Solidarité 2/2017

Numéro 2, mai 2017

POINT FORT Le défi de la participation citoyenne ACTUALITÉS En réseau contre l’exploitation en Asie

Le magazine de

2 ÉDITORIAL Chère lectrice, cher lecteur, D’un point de vue démocratique ou comme principe de base depuis qu’elles ont dû quitter leur patrie. Ces réfugiés syriens du développement durable, la participation est comme « le sel vivent sans droit ni protection, dans un État qui ne leur offre dans la soupe » : on ne peut s’en passer. C’est parfois tellement aucune possibilité de développement. Ils sont certes tolérés, évident que la conscience de sa valeur sociale et individuelle et mais même pour les besoins de base de leurs familles, ils sont ses multiples dimensions – de la participation aux processus dépendants d’organisations humanitaires. Les enfants grandis­ décisionnels jusqu’à une responsabilité portée collectivement – sent auprès de parents impuissants qui ne peuvent leur offrir sont parfois un peu mises à l’arrière-­ qu’à grand-peine un soutien minimal, plan. Et même à Solidar Suisse où la dans une situation de pauvreté et d’ab­démocratie et la participation constituent sence de perspectives. Les lieux d’accueil l’un des ­engagements centraux. et de rencontres, les organisations qui Cette édition de Solidarité met en lureprésentent les réfugiés syriens ne ­ mière l’importance de la participation pour doivent pas être fermés au Liban. Et la qu’une démocratie fonctionne. Les perfin du séjour dans ce pays étranger n’est sonnes qui exigent leurs droits à par­ pas en vue. Être réfugié signifie aussi que ticiper aux processus décisionnels, qui la participation démocratique devient un veulent porter une responsabilité pour mot étranger, jour après jour. leur environnement social, sont les fonCompte tenu de la misère dans laquelle dements de la démocratie et de l’État de Esther Maurer vivent ces réfugiés, nous ne pensons à droit. Ils façonnent le futur et permettent Directrice de Solidar Suisse la participation qu’en dernier lieu. Mais des développements positifs dans tous même dans des situations de crise, la les domaines, pour eux-mêmes et les générations suivantes. participation est très importante, car elle renforce les individus, en C’est sur de tels critères aussi que nous choisissons nos orga- leur offrant un sentiment de responsabilité, de fierté et une nisations partenaires dans les pays où nous sommes engagés. identité. Un objectif complexe et important – aussi bien au Lors de ma dernière mission au Liban, j’ai rencontré beaucoup Liban que chez nous ! de personnes dont tous les droits à la participation ont été r­ etirés Esther Maurer

REVUE DE PRESSE

27.1.2017 H&M met le paquet pour nos frippes Depuis 2013, les clients suisses de la chaîne de prêt-à-porter H&M ont rapporté plus de 2000 tonnes de vieilles nippes dans les magasins. Pas encore assez pour l’enseigne, qui s’est fendue d’un nouveau clip réalisé par une jeune cinéaste branchée pour sensibiliser à l’importance du recyclage de vêtements.

Selon certains, la démarche de H&M ne serait rien d’autre que du greenwashing, en français de l’« écoblanchiment », un procédé visant davantage à faire mousser la publicité et donc les ventes de la marque

qu’à sauver la planète. «H&M propose des habits à très bas coût et de qualité moyen­ ne, ce qui encourage une consommation de type «vite acheté, vite porté, vite jeté», affirme Lionel Frei, de Solidar Suisse. Ce modèle d’affaires est par nature non éco­ logique. Et il existe, en Suisse, un réseau efficace de collecte d’habits. Est-il vraiment nécessaire que H&M propose son propre réseau de recyclage?» Pour l’ONG, si la marque communique si activement sur la dimension écologique, c’est surtout «pour améliorer son image, sans pour autant s’attaquer à l’essentiel : les graves conditions de travail qui minent l’industrie textile en général».

3.2.2017 Aide au développement Avec l’appui de la Fédération vaudoise de coopération, la Municipalité de Morges a choisi deux projets de coopération au développement qui recevront chacun un montant de 15 000 fr. (...) Le deuxième, proposé par Solidar Suisse, ira en faveur d’une organisation de femmes développant leurs communautés au Nicaragua. A relever que la ville de Morges a reçu une distinction de l’ONG Solidar Suisse pour son engagement en matière de responsabilité et de solidarité envers les pays les plus pauvres.

SOMMAIRE 3 POINT FORT Participation

4

La pauvreté recule dès que les personnes défavorisées peuvent faire valoir leurs intérêts

6

Au Kosovo, des organisations de patients prennent en charge les bébés prématurés

8

Soulager des communes libanaises en répondant aux besoins des autochtones et des réfugiés 10 Solidar aide les populations du Mozambique et du Burkina Faso à influer sur le développement 11 POINT DE VUE Ancienne parlementaire en Bolivie, Erika Brockmann parle du dévelop­ pement fondé sur la démocratie

13

ACTUALITÉS Deux ans après le tremblement de terre, la reconstruction est en bonne voie au Népal

15

Le programme Asie de Solidar promeut les droits des travailleuses et des travailleurs ainsi que la responsabilité des entreprises 17 PORTRAIT Au Salvador, Miriam Lopez se bat pour la participation des femmes

18

CHRONIQUE 9 BRÈVES CONCOURS

12 & 14 & 16 14

Point fort

Le développement profite à tous dès lors que les personnes défavorisées et discriminées peuvent défendre leurs intérêts et faire entendre leurs priorités.

4

17 ACTUALITÉ D’innombrables biens de consommation importés d’Asie sont produits dans des conditions abusives.

L’amélioration du droit du travail réclame une ­approche transfrontalière.

IMPRESSUM

Éditeur : Solidar Suisse, Quellenstrasse 31, case postale 2228, 8031 Zurich, tél. 021 601 21 61, email : contact@solidar.ch, www.solidar.ch CP 10-14739-9 Lausanne.

Membre du réseau européen Solidar Rédaction : Katja Schurter (rédactrice responsable), Marco Eichenberger, Lionel Frei, Eva Geel, Cyrill Rogger

Layout : Binkert Partner, www.binkertpartner.ch / Spinas Civil Voices Traduction : Milena Hrdina et Jean-François Zurbriggen Correction : Jeannine Horni, Catherine Vallat Impression et expédition : Unionsdruckerei/subito AG, Platz 8, 8201 Schaffhouse Paraît quatre fois par an. Tirage 37 000 ex.

Le prix de l’abonnement est compris dans la cotisation (membres individuels 70.– par an minimum, organisations 250.– minimum). Imprimé sur papier recyclé et respectueux de l’environnement.

Photo de couverture : Des femmes à un rassemblement villageois au Mozambique. Photo : Jürg Gasser. Dernière page : Une famille népalaise sur le chantier de leur maison reconstruite après le tremblement. Photo : Michael Erik Haug.

