Solidarité 3/2015

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Numéro 3, août 2015

POINT FORT Mozambique NÉPAL Aide aux victimes du séisme

Le magazine de


2 ÉDITORIAL Chère lectrice, cher lecteur, La première expression que j’ai apprise au Mozambique n’était tants soient expulsés, parce qu’ils ont le malheur de se nourrir pas en portugais, la langue nationale… c’était «Chinese take tant bien que mal de terres dont le sous-sol renferme de away». Loin des petites échoppes vendant du chop suey, elle véritables trésors. L’écart entre croissance économique et dédésigne le fait que des sociétés multinationales pillent les veloppement humain accroît inexorablement les disparités richesses minières et le bois tropical du pays sans payer sociales. La Suisse, qui compte parmi les princides impôts dignes de ce nom. Mais on paux marchés de matières premières, pourrait tout aussi bien dire Canadian, peut changer la donne: elle doit American ou Indian take away. Où que contraindre légalement les entreprises soient sises ces sociétés, une chose de négoce à la transparence et introduire est certaine: l’exploitation des trésors de toute urgence un système de régulamozambicains ne contribue pas à lutter tion et de surveillance dans ce secteur. contre la pauvreté. Selon l’indice du déC’est l’ambition de l’initiative «Multinatioveloppement humain (IDH), le pays est nales responsables». l’un des plus pauvres du monde. Vu l’amSi elle veut briser la malédiction des respleur de ses ressources souterraines, il sources, la population mozambicaine doit figure pourtant en bonne place dans une aussi se mobiliser. Elle seule peut exiger brochure allemande d’investissement, qui Esther Maurer que les multinationales soient taxées et vante son énorme potentiel de profits. Directrice de Solidar Suisse que les recettes fiscales soient investies Cette problématique se nomme la «malédans la lutte pour la formation, la santé et diction des ressources»: l’absence d’Etat de droit, la corruption et l’évasion fiscale privent la population de des infrastructures au service des habitants. Solidar Suisse préses revenus. L’Etat ne prévoit rien pour lutter contre la pauvreté, conise dès lors la mise en place de structures et de procédures les infrastructures ne servent qu’à satisfaire les besoins de démocratiques. Les habitants du Mozambique pourront ainsi transport des multinationales et il n’est pas rare que des habi- faire valoir leurs droits et bénéficier des richesses de leur pays. Esther Maurer

REVUE DE PRESSE

29.4.2015 Népal: organisations suisses à l’œuvre Des organisations non gouvernementales (ONG) suisses se mobilisent suite au séisme dévastateur au Népal. Solidar Suisse va dépêcher mercredi un spécialiste de l’aide humanitaire en cas de catastrophes naturelles, lequel a déjà œuvré au Népal. Il aura pour mission d’évaluer les besoins sur place. L’ONG signale par ailleurs avoir mis à disposition, dans un premier temps, 100 000 francs pour des mesures d’urgence, notamment la distribution de biens de première nécessité.

11.5.2015 L’action efficace de l’ONG Solidar Suisse En 2014, Solidar Suisse a consacré 15,9 millions de francs à des projets de coopération au développement, soit 80% de son budget. Solidar Suisse a été la première organisation en Suisse à recevoir la certification QaP qui garantit l’efficacité et la qualité de la gestion dans le domaine de la coopération au développement, en se basant sur les meilleures pratiques de la branche. Lors de son assemblée générale, l’ONG a demandé au Conseil fédéral de relever le quota d’accueil des réfugiés syriens.

06.6.2015 Le roi Blatter a finalement abdiqué A la mi-mai, Solidar a lancé une pétition en ligne pour que la FIFA adopte une Charte de responsabilité sociale. Celle-ci demande que l’aréopage du football mondial respecte des critères sociaux lors de l’attribution des Coupes du monde. Elle exige aussi que des mécanismes de sanction soient mis en place et qu’en cas de graves violations, le pays hôte puisse se voir retirer l’attribution. Pour l’heure, la pétition a été signée par près de 9000 personnes.


POINT FORT Mozambique

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Les plus démunis doivent pouvoir exprimer leurs besoins

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Des jeunes prennent confiance en eux et sensibilisent leurs pairs aux 8 problèmes sociaux L’année dernière, le Mozambique était au bord de la guerre civile

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Lettre ouverte de l’écrivain mozambicain Mia Couto concernant les violences xénophobes en Afrique du Sud 11 POINT DE VUE Peter Niggli commente l’Accord sur le commerce des services (TiSA) qui menace les services publics 13

POINT FORT

Malgré un taux de croissance économique élevé, le Mozambique est l’un des pays les plus pauvres du monde. Solidar encourage la participation politique pour que la population puisse faire valoir ses droits.

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CULTURE Un documentaire rappelle le destin de Sankara, président révolutionnaire du Burkina Faso 15 ACTUALITÉ Solidar Suisse fournit de l’aide aux sinistrés du séisme qui a frappé le Népal 17

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PORTRAIT Thusitha Pilapitiya, nouvelle coordinatrice au Sri Lanka: renforcer la solidarité et les femmes 18 CHRONIQUE BRÈVES CONCOURS

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PORTRAIT Thusita Pilapitiya s’engage en faveur du processus de réconciliation et pour la justice sociale au Sri Lanka.

14 IMPRESSUM

Editeur: Solidar Suisse, Quellenstrasse 31, Case postale 2228, 8031 Zurich, Tél. 021 601 21 61, email: contact@solidar.ch, www.solidar.ch CP 10-14739-9 Lausanne. Membre du réseau européen Solidar Rédaction: Katja Schurter (rédactrice responsable), Rosanna Clarelli, Eva Geel, Lionel Frei, Cyrill Rogger

Layout: Binkert Partner, www.binkertpartner.ch / Spinas Civil Voices Traduction: Ursula Gaillard, Milena Hrdina, Jean-François Zurbriggen Correction: Jeannine Horni, Catherine Vallat Impression et expédition: Unionsdruckerei/subito AG, Platz 8, 8201 Schaffhouse Paraît quatre fois par an. Tirage 37 000 ex.

Le prix de l’abonnement est compris dans la cotisation (membres individuels 50.– par an minimum, organisations 250.– minimum). Imprimé sur papier recyclé et respectueux de l’environnement. Photo de couverture: Un enfant au Mozambique apprend l’importance de se laver les mains. Photo: Andreas Schwaiger. Dernière page: Une Charte de responsabilité sociale pour la FIFA. Photo: Pilar Olivares.


