Solidarité 1/2016

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Numéro 1, février 2016

POINT FORT La violence envers les femmes ACTUALITÉ Situation intenable sur les chantiers du Qatar

Le magazine de


2 ÉDITORIAL Chère lectrice, cher lecteur, En décembre dernier, un message projeté sur le nouveau silo pressionnée par cette manière de lever le tabou qui entoure à grains, dans la zone industrielle de Zurich, appelait à la lutte ce sujet dans une société où la violence – principalement encontre la violence domestique. Dans le tram, beaucoup de gens vers les femmes – est quotidienne et où même les victimes la s’interrogeaient sur l’utilité du message de la Fondation Frauen- considèrent comme «incontournable». La violence reste solidehaus: une telle campagne peut-elle mettre fin à cette forme de ment ancrée dans les pays où nous menons nos activités, mais violence? les statistiques de la criminalité montrent Peu auparavant, j’ai vécu une campagne qu’elle est aussi bien présente en Suisse. similaire en Bolivie: pas de projection moQue ce soit au Nicaragua, au Mozamnumentale, mais des banderoles accrobique ou au Burkina Faso, nos projets de chées dans la rue et des fanions sur les promotion des femmes et de prévenmotos taxis. Des jeunes ont rédigé des tion de la violence revêtent dès lors une textes et monté des pièces de théâtre grande importance. Solidar Suisse aide dans lesquels ils ont dénoncé la violence les femmes à s’émanciper et à renforenvers les femmes et montré comment cer leur estime de soi. Nous soutenons gérer les conflits sans violence. Ils ont aussi tous les organismes qui luttent aussi organisé une vaste action de «vaccontre la violence, notamment par des cination contre la violence» dans toute la Esther Maurer campagnes. Cela ne suffira évidemment ville: quiconque était prêt à débattre avec Directrice de Solidar Suisse pas, car seuls des gens engagés poureux de la violence envers les femmes ront faire cesser la violence. se voyait administrer une goutte de miel et un bracelet en papier, qui prouvait qu’il était immunisé. Là Nous tenons à mener ce combat et vous nous y aidez en nous ­encore, force est de se demander si ce travail d’information et soutenant. Je suis heureuse que nous puissions à nouveau de sensibilisation est à même de mettre fin à la violence. compter sur vous en 2016 et vous en remercie. Il serait illusoire de croire que de telles campagnes peuvent produire des effets du jour au lendemain. J’ai toutefois été im- Esther Maurer

REVUE DE PRESSE

2.12.2015 Des usines chinoises de jouets choquent toujours Lego, Playmobil, Mattel, Hasbro ou encore Disney… Durant les prochains jours, des milliers de jouets seront déposés en Suisse comme dans le reste du monde. Solidar Suisse et China Labor Watch (CLW) profitent de cette période charnière pour l’industrie du jouet pour dénoncer les conditions dans lesquelles Barbies, voitures télécommandées et autres pelu­ ches sont produites en Chine. «Les mar­ ques exigent la meilleure qualité (…) sans se soucier de la santé des ouvriers concernés», peut-on lire dans le rapport.

18.12.2015 Produire des jouets dans des conditions dignes A l’approche de Noël, tout le monde se précipite dans les magasins. Or de nombreux jouets pour les enfants sont produits dans des conditions indignes. Pour que cela change, Solidar a remis un appel, signé par 5800 personnes, à l’Association suisse des jouets. Cette dernière a réagi favorablement: elle va entamer un dialo­ gue en 2016 avec Solidar Suisse, a indiqué l’ONG. L’objectif consiste à améliorer les conditions de travail en Chine et à ren­forcer la transparence pour les con­ sommateurs.

30.9.2015 Solidar se mobilise pour les réfugiés syriens au Liban Si les réfugiés syriens affluent en Europe, plus d’un million d’entre eux ont déjà élu provisoirement domicile chez leur voisin libanais. «Notre mission est de rénover des maisons désaffectées ou inachevées au sud du Liban afin de les mettre à disposition des réfugiés, expose Lionel Frei de Solidar Suisse. C’est gagnant-­ gagnant, les propriétaires libanais n’ont rien à payer, mais en échange, ils s’engagent à loger des Syriens gratuitement pour une durée d’un an. La maison, ­habitable, leur revient ensuite.»


POINT FORT La violence envers les femmes 4 La violence envers les femmes est l’une des violations les plus graves, mais aussi des plus tolérées 6 Bolivie: campagnes de «vaccination contre la violence» et services de consultation pour les femmes 8 Nicaragua: Valeria Lopez a porté plainte contre ses violeurs 10 POINT DE VUE Anja Kluge du HCR préconise des mesures de protection pour les femmes réfugiées

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CULTURE Un livre brosse le portrait de femmes qui s’engagent pour l’évolution de la société salvadorienne 13

POINT FORT

Neuf victimes de violence domestique pour une personne tuée lors d’un conflit. Les efforts pour lutter contre cette violence restent pourtant très modestes. Solidar Suisse fait bouger les choses.

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ACTUALITÉ Une délégation suisse fait état de conditions de travail déplorables sur les chantiers du Qatar 14 Pourquoi il importe d’interdire la spéculation sur les aliments 17 PORTRAIT Coordinatrice au Nicaragua pendant vingt-six ans, Carmen Ayon prend sa retraite. L’œuvre d’une engagée 18 CHRONIQUE 15 BRÈVES CONCOURS

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14 ACTUALITÉ Salaires impayés, échafaudages dangereux, logements insalubres: les ouvriers paient le prix des prestigieuses constructions au Qatar.

IMPRESSUM Editeur: Solidar Suisse, Quellenstrasse 31, case postale 2228, 8031 Zurich, Tél. 021 601 21 61, email: contact@solidar.ch, www.solidar.ch CP 10-14739-9 Lausanne. Membre du réseau européen Solidar Rédaction: Katja Schurter (rédactrice responsable), Rosanna Clarelli, Eva Geel, Lionel Frei, Cyrill Rogger

Layout: Binkert Partner, www.binkertpartner.ch / Spinas Civil Voices Traduction: Ursula Gaillard, Milena Hrdina, Jean-François Zurbriggen Correction: Jeannine Horni, Catherine Vallat Impression et expédition: Unionsdruckerei/subito AG, Platz 8, 8201 Schaffhouse Paraît quatre fois par an. Tirage 37 000 ex.

Le prix de l’abonnement est compris dans la cotisation (membres individuels 50.– par an minimum, organisations 250.– minimum). Imprimé sur papier recyclé et respectueux de l’environnement. Photo de couverture: une femme au Nicaragua attend le bureau de conseil. Photo : Frederic Meyer. Dernière page : Action sur la Paradeplatz à Zurich pour l’interdiction de la spéculation alimentaire. Photo : ZVG.