4 Une jeune fille hésite à percer un ballon : des cours d’affirmation de soi apprennent à des jeunes filles et à des jeunes femmes du Nicaragua à ne pas se laisser faire et à se battre pour leurs rêves.

PARTICIPATION Pas de développement sans participation : c’est l’ONU qui l’affirme et Solidar Suisse abonde dans ce sens. Car le développement ne peut contribuer à la justice sociale et bénéficier à tout le monde que si chacun-e y apporte sa contribution. En Bolivie, au Mozambique, au Burkina Faso, au Salvador, au Kosovo ou au Liban, nous encourageons la participation via des processus de décen­ tralisation, le renforcement de la société civile, le traitement sur un pied d’égalité des femmes et des commu­nautés indigènes ou encore par une réforme du système de santé attentive aux besoins des patients.

Photo : Andreas Schwaiger

POINT FORT

5

6

LA PARTICIPATION POUR QUOI FAIRE ?

La justice sociale augmente et la pauvreté recule dès que les personnes défavorisées peuvent faire valoir leurs intérêts.

Texte : Joachim Merz . Photos : Jürg Gasser et Vassil Anastosov Les Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU sont ambitieux : d’ici à 2030, ils visent notamment à éliminer la pauvreté et la faim, à fournir une édu­ cation de qualité et de l’eau propre pour tous et à traiter les femmes et les hommes sur un pied d’égalité. La liste comprend 17 grands objectifs. Le seizième précise l’approche nécessaire pour les tenir : d’après l’ONU, relever ce défi ne se fera qu’avec l’appui de processus de décision ­politiques inclusifs, participatifs et représentatifs. Cela vaut sur les plans local et national, mais aussi mondial : il faut renforcer la voix des pays en développement face aux nations industrialisées et

aux organisations multi­latérales comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international.

Justice sociale La participation joue un rôle majeur à ­Solidar Suisse. Notre expérience montre que sans participation politique et sans démocratie, il ne saurait y avoir de justice sociale et donc de développement durable bénéficiant à tout un chacun. Sans participation, on creuse peu de puits là où la plupart des gens n’ont pas accès à l’eau potable, mais plutôt dans les lieux de résidence de sympathisants du parti gouvernemental. On ne construit pas non

plus d’écoles primaires ou de centres de soins en zone rurale, préférant d’abord embellir la place centrale de la commune ou acquérir un tout-terrain pour le responsable politique du district.

Pour répondre à l’impératif de ne laisser personne à la traîne, comme le veulent les ODD, les populations de l’hémisphère sud doivent pouvoir s’exprimer et participer aux décisions – dans leurs pays respectifs et dans les relations internationales. Aujourd’hui, de l’ONU aux ONG et aux milieux de la recherche en passant par la Banque mondiale, on s’accorde à penser dans la communauté interna­tio­ nale que l’objectif d’éliminer la pauvreté

POINT FORT 7 Participation au Mozambique et en Bolivie : après une réunion villageoise, des femmes rentrent chez elles avec les chaises qu’elles avaient apportées (à gauche) ; des jeunes gens du projet Lanzarte de Solidar recourent à la vidéo pour faire entendre leurs revendications.

extrême d’ici à 2030 ne sera tenu que si l’injustice sociale recule. À elle seule, la croissance ne suffit pas pour vaincre la pauvreté. Il faut à cette fin cheminer concrètement vers une redistribution et vers davantage de justice sociale – avec des choix politiques clairs aux plans mondial, national et local.

Conciliation équitable des intérêts Les bons jalons politiques sont posés dès lors que les personnes défavorisées et discriminées peuvent faire valoir leurs intérêts, leurs préoccupations et leurs priorités dans le débat de politique de développement. La discrimination a de nombreux visages et causes : elle peut toucher de la même manière des femmes, des minorités ethniques ou des communautés villageoises découplées d’un processus de développement dynamique.

Rapportée à la réalité directe des êtres humains, la participation signifie que les plans de développement et les budgets au niveau local doivent donner lieu à un débat élargi et que les intérêts doivent faire l’objet d’une conciliation équitable.

Avec sa structure décentralisée et sa culture politique participative, la Suisse garantit le concours des citoyens même si tous ne votent pas. Dans de nombreux pays de coopération de Solidar Suisse,

ONG critiques, à l’appui de lois et mo­ yennant des chicanes administratives.

Nombre d’organisations partenaires de Solidar sont touchées par cette évolution. Elles ne peuvent donc plus défendre que de manière très limitée les intérêts de leurs membres. ONG internationale, Solidar se mobilise pour que l’espace démocratique reste ouvert pour ses orgaLes personnes défavorisées nisations partenaires sont particulièrement tributaires dans les divers pays d’un accès aux services publics. d’intervention et pour qu’elles puissent apporter leur contribuà une éducation de qualité, à des sys- tion sans craindre de représailles. En tèmes de santé fiables ou encore à de ­parallèle, l’enjeu est aussi de maintenir, l’eau propre. Elles doivent par conséquent en dialogue avec les gouvernements, pouvoir exercer un contrôle plus poussé la marge de manœuvre des ONG interet exiger la redevabilité, la transparence nationales, une préoccupation partagée et l’égalité des chances. Historiquement, par d’autres ONG suisses et la Direction des services publics de qualité ont aussi du développement et de la coopération. été un élément clé pour battre la pauvreté C’est en effet le seul moyen de parvenir à soutenir des processus de développeen brèche en Europe. ment dans ­l’hémisphère sud et à favoriser l’appli­cation des droits fondamentaux Pas de muselière pour les ONG Mais le développement récent s’engage élémentaires. dans une voie opposée : les conditions de base d’une participation se sont dé­ tériorées dans de nombreux pays. Les Joachim Merz est responsable gouvernements tentent de museler les du programme Afrique australe et organisations de la société civile et les Bolivie auprès de Solidar Suisse. la situation est tout autre. C’est pourquoi nous soutenons des organisations qui défendent les intérêts des défavorisés pour permettre des processus de négociation démocratiques et une prise de décision au niveau local. Car les défavorisés sont particulièrement tributaires d’un accès aux services de base, à savoir

8 UNE CHANCE POUR SUHEJLA

Les soins médicaux sont une vraie désolation au Kosovo.

Pour que cela change, il faut que la réforme du système de santé tienne compte des besoins des patient-e-s.

Texte : Cyrill Rogger. Photos : Dini Begolli Le matin du 8 février 2016, Arlinda Poniku a soudain ressenti de vives douleurs dans l’abdomen. Elle en était à sa 32e ­semaine de grossesse et a immédiatement compris que quelque chose clochait.

