MEMOIRE DE RECHERCHE - ARCHITECTURE ET LITTERATURE, TOPOLOGIE DE LA MARGE CHEZ ALAIN DAMASIO

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Mémoire de fin d’étude par Soliman Nessa Encadré par Marc-Antoine Durand Master 2 / Evan / 2020 - 2021

Topologie de la marge chez Alain Damasio

ARCHITECTURE ET LITTÉRATURE 1



Mémoire de fin d’étude par Soliman Nessa Encadré par Marc-Antoine Durand Master 2 / Evan / 2020 - 2021

Topologie de la marge chez Alain Damasio

ARCHITECTURE ET LITTÉRATURE



Remerciements Je remercie Marc-Antoine Durand pour tous ses bons conseils de lecture et pour la liberté qu’il laisse aux étudiants dans l’écriture de leur mémoire. Je remercie ma mère qui, même si « elle n’a pas tout compris », a pris le temps de me relire. Je remercie mon père qui, coûte que coûte, continue d’enrichir mon palais. Je remercie Florie qui, malgré mes incessantes questions, a toujours les bonnes réponses. Enfin, je remercie cet inconnu du lycée, qui un jour en terminal m’avait conseillé de lire un étrange livre intitulé La Horde du Contrevent.



« Toute crise majeure est une chance. Parce qu’elle brise un continuum. Et qu’elle ouvre une lucarne dans le mur circulaire de nos habitus cimentés à la résignation et au déni. Une lucarne qui peut vite devenir fenêtre, puis portes sur un futur à désincarcérer. » Alain Damasio, (2 Mai 2020). « Coronavigation en air trouble (3/3) : pour des aujourd’huis qui bruissent », Le blog d’Alain Damasio, Mediapart, https://blogs.mediapart.fr/alain-damasio/blog/020520/ coronavigation-en-air-trouble-33-pour-des-aujourdhuisqui-bruissent



Avant toutes choses

La conduite de ce mémoire s’est faite au travers de tours, détours et sauts d’idées. Je pense qu’il est dans ma nature d’attraper au vent les idées qui me traversent, pour en faire in fine « quelque-chose ». L’interdisciplinarité m’a toujours questionné. Peut-être est-ce dû à mon côté « touche à tout » ou simplement à mon bagage culturel. Le fait est que comparer deux formes d’art a toujours eu en moi un sens profond, et a fertilisé le terreau de la création. Lorsque j’ai commencé l’Architecture j’y ai bien sur vu l’entrecroisement avec d’autres disciplines : le Dessin, la Photographie, le Cinéma, et la Musique même. Ainsi lors de mon rapport d’étude rédigé en 2019, j’ai fait le choix de comparer Bande-dessinée et Architecture. En était ressortie une formidable réflexion autour de l’ellipse en Architecture. Aujourd’hui, et à travers ce mémoire, c’est vers un rapprochement avec la Littérature que j’ai décidé d’aller. Ce choix n’a pas été sans raisons, un livre a saisi mon attention : La Horde du Contrevent d’Alain Damasio. À partir de là est né un désir puis un questionnement sur comment donner sens à une mise en relation de deux disciplines aussi vieilles que le monde ?


Introduction

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Et demain on fait quoi ?

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De la science fiction à la réalité

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Alain Damasio un auteur de science-fiction

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Les marges, espaces de revendication ?

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Mise en contexte avec la réalité et la brèche intellectuelle, économique et sociale que la crise sanitaire a ouverte.

La science-fiction comme outil de projection.

Présentation d’Alain Damasio comme auteur de sciencefiction engagé. Ses positions et sa vision sur le monde contemporain.

Définition et mise en contexte de la notion de marge.

I. De l’intérêt d’articuler Architecture et Littérature

L’architecture du livre

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L’architecture dans le livre

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Méthodologie

51

La descritpion, entre lecture et écriture

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De quelle manière la structure d’un livre, d’une histoire et même du langage s’apparente à la construction architecturale.

On parle ici de l’architecture à l’intérieur des histoires. Autrement dit, comment les auteurs parlent, choisissent, décrivent des lieux imaginaires ou réels.

Il est question ici des auteurs et méthodes sur lesquels notre recherche va s’appuyer. À travers une exploration de l’architecture dans le livre, nous proposons une topologie des marges dans la littérature d’Alain Damasio.

La topologie apparait comme un outil de description du réel, un outil qui est issu à la fois d’une lecture et d’une écriture de la réalité.

II. Topologies

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Le Dedans

60

La Fuite

67

Le Creux

73

Chacun des romans met en scène des personnages dans un univers présenté comme dystopique. Souvent enfermés, les personnages subissent un monde panoptique.

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Face à une réalité dans laquelle ils ne se sentent pas assez vivants, les personnages entreprennent un mouvement de fuite et de révolte.

Pris dans un premier réflexe, les personnages cherchent un lieu pour se cacher. Les espaces en creux apparaissent.


Le Contour

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Le Vide

86

L’Île

89

Le Dehors

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Dans une autre mesure, ce sont les espaces des contours qui sont investis. La revendication apparait alors à travers différents moyens d’expressions et d’habitats.

À une autre échelle, ce sont les espaces vides qui sont investis. Ces derniers offrent aux occupants la possibilité de construire autre chose, de commencer à faire société.

L’île apparait comme la forme la plus caractérisée de la marge. À la fois synonyme de groupe et de société autonome. Le Dehors est compris dans sa dimension métaphysique, bien qu’il ait dans les livres une réalité physique. Il faut le prendre comme un espace fantasmé, que chaque personnage cherchera à atteindre.

III. Décrire un territoire de projet

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Le territoire de projet : Karlsruhe

103

Le Dedans / Karlsruhe

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La Fuite / Le Tram-train

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Le Creux / Les Cuves

115

Le Contour / La Tour

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Le Vide / Les Kleingarten

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L’Île / La Clairière

127

La Dehors / La Forêt-Noire

Conclusion

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Le domaine de recherche de l’Ensacf

133

Parler du présent en parlant du futur

133

La topologie un outil de description

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L’art de l’improvisation

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Annexes

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Introduction Dans le courant du mois de Mars 2020, la France et, à une plus large échelle, la majorité de la population mondiale ont subi une crise sanitaire inédite plongeant chaque individu dans un confinement inattendu. Cette pandémie a contraint chacun à des mesures de protection, mais aussi à des méthodes de travail nouvelles. L’Homme s’est alors retrouvé enfermé chez lui. Ne pouvant sortir, selon la législation en vigueur du pays, qu’en ayant rempli une autorisation. Dans cette situation, les supports technologiques ont permis d’entretenir nos relations, de poursuivre notre travail et de sauvegarder notre économie. Cette crise a redéfini en un temps record nos relations sociales, mais aussi nos rapports aux espaces. Au point de se demander si nous de devions pas nous arrêter et réfléchir. À l’échelle de nos vies, cette crise est apparue pour certains comme une attente trop longue, un étouffement, une solitude, mais aussi une nouvelle façon d’aborder le travail et même une source de créativité. Pour d’autres, elle constitue désormais une véritable opportunité de ne pas répéter les erreurs du « monde d’avant ». Une espace-temps en marge, dont il faut extraire les enseignements.


Et demain on fait quoi ?

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C’est dans ce contexte que le Pavillon de l’Arsenal préparait sa future exposition « Et demain on fait quoi 1 ». Une exposition composée de textes et d’images d’architectes, urbanistes, ingénieurs, designers, paysagistes, étudiants, professionnels de l’immobilier et acteurs de la fabrication de la ville et pour lesquels la crise doit être perçue comme un pli à prendre, un sursaut, une alerte. L’exposition montre que la crise du coronavirus a eu pour effet d’accélérer des mutations dans de nombreux domaines mais aussi de révéler des failles. Ainsi « les modes de vie urbains, les conditions de fabrications de la ville, tout comme leurs usages, et les façons d’habiter sont brutalement devenus, pour beaucoup obsolètes.2 » Les articles, projets, images, dessins, tribunes... publiés font surgir plusieurs thèmes. La notion de résilience 3 par exemple apparait comme un sujet majeur dans le futur de nos constructions. Daniel Kaufman 4 parle de résilience de nos territoires, Paul Landauer 5 lui met en évidence combien les espaces de stockage déterminent notre capacité à faire preuve de résilience, ou encore Benjamin Taveau 6 parle lui d’une résilience perdue et notamment à cause d’une « démetropolisation » et d’un étalement urbain. La post-croissance, autre thématique phare, apparait comme un imaginaire possible voir nécessaire à réaliser. Rico D’Ascia 7 parle de définir un nouveau paradigme ; la philosophie du « construire pour construire » n’est plus acceptable. Il faut selon lui proposer un système plus vertueux se basant sur une logique de postcroissance, qui demande à l’architecte d’envisager un monde moins construit mais davantage pensé. Le dernier thème que l’on pourrait retenir est celui de l’expérimentation sous toutes ses formes. Benjamin Cimerman lui, dans son article intitulé « Vers une capacité de transformation collective augmentée » milite pour une ère de l’expérimentation : « Nous vivons dans un monde où le doute, le questionnement et l’incertitude ne sont pas regardés comme des valeurs positives.

L’exposition d’abord virtuelle durant le confinement s’est depuis réalisée. On pouvait y consulter les articles selectionnés par le Pavillon sur la crise post-covid. https://www.pavillonarsenal.com/fr/et-demain-on-fait-quoi/ 1

2

Ibid.

Ce terme est actuellement en vogue dans les domaines de l’aménagement. Popularisé par la psychologie mais appliqué dans de multitude de domaines, le terme désigne la capacité d’un système à surmonter une altération de son environnement. En l’espèce il renvoie à l’identification de risques écologiques, économiques ou sociaux que le territoire est censé prévenir et en définitive résoudre ou dépasser.https://www.sciencespo.fr/ 3

Kaufman D., 2020, « Demain autrement ? », Et demain on fait quoi ?, https://www.pavillon-arsenal.com/fr/ et-demain-on-fait-quoi/11567-demainautrement.html 4

Landauer P., 2020, « Le grenier et la tombe », Et demain on fait quoi ?, https://www.pavillon-arsenal.com/fr/ et-demain-on-fait-quoi/11595-le-grenier-et-la-tombe.html 5

Taveau B., 2020, « La résilience de notre modèle urbain en question », Et demain on fait quoi ?, https://www. pavillon-arsenal.com/fr/et-demain-onfait-quoi/11530-la-resilience-de-notremodele-urbain-en-question.html 6

D’Ascia R., 2020, « Construire Moins, Penser Plus, vers une architecture de la post-croissance », Et demain on fait quoi ?, https://www. pavillon-arsenal.com/fr/et-demainon-fait-quoi/11612-construire-moinspenser-plus-vers-une-architecture-dela-post-croissance.html 7


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Un monde hérité de la révolution industrielle, celui de la marche en avant du progrès. Nous gagnerions beaucoup à sortir de cette logique pour entrer dans l’ère de l’expérimentation, qui est intrinsèque à l’architecture ». Dans une autre tribune, « Violence du Rebond », Matthieu Poitevin aborde lui aussi le besoin d’expérimenter les modes de l’habiter : « Il nous faut proposer de nouvelles formes de vie collective qui inventent les lieux d’une vie possible pour ne pas étouffer. ». Enfin la question de la participation citoyenne est abordée, bien que celle-ci soit aujourd’hui présente dans un urbanisme tactique ou des projets architecturaux faisant intervenir l’habitant. Francis Landron 8 qui évoque ce sujet cite un texte de Henri Lefebvre : « ... tant qu’il n’y aura pas, pour les questions d’urbanisme, une intervention, violente au besoin, des intéressés, et qu’il n’y aura pas une possibilité d’autogestion territoriale à l’échelle des communautés locales urbaines, tant qu’il n’y aura pas de tendances à l’autogestion, tant que les intéressés ne prendront pas la parole pour dire, non seulement ce dont ils ont besoin, mais aussi ce qu’ils désirent, ce qu’ils veulent, ce qu’ils exigent, tant qu’ils ne feront pas part de leur expérience propre de l’habiter à ceux qui s’estiment experts, il nous manquera une donnée essentielle pour la solution du problème urbain. » À travers ce texte, Francis Landron met en avant qu’il nous faut repenser le monde d’après en intégrant davantage le citoyen, quitte même à ce que ce dernier prenne davantage de pl ace dans la gestion de sa collectivité.

Landron F., 2020, « Dès aujourd’hui », Et demain on fait quoi ?, https://www.pavillon-arsenal. com/fr/et-demain-on-fait-quoi/11537des-aujourdhui.html 8

L’exposition laisse entrevoir que de nombreux acteurs du monde de l’architecture et de l’urbanisme voient en cette crise à la fois les failles du fonctionnement de notre monde mais aussi l’opportunité de prendre à contre-courant son mouvement. En arrière-plan, c’est le désir d’un autre monde qui se laisse entrevoir. Qu’ils soient bâtis sur une participation citoyenne plus pertinente, ou un nouveau système de post-croissance ou sur d’avantage d’expérimentation, il semble évident qu’architectes et urbanistes sont convoqués pour répondre à ces défis. Et la question sous-jacente à ces réflexions est dans quels espaces ces petites révolutions


vont-elles prendre ? Existe-t-il un territoire, où la postcroissance peut exister ? Où l’habitant est davantage convoqué ? Où toutes ces formes d’expérimentations ont une chance d’exister ?

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De la Science-Fiction à la Réalité La crise du Covid-19 a eu un tel impact sur la société que ses conséquences sont presque celles d’un mauvais film de science-fiction. Dans leur tribune Emma Carvalho de Oliveira et Thomas Jorion 9 écrivent même : « Il aura fallu attendre 46 ans pour que la science-fiction soit en passe de devenir la réalité. » À ce titre si l’architecture et l’urbanisme peuvent nous aider à construire le monde à venir, la littérature et plus précisément celle de science-fiction, pourrait nous aider à comprendre notre monde et celui qui vient. La science-fiction peut être décrite comme « un genre narratif qui met en scène des univers où se déroulent des faits impossibles ou non avérés en l’état actuel de la civilisation, des techniques ou de la science, et qui correspondent généralement à des découvertes scientifiques et techniques à venir » 10. C’est aussi un genre qui est capable de parler à la fois de présent - souvent pour en faire une critique - mais aussi du futur. Et dans le contexte actuel, il est vrai que la science-fiction peut apparaitre comme un formidable outil de projection. De plus, c’est peut-être là aussi que l’architecture et la littérature peuvent se rejoindre. Comment imaginer par exemple un monde où la postcroissance est le nouveau système, où l’expérimentation est mise sur son piédestal, et même où le citoyen gagne en autonomie au sein d’une collectivité. Certes ces questions sont abordées par nos architectes, mais nous pouvons être certains que des écrivains en parlent également à travers ce médium qui est l’écriture.

Carvalho de Oliveira E., Jorion T. 2020, « Exode Urbain », Et demain on fait quoi ?, https://www.pavillon-arsenal.com/fr/et-demain-on-faitquoi/11597-exode-urbain.html 9

https://fr.wikipedia.org/wiki Science-fiction 10


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Alain Damasio, un auteur de Science-Fiction Damasio est un auteur de science-fiction contemporain. Il fait partie de ces créateurs dont les réalisations ont à dire sur notre présent. L’œuvre entière de Damasio parle surtout d’une chose : la société de contrôle. Ses récentes prises de position sur le confinement, les Gilets-Jaunes et même les Zad font état de son engagement. Il prône une réinvention de nos manières de vivre. Dans une interview 11 récente donnée au journal Reporterre, le voilà questionné sur le confinement. L’auteur engagé qu’il est, fait une critique acerbe du pouvoir vertical qu’il nomme « démocrature » et surtout de « sa gestion moyenâgeuse de la crise du Covid. » Véritable « chien en cage », c’est la rage au ventre qu’il accuse le « storytelling de l’anxiété » fabriqué par les médias. Pour lui la crise actuelle doit être une opportunité d’ouvrir de nouveaux imaginaires, de nouvelles fenêtres des possibles.

Damasio, A. 2020, « Alain Damasio : « Pour le déconfinement, je rêve d’un carnaval des fous, qui renverse nos rois de pacotille » », Entrevue menée avec Hervé Kempf, Reporterre, Avril. 11

Dans son texte « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », Gilles Deleuze y définit une société dans laquelle le contrôle des personnes s’effectue « non plus par enfermement, mais par contrôle continu et communication instantanée » 12

Pagès S., 2020, StopCovid : l’application de traçage des cas Covid-19 lancée le 2 juin ,https:// sante.journaldesfemmes.fr/ fiches-maladies/2630463-stopcovid-application-tracing-contactcoronavirus-c-est-quoi-gouvernementobligatoire-autorise-lancementsortie-2-juin/ 13

Le terme de biopolitique, mot inventé par Michel Foucault, est utilisé à plusieurs reprise tout au long de l’interview. Ce terme permet d’identifier une forme d’exercice du pouvoir qui porte, non plus sur les territoires mais sur la vie des individus, sur des populations. Tout au long de lintervew Damasio s’appuie sur ce néologisme pour définir la nature du pouvoir actuel. 14

Cette interview « coup de gueule », révèle sa perception de notre monde d’aujourd’hui. Partant du principe que la société de contrôle décrite par Deleuze12 est advenue, Damasio confirme que nous sommes dans une société de « Traces », une société où par le biais des technologies nous sommes suivis. Et il faut admettre, que de ce point vue-là, les récentes positions du gouvernement et de la mise en place d’un tracking se rapprochent de cette vision.13 La biopolitique14 conduit les états à gérer nos vies. En échange de cette protection d’un état père/mère nous consentons à renoncer à nos droits fondamentaux comme par exemple l’accompagnement d’un parent décédé. Aujourd’hui, « on ne supporte plus ni la maladie, ni la mort. Nous rêvons l’immunité absolue ». En contrepartie nous subissons une « perte de vitalité latente ». Ce regard analytique sur une société ultra sécuritaire était là chez Damasio avant la crise du Covid-19. Tous les ouvrages de Damasio mettent en vie des héros résistants qui se battent contre des mondes dévitalisés par la technologie. Ils sont en quête du « vif », l’énergie cosmique qui anime toute chose et tout être.


Dans nos espaces quotidiens le confinement a évidemment bien eu des répercussions. Il reconduit par exemple à « cette illusion de la bulle immunitaire. Et il la reconduit pour chaque individu, foyer par foyer, en la vitrifiant dans le numérique, qui est le dispositif idéal de la distanciation sociale 15 ». La part du numérique a une place prépondérante dans l’argumentaire de l’auteur. Elle est très critique, et à l’origine selon lui de notre coupure du vivant. À notre « bulle numérique », il donne le nom de « Technococon ».

