Soldarité 4/2016

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NumĂŠro 4, novembre 2016

POINT FORT Consommation responsable PORTRAIT Des droits pour les enfants au travail au Pakistan

Le magazine de


2 ÉDITORIAL Chère lectrice, cher lecteur, Quand est-il temps de mettre fin à notre engagement dans un présence sur place: nous aurions pu sans conteste apporter une pays? Cette question se pose régulièrement pour nous. Les précieuse contribution sur des thèmes prioritaires comme l’exploi­ liens tissés avec nos partenaires et la connaissance de leurs tation au travail, la migration et la participation démocratique. besoins urgents, du manque d’opportunités et de l’inégalité Pour ne pas nous éparpiller dans toutes les régions du globe, sociale au quotidien rendent difficile la décision d’un tel retrait: nous avions cependant limité dès le début notre engagement même si un pays évolue dans une direction positive et que la dans le temps. Le tableau était tout autre au Sri Lanka où il nous population apprend à avoir confiance en a constamment fallu nous adapter à une ses propres forces, il existe de nombreu­ situation fluctuante. Vous lirez les raisons ses bonnes raisons pour lesquelles on de notre retrait en page 17. n’aimerait pas encore (ou pour lesquelles La croissance économique d’un pays on ne doit pas encore) mettre un terme à rend-­ elle un retrait possible? Ou des un engagement. gouvernements démocratiquement élus, Le but de mes déplacements de cet été une société civile forte, des opportunités au Sri Lanka et aux Philippines était de pour les jeunes sur le marché du travail mettre un terme à notre soutien. Alors que et des progrès accomplis dans la lutte notre présence au Sri Lanka durait depuis contre la violence et pour l’égalité des plus de onze ans, notre aide d’urgence chances? Une organisation de dévelopaprès le typhon Haiyan avait été dès le Esther Maurer pement doit en permanence se poser départ limitée à trois ans aux Philippines. Directrice de Solidar Suisse ces questions. Car notre objectif doit être Et nos activités dans ces deux pays n’aude nous retirer d’un pays, tout en ayant raient pas pu être plus dissemblables. en parallèle la certitude que les changeAprès l’aide d’urgence, il s’était agi de reconstruire des maisons ments positifs ont été consolidés au point de ne pas s’évanouir et des toilettes pour les plus démunis aux Philippines. Les délais à nouveau par la suite. Nous le devons à nos donatrices et à et le budget ont été parfaitement respectés et les objectifs bien nos donateurs, mais surtout aux populations avec lesquelles plus que remplis. Mais il aurait été judicieux de prolonger notre nous collaborons dans les pays prioritaires. Esther Maurer

REVUE DE PRESSE

29.8.2016 Sept villes romandes en tête du classement de Solidar Comme il y a trois ans, le classement Solidar des communes 2016 évalue la politique des 88 localités les plus grandes quant à leurs responsabilités sociales. Sont passés sous la loupe l’engagement financier en matière de coopération au développement (50 points) et la pratique en matière d’achats équitables (50 points). Chaque année, les villes suisses achètent pour 16 milliards de biens et services. Il s’agit donc de s’assurer que ceux-ci sont produits dans des conditions humaines dignes.

30.8.2016 Genève et Carouge sont les villes les plus sociales Genève, Carouge, Lausanne, Vevey, Nyon, Yverdon (VD) et Moutier (BE) font partie des douze villes suisses les plus engagées socialement. Les capitales genevoise et vaudoise, ainsi que la Cité sarde forment même le trio de tête du classement dressé par Solidar Suisse. Au total, douze villes suisses reçoivent la note maximale de cinq globes, soit celles qui remplissent le mieux leur engagement social. Elles étaient huit lors de la précédente évaluation en 2013, se réjouit l’exœuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO).

5.9.2016 Les communes suisses progressent vers l’équité Solidar souligne que son classement et la campagne de sensibilisation qui l’accompagne ont motivé nombre de villes suisses à modifier leurs pratiques, surtout en matière d’achats publics plus éthiques dans les pays du Sud. (...) Mais le chemin sera long avant que l’on puisse véritablement parler d’achats éthiques. Pour l’heure, de nombreuses municipalités se contentent de réclamer des produits plus respectueux de l’environnement. Les plus avancées exigent aussi de leurs fournisseurs le respect des huit conventions principales de l’OIT.


SOMMAIRE 3 POINT FORT Consommation responsable

4

Faire ses emplettes en respectant l’éthique: récit d’un échec

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La contribution de Solidar Suisse: des campagnes pour des conditions de travail équitables 8 Rating Solidar des communes: les autorités publiques doivent aussi faire des achats responsables 9 Les chaînes d’approvisionnement mondiales complexifient les flux de marchandises: des règles contraignantes sont impératives pour protéger la main-d’ œuvre 10 POINT DE VUE Comment s’y retrouver dans la jungle des labels

POINT FORT

Comment le comportement des consommateurs en Suisse influence-t-il les conditions de travail et d’existence des populations des pays en dévelop­ pement? Comment consommer responsable?

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4

CULTURE Le bilan de quarante années d’engagement contre les pratiques dommageables des multinationales 15 ACTUALITÉ Après plus d’une décennie, Solidar Suisse met un terme à son engagement au Sri Lanka. Rétrospective et perspectives 17 PORTRAIT Valerie Khan soutient les enfants travailleurs au Pakistan

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CHRONIQUE 11 BRÈVES CONCOURS

12 & 16

18 PORTRAIT Les enfants au travail sont une triste réalité au Pakistan. Valerie Khan se mobilise contre leur exploitation et pour leurs droits.

14 IMPRESSUM

Editeur: Solidar Suisse, Quellenstrasse 31, case postale 2228, 8031 Zurich, tél. 021 601 21 61, email: contact@solidar.ch, www.solidar.ch CP 10-14739-9 Lausanne. Membre du réseau européen Solidar Rédaction: Katja Schurter (rédactrice responsable), Marco Eichenberger, Lionel Frei, Eva Geel, Cyrill Rogger

Layout: Binkert Partner, www.binkertpartner.ch / Spinas Civil Voices Traduction: Milena Hrdina et Jean-François Zurbriggen Correction: Jeannine Horni, Catherine Vallat Impression et expédition: Unionsdruckerei/subito AG, Platz 8, 8201 Schaffhouse Paraît quatre fois par an. Tirage 37 000 ex.

Le prix de l’abonnement est compris dans la cotisation (membres individuels 70.– par an minimum, organisations 250.– minimum). Imprimé sur papier recyclé et respectueux de l’environnement. Photo de couverture: Des travailleurs indiens du coton préparent la récolte pour le transport. Photos: Adam Cohn. Dernière page: Avec une carte cadeau de Solidar, vous soutenez nos projets de développement.