Elle a appelé une connaissance qui l’a con­ duite à la clinique universitaire de Pristina. « Le trajet d’une heure et demie en voiture n’a pas été une sinécure, avec mes douleurs, mes interrogations et l’inquiétude que je nourrissais pour mon bébé », se souvient-elle. Mais Arlinda Poniku savait que l’hôpital de sa ville natale de Prizren n’était pas équipé pour s’occuper de prématurés. Elle a donc préféré se rendre dans la capitale kosovare plutôt que de prendre le risque que son enfant n’ait pas accès aux soins nécessaires.

Pas de prise en charge adéquate Elle a donc été soulagée d’arriver sans mal à l’hôpital universitaire et d’être exa-

minée par un gynécologue. Mais l’alerte n’était pas terminée pour autant : le médecin lui a fait savoir qu’une naissance prématurée allait se produire et l’a dirigée vers le centre de santé pour les femmes, géré dans l’enceinte de l’hôpital par l’organisation Action for mothers and children (AMC). « La sage-femme du centre a enfin répondu aux nombreuses questions qui m’assaillaient : qu’arrivera-t-il à mon bébé en cas de naissance prématurée ? Survivra-t-il ? À quelles complications s’attendre ? » Arlinda Poniku parvint enfin à se calmer. « Je ne sais pas comment j’aurais survécu à tout ça sans le soutien et la consultation globale reçus au centre de santé. Lorsque ma fille est née, trois jours plus tard, j’étais bien préparée et la naissance s’est passée sans accrocs majeurs. » La petite Suhejla ne pesait que 1800 grammes et a dû passer quelques jours dans une couveuse.

Mais elle était résistante et a fait de ­rapides progrès. En février 2017, Suhejla a fêté son premier anniversaire. Aujourd’hui, elle pèse 10 kilos et elle est en parfaite santé.

Accouchements prématurés : à Pristina seulement Partenaire de Solidar, l’organisation AMC joue un rôle primordial dans la prise en charge de bébés prématurés à Pristina.

De nombreuses couveuses et lampes chauffantes du service de néonatologie proviennent par exemple de dons faits à l’AMC. Elle achète aussi la quantité de Survanta nécessaire, un médicament spécialement destiné à soutenir la fonction respiratoire des quelque 500 prématurés naissant chaque année au Kosovo.

Et c’est l’AMC également qui, par sa ­demande au ministère de la Santé, a fait en sorte que la clinique universitaire de

CHRONIQUE Arlinda Poniku avec Suhejla, sa fille d’un an, dont on ne voit plus qu’elle est venue au monde prématurément.

An der WM sollen Strassenhändle­ rInnen ihre Waren rund um die Stadien nicht verkaufen dürfen.

Hans-Jürg Fehr Président de Solidar Suisse

Démocratie sous pression

Pristina soit équipée de l’infrastructure Suisse collabore avec diverses organisanécessaire à l’examen de la rétine des tions partenaires dans le cadre du projet prématurés, lesquels encourent en effet Kosana. Outre l’AMC, l’organisation rom un risque de cécité accru. Solidar a aidé Balkan Sunflowers, l’association des dial’AMC à mettre en place d’autres centres bétiques et l’organisation des autistes se de santé pour les femmes, à ­Ferizaj, Mitrovica et Shterpce. Ces derniers « Qu’arrivera-t-il à mon sont toujours dirigés par l’AMC mais les frais d’exploi­ tation sont bébé s’il est prématuré ? aujourd’hui à la charge des hôpiSurvivra-t-il ? » taux. Le tout dernier projet de l’organisation AMC est la con­cep­tion d’un système permettant d’acheminer en sont exprimées sur la question de l’amétoute fiabilité les prématurés venus au nagement de l’assurance-maladie obligamonde dans des hôpitaux régionaux vers toire en projet pour qu’elle soit au service l’hôpital universitaire. de ses membres. Les organisations de patients siègent même dans le comité Entendre la voix des patientes ­directeur préparant la mise en place de la et des patients : un impératif caisse en question et peuvent ainsi préCes mesures visant à des soins de santé server leurs intérêts. Les organisations appropriés nous paraissent évidentes partenaires de Kosana s’emploient à en Suisse mais ne le sont guère dans améliorer les soins de santé et la prise en le système de santé en piteux état du charge de leur clientèle moyennant des Kosovo. Il doit par chance être réformé et réformes politiques et en apportant leurs une assurance-maladie obligatoire sera propres prestations. Pour qu’à l’avenir introduite. Il est crucial que les patientes des prématurés comme Suhejla aient et les patients puissent s’exprimer sur toujours une chance de survivre au cas cette réforme, faute de quoi leurs be- où leur maman ne parviendrait plus à soins ne pourront pas être entendus et ­gagner Pristina à temps. les groupes de population défavorisés jusqu’ici ne seront pas à même de pro­ Cyrill Rogger est responsable fiter d’un accès amélioré aux soins de du programme Europe du Sud-Est santé. Pour renforcer leur voix, Solidar auprès de Solidar Suisse.

La démocratie est mise sous pression.

L’autocrate russe Poutine est acclamé par les partis nationalistes européens, lesquels reçoivent son soutien financier en guise de remerciement. En Turquie, le président Erdogan installe une dic­ tature autour de lui. Le nouveau président américain Trump s’exprime en termes très méprisants sur la démocratie, les droits humains et les femmes.

Les services secrets américains piétinent la sphère privée comme le faisaient jadis les services de sécurité des États communistes. Et la Chine, bientôt première puissance économique, est aussi éloignée de la démocratie que l’Europe l’était au XIXe siècle. Ces faits sont des plus alarmants et tout le contraire de ce qu’il faudrait urgemment dans de grandes parties du monde : davantage de démocratie ! La démocratie est un des piliers des activités de Solidar Suisse.

La supériorité de sociétés démocratiques a été abondamment prouvée au cours de l’histoire lorsque la qualité de vie, la prospérité et la liberté de l’indi­ vidu sont prises comme référence. Car les sociétés démocratiques protègent les droits fondamentaux des êtres humains. Elles ne veulent pas exclure ces derniers de l’exercice étatique du pouvoir, mais faire en sorte qu’ils y aient une part. Elles tentent d’intégrer les minorités et non pas de les marginaliser.

Elles sont moins enclines à la corruption et riches d’une plus grande diver­ sité culturelle. Et finalement, ce qui s’avère crucial pour les ONG de développement, elles dotent les êtres humains des instruments leur permettant de vaincre eux-mêmes leur pauvreté.

10

Des enfants à l’école libanaise de Houmine el Faouqa, laquelle peut désormais accueillir davantage d’enfants réfugiés syriens.

ÉPAULER LA SOLIDARITÉ Au Liban, Solidar contribue à ce que les services publics puissent s’adapter à l’afflux de réfugiés.

Texte : Katja Schurter. Photo : Ahmad Hariri­ La guerre civile a éclaté voilà six ans en Syrie et a causé d’indicibles souffrances à la population civile. Plus de 5 millions de personnes ont fui le pays ; 6,3 millions ont été déplacées à l’intérieur des frontières syriennes. Depuis 2012, Solidar fournit une aide d’urgence aux réfugiés syriens au Liban.

