Solidarité 1/2020

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Le magazine de Solidar Suisse | Numéro 1, février 2020

FOCUS

Mozambique


02 Éditorial

Voilà presque un an, en mars 2019, que le cyclone Idai balayait le Mozambique, semant la destruction sur son passage. Dans les pages qui suivent, les personnes touchées évoquent de manière éloquente la façon dont leur vie a alors basculé. Beaucoup ont tout perdu. Malheureusement, face à de telles catastrophes naturelles, nous ne sommes pas tous égaux. Le niveau de prospérité ou de pauvreté exerce une influence décisive sur nos moyens de résilience. En Suisse, nous pouvons compter sur nos assurances, notre épargne, sur l’aide de l’État et sur notre emploi.

CHÈRE LECTRICE, CHER LECTEUR,

Felix Gnehm Codirecteur de Solidar Suisse

Les gens qui vivent dans nos zones d’intervention ne peuvent pas compter sur de tels appuis. Dans leur cas, la spirale de la pauvreté s’est accélérée encore davantage après le cyclone. Même la meilleure aide d’urgence s’avère insuffisante. Toutefois, plus un pays comme le Mozambique est préparé aux catastrophes, moins il subira de dommages. Raison pour laquelle une coopération au développement efficace est cruciale avant, pendant et après les catastrophes. Lorsque le cyclone Idai a frappé le Mozambique, Solidar Suisse y était active depuis plusieurs années déjà, soutenant ainsi les populations à prendre en main leur développement local. Nous nous sommes basés sur ces structures pour fournir une aide d’urgence immédiate. Et nous serons toujours sur place une fois que les experts humanitaires seront partis. Un vif débat anime actuellement les milieux spécialisés sur la manière de rendre plus efficace l’interface entre le développement à long terme et l’aide d’urgence à court terme. Solidar est également mise au défi de combiner au mieux que possible ce nexus, à savoir le lien entre l’urgence et le développement, dans les années à venir. Et le Mozambique en particulier montre que nous pouvons être reconnaissants et fiers des compétences de nos équipes d’aide humanitaire et de coopération au développement : après le cyclone Idai, elles ont trouvé de nouvelles façons de conjuguer leurs activités au profit des personnes touchées – une tâche loin d’être facile, mais qui recèle un grand potentiel de renforcement mutuel, des impacts et de l’amélioration de la vie des personnes sur place.

Felix Gnehm


Sommaire 03

SOMMAIRE 04

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Focus – Mozambique 04

Le cyclone Idai a durement frappé le Mozambique : Solidar adopte une nouvelle approche pour faire face aux conséquences du changement climatique

08 Se préparer pour accroître la résistance aux catastrophes

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09 Pourquoi une grande banque suisse peut-elle plonger un pays pauvre dans l’insolvabilité sans être inquiétée ? 10 La formation professionnelle ouvre des perspectives d’avenir pour les jeunes Mozambicains

12 Un œil sur Les cultivateurs nicaraguayens produisent à des prix équitables pour l’un des plus grands chocolatiers de la planète

14 À chaud Coup d’œil sur l’actualité

15 Racontez-nous La Bolivienne Gloria Montaño explique de quelle manière la danse change la société

16 Le défi Simone Wasmann conçoit des campagnes de Solidar en faveur de conditions de travail équitables en Asie

19 Ensemble S’engager avec Solidar Suisse

11 Chronique 18 Sudoku et Revue de presse 19 Impressum 20 Organisez une bourse d’échange de jouets !


FOCUS – MOZAMBIQUE

04 Mozambique


Mozambique 05

En 1984, Solidar Suisse débute ses activités au Mozambique, à peine une décennie après l’indépendance. Dans ce pays déchiré par la guerre civile et dont les institutions étatiques sont fragiles, nous avons participé à la construction des infrastructures, comme par exemple, des latrines et des centres de santé. Après l’accord de paix de 1992, nous avons contribué à ce que les populations aient leur mot à dire sur les enjeux majeurs de leurs communautés. Solidar Suisse dispose de son propre bureau au Mozambique, où elle collabore avec les syndicats, les organisations de la société civile et les autorités pour que la population connaisse ses droits et puisse les faire valoir. Grand succès : aujourd’hui, plus de la moitié des propositions de projet sont approuvées par les représentants des villages, ce qui a permis d’améliorer de manière décisive l’approvisionnement en eau, l’éducation et les soins de santé. À l’heure actuelle, le cyclone Idai influence fortement nos activités.

DES EFFORTS CONJUGUÉS Le changement climatique provoque des catastrophes toujours plus violentes. Solidar Suisse mise sur une approche permettant à la population d’y faire face. Texte : Nadine Weber et Joachim Merz. Graphique : art.I.schock. Photo : Iwan Schauwecker

Samuel Thomas et sa famille ont tout perdu suite au cyclone Idai.

Le Mozambique n’est pas seulement l’un des pays les plus pauvres de la planète, il est aussi régulièrement touché par des catastrophes naturelles (cf. graphique p. 6). Dans la nuit du 14 au 15 mars 2019, le cyclone Idai a frappé de plein fouet la côte du centre du Mozambique. Il a fait des milliers de morts et causé d’énormes dégâts. À la tempête ont fait suite des pluies torrentielles provoquant des crues de plusieurs mètres, et cela peu avant les récoltes. L’eau a endommagé 13 % des terres agricoles et détruit les bases d’existence de 1,8 million de personnes. Celles de Samuel Thomas, par exemple : « Ma maison a été balayée, mes champs


06 Mozambique

ont été emportés. Les inondations ont pris tout ce que nous cultivions : maïs, sorgho et haricots, ainsi que nos chèvres et nos poules », se souvient ce père de quatre enfants. Réaction rapide suite au cyclone Idai Solidar Suisse est intervenue dès les premiers jours après le cyclone et a installé des systèmes temporaires d’approvisionnement en eau potable dans deux camps d’aide d’urgence établis dans les zones les plus touchées. Nous avons de cette manière rétabli l’accès à l’eau potable pour 15 000 personnes et distribué des semences et des outils à près de 3000 familles. Les collaborateurs de Solidar ont travaillé aux côtés d’une équipe du Corps suisse d’aide humanitaire de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Grâce à son réseau efficace, l’équipe locale de Solidar a facilité l’accès aux autorités et aux personnes touchées, tandis que les spécialistes suisses de l’aide d’urgence ont apporté leur expertise. Dans l’intervalle, la première phase d’aide d’urgence s’est terminée. Solidar veille désormais à la construction de points d’eau permanents et à ce que