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Alors comment sortir de cette impasse ? Dans un premier temps nous pouvons nous saisir de ce moment de répit dans la fuite effrénée de notre société de consommation pour refuser ce monde du « pillage du vivant ». L’écriture a la charge de produire des récits « empuissantants », la langue même, dans sa couleur sonore et le fracas de ses mots va réinjecter du vivant dans nos imaginaires. Il faut développer des « [...] univers qui activent l’envie de vivre autrement en prenant ce monde à bras-le-corps. » dit l’auteur. Pour lui il faut nécessairement passer par les récits, car ces derniers s’inscrivent en nous et qu’ils mettent en scène des personnages auxquels on s’identifie et qui deviennent des vecteurs affectifs qui nous engagent. Concrètement vers quel monde aller ? Damasio évoque les Zag : des zones autogouvernées, une manière d’occuper un territoire où l’on peut expérimenter de nouvelles façons de vivre. Un tel système est développé dans son dernier roman Les Furtifs 16. L’auteur s’inspire ici des zad, des tiers-lieux, des fermes collectives, des friches autogérées, d’éco-quartiers ruraux, etc. Il espère que ces initiatives se perpétuent et augmentent, pour au final créer un « archipel de combat ». Damasio apparait sensiblement comme un auteur engagé. Ses luttes sont actuelles et peuvent parfois être considérées comme utopistes mais ses propositions et ses imaginaires semblent en dire davantage sur nos rapports au monde et à l’espace. L’action politique et la revendication d’un autre modèle de vie semblent être au cœur de ses préoccupations et productions. Du point de vue de l’architecte on peut voir dans l’œuvre de Damasio, la métaphore d’un monde à défendre et

Damasio, A. 2020, « Alain Damasio : « Pour le déconfinement, je rêve d’un carnaval des fous, qui renverse nos rois de pacotille » », Entrevue menée avec Hervé Kempf, Reporterre, Avril. 15

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, 704 p. 16


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à inventer dans lequel la primauté de l’humain sur toute autre valeur doit être honorée. Quelles pratiques innovantes « du construire » pourraient satisfaire ces exigences ? Mais pour comprendre davantage cet auteur il faut considérer l’ensemble de ses productions. Ces dernières : trois ouvrages, un essai, et plusieurs recueils de nouvelles se caractérisent par un travail progressif autour d’un thème : la société de contrôle.

La Zone du Dehors : La recherche d’un Univers En 1999, Damasio publie aux éditions Cylibris La Zone du dehors.17 C’est un récit dans lequel la dimension affective et émotionnelle se mêle à l’intrusion permanente et menaçante d’une société hautement technologique. Pour échapper à une Europe dévastée par la guerre, une partie de ses habitants ont rejoint sur un satellite la ville de Cerclon « [...] ville bâtie de toutes pièces, ville de règles, de compas et de plans [...]18 ». Dans cette ville les individus sont « digicartés, codebarrés, iricodés ». Ces technologies ont transformé le rapport de l’homme à lui-même, aux autres, à la ville et au cosmos. Pour lutter contre la domination du contrôle étatique un groupe de révolutionnaire, les Voltés, prépare des actions violentes. Le Dehors est la seule zone où la liberté existe encore. S’y rendre est une action dangereuse pour ceux qui la pratiquent. Cette zone apparait alors comme un espace en marge de la ville, et source de désir.

La Horde du Contrevent : La naissance du collectif

Damasio A., La Zone du Dehors, Cylibris, 1999, 656 p. 17

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 1999, p. 101. 18

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, 704 p. 19

Dans la littérature de Damasio, il y a un livre plus connu que les autres, La Horde du Contevent 19 dont le succès est le seul pour le moment à avoir dépassé les frontières. Il se fait remarquer par sa construction surprenante. Ainsi dans l’édition Folio le texte commence à la page numérotée 701, et se termine page 0. Les noms propres poétiques semblent sortis d’une mythologie : Golgoth,


Callirhoé, Déicoon, Oroshi, Melicerte, etc. Deuxième ouvrage de l’auteur après La Zone du Dehors, le livre fait le récit d’un groupe d’individus, les Hordiers, marchant contre le vent dans le but d’en connaitre la source. Véritable fable philosophique, c’est un ouvrage clé de Damasio dans lequel il se fabrique ses propres héros. On y lit par moment ses convictions quant à son rapport à la technique par exemple. La Horde qui ne se déplace qu’à pied, est sans attache et sans maison. Elle fait aussi le vœu de rejeter toute forme de technique ou d’utilisation d’outils (excepté les siens, moins sophistiqués). Sa rencontre avec les Fréoles (un peuple se déplaçant grâce à une machine immense capable de contrer le vent sans le moindre effort) illustre d’ailleurs une confrontation de convictions. Faisant l’éloge du « contre » à pied (marcher contre le vent), l’auteur donne davantage d’importance à la relation brute qu’ont les hordiers avec le vent. Rester à pied est d’ailleurs selon eux, le seul moyen d’atteindre l’origine du vent. Aussi, le livre présente-t-il la particularité de ne décrire et de ne raconter qu’à travers les pensées de chacun des personnages. La narration est polyphonique, refusant le point de vue d’un narrateur omniscient. Le récit avance dit par chaque hordier. On est littéralement avec eux, en eux. Ce choix intègre le lecteur dans l’action et dans une forme de huit-clos humain. En démultipliant les narrateurs, l’auteur nous donne une réalité à plusieurs facettes. Elle n’est pas unique mais multiple. Dans cette quête du groupe des 23 hordiers, se devine une critique de la société individualiste. À travers ce livre, Damasio fait l’éloge du collectif. Cet aspect du collectif n’est pas sans rappeler ses convictions et son idéal d’une société davantage basée sur une autonomie collective. Il semblerait qu’au fur et à mesure de ses ouvrages l’auteur ait façonné des héros à travers lesquels il défend ses convictions. D’un point de vue architectural, La Horde du Contrevent ne propose qu’un monde en ruines hormis quelques passages assez éloquents où le lieu et l’architecture servent le propos de l’auteur avec la ville d’Aberlaas ou

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encore la bibliothèque d’Aberlaas. Non, il semblerait que la question architecturale soit totalement réduite à une histoire de campement le long d’un parcours linéaire. Le groupe n’habite alors qu’un territoire et se détache de toute urbanité. Comme si la simple connaissance de paysages - à travers un vocabulaire paysager très soutenu - suffisait pour habiter le monde. Finalement c’est à une manière d’habiter, de se conduire, de vivre en marge que nous avons à faire. Le groupe apparait d’ailleurs durant l’ensemble du livre en opposition avec les sociétés qu’il cotoie.

Les Furtifs : Les marges comme échapées En Avril 2019 sort aux éditions La Volte, le dernier ouvrage de l’auteur, Les Furtifs 20. Un roman de sciencefiction se déroulant en 2040 et mettant en scène Lorca, un père de famille dont la petite fille a été kidnappée, par les furtifs, des êtres faits de chair et de sons. Du point de vue narratif, le livre reprend la méthode développée déjà dans la Zone du dehors et La Horde du Contrevent : une narration à voix multiples. Un choix qui une fois de plus exprime pour l’auteur sa certitude qu’une réalité est forcément protéiforme, et de ce fait doit être révélée par différents points de vue. Et, tout comme son deuxième roman, le livre développe un jeu graphique avec une utilisation détournée de la typographie.

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, 704 p. 20

Mais là où le livre va plus loin que les précédents c’est certainement dans la précision de l’univers et des solutions trouvées. L’histoire qui se déroule en France en 2040, est tissée des fils les plus tristes de notre époque. Cela donne dans un premier temps des villes privatisées, où chaque zone est accessible selon un abonnement : Standard, Premium et Privilège. En poussant les logiques néolibérales jusqu’à leur paroxysme, les villes qui ne sont plus rentables, sont rachetées par de grandes enseignes. La ville d’Orange est rachetée par Orange, Paris par LVMH, Lyon par Nestlé, Cannes par la Warner etc. À côté de cela un réseau de capteurs analyse, contrôle et sollicite les habitants.


La ville que décrit Damasio est une ville totalement privatisée. L’accès à la ville est comme confisqué aux usagers et son territoire devient une zone contrôlée par les dirigeants. On retrouve ici tout l’idéologie que critique l’auteur, mais on atteint un degré supérieur dans la mesure où les personnages se retrouvent dans ce que Damasio appelle une société de trace. Lors d’un billet de blog, il s’explique ainsi : « [...] J’ai toujours eu cette intuition de la mutation des régimes féodaux (moyenâge) aux régimes disciplinaires (18-19e) puis aux régimes de contrôle (fin 20e) puis, enfin, aux sociétés de traces (21e) dans lesquelles nous entrons [...] 21 ». Une telle vision ne paraît plus si futuriste aujourd’hui alors que des drones pourraient surveiller à distance nos déplacements. Elle peut être mise en écho avec l’un des projets - avorté récemment dû à la crise sanitaire - de Sidewalk Labs, filiale du conglomérat Alphabet (Google), de contrôler un quartier de Toronto totalement connecté 22. Cet aspect du livre nous alerte sur les capacités liberticides d’une société qui, s’appuyant sur les nouvelles technologies, pourrait prendre le contrôle de nos vies. Où s’arrêteront nos libertés d’accès à la ville ? Par quelles voies détournées nous convaincra-ton que la privatisation des villes est une bonne chose ? Cependant avec Les Furtifs, Damasio va proposer des solutions. Dans un entretien délivré au journal Reporterre il s’exprime sur le phénomène de la zad : « Le grand enseignement de la Zad, c’est qu’on a besoin d’un territoire, d’un terrain où les gens puissent s’installer de façon relativement durable. Alors on peut faire changer les choses. Sédimenter des pratiques autonomes 23 ». L’admiration de l’auteur pour l’établissement de la zad et ses occupants se retrouve dans le livre. Pour faire face à un monde sous verrous, où la ville est confisquée, Damasio met en place toutes sortes d’échappées. Des ZAG (zones autogouvernées) se mettent en place, ainsi que des ZOUAVES (zones où apprivoiser le vivre ensemble), ou des occupations inédites de toits, des créations de rues aériennes, ou encore le réinvestissement de friches... Ce livre, et plus que tous ses autres livres, pose la question des espaces en creux. Les lieux en marge apparaissent comme des espaces où l’on échappe au

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Damasio A. (29 Avril 2020) « Coronavigation en air trouble (2/3) : petite politique de la peur », Le blog d’Alain Damasio, Mediapart. 21

Auclert F. (25 Juin 2019) « Google va créer un « quartier intelligent » à Toronto », Futura planète, https:// www.futura-sciences.com/planete/ actualites/ville-google-va-creerquartier-intelligent-toronto-76601/ 22

Damasio A. 2020, « Alain Damasio : « Pour le déconfinement, je rêve d’un carnaval des fous, qui renverse nos rois de pacotille », Entrevue menée avec Hervé Kempf, Reporterre, Avril. https://reporterre.net/Alain-DamasioPour-le-deconfinement-je-reve-d-uncarnaval-des-fous-qui-renverse-nosrois-de-pacotille 23


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contrôle et où l’expérimentation de nouvelles formes de société est possible. Les furtifs sont des êtres qui échappent aux règles. À la fois faits de chair et de sons, les furtifs sont des êtres qu’il est impossible de voir car ils ont développé la faculté de se cacher dans les « angles morts » de la vision. À travers l’ensemble de son œuvre Damasio propose au lecteur, différents univers, oscillant entre le fantastique et la science-fiction. Chaque livre peut être perçu comme le fragment d’une même réflexion autour de la société de contrôle. Mais d’un point du vue architectural et urbain les livres de Damasio posent la question des lieux en marges et de leur occupation. De quelle manière sont-ils occupées ? Que représentent-ils pour lui ? Quels types de personnages les traversent ?

Les marges, espaces de revendication ?

Le dictionnaire de lalanguefrancaise. com, https://www.lalanguefrancaise. com/dictionnaire/ 24

Plaisance G., « La vie est une marge », La-Philo, https://la-philosophie.com/la-vie-est-une-marge-tribune 25

Fagnoni E., Olivier Milhaud et Magali Reghezza-Zitt, « Introduction : marges, marginalité, marginalisation », Bulletin de l’association de géographes français, 94-3 | 2017, 359-357 26

La question des marges apparait centrale. Avant d’aller plus loin, il semble nécessaire d’en définir les limites, d’un point de vue architectural et dans une mise en perspective avec les lieux en marges de la littérature de l’auteur. Tout d’abord, la marge à laquelle on est tous confrontés est celle de la page ou du livre. Elle définit un espace délimité par une bordure et situé à côté de l’espace écrit. Une marge semble alors se définir par rapport à d’autres éléments. Du coté des dictionnaires 24, le mot « marge » définit un espace situé sur le pourtour externe immédiat de quelque chose. Le mot « marge » quant à lui, est issu du latin margo, marginis, il signifie « bordure » et a aussi pris dans notre vocabulaire la forme d’expression : « être à la marge » ou « en marge »25. Deux expressions qualifiant quelqu’un ou quelque chose de mal ou peu inséré dans la société, relégué hors du monde. La marge serait quelque chose qui s’écarte du « bon chemin ». D’un point de vue spatial, les marges prennent déjà dans le vocabulaire de l’architecte, de l’urbaniste et du géographe plusieurs occurrences 26. Il y a des marges que l’on pourrait qualifier d’urbaines : friches urbaines,


quartiers isolés, camp, zone à risque industriel (usine) etc. et d’autres de rurales : ZAD (Zone à défendre), forêts, « rural profond », Parcs naturel etc. On peut alors dire que leur existence se perçoit à plusieurs échelles (territoire, espace public, bâtiment, rue, quartier, etc.).

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Dans un texte 27, le journaliste et écrivain, Philippe Vasset 28 explique son exploration du territoire français en allant spécifiquement sur les « blancs de la carte ». Des lieux qui « n’existent pas sur la carte de la région parisienne : ne figure à leur place qu’une forme blanche, vierge de toute indication. ». En allant sur ces zones blanches (talus, friches, squats, hangars, terrains vagues, entrepôts) il est allé à la rencontre de ceux qui les habitent (sans-domicile fixe, des réfugiés, des bandes de jeunes, des animaux, des fleurs sauvages). Ces espaces semblent être caractérisés par le vide qu’on y trouve, ce qu’on y fait, et les personnes qui y habitent. Puis, en l’absence d’indication sur la carte, ces lieux sont comme oubliés par les institutions, incapables de les ranger dans l’une de leur catégorie. De ce qu’on peut lire sur le sujet, les marges sont difficiles à définir. À la fois multiscalaires, et pouvant être mises sous différents plans, elles apparaissent d’abord comme un outil théorique permettant de qualifier un espace à l’écart, hors du monde et de la norme.

Les lieux réels de la marge Les récentes interviews de l’auteur démontrent immanquablement un intérêt pour les différentes luttes qui traversent la France. Et si l’on suit son raisonnement elles constituent des bouffées d’air à un Etat de plus en plus autoritaire. Ce que l’on peut aussi remarquer c’est que ces différentes luttes incarnées par Nuit debout, les Zad ou encore les Gilets-Jaunes prennent dans l’espace des formes diverses de rassemblement. Elles ont aussi la particularité d’investir des lieux souvent en marge, délaissés et reflétant par moment la position social de leurs occupants.

Vasset P., Un livre blanc, Paris, Fayard, 2007, 135 p. 27

Philippe Vasset est un journaliste de formation. Il étudie la géographie ainsi que la philosophie à Paris et aux Etats-Unis où il a exercé dans un cabinet d’investigation. En 2007, il publie Un livre blanc, un texte dans lequel il part à l’exploration de zones laissées en blanc sur la carte de la région parisienne. A travers ce livre, il propose une nouvelle forme de littérature géographique. 28



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Nuit debout Nuit debout est un mouvement populaire initié lors des manifestations contre la loi El Khomri. Son incarnation originelle et la plus symbolique est certainement celle de la Place de la République, à Paris. À partir de la fin du mois de mars 2016, le mouvement a perduré durant plusieurs semaines et dans plusieurs villes. Il s’est fait remarquer notamment par son mode de rassemblement inattendu. Que voyons-nous avec le mouvement Nuit Debout ? Des espaces vides sont naturellement investis. Or les rassemblements politiques traditionnels sont jusqu’alors plus connus sous la forme de la manifestation avec un lieu de rassemblement de départ généralement sur une esplanade et un lieu d’arrivée et de dispersion. Et le 31 Mars 2016 que voit-on ? Les manifestants se sédentarisent Place de La République dont ils font leur siège. S’y développe une micro société basée sur le partage (échange, troc, prix libre, consultation d’avocat gratuite, etc.).

Photo d’un rassemblement Nuit Debout Place de la République à Paris. © PHILIPPE LOPEZ / AFP http://www.slate.fr/story/116945/ attali-jours-debout


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Sur la photo ci-contre on peut voir l’espace laissé en creux par la place de La République sur le plan de Paris. Il faut prendre en compte qu’une place publique est de manière générique un espace de la mobilisation, peutêtre même une soupape de décompression pour l’Etat. De ce point de vue on peut se dire qu’elle constitue un lieu en marge mais où le pouvoir a une certaine forme de contrôle : la place est visible, elle est relativement centrale dans la composition de la ville et de ce fait débouche sur plusieurs axes importants.

Photo aérienne centrée sur la place de la République à Paris. © Google map Louvet S. et Favre A. (réalisateur), Nuit debout - Rétrospective, France 5, 2017, 60 min 30

La photo précédente exprime quant à elle l’aspect le plus inattendu et innovant de ce mouvement : l’aménagement d’une micro-société. Lors du mouvement la place se transforme, s’habite, est le siège d’un autre système de démocratie plus direct : « On peut toucher la démocratie. 30 » dira un jeune manifestant.


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Les zad Avant d’être une Zone à défendre, la Zad de NotreDame des Landes était une Zone d’aménagement différé 31. Autrement dit une zone où la collectivité, par le biais de l’Etat, obtenait prioritairement les biens en cours d’aliénation (ici les terres). Sur la photo aérienne ci-contre on voit une zone en blanc sur laquelle devait être construit l’aéroport de Notre-Dame des Landes. Mais l’occupation illégale de ce territoire par des manifestants, devenus par la force des choses, habitants, a contraint l’Etat à renoncer au projet d’aéroport. Depuis une véritable société alternative s’y développe. La zone se situe au Sud de la commune de NotreDame des Landes, et à une vingtaine de kilomètres au nord de l’agglomération nantaise. En 2008, elle est principalement constituée de terres agricoles, bois, fermes et habitations vouées à la destruction, de routes et de chemins. Son caractère désuet fait qu’elle constitue pour la commune un terrain propice à la construction du futur aéroport du Grand Ouest. De par sa composition, la Zad peut apparaitre comme un espace en marge, laissé à l’abandon pour certaines de ses parties mais qui constitue une opportunité pour les pouvoirs publics.

L’acronyme ZAD a depuis les incidents de l’aéroport de Notre-Dame des Landes acquierit une nouvelle identité. Si d’un point de vue juridique il permet encore de signaler une Zone d’aménagement différé, dans le langage courant il fait référence à une Zone à défendre. 31

Photo aérienne retouchée et centrée sur la ZAD de Notre-Dame des Landes. © Google map


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C’est donc dans ce contexte qu’en 2008, plusieurs manifestants, opposés à la construction de l’aéroport et au modèle capitaliste, ont investi la zone. Cette occupation a pris au fur et à mesure des années une forme d’expérimentation sociale proposant un fonctionnement alternatif de la société actuelle. Photo de l’écrivain Alain Damasio en discussion à la bibliothèque, le Taslu, de la ZAD Notre-Dame des Landes. © Isabelle Rimbert https:// www.mediapart.fr/studio/panoramique/ la-zad-ca-marche-ca-palabre-cestpas-triste

La photographie ci-contre met en avant le rassemblement et les constructions que l’on peut trouver dans la zad. Car si cette dernière est un endroit où on peut « faire autrement », cela se perçoit également par l’architecture qui s’y fait.


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Les Gilets-Jaunes Apparu en Octobre 2018, les Gilets-Jaunes sont un mouvement protestataire et non structuré, dirigé contre l’augmentation du prix de l’essence. Il s’agit d’un mouvement spontané et dont le développement s’est en grande partie appuyé sur l’utilisation des réseauxsociaux. Ce n’est qu’à partir du mois de Novembre que le mouvement s’organise autour de blocage d’occupation de ronds-points et de manifestations tous les samedis. Le mouvement des Gilets-Jaunes est un mouvement social récent et inédit. Il a su se démarquer par sa longévité, sa récurrence et sa symbolique. Si le gilet-jaune est apparu comme le drapeau du mouvement, on peut considérer l’occupation des rondspoints comme une forme de symbole. La photographie aérienne présentée ci-contre se situe en zone périurbaine sur la commune de la Roche-sur-Yon, elle met en avant la présence et la formation de plusieurs ronds-points. Spatialement, le rond-point peut être considéré comme une forme de résidu de l’évolution de nos mobilités. Souvent vide, sa surface et ce qui s’y trouve sont oubliés. Grâce à son caractère très pratique, on en fait le tour sans y prêter attention. De par ses caractéristiques il peut être défini comme un espace en marge.

