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Point de vue éthique

Point de vue éthique Age, soin et vulnérabilité en temps de pandémie de Covid-19

Les récentes mesures sanitaires prises face à la pandémie concernant les personnes de 65 ans et plus ont pu être perçues comme une forme de discrimination, qui interpelle la population concernée et les soignants, notamment en lien avec l’état de vulnérabilité qui y est associé.

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NADJA EGGERT

MAÎTRE D’ENSEIGNEMENT ET DE RECHERCHE (MER), DIRECTRICE DU CENTRE INTERDISCIPLINAIRE DE RECHERCHE EN ÉTHIQUE (CIRE) DE L’UNIL

LAZARE BENAROYO

PROFESSEUR HONORAIRE, CENTRE INTERDISCIPLINAIRE DE RECHERCHE EN ÉTHIQUE (CIRE) DE L’UNIL

Cette réaction soulève la question de savoir ce que représente une situation de vulnérabilité pour une personne de plus de 65 ans. Qu’en est-il d’un point de vue éthique? Les recommandations fédérales conduisent-elles à une forme de discrimination?

LES POINTS DE VUE DIVERGENT Répondre à cette question dépend du sens donné à la notion de vulnérabilité. Ces recommandations ne sont pas source de discrimination serait la réponse donnée d’un point de vue du respect des droits fondamentaux de la personne, l’âge en soi n’étant pas un critère de sélection selon les directives de la Société suisse de médecine intensive (SSMI). Mais aussi d’un point de vue épidémiologique: les autorités sanitaires justifient un isolement strict en situation d’urgence à l’aune d’un principe de proportionnalité, dans la mesure où elles permettent d’assurer ainsi une protection à des personnes potentiellement fragiles sur le plan biologique en lien avec leur âge avancé, face à une très probable issue clinique défavorable, voire fatale. Ne pas protéger ces personnes constituerait, de ce point de vue, une forme de discrimination. Mais, d’un point de vue anthropologique et clinique, ces recommandations peuvent être source de discrimination. Ces mesures sanitaires se heurtent, d’une part, à une représentation étriquée des personnes âgées: se référer au seul critère de l’âge biologique traduit une vision réductrice de l’évaluation de la vulnérabilité d’une personne. D’autre part, ces mesures sont trop générales et ne peuvent suffisamment tenir compte des critères propres à l’état de santé individuel, ni du vécu singulier des personnes concernées, qui permettraient de nuancer leur mise en œuvre.

ACCOMPAGNER ET SÉCURISER Ainsi, une approche éthique qui aborde les défis d’un soin prenant en compte une vulnérabilité liée à l’âge en période de confinement ne peut se résumer à des mesures qui permettent d’éviter une issue fatale en assurant la sécurité des personnes. Elle consiste aussi à répondre à l’appel de ces dernières en les accompagnant dans leur existence afin de leur permettre de réaliser leur projet de vie tel qu’elles le conçoivent – qu’il s’agisse de résidents en EMS ou de personnes indépendantes et actives –, ceci d’autant plus en situation de crise sanitaire. Dans le champ de la clinique, cette perspective éthique ouvre la voie à des approches qui mobilisent des ressources et des dispositifs d’accompagnement, notamment en EMS, privilégiant l’écoute, l’information, la transparence (par le biais, par exemple, d’un projet de soins anticipé ou advance care planning) et le maintien d’un lien avec les proches. Dans ce cadre caractérisé par une privation relationnelle et une perturbation des habitudes et des repères, une attention particulière mériterait d’être portée aux signes tels qu’une perte d’autonomie fonctionnelle, des manifestations anxieuses, des troubles du comportement ou encore un syndrome de glissement.

ÂGE ET VULNÉRABILITÉ, LE SUJET MÉRITE UN DÉBAT Sur le plan de la santé publique, une réflexion pourrait être menée par les instances politiques sur la manière de formuler la question des rapports entre âge et vulnérabilité. Cette question devrait faire l’objet de débats publics et professionnels, dans lesquels les questions de dignité et de justice dans le soin devraient servir de références morales. Les thématiques à l’ordre du jour pourraient par exemple être les suivantes: quel soin proposer aux personnes âgées? Comment réaliser et maintenir leurs capacités? Une attention à la vulnérabilité liée à l’âge en période de pandémie, comprise à la fois comme protection de la vie et interpellation éthique, permet d’assurer une conduite responsable nourrie par les valeurs du soin. En ce sens, clinique et politique de santé publique pourraient être conçues comme les deux faces du soin apporté aux aînés, particulièrement en temps de crise. ■

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