« Ce qui me frappe, c’est que les pluies sont toujours plus violentes. » les comités locaux de l’eau reprennent la responsabilité de leur maintenance et de leur bon fonctionnment. Par exemple à Nhanehmbe, où Roda Samuel, membre du comité local de l’eau, se réjouit de voir le puits qu’il utilisait fonctionner à nouveau. Les villa-

geois n’ont donc plus à parcourir de longues distances à pied pour aller chercher de l’eau potable. « Aujourd’hui, cela fonctionne même mieux qu’avant, se réjouit-elle. La nouvelle pompe à main facilite le pompage et le puits est protégé des animaux. » Mais de nombreuses personnes ne se sont pas encore remises de la catastrophe et leur sécurité alimentaire est toujours en péril. Au mois d’octobre, Solidar a pour cette raison distribué une nouvelle fois des semences et des outils à 6000 familles, soit environ 30 000 personnes. Afin de soutenir l’économie locale, nous avons acheté les semences auprès de fournisseurs locaux. Le changement climatique exige de nouvelles approches Le Mozambique est particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique. Ces derniers sont l’une des raisons expliquant la violence toujours plus intense des cyclones tropicaux. Amelia Zakaria a aussi fait l’expérience de l’ampleur croissante des ravages : « Nous nous sommes réfugiés dans les arbres pour échapper à la montée des eaux. C’était la première fois que nous étions confrontés à une telle inondation. Le phénomène nous a totalement surpris, raconte cette femme de 42 ans. Ce qui me frappe, c’est que les pluies sont toujours plus violentes. » Pour relever ces nouveaux défis, il est nécessaire de combiner l’aide d’urgence, la reconstruction et la coopération au développement. Des concepts ont déjà été élaborés à cet effet dans les années 1980. Cependant, ces trois phases ne se suivent pas toujours de manière linéaire et ne peuvent pas non plus être clairement séparées les unes des autres. Il est crucial dans ce contexte de préparer les populations aux catastrophes et de réduire les risques en établissant un système d’alerte précoce (cf. article p. 8).

Aide humanitaire de Solidar Suisse au Mozambique

Depuis l’ouverture du bureau de Solidar au Mozambique, nous sommes intervenus dans toutes les catastrophes survenues dans notre zone d’intervention.

Cyclone Choléra Inondation Sécheresse

Solidar Suisse entame ses activités au Mozambique

Ouverture d’un bureau de Solidar dans le pays

Tremblement de terre

1981

1984

1988

1991

1994

1996

1997

1999

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La complexité croissante des catastrophes et des crises dues au changement climatique, à la croissance démographique, à l’urbanisation rapide, à l’insécurité alimentaire et à la raréfaction de l’eau intensifient grandement la concurrence pour les ressources et favorisent l’instabilité. Afin de garantir un développement durable qui tienne compte de cette complexité, on parle aujourd’hui du « nexus » (lien urgence – développement), qui combine le travail humanitaire et les méthodes de la coopération au développement. Cela signifie que cette approche répond non seulement aux besoins de base après une catastrophe, tout en renforçant simultanément la résilience à long terme de la population. Elle requiert une mise en réseau, la création de synergies et du partage des compétences des gouvernements, des ONG et des acteurs locaux. Évidemment, il s’agit là d’un défi de taille. En effet, l’aide humanitaire d’urgence et la coopération au développement ont des fonctionnements très différents et ne progressent pas au même rythme. Alors que les interventions humanitaires garantissent la satisfaction des besoins des personnes directement touchées dans le respect des principes humanitaires (humanité, impartialité, indépendance), la coopération au développement vise à changer durablement les systèmes locaux. Tandis que l’aide humanitaire présuppose des décisions rapides pour sauver des vies, la coopération au développement travaille avec les populations sur le terrain pour établir de meilleures structures, améliorer la situation générale et les possibilités de participation. Avec l’approche dite nexus, ces différentes méthodes se complètent et ouvrent de nouvelles possibilités d’action globale. Par exemple, les structures créées dans les communautés pour promouvoir le droit de regard de la population peuvent être utilisées pour la prévention des catastrophes.

Aide d’urgence – Distribution de denrées alimentaires et de semences

2000

2001

2002

2006

Avec 50 francs, une famille se procure des semences et des outils. 70 francs permettent des formations centrées sur la construction de latrines à la population déplacée. 100 francs suffisent pour réparer la pompe à main d’un puits.

Une nouvelle manière d’intervenir Après le cyclone Idai, Solidar a relevé des défis majeurs au Mozambique : le nombre de collaborateurs de Solidar a doublé, des bureaux ont dû être installés dans la région sinistrée et, afin d’apporter une aide d’urgence, les processus internes bien rodés ont été modifiés. « Mon travail ici, dans la zone sinistrée de Dombe, représente un véritable défi, explique Margarida Chaessa, collaboratrice de Solidar. Au début, nous avons travaillé presque sept jours sur sept. » Arrivée rapidement dans la zone de crise, elle a évalué les dégâts, mis en place une chaîne de transport d’eau par camion et distribué des comprimés de chlore pour désinfecter l’eau des puits. Afin d’aider l’équipe du bureau local de coordination à organiser l’aide d’urgence, la collaboration interne a été renforcée, tant au Mozambique qu’en Suisse. « Je porte un nouveau regard sur le travail de mes collègues du département de la coopération au développement », avoue Nadine Weber, responsable de l’aide humanitaire chez Solidar. Le lien entre l’urgence et le développement exige de penser autrement. Cette première expérience ouvre la voie à une réponse plus souple aux catastrophes naturelles qui frapperont malheureusement encore le Mozambique.

