère. Ainsi, il a pu imaginer cet espace de taille modeste, mais avec des capacités d’extensions très larges qui peuvent changer les dimensions de l’espace du simple au double. Plus qu’un simple abri de jardinage, le bâtiment de Schols a davantage une envergure d’habitat à part entière, de par ses dimensions comme par son système structurel complexe. En plus de ses fonctions classiques d’abri de rangement pour le jardin, le pavillon sert également d’espace de réception semi-extérieur, de foyer notamment pour les représentations théâtrales du benjamin de la famille ou d’espace de loisir et de bureau. Ce petit espace revêt donc plusieurs fonctions et programmes regroupés et agencés de manière à être plus souples et adaptables. En dehors de ses propriétés réversibles et évolutives, la cabane détient également des prédispositions écologiques et économiques. Les matériaux utilisés sont quasiment tous biosourcés avec une grande majorité de bois de sapin Douglas, à l’exception de la toiture en acier (fig. 55), des vitrages et des fondations, constituées de 18 pilotis en béton armé de 50cm de hauteur. La portée écologique de cette construction provient également de ces pilotis. Ils permettent de surélever le bâtiment et de limiter son empreinte sur le sol naturel, le laissant vierge de tout décaissement. Ces pilotis, comme le reste de la structure et de l’enveloppe peuvent être assemblés en amont et montés ensuite sur site, encourageant un chantier en filière sèche plus propre. La préfabrication et le montage peuvent être faits par une seule personne en une semaine, grâce notamment à la légèreté du projet et à sa structure en portique aisément assemblable. En plus de cette position structurelle détachée, les matériaux qui constituent l’abri sont tous d’origine locale.

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En plus de sa faible expérience, Caspar Schols a dû composer selon plusieurs autres contraintes économiques et politiques. La première, était le budget de sa mère, de 20 000€, qui laissait assez peu de marges de manœuvre et impliqua les choix de l’acier et du béton. La seconde, provenait des lois en vigueur à Eindhoven, ville de résidence de la famille, qui impose une emprise de 25m² maximum au sol pour ce type de constructions. La réponse à ce dernier problème a été de maximiser le potentiel de l’habitat en concevant un plan de 6m de long par 4 de large, offrant une surface de 24m² en situation initiale. Cependant, le système sur double rail développé par l’architecte permet d’étendre la zone habitable à son double, avec près de 45m². Ce système se compose d’une double peau structurante. La première, l’enveloppe, sur l’extérieur, est composée d’une charpente en lamellé-collé de sapin Douglas, sur laquelle on ajoute une couche d’isolant et un parement en bois de la même essence. La seconde, sur l’intérieur, se développe dans la continuité, avec la même armature structurelle en bois, cette fois-ci recouverte entièrement de verre, qui assure à la fois la transparence et l’isolation. Ces deux épaisseurs, dimensionnées à échelle humaine, reposent sur des roues suivant un chemin de rail, pour qu’une personne seule puisse déplacer chaque composante du bâtiment sans efforts. Ainsi, l’espace intérieur peut se transformer en un espace assez opaque et isolé, en un espace plus étendu, avec une partie en transparence totale, ou même, avec des espaces extérieurs. La force du concept réside également dans la diversité de compositions que propose l’abri. L’usager peut établir des dizaines de morphologies différentes selon ses envies (fig. 56), et ce, quasi instantanément. «Ce n’est pas une maison ou une cabane, c’est un sentiment.»1 exprime la mère de l’architecte, première cliente du projet. Première, puisque depuis, et en quelques mois seulement, Schols a reçu des dizaines d’autres commandes pour obtenir un abri de ce type. Ces commandes lui ont permis de perfectionner le système et de le rendre encore plus flexible et mobile. Mais elles ont surtout dégagé une autre force de ce concept, sa capacité de relocalisation et de construction en série. En effet, la préfabrication permet de monter le projet à peu près n’importe où, si l’on dispose de 25m² de surface plane. Mais, qui dit monter, dit aussi démonter, et ainsi, déplacer d’une semaine à l’autre la construction. A l’image d’une caravane, celle-ci peut donc suivre ses occupants au gré de leurs voyages assez aisément. D’un point de vue pratique, les seuls composants du projet complètement immobiles sont l’assise bétonnée (fig. 57) et le poêle à bois, avec sa cheminée, au centre de l’espace, qui apporte le confort thermique à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur quand la maison est découverte. Encore une fois, la simplicité de la conception répond au problème de l’énergie par une source écologique et renouvelable qui correspond à la mentalité nordique d’approche du développement durable et de l’architecture domestique.

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1. Emmanuelle Borne, Abri de choix.


fig. 56 : Possibilités différentes en façade. ©Caspar Schols

fig. 57 : Vue extérieure de la cabane en mouvement. ©Jorrit't Hoen

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A l’image de ses congénères Scandinaves ou Hollandais, Caspar Schols réinvente la notion de flexibilité et allège la nuance entre mobilier et immobilier. Toujours parmi les grands noms de l’architecture, l’art et le design, les acteurs de cette région septentrionale de l’Europe ont souvent compté parmi les précurseurs des mouvements artistiques mondiaux. De Van Gogh à Alvar Aalto, en passant par Gerrit Rietveld qui, on l’a vu, était l’un des lanceurs de l’idée d’un logement réversible et adaptable, tous inspirèrent les générations suivantes, aussi bien aux Pays-Bas que dans le reste du monde. Forte de ce bagage, la région a créé un mode de vie propre et une théorie architecturale puissante, en lien avec l’environnement et avec la société, forgeant ce vivier de talents artistiques. Schols, lui aussi, est un enfant de cette école de pensée. Après des études de design à l’université d’Amsterdam, qu’il achève en 2015, il s’initie au monde de l’architecture et, en autodidacte, conçoit son premier bâtiment en quatre mois et le construit lui-même en cinq autres mois. Cette garden house, achevée à moins de 25 ans par le jeune Hollandais, lui a permis de développer un concept fort et de monter une entreprise qui a pu faire germer son idée dans plusieurs autres endroits du pays, en seulement quelques années. Acquérant sa renommée par les réseaux sociaux et les médias d’architecture, la cabane de Schols a reçu quelques prix honorables comme le A+ price d’Archtizer récompensant le projet de l’année en 2021. En dehors de la fulgurance de son ascension, le jeune homme a su garder les pieds sur terre et s’entourer des bonnes personnes, puisant ses forces dans le cadre familial qui l’entoure, notamment sa mère qui, dès son premier projet l’a accompagné et guidé selon ses envies et selon la justesse de ses choix (fig. 59). Leur relation particulièrement affective s’exprime par la vision qu’il a de celle-ci : «Ma mère est une personne très spéciale [...]. C’est aussi une personne pure. Elle veut vivre des expériences pures, sans fantaisies, sans demi-mesures. Elle aime découvrir de nouvelles choses et est attirée par les choses nouvelles.»1. Au-delà de ses prédispositions conceptuelles, structurelles et mécaniques, Schols a développé une architecture sensible et personnelle. Dès le début de la mise en place de son unique projet, il a réfléchi aux moyens de répondre aux demandes exhaustives de sa mère en se plaçant sous l’angle familial. En connaissant le mode de vie de sa mère parfaitement et, par extension, le sien, il a pu imaginer tous les scénarios que le bâtiment pourrait traverser. Plus que les imaginer, il les a matérialisé sous forme de schémas pour comprendre l’influence de ceux-ci sur l’intégrité du projet (fig. 58). Cette analyse préalable sensible et climatique a été la source de cette maison comme trois maisons en une. «Juste un aperçu de la liste de vœux de ma mère : un endroit où travailler, où écrire, où recevoir, où se reposer, où admirer le paysage, où aménager une chambre supplémentaire, où peindre, où dormir à la belle étoile, où méditer, un endroit amusant...»2

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1. Emmanuelle Borne, Abri de choix. 2. Idem.


fig. 58 : Croquis préparatoire à la conception de la Garden House. ©Caspar Schols

fig. 59 : Caspar Scholls et sa mère. ©Rob Stork

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fig. 60 : Vue intérieure de la cabane. ©Jorrit't Hoen

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C’est de cette liste exhaustive que la Garden House tire son concept. Un espace qui réunit tant d’activités différentes, pouvant regrouper un grand nombre de personnes comme un seul individu, ne peut être conçu que de manière flexible. Afin de répondre à cette demande complexe, Caspar Schols a voulu, à la manière du projet précédent, proposer un bâtiment qui augmente sa surface. La différence principale est la temporalité utilisée. Ici, les transformations que l’on peut opérer, aussi bien sur l’enveloppe que la surface intérieure, s’exécutent en très peu de temps. C’est avant tout la double peau mobile qui permet ce système astucieux. Bien que cette double peau implique une double structure, la dimension modeste de l’édifice, spécifiquement sur la hauteur, permet que celle-ci soit discrète. Construite en majeure partie en bois, matériau louée pour sa légèreté et sa flexibilité, la maisonnette inclut un grand nombre de dispositifs adaptables. Le premier, est donc cette capacité d’extension, mais aussi, de rétractation, détail important, qui laisse une marge de manœuvre importante à l’espace. Grâce aux différences d’aspect des deux peaux successives, l’intérieur peut suivre différentes compositions, spécialement au niveau du ressenti. En effet, la maison peut développer une transparence totale en son centre ou aux extrémités, se replier sur elle-même en un espace clos visuellement, ou au contraire, s’ouvrir complètement pour créer un lieu dedans-dehors. Cette fluidité dans la composition extérieure et intérieure permet aux usagers de modifier leur environnement direct très rapidement selon leurs sensations, leur nombre, et surtout, les activités qu’ils exercent dans l’habitacle. Initialement programmée comme un organisme de rangement, la cabane se doit de conserver des techniques d’optimisation de place intéressantes. Ainsi, Schols a imaginé un mobilier intérieur totalement camouflable via des imbrications dans le sol (fig. 60). Grâce à ce système, il est aussi possible pour les habitants de transformer un espace meublé en espace vierge plus libre à la circulation notamment. La liberté offerte par le concepteur est inégalée dans toute construction, même de cette échelle. Là où le projet se démarque, c’est par sa considération des phénomènes physiques qui interviennent sur une maison, davantage que les changements psychologiques de ses habitants. En effet, l’une des choses les plus flexibles et changeantes sur Terre est la météo. Ce projet, s’établit en relation profonde avec celle-ci. Les possibilités d’ouverture, fermeture ou du juste-milieu de la cabane, permettent aux usagers de l’utiliser de façon optimale peu importe le climat. Cette propension aux phénomènes naturels, additionnée à la mouvance des émotions et ressentis humains, font de la Garden House la réponse parfaite à un mode de vie en mouvement. Car c’est bien le mouvement qui caractérise le projet. Caspar Schols est l’un des seuls à avoir osé faire de la structure de la maison elle-même un dispositif mobile. Ainsi, même l’immobilier devient mobilier et s’adapte aux êtres vivants qui l’habitent.

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Ce projet de petite dimension reflète tous les points forts de la flexibilité que les projets de plus grande envergure cherchent désespérément à intégrer. Grâce à son système simple mais cependant révolutionnaire, Caspar Schols donne une leçon, sans même avoir suivi de cours théoriques, à tous les architectes ayant tenté l’aventure d’un habitat flexible. Le plan que ce dernier a suivi est l’archétype du plan libre, sans cloisons, sans poteaux, et même, sans mobilier fixe, en dehors du système de chauffage. Cette liberté de vie s’exporte également en façade avec une enveloppe qui se compose, se décompose et se «joue» heure par heure. La simplicité de l’ouvrage permet un usage singulier et remit en question chaque jour, même pour une personne seule. Ce jeu de composition offre une multitude d’usages et de morphologies au cabanon, pouvant se métamorphoser du tout au tout jusqu’à huit fois. En plus de l’aspect mobile de la structure, la taille réduite et la préfabrication en kit de celle-ci permet de la déplacer en elle-même une fois démontée. Ainsi, en cas de déménagement ou de longs séjours, l’habitat peut suivre ses habitants, en étant monté et démonté en deux jours par un groupe de cinq personnes. Ce principe, en plus d’être flexible localement, peut être mis en place n’importe où ailleurs, surtout grâce aux précautions climatiques prises par le projet. Ce déplacement de la structure entière est rendu possible par la structure et l’enveloppe modulable, montable et démontable sans endommager celle-ci. Cette modularité pourrait permettre de potentielles extensions si les règles d’urbanismes le prévoient. En ayant pris connaissance de cette perspective, Caspar Schols a saisi l’opportunité de réinterpréter son propre système en répondant à certains problèmes de sa Garden House. C’est comme cela qu’une série de «Cabin» ont vu le jour, dont la Cabin ANNA est le dernier prototype. Ces cabines, commercialisées dorénavant partout en Europe, comportent des pièces d’eau, principal manque de la maisonnette initiale. Avec cet ajout, l’habitacle devient une réelle maison, et non plus une cabane de jardin, prenant une ampleur nouvelle et sociale pour une surface qui s’étend et se rétracte à volonté. L’une des forces de ce projet vis-à-vis de la flexibilité est le pouvoir des usagers sur l’ensemble de la maison. En dehors de la dalle et des fondations, les individus peuvent modifier l’intégrité de la maison en intégralité. De l’enveloppe au mobilier, chaque détail est personnalisable en temps réel, sans efforts majeurs. Enfin, la typologie de maison de jardin et la morphologie simple du projet encouragent une grande fluidité dans les fonctions de l’espace, qui n’en possède pas réellement, laissant cet aspect au gré des habitants et des évènements. Ce projet, en dehors de l’impossibilité de le juxtaposer ou de l’empiler avec un autre, est un manifeste de flexibilité, amplement encouragé par la dimension relative du système.

