Solidarité 1/2015

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Numéro 1, février 2015

POINT FORT Mobiliser via les médias PAKISTAN Des femmes qui forcent le respect

Le magazine de


2 ÉDITORIAL Chère lectrice, cher lecteur, Les médias, voilà un sujet préoccupant. En Suisse même, c’est leur concentration entre les mains de quelques grandes maisons qui se discute, avec tous les risques de manipulation qu’elle comporte. Tout comme la tendance inverse, à savoir le développement de médias sociaux qui peuvent bien sûr aussi être utilisés pour influencer les gens. Nous nous interrogeons sur la fugacité des médias, nous regrettons la superficialité qui préside au choix et au traitement des thèmes abordés, nous déplorons que la problématique du travail équitable, chère à Solidar, ne puisse être présentée sous toutes ses facettes.

La radio tout particulièrement est un instrument de sensibilisation important pour faire connaître les droits du travail, faire de la prévention contre le sida ou la violence exercée à l’encontre des femmes. Nos collaboratrices et collaborateurs sur le terrain savent se servir de la radio, des médias sociaux et d’autres canaux de communication dans un but responsable.

A l’heure où j’écris ces lignes, j’apprends avec effroi que la rédaction de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, à Paris, a été prise d’assaut par des terroristes et que douze personnes ont été sauvagement assassinées. Je suis triste Esther Maurer Dans les pays où nous sommes présents, et en colère! Après cela, je suis d’autant Directrice de Solidar Suisse les médias préoccupent pour d’autres plus convaincue qu’il est indispensable raisons: c’est à l’aune de la liberté de la de s’engager en faveur des droits hupresse que s’y mesure la liberté d’opinion, qui sert en quelque mains et de la démocratie dans le monde entier, c’est peut-être sorte de «test de la démocratie». Souvent, les médias jouent la réponse la plus efficace pour éviter à l’avenir de tels actes de aussi un rôle informatif et éducatif déterminant dans ces pays. terreur. Esther Maurer

REVUE DE PRESSE

15.12.2014 Création de Solidar Suisse Genève Créé le 23 novembre dernier, Solidar Suisse Genève est un groupe régional au sein de Solidar Suisse. Présidée par Olga Baranova, Solidar Suisse Genève vise à apporter aux personnes défavorisées et opprimées une aide matérielle et à promouvoir leur autonomie, grâce à des projets de coopération au développement. Elle aura aussi comme mission d’informer le public sur les thèmes de la pauvreté et de l’exclusion dans les pays en voie de développement.

18.11.2014 Vevey sait être solidaire La Fédération vaudoise de coopération, réunie la semaine dernière à Vevey, a tiré un coup de chapeau à la commune de la Riviera. «Avec plus de 4 francs par habitant, consacré au total à la solidarité internationale, Vevey fait figure de très bon élève», relève la faitière des ONG. Parmi les villes du canton, Vevey arrive devant Lausanne (3,39) et Nyon (2,42), trois entités qui mènent aussi (mais dans l’ordre inverse) le classement «des villes les plus solidaires», un ranking établi par Solidar qui ajoute les dépenses équitables. Malgré des progrès, les communes vaudoises font toutefois pâle figure face à leurs voisines de Genève.

12.11.2014 Syndicalisme et solidarité sans frontières A la tribune du 55e Congrès de l’Union syndicale suisse à Berne, Dongfang Han, syndicaliste et journaliste chinois a tenu à briser les clichés ordinairement appliqués à la Chine. «Les travailleurs sont en marche. Ils ont beaucoup moins peur qu’avant. Ils n’hésitent plus à bousculer les autorités.» Les syndicats représentés par Dongfang Han et par l’avocate indienne Shalini Gera, seconde invitée, sont soutenus par plusieurs fédérations membres de l’USS, ainsi que par Solidar Suisse – l’ancienne OSEO – et le Solifonds.


3 POINT FORT Les médias comme moyen de promou4 voir le développement Visite à Radio Stereo Mulukukú au Nicaragua

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A la prison pour jeunes de Fortaleza en Bolivie, les détenus réfléchissent à leur situation au travers du théâtre et 8 du cinéma Le personnage fictif Doctora Edilicia conseille les citoyennes et les citoyens boliviens 10 POINT DE VUE La journaliste Jasna Bastic explore le rôle des médias pendant et après la 11 guerre en ex-Yougoslavie

POINT FORT Les médias peuvent contribuer à la lutte contre la pauvreté, à la participation et à un travail décent. Exemples tirés des activités de Solidar Suisse.

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CULTURE La série télévisée nicaraguayenne «Loma Verde» aborde des problèmes sociaux actuels 12 ACTUALITÉ Solidar Suisse a été certifiée pour la qualité de son travail 13 Au Pakistan, de jeunes femmes développent des moyens de subsis15 tance et forcent le respect PORTRAIT Paul Ilboudo est à l’origine de la formation bilingue au Burkina Faso. 18 Un hommage CHRONIQUE

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CONCOURS

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BRÈVES

15 ACTUALITÉ Après les inondations catastrophiques au Pakistan, les personnes affectées reprennent lentement le dessus. Moyennant des formations, Solidar aide des femmes à se reconstruire une base d’existence.

14+17 IMPRESSUM

Editeur: Solidar Suisse, Quellenstrasse 31, Postfach 2228, 8031 Zürich Tél. 021 601 21 61, E-mail: contact@solidar.ch, www.solidar.ch CP 10-14739-9 Lausanne. Membre du réseau européen Solidar Rédaction: Katja Schurter (rédactrice responsable), Rosanna Clarelli, Eva Geel, Lionel Frei, Cyrill Rogger

Layout: Binkert Partner, www.binkertpartner.ch / Spinas Civil Voices Traduction: Ursula Gaillard, Interserv SA Lausanne, Jean-François Zurbriggen Correction: Jeannine Horni, Milena Hrdina Impression et expédition: Unionsdruckerei AG, Platz 8, 8201 Schaffhausen Paraît quatre fois par an. Tirage 37 000 ex.

Le prix de l’abonnement est compris dans la cotisation (membres individuels 50.– par an minimum, organisations 250.– minimum). Imprimé sur papier recyclé et respectueux de l’environnement. Photo de couverture: Un jeune lit le journal dans la rue d’un bidonville de Lahore. Photo: Usman Ghani. Dernière page: Signez la pétition pour une politique climatique équitable. Photo: Spinas Civil Voices.


4 Une reporter du syndicat nicaraguayen des travailleurs et travailleuses agricoles (ATC) informe les auditeurs et auditrices sur les droits du travail.