4 Des ouvrières et des ouvriers au travail dans l’usine textile vietnamienne Ando International. Elle a amélioré les conditions de travail de son personnel depuis qu’elle a adhéré au programme «Better Work» de l’OIT (www.betterwork.org).


POINT FORT

5

CONSOMMATION RESPONSABLE

Notre comportement de consommation en Suisse a des incidences sur les conditions d’existence dans les pays du sud. Cette réalité n’est quasiment plus controversée aujourd’hui. Mais comment améliorer les conditions de travail dans les chaînes d’approvisionnement toujours plus longues du commerce désormais pratiqué à l’échelle mondiale? Quelle est la contribution des ONG en général, et de Solidar en particulier avec ses campagnes pour des conditions de travail décentes? Et comment organiser nos emplettes quotidiennes pour qu’elles soient respectueuses de l’éthique? Photo: OIT/Aaron Santos


6 CONSOMMATION RESPONSABLE: MODE D’EMPLOI

Ouvrière dans une usine indonésienne de composants électroniques.

Quiconque décide de faire des emplettes respectueuses de l’éthique aura tôt fait de buter sur l’opacité des conditions de production. Texte: Eva Geel. Photo: OIT/Asrian Mirza

Ça devait être un jeu d’enfant. Je ferais mes emplettes en privilégiant les produits socialement responsables. Telle était du moins mon intention première. D’abord, des courgettes et des tomates certifiées «de la région». Pas de lézard jusque-là. Mais comment faire avec le poisson? Le label MSC garantit du poisson durable, mais tient-il également compte des con­ ditions de travail des pêcheurs? J’imagine que non et jette donc mon dévolu sur des féras du pays. Ma conscience sociale ­devient définitivement une cause perdue dès le troisième magasin déjà: un hélicoptère télécommandé, assorti de son numéro d’article et de son prix, figure sur la liste des vœux de mon enfant. Le jouet est importé d’Extrême-Orient. Or en tant

que collaboratrice de Solidar, je ne sais que trop bien quelles peuvent être les conditions de travail dans cette partie du monde (cf. p. 8).

parents? Que nenni! Sur les rayons, des produits fabriqués par des enfants, à des conditions proches de esclavage? Pas à

«La plupart des gens font des Des consommateurs déconcertés compromis au quotidien: un zeste La consommatrice de développement durable par ici, soucieuse d’apporun sacrifice à la mode par là.» ter sa contribution à un monde plus juste ne se facilite pas la tâche. Depuis un exclure! Des produits chers plus durables certain temps déjà, toute une palette que des produits bon marché? Aucune ­ de labels définissant et contrôlant les garantie! Notre désorientation totale n’a normes environnementales sont une rien d’étonnant. réalité sur le plan écologique. Mais le La course mondiale effrénée à la pro­ secteur social est largement à la traîne duction la plus avantageuse possible, un (cf. p.13). Des labels complets et trans- diktat du marché, entraîne un chapelet


POINT FORT 7 de misère dans les pays à bas salaires. Plus d’un milliard et demi de personnes travaillent dans des conditions de pré­ carité sur la planète. On ne compte plus les scandales impliquant les sociétés commerciales. Vers une consommation éthique Mais les choses bougent dans ce domaine: des jeunes entreprises produisent dans ce créneau, pleinement conscientes de l’équité sociale et écologique. Des ­organisations non gouvernementales ren­ dent publiques les pratiques commerciales scandaleuses de diverses multi­ nationales. Et les consommatrices et consommateurs suisses ont un sens critique toujours plus aiguisé: telle est ­ du moins la conclusion d’une enquête menée par Otto Group et selon laquelle, en 2013, 56 % des sondés achetaient souvent des produits respectant des critères éthiques, selon leurs propres dires. Or ils n’étaient que 29 % en 2009. Durable et bon marché à la fois? Mais le consommateur est tiraillé de toutes parts: un T-shirt doit non seulement être socialement responsable mais doit aussi suivre la mode. Encore faut-il pouvoir se permettre le luxe d’une bonne conscience – c’est hors de portée de n’importe quelle mère célibataire. La majorité des gens font des compromis au quotidien: un zeste de développement durable par-ci, un sacrifice à la mode par-là. A cela s’ajoute que bon nombre de grandes entreprises sont régulièrement touchées par des scandales de toutes sortes, même si elles clament toutes que leurs produits répondent à des critères sociaux et respectent l’environnement. Les multinationales ont beau prendre un large éventail d’initiatives et adopter des normes, elles s’investissent trop peu dans le contrôle de l’efficacité de leurs mesures. C’est ce qu’a révélé l’étude «Impact Project» de l’UE. Malgré tout, des violations des droits humains se produisent régulièrement. La manu-

facture de textiles Rana Plaza, au Bangladesh, était ainsi certifiée par l’allemand TÜV. Peu de temps après, la fabrique s’est effondrée en ensevelissant 1138 personnes. Vu ce chaos organisé, il n’est pas étonnant que les consommateurs aient le sentiment diffus que l’endroit où ils font leurs achats importe peu. Ou cela donne au moins une bonne excuse de ne pas devoir être attentif aux aspects éthiques. Seul un cadre légal pourra Dessin de Ruedi Widmer

remédier à cette situation, par exemple celui que trace en Suisse l’initiative pour des multinationales responsables (cf. p. 12). J’espère qu’elle sera acceptée. Car j’avoue avoir capitulé lors de mes emplettes: mon enfant a reçu son hélicoptère.

Eva Geel est responsable de la communication auprès de Solidar Suisse.


8

En 2011, un spot de Solidar mettait en scène un faux Clooney pour dénoncer l’exploitation de la maind’œuvre dans la production de café.

CAMPAGNES POUR TRAVAIL DÉCENT Par la voie de campagnes, Solidar Suisse s’engage auprès des producteurs et des consommateurs pour qu’ils se préoccupent de conditions de travail décentes. Texte: Simone Wasmann. Photo: Alexander Meier Il n’est pas simple de consommer de manière responsable. Des labels ou des produits régionaux sont une voie possible. Mais les choses se compliquent vite avec des denrées ou des biens transformés issus d’une production industrielle: les chaî­nes d’approvisionnement sont longues et opaques, les conditions de travail souvent inacceptables. C’est là qu’intervient Solidar. Elle exige la transparence tout au long de la chaîne d’approvisionnement afin de garantir le respect des droits humains et du travail. Contre l’exploitation avec l’argent du contribuable et pour un commerce équitable Depuis 2008, Solidar organise des campagnes en faveur de conditions de travail décentes et interpelle divers protagonis­ tes: les autorités publiques par exemple, pour qu’elles assument leur responsabi­ lité en faisant leurs achats – 40 milliards par année – et ne s’accommodent pas de violations des droits du travail pour