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fig. 61 : Tableau récapitulatif des expressions de la flexibilité dans le projet.

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fig. 62 : Tableau comparatif des différents axes flexibles travaillés dans les projets.

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PARTIE 3 : LE PRÉSENT ET LE FUTUR DE LA FLEXIBILITÉ

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Après avoir abordé les enjeux socio-politiques, économiques et géographiques qui ont influencé l’architecture du logement actuelle en première partie, puis, avoir analysé quelques projets répondant de façon singulière et adaptée à ces circonstances, en deuxième partie. Nous allons voir dans cette ultime phase, quelles conclusions nous pouvons tirer, quelle est la situation après considération de ces dynamiques et, enfin, nous projeter dans l’avenir pour tenter d’établir une projection de l’évolution de l’architecture flexible. Cette partie permettra de développer un avis critique sur le sujet, en comparant les aspects positifs et les freins potentiels de ce type d’architecture domestique. En prenant en compte les principes écologiques, durables, économiques et sociaux qui bouleversent le monde, nous répondrons au questionnement posé préalablement pour établir une conclusion et des hypothèses pour le futur. Ces hypothèses seront des interprétations personnelles, qui, bien que basées sur une recherche à caractère scientifique, ne seront que des suppositions à ne pas interpréter comme des affirmations universelles et établies.

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3.1 APPROPRIATION ET LONGÉVITÉ DES LOGEMENTS FLEXIBLES 3.1.1 Liberté d’aménagement des usagers. En dehors des enjeux qui font, petit à petit, évoluer les mœurs dans la plupart des société aujourd’hui, l’un des paramètres trop souvent mis de côté, en architecture, est le confort et le bien-être des habitants. Pourtant, cette dimension devrait être le souci premier des concepteurs. Tout architecte n’est qu’un être humain qui imagine des espaces et des environnements de vie pour d’autres êtres humains. Et cette affirmation implique donc, par nature, que chacun de ces êtres humains, qu’il soit client ou maître d’œuvre, ait une sensibilité propre et des influences et opinions propres. De ce constat, comment serait-il possible de créer des lieux de vies ajustés aux perspectives de chacun ? Ce problème, rendu encore plus difficile à résoudre après l’explosion démographique et l’avènement du logement collectif, a développé une culture de l’instabilité, avec des populations qui migrent, de logements en logements, sans jamais trouver d’espace satisfaisant leurs consciences propres. Ce déplacement perpétuel, additionné au paradigme de spéculation immobilière qui se développe depuis quelques décennies, encourage la construction de ces immeubles conventionnels et normés. Or, ceux-ci n'hébergent que des appartements identiques, prenant en compte les seules règles urbanistiques et économiques des régions dans lesquels ils sont implantés. Une construction destinée à un individu ou un groupe d’individus ne peut se satisfaire d’exploiter les seules circonstances politiques ou de reproduire un quelconque schéma. Elle doit recentrer ses attributs sur le développement de ses hôtes et prendre en compte les évolutions politiques et sociales que ceux-ci vont vivre, à une échelle plus individuelle donc. C’est de là que l’architecture flexible tire sa force. Plutôt que de s’efforcer à répondre à toutes les conjonctures en imaginant des espaces tous différents et adaptés aux personnalités de chacun, elle accueille ces conjonctures en son sein. L’exercice est basé sur l’anticipation, comme l’explique Maurice Sauzet : «Par un effort mental, à partir d’indices fugaces, il éprouve - croit éprouver - la sensation que les hommes auront pourront avoir [...]. C’est vivre par avance, avant toute création matérielle, les lieux tels qu’ils sont vécus. C’est juger sensuellement d’un état futur pour le façonner en conséquences.»1 Cet exemple à suivre induit une influence plus psychologique et littéraire sur l’architecture, l’éloignant de ses paradigmes techniques et mathématiques, pour la réorienter vers les individus et l'anthropologie.

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1. Maurice Sauzet, Contre-architecture - L’espace réenchanté. 2. Ricardo Boffil, Espaces d’une vie.


«QUAND ON SAIT LA DURÉE DE VIE MOYENNE D’UNE CONSTRUCTION [...] ON NE CONSTRUIT PAS POUR L’ÉPHÉMÈRE ; CHACUN PEUT CHANGER D’APPARTEMENTCOMMEDEVÊTEMENT, MULTIPLIER LES EXPÉRIENCES SUR SON PROPRE HABITAT.»2 RICARDO BOFFIL

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A l’image de Ricardo Boffil ou du Collectif Encore, de nombreux architectes conçoivent leurs propres logements en fonction de ces problématiques d’anticipation. La mécanique de réflexion est plus aisée quand on construit pour soi, mais le résultat reste le même : des habitats plus souples, qui amortissent les évolutions personnelles et sociales du mode de vie et qui, par extension, rallongent la durée de vie des constructions. En garantissant cette pérennité des bâtiments, on garantit également une économie de matériau, d’argent et de temps, qui vont dans le sens du développement durable et du déclin des émissions de CO2. Le logement flexible se doit d’être promu par les architectes eux-mêmes pour que ce mode de vie gagne en notoriété et touche le plus grand nombre. C’est donc une stratégie adoptée par certains, comme Boffil dans sa maison près de Barcelone, qui a pris le parti de transformer un bâtiment au programme industriel diamétralement opposé à un habitat individuel (fig. 63). Ainsi, d’une cimenterie à l’architecture lourde de sens et brute, on retrouve, en extérieur comme en intérieur, des interventions intelligentes qui ont permis de métamorphoser silos et cheminées en lieux de vies fluides et sensibles. Dans la même veine, à une échelle plus raisonnable et classique, le Collectif Encore réhabilite un corps de ferme en conservant les vertus de la construction traditionnelle française (fig. 64) telles que l’épaisseur isolante des parois et la charpente apparente en bois. Toutes ces caractéristiques structurelles loin d’être flexible en apparence, permettent à cette enveloppe d’accueillir des espaces plus adaptables et libres. La réhabilitation assure donc un approvisionnement en espaces où la conception peut offrir des libertés importantes, mais permet aussi de prolonger le sursis des logements imaginés de façon correctes, mais sans soucis d’économie énergétique, à l’image des travaux de Lacaton et Vassal. L’architecture de demain doit, évidemment, prendre appui sur l’architecture d’hier, ses vertus, ses leçons, mais surtout ses réalisations n’ayant pas épuisé leurs potentiels. «Nous arrivons à un moment donné, faisons de notre mieux ou, plutôt, faisons tout pour que l’endroit puisse continuer à vivre après nous. [...] Il ne faut pas croire que l’architecture ne s’invente qu’une fois. Notre ambition est de rendre la vie plus belle que l’architecture, [...] plus intéressante demain, une fois habités, et encore plus dans dix ans.»1 Très bien expliqué par Anna Chavepayre, le logement reste une histoire qui ne s’arrête pas à la fin du chantier, ce n’en est que le premier chapitre, les autres s’écrivant tout au long de la vie du bâtiment, et surtout des gens qui l’habitent. C’est pour cela que l’architecture flexible fait preuve de cette richesse dans les possibilités et les potentialités : pour écrire des histoires plus sensibles et où les rebondissements enrichissent les espaces. L’architecte devient, s’il s’emploie à dessiner des espaces réversibles et interactifs, davantage un écrivain qu’un ingénieur, bien que ses armes ne sont pas les mots, mais les murs, les sols, les plafonds et les ouvertures.

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1. Maryse Quinton, Habiter autrement.


fig. 63 : Vue extérieure de la maison de Ricardo Boffil. ©Yasmine Lahrichi

fig. 64 : Vue intérieure de la maison Hourré. ©Michel Bonvin

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«UNE MAISON DOIT ÊTRE UN LIEU GÉNÉREUX, OÙ IL EST POSSIBLE DE FAIRE CHAQUE JOUR DE NOUVELLES DÉCOUVERTES. UNE VISION ÉLARGIE DE CE QUE L’HUMANITÉ TOUTE ENTIÈRE PERÇOIT DANS LA NOTION DE VIVRE.»1 SOU FUJIMOTO

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C’est ce langage, qui a permis de composer l’architecture depuis des siècles, qui se réinvente aujourd’hui pour s’adapter à la grammaire de la flexibilité et à la conjugaison des espaces et des techniques actuelles. Par cette évolution, des dispositifs classiques répondant à des fonctions strictes et pragmatiques se déclinent pour devenir des procédés accentuant la souplesse des espaces. C’est le cas des serres agricoles, réutilisées par Lacaton et Vassal dans leurs projets de la maison Lathapie ou de la Cité manifeste (fig. 94), qui utilisent leurs caractéristiques thermiques pour faire germer des espaces nouveaux, en transition, qui encouragent les interprétations. C’est aussi le cas de la Ha long villa (fig. 86) qui utilise des procédés classiques tels que la double peau, qui adopte, en plus de ses caractéristiques isolantes, des fonctions circulatoire et fluides, entre jardin et terrasse, entre escalier et loggia. En dehors de toutes ces avancées conceptuelles, techniques et dans les mentalités, la flexibilité apparaît également comme une réponse viable aujourd’hui avec le désir de liberté des usagers. Toujours présente dans les esprits de chacun, la liberté du point de vue de l’architecture avait été mise de côté, au profit d’une certaine docilité face aux choix des concepteurs. Cependant, depuis le cataclysme du confinement général vécu ces dernières années, de nombreux individus prennent conscience de leur rôle vis-à-vis de leurs logements. On n’est plus passif face à son habitat, pour habiter pleinement, il faut s’investir physiquement et mentalement, en modelant et remodelant au quotidien son espace. Que ce soit dans sa morphologie comme la Garden House, ou dans son organisation avec les cubes mobiles de Shigeru Ban, ou encore en greffant des extensions avec le système d’ELEMENTAL au Chili, les êtres humains du monde entier commencent à adopter ce paradigme actif face aux modifications de leurs lieux de vies. «L’évolutivité c’est permettre aux gens de rester chez eux lorsque la vie change. Permettre à des foyers de se succéder également durant la vie du bâtiment.»2 Ces mots de Sophie Delhay semblent donner la définition parfaite du diapason qui unit les dispositifs adaptables des logements flexibles et les changements qui rythment la vie des usagers. Grâce à cet accompagnement de l’architecture elle-même face aux aléas de la vie humaine, les occupants d’un logement peuvent appréhender plus aisément les fluctuations de leurs besoins. Les changements de travail qui encouragent la mise en place d’une pièce en télétravail, le départ des enfants, l’arrivée d’un autre, l’hébergement d’un ami, les envies d’indépendance de certains membres du foyer... ces quelques idées parmi des centaines d’autres composent le pêle-mêle d’événements qui troublent la stabilité d’un foyer. La multitude de ces alternatives doit donc être envisagée par le concepteur pour concevoir un habitat flexible et souple qui épouse ces revirements plutôt que de les répugner. Construire flexible est donc un exercice proche de la divination, en présageant de façon optimale les contextes futurs.

