Solidarité 4/2010

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www.oseo.ch

Pakistan Aide d’urgence pour les victimes Suisse Soutien à des migrant-e-s traumatisés

Le magazine de l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière OSEO • Novembre 4/2010


Editorial

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Revue de presse

Chère lectrice, cher lecteur, Cet automne, l’OSEO a fêté 35 ans de présence au Burkina Faso. Son plus grand succès consiste en une

réforme de l’enseignement, basée sur le modèle de l’«éducation bilingue», à laquelle l’OSEO a largement contribué depuis les années nonante. Au cours de la fête, Henri Kabore, maire de Ouaga­

12.10.2010  La FIFA fait son beurre sur le dos des Africains Le Mondial a été un gouffre pour l’Afrique du Sud. Selon une récente étude de l’OSEO, les coûts pour le gouvernement sud-africain s’élèvent à 5,5 milliards de francs suisses au lieu des 321 millions prévus! De son côté, la FIFA a enregistré un gain de plus de 3 milliards de francs.

dougou, a souligné une autre action: il a remercié l’OSEO

pour l’aide rapide fournie après les inondations de septembre 2009. Alors que nous séjournions au Burkina Faso, des pluies diluviennes se sont abattues sur le Bénin, provoquant des inondations qui ont touché un tiers environ de ses 8,5 millions d’habitant-e-s. Les télévisions locales ont

30.09.2010  Coaching pour jeunes diplômés au chômage L’OSEO lance un nouveau programme gratuit pour aider les jeunes diplômés à trouver un premier emploi, en association avec le Credit Suisse. Pendant trois ans, quelque 600 personnes pourront bénéficier de cette offre chaque année.

diffusé des images de cette catastrophe. Elles ne sont pas parvenues jusque dans nos médias. Ce petit pays n’est-il pas assez connu chez nous? L’inondation n’a-t-elle pas eu des effets assez désastreux? Avec le changement climatique, de telles catastrophes se multiplient et, qu’elles se produisent sous les feux des projecteurs ou non, les plus démuni-e-s en sont toujours les premières victimes. Se montrer solidaire, c’est leur

apporter une aide rapide. Lisez à ce propos, en page 8, le

01.09.2010  L’OSEO consulte la population L’OSEO lance son propre site Internet pour faire progresser la lutte contre l’exploitation. Elle donne ainsi la possibilité à la population d’interpeller directement ses autorités, via le site www.consultationspopulaires.ch, afin qu’elles s’engagent à effectuer leurs achats sur la base de critères équitables, interdisant notamment le travail des enfants, le travail forcé et la discrimination.

compte rendu de notre soutien aux victimes des inondations au Pakistan. Mais nous pouvons et devons faire plus: mettre tout en

œuvre afin d’éradiquer la pauvreté dans le Sud et exiger de nos gouvernements qu’ils appliquent une politique axée sur le respect des droits humains et la justice sociale. Ruth Daellenbach, directrice de l’OSEO

18.08.2010  Les ONG suisses sont sur le pont Des ONG suisses interviennent dans un pays noyé par les crues. L’OSEO est engagée au nord-ouest du pays, dans la région de Nowshera. Elle distribue à 40 000 personnes des biens de première urgence (ustensiles de cuisine, articles de toilette, moustiquaires, nattes) et des toiles de tente pour se protéger des pluies persistantes.


SOMMAIRE

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INTERNATIONAL En Europe du Sud-Est, des jeunes s’engagent activement contre le chômage

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Mondial de football 2010: un bilan accablant

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Inondations sans précédent au Pakistan: l’OSEO dispense une aide d’urgence

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CONCOURS

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POINT DE VUE Ada Marra: le 28 novembre, 2 x NON à des dispositions inhumaines

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SUISSE Un vrai magasin prépare des apprenti-e-s à s’insérer dans le monde du travail

12

Un pont pour aider des victimes de traumatismes à retourner à la vie

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DONS Offrez un vélo

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PORTRAIT Tomasa Cortedano aide des ouvriers et ouvrières agricoles à défendre leurs droits

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INTERNATIONAL Le bilan du Mondial 2010 est accablant: grosses pertes pour l’Afrique du Sud et gains mirobolants pour la FIFA. P. 7

INTERNATIONAL Au nord du Pakistan inondé, l’hiver approche: l’OSEO aide les victimes à construire des logements d’urgence. P. 8–9

Page de titre: Une famille fuit son village durant les inondations au Pakistan. Photo: Adrees Latif/Reuters Dernière page: Une maison détruite par les flots. Photo: Debora Neumann

Impressum Editeur: Œuvre suisse d’entraide ouvrière, Quellenstrasse 31, 8031 Zurich, Tél. 021 601 21 61, e-mail: info@oseo.ch CP 10-14739-9 Lausanne. www.oseo.ch

SUISSE Le projet Ponte aide des migrant-e-s victimes de traumatismes à s’intégrer progressivement dans le monde du travail. P. 14–15

Rédaction: Katja Schurter (resp.), Rosanna Clarelli, Christian Engeli, Hans Fröhlich, Alexandre Mariéthoz, Cyrill Rogger Layout: Atelier Binkert, www.atelierbinkert.ch Traduction: Irene Bisang, Ursula Gaillard, Milena Hrdina, Walter Rosselli, Peter Schrembs Correction: Angelo Ciampi, Marianne Enckell, Jeannine Horni Impression et expédition: Unionsdruckerei/subito AG, Platz 8, 8201 Schaffhausen Paraît quatre fois par an. Tirage 37 000 ex. Le prix de l’abonnement est compris dans la cotisation (membres individuels 50.– par an minimum, organisations 250.– minimum). Imprimé sur papier recyclé

PORTRAIT Tomasa Cortedano dispense des conseils, au Nicaragua, à des ouvriers et ouvrières agricoles victimes de violations du droit du travail. P. 18–19


international

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Овај ПЛаКаТ је Креиран и шТамПан уз ПОдршКу SwiSS Labour aSSiStance и eye of ViSion.

La brochure du centre de communication pour la jeunesse de Banja Luka informe les jeunes sur divers services d’orientation professionnelle.

«Je veux aussi participer au marché du travail!» En Europe du Sud-Est, des organisations de jeunes lancent des projets novateurs pour lutter contre le chômage. Texte: Karen Rohwedder. Photos: Dukagjin Nishiqi et Christoph Baumann

Au Kosovo, en Serbie et en Bosnie-Herzégovine, le taux de chômage des jeunes atteint jusqu’à 70 pour-cent. «Et les autorités ne font rien», constate Irene Djumic, responsable d’un projet du centre de communication pour la jeunesse de Banja Luka, en Bosnie-Herzégovine. Au contraire, au lieu de soutenir son travail, elles lui mettent des bâtons dans les roues. «Le droit à l’information n’existe que sur le papier. Les services concernés ne diffusent pas de données et se gardent bien de reconnaître à quel point la situation sur le marché du travail est catastrophique.» Pour assurer l’accès à l’information, le centre organise des journées sur le choix professionnel dans les écoles du secondaire et propose un service de consulta­

tion, très fréquenté, aux élèves du primaire. Une brochure à la mise en page fraîche et attrayante réunit par ailleurs toutes les informations utiles et indique les divers services d’orientation profes­ sionnelle et les possibilités de formation.

territoire à partir du Kosovo. Après avoir remis leur passeport à la douane, les participant-e-s kosovars ont dû s’armer de patience en attendant de savoir s’ils parviendraient à destination.