Photo aérienne centrée sur un rondpoint situé en zone périurbaine de la Roche-sur-Yon. © Google map


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En réinvestissant la figure du rond-point, les GiletsJaunes ont eu un geste fort. En révélant les rondspoints ils se sont révélés à leur tour. On observe là une réinvention de la forme de manifestion avec une occupation spatialement ponctuelle du territoire à travers des ronds-points et des péages mais étirés dans le temps. Ce qui fait que le mouvement accède à deux temporalités : celle de la semaine et celle du samedi, où l’on retrouve une manifestation plus classique.

Photo de gilets-jaunes occupant un rond-point. Perrier B. « Gilets jaunes : les leçons politiques à retenir des ronds-points », Marianne, Septembre 2019

L’autre aspect innovant de l’occupation du rond-point est la mise en place d’une occupation longue et donc du déploiement ou de la construction de structures permettant d’abriter les manifestants. Comme le montre la photographie ci-contre, l’occupation du rond-point permet de révéler l’objet urbain et le manifestant. On est là aussi face à une sédentarisation du lieu.


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Collectif Encore Heureux Lors de la 16ème Biennale de l’Architecture de Venise, le pavillon Français accueillait le Collectif Encore Heureux. Proposant une exposition autour des « Lieux Infinis », le collectif mettait à l’honneur « des lieux pionniers qui explorent et expérimentent des processus collectifs pour habiter le monde et construire des communs. Des lieux ouverts, possibles, non-finis, qui instaurent des espaces de liberté où se cherchent des alternatives.32 » L’exposition montrait des lieux réinvestis « avec la volonté d’expérimenter, presque toujours à partir d’un bâtiment hors d’usage, d’un site délaissé. » En observant leur travail, on remarque une récurrence dans le choix du site. En effet comme l’illustre leur exposition, de nombreux espaces vides, délaissés, hors d’usage sont choisis pour atteindre une réversibilité du lieu. 33 Les deux images présentées font référence au projet Grande Halle de Colombelles du collectif, situé en bordure de la ville de Caen et livré en 2019.

http://encoreheureux.org/projets/ lieux-infinis/ 32

Les équipes de l’exposition ont d’ailleurs durant la biennale, réinvestit temporairement un lieu déserté, l’ancienne caserne Guglielmo Pepe. Durant toute la biennale, ce lieu s’est vu transformé en un espace d’expérimentation culturelle et de résidences transdisciplinaires. 33

Photo intérieur de la Grande Halle de Colombelles. © 2001-2020 Encore Heureux


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Le projet réinvestit les derniers vestiges de la Société Métallurgique de Normandie dont les haut-fourneaux se sont implantés en 1917. Lieu invisible, laissé de côté, l’usine a, comme on peut l’observer sur la photo précédente, était réinvestie. Mais ici ce n’est plus une occupation illégale ou protestataire à laquelle on assiste. Les architectes font jouer la réversibilité du lieu en le transformant en un espace de travail et de culture innovant qui accueille plus particulièrement des acteurs de l’économie collaborative et circulaire.

Photo aérienne centrée sur la Grande Halle de Colombelles. © Google map

Espace en marge de par sa position en bordure de la ville, on peut observer ici l’occupation, d’un lieu mis à l’écart, sous une forme plus maitrisée. La question de la revendication ou de l’expérimentation semble moins forte sinon en accord avec la société : commanditaire, budget, architecte, équipes de constructions etc.


De ce qu’on peut voir jusqu’ici, la littérature de Damasio semble nous parler du futur mais aussi du présent. Il semble évident qu’un rapprochement avec des évènements récents serait intéressant à étudier. Aussi relier l’Architecture à la Littérature semble être une intention porteuse de sens. Mais relier ces deux arts peut être réalisé de bien nombreuses manières. Il faut donc, avant d’entamer la recherche, définir les différentes approches et savoir y prendre place.

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Les réflexions sur nos sociétés, leurs villes et des espaces en marge parcourent les romans de Damasio. Des univers globaux s’y façonnent en rupture avec ces mondes « piégeant » produit par la société capitaliste. Il fait la critique de nos sociétés occidentales en les attaquant sur leurs politiques sécuritaires. Nous devons regarder si ces préconisations sécuritaires ont des répercussions sur la construction des villes, des bâtiments publics ou privés. Alors nous devons observer si les projections de l’auteur ne sont pas déjà en œuvre dans la société avec par exemple les technologies de reconnaissance faciales, les caméras dans la rue, et même plus récemment les robots-gardiens 34 qui circulent dans les parcs. Or, dans son dernier roman, Damasio amorce des pistes pour des solutions qu’il croit possibles. Dans La Zone du dehors déjà, la tentation d’échapper au « dedans » étriqué de la société de contrôle pour prendre possession du « dehors » existait. Dans La Horde du contrevent, il est davantage question du collectif et d’individus évoluant en marge du monde. Puis, dans Les Furtifs, des êtres fantastiques nous révèlent la valeur salvatrice des espaces en marge donnés comme échappatoires plausibles à la société de Trace. Les combats d’Alain Damasio rappellent des luttes contemporaines. Nuit Debout, la Zad et plus récemment les Gilets jaunes apparaissent comme des moments et des espaces de revendications pour une nouvelle façon de faire société. Dans une exploration des différentes articulations entre Architecture et Littérature il serait intéressant d’étudier la place prise par l’architecture dans cette œuvre.

À Singapour, un chien robot circulait dans les parcs et avait pour objectif de faire respecter la distanciation sociale du au Covid-19. Il diffusait un message vocal rappelant aux promeneurs les règles à respecter. LEXPRESS. fr, 2020, « À Singapour, un chien robot fait respecter la distanciation sociale dans un parc », Big Brother, L’Express,   https://www.lexpress.fr/ actualite/monde/a-singapour-un-chienrobot-fait-respecter-la-distanciationsociale-dans-un-parc_2125677.html 34


Quelles significations la littérature d’Alain Damasio donne-t-elle aux lieux en marge ?



I. De l’intérêt d’articuler Architecture et Littérature

Ricoeur P., Architecture et narrativité, Urbanisme, 1998, n°303, p. 44-51 35

Hamon Ph., Expositions, Littérature et architecture au XIXe siècle, Corti, 1995, 200 p. 36

Le sujet Architecture et Littérature est complexe. Si ces deux disciplines paraissent étrangères l’une à l’autre, on découvre en s’en approchant qu’elles ont entre elles de nombreux points communs. Que ce soit au niveau analogique en termes de structure et de construction comme l’illustre Paul Ricoeur dans Architecture et Narrativité 30 ou au niveau périodique comme l’explique Philippe Hamon dans Architecture et Littérature au XIX e siècle 31, ces deux arts partagent certains états de leur forme et de leur développement. Tout l’enjeu est donc de déterminer comment l’un et l’autre peuvent se nourrir, et comment se positionner vis à vis d’eux pour mener à bien la recherche.


L’architecture du livre Dans ses trois livres Vers une architecture 37, Le Modulor  38 et Le Modulor II  39, Le Corbusier écrit : « [...] L’architecture couvre ici : L’art de bâtir des maisons, des palais ou des temples, des bateaux, des autos, des wagons, des avions. [...] L’art typographique des journaux, des revues ou des livres. [...] ». À travers cet auteur on peut déjà appréhender le livre comme un objet architecturé. Pour Pierre Hyppolite, enseignant-chercheur à l’Université Paris-Nanterre, cet « ensemble » que constituerait l’architecture, tient dans le fait de sa construction.40 Le livre apparait comme un objet construit, issu d’un savoir-faire, incluant une mise en page, une couverture, une écriture, une iconographie, une reliure. Le livre en tant qu’objet mais aussi en tant que composition interne, et l’interaction entre le texte les images. Le Corbusier n’est pas le seul à voir dans la littérature un parallélisme avec l’architecture. Dans son œuvre A la recherche du temps perdu  41, Marcel Proust établit un lien assumé entre architecture et écriture du roman. Dans son œuvre il tente par exemple de reprendre les cathédrales comme motif structurant. Dans sa correspondance avec son ami le peintre Jean de Guaigneron Proust écrit : « Quand vous me parlez de cathédrales, je suis ému par l’intuition qui vous permet de deviner que j’avais voulu donner à chaque partie de mon livre le titre Porche, Vitraux, … pour répondre à la critique stupide du manque de construction dans des livres où je vous montrerai que le seul mérite est dans la solidité des moindres parties.42 ». Contrairement à chez Le Corbusier on s’aperçoit que la construction du livre est intéressante non pas en tant qu’objet mais d’avantage en tant qu’œuvre écrite et structurée.

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Le Corbusier , Vers une architecture, Les Editions G. Crès et Cie, 1923, 230 p 37

Le Corbusier, Le Modulor : essai sur une mesure harmonique à l’échelle humaine, applicable universellement à l’architecture et à la mécanique, Architecture d’aujourd’hui, coll. « Ascoral », 1951 (1re éd. 1950), 240 p. 38

Le Corbusier, Le Modulor II (La parole est aux usagers) : suite de « Le Modulor », Architecture d’aujourd’hui, coll. « Ascoral », 1955, 344 p. 39

Hyppolite P. & Garrigou-Lagrange M., 2017,27 Novembre. Littérature et Architecture : des cathédrales de papier [Emission de radio]. France Culture. La compagnie des auteurs. Paris, France. Https:// www.franceculture.fr/emissions/ la-compagnie-des-auteurs/cartesblanches-14-litterature-et-architecturedes-cathedrales-de-papier 40

Proust M., À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 1999. 41

Marcel P., « Lettre à Jean de Gaigneron » (1er août 1919), Lettres, 2004, p. 913- 915 42

Hyppolite P. & Garrigou-Lagrange M., 2017,27 Novembre. Littérature et Architecture : des cathédrales de papier [Emission de radio]. France Culture. La compagnie des auteurs. Paris, France. Https://www.franceculture.fr/ emissions/la-compagnie-des-auteurs/ cartes-blanches-14-litterature-etarchitecture-des-cathedrales-de-papier 43

On ne peut parler de d’Architecture et de Littérature sans faire l’économie de s’attarder sur l’œuvre de George Perec, ce grand arpenteur de nos espaces urbains qui confie « C’est dans le béton et l’asphalte que je suis le plus à l’aise 43 ». Ce faiseur de mots écrit dans


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Espèces d’espaces 44 : « J’écris : j’habite ma feuille, je la parcours, je l’investis, je la parcours. Je suscite des blancs, des espaces (sauts dans le sens : discontinuités, passages, transitions). » Pour Perec la notion d’habiter l’espace concerne l’écrivain et le lecteur auquel il propose des jeux de lecture. Dans La vie mode d’emploi 45, publié en 1978, il retrace la vie d’un immeuble parisien. Il y a dans la lecture de ce livre tout un procédé auquel le lecteur peut s’assujettir ou pas. Perec s’appuiera pour la réalisation de cette fiction d’éléments graphiques et notamment celui d’un immeuble parisien vu en coupe. Ce dessin laisse voir l’intérieur des pièces de vie. Il est décisif dans la construction du récit car la coupe permet de voir et de comprendre sans être vu.

L’architecture dans le livre Si l’architecture du livre fait apparaitre des ressemblances entre les deux disciplines, ces dernières n’apparaissent qu’au niveau de la forme. Mais l’architecture dans la littérature trouve aussi sa place dans les lieux à travers lesquels les personnages du récit évoluent. Chaque romancier glisse ses héros et génère des intrigues dans des lieux imaginés ou réels. C’est l’occasion pour eux d’utiliser le lieu comme un espace reflétant une critique de la société ou bien la psychologie des personnages.

Perec G., Espèces d’espaces, Galilée, 1974, 200 p. 44

Perec G., La vie mode d’emploi, Hachette, 1978, 657 p. 45

Hamon Ph., Expositions, Littérature et architecture au XIXe siècle, Corti, 1995, 200 p. 46

Dans son livre Expositions, littéraire et architecturale au XIXe siècle 46, Philippe Hamon étudie une période à travers ses monuments et ses textes. Il tente de dresser une sémiologie de l’espace au XIXème siècle tout en faisant une étude à la fois sur le contenu mais aussi la forme en rapprochant la littérature et l’architecture d’une période historique. Par un jeu de miroir entre l’Architecture et la Littérature, l’auteur nous propose un parcours du XIXème siècle. Il établit d’abord des liens thématiques entre les deux arts, en s’appuyant


sur l’étude d’un romancier tel que Zola dans Le ventre de Paris 47 ou dans L’œuvre 48. Dans ces deux romans, avec la description des Halles ou le plaidoyer du personnage Claude en faveur du fer comme matériau, il est déjà question de la modernité à la fois littéraire et architecturale. L’auteur propose également une analyse qui établit une typologie des objets architecturaux dans les textes littéraires : la fenêtre, la porte, le vitrail, la vitre/vitrine, le mur le miroir. Ils se structurent tous sur deux axes : celui de la mobilité et de la transitivité.

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L’approche de Philippe Hamon se place dans un rapport intérieur au livre. Elle étudie de quelle manière les auteurs d’une période définissent, utilisent, décrivent, font l’état de l’architecture. À travers ce jeu de miroir entre le réel et la fiction, l’auteur propose une relecture des textes et des espaces décrits. Dans un texte intitulé Les infrastructures dans la littérature française contemporaine. Vers une poétique / critique des marges issu de l’ouvrage Paysage du mouvement, Architectures des villes et des territoires XVIIIème – XXIème siècles 49, les architectes Sophie Deramond et Marc-Antoine Durand, à travers l’étude d’écrivains contemporains, dressent une iconographie de lieux négligés de l’architecture contemporaine. Leur texte propose au lecteur une relecture des lieux contemporains à travers leurs utilisation dans la littérature contemporaine. Plusieurs auteurs sont étudiés : Michel Butor, François Bon, Jean Rolin, Olivier Rolin, Jean Echenoz, Michel Houellebecq, Philippe Vasset et Didier Daeninckx.

Zola E., Le ventre de Paris, Paris, Charpentier, 1878 47

Zola E., L’Œuvre, Charpentier, Paris, 1886. 48

Durand M.-A. & Deramond S., 2016, Les infrastructures dans la littérature française contemporaine. Vers une poétique / critique des marges, Michèle Lambert-Bresson, Annie Térade, dir. 2016, Paysages du mouvement, Architectures des villes et des territoires XVIIIème–XXIème siècles, Paris, Editions Recherches - Ipraus 49

Ils y abordent aussi la question du lieu au sein de la représentation demeure primordiale. Comme le dit l’étude, force est de constater « combien la littérature s’est « spatialisée » et poursuit ce mouvement avec peutêtre même plus d’intensité aujourd’hui : l’espace n’est plus la scène anodine sur laquelle se déploie des êtres » mais constitue la matière même des personnages. Cette observation va être mise en application tout au long de la démonstration et à chaque paragraphe. L’espace

Gianfranco Rubino est un Professeur de littérature française et de littérature moderne et contemporaine à l’université de Rome – La Sapienza, spécialiste du roman du XXe et du XXIe siècles. 50


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s’est aussi dégradé, appauvri. Les lieux ne transcendent plus l’homme et comme l’écrit Gianfranco Rubino 50 : « Le prestige architectural, l’attachement aux racines du lieu ne sont plus majoritairement présents dans la littérature… c’est à « l’envers du lieu » que s’attache le roman contemporain, et à la complexité de toutes ses interprétations identitaires, culturelles, politiques » La littérature est un miroir de son temps et de ses espaces, et le reflet qu’elle nous renvoie est celui d’un temps en constante accélération et d’un espace malmené. De plus, le large échantillonnage de cette enquête donne de la pertinence à leurs constats et il a l’originalité de mettre sous les projecteurs des lieux auxquels on ne pense pas. Dans un sens l’approche de Sophie Deramond et MarcAntoine Durand s’inscrit elle aussi dans un rapport intérieur au livre. En effet, ils étudient l’architecture à l’intérieur du livre tout en la mêlant à la nature des personnages. Un lien est donc fait entre le personnage et le lieu, comme si l’un et l’autre se nourrissaient. Leur approche se caractérise par le choix d’étudier différents auteurs. Cela leur permet de définir un territoire contemporain et donne davantage de pertinence à leurs observations. L’étude des différents modes d’articulation montre qu’il existe diverses manières d’aborder les rapports entre l’Architecture et la Littérature. Ce peut être même réducteur de ne les classer qu’en deux catégories sachant qu’il existe beaucoup de nuances. Néanmoins ce premier approfondissement peut suffire pour nous aider à prendre position dans la littérature d’Alain Damasio. L’œuvre de Damasio décrit des formes de sociétés qui pourraient prochainement advenir, et ses héros sont des résistants militant qui mettent en pratique des actions utlimes pour les contourner. En tant qu’architectes nous devons nous interroger sur les désirs de vies autres révélés par ces revendications qui peuvent paraître anecdotiques ou mineurs. Il ne faudrait pas faire semblant de croire qu’il ne se passe rien. C’est pourquoi il semble pertinent de placer la recherche dans un rapport intérieur au livre. Si le terrain d’étude apparait comme l’ensemble de la littérature de Damasio, dont principalement ses trois romans, il faut néanmoins


trancher sur la méthode à employer. Ici c’est vers un croisement de méthodes qu’il nous faut aller.

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Dans un premier temps, l’approche de Philippe Hamon qui étudie l’œuvre littéraire et les architectures d’une époque précise, nous rappelle qu’une mise en miroir d’événements contemporains avec les lieux décrits peut être judicieuse. Cette méthode permettra de mettre en relation l’actualité récente (Nuit debout, Zad, GiletsJaunes et confinement) avec des moments ou des lieux présents dans l’œuvre de Damasio. Dans un deuxième temps, l’approche de Marc-Antoine Durand et Sophie Deramond, qui font une requalification des tiers-lieux à travers l’étude des personnages et des actions qui s’y déroulent, nous permettra d’appréhender l’utilisation du lieu dans le roman et sa relation avec les personnages qui le parcourent. Enfin, la dernière posture que nous utiliserons sera celle de Clémentin Rachet dans son ouvrage Topologies: au milieu du monde de Michel Houellebecq 51. Dans ce livre, l’auteur et architecte Clémentin Rachet, pose son regard sur l’oeuvre littéraire de Michel Houellebecq. Croisant lui aussi différentes données (lieux, personnage et actions), Rachet nous propose une relecture de l’œuvre Houellebecquienne à travers la mise en place d’une topologie. Cette posture a la particularité de recomposer l’ensemble des ouvrages de Houellebecq en fonction de figures spatiales vécues par les personnages. Ainsi on retrouve dans son livre une suite logique de figures (les figures spatiales ont dans les propos de l’auteur un enchainement) : banalité, fuite, flux, îles, titres spatialisés, détaillisme, et supermarchés. L’enjeu ici n’est pas de « retracer la fastidieuse histoire qui lie architecture et littérature, mais plutôt de comprendre la relation que l’auteur entretient avec notre espace contemporain 52 ». Le livre de Clémentin Rachet apparait dès lors comme un outil utile à notre réfléxion. En effet, si son livre a pour but de raconter le monde à travers les outils narratifs d’un auteur, ne pourrait-il en être de même

Rachet C. Topologies: au milieu du monde de Michel Houellebecq, Editions B2, 2015, 72 p. 51

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Ibid


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pour notre rapport à la littérature d’Alain Damasio ? D’autant plus, qu’à la question « Quelles significations la littérature d’Alain Damasio donne-t-elle aux lieux en marge ? », la mise en place d’une topologie semble pertinente. Aussi, un travail de recomposition (s’affranchir des questions chronologiques inhérentes au processus de création de l’auteur) permet de donner corps à un travail personnel plus original tout en appliquant une grille de lecture nouvelle.