Ces derniers font un quart de la po­ pulation, ce qui pousse les services publics – alimentation en eau, écoles, élimination des ordures, système de santé – à la ­limite de leurs capacités dans la plupart des communes pauvres.

Aussi Solidar soutient-elle des projets améliorant les infrastructures pour tous. Elle aide ainsi non seulement à soulager les commu­nes mais encore à désamorcer les tensions sociales. Pour identifier les projets les plus urgents, des Libanaises et des Libanais, des réfugiés et des représentants communaux discutent de ce dont ils ont absolument besoin pour corriger la situation.

Suffisamment de place à l’école pour les enfants de réfugiés L’agrandissement de l’école primaire a fait l’objet d’une décision consensuelle

dans la commune de Houmine el Faouqa, proche de Nabatieh. « Près d’un quart des élèves sont des réfugiés syriens », note le directeur Tamam Hijazi. Les enfants de réfugiés ne trouvant pas de place à l’école doivent donc fréquenter des établissements de villages avoisinants, ce qui dépasse souvent les possibilités finan­ciè­ res des familles de réfugiés. L’extension des installations sanitaires et l’acquisition de mobilier et de matériel d’enseignement supplémentaire ont désormais permis l’accueil d’un plus grand nombre d’enfants de réfugiés.

Soins de santé pour tous À Qaaqaait Al Jisr, l’écueil majeur était la mauvaise qualité des soins de santé.

Comme il compte un tiers de patients en plus ces dernières années, du fait des réfugiés syriens également, le centre de soins local est désespérément surchargé.

Les médicaments font défaut et l’absence d’un laboratoire contraint les patients à partir à Nabatieh lorsque des tests sont nécessaires. La clientèle principale – les Libanais et les réfugiés syriens pauvres – ne peut toutefois pas se le permettre.

Aussi Solidar s’est-elle occupée d’équi-

per un laboratoire au centre de soins. La commune assure son exploitation, coûts de main-d’œuvre inclus.

Accès à l’eau propre « La source alimentant Qsaibet En-Na­ batieh en eau était polluée. Il a donc fallu creuser un nouveau puits », explique le président de commune Zohier Mahdi.

La pollution était due au fait que des Libanais et des réfugiés syriens démunis avaient creusé des tranchées pour y déverser leurs eaux usées. Qsaibet En-Na­­ batieh a donc dû se raccorder au système de distribution des communes voisines et les ménages n’obtenaient de l’eau que 18 heures par semaine. Cette situation a exacerbé les tensions. Solidar Suisse en est convaincue : si en plus des réfugiés, la population libanaise profite du soutien octroyé, les besoins les plus urgents seront satisfaits et, du même coup, les rapports qu’entretient la population libanaise – très hospitalière dans l’ensemble – avec les réfugiés connaîtront une embellie.

Katja Schurter est rédactrice responsable de Solidarité.

Aide pour les communes Les projets de soutien des communes sont mis en œuvre avec l’aide financière de la ville de Zurich. La ville de Lausanne apporte elle aussi une contribution financière aux projets de Solidar Suisse en faveur des réfugiés au Liban. www.solidar.ch/liban

POINT FORT 11 Deux jeunes Mozambicains lors d’une réunion villageoise.

UNE VOIX POUR LA POPULATION Au Mozambique et au Burkina Faso, Solidar Suisse s’engage pour que les préoccupations des bénéficiaires soient intégrées dans les efforts de développement.

Texte et photo : Joachim Merz 2003 est une année importante pour la démocratie au Mozambique. C’est en 2003 en effet que cet État d’Afrique ­australe a promulgué une nouvelle loi permettant aux citoyens de participer, dans leur district, aux décisions portant sur les plans de développement et les budgets publics. Tout sauf une évidence dans un pays traditionnellement centra­ lisé : les décisions sont prises à Maputo, la capitale, puis transmises sous forme de directives aux provinces et aux districts. Les gouvernements locaux ne sont pas élus mais choisis par le parti gouvernemental Frelimo. Désormais, la population exerce le droit nouvellement accordé. Elle prend part aux décisions consistant par exemple à choisir où sera creusé un nouveau puits ou à mieux équiper le poste sanitaire local. Elle le doit aussi à Solidar Suisse : depuis plus d’une décennie, nous aidons la population à prendre part à des processus décisionnels cruciaux. Solidar assume le prix des déplacements de représentants de la société

civile villageoise se rendant à diverses séances et forme des délégués gouvernementaux locaux à une conception plus participative de la planification.

Les gens veulent avoir leur mot à dire Une scène qui s’est passée à Estaquinha, dans le district de Búzi, à 700 kilomètres au nord de Maputo dans le centre du pays, est restée gravée dans mon esprit : une femme demande la parole devant l’assemblée communale et reproche d’une voix ferme à l’autorité du district le fait que les projets prévus pour l’année suivante ne correspondent en rien à ce qui avait été discuté à la séance précédente.

Cet avis courageux d’Adela Sithole illustre bien que les gens veulent avoir leur mot à dire – et qu’ils se mettent en colère quand on les ignore. « Nous sommes ici pour défendre les intérêts de nos communautés villageoises. Nous devons dire clairement ce que nous voulons. C’est le seul moyen de faire en sorte que l’argent

public soit judicieusement investi », lancet-elle. Malheureusement la guerre civile larvée qui, ces trois dernières années, a particulièrement touché la région de projet de Solidar, dans le centre du pays, a beaucoup freiné la participation démocratique. La liberté d’opinion est toujours davantage mise sous l’éteignoir ; par peur de la répression, les gens n’osent plus défendre ouvertement leurs points de vue.

Les personnes s’exposant politiquement risquent de payer cet engagement de leur vie. Une trêve fragile règne depuis la fin 2016. Solidar s’emploie à maintenir les structures de participation établies pour que les gens puissent s’inspirer des expériences passées et qu’à l’avenir ­également des personnes courageuses comme Adela Sithole puissent prendre fait et cause pour de meilleurs services publics dans leurs villages.

Burkina Faso Le Burkina Faso est aussi gouverné de manière centralisée. Solidar appuie par conséquent le processus de décentralisation dans la région du Plateau-­ Central : en fortifiant la société civile pour qu’elle puisse participer aux processus décisionnels locaux et amé­ liorer la qualité des services publics dans huit communes. Labo Citoyennetés, l’organisation partenaire locale de Solidar, a par exemple réuni pour la première fois en décembre 2016 tous les protagonistes impliqués : « L’idée était de faire s’asseoir à une même table les conseillers municipaux, les maires et les organisations de la société civile afin de jeter les bases du processus », a expliqué le responsable Antoine Raogo Sawadogo.