Aide d’urgence Distribution de vivres et de semences, désinfection de l’eau

Aide d’urgence et reconstruction Distribution de semences, de fournitures scolaires et d’habits pour les enfants, sécurité alimentaire Aide d’urgence et reconstruction – Distribution de semences, reconstruction d’écoles et d’infra­ structures communautaires, construction de puits

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Aide d’urgence Distribution de semences, désinfection de l’eau

Aide d’urgence Distribution de semences

2007

Aide d’urgence et reconstruction Distribution de semences et construction de puits

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Aide d’urgence Distribution de denrées alimentaires

Aide d’urgence Distribution de semences

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08 Mozambique

PARÉS À FAIRE FACE AUX CATASTROPHES En raison du changement climatique, le Mozambique est de plus en plus souvent touché par des catastrophes. Pour atténuer leurs effets, la population doit être mieux préparée à y faire face. Texte : Joachim Merz. Photo : Iwan Schauwecker

Le Mozambique est l’un des pays les plus vulnérables aux conséquences du réchauffement climatique. Les inondations, les cyclones, les sécheresses et les tremblements de terre qui ont régulièrement frappé ce pays au cours des trente dernières années (cf. graphique p. 6) pourraient bien devenir encore plus intenses et plus dévastateurs à l’avenir. Et actuellement déjà, il ne se passe guère d’année sans nouveau désastre. Les répercussions sont graves pour la population : maisons, écoles, structures de santé, routes et infrastructures économiques détruites, puits d’eau potable sapés, récoltes réduites à néant, population affamée et privée de semences. La population sur place doit réagir Cette évolution a également influencé les projets de coopération au développement de Solidar Suisse. Depuis l’ouverture de son bureau au Mozambique en 1999, elle a apporté une aide d’urgence lors de toutes les catastrophes naturelles ayant affecté sa zone d’intervention et participé à la reconstruction. Nous aidons actuellement la population à faire face aux destructions causées par le cyclone Idai de mars 2019 (cf. article p. 4). Pour que les phénomènes naturels ne prennent pas les gens au dépourvu et que ces derniers soient

mieux à même d’y faire face, il faut qu’ils puissent se préparer aux catastrophes à venir et renforcent leur résilience. « En soutenant les structures et les organisations locales, Solidar apporte une réponse durable aux catastrophes naturelles », explique Jorge Lampião, responsable du bureau de Solidar au Mozambique. « Ce sont les gens sur place qui doivent prendre les premières mesures d’urgence. » C’est pourquoi Solidar soutient les autorités du district lorsqu’elles instituent et forment des comités locaux de protection contre les catastrophes. Ils sont composés de villageoises et de villageois qui sensibilisent la population aux risques des catastrophes et l’informent des principales mesures d’aide d’urgence. Les comités créent également un système d’alerte rapide et se préparent aux situations d’urgence. Impliquer la population dans la planification Depuis des années, Solidar ne ménage pas ses efforts pour que la population locale participe à la planification au sein des communautés. Grâce à ces structures participatives, les habitants peuvent signaler les points faibles de la prévention et conseiller sur les itinéraires d’évacuation et les lieux sûrs en cas d’inondation. Comme les partenaires internationaux ont réduit leur aide financière suite à la crise du crédit de 2016 (cf. article p. 9), les coupes budgétaires menacent toutefois les activités de prévention. Les districts et les communautés ne peuvent quasiment plus investir dans les infrastructures et les mesures de prévention. « C’est pourquoi Solidar Suisse s’engage pour que les autorités travaillent de manière plus transparente et que les gens sachent comment s’entraider en cas de catastrophe », relève Jorge Lampião.

L’accès durable à l’eau potable est un souci majeur au Mozambique.


Mozambique 09

pas tenu de fournir des informations à ce sujet, et nous ne savons donc pas s’il a agi.

UN SCANDALE FINANCIER PLONGE UN PAYS PAUVRE DANS L’INSOLVABILITÉ En 2016, le Mozambique se déclare en défaut de paiement suite à un crédit d’achat d’une flottille de pêche. Crédit Suisse (CS) est au cœur de ce scandale. Thomas Kesselring, professeur émérite de philosophie à l’Université de Berne, nous explique comment on a pu en arriver là. Interview : Katja Schurter. Photo : libre de droit

Au Mozambique, des milliards de dollars de crédits, alors destinés à un projet de protection côtière, ont été détournés (cf. Solidarité 2/19). Trois anciens banquiers d’affaires de CS ont admis avoir reçu des pots-de-vin de plusieurs millions. Apparemment, personne ne s’en est aperçu au sein de la banque. Comment l’expliquer ? Le banquier de Credit Suisse mis en cause, Andrew Pearse, a avoué connaître le caractère criminel de l’opération et les nombreux prêts douteux de la banque. Il semble donc que les banques d’investissement aient l’habitude d’agir à la limite de la légalité – voire un peu au-delà. Quelle est la valeur d’un système de conformité qui peut être si facilement contourné ? Je me pose la même question. Ce système a honteusement failli. En avril 2016 au plus tard, lorsque

le Wall Street Journal a révélé un autre prêt secret de CS et que le Fonds monétaire international a gelé ses crédits pour le Mozambique, Credit Suisse aurait dû engager une procédure interne. Le fait que le président du conseil d’administration Urs Rohner affirme qu’il ne savait rien jusqu’à récemment est des plus suspects. Trois années se sont écoulées. Malgré cela, ni la FINMA, l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, ni le Ministère public de la Confédération n’ont encore pris position sur la question, et l’affaire fait l’objet d’un recours en justice devant un tribunal de New York. Pourquoi cette inaction du côté suisse ? Public Eye a déposé plainte pénale à la fin du mois d’avril 2019. Le Ministère public de la Confédération devra décider s’il entend y donner suite. Il n’est toutefois

Comment interprétez-vous le fait que Jean Boustani, directeur commercial du groupe de construction navale impliqué Privinvest, ait été blanchi de l’accusation d’avoir versé 200 millions de dollars de pots-de-vin début décembre ? Boustani a été l’initiateur de tout le projet de protection côtière. Il n’a toutefois pas participé à l’organisation des prêts, et n’a donc pas commis de fraude sur les titres. Un tribunal américain n’est pas compétent pour le condamner en cas de blanchiment d’argent et de fraude dans des transferts d’argent. Les avocats de Boustani l’ont souligné il y a des mois déjà. Il est assez étonnant que le tribunal de New York ait néanmoins pris six semaines pour traiter l’affaire. Qu’est-ce qui doit changer pour qu’un tel scandale ne se produise plus à l’avenir ? Les banques doivent prendre leur devoir de diligence bien plus au sérieux – et Credit Suisse n’est pas seul en cause. En septembre 2018, la FINMA a contraint la banque à améliorer sa procédure de conformité pour la fin 2019, et y a même diligenté une surveillance, en raison d’autres scandales. L’adoption de l’initiative pour des multinationales responsables apporterait-elle une aide dans ce contexte ? Non, car elle ne concerne que les violations des droits humains commises par les entreprises et leurs fournisseurs. Or, les entreprises qui reçoivent un crédit ne sont pas des fournisseurs. Pour ce cas particulier, il s’agirait de mettre les banques face à leurs obligations. Ainsi, une initiative pour des banques responsables serait utile.