1. Maryse Quinton, Habiter autrement. 2. Sophie Delhay, Évolutivités.

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fig. 65 : Plan schématique. ©Maartje Lammers fig. 66 : Vue extérieure de la cabane. ©Immagine

fig. 67 : Plan schématique de la maison. ©Davidson Rafailidis

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fig. 68 : Vue de l’espace studio. ©Florian Holzherr


Dans l’optique de garantir une liberté maximale pour les habitants, les conceptions flexibles doivent donc réunir un maximum des caractéristiques décrites auparavant. De flexible à évolutif, en passant pas déplaçable ou encore modulable, composer avec tant de paramètres et régler la présence de dispositifs répondant au problème est un art complexe, mais qui donne une dimension toute autre à la discipline et une proximité aux usagers accrue. Des dispositifs, depuis l’avènement de l’industrie, couplée avec l’essor de la technologie, les Hommes ne cessent d’en inventer et d’en réinventer, avec toujours plus de justesse pour parvenir à des systèmes pratiques. Le projet de 24H Architecture, construit en 2004 à Ové Glas en Suède (fig. 65), dépeint parfaitement cette influence des dispositifs intelligents actuels. Dans cette petite maison de vacances en pleine forêt, les architectes ont imaginé cette forme «caméléon», qui se pare d’un bardage proche de l’écorce des arbres environnants (fig. 66). Mais le détail qui fait de cette cabane modeste un habitat extraordinaire c’est le mécanisme sur rail qui supporte un tiers de l’espace interne. Grâce à ce système, similaire à celui de la Garden House, l’habitat peut s’étendre et se rétracter à volonté, en porte-à-faux au dessus du torrent qui serpente devant la maison. Par ce dispositif, simple en apparence, mais complexe dans la réalisation, la maison augmente sa surface de 20m², pour pallier au nombre variable de personnes hébergées. Cependant, l’architecture flexible ne se résume pas uniquement à des dispositifs. En effet, comme pour toute architecture, avant d’imaginer des dispositifs, le concepteur met en place un ou plusieurs concepts forts. Ce sont ces concepts qui amènent ensuite à l’élaboration de différents systèmes, mais parfois, ces simples idées permettent de développer des espaces fluides idéals. Par exemple, Davidson Rafailidis, à Buffalo aux Etats-Unis, réhabilite un ancien garage en 2018 (fig. 67), pour le transformer en un petit appartement. Cette structure offre une surface très vaste de 480m², mais très peu d’ouvertures sur l’extérieur, avec des parois maçonnées qui ne permettent pas d’en créer de nouvelles. Par une réponse qui parait simple, mais qui n’en est pas pour autant évidente, l’architecte sépare l’espace en deux : une partie hivernale et une partie estivale. La première partie, de taille modeste, est isolée et comporte toutes les commodités vitales à un logement contemporain, à l’image d’un studio classique, ici de 45m² (fig. 68). La seconde partie, de 435m² donc, reste inchangée et garde toutes les caractéristiques d’un garage, jusqu’à son aspect. Ainsi, cette conception permet au couple d’usagers de varier leur utilisation du lieu en fonction des saisons. En été, la seconde partie est utilisable comme pièce de vie, notamment grâce à la fraîcheur des murs en briques, et multiplie la surface interne par 10. En hiver, les usagers concentrent leur occupation dans le studio isolé thermiquement, en gardant le reste de l’habitat comme un grand atelier, un espace davantage dédié au travail. Ainsi, nul besoin de dispositifs mobiles ou d’extensions, ce sont les individus qui sont mobiles pour utiliser le bâtiment de façon optimale.

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Que ce soit par les concepts qu’il imagine, ou par les dispositifs qu’il met en place, l’architecte est l’acteur primordial de l’architecture évolutive, il est celui qui plante la graine avant qu’elle ne germe et devienne un espace vivace. Cependant, il n’est pas le seul acteur. Comme j’ai pu l’évoquer plus tôt, l’usager lui-même est un protagoniste majeur de l’histoire qui s’écrit lors de la conception d’un projet. Celui-ci peut avoir un rôle plus ou moins notoire selon la liberté d’action laissée par l’architecte. Cette action peut se décliner du simple aspect décoratif, jusqu’à, comme pour le projet de Quinta Monroy, une participation concrète à la mise en place du projet. Dans les cas les plus simples, l’usager est laissé sur le côté, avec comme seul pouvoir de modifier la couleur des revêtements intérieurs et l’orientation des meubles, et encore... lorsque le projet est plus intelligent, les occupants ont une marge de manœuvre plus grande : la possibilité de changer les dimensions de leurs espaces de vie, changer l’organisation de ce dernier, interagir sur l’isolation de certaines pièces ou encore agir sur la nuance entre intérieur et extérieur, comme c’est le cas dans tous les projets que j’ai étudié dans ce mémoire. Mais là où la flexibilité gagne en crédibilité vis-à-vis des résidents, c’est quand elle s’opère en relation directe avec eux. Quand, dès les premières discussions, les concepteurs intègrent ces derniers dans le débat, évaluant leurs envies et leurs ambitions pour édifier le logement d’une vie. C’est l’ambition que caresse chaque individu lors de l’acquisition d’un logement, et c’est le souhait que l’architecte devrait réaliser de prime abord. Ainsi, les projets comme celui d’Alejandro Aravena prennent une ampleur toute autre dans le monde de l’architecture, mais aussi dans le monde tout court. Avec un concept aussi fort et une prise en compte des opinions d’une population habituellement mise à l’écart, le projet gagne en certitude et, par extension, en longévité. «L’architecture [...] est un lien empathique entre les humains. [...] Cette attitude qui mêle étroitement scientifique et humanisme : «Faire participer» n’est pas un argument de vente ni une simple politesse envers les habitants. C’est les considérer comme éléments indispensables à atteindre cette complexité. Aux trois qualités décrites par Vitruve dans son De architectura : Fermitas, utilitas, et venustas, il faut ajouter humanitas.»1 L’architecture ne doit pas oublier qu’elle ne se fait pas pour l’architecte et sa notoriété, mais bien pour les êtres humains qui vont habiter cette architecture. C’est ce que tente de faire l’architecture flexible, et par extension l’architecture participative, souvent liées, qui remettent l’individu au centre des débats, comme vecteur permettant de résoudre cette fameuse complexité qui cadre le travail de tout architecte. C’est donc cette vision humaine de l’architecture domestique, qui peut paraître logique, mais qui semble avoir été mise de côté quelque temps, qui permet d’étendre la durée de vie des logements, et, par conséquent, la stabilité et l’épanouissement des foyers qui les habitent. De plus, la réduction des besoins de changements de chacun permet de répondre à un autre problème contemporain : l’économie de matériau et d’argent.

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1. Dimitri Toubanos, Concevoir et construire autrement, pour une société durable: l’expérience participative de Lucien Kroll et Patrick Bouchain. 2. Caroline Anthérieu-Yagbasan, Du champ des possibles à l’espace du pouvoir.


«L’ARCHITECTE DOIT ÊTRE UN PROPHÈTE ... UN PROPHÈTE DANS LE VRAI SENS DU TERME. S’IL N’EST PAS CAPABLE DE VOIR AU MOINS À DIX ANS DANS LE FUTUR, NE L’APPELEZ PAS UN ARCHITECTE.» 2 FRANK LLOYD WRIGHT

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3.1.2 Une vision durable de l’architecture domestique Alors que les villes deviennent métropoles et les métropoles deviennent mégapoles, les architectes du monde entier croulent sous les commandes de projets de logement. Tous plus denses les uns que les autres, ces immeubles fleurissent partout dans le monde, redessinant les lignes d’horizon et les rues. Ce constat, édifié depuis le début des années 2000, a connu une certaine baisse pendant les 2 dernières années, suite à l’arrêt plus ou moins global de la construction pendant la pandémie. Mais depuis lors, la construction de logements a de nouveau augmenté de façon drastique1. Cet élan de construction neuve a pour ambition de loger les 8 milliards d’êtres humains qui peuplent notre planète aujourd’hui. Un nombre important, qui est appelé à croître encore pour atteindre les 10 milliards en 2050, puis plus de 11 milliards en 2100. Pour loger ce nombre déroutant de personnes, il est logique de construire sur la hauteur, pour économiser les sols. Cependant, augmenter la densité est une réponse simple, mais qui reste onéreuse. Pour pallier à ce gaspillage de ressources, aussi bien budgétaire que matériel, les logements flexibles paraissent encore une fois, une réponse plus viable. En effet, construire et reconstruire est un paradigme capitaliste néfaste pour la planète, épuisant ses ressources, comme le sable, et rejetant des tonnes de CO2 dans son atmosphère2. Aujourd’hui, plus de 8% des logements sont vacants en France, ce qui représente plus de 3 millions d’habitats vacants dans le pays. Cette situation alarmante a de nombreuses causes socio-économiques,. Mais, en parallèle du besoin de réhabilitation énergétique des bâtiments, c’est l’incapacité de ces logements à répondre aux besoins des habitants qui poussent ceux-ci à les abandonner. Ainsi, plutôt que de reconstruire de nouveaux immeubles collectifs regorgeant d’appartements standards aux lacunes importantes en terme d’appropriation, la solution semble encore une fois venir d’une conception plus raisonnée et souple. Bien que les exemples que j’ai utilisé soient, en grande majorité, des logements individuels, certains architecte parviennent à mettre en place des solutions flexibles dans des logements collectifs, à l’image du projet de Sophie Delhay. L’agence MVRDV a plusieurs fois proposé des genres d’habitats nouveaux, où la vie en communauté et les espaces partagés sont mis au centre du projet. Mais c’est au Japon que l’on retrouve, encore une fois, les exemples les plus anciens de ces expériences d’habitats collectifs adaptables et évolutifs. On peut notamment parler des tests sur l’«espace articulé» de Steven Holl, dans ses logements a Fukuoka, en 1991, qui fut un succès total, en proposant un espace totalement interactif, composé uniquement de parois coulissantes(fig. 69). A une échelle plus petite, pour un groupe de 18 logements seulement, l’architecte japonais Yositika Utida avait lui aussi proposé une autre alternative, avec des plateaux libres entièrement conçus par les habitants, le rôle de l’architecte s’arrêtant à l’invention de systèmes thermiques à énergies renouvelables. Ce dernier accompagne toujours les occupants pour guider leurs modifications internes (fig. 70).

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fig. 69 : Vue extérieure du projet de Steven Holl à Fukuoka. ©Steven Holl

fig. 70 : Vue extérieure du projet japonais NEXT21. ©Yositika Utida

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Ces deux études sur les possibilités d’établir des passerelles entre logements de série, bon marché, et logements plus onéreux et confortables, en associant une construction plus flexible à ces typologies, ont permis de démontrer l’impact de l’appropriation sur les habitants. En effet, dans les deux cas, les clients avaient eu l’opportunité de choisir entre des logements complètement flexibles ou des logements classiques, suivant les mêmes organisations, mais sans les dispositifs mobiles. Et, dans les deux cas, la totalité des clients ont opté pour la première solution, estimant qu’elle correspondait davantage à leurs besoins. Bien qu’effectuées sur le sol nippon, territoire largement ancré dans ce paradigme interactif, ces études prouvent que la conception flexible n’est pas uniquement une flatterie cérébrale des architectes ; elle est directement liée aux besoins des individus qui habitent leurs architectures. «Donner aux occupants le pouvoir d’utiliser leur maison de manière personnelle et de modifier leur environnement ne leur permet pas seulement de transformer un immeuble en un «lieu» spécifique, mais procure également la flexibilité de changer au gré des circonstances.»1 Ainsi, il est possible, et même souhaité, de construire des logements flexibles dans des immeubles collectifs aujourd’hui. En plus de la grande popularité de ce type d’habitat auprès des usagers, ceux-ci opèrent également des conséquences écologiques et durables non-négligeables. D’un point de vue logique, comme je l’ai mentionné auparavant, des logements conservés plus longtemps par leurs occupants, ou qui s’adaptent à de nouveaux foyers aisément, allongent la durée de vie du bâtiment entier, et réduisent, par conséquent, le besoin d’en construire de nouveau. De ce fait, l’économie de matériau, d’argent, d'énergie et de temps est considérable. Or, davantage que cet aspect quantitatif de la construction de logements, les habitats de demain ont aussi le devoir de proposer une réponse qualitative, qui pourrait prévenir les futures réhabilitations coûteuses. C’est également un aspect pris en compte dans la majorité des logements que j’ai présenté, notamment le projet Unité(s), qui, en plus de proposer des alternatives interactives inédites dans l’organisation interne, présente aussi une façade épaisse, ausi bien isolante que fonctionnelle. Mais ce projet n’est pas le seul à inventer des solutions pérennes pour la planète comme pour les habitants. D’autres illustres architectes comme l’agence OMA et son projet Timmerhuis à Rotterdam (fig. 71), associent une conception flexible et modulable de grande ampleur avec des atriums qui rythment la morphologie et permettent une ventilation et une captation de la chaleur optimale. Avec une disposition plus classique, qui n’est pas sans rappeler les immeubles Haussmanniens locaux, l’agence LAN Architectes réalise un projet flexible par la préfabrication et la construction écologique de ses matériaux, qui composent une structure modulaire (fig. 72). Le tout associé à une épaisseur impressionnante de façade et à la présence de loggias dans chaque logement, qui apportent leurs atouts isolants thermiquement et phoniquement, donnant à ces logements encore plus de réversibilité que le concept le permettait déjà.