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Marché de Marara: ces deux dernières années, le quotidien paisible de la population mozambicaine a sans cesse été mis à mal par les escarmouches entre les partis qui s’étaient affrontés durant la guerre civile.


POINT FORT

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MOZAMBIQUE Malgré une forte croissance économique, le Mozambique compte parmi les pays les plus pauvres du monde. La population ne bénéficie pas des profits générés: ceux-ci enrichissent soit les multinationales soit le système politique corrompu. En outre, le pays a de nouveau frisé la guerre civile, ce qui a encore détérioré le sort de la population. Pour que le développement atteigne enfin les plus démunis et que les gens puissent défendre eux-mêmes leurs droits et leurs intérêts, Solidar Suisse encourage la participation à la planification communale. Même les adolescents font preuve d’engagement. Photo: Joachim Merz


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«JE SAIS QUE JE NE DEVRAIS PAS BOIRE L’EAU»

Pour que le développement parvienne jusqu’aux plus démunis, il doit tenir compte de leurs besoins. Solidar encourage la participation de la population au Mozambique. Texte et photos: Francisco Palma Saidane

«Le Murombue est notre seule source d’eau. Les gens s’y baignent, y lavent leurs habits et viennent chercher leur eau potable», explique Clara Vasco, qui baigne justement l’un de ses petits enfants dans l’eau trouble de la rivière. Pas étonnant que diarrhées, vomissements et affections de la peau soient largement répandus. Un millier d’habitants vivent dans le village qui porte le nom de la rivière, mais

sont pourtant les plus mal lotis de la région pour ce qui est de l’accès à l’eau. Les femmes, traditionnellement chargées de cette corvée, doivent parcourir cinq kilomètres pour atteindre la rivière ou un trou rempli d’eau stagnante. Les femmes enceintes et celles qui viennent d’accoucher ne sont pas dispensées. Elles ont besoin de cette eau. «Je sais très bien que l’eau n’est pas propre et

que nous ne devrions pas la boire, déclare Mariazinha Zeca, 17 ans et déjà mère d’un bébé de deux semaines. Mais je n’ai rien d’autre!» D’aucuns accusent la sorcellerie Les villageois ne connaissent toutefois pas tous le lien entre eau insalubre et maux de ventre. Certains sont convaincus que les maladies sont provoquées


POINT FORT 7 Mariazinha Zeca (à gauche) et Clara Vasco (à droite) doivent non seulement laver leurs enfants et petits-enfants avec l’eau de la rivière, mais aussi l’utiliser pour la consommation.

district de construire un puits près de l’école située au centre du village, afin d’améliorer la santé des habitants. La demande ayant été acceptée, un comité de l’eau a été mis sur pied. Les six femmes et hommes qui le forment suivent une formation spécifique et reçoivent des outils pour réparer et entretenir les pompes. Le comité décide également de la contribution que chaque ménage apporter à l’adduction «Le principal problème, ce sont doit d’eau. Car seule la responle manque d’eau et les sabilisation des gens garanmaladies, comme le paludisme tira l’entretien du puits et l’approvisionnement en eau et la diarrhée.» potable sur le long terme. par la sorcellerie. Afin qu’ils s’attaquent tous aux véritables causes du problème, un projet de Solidar démontre la relation de cause à effet entre pollution de l’eau et maladies. Solidar Suisse encourage par ailleurs la participation citoyenne des habitants, pour que leurs besoins soient pris en compte dans les villages et qu’ils mettent le savoir acquis en pratique.

A Murombue, les gens ont compris que de l’eau potable et des toilettes apportent une contribution décisive à la santé des enfants et des adultes. «Nous avons organisé des rencontres avec les anciens et les communautés villageoises pour débattre de leurs problèmes. La plupart des participants ont évoqué le manque d’eau potable et les maladies telles que le paludisme et la diarrhée», raconte Antonio Almeida, directeur de l’école primaire et membre du comité local de développement. Le comité a dès lors décidé de demander aux autorités du

Des perspectives s’ouvrent Selon Hilario Saraiva Murrapela, la prochaine étape devrait comprendre la construction de latrines à l’école. Si les enfants utilisent les installations sanitaires, ils tomberont moins facilement malades et il en ira de même pour leurs parents, espère-t-il. «Nous devons commencer à l’école, car les gens font confiance à ce que nous y faisons», estime l’enseignant. Solidar soutient des initiatives du même genre dans plusieurs régions du Mozambique, par exemple à Chimoio et dans les

villages alentour. Des jeunes du projet Clube Desportivo (lire l’article en page 8) participent d’ailleurs aux activités de sensibilisation: ils se rendent dans les écoles et organisent des tournois sportifs, au cours desquels ils expliquent aux enfants, aux adolescents et aux adultes l’importance de l’hygiène dans la prévention des maladies. Ils en profitent aussi pour aborder d’autres sujets, comme la contraception et le droit à la formation. De par leur propre expérience, ils savent que les perspectives de la jeune génération sont loin d’être roses. Mariazinha Zeca, qui s’est mariée en quittant l’école primaire et a déjà un enfant, nous le confirme: «L’école secondaire était trop loin. Je me suis donc mariée au lieu de continuer à fréquenter l’école.» Francisco Palma Saidane est un journaliste mozambicain.

Développement communal participatif Pour que le développement bénéficie aux plus démunis, la planification communale doit tenir compte de leurs besoins. Souhaitant améliorer les services publics au Mozambique, Solidar mise sur la consultation, la formation continue et l’échange d’expériences. Elle renforce des organisations de la société civile, afin que leurs représentant-e-s soient en mesure de présenter des propositions concrètes au sein des comités locaux de développement et pour que leurs projets, à l’instar du puits de Morumbue, se concrétisent. www.solidar.ch/fr/developpementcommunal


8 POINT FORT

«LE DÉVELOPPEMENT PAR LE FOOTBALL» En pratiquant un sport, les jeunes du Clube Desportivo e Recreativo prennent confiance en eux et sensibilisent des jeunes de leur âge aux problèmes sociaux. Texte et photos: Francisco Palma Saidane Patricia Benjamin apprécie le Clube Desportivo, car elle peut y jouer au football, mais aussi parler de ses soucis. L’équipe de foot du Clube Desportivo (à droite). Des jeunes, femmes et hommes, fréquentent le club.