12 BRÈVES Le Conseil fédéral rate une occasion de rendre ses achats plus durables

Aide aux victimes de l’explosion d’une usine au Bangladesh Des représentant-e-s de l’organisation OSHE, partenaire de Solidar au Bangladesh, ont rencontré en mars les personnes touchées par l’explosion survenue chez Tampaco. En septembre dernier, 34 personnes ont été tuées et 50 blessées dans cette usine d’emballage. Grâce à l’appui de Solidar Suisse, les familles de 22 victimes et les ouvriers blessés ont touché

Journée des femmes au Burkina Faso Lors de la Journée internationale des femmes, hommes et femmes burkinabés portent des vêtements tirés d’un même tissu et arborant le logo officiel de la ­célébration. Le tissu était naguère importé de Chine ou d’Inde. Les tisserandes et les couturières ont toutefois protesté, vou­lant coudre elles-mêmes ces vêtements à partir de leurs tissus. L’arrivée

À la mi-mars, le Conseil fédéral a publié son message concernant la loi fédérale sur les marchés publics. Chaque année, la Confédération, les cantons et les communes achètent des biens pour un total qui avoisine 40 milliards de francs : textiles, matériel électronique ou pierres naturelles sont souvent produits dans des conditions abusives à l’étranger.

En dépit des violations des normes du travail et des droits humains sur les sites de production, les responsables privilé-

gient trop souvent l’offre la plus avantageuse. La coalition suisse d’ONG sur les achats publics, dont Solidar fait partie, se dit préoccupée, car la loi ne crée pas de base légale qui permettrait aux services des achats d’appliquer des critères écologiques et sociaux ainsi que de vérifier leur respect. Elle invite donc le parlement à inscrire les trois dimensions – sociale, écologique et économique – de la durabilité dans le projet de loi, d’étendre les exigences sociales minimales au-delà des conventions de base de l’OIT et de prévoir des contrôles de conformité. www.solidar.ch/achatspublics

120 francs pour acheter de la nourriture et des médicaments. En recevant l’argent, Hasne Ara Chowhury a parlé des difficultés qu’elle rencontre, depuis la mort de son mari, pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses trois filles. Le crédit accordé par le gouvernement après l’accident était presque épuisé. Elle était très reconnaissante pour cette aide, qui lui permet de garder la tête hors de l’eau. Fin mars, Solidar a clôturé l’action de financement participatif. Nous vous remercions du fond

du cœur pour vos versements. Ils nous permettent de continuer à soutenir les ­victimes de l’explosion.

d’un nouveau régime a permis d’exaucer leur souhait. De plus, le logo souligne chaque année une problématique sociale spé­cifique. En 2017, il disait ceci : « La ­valeur morale de la personne humaine : responsabilité des communautés dans la lutte contre l’exclusion sociale des femmes. » Au Burkina, il arrive en effet que des femmes et des jeunes filles soient rejetées de leur famille ou de leur village à cause d’une grossesse non désirée, parce qu’elles refusent un mariage forcé ou qu’on les soupçonne de sor­cellerie. À la campagne, cette exclusion équivaut non seulement à une mort sociale, mais peut aussi mettre la vie des femmes en danger. Le 8 mars 2017, des milliers de Burkinabés ont rejeté ce type d’exclusion. www.solidar.ch/burkina

La participation Al-Azar

POINT DE VUE 13

LES BIENFAITS D’UNE DÉMOCRATIE Le cas de la Bolivie démontre que la démocratie est l’un des fondements du développement durable.

Texte : Erika Brockmann Quiroga, ancienne députée au Parlement bolivien Entre 1978 et 1982, la Bolivie a connu sexes a été corrigée dans les écoles neuf gouvernements : sept présidents ont ­primaires et secondaires, les filles y étant accédé au pouvoir par la force et deux désormais majoritaires. Les acquis des ont été nommés par un parlement dé­ vingt dernières années, le pays les doit à mocratiquement élu, la lutte de la so­ avant d’être mis en ciété civile pour le L’arrivée de la échec. Après cette des droits démocratie a marqué respect période mouvemenhumains et aux réle début du succès. formes démocrati­ tée, et pour la preques. Depuis 2006, mière fois depuis l’indépendance, la démocratie a fait son des procédures de consultation, mises entrée en Bolivie le 10 octobre 1982. en place à la faveur d’un contexte éco­ À ce stade, elle n’avait connu que des nomique international propice, visent de régimes autoritaires et le processus de plus à promouvoir les autochtones et démocratisation représentait un défi co- les femmes. lossal. L’instabilité politique et la misère sociale avaient fait du pays l’un des États La décentralisation dynamise les moins avancés de la région. Le déve- la démocratie loppement que la Bolivie a enregistré en- La décentralisation lancée en 1994 joue suite, malgré toutes les difficultés, ne peut un rôle essentiel. Dans les communes, donc être perçu qu’à la lumière de la démo- une culture démocratique s’est instaurée, cratie voulue et légitimée par la société. qui permet de déceler les tensions sociales et de relever de nouveaux défis.

La société civile – Des mécanismes ont ainsi été mis au moteur du progrès point pour faire participer la population à L’arrivée de la démocratie a aussi marqué la planification, des groupes autochtones le début du succès : en 2015, la Bolivie naguère marginalisés ont été reconnus a enregistré d’énormes progrès dans la et des ressources financières ont été ­réalisation des Objectifs du millénaire transférées aux plus de 300 communes pour le développement. La faim et la rurales du pays. L’administration autopauvreté extrême sont absentes de nome des communes a engendré une 41 % des régions urbaines et de 11 % foule d’expériences et de pratiques dans des zones rurales. Le parlement compte les domaines de la participation citoyenne 48 % de femmes et l’inégalité entre les et de la gouvernance démocratique, et

toutes ces innovations apportent de l’eau au moulin du développement.

Des défis demeurent À côté de ces points positifs, des défis restent à relever. La Bolivie demeure l’un des pays de la région où les inégalités entre hommes et femmes sont les plus criantes et qui enregistre le taux le plus élevé de violence envers les femmes.

Des valeurs contraires à la démocratie, l’intolérance et le mépris des institutions sont toujours d’actualité et s’opposent à une coexistence démocratique. Le culte de la personnalité et le clientélisme sont profondément ancrés dans la culture politique. Dans les domaines économique et social, on confond développement avec croissance économique, et le secteur informel n’a pas reculé d’un pouce.

Enfin, un modèle de développement fondé sur les matières premières et une économie axée sur les exportations mettent en danger la durabilité des succès engrangés.

Selon Amartya Sen, lauréat du prix Nobel : « Le développement humain a besoin d’une société démocratique. » La Bolivie illustre à merveille ce lien indissociable entre démocratie et développement.

Même si les défis à relever sont immenses, nous ne pourrons assurer un meilleur avenir à la Bolivie qu’en amé­ liorant notre démocratie.