MÉDIAS Les médias sont un outil de la coopération au développement pour lutter contre la pauvreté, améliorer les conditions de travail ou renforcer la participation politique. Nous présentons dans ce point fort les projets de Solidar qui informent les personnes de leurs droits via les médias et donnent la parole aux plus défavorisés. Que ce soit par la radio, encore largement écoutée dans de nombreux pays, des conseils en ligne ou une telenovela sensibilisant à la thématique de la violence à l’égard des femmes. Mais les médias ne jouent pas seulement un rôle positif durant les périodes de profonde mutation, comme le montre l’exemple de l’ex-Yougoslavie. Photo: Désirée Good


POINT FORT

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6 JUSQUE DANS LES COINS LES PLUS RECULÉS La radio communautaire ouvre une porte sur le monde à la population rurale du Nicaragua, avec des informations sur des sujets d’actualité et sur les droits du travail. Texte: Veronica Pfranger. Photos: albafilms et Veronica Pfranger Une musique joyeuse retentit dans la petite ferme située dans la région vallonnée du Nord du Nicaragua. Vient ensuite le mot de la présentatrice: «Nous sommes de retour et nous vous invitons à partager avec nous une ’heure pour la Femme’». C’est la voix de Jazmina Jarquín, speakerine de «Radio Stereo Mulukukú», que même cette petite ferme isolée parvient à capter. Nous sommes accueilli-e-s par Jazmina Jarquín et Norma Valdéz dans le studio de la radio. Ce local, petit mais bien aménagé, se situe dans la municipalité de Mulukukú et est dirigé par le réseau de femmes Ana Lucila. Les deux jeunes femmes préparent déjà la prochaine «heure pour la Femme». Une demi-heure plus tard, elles sont à l’antenne et alors que cinq minutes à peine se sont écoulées, le téléphone du studio se met à cli-

gnoter pour la première fois. «Serait-il possible que vous ne diffusiez pas votre émission le matin?», demande la femme au bout du fil. «J’aimerais vraiment continuer à suivre vos conseils en matière de prévoyance santé, mais mon mari cache la radio pour que je ne puisse pas écouter ces choses ‹inutiles et indécentes›. Et le matin, il travaille dans le champ.» Jazmina Jarquín ne peut pas répondre favorablement à cette demande. En revanche, elle discute avec la femme de la manière dont elle peut continuer à écouter l’émission et peut-être même susciter l’intérêt de son mari pour la radio. Nous observons, fasciné-e-s, Jazmina répondre aux questions des auditeurs et auditrices avec compétence et de manière constructive. Petite fille déjà, elle rêvait de devenir reporter à la radio. «Je souhaitais être la voix de ceux

Jazmina Jarquín au micro dans le studio de Radio Stereo Mulukukú.

qui ne peuvent pas exprimer eux-mêmes leurs besoins ni leurs idées, mais qui veulent se faire entendre anonymement grâce à la radio.» Formation et sensibilisation La radio établit un lien important avec le vaste monde, en particulier dans les régions reculées où l’on cuisine encore sur un foyer à feu ouvert et où les maisons sont éclairées à l’aide de lampes à huile. La majeure partie des agriculteurs et agricultrices écoutent la radio pendant leurs journées de travail. Mais il s’agit également d’un moyen de communication largement employé dans les villages. C’est la raison pour laquelle des hommes et des femmes engagé-e-s utilisent la radio afin d’atteindre grâce à des campagnes les habitant-e-s des régions excen-


POINT FORT 7 Norma Valdéz, Arelis Gaitán Arauz, Lucía Herrera et Jazmina Jarquín souhaitent participer à l’amélioration de la situation des femmes.

sexes, que les droits et les devoirs des Participation de l’audience citoyens, le droit du travail et la protec- Lucía Herrera, productrice de radio à La tion de l’environnement, mais également Dalia, nous fait écouter l’une des «Cuñas», l’amélioration des méthodes de produc- des jingles qu’Ana Lucila diffuse en son nom et qui sont en général particulièretion agricole. Afin de favoriser la sensibilisation, on ment bien accueillis: «La basura en su évite intentionnellement de diffuser des lugar y la violencia a la basura», «les déchansons dont le texte est vulgaire ou fait l’apologie «Je souhaite être la voix de la violence. «Il est imporde ceux qui ne peuvent pas tant que les hommes aussi s’exprimer eux-mêmes.» coopèrent», souligne Norma Valdéz. «Le public masculin peut ainsi entendre parler de thèmes chets vont à la poubelle et la violence est tabous dont les hommes ne discutent un déchet». Les émissions auxquelles les pas autrement, ou tout du moins sans que auditeurs et auditrices peuvent participer la discussion ne soit tournée en dérision activement par téléphone ou en tant parce qu’une femme souhaite donner son qu’invité-e-s en studio sont particulièreopinion.» C’est pourquoi les différents ment appréciées. Les animateurs apthèmes dans les émissions de radio com- prennent souvent par d’autres biais que munautaires sont traités par des équipes leurs émissions sont écoutées et leurs conseils suivis. Ainsi, une femme maltraimixtes. tée qui déposa une plainte auprès de la police raconta qu’elle avait osé faire cette démarche uniquement parce qu’une Projets radio de Solidar Suisse émission de radio sur ce thème lui en avait donné le courage. «Des retours tels Différents projets de Solidar font appel à la radio comme média pour le travail de que celui-ci et les nombreux appels des sensibilisation. Outre Radio Stereo Mulukukú (voir article), les syndicats des emploauditeurs et auditrices nous motivent yé-e-s de maison et des coupeur-se-s de cannes à sucre en Bolivie, les syndicats énormément», déclare tout sourire Lucía du Service public au Salvador ou l’Africa Labour Media Project (ALMP) dans le sud Herrera, qui tire de son expérience à la de l’Afrique informent les auditeurs et auditrices sur les droits du travail. L’ALMP radio également un bénéfice sur le plan produit des émissions hebdomadaires dans dix pays du sud de l’Afrique. Elles sont personnel. «J’ai moins peur d’aborder des l’occasion d’aborder des thèmes variés qui intéressent les travailleur-se-s, notamsujets importants pour moi et mon comment le salaire minimum, les multinationales en Afrique, les changements climatiques ou encore le VIH et le sida. www.solidar.ch/almp-fr portement sensibilise aussi ma famille.» www.solidar.ch/ana_lucila

trées. À Waslala, à La Dalia, à Mulukukú et dans bien d’autres endroits où Solidar Suisse mène des activités, la radio est un élément clé des campagnes de sensibilisation. «Je me suis simplement installée derrière le micro et j’ai parlé des derniers ateliers ou j’ai lu le bulletin d’Ana Lucila», explique Norma Valdéz en se souvenant de ses débuts. Plus tard, la formation technique et journalistique est devenue un élément primordial du projet. Les stations de radio proposent désormais un grand choix de programmes de formation adaptés en fonction de l’âge, du sexe et du métier. Les animateurs accordent une attention particulière au milieu dans lequel les auditeurs et auditrices évoluent. «Si le message passe, c’est aussi parce que nous parlons leur langue», affirme Norma Valdéz. L’éventail des thèmes abordés inclut aussi bien la prévention de la violence, la sexualité et l’égalité des


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Des jeunes montent leur propre pièce de théâtre lors d’un atelier de LanzArte.