«Il y a quatre ans que je fais du football au Clube Desportivo e Recreativo. Cette année, nous avons même gagné un tournoi de foot féminin», s’enthousiasme Patricia Benjamin, 17 ans. Seules quatre équipes ont pris part au tournoi organisé à l’occasion du 1er Mai, mais le public fut nombreux. Les joueuses ont par ailleurs eu l’occasion de transmettre aux spectatrices leurs connaissances sur le droit du travail et les droits des femmes, ainsi que sur la prévention du VIH et du paludisme. Au Clube Desportivo, les jeunes femmes ne font pas seulement du football ou du volleyball. Le projet de Solidar leur permet de mieux comprendre les problèmes sociaux d’actualité. La plupart des jeunes sportives sont issues de «Les discussions nous familles pauvres et d’un aident à trouver des contexte difficile. Si leurs solutions aux problèmes.» perspectives d’avenir ne sont pas réjouissantes, le club leur offre une assise sociale et l’occasion de remporter des succès, tout en suivant une formation. Durant les cours,

elles en apprennent davantage sur la contraception, le VIH/sida, l’hygiène et le droit à la formation. «La formation continue et les débats nous aident à parler ouvertement des sujets qui nous préoc-

Clube Desportivo e Recreativo Créé en 2008 à Chimoio, le Clube Desportivo e Recreativo permet à des jeunes défavorisés de pratiquer des activités physiques (volleyball, football et gymnastique), tout en leur offrant une formation continue sur les grands sujets d’actualité. En contrepartie, les jeunes transmettent ces connaissances à des jeunes de leur âge dans les quartiers et les écoles, et lors de tournois. Ils débattent aussi de problèmes sociaux, tels que la consommation d’alcool et de drogue ou les grossesses non désirées.


CHRONIQUE

THEMA 9

Hans-Jürg Fehr Président de Solidar Suisse

La démocratie, ça s’apprend!

cupent et de trouver ensemble des solutions aux problèmes», affirme Evita Jaime Jofrisse, 19 ans. Information par les jeunes pour les jeunes Les jeunes femmes contribuent aussi à diffuser le savoir acquis. Par équipes de cinq, elles se rendent dans les écoles, les villages et les quartiers, afin d’informer les gens et de mener des débats. Lors de ces tournées, elles abordent par exemple la relation qui existe entre l’eau propre et les maladies et contribuent ainsi largement à améliorer l’hygiène dans la région couverte par le projet (lire l’article en page 6). Elles incitent par ailleurs les jeunes à s’interroger sur des problèmes sociaux tels que les grossesses non désirées, la violence et la consommation de drogues. «Nous conseillons aux jeunes filles de ne pas avoir de relations sexuelles non protégées, afin d’éviter les grossesses et les maladies sexuellement transmissibles. Nombre d’entre elles doivent en effet quitter l’école parce

qu’elles tombent enceintes, explique la jeune Felizarda Antonio Ribeiro da Fonseca. Parler de sexualité dans les écoles et en faisant du sport renforce la conscience de soi des jeunes femmes, de sorte qu’elles osent utiliser des moyens contraceptifs.»

Votre don compte Grâce à un don de 50 francs, une équipe de cinq jeunes peut diffuser durant une journée des informations et des explications sur la prévention dans un quartier pauvre de Chimoio. Un don de 70 francs permet à un jeune de suivre un cours d’une semaine sur des sujets tels que les droits humains, le VIH et la santé. Un don de 200 francs permet d’organiser une foire d’une journée entière sur la santé, avec informations, animations et concours.

L’assemblée fut tenue par une chaleur accablante au pied d’un arbre imposant. Sous son feuillage, on avait installé une vingtaine de bancs d’école, semblables à ceux que j’avais connus dans mon enfance. Notre repas de midi, une chèvre abattue peu avant, pendait à un autre arbre. Les délégués sont arrivés en camion, ayant voyagé des heures debout sur le pont arrière. Leur tâche était de désigner les projets à réaliser avec le budget mis à disposition par le district. Chaque village avait le sien: une classe d’école ici, un dispensaire là, ou encore une cellule de détention pour femmes, séparée de celle des hommes. Tous étaient urgents et de la plus haute importance. La liste n’a cessé de s’allonger, devenant bien trop longue pour les moyens disponibles. Il fallut définir des priorités et trouver des compromis, afin de prendre des décisions que tous, ou du moins la majorité, pourraient appuyer. Pour les visiteurs suisses que nous étions, c’était le b.a.-ba de la démocratie. Pour les villageois mozambicains, habitués à la soumission, ce processus était nouveau et ils avaient tout à apprendre: formuler leurs besoins, présenter les projets et les demandes de crédit au bon endroit, vérifier que les autorités ont fait ce qu’elles devaient. L’équipe de Solidar au Mozambique lance et accompagne ce genre de processus, car l’autonomie permet de sortir de la pauvreté, alors que l’asservissement la cimente.


10 POINT FORT Patrouille de l’armée gouvernementale dans les rues de Gorongosa (centre du Mozambique).

venir en aide aux habitants, il fallait surtout améliorer l’approvisionnement en eau», explique Jorge Lampião.

AU BORD DE LA GUERRE CIVILE Ces deux dernières années, des combats récurrents ont agité le Mozambique et gravement miné les projets de Solidar. Texte: Katja Schurter. Photo: Grant Lee Neuenburg Depuis que la Renamo, guérilla armée transformée en parti, a dénoncé unilatéralement l’accord de paix en 2013, des escarmouches ont régulièrement opposé le Frelimo, parti gouvernemental, et la Renamo, cantonnée dans l’opposition. Entre février 2013 et septembre 2014, il était même impossible de rejoindre de vastes portions de la région du projet de Solidar, dans le centre et le nord du Mozambique. Soit parce que des combats se déroulaient sur place, soit parce que la route traversait des zones peu sûres. Agressions et mobilité réduite «Nous ne pouvions pas envoyer nos collaborateurs sur place. C’était leur faire courir le risque d’être agressés en route, voire soupçonnés de prendre parti», explique Jorge Lampião, coordinateur de Solidar au Mozambique. En conséquence, il a été impossible de suivre les projets en cours et de lancer de nouvelles activités. Nos partenaires sur place ont certes poursuivi les projets, mais dans des conditions bien plus difficiles. Les affrontements armés ont aussi pesé