Echanges transfrontaliers

S’interroger sur ses propres objectifs

En septembre dernier, six organisations de Bosnie-Herzégovine, du Kosovo et de Serbie se sont réunies à Vrnjac´ka Banja, en Serbie, afin de se présenter mutuellement les résultats de leurs projets contre le chômage chez les jeunes (voir encadré). De tels échanges ne vont pourtant pas de soi. Le seul fait de se rendre sur place relève de la gageure: officiellement, l’Etat serbe interdit encore l’entrée sur son

En fin de compte, toutes et tous sont arrivés à temps à la conférence et ont pu échanger leurs expériences dans une ambiance animée. Ensemble, ils ont aussi élaboré des solutions aux problèmes des jeunes, en visant par exemple à améliorer la collaboration avec les autorités. Eminemment pragmatique, leur objectif commun transparaît dans le titre du projet mené par le centre de jeunesse


International

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Des jeunes entraînent leurs compétences lors d’ateliers et découvrent le monde du travail lors de visites d’entreprises.

d’Istog (Kosovo): «Moi aussi, je veux participer au marché du travail.» Ce projet met spécialement l’accent sur la participation des parents au choix de la profession. «Au Kosovo, les enseignant-e-s et les parents s’intéressent trop rarement aux besoins et aux compétences des jeunes, car la tradition veut qu’ils embrassent le métier de leurs parents», explique Luan Hasanj, responsable du projet. Celui-ci comprend des ateliers qui aident les jeunes à s’interroger sur leurs objectifs professionnels, à identifier leurs compétences et à les mettre en valeur dans leur dossier de candidature. De son côté, l’ONG serbe Cube s’est fixé une autre priorité: lors du choix professionnel, elle encourage les jeunes femmes à envisager aussi des métiers à prédominance masculine. Des ateliers ­visent à accroître leur confiance en elles et leur fournissent des informations sur les possibilités envisageables.

Collaboration avec les syndicats Bojana Bijelovic´, de la section Jeunes au sein de l’Union syndicale serbe CATUS, était aussi à la conférence de Vrnjac´ka Banja. Il faut savoir que les organisations de jeunesse se méfient encore des syndi-

cats, car ceux-ci ont été très proches du régime communiste. La jeune syndicaliste a présenté les activités de sa section (notamment en matière de formation continue sur les normes du travail) et évoqué les pro­blèmes rencontrés par les ­jeunes engagés au sein des syndicats: «Nous n’avons ni notre propre budget, ni un mot à dire sur la répartition des fonds.» Elle a également regretté que la collaboration avec les ONG ait été jusqu’alors négligée. Poursuivant des objectifs similaires et confrontés à des difficultés identiques, les

­jeunes présents ne pouvaient que se comprendre. Membres des syndicats et représentant-e-s des organisations de jeunesse ont donc décidé d’échanger à l’avenir des

«Les autorités ne font rien contre le chômage des jeunes.» informations sur leurs projets et leurs actions, afin de faire pression ensemble sur les autorités et de les obliger ainsi à assumer leurs responsabilités.

Concours pour les jeunes Avec son concours Jeunesse et travail, l’OSEO entend faire parler du fort taux de chômage parmi les jeunes en Europe du Sud-Est et encourager les jeunes adultes à prendre l’initiative, l’objectif étant d’améliorer leurs chances sur le marché du travail. Le concours vise en outre à tisser un réseau international entre les projets et à renforcer leurs liens avec les partenaires sociaux, de même qu’avec les autorités compétentes. Six projets de Bosnie-Herzégovine, du Kosovo et de Serbie, ont été sélectionnés en décembre 2009 et ont reçu un soutien de l’OSEO. Leurs représentant-e-s ont échangé des informations sur leur travail, lors d’une conférence organisée fin septembre.


QUOI DE NEUF?

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Violentes révoltes au Mozambique

Nouveau programme scolaire au Bénin

35 ans d’engagement au Burkina Faso

Début septembre, le Mozambique a connu de violentes émeutes. Dans la capitale Maputo, ainsi qu’à Matola et Chimoio, des milliers de personnes sont descendues dans la rue, afin de protester contre l’augmentation du prix de l’électricité, de l’eau et du pain. La police et l’armée ont chargé les manifestant-e-s à balles réelles. Treize personnes ont été tuées et 443 blessées. Le gouvernement a décidé, dans un premier temps, de ne rien entreprendre contre les hausses de prix, qui ont atteint 30 pour-cent s’agissant du pain. Il est ensuite revenu sur cette décision, le 7 septembre dernier. Jorge Lampião, coordinateur de l’OSEO au Mozambique, commente ainsi ces tragiques événements: «Il y aura des protestations aussi longtemps que le gouvernement ne s’attaquera pas à la pauvreté grandissante dans les villes et au manque d’investissements pour améliorer la productivité agricole. La population mène un combat quotidien pour survivre. Dans ces conditions, une petite étincelle suffit pour mettre le feu aux poudres.» www.oseo.ch/news

En août 2010, l’OSEO a assumé au Bénin, en collaboration avec Helvetas, un mandat de la Direction du développement et de la coopération (DDC). L’objectif consiste à établir un programme de formation pour enfants entre neuf et quinze ans, exclus du système de formation officiel. Ce modèle de formation doit être mis en application dans sept communes rurales du département de Borgou, dès le début de l’année scolaire 2011. Ce territoire est l’un des plus pauvres au Bénin; 54 pour-cent des enfants qui y vivent n’ont pas accès à l’école. L’exclusion scolaire frappe davantage les filles. De plus, les ressources manquent pour former tous les enfants en âge de scolarisation. Dans 15 ans, le modèle de formation, adapté aux réalités socio-économiques, devra être étendu à l’ensemble du pays.