Méthode appliquée Vous l’aurez compris, la recherche s’est appliquée à croiser différentes méthodes inscrites dans un rapport interne au livre. La mise en place d’une topologie est apparue comme une posture déterminante faisant même figure de structure à suivre pour la définition des lieux en marges. Les données récoltées sur les trois romans de l’auteur ont été classée dans un tableau (exposé en partie dans les pages suivantes et entièrement en annexe). La sélection des données s’est faite de la façon suivante : Première colonne : le nom du lieu tel qu’il apparait dans le texte. Deuxième et troisième colonne : les citations ou extraits de texte qui décrivent le lieu et le numéro des pages correspondantes. Quatrième colonne : une note explicative, qui commence à décrire les premières intuitions quant à la nature du lieu. Cinquième colonne : la figure spatiale à laquelle le lieu peut être associé.



Extrait du tableau réunissant le référencement, l'explication et la figure des lieux dans les romans.


La descritpion, entre lecture et écriture

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À l’image de Clémentin Rachet, le développement d’une topologie apparait comme la création d’un outil de description du réel. Un outil issu à la fois d’une lecture et d’une écriture de la réalité.

Nos curiosités s’entraident D’abord, il convient d’observer qu’un rapprochement entre deux disciplines a toujours su porter ses fruits. Dans son texte La recherche : trois apologues 53, André Corboz s’interroge sur la méthode du chercheur. Diplomé de droit, il va ensuite manifester son intérêt pour l’histoire de l’art, l’urbanisme et l’architecture. Dans son texte, trois apologues nous sont contés, parmis lesquels le concept de sérendipité est développé. L’idée étant que la sérendipité soit une conjoncture fortuite alliant hasard et démarche de recherche. Et comme l’exprime Corboz en reprenant les mots de Paul Souriau : « Pour inventer, il faut penser à côté.». Cette pensée mouvante, qui n’est pas cloisonnée à une discipline, Corboz l’a lui même expérimentée et son parcours en témoigne. Il dira d’ailleurs que « [...] Contrairement à ce qu’enseignent les écoles de management, il est donc erroné de ne faire qu’une chose à la fois. Tout au contraire, il faut y aller par ‘quatre chemins’, il faut courir plusieurs lièvres simultanément, car nos curiosités s’entraident. [...] »54 Pour Corboz, c’est justement parcequ’il passe par un détournement de la pensée, que le chercheur trouve. Bien évidemment il y a ces chercheurs qui trouvent grâce à leur rigueur et leur cadre bien défini, mais il y a aussi, ces chercheurs qui trouvent par contingences. Dans notre cas, bien que nous ayons remarqué des similitudes entre l’Architecture et la Littérature, ces deux disciplines restent différentes. Et à l’image de ce que semble affirmer Corboz, comment un tel rapprochement peut nous aider à trouver ?

Corboz A., « La recherche : les trois apologues », Le Territoire comme palimpseste et autres essais, Les Editions de l’Imprimeur, 2001 53

Corboz A., Le Territoire comme palimpseste et autres essais, Les Editions de l’Imprimeur, 2001, p. 27 54


55

Représenter c’est saisir Notre chapitre L’architecture dans le livre, nous permet d’établir des relations possibles entre ces deux disciplines. Ces relations mettent en évidence qu’il existe un rapport descriptif d’un art sur l’autre. Autrement dit, l’Architecture est le plus souvent décrite par la Littérature. Ce caractère descritpif propre à la Littérature - à noter que dans décrire, il y a déjà écrire - peut nous aider à définir le bénéfice qu’il y aurait à rapprocher les deux disciplines. Dans un autre texte intitulé Le territoire comme palimpseste 55, Corboz s’interroge sur la notion de « Territoire ». On comprend alors que derrière ce mot, il y a eu au cours de l’histoire une volonté de comprendre cette entité. Traversé et défini par autant de disciplines qu’il y a de définitions, le mot « Territoire » exprime un rapport au monde plus qu’une forme de réalité, qui selon l’auteur nous échapperait. Autrement dit en décrivant une chose, on en limite sa portée. Il cite d’ailleurs Rutilius Namatalius, « Ce qui naguère était le monde, tu en as fait une ville ». Dès lors le « Territoire » apparait comme une construction , un artefact, un produit qui doit finalement faire projet, et ce par l’articulation entre la carte et le paysage. Dans un livre intitulé La Carte et le Territoire 56, Michel Houellebecq s’interesse à la représentation du territoire, et de fait à la façon de décrire. Mettant en scène un artiste contemporain qui fait un rapprochement entre les cartes Michelin et les photos satelitte d’un même territoire, l’auteur pose la question de la représentation et donc de la description ici picturale puisqu’on parle de carte.

Corboz A., « Le Territoire comme palimpseste », Le Territoire comme palimpseste et autres essais, Les Editions de l’Imprimeur, 2001 55

Houellebecq M., La Carte et le Territoire, Flammarion, Paris, 2010, broché, 428 p. 56

Corboz A., Le Territoire comme palimpseste et autres essais, Les Editions de l’Imprimeur, 2001, p. 221. 57

58

Ibid.

« Représenter le territoire, c’est déjà le saisir »57 écrit Corboz. À travers son texte, on comprend que la représentation est aussi affaire de construction, puisque si l’on dresse une carte c’est pour « connaitre d’abord, agir ensuite ». Et comme l’exprime Jean Baudrilard, on observe une logique de planification dans laquelle « ce n’est plus le territoire qui précède la carte, mais la carte qui précède le territoire 58 ».


Derrière la description se cache la volonté de comprendre d’avantage pour se donner une chance d’une intervention plus intelligente. Décrire, c’est déjà agir.

56

La topologie, un outil de description Dans un chapitre intitulé La description, entre lecture et écriture 59, Corboz affirme que la description est d’abord un outil de conversion entre le réel brut et le projet. Dès lors, la descritpion doit être comprise comme une réponse à une problématique. En reprenant les mots de Giuseppe Barbieri : « le monde comme lecture et le monde comme écriture », Corboz décompose la description en deux étapes : lecture et écriture. En s’intéressant à la Littérature, on s’intéresse à un art de la description. Combien d’auteurs ont plus ou moins décrit par leurs histoires la réalité qui les entouraient ? La mise en place d’une topologie de la marge chez un auteur comme Damasio, fait état d’une recomposition descriptive. Donc, n’est ce pas vers une relecture/ écriture que nous nous dirigeons ? Au regard des réflexions de Corboz, on est en droit de se demander si la production d’une topologie n’est pas un acte descriptif capable de s’inscrire dans une démarche de projet. N’est ce pas cela aussi le but de la recherche ? Trouver son incarnation.

Corboz A., « La description, entre lecture et écriture », Le Territoire comme palimpseste et autres essais, Les Editions de l’Imprimeur, 2001 59




II. Topologie

La conception du tableau a permis de faire émerger des premières intuitions quant à la signification des lieux que l’on trouve dans les trois romans de l’auteur. Ainsi, il fait apparaitre des récurrences dans la nature des lieux décrits par l’auteur. Par exemple, si l’on prend les éléments « façade » et « toit », bien que différents, ils peuvent être regroupés sous la même figure spatiale du « Contour » (le contour d’un batiment par exemple). C’est donc à partir de sa nature qu’un lieu est associé à une figure spatiale. On remarquera par la suite qu’il existe une corrélation entre la qualité spatiale d’un lieu et l’action que l’auteur y projette. Le Dedans, la Fuite, le Creux, le Contour, le Vide, l’Île et le Dehors sont les figures spatiales extraites du croisement des trois romans. Toutes font référencent à un vocabulaire spatial, et leur classement se justifie par les actions qui s’y produisent. Enfin dans cette topologie les lieux de la marge sont mis en relation avec les lieux du pouvoir. L’observation de ces derniers est en effet très utile puisqu’ils constituent dans la pensée de l’auteur le monde qu’il dénonce dans tous ses livres. Nous l’avons remarqué dès notre introduction, puis remarqué dans l’articulation entre l’Architecture et la Littérature, la question du personnage est inévitable. Nous verrons même qu’elle sous-entend chez Damasio une question spatiale à travers la notion de groupe. Pour finir, et à l’image de Philippe Hamon, nous montrerons comment la mise en rapport de notre analyse avec la réalité permet à certains égards d’éclairer notre époque.


Le Dedans

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L’œuvre de Damasio s’inscrit dans une critique des sociétés de contrôle. Depuis La Zone du Dehors jusqu’aux Furtifs, ses livres décrivent des univers dans lesquels les personnages sont prisonniers de systèmes politiques très perfectionnés ayant pour ambition l’asservissement de l’homme libre. Dès lors les héros vont incarner le combat contre les tyrannies sournoises des pouvoirs, qu’ils soient psychiques ou physiques. Tout l’enjeu du personnage Damasien est de sortir d’un Dedans pour tendre vers un Dehors. « [...] Je vis dehors, dedans je meurs. [...] 60 »

Si cette progression du personnage d’un Dedans vers un Dehors est notable dans son premier et son dernier livre, nous verrons que La Horde du Contrevent met en scène des héros qui évoluent déjà dans un Dehors. La Zone du Dehors et Les Furtifs, présentent des individus qui progressent d’un Dedans vers un Dehors au prix de leur vie. Ces deux romans nous mettent en relation avec des groupes de militants qui ont pour idéal l’aspiration à une autre vie, un envers du monde. Dans ces deux livres, architecture et urbanisme sont les corollaires des régimes de surveillance et leurs bâtiments, aux spécificités de contrôle très sophistiquées, participent à l’aliénation des populations. « [...] Nos villes sont des prisons dont les murs et les barreaux se parlent entre eux. [...] 61 »

Les villes nous apparaissent dans ces deux romans comme des prisons dont les gardiens sont aussi les prisonniers : les habitants. À plusieurs échelles, la ville, le quartier, la rue, le commerce et le mobilier urbain deviennent des outils de traçabilité et de contrôle. « [...] Une ville libérée est une ville soustraite à la gestion publique et intégralement détenue et gérée par une entrerpise privée. Son maire est nommé par les actionnaires, à la majorité simple des parts. [...] »62

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p.161. 60

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 276. 61

Les Furtifs nous laisse imaginer que des grandes villes de France dites « libérées » sont rachetées par de

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p.39. 62


61

grandes multinationales (Nestlé, Louis Vuitton, Warner etc.). Ce rachat s’explique par l’endettement de ces villes, lesquelles ne pouvant plus être soutenues par l’Etat sont donc rachetées par des organismes privés. Leur gestion en est modifiée et le maire est nommé par les actionnaires. La ville où se déroule l’intrigue est celle d’Orange, rachetée par la compagnie du même nom. Dès les premiers chapitres, le personnage principal Lorca se lance dans une course contre la montre et l’espace. La ville est entièrement privatisée, et l’accès aux différentes voies et quartiers est fonction du forfait dont bénéficient les habitants : Standard, Premium, Privilège. « [...] Je marche dans l’avenue Origami, l’un des quatre axes majeurs de la ville, fermé aux premiums et aux standards de 12 à 14 heures [...] 63 »

Aussi le protagoniste Lorca fait appel à un hacker, Zlich, dans le but de pirater le système et lui permettre d’emprunter malgré son forfait Standard des avenues Premium et Privilège. Cette partie du texte révèle donc un monde où chaque citoyen n’a pas accès à la ville de la même manière. Et cela devient très problématique pour certaines situations d’urgence qui nécessitent un pass privilège si l’on veut atteindre l’hôpital à temps par exemple. « [...] Une couche réelle, saturée de capteurs enfouis dans le mobilier urbain, qui répond à une couche virtuelle, toute d’ondes, que les designers ont rendu visible par des petits volumes de brume luminescente [...] 64 »

Au cours de sa cavalcade, Lorca est confronté à une numérisation de l’ensemble du mobilier urbain, des rues, des avenues. Il ne peut circuler sans être harcelé de publicités totalement personnalisées qui donc s’adressent à lui par son prénom. Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p.41. 63

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p.46. 64

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 47. 65

« [...] j’enfonce le pied dans une dalle sensitive [...] 65 »

Lors de sa course, il enfonce le pied dans une dalle sensitive qui capte sa démarche, son poids, mesure l’usure de ses semelles, sa pointure... On se déplace dans


62

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p.47. 50


63

une ville écran où chaque façade, chaque porte sont un écran, chaque vitre une interface tactile, chaque miroir l’occasion de se voir minci, plus jeune, plus musclé etc. Dans Les Furtifs, c’est à travers la ville que les contrôles sont opérés. Elle est la figure du pouvoir. D’une même manière la ville de Cerclon, dans La Zone du Dehors, par sa linéarité et son fonctionnalisme ne laisse aucune perspective à ses occupants. « [...] par comparaison, le dedans - Cerclon - cette coquette prison construite au compas, lisse et aplanie, notre bonne ville de Cerclon avec sa gravité constante, son oxygène homogénéiquement bleu qui suintait des turbines, des tours sans opacité, ses avenues sans ombres, blanche de la peur des angles morts, Cerclon, petite enclave sur astéroïde inhabitable, petit miracle technologique pour vie humaine possible [...] 66 »

Cerclon, la ville dans laquelle sont immergés les héros du roman, est littéralement décrite par le personnage, Captp, comme une prison. Tout comme dans Les Furtifs, les angles morts y sont interdits, aucune cachette n’est possible, aucune échappée, aucune fuite. Le nom de la ville de Cerclon nous renvoie d’ailleurs à la figure d’un Dedans, d’une enceinte qui nous encercle et enferme. Dans ces deux romans, l’architecture joue le jeu de l’enfermement, de la traçabilité et de l’appauvrissement de l’expérience. Comme le montre la carte précédente de la ville d’Orange, les quartiers sont accessibles selon l’abonnement auquel on a souscrit. Dans Cerclons, c’est véritablement l’architecture de la ville qui rappelle l’enfermement. « [...] Vu d’un astronef, Cerclon ressemblait, pour qui se voulait poète, à une fleur… celle au six pétale de l’ingénieur [...] Les sept grands disques avaient été baptisés secteurs et numérotés en fonction de leur éloignement du Cube. C’est à dire en fonction du rayonnement radioactif qu’ils subissaient. Le Cube, les industries et l’astroport occupant au nord le secteur Carte des différentes zones (Standard, Premium, Privilège) de la ville d’Orange en France.

6, on trouvait au nord-est le secteur 5 où j’habitais. Y

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 1999, p.161.

métallos et fondeurs, de fondus qui erraient dans la

66

vivaient une majorité d’employés, d’ouvriers mécanos,


64


65

radzone à récupérer des bouts de tôle, de chômeurs, de voleurs, d’exclus du Clastre et le peu d’employés agricoles qui permettaient à la ville de manger. Au nord-ouest, le secteur 4, collé de la même façon que le 5 à l’antirade [...] Plus au sud scintillaient les secteurs 2 et 3 dans lesquels je ne mettais jamais les pieds [...] Enfin, plein sud et diamétralement opposés au Cube, se devinaient quelques palais du secteur 1, siège des riches, des retraités, des exploiteurs et des hôpitaux et quartiers résidentiels, par excellence. [...] Le disque central de Cerclon avait échappé à la numérotation. Les pionniers du satellite l’appelaient cependant le 7. Les snobs le zéro. Plus souvent, les Cerclonniens disaient « le centre ». Kamio l’appelait le centre du pouvoir. [...] 67 »

Sorte de grand cercle, protégeant d’un Dehors hostile, la ville renferme en son sein plusieurs autres cercles, aussi nommés secteurs, et auxquels leur éloignement plus ou moins grand d’un Cube radioactif permet d’attribuer une valeur. Tout comme dans Les Furtifs, la ville est partitionné, ici selon sa classe. La traçabilité est l’autre aspect de la perversité architecturale. À Cerclons, la surveillance est organisée de telle sorte que les habitants s’espionnent entre eux via des tours panoptiques. « [...] Sais-tu, promeneur, que les tours peuvent observer n’importe qui, n’importe quand et à peu près partout ? [...] Au fond, tu redoutes moins le regard de la police que celui des proches, famille ou « amis ». Si tu fermes les rideaux avant de faire l’amour, c’est en pensant à l’autre, les jumelles acérées, dans la tour. Ta probabilité d’être épié a beau être minuscule, tu prends sur toi les regards malveillants. [...] Qu’importe que je ne sois en fait jamais surveillé ? Je me surveille, quand même. [...] La tour pourrait bien être vide, hein, vides aussi les boxes, ça n’y changerait rien ! Le pouvoir s’exerce tout seul. [...] 68 » Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p.101, 102, 103. 67

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 112. 68

Illustration représentant Cerclon et le Dehors en plan

Ainsi, les différents secteurs de Cerclons fonctionnentils de la même manière : une tour panoptique centrale, où tout le monde peut entrer et observer la ville, les quartiers, les immeubles, les habitants dans leur intimité. Ce rapport qu’ont les habitants avec eux-mêmes fait


écho à notre rapport aux réseaux sociaux. Certes, La Zone du Dehors est sortie en 1999, il n’empêche que Damasio anticipe ce que les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter ou Instagram vont permettent de mettre en œuvre dans les deux décennies suivantes, d’une manière plus consentie. La question du voir et d’être vu est en filigrane dans ces deux romans. Dans Les Furtifs, ceux sont les créatures furtives qui donnent l’exemple. Elles apparaissent au même titre que les enfants comme des êtres à imiter. Dans La Zone du Dehors la recherche d’une furtivité est aussi souhaitée par les personnages.

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« [...] Que faisaient les architectes de Cerclon ? Ils raréfiaient. Ils simplifiaient. Ils agençaient des espaces, des objets et des flux (électricité, eau, air, merdes à évacuer, mouvement, etc.), mais pour les articuler dans un système clos où chaque relation, d’espace à objet , d’objet à flux, ou de flux à espace se trouvait commodément définie et figée. [...] 69 »

Le contrôle s’exerce sur les habitants à travers l’architecture de la ville de Cerclon : son enceinte, ses murs et ses flux. La ville s’apparente à une serre dont on contrôlerait alors chaque paramètre. Tout comme dans Les Furtifs, cet aspect des villes Damasiennes nous renvoie à la réalité des smart-city et plus récemment du confinement. « [...] Du confinement urbain ? De l’incessante assignation à résidence de nos vies ? [...] 70 »

Actuellement c’est la crise du Covid qui incite les gouvernements à prendre des mesures que certains dénoncent comme liberticides : tracer, tester et isoler sont les mots d’ordre d’une politique sanitaire que l’on aurait cru impossible à appliquer avant le premier confinement de Mars 2021. Dans ces deux livres, architecte et urbaniste ont dans les mots de l’auteur une responsabilité. C’est en effet eux qui « [...] raréfiaient [...] simplifiaient [...] agençaient [...] » les villes et qui d’une certaine manière planifient l’espace. C’est donc contre cette planification que l’auteur s’insurge, et à laquelle ses héros vont tenter d’échapper.