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LES FEMMES VIOLENTÉES

Qu’elle soit physique, sexuelle ou psychique, la violence est une catastrophe pour les victimes, mais nuit aussi à la société. Les femmes sont souvent les premières visées. La violence est utilisée pour punir un comportement déviant et empêcher les femmes et les jeunes filles de décider de leur sort, mais elle sert aussi d’arme de guerre. Alors que ses conséquences sont désastreuses, les efforts pour la juguler restent trop modestes. Des femmes ont pourtant entrepris de se défendre et, que ce soit au Nicaragua, au Salvador, en Bolivie ou en Afrique du Sud, Solidar soutient leur combat. Photo: Andreas Schwaiger


POINT FORT Ces jeunes tagueuses veulent que la violence sexuelle soit réprimée: «poursuites pénales et condamnation sociale pour les auteurs de violences».


6 UNE PANDÉMIE QUI RESTE UN TABOU La violence contre les femmes a de terribles conséquences. Les efforts pour la prévenir sont cependant timides. Texte: Katja Schurter. Photos: Frederic Meyer

Selon ONU Femmes, la violence à l’égard des femmes est l’une des violations les plus graves et les plus tolérées des droits humains. Etant aussi bien la cause que la conséquen­ ce des inégalités sexospécifiques, elle prend diver­ses formes: traite des femmes, violence sexuelle et physi­que, mariage forcé et mariage de mineures, mutilations génitales. Lors de conflits armés, la violence sexuelle s’accroît et, app­liquée systématiquement, sert d’arme de guerre. Selon le Centre d’information des Nations Unies pour l’Europe occidentale (UNIRC), entre 20 000 et 50 000 femmes ont été violées durant la guerre de Bosnie au début des années 1990. En République démocratique du Congo, on en dénombre 1100 chaque mois! La violence est par ailleurs utilisée pour punir les comportements «déviants». Dans le monde entier, on tue ou fait subir des violences sexuelles à des personnes

trans­­genres ou homosexuelles. En Afrique du Sud, la pratique du «viol correctionnel» est largement répandue: ces viols sont perpétrés sur les lesbiennes sous prétexte de les rendre hétérosexuelles… et leurs auteurs sont rarement poursuivis. Les femmes handicapées courent davantage de risques que les autres: en Europe, en Amérique du Nord et en Australie, plus de la moitié d’entre elles subissent des actes de violence, alors que la proportion n’est que d’un tiers parmi

Au Nicaragua, les services de consultation offrent un soutien essentiel aux femmes victimes de violence.

victimes d’un avortement ou tuées à la naissance. Beaucoup de femmes sont en outre exposées à la violence sexuelle au travail. Les employées de maison ­arrivent en tête de liste: isolées au sein du ménage où elles travaillent, elles sont sans défense face à la violence de leurs employeurs.

Violence domestique: neuf fois plus de victimes que la guerre La violence dite «domestique» est la plus répandue et provoque les coûts les plus élevés, mais suscite le moins d’attention. L’expression désigne la violence exercée dans un cadre familial – en généLa violence au sein du couple ral à l’égard de engendre chaque année des coûts femmes et d’enfants – par des de 8 billions de dollars. membres de l’encelles qui ne souffrent d’aucun han­dicap. tourage – le plus souvent des hommes. Amnesty International estime par ailleurs Selon les estimations d’ONU Femmes, que le monde compterait 100 millions une femme sur trois subit la violence de de femmes de plus, si elles n’avaient été son compagnon.


La violence envers les femmes et les ­enfants entraîne plus de décès que les conflits armés: pour chaque mort à la guerre, on dénombre neuf personnes ­décédées à cause de la violence domestique. En 2014, une étude menée dans le cadre du consensus de Copenhague a évalué les conséquences économiques de la violence et des conflits armés: la violence domestique engendre l’impact le plus grand – en particulier sous forme de frais médicaux et d’absence au travail – avec des coûts annuels atteignant 8 ­billions de dollars à l’échelle mondiale. Pourtant, seuls 52 pays ont inscrit le viol au sein du couple parmi les actes répréhensibles. «La violence domestique empêche les femmes de réaliser tout leur potentiel, freine la croissance économique et sape le développement», constatent les auteurs de l’étude. Elle réduit les chances des femmes de participer à la vie publique et a de graves conséquences sur leur santé. La violence domestique accroît aussi les risques sanitaires: selon l’OMS, les personnes qui en sont victimes souffrent deux fois plus souvent de dépression et courent un risque une fois et demi plus élevé d’être infectées par le VIH. Un manque flagrant d’attention C’est pourtant à la violence domestique que l’on prête le moins d’attention lors de l’attribution de l’aide au développement. La lutte contre la violence envers les femmes ne figurait pas dans les Objectifs du millénaire pour le développement et ne constitue que l’une des nombreuses cibles des Objectifs de développement durable de l’agenda 2030: «Eliminer toutes les formes de violence faite aux femmes et aux filles.» La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, entrée en vigueur en août 2014, est la première norme légale contraignante qui régit l’égalité des sexes, la création de services d’aide aux victimes et le travail de sensibilisation. La Suisse a certes signé cette convention, dite

Grâce au théâtre, des jeunes femmes du Salvador partagent leurs expériences de la violence et réfléchissent ensemble à des solutions.

d’Istanbul, mais ne l’a pas encore ratifiée. Par les programmes qu’elle réalise en Bolivie, au Nicaragua, au Salvador et en Afrique du Sud, Solidar Suisse contribue à prévenir la violence envers les femmes et à atténuer ses conséquences. Nos partenaires sensibilisent la population, viennent en aide aux victimes de violences, offrent des conseils juridiques

aux employées de maison et favorisent la participation politique et sociale des femmes et des jeunes filles (lire les articles aux pages 8, 10, 13 et 18). Car il est grand temps de mettre fin à cette pandémie! Katja Schurter est la rédactrice responsable du magazine Solidarité.

VIOLENCE AU SEIN DU COUPLE Dans le monde entier, une femme sur trois a subi des actes de violence physique ou sexuelle, perpétrés le plus souvent par son conjoint

En 2012, sur deux femmes tuées dans le monde, une l’a été par son conjoint ou un membre de sa famille. Seul un homme sur vingt est décédé dans les mêmes circonstances

Existe-t-il des lois qui protègent les femmes?