UNE FORMATION PROFESSIONNELLE POUR DE MEILLEURES PERSPECTIVES Près de Chimoio, au Mozambique, Solidar Suisse aide des jeunes issus de milieux défavorisés à apprendre un métier. Texte : Iwan Schauwecker. Photos : Iwan Schauwecker et David Lorenzo

En fin d’après-midi, lorsque nous arrivons à l’Instituto Industrial dans la banlieue de Chimoio, les cours sont terminés. Dans les années 1990, après la fin de la guerre civile, cette ancienne caserne a été transformée en école professionnelle. Depuis, 700 élèves y suivent cinq filières de formation artisanale : serrurerie, mécanique, menuiserie, construction et agriculture. Maria de Fatima apprend par exemple la mécanique et souhaite reprendre plus tard la direction d’une entreprise. Lorsque je lui demande si beaucoup de jeunes filles mozambicaines veulent devenir mécaniciennes, la jeune femme de 20 ans éclate de rire : « Je suis la seule femme dans mon cours, et je voudrais que nous soyons davantage. » Enfant déjà, elle aimait bricoler et s’intéressait à la technique. Voilà pourquoi elle a choisi ce métier. Les fonds publics à la baisse L’Instituto Industrial a déjà connu des temps meilleurs. « L’État n’a plus d’argent. Depuis deux ans, seuls les salaires du personnel enseignant sont payés. Il ne reste pas de quoi financer les travaux d’entretien ou la formation continue des professeurs », explique Nelinho Julião Nhacumbe, le direc-

teur de l’établissement. La visite des lieux confirme ses propos : un camion, qui devait sillonner l’Allemagne il y a quelques décennies, se couvre de rouille aux côtés d’un transpalette hors d’usage. La soixantaine d’élèves logés à l’internat subissent directement les difficultés financières de

« Grâce à la formation, je pourrai ensuite travailler de manière indépendante. » l’institut : le plus souvent, le porridge constitue leur seul repas. Parmi eux, nous avons rencontré Tomas Banze, 16 ans. Venu de Beira, ville située à quatre heures de voiture, il souhaite devenir agriculteur. Solidar assume ses taxes d’études, car sa famille n’est pas en mesure de payer la formation. Il habite avec vingt autres élèves dans un baraquement miséreux, dont le toit a été arraché par le cyclone Idai, mais réparé en place depuis. Semblant étranger à tous


ces problèmes, Tomas rayonne lorsqu’il s’entretient avec ses camarades : « Je suis bien ici. Mes amis sont comme une famille. »

Carlo Sommaruga

Bricoleuse passionnée, Maria de Fatima suit une formation de mécanicienne à l’Instituto Industrial, tandis que Ricardo Vicenti fréquente l’Instituto Agrário de Marera pour développer son amour des animaux et en faire son métier.

Président de Solidar Suisse

Mozambique 11

Un avenir prometteur pour les jeunes L’Instituto Agrário de Marera paraît mieux loti. Cette école d’agriculture accueille 218 élèves qui apprennent l’élevage, la culture de végétaux et la transformation du lait, puisque l’établissement possède sa fromagerie. Fondée il y a trente ans par un prêtre catholique, l’école se situe sur le haut plateau fertile du centre du Mozambique. Ses anciens élèves ayant beaucoup de succès, elle attire de plus en plus de jeunes. Elle a d’ailleurs entrepris des travaux pour se doter de nouveaux dortoirs et d’une cantine plus grande. Avec ses bâtiments scolaires, ses dortoirs, son église et ses étables entourés de champs, elle ressemble à un petit village. La formation dote les élèves de bases solides pour leur avenir professionnel. « J’ai toujours été passionné par l’agriculture. J’adore m’occuper d’animaux et de plantes », affirme Ricardo Vicenti, 18 ans. Une fois son diplôme en poche, il veut reprendre la ferme de son père, et l’agrandir : « J’aimerais acheter encore quelques terres pour accroître la production et les revenus. » Claudia José, 17 ans, est également persuadée des avantages de cet apprentissage de trois ans : « La formation est très variée et je pourrai ensuite travailler en indépendante. » La variété revêt également une grande importance aux yeux d’Helena Gerald, qui enseigne l’élevage de poules, de porcs et de vaches. Les jeunes acquièrent des compétences techniques, ils apprennent aussi le respect d’autrui et de la nature. Si elle juge certes l’école très performante, elle pense que des améliorations restent possibles : « Nous avons besoin d’ordinateurs et de connaissances en matière d’écologie et en médecine vétérinaire. Je souhaiterais aussi que nous ayons une bibliothèque et que nous assurions un meilleur suivi social des jeunes filles. » Il arrive en effet régulièrement qu’une grossesse précoce oblige de jeunes femmes à interrompre leur formation. Solidar Suisse apporte son appui aux élèves issus de milieux précarisés et soutient les écoles professionnelles en finançant la formation continue, du matériel didactique et des ordinateurs. L’Instituto Industrial connaîtra ainsi à nouveau des jours meilleurs.

2020 : année de défis ! L’enjeu majeur de la politique suisse en matière de coopération internationale réside dans le Message du Conseil fédéral relatif aux années 2021 – 2024. Ce dernier s’annonce orienté vers un partenariat avec le secteur privé et lié à la question migratoire, et ce, au détriment des Objectifs du développement durable (ODD). Sans compter que les moyens mis à disposition pour la législature seront bien au-dessous du 0,7 % du PIB correspondant aux engagements de la Suisse à l’ONU, ou même de l’objectif du 0,5 % fixé par le Parlement il y a quelques années. La bataille parlementaire sera déterminante. 2020 représente aussi l’entrée en fonction de la nouvelle cheffe de la DDC, Mme Patricia Danzi. Issue du monde humanitaire, elle devra donner corps à la politique du développement intégrant les ODD, tout en évitant un glissement vers une prépondérance de l’action de l’aide humanitaire. Un défi rendu compliqué aussi par la présence d’un Nestlé boy dans la direction de la DDC. Pour Solidar Suisse, et les autres œuvres d’entraide, 2020 est l’année du renouvellement des partenariats avec la DDC. Une phase qui se déroule dans un contexte où les règles changent en notre faveur. Nous poursuivons ainsi sereinement nos activités de coopération et humanitaires, et continuons à apporter notre solidarité compétente auprès des populations en difficulté, comme au Mozambique. Par ailleurs, l’année 2020 sera encore marquée par la bataille politique autour de l’initiative des multinationales responsables. Après dépiautage du contre-projet par le Conseil des États en décembre 2019, sauf surprise de taille, c’est dans les urnes que se décidera l’avenir de l’initiative. Une mobilisation de taille sera indispensable pour une victoire de la justice, des droits humains et de l’environnement.