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 123. 69

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 15. 70


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La Fuite Dans l’épopée damasienne, le contrôle des villes sur les personnages génère chez ces derniers un profond désir de fuite et de révolte. Que ce soit le personnage de Lorca dans Les Furtifs ou celui de Captp dans La Zone du Dehors, dans les deux cas nous avons à faire à des personnages aux activités la plupart du temps subversives et que les pouvoirs vont chercher à réprimander. Dans La Horde du Contrevent le rapport est différent car les personnages sont pris dans un mouvement, non pas de fuite, mais de contre. Ils n’ont rien à fuir puisqu’ils évoluent déjà dans une forme de marginalité. Dès lors la Fuite apparait comme un moment passager dans le roman damasien, une sorte de mouvement généré par un monde replié sur lui-même. Dans La Zone du Dehors, les premières pages sont d’ailleurs décrites comme une fuite de deux personnages pour échapper à une caméra volante. « [...] > La caméra volante nous pistait depuis notre entrée sur l’anneau périphérique. Dès la rampe, j’avais déconnecté le pilote et poussé le bobsleigh à deux cents — silence moteur, vent liquide coupant la peau avec, aux tripes, cette sensation de flécher comme un missile à travers la nuit pour aller briser, compact, les blocs rouges de la Zone du Dehors. [...] 71 »

Dans Les Furtifs, cette fuite est elle aussi générée par une ubiquité des outils de surveillance. « [...] Pour notre génération trouver n’importe qui et n’importe quoi, de n’importe quel spot à n’importe quel moment fait partie des compétences bas du front. Tout môme de cinq ans sait localiser son doudou au bipeur, pister son drone dans une fly-zone standard et traquer sa mère au mètre près au milieu d’un centre commercial saturé de pères Noël. Un adulte à peu près débrouillé peut géolocaliser sa copine au décimètre dans un bar, savoir à chaque instant qui l’entoure et à quelle exacte Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 11. 71

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 35. 72

distance [...] 72 »

La coercition de la surveillance est d’ailleurs beaucoup plus prononcée dans Les Furtifs, puisque les


personnages principaux comprennent qu’il est nécessaire de fuir le regard, d’adopter en somme une furtivité et notamment en se glissant dans « les angles morts ».

68

Cependant, si cette fuite prend une incarnation spatiale, il faut aussi la considérer dans sa dimension mentale. Car cette nécessité « d’échapper », les personnages l’expérimentent au plus profond d’eux-mêmes. « [...] Vous êtes là parceque vous sentez qu’en vous quelque chose veut sortir. Quelque chose auquel vous devez faire passage [...] 73 » « [...] Plus nos rapports au monde sont interfacés, plus nos corps sont des îlots dans un océan de données et plus nos esprits éprouvent, inconsciemment, cette coupure, qu’ils tentent de compenser. [...] 74 »

Souvent, cette fuite se confronte à une limite. Cette dernière peut prendre plusieurs formes, mais elle dessine les prémisses d’un rapport Dedans et Dehors qu’on exprimera par la suite. La limite chez Damasio fait office le plus souvent de filtre, de frontière de contrôle, mais aussi d’ouverture. Dans La Zone du Dehors, cette frontière est décrite comme un véritable filtre à délinquants. « [...] Et voilà ce qu’il va falloir passer : la ligne du Dehors. > Je regarde en bas. Au pied du mur massif qui porte la route où nous nous tenons, une épave calcinée. Vingt mètres plus loin, ils sont là, ceux que Captp m’a désigné : les grands poteaux incurvés qui marque la limite ultime de la ville. Espacés tous les dix mètres, ils ressemblent à une armée de phallus au garde-à-vous. A leur base, pour matérialiser la frontière du dedans et du Dehors, un pointillé de diodes rouges qui court sur deux cents kilomètres de Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 576.

circonférence de Cerclon [...] 75 »

73

« [...] L’architecture de la Ligne du Dehors,

74

remplissait par sa légèreté même, ce rôle parfait de filtre à délinquant. [...] 76 »

On comprend alors que la limite, outil de conception architecturale de base - la limite fait peut-être partie des toutes premières notions que l’on transmet en

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p.277. Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 14. 75

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 25. 76

Illustration représentant la Ligne du Dehors


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école d’architecture - est utilisée par l’auteur avant tout comme un outil du controle. Et c’est d’ailleurs plus tard dans le livre que l’on retrouve cette notion.

70

« [...] Mais en moins de cinq ans, les points de sécurité - en fait des sas, des seuils, des bornes, des portes et des portiques - avaient coupé un peu partout tout trajet un peu fluide, un peu libre, toute errance éclairée [...] 77 »

Une fois de plus, on peut dire que Damasio associe les postures de l’architecte ou de l’urbaniste à un technicien dont le seul objectif est de contrôler son environnement. Dans ce contexte, la figure de la ville, dans un premier temps, puis celle de la limite témoignent d’une critique architecturale. L’exemple des sas, seuils, bornes, portes et portiques démontre cela et doit être mis en échos avec la réalité des constructions actuelles (l’augmentation par exemple des portes, sas et digicodes en témoigne). Dans La Zone du Dehors, ces sas font partie des premiers lieux qu’investissent le groupe des Voltés. Leur action va avoir pour effet de transformer ces frontières en des portes tranchantes. « [...] Ces portiques, c’est une Hache ! Vous connectez ? Une Hache ! Et ça découpe des espaces, des libertés, des vies ! Et on va le montrer ça ! On va le rendre physique dans cette putain de cage mouvante de ville ! [...] 78 »

Mis dans un mouvement de fuite, l’enjeu pour chacun des héros est alors de passer cette limite. Dans La Zone du Dehors, le personnage de Captp va par exemple lui chercher l’ouverture. « [...] balaya la pièce d’un regard, cherchant l’ouverture… Les fenêtres ! Il enchaina d’un seul geste un saut [...] lui permettre de traverser la vitre tout en s’accrochant au rebord extérieur, pour ensuite fuir par les armatures, agripper une volante, gagner le toit [...] 79 »

Dans un autre registre, Aguero, l’un des personnages principaux des Furtifs, va quand-à-lui « s’ouvrir ». En côtoyant énormément de furtifs le personnage en finit par développer des capacités furtives. Finalement on lit

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 68. 77

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 73. 78

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 342. 79


71

ici une fuite intérieure, rappelant une relation entre un Dedans et un Dehors. L’ouverture est alors un passage physique et mental dans les histoires de l’auteur. « [...] Là je me suis levé et j’ai commencé à dinguer sur les braises, pareil le type, le singe, pareil. Quelque chose est sorti de moi et à commencé à danser avec mes pieds et avec mes hanches. J’ai tout ouvert [...] 80 »

La Horde du Contrevent est le roman le plus métaphorique de l’auteur. Il met en scène un groupe d’individus, les Hordiers, qui sont dès les premières pages engagés dans un mouvement : celui du contre. « [...] À la cinquième salve, l’onde de choc fractura le fémur d’enceinte et le vent sabla cru le village [...] Sous mon casque, le son atroce du roc poncé perce, mes dents vibrent - je plie contre Pietro, des aiguilles de quartz crissent sur son masque de contre. [...] 81 »

Si le mouvement de la Horde s’apparente davantage à un contre, on peut néanmoins y lire une fuite du monde pour la quête d’une vérité : d’où vient le vent ? En effet, tout au long de leur route, les hordiers suivent ce qu’ils appellent la « Trace » - tatouée sur le dos de Golgoth - une sorte de chemin en ligne droite s’établissant de l’Ouest à l’Est et allant de l’Aval à l’Amont. Au cours de leurs épopée ils passent par plusieurs étapes urbaines, des villes, villages. Ils croisent aussi les Fréoles, un autre groupe ne se déplaçant qu’à l’aide de leur vaisseau volant : l’escadre frêle. Ces étapes sont pour la Horde synonymes d’un Dedans qu’ils fuient ou qu’ils sont en train de fuir. « [...] Notre différence avec les Fréoles est immense et inconciliable. Notre empire, c’est le contrevent. Personne ne connaît mieux le flux en sa fibre. Personne ne lit mieux ses faiblesses que nous. [...] On peut toujours théoriser les turbulences, stabiliser Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p.186.

un sillage, prévoir le dessin d’une volute. Les Fréoles

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 701.

formes, aucun instrument ne suffit à les classifier.

80

81

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 488. 82

le font avec une minutie qui les honore. Mais les Il faut être immergé le corps entier à l’intérieur du rafalant. Pas au-dessus en navire ou en aéroglisseur. Ni abrité derrière : dedans ! Chair en prise ! [...] 82 »


À l’image des villes techniques décrites dans La Zone du Dehors et Les Furtifs, l’auteur continue de critiquer une forme de modernité. Dans ce court passage, la modernité est incarnée par les Fréoles et leur machine volante rappelant peut-être la « machine à habiter » du Corbusier. La Horde se place alors en opposition à ce modèle en contrant « chair en prise » avec un univers dangereux, en constant mouvement. C’est pourquoi ne se limitant qu’au stricte nécessaire, et à une vie de nomade, il faut comprendre leur échappée comme un continuum spatial, associant ligne et mouvement. Les étapes apparaissant comme des Dedans dans lesquels il ne faut pas rester.

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Mais ce qu’il est aussi nécessaire de relever, c’est que cette fuite entamée par la Horde tient du contre. Et là encore la métaphore est de mise pour y voir plus clair. Pourquoi ne pas considérer alors que nous avons là un groupe, faisant face à une force telle que très peu de personnes arrivent à la supporter. C’est ainsi que les Hordiers doivent être compris, comme des personnes en marge de la société - ou en contre de la société ?- se fixant un chemin, la Trace, et ne pouvant concéder la moindre place à une sédentarisation synonyme d’abdication. La dernière étape de leur long périple, Camp Bobàn, en témoigne. Camp Bobàn est le dernier village que les Hordiers traversent. Il est habité par les parents, anciens Hordiers eux-mêmes, qui ont fait le choix de s’arrêter ici car la route devenait trop dangereuse. Camp Bobàn est présenté comme un havre de paix. « [...] Le fameux Camp Bòban, longtemps simple camp de base de Norska, était devenu au fil du temps un village, un village à l’architecture élégante et ronde, un petit havre dont l’ascendant immédiat fouillait au soc nos rêves enterrés de maison. Autant le dire : ce Camp était un piège profond, par sa lumière, l’eau abondante et le vent clair par une terre à l’évidence fertile, cumulait les énergies propices. Tout, du tracé fluide des chemins à la taille des fontaines, du réseau d’irrigation aux choix des éoliennes, [...] tout trahissait l’empreinte et le goût d’une élite sobre et pragmatique, dont l’ampleur des connaissances techniques expliquait la pertinence des réalisations. [...] 83 »

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 213. 83


73

Mais de par le repos, l’ambiance et la suffisance technique, Camp Bobàn est un piège aux yeux des Hordiers ; même au cours de cette étape beaucoup vont remettre en cause ce pourquoi ils se sont toujours tenus face au vent. La Horde fera finalement le choix de continuer sa route, reprenant comme à chaque étape le mouvement et la ligne qu’ils suivent. Vous l’aurez compris, dans ses trois romans, Damasio place ses héros dans des univers qui initient un mouvement de fuite. Cette fuite traduit chez les personnages - et implicitement chez l’auteur - un souhait, celui de trouver en soi et dans le monde, un envers. « [...] N’acceptons pas que l’on fixe, ni qui vous êtes, ni où rester. Ma couche est à l’air libre. [...] Soyez complice du crime de vivre et fuyez [...] 84 »

Ce désir que développe chacun des personnages apparait comme en réponse à une société de contrôle le plus souvent associée à un Dedans. Dès lors la Fuite entraine les héros dans une recherche constante d’un envers que l’on pourrait qualifier de Dehors.

Le Creux Le héros Damasien est dans un mouvement de fuite. Ce mouvement est initié par l’illégalité assumée du héros et par la crainte d’une poursuite par les représentants du pouvoir. Dans beaucoup de situations, les personnages vont d’abord chercher à se cacher.

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 621. 84

Dans son dernier livre, les furtifs sont des êtres faits de chair et de sons. Le mystère autour de leur origine et de leurs capacités se désépaissit au fur et à mesure du récit. On comprend finalement qu’ils constituent des êtres à l’origine de toute vie. Ils incarnent une posture : celle d’échapper coûte que coûte, de rester en mouvement, et de ne pas être vu. En écho à notre réalité, les furtifs sont comparés à des migrants, des anormaux, des horsnormes, en marge de notre monde, et donc de la société. Ils sont d’ailleurs traqués pour différentes raisons :


d’abord pour leur qualité furtive (qui séduit l’armée) puis parce qu’ils représentent un danger aux yeux du gouvernement (la furtivité n’est pas tolérable dans un monde où tout un chacun est suivi à la trace).

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Dès les premières pages, l’auteur met en scène la traque d’un furtif dans un espace appelé le Cube blanc. « [...] La salle est presque toujours vide de présence humaine. Donc idéale pour se cacher. Les furtifs se moquent des capteurs, tu le sais bien. [...] 85 » « [...] Je suis dans une cage blanche. Sans meuble, sans l’ombre d’un objet. Ni table, ni chaise. Pas la moindre applique fixée au mur. Rien qui puisse laisser au furtif la moindre chance de se cacher, d’utiliser ses capacités mimétiques ou de faire fructifier sa prodigieuse faculté de métamorphose en composant son corps avec son environnement. C’est vide. Vide à tanguer. [...] 86 »

Le lecteur de saisit d’emblée des premières caractéristiques des lieux qu’investissent les furtifs. En l’occurrence l’absence d’être humain semble être un premier facteur, puis c’est le vide laissé qui permet aux furtifs d’investir cet espace. Si le cube est vide il manque néanmoins de creux ! En somme, d’espaces plus petits où se cacher, des « angles morts »... « [...] L’angle mort est leur lieu de vie. [...] 87 »

Dans cet univers, le furtif a l’apparence d’un petit animal pas plus grand qu’un renard mais dont l’intelligence est supérieure sinon égale à celle de l’homme. Ces êtres investissent des lieux naturels ou construits mais que l’homme a depuis longtemps désertés. Leur furtivité se perçoit lors des différentes traques ; ils ont la capacité de se mettre dans les « angles-morts » de la vision humaine. La figure de « l’angle-mort » est une autre manière de signifier des espaces en creux. Quels lieux investissent-ils ? La première mission des personnages se déroule dans un ancien squat, le C3. Il est situé dans un quartier Privilège soit l’une des zones les plus chères de la ville. La possibilité d’un squat dans un tel lieu était donc intolérable.

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 10. 85

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 12. 86

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 13. 87


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« [...] Je souhaite pointer deux choses. D’abord qu’il m’a fallu deux ans pour obtenir cette autorisation d’accès au Centre Culturel Capitale, le C3. Ce centre a été privatisé par Civin, vous le savez sans doute, puis rapidement fermé en 1038 au motif qu’il n’était pas rentable. La décision avait choqué les bobos, vous pouvez l’imaginer. En réaction, le C3 a tout de suite été squatté pendant bien six mois, par un collectif d’artistes qui voulait le protéger d’une réaffectation en funzone. Assez vicieusement, Civin a laissé le squat s’installer puis il l’a noyauté avec doigté. [...] ils l’ont muré, électrifié et droné pour empêcher toute nouvelle intrusion. [...] 88 »

Puis à l’intérieur du C3, la chasse prend place en différents espaces : Philharmonie, Musée d’art contemporain, médiathèque, la Réalité (un espace de jeux pour enfants). Au fur et à mesure, la traque s’oriente vers le musée contemporain dans lequel est installée l’œuvre monumentale d’un artiste, Il Cosmondo. Tishka est la fille du personnage principal. Au tout début du livre elle est portée disparue depuis deux ans. Et son père, Lorca, se lance à sa recherche, pensant que les furtifs l’ont enlevée. Son intuition est relativement bonne, la petite Tishka se révèle être devenue elle-même un être hybride mi-furtive, mi-humaine. Cela explique sa disparition et fait prendre conscience au gouvernement qu’un être hybride peut échapper à son contrôle. La période de l’enfance apparait comme propice à la furtivité par sa capacité à l’invention spontanée. L’imagination créative des enfants leur permet de détourner facilement tout objet de sa destination première. C’est d’ailleurs à Il Cosmondo, que Tishka est aperçue (via une caméra), dans un lieu où tout enfant s’amuserait.

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 89. 88

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 96. 89

« [...] C’était une sorte de maison-monde de six mètre de haut et de bien quinze de large où l’on pouvait entrer, ramper, se glisser et se cacher, se perdre même tant les cheminements étaient sinoques et contre-intuitifs sur un aussi petit volume. [...] de la surprise sans cesse et des pièces qu’on pouvait ouvrir et fermer, agrandir en poussant une paroi ou en soulevant un plafond (ou bien réduire à un simple couloir, à une chatière). [...] 89 »


Il Cosmondo, une sorte de maison-monde que l’on peut dans le cadre de l’exposition, grimper, modifier, toucher et où l’on peut entrer, ramper, se glisser, se cacher, et même se perdre. Le personnage de Lorca qui jouait auparavant avec sa fille à l’intérieur qualifie le lieu d’« œuvre joyeuse », d’une folie partagée. Mais lors de la chasse le lieu est vide, nettoyé de toute substance émotionnelle. Il Cosmondo apparait dès lors comme un endroit fabuleux pour les furtifs. Un lieu fait de coins et recoins, à l’architecture complexe, et aux surfaces poreuses. Un paradis pour tout enfant et tout furtif.

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« [...] pas la moindre logique architecturale, c’est un subtil maelstrom de pièces enroulées, de meubles courbes et d’objets pendus au plafond que je me prends en plein front [...] 90 »

Véritable œuvre artistique, Il Cosmondo fait figure de maison des cachettes par son architecture inhabituelle. C’est un éloge à des architectures plus folles, car permettant d’abriter les furtifs. Il faut cultiver ce désir d’offrir des creux dans l’espace, et nos habitations. La transparence n’est pas de mise ici. C’est pourquoi on n’y retrouve par exemple aucun angle droit, mais des niches, des nids, de petites pièces coudées... Par analogie, on retrouve cette critique dans La Zone du Dehors qui dénonce les architectes et les villes faites « de compas et de règles ». Par extension, la description de Il Cosmondo rappelle les maisons construites dans les Zad où rien ne parait droit, et coins et recoins sont partout. Le creux est propice à la cachette, un angle mort où se planquer ! Lorca, une fois mis en situation de fuite cherche à se cacher. Il va dans un premier temps se réfugier dans un immeuble désaffecté. Dès lors, c’est la figure du délaissé qui transparait, à l’image des squats comme le C3. « [...] se mettent à foncer sur Lorca, lequel a pris ses jambes à son cou et file vers le premier batiment qui pourrait l’abriter, […] il s’engouffre da capo dans un petit immeuble de cinq étages dont plusieurs vitres sont occultées de planches. Moitié squat, moitié logement social ? [...] 91 »

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 637. 90

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 52. 91


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Puis il va passer par plusieurs cachettes, plus petites mais qui la aussi vont lui permettre d’échapper aux regards. « [...] Il y a une cache. Cache toi. [...] il y avait à deux mètres cinquante de haut un gros bloc de climatisation blanc, dont la totalité du moteur avait été retiré. [...] 92 » « [...] le fait qu’un homme puisse se loger dans la gaine d’air d’un immeuble aussi ancien [...] 93 » « [...] Ils sont encore deux dehors… Je vais sortir les poubelles à 6 heures : cachez vous dedans [...] 94 »

Ainsi le creux semble être le support d’une cachette plausible. Un endroit à l’abri des regards que les furtifs mais aussi les hors-la-loi cherchent à tout prix. Aussi, cette figure semble apparaitre dans les deux autres romans. « [...] Surveille quand même les écrans 126 A et B : ils couvrent le coin où il y a l’épave. Pas mal de gazé essayent de passer par là. Ils sont un peu protégés par la caisse, alors ils tentent leurs chances. [...] 95 »

Dans La Zone du Dehors, le creux prend la même forme que dans Les Furtifs, celui d’un espace en retrait, mais aussi associé à l’oublié ou à l’usé. Et comme l’exprime la citation ci-dessus, les creux sont des passages pour passer la ligne du Dehors. Alors, ils sont à considérer comme les premiers moyens d’accéder à un envers. « [...] Nous partîmes ensemble pour la réunion. Elle avait lieu dans le vaisseau désaffecté qui nous servait Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 54. 92

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 57. 93

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 59. 94

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 18 95

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 70 96

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 119 97

d’hémicycle [...] 96 » « [...] Slift vivait dans la radzone depuis vingtsept ans : depuis qu’il était né. Il habitait l’aile d’un vaisseau qui lui servait aussi de hangar pour entreposer ses glisseurs. [...] 97 »

Cachette, réunion, planque, cette figure apparait comme un moyen d’échapper à la surveillance et permet à des groupuscules révolutionnaires comme les Voltés de


préparer diverses actions politiques, parfois violentes. On suit alors leurs multiples réunions, fuites et disparitions dans ces espaces hors de controle.