Pressions en faveur d’une entente Bien que la situation se soit améliorée, le risque de guerre civile subsiste. Refusant de reconnaître la victoire du Frelimo d’octobre 2014, la Renamo exige une large autonomie pour les provinces du centre et du nord du pays, où elle a recueilli une majorité des voix. De l’avis de notre coordinateur: «Tout dépend de la volonté des deux partis à s’entendre.» Depuis la fin de la guerre civile, en 1992, l’existence parallèle de deux forces armées (l’armée régulière et les combattants de la Renamo, jamais vraiment démobilisés) entrave l’application de l’accord de paix. Solidar peut-elle contribuer à prévenir une reprise du conflit? «Nous favorisons la paix en encourageant la participation démocratique et, dès lors, la transparence, ainsi que la confiance de la population. Les gens doivent disposer d’un

lourd sur la population: les enfants ne pouvaient pas aller à l’école, les paysans aux champs et les malades à l’hôpital. Des groupes de combattants ont attaqué des villages et volé les récoltes. Des troupes gouvernementales ont parfois incendié des maisons, pensant que des miliciens de la Renamo s’y étaient cachés. Pour se déplacer, la seule solution était de se «Les gens doivent faire joindre à un convoi militaire. Craipression sur les partis, gnant des raids, nombre d’hapour qu’ils s’entendent.» bitants quittaient leurs maisons pour passer la nuit dans la brousse. accès aussi illimité que possible à l’inforL’instabilité et le danger permanent ont mation pour ne pas se laisser manipuler constitué un stress énorme pour la po- aisément, affirme Jorge Lampião. Les pulation. Le taux de criminalité a aug- Mozambicaines et les Mozambicains menté et la situation économique s’est n’aspirent certes qu’à la paix. Mais ils ne détériorée. doivent pas se contenter de l’attendre. Ils Il a fallu attendre la signature, le 5 sep- doivent manifester leur volonté et faire tembre 2014, d’un accord entre la Re- entendre leurs revendications, afin de namo et le Frelimo pour que la situation faire pression sur les deux partis et les s’apaise et que les collaborateurs de obliger à s’entendre.» Solidar puissent retourner dans les régions de nos projets. Ils ont rapidement Katja Schurter est rédactrice identifié les besoins prioritaires: «Pour responsable de Solidarité.


POINT FORT 11 Dessin de Zapiro, caricaturiste sud-africain de renom. Le roi zoulou Goodwill Zwelithini est accusé d’être une des personnes à l’origine des troubles sociaux qui secouent l’Afrique du Sud.

MONSIEUR LE PRÉSIDENT! Nous reprenons des passages de la lettre ouverte de l’écrivain mozambicain Mia Couto au sujet des violences xénophobes du printemps 2015 en Afrique du Sud. Texte: Mia Couto, traduit de l’anglais de Katja Schurter Je me souviens de vous, lorsque vous étiez réfugié politique à Maputo dans les années 1980. Nos chemins se croisaient souvent sur l’avenue Julius Nyerere et nous nous saluions alors aimablement. J’ai souvent imaginé les craintes que vous deviez ressentir, vous qui étiez persécuté par le régime d’apartheid, et les cauchemars qui ont dû vous hanter lorsque vous pensiez aux embuscades préparées contre vous et vos compagnons de lutte. Mais je ne vous ai jamais vu flanqué d’un garde du corps, car nous, les Mozambicains, étions vos gardes du corps. Durant des années, nous avons assuré votre sécurité au prix de la nôtre. Vous n’avez pas pu l’oublier. Nous n’avons pas oublié. Le Mozambique a payé le prix fort pour avoir soutenu la libération de l’Afrique du Sud. Notre économie, déjà fragile, a été ruinée, notre territoire envahi et bombardé. Des Mo-

zambicains sont morts pour défendre leurs frères de l’autre côté de la frontière. Pour nous, Monsieur le Président, il n’y avait ni frontière ni nationalité. (…) Pendant des décennies, des migrant-e-s mozambicains ont travaillé dans les mines et les champs d’Afrique du Sud dans des conditions proches de l’esclavage. Ils ont participé à la reconstruction de l’économie sud-africaine. Toutes les richesses de votre pays ont été créées avec l’aide de ceux qui se font agresser aujourd’hui. Pour toutes ces raisons, ce qui se passe dans votre pays est inconcevable. Il est impossible d’imaginer que ces mêmes frères sud-africains aient fait de nous les objets de leur haine et de leurs persécutions, qu’ils poursuivent les Mozambicains dans les rues d’Afrique du Sud avec la même cruauté que la police de l’apartheid pourchassait naguère les défen-

seurs de la liberté. Le cauchemar que nous vivons est pire que le vôtre lorsque vous étiez persécuté politiquement. Car vous étiez la victime d’un choix, de l’idéal que vous aviez embrassé. Or ceux qui sont persécutés dans votre pays aujourd’hui ne sont coupables que d’une chose: celle d’avoir une autre nationalité. Monsieur le Président, la xénophobie qui s’exprime aujourd’hui en Afrique du Sud n’est pas seulement une offensive barbare et couarde contre «les autres». C’est aussi une agression contre la «nation arc-en-ciel» que l’Afrique du Sud se targue d’être. (…) Des mesures ont certes été prises. Mais elles sont insuffisantes et, surtout, elles arrivent trop tard. Les dirigeants ne pourront pas prétexter la surprise. L’histoire se répète, parce que ceux qui ont attisé la haine sont restés impunis. Je me joins donc à mes compatriotes indignés et vous appelle à mettre immédiatement un terme à cette situation, qui risque de se propager comme un feu de brousse. Monsieur le Président, vous savez mieux que moi que l’intervention de la police est à même de contenir ces crimes, mais que la prévention s’impose dans le contexte actuel, afin que ces violences ne se reproduisent jamais. (…) Il importe de faire revivre le sentiment de solidarité entre nos deux peuples et le souvenir des luttes que nous avons partagées.» En réponse à Mia Couto, le président sud-africain, Jacob Zuma a publié sa propre lettre ouverte: il met les violences sur le compte de la migration illégale, de la criminalité étrangère et de la propension des travailleurs étrangers à accepter de bas salaires, privant ainsi les SudAfricains de leurs emplois. A ses yeux, ces faits ne justifient aucune forme de violence, d’autant que tous les migrants ne sont pas entrés illégalement dans le pays et que tous ne sont pas mêlés à des activités criminelles. Il a donc chargé un comité interministériel de s’attaquer aux causes des tensions et a renforcé les contrôles aux frontières. Lien: www.dailymaverick.co.za