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1. Robert Kronenburg, Flexible : une architecture en réponse au changement.


fig. 71 : Vue des patios du projet Timmerhuis. ©Ossip van Duivenbode

fig. 72 : Vue intérieure des logements de LAN Architectes. ©Julien Lanoo

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fig. 73 : Vue extérieure de Machu Picchu à Lille. ©Julien Lanoo

fig. 74 : Appropriations possibles de la pièce en plus dans le projet LoNa+. ©Sophie Delhay

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En observant ce que j’ai déjà décrit, on remarque que la flexibilité se caractérise souvent par l’ajout d’un espace ou d’une pièce dans un logement, qui permet de modifier tout le reste. En effet, si la flexibilité est bien cette histoire qui se raconte et se joue, l’architecte en est le metteur en scène, les usagers en sont les acteurs et cette pièce «supplémentaire», en est le décor. Dans les travaux de Sophie Delhay, ce décor se matérialise en une loggia d’entrée, qui permet de réguler les connexions avec l’extérieur et, par exemple, de séparer davantage une partie du logement, qui gagne en indépendance. Ainsi, bien souvent, les projets qu’on peut caractériser de flexibles exploitent ce biais architectural. Cette pièce ajoutée, bien souvent sans fonction précise, et c’est là tout l’intérêt de cet espace. A la manière d’un puzzle, les architectes composent l’espace, en gardant ce «joker», qui leur permet à eux comme aux habitants de faire et de défaire le casse-tête sans démarches éprouvantes. Alors, comment ces architectures en souplesse parviennent-elles à respecter le cadre du programme demandé ? Et quelles économies réalisent-elles pour rester dans les limites du budget ? Encore une fois, comme Sophie Delhay l’a démontré dans plusieurs autres projets, comme Machu Picchu, à Lille en 2013, où des terrasses traversantes ponctuent le volume (fig. 73), ou à LoNa+, à Nantes en 2008, où ce sont de petits jardins partagés qui étendent l’espace intérieur et font même fusionner plusieurs logements voisins (fig. 74) ; l’ajout de ces espaces imprévus n’a pas empêché les maîtres d’ouvrage de soutenir le projet. Selon la même Sophie Delhay, la force de l’architecture domestique flexible, c’est sa frugalité. Les espaces sont de taille modeste, avec une décoration quasi-spartiate. Encore une fois pour laisser libre cours à l’imagination des résidents. Ce principe est bien souvent associé à une utilisation des matériaux raisonnable et économique. Tous ces paramètres participent à cette grande économie de moyens et permettent d’organiser des logements plus adaptables, en conjuguant des pièces moyennes plutôt qu’en libérant de vastes surfaces. Cette composition particulière façonne des appartements ou maisons de plus grande dimension que celle prévue par la norme. Par exemple, un T4 dans le projet Unité(s) ne comporte pas quatre pièces de vie et une ou deux pièces d’eau supplémentaires. Il comporte d’office cinq pièces, deux demi-pièces d’eau et une loggia additionnelle. Or, posséder une pièce supplémentaire sans dépenser un euro de plus que pour un T4 classique offre une réelle plus-value réversible et évolutive à court comme à long terme. Cette typologie, qui juxtapose un plus grand nombre de petites pièces, comme le faisaient les appartements d’Haussmann au XIXe, permet, lorsque cette juxtaposition se fait de manière logique, d’inventer un système structurel qui se plie aux besoins d’une telle construction. Comme je l’ai montré précédemment, la quasi-totalité des projets d’habitats souples d’aujourd’hui sont réalisés en filière sèche, et plus particulièrement en bois, ce qui favorise l’utilisation de structures poteaux-poutres, plus favorables aux adaptations et, avec celles-ci, la valorisation de la préfabrication.

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Dès la Révolution Industrielle, les architectes ont su apprivoiser les bienfaits de cette manufacture optimisée. Ils ont su favoriser les éléments préfabriqués, à la fois plus simples à mettre en œuvre, plus léger et moins chers que les maçonneries ou bétons classiques. A cette époque, les usines orientaient davantage leur production vers l’acier, en plein âge d’or, qui avait amené la construction du Cristal Palace à Londres ou de la Tour Eiffel à Paris. Mais aujourd’hui, c’est le bois qui se positionne en vedette de l’industrie de la construction. Biosourcés, biodégradable, recyclable et renouvelable, le bois est le vecteur principal de ces nouvelles constructions de plus faible portée, modulaire et plus fluide. Si le bois ne tire pas sa popularité croissante de son aspect économique, plus cher que les autres matériaux structurels à cause du manque de main d’œuvre qualifiée entre autres, il est sans doute le plus flexible de tous et le plus viable pour la planète. Certaines de ses essences à la pousse rapide permettent notamment la construction de structures légères impressionnantes, comme le bambou. Ce dernier prend une place de plus en plus importante, notamment dans l’architecture asiatique, où il pousse en abondance. Certains profitent de ce matériau hautement renouvelable et rapide à assembler pour inventer des solutions d’habitat plus écologique et économiques. C’est le cas du projet Cubo (fig. 75), du jeune Eral Forlales, aux Philippines, qui conçoit cette maison simple quasi intégralement faite en bambou, ce qui induit un coût de construction de 67€ du m², économie significative dans cette région du monde. «Nous pensons qu’à l’heure actuelle, un mode de construction durable est plus précieux que jamais. L’état actuel de l’urbanisme irresponsable, de la pollution de l’air et de la crise économique demande à la profession d’architecte de repenser le processus de construction. L’utilisation de matériaux naturels comme le bambou peut être un instrument essentiel pour développer des alternatives écologiques pour les villes du futur.»1 Toujours en Asie, un autre architecte, Chris Precht, a entrepris de remodeler les villes contemporaines pour donner une place plus importante à la construction bois. Il a vu les problématiques d’hébergement critiques de l’Asie du Sud-est comme un moyen de prouver la valeur d’une construction plus éthique, modulaire et flexible à des échelles extrêmes. Ses projets de Garden House et Farmhouse (fig. 76), utilisant des ossatures bois ingénieuses ont aussi permis de découvrir de nouvelles façons de concevoir et d’habiter un espace. En plus d’accroître la durée d’occupation des logements par leurs habitants, les solutions flexibles permettent d’effectuer un grand pas vers une architecture plus durable d’un point de vue écologique, mais aussi social et économique. Par des biais simples, en contradiction avec le faste de certaines architectures «de luxe», les concepteurs parviennent à organiser des logements plus intelligents, plus souples et plus en adéquation avec leurs occupants, le tout sans inflation et sans gaspillage matériel. De plus, nombre de ces projets sont réalisés en filière sèche et via la préfabrication des éléments, qui permettent des chantiers plus courts et moins onéreux, sans dénaturer trop en profondeur les sols.

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fig. 75 : Vue 3D du projet Cubo. ©Eral Forlales

fig. 76 : Vue 3D du projet Farmhouse. ©Chris Precht

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«UN PROJET DE MAISON UNIQUE [...] EST COMPLÈTEMENT DIFFÉRENT DE CELUI DE LOGEMENTS DE SÉRIE [...]. LE PREMIER EST SOUVENT FONDÉ SUR UNE CONNAISSANCE DIRECT DE DÉSIRS ET DE PRÉOCCUPATIONS CLAIREMENT EXPRIMÉS.»1 ROBERT KRONENBURG

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3.2 LES LIMITES DU CONCEPT DANS L’EXERCICE ARCHITECTURAL 3.2.1 L’architecture participative et coopérative Comme j’ai commencé à le décrire, architecture participative, coopérative et architecture flexible sont liées. Bien que ces dernières ne fonctionnent pas toujours ensemble, la flexibilité, qui évoque un art de l’anticipation et de la prospective, s’atteint plus facilement lorsque le futur occupant intègre le projet dès son commencement. L’une des notions phare que ces deux architectures ont en commun, est l’Humain, remettre les humains au centre des préoccupations, et bannir le fonctionnalisme et le modernisme. Si l’on s’en réfère aux mots de Christopher Alexander : «Les usagers savent mieux que personne ce dont ils ont besoin.»2 , alors, chaque projet qui se veut durable et confortable pour ses occupants devrait intégrer ses hôtes à la conception de façon active. Or, aujourd’hui, intégrer l’habitant à la conception se résume trop souvent en une simple liste de vœux, faisant de l’architecte une allégorie du Père Noël. Cependant, l’architecture participative ne peut être efficace qu’avec une concertation plus poussée entre habitants et concepteurs. C’est un travail d'introspection, pour faire ressortir les besoins et les manques de tous, quand certains ne peuvent même pas encore les exprimer s’ils ne les ont jamais expérimenté. Ce dont il s’agit relève presque de la psychologie. C’est de là que vient la limite principale d’une architecture participative exploitée à son potentiel maximal : faire de l’architecte un psychologue. Si certains architectes possèdent déjà plusieurs cordes à leurs arcs, celle de sociologue, d’urbaniste, d’ingénieur, etc. Cet énième rôle plus psychique demande une certaine expertise qui semble moins accessible. Si l’on fait abstraction de cette dimension psychologique, l’architecture participative possède des atouts conséquents, notamment celui d’investir complètement les futurs habitants à leur lieu de vie, puisqu’une part d’eux-mêmes est stockée dans l’espace qu’ils ont aidé à concevoir. Souvent organisées dans des projets collectifs, à l’image du projet de Quinta Monroy, les démarches participatives ont également l’avantage d’identifier chaque individu prenant part au débat comme membre d’un groupe. Et ce groupe tisse des liens avant même la livraison du projet entre ces futurs voisins. Ainsi, même s’ils ambitionnent d’occuper une parcelle dont ils ne sont pas propriétaires, les futurs résidents s’approprient davantage le lieu et renforcent leur sentiment d’être propriétaires de ces constructions qu’ils ont aidé à imaginer. Bien que cette propriété n’ait rien de légal, elle permet de renforcer le lien entre le terrain et ses habitants, pour garantir un séjour dans la durée de ces derniers. Par ce biais collaboratif, l’espace public devient lui-même la propriété d’individus s’investissant pour l’aménagement de ce dernier.

1. Robert Kronenburg, Flexible : une architecture en réponse au changement. 2. Pauline Dutraive, Postures d’architectes et démarches participatives.

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fig. 77 : Vue extérieure du projet participatif de Villeurbane. ©Ad’minima

fig. 78 : Vue extérieure du projet participatif de Toulouse. ©Christophe Picci

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Afin de remédier à ce problème de propriété dans l’architecture participative, certains adoptent de nouvelles méthodes pour devenir propriétaires dans des milieux prisés en s’affranchissant de certaines limites pécuniaires. L’une de ces méthodes est la coopérative d’habitation. Ainsi que je l’ai résumé brièvement en première partie, la coopérative d’habitation est un regroupement de personnes qui achètent un terrain pour en devenir les propriétaires à parts égales. Ce qui leur offre le loisir d'y développer leurs logements selon leur bon vouloir, en accentuant la vie en communauté. Ce qui m’intéresse davantage que l’intérêt financier, c’est le mode de vie qu’elles induisent. En effet, si l’architecture flexible est une vision plus personnelle et en relation avec les désirs d’un client, elle peut aussi être paraphrasée par une disposition plus communautaire des choses, en organisant davantage d’espaces en commun. De ce fait, la flexibilité, devient une réponse logique puisqu’en plus de s’adapter à ses usagers, elle s’adapte également aux occupants futurs ou à un grand échantillon d’individus. La conception flexible permet donc de donner plus de personnalité à son logement, en l’agençant selon ses envies, mais aussi de lui donner plus de pluralité, en permettant à différents foyers de fusionner dans des espaces qui conviennent à tous, de part leur grande souplesse. Là où se type de projets peut constituer une limite, c’est qu’il n’est pas un remède miracle. A l’instar des population amérindiennes ou andines d’antan, les Suisses ont su apprivoiser ce nouveau mode de vie de partage et de voisinage rapproché, quand, dans d’autres pays voisins, comme la France, les relations entre voisins sont beaucoup plus froides et les coopératives ont même été interdites jusqu’à 2014. Depuis, un nouvel élan a permis à certains de fonder ce genre de coopératives pendant la pandémie de COVID-19, comme à Villeurbanne (fig. 77) ou à Toulouse (fig. 78). Alors, ces coopératives, qui foisonnent à Zurich, ne pourraient, à l’heure actuelle, que peu s’exporter, ou seulement dans des contextes favorables. Mais davantage que du point de vue sociologique, la coopérative impose encore un autre rôle à celui de l’architecte : le médiateur. En effet, au milieu d’un groupe de personnes conséquent, tous propriétaires du terrain, et tous avides de combler leurs désirs pour leur logement, l’architecte doit devenir arbitre, concilier et conseiller ces futurs voisins. Et, si l’architecte peut être habitué à ce rôle d’entre-deux lorsqu’il débat avec les entreprises ou les maîtres d’ouvrage, matérialiser cette diplomatie avec des investisseurs en quête d’un foyer où fonder une famille et vivre éternellement devient plus délicat. En outre, la plupart du temps, ces coopératives permettent de mettre en place des locaux associatifs à l’attention du quartier, ou des espaces communs d’activités pouvant réunir les copropriétaires. Ce modèle reste porteur de valeurs raffraîchissantes, permettant la mise en place d’une flexibilité à grande échelle, qui permettrait à ces coopératives de survivre aux aléas et de s’y adapter pour convenir à de futurs locataires ou propriétaires rapportés.