TOUTE PRISON A SA FENÊTRE Entre les murs de la prison de Fortaleza en Bolivie, Solidar Suisse permet à des jeunes de prendre la parole, grâce au spectacle vivant. Texte et photo: Stéphane Cusin

Le Centro Fortaleza San Guillermo de Malavalle de Santa Cruz, en Bolivie, est un lieu de détention destiné à des garçons de 14 à 16 ans, ayant commis des actes relevant du droit pénal. Pour ces jeunes, un juge a prononcé une peine d’emprisonnement en reconnaissance d’un crime. La durée moyenne d’incarcération est de deux ans pour des peines allant de quelques mois à cinq ans. Le site est entouré d’un mur d’enceinte. Différents pavillons de briques rouges forment un ensemble. Les détenus suivent des ateliers scolaires et préprofessionnels, notamment des cours d’informatique et d’électricité. Ils contribuent aux tâches ménagères et à la préparation des repas. Fortaleza abrite huit cellules de cinq lits, au confort rudimentaire.

d’une énergie magnifique. Certains jours, Le spectacle vivant A Fortaleza, LanzArte (voir encadré) offre je dois aller les chercher dans leur cellule, l’opportunité aux jeunes incarcérés de les convaincre de participer à l’atelier. Ils créer leur spectacle, avec le soutien de méritent tous que je m’engage pour eux!» metteurs en scène ou de cinéastes tel Chico, facilitateur de théâtre, la soixan- Pedro, Edouardo et Luis montent taine, barbe blanche et petites lunettes. sur les planches Dans un regard croisé, les jeunes disent Aujourd’hui est un jour particulier à Fortade Chico: «C’est un gars extraordinaire! Il leza. Les jeunes présentent à leurs codénous encourage. Il nous écoute. Il nous tenus les fruits de leur travail artistique. fait confiance. Avec lui nous apprenons à écrire des «Ce sont des jeunes pleins histoires, à interpréter des rôles, à monter des films. de ressources, dotés d’une Évidemment, les garçons énergie magnifique.» n’ont pas l’habitude d’être respectés. Et vous Chico, que pensez vous de ces jeunes? «Ce sont Quatre jeunes interprètent les acteurs des jeunes pleins de ressources, dotés d’une audience: le juge, le procureur et les


CHRONIQUE

THEMA 9

LanzArte LanzArte permet à des jeunes de parler de leur vie quotidienne au travers du théâtre, de la danse, voire de productions cinématographiques. Fondé il y a sept ans, LanzArte a essaimé sur l’ensemble du territoire national, de La Paz à Santa Cruz, de Sucre à Cochabamba, d’El Alto à Huanuni. Dans les différentes régions du pays, les spectacles prennent forme grâce aux idées et à l’expression personnelles des enfants, des adolescents et des jeunes adultes. Au travers d’improvisations, ils esquissent leurs scénarios. www. solidar.ch/bolivie

deux prévenus. La scène est rejouée plusieurs fois avec des personnages aux comportements différents. Le public réagit, applaudit. Pour tous, ce spectacle est une expérience vécue, une partie de leur propre histoire. En seconde partie, un film tourné dans l’enceinte du centre de détention est projeté. Il raconte l’histoire d’une famille: un père violent, une mère en souffrance, le fils désemparé et un groupe de copains, pas toujours fréquentables. Le fils tente de fuir sa réalité familiale

et la «descente» commence. Les spectateurs sont concentrés sur l’histoire, pas un bruit dans la salle. Enfant d’une famille démunie du village de Yotala, étudiante à l’université de Sucre, garçon incarcéré à Fortaleza: les créations de ces jeunes parlent de la vie en Bolivie. Ils content des histoires dans lesquelles on parle d’amour, de respect, de violence, d’un bon travail, de fonder une famille. Et si les rêves des jeunes boliviens étaient semblables à ceux des enfants de l’ensemble de la planète? Remise des certificats… libre! Les lumières s’allument. Les jeunes applaudissent et Chico enroule l’écran de projection. Cette représentation marque la fin d’un cycle de création. Le directeur de la prison demande le silence. «Aujourd’hui, je vais remettre un certificat aux participants des ateliers de LanzArte!». A tour de rôle, il appelle les jeunes acteurs de cette aventure: «Pedro!» Pedro* s’avance, vient chercher son diplôme et serre la main de son directeur. «Edouardo!». Puis: «Luis!, Luis!!, Luis!!!». Alors les jeunes s’écrient: «Libre!». Sa peine purgée, Luis a quitté Fortaleza pour recouvrer la liberté. *Prénoms d’emprunt

Porte et murs extérieurs de la prison pour jeunes Centro Fortaleza dans la ville bolivienne de Santa Cruz.

Hans-Jürg Fehr Président de Solidar Suisse

En marge Voilà peu, on n’aurait pas pu l’imaginer même dans ses pires cauchemars: un membre du Conseil fédéral propose à ses consœurs et confrères que la Suisse dénonce la Convention des droits de l’homme (CEDH). Son parti, l’UDC, joue la musique de fond avec son initiative populaire «le droit suisse prime sur le droit étranger». Le parti le plus fort du pays veut que la Suisse tourne le dos à l’un des systèmes de valeurs majeurs de la planète. Il se distancie de la substance fondamentale de la civilisation européenne, et de toute la planète. Il prend aussi ses distances avec la quintessence de la conception bourgeoise et démocratique de la société. Dans cette conception, rien n’importe plus que la protection de l’individu vis-à-vis de l’Etat, de l’Etat démocratique également. Les droits fondamentaux inscrits dans la Constitution fédérale, la CEDH et la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU, contraignante pour tous ses membres, garantissent triplement cette protection. Les droits de l’homme sont non seulement universels, mais échappent encore aux décisions populaires prises à la majorité, décisions qui peuvent aller dans un sens ou dans un autre. Ils ne se marchandent simplement pas, nulle part, pas plus en Suisse qu’ailleurs. Ils définissent l’humanité en tant que telle. Ils n’imposent pas de limites à la démocratie contrairement à ce qu’imaginent Ueli Maurer et l’UDC, mais sont plutôt une composante d’un ordre démocratique qui connaît et protège non seulement les majorités mais aussi les minorités et les individus.