Le 3 octobre, l’OSEO Burkina Faso a fêté son 35e anniversaire, en présence de nombreuses personnalités officielles. Odile Bonkoungou, ministre de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation, a salué l’action de l’OSEO: «La grande qualité du travail de l’OSEO nous a convaincus dans le cadre de notre combat contre la pauvreté.» Durant les années septante, l’OSEO soutenait la population en matière de développement rural. Elle s’est ensuite davantage investie dans l’éducation, qui constitue désormais son principal axe d’intervention. Depuis le milieu des années nonante, une réforme de l’enseignement, basée sur le modèle de l’éducation bilingue, a été initiée en partenariat avec le Ministère de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation. www.oseo.ch/news

Sommet du Millénaire: bilan très décevant Fin septembre, l’ONU a évalué les chances d’atteindre les objectifs du Millénaire. Il s’est avéré que les objectifs prioritaires, soit surmonter la faim et la pauvreté dans le monde, se solderont par un échec. Les pays industrialisés n’ont cependant pas voulu fournir les 20 à 40 milliards de dollars nécessaires à la réalisation, même partielle, de ces objectifs d’ici 2015. Micheline Calmy-Rey, conseillère fédérale en charge des Affaires étrangères, a exhorté la communauté internationale à un engagement accru. Elle a aussi estimé que la politique de développement se limite trop souvent à combattre les symptômes plutôt que les causes de la pauvreté. L’OSEO partage cette vision et demande au Conseil fédéral de combattre la pauvreté et l’injustice à la racine. Ainsi, le «travail décent», prônant à la fois le droit au travail et le respect du droit du travail, devra être une priorité de la politique suisse en matière de développement. www.oseo.ch/news


INTERNATIONAL

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Les ouvriers et ouvrières des stades ont dû mener de nombreuses grèves pour obtenir de légères hausses de salaire.

Fausses promesses et espoirs déçus Une étude de l’OSEO montre ce que le Mondial 2010 de football a réellement apporté à la population sud-africaine. Texte: Christian Engeli. Photo: OSEO

Le premier Mondial sur sol ­africain a suscité une immense espérance. La popula­ tion sud-africaine a rêvé de nouveaux emplois, d’essor économique et d’un avenir meilleur. Aucun de ces espoirs ne s’est réalisé. Retour sur un bilan désastreux.

cent par rapport au même mois de l’année précédente. Dans le secteur de la cons­ truction, 111 000 emplois ont disparu en une année. En revanche, les cinq plus grandes entreprises de la construction ­actives en Afrique du Sud ont connu une très nette hausse de leurs bénéfices: de 17 fois plus cher que prévu 110 millions de francs en 2004 à 1,4 mil­ Une étude de l’OSEO sur les consé- liards en 2009. Durant cette même périoquences sociales et économiques du Mon- de, les salaires de leurs dirigeant-e-s ont dial parvient à des résultats accablants. augmenté en moyenne de 200 pour-cent. Les coûts pour l’Afrique du Sud ont été Les ouvrières et ouvriers de la construcsupérieurs de 1709 pour-cent à ce qui tion ont, quant à eux, dû mener 26 grèves était initialement prévu. Au lieu d’un bé- pour arriver à des hausses de salaires qui néfice annoncé de 700 millions de francs couvrent le renchérissement du coût de suisses, la Coupe du monde a entraîné ­­la vie. Parmi les dix stades construits ou agune perte nette de 2,8 milliards de francs. De son côté, la FIFA a engrangé un gain randis en vue de la Coupe du monde, trois de plus de 3 milliards et enregistré, par au moins sont des «white elephants», rapport à la Coupe du monde 2006, une c’est-à-dire des stades trop grands et trop hausse de ses bénéfices de 50 pour-cent. onéreux pour pouvoir être utilisés après Elle avait auparavant obtenu du gouver- le Mondial sans générer de coûts supplénement sud-africain que ses gains, ainsi mentaires. La construction d’infrastruc­ que ceux de ses partenaires, soient exem- tures, et en particulier de stades, a abouti, ptés d’impôts. «Les privilèges que nous selon des estimations de l’ONU, à ce avons dû octroyer à la FIFA étaient tout qu’environ 20 000 personnes soient expulsimplement excessifs, estime un porte-­ sées de leur logement. Les 5,5 milliards de francs investis en parole des autorités fiscales sud-africaines. Ils ont rendu impossible le moindre vue du Mondial auraient pu être affectés à d’autres priorités. La plupart de la populagain financier pour notre pays.» tion sud-africaine vit dans des conditions Aucun emploi supplémentaire inhumaines: 7,5 millions de personnes Le Mondial n’a généré aucun boom sur (40 pour-cent de la population) sont sans le marché de l’emploi. A fin juillet 2010, le emploi et des logements sont nécessaires taux d’activité avait diminué de 4,9 pour- pour au moins 12 millions de personnes.

Aucune mauvaise conscience Il n’y a rien de scandaleux à ce que le Mondial ait été organisé en Afrique du Sud. En revanche, il est extrêmement choquant que la FIFA utilise le slogan «Pour le bien des jeux, pour le bien du monde», alors qu’elle se soucie exclusivement de son propre profit. La FIFA n’éprouve aucune mauvaise conscience. Elle exige au contraire une exemption totale de tout impôt direct ou indirect lors du Mondial 2018. Elle justifie cette exigence par le fait qu’elle paie déjà des impôts en Suisse. C’est pourtant faux: la FIFA est considérée comme une «organisation d’utilité publique» et est, par conséquent, exemptée de tout impôt fédéral direct. Le parlement a refusé, en juin de cette année, d’abolir ce privilège.

Plus de fair-play en 2014 Le même scénario que lors du dernier Mondial risque de se répéter au Brésil, lors de la prochaine Coupe du monde, en 2014. L’OSEO exige par conséquent de la FIFA et de son président, Sepp Blatter, du fair-play également en dehors du terrain. La FIFA doit user de son influence pour faire en sorte que le Mondial ne profite pas uniquement à elle-même et aux entreprises de la construction, mais aussi à la population du pays organisateur.


INTERNATIONAL

8

Il ne reste plus rien Les terribles inondations survenues au Pakistan ont touché vingt millions de personnes. L’OSEO dispense une aide d’urgence et à la reconstruction. Texte et photos: Debora Neumann À mon arrivée à Peshawar, dans le nordouest du Pakistan, à la mi-août, une semaine après les terribles inondations, la pluie a enfin cessé et le recul des eaux offre le spectacle désolant d’une vaste des­truction. Je suis ici pour coordonner la distribution de l’aide d’urgence dispensée par l’OSEO. Je n’ai jamais rien vu de si désolant. Les flots ont tout arraché, ils ont rempli les maisons de plusieurs mètres cubes de boue. D’après les plaques minéralogiques, les nombreuses voitures charriées par les eaux proviennent de régions situées 300 à 400 km plus au nord.