CARRÉ, PRATIQUE ET DÉSORMAIS DURABLE À Waslala au Nicaragua, des productrices et producteurs ont amélioré leurs cultures afin d’aboutir à un cacao d’une qualité exportable. Leur travail porte ses fruits : ils le livrent désormais à l’un des plus grands fabricants de chocolat du monde. Ou quand le succès est au rendez-vous…

UN ŒIL SUR

Texte : Katja Schurter. Photos : Solidar

« Pour la première fois, nous avons la garantie de pouvoir vendre notre cacao à un prix correct », se réjouit Elba Soza. Comme la plupart des producteurs-trices de Waslala, une commune isolée dans la région pauvre et montagneuse du nord du Nicaragua, elle ne cultivait que très peu de cacao, car elle ne parvenait guère à le vendre. Celui que sa famille ne consommait pas séchait même sur pied. José Pravia faisait de même : « Les prix étaient si bas que vendre le cacao ne rapportait rien. » Production destinée à l’exportation La situation a changé lorsque l’Association des mères et des proches de victimes de la guerre a entrepris de commercialiser le cacao des petits producteurs. Cette organisation locale, partenaire de Solidar, leur propose conseils et formation continue. De plus, elle est parvenue à associer l’un des grands fabricants de chocolat du monde à la prise

en charge de la transformation et de la commercialisation. « Les cultivatrices et cultivateurs nous font confiance, car nous payons leurs livraisons dans les délais, souligne Nelly Granados, présidente de l’association. Grâce à Solidar Suisse, nous avons pu les conseiller pour leurs premiers investissements. À présent, ils vendent leur récolte sur un marché auquel la plupart n’avaient même pas accès. » Par le biais de l’organisation partenaire, Solidar Suisse a aidé les cultivateurs-trices à améliorer la production, à obtenir une excellente qualité pour l’exportation et à mettre en place de solides réseaux de commercialisation. Grâce à des prix équitables, la culture du cacao est devenue rentable. De plus, l’Association des mères loue des camions et fait le tour des villages pour le transport de la récolte. « L’Association des mères paie mieux que les intermédiaires et je peux commercialiser mon cacao sans grands frais », raconte José Pravia. Les


Un œil sur 13

Estela Duarte brise la cabosse pour en extraire les fèves de cacao, qui subiront ensuite une période de fermentation.

revendeurs se sont en effet succédé et aucun ne garantissait ni les débouchés ni les prix. Stables et versés en liquide, les nouveaux prix ont également motivé Estela Duarte à améliorer et à accroître sa production. « L’appui technique que nous recevons nous aide aussi beaucoup », s’enthousiasme-t-elle. Ritter Sport – un acheteur fiable Depuis 2018, 225 familles vendent leur cacao au fabricant allemand de chocolat Ritter Sport. Après avoir conquis le monde, dans les années 1970, avec le slogan « carré, pratique, gourmand », ce groupe a décidé en 2018 de n’utiliser que du cacao certifié durable pour tout son assortiment. Après avoir commencé par lui livrer 16 tonnes de fèves en 2018, l’Association des mères a presque

« Nous avons pour la première fois la garantie de pouvoir vendre notre cacao à un prix correct. » doublé la production l’an dernier, arrivant à 30 tonnes. « Nous achetons le cacao de l’association de Waslala, car il est de bonne qualité et il recèle un grand potentiel à nos yeux, explique Elizabeth Rizo, ingénieure agronome chez Ritter Sport. Nous garantissons l’achat lorsque nos critères de qualité

sont remplis et fournissons à cet effet des conseils à l’association. Les productrices et les producteurs apprécient beaucoup ces recommandations et apprennent très vite. » La commercialisation allant bon train, le groupement de cultivateurs-trices a installé des petits entrepôts à des endroits névralgiques et construit une halle de séchage. Ils ont de quoi être fiers : leur cacao respecte les normes internationales de qualité et les 125 premiers producteurs et productrices ont reçu fin 2019 le label UTZ d’agriculture durable. Certification UTZ Pour obtenir la certification, les cultivateurs-trices doivent concevoir la culture avec soin et tout consigner : de la taille des cacaoyers à la construction du hangar à outils en passant par la régulation de l’ensoleillement. « Je ne traite pas mes plants, je veille à la propreté de l’exploitation et applique un plan de culture », explique Elba Soza. Un cours lui a permis d’apprendre les techniques et le sol de sa plantation a été analysé. « Grâce aux échantillons, je sais comment travailler le sol et comment mieux soigner mes cacaoyers. » Elba et son mari ont en outre pu acheter une terre où ils cultivent leur cacao. Obtenir une certification de groupe – selon la norme UTZ, pour commencer – représente un défi de taille pour l’association, alors qu’elle doit répondre à diverses exigences pour consolider son commerce de cacao : améliorer l’efficacité, accroître la rentabilité et les capacités, parfaire les connaissances techniques, instaurer la transparence et bien planifier la gestion. « En charge du projet, notre partenaire a encore beaucoup de travail devant elle et doit faire preuve de clairvoyance pour prendre ses décisions, estime Alexander Rayo, coordinateur de Solidar au Nicaragua. Nous la conseillons et l’accompagnons dans cette phase cruciale, pour que davantage de producteurs et productrices puissent vendre leur cacao à des conditions équitables. » Estela Duarte espère, elle aussi, que le label UTZ « améliorera la qualité et les prix et qu’une culture respectueuse augmentera le rendement ». Ces trois objectifs, les producteurs et productrices les ont déjà en partie atteints.

Estela Duarte observe ses cacaoyers pour savoir si la récolte peut commencer.


Photo : Jan Kjær

SOLIDAR SUISSE MET FIN À L’AIDE D’URGENCE AU LIBAN

Photo : John Hume

14 À chaud

MAIN-D’ŒUVRE EXPLOITÉE DANS L’AGRICULTURE THAÏLANDAISE

Photo : Solidar

La guerre qui a éclaté en été 2011 en Syrie a directement touché son voisin, le Liban. En quelques mois, plus d’un million de personnes sont venues s’y réfugier. Dès 2012, Solidar Suisse a fourni de l’aide humanitaire sur place : nous avons réhabilité des bâtiments pour que des familles syriennes puissent s’y loger. Nous leur avons apporté un appui financier et avons soutenu des communes débordées par l’afflux de réfugiés. À cause du manque de moyens et d’un contexte politique difficile, Solidar a dû cesser ses activités dans le pays en 2019. Nous recherchons d’autres solutions pour venir en aide aux victimes de la guerre syrienne, car les besoins sur place demeurent inchangés.