10 POINT FORT Dessin de Doctora Edilicia vers qui de nombreux-ses Bolivien-ne-s se tournent pour parler de leurs préoccupations.

DOCTORA EDILICIA A LA SOLUTION En Bolivie, un personnage inventé par Solidar jouit d’une grande popularité: Doctora Edilicia. Texte et photos: Joachim Merz cienne coordinatrice du PADEM, Marlene Berríos, prête sa voix et son apparence à Doctora Edilicia. «Nous avons mis cette hotline en place au bon moment. Les gens avaient de nombreuses questions», explique-t-elle. «Et, avec Doctora Edilicia, nous avons trouvé une manière à la fois créative et ludique de réagir aux préoccupations de la population.» Le personnage fictif de Doctora Edilicia et sa source d’inspiration: Marlene Berríos.

De quelle manière une municipalité implique-t-elle ses citoyen-ne-s dans les décisions relatives aux investissements? Que peuvent faire les citoyen-ne-s lorsqu’ils ont des soupçons fondés de corruption sur l’administration communale? En Bolivie, Doctora Edilicia apporte depuis dix ans des réponses à ces questions. C’est l’incroyable histoire d’une personnalité qui n’existe pas: Doctora Edilicia est un produit de communication faisant partie du projet PADEM de Solidar (voir encadré). Ce personnage fictif a été créé en 2004, lors de la mise en place d’une hotline gratuite sur la politique communale. Depuis, l’an-

Un personnage populaire Aujourd’hui, Doctora Edilicia est une célébrité nationale. Marlene Berríos se rend à des foires aux livres et dédicace des ouvrages. Comment vit-elle l’existence de cet alter ego? «Dans la rue, les gens sont nombreux à s’adresser à moi en tant que Doctora Edilicia. Cela ne me dérange pas. Au contraire. Cela montre à quel point notre campagne a fonctionné. Le niveau municipal est très important pour la participation politique des individus, parce qu’il est au plus près d’eux.» Le maire de La Paz s’est déjà plaint, sur le ton de la plaisanterie, que les habitant-e-s de sa ville lui menaient la vie dure car ils écoutent les conseils de Doctora Edilicia. Quant au magnat du ciment Samuel Doria Medina, candidat de l’opposition lors des élections présidentielles de 2014, il a critiqué Doctora Edilicia car elle affirme que les investissements dans les infra-

structures ne suffisent pas. Selon elle, il importe aussi d’améliorer la qualité des services de santé et de la formation. Cela signifie avant tout qu’il faut investir dans les employé-e-s, en favorisant leurs qualifications, leur motivation et leur capacité à s’occuper d’élèves ou de patients. En outre, toutes les personnes concernées doivent participer aux processus de décision. De la hotline à Facebook La hotline gratuite n’est aujourd’hui plus en fonctionnement faute de ressources. Mais Doctora Edilicia reste toujours aussi présente pour les citoyen-ne-s grâce à la radio et aux réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter et Youtube. Ainsi, des programmes de 30 secondes présentent à la radio des questions actuelles liées à la politique communale. Elles sont ensuite publiées sur www.doctoraedilicia.com. Doctora Edilicia reçoit par ailleurs une centaine de questions chaque mois via les réseaux sociaux. «2015 est une année décisive pour la politique communale et pour les municipalités qui luttent contre la corruption et font face à des problèmes d’efficacité. C’est également en 2015 qu’il sera décidé si le processus de recentralisation devra prendre de l’ampleur, auquel cas les compétences seraient de nouveau davantage concentrées au niveau du gouvernement central, ou bien si l’autonomie des municipalités sera renforcée», déclare Marlene Berríos. La voix de Doctora Edilicia n’a pas fini de se rendre utile.

PADEM Avec le PADEM (programme d’aide pour la démocratie communale), Solidar Suisse s’engage en faveur de l’autonomie communale. Renforcer la démocratie au niveau local est en effet le meilleur moyen pour améliorer les prestations du service public. www.solidar.ch/democratisation


POINT DE VUE 11

LE COMMERCE COMPROMET L’INDÉPENDANCE Quel rôle les médias jouent-ils en ex-Yougoslavie dans le cadre des changements qui font suite à la guerre? Texte: Jasna Bastic, journaliste, auparavant membre de Medienhilfe Ex-Jugoslawien

Dans la maison de mon enfance, des journaux qui valaient le coup d’être lus traînaient un peu partout. Tous les jours, la famille se réunissait devant la télévision à 20 heures pour découvrir ce qui s’était passé dans le monde. Aujourd’hui, lorsque je me rends dans ma ville natale, Sarajevo, je m’informe très peu par le biais des médias locaux. Je me contente d’acheter le quotidien Oslobodjenje, par nostalgie. Ce que je vois? Un tas de magazines de presse people et de chaînes de télévision commerciales dont les programmes phares sont des émissions de téléréalité. Les innombrables journaux, magazines et chaînes de télévision régressent en termes de qualité par rapport aux médias indépendants qui nous étaient proposés dans les années 1990. Beaucoup de mes ami-e-s se réfugient dans le monde virtuel et se tiennent informés grâce aux médias internationaux et aux blogs et portails locaux. Mais ces plates-formes sociales non réglementées ne peuvent pas remplacer les médias professionnels et le journalisme de qualité, et ce malgré leur réactivité. Les médias indépendants Cela peut sembler paradoxal, mais pendant la guerre et sous le régime autoritaire, divers journaux indépendants offraient une qualité journalistique supérieure à celle proposée par les médias actuels. En Croatie, en Bosnie, en Serbie

et au Kosovo, des journalistes, des pouvoir politique et les intérêts éconorédacteurs et des rédactrices incroyable- miques. Les médias s’inscrivent en quelment courageux-ses, doué-e-s et pro- que sorte dans leur prolongement, ce qui fessionnel-le-s se sont élevé-e-s contre peut s’avérer particulièrement utile lors les divisions religieuses et ethniques et des élections. Dans ces circonstances, contre la guerre, même sous les régimes les médias indépendants n’ont aucune nationalistes répressifs. Ces médias chance de survie. étaient reconnus par les institutions internationales et bénéfiLes médias sont le ciaient d’un soutien politique et financier, notamment de la part prolongement des élites de l’ONG suisse Medienhilfe ethniques en place. Ex-Jugoslawien, sans lequel ils n’auraient pas survécu durant ces temps difficiles. Et même s’ils n’attei- Or, sans des médias indépendants et gnaient pas de larges masses, ils responsables, indispensables au bon s’opposaient à la propagande nationale fonctionnement de toute démocratie, il et leurs révélations au sujet des crimes est difficile d’envisager des changements de guerre trouvaient un large écho. dans la société. Le temps des liquidations totales Le grand effondrement des médias a eu lieu après la guerre. Les riches hommes d'affaires et ceux qui ont profité de la guerre ont racheté les grands médias imprimés et électroniques. Certains en ont fondé de nouveaux, placés entièrement sous leur contrôle. Ils considèrent les médias comme une activité ordinaire, comme un produit de marché permettant de faire de la publicité et des bénéfices – et cela fonctionne avec les magazines de presse people. Ces nouveaux capitalistes sont étroitement liés aux élites ethniques en place puisqu’ils partagent le