Deux mètres de boue Les rivières sont trois à quatre fois plus larges que durant une mousson normale. C’est d’autant plus catastrophique que 90 pour-cent des gens de la région concernée vivent de l’agriculture. Les champs de maïs, de céréales et de canne à sucre sont recouverts de près de deux mètres de boue, le sol est jonché de débris. Toute la récolte est à vau l’eau. Les infrastructures sont anéanties, les hôpitaux, les écoles, les jardins d’enfants, le réseau électrique, les canalisations, tout est détruit. Je me suis rendue dans bien des régions frappées par des tremblements de terre, et j’ai vu les conséquences du tsunami. Mais ce n’était rien comparé au déluge qui s’est abattu sur le Pakistan. Et la plupart des victimes appartiennent aux couches les plus pauvres de la population.

Déblayer maisons et champs Une fois que les gens ont reçu de l’eau potable et de la nourriture, il leur faut des outils pour déblayer leurs maisons et

leurs champs, couverts de boue, de sable et de gravats. L’OSEO fournit des pelles, des seaux, des charrettes et des bâches aux victimes dans les districts de Noshera et de Charsadda. Alors que je distribue ce matériel, Hussan Bano, une veuve qui habite le village d’Agra Payan avec son fils et ses six petitsenfants, me raconte que leur maison a été totalement submergée et détruite par les flots. Il ne reste que des décombres couverts de boue. Hussan Bano a bien obtenu une tente du gouvernement, et toute la famille y dort, mais elle a besoin de notre aide pour recons­truire sa maison, même provisoirement. «Tout l’argent que j’ai, je le dépense pour nourrir et habiller mes petits-enfants. Je n’ai pas les moyens de m’acheter une pelle ou une charrette, ditelle. Grâce aux outils de l’OSEO, mon fils et moi, nous pouvons enfin commencer à déblayer.» Le lendemain matin, dans un village voisin, nous avisons un groupe d’hommes en train de vider un canal avec des outils et une charrette sauvés des eaux. Les gens du village affluent pour les aider, ou les regarder faire. À la fin de l’après-midi, le canal est nettoyé, les égouts ont été débouchés, les eaux usées ne se stagnent plus sur la chaussée.

Des abris d’urgence avant l’hiver L’ampleur des destructions est telle qu’il faudra des années pour effacer les conséquences du déluge. 2,2 millions de maisons sont détruites. Fin septembre, 12 millions de personnes attendaient encore des secours. La plupart d’entre elles ­vivent toujours dans des ruines ou sous tente.

Mais ici, dans le nord, c’est bientôt l’hiver, et la température se situera entre zéro et cinq degrés. Début octobre, l’OSEO a commencé à construire 800 logements temporaires, ainsi que des installations sanitaires, dans la région d’Agra Payan. Les gens ont un besoin urgent d’abris plus solides pour passer l’hiver et pour vivre dignement jusqu’à ce que leurs maisons aient pu être reconstruites.

Votre don compte! Au nord du Pakistan, l’OSEO a dis­ tribué des kits de première nécessité à 20’000 personnes touchées par les inondations. Elle y construit 800 abris de fortune. Cette action est menée en collaboration avec ses partenaires du réseau européen Solidar et le soutien de la Chaîne du Bonheur. Dès décembre, nous distribuerons aussi du matériel dans la province méridionale du Punjab pour aider les gens à recons­ truire leurs maisons. Debora Neumann est sur place et veille à ce que l’aide arrive à bon port. Nous continuons à avoir besoin de votre soutien: faites vos dons en ligne (www.oseo.ch/dons) ou au CP 10-14739-9.


INTERNATIONAL

9

Au Pakistan, les inondations ont détruit 2,2 millions de maisons.

Les habitants d’un village utilisent les outils de l’OSEO pour libérer un canal entièrement bouché.


CONCOURS

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Jeu

Résultat du baromètre

Le sudoku de l’OSEO

22 personnes ont participé au baromètre de la solidarité portant sur les places d’apprentissage.

6

2

5

5

2

8

9

8

6 3

4

9 3 7

Règles du jeu Complétez les cases de la grille avec les chiffres de 1 à 9, afin qu’il n’y ait aucune répétition et aucun doublon dans chaque colonne, ligne et carré de 3x3.

8

5

5

1

2

2

8 4

8

2

1

La solution se trouve dans les cases grises lues horizontalement, selon l’équivalence ci-dessous: 1=A, 2=C, 3=O, 4=T, 5=U, 6=S, 7=E, 8=N, 9=M.

Pensez-vous qu’il y a assez de places d’apprentissage en Suisse?

non oui pas de réponse selon la branche

Que faut-il faire pour que chaque jeune trouve une place d’apprentissage? 22 20

2

9

5

4

22 15 20

Solution:

10

15

5

10

Envoyez la solution à l’OSEO via le talon-réponse ci-joint, sur une carte postale, ou par e-mail à info@oseo.ch, sujet «sudoku». Toutes les réponses correctes participent au tirage au sort. Prix Un bon d’achat de 50.- auprès de l’enseigne Outlet du Coq Sportif (voir article en page 12). Ce prix est amicalement offert par Cooqpit. La date limite d’envoi est le 3 janvier 2011. Le nom du gagnant ou de la gagnante sera publié dans Solidarité 1/2011. Le concours ne donne lieu à aucune correspondance, ni à aucun recours. Le personnel de l’OSEO et de ses associations régionales n’a pas le droit d’y participer. La solution de l’énigme de Solidarité 3/2010 était «Formation». La gagnante a été tirée au sort: Nicole Favre, des Reussilles, a gagné un nain provenant du projet «Nainvisible» de l’OSEO Genève. Nous remercions toutes les personnes qui ont participé au jeu.

Baromètre de la solidarité Pensez-vous que la coopération au développement ne contribue qu’à atténuer les symptômes de la pauvreté, plutôt qu’à en guérir les causes (cf. page 6)? Quelles devraient être les priorités de la coopération au développement? La Suisse devrait-elle octroyer davantage d’argent à l’aide au développement (cf. page 13)? Répondez à notre sondage au moyen du talon-réponse joint à ce numéro.

0

5

Promouvoir les projets d’intégration pour les enfants 0et la jeunesse

Inciter financièrement les entreprises à offrir des places d’apprentissage Consacrer davantage de fonds publics à la formation La jeunesse devrait se montrer plus souple lors du choix d’un métier Inscrire dans la loi le droit à la formation jusqu’au certificat Comment éviter que les jeunes d’origine étrangère soient discriminés lors de la recherche d’une place d’apprentissage? Le coaching a été évoqué le plus souvent, suivi par la possibilité de déposer une candidature anonyme, une meilleure connaissance des langues et la solidarité avec les jeunes. Commentaire de Silvia Caluori et Christine Spychiger, de l’OSEO Suisse centrale Notre expérience montre qu’il y a assez de places d’apprentissage en Suisse, mais que celles-ci ne correspondent pas aux attentes professionnelles et au niveau scolaire des jeunes. Il manque surtout des places de formation qui aboutissent à un certificat: des formations simples, orientées vers la pratique et qui correspondent aux capacités des jeunes. Il faut une ouverture de la part des entreprises formatrices et un intérêt de la part des jeunes. La recherche d’une place de formation est facilitée si elle est accompagnée par des coachs: ces personnes ouvrent des portes aux jeunes en quête d’un apprentissage.