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Dans La Horde du Contrevent, les creux sont plutôt présentés comme de simples cachettes ou abris qui permettent aux Hordiers de se protéger du vent. On peut alors supposer ici que le vent est une métaphore de la société, et qu’en se cachant du vent, les Hordiers adoptent la même posture que les Voltés : se dresser contre la société. « [...] Je repère le moindre bout de roche, le moindre creux jouable. Être prêt, prêt si ça explose…à se plaquer ventre à terre. On peut se planquer là ! [...] 98 » « [...] Il faut le contrer entre les crêtes, dans les creux des slaves [...] 99 » « [...] Creusez-vous un igloo et attendez que la tempête passe [...] 100 »

Se cacher du vent, voilà ce à quoi répondent tous les creux que les Hordiers recherchent. Ainsi, trou, butte, mur, bosquet, bout de roche ou encore igloo, les cachettes sont multiples. Dans sa fuite d’un Dedans pour tendre vers un Dehors, le héros damasien passe par une première étape de dissimulation. Cette recherche de la cachette, dont les furtifs sont l’incarnation même, prend forme dans ce que l’on a nommé des creux. Des lieux souvent vides, d’échelle relativement petite et dont l’usage n’est plus d’actualité. Damasio porte ici son regard sur tous ces lieux que l’on côtoie nous-même mais qui de par leur inutilité ne nous marquent plus. Les personnages qui investissent ces lieux sont eux aussi relégués dans une forme d’inutilité. Inutilité spatiale et inutilité sociale sont donc présentés comme concomitantes. Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 679. 98

Seulement la plupart du temps, l’échelle du creux et ses qualités spatiales ne semblent répondre qu’à une occupation temporaire et limitée : la cachette. Une cachette pour terminer sa fuite, une cachette pour préparer des actions politiques ou encore une cachette pour tout simplement se protéger du vent. Ainsi le

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 620. 99

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 620. 100


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creux doit être compris comme un stade « primaire », mais nécessaire, de la marge chez Damasio. Une étape constitutive du développement des personnages aussi. Le creux est « l’angle mort » dans lesquels les furtifs puis les personnages se cachent de la société.

Le Contour Après la recherche d’une cachette, c’est à travers l’action politique que les personnages tentent d’exprimer leur marginalité. Dans Les Furtifs et La Zone du Dehors, la revendication est faite à la fois par les héros et par des populations elles-aussi marginales parfois même se réunissant autour d’idéaux. C’est ce qu’on observe par exemple dans le dernier roman paru avec la présentation de plusieurs mouvances. « [...] nous sommes toujours sentis, Sahar et moi, en affinité avec des mouvances comme l’Inter, la Traverse ou la Celeste. [...] Pour eux, un toit n’est pas la couverture d’un bâtiment qui sert à étanchéiser et point barre : c’est un îlot de possibles au-dessus d’une mer gris muraille. C’est un sol neuf pour construire une autre ville, non par-dessus mais par-devers elle, afin que d’autres circulations, obliques à nos avenues, s’esquissent. Pour que des jardins poussent, des ruches s’installent, du soleil fasse énergie, qu’on y récupère la pluie pour la permaculture, le vent qui fait sonner les singing ringing trees qu’adore Sahar. [...] L’Inter, c’est plutôt la ville intersticiée dans la ville, un état d’esprit, vouloir habiter les espaces glissants, brumeux, nerveux ou piquants d’une urbanité qui les conjure, accrocher aux façades des maisons sac à dos, suspendre aux ponts des cahutes autonomes, monter des quartiers flottants sur le fleuve avec des palettes et loger des vieilles rames de tram entre deux immeubles pour en faire des cantines. Squatter aussi là où le business délaisse des milliers de mètres carrés de bureaux vides. [...] 101 »

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 383. 101

Tout au long de l’histoire, les personnages principaux entretiennent un rapport direct et indirect avec


des mouvements extrémistes qui militent contre le gouvernement et ses « villes libérées ». Leurs actions prennent différentes formes mais ont toutes la particularité de jouer, et de détourner l’espace urbain. Dans ce contexte, trois mouvements se démarquent : l’Inter, La Céleste et la Traverse. Trois mouvances qui voient la ville comme un enfant pourrait la voir.

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« [...] L’idée ça a toujours été que les villes sont trop conçues… trop vécues du sol. C’est la voiture qui a crée nos villes. Le trottoir même est une invention de la voiture, les feux, les ronds-points, les avenues ! On voulait trouver d’autres chemins, des trajets à nous qui ne décalquent pas les rues... des obliques, des traçantes... Et on s’est dit que l’espace existait, il existait là-haut.... il existait sur les toits, que notre bitume il serait bleu. [...] 102 »

La Céleste est une organisation qui investit les toits, les façades, les balcons, tout ce qui est en marge de l’immeuble, son contour ! Ils se donnent pour mot d’ordre de ne jamais toucher le sol et créent de ce fait des rues aériennes et se déplacent de toit en toit. Pour eux le toit n’est pas simplement la couverture étanche d’un bâtiment, c’est un sol neuf pour construire une autre ville, non par-dessus mais par « devers ». Pour eux la ville est un « îlot de possibles » où l’on récupère l’eau des pluies, où l’on réutilise l’énergie solaire, où des voies de circulation autres que les avenues privatisées existent, où des jardins poussent. Lorsque la Meute rencontre la Céleste, sur l’immeuble du BrighLife - un tout nouvel immeuble construit par la société Civin c’est dans une atmosphère de guérilla urbaine. Chacun doit atteindre le plus rapidement le toit dans le but de l’occuper. Sur l’immeuble, une société commence à apparaitre avec ses serres, ses jardins, ses tentes, etc. L’espace du toit est littéralement habité. « [...] Le toit du complexe BrightLife était une merveille de parc paysagé. Il s’étirait en arc sur la longueur d’un terrain de foot. De nuit, des globes d’or à allure de lanterne éclairaient de place en place des potagers en permaculture et des îlots de graminées, un verger d’arbres matures et des pelouses ovales ouvrant des plages moelleuses où s’allonger. [...] 103 »

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 220. 102

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 212. 103

Illustration du mode opératoire du mouvement Celeste à travers la prise de l’immeuble BrightLife.


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L’Inter quant à elle, investit les interstices dans la ville. Elle cherche à habiter les « espaces glissants, brumeux, nerveux, ou piquants » en accrochant aux façades des maisons sac-à-dos, en suspendant aux ponts des cahutes autonomes, en montant des quartiers flottants (voir illustration ci-contre) en palettes sur des fleuves et en logeant des vieilles trames de rames entre deux immeubles pour en faire des cantines. La Traverse enfin apparait comme le mouvement le plus contestataire. Ses adhérents partent du principe que la ville doit être redonnée, réofferte aux migrants, aux sans-abris à tous ceux qui ne peuvent pas se payer de forfait Standard. Elle est composée d’intellos, d’ingénieurs, d’activistes qui viennent de la rue. Leur crédo à eux est de construire des habitats rapides dans des zones Premiums et Privilèges. Partout où ça s’insère naturellement où ça peut permettre aux gens de se mélanger. Généralement leurs constructions prennent place en bordure de square, sur friche, sur les terrains pas encore vendus d’une zone pavillonnaire, mais elles peuvent aussi être accrochées sous un pont, sur des berges, derrière un entrepôt et même en pleine rue. Ce mouvement spécialisé dans la construction est capable d’utiliser tout ce qu’il trouve dans son environnement : palettes, boue de ciment, briques, bois, terre, déchets etc. Son objectif est de construire en une seule nuit ; pour que ce soit opérationnel le lendemain matin. Un autre principe est que celui qui va habiter participe à construction de l’habitat. L’ensemble de ces mouvances doit être compris comme le versant humain des furtifs. Leurs capacités à s’adapter, à se glisser dans les lieux où l’homme n’est pas, à faire avec l’environnement, à détourner un toit sont autant d’éléments qui rappellent les furtifs. « [...] Balcons ! Passez par les balcons ! [...] 104 »

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 205. 104

Illustration du mode opératoire du mouvement Inter à travers la construction sur façade de logement.

On peut observer dans les deux premières mouvances tout du moins des espaces récurrents, ceux des façades, balcons et toits. Des espaces que l’on peut raccrocher à la figure du contour, ici celui d’une tour, et que l’on retrouve également dans La Zone du Dehors.


« [...] sous les affiches et dans les murs troués,

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elles parlent du haut des poteaux, chuchotent sous les trottoirs, crient aussi, au passage de certains glisseurs... La ville parle ! Elle parle par sept mille bouches disséminées, éparses, partout parle, la ville, et ce n’est jamais la même voix. Les rues bruissent de murmures autrefois tus et marcher, devient une mélodie que le marcheur compose par son trajet unique, et que la ville lui restitue aussitôt, écho des pas que le hasard trace. [...]105 »

Au cours de leurs diverses action les Voltés s’amusent à laisser dans l’espace public - et notamment sur les façades d’immeubles - des clameurs. De petits dispositifs sonores capables de livrer un message à qui passe dans le coin. Ainsi des poèmes, des questions, des revendications, des révélations... tout un tas de messages interdits par les pouvoirs sont cachés dans les contours de la ville. Tout comme dans Les Furtifs, les façades sont aussi utilisées pour délivrer un message, s’il est oral dans La Zone du Dehors, il est visuel dans l’autre roman. « [...] Slift commence à escalader le pylône de la tour. Il est parti du pont, à droite de la porte, et monte en diagonale, pour s’éloigner de trois heures de la porte, comme prévu. Il magnétise le pied gauche, magnétise le pied droit à hauteur du genou gauche, puis jette la main gauche très haut, puis la main droite et démagnétise chaque appui au fur et à mesure, mais si vite et en dépit de toutes les lois de l’escalade qu’il ne tient le plus souvent que sur deux appuis [...]106 »

Toujours associé à la figure du contour, le toit et la façade sont dans le premier roman des lieux investis par les marginaux. Lors de l’assaut lancé sur la tour TV symbole même de l’asservissement des habitants et du pouvoir des gouvernements - les Voltés vont de la même manière que ceux de l’immeuble du Brightlife escalader la façade. « [...] et les soixante guetteurs de la Volte cachés sur les toits, derrière les turbines et le long des avenues débouchant sur la place [...] 107 »

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 243 105

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 313. 106

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p.310. 107


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Puis dans un même temps plusieurs guetteurs investissent les toits pour couvrir les escaladeurs. Tout comme dans Les Furtifs, les toits sont ici présentés comme des espaces capables de soutenir une revendication. Un des Voltés dira même : « [...] J’avais le ciel pour toit et les toits pour sol [...] 108 »

Après la figure du creux, c’est à la figure du contour que les personnages ont à faire. Ici, le contour correspond à tout ce qui borde un espace, un volume. C’est pourquoi on observe dans le premier et le dernier livre une occupation des façades, balcons mais aussi toit ou encore dessous de pont... Mais contrairement au creux, on voit qu’ici la première intention n’est plus vraiment de se cacher - même si c’est aussi dans les contours que l’on échappe au regard - mais plutot de riposter et de commencer à proposer une alternative. Et c’est cela que l’on observe lors de la prise du toit du Brightlife, le début de quelque chose. Il semblerait donc que la marge et ses différents lieux, au delà d’être spatialement diversifiés, arrivent à soutenir différentes formes de marginalité. On observe dans le comportement des héros une évolution dans leur pratique et dans les lieux investis (après avoir expérimenté la cachette, on expérimente la revendication).

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 373. 108

Banksy est un artiste apparemment d'origine anglaise et appartenant au mouvement street-art. Son travail débute dans les années 90 et aborde des thématiques anarchiste, antimilitariste, anticapitaliste et antisystème. Banksy est aussi réputé pour sa furtivité. En effet, à ce jour personne ne peut affirmer qui est réellement cet artiste. 109

Les contours dans nos sociétés peuvent être perçus de la même manière dont sont présentés les toits ou façades chez Damasio. La figure du grapheur est d’ailleurs très en prise avec notre réalité puisque les grapheurs - en passant du simple grapheur de rue à l’artiste Banksy 109 - sont souvent pris de revendication. Ainsi l’espace urbain devient pour eux une toile sur laquelle s’exprimer. D’autant plus que tirant partie de l’une des caractéristique de l’architecture - sa présence qu’on le veuille ou non dans notre vie - le grapheur parle à tout le monde. D’ailleurs, opérant souvent la nuit à l’abri des regards et souhaitant rester inconnu, tout comme Banksy109, les grapheurs semblent répondrent à la descriptions des furtifs. Tout comme les façades, les toits nous renvoient aussi à une forme de réalité. L’architecture contemporaine se


saisit encore aujourd’hui des toitures pour y aménager de nouvelles formes d’occupation. Bien que ces dernières se démocratisent de plus en plus110, et de ce fait perdent peut-être leur statut marginal, il est vrai que l’occupation des toits permet souvent aux architectes et habitants de l’immeuble de se saisir d’enjeux contemporains comme l’écologie ou l’autosuffisance alimentaire.

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Le Vide La figure du vide se définit comme un espace assez large, souvent en retrait et majoritairement vide. Et ses simples caractéristiques permettent aux occupants du vide de dépasser le cap de la revendication et de se projeter déjà dans des tentatives de micro-société. Dans le vide apparaissent des formes de sédentarisation. Les lieux du vide peuvent être des espaces comme les places publiques et les zones en friche. Généralement, ces zones délaissées parcequ’inadaptables ou dangereuses seront récupérées par des marginaux ou quelquefois des citoyens qui tentent quelque-chose. Personne n’est propriétaire ou même locataire de ces espaces qui tombent dans l’oubli du droit, devenant hors de contrôle. « [...] Avec mes trois camarades (maths, santé et médias) nous avons découpé la place comme une tarte, en quatre parts. Au printemps, le public tourne d’heure en heure et suit au fil de la matinée les quatre cours. [...] 111 »

Dans Les Furtifs, on découvre Sahar, une proferrante, professeur qui erre de place en place parcequ’elle veut délivrer un savoir à des catégories sociales qui n’ont pas accès aux savoirs universitaires. Ici, la place est un espace ouvert contrairement à un amphithéâtre ou une salle de classe d’où le cours peut être adressé à un plus grand nombre. Cette pratique rappelle le mouvement de Nuit Debout112 qui occupait la place de la République en la partitionnant en plusieurs secteurs thématique. On

En 2018 parait Habiter les toits de Olivier Darmon aux éditions Alternatives. Ce livre expose la diversités des projets contemporains investissant les toitures. Il présente alors les toits comme de formidable support pour accueillir les plantations de l’agriculture urbaine, mais aussi des logements individuels ou collectifs, des places publiques et des équipements variés (aire de jeux, piste de ski, terrain de sport, installations artistiques, etc.). 110

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 38. 111

Nuit debout est un mouvement populaire initié lors des manifestations contre la loi El Khomri. Son incarnation originelle et la plus symbolique est certainement celle de la Place de la République, à Paris. Dans ce contexte l'auteur semble faire clairement référence à ce mouvement, et à l'occupation qui a été faite de la place. 112

Illustration de l’occupation de la place par la proferrante, Sahar.


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y retrouvait également diverses professions comme des avocats par exemple qui mettaient gratuitement leur compétence au service d’un public.

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Une autre incarnation du vide se trouve dans La Zone du Dehors et est appellée Radzone. En fait, la radzone apparait comme la décheterie de Cerclon puisqu’on y dépose ce qu’on ne peut mettre dans le Cube où l’on jette des déchets radioactifs. La Radzone est proche du Cube, ce qui la rend radioactive et difficilement habitable. On pourrait croire que personne n’y vit or si on regarde avec attention on observe non pas de la végétation mais plutôt tout un tas d’habitats vernaculaires fait de bric et de broc, de tôle, de cuves... un peu comme on les voit photographiés dans le livre de Christophe Laurens, Notre-Dame des Landes, ou le métier de vivre 113. On peut se permettre alors de comparer les habitants de la radzone au zadistes, lesquels de part leur invisibilité et leur capacité à construire répondent aussi au critère de furtivité. Damasio qui s’est rendu sur la ZAD s’est certainement inspiré de ces habitats zadistes et en retour les a lui même inspiré. « [...] je n’eus bientôt à ma gauche que [...] la vaste étendue anarchique de la radzone. [...] il n’y avait rien qui pût suggérer la possibilité d’une vie organique. Pourtant ! La radzone, zone quoique radioactive et que rien ne protégeait du Cube, vivait. C’était même l’un des rares lieux de cette ville où l’on éprouvait encore ce que vivre signifiait. La première fois bien sûr, on n’y voyait qu’une étendue désolée d’où n’émergeaient ni arbres ni constructions, hormis quelques cabanes de tôle, çà et là, surmontées de girouettes et d’étendards bariolés [...] On se refusait à admettre les détritus. On les voyait pourtant, on ne voyait même que cela : des déchets métalliques partout, épars, qui poussaient à même le sable, par touffes de tôles. [...] la zone paraissait propice à une prolifération industrielle jusqu’ici inconnue. Par mesure de prudence, les substances explosives ou toxiques, ainsi que les vaisseaux de trop grande taille, n’étaient pas déversées dans le Cube. Alors ils échouaient ici, dans la radzone...[...] 114 »

Le livre porte un regard sur la ZAD Notre Dame des Landes et propose à travers des dessins d'étudiants en architecture, et des photographies, d'immortaliser les constructions qu'on y trouve. Le livre s'intéresse aux alternatives et aux expériences de vie collective que la ZAD a su depuis sa naissance développer. 113

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 116, 117, 118. 114


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En observant le parallèle qu’on fait entre les personnages damasiens et les zadistes ou partisans de Nuit Debout, on remarque que la figure du vide, au delà de présenter une forme de revendication, permet des premières formes d’expérimentation, de construction et d’organisation : tenter une autre société.

L’Île Dans l’ensemble de l’oeuvre, il existe trois façons d’aborder la figure de l’Île. « [...] ces camarades de vagues, ma seule île, épousant l’eau de gré, souvent de force, la bouche salée et le nez bouché, ma seule île mobile, ces vingtdeux corps en mouvement, la Horde, nous. [...] 115 »

Dans La Horde du Contrevent, l’île est incarnée par la cohésion du groupe. Une cohésion indéfectible, qui s’illustre par une nécéssité de rester groupé face au vent. Les Hordiers sont aussi des campeurs, ils habitent le monde en le parcourant. D’ailleurs les groupes nomades qui existent réellement ne sont-ils pas à considérer comme des îlots en mouvement ? D’autre part la structure narrative du livre prend une forme polyphonique. Pour l’auteur, la réalité c’est quelque chose de pluriel, pour la définir ou tendre vers sa définition, il nous faut croiser les points de vues. Ce huit-clos narratif, renforce d’autant plus l’adhésion des personnages, et du lecteur, à un même groupe. Ensemble, personnages et lecteur vivent sur une même île.