Seuls La violence domestique est interdite par la loi dans deux tiers des pays du monde

Graphique: UN Women

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Seuls 52 pays possèdent des lois qui interdisent le viol au sein du couple

2,6 mia 2,6 milliards de femmes et de jeunes filles vivent dans des pays où le viol au sein du couple n’est pas interdit par la loi


8 FAIRE CESSER LA VIOLENCE DES HOMMES

En Bolivie, les femmes sont très exposées à la violence. Des services de consultation et une masculinité repensée y remédient. Texte: Mavi Ortiz. Photos: Solidar Maria Lopez vit à Colcapirhua, dans le département de Cochabamba, en Bolivie. A la recherche d’un travail intéressant, elle a quitté Potosí il y a plus de dix ans pour rejoindre le centre du pays, plus prospère. Elle a mené à bien ses projets professionnels et bientôt rencontré le prince charmant. C’était hélas un crapaud malfaisant. Une spirale de violence sans fin Voici le bilan de huit années de vie commune: trois enfants et des milliers de coups. L’époux de Maria lui a défendu de travailler et de sortir de la maison sans son autorisation. Il lui a interdit tout contact avec ses amis et sa famille pour qu’elle ne puisse pas parler de ses souffrances. Et, alors qu’elle était pratiquement prisonnière, son bourreau l’a soup-

çonnée d’infidélité quand est tombée enceinte pour la quatrième fois. Lorsqu’il a appris la nouvelle, il l’a rouée de coups à tel point qu’elle n’a pour ainsi dire plus pu bouger durant près de trois semaines. Une voisine a cependant eu vent de la situation. Comme elle était membre du réseau contre la violence de Colcapirhua, elle savait où Maria pouvait trouver de l’aide. Elle lui a conseillé d’aller voir le service communal de consultation pour les femmes (SLIM). Incapable d’en supporter davantage, Maria a pris son courage à deux mains et s’en est allée raconter son calvaire. Elle a toutefois renoncé à demander une attestation médicale pour porter plainte, car son mari menaçait d’emmener les trois enfants si elle le quittait. Elle est donc retournée chez elle et les choses n’ont fait qu’empirer!

Les personnes qui se font vacciner reçoivent un bracelet qui porte le slogan de la campagne: «Pour une vie à l’abri de la violence!»

Coups et culpabilité Les femmes du réseau ont offert un refuge à Maria et l’ont accompagnée ­ à nouveau au SLIM. Cette fois, elle a ­entamé une thérapie, qui lui a permis de se libérer progressivement du sentiment d’être responsable de la violence subie. «Le psychologue du SLIM m’a beaucoup aidée à me libérer du sentiment que j’avais mérité les coups. Grâce à la voisine qui m’a parlé du réseau contre la violence, j’ai quitté mon mari», raconte Maria Lopez. Vu le soutien dont elle bénéficiait, ce dernier n’a plus jamais menacé d’emmener les enfants. «Je vis désormais avec ma mère, qui est venue de Potosí et s’occupe de mes quatre enfants.» Le réseau contre la violence envers les femmes de Colcapirhua résulte d’une initiative du projet PADEM mené par Solidar. Il regroupe les autorités communales, la police, le SLIM, des centres de santé, des écoles et des organisations de la société civile, qui collaborent pour prévenir la ­violence envers les femmes. Aujourd’hui, 95 des 339 communes boliviennes pos-


POINT FORT 9 Une femme lit la brochure d’information sur la loi 348, qui garantit aux Boliviennes le droit de vivre à l’abri de la violence.

Le commandant de police Wilbur Paz lors d’un meeting contre la violence.

sèdent un réseau contre la violence et des services de consultation pour les femmes. Ces structures servent à appliquer la loi 348, entrée en vigueur en 2013, qui garantit aux femmes le droit de vivre à l’abri de la violence. Les médias participent à l’effort en sensibilisant les gens et en les mobilisant pour les droits des femmes. Un reportage radio du PADEM contre la violence faite aux femmes a été récompensé par un prix au début de l’année. Le problème est en effet aigu en Bolivie, puisque sept femmes sur dix sont un jour ou l’autre victimes de violences. Avec 606 femmes assassinées entre 2009 et 2014, la Bolivie occupe la quatrième place dans cette sombre statistique, derrière le Salvador, l’Argentine et le Pérou. Impliquer les hommes Si sept Boliviennes sur dix sont victimes d’actes de violence, les auteurs de ceuxci sont tout aussi nombreux. Pour que la société évolue, qu’elle mette fin au machisme régnant afin de privilégier la

­ révention de la violence, l’émancipation p et la poursuite pénale de la violence, les hommes doivent participer au mouvement. Le projet PADEM bouscule dès lors l’idée de masculinité qui prédomine. En collaboration avec divers acteurs sociaux, ses intervenants favorisent le ­ changement de valeurs et motivent les

«Nous devons changer notre comportement au sein de la famille.» hommes à renoncer à la brutalité, pour dénoncer au contraire toute forme de violence à l’égard des femmes. Ils participent à des événements publics où l’on vaccine les gens (une goutte de miel constitue le vaccin symbolique) afin qu’ils rejettent la violence dans leur entourage. Les personnes vaccinées reçoivent un bracelet en papier, qui porte l’inscription «Pour une vie à l’abri de la violence!» Wilbur Paz Delgado, commandant de l’unité spéciale de la police contre la

v­ iolence à Cochabamba, ne ménage pas ses efforts: «J’ai participé à un atelier où les hommes ont remis leur attitude machiste en question et réalisé que je devais entreprendre quelque chose.» Ces derniers mois, il a ainsi organisé des réunions où les hommes exécutent des «tâches féminines» (changer les langes, peler des pommes de terre, etc.) et où on leur explique que la violence n’est pas une solution. «Nous devons modifier notre comportement au sein de la famille, estime Wilbur Paz. Je suis macho et c’est dans cet esprit que j’élève mon fils. Je ne voudrais toutefois pas qu’il soit violent.» D’autres partagent heureusement son avis et le succès est au rendez-vous: grâce aux réseaux et aux services de consultation, les femmes portent plus souvent plainte lorsqu’elles sont victimes de violence. www.solidar.ch/padem

Mavi Oritz collabore à la commu­ni­ cation du projet PADEM.


Lourdes Vargas (à gauche) et Maria Estrada, du réseau Ana Lucila, un groupement nicaraguayen de femmes contre la violence, ont porté le débat autour de la violence sur la place publique.

pliquons leurs droits et elles s’entraînent à faire face à des hommes violents, raconte Lourdes Vargas. Les jeunes filles parlent de ce qu’elles ont appris à l’école, de sorte que les garçons se montrent nettement plus respectueux!»

LE MACHISME, ÇA TUE, ÇA RUINE ET ÇA REND IDIOT Au Nicaragua, le réseau de femmes Ana Lucila s’engage contre la violence généralisée à l’égard des femmes. Texte et photo: Barbara Mangold C’était le 31 décembre 2013. En rentrant chez elle, Valeria Cruz*, 46 ans, a croisé un groupe d’hommes dans le parc, qui l’ont interpellée. Ils n’étaient pas ivres et elle connaissait deux d’entre eux. Tout s’est passé très vite: six hommes se sont emparés d’elle et l’ont violée. Injuriée devant le tribunal Lorsqu’elle s’est rendue à la police pour porter plainte, Valeria Cruz a été bien traitée et on l’a aiguillée vers le réseau de femmes «Ana Lucila» contre la violence. Mais ce n’était que le début d’une longue procédure: «L’audience du tribunal a sans cesse été reportée, raconte cette mère qui élève seule ses enfants. M’y rendre était chaque fois une épreuve terrible. Les proches des violeurs se tenaient à l’entrée et m’insultaient. Leur avocat m’a traitée de putain et a déclaré que j’étais coupable de ce qui m’était arrivé, car je me promenais dehors la nuit.» L’accompagnement dont elle a bénéficié fut donc