2 x NON à des dispositions inhumaines L’initiative de l’UDC «pour le renvoi des criminels étrangers», ainsi que le contre-projet du Conseil fédéral, sont inutiles et contraires aux droits humains. Texte: Ada Marra, conseillère nationale PS

Ada Marra Conseillère nationale PS

La récolte de signatures «pour le renvoi des criminels étrangers» avait donné le ton sur sa teneur polémique, puisqu’elle s’est faite sous l’égide des moutons noirs. Elle n’a malheureusement pas été condamnée par le Tribunal fédéral. L’initiative UDC demande le renvoi de toute personne étrangère condamnée pour meurtre, viol, délit sexuel grave, acte de violence tel que brigandage, traite humaine, trafic de drogue ou effraction, ainsi que pour abus dans les assurances et l’aide sociales. Elle contrevient de ce fait à plusieurs textes juridiques, dont les accords de libre circulation avec l’Union euro­péenne ou la Convention euro­péenne des droits humains, ainsi que le principe de la proportionnalité inscrit dans la Constitution. Pourquoi? Parce qu’elle contient en son sein l’idée de renvoi automatique. Ainsi, un père de famille établi en Suisse depuis 20 ans, et qui exercerait à côté de son activité déclarée un emploi au noir, se verrait renvoyer et devrait quitter femme et enfants, même si ces derniers étaient nés dans notre pays. De même, une personne réfugiée (une personne dont il est prouvé qu’elle serait en danger, éventuellement de mort, si elle retournait dans son pays) serait renvoyée.

Renvois déjà possibles La pratique actuelle, dictée par la loi sur les étrangers qui contient déjà des clauses pour le renvoi des étrangers criminels, laisse l’application de cette peine aux tribunaux cantonaux. En Suisse, ce ne sont pas moins de 350 à 500 personnes par an qui sont renvoyées. Mais comme la déci­sion est cantonale, le nombre varie beaucoup d’un canton à l’autre.

Un contre-projet direct accompagnera l’initiative de l’UDC. Il rétablit le principe de non-refoulement automatique, mais se montre à peine moins sévère sur la liste des délits. Il contient également quelques phrases sur l’intégration, disant que la Confédération veillera, en collaboration avec les cantons, à ce que ces derniers prennent des mesures d’intégration. Leur financement n’a cependant pas passé la rampe de la commission parlementaire en charge du dossier. Cela restera donc probablement un vœu pieux.

Manque de courage du centre-droit Le 28 novembre prochain, il faudra ­ oter 2 x NON, y compris au contre-projet. v L’accepter reviendrait à nier que la loi  fonctionne déjà et que les personnes étrangères venues pour abuser sont renvoyées, même si les cantons ne l’ont pas crié sur les toits ces dernières années. Parfois, le renvoi n’était pas possible, car les accords de réadmission nécessaires n’avaient pas été conclus, alors même que Christoph Blocher et Eveline WidmerSchlumpf, tous deux issus de l’UDC, ont dirigé tour à tour le Département fédéral de justice et police. Le contre-­projet du Conseil fédéral ne changera rien à l’absence d’accords de réadmission. Il faut voter 2 x NON, car ce n’est pas à la gauche de porter le projet du centredroit qui a, une fois de plus, abdiqué ses principes face à l’UDC, en n’ayant pas eu le courage politique et juridique d’inva­ lider l’initiative comme le demandaient ­­le PS et les Verts. Le 28 novembre, ne cédons pas à la peur et à l’irrationnel!

Point de vue

11


Suisse

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Arianit Lokaj apprend à être plus structuré dans son travail et s’est découvert des ambitions.

21 ans et déjà trop vieux Dans le cadre d’un projet initié par l’OSEO Vaud, un magasin confronte plusieurs jeunes vendeurs et vendeuses à la réalité du monde du travail, afin de faciliter leur insertion professionnelle. Texte: Alexandre Mariéthoz. Photos: Robert Hofer

«Je suis timide et je manque de confiance en moi. Mon expérience au magasin m’a appris le contact avec les clients. Pour moi, cela a marqué le début d’une nouvelle vie.» Juliana Groubel, originaire de Madagascar, est arrivée en Suisse il y a deux ans. A la recherche d’un apprentissage dans la vente, elle a travaillé comme pré-apprentie à l’Outlet de Villeneuve. Ce stage lui a permis de rapidement trouver une place d’apprentissage. Le fait qu’elle dispose d’une expérience concrète dans la vente y a grandement contribué. «Mon patron, relève Juliana Groubel, a vite remarqué que j’avais déjà travaillé dans un vrai magasin.» L’enseigne Outlet du Coq Sportif, gérée par une coopérative englobant l’OSEO (voir encadré), emploie uniquement deux apprenti-e-s et quatre pré-apprenti-e-s. Ces jeunes travaillent dans les conditions réelles du marché: les recettes de leurs ventes doivent assurer une part de l’autofinancement du magasin. Une gé-

rante, Anita Tissot, encadre leur activité. «L’idée novatrice du projet, explique-t-elle, consiste à proposer des places directement liées à la réalité du monde du travail». Et cela fonctionne: 75 pour-cent des jeunes ayant travaillé au magasin ont ­trouvé une solution professionnelle.

Besoin de bouger La plupart des jeunes en formation à l’Outlet ont peiné à trouver un apprentissage en raison de leur âge. C’est le cas d’Arianit Lokaj. Après sa scolarité obligatoire, achevée en 2002, ce jeune homme d’origine kosovare entame un apprentissage dans une compagnie d’assurances. Mais le travail de bureau ne lui plaît pas vraiment. «J’ai besoin de bouger, expliquet-il. Et je m’ennuyais un peu à rédiger des attestations.» Il interrompt donc son ap­ prentissage, à l’âge de 19 ans, pour se réorienter vers la vente. Il ne retrouve cependant pas de place d’apprentissage. «Beaucoup d’entreprises

me jugeaient trop âgé.» De 2004 à 2008, Arianit exerce de nombreux emplois temporaires, la plupart du temps sur des chantiers. «Même si j’habitais chez mes parents, j’ai dû travailler pour gagner de l’argent. Il fallait payer la nourriture et ma part de loyer. Lorsque j’étais sans emploi, je n’y arrivais plus. Je me suis donc inscrit à l’aide sociale en 2006.» Arianit bénéficie d’un soutien financier et de mesures d’insertion. Il ne déniche cependant toujours pas de place d’apprentissage et continue à exercer des emplois temporaires.