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3.2.2 La contrainte du matériau Mis à part l’invention d’une nouvelle approche architecturale, plus en lien avec les habitants, parfois nombreux, l’architecture flexible pose aussi le problème de la teknè. Dans ce nouveau type de conception, quelle place prennent les mathématiques, la structure, et toutes ces sciences de l’ingénierie qui régissent la construction ? A l’image de ce que j’ai mentionné un peu plus tôt, la nouvelle coqueluche de l’architecture flexible, et plus largement, de l’architecture contemporaine, est le bois. Ce dernier, qui expose ses qualités de souplesse et de résilience, aux antipodes des matériaux surexploités depuis plusieurs siècles que sont le béton et l’acier, se proclame comme l’alternative la plus viable pour une architecture écologique. Il est plus local, plus facile à mettre en place, plus chaleureux et offre un éventail plus large de possibilités depuis l’arrivée du CLT, inventé il y a 25 ans en Autriche1. D’autant plus que les réserves de sable, nécessaire à la fabrication du béton, s’amenuisent, avec 40 milliards de tonnes extraites par an. Or, bien que le bois soit une solution éco-responsable opportune, elle n’est pas la seule. Elle est d’ailleurs en proie à de nombreux débats face à certaines de ses conséquences indésirables suite à la surexploitation de certaines zones forestières foisonnant de biodiversité. Au niveau des tropiques notamment, où 420 millions d’hectares ont déjà été déforesté définitivement. Cependant, depuis l’édification des constats alarmants du GIEC, entre autres, de nombreuses autres alternatives biosourcées et durables entrent dans la danse. C’est le cas, comme je l’ai expliqué, de la fibre, et notamment du bambou, qui détient des propriétés amplement plus flexibles que le bois de résineux ou de feuillus. Contrairement à ces derniers, il possède une vitesse de croissance d’environ 5 ans, contre 40 et 100 ans pour les résineux et feuillus. Ainsi, dans les pays de l’hémisphère Sud, où la résistance aux pluies et la légèreté priment sur le besoin d’épaisseur et d’isolation des murs, le bambou s’installe dans les moeurs de la construction et d’une construction plus saine (fig. 79). Encore trop timoré en Occident, ce matériau pourrait se faire une place de choix dans la construction des prochaines années, ainsi que les autres fibres comme la paille et le roseau (fig. 80). Or, l’atout de la flexibilité est aussi son point faible. Sa polyvalence et son appréhension libre des espaces obligent les constructions flexibles à adopter des ossatures légères en structure poteaux-poutres. Mais, ce type d’ossature exclut un certain nombre de matériaux, notamment les plus éco-responsables d’entre eux : la paille, l’adobe, la bauge, la terre comprimée, le pisé ou encore le torchis2. Toutes ces techniques, parfois ancestrales, sont des méthodes plus durables qui réduisent les émissions de CO2 , mais qui sont basées sur des structures en murs porteurs. Cependant, tout mur porteur implique une dimension statique et bloque les potentielles appropriations de l’espace, nécessaire à la mise en place de flexibilité dans un espace.

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1. Le C.L.T. : Un matériau innovant et système constructif bois de l’avenir. 2. Pavillon de l'Arsenal, TerraFibra


fig. 79 : Vue extérieure de la halle de restauration de Calcetta construite en bambou. ©DEMAIN Architecture

fig. 80 : Vue extérieure d’une maison en paille dans l'Essonne. ©Patrick Massou

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fig. 81 : Vue extérieure du projet de MARS Architectes dans le 12e arrondissement de Paris. ©Charly Broyez

fig. 82 : Vue extérieure actuelle des planchers de Fei Otto et leur appropriation. ©Frei Otto

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Ainsi, la ressource qui convient le mieux pour développer une architecture évolutive et adaptable est le bois, à condition qu’il soit mis en œuvre avec des poteaux et des poutres de section réduites, pour favoriser la présence de plans et de façades libres. Le bois, en dehors des limites de production qu’il entraîne par son cycle de croissance et par son éventuelle rareté selon les régions, reste un matériau d’une grande richesse. Que ce soit dans les variétés d’assemblage ou dans son aspect démontable et léger, à l’inverse de l’acier, lui aussi démontable, mais moins aisément manipulable, le bois d’œuvre, utilisé par les Asiatiques depuis des millénaires, est le symbole de la souplesse de l’architecture. Chris Precht, comme beaucoup d’autres, loue l’aspect modulaire de la construction bois et l’impact de cette modularité pour la résilience et la pérennité issue de l’accommodation des circonstances changeantes de la vie. Ses projets sont à l’image de ces acclimatations, avec des postures qui vont jusqu’à faire transparaître la souplesse du bois en façade. Le bois, comme je l’ai explicité avant, se prédispose également à la préfabrication et à une construction en filière sèche, qui permet une rapidité et une mise en œuvre plus simple des projets. C’est la qualité que MARS Architectes a su exploiter, ils ont pu développer un petit collectif en plein cœur d’îlot, dans des conditions d’accès de chantier difficiles. La structure préfabriquée en bois a permis un grutage simple des éléments et la mise en place, en interne, de parois coulissantes adaptables dans les logements (fig. 81). Bien que le bois soit l’alternative la plus éco-responsable, légère et souple, elle n’est pas l’alternative la plus économique. Et cette ambivalence force les concepteurs à choisir d’autres méthodes pour assurer une flexibilité maximale sans dépasser le budget du projet. Comme je l’ai résumé précédemment, la flexibilité impose parfois l’ajout de pièces ou d’espaces supplémentaires, risquant de rendre les coûts de constructions trop élevés. A cause de ce constat, des solutions bon marché, structurelles ou de façade, sont employées. C’est ainsi qu’Unité(s) se pare d’un bardage en tôle ondulée, que Shigeru Ban couvre ses boîtes mobiles d’une enveloppe d’acier et de plastique, ou que les Chiliens utilisent le béton pour appuyer leur évolutivité. En fait, les habitats flexibles, dans l’histoire, ont toujours opté pour des solutions vernaculaires pour renforcer la proximité entre l’habitant et son domicile, et aussi pour fabriquer une architecture plus responsable. Ainsi, des projets très évolutifs et souples ont pu voir le jour avec des matériaux de construction en opposition totale à l’idée de mouvement. Par exemple, Frei Otto, en 1987 à Berlin avait expérimenté un nouveau type d’architecture en ne concevant que les planchers, espacés de 7m de hauteur, pour laisser les habitants combler les interstices. Ce projet, parangon de flexibilité à la fin du XXe siècle fut, évidemment, construit en béton, mais la portée de ce dernier permit de créer des espaces libres et aménageables par chacun à un degré maximal. Aujourd’hui, le projet ressemble à un pèle-mèle d’architectures et de vies, un espace de liberté et d’évolution, une capsule de société (fig.82).

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fig. 83 : Vue aérienne du cirque Jolly Roger. ©Poly-Sons

fig. 84 : Vue intérieure de l’agence temporaire de Shigeru Ban sur le toit du centre Pompidou. ©Jean de Gastines

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Si l’on s’écarte des matériaux classiques de la construction contemporaine, bois, béton, acier, terre ou même fibre, on appréhende encore davantage l’étendue des possibilités en matière de flexibilité. En effet, ce qui prime dans les habitats flexibles, c’est leur capacité de mouvement. Soit par le biais de dispositifs coulissants tel des portes ou des parois, soit par des structures mobiles à part entière comme dans la Maison Nue. Ces systèmes mobiles ou amovibles sont l’essence de la flexibilité, mais ils sont enfermés dans un cadre architectural «classique». Si l’on imagine un logement flexible, il est plus aisé de penser, par exemple, à une sorte de caravane, itinérante, qui satisferait les besoins et envies de ses usagers en se déplaçant d’un bout à l’autre du globe. On peut aussi imaginer un habitat fluvial, qui peut s’amarrer à plusieurs endroits selon les circonstances. Mais ce que certains architectes ont imaginé pour créer des espaces purement flexibles, adaptables de A à Z, ce sont des structures fluides, en toile. En effet, le mode de vie nomade ou semi-nomade est une vision stricte mais efficace d’un mode de vie flexible. Cette réinterprétation moderne des tentes permet une circulation et une répartition des espaces sans véritable limite. Les parois extérieures sont quasi inexistantes, ce qui permet même de s’affranchir des limites de façade imposées par l’architecture commune. Des espaces comme les cirques actuels (fig. 83), très vastes et à la structure déportée à l’extérieur permettent ainsi une préhension plus globale de l’espace et une souplesse d’interprétation inégalable. Imaginer une architecture sous toile, c’est aussi saisir l’impact isolant de ces structures, à l’image du projet Airtecture Hall de Festo KG en Allemagne en 1999. Ces espaces à la morphologie non définie s’adaptent en temps réel et se modèlent selon les humeurs de ses usagers, avec la même liberté qu’un potier façonne un vase. Cependant, la popularité de ces typologies auprès du grand public est restée très relative. En effet, ce qui motive les habitants à modifier leur logement, c’est le cadre et l’échantillon de possibilités proposé. C’est là que réside le rôle de l’architecte, proposer ce scénario, qui va s’adapter au rythme des occupants. Cet extrêmisme qui vise à laisser une liberté totale aux individus ne fait que les restreindre, incapables d’imaginer une occupation à long terme d’un espace sans limite, sans forme et sans autre accroche que le sol sous leurs pieds. Enfin, faire avec des matériaux plus fluide, c’est aussi imaginer des alternatives biodégradables afin que cet univers flexible créé et pensé à un moment donné puisse se matérialiser ailleurs ou même autrement. C’est le cas, par exemple, des structures en carton de Shigeru Ban. Ce dernier a réalisé une multitude de logements d’urgence en papier et carton, à la légèreté record et permettant aux habitants de fabriquer et modifier leur lieu de vie comme un jouet. Pour vanter les mérites de ce matériau innovant, il a eu l’audace de concevoir sa propre agence d’architecture temporaire sur le toit du centre Pompidou à Paris, entièrement en carton et verre (fig. 84). Une initiative de nouveau matériau qui fusionne l’idée de toile et celle de cadre structuré.

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3.2.3 Le rôle de l’architecte Comme je l’ai quelque peu abordé, le rôle de l’architecte dans la mise en place d’une architecture flexible est flou. Métier arborant déjà de multiples casquettes, il peut se muer en une pléthore d’autres fonctions, parfois éloignées de sa maîtrise de base. D’écrivain à metteur en scène à psychologue ou encore diplomate, l’architecte qui se veut porteur d’un mode d’habiter flexible doit être polyvalent. La méthode moderne de l’architecture, qui a formé des architectes de talent, mais orienté vers le fonctionnalisme, en construisant des bâtiments destiné à des allégories d’Hommes primitifs, réduits à utiliser leur espace personnel dans l’unique but de subvenir à leurs besoins vitaux. Cette vision plus souple de l’architecture est en rupture totale de ce paradigme. L’être humain générique n’existe plus, et ce pas uniquement dans le monde de la conception, les différences s’affirment, les sexualités, religions, idéologies ou encore passions, qui font de nous qui nous sommes sont exposées et non plus intimées. Dans ce contexte social, l’architecture ne peut plus penser en arrière. Comme disait Mies Van der Rohe : «Il n’est pas possible d’aller en avant tout en regardant en arrière.»1 l’architecte désireux de concevoir un espace flexible doit donc être tourné vers l’avenir, déterminer les probabilités et les occasions qui peuvent subvenir et modifier les interactions que les résidents vont avoir avec leur logement. Si l’architecture flexible devait se trouver une signature, ce serait une architecture humaniste, en opposition avec le fonctionnalisme. Le désir de remettre l’Humain au centre de la conception. Le désir de répudier les dogmes productivistes et capitalistes qui entourent l’architecture et qui transforment les êtres vivants en euros et les habitats en chiffres. Une architecture plus humaniste, c’est aussi une conception plus littéraire, plus loin des algorithmes et des doctrines informatiques, une architecture qui s’invente et se réinvente conjointement de ses usagers. «Habiter, c’est l’habit qu’on a autour de nous en permanence [...] et à l’architecte de se dire comment on intervient dans un espace pour qu’il entoure les épaules d’un ou plusieurs individus.» 2 Si l’architecture est l’habit protecteur de l’Homme, alors il devrait être capable d’en changer comme il change de tenue, au gré de ses envies et émotions. L’architecte doit donc également se muer en créateur de mode, à ceci près que l’enjeu est de prévoir les modes ; les modes d’habiter qui diffèrent nettement des vogues vestimentaires. Ce sont donc ces ambivalences et ces contre-sens qui font de l’architecture une discipline complexe. Elle se compose de rigueurs, de normes, de géométries et de physiques, mais aussi et surtout composée d’êtres vivants, de sensibilité, d’émotions et de politique. Cette ambiguïté, l’architecture flexible la conforte et l’exagère pour isoler de ce réseau complexe de connaissances l’architecture qui sied à son usager. Le tout, sans mettre de côté la personnalité du concepteur lui-même, son histoire et celle qu’il veut raconter, en s’isolant des conceptions assistées par ordinateur et en se rapprochant de l’Humain.

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1. Thomas Maury, Modernité/post-modernité/hypermodernité ou surmodernité. 2. Jean-Philippe Vassal, Habiter, plaisir et luxe pour tous. 3. Robert Kronenburg, Flexible : une architecture en réponse au changement.