crucial: «Sans ce soutien, j’aurais jeté l’éponge», déclare-t-elle. Commencer par les filles Lourdes Vargas est l’une des conseillères du réseau Ana Lucila. Elle met notamment le taux élevé de violence sur le compte du machisme qui règne au Nicaragua: «Cela commence dès la petite enfance: les garçons sont choyés et privilégiés. L’Eglise contribue d’ailleurs à la situation, puisqu’elle favorise le patriarcat et la suprématie des hommes. D’où le slogan de notre campagne: le machisme, ça tue, ça ruine et ça rend idiot.» En 2014, 85 femmes et jeunes filles ont été tuées au Nicaragua. Le réseau Ana Lucila conseille les victimes de violence mais assure aussi un travail de sensibilisation et fait pression sur les autorités qui n’assument pas leurs responsabilités. «Les filles fréquentent dès 10 ans des cours où elles apprennent à avoir confiance en elles. Nous leur ex-

Briser le tabou! Grâce aux activités du réseau Ana Lucila, la violence a désormais sa place dans le débat public et les délits sont plus ­souvent dénoncés. Dans le cas de Valeria Cruz, les femmes ont manifesté contre les retards de la procédure judiciaire et discuté avec la juge compétente. Elle est d’ailleurs convaincue que «c’est la seule chose qui a obligé le tribunal à agir. Mes violeurs ont été condamnés à douze et à quatorze ans de prison, mais je n’ai eu droit à aucune compensation financière.» Pourtant, même si les auteurs de violence sont à présent souvent condamnés, les victimes sont toujours stigmatisées. Travaillant dans une boulangerie, Valeria Cruz se dit heureuse de ne pas avoir perdu son job: «Mon employeur m’a réengagée, alors que c’était loin d’aller de soi.» www.solidar.ch/analucila Barbara Mangold est responsable des partenariats de Solidar avec les fondations. * Nom d’emprunt

Votre don compte! Un versement de 50 francs finance une consultation psychologique pour trois femmes victimes de violence. Un don de 75 francs permet à dix jeunes filles et jeunes femmes de suivre un cours d’affirmation de soi. Avec 100 francs, quinze jeunes peuvent assister à une séance d’information sur la violence envers les femmes.


POINT DE VUE 11

IL FAUT PROTÉGER LES FEMMES RÉFUGIÉES! Les femmes contraintes de fuir sont davantage exposées à la violence et pas seulement parce qu’elles sont en route. Anja Klug, directrice du HCR pour la Suisse et le Liechtenstein La moitié au moins de tous les réfugiés sont des femmes et des enfants. Tout comme les hommes, les femmes fuient la guerre et les persécutions motivées, par exemple, par leur appartenance à une minorité ethnique et religieuse ou à leur engagement politique. Mais elles fuient aussi pour des raisons liées à leur sexe, tel le harcèlement qu’elles subissent pour ne pas s’être pliées aux usages et à la morale en vigueur. La violence que les femmes endurent au sein de leur famille et de leur société peut aussi les pousser à fuir si l’Etat ne la combat pas avec une efficacité suffisante. La fuite ne parvient hélas pas toujours à faire cesser la violence. Alors que leurs structures communautaires et familiales se sont écroulées, les réfugiées courent un risque accru d’être victimes de discrimination et de violence sexuelle dans le premier pays d’accueil. Lorsque même l’essentiel fait défaut, elles sont souvent obligées de se prostituer ou de se marier afin de survivre. Pour des mesures de protection La violence n’épargne pas les femmes en fuite. Les récits de réfugiées victimes d’agressions sexuelles sont foison: dans les prisons ou les camions, lorsqu’elles se rendent aux toilettes ou paient une énième fois le passeur. Les formes les

plus terribles de la traite humaine sont hommes ont davantage de chances de récurrentes: des femmes et des hommes s’établir dans le pays d’accueil. Il importe sont kidnappés, réduits à l’esclavage, donc de trouver des solutions afin de ­torturés ou assassinés. Dans les camps permettre aux femmes et à toutes les et les autres logements provisoires, la pro- personnes ayant des besoins particuliers miscuité favorise les agressions. Le HCR de venir en Europe. Parmi ces moyens, a récemment attiré mentionnons l’attention sur le fait le program­me «Il faut admettre que que les réfugiées sont de réinstallales femmes ont leurs victimes d’agres­­sions tion du HCR: propres raisons de fuir.» en collaborasexuel­ les même en Europe. tion avec les Or, nous pouvons et devons prévenir ce Etats, le commissariat identifie les réfutype de violence. Il importe avant tout de giés particulièrement vulnérables dans mettre en place des structures d’accueil les camps et les envoie directement vers sûres. Couvrir les besoins d’un grand le pays d’accueil, du Liban en Suisse par nombre de réfugiés et de migrants re- exemple. présente certes un défi énorme. Il faut En Suisse, il importe de tenir compte de néanmoins accorder la priorité à la pro- la situation particulière des réfugiées, tection contre les agressions sexuelles. d’admettre qu’elles ont leurs propres raisons de fuir. Il faut assurer un traitement Créer des moyens médical et, le cas échéant, un soutien d’admission légale psychologique aux personnes traumatiMalgré des conditions précaires, les sées par des actes de violence sexuelle femmes sont contraintes de rester dans par exemple. L’intégration exige aussi le premier pays qu’elles atteignent durant des mesures spécifiques, telle la prise leur fuite, le plus souvent un pays voisin. en charge des enfants. Car une femme Les causes de cette situation sont ne peut pas suivre des cours de langue ­multiples: les dangers d’une fuite vers ­pendant qu’elle s’occupe de sa famille. l’Europe (qui s’avère impossible avec de jeunes enfants ou des parents impotents), la répartition traditionnelle des rôles entre les sexes et l’idée que les


12 BRÈVES Afrique du Sud: des droits pour le personnel temporaire

Extension de la formation plurilingue

Une importante révision légale est entrée en vigueur le 1er janvier 2015 en Afrique du Sud. La nouvelle loi sur le travail exige qu’après trois mois le personnel temporaire reçoive un contrat de travail fixe, et ce aux mêmes conditions que le personnel permanent. En clair: même salaire et mêmes prestations sociales pour des travailleuses et des travailleurs temporaires auparavant très mal protégés. C’est une avancée positive dans la lutte contre la précarité des conditions de travail dans un pays où jusqu’à 40 % de la population est sans emploi. Organisation partenaire de Solidar, le Casual Workers Advice Office (CWAO) a lancé une vaste campagne d’information sur ces nouvelles dispositions à l’appui de tracts, posters et spots radiophoniques, sur WhatsApp et les médias sociaux. Et le succès est au rendez-­ vous: dans les mois ayant suivi l’entrée­ en vigueur de la nouvelle loi, près de 500 travailleuses et travailleurs ont vu leurs contrats temporaires transformés en cont­ rats fixes.