Valider ses expériences En 2008, il décide de se faire aider par l’OSEO Vaud, qui lui apprend à remanier son curriculum vitae et à mieux mettre en valeur ses expériences passées. Ce sou­ tien lui permettra de décrocher, en 2009, une place d’apprentissage à l’Outlet de Villeneuve. Aujourd’hui, Arianit est un jeune épanoui. «Avant d’arriver au magasin, j’avais


chronique

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Hans-Jürg Fehr Président de l’OSEO et conseiller national PS

Echec

Grâce à son expérience au magasin de l’Outlet, Juliana Groubel a trouvé une place d’apprentissage dans la vente.

déjà beaucoup d’expériences à mon actif. Mon activité actuelle me permet de les valider. Elle m’aide aussi à être plus structuré dans mon travail et à mieux gérer mon emploi du temps.» Parallèlement à son apprentissage, il suit une maturité profes­ sionnelle commerciale intégrée. Ce diplôme lui ouvrira la porte des Hautes écoles spécialisées. Arianit envisage de se spécialiser dans la gestion financière. «Tout ce qui a trait aux chiffres et à la comptabilité m’attire.»

Diriger une équipe Lorsqu’Arianit évoque le passé, on sent parfois poindre une pointe d’amertume. «J’ai payé cher le fait de ne pas avoir trouvé immédiatement le bon apprentissage.» L’heure n’est cependant pas aux regrets, mais aux projets. Arianit veut décrocher son certificat fédéral de capacité (CFC) et réussir sa maturité professionnelle. Avec l’ambition de diriger un jour une équipe. «Je me sens capable de motiver des gens

et de gérer plusieurs situations en même temps. Je suis prêt à m’investir à fond pour y parvenir.»

Un tremplin vers le marché de l’emploi Depuis février 2008, un magasin de l’Outlet de Villeneuve emploie deux apprenti-e-s et quatre jeunes en re­ cherche d’apprentissage. Encadrés par une gérante, ils travaillent trois jours par semaine, le reste du temps étant consacré aux cours, aux appuis scolaire et psychosocial, ainsi qu’à la recherche d’apprentissage. Ce programme d’insertion a été créé par une coopérative, Cooqpit: elle réunit l’OSEO Vaud et la société AIRESIS, qui est notamment propriétaire de la marque de vêtements Le Coq Sportif. Le projet est financé à 50% par les recettes des ventes et subventionné à hauteur de 50% par l’Etat de Vaud.

L’ONU s’était fixé pour le changement de millénaire des objectifs ambitieux. En particulier, celui de réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim d’ici 2015. Cet objectif – comme tous les autres d’ailleurs – est raté, complètement même. Au sommet de l’ONU de cette année à New York, le bilan intermédiaire a montré clairement que la communauté internationale a totalement échoué. Cette critique n’épargne malheureusement pas la Suisse. Même si les Chambres fédérales décidaient prochainement d’une modeste augmentation des moyens destinés à la coopération au développement, un montant à hauteur de 0,5% du Produit intérieur brut (PIB) resterait bien éloigné de la valeur cible fixée à 0,7%. Des standards minimaux sociaux et écologiques doivent être appliqués sous peine de sanctions. Or la diplomatie commerciale suisse omet hélas toujours de les intégrer dans les contrats de libre-échange. Quant à notre diplomatie financière, elle continue à renoncer à conclure des accords avec les pays en voie de développement afin de combattre l’évasion fiscale. Et si elle en conclut, elle le fait sans l’entraide administrative que la Suisse est tenue d’accorder aux Etats de l’OCDE. En d’autres termes, la politique des affaires économiques extérieures ne suit pas une orientation qui combatte la pauvreté. Cette tâche revient à tort à la coopération au développement, laquelle se retrouve dépassée. Faute d’accords fiscaux et commerciaux aussi axés sur les objectifs du Millénaire, le même constat qu’aujourd’hui devra être fait dans cinq ans: l’ONU et ses Etats membres ont failli.


Suisse

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Anna Ganz aide des migrant-e-s victimes de traumatismes à entrer en contact avec le monde du travail.

Un pont pour retourner à la vie Le projet Ponte aide des migrantes et migrants traumatisés à s’intégrer progressivement dans le monde du travail. Rencontre avec­­­Albert ­Delija du Kosovo et Abiel Tarek d’Erythrée. Texte: Katja Schurter. Photos: Sabine Rock

Albert Delija se tord nerveusement les mains. Mes questions le mettent visiblement mal à l’aise. D’ailleurs, il n’y répond pas. Nous interrompons l’entretien et rejoignons l’atelier. Albert Delija s’en va

à 50 pour-cent à la conciergerie du home de Buttenau, à Adliswil. «Lorsqu’il est ­arrivé ici, il était abattu et démotivé», raconte Zvenko Ljevar, chef des services techniques. «Mais le travail lui fait du bien, même s’il se fatigue vite.» Et ­Albert Delija de confirmer: «Il est vital pour moi d’avoir une tâche à accomplir.» Juriste de formation, il a travaillé comme mécanicien sur auto à cause de la guerre.

Que dire lorsque l’on a passé douze ans en prison? chercher les ustensiles de nettoyage, car il a été chargé de nettoyer les fenêtres. Désemparé, il se demande: mais quelles fenêtres? Celles de la salle de réunion? A mi-chemin, il doit faire demi-tour, car il a oublié le détergent.

Avoir une tâche à accomplir Albert Delija a connu la guerre au Kosovo et suit un traitement au Service ambulatoire pour victimes de la torture et de la guerre (AFK). Sa thérapeute lui a parlé du projet Ponte, qui aide les migrantes et les migrants traumatisés à s’intégrer dans le monde du travail. Il y a deux semaines, il a ainsi commencé un stage de six mois

Perte de confiance «Lorsque l’on est traumatisé, on se méfie de tout», explique Anna Ganz, responsa­ ble du projet Ponte. «Rencontrer de nouvelles personnes s’avère difficile. Il me faut parfois six mois pour établir des relations de travail.» Le premier écueil se présente lorsqu’il s’agit de décrire son parcours professionnel: que dire lorsque l’on a passé douze ans en prison? Une fois le curriculum vitae établi, Ponte cherche une place de stage non payé pour six mois, afin de permettre aux partici-

pant-e-s de se former et d’acquérir des connaissances pratiques. L’objectif est de trouver ensuite un emploi. «Je m’efforce toujours d’offrir aux gens la possibilité de suivre une formation pour que l’intégration professionnelle soit durable», commente Anna Ganz. Jusqu’ici, onze hommes et cinq femmes ont pris part au projet, mais nul ne l’a encore achevé.