«L’ARCHITECTURE FLEXIBLE [...] N’EST NI ARROGANTE NI AUTOCRATE, CAR ELLE TIENT COMPTE DU FAIT QUE LES AUTRES ONT LEUR MOT À DIRE DANS LA FAÇON DE FAIRE ET D’UTILISER LES BATÎMENTS. L’ARCHITECTURE FLEXIBLE EST DÉMOCRATIQUE.»3 ROBERT KRONENBURG

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3.3 DES PISTES POUR CONCEVOIR INTELLIGEMMENT LES LOGEMENTS DU FUTUR Être architecte d’un habitat plus flexible, c’est donc surtout jouer de prédictions et d’anticipations de l’avenir. C’est pourquoi, sans vouloir me targuer d’être moi-même une figure de la méthode, je vais m’essayer à proposer une vision du logement dans un futur indéterminé, en reprenant les études de cas, les aspects positifs du sujet et en essayant de réduire l’impact des caractéristiques négatives dont j’ai parlé plus tôt. Aujourd’hui, le logement semble arriver à un carrefour. L’enjeu reste de savoir vers quelle direction il va se tourner. Va-t-il persévérer dans cette relation éloignée entre concepteur et usager ? Va-t-il s’orienter vers une ambition faussement écologique favorisant le «green washing» ? Ou bien va-t-il se rapprocher des environnements ruraux pour désengorger les villes et ramener l’Homme à son échelle ? Le paradigme qui va m’intéresser, est davantage celui d’une conception plus humaine, en lien très étroit avec ses habitants. Ce dernier permettrait, selon moi, de répondre à la plupart des problématiques contemporaines et futures de la construction, que je vais décrire ici. Le premier questionnement, qui régit désormais la totalité des projets d’architecture d’aujourd’hui, pas uniquement les logements, est le climat. En effet, depuis l’avènement de la société de consommation et des logiques productivistes, les émissions de CO2 , la pollution des sols et la surexploitation des milieux naturels ont augmenté drastiquement à cause de la production de masse. Ainsi, du point de vue de la construction, qui représente 44% des émissions de gaz à effet de serre et 20% de la consommation d’énergie (fig. 85), le constat est alarmant et nécessite un revirement des mentalités. Si la production d’énergie commence à évoluer vers des sources renouvelables, la construction cause près de la moitié des émissions, notamment via l’utilisation de matériaux à l’énergie grise importante, mais également via l'urilisation de systèmes de régulation thermique gourmands en énergie. De ce constat, l’architecture de demain doit progresser pour remédier à ces problèmes et aux prédictions du GIEC, qui annonce des températures pouvant atteindre 50° dans le sud de la France en 2050. A cette situation alarmante, l’architecture flexible propose une réponse qui pourrait amortir cette crise majeure. En effet, les logements d’aujourd’hui qui deviendront ceux de demain devront être en capacité d’être réversibles, à l’image du projet saisonnier à Buffalo (fig. 67), pour s’adapter à des étendues de températures amplifiées. Certains de ces logements nouveaux construits en milieu tropical subissent déjà ces écarts climatiques forts au cours d’une même année. Comme ce projet de VTN Architects à Ha Long au Viet Nam (fig. 86), qui utilise la double peau pour isoler et ventiler, le tout en créant un espace de transition végétal et de circulation (fig. 87).

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fig. 85 : Répartition des émissions à effet de serre et de la consommation d’énergie par domaines en France. ©INSEE

fig. 86 : Vue extérieure de la Ha Long Villa. © Hiroyuki Oki

fig. 87 : Axonométrie éclatée. ©VTN Architects

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Si on remet cet exemple plus en relation avec l’architecture qui nous intéresse et la conception d’espaces plus fluides, il semble judicieux de se pencher sur les fameux espaces additionnels mis en place dans les projets les plus flexibles d’aujourd’hui, comme ce projet de logement collectif à Anvers, où la double peau structurelle permet la mise en place d’espaces de transition comme des loggias (fig. 88). Mais, l’augmentation des températures tout autour de la planète va aussi pousser les êtres humains à exporter leurs lieux de vie vers l’extérieur, vers des espaces plus confortables thermiquement. Évidemment, de nombreux architectes méditéranéens, évoluant dans des conditions plus tempérées, déploient déjà leurs ressources pour rendre les logements appropriables en gardant une forte connexion avec l’extérieur. Par exemple, Harquitectes, en Catalogne, a conçu cette maison en réhabilitation avec d’épais murs de façade qui permettent une ouverture plus introvertie, vers l’intérieur de la parcelle. Là, se développe un jardin intérieur qui sert également de circulation entre les pièces, à l’image d’un village de bungalow autour d’une place centrale où se développe toute la vie en communauté d’une maison classique (fig. 89). Ces différents volumes s’ouvrent totalement sur l’espace extérieur central, à l’aide de baies pivotantes-coulissantes, qui permettent une fluidité des circulations et une relation dedans-dehors exacerbée (fig. 90). Dans une autre dimension, avec des conditions spatiales différentes, l’architecte japonais Ryue Nishizawa, parvient à établir cette même relation forte entre intérieur et extérieur dans un petit collectif, enserré dans un quartier de haute densité (fig. 91). Ainsi, un noyau central intérieur s’organise avec un plan libre, pour dégager, de part et d’autre, des espaces tampons extérieurs de terrasses et balcons plantés,.L'habitant peut donc exporter les espaces privés vers l'espace public, en conservant une grande intimité(fig. 92). L’architecture flexible propose ainsi des ressources pour faire de l’architecture en s’adaptant à de nouvelles pratiques et de nouvelles utilisations de l’espace. La résilience de l’architecture flexible impose donc d’inventer de nouvelles extensions de l’espace utilisable, notamment vers l’extérieur, mais aussi vers des espaces dans des doubles peaux ou d’autres dispositifs thermiques adaptables, tels les murs épais du projet Unité(s). Comme je l’ai expliqué, l’architecture flexible se démarque également par sa préhension à l’utilisation de matériaux respectueux de l’environnement et à l’énergie grise minimale avec le bois ou la fibre. Cependant, ces solutions, bien qu’intelligentes et innovantes, ne sont pas des remèdes miracle. Là où l’architecture flexible doit étendre son influence, c’est dans sa proximité avec les habitants et dans sa capacité à installer de nouveaux modes de vie, de nouvelles habitudes pour préserver la planète, notamment avec des gestions de l’énergie, des déchets et des transports plus écologiques.

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fig. 88 : Vue des espaces tampons adaptables du projet de KCAP Architects à Anvers. ©KCAP Architecture

fig. 89 : Plan de la Casa 1413 ©Harquitectes

fig. 90 : Vue depuis le jardin de la Casa 1413 ©Harquitectes

fig. 91 : Façade de la House and Garden. ©Iwan Baan

fig. 92 : Intérieur de la House and Garden. ©Iwan Baan

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fig. 93 :Vue extérieure de la résidence du Lac à Bordeaux. ©Luc Boegly

fig. 94 : Vue intérieure des espaces tampons en double peau de la cité Manifeste de Mulhouse. ©Lacaton&Vassal

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Mis à part la crise écologique qui frappe notre société actuelle, les dernières années ont mis en exergue les carences des logements en terme de proximité et de collectivité. La pandémie de COVID-19, apparue en novembre 2019 à Wuhan, en Chine, a bouleversé la conception que chacun se faisait de la vie en communauté, de la santé et surtout, de la vie privée. De par l’isolement contraint qu'elles ont subi, les populations ont dû expérimenter leur logement plus intensément. Cette occupation complète et perpétuelle de leurs habitats ont isolé les lacunes de ces espaces trop conformistes, ne laissant pas la place à des variations aussi brutales de l’utilisation du lieu. Or, ici encore, penser une architecture davantage évolutive et réversible apporte une réponse à des situations aussi radicales et imprévisibles. En effet, l’architecture flexible, qui compte sur la prévision et la réactivité à amortir les fluctuations à court comme à long terme, permet de mettre en place des solutions face à un problème aussi soudain et extrême. Les projets de Sophie Delhay, que j’ai mentionnés, sont pensés en ce sens, pour favoriser l’isolement de certains espaces pour permettre d’autres organisations. Qu’il s’agisse de télétravail, d’enseignement à distance, de vie en communauté, d’intimité, d’ouverture ou encore de pratiques ludiques ou sportives, les logements mis en place par cette dernière offrent la possibilité de séparer un ou plusieurs espaces de façon instantanée. C’est le rôle et la valeur de la pièce en plus. Non spécifiée dans les programmes de logements classiques, elle apporte la flexibilité à elle seule et permet de résoudre le casse-tête de la vie d’un foyer, en y aménageant des espaces qui font varier le quotidien. «La distribution et la structure des habitats contemporains doivent permettre leur modification par les 4 générations qui vont les occuper. Le confinement a par ailleurs montré la nécessité absolue d’une pièce en plus et d’un espace extérieur, de taille suffisante pour une famille.»1 Cet art de la pièce en plus se décline déjà dans certains projets, qui permettent à leurs occupants d’organiser leurs lieux de vie de façon plus souple. Par exemple, le projet de Bruno Rollet à Bordeaux, qui isole, entre les deux volumes, un empilement de pièces de taille modérées. Celles-ci, reliées par des passerelles aux logements avoisinants, permettent une réelle isolation de ces espaces pour développer des fonctions différentes de celles d’un habitat traditionnel (fig. 93). L’intérêt économique est aussi important puisque ces espaces additionnels sont appropriables après l’acquisition d’un logement, pour réduire le coût de ces logements sociaux. Ce sont ces pièces supplémentaires, qui offrent donc le luxe de remédier aux nouvelles méthodes de travail, de sociabilisation et de vie plus intérieure, loin de l’espace public. En plus de cet impact sociétal, ces pièces peuvent aussi réguler les écarts climatiques, à l’image du projet de la Cité Manifeste de Lacaton et Vassal, où cet espace additionnel se caractérise par une serre agricole de grande surface, qui permet un lieu en transition, entre extérieur et intérieur (fig. 94).

1. Paul Chemetov, Il faut une pièce en plus !

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fig. 95 : Vue 3D du projet de Holland Village à Singapour. ©MVRDV

fig. 96 : Point d'activité du projet. ©Ossip van Duivenbode fig. 97 : Façade du projet. ©Ossip van Duivenbode

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Au-delà des importations des activités ludiques et professionnelles dans le cadre du foyer, la pandémie a également remis en cause les transports. Ces mêmes transports qui représentent un tiers des émissions de gaz à effet de serre (fig. 85) sont questionnés depuis quelques années pour leur impact chronophage sur la vie de chacun. Ainsi, de nombreux projets expérimentent de nouveaux paradigmes de mixité et d’espaces partagés pour accentuer la vie en communauté à une échelle plus petite que celle de l’aire urbaine. Au centre de ces projets, se trouve une réelle problématique de circulations douces, afin de remettre le piéton et le cycliste au centre des débats. Le confinement a fait émerger le désir des populations urbaines de retrouver une proximité avec la campagne, et avec des espaces extérieurs plus proches. L’isolement dans des appartements étriqués et mal agencés a emphasé le manque d’extérieurs, de respiration. Ces constats amènent les concepteurs à réfléchir à une conception plus proche de celle d’un village, avec une mixité sociale et programmatique, en plaçant les lieux d’activités, de travail et de commerce au sein des complexes de logement. L’agence hollandaise MVRDV travaille particulièrement sur cette recréation d’un espace public plus intime et de proximité. Par exemple, leur projet de Holland Village à Singapour aborde cette dimension plus humaniste de l’architecture. Il enisage de tisser des relations entre des petits collectifs regroupés autour d’un grand espace semi-public central où foisonnent les interactions sociales (fig. 95). Ce système, très efficace pour installer une densité modérée et recréer un «village» en pleine ville, manque d’équilibre pour les zones de plus haute densité et les immeubles de plus grande hauteur. Cependant, la même agence, MVRDV, a réussi à trouver un concept permettant de mettre en place cette ambiance de village pour une construction plus verticale. Le projet de Future Towers, en Inde, regroupe plus de mille appartements dans une même résidence. Afin de rythmer la vie de cette immense communauté pouvant réunir plus 5 000 personnes, le bâtiment présente des empiècements où des espaces de sports ou de culture s’organisent en relation directe avec les habitants (fig. 96). Ce concept permet aussi d’installer une certaine porosité et du relief dans ces façades imposantes (fig. 97). Ces initiatives, qui se développent surtout en Asie, pour l’instant, où les mentalités sont plus propices à une vie en communauté, migrent peu à peu vers l’Ouest pour gagner les populations européennes et américaines. Ce mode de vie, en plus de réduire l’impact de l’Homme sur la planète, favorise le partage et créé des relations peu importe le contexte, même en cas de pandémie mondiale. Le tout en rapprochant les populations urbaines des extérieurs et des circulations douces. Dans cette architecture, la flexibilité s’exprime davantage dans l’espace extérieur et dans la mixité, avec des espaces aisément réversibles, qui, à l’avenir feront varier les appropriations et les occupations possibles. Une conception pensée pour se plier à toutes les éventualités, pouvant aller du simple vieillissement de la population à la pandémie mondiale.