12 BRÈVES Chine: leucémie liée au travail dans une fabrique de jouets

Un cimetière devant la FIFA A l’occasion du congrès de la FIFA du 29 mai 2015, une centaine d’activistes ont manifesté contre les conditions régnant sur les chantiers de la Coupe du monde au Qatar. Un cimetière de 100 tombes surmontées de 100 croix a été aménagé devant le Hallenstadion de Zurich lors de cette action commune de Solidar Suisse et des syndicats Unia et IBB (Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois). Aux participant-e-s au congrès de la FIFA, cette mise en scène devait donner l’occasion de se souvenir des conditions lamentables régnant sur les chantiers de construction des stades du Qatar. Depuis le début des travaux, les droits humains et du travail y sont systématiquement bafoués et plus de 1200 travailleurs ont déjà trouvé la mort. Deux ouvriers indiens ont pris part à cette action. Ils ont déposé une couronne de fleurs devant les tombes symboliques et demandé à la FIFA une amélioration immédiate de la manière dont les travailleurs sont traités au Qatar. Pour prévenir la violation des droits humains durant la préparation et l’organisation des Championnats du monde de football, Solidar Suisse exige une Charte de responsabilité sociale de la FIFA. Signez la pétition: www.solidar.ch/fr/fifa

Le benzène est très toxique et cancérigène. L’Europe restreint son emploi mais ce produit est largement utilisé comme solvant en Chine, le plus souvent par des ouvrières et des ouvriers ne portant pas de vêtements de protection adéquats. Des millions de Chinoises et de Chinois sont, sans le savoir, exposés aux vapeurs mortelles de benzène. A Guangzhou et à Chengdu, l’organisation partenaire de Solidar Labour Action China (LAC) gère deux antennes dispensant des conseils sanitaires et juridiques aux personnes concernées, à l’image de Ding Ding, 38 ans, qui a été durant plusieurs années responsable de la gestion des produits chimiques dans

Travail forcé: bientôt sur les chantiers du Mondial en Russie? En Russie également, la situation ne fait qu’empirer sur les chantiers de la Coupe 2018. En été 2013 déjà, la Douma a adopté une «loi FIFA» violant la Constitution russe et la Charte sociale européenne. Elle donne aux employeurs la possibilité de fixer unilatéralement des horaires de travail prolongés et ne les oblige plus à verser la compensation prévue par la loi pour les heures supplémentaires et le travail durant le week-end. Comme la crise économique a contraint la Russie à revoir le budget à la baisse, les entreprises de construction font da-

Pakistan: non aux eaux industrielles usées A la mi-novembre 2014, dans la ville pakistanaise de Muzaffargarh, une centaine de personnes ont protesté devant la sucrerie Fatima Sugar Mill contre le déversement d’eaux usées non traitées dans la nature. Cette pratique a causé la maladie de plusieurs enfants et personnes âgées des environs. Avec le soutien de Solidar, le comité de dévelop-

une fabrique de jouets. Elle devait jongler avec plus de 800 produits différents, dont une trentaine à teneur en benzène, et ce sans avoir été informée des dangers encourus. LAC l’a aidée à faire reconnaître sa leucémie comme une maladie du travail et à exiger la couverture des frais de traitement par son ancien employeur. www.solidar.ch/fr/chine

vantage appel aux ouvriers migrants. Ces derniers doivent travailler jusqu’à -15° C et leurs salaires ne sont pas payés ou en partie seulement. Ils ne peuvent quasiment pas se défendre car les employeurs ne délivrent pas d’autorisations de travail et retiennent les cartes d’identité. Quelque 70 à 80% des étrangers travaillant sur les chantiers n’ont pas de contrats et sont donc poussés dans l’illégalité. Cinq ouvriers ont déjà trouvé la mort sur les chantiers de construction des stades. Le paroxysme a été atteint avec l’intervention présentée à la Douma à la fin mai, proposant de faire travailler des prisonniers sur les chantiers de la Coupe du monde. www.solidar.ch/fr/fifa-russie

pement villageois a demandé l’examen de ces cas et a organisé le sit-in devant la fabrique.


POINT DE VUE 13

UN ACCORD INTERNATIONAL MET LA DEMOCRATIE EN PÉRIL L’Accord sur le commerce des services (TiSA) met en péril le service public au Nord comme au Sud. Peter Niggli d’Alliance Sud explique pourquoi. Texte: Peter Niggli à des prestataires étrangers. Tous les autres leur sont automatiquement accessibles. On exige ainsi du gouvernement qu’il devine aujourd’hui déjà les développements futurs, nouvelles formes de services comprises, et ce même si elles n’apparaîtront que d’ici 20 à 30 ans. 2. Une clause générale restrictive de l’accord TiSA précise que les pays ne pourront plus jamais revenir en arrière sur l’ouverture de leurs marchés. Les pays ne pourront plus Les gouvernements resjamais revenir en arrière sur treignent ainsi délibérél’ouverture de leurs marchés. ment la future marge de manœuvre de leurs pays. leurs services dans des pays en déve- Prenons l’exemple de la distribution loppement. Cette pratique a été très d’eau: depuis les années 1990, l’Allecontroversée – et continue de l’être – au magne et la France ont abandonné leurs Nord comme au Sud. réseaux communaux de distribution d’eau Aujourd’hui, ces mêmes pays négocient à des multinationales privées. Ces derà huis clos un accord de droit interna- nières sont actives partout sur la planète tional public à force obligatoire sur le et ont donc intérêt à ouvrir le marché de commerce des services (TiSA) portant la distribution d’eau dans les autres pays. sur plusieurs secteurs économiques, Parallèlement, des mouvements opposés dont ceux «dénationalisés», et qui com- à la privatisation de l’eau élèvent la voix pliquerait fortement les possibilités de dans ces deux pays. Ils ont même réussi corriger les processus de privatisation. à imposer une «recommunalisation» dans En comparaison avec l’Accord sur le quelques villes. L’accord TiSA empêchecommerce des services de l’Organisation rait à l’avenir de telles marches arrière mondiale du commerce (OMC), quelques démocratiques. nouveautés sont frappantes: En Suisse, des associations écono1. Dans l’accord TiSA, les Etats doivent miques et leurs porte-parole exigent désormais explicitement répertorier les également, de temps à autre, des privatisecteurs qu’ils n’entendent pas ouvrir sations, quasiment sans succès jusqu’ici. Ces trente dernières années, de nombreux pays occidentaux ont «dénationalisé» des services d’intérêt public pour les laisser à des prestataires privés du pays ou de l’étranger – de la distribution d’eau à la poste et aux chemins de fer en passant par l’électricité et les télécommunications. C’est ainsi que sont nées plusieurs multinationales proposant aussi

Après la décision d’abolir le taux plancher, des représentant-e-s majeurs des banques ont réchauffé leurs vieilles exigences. Le Secrétariat d’Etat à l’économie affirme qu’il entend exclure le service public suisse de TiSA. Mais il négocie dans certains cas des règles contraignantes pour des domaines comme l’énergie, la poste, les achats publics ou les prestations environnementales tels que le ramassage des déchets ou la distribution d’eau, en général publics en Suisse. C’est pourquoi la Suisse romande a vu naître un large mouvement contre l’accord TiSA. Plusieurs communes se sont dit «hors zone TiSA». Des initiatives dans ce sens sont en cours dans les villes de Berne, Bâle et Zurich. A l’échelon national, main dans la main avec le syndicat des Services publics, les sphères politiques et l’opinion publique, Alliance Sud tente de sensibiliser aux risques liés à TiSA. L’objectif est de faire en sorte que la démocratie future puisse décider de fonctions clés de l’Etat et non plus seulement de questions sociétales comme le mariage homosexuel ou l’interdiction du port de la burqa. Peter Niggli a été directeur d’Alliance Sud de 1998 à aujourd’hui. Nous remercions ce grand spécialiste de la coopération pour son travail et lui souhaitons nos meilleures voeux pour sa retraite.