Formation d’aide-soignant Abiel Tarek* travaille depuis près d’un an dans un foyer pour handicapés physiques dans le canton de Zurich. Chargé d’aider les résident-e-s à se rendre aux ­toi­lettes et à s’alimenter, il assume par ailleurs des tâches informatiques. «Au début, Abiel se cachait derrière une épaisse armure, rien n’animait ses traits», se sou­ vient son supérieur. On peine à croire qu’il parle de ce jeune homme qui envi­ sage à présent son avenir avec espoir. Au terme du stage non payé, il compte suivre un stage ordinaire dans le foyer et entamer ensuite une formation d’aide-soignant. Il se plaît bien ici, car «les résident-e-s sont jeunes; c’est mieux que dans un home pour personnes âgées».


Suisse

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Le stage d’Albert Delija représente à la fois un défi et un soutien pour se reconstruire.

Du berger à l’avocat «Nous examinons la situation de nos clients dans son ensemble.» C’est ainsi que le responsable de l’AFK, Matthis Schick, décrit le travail interdisciplinaire de son service. «Nos client-e-s souffrent d’atteintes psychiques et physiques, sont peu intégrés, financièrement mal lotis et leur statut de séjour est souvent précaire.» Ponte favorise le succès du traitement, car le travail redonne confiance et parce que le projet aide les gens à renouer avec une vie normale. La situation initiale des participant-e-s varie beaucoup. «Nous avons affaire aussi bien au berger qui ­totalise deux années d’école, qu’à l’avocat qui parle déjà l’allemand.» Matthis Schick pense que si le projet attire plus d’hommes que de femmes, c’est à cause de la répartition traditionnelle des rôles dans l’esprit des usagers. Les personnes traumatisées ne font souvent plus confiance à quiconque. Matthis Schick sait que «ce manque de confiance est beaucoup plus difficile à soigner que des problèmes de santé et qu’il entrave bien davantage l’intégration.» Les client-e-s de l’AFK ne possèdent par

ailleurs pas les qualités les plus demandées sur le marché de l’emploi: «Ils ne sont ni dynamiques, ni résistants, ni sou­ ples, et ont de la peine à se concentrer ou souffrent d’absences après une nuit sans sommeil.» D’où la nécessité de les aider à s’intégrer dans le monde du travail, intégration à laquelle Matthis Schick attribue aussi une composante sociale: «Les nombreux vétérans américains traumatisés par la guerre éprouvent les ­mêmes problèmes que nos client-e-s. Voilà pourquoi ils bénéficient du programme American heroes at work. Ce soutien est sans commune mesure avec l’appui social fourni en Suisse aux mi­ grantes et aux migrants traumatisés, dont le statut de séjour compromet gravement les chances de guérison.»

Désertion et fuite Abiel Tarek a fui l’Erythrée pour échapper au service militaire. Traumatisé par la guerre et par sa fuite, qui l’a conduit à travers le Soudan dans une geôle libyenne, il est arrivé en Suisse il y a à peine trois ans, complètement malade. Il souffrait de problèmes d’estomac et, comme il ne cessait

de perdre du poids, son médecin l’a aiguillé vers l’AFK. «Lorsque je l’ai vu pour la première fois, il était maigre et livide», se souvient Anna Ganz. Aujourd’hui encore, il refuse de se laisser photographier. Son statut de réfugié ne l’empêche pas de craindre que les autorités de son pays ne le poursuivent jusqu’en Suisse pour cause de désertion.

* Nom d’emprunt.

Ponte Ponte s’adresse aux migrantes et aux migrants traumatisés, âgés de 25 à 45 ans, et en traitement au Service ambulatoire pour victimes de la torture et de la guerre (AFK). Il les aide à accéder au marché du travail. Financé par l’Office fédéral des migrations, ce projet pilote est mis en œuvre conjointement par l’OSEO Zurich et l’AFK. Depuis un an, il offre un service de mentorat et de suivi. En été 2010, sa durée a été prolongée de deux ans.


QUOI DE NEUF?

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Teste ta commune!

Semaine du goût à Sion

Dans le monde entier, 12 millions d’êtres humains sont maintenus dans l’esclavage. 218 millions d’enfants sont forcés de travailler. 1,2 milliard de personnes travaillent pour un salaire inférieur à deux dollars par jour. Cela représente près de 20 pour-cent de la population mondiale. Les Etats riches sont en partie responsables de cette réalité. Beaucoup d’hommes et de femmes sont brutalement exploités afin que des produits bon marché puissent être exportés vers le Nord. Lors de leurs achats, la plupart des communes suisses se soucient uniquement du prix. Ce faisant, elles tolèrent un risque d’exploitation, d’esclavage et de travail des enfants. Une centaine de communes, qui se sont engagées à acheter équitable, montrent cependant qu’une autre voie est possible. Une page Internet de l’OSEO vous permet, en deux clics, de savoir si votre commune achète déjà équitable. A supposer que cela ne soit pas encore le cas, vous pouvez envoyer un e-mail afin d’exhorter votre commune à agir. Plus de 2000 personnes ont déjà participé à notre action, et environ 40 communes ont promis de modifier leur pratique en matière d’achats. www.teste-ta-commune.ch

Les ateliers cuisine et service de l’OSEO ont participé à la Semaine du goût, les 16 et 17 septembre. Ces ateliers servent chaque jour des repas de midi. Pour en bénéficier, il faut être porteur de la carte de membre de l’OSEO Valais. Dans le cadre de la Semaine du goût, l’OSEO a décidé d’élargir son offre au-delà de ses membres. Seize personnes sans emploi ont participé à l’élaboration et au service d’un menu spécial, composé de produits locaux et bio. L’atelier bois et l’atelier jouets ont travaillé à la décora­ tion des tables. Plus de 80 convives ont participé à cette balade gourmande.

Le dessin de Anna

Ensemble contre le chômage des jeunes En septembre dernier, les dix OSEO régionales ont lancé le programme CT2 (Coaching Transition 2). Il s’adresse à de jeunes adultes entre 18 et 30 ans qui ont terminé leur apprentissage ou leurs études et qui cherchent un premier emploi. Ils bénéficient pendant quatre mois d’un suivi individualisé de leurs démarches et d’ateliers de recherche d’emploi. L’OSEO fait aussi du démarchage de places de travail. 600 jeunes peuvent participer chaque année à ce programme, financé durant trois ans par Credit Suisse. www.ct2.ch


Dons

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Offrez un vélo Nous vous proposons à nouveau cette année les cartes cadeau. En les achetant, vous soutenez des programmes de développement de l’OSEO dans le monde entier. Texte: Rosanna Clarelli

Vous pouvez également offrir…

… un alphabet, pour que les paysan-ne-s du Burkina Faso puissent apprendre à lire. … la justice pour les ouvrières agricoles des plantations d’orange en Afrique du Sud. … une émission radio pour informer les coupeurs de canne à sucre de leurs droits. … un élevage de poules qui fera vivre une famille du Burkina Faso.