ESCLAVAGE MODERNE ET RESPONSABILITÉ DES MULTINATIONALES

À CHAUD

Début décembre, au Festival du film pour les droits humains, Solidar a projeté le film Ghost Fleet, sur l’esclavage moderne dans le secteur thaïlandais de la pêche. Au moins 140 personnes ont découvert l’histoire bouleversante de ces migrants et migrantes qui ont perdu tout contact avec leurs proches après avoir trimé pendant des années en mer. À l’issue de la projection, Katharina Morawek, directrice du festival, et Bernhard Herold, responsable pour l’Asie chez Solidar Suisse, ont évoqué le rôle des chaînes logistiques mondiales. Les graves atteintes écologiques et les violations des droits humains concernent également la Suisse, car les détaillants s’approvisionnent notamment en Asie du Sud-Est. Ni Migros, ni Coop, ni Aldi n’ont hélas pris part au débat.

Fin janvier, Mekong Migration Network, organisation partenaire de Solidar, a publié un rapport sur les conditions de travail de nombreux migrants et migrantes employés dans l’agriculture thaïlandaise. Venus du Myanmar ou du Cambodge, ils ont rarement des papiers en règle et travaillent dans des plantations isolées, à peine accessibles. De fait, ils ne sont couverts ni par la loi thaïe du travail ni par la sécurité sociale. Prenons le cas de Cho Win Zu du Myanmar : la nuit, elle récolte du latex dans une plantation ; le jour, des fruits de palmier à huile dans une autre. Le tout dans des conditions catastrophiques : « Lorsque mon fils a eu un accident du travail, l’employeur n’a pas participé aux frais d’hospitalisation ni versé une indemnité », raconte-t-elle. www.solidar.ch/mekong


Racontez-nous 15

« NOUS METTONS SUR LA TABLE LES PROBLÉMATIQUES SOCIALES » Gloria Montaño est convaincue que la danse peut changer la société. Elle nous explique son expérience. Interview : Lionel Frei. Photo : Taj

Gloria Montaño, étudiante de 22 ans en micro­ biologie, fait partie de la troupe de jeunes danseurs-euses bolivien-ne-s venue à Genève en novembre passé, à l’occasion des 5 ans de Solidar Suisse Genève, pour présenter le spectacle de danse Travesía. Comment avez-vous vécu cette semaine en Suisse ? C’était la première fois que je quittais la Bolivie. L’accueil a été très chaleureux, et je remercie en particulier Noelia Tajes, la chorégraphe qui s’est occupée du projet. L’expérience a été très riche, avec mes 4 autres compagnons, nous avons joué notre spectacle de danse dans plein de lieux différents. On pensait que la semaine serait encore plus chargée, mais finalement c’est allé (rires). Comment avez-vous découvert le projet LanzArte en Bolivie ? Ma sœur en a fait partie en 2008 dans son école. À l’époque je n’étais pas intéressée, puis Patricia Sejas (chorégraphe et une des responsables du projet en Bolivie) a relancé le projet dans mon école et je me suis lancée. Ce qui me plaît dans cette approche, c’est que l’art permet de transformer la société. Nous dévoilons des problématiques sociales bien réelles mais « invisibles », et nous les confrontons au public. Les problèmes sont bien là, comme la violence à l’égard des femmes, mais les gens n’en parlent pas spontanément. Si on abordait ces thématiques sans l’art, je pense qu’ils se braqueraient. Vous avez un exemple ? Oui, dans la mine de Potosí les femmes ne peuvent pas entrer. Elles travaillent à l’extérieur, dans un lieu relativement isolé, dans des conditions très précaires. Les viols et agressions sexuelles sont

courants. Le spectacle a thématisé cette violence. Suite à cela, les travailleuses se sont organisées et ont mis en place un système d’alerte en cas d’agressions sexuelles. La Bolivie est aujourd’hui au centre de l’attention médiatique à la suite du départ d’Evo Morales. Quelle est votre analyse ? La Bolivie a connu des améliorations au niveau des infrastructures notamment, mais les services de base (eau, gaz, etc.) restent limités. Au niveau politique, je suis très triste de ce qui se passe, car les citoyen-ne-s commencent à se battre entre eux, tout ça pour des politicien-ne-s qui veulent rester au pouvoir. Dans la province de Cercado où je vis, les partisan-ne-s d’Evo Morales bloquent les accès et les biens de première nécessité commencent à manquer (n. d. l. r., l’interview a été réalisée fin novembre 2019). Ce sont des menaces qu’Evo Morales avait proférées peu de temps avant d’être renversé.

LanzArte, agir sur la société par l’art

Le projet LanzArte de Solidar Suisse agit sur des problématiques touchant la société bolivienne, telles que la violence faite aux femmes, en mobilisant la jeunesse par l’art (danse, théâtre, cinéma). Sous la houlette de 2 chorégraphes professionnelles, une troupe de 5 jeunes de Bolivie membres de LanzArte ont monté avec 5 jeunes de Genève le spectacle de danse Travesía. Celui-ci a été présenté dans plusieurs lieux et écoles de Genève entre le 18 et le 21 novembre 2019.


« LES MULTINATIONALES NE FERONT RIEN PAR ELLES-MÊMES » Responsable de campagne chez Solidar, Simone Wasmann lutte pour des conditions de travail décentes en Asie. Ces derniers mois, elle a eu fort à faire…

LE DÉFI

Texte : Katja Schurter. Photo : Iwan Schauwecker

Comme toujours, Simone Wasmann est en pleine forme. La veille, elle a pourtant lancé une nouvelle campagne, ce qui représente une concentration et un travail énormes. Pour la campagne sur les jouets, Simone a commandé une enquête secrète au coeur de l’industrie chinoise, compilé des conseils destinés aux consommateurs et consommatrices, conçu un jeu-concours et des messages à diffuser sur les réseaux sociaux, et même organisé une bourse d’échange à Zurich. Il faut dire que les employés des usines chinoises de jouets travaillent dans des conditions lamentables : heures supplémentaires interminables, salaires bas, logements surpeuplés, couverture sociale insuffisante, harcèlement sexuel, etc. « On a souvent l’impression que rien ne bouge. Avec le temps, les choses évoluent, mais très lentement », explique notre interlocutrice en dressant le bilan de l’année écoulée. La protection de la santé

au travail s’est ainsi améliorée et les heures supplémentaires ont diminué. Les salaires sont cependant loin de couvrir les besoins de base. « C’est pourtant cela qui compte, souligne Simone Wasmann, loin d’être satisfaite. Un salaire de subsistance est essentiel pour prendre son existence en main et vivre dans la dignité. » Le cas des ouvrières est spécial, car il est rare d’obtenir des informations sur leur situation difficile : « Impossible d’évoquer le harcèlement sexuel avant d’avoir établi un rapport de confiance. La seule femme qui a enquêté pour nous n’en a entendu parler qu’en discutant avec ses compagnes de dortoir. » Exploitation dans les plantations Simone Wasmann, jeune femme de 37 ans toujours pressée et qui apprécie parfois un peu de stress, travaille chez Solidar, où elle est responsable des