Solidar soutient les jeunes Solidar soutient les jeunes des différents pays d’Europe du Sud-Est, particulièrement touchés par le chômage, dans leurs démarches pour entrer dans la vie active. Solidar contribue par ailleurs à favoriser une meilleure entente entre les différents groupes ethniques. www.solidar.ch/jeunesse


12 CULTURE

UNE SÉRIE TÉLÉ SENSIBILISE LES GENS

Photos du tournage de Loma Verde (de gauche à droite): Merche, une pause sur le lieu de tournage, Jessica Maria et Zoraida, Silverio El Brujo.

La série télévisée nicaraguayenne Loma Verde a pour but de sensibiliser le public aux problèmes sociaux. Une réussite. Texte: Carmen Ayón. Photos: Fundación Luciérnaga Loma Verde est un petit village fictif dans la région rurale du nord du Nicaragua, où la vie semble à priori se dérouler sans encombre. La série télévisée du même nom met cependant en lumière des problèmes sociaux bien réels. Et c’est une première que le quotidien des personnes vivant à la campagne – un tiers de la population – soit le sujet central d’une série. Loma Verde parle leur langue, écoute leur musique et aborde des sujets qui les concernent. Un simple aperçu des protagonistes permet de comprendre sur quoi l'accent est mis: il y a tout d'abord Merche, le personnage principal joué par Elizabeth Torrez, dont l'expérience personnelle influence l'histoire. Merche est maltraitée physiquement et moralement par son compagnon,

Chico. Il menace même de la tuer. Merche finit par quitter Chico, porte plainte contre lui et se réfugie dans un centre d'accueil pour femmes battues avec ses trois enfants. Son amie Carmen, médecin et psychologue, la soutient dans cette démarche. Merche sort peu à peu de la spirale de la violence et s'émancipe. Jessica Maria et Zoraida, deux jeunes femmes, se rendent à Chinandega, attirées par de fausses promesses. Située non loin de la frontière du Salvador, cette ville se trouve sur la route principale utilisée par les réseaux de trafiquants d'êtres humains. À Chinandega, Jessica et Zoraida sont envoyées contre leur gré au Guatemala, où elles sont exploitées sexuellement. Yulisa, 16 ans, subit des

Lutte contre la violence Solidar Suisse soutient la série produite par Felix Zurita et la fondation Luciérnaga. Nos organisations partenaires diffusent Loma Verde sur des chaînes locales. Elles organisent en outre des événements et des ateliers réunissant des jeunes et des représentant-e-s de l’Eglise ou d’institutions avec lesquels ils peuvent discuter des problèmes actuels, en fonction du thème de l’épisode diffusé. Ces manifestations permettent de chercher des solutions pour améliorer la formation et d’initier des actions pour dénoncer la violence. www.fundacionluciernaga.org (en espagnol)

agressions sexuelles de la part de son oncle. Lorsqu'elle se rend compte qu'elle est enceinte, elle décide de se confier à sa tante. Au lieu de la protéger, cette dernière rejette la faute sur elle. Yulisa souhaite interrompre cette grossesse non désirée, ce qui n'est pas une chose aisée au Nicaragua, où l'avortement est considéré comme légal uniquement si la vie de la mère est en danger. Elle n'est épaulée ni par sa famille, ni par son petit ami; seules ses amies la soutiennent. Silverio El Brujo est retourné vivre dans les montagnes pour échapper à la discrimination dont sont victimes les homosexuels. Pendant ses heures de «consultation», il reçoit de nombreux hommes qui aimeraient changer leur comportement. Il s’emploie à élargir leurs représentations des rôles et comportements des hommes, au-delà des stéréotypes traditionnels. La première saison de Loma Verde, diffusée chaque semaine pendant trois mois à la télévision nicaraguayenne et sur vingt-deux chaînes locales, a remporté un vif succès. La diffusion de la deuxième saison est prévue pour cette année.


ACTUALITÉ 13

UN LABEL DE QUALITÉ POUR SOLIDAR Solidar Suisse a été certifiée pour la qualité de son travail par SQS*. Barbara Burri, responsable du service de la qualité auprès de Solidar, explique la signification de cette certification. Interview: Katja Schurter. Photo: Andreas Schwaiger également permis à Solidar Suisse de se situer par rapport à d’autres organisations actives dans un environnement international.

Barbara Burri

Solidar a décroché une certification en décembre dernier. De quoi s’agit-il concrètement? Il s’agit d’une certification QaP, autrement dit «qualité comme process». Pour la Fondation européenne pour la gestion de la qualité (EFQM), des organisations internationales de coopération au développement de premier plan ont élaboré des standards et de bonnes pratiques permettant d’évaluer une organisation. Après ISO, EFQM est le second système de gestion de la qualité. Mais il fonctionne tout à fait différemment d’ISO. Pourquoi Solidar a-t-elle opté pour ce système? Le système QaP ne fait pas que représenter les processus mais répertorie surtout leurs effets concrets. Il sous-tend donc aussi une organisation en plein apprentissage, cherchant systématiquement à s’améliorer. Les besoins des employés et des partenaires sont pris en compte ainsi que ceux des bénéficiaires et des donateurs. La certification a été décernée suite à une évaluation qui a

première organisation suisse de développement à recevoir la certification QaP. Mais indépendamment de cela, nous nous engageons en faveur d’un processus d’apprentissage permanent: d’ici à la fin février, nous devons définir des mesures à réaliser en l’espace d’un an. Le processus de certification a également dynamisé d’importants secteurs opérationnels: la mise en place du service des ressources humaines est ainsi un objectif de la nouvelle stratégie. Le problème