BSCI, une initiative volontaire de responsabilité sociale des entreprises à laquelle adhèrent de nombreuses compagnies helvétiques, a rédigé pour la première fois un rapport sur les risques dans l’industrie des ustensiles de cuisine en Chine. Il est encore trop tôt pour évaluer dans quelle mesure un tel rapport apporte de réels changements et si la Suisse pourra, demain, se procurer des casseroles «impeccables». Mais Solidar Suisse suit l’évolution de la situation. Jouets durables Dans notre collimateur, nous avons pris aussi les fabricants de jouets dont les produits, réalisés pour la plupart en Chine, seront prochainement sous nos sapins de Noël. Les usines de jouets continuent de fermer les yeux ou presque sur leur responsabilité sociale et de contribuer activement au contraire, vu leurs exigences de prix bas et de délais de livraison courts, à la précarité des conditions de travail. Une investigation récente de Solidar l’a de nouveau illustré. Le plus souvent, seule une pression ­extérieure permet d’améliorer les conditions de travail des ouvriers. Que ce soit

obtenir de meilleurs prix; ou encore la multinationale Nestlé qui, dans le cadre de la campagne «Fair Trade – what else», a été incitée par un spot mettant en scène un faux Clooney à opter pour du café issu du commerce équitable pour son Nespresso. Et le succès a été au rendez-vous puisque, deux ans plus tard, Seule une pression extérieure l’entreprise a intégré du café permet d’améliorer les conditions de équitable dans travail des ouvrières et des ouvriers. 10  % de son Nespresso. Autres acteurs interpellés: les fabricants via des décisions étatiques comme une suisses de casseroles. En janvier, Solidar hausse du salaire minimal en Chine, ou a braqué les projecteurs sur la produc- au travers de campagnes d’ONG qui tion d’ustensiles de cuisine restée dans forcent les acteurs concernés à agir pour l’ombre jusque-là. Son initiative a fait éviter des déficits d’image et la baisse bouger les choses, car diverses maisons de rentabilité qu’ils impliquent. de production qui se faisaient les chantres du développement durable ont pris contact avec leurs sous-traitants Simone Wasmann est responsable chinois et ont exposé leurs griefs avant de la campagne sur le travail décent de lancer des contrôles spécifiques. La en Asie auprès de Solidar Suisse.


POINT FORT 9 Même les petites communes peuvent faire des achats socialement responsables – à l’instar d’Ittigen.

LES COMMUNES PLUS ETHIQUES Les autorités publiques sont aussi tenues de consommer dans le respect du développement durable. Solidar les a examinées à la loupe. Texte: Katja Schurter. Photo: FotoTrenz Mené à la fin août 2016, le troisième ­rating des communes de Solidar Suisse a examiné dans quelle mesure les communes suisses assumaient leur responsabilité en matière de solidarité internationale: achètent-elles de manière responsable en veillant à des conditions de travail décentes et soutiennent-elles des projets de lutte contre la pauvreté dans des pays en développement? L’enjeu est de taille: les communes achètent en effet des marchandises et des prestations pour un montant avoisinant 16 milliards de francs chaque année. Bon nombre de ces produits, du pavé au café de l’administration communale, proviennent de l’étranger et sont fréquemment fabriqués dans des conditions indignes. Une évolution positive Le rating de cette année a donné des résultats réjouissants: un nombre croissant des 88 communes suisses analysées se montre solidaire. Si, voilà cinq ans, trois communes avaient obtenu le nombre maximal de cinq globes dans le premier rating, et huit lors du rating de 2013,

douze affichent aujourd’hui ce beau résultat: Genève, Carouge, Lausanne, Zurich, Ittigen, Berne, Nyon, Yverdon-les-Bains, Moutier, Riehen, Bülach et Vevey. Environ trois quarts des communes à nouveau analysées ont amélioré leur résultat ou maintenu au moins celui de 2013. Mais dix communes ne décrochent qu’un globe, parfois pour la troisième fois de suite. Que peuvent faire les communes Solidar ne souhaite pas seulement évaluer les communes. Elle aimerait les encourager dans leurs achats socialement durables. Il est crucial qu’une commune se dise officiellement en faveur d’une politique d’achats responsable et envoie par là même ce signal clair aux entreprises: il vaut la peine d’investir dans des modes de production durables. L’exemple d’Ittigen montre que des petites entités territoriales peuvent aussi adopter des pratiques d’achats équitables: cette commune de 11 500 âmes a élaboré une directive garantissant l’achat de produits remplissant des critères écologiques et sociaux. Dans le rating, elle a atteint le

maximum de cinq globes, ce dont le président de commune Marco Rupp n’est pas peu fier: «Ittigen se soucie depuis des années de la préservation des ressources naturelles et de la compatibilité avec les conditions sociales. Cette distinction nous conforte dans notre démarche.» De nombreux produits arborent des labels reconnus. En l’absence de certificats, une déclaration volontaire peut être exigée, confirmant au moins le respect des normes fondamentales du travail de l’OIT et de normes sociales minimales plus poussées si possible, tels un salaire suffisant pour vivre, la sécurité au travail et des rapports de travail réglementés. Ces derniers s’achoppent à l’absence d’une base légale claire, raison pour laquelle Solidar Suisse s’engage aussi pour l’enracinement concret de la responsabilité sociale dans la révision de la loi en cours. Pour le matériel informatique où la via­ bilité sociale est particulièrement difficile à garantir, le Partenariat des achats informatiques romands Pair apporte son appui (www.pair.ch). Les petites communes: pas en reste Il n’est pas simple pour les petites communes justement de s’approprier le savoir-­ faire nécessaire. L’organisation conjointe des achats via un centre régional ad hoc peut être une solution. Cette approche simplifie le contrôle des conditions de production des marchandises achetées et fait baisser les prix. Des villes comme Zurich et Berne, lesquelles ont élaboré des directives exhaustives en matière d’achats durables, mettent volontiers leur expérience et leur savoir-faire à la disposition d’autres communes. Solidar transmet volontiers les contacts utiles.

Katja Schurter est rédactrice responsable de Solidarité.


10 MONDIALISER LE TRAVAIL DÉCENT

Etapes dans la chaîne de fabrication d’un T-shirt: coton burkinabé, couture au Vietnam et vente dans une boutique suisse.