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 412. 115

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 672. 116

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Les calligrames dessinés tout au long du livre sont composés des symboles attribués à chacun des membres de la Horde. Ils prennent sur la page la forme d’une île, un élément flottant, en marge des bloc de textes...

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Dans le chapitre du Siphon les Hordiers doivent affronter l’épreuve d’une immense flaque d’eau. Pour la traverser leur cohésion est indispensable. « [...] On va essayer de planter la plate-forme et de la couler dans le fond ! Deux personnes par poteau ! Arval tu creuses à la base des poteaux pour qu’ils ripent pas Erg va fixer les poutres transversales ! Les autres vous lui passez les poutres, vous tenez les poteaux droits et vous contrez la dérive ! [...] 117 » « [...] Cette idée de plateforme [...] nous sauva de l’épuisement en zone centrale. Elle fut notre havre de repos chaque soir. Notre île démontable et nomade [...] 118 »

Comme un chantier en mouvement, les Hordiers deviennent pourtres, poteaux, fondations. La plateforme qu’ils construisent et qui bouge est une île démontable et nomade. À l’image de ce chapitre, la Horde répond à la figure de l’île, une figure autonome, soudée et délimitée par les personnages ; mais aussi une figure en marge, à contre-courant, contre-vent, qui affronte le monde tel qu’il est. Ce rapprochement entre les notions de groupe et d’île est présent dans l’ensemble de l’œuvre. Déjà dans La Zone du Dehors, on lisait l’importance donné au groupe. « [...] Un tel groupe, lié comme nous l’avions été, pire que lié : compact [...] 119 » « [...] Imaginez, Président, une horde de voltés avec des étendards campés au milieu du fleuve... Le courant les frappe de plein fouet. Ils ne bronchent pas : ils résistent. Alors c’est l’eau qui s’érode, qui commence à s’égratiner [...]120 »

Ces résistans apparaissent ici aussi comme des îles qui résistent au courant, au vent, en fait à la société. Une île est donc un espace qui résiste.

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 411. 117

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 388. 118

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 62. 119

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 383. 120


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Dans Les Furtifs il y a l’apparition de sociétés alternatives. D’abord investies par la Meute, ces sociétés prennent forme sur des îles. Lors de leur quête les héros sont amenés à se rendre sur le Javeau-Doux, une île de sable et limon terraformée par la mouvance de l’Inter qui en a doublé la surface. L’île s’est formée grâce au faufilement de la mouvance dans un « no man’s land juridique » sur le droit des propriétés pour créer un delta du fleuve. On apprend d’ailleurs au cours du livre que cette initiative prend dans plusieurs autres fleuves de France et d’Europe et que ces îles ont pour objectif de recueillir les sans bagues, les sans-toits ou les migrants. « [...] Très vite, l’idée, plutôt géniale, avait été reprise et multipliée sur tous les fleuves de France et elle essaimait maintenant en Europe. Entre Arles et Port-Saint-Louis, on comptait désormais une dizaine d’îles qui constituaient l’archipel des Javeaux. [...]121 »

Au cours de leur mission, l’île du Javeaux-Doux apparait comme un havre de paix, composés d’environ 200 habitants, elle est reconnue pour sa production ingénieuse de riz, sa spiritualité intacte. On lit aussi qu’une véritable microsociété y prend place, favorisant l’interdépendance des tâches, la réciprocité, l’entraide, avec des amendes dosées, le principe de corvée communes pour l’irrigation, ou pour la reconstruction sempiternelle des digues que le fleuve arase. Pour les personnages de la Meute, c’est une extraordinaire expérience et cela leur fait retrouver un rapport au Dehors qu’ils avaient perdu. On peut aussi lire que la réputation que s’est faite l’île a poussé des populations « plus ouvertes, plus tactiles » à venir y vivre. Lorca exprimera d’ailleurs sa conviction qu’un territoire choisit ses habitants, filtre ceux qui s’y trouvent et qui savent s’y épanouir. « [...] Un mix de cabanes bois/roseau, de baraques en argile et de pavillons « à la balinaise » éparpillés dans les creux et les bosses de l’île. Plus un hameau collectif, positionné façon soleil au centre du Javeau, [...] Depuis deux ans, ils tournent en autonomie Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 38. 121

alimentaire. Ils « exportent » même vers la ville. Ça marche tellement bien que ça attire plein de


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gringos qui te flairent le paradis à portée de pagaie. Ils y viennent squatter le fleuve tout près. Ou ils se greffent carrément sur l’île avec leurs péniches. On les accepte. A condition qu’ils sniffent les règles. Les Balinais acceptent de tout ici, c’est pas des vénèrs! [...] 122 »

Très nettement, l’île offre une possibilité d’expérimenter de nouvelles façons de faire société : permaculture, construction vernaculaire, lois insulaires... L’île est un lieu capable de soutenir une certaine forme d’autonomie. Grâce à cela, elle est dans les mots de l’auteur un lieu propice à l’innovation, dégagé de tout carcant officiel. D’ailleurs cela s’exprime par le fait de s’installer dans un « no man’s land juridique » : le fleuve. Un Dehors, sauvage, en mouvement, qui est difficile à habiter. La mouvance de l’Inter doit d’ailleurs créer sa propre île pour d’installer. « [...] leur passion pour les îles et le moindre caillou émergé, les villages flottants en pleine mer, les cargos pirates et les cités-ferries, qu’ils rêvent commes des immeubles vagabonds, indépendants de tout territoires puisque la mer sera leur terre [...]123 »

Ainsi, et comme l’expose cet extrait, des corsaires apparaissent dans le livre et rêvent d’habitats flottants et d’îles. On sent bien alors que le caractère indépendant est primordial dans leur choix et qu’ici la figure de l’île semble d’abord se définir par son autonomie.

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 180. 122

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 180. 123

Lost est une série télévisée américaine diffusé à partir de 2004 et mettant en scène les survivants d'un crash d'avion sur une île de l'océan pacifique. Au cours de leurs histoires, les personnages vont découvrir que l'île est le théâtre de phénomènes paranormaux. 124

Illustation du mode opératoire du mouvement de l’Inter à travers l’île du Javeau-Doux, à Port Saint-Louis du Rhone en France.

Vous l’aurez compris, la figure de l’île apparait comme un espace en marge. Cette mise à l’écart du monde va de paire avec l’idée même qu’on se fait de l’île : lorsqu’on parle d’île on imagine alors un morceau de terre, entouré d’eau et coupé de monde. Se définissant comme un espace à l’écart, il est plus facile d’y imaginer une occupation marginale. Et bon nombre d’auteurs semblent être conscient de cela. Dans la série télévisée Lost 124 par exemple, on observe un île sur laquelle les règles physiques ne sont pas les même que partout ailleurs. Mais l’île est aussi dans le monde réel un endroit dans lequel il est facile de projetter une marginalité. En France par exemple, une partie des corses ont longtemps, et


encore aujourd’hui, revendiqué une indépendance pour leur île, certains affirmant même qu’une autonomie était possible.

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L’île est donc sujet à fantasme. Elle est dans les mots de l’auteur un lieu où l’expérimentation et l’autonomie sont possible, une forme d’hétérotopie 125.

Le Dehors La notion de Dehors est primordiale chez Damasio. Elle est d’ailleurs assez explicite dans son premier livre puisqu’elle prend une véritable incarnation et apparait même dans le titre. Dans les deux autres livres cette incarnation est moins assumée mais tout de même présente. Rêvé comme un espace mental ou physique, le Dehors incarne chez Damasio l’archétype d’un espace en marge. Dans La Zone du Dehors, le rapport avec cet espace est défini dès le premier chapitre par le personnage de Captp. « [...] avec son fouillis de cratères, sa terre rouge et ses rochers rares, je ne connaissais aucun paysage, même en crevassant ma mémoire, traquant ceux que de mon adolescence sur Terre aurait pu graver, qui en égalait l’éclat brut et rugueux [...] 126 »

Lorsque Captp invite Boule à passer la ligne du Dehors et sortir de Cerclon, c’est qu’il souhaite lui montrer ce à quoi ressemble ce lieu. Les descriptions qu’en fait l’auteur nous font entrevoir un espace dangereux, rugueux soumis à un chaos que Cerclon - le Dedans - a réussi à annuler. « [...] le Dehors était simplement la vérité de cet astéroïde : 99% de sa surface. Le monde tel qu’il avait été, incohérent, âpre et vital, un sol à ridiculiser un siècle de topologie, une couleur de sang vieux, troublée de brume, de lèvre sombre, de vin lourd, avec cette mobilité du vent dans la poussière et cette apesanteur anarchique, qui vous montait parfois l’estomac à la gorge et qui vous faisait le pas leste.

L’hétérotopie est un concept créé par Michel Foucault, philosophe français du XXème siècle. Elle représente des utopies qui ont un lieu précis et réel avec un temps déterminé que l’on peut fixer selon le calendrier. Ce sont en général des lieux délimités clairement, dans lesquels une société se forme et répond à des règles qui lui sont propres. 125

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 15. 126


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Regarder le Dehors, rien de plus reposant, de plus éloigné de la contemplation tant l’atmosphère y était instable, le sol agité, les pierres en mouvement, la couleur incertaine. Pourtant j’y puisait à chaque fois une sorte de paix, de joie active qui me poussait à y aller, quel que fût le danger, à y revenir et à y emmener ceux que j’aimais [...] 127 »

Le Dehors est présenté comme la « vérité de cette astéroïde ». Vérité car c’est la seule partie de l’astéroïde qui n’a pas était aménagée, planifiée par l’homme. Dès lors le Dehors doit être perçu comme un territoire qui résiste à la planification, aux architectes et aux urbanistes. C’est « le monde tel qu’il avait été », on sent dans les mots de l’auteur un réel désir pour cette univers « incohérent » mais pour le moins « vital ». Car c’est justement cette vitalité, que Cerclon a perdu par son contrôle jusqu’au climat à l’intérieur de son enceinte, que le personnage de Captp vient chercher. Le Dehors est donc présenté comme un espace en marge de Cerclon. « [...] le Dehors juridiquement n’existe pas [...]128 »

L’absence de juridiction autour du Dehors renforce son caractère de résistance. Les pouvoirs n’arrivent pas à réguler cet espace, et son appellation le résume. En qualifiant cet espace de « Zone » les pouvoirs témoignent encore de leur incapacité à définir ce territoire. La difficulté qu’ont les pouvoirs à le nommer contraste avec la nomenclature de la ville, « Cerclon », de ses éléments urbains comme le « Cube gouvernemental » et même le nom des citoyens.129 « [...] La définition la plus claire que les pouvoirs avaient finalement donné au Dehors tenait en un mot : Ibid.

127

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 24. 128

Dans Cerclon, les citoyens ont un nom qui définit leur classement dans l’ordre social avec comme premier citoyen le Président A, les ministres C, P, Q, etc. Ainsi plus le nom est composé de lettre et plus le rang est bas. 129

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 33. 130

Zone. Et ce mot était le grand sac qui enveloppait tout, qui ne cherchait surtout pas à décomposer cette complexité mouvante de formes et de forces qui, au reste, faisait peur. La zone du Dehors, c’était simplement ce qui n’était pas Cerclon : un nonCerclon si l’on voulait. Un non-lieu... Un non-lieu pour tous les délinquants, les tueurs, et les fous furieux. [...] 130 »


Dans ce contexte, le personnage de Captp n’apparait pas d’abord comme un marginal mais plutôt comme un citoyen de Cerclon qui rejette de plus en plus son modèle. On apprendra par la suite qu’il appartient au groupe des Voltés, des individus cherchant à éveiller les consciences des citoyens.

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Le Dehors est un espace habité par des hors-normes et quelques révolutionnaires tel que Captp, avant d’apparaitre comme un espace qui échappe au pouvoir et à la notion de propriété. « [...] le Dehors c’était chez moi… (Non ! Pas « Mon jardin » ! Le jardin, ce carré nostalgique, gazonné à la terrienne, pour bourges du secteur 2, avec ses martiens télétondeurs, c’était précisement la conception de l’Espace que je haïssais par-dessus tout : espace à soi acheté volé, qui mimait la liberté sur dix mètres par dix en la tuant.) La noblesse du Dehors venait de sa démesure même. Qui pouvait dire « Mon Dehors » ? Le dehors ne pouvait appartenir à quiconque, et le gouvernemnt lui-même n’avait jamais songé à se l’approprier. [...] 131 »

De par son caractère mouvant et infini, il est difficile à saisir. Au cours de sa balade dans le Dehors Captp reste émerveillé devant la nature du lieu. C’est un espace inspirant, un endroit qui a du sens pour Captp et qui est peut-être à l’origine de son envie de révolte. La possibilité d’un envers de son monde - Cerclon - anime en lui une force d’abord intérieure. « [...] > Boule s’arrêta un instant. Puis je la vis valser salement, en longs pas chassés, et se mettre à courir jusqu’à une dune de sable qui se décalait, [...] Je me précipitaits et j’allais bientôt la rejoindre lorsque je fus stoppé net par une vision fulgurante : elle était nue ! Intégralement. [...] 132 »

Boule, quand-à-elle, découvre le Dehors pour la première fois et en profite pour se déshabiller. En un sens, son acte témoigne d’une liberté de transgression que rend possible le Dehors. Cet espace non saisissable, loin de Cerclons, loin des regards, théâtre d’une ambiance instable, semble être l’endroit propice pour faire ce qu’on ne pourrait en société.

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 33. 131

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 29. 132


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Chez Les Furtifs, la question du Dehors est moins présente mais trouve quand même un sens. Elle serait en effet associée au monde dans lequel vivent les Furtifs. Un monde loin des regards complètement à l’opposé de la figure de la ville. « [...] Je comprends que ce monde rêve d’un envers ! De quelque chose qui lui échaperait enfin, irrémédiablement, qui serait comme son antimatière [...] 133 »

Quand les héros du livre sont enfermés dans un monde où chacun est suivi à la trace, la recherche d’un envers parait nécessaire. Cet envers du monde est pour les personnages difficile d’accès. Seul certains êtres comme, les furtifs et les enfants, à l’image de Tishka ont accès à ce Dehors. Les héros du livre vont, au fur et à mesure de l’histoire, apprendre que cet envers, caché dans « les angles morts de la vision », existe bel et bien. « [...] En franchissant le seuil de la forêt, vous le devinez, on perd sa société mais on s’ouvre un dehors [...] 133 »

Dans les derniers chapitres, cet envers s’incarne par une forêt dans laquelle furtifs et marginaux vivent. « [...] la forêt n’est pas simplement un refuge, une cachette pratique pour les sans-bagues et les fliqués. C’est un monde d’intensité. Extrêmement tissé et prenant. [...] 135 »

Comme l’exprime l’auteur, la forêt ne doit pas être simplement comprise comme un moyen de se cacher. Elle est le théâtre d’un « monde d’intensité » où les êtres les plus vivants selon l’auteur se retrouvent. « [...] Les premières semaines, tu ressens une solitude assez écrasante, tu souffres du manque de soleil puis ça devient vite l’inverse : trop plein de Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 236. 133

Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 506.

signes, de traces de présences, de relations avec la lumière, l’humus, les plantes, la pluie... [...] 136 »

134

Ibid.

135

Ibid.

136

Dans La Horde du Contrevent, la question du Dehors est moins une fin en soi puisque d’une certaine manière les héros sont déjà dans une forme du Dehors. Ils évoluent


en effet dans un espace changeant, où il est difficile de rester car trop dangereux. Seul certains villages et villes existent et comme nous l’avons déjà vu correspondent à une forme de Dedans.

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« [...] Le désert les gars ! Et certainement aucun village [...] 137 »

Non, les Hordiers semblent eux évoluer déjà dans une forme de Dehors. Leur appartenance à cette figure est à percevoir sous deux plans. Le premier est d’ordre physique puisqu’ils évoluent dans un univers changeant proche de celui que l’on retrouve dans La Zone du Dehors. Le deuxième s’apparente plutôt à leur façon d’aborder ce monde. « [...] Le cosmos est mon campement. [...] 138 »

Les Hordiers sont des nomades. Ils campent un monde dangereux, sculpté par le vent et, en cela, ils évoluent déjà dans une forme de marginalité. Cette façon d’habiter leur est propre (personne d’autre dans le monde ne semble prendre les risques qu’ils prennent) et n’impacte que très peu l’environnement. Tous comme les héros des deux autres livres, ils décident d’accepter la nature du Dehors, sa violence, son instabilité et de ce fait s’inscrivent dans la même démarche du héros damasien : réussir à habiter le Dehors. « [...] Nomades tels que nous l’étions, dans chaque cité ou hameau, dans une grotte sèche aussi bien qu’une doline, sous abri ou à la belle, nous nous sentions partout chez nous et partout étrangers, n’ayant eu de la notion de foyer, depuis l’enfance, qu’une conception abstraite et distanciée [...] 139 »

Ainsi, le défi du personnage damasien réside-t-il dans sa réussite à atteindre et habiter un Dehors fantasmé. C’est d’ailleurs pour ces raisons que les furtifs sont présentés comme des êtres à imiter, eux qui évoluent dans les « angles morts de la vision », et y habitent comme le souhaiterait chacun des héros. « [...] — et c’est là toute leur puissance : aimer se cacher, se nicher, faire terrier, aménager loin des

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 696. 137

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 653 138

Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, p. 211 139


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prédateurs et près des ressources, retrouver une liberté dont la structure même de la ville a fait son lit et son tombeau. Se rappeler qu’habiter est la première capacité des vivants. [...] 140 »

Si les héros damasiens sont pris dans un mouvement de fuite allant d’un Dedans vers un Dehors, leur manière d’habiter ce dernier prend différentes formes. Ainsi le Dehors, espace en marge par excellence, se voit démultiplié comme en témoigne la fin du premier livre de l’auteur. « [...] — Je vous propose que tous ensemble, nous construisions une nouvelle cité qui ne doive plus rien à Cerclon, une cité qui poussera dans le Dehors vierge! — Et plus qu’une cité, des villages ! — Et plus qu’une société, des communautés libres, unies, entre elles, avec leur propre économie, leurs propres lois, leurs propres écoles ! — JE VOUS PROPOSE DE PARTICIPER À LA FONDATION D’ANARKHIA I, PREMIÈRE POLYCITÉ VOLUTIONNAIRE DU COSMOS HABITÉ ! [...] 141 »

Dans les dernières pages de La Zone du Dehors, le personnage de Captp a achevé son évolution et il propose à toutes celles et ceux qui se sentent en marge, de créer dans la zone du Dehors, une nouvelle cité, Anarkhia, qui sera composés de plusieurs villages : Magnitogorsk, Gomorrhe, Horville et Virevolte. L’auteur décrit à travers ces villages une manière d’habiter le Dehors qui donne une liberté totale aux habitants. Les gens choisissent eux-mêmes leur lieu d’implantation dans une sorte de chaos sauvage, bien sur non parcellaire. Les matériaux utilisés sont vernaculaires ou de récupération. Et à Gomorrhe la libération sexuelle est permise. Le Dehors est habité de manière très décomplexé, il est la forme la plus achevée et idéalisée de ce qu’habiter signifie pour Damasio. « [...] Putain, on avait réussi à construire en trois mois plus de soixante mille maisons ! À inventer de toutes Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 384. 140

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 585.

pièves des modèles de société dont personne avant nous n’aurait même imaginé la grandeur ! [...] 142 »

141

Damasio A., La Zone du Dehors, Gallimard, Folio SF, 2009, p. 596. 142

La figure du Dehors et ce qu’y projette Damasio, nous renvoie aux récentes réflexions du philosophe Baptiste


Morizot. Dans son livre Raviver les braises du vivant, Un front commun 143, l’auteur nous invite à « sortir du labyrinthe des dualismes entre nature et humains, exploiter et sanctuariser, sauvage et domestique, qui créent des conflits inutiles et nous éloigne des vrais fronts du combat.144 » Il pose son regard sur des associations, qui par le biais de la loi acquièrent des forêts pour les laisser tranquilles, les restituer à leur faune et leur flore, les laisser en libre évolution : « c’està-dire laisser le milieu développer ses lois intimes, sans l’exploiter, l’aménager, ni le conduire.145 »

100

Cette pensée s’accorde avec ce que pronne Damasio, qui lui nous rappelle que nous faisons nous aussi partie du vivant. Et que de ce fait, ce n’est pas étonnant de voir les furtifs et ses héros se retrouver dans une forêt, un Dehors qu’il faut laisser en « libre évolution », qu’il faut s’interdire de planifier.