Au Bénin, un pays situé au sud du Burkina Faso, un tiers de la population rurale est pauvre et ne parvient pas à couvrir ses besoins élémentaires. En 2014, dans la région septentrionale du Borgou, 54 % des enfants n’étaient pas scolarisés. Les formations de base et professionnelles qui leur donneraient des opportunités de gagner décemment leur vie plus tard, et de sortir de la pauvreté, leur font défaut. C’est pourquoi, depuis 2010, Solidar Suisse s’engage avec Helvetas pour proposer aux enfants et adolescents exclus du système d’éducation formel un modèle adapté localement. Quelque

Solidar Suisse: climatiquement neutre L’analyse de l’empreinte carbone de Solidar a montré que l’organisation émettait plus de CO2 que la moyenne en raison des nombreux voyages effectués par son ­personnel, ce qui tient à la nature de ses activités. Mais Solidar dépasse aussi la ­ norme dans sa consommation d’énergie, car ses bureaux sont mal isolés. Une rénovation prévue y remédiera et des mesures seront prises pour réduire l’utilisation de courant. Le CO2 émis sera compensé dans des projets de protection du climat.

Solidar projette un film sur le massacre de Marikana En décembre 2015, dans le cadre du Festival des droits humains de Zurich, Solidar Suisse a projeté le film «Miners shot down», de Rehad Desai, sur le massacre de 34 mineurs en grève, perpétré en 2012 à Manikara, en Afrique du Sud. James Nichols, l’avocat qui défend gratuitement les familles des victimes en Afrique du Sud, était présent au terme de la projection. Par son humour et ses connaissances, il est parvenu à atténuer un peu les images effroyables diffusées. Pour lui, le film a valeur de témoignage historique: le massacre a été accepté, voire provoqué, par les plus hautes instances gouvernementales. Car les relations entre les ouvriers et les entreprises

Production de poêles en Chine: l’exploitation Plus de 40 % des poêles utilisées en Suisse sont importées de Chine. Les conditions de travail régnant dans l’ensemble du secteur sont déplorables, comme l’a révélé une investigation anonyme. Les systèmes de salaire à la tâche sont la norme, raison pour laquelle les ouvrières et les ouvriers doivent travailler jusqu’à 12 heures par jour pour un salaire juste suffisant pour vivre. La pro-

57 centres de formation de base et professionnelle ont ouvert leurs portes à plus de 5000 élèves. Le projet qui profitera des expériences réunies par Solidar dans la formation plurilingue au Burkina Faso sera étendu en 2016. L’approche sera ensuite développée dans le pays tout entier.

minières n’ont pas fondamentalement changé depuis la fin de l’apartheid. En 2016, la télévision sud-africaine diffusera pour la première fois ce document et contribuera, espérons-le, à informer le grand public. Car aucune procédure pénale n’a pour l’heure été engagée contre les responsables du massacre. www.minersshotdown.co.za

tection de base des travailleurs se distingue aussi par son absence: il est courant que les sorties d’urgence soient bloquées, les extincteurs pas entretenus, les mains et le visage laissés sans protection. Et les prestations sociales sont insuffisantes ou inexistantes. Solidar exhorte les détaillants et les producteurs de poêles en Suisse à garantir des conditions de travail décentes dans toute leur chaîne d’approvisionnement. www.solidar.ch/casseroles


CULTURE 13 Juana Morales s’est séparée de son partenaire violent pour élever seule ses enfants.

FILLES DE LA RÉVOLTE Un livre brossant le portrait de 12 femmes en lutte contre la violence a été publié au Salvador. Texte: Mercedes Cañas Le Salvador connaît le taux de violence le plus élevé d’Amérique centrale: 19 personnes y ont été quotidiennement assassinées l’an dernier, soit davantage que pendant la guerre civile des années 1980. Le livre «Hijas de la rebeldia y sus huellas» («Filles de la révolte») vient de paraître dans le pays. Il contient des récits et des poèmes de femmes qui, à l’époque, se sont engagées pour les droits des femmes. Violence: le fait de l’armée et des maris Helía Rivera est l’une de ces femmes. Elle a grandi dans une extrême pauvreté et a entamé son engagement dans des mouvements sociaux des années 1970. Ils exigeaient des droits de propriété, des soins de santé et l’éducation mais, ­passées les premières manifestations, la répression a été massive. L’armée a bombardé les villages et les habitant-e-s – des femmes, des enfants et des hommes non armés – ont dû fuir en pleine nuit. «Nous avons traversé une rivière. J’avais de l’eau jusqu’au cou quand j’ai été séparée de mon enfant et de mon mari. Une fois sur l’autre rive, je les ai cherchés en

vain tandis que des soldats tiraient depuis les hélicoptères», se souvient Helía Rivera. Par la suite, elle a retrouvé sa ­famille mais son fils n’a pas survécu à une nouvelle attaque. Les femmes n’étaient pas en butte à la seule violence de la police et de l’armée mais subissaient encore celle de leurs camarades et époux. Comme Juana Morales, brutalisée par son mari: «Je suis tombée enceinte après cinq mois de vie commune. J’ai alors décidé de partir, car je ne voulais pas que ma fille grandisse dans un tel environnement. J’ai préféré l’élever seule.» Sans aide, elle a suivi des cours de rattrapage et poursuivi sa ­formation. Aujourd’hui, elle travaille dans la santé à Chalatenango. Inspiration à la résistance Les récits montrent comment les femmes ont lutté dans un contexte difficile pour les changements sociaux et dit non à la violence. Helía Rivera est par exemple restée fidèle à son engagement malgré les expériences traumatisantes qu’elle a vécues. Elle interpelle les lecteurs: «Ne vous laissez pas seulement guider

par les intérêts économiques et investissez plutôt votre argent dans des projets en faveur des femmes, dans des hôpitaux et des écoles et non pas dans des armes et des bombes. Laissez-nous construire le paradis ici-bas pour que la justice, la paix et l’égalité deviennent réa­ lité.» Elle coordonne la politique d’égalité dans sept communes du Chalatenango et en 2014 a mis sur pied un plan triennal de prévention de la violence à l’égard des femmes. L’idée du livre remonte à un séminaire sur les droits des femmes mis sur pied par des organisations partenaires de ­Solidar. L’ouvrage vise à inspirer les fem­ mes d’aujourd’hui à refuser l’oppression et à prendre leur propre destinée en main. Ecrit sous le gouvernement du président Antonio Saca du parti conservateur ARENA, le livre prend fin sur le poème «Rêve d’avenir» d’Ernestina Ayala: Femmes de Chalate Nous devons comprendre Que le gouvernement en place Ne cherche qu’à nous duper. Femmes d’Arcatao Ne nous laissons pas décourager Un peuple a mis son espoir en nous Et nous devons transmettre une histoire Et je prends congé de vous A cette condition que Nous combattions tous ensemble Pour notre juste cause.