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Hormis le climat et les problématiques sanitaires, les êtres humains subissent un autre changement progressif de leurs habitudes : l’allongement de l’espérance de vie. Effectivement, depuis trente ans, la durée de vie des êtres humains croît sensiblement, passant, durant cette période de 82 ans en moyenne pour les femmes à 86 (fig. 98). Grâce à l’amélioration des systèmes de santé, au mode de vie plus confortable et au boum des naissances d’après-guerre, la population a donc inévitablement vieilli, si bien qu’aujourd’hui environ 25% des Français ont plus de 60 ans. Cette problématique engage donc à réfléchir plus intelligemment les façons de loger et de prendre soin de ces populations indigentes. Pendant le confinement, les établissements d’hébergements tels les EHPAD, ont pu percevoir les manques et déficiences dont ils faisaient preuve, notamment vis-à-vis de l’isolement de ces personnes par rapport au monde extérieur. Ces cocons protecteurs laissent, en réalité, ces nécessiteux en marge de la société. L’enjeu donc des années à venir sera de replacer cette majeure partie de la population dans des typologies de logement plus saines et inclusives. La réponse de l’architecture flexible à cette problématique, est de promouvoir, par la souplesse de ses plans et l’adaptabilité de ceux-ci, un habitat intergénérationnel, où chacun dispose de son intimité et met en commun ses qualités. «Cette augmentation des séquences de vie pour un même ménage suppose de disposer d’un logement adapté à chacun de ces temps. [...] Une des pistes envisagées est de favoriser la transformation de l’existant plutôt que le déménagement. Cela suppose de proposer un parc de logements évolutifs et personnalisables en fonction des occupants et de leur avancée en âge.»1 Plusieurs projets de maisons individuelles permettent à toutes les générations de mettre leurs ressources en commun tout en gardant la possibilité de réorganiser le logement après le départ d’un des membres ou l’arrivée d’un autre. Parmi ceux-ci, la maison de TICA Architecture, à Vaux-sur-Mer, qui propose un logement en enfilade, qui sépare les quatre générations d’une famille, tout en conservant un lien par l’extérieur, avec les multiples terrasses et balcons, ou avec le vaste jardin qui s’organise à l’arrière (fig. 99). En Asie, encore une fois, la famille tient une place encore plus importante. Une famille chinoise a choisi de se rassembler dans une même grande maison qui regroupe 4 générations. Celle-ci sépare chaque tranche d’âge par étages, tout en gardant un lien ténu par la pente qui encercle l’habitat et permet aux enfants de jouer et aux personnes âgées de gravir les étages sans efforts (fig. 100). Hormis l’âge de plus en plus avancé de la population, celle-ci se multiplie également de façon fulgurante. La croissance démographique exponentielle a vu la population mondiale passer de 2,6 milliards en 1950 à 7,7 milliards aujourd’hui, puis, en 2100 potentiellement à 11,2 milliards d’êtres humains. Cette surpopulation va amener à densifier plus encore les villes et obliger les individus à développer des vies en communauté plus resserrées et solidaires. C’est dans cette optique que l’architecture flexible aura une carte majeure à jouer pour développer des espaces réversibles et évolutifs pour répondre aux besoins d’une population d’aussi large envergure.

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1. ATU, Agence d'Urbanisme de l'Agglomération de Tours, Le logement évolutif : une réponse aux aspirations et ressources des ménages ?


fig. 98 : Graphique de l'évolution de la longévité des hommes et femmes en France. ©INSEE

fig. 99 : Vue depuis le jardin de la maison. ©TICA Architecture

fig. 100 : Vue de la pente de la maison. ©Yao Li

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«LE CHANGEMENT DE STYLE DE VIE DEVIENT LA NORME ET NON L’EXCEPTION. LA MAISON ET LE TRAVAIL SE RAPPORTENT DE PLUS EN PLUS À UN ENSEMBLE D’ACTIVITÉS ET MOINS À UN LIEU GÉOGRAPHIQUE SPÉCIFIQUE.»1 ROBERT KRONENBURG

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Les variations climatiques, les changements de vie sociale et professionnelle et les augmentations du nombre d’humains sur Terre ne sont pas les seuls paramètres qui évoluent depuis le début du XXIe siècle. En effet, comme le mentionnait Sophie Delhay ou Robert Kronenburg, la société change également ; les couples divorcent davantage, les foyers déménagent plus régulièrement, les plus riches s’enrichissent et les plus pauvres s’appauvrissent. Tous ces caractères fluctuants provoquent une évolution des moeurs et des besoins des usagers. De ce fait, les Hommes ont besoin de davantage de choix pour ce qui est de leur logement. Ces mutations sociétales peuvent être immédiates ou prendre plusieurs mois, années ou même décennies, des temporalités qu’un bâtiment résidentiel va subir au long de sa vie. «Même dans un bâtiment conventionnel, certains éléments sont conçus pour être mobiles : les portes, les fenêtres et les lucarnes, les auvents et les stores, les rangements, placards, portes et tiroirs de penderies. Nous sommes habitués à ces éléments mobiles dans nos immeubles. Aussi, sans être trop radicaux, pouvons nous imaginer extrapoler leur mouvement. Les murs et les fenêtres deviendraient par exemple des murs qui s’ouvrent et se ferment ; les tabatières des toits et les auvents des toits ouvrants...»2 C’est bien cette idée de mouvement qui domine notre société, qui répugne la stabilité et encourage la mobilité et le voyage. Et si le monde est en mouvement perpétuel, le logement ne peut pas se permettre de rester statique. Il doit proposer des solutions souples à ses habitants pour que ceux-ci puissent exercer leur liberté au-dedans, de la même façon qu’ils en jouissent à l’extérieur. Des parties du logement qui restent habituellement parfaitement immobiles peuvent se mouvoir pour permettre à leurs occupants de mieux appréhender et utiliser l’espace, que ce dernier soit plus adapté à leur condition. L’exemple le plus criant est celui de la maison Floirac de Rem Koolhaas, qui propose une pièce ascensionnelle ajustée aux besoins du client : un homme handicapé. Encore plus que les éléments physiques qui composent une maison aujourd’hui, les paramètres électroniques, sans-fil ou mécaniques peuvent également renforcer leur mobilité. Ainsi, les équipements de chauffage, de lumière, de climatisation ou encore de connexion internet pourraient davantage se réguler pour permettre aux usagers de modifier les ambiances de chaque espace selon leurs souhaits. La dimension qui doit réguler la conception des logements est le temps. C’est la donnée clé qui permet aux concepteurs de proposer des systèmes qui se modifient, par l’intervention des habitants, au cours du temps. L’architecture doit évoluer et laisser aux monuments le luxe de l’intemporalité et permettre aux résidents de logements de choisir leur propre architecture au présent comme au futur. Cela implique la création de pièces ou de dispositifs manipulables au jour le jour, mais aussi capables d’évoluer sur des temps plus longs pour parfaire l’expérience du logement et permettre des transformations fondamentales, sans engranger de dépenses majeures supplémentaires.

1. Robert Kronenburg, Flexible : une architecture en réponse au changement. 2. Idem.

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CONCLU

SION

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Par le développement effectué dans ce mémoire, on obtient une vision plus claire de l’architecture flexible domestique, ses enjeux, ses limites et ses potentialités. J’ai tenté de rapprocher les problématiques contemporaines et futures de l’architecture pour établir des réponses via une conception plus fluide des espaces et surtout plus humaine. Pour maîtriser le sujet et le retranscrire le plus justement possible, j’ai établi les constats historiques, géographiques et socio-économiques qui ont amené à cette réflexion et ce changement de mentalité qui gagne chaque jour du terrain dans le milieu du logement. Enfin, pour imager les réponses des architectes actuels à ces constats, j’ai travaillé sur un échantillon de quatre projets balayant la majeure partie des thèmes étudiés. Aujourd’hui, les problématiques de la construction se multiplient et rendent la discipline de l’architecture plus complexe qu’elle ne l’était déjà. L’architecte d’aujourd’hui construit pour des conglomérats économiques, pour les Hommes, mais aussi pour la planète, pour la politique, pour l’intégration, pour protéger ou encore pour inventer des modes de vie. Il n’est plus un simple concepteur d’espaces, il est un concepteur de société avec un rôle et un poids politique majeur, d’où l’importance de faire des choix raisonnés qui vont résonner dans toute la société et changer les mœurs. Cependant, il est simple d’assimiler les conflits actuels, la complexité s’établit réellement lorsque l’on essaie de prédire les enjeux à venir. Or, l’avenir, par définition, est imprévisible. Les problèmes pourraient se démultiplier ou se réduire. Dans tous les cas, l’architecture doit trouver les réponses adéquates qui permettront aux usagers de s’adapter à toutes les complications qui pourraient survenir dans le futur. Pour résumer, l’architecture flexible est un geste de la main qui accompagne la vie de chacun des habitants. Ceux-ci vont vieillir dans les espaces inventés par les architectes, puis laisser leur place à d’autres usagers, d’où la nécessité d’intervenir de façon pérenne pour garantir une utilisation des logements à leur plein potentiel quel que soit l’âge, le nombre et la sensibilité des occupants. On l’a vu, que ce soit dans le logement collectif modulaire de Sophie Delhay, les dispositifs mobiles rythmant l’enveloppe de Shigeru Ban, l’enveloppe en elle-même en mouvement qui permet d’intervenir directement sur la morphologie du lieu de Caspar Scholls, ou encore la demi-architecture d’Alejandro Aravena, les concepteurs actuels prennent conscience de ce problème et du rôle social de l’architecture. Ces projets envisagent une vision du futur plus en lien avec les Hommes et la planète que le paradigme de nos jours, concentré sur les problématiques budgétaires. Cette architecture flexible présente également de nombreux champs à explorer pour parfaire l’expérience des usagers, qui pourraient étendre leur influence sur le bâtiment entier et non plus uniquement sur leurs logements. La notion de temps doit prendre la place de celle de l’argent et du pouvoir pour que l’architecture domestique évolue au rythme de la société, de la planète et des êtres humains.

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Je tenais à remercier le professeur qui a accepté de m’encadrer et m’a accompagné avec justesse du début à la fin de l’écriture de ce mémoire, Boris Weliachev. Mais aussi tous les autres professeurs qui m’ont apporté le bagage et la curiosité nécessaires à l’écriture de ce mémoire, Blaise Ekodo, Sébastien Memet, Sandra Griffo. Et encore plus particulièrement, je tenais à louer le travail de Michel Jacotey qui, durant plus d’un an m’a initié à ce monde de l’architecture flexible et permis de concevoir des espaces à l’image que je les décris dans le mémoire, mais aussi dans mon esprit. Je souhaite également remercier mes camarades d’atelier de la salle 501, avec qui j’ai échangé au quotidien pour confronter nos opinions, échanger nos sensibilités et parfaire nos avis. Sans ce soutien perpétuel, les références, méthodes et critiques nécessaires à mon travail auraient été moins détaillées. Mes remerciements vont également vers une institution, l’ENSAPVS, où j’ai étudié depuis ces cinq dernières années et qui m’a permis de m’épanouir plus que dans aucune autre école de ma scolarité. Merci de mettre en place des enseignements riches et de laisser une liberté importante aux étudiants pour construire leur propre enseignement et leur laisser l’autonomie nécessaire à l’expression de leur potentiel. Enfin, je souhaite adresser de chaleureux sentiments à ma famille, mon frère, qui a entretenu ma curiosité du monde, de l’Histoire et de l’architecture, mes parents et grands-parents, qui ont développé mon savoir par l’expérience de nos voyages et de nos sorties culturelles et sportives, et ma sœur, qui me soutient au quotidien et m’apporte la vision féminine de ce monde qui m’entoure. Merci.