14 CONCOURS LE SUDOKU DE SOLIDAR 7

3

1

5

8

9 1 8

5

6

2

4

7

Complétez les cases vides avec les chiffres 1 à 9. Chaque chiffre ne peut figurer qu’une seule fois sur chaque ligne, dans chaque colonne et dans chacun des carrés de 3 x 3 cases.

La solution se trouve dans les cases grises lues horizontalement, selon la clé suivante : 1 = N, 2 = A, 3 = I, 4 = O, 5 = R, 6 = C, 7 = T, 8 = P

3

5 2

9

Règles du jeu

8

1er prix 2e prix 3e prix

8

1 2

7

9

3

4

Solution

6

Envoyez la solution à Solidar Suisse sur une carte postale ou par courriel à contact@solidar.ch, objet « sudoku ».

6

Un tablier pour l’égalité des chances (Bolivie) Un T-shirt contre la violence (Bolivie) Un petit animal en fil de fer (Mozambique)

La date limite d’envoi est le 9 juin 2017. Le nom des gagnant-e-s sera publié dans Solidarité 3/2017. Aucune correspondance ne sera échangée concernant ce concours. Tout recours juridique est exclu. Les collaborateurs et collaboratrices de Solidar Suisse ne peuvent pas participer au concours.

La solution du concours paru dans Solidarité 1/2017 était « formation ». Élisabeth et Daniel Devaud de La Chaux-de-Fonds ont gagné un sac à bandoulière, Christian Steiner de Seltisberg un bloc-notes et Pia Mosimann de Zurich un miroir de poche. Nous remercions toutes celles et tous ceux qui ont participé au concours.

BRÈVES

L’OIT accroît la pression sur le Qatar L’Organisation internationale du travail (OIT) prévoit d’instituer une commission d’enquête si le Qatar n’entreprend pas, jusqu’en novembre 2017, une nouvelle réforme de sa législation afin d’abolir le travail forcé.

Environ 90 % des 2,5 millions de person­ nes qui vivent au Qatar sont des travailleuses et des travailleurs migrants, la plupart venant d’Inde, du Népal et du ­

Bangladesh. Employés dans le bâtiment, beaucoup construisent les stades et les infra­ structures de la coupe de monde 2022. Ayant reçu des plaintes réitérées faisant état de violations des normes du travail les plus élémentaires, l’OIT a envoyé une délégation au Qatar en 2016. Elle a ensuite publié un rapport qui pointe les problèmes et formule des recommandations pour améliorer la situation de la maind’œuvre. En décembre, le Qatar a réformé sa législation sur le travail et assoupli le système du kafala. Les salariés étrangers ont néanmoins toujours besoin d’une autorisation de leur employeur pour changer de poste ou quitter le pays. Fin mars, l’OIT a exigé du gouvernement qatari des informations supplémentaires sur l’application de la loi. L’organisation entend améliorer aussi la situation des employées de maison, très précaires dans le pays.

Mozambique : scandale financier Riche en matières premières, mais gangrené par la corruption, le Mozambique est empêtré dans un scandale ­financier et en état d’insolvabilité depuis l’automne dernier. L’affaire concerne un crédit de 2 milliards de dollars accordés de façon anticonstitutionnelle par la filia­ le londonienne de Credit Suisse et par une banque russe, mais aussi la mauvaise gestion de cet argent. Jusqu’ici, le CS a refusé de prendre position. Avec des ONG du monde entier, Solidar Suisse a lancé un appel au Fonds monétaire international pour que les versements ­ des crédits, actuellement suspendus, ne reprennent que lors­que le rôle du gouvernement, des prêteurs et de toutes les entreprises impliquées sera tiré au clair. www.solidar.ch/news

ACTUALITÉ 15 Dans la vallée de Melamchi, la maison de Moti et Dil Tamang sera bientôt reconstruite.

DES MAISONS POUR LE NÉPAL Deux années après le séisme du siècle, la reconstruction va bon train au Népal.

Texte : Sandra Aeschlimann. Photo : Michael Erik Haug

Pendant les trois heures et demie qui nous emmènent de la capitale, Kat­man­ dou, à Melamchi, au nord-est, nous constatons partout une activité fébrile dans la construction : les cheminées des tuileries ne cessent de fumer, des pierres et du bois s’entassent soigneusement de-ci de-là et le sable est transporté à pleins camions. Solidar aide depuis 18 mois la population locale à reconstruire ce que le tremblement de terre a détruit dans la vallée de Melamchi. La vallée ressemble un peu au Lötschental, à la différence près que la rivière Melamchi est trois fois plus large que la Lonza, que les villages situés à plus de 3000 mètres sont habités toute l’année et que beaucoup de gens ont tout perdu lors du séisme de 2015. Après diverses querelles internes et un blocus commercial, la reconstruction tour­­­ne à plein régime : 110 maisons ont été achevées et 220 sont en travaux.

Des maisons résistant aux séismes Avec leurs quatre enfants, Moti et Dil ­Tamang comptent parmi les 780 familles

les plus démunies que Solidar Suisse aide à reconstruire leur maison. Il ne manque plus qu’un toit à la solide bâtisse de pierres sèches. Mené d’arrache-pied, le travail fut exemplaire. Solidar a veillé à l’adéquation du terrain et à l’utilisation de matériaux locaux, tout en assurant l’évolution durable du savoir-faire local.

Des contrôles ont tout d’abord servi à vérifier que la parcelle des Tamang ne soit pas ­exposée à des glissements de terrain ou à des inondations. Une somme de 500 francs a ensuite été versée sur le compte de la famille. Avec cet argent, elle a acheté des matériaux locaux (pierres et bois) et engagé des maçons et des manœuvres du village. Après avoir reçu des instructions de techniciens expérimentés, tout le monde s’est mis à l’œuvre sous leur supervision. Une fois les fondations approuvées par un ingénieur, Moti et Dil ­ Tamang ont reçu un versement de 1500 francs pour réaliser les murs. L’impli­cation des futurs propriétaires garantit le transfert de connaissances sur la construction parasismique

au sein de tout le village. Outre les cont­ ributions ­ financières, les bénéficiaires ­reçoivent également des plaques de tôle ondulée pour les toits et un enduit éco­ logique pour imprégner les renforts en bois, qui permettront à la maison de résister aux séismes.

Les élections régionales risquent de ralentir les travaux En place depuis l’été 2016, le gouvernement népalais a annoncé la tenue d’élections régionales, les premières depuis vingt ans, pour mai prochain. À l’avenir, le Népal devrait être régi par un système plus fédéraliste, qui conférera plus de pouvoir aux provinces récemment créées et aux communes. C’est bon signe, certes.

Les incidents violents survenus dans le sud du pays en automne 2015 ont cependant de quoi modérer les enthou­ siasmes, d’autant que la revendication demandant une plus grande représen­ tation populaire au sein du parlement national n’a pas été entendue. Associée à d’énor­mes défis, la reconstruction risque donc d’être reportée jusqu’à nouvel avis.