«Filles de la révolte» est paru au début de l’année au Salvador.

Mercedes Cañas travaille pour Solidar Suisse au Salvador.


14 ACTUALITÉ Travailleur migrant dans un dortoir qu’il partage avec sept ouvriers à Doha.

DU FASTE BÂTI SUR L’EXPLOITATION Les conditions des travailleurs migrants sur les chantiers du Qatar sont déplorables. Eclairages. Texte: Eva Geel. Photos: Tomas Nyberg/Elektrikern et Eva Geel

Nimfa Dorneo conseille les travailleurs migrants sur le droit du travail.

affaires d’où s’élancent de spectaculai­ res gratte-ciel domine aujourd’hui déjà la capitale Doha. Mais seule la technologie est moderne. La main-d’œuvre ne voit guère se concrétiser les promesses de cette nouvelle ère. Nous en faisons l’expérience durant notre visite: certains ouvriers du camp n’ont plus reçu leur salaire depuis des mois, d’autres se sont fait confisquer leurs pièces d’identité – un contrôle policier pourrait vraiment mal tourner pour eux. Environ 1,8 million de travailleurs migrants construisent, nettoient, conduisent, cuisinent, lavent ou servent au Qatar. Et ils

déplacer librement sans la permission de leur employeur et sont souvent hébergés dans des conditions pitoyables. Leur passeport leur est fréquemment illéga­ lement confisqué. Les salaires sont médiocres, quand ils sont versés, les heures supplémentaires sont la règle, souvent non rétribuées. La grève est interdite et la protection au travail ne joue quasiment pas de rôle.

Le couloir est étroit et totalement encombré d’habits de travail jaunes. A gauche et à droite, des portes mènent aux dortoirs. On y voit des lits superposés serrés les uns contre les autres: sur 15 m² environ, huit hommes vivent et dorment. Sur les grilles métalliques des lits, de minces matelas mousse dont les fourres sont percées et usées. Avec des sacs en plastique découpés, les habitants du lieu tentent de rendre le sol bétonné plus confortable. Quelques habits pendent à une corde contre le mur. Aucune sphère privée ici. Sur le dos des migrants Toujours plus de travailleuses et de travailleurs viennent d’Asie du Sud-Est gagner leur vie au Qatar. Ils s’engagent pour plusieurs années sur les chantiers. Car l’Etat le plus prospère de la planète se modernise. Le Mondial de football doit s’y dérouler en 2022 et d’ici à 2030, cet Etat du désert veut donner de lui l’image d’une nation moderne. Un quartier des

Aucune sécurité du travail Le maçon Kumar Mamoj l’a appris à ses dépens. Il est tombé d’un échafaudage et s’est grièvement blessé à la jambe gauche. D’après lui, aucune mesure de sécurité n’avait été prise. Quelques ouvriers n’ont Mais l’employeur lui a imputé la pas reçu leur salaire depuis faute de l’accident et a refusé de payer le salaire qui lui revenait des mois. de droit. Après de longs mois et sont soumis à un régime impitoyable. Le plusieurs opérations, il est toujours inapte système de «kafala» ne donne quasiment au travail. Depuis longtemps, il n’a plus aucun droit aux travailleurs, l’arbitraire l’argent qu’il pouvait envoyer à son épouse est quotidien. Ils n’ont pas le droit de se et à ses quatre enfants restés en Inde.


Et faute d’argent, impossible aussi pour lui de rentrer dans son pays. Comme beaucoup, il est échoué au Qatar, sans perspective ni espoir. Avec l’aide de l’Internationale des travailleurs du bâtiment (BWI), il s’est adressé à l’ambassade indienne dans l’espoir d’y recevoir un soutien. Succès des services de consultation Solidar Suisse apporte son appui aux services de consultation juridique de BWI au Qatar. Ce syndicat forme des volontaires, informe les nouveaux arrivants et dispense des conseils juridiques. Un projet de la communauté philippine a par exemple été lancé voilà quelques mois avec l’appui de Solidar. Forte de 200 000 travailleuses et travailleurs, celle-ci constitue le troisième plus important groupe étranger dans cet Etat du désert, après ceux des Indiens et des Népalais. Des formations juridiques ont doté des volontaires philippins des capacités de gestion d’un service de consultation. Ils disposent également d’une page Facebook. Spécialiste du marketing, Nimfa Dorneo fait aussi partie de cette équipe. Elle vit depuis longtemps au Qatar et consacre le plus clair de son temps libre à aider ses compatriotes philippins: «Les soutenir est ma passion. Je m’occupe personnellement des cas compliqués. Sur Facebook, nous répondons aux questions sur le droit du travail: que puisje faire lorsque je veux rentrer chez moi ou lorsque mon salaire n’est pas versé? Quels sont mes droits en cas de blessure? Peut-on faire la grève au Qatar?» Nimfa Dorneo pose des questions aux employeurs, arrange des entretiens, fait

des recherches sur les prestations légales des employeurs. Avec succès puisque lors des quatre derniers mois, le service de consultation a pu répondre à 187 demandes sur 238. Le long chemin vers le travail décent On aspire à des solutions pragmatiques car les procédures judiciaires sont souvent vouées à l’échec – et elles s’éternisent alors que certains travailleurs souhaitent rentrer au plus vite chez eux. Plusieurs employeurs prennent au sérieux les plaintes du service de consultation. Il faut dire qu’en raison de la prochaine Coupe et des mauvaises conditions de travail, le pays est sous le feu des criti­ ques internationales. Les Qataris ne les entendent pas volontiers – ils insistent plutôt sur la rapidité des changements dans leur pays et sur le temps supplémentaire qu’exigeraient certaines questions. Et ils clament leur bonne volonté. Des améliorations sont effectivement régulièrement annoncées. Comme en novembre dernier où il a été proclamé haut et fort que l’autorisation de l’employeur n’était plus nécessaire pour chercher un autre emploi à l’expiration d’un contrat. Mais la précision selon laquelle le règlement serait mis en œuvre après un an au plus tôt est ensuite venue, quasiment à demi-mot. Cela vaut aussi pour la promesse d’une plainte possible contre l’employeur qui s’opposerait à un départ. Ambet Yuson, le secrétaire général de BWI, ne s’en étonne pas. Il lâche en riant: «Le chemin est encore long. Mais nous faisons tout pour accélérer un peu le rythme au Qatar.» Eva Geel est responsable de la communication à Solidar Suisse.

Le paysage urbain futuriste de Doha.