Le défi 17

En novembre, Simone Wasmann a organisé une bourse d’échange de jouets pour promouvoir une consommation durable.

campagnes pour le travail décent en Asie du SudEst. En Suisse, elle peut compter sur le spécialiste de l’Asie chez Solidar et sur des chargés de communication. Sur place, la collaboration est assurée par des enquêteurs et des enquêtrices, nos organisations partenaires et notre coordinateur. Avec son enthousiasme contagieux, Simone réunit l’équipe autour de son projet et lui insuffle l’esprit de la campagne. En septembre dernier, elle s’est attaquée à l’huile de palme : Solidar Suisse a publié un rapport sur l’horreur qui règne dans les plantations de la province de Sabah (Malaisie). « La plupart des ouvrières et des ouvriers sont des migrants venus d’Indonésie. Dépourvus de permis, ils travaillent clandestinement et sont isolés sur les plantations. Et, bien que l’industrie malaisienne de l’huile de palme ne puisse fonctionner sans eux, ils n’ont aucun droit. Sans papiers, ils sont livrés pieds et poings liés aux razzias de la police et au bon vouloir des propriétaires », explique Simone Wasmann. Les salaires sont inférieurs au minimum vital, les enfants ne peuvent pas fréquenter l’école publique et doivent souvent travailler pour que leurs parents atteignent leur quota. Nestlé achète elle aussi de l’huile de palme provenant de ces plantations. Elle a réagi aux reproches qui la visaient en invitant Solidar à un entretien début octobre. « Le côté positif, c’est que nous avons pu envisager des solutions et que Nestlé n’a pas remis en question les résultats de notre enquête. Nous n’avons cependant rien obtenu de concret, si ce n’est que le dialogue sera maintenu », conclut sobrement Simone Wasmann. « Pourtant, si Nestlé et d’autres grands acheteurs s’engageaient contre le travail des enfants et le travail forcé, ils parviendraient à faire bouger les choses. Pour cela, il faudrait toute la pression des ONG et de l’opinion publique. Les grandes multinationales n’entreprendront rien d’elles-mêmes. » Ça, Simone le sait d’expérience. Exiger des comptes aux multinationales Pour l’heure, Solidar Suisse suit de près l’évolution chez Nestlé et soutient sur place les écoles autogérées ouvertes dans les plantations, afin de fournir un enseignement aux enfants. Simone Wasmann n’attend rien du boycott : « L’huile de palme ne poserait aucun problème si les palmiers étaient cultivés en quantités raisonnables, sans accaparement des terres et dans de bonnes conditions de travail. C’est la logique économique qui fausse tout, car les

prix très bas sur le marché mondial engendrent des excès. Il faut revoir tout le fonctionnement, comme l’exigent les jeunes pour le climat : changeons le système, pas le climat ! » Représentant Solidar au sein du comité de l’initiative pour des multinationales responsables, Simone Wasmann pense que celle-ci pourrait jouer un rôle décisif pour contraindre les entreprises suisses qui violent les droits humains à répondre de leurs actes devant la justice. Après de longues tergiversations, au terme desquels le Parlement a accouché d’un contre-projet décevant, l’initiative devrait enfin être soumise au peuple cette année. « L’intérêt des gens pour ce sujet est très motivant, se réjouit-elle. Nous avons reçu énormément de réactions positives. » « Nous devons renoncer à certaines choses » Simone Wasmann a toujours voulu promouvoir la justice sociale tout en gagnant sa vie. Seule Solidar Suisse lui permet d’allier ces deux objectifs. Elle apprécie la complexité des thématiques et l’étendue

« Il faut rester au taquet et maintenir la pression, même si rien ne se passe d’emblée. » des domaines traités : « À chaque campagne, nous devons nous demander ce qu’elle représente pour les populations sur place. Que pouvons-nous faire en Suisse ? Puis concevoir un projet qui fasse sens, explique-t-elle dans un sourire. Il faut être au taquet et maintenir la pression, même si rien ne se passe d’emblée. » Elle privilégie les changements fondamentaux, comme le passage à un modèle économique durable. Alors que la planète est menacée par une crise climatique, elle trouve absurde que les gens fondent leur bien-être sur la croissance et l’exploitation de ressources non renouvelables : « Dans le Sud, beaucoup de gens sont confrontés à une pauvreté extrême. À titre de compensation, nous devons, au Nord, renoncer à certaines choses. C’est notre seule option. »


18 Sudoku et Revue de presse

7

1

4 2

4

Compléter les cases vides avec les chiffres 1 à 9. Chaque chiffre ne peut figurer qu’une seule fois sur chaque ligne, dans chaque colonne et dans chacun des carrés de 3 × 3 cases.

5 1

8

5

La solution se trouve dans les cases grises lues horizontalement, selon la clé suivante : 1 = I, 2 = U, 3 = A, 4 = E, 5 = G, 6 = R, 7 = C, 8 = D, 9 = N

3

9

2

LE SUDOKU DE SOLIDAR

9

7

4

8

1er prix Un sac à dos du projet LanzArte 2e prix Un tablier de cuisine du projet LanzArte 3 e prix Du thé de moringa du Burkina Faso

7

2

La date limite d’envoi est le 13 mars 2020. Le nom des gagnant-e-s sera publié dans le Solidarité 2/2020. Aucune correspondance ne sera échangée concernant ce concours. Tout recours juridique est exclu. Les collaborateurs et collaboratrices de Solidar Suisse ne peuvent pas participer au concours.

8 5

3

8

8 3

Envoyez la solution à Solidar Suisse sur une carte postale ou par courrier à contact@solidar.ch, objet « sudoku ».

9

6

La solution du concours paru dans Solidarité 4/2019 était « cohabiter ». Graciela Mondillo de Genève a gagné un T-shirt du projet LanzArte. Ruth Schiesser de Schaffhouse des mangues du Burkina Faso, Gilbert Cujean de Lausanne du thé de moringa du Burkina Faso. Nous remercions toutes celles et tous ceux qui ont participé au concours.