Des règles doivent être introduites pour encadrer les chaînes d’approvisionnement mondiales. Complexes et peu transparentes, elles conduisent à l’exploitation de la main-d’œuvre. Texte: Lionel Frei. Graphique: Cornel Alt. Photo: CIFOR/Olivier Girard, OIT/Aaron Santos La mondialisation se cache dans la plupart des objets de notre vie courante. Votre chemise a peut-être été conçue aux Etats-Unis, le coton qui la compose cultivé au Burkina Faso, le tissage réalisé au Bangladesh et les coutures finalisées au Vietnam. Puis un cargo chinois lui a fait traverser le globe pour finir dans les rayons de votre magasin. Cette mondialisation des échanges et des processus de fabrication a connu une accélération foudroyante ces dernières décennies. Selon la Banque mondiale, les exportations et importations représentent aujourd’hui près de 60  % de l’ensemble des biens et services produits dans le monde. Elles n’étaient que de 40 % en 1990 et 25 % à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. De la matière première au produit fini, des dizaines, parfois des centaines de filiales, fournisseurs et sous-traitants sont impliqués. Le graphique ci-contre illustre une telle chaîne d’approvisionnement mondiale (Global Supply Chain) pour l’industrie du jouet.

Une production efficace – de mauvaises conditions de travail Si ces chaînes d’approvisionnement s’avè­ rent efficaces pour produire des biens bon marché, les conditions de travail qui y règnent se révèlent souvent problé­ matiques. Les recherches de Solidar montrent que les violations des droits du travail dans les usines chinoises qui ­fabriquent des casseroles ou des jouets sont monnaie courante. Autre exemple: pour un T-shirt fabriqué en Asie, le coût du travail ne représente que 20 centimes, quel que soit le prix de vente, selon l’Organisation internationale du travail. Avec comme corollaire des salaires insuffisants pour vivre, malgré le coût de la vie plus faible. Ces violations ont été mises en lumière dans le récent rapport «Decent work in global supply chains» réalisé par l’OIT: la multiplication des heures supplémentaires, les salaires très faibles ou l’exposition à des produits dangereux font partie du quotidien de nombreuses personnes du Sud.

Des engagements volontaires faiblement efficaces Comment mettre un terme à cette situation? Les entreprises développent des codes appelés «Responsabilité sociale des entreprises (RSE)» qui visent à garantir le respect de normes sociales. Une approche suffisante, comme l’avan­ cent les acteurs privés? Ou relevant du «greenwashing»? Alain Supiot, professeur au Collège de France, se montre critique: «La RSE est censée suppléer l’absence de règles (…) de la concurrence à l’échelle internationale. Les grandes entreprises sont ainsi invitées à s’organiser en mini-Etats animés par d’autres ’préoccupations’ que celle de l’enrichissement de leurs actionnaires. Il ne faut pas sous-estimer l’intérêt des initiatives prises sur de telles bases. Mais, faute de responsable clairement identifiable et d’organisation susceptible de demander des comptes, cette responsabilité n’en est évidemment pas une.»


Une récente étude portant sur 1288 grandes entreprises vient appuyer cette analyse. Plus de deux tiers d’entre elles ne vérifient pas les standards sociaux dans leurs chaînes d’approvisionnement. Et seules 3 % mettent en place des mesures véritablement crédibles. La situation en Suisse n’est pas plus brillante, puisque 11 % seulement des 200 plus grandes entreprises prennent au sérieux leur responsabilité en matière de droits humains. En complément de l’approche volontaire, des initiatives visent à développer une obligation légale pour les entreprises de respecter les droits humains et du travail.

Plusieurs instruments internationaux ont ainsi été créés ces dernières années. L’ONU a adopté en 2011 ses principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, qui jouissent d’un large consensus. L’OCDE a mis à jour ses principes directeurs en matière de RSE en 2010. Lors de sa dernière con­ férence, l’Organisation internationale du travail a entrepris une réflexion visant à développer une nouvelle convention encadrant les activités des multinationales et les chaînes d’approvisionnement mondiales. Ces instruments sont un progrès, mais relèvent de la soft law, soit de directives n’ayant pas de caractère obligatoire. Pour que ces principes deviennent véritablement opératoires, ils doivent être implémentés au niveau national. C’est pourquoi une coalition de 80 ONG a déposé le 10 octobre dernier l’initiative «pour des multinationales responsables». Elle demande des règles contraignantes pour que les entreprises respectent les droits humains et l’environnement aussi dans leurs activités à l’étranger. Un jalon indispensable pour que la justice sociale soit adaptée à la mondialisation.

Lionel Frei est responsable de la communication pour la Suisse romande

Chaîne de production

Matière première

Usine

Textile Bois Métal Plastique Produits chimiques Emballage

Sous-traitant

Grossiste Grande marque de jouets

Vente Usine principale

Fournisseur des composants

Vente online

Commerce de détail

Consommatrice finale

CHRONIQUE An der WM sollen Strassenhändle­ rInnen ihre Waren rund um die Stadien nicht verkaufen dürfen.

Hans-Jürg Fehr Président de Solidar Suisse

De libre à équitable Depuis des décennies, les politiques économiques ont fait du libre-échange leur précepte fondamental. L’accord TTIP, en préparation entre l’UE et les Etats-Unis, en marquera une nouvelle fois la prééminence… si les négociations n’échouent pas. Le fait que leur échec soit envisagé est fort surprenant et montre à quel point l’image du néolibéralisme a perdu de sa superbe. Je m’en réjouis, car les lacunes d’un commerce entièrement voué à la liberté d’entreprise transparaissent de plus en plus au grand jour: loin de garantir la prospérité de tous, le libre-échange va de pair avec une exploitation extrême de la main-d’œuvre. Au lieu de protéger l’environnement, il le détruit, et il accroît le pouvoir des multina­ tionales aux dépens des Etats démocratiques. La solution ne consiste certes pas à renoncer à toute forme de commerce, mais plutôt à instaurer un commerce équitable. Le libreéchange pourra être débarrassé de ses défauts grâce à des directives politiques qui devront régir les conditions de travail et les salaires. C’est le seul moyen de s’assurer que les échanges commerciaux contribuent à éliminer la pauvreté. Ces directives devraient aussi porter sur la protection de l’environnement pour que le négoce préserve la nature au lieu de lui porter préjudice. Les directives devraient enfin soumettre les multinationales au droit international, dont le droit fiscal, pour éviter que les échanges commerciaux ne sapent la démocratie. Le commerce joue un rôle bien trop important pour être laissé au bon vouloir du capital.