14 CONCOURS SOLIDAR-SUDOKU 8

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Règles du jeu Remplissez les cases vides par des chiffres de 1 à 9. Chaque chiffre ne peut figurer qu’une seule fois sur chaque ligne, chaque colonne et dans chacun des neuf blocs de 3 x 3 cases. La solution est trouvée à partir des chiffres inscrits dans les cases hachurées, lues horizontalement, en suivant la clé suivante: 1= E 2=T 3=B 4=A 5=O 6=P 7=L 8 =U Envoyez votre réponse à: Solidar Suisse sur une carte postale ou par courriel à: contact@solidar.ch, avec la mention «concours». Les 3 premiers prix Animaux en fil métallique réalisés au Mozambique.

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La date limite d’envoi est le 21 juin. Les noms des gagnant-e-s seront publiés dans le numéro 4/2015 de «Solidarité». Aucune correspondance ne sera échangée concernant ce concours. Tout recours juridique est exclu. Les collaborateurs et collaboratrices de Solidar Suisse ne peuvent participer au concours.

Solution

La solution du concours paru dans «Solidarité» 2/2015 était «colonialisme». Klaus Küderli de Greifensee a gagné un panier à linge et Claudia Frick de Lausanne un sac. Nous remercions les producteurs et productrices de palmyre pour les prix offerts ainsi que tous ceux et toutes celles qui ont participé au jeu.

Le Parlement jurassien soutient Solidar Le Parlement de la République et Canton du Jura soutient la pétition de Solidar Suisse demandant à la FIFA d’adopter une Charte de responsabilité sociale. Par 33 voix contre 7 (sur 60 députés présents), le Parlement a en effet signé et adopté à la mi-juin l’interpellation «Responsabilité sociale pour la Coupe du monde de football». Cette dernière a été proposée par le député Jean-Pierre Petignat (CS-POP).

Ecusson selon cotes non o cielles - A vant 2013

9000 signatures récoltées Notre pétition qui a déjà réuni plus de 9000 signatures demande à la FIFA

d’adopter une Charte de responsabilité sociale garantissant le respect des droits humains et du travail durant les Coupes du monde. Les exemples de violations ont été légion — et continuent malheureusement à l’être — que ce soit durant la Coupe du monde en Afrique du Sud (2010), au Brésil (2014) ou sur les chantiers de construction des futurs stades en Russie (2018) ou au Qatar (2022). Vous pouvez signer notre pétition à l’adresse www.solidar.ch/fifa


CULTURE 15

RÉVOLUTION AU PAYS DES HOMMES INTÈGRES Un film suisse sort de l’oubli le charismatique Thomas Sankara, président du Burkina Faso de 1983 à 1987. Texte: Katja Schurter. Photo: cineworx En Europe aujourd’hui, plus personne ou presque ne connaît encore Thomas Sankara. L’ancien guide de la révolution et président du Burkina Faso a été volontairement oublié depuis sa mort violente. Ou c’est par ignorance qu’on ne parle plus de lui. Le réalisateur romand Christophe Cupelin le sort de l’oubli dans son documentaire «Capitaine Thomas Sankara», un film entièrement fondé sur des archives. Par chance, car rien ne pourrait mieux transmettre l’atmosphère de renouveau que Sankara a fait régner dans l’ancienne Haute-Volta qu’il a justement rebaptisée Burkina Faso, le pays des hommes intègres. L’ancienne puissance coloniale française et d’autres pays occidentaux n’en ont pas été épargnés. Contre la réalité ethnocentrique Le film montre Sankara – le plus souvent en treillis militaire – lancer des slogans ponctués par les «à bas» de Burkinabés enthousiastes: à bas les maris réaction-

bourgeoisie («un coca y coûte six mois de salaire») à remplacer par des bals populaires accessibles à tous. Nous le voyons en compagnie de Kadhafi, qui était conquis par la révolution de Sankara, du moins jusqu’à ce que ce dernier tente impudemment de capturer un Boeing libyen à Ouagadougou, une tentative qui allait échouer cependant par manque de pilotes burkinabés qui auraient pu prendre les commandes d’un tel avion. Nous le voyons annoncer la création d’un tribunal populaire révolutionnaire chargé de juger les fonctionnaires et les présidents corrompus et d’exiger le remboursement de l’argent volé. Assassiné par son meilleur ami Le film donne de Sankara l’image d’un guerrier non conformiste et plein de verve, désireux de changer le Burkina Faso et le monde entier par des méthodes peu conventionnelles. Mais Sankara n’a disposé que de quatre ans pour mener sa révolution car sa politique l’a rendu impopulaire auprès de bien des gens. Le film est construit de telle sorte que son autoritarisme n’apparaît qu’en marge – il avait aussi accédé au pouvoir suite à un coup d’Etat. Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara a été assassiné dans des conditions non élucidées officiellement, mais très vraisemblablement suite au coup d’Etat de son ami et com-

naires, à bas les fonctionnaires corrompus, à bas l’impérialisme… Nous le voyons à vélo, jouant de la guitare, lors de sa visite à Moscou où il fait preuve de l’enthousiasme attendu pour les vols spatiaux – et réserve immédiatement deux places pour des Burkinabés dans la capsule spa«On ne réalise pas des tiale. On le voit planter des arbres ou annoncer la journée changements importants forçant les hommes à aller au sans un brin de folie.» marché – s’ils veulent manger, il faut qu’ils y fassent aussi leurs emplettes. Nous le voyons, en uni- pagnon Blaise Compaoré. Ce dernier a forme de gala bleu ciel cette fois-ci, pas- ensuite présidé le Burkina Faso 28 ans ser un savon à un Mitterrand visiblement durant – jusqu’à ce que des troubles mal à l’aise. On l’entend refuser l’aide populaires le contraignent à se retirer internationale car elle encouragerait la l’an dernier. mentalité d’assistés et serait une forme de néocolonialisme («quiconque nous La sortie de «Capitaine Thomas Sankara» nourrit nous impose également sa vo- en DVD est prévue pour septembre lonté »), exiger la remise de la dette et www.cineworx.ch annoncer la fermeture de tous les clubs Solidar au Burkina Faso de nuit, des lieux de rencontre de la www.solidar.ch/fr/burkina-faso