Pour quel résultat? Où se situent les forces et les faiblesses de Solidar? Les employés de Solidar disposent d’une grande marge de manœuvre dans un cadre prédéfini, ce qui a un effet positif sur leur motivation. L’élaboration et la mise en œuvre des projets et des campagnes ont été considérées comme excelLe processus de certification lentes ainsi que les a dynamisé d’importants relations avec les bénéficiaires et les donasecteurs opérationnels. teurs. En janvier 2014, au moment du lance- était certes déjà connu, mais comme il a ment du processus de certification, des été explicitement cité comme faiblesse faiblesses stratégiques ont encore été dans la certification, nous nous y attelons diagnostiquées. Nous les avons cepen- sans délai. dant entre-temps gommées moyennant un intense travail stratégique reposant Comment garantir la poursuite du sur une base élargie et donnant à l’orga- processus une fois la certification nisation une orientation claire pour les obtenue? prochaines années. Des progrès poten- L’audit annuel et la recertification trientiels ont été identifiés dans la gestion nale nous obligent à persévérer. Pour des connaissances et des ressources moi, il est primordial d’une part qu’une humaines. Ce dernier point faible tient personne soit responsable de la gestion au fait que nous n’avons pas de service de la qualité et que des ressources en du personnel spécifique; nous atteignons personnel soient mises à la disposition là nos limites comme organisation de de cette tâche et, d’autre part, qu’un thème prioritaire stratégique soit enracimoyenne importance. né dans l’organisation d’ensemble et au niveau de la direction. Que signifie cette certification réussie pour Solidar? Une grande joie! Ce qui nous réjouit par- * Association suisse pour systèmes de qualité ticulièrement, c’est évidemment d’être la et de management


14 BRÈVES

Droits humains: responsabiliser les multinationales Au printemps 2015, Solidar Suisse et d’autres organisations à l’origine de la campagne «Droit sans frontières» lanceront une initiative pour interpeller les milieux économiques sur le respect des droits humains et la protection de l’environ-

Création de Solidar Suisse Genève

Le 24 novembre ont été signés les statuts de «Solidar Suisse Genève». Cette association-fille permettra de renforcer notre ancrage dans la cité de Calvin afin d’y développer nos activités de sensibilisation et de communication. Elle permettra aussi de créer des liens avec les nombreux acteurs de Genève engagés dans la coopération et de bénéficier du soutien financier des communes genevoises, via la Fédération genevoise de coopération (FGC). L’association est présidée par Olga Baranova.

nement. Cette initiative pour responsabiliser les multinationales vise à protéger les droits humains à l’échelle mondiale – conformément aux principes de l’ONU – et préconise l’introduction de règles qui contraignent les grandes sociétés à vérifier que ces droits sont bel et bien respectés. Les modalités pratiques de cette campagne, en voie d’élaboration, seront rendues publiques en avril. Elles concrétisent plusieurs postulats énoncés au niveau international. Les Etats sont en effet de plus en plus nombreux à édicter des directives pour s’assurer que les entreprises présentes sur leur territoire mesurent et contrôlent l’impact de leur activité en termes de droits humains.

Apporter un soutien régulier à Solidar La coopération au développement est une entreprise de longue haleine. Elle ne cherche pas des résultats immédiats, mais des succès durables. Des changements sociaux et politiques en profondeur nécessitent la présence de partenariats fiables et un engagement à long terme. Pour cela, nous avons besoin de votre soutien. Nous vous proposons de le concrétiser par le biais d’un ordre permanent. Le montant que vous souhaitez allouer à Solidar sera débité automatiquement de votre compte. Vous gardez bien sûr le contrôle sur vos versements, car vous pouvez toujours résilier ou modifier votre ordre de paiement dans les trente jours. Vos versements arriveront ainsi sur notre compte sans frais et l’entièreté de la somme pourra être consacrée à nos projets, ce qui n’est pas le cas des versements effectués au guichet. Le prospectus joint à ce numéro vous donnera plus de renseignements.

Salvador: toujours plus de mineur-e-s migrent aux Etats-Unis Depuis le 1er octobre 2013, les autorités américaines ont intercepté plus de 60’000 mineur-e-s non accompagné-e-s passant illégalement la frontière. La plupart proviennent du Honduras (29%), du Salvador (23%), du Guatemala (24%) et du Mexique (22%). Selon l’autorité d’immigration américaine, le nombre d’enfants migrant depuis le Salvador a bondi de 197% de 2011 à 2014. Cette hausse massive est due non seulement à la violence, au crime organisé et à la pauvreté, mais aussi aux bonnes affaires que réalisent les passeurs. Appelés «coyotes», ces trafiquants d’êtres humains exigent de 6000 à 7000 dollars par personne. Le phénomène s’est intensifié depuis que les cartels mexicains de la drogue se sont étendus au Salvador, au Honduras et au Guatemala. Les «coyotes» répandent par ailleurs le bruit que les mineurs ne seraient pas déportés après avoir franchi la frontière mais regroupés avec les membres de leur famille déjà présents sur sol américain. Barack Obama réfute ces mensonges et étaie ses dires par des rapatriements. Le gouvernement salvadorien a réagi par le biais d’une campagne montrant les dangers qui guettent les enfants migrant sans accompagnants et négocie avec les Etats-Unis pour que les jeunes ayant déjà des membres de leur famille aux Etats-Unis puissent les rejoindre. Les organisations partenaires de Solidar mènent aussi une campagne d’information sur la migration, les droits liés au regroupement familial et l’asile.


ACTUALITÉ 15

«J’AI DE L’IMPORTANCE AUX YEUX DE CHACUN» Au Pakistan, de jeunes femmes développent des moyens de subsistance et forcent le respect grâce à des formations de Solidar Suisse. Texte: Katja Schurter. Photo: Usman Ghani «Avant, je cousais uniquement des habits simples pour les enfants et j’étais payée 50 roupies (50 centimes) la pièce», raconte Soni Gul, 24 ans, du village de Charsadda, dans le nord-ouest du Pakistan. «Grâce à la formation de Solidar, je peux maintenant coudre des habits au design complexe et je gagne 350 roupies par habit.» Et ce n’est pas tout: «Des habitants aisés passent désormais commande auprès de moi alors qu’ils allaient auparavant chez le tailleur de la ville.» Plus grande liberté de mouvement Depuis les inondations catastrophiques de 2010 au Pakistan, Solidar Suisse soutient les personnes affectées en leur permettant de se reconstruire une existence digne. La maison de la famille de Soni Gul avait été détruite par les inondations et la famille n’avait plus de revenu car le père de Soni ne pouvait plus travailler depuis son infarctus. Depuis qu’elle a suivi une formation en couture, Soni Gul apporte un revenu essentiel à sa famille, ce qui a aussi amélioré ses propres libertés. «Je vais au marché pour acheter du tissu et voir les

designs à la mode». Une autonomie qui n’est pas une évidence dans les zones rurales du Pakistan, où de nombreuses femmes ne peuvent pas quitter leur maison sans être accompagnées. Et comme elle s’est révélée être une couturière talentueuse, elle partage désormais ses connaissances avec d’autres femmes. Bien que certains villageois voient d’un mauvais œil la nouvelle indépendance de Soni, elle ne se laisse pas impressionner. Encouragée par son père, elle se réjouit d’avoir amélioré sa position au sein de sa famille. «J’ai de l’importance parce que je prends soin de ma famille. Et comme je finance les études de mon frère, je suis respectée.» Impliquée dans les décisions Agée de 18 ans, Sobia Dilbar vient du village voisin de Nowshera. Elle aussi a suivi une formation, mais en broderie. Comme journalier, son père n’a pas de revenu régulier et ne peut pas subvenir aux besoins des huit membres de la famille. Celle-ci vit dans les conditions les plus précaires, et même dans une seule pièce depuis les inondations. Sobia a