12 BRÈVES Nouveaux projets au Cambodge

Noël solidaire à Lausanne Du jeudi 8 au samedi 10 décembre 2016 aura lieu l’édition 2016 du désormais traditionnel Marché de Noël solidaire, organisé par la Fédération vaudoise de coopération (FEDEVACO) et Pôle Sud. Durant trois jours, le centre socioculturel de l’Union syndicale vaudoise (avenue Jean-Jacques Mercier 3) se transformera en vaste bazar du monde pour inviter la population à fêter Noël autrement. Les cadeaux achetés permettront en effet de soutenir des actions solidaires menées en Suisse ou dans le Sud par les 39 associations participantes. A l’occasion des 10 ans, la fête se poursuivra le samedi par une soirée DJ au club le Romandie à deux pas du Flon. «Les Diplomates» , groupe musical composé de deux DJ, vous fera danser, grâce à ses mix sur platines, sur des sonorités des quatre coins du monde. Des Caraïbes, à l’Afrique noire en passant par l’Amérique latine, cette soirée au doux nom de «La Face B du Noël solidaire feat. Les Diplomates» vous entraînera jusqu’au bout de la nuit. www.fedevaco.ch

Solidar Suisse élargit son engagement en faveur du travail décent en Asie: outre les activités en Chine et l’appui à des réseaux locaux, nous lançons de nou­ veaux projets au Cambodge. Menés avec divers syndicats et ONG, ils poursuivent deux priorités: en collaboration avec le Cambodian Women Crisis Center, des services de consultation destinés aux travailleuses et aux travailleurs migrants seront ouverts à la frontière avec la Thaïlande. Ces services viendront en aide aux migrants qui reviennent de Thaïlande après y avoir travaillé dans la restauration, les plantations, la pisciculture ou dans des ménages privés. Ils se voient souvent confisquer leurs pièces d’iden­ tité et leurs salaires ne sont pas payés. Il arrive aussi que de prétendues agences de placement les attirent en Thaïlande avec de belles promesses.

Mozambique: aide aux victimes de la sécheresse Cet été, le phénomène climatique El Niño a provoqué sécheresse et famine dans de vastes portions d’Afrique australe. Le Mozambique compte parmi les pays les plus touchés. Plus de 150 000 habitants des provinces de Tete et de Manica, où Solidar réalise des projets, ne mangent pas à leur faim. C’est le cas de Fanita Taimu, une grand-mère de 65 ans qui s’occupe de ses quatre petits-enfants

Dépôt de l’initiative «multinationales responsables»

Photo: Martin Bichsel

Avec plus de 120 000 signatures, l’ini­ tiative pour des multinationales responsables a été remise le 10 octobre 2016 à la Chancellerie fédérale. Le texte demande que les entreprises multinationa­ les qui ont leur siège en Suisse soient tenues responsables des violations des droits humains et des dégâts environnementaux, également dans leurs activités à l’étranger. Si une entreprise ne res­

La deuxième priorité consiste à améliorer les conditions de travail de la maind’œuvre de l’industrie textile (à 89 % des femmes). Les projets leur expliqueront leurs droits et les aideront à s’organiser. Chaque année, la Suisse importe pour plus de 90 millions de francs de textiles du Cambodge. Solidar Suisse veut contribuer à ce qu’ils soient produits dans des conditions décentes.

orphelins: «Toute notre commune est menacée par la famine. J’avais un potager, mais le ruisseau a tari et les légumes ne poussent plus. Et nos réserves de blé sont épuisées. Je ne sais pas comment je parviendrai à nourrir mes petits-enfants durant les mois qui viennent», raconte-telle. Solidar Suisse fournit des denrées alimentaires aux habitants pour leur permettre de survivre jusqu’à la prochaine récolte, au printemps 2017. www.solidar.ch/secheresse

pectait pas ce «devoir de vigilance», elle pourrait devoir répondre devant la justice suisse des dégâts causés. Plus de 100 personnes se sont rendues sur la Place fédérale pour remettre l’initiative dont les signatures ont été récoltées grâce à l’effort conjoint d’une coalition de 80 ONG, dont Solidar Suisse. L’initiative sera soumise au vote dans un deuxième temps, au plus tôt à fin 2018.


POINT DE VUE 13

LA JUNGLE DES LABELS Pour être sûrs que les biens que nous consommons ne nuisent ni l’homme ni à l’environnement, nous avons besoin d’informations. Les labels peuvent nous en fournir. Toutefois, il y en a tant que l’on s’y perd. Texte: Felix Meier, directeur de Pusch

Les ouvrières et ouvriers qui ont cultivé mes bananes touchent-ils un salaire décent? Le poisson dans mon assiette provient-il de la pêche durable? Le papier de mon imprimante n’a-t-il pas contribué à détruire une forêt tropicale? Les gens sont toujours plus nombreux à acheter non seulement en fonction du prix, mais aussi de critères écologiques et sociaux. En cela, les labels peuvent s’avérer utiles. A lui seul, un label ne garantit toutefois pas qu’un produit est écologique et équitable. Tout dépend des exigences de leur cahier des charges. Or, ces exigences varient d’un label à l’autre. Denrées alimentaires: bio, mais pas équitables? Preuve en sont les labels sur les denrées alimentaires: la Suisse en compte déjà plus de 60 et leur nombre va croissant. Pour favoriser une production respectueuse de l’environnement, le consommateur privilégie le plus souvent les produits bio. Mais il y a bio et bio. Le cahier des charges de tous les labels bio exige le respect de l’ordonnance fédérale sur l’agriculture biologique. La plupart des marques appartenant à des détaillants, comme «Natur aktiv», «Spar Natur pur» ou «Globus organic» s’appuient sur cette ordonnance. Les labels tels que «Bour-

geon Bio Suisse» ou «Coop Naturaplan» liorer les conditions de vie et de travail répondent à des exigences nettement des familles paysannes. Max Havelaar plus sévères, car ils se fondent sur les accorde en outre une prime supplémendirectives de Bio Suisse. Quant aux taire pour la culture biologique. La traçalabels «Migros Bio», «Natur plus» ou bilité des produits importés tout au long «Biotrend», ils ne valent que pour les de la chaîne de production est un vériproduits suisses. Seuls quelques rares table défi et explique en partie le nombre labels tiennent également compte d’as- encore relativement modeste de produits pects sociaux, c’est-à-dire des conditions de travail dans Les labels ne rendent la production. C’est notamservice que lorsque l’on sait ment le cas des labels fonà quoi ils correspondent. dés sur les directives de Bio Suisse. Les labels utilisés pour les produits ré- du commerce équitable. Il serait par gionaux, «Suisse Garantie» par exemple, exemple vain de vouloir trouver du poisne sont pas nécessairement synonymes son et des fruits de mer estampillés de protection de l’environnement et de d’un tel label. bonnes conditions de travail. Ils répondent Les labels peuvent donc faciliter le choix surtout au souhait des consommateurs du consommateur, à condition qu’il sache de favoriser les structures locales de à quoi ils correspondent. Il importe donc ­production et de distribution. de mettre en place une communication transparente, des contrôles indépendants Commerce équitable et une procédure de certification effiet transparence cace (avec double contrôle). Un tel sysLes labels du commerce équitable, tel tème réduira le risque d’abus, renforcera «Max Havelaar», mettent l’accent ailleurs: à long terme l’efficacité des labels bien en garantissant des relations commer- établis et permettra d’y voir plus clair ciales stables, des salaires de subsistance dans la jungle des labels. et une prime pour les projets communautaires, tout en imposant des conditions Infos complémentaires: écologiques de base, ils visent à amé­ www.labelinfo.ch


14 CONCOURS LE SUDOKU DE SOLIDAR

Règles du jeu

2 5

7

6

8 9

5 5

6

2

4 3

Envoyez la solution à Solidar Suisse sur une carte postale ou par courriel à contact@solidar.ch, objet «sudoku».