CHRONIQUE Hans-Jürg Fehr Président de Solidar Suisse

EAR pour tous Le conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz n’était pas le seul à croire que le reste du monde allait se casser les dents sur le secret bancaire suisse. Il n’est donc pas le seul à s’être trompé. Le reste de la planète a effectivement mordu – sans dommages dentaires: la Suisse doit introduire l’échange automatique d’informations en matière fiscale (EAR) entre ses banques et les autorités fiscales étrangères. C’est une évolution réjouissante dans la lutte contre la fraude fiscale très répandue dans les milieux prospères. Mais ce pas est insuffisant puisque les pays en développement en restent exclus. Et davantage de probité fiscale serait encore plus utile dans ces pays qu’en Occident. Les élites corrompues se soustraient massivement aux impôts: elles placent à l’étranger leurs fortunes illégalement acquises et ne déclarent pas les rendements comme revenus. Le secret bancaire protège précisément ces pratiques. L’OCDE estime la perte annuelle de recettes fiscales dans les pays du Sud à 285 milliards de dollars, soit bien plus que les sommes qui prennent le chemin de ces mêmes pays via la coopération au développement figurant dans nos budgets nationaux. Il est totalement incompréhensible que le Conseil fédéral et la majorité du parlement fé­ déral refusent obstinément de barrer la route aux élites corrompues du tiers-monde. Sans EAR avec ces nations également, la Suisse reste une Mecque de l’argent sale et poignarde dans le dos sa propre coopération au développement.


16 CONCOURS LE SUDOKU DE SOLIDAR

Règles du jeu

3 8

1 1

5

6

6

2 8

8

2

1 9

5 7

6

1 1

5

1= C, 2 = N, 3 = I, 4 = E, 5 = O, 6 = V, 7 = L

3

Envoyez la solution à Solidar Suisse sur une carte postale ou par courriel à contact@solidar.ch, sujet «sudoku».

2

1er prix un tablier de cuisine orné d’un slogan 2e prix un t-shirt orné d’un slogan 3e prix un sac orné d’un slogan

6 3

5

Les prix proviennent du projet contre la violence faite aux femmes en Bolivie (lire l’article en page 8) et portent les slogans originaux de la campagne.

9 4

Solution

Complétez les cases vides avec les chiffres 1 à 9. Chaque chiffre ne peut figurer qu’une seule fois sur chaque ligne, dans chaque colonne et dans chacun des carrés de 3x3 cases. La solution se trouve dans les cases grises lues horizontalement, selon la clé suivante:

La date limite d’envoi est le 14 mars 2016. Le nom des gagnant-e-s sera publié dans Solidarité 2/2016. Aucune correspondance ne sera échangée concernant ce concours. Tout recours juridique est exclu. Les collaborateurs et collaboratrices de Solidar Suisse ne peuvent pas participer au concours.

La solution du concours paru dans Solidarité 4/2015 était «travailleuse». Elisabet Kocara, de Starrkirch-Will, a gagné un bol en terre cuite, Marguerite Planche de Sion un cruchon en terre cuite et Graciela Mondillo de ­Genève un paquet de café équitable du Nicaragua. Nous remercions toutes celles et tous ceux qui ont participé au concours.

BRÈVES Népal: 1000 maisons pour les victimes du séisme Les petits paysans du district de Sindhupalchok ont été particulièrement touchés par le tremblement de terre qui, il y a dix mois, a enseveli d’innombrables personnes, maisons et animaux. Solidar a immédiatement réagi en apportant une aide d’urgence. Là où se dressaient des maisons de pierre et des étables, des bâches et des tôles ondulées servent désormais d’abris de secours temporaires aux habitant-e-s. La reconstruction a tardé parce que le gouvernement était occupé à rédiger une nouvelle constitution et que les permis de construire faisaient défaut. Solidar Suisse a présenté une proposition de reconstruction de 1000 logements et de réparation de conduites d’eau potable. Des traverses de stabili­ sation en bois et un grenier plus léger

doivent rehausser l’ancien standard des maisons. Des fourneaux sans fumée préserveront la santé des occupants et des robinets doivent si possible être installés à l’intérieur des logements. La formation d’artisans locaux dans les méthodes de construction antisismique est aussi prévue. Les travaux débuteront dès l’appro­ bation du projet par le gouvernement. www.solidar.ch/nepal

Nouveau coordinateur Après 26 ans d’activité, Carmen Ayón, ­responsable de notre bureau de coordination au Nicaragua, a pris sa retraite à la fin 2015 (lire p. 18). Alexander Rayo Martínez de Managua a pris le relais. Economiste de 34 ans, il a acquis dix ans d’expérience de la coopération au développement en collaborant avec diverses organisations ­locales et internationales. Sa propre expérience professionnelle et ses nombreux voyages en font un connaisseur de tout le contexte régional. Nous sommes heureux de l’accueillir dans l’équipe de Solidar. www.solidar.ch/nicaragua


Germaine Yé, du Burkina Faso, souffre des fluctuations de prix des denrées a­ limentaires de base.

NOURRITURE: NE SPÉCULONS PAS Les pays les plus pauvres pâtissent de la spéculation sur les denrées alimentaires. Cette pratique doit être interdite. Texte: Caspar Zollikofer. Photo: Solidar Des opérations aux effets néfastes Depuis la déréglementation du secteur des matières premières dans les années 2000, toujours plus de fonds spéculatifs ont vu qu’ils pouvaient faire de l’argent sur les marchés agricoles et des matières premières. Ils misent uniquement sur des variations des prix à court terme et ­profitent ainsi de fluctuations extrêmes des prix. Alors que sa part a nettement augmenté durant la dernière décennie, le marché agricole et des matières premières a dans le même temps été en butte à des turbulences de prix aussi fortes que régulières, avec pour conséquence des crises alimentaires dans plusieurs pays en développement. Les causes de ces fluctuasont multiples. Plusieurs «Je n’apprête un repas chaud tions travaux de recherche notent plus qu’une fois par jour.» une corrélation entre la spéculation excessive et la volales acteurs des marchés financiers assu- tilité des prix. Si les avis des scientifiques ment le risque d’éventuelles fluctuations divergent quant à l’intensité de l’influence de prix. En échange, les parties concer- de la spéculation sur les prix, la populanées doivent leur verser une prime. Cette tion des pays en développement n’a cure fonction d’assurance a un effet stabilisa- de ce débat. Car pour elle, des hausses teur sur les prix. de prix même infimes ont des effets néLe 28 février, les citoyennes et les cito­ yens suisses voteront sur une interdiction de la spéculation sur les denrées ­alimentaires. Réagissant aux crises alimentaires des dernières années, la Jeunesse socialiste suisse exige, dans son initiative, de ne plus autoriser la spéculation sur les prix des denrées alimentaires. Car ces variations de prix provoquent la faim dans les pays en développement. Pour Catarina Tanga, du Mozambique, cela signifie un repas au lieu de deux par jour: «Je ne peux plus m’en permettre ­davantage.» Des contrats avec les producteurs ou acheteurs doivent toutefois rester possibles. Dans ces opérations financières,