En cousant des habits, Soni Gul de Charsadda contribue de façon décisive à l’entretien de sa famille.

aussi appris la broderie à ses deux sœurs et, ensemble, elles gagnent environ 6000 à 7000 roupies par mois (60 à 70 francs). «Avec cette somme, nous pouvons couvrir les frais de nourriture et de médicaments et prendre le loyer en charge. Mais pour l’habillement, cela ne suffit pas le plus souvent, raconte-t-elle. On me passe des commandes au marché. Je sais maintenant ce qui plaît aux gens et quels sont les prix. Je négocie avec les vendeurs avec l’aide de ma mère.» En revanche, Sobia Dilbar ne devrait jamais aller à l’école car une formation scolaire a été réservée à ses trois frères. D’abord, son père ne voulait pas non plus qu’elle suive une formation. «Lorsqu’il s’est rendu compte que je travaillais dur et que mon labeur rapportait de l’argent, il a commencé à me soutenir», lâche celle qu’on implique désormais dans les décisions: «Il y a quelques années, mon père a vendu du terrain et nous l’avons appris par des gens du village. Maintenant, il discute d’abord avec nous.» www.solidar.ch/existence

Votre don compte Votre don de 70 francs permet de fournir un équipement de base – machine à coudre, ciseaux, fer à repasser, mètre, aiguilles et fil – à une femme ayant suivi une formation et souhaitant lancer son atelier.


16 CONCOURS LE SUDOKU DE SOLIDAR 6

1

2

1 7 6 3

Règles du jeu Complétez les cases de la grille avec les chiffres de 1 à 9 afin qu’il n’y ait aucune répétition et aucun doublon dans chaque colonne, ligne et carré de 3x3. La solution se trouve dans les cases grises lues horizontalement selon la clé ci-dessous: 1 = D, 2 = L, 3 = C, 4 = A, 5 = S, 6 = M, 7 = E, 8 = O, 9 = I

5

3

5 8 5

7 4

9 7

6 1

3

Envoyez la solution à Solidar Suisse sur une carte postale ou par e-mail à contact@solidar.ch, sujet «sudoku».

4 5

1er prix: un sac à dos LanzArte 2e prix: un T-shirt LanzArte 3e prix: un porte-clés Doctora Edilicia

8

9 Les prix sont des productions de Solidar Bolivie.

7

3 9

8

La date limite d’envoi est le 16 mars 2015. Le nom des gagnant-e-s sera publié dans Solidarité 2/2015. Le concours ne donne lieu à aucune correspondance ni à aucun recours. Le personnel de Solidar n’a pas le droit d’y participer.

3

La solution de l’énigme parue dans Solidarité 4/2014 était «catastrophe». Jean-Marc Fasmeyer de Bramois a gagné une corbeille à papier, Roswitha Muoth de Rickenbach un porte-documents et Gertrud Eberhard de Biberist un panier à fruits. Nous remercions les productrices et producteurs srilankais de Palmyra pour les prix. Merci également à l’ensemble des participant-e-s.

Solution

Invitation Assemblée générale de Solidar Suisse 2015 Mardi 5 mai à 16 h 30 au Volkshaus, Salle bleue, Stauffacherstr. 60, 8004 Zurich Programme 16 h 30: Assemblée statutaire Tou-te-s les membres de Solidar Suisse sont invités. Merci de vous inscrire d’ici au 1er avril 2015 à l’aide du talon-réponse ci-joint, par e-mail (contact@solidar.ch) ou par téléphone (044 444 19 19). Un apéritif sera ensuite servi 18 h 30: Conférence publique sur le Burkina Faso avec la participation de Paul Ilboudo L’initiateur de la formation bilingue et coordinateur national de longue date de Solidar au Burkina Faso prend sa retraite cette année. A cette occasion, Paul Ilboudo évoque ses riches expériences, l’engagement de 25 ans de Solidar Suisse au Burkina Faso ainsi que les succès et les défis sur fond des récents développements politiques au Burkina Faso (voir article en page 18). Complément d’information sur: www.solidar.ch/agenda


BRÈVES 17

Salvador: la protection civile adopte un plan d’urgence de Solidar Les projets de Solidar pour prévenir les catastrophes naturelles ont permis de mettre en place un système d’alerte précoce et de protection dans les commu-

Projets en faveur des victimes du tsunami au Sri Lanka: bilan positif Une étude indépendante sur l’efficacité des projets d’aide d’urgence développés après le tsunami, mandatée par la Chaîne du bonheur, conclut à un résultat positif. Selon cette évaluation d’impact publiée à la mi-décembre 2014, qui s’est aussi intéressée aux projets de Solidar Suisse, presque 90% des bénéficiaires sont en mesure de couvrir leurs besoins élémentaires aujourd’hui. Un peu plus de 10% d’entre eux sont encore aux prises avec de grosses difficultés. Au Sri Lanka, Solidar s’est engagée dans l’aide humanitaire après le tsunami de 2004, ainsi que dans la reconstruction à long terme après la guerre civile. Solidar y épaule des groupes de paysannes et de pêcheurs qui cultivent des arachides, des algues et du piment, ou fabriquent des balais et des brosses. Les activités déployées par Solidar au Sri Lanka confirment une thèse centrale de l’étude d’impact: miser sur l’acquisition d’un revenu s’est avéré positif là où l’on a pu s’appuyer sur des structures, des compétences et des opportunités déjà existantes. www.solidar.ch/nouvelles

nes situées dans le bassin versant du Rio Lempa, le plus grand fleuve du pays. En octobre 2014, un plan d’urgence pour protéger les biens a été repris par le service national de la protection civile. Testé avec la population locale lors d’un exercice de simulation, il comporte plusieurs volets, dont notamment la construction d’étables sécurisées, c’est-à-dire surélevées, des granges et des silos sur pilotis pour abriter les semences et les récoltes, ainsi que la surveillance des pâturages par la communauté villageoise en cas d’inondation. Solidar a ainsi contribué à améliorer la prévention et la réactivité en cas de catastrophe. www.solidar.ch/ prevention_catastrophes