Les Népalais ont toutefois l’habitude de faire face aux impondérables et de trouver des solutions créatives pour aller leur ­petit bonhomme de chemin. Solidar les y aidera dans toute la mesure du possible.

Sandra Aeschlimann est responsable de l’aide humanitaire au sein de Solidar Suisse.

Votre don compte Votre don de 70 francs permet de doter une maison d’un toit en tôle ondulée, à même de résister à un séisme. www.solidar.ch/népal

16 BRÈVES Trading Paradise Ses allègements fiscaux font de la Suisse l’un des grands centres du commerce mondial de matières premières, dont 20 à 30 % transitent par des sociétés suisses. En exploitant des matières premières, des compagnies sises dans notre pays, telles Glencore ou VALE, violent les droits humains et provoquent des dégâts écologiques. Le film «Trading Paradise» de Daniel Schweizer en donne plusieurs exemples : en Zambie, les vents qui soufflent de la mine de Mopani trans-

Fair Trade Town «En tant que capitale, Berne peut servir de modèle et souligner son soutien en faveur de conditions de travail plus justes dans les pays de provenance», explique un membre du Conseil communal bernois. À l’instar de 1850 villes et communes du monde entier, Berne est récemment devenue Fair Trade Town.

Avec cette distinction, Swiss Fair Trade récompense l’effort des communes qui soutiennent le commerce équitable.

Vous aussi, aidez la campagne Fair Trade Town! Comme citoyen vous pouvez orienter les décisions politiques de votre commune. En tant que consom’acteur, vous avez la possibilité de traduire concrètement votre solidarité. Privilégiez les produits équitables et incitez vos collègues à déguster de tels produits à la pause : devenez un relais de Fair Trade Town dans votre ville. Participer à la campagne est un moyen efficace de soutenir les producteurs des pays du Sud pour des échanges commerciaux plus justes. www.fairtradetown.ch

portent du dioxyde de soufre, un gaz toxique. Ils détruisent les récoltes et rendent les gens malades. Au Pérou, les bassins de décantation de la mine d’Antapaccay contaminent les eaux souterraines et provoquent des malfor­ma­ tions chez les bébés lamas. Au Brésil, les eaux usées d’une mine de nickel polluent la rivière et les déboisements menacent les modes de vie des indigènes. Partout, ceux qui résistent sont opprimés. Le film passe dans les salles romandes depuis le mois d’avril.

L’industrie des casseroles réagit aux critiques de Solidar Les casseroles vendues en Suisse sont souvent produites en Chine… dans des conditions déplorables. Un rapport publié par Solidar Suisse au printemps 2016 a révélé que les salaires de misère, les heures supplémentaires sans fin, l’absence de sécurité au travail, les ­carences sociales et le manque d’hygiène dans les logements des ouvrières et des ouvriers font partie du quotidien.

Une année après la parution du rapport, Solidar Suisse a envoyé aux entreprises concernées – Coop, Migros, Kuhn Rikon, Manor, Ikea, WMF et Greenpan – un questionnaire pour savoir ce qu’elles avaient entrepris en vue d’améliorer les conditions de travail en Chine. Parmi les sociétés elles-mêmes productrices, toutes à l’exception de WMF (qui n’a pas daigné répondre au questionnaire) ont pris des mesures concrètes : visites d’usines et audits. C’est toutefois loin de suffire pour venir à bout du véritable problème : l’exploitation de la main-d’œuvre. Les résultats de contrôles réalisés sont souvent à l’opposé des constats dressés par des ONG. Solidar demande dès lors que les ouvrières et les ouvriers aient voix au chapitre : mise en place de mécanismes de recours et désignation de représentant-e-s dignes de ce nom. Les réponses des ­diverses entreprises figurent à l’adresse : www.solidar.ch/casseroles

Évolution de la FIFA – apparences ou réalité ?

Le 16 février 2017, le responsable du développement durable à la FIFA, Federico Addiechi, a participé à une table ronde organisée par Solidar Suisse et terre des hommes schweiz. Il en a profité pour souligner les changements positifs : les droits humains figureraient en bonne place dans le programme FIFA 2.0 et la FIFA respecterait l’obligation de diligence raisonnable. Elle aurait par ailleurs inspecté les chantiers des stades au Qatar. Enfin, les pays hôtes porteraient leur part des responsabilités.

Selon le professeur Jean-Lou Chappelet, de l’Université de Lausanne, la procédure de candidature joue un rôle essentiel.

Voilà pourquoi Solidar Suisse a proposé, en 2016 déjà, une Charte de responsabilité à la FIFA. Celle-ci doit surtout régler les points suivants : A-t-elle fixé des exigences claires quant aux droits humains et aux conditions de travail ? Quel sérieux les organes décisionnels de la FIFA accordent-ils à un préavis négatif du département Développement durable ?

ACTUALITÉ 17 Ouvrière dans une usine de textile au Cambodge, qui affiche les salaires parmi les plus bas de cette branche.

À PRODUCTION MONDIALE, LUTTES MONDIALES Solidar veut faire respecter le droit du travail en Asie et responsabiliser les entreprises.

Texte : Zoltan Doka. Photo : OIT

Les biens de consommation importés d’Asie sont souvent produits par une main-d’œuvre exploitée. Si Solidar Suisse veut améliorer les normes du travail sur place – comme le prouve notre engagement en Chine – nous ne pouvons pas travailler au cas par cas. La production mondiale fait fi des frontières : des migrant-e-s venus du Myanmar triment dans les plantations d’Indonésie ; des Chinois investissent dans l’industrie du textile au Cambodge ; les Russes font du lobby auprès de l’industrie de l’amiante asiatique ; des fabricants coréens sont présents dans l’électronique de loisir en Chine.

Les efforts visant à faire respecter les normes du travail doivent donc, eux aussi, s’inscrire à l’international. Voilà pourquoi ­Solidar mène depuis 2017 des activités au niveau interrégional pour améliorer les conditions de travail.

1. Réseautage régional Les chaînes mondiales d’approvisionnement dominent la production en Asie.

Voici leur fonctionnement : un commerçant suisse achète des marchandises chez un producteur de Taïwan. Celui-ci les a acquises auprès de sous-traitants chinois et cambodgiens, qui ont à leur tour acheté des composants chez d’autres fournisseurs. Ces chaînes sont donc longues et opaques, et les normes du travail restent sur le carreau. Si des groupes locaux et des syndicats luttent certes pour les défendre, seules des actions concertées permettent souvent d’obtenir des progrès.