6

7 4

1 7

1 =  U, 2  =  A, 3  =  E, 4  =  L, 5  =  Q, 6  =  B, 7  =  I, 8  =  T

1

8 3 8

2 9

Solution

Complétez les cases vides avec les chiffres 1 à 9. Chaque chiffre ne peut figurer qu’une seule fois sur chaque ligne, dans chaque colonne et dans chacun des carrés de 3 x 3 cases. La solution se trouve dans les cases grises lues horizontalement, selon la clé suivante:

9

1er prix 2e prix 3e prix

café équitable du Nicaragua mangues séchées équitables du Burkina Faso riz équitable d’Inde

La date limite d’envoi est fixée au 9 décembre 2016. Les noms des gagnant-e-s seront publié dans Solidarité 1/2017. Aucune correspondance ne sera échangée concernant ce concours. Tout recours juridique est exclu. Les collaborateurs et collaboratrices de Solidar Suisse ne peuvent pas participer au concours. La solution du concours paru dans Solidarité 3/2016 était «coopération». Marie-Pierre Maystre, de Genève, a gagné un aimant en forme d’oiseau, Elisabeth Röllin, de Bonaduz, et Pierre-François Bach, de Nyon, une boîte en bois peint du Nicaragua. Nous remercions toutes celles et tous ceux qui ont participé au concours.

RÉSEAU Cette rubrique sert de plateforme à notre réseau. Elle contient des informations des associations régionales de l’OSEO, qui réalisent en Suisse des programmes pour les chômeurs et les migrant-e-s. Une longue histoire et des racines communes unissent Solidar et les OSEO.

Genève: deuxième édition des cours de français au parc Lancés par le Bureau d’intégration du canton de Genève et mis en œuvre par l’OSEO Genève, les cours de français au

parc ont attiré cette année deux fois plus de participants que lors de leur première édition. La participation a atteint en moyenne 230 personnes par jour, contre 120 en 2015. Ce sont surtout des débutant-e-s qui ont suivi ces cours de français gratuits, dispensés de lundi à jeudi et accessibles sans inscription. Chaque semaine, les cours étaient consacrés à un sujet du quotidien: budget, santé publique à Genève, logement, culture, sport, monde du travail, alimentation, etc. Chaque sujet faisait l’objet d’une présentation complémentaire avec des représentant-e-s des autorités ou d’organi­ sations sociales. Grâce à une garderie professionnelle, beaucoup de parents ont également pu suivre les cours.

Course contre le racisme: recette record! Le 18 septembre, 269 personnes ont pris le départ de la 15e Course contre le racisme à la Bäckeranlage de Zurich. Organisée notamment par l’OSEO Zurich, cette course a permis cette année d’encaisser le montant record de 100 000 francs. La totalité de cette somme servira à financer des projets d’intégration et de consultation juridique destinés aux migrant-e-s à Zurich. www.laufgegenrassismus.ch


CULTURE 15

PRESSION SUR LES «MULTI» Dans son dernier livre, Markus Mugglin analyse la lutte des ONG contre les pratiques abusives des grandes entreprises. Entretien: Katja Schurter. Photo: Alliance Sud/Daniel Rihs

Katja Schurter: Des organisations non gouvernementales luttent depuis des décennies contre les pratiques abusives des multinationales. Dans quelle mesure ce combat a-t-il changé ces dernières années? Markus Mugglin: Beaucoup, contre toute attente. Par le passé, des cas particuliers, comme les bananes du Nicaragua ou le procès contre Nestlé, ont attiré l’attention du public. Le combat s’est mué en un vaste mouvement qui ratisse large. Il forme aujourd’hui tout un secteur de conseils et de certifications. Grâce aux ONG, les entreprises doivent certes rendre davantage compte de leur chaîne de production et des conditions de travail. Mais cela n’a pas mis fin à l’exploitation. Les contrastes sociaux sont plus marqués que jamais. Le dernier grave accident qui s’est produit en septembre dans une usine du Bangladesh a montré que les conditions de travail restent délétères

dans les pays à bas salaires. Le public se montre toutefois plus attentif. Il existe un réseau international de campagnes qui constituent un facteur indéniable. Les ONG atteignent-elles leurs objectifs? Elles sont plus professionnelles et possèdent plus de connaissances que dans les années 1980 et 1990. Elles ont en outre tissé un réseau international. Le fait que des ONG concluent des accords avec Nestlé en toute transparence eût été impensable il y a quelques années. Et cet exemple est loin d’être unique. Vous relevez aussi que la confrontation laisse la place au dialogue. Les deux stratégies se complètent; on ne les oppose plus. Les ONG recherchent le dialogue, mais elles n’hésitent pas à passer à la confrontation si le dialogue n’apporte rien. Les multinationales sont désormais prêtes à entrer en discussion avec des organisations qui les affrontent.

Le changement repose sur cette volonté de négocier. Comment estelle apparue? Les entreprises et les Etats l’ont souvent manifestée pour préserver leur image. Le revirement est sans doute dû aussi au conflit autour du secret bancaire suisse, qui a coûté quelque 6 milliards de francs aux banques, ce qui n’est pas rien. Les ONG ont également compris qu’elles ont plus d’influence en coordonnant leurs efforts au niveau international. Comment Solidar Suisse contribueelle à ces efforts? En établissant le rating des communes, Solidar place les pouvoirs publics face à leur responsabilité d’acheter durable. Solidar dénonce aussi les conditions de travail mondiales, par exemple dans la production de casseroles. Les ONG suisses ont lancé l’initiative pour des multinationales responsables afin de mettre les grandes entreprises sur la sellette. Que se passera-t-il si l’initiative est acceptée? Cela entraînerait un profond changement. J’en veux pour preuve la réaction de l’économie, qui considère l’initiative comme un défi, et la fébrilité avec laquelle l’administration fédérale se consacre au domaine qui associe économie et droits humains.

Lecture Mardi 13 décembre 2016 à 12 h 30, Markus Mugglin présentera son ouvrage «Konzerne unter Beobachtung» («Multinationales sous surveillance») dans le cadre du «Buch am Mittag», à la bibliothèque de l’Univer­ sité de Berne.