Serbie: non à la vente aux enchères du service public Beaucoup d’entreprises publiques ont été privatisées en Serbie ces dernières années. Mais les investissements espérés se sont souvent fait attendre. En réalité, les entreprises ont été démantelées par les acheteurs et leur personnel licencié sans aucun plan social. Maintenant, c’est la restructuration des transports publics locaux ainsi que des entreprises publiques chargées de l’approvisionnement en eau potable et de l’élimination des déchets qui est à l’ordre du jour, pour les rendre plus efficaces. Mais cette fois, les contribuables, les consommateurs et le personnel ne devraient pas pâtir de ce processus. Deux syndicats exigent en effet que les usagers et le personnel aient leur mot à dire. Leurs revendications ont été rendues publiques récemment. Solidar Suisse soutient les efforts de ces deux syndicats pour faire aboutir ces revendications. Car la population doit pouvoir se faire une opinion et donner son avis pour que la restructuration ne se solde pas par un fiasco social. www.solidar.ch/serbie

A Mulukukú, les femmes ne s’en laissent pas conter En collaboration avec Espace femmes international (EFI), Solidar Suisse a présenté en octobre dernier à Genève Soñando Despiertas. Ce documentaire retrace le parcours exemplaire des femmes de la municipalité de Mulukukú au Nicaragua (voir aussi notre article page 6). En 1988, en pleine guerre civile et suite à l’ouragan Joana qui a détruit la région, elles fondent la coopérative Maria Luisa Ortiz. Objectif: reconstruire les habitations détruites et gagner respect et autonomie dans une région où la violence à l’égard des femmes est omniprésente. Aujourd’hui, la communauté fournit des services de base à toute la population et ce sont désormais les filles de ces pionnières qui reprennent les rênes. Le documentaire de Felix Zurita peut être visionné sur www.solidar.ch/mediatheque


18

D’UTOPISTE À DIGNITAIRE Solidar soutient au Burkina Faso l’enseignement bilingue permettant aux enfants d’étudier dans leur langue maternelle. Portrait de l’initiateur du projet Paul Ilboudo. Texte: Lionel Frei. Photo: Solidar


Paul Ilboudo est nommé Chevalier de la palme académique pour sa contribution à la formation au Burkina Faso. Il parlera de ses activités lors d’une manifestation organisée par Solidar (voir invitation en page 16).

Au Burkina Faso, l’ombre coloniale n’est pas loin. Elle l’est notamment dans les langues: moré, dioula ou fulfulde – pour n’en citer que trois parmi la cinquantaine que compte le pays – ne sont pas les bienvenues à l’école. Le jeune burkinabé apprend les maths et la géo en français, une langue maîtrisée par seulement 11% de la population. Alors les écoles bilingues, c’est l’histoire d’une fierté retrouvée, celle de la langue, et d’un succès qui fait de Solidar Suisse une star au Burkina Faso. Mais c’est surtout l’histoire de Paul Taryam Ilboudo, initiateur de ce projet. Linguiste, enseignant et intellectuel, le représentant de Solidar pour le Burkina Faso est un infatigable défenseur de l’éducation et des langues nationales.

PORTRAIT 19 Papier carbone et enregistreur «Une approche participative» Aujourd’hui, les treize régions du pays audio Paul Ilboudo est né en 1949 dans une comptent au moins une école bilingue, et famille pauvre de ce qui s’appelait encore plus de deux cents au total, du primaire la Haute-Volta. Elève brillant, il peut faire au collège. «L’approche est bottom-up: des études secondaires, mais ne nous faisons un plaidoyer musclé en fas’engage pas immédiatement dans un veur du bilinguisme, mais ce sont les cursus universitaire pour ne pas charger acteurs locaux qui doivent manifester financièrement sa famille. Il commence à leur intérêt. Imposé, ça ne fonctionnerait travailler comme instituteur et s’inscrit en pas.» parallèle à l’Université de Ouagadougou. Cet engagement en faveur des langues Ne pouvant suivre les cours à cause de nationales porte aujourd’hui ses fruits. ses activités professionnelles, il demande «Au départ, j’étais vu comme un fou, un à un camarade de mettre un papier car- utopiste. En 2015, le message combone sous ses notes et d’enregistrer les mence à passer au Burkina, mais aussi cours qu’il répète le soir après le travail. «J’ai obtenu ma licence après trois «Les langues africaines peuans, mais pas mon ami», vent véhiculer la rationalité.» rigole-t-il. Deux DEA en poche une thèse commencée mais interrompue entre-temps, au niveau international.» Pour preuve, Paul est engagé à l’Institut international l’importance d’enseigner dans la langue d’alphabétisation. Il y développe une mé- maternelle de l’élève est désormais rethode d’alphabétisation en 48 jours pour connue par les ministres africains de les jeunes adultes; puis, à la demande l’éducation. Une direction dont Paul Ildes paysans, une méthode accélérée boudo ne peut que se féliciter, lui qui d’enseignement du français à partir des prend sa retraite au début de cette année: «Je vais enfin pouvoir consacrer du langues nationales. temps à ma famille… et finir ma thèse!», s’empresse de préciser l’infatigable déL’homme-orchestre de Solidar Fin des années 1980, Paul est engagé fenseur des langues. par Solidar Suisse pour ouvrir le premier wwww.solidar.ch/burkina-faso bureau à Ouagadougou. «Chauffeur, comptable, secrétaire, j’étais l’hommeorchestre au début, se souvient-il. Mon objectif était de tordre le cou à un préNouveau représentant-pays jugé en montrant que les langues africaines peuvent véhiculer la rationalité!». Il commence à développer l’éducation Economiste de formation et titulaire bilingue pour les jeunes, dans deux d’un master en management de proécole-pilotes. L’enseignement est donné jets, Dieudonné Zaongo succède à dans la langue nationale et le français Paul Ilboudo en tant que responsableprogressivement introduit dans le cursus. pays pour le Burkina Faso à partir de «Les taux de réussite aux examens nafévrier 2015. L’homme de 44 ans a tionaux se sont révélés bien supérieurs exercé diverses fonctions à Solidar deaux écoles classiques. Cela nous a enpuis 1999. «Ma nouvelle fonction me couragés à persévérer, malgré les préjuprocure un sentiment de joie et de gés. Le gouvernement s’est aussi rendu fierté, mais comporte aussi de lourdes compte de l’efficacité de la méthode et responsabilités», explique Dieudonné. nous a soutenu dans ce projet.»


POUR UNE POLITIQUE CLIMATIQUE ÉQUITABLE! Les changements climatiques font de nombreuses victimes et provoquent des dommages préoccupants à l’environnement ainsi que d’énormes coûts. Cette situation touche particulièrement les pays les plus pauvres de la planète, alors que ce sont eux qui y ont le moins contribué. Signez la pétition et invitez la conseillère fédérale Doris Leuthard à faire en sorte que la Suisse s’engage en faveur d’une meilleure protection du climat: action.solidar.ch


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