Solidar soutient dès lors des réseaux régionaux, qui analysent les chaînes d’approvisionnement, mettent le savoir acquis à la disposition d’organisations concernées et proposent des activités à mener au quotidien. Nous concentrons notre appui sur les secteurs et les thématiques qui jouent un rôle tant pour les salariés en Asie que pour la consommation en Suisse, comme l’agro-industrie, le textile et l’industrie de l’amiante. Nos priorités thématiques sont la sécurité au travail, les salaires de subsistance et la migration.

2. Projets locales En Chine et au Cambodge, nous soutenons également des projets concrets (consultations juridiques, cours de formation et renforcement des partenaires locaux) qui visent à améliorer les conditions de travail. Le lien avec les réseaux régionaux assure l’échange d’informations entre les organisations de différents pays.

3. Campagnes en Suisse Les campagnes en Suisse sont le troisième pilier de notre action : nous informons l’opinion publique sur les liens qui existent entre les conditions de travail en Asie et la consommation en Suisse.

L’année dernière, nous avons mis l’accent sur les conditions de travail dans les usines chinoises de casseroles et de jouets. Ces campagnes visent également à interpeller l’industrie, le commerce et les milieux politiques.

Une collaboration internationale s’impose aussi pour une autre raison. Bien qu’il ait été possible d’obtenir des progrès en matière de droit du travail, le contexte politique est aujourd’hui préoccupant ­ dans nombre de pays d’Asie : loi sur les ONG en Chine, lois sur les syndicats au Cambodge, arrestations de syndicalistes au Bangladesh, contraintes imposées à la société civile en Thaïlande. Toutes ces décisions ou actions ont pour but de restreindre la liberté d’organisation et ­ d’imposer les intérêts des employeurs aux dépens des salariés. En soutenant des organisations de la société civile, Solidar contribue à faire front à cette ­ tendance.

Zoltan Doka était jusqu’à fin mars responsable du programme Asie de Solidar Suisse.

18

INITIER LE CHANGEMENT Au Salvador, Miriam Lopez s’active pour que les femmes s’investissent dans la vie publique.

C’est tout bénéfice pour elle-même et pour sa communauté.

Texte : Mercedes Cañas. Photo : Solidar

PORTRAIT 19 couple a eu 2 ans, le mari est parti aux États-Unis. Alors âgée de 20 ans, la jeune femme est devenue membre du comité de développement de son village et a rapidement participé à l’élaboration d’une politique de genre pour l’ensemble de la commune. Cet engagement a eu une grande influence sur sa vie : elle s’est lancée dans une formation à distance pour obtenir sa maturité.

Le cas de Miriam Lopez prouve de manière exemplaire que la prévention de la violence et la participation des femmes font avancer toute la société.

« Dans ce cadre-là, je peux faire quelque chose pour améliorer la situation des femmes », affirme Miriam Lopez, 36 ans, en évoquant son travail au sein du comité de genre de Las Vueltas, dans la région de Chalatenango (nord du Salvador).

Vu sa propre expérience, les progrès en faveur des femmes lui tiennent spécia­ lement à cœur.

Tombée enceinte à 16 ans, Miriam Lopez a interrompu sa scolarité, car sa famille l’a obligée à épouser le père de son enfant. Son mariage fut loin d’être heureux, domination et violence psychique faisant partie du quotidien. Lorsque la fille du

Une politique efficace La politique de genre est désormais en vigueur à Las Vueltas et a déjà porté ses fruits : un office pour les femmes ainsi qu’un budget de genre ont été mis en place et une ordonnance prescrit la parité hommes-femmes au sein de tous les organes communaux. La commune a ouvert sa crèche, élaboré un plan de prévention de la violence (prévu sur trois ans) et sensibilisé les hommes à la répartition des tâches f­ amiliales. De plus, les femmes ont accès à des crédits pour fonder des entreprises. « L’indépendance économique contribue à réduire la violence envers les femmes et favorise leur participation », affirme Miriam Lopez. Désormais plus nomb­reuses à occuper des fonctions politiques, les femmes forment la moitié du Conseil municipal. Petite ombre au tableau : sur les 33 communes de Chalatenango, seule Las Vueltas a une mairesse.

Autonomisation des femmes Grâce à son engagement, Miriam Lopez a elle aussi évolué : elle a obtenu son diplô­ me de maturité en 2012 et travaille depuis chez Cordes, une organisation partenaire de Solidar. Elle aide les groupements de femmes et de jeunesse à développer leurs propres projets et leur confiance en soi. Elle a par ailleurs commencé des études en travail social. « La démarche que j’ai suivie en élaborant la politique de genre a marqué mon existence. Je ne peux pas encore affirmer que je vis à 100 % à l’abri de la violence, mais je suis une femme ­indépendante, qui n’a pas de permission à demander à qui que ce soit , déclare-t-elle fièrement. J’ai dit à mon mari qu’il pouvait se trouver une autre femme, car je n’aurai

un autre enfant que si je le désire vraiment. » Son époux a visiblement compris : de retour des États-Unis, il partage dé­ sormais les tâches ménagères avec sa femme, qui a par ailleurs obtenu que leur maison soit inscrite à leurs deux noms.

Miriam Lopez est persuadée que son ­ évolution personnelle a également influé sur son entourage : « Même si certains pensent que je mène mon mari à la baguette, je ne m’en laisse pas compter.

Je suis ma voie en espérant provoquer le changement chez d’autres. » Fin 2017, Miriam Lopez achèvera ses études et a déjà des projets pour plus tard : « Je voudrais faire un master en études genre ou en sciences politiques.

Seule une bonne formation me permettra de parvenir à quelque chose. » Et il y a encore fort à faire pour réaliser son rêve : que les femmes ne fassent plus l’objet de discriminations et puissent mener leur existence comme elles l’entendent, qu’il s’agisse de l’exercice d’un métier ou de leur sexualité. La barre est placée haut, surtout dans un pays qui punit sévèrement l’avortement, même lorsque la vie de la mère est en danger et où un tiers des femmes enceintes sont mineures. « Les jeunes femmes doivent connaître leurs droits pour être en mesure de se défendre contre la violence et ne pas se sentir acculées au suicide dans les cas extrêmement difficiles. » Femme solidaire dans l’âme, Miriam Lopez ne risque pas d’être désœuvrée de sitôt…

Mercedes Cañas est consultante de Solidar au Salvador.

Égalité des droits Solidar Suisse aide les femmes et les jeunes des communes de Chalatenango à participer à la vie publique, pour qu’ils puissent contribuer à ­améliorer leurs conditions de vie, à prévenir la violence et à instaurer l’égalité des chances. www.solidar/chalatenango

NÉPAL : LA RECONSTRUCTION VA BON TRAIN La reconstruction après le terrible séisme qui a frappé le Népal en 2015 bat son plein. Grâce à Solidar Suisse, 110 maisons sûres ont été achevées, 220 sont en construction et 450 autres devraient être réalisées d’ici à mi-2018.

Au nom de la population népalaise, nous vous remercions du fond du cœur de votre soutien ! www.solidar.ch/népal