16 BRÈVES Liban: les réfugiés à la merci du froid

Bolivie: des perspectives professionnelles pour les jeunes En juillet 2016, Solidar Suisse et l’organisation Brücke · Le Pont, les deux œuvres d’entraide suisses qui s’engagent pour un travail décent dans le monde, ont lancé un projet commun en Bolivie. Mené dans la ville de Viacha (80 000 habitants), il vise à ouvrir de meilleures perspectives professionnelles aux jeunes. Ceux-ci pourront suivre des stages dans le secteur économique ou dans des institutions publiques et bénéficieront d’une formation continue, par exemple pour préparer un dossier de candidature. Autorités de la ville, syndicats et organisations communautaires et de jeunesse se réunissent en une table ronde afin de discuter des stratégies à appliquer pour favoriser l’intégration des jeunes sur le marché du travail. D’ici à 2018, au moins 200 jeunes adultes devraient trouver un emploi dans le secteur formel ou lancer leur entreprise. Dans deux ans, Solidar et Brücke · Le Pont évalueront les résultats et l’éventuelle poursuite du projet.

Malaïka Wa Azania en tournée de lecture Fin septembre, Malaïka Wa Azania a présenté son livre «Born Free – Reflections on the Rainbow Nation» («Née libre – Réflexions sur la nation arc-en-ciel») lors d’une série de lectures organisées par Solidar suisse et les Editions Rotpunkt. Née en 1991 à Soweto, Malaïka Wa Azania appartient à la jeune génération, celle qui a grandi après la fin de l’apartheid. Elle a lu des passages de son ouvrage, évoqué l’état de la nation arc-

Salvador: vernissage d’un livre contre la violence Le livre intitulé «Hijas de la rebeldia y sus huellas» («Filles de la violence»; lire notre article à ce sujet dans Solidarité 1/2016) a été verni à Chalatenango le 31 août 2016. L’ouvrage réunit des récits de femmes qui se sont, malgré toutes les difficultés, engagées en faveur du changement social et contre la violence, depuis le début de la guerre civile dans les années 1980 jusqu’à nos jours. Leur lutte demeure cruciale dans un pays qui enregistre 19 assassinats par jour, soit davantage de morts qu’à l’époque du conflit civil. Devant une salle comble, les auteures ont expliqué avoir décidé de publier leurs récits, dont nul ne voulait rien savoir il y a quelques années à peine, afin de favoriser l’avènement d’une société sans violence envers les femmes. www.solidar.ch/news

en-ciel vingt-deux ans après les premières élections démocratiques et parlé de sa vie de jeune femme noire d’un town­ ship: comment on se sent, par exemple, lorsque l’on pénètre dans un endroit naguère réservé aux blancs. Solidar Suisse a présenté son engagement aux côtés d’organisations sud-africaines qui luttent pour les droits des salariés et contre le racisme. Attirant un large public, la tournée de lecture a fait halte à Saint-Gall, Frauenfeld, Berne, Winterthour et Zurich. www.solidar.ch/news

L’hiver règnera bientôt au Liban, apportant son lot de vent glacial et impitoyables averses de pluie et de neige. Dans leurs abris souvent mal isolés et dépourvus de chauffage, les réfugiés syriens devront lutter contre le froid pour survivre. Grâce à l’aide de Solidar Suisse, Sana et Amin Abadi ainsi que leurs cinq enfants ont passé l’hiver dernier à Nabatiyeh. Ils craignent aujourd’hui les rudes conditions météo qui s’annoncent: «Lorsque nous sommes arrivés au Liban, notre priorité a consisté à ne pas faire manquer l’école à nos enfants. Aujourd’hui, nous veillons surtout à ce qu’ils restent en vie et en bonne santé», déclare Sana Abadi, et son mari d’ajouter: «Nous avons quitté la Syrie, car notre maison a été détruite pendant la guerre. Nous voulions vivre dans un endroit sûr, afin de protéger nos enfants. Aujourd’hui, nous avons peur de l’hiver, parce que nous avons déjà connu des tempêtes de froid: nous avons vu des adultes et des enfants mourir, faute d’un peu de chaleur et d’un minimum de protection.» Solidar fournit du matériel d’isolation, des fourneaux et des combustibles aux réfugiés syriens, pour qu’ils puissent se prémunir des grands froids. www.solidar.ch/aide-d-hiver


ACTUALITÉ 17 Les pêcheurs d’une coopérative soutenue par Solidar ramènent leurs filets au port.

DE L’ART DE CLORE UN PROJET Une visite au Sri Lanka confirme que le travail de Solidar Suisse sera poursuivi après notre départ. Texte: Esther Maurer. Photo: Hamish John Appleby Après le terrible tsunami de 2004, Solidar Suisse a mené des activités au Sri Lanka pendant plus de dix ans: l’aide d’urgence du début a progressivement fait place au soutien fourni, pendant et après la guerre civile, aux habitants très éprouvés du nord de l’île, pour les aider à subvenir à leurs besoins. A présent, nous nous retirons d’un pays que son produit intérieur brut classe certes parmi les Etats à revenus moyens, mais où l’écart entre le sud, économiquement très développé et riche d’un fort potentiel touristique, et le nord, très pauvre, ne pourrait guère être plus grand. Il n’est pas surprenant de voir que les profondes disparités sociales coïncident avec la répartition ethnique entre Cinghalais et Tamouls. Dans le nord du pays, la guerre civile a réduit à néant tout espoir de stabilité et de développement, et les séquelles sont encore très perceptibles. Des villages entiers ont été détruits, leurs habitants contraints de partir, les terres arables minées et des milliers de personnes obligées de se réfugier à l’étranger.

En prenant le bus à mon retour à Zurich, j’ai été frappée par la taille de la diaspora tamoule et à quel point elle fait partie de notre quotidien: les Tamouls vivent à nos côtés et, pourtant, la plupart des Suissesses et des Suisses ne connais­ sent rien de leur culture. Laborieuse reconstruction Reste à savoir comment vivent les Tamouls qui n’ont jamais quitté leur pays ou qui sont aujourd’hui rentrés d’Inde ou d’Europe? Lors de notre visite, nous avons vu des villages reconstruits, où se reforment les communautés qui y vivaient déjà avant la guerre. Ces gens font preuve d’une volonté à toute épreuve pour rebâtir leur existence. Certains le font pour la deuxième fois, ayant déjà dû repartir de zéro après le tsunami. Solidar Suisse les a aidés là où ils en avaient besoin: à déminer les champs par exemple, à construire des puits, à acheter des chèvres et des machines à coudre ou encore à mettre sur pied un magasin local. Des coopératives de pêcheurs ont pu acheter de nouveaux bateaux et con­