16 BRÈVES Comment assurer une protection sociale pour tous? Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), une protection sociale généralisée dans les pays du Sud représente un des moyens de développement les plus efficaces. Afin de promouvoir cette idée encore méconnue, Solidar Suisse a participé à l’organisation d’une table-ronde à Genève sur le thème «Travail décent et protection sociale pour tous», en marge de la 104e session de l’OIT. Initiée en partenariat avec SOLIDAR – un réseau européen d’ONG dont Solidar Suisse est membre – la soirée a permis de mettre en valeur le travail de terrain d’organisations partenaires au Salvador et au Burkina Faso. Noe Gilberto

Burkina Faso: dix ans d’échanges interculturels Depuis dix ans, Solidar Suisse et la Haute école pédagogique du canton de Vaud (HEP) collaborent sur un module d’échanges interculturels avec le Burkina Faso. De futurs enseignants suisses

Solidar Suisse Genève se présente Solidar Suisse Genève a organisé son premier événement public en juin 2015 afin de présenter le projet LanzArte qu’elle soutient en Bolivie. Ce projet permet à la jeunesse bolivienne de monter sur les planches en créant ses propres pièces de théâtre. Cette activité artistique permet aux jeunes de prendre confiance en eux et de réfléchir sur leur place dans la société. Si vous souhaitez être tenu informé des activités de Solidar Suisse Genève, vous pouvez vous inscrire sur www.solidar.ch/geneve

Nerio Juarez, coordinateur syndical des coupeurs de cannes à sucre, a évoqué les succès et les difficultés du processus de syndicalisation de ces ouvriers et ouvrières particulièrement précarisé-e-s. Quant à Frank Hoffer, chercheur à l’OIT et spécialiste de la protection sociale, il a plaidé pour un engagement politique fort en faveur du travail décent.

peuvent découvrir, par le biais de ce programme, le travail effectué au Burkina en matière d’éducation multilingue, une nécessité dans un pays où le français n’est maîtrisé que par une toute petite partie de la population. En échange, des enseignant-e-s burkinabés viennent observer le système de scolarité suisse. Afin de fêter la décennie et de réfléchir à l’avenir de cette collaboration, la HEP a accueilli une délégation burkinabée comprenant plusieurs collaborateurs de Solidar et des membres du ministère de l’éducation. www.solidar.ch/burkina-faso

Sri Lanka: des femmes affectées par la guerre lancent leur entreprise Le 22 juin 2015, 21 femmes de Nakulam ont ouvert un commerce d’étape à 300 kilomètres au nord de Colombo, dans l’une des régions les plus exposées aux conflits du Sri Lanka. Pour ces femmes, sans ressource à la fin de la guerre civile, c’était le début d’une vie autonome et plus sûre. Au total, 50 femmes bénéficient directement, comme propriétaires ou collaboratrices, de ce commerce établi avec l’appui de Solidar et d’organisations partenaires. Les personnes en déplacement y trouvent un snack-bar servant des boissons et des repas régionaux, un stand de produits artisanaux et des toilettes. 30 habitant-e-s du village produisent la marchandise commercialisée – du miel, du poisson séché, des corbeilles de feuilles de palmiers – et ont ainsi l’opportunité d’écouler leurs produits et d’en doper la demande.

Conférence de Solidar Au début juin, Rüschlikon a servi de cadre à la conférence biennale de Solidar, entièrement dédiée cette année à la nouvelle stratégie de Solidar Suisse. Les responsables des bureaux de coordination à l’étranger et les collaboratrices et collaborateurs suisses ont discuté des nouveautés découlant de la stratégie: consolidation de la priorité du travail décent, orientation renforcée vers les résultats et conception plus attrayante de la communication de nos activités notamment. La journée a en outre donné l’occasion de faire connaissance, d’échanger et de créer des réseaux au-delà des frontières.


ACTUALITÉ 17 Des biens de première nécessité sont distribués aux personnes touchées par le séisme.

«QU’ALLONS-NOUS DEVENIR?» Le tremblement de terre au Népal a été très destructeur. Solidar a apporté son aide en l’espace de quelques heures afin d’atténuer la détresse des personnes affectées. Texte: Felix Gnehm. Photos: Andrea Barrueto Le 25 avril à 11 heures 56, une bombe à retardement a explosé au Népal: la terre y a tremblé dans des proportions gigantesques. Des dégâts énormes et une détresse incommensurable ont été occasionnés. Plus de 8700 morts et 21 000 blessés et près d’un demi-million de logements complètement détruits. Des chercheurs et des organisations humanitaires avaient depuis longtemps déjà attiré l’attention sur l’anormale absence de séismes dans la vallée de Katmandou. Ces dernières années n’avaient en effet pas connu de séismes de grande ampleur qui auraient permis de relâcher la formidable pression née du déplacement de la plaque continentale indienne. A cela s’ajoute que Katmandou est littéralement construite sur du sable. Coopération pour une aide rapide Un jour après le séisme, Solidar a décidé d’envoyer sur place un expert humanitaire chargé de clarifier s’il était possible

d’apporter une aide et, dans l’affirmative, sous quelle forme. Nous fondons une telle décision sur les trois aspects suivants: 1. Combien de personnes sont touchées par la catastrophe? Quelle est l’importance des dégâts? 2. Le contexte permet-il une opération humanitaire? Le gouvernement fait-il appel à l’aide internationale? Quels risques sont à attendre? 3. Solidar peut-elle offrir une plus-value? Notre savoir-faire technique est-il requis? Avons-nous des partenaires sur place et pouvons-nous compter sur un soutien financier? Dans le cas du Népal, il était hors de question que Solidar puisse remplir tous les critères. Nous avons opté pour la mise en place d’une aide d’urgence et d’une reconstruction en partenariat avec Helvetas Swiss Intercooperation qui travaille depuis de nombreuses années au Népal. En un rien de temps, les collaborateurs locaux

