L'INvENTION SUR LE TERRAIN
REPORTAGES À TRAVERS LA PLANÈTE
Des espaces pour panser le monde en commun De la banlieue de Casablanca au cœur de Berlin, des campagnes isolées du Bénin à un terrain de basket de Montréal, partout sur la planète des lieux naissent ou se transforment en espaces de solidarité ou d’émancipation. Exemples. «
L
’émergence des villes a permis la célébration de l’autonomie individuelle, qui est devenue une solitude au quotidien. Beaucoup souffrent de cette impossibilité de construire des choses en commun… Et c’est pourquoi les gens vont vers ces initiatives collectives, parce qu’ils s’y retrouvent personnellement. » Chercheur à l’université Humboldt de Berlin, Adrien Labaeye étudie la façon dont la notion de « communs » permet aux citoyens de la capitale allemande de redonner du sens au mot « communauté », qui souvent rime avec solidarité. Ils investissent ainsi des territoires aussi divers que l’ancien aéroport de Tempelhof ou une friche industrielle en centre-ville, y implantant de nouveaux laboratoires de mixité sociale et de responsabilités collectives. Si la pression immobilière n’est pas étrangère à ce phénomène, l’enjeu va au-delà d’une réponse à cette gentrification qui fragilise et déplace dans les périphéries délaissées ceux qui n’ont pas les codes d’accès direct à la réussite sociale et économique. D’ailleurs, partout dans le monde se créent désormais des maisons ouvertes, des espaces partagés, des centres de vie et d’accompagnement qui fertilisent et transmettent cette relation humaine qui revalorise les quartiers déclassés, en révélant une richesse insoupçonnée. C’est ainsi que la Casa das Mulheres da Maré, dans l’une des favelas les plus vastes de Rio de Janeiro, est devenue beaucoup plus qu’un lieu d’accueil et de prise de parole des femmes, premières victimes des discriminations, violences et balles perdues. À l’instar des jardins communautaires de Berlin en Allemagne, de Ljubljana en Slovénie ou de Detroit aux États-Unis, cette maison parmi d’autres fait « tranquillement » imploser les murs d’incompréhension entres les uns et les autres. Pour in fine organiser des manières d’habiter le monde afin d’y construire un futur vivable pour tous. 52
Ce vaste chantier prend les formes les plus diverses : d’un espace ouvert aux jeunes exclus de Bogota en Colombie à la revitalisation d’un village via la collaboration intergénérationnelle dans une campagne reculée du Japon, d’un quartier déshérité de Casablanca réenchanté par la présence d’un centre culturel à un cinéma numérique ambulant qui organise gratuitement des projections en plein air auprès des populations rurales d’Afrique subsaharienne… Si les exemples se multiplient à travers la planète, du simple terrain de basket à Montréal à un fablab à Ouagadougou au Burkina Faso, tous s’appuient sur un même principe fondateur : une ouverture a priori, seule susceptible d’accueillir et de recueillir sans exclusion, de rassembler les différences et dissemblances. Patiemment, ils posent les premières pierres d’un nouveau socle pour vivre ensemble. Car ce terme, trop souvent galvaudé jusqu’à le vider de son sens, ne doit pas faire oublier sa première finalité : cohabiter en commun, c’està-dire selon des gouvernances qui font de l’altérité un gisement d’idées et non une source de rejets. Que l’on soit un jeune Amérindien soucieux de recouvrer la mémoire de la culture nomade ou un ancien de Mayotte porteur de traditions dont les traces s’effacent, un paysan du Sahel nigérien confronté à la guerre et à la désertification ou un Afro-Américain logé dans le grand ghetto historique de Chicago, le pari est de nous entendre. Pour imaginer d’autres voies comme autant d’alternatives aux autoroutes téléguidées qui mènent vers ces impasses où « l’autre » n’a pas sa place. Toutes ces trajectoires, porteuses d’espoir, sèment et essaiment peu à peu des désirs d’avenir, un besoin de « panser » le monde au nécessaire pluriel du collectif, sans y gommer – bien au contraire – la singularité de chacun. Jacques Denis VISIONS SOLIDAIRES POUR DEMAIN N° 4