struire une installation pour sécher le poisson. Nous avons aussi soutenu la création d’une petite entreprise qui produit des balais et des brosses à partir de fibres de palmier. Qu’en sera-t-il après notre départ? Nous sommes toutefois loin d’avoir résolu tous les problèmes. Solidar aurait eu largement de quoi poursuivre ses acti­ vités au Sri Lanka, en particulier dans le nord du pays. Nous aurions pu mettre utilement à profit nos compétences spécifiques dans la promotion du travail décent pour assurer la subsistance de la population: créer des petites entreprises, promouvoir des salaires décents, assurer une protection sociale et de la santé au travail, lutter contre l’exploitation et le travail des enfants. Voilà les plus urgentes seulement des actions que nous aurions pu entreprendre. Pour subvenir à ses besoins, la population pauvre du nord du pays aurait encore requis un soutien pendant quelques années. Notre fonds pour le Sri Lanka était hélas vide et nous ne sommes pas parvenus à réunir l’argent nécessaire pour mettre sur pied un programme digne de ce nom. Je le regrette beaucoup mais garde confiance: lors de mon voyage, j’ai rencontré des représentants régionaux de la population, dont l’engagement sincère m’a persuadée qu’une dynamique positive est enclenchée et qu’elle se poursuivra sans Solidar. Dans une région très pauvre, le moment de clore un projet ne paraît jamais op­ portun. Il existe néanmoins un stade qui nous permet de nous en aller en nous fiant à la volonté et à la force des gens.

Esther Maurer est directrice de Solidar Suisse


18

CROIRE AU POTENTIEL DES ENFANTS Valérie Khan défend les droits des enfants au Pakistan et les aide à se faire entendre. Texte et photo: Katja Schurter


PORTRAIT 19

Dans son travail, Valérie Khan apprécie que les enfants puissent aussi lui enseigner quelque chose.

«Jamila Khaliq, 10 ans, a dit au ministre de la Justice qu’on lui avait appris à tenir ses promesses, et lui a demandé pourquoi il ne tient pas celle qu’il a faite de protéger les enfants contre le travail et l’exploitation?» Valérie Khan a les yeux qui brillent lorsqu’elle évoque le cran de cette jeune ouvrière. Depuis mars 2016, le Code pénal pakistanais interdit l’exploitation sexuelle, la traite d’enfants et les châtiments corporels. Enseignement scolaire pour enfants ouvriers De tels moments marquants émaillent le long engagement de Valérie Khan pour les droits des femmes et des enfants.

Elle dirige Group Development (GD), l’organisation partenaire de Solidar, qui lutte contre le travail des enfants au Pakistan, notamment en gérant des centres de formation pour les enfants ouvriers dans un bidonville de Lahore. Les écoles répondent aux besoins des jeunes travailleurs. Ils sont en effet issus de familles très pauvres, qui ont besoin de leur revenu pour survivre. Les horaires scolaires permettent aux enfants de travailler, tout en apprenant leurs droits et comment se prémunir de la violence à laquelle ils sont souvent exposés, tant sur leur lieu de travail qu’au sein de la famille. Dans le même temps, le projet sensibilise parents et employeurs à l’importance de l’enseignement scolaire. Nombre des enfants qui travaillent ne sont jamais allés à l’école ou l’ont quittée trop tôt. Depuis 2014, 500 enfants ont fréquenté les centres et 100 d’entre eux ont rejoint le système d’éducation publique. Là aussi, les coups sont hélas fréquents. «Les enseignant-e-s ne croient pas au potentiel des enfants. Au lieu de leur offrir les moyens de s’épanouir, ils recourent à la contrainte et à la violence», explique Valérie Khan. «Nous les confrontons alors à leur propre vécu: comment se sont-ils sentis à l’école? Quels sont leurs meilleurs et leurs pires souvenirs? Ils comprennent alors ce qu’ils font.» Les enfants travailleurs doivent en effet retrouver le système public. Même s’ils continuent de travailler, ils passeront ainsi davantage de temps à l’école. Les enfants s’investissent Valérie Khan vit depuis vingt ans au Pakistan. «L’amour et mon intérêt pour l’Asie m’ont conduite ici, raconte la Française de 43 ans. Mon mari pakistanais et moi-même étions déjà engagés en politique en France. Je voulais quitter mon pays et lui voulait rentrer au Pakistan. Et même si peu le savent, la société civile est très active ici.» Ancienne enseignante, Valérie Khan tient beaucoup à la participation des enfants. «Qu’ils soient eux-mêmes en mesure de

dire, face aux médias ou à un ministre, dans quel sens leur situation devrait changer, prouve l’efficacité de notre travail. Et c’est aussi le meilleur moyen de faire savoir que les enfants ont des droits», estime cette mère de quatre enfants. Alors que le pays a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant en 1990 déjà, ni la protection des enfants contre la violence ni leur droit à la formation ne sont garantis au Pakistan. Soutenir aussi les parents «Pour que les choses changent vraiment, il importe d’améliorer la situation économique des parents», affirme Valérie Khan. S’ils parviennent à subvenir aux besoins de leur famille, ils seront plus enclins à envoyer leurs enfants à l’école plutôt qu’au travail. Voilà pourquoi le projet les aide à concevoir des plans d’affaires pour fonder un petit commerce. Valérie Khan se souvient de Saba Arif, une jeune mère qui a laissé ses enfants fréquenter le centre de formation informelle après le travail et suivi elle-même une formation continue, puis ouvert un salon de beauté chez elle. «Elle envoie à présent ses filles et ses fils à l’école publique et sensibilise d’autres parents», se réjouit Valérie Khan. Il arrive aussi qu’une mère aille trouver un employeur et lui demande de cesser de frapper son enfant, qu’un employeur réduise l’horaire de travail des enfants pour leur permettre d’aller à l’école ou encore qu’une jeune travailleuse interpelle un ministre au sujet d’une promesse non tenue.

Votre don compte Un don de 50 francs permet de fournir des manuels et du matériel scolaires à cinq enfants. Un don de 80 francs permet de financer la formation de la mère ou du père d’un enfant travailleur et de l’aider ainsi à ouvrir un petit commerce.


OFFREZ UN OURS EN PELUCHE ÉQUITABLE Offrez cette carte pour Noël, ainsi vous améliorez les conditions de travail des ouvriers engagés dans les usines de jouets. Un salaire et des conditions décentes améliorent la vie des travailleurs et de leur famille. CHOISISSEZ VOTRE ILLUSTRATION PRÉFÉRÉE:

Voici comment procéder: • Commandez les nouvelles cartes cadeaux, d’une valeur de 50 francs chacune, à l’aide du coupon-réponse ci-joint ou sur www.solidar.ch/cadeau • Les cartes vous seront livrées avec un bulletin de versement. • Inscrivez ensuite votre nom et celui de la personne destinataire sur la carte.

www.solidar.ch/jouets-equitables Chaque carte offerte soutient les programmes de développement que Solidar Suisse réalise à travers le monde en faveur des personnes défavorisées.

Livraison garantie avant Noël pour toutes les commandes reçues jusqu’au 22 décembre 2016. En cas de question, veuillez nous appeler au 021 601 21 61 ou écrire à contact@solidar.ch.


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