d’Helvetas et les humanitaires professionnels de Solidar Suisse ont organisé l’aide d’urgence pour 7500 ménages des villages de montagne massivement détruits de Sindhupalchok. Du matériel pour des logements d’urgence, des articles d’hygiène et des semences ont été distribués. Les histoires vécues derrière les chiffres Un collaborateur local nous a raconté la bouleversante histoire d’un père qu’il a trouvé prostré au bord de la route, ses deux fils à ses côtés. «Lorsque tout s’est mis à trembler, mon plus jeune fils et moi-même avons été précipités un étage plus bas. Nous nous sommes accrochés l’un à l’autre et avons prié pour que le cauchemar prenne fin. Quand la terre s’est finalement calmée, nous avons cherché des survivants et rapidement trouvé ma femme sans vie. Nous avons localisé un de mes fils huit jours après seulement, mort lui aussi. Neuf personnes ont été tuées dans ma famille. De quoi allons-nous vivre? Où allons-nous reconstruire notre maison?». Ce père désespéré n’a plus quitté nos esprits – et son souvenir nous a régulièrement rappelé pourquoi nous ne voulions pas être des spectateurs aux bras croisés. www.solidar.ch/fr/nepal Felix Gnehm est responsable des programmes internationaux auprès de Solidar Suisse.


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LES FEMMES, SOURCE D’INSPIRATION Thusita Pilapitiya, nouvelle responsable du bureau de coordination de Solidar au Sri Lanka aimerait faire bouger les choses dans ce pays. Texte: Katja Schurter. Photo: Andreas Schwaiger


PORTRAIT 19 aux ouvrières et ouvriers migrants, deux des groupes les plus fragiles au Sri Lanka, m’a motivée plus encore.»

Thusita Pilapitiya souhaite faire en sorte que les femmes prennent part aux décisions.

Quand on lui demande ce qui l’a motivée à travailler pour Solidar, Thusitha Pilapitiya répond qu’elle a postulé presque par accident, avant de laisser fuser son rire clair. «Après un séjour prolongé à l’étranger, j’étais désireuse de rentrer au Sri Lanka. Mes trois enfants avaient quitté le nid familial et j’ai lu l’annonce de Solidar alors que je m’apprêtais à partir pour Dallas en mars, pour le mariage de mon fils. J’ai pensé que l’occasion était belle: une ONG suisse, les droits du travail, et cela dans le nord Sri Lanka. J’ai postulé.» Car les droits du travail préoccupent beaucoup la juriste qu’est Thusitha Pilapitiya et qui a travaillé avant et après la guerre dans le nord du Sri Lanka. «Le programme convaincant de Solidar apportant un soutien aux cueilleuses de thé et

contre la pauvreté: «Le Sri Lanka est devenu un pays à revenu moyen – mais seulement parce qu’il compte quelques personnes extrêmement riches et que le fossé entre les pauvres et les riches s’élargit. J’aimerais faire en sorte que les pauvres s’enrichissent et encourager la solidarité.» C’est pourquoi elle lutte pour les droits des travailleurs et entend utiliser son expérience pour exercer une incidence sur la politique.

Expérience des situations d’après-guerre Une décennie durant, la Sri-Lankaise avait contribué dans divers pays à l’établissement de structures démocratiques, souvent dans des situations d’aprèsguerre: en Afghanistan, elle a participé à l’établissement du Parlement après 30 années de guerre, au Soudan à l’organi- Effets de la migration des femmes sation du référendum sur l’indépendance Les femmes ont besoin d’un soutien spéet au Malawi à la lutte contre la corrup- cifique pour devenir plus confiantes en tion. Après le dépôt de sa candidature, elles. «Elles ont un rôle énorme à jouer tout est allé très vite. Elle est arrivée au sur le marché du travail», insiste-t-elle Sri Lanka le 1er mai et le 5 du même avec une énergie communicative. Car si mois, Thusitha Pilapitiya commençait à les femmes n’ont pas de perspectives, travailler. Elle a été impressionnée par la elles doivent aller chercher du travail à vitesse à laquelle les infrastructures l’étranger. Cela va de pair avec de nouavaient été reconstruites à la fin de la veaux problèmes, comme le montre une guerre, et par les grands changements récente étude. Si la mère est absente, intervenus dans le pays. «Lors de ma les enfants sont souvent insuffisamment première visite, j’ai été impressionnée de encadrés, ne sont pas envoyés à l’école voir le dynamisme et l’espoir qui habi- ou sont exploités sexuellement. Lorsque taient les femmes. Je pensais les trouver les femmes reviennent de l’étranger très traumatisées car elles avaient beau- où elles sont elles-mêmes souvent victimes de violence coup souffert de et d’exploitation, la guerre. Mais «Je veux lutter contre la elles m’ont paru elles trouvent plus autonomes leur famille dans pauvreté et renforcer la et ont été une une situation pire solidarité.» véritable source qu’auparavant. d’inspiration. Les Solidar informe gens sont moins sous pression vu le les futurs migrant-e-s sur ce qui les recul de la répression et ils peuvent se attend (cf. «Solidarité» 4/2014), mais il mouvoir et s’exprimer plus librement.» faut aussi des structures publiques de conseil et de traitement. La préoccuDe la reconstruction à la pation majeure de Thusitha est de renparticipation forcer la position des femmes: «Nombre C’est une première étape importante d’entre elles endossent le rôle classique pour encourager dès lors – après la re- de la femme même si elles subviennent construction et la couverture des besoins seules aux besoins de leur famille. Nous vitaux – la participation de la population stimulons leurs capacités, à contreaux décisions politiques. «J’aimerais ren- courant du stéréotype dominant selon forcer les organisations avec lesquelles lequel elles ne peuvent être que des Solidar coopère dans le domaine des mères mais pas des décideuses. A long droits du travail pour qu’elles puissent terme, cela peut changer la société.» être intégrées aux structures officielles», lâche cette experte en bonne gouver- www.solidar.ch/fr/srilanka nance. Il convient également de lutter


UNE CHARTE DE RESPONSABILITÉ SOCIALE POUR LA FIFA La préparation et l’organisation des Championnats du monde de football continuent de bafouer les droits humains. Pour cette raison, Solidar Suisse exige de la FIFA une Charte de responsabilité sociale incluant les points suivants: 1. Renforcement des exigences lors des candidatures 2. Définition de critères sociaux pour l’attribution des Coupes du monde 3. Adaptation des contrats passés avec les pays-hôtes 4. Introduction de mécanismes de contrôle et de sanction Signez la pétition pour une Coupe du monde socialement responsable: www.solidar.ch/fr/fifa


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