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ICONOGRAPHIE <par ordre d'apparition> fig. 1 : Generic Tales, Andrea Branzi, 1998 http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/pretextes/

SALON

CUISINE

BAIN

fig. 2 : Plan schématique d'un Oikos grec Modification personnelle

COUR

ATELIER

ENTRÉE

ANDRON

fig. 3 : Photo d'une maquette de l'insula de Diane à Ostie, Ier siècle av J.C. https://fr.wikipedia.org/wiki/Insula#/media/Fichier:Insula2.jpg

fig. 4 : Photo d'une maison à colombages à Dinan. https://www.build-green.fr/colombage-et-pans-de-bois-ces-plus-anciennesmaisons-de-france/

fig. 5 : Photo du temple d'Ise Jingu au Japon, 794. https://sworld.co.uk/02/117591/photoalbum/ise-jingu-est-le-sanctuaire-shintole-plus-sacre-du-japon

fig. 6 : Photo de l'intérieur de la maison Sugimoto à Kyoto, XVe siècle https://www.nippon.com/fr/guide-to-japan/gu900012/

fig. 7 : Photo de l'intérieur de la maison impériale Shugakuin, 1659 https://www.thousandwonders.net/Shugakuin+Imperial+Villa

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fig. 8 : Axonométrie d'un immeuble Haussmannien. https://www.espazium.ch/fr/actualites/haussmann-hors-de-lhistoire

fig. 9 : Photo de l'intérieur d'un immeuble Haussmannien. https://www.pinterest.fr/pin/197525133643090802/

fig. 10 : Dessin de la maison Dom-Ino, Le Corbusier, 1914 https://www.researchgate.net/figure/Le-Corbusier-Maison-Dom-Ino-1914Plan-FLC-19209q-FLC-DACS-2008-Source-Le-Corbusier_fig2_232939554

fig. 11 : Photo de l'intérieur de la maison Schröder, Rietveld, 1924 https://ideat.thegoodhub.com/2017/04/28/tourisme-utrecht-celebre-les-100ans-de-de-stijl/2/

fig. 12 : Dessin de la Zip-Up house, Rogers, 1969 https://www.researchgate.net/figure/Zip-Up-House-di-Richard-Rogers-Harbour-Partners_fig1_328853474

fig. 13 : Dessin du projet Il Rigo, Renzo Piano, 1982 Cours Flexibilité M. Jacotey

fig. 14 : Photo du projet les Marelles, Georges Maurios, 1973 h t t p s : // i s s u u .c o m /o l i v i e r m a r c h y l l i e /d o c s /m a r c h y l l i e _ m e _ m o i r e _ hmonp/s/10990707

fig. 15 : Dessin de façade de la cité Montereau-Surville, Arsène/ Henry - Bernard Schoeller, 1971 http://mpzga.free.fr/habevol/evolutif2013.html

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fig. 16 : Dessin de plan de la cité Montereau-Surville, Arsène/ Henry - Bernard Schoeller, 1971 https://www.espazium.ch/fr/actualites/haussmann-hors-de-lhistoire

fig. 17 : Frise chronologique des avancées majeures de l'habitat flexible. Création personnelle.

fig. 18 : Carte des limites de l'Asie actuelle. Modification personnelle

fig. 19 : Dessin de Maison pour tous, Toyo Ito, 2013 https://fr.wikiarquitectura.com/b%C3%A2timent/maison-pour-tous-rikuzentakata/

fig. 20 : Photo d'une Bunga house indienne https://www.irenebrination.com/irenebrination_notes_on_a/2019/03/mudhouses-tse-aw-19.html

fig. 21 : Photo de la Brick Vault House, Space Popular, 2020 https://www.archdaily.com/937285/brick-vault-house-space-popular/5e8e57d6b35765caec000056-brick-vault-house-space-popular-photo

fig. 22 : Tableau comparatif Orient/Occident des approches flexibles de l'habitat. Création personnelle.

fig. 23 : Photo d'une manifestation de Sans Domiciles Fixes à Lyon, 2021 https://www.lyoncapitale.fr/actualite/precarite-la-metropole-de-lyon-renforce-son-engagement

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fig. 24 : Photo du.centre d'hébergement d'Ivry-sur-Seine par l'atelier Rita, 2019 https://www.pavillon-arsenal.com/fr/arsenal-tv/documentaires/paris-solidaire/10686-centre-dhebergement-durgence-paris-ivry.html

fig. 25 : Photo du projet la Ruche à Bègles, Dauphins Architecture, 2016. http://www.dauphins-architecture.com/la-ruche/

fig. 26 : Photo de la résidence Karlbreite à Zurich, Müller Sigrist Architekten, 2014 https://www.wbs.admin.ch/fr/objets-residentiels/apercu-immeubles-dhabitation/kalkbreite-zurich

fig. 27 : Photo de l'extérieur du projet Unité(s). http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/lov-2/

fig. 28 : Schéma des typologies mises en place dans le projet. http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/lov-2/

fig. 29 : Photo de l'intérieur d'un logement. http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/lov-2/

fig. 30 : Schéma de la pluralité des variantes de typologies. http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/lov-2/

fig. 31 : Différentes organisations en plan et photos correspondantes de mise en situation. http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/lov-2/

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fig. 32 : Plans des rythmes quotidiens http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/lov-2/

fig. 33 : Plans des schémas de foyers possibles http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/lov-2/

fig. 34 : Tableau récapitulatif des expressions de la flexibilité dans le projet. Création personnelle

fig. 35 : Vue aérienne de la maison nue. https://archeyes.com/naked-house-shigeru-ban/

fig. 36 : Photo de l'extérieur de la maison de nuit. https://archeyes.com/naked-house-shigeru-ban/

fig. 37 : Photo de l'extérieur de la maison de jour. https://ofhouses.com/post/621054491869970433/805-shigeru-ban-the-casestudy-house-10

fig. 38 : Photo de l'intérieur de la maison ouverte. https://www.journal-du-design.fr/architecture/the-naked-house-au-japon-parshigeru-ban-126158/

fig. 39 : Axonométrie du bâtiment. https://archeyes.com/naked-house-shigeru-ban/

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fig. 40 : Plan schématique de 2 modules mobiles Modification personnelle

fig. 41 : Plan schématique de la maison Modification personnelle

fig. 42 : Croquis concept de l'architecte https://visuallexicon.wordpress.com/2017/10/08/naked-house-saitama-japan/

fig. 43 : Plan schématique de la maison (2) Modification personnelle

fig. 44 : Photo de l'intérieur de la maison (2) https://visuallexicon.wordpress.com/2017/10/08/naked-house-saitama-japan/

fig. 45 : Tableau récapitulatif des expressions de la flexibilité dans le projet (2). Création personnelle

fig. 46 : Schéma concept du projet. https://www.arquine.com/elemental/

Faible hauteur mais grande densité

fig. 47 : Schéma des enjeux du projet. Création personnelle.

Ne pas surpeupler

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Laisser des possibilités d’extension


fig. 48 : Photo des maisons à leur état initial. https://www.archdaily.com/10775/quinta-monroy-elemental

fig. 49 : Axonométrie concept. https://www.archdaily.com/10775/quinta-monroy-elemental

fig. 50 : Axonométrie concept (2). https://www.archdaily.com/10775/quinta-monroy-elemental

fig. 51 : Photo des maisons à leur état final. https://www.archdaily.com/10775/quinta-monroy-elemental

fig. 52 : Plans des logements livrés. https://www.archdaily.com/10775/quinta-monroy-elemental

fig. 53 : Tableau récapitulatif des expressions de la flexibilité dans le projet (3). Création personnelle

fig. 54 : Photo de lextérieur de la Garden House https://www.archdaily.com/797991/garden-house-caspar-schols

fig. 55 : Photo vue du ciel de la cabane. https://www.cabin-anna.com/products/anna-meet

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fig. 56 : Dessin de façade avec possibilités d'ouverture https://www.archdaily.com/797991/garden-house-caspar-schols

fig. 57 : Vue de la maison en mouvement. https://www.floornature.com/blog/una-casa-giardino-di-caspar-schols-12371/

fig. 58 : Croquis concept de l'architecte (2) https://www.archdaily.com/797991/garden-house-caspar-schols

fig. 59 : L'architecte et sa mère http://dutchdesigndaily.com/complete-overview/one-week-designers-eindhoven-3/

fig. 60 : Photo de l'intérieur de la maison (3) https://www.floornature.com/blog/una-casa-giardino-di-caspar-schols-12371/

fig. 61 : Tableau récapitulatif des expressions de la flexibilité dans le projet (4). Création personnelle

fig. 62 : Tableau comparatif des expressions de la flexibilité dans les projet. Création personnelle

fig. 63 : Photo de la maison de Ricardo Boffil en Catalogne, 1973 https://www.numero.com/fr/architecture/5-batiments-exceptionnels-signes-ricardo-bofill

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fig. 64 : Photo de la maison Hourré dans le Béarn, Collectif Encore, 2015 https://www.collectifencore.com/hourre

fig. 65 : Plan de la maison à Ové Glas, 24H Architecture, 2004 https: //maartjelammers.wixsite.com/earthbound/dragspelhuset-glaskogen-sweden?lightbox=image_e92

fig. 66 : Photo de l'extérieur de la cabane. https://writings2.over-blog.com/2015/11/une-etrange-maison-modulaire.html

fig. 67 : Plan du projet Big spaces, Little spaces, Buffalo, Davidson Rafailidis, 2018 https://www.archdaily.com/946978/big-space-little-space-davidson-rafailidis

fig. 68 : Photo de l'intérieur du studio. https://www.archdaily.com/946978/big-space-little-space-davidson-rafailidis

fig. 69 : Photo du projet de logements de Steven Holl à Fukuoka, 1991 https://www.pinterest.fr/pin/405394403943632512/

fig. 70 : Photo du projet NEXT21 à Osaka, Yositika Utida, 1994 https://councilonopenbuilding.org/new-page-1

fig. 71 : Photo du projet Timmerhuis à Rotterdam, OMA, 2015 https://www.archdaily.com/778654/timmerhuis-oma?ad_medium=office_landing&ad_name=article

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fig. 72 : Photo de l'intérieur des logements de LAN Architectes à Paris, 2014 https://www.lan-paris.com/fr/projects/paris-xvii

fig. 73 : Photo du projet Machu Picchu à Lille, Sophie Delhay, 2013 http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/lofiv/

fig. 74 : Plan du projet LoNa+ à Nantes, Sophie Delhay, 2008 http://sophie-delhay-architecte.fr/portfolio/lona/

fig. 75 : Vue 3D du projet Cubo aux Philippines, Eral Florlales, 2021 https://www.build-green.fr/cubo-la-maison-en-bambou-facile-a-construire-etdurable-primee/

fig. 76 : Vue 3D du projet Farmhouse à Pékin, Chris Precht, 2019 https://visuallexicon.wordpress.com/2017/10/08/naked-house-saitama-japan/

fig. 77 : Photo du projet d'habitat participatif à Villeurbane, ADMINIMA, 2013 https://www.ville-amenagement-durable.org/Le-Village-Vertical

fig. 78 : Photo du projet d'habitat participatif à Toulouse, Seuil Architecture, 2014 http://abricoop.smeuh.org/?p=3391

fig. 79 : Photo de la halle de restauration de Calceta, Demain architecture, 2018 https://www.demain-architectes.com/portfolio-items/halles-de-restauration/

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fig. 80 : Photo d'une maison en paille dans l'Essonne. http://maison-en-paille.com/constructeur-essonne/

fig. 81 : Photo du projet de MARS Architectes à Paris, 2020 https://mars-architectes.com/project/paris-avenue-de-saint-mande-14-logements/#

fig. 82 : Photo des planchers de Frei Otto habités aujourd'hui. http://nicolasrouge.blogspot.com/2013/03/verticalement-individuel.html

fig. 83 : Photo aérienne d'un cirque dans le Sud de la France. https://poly-sons.com/2018/11/cest-quoi-ce-cirque-n4/yun00075/

fig. 84 : Photo intérieure de l'agence temporaire de Shigeru Ban à Paris. https://jdg-architectes.com/projet/pts/

fig. 85 : Graphique des émissions de gaz à effet de serre et des consommations d'énergie en France selon l'INSEE https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277613?sommaire=4318291

fig. 86 : Photo de la Ha Long Villa, VTN Architects, 2020 https://www.archdaily.com/938222/ha-long-villa-vtn-architects

fig. 87 : Axonométrie éclatée du projet. https://www.archdaily.com/938222/ha-long-villa-vtn-architects

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fig. 88 : Photo des loggias du projet Zuiderzicht à Anvers, KCAP Architects, 2021. https://www.kcap.eu/projects/22/zuiderzicht

fig. 89 : Plan de la Casa 1413 à Girona, Harquitectes, 2017 http://www.harquitectes.com/projectes/casa-1413/

fig. 90 : Photos de la maison depuis le jardin. http://www.harquitectes.com/projectes/casa-1413/

fig. 91 : hoto de la Garden & House à Tokyo, Ryue Nishizawa, 2011 https://www.fgautron.com/weblog/archives/2018/04/15/garden-and-house-parryue-nishizawa/

fig. 92 : Photo de l'intérieur de la maison https://arquitecturaviva.com/works/jardin-y-casa-10

fig. 93 : Photo de la résidence du Lac à Bordeaux, Bruno Rollet, 2017 https://brunorollet.fr/projets/residence-du-lac-50-000-housing-units-aroundpublic-transport-axes/

fig. 94 : Photo de l'intérieur de la cité manifeste de Mulhouse, Lacaton et Vassal, 2005 https://www.lacatonvassal.com/index.php?idp=19

fig. 95 : Vue 3D du Holland Village de Singapour, MVRDV, 2018 https://www.mvrdv.nl/projects/384/holland-village

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fig. 96 : Photo de l'intérieur des Future Towers à Pune, MVRD, 2018 https://www.mvrdv.nl/projects/366/future-towers

fig. 97 : Photo de la façade du projet. https://www.mvrdv.nl/projects/366/future-towers

fig. 98 : Graphique de l'évolution de la longévité des hommes et femmes français selon l'INSEE. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2416631

fig. 99 : Photo de l'habitat intergénérationnel de Vaux-sur-Mer, TICA Architecture, 2012 http://www.ticarchitecture.fr/index.php/projets/collectifs/

fig. 100 : Photo de la Song house à Nansong, AZL Architects, 2018 https://www.archdaily.com/920807/song-house-azl-architects

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«UN BATÎMENT FLEXIBLE DOIT ÊTRE UNE ARCHITECTURE BOUILLONANT D’OPPORTUNITÉS POUR SES USAGERS, PLEINE D’OPTIONS ET DE DÉFIS QUI AMÉLIORENT LA VIE ET LA FAÇON DE VIVRE. IL DOIT RÉPONDRE À DES BESOINS INDIVIDUELS ET RENFORCER L’ENVIRONNEMENT FAMILIAL...»1 ROBERT KRONENBURG


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