ACTUALITÉ 17 fastes: elle doit consacrer jusqu’à 90 % de son revenu à la nourriture. Avant, Germaine Yé, du Burkina Faso, pouvait stocker les principales denrées alimentaires de base telles que le millet et le maïs. Comme les prix sont partis à la hausse, elle doit faire ses achats au jour le jour. «Ce qui fait que je dois envoyer mes enfants à l’école pour le petit-déjeuner. Il n’y a plus qu’un repas chaud par jour.» Rendue furieuse par le niveau des prix, elle a participé à une manifestation, à Diarra, que les forces de l’ordre ont ­dispersée dans la violence. Profits pour les uns, faim pour les autres A côté du millet et du maïs, le sucre, le riz, l’avoine et le cacao sont négociés à la bourse des produits agricoles et des matières premières. Un organisme de placement suisse peut par exemple spéculer sur la hausse du prix du sucre sans avoir de lien quelconque avec les producteurs et les acheteurs. Il n’a aucun intérêt à la stabilité du prix. Impossible de parler d’une fonction d’assurance. Les victimes de ces opérations sont le petit paysannat et les consommateurs des pays en développement qui sont déjà confrontés aux prix instables induits par les sécheresses. Cette réalité est intolérable. Première plaque tournante du commerce des matières premières, la Suisse doit assumer sa responsabilité. Il n’est pas acceptable que la spéculation sur les denrées alimentaires intensifie les fluctuations de prix et plonge des gens dans la pauvreté tandis que des spéculateurs s’en mettent plein les poches.

VOTEZ OUI Défendez les plus démunis le 28 février et votez oui à l’interdiction de la spéculation sur les denrées alimentaires.

Caspar Zollikofer travaille au secteur communication de Solidar Suisse.


18

UNE VIE POUR LA JUSTICE Après avoir exercé vingt-six ans durant la fonction de coordinatrice de Solidar au Nicaragua, Carmen Ayón a pris sa retraite à la fin de l’année dernière. Merci pour le magnifique travail accompli! Texte: Katja Schurter. Photo: Frederic Meyer


PORTRAIT 19 traide ouvrière (OSEO) à l’époque –, elle voulait investir toute son énergie dans une organisation «œuvrant avec des valeurs révolutionnaires pour les plus pauv­ res et les plus opprimés et s’engageant pour l’égalité entre les femmes et les hommes». Car la guerre civile a laissé un héritage amer: une violence largement répandue contre les femmes, la pauvreté et l’inégalité. Aujourd’hui en revanche, le Nicaragua est un des pays les plus sûrs d’Amérique centrale. «Peut-être parce que les valeurs de l’intégrité et de l’enga­ gement ont été transmises à la police lors de la révolution sandiniste», suppose Carmen Ayón. «Dans chaque commune et chaque quartier urbain, la police, les autorités et les organisations sociales collaborent pour empêcher la délinquance et encourager la participation et l’intégration des jeunes.»

Ecouter et agir: Carmen Ayón prêtait toujours l’oreille aux demandes des défavorisés – et aidait à y répondre.

Carmen Ayón a vécu tous les grands événements qui ont secoué le Nicaragua au cours des quarante dernières années: le tremblement de terre de Managua, la révo­ lution sandiniste, la guerre des «contras», l’ouragan Mitch. «Ils ont marqué ma vie et j’en ai tiré beaucoup d’enseignements: par exemple, que seule la vie compte et non pas les aspects matériels. Que la haine qui sert de prétexte aux guerres est encouragée par les puissants pour semer des conflits parmi les pauvres. Mais finalement ce sont ces derniers qui souffrent des conséquences.» Pour les femmes et les plus démunis Lorsque cette économiste de formation a débuté ses activités en 1989 auprès de Solidar Suisse — l’Œuvre suisse d’en-

ge ALEAC, le maïs des Etats-Unis arri­ vera chez nous en franchise de droits», affirme-t-elle. L’organisation fait la force Sous sa houlette, Solidar s’est attaqué aux problèmes évoqués, avec le soutien du syndicat des travailleurs à compte propre, les réseaux luttant contre la violence et pour les droits des femmes ou encore avec des coopératives de petits paysans. Avec succès: par exemple, une coopérative caféière soutenue par Solidar a été la première organisation paysanne du Nicaragua à exporter du café équitable directement à l’étranger. Aujourd’hui, elle s’est alliée à d’autres coopératives et fait figure d’un des plus gros exportateurs de café du pays. «Ce qui est unique avec Solidar, c’est l’appui octroyé aux personnes qui s’organisent. Car ce n’est que lorsqu’elles s’unissent que des dépendances s’estompent.» Pour Carmen Ayón, parvenir à changer la vie de nombreuses personnes a été l’aspect le plus positif de son travail. «L’investissement dans l’éducation des jeunes, des paysans et des femmes a le plus grand effet. Lorsqu’ils accèdent au crédit et aux droits de propriété, ils appliquent les nouvelles techno-

Peu d’emplois réguliers Elle considère comme un problème majeur le fait que de nombreux jeunes soient sans emploi et travaillent de ce fait sans sécurité sociale et à leur propre compte. Au Nicaragua, on ne trouve du travail que dans le secteur informel quasiment, raison pour laquelle les ouvriers sont en position de faiblesse face aux employeurs. Il arrive ainsi que Le commerce équitable des entreprises congédient simplene suffit pas, les femmes ment des travailleuses et des tradoivent être confortées vailleurs quand ils s’organisent. «Et le gouvernement laisse faire, par dans leur propre estime. peur de l’instabilité économique», s’emporte Carmen Ayón. Elle estime né- logies, diversifient leur production et défaste l’alliance du gouvernement avec gagent de meilleurs rendements», conclutl’Eglise qui défend des valeurs tradition- elle. «Car le commerce équitable à lui seul nelles, ce qui porte préjudice aux femmes ne suffit pas pour en finir avec la pauvreté et renforce le machisme. Le Nicaragua dans le pays. Il faut que les femmes soient interdit totalement l’avortement, même confortées dans leur estime propre.» lorsque la vie de la mère est en danger. Difficile d’imaginer que notre coordinaEt finalement, le pays subit les consé- trice dynamique parte désormais à la quences des changements climatiques: ­retraite. Mais Carmen Ayón a ses plans sécheresse et mauvaises récoltes me- pour cette nouvelle vie. Elle veut enfin nacent l’existence des petits paysans. Ils faire ce pour quoi elle n’a jamais trouvé le peuvent donc encore moins concurren- temps: voyager, lire, être avec sa famille. cer les produits importés subventionnés. «Et je continuerai de rêver à monde vrai«Et ce sera pire encore en 2016, lors- ment démocratique, dans lequel les disqu’aux termes de l’accord de libre-échan­ criminés ont accès aux ressources!»


STOP À LA SPÉCULATION SUR LES ALIMENTS Il est intolérable que la spéculation sur les denrées alimentaires fasse basculer des hommes et des femmes des pays en développement dans la pauvreté alors que les spéculateurs s’en mettent plein les poches (lire l’article en page 17). A vous de jouer: le 28 février, dites oui à l’initiative «Pas de spéculation sur les denrées alimentaires»!


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