Solution :

REVUE DE PRESSE

Jouet des multinationales L’événement syndical, 11.12.2019 En cette veille de Noël, Solidar Suisse a publié un nouveau rapport sur les conditions de travail des employés de cinq usines fournissant les marques Disney, Hasbro, Lego et Mattel. Avec, à la clef, des conclusions effarantes. Dans les coulisses de la féérique Reine des neiges, dans l’ombre de fringantes poupées Barbie, derrière les bouilles candides de peluches réconfortantes ou d’amusants Playmobil se déploie un monde cauchemardesque. Un univers rassemblant des armées de migrants qui ont déserté les campagnes pauvres de la République populaire avec l’espoir de gagner leur vie. Une main-d’œuvre trimant sans relâche pour honorer les commandes des puissantes multinationales. Payés au lance-pierre, ces laisséspour-compte du miracle économique chinois doivent effectuer d’interminables journées pour espérer joindre les deux bouts. Dans certaines

fabriques, on a enregistré jusqu’à 126 heures supplémentaires par mois et 11 jours de labeur sans congé. À l’épuisement s’ajoute la dangerosité d’un job exposant les travailleurs à des produits chimiques toxiques. Sans qu’ils bénéficient de formation suffisante ou d’équipement adéquat.

La migration depuis la danse Le Courrier, 12.11.2019 Dans le cadre des cinq ans de Solidar Suisse Genève et de son projet de coopération en Bolivie LanzArte, la chorégraphie Travesía sera présentée à Genève du 18 au 21 novembre. Fruit d’une collaboration entre la compagnie genevoise NoTa & Guests et la compagnie bolivienne Danzur, le spectacle rassemble dix jeunes âgés de 15 à 22 ans – cinq de Cochabamba et cinq autres de Genève. Ils y questionnent en mouvement le thème de la migration, comprise comme une traversée autant géographique qu’existentielle. […].

À Cochabamba comme à Genève, les jeunes – collégiens, étudiants ou jeunes travailleurs – débattent « des traces et du vide que la migration laisse derrière elle ». Parmi les jeunes danseurs boliviens, plusieurs sont séparés de leurs parents, qui ont émigré à la recherche d’une vie meilleure. En Suisse, la précarité est moindre, mais les jeunes ont aussi beaucoup à dire sur ce sujet, qu’ils soient des immigrés de deuxième génération ou simplement des témoins de l’actualité mondiale, explique la chorégraphe. « Ensuite, nous avons cherché comment mettre en mouvement cette masse documentaire et sensitive. La danse a cette particularité, en tant qu’art non verbal, d’incarner des propositions, des émotions, et de laisser une certaine part de subjectivité tout en relatant la réalité sociale », note Noelia Tajes. Pendant deux mois, les deux chorégraphes filment leurs répétitions respectives puis se les envoient par internet. C’est ainsi que la structure chorégraphique de Travesía surgit, à distance et sur un mode participatif qui encourage les jeunes à « assumer leurs présences et leurs corps, tout en se nourrissant l’esprit ».


Ensemble 19

SONDAGE

S’ENGAGER Luttez à nos côtés pour un monde équitable. À tous les niveaux, les possibilités d’agir sont infinies. Voici quelques propositions concrètes.

Nos lecteurs-trices sont prêts à payer plus pour des produits équitables Dans notre dernier numéro, nous vous demandions quel prix vous donneriez pour un T-shirt équitable. 70 % de personnes sont prêtes à le payer 25 francs, 22 % paieraient 10 francs, et 7 % 5 francs. Ce résultat est réjouissant, car un T-shirt vendu moins de 10 francs ne peut pas être produit de manière équitable. Et voici une nouvelle question : Savez-vous si votre banque opère des placements éthiques ? Nous nous réjouissons de lire vos réponses !

Sondage :

PARTICIPER

FAIRE UN DON

Assister à une conférence sur le rôle de l’économie privée L’aide suisse au développement devrait collaborer davantage avec l’économie privée. C’est du moins ce que préconise le conseiller fédéral Ignazio Cassis. Des spécialistes soulignent qu’une telle collaboration comporte des risques énormes. D’autres y voient surtout une chance. Où sont les facteurs de succès et que faut-il éviter à tout prix ? Table ronde le 19 mai à 18 heures au Volkshaus de Zurich.

L’être humain n’est pas une machine Luttez à nos côtés contre l’exploitation des travailleurs et des travailleuses dans le monde et faites un don pour soutenir notre campagne.

Plus d’infos : www.solidar.ch/fr/agenda

Faire un don : www.solidar.ch/travail-decent

IMPRESSUM Éditeur Solidar Suisse, Quellenstrasse 31, case postale 2228, 8031 Zurich, tél. 021 601 21 61 email : contact@solidar.ch, www.solidar.ch CP 10-14739-9 Lausanne Membre du réseau européen Solidar Rédaction Katja Schurter (rédactrice responsable), Marco Eichenberger, Lionel Frei, Eva Geel, Cyrill Rogger Layout artischock.net

Traduction Milena Hrdina, Katja Schurter, Jean-François Zurbriggen Correction Jeannine Horni, Catherine Vallat Impression et expédition Unionsdruckerei/subito AG, Walther-BringolfPlatz 8, 8201 Schaffhouse Paraît quatre fois par an. Tirage : 37 000 ex. Le prix de l’abonnement est compris dans la cotisation (membres individuels 70.– par an

minimum, organisations 250.– minimum). Imprimé sur papier recyclé et respectueux de l’environnement. Photo de couverture Des filles et des jeunes femmes vont chercher de l’eau potable au camp d’aide d’urgence. Photo : Olivier Magnin Dernière page Organisez vous-même un échange de jouets ! Photos : Iwan Schauwecker

ENSEMBLE

www.solidar.ch/sondage


ÉCHANGER AU LIEU D’ACHETER

BOURSE AUX JOUETS DE SOLIDAR À la bourse d’échange organisée en novembre passé par Solidar, l’idée de faire du neuf avec du vieux a attiré du monde : 70 enfants et adultes sont venus échanger jeux et jouets, boire un café et goûter de délicieux gâteaux. Les jouets ont tous été échangés au moins une fois, et ont fait la joie de leurs nouveaux ou nouvelles propriétaires. Vu le succès de ce coup d’essai, la prochaine bourse est déjà en préparation. Si vous souhaitez, vous aussi, organiser une bourse ou un troc, n’hésitez pas. C’est très simple : confectionnez un gâteau, invitez des amis et des enfants et le tour est joué. Une belle occasion d’échanger et passer un bon moment, tout en consommant durable.

www.solidar.ch/jouets


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