D’autres manières de soutenir l’OSEO Legs Nos notices vous renseignent au sujet du droit de succession et de l’établissement d’un testament. Voir aussi sous www.oseo.ch/testament Dons réguliers En donnant une autorisation de débit direct sur votre compte postal ou bancaire, vous soutiendrez l’OSEO sans frais pour vous ni pour nous. Dons pour une grande occasion Une naissance, un anniversaire marquant, un mariage ou un départ à la retraite: autant d’occasions de faire la fête et de soutenir l’OSEO. Commandez la documentation avec le talon-réponse joint à ce numéro.

Un vélo pour les réfugié-e-s ­­ de retour

Comment procéder:

A la fin de la guerre civile au Sri Lanka, en mai 2009, plus de 250 000 réfugié-e-s ­étaient internés dans des camps de la région de Vavuniya. Une vive pression internationale a abouti, il y a une année, à ce qu’ils puissent enfin rentrer chez eux. Depuis lors, 160 000 personnes ont pu quitter ces camps et regagner leurs villages. Les infrastructures ayant été détruites, il faut parcourir de longues distances pour aller chercher de l’eau, se rendre à l’école ou au dispensaire, ou encore chercher du travail. De plus, il n’existe quasiment pas de transports publics. C’est pourquoi l’OSEO a distribué 1100 vélos, équipés de coffres. Ils permettent notamment de transporter des biens de première nécessité et d’aller à l’école.

• Passez votre commande au moyen du talon de commande pré affranchi joint à ce numéro. • Vous recevrez les cartes avec leurs enveloppes, d’une valeur de 50 francs pièce, et un bulletin de versement. • Vous pourrez alors y inscrire votre nom et celui de la personne à qui vous l’offrez. • Nous vous garantissons la livraison des cartes d’ici Noël si votre commande nous parvient avant le 17 décembre 2010. Pour toute question ou complément d’information, n’hésitez pas à nous contacter par e-mail ou par téléphone:   info@oseo.ch ou 021 601 21 61.


PORTRAIT

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Un engagement pour la justice sociale Tomasa Cortedano, du syndicat ATC, défend les ouvriers et ouvrières agricoles au Nicaragua. Elle terminera ses études d’avocate à la fin de cette année. Texte: Katja Schurter. Photo: OSEO «Les lois existent bel et bien, mais si personne ne dénonce les violations du droit du travail, elles ne sont pas appliquées.» Tomasa Cortedano sait cela par expérience. Elle travaille depuis quinze ans au centre de consultation juridique de l’ATC, l’Union des travailleuses et travailleurs agricoles, à Managua. Près de 2800 personnes s’adressent à ce centre chaque ­année, que ce soit parce qu’elles n’ont pas touché le salaire minimal de 4,30 francs par jour, qu’elles ont été licenciées abusivement ou qu’on leur a refusé les vacances payées auxquelles elles ont droit.

d’un cas, nous dénonçons le coupable à la radio et à la télévision. Cela suffit en général à mettre un terme à ses agissements.» Tomasa Cortedano intervient aussi dans des émissions de radio pour faire savoir aux travailleuses et aux travailleurs qu’ils ont le droit de s’affilier à un syndicat, de bénéficier de la sécurité sociale, et de se faire soigner. Elle leur donne aussi des informations pratiques, sur le prix du café, par exemple, très élevé en ce moment, «ce qui leur permet d’exiger une augmentation de salaire». Le secrétariat féminin de l’ATC défend aussi l’accès à la propriété pour les femmes. «À la mort du père, la terre revient aux fils, pas aux filles», explique la syndicaliste. Une nouvelle loi vient d’être votée le 5 mai de cette année, pour permettre aux femmes d’acquérir des terres: «La loi 717 exige la constitution d’un fonds pour que les femmes obtiennent des crédits pour l’achat.» Mais nul ne sait encore quand le gouvernement dégagera ce fonds.

«Les femmes sont toujours les premières à être licenciées.» «Nous visitons les haciendas où le salaire minimum n’est pas versé et nous dénonçons les patrons au Ministère du travail», explique Tomasa Cortedano. «Cela oblige l’Etat à procéder à des inspections et le patron pris en faute est amendé.» Les centres de conseil juridique de l’ATC traduisent aussi en justice les employeurs qui enfreignent la loi; il y a eu 1225 procès en 2009, et pas un seul n’a été perdu. De plus, le syndicat a obtenu une hausse de 13 pour-cent du salaire minimum pour les ouvriers et ouvrières agricoles.

Lutter contre le harcèlement «Quand il y a moins de travail, les femmes sont les premières à être licen­ ciées», constate Tomasa Cortedano. Et ­elles sont souvent harcelées par leurs chefs. «Quand nous avons connaissance

Active dès l’âge de 15 ans Tomasa Cortedano s’est engagée pour l’amélioration des conditions de vie des pauvres dès l’âge de 15 ans. «J’apprenais à lire et à écrire aux gens de la campagne.» Elle venait de terminer sa troisième année d’école primaire, tout en travaillant dans une hacienda. «Mon père est mort quand j’avais 9 ans, alors j’ai dû travailler pour soutenir ma mère et mes frères.» Tomasa Cortedano a pu faire ses classes secondaires dans les années nonante; à présent, elle étudie le droit grâce au soutien de l’OSEO. «J’arrive au bout de mes sept ans

d’étude en décembre», raconte-t-elle fièrement. «Je me réjouis de transmettre ce que j’ai appris.» En plus de ses études et de son travail syndical, qui n’est pas payé – seuls les frais sont remboursés –, Tomasa Cortedano cultive des légumes pour sa propre consommation, dirige une école primaire et soutient les personnes qui font appel à ses connaissances juridiques.

Un ordinateur et des échanges Tomasa Cortedano a aussi élevé trois enfants. Sa fille de 20 ans et son fils de 24 ans n’habitent plus à la maison; son troisième enfant est décédé. S’engager pour la justice sociale est primordial à ses yeux. Quand on lui demande ce qu’elle souhaite, elle répond: «J’aimerais bien avoir un ordinateur et entretenir des échanges avec des femmes du monde entier en vue d’améliorer nos conditions de vie.»

Défendre les ouvriers et ouvrières agricoles Depuis 2001, l’OSEO encourage la construction d’un réseau de struc­ tures de conseil juridique pour les ouvriers et ouvrières agricoles. Le syndicat ATC informe chaque année 20’000 personnes sur les droits du travail. L’ATC anime aussi des émissions de radio et forme des syndicalistes. Son secrétariat féminin encourage les femmes à s’organiser et défend l’amélioration de leurs droits.


PORTRAIT

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Tomasa Cortedano s’engage pour améliorer la situation des pauvres et des femmes au Nicaragua.


«Nous avons enfin pu déblayer la boue et les gravats.» L’OSEO soutient les victimes des inondations au Pakistan.

www.oseo.ch


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