Morizot B, Raviver les braises du vivant, un front commun. Domaine du possible, Acte sud, 2020, 208 p. 143

Morizot B, Raviver les braises du vivant, un front commun. Domaine du possible, Acte sud, 2020, p. 11. 144

Morizot B, Raviver les braises du vivant, un front commun. Domaine du possible, Acte sud, 2020, p. 13. 145




III. Décrire un territoire de projet Dans l’objectif de démontrer l’intérêt qu’il y a à articuler l’Architecture et la Littérature, cette troisième partie propose une descritpion d’un territoire de projet, l’aire urbaine de Karlsruhe en Allemagne, par l’utilisation de la topologie. Ce territoire de projet, déterminé dans le cadre du Master 2 Evan à l’école de Clermont-Ferrand, a déjà fait l’objet d’une analyse exhaustive par les étudiants du master et mis sous la forme d’un Atlas. Ainsi, en réutilisant ce territoire d’étude l’objectif est de révéler dans l’espace des lieux, ou plutôt des façons de décrire des lieux. Cette description est, comme nous l’avons expliqué, issue d’un travail à la fois de lecture et d’écriture, et doit nous permettre de faire projet. Deux objectifs donc, réussir à lire un territoire tout en s’inscrivant dans une démarche d’écriture, en somme décrire pour se projeter. C’est donc dans une démarche expérimentale que cette dernière partie doit être prise en compte, puisqu’elle répond à la question : comment appliquer un nouvel outil de description ? Le territoire de projet : Karlsruhe Karlsruhe est une ville allemande. Elle est située dans le Sud-Ouest de la région du Bade-Wurtemberg, au Nord de Strasbourg et au Sud de Mannheim. La ville est batie en 1715 et s’articule autour d’un chateau central depuis lequel partent en « éventail » les tous premiers boulevards. Plus tard, et avec le développement des réseaux de transport, à la fois ferroviaire et autoroutier, habiter Karlsruhe ne signifie plus habiter dans Karlsruhe mais davantage habiter l’aire urbaine de Karlsruhe. La ville se situe en bordure du Rhin, avec lequel elle entretient un lien faible (seul le port établit un lien avec le coeur de la ville), et au Nord de la vaste entité paysagère qu’est la Forêt Noire. Mais Karlsruhe ne se définit pas que par sa position géographique. Ses industries par exemple et sa raffinerie pétrolière, la deuxième plus importante d’Allemagne, participent grandement à la puissance économique de la ville.


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Le Dedans

Karlsruhe

La ville

Photos satellites de la ville de Karsruhe © Google map


RÄUMLICHES LEITBILD KARLSRUHE

Summary

Stadt Karlsruhe Stadtplanungsamt

Planification

SPATIAL AGENDA KARLSRUHE

Ceinture

Densification

Planification / Plan d’urbanisme de la ville de Karlsruhe / Photo du plan voisin du Corbusier / Photo du port de Karlsruhe / Parc du Chateau de Karlsruhe / Image d’une caméra de vidéo surveillance à Karlsruhe / Plan de Karlsruhe en 1721 / Photo aérienne actuelle autour du chateau / Ceinture / Photo de la raffinerie de Karlsruhe / Densification / Une place à Karlsruhe / Photo du Chateau de Karlsruhe pris de face


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Le Dedans / Karlsruhe Les urbanistes de Karlsruhe ont récemment développé un plan d’urbanisme pour la ville146. Ce plan s’axe selon plusieurs thématiques et met surtout en évidence une volonté de la ville de réduire son étalement. SPATIAL AGENDA KARLSRUHE, City of Karlsruhe, Urban Planning Department, dirigé par le Prof. Dr.-Ing. Anke Karmann-Woessner, Novembre 2016, Pdf 146

Photos satelittes du site et image streetview © Googlemap Illustration mettant en le périmètre d’évolution de la ville mis en place par les urbanistes.

Une limite franche se dessine dans les plans du projet urbain, et reprend les ceintures déjà existantes et formées par des plaques industrielles ou des axes de circulation importants. Dès lors la représentation de cette limite et les intentions qui vont de paire, nous renvoit à un Dedans, une ville planifiée et dont l’enceinte est perceptible.


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La Fuite

Tram-train

Ouverture

Photos satellites de la voie de Tram-train s’enfonçant dans la vallée de Pfinz © Google map


Fuir le Dedans

Le voyage

Pour atteindre un Dehors

Fuir le Dedans / Photo d’un tram-train à Karlsruhe / Photomontage d'un départ en train / Photo montrant la cohabitation entre piéton et transport en commun à Karlsruhe / Photomontage du défilement du paysage / Image tirée du film Alice dans les villes / Photomontage du défilement du paysage / Image tirée du film Alice dans les villes / Le Voyage / Photo d’un tram-train à Karlsruhe / Photomontage du défilement du paysage / Une photo de la Forêt-Noire / Photomontage de l’arrivée en train / Image tiré du film Alice dans les villes / Pour atteindre une Dehors


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La Fuite / Le Tram-train Pour fuir ce Dedans, quoi de plus explicite que le Tramtrain de Karlruhe ? Cette infrastructure mise en place au début des années 90 fait modèle dans la région, et en Europe. Le tram-train est la combinaison de deux réseaux : celui du tramway et celui train. Cette combinaison fortuite offre aux habitants de la région la possibilité de traverser le territoire sur de grandes distances. Photos satelittes du site et image streetview © Googlemap Illustration mettant en évidence la voie de Tram-train s’enfonçant dans la vallée de Pfinz.

Fuir la ville pour se retrouver en pleine nature, au bord d’une rivière, d’une carrière, ou en pleine Forêt-Noire est rendu possible.


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Le Creux

Les Cuves

Désaffecté

Photos satellites Google map des cuves de la raffinerie de Karlsruhe © Google map


Se cacher

Hors-la-loi

Friches industrielles

Photo d’une cuve à Karlsruhe / Photo de la raffinerie de Karlsruhe la nuit / Photo de plusieurs cuves à Karlruhe / Photo de la raffinerie de Karlsruhe le jour / Se cacher / Photo de la structure d’une cuve / Photo de la raffinerie de Karlsruhe vue de haut / Hors-la-loi / Image du probable Bansky lors d’un reportage anglais / Photo de l’usine désaffectée Geo. W. Reed & Co en quatre image / Friches industrielles


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Le Creux / La cuve Deuxième raffinerie pétrolière d’Allemagne, la raffinerie de Karlsruhe concède une place importante dans le territoire de la ville. Située au Nord-Ouest et en bordure du Rhin, on y observe un foisonnement de cuves et d’installations industrielles.

Photos satelittes du site et image streetview © Googlemap Illustration représentant un plan et une coupe d’une cuve située dans la raffinerie de Karlsruhe.

Aujourd’hui, cette zone industrielle et les cuves qu’on y trouve, ont aux yeux des pouvoirs un intérêt économique. Or dans l’hypothèse d’une collapsologie ou d’une disparition progressive du pétrole, n’est-il pas dans notre devoir, à nous architectes, d’anticiper voir de requalifier ces lieux.


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Le Contour

Toit

Archipel aérien

Photos satellites de toitures à Karlsruhe. © Google map


Habiter le ciel

Echapper

Micro-société

Image issue du film Yamakasi / Image d’une référence utilisant le toit comme ressource énergétique / Image issue du film Yamakasi / Habiter le ciel / La Rucksack house de Stefan Eberstadt / Toit de la Belle de Mai à Marseille / Une Hutte urbaine en Grèce / Echapper / Image issue du film La Haine de Mathieu Kassovitz / Photo illustrant une agriculture urbaine à Paris / Photo illustant une agriculture urbaine à Paris / Image issue du livre Habiter les toits / Image issue du film La Haine de Mathieu Kassovitz / Micro-société / Photo qui illustre « l’art du mouvement »


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Le Contour / La tour La ville de Karlsruhe s’est construite à partir de 1715. Il s’agit d’une ville nouvelle construite ex nihilo selon les styles baroque et néoclassique. Une première partie de la ville se déploie depuis le chateau jusqu’à une première ceinture. Au delà de cette ceinture, on distingue différentes formations d’îlots dont un ne présentant essentiellement que des tours et des barres d’immeuble aux façades et aux toitures modernes. De plus, la ville s’est récemment donnée pour objectif de limiter son étalement à une deuxième ceinture plus épaisse. C’est pourquoi, et en considérant la ville comme un palimpseste, la question du contour peut être pertinente. Car en s’y intéressant, on s’interesse à comment construire par dessus ou à coté. En somme, comment se densifier. Photos satelittes du site et image streetview © Googlemap Illustration représentant un plan et une coupe d’une tour immeuble à Karlsruhe.

Ainsi, et à l’image des mouvance comme la Celeste et l’Inter que l’on trouve dans les Furtifs, c’est le contour de ces batiments qu’il nous faudra à terme repenser.


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Le Vide

Jardins

Résidus

Photos satellites des vides et kleingarten autour de Karlsruhe. © Google map


Action politique

Visible et invisible

Resister

Photo de l’intérieur d’un Kleingarten / Photo d’un rassemblement des Gilets-Jaunes / Photo de l'intérieur d'un Kleingarten / Photo de Hannah Arendt / Action politique / Photo d’un rassemblement des Gilets-Jaunes / Photo de l'intérieur d'un Kleingarten / Image issue du film Sans toit, ni loi de Agnès Varda / Image issue du film Alice dans les villes de Wim Wenders / Visibles et invisibles / Photo d’un rond-point en France / Photo d’un rassemblement des Gilets-Jaunes / Photo d’un rond-point en France / Résister / Photo de l'intérieur d'un Kleingarten


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Le Vide / Les Kleingarten Il existe dans l’aire de Karlsruhe, et plus largement en Allemagne, une particularité sociale et spatiale : les Kleingarten. Si les réseaux de transports sont très bien développés à Karlsruhe, ils génèrent aussi de nombreux espaces en marge des voies de circulation, tout autour de la ville, et surtout le long des voies ferroviaires. Ces espaces, résidus des voies de circulation, sont généralement vides et difficile à habiter. D’ailleurs on peut en observer au nivaux des ronds-points, et des échangeurs tout autour de la ville. Mais dans de nombreux cas, là où en France on observe généralement des espaces délabrés, ici à Karlsruhe on voit une occupation de la part des habitants. Les vides sont occupés. Il faut savoir que cette occupation des vides est aujourd’hui gérée par la ville. Aussi, ces kleingarten sont de plus en plus demandés par les habitants de Karlsruhe puisqu’ils leur permettent le temps d’un week-end de se retrouver en famille en plein air. Photo satelitte du site et image streetview © Googlemap Illustration représentant un plan et une coupe d’un Kleingarten de Karlsruhe.

Si en Allemagne on observe une occupation officialisée des vides, on a aussi observer en France avec les giletsjaunes, que ces vides ne sont pas associés aux loisirs mais à l’action politique.


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Clairières

L’île

Archipel

Photos satellites des Clairières dans la région de Karlsruhe. © Google map


Vernaculaire

Autonomie

Sociétés alternatives

Vernaculaire / Photo d’une construction de la ZAD Notre-Dame des Landes / Photo d’un village en Livradois-Forez / Dessin issu du livre Notre-Dame des Landes ou le métier de vivre / Image issue du film Oncle Yanco de Agnès Varda / Photo d’une construction de la ZAD Notre-Dame des Landes / Photo d'une construction de la ZAD NotreDame des Landes / Photo de Pierre Rabhi au milieu de jardins en permaculture / Autonomie / Un rassemblement à Notre-Dame des Landes / Photo d’une forêt en Livradois-Forez / Photo d’une construction de la ZAD Notre-Dame des Landes / Un zadiste en train de cultiver / Un jardin collectif / Sociétés alternatives


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L’île / La clairière Plus loin dans les terres, et parfois même au coeur de la Forêt-Noire se trouvent les clairières. Une fois extrait de leur contexte, ces motifs récurrents dans le territoire de Karlsuhe, apparaissent comme des îles entourées d’une mer verte. Dès lors on peut très bien imaginer la clairière comme une forme d’entité autonome mais néanmoins reliée à d’autres clairières.

Photo satelitte du site et image streetview © Googlemap Illustration représentant un plan et une coupe d’une clairière dans la régions de Karlsruhe.

Tel un archipel, les clairières sont des entités où l’expérimentation peut être faite. À l’image des Zones Auto-Gouvernées dans Les Furtifs et des Zones à Défendre à Notre-Dame des Landes, le recul et la furtivité des clairières dans le territoire confèrent à ses dernières la possibilité de faire « autre chose »


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Le Dehors

La Forêt-Noire

Le vivant

Photos satellites de la Forêt-Noire au Sud de Karlsruhe. © Google map


Habiter le Dehors

Ravivez les braises du vivant

Furtivité

Photo d’un cours d'eau en Forêt-Noire / Photo d’une forêt de l’association Forêts Sauvages en quatre images / Habiter le Dehors / Photo d’une forêt de l’association Forêt Sauvage en deux images / Ravivez les braises du Vivant / Photo d’une forêt de l’association Forêt Sauvage / Photo à l’intérieur de la Forêt-Noire / Furtivité / Photo de Baptiste Morizot en pleine nature


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Le Dehors / La Forêt-Noire Quoi de plus vivant, de plus complexe, de plus « intense » pour reprendre les mots de Damasio, qu’une forêt147. La Forêt-Noire située au Sud de Karlsruhe est un Dehors potentiel. Un lieu sauvage, fantasmé, qui renferme une vie qui peut se passer de nous. Un monde en mouvement, dangereux par moment, et qui comme l’exprime Baptiste Morizot « travaille » et peut se passer de nous. Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, p. 506. 147

Photo satelitte du site et image streetview © Googlemap Illustration représentant un plan et une coupe d’une portion de la ForêtNoire aux alentour de Karlsruhe.

La Forêt-Noire, c’est ce qui dans le territoire de projet se passe de notre édification, de notre volonté de planifier. S’y promener c’est déjà y entretenir une relation suffisante. S’y promener c’est disparaitre, comme un furtif.



Conclusion Le domaine de recherche de l’Ensacf En articulant Architecture et Littérature, ce mémoire s’inscrit dans le domaine de recherche de l’Ensacf : les marges. Comme le décrit la plaquette de présentation du laboratoire de recherche de l’école148, les marges peuvent être abordées de deux manières. Par exemple, en s’intéressant à la Littérature, on dirige notre pensée au-delà du domaine architectural et de ce fait on en réinterroge ses marges. L’architecture doit-elle se contenter de ses propres limites, ou au contraire n’estce-pas à nous acteurs à dépasser ses limites ? Et comme le dit Corboz, « nos curiosités s’entraident ». Il ne faut pas se restreindre à un seul domaine, mais favoriser le croisement avec d’autres disciplines qui vont s’alimenter les unes les autres. Dans un second temps, l’évolution du mémoire a fait que nous nous sommes intéressés aux marges dans l’architecture : les lieux de la marge, « des milieux habités et des territoires situés en marge de la métropolisation dominante ». Cet intérêt nous conduit dans la deuxième façon d’aborder les marges pour le laboratoire de l’école. Nous ne sommes plus dans les marges de la discipline, nous sommes dans les marges de l’architecture. Enfin, par la création d’une topologie, ce travail s’est aussi accordé avec les ambitions du laboratoire de recherche puisqu’on touche là à une « transversalité des outils, méthodes et médiations ».

Parler du présent en parlant du futur La science-fiction est un genre littéraire qui permet de parler du présent tout en parlant du futur, et en ce sens, nous l’avons vu, Damasio parle de crises qui traversent la société. Pour lui la science-fiction est un moyen d’exagérer les traits de notre société tout en y présentant des problématiques et des solutions.

https://www.clermont-fd.archi.fr/ presentation/ 148

Dans ses livres on observe souvent des groupes d’individus en quête d’un envers du monde. Ces individus manquent d’espace d’expression et leur seule soupape de décompression apparait dans des lieux en marge. Dans ces lieux plusieurs formes d’occupation prennent


forme, de la simple cachette à l’établissement de sociétés alternatives

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La crise sanitaire que le monde globalisé traverse est peut-être le signe d’une société à bout de souffle qui cherche par tous les moyens à trouver un nouveau modèle. Il n’y a plus de solutions qui nous conviennent et on peut avoir l’impression d’arriver au bout d’un système. Précédemment, c’est face à une crise identitaire et de représentation que la France a dû faire face avec le mouvement des Gilets-Jaunes. Comme l’explique Christophe Guilluy dans No society - La fin de la classe moyenne occidentale 150, la fracture sociale qu’il y a entre des gagnants et des perdants de la mondialisation montre peutêtre que nous arrivons au bout là aussi de nos modèles politiques, économiques, énergétiques etc. Que ce soit dans les livres de Damasio ou dans la réalité on observe que les soupapes de décompression apparaissent dans les marges, ces endroits où l’on peut penser autrement. Les marges sont-elles une solution ? Pour l’auteur il semblerait que oui. Et si elles ne représentent aujourd’hui qu’un faible pourcentage, l’auteur souhaiterait que ces espaces forment des îles puis des archipels, et petit à petit nous verrions apparaitre un pays comme la Grèce.

La topologie, un outil de description Au cœur de ce mémoire il y a le développement d’une topologie. Elle est un outil de description qui permet à la fois de lire et d’écrire un territoire. Et comme nous l’avons expérimenté en partie III, elle peut être utile pour faire projet. Ainsi, le Dedans, la Fuite, le Dehors, le Creux, le Contour, le Vide et l’Îlot sont les figures spatiales que nous avons relevées dans l’ensemble de l’œuvre Damasienne. Elles nous permettent par exemple de qualifier un espace en marge et d’y projeter une occupation. Cette planification est pour nous architectes commune. Nous passons généralement par des scénarios, des plans, des coupes et des maquettes dans le but de prévoir ce que deviendra le lieu. Et dans ce sens la topologie peut être prise comme un outil de plus pour tendre vers une planification. Or, nous n’en avons pas parlé jusqu’ici, mais le mouvement des Gilets-jaunes peut en témoigner, prédire les marges est une chose difficile. Et on peut se demander si

Dans son livre No society - La fin de la classe moyenne occidentale, publié en 2018 aux éditions Flammarion, le géographe nous propose une lecture du monde occidental afin de comprendre les crises qui le traversent. Son livre soutient qu’il existe une fracture dans nos société entre des gagnants et des perdants d’une mondialisation, et déplore la perte du « bien commun ». 150


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en les décrivant, on ne court pas le risque de les annuler, et de leur enlever leur caractère subversif. Qui aurait imaginé avant leur occupation, que les ronds-points, lieux invisibles, puissent devenir les nouvelles places symboliques d’un mouvement. Toute officialisation d’un mouvement ne porte-t-elle pas en elle l’annonce de sa récupération ou de sa fin ? Par exemple, dans son évolution, le mouvement des Gilets-jaunes est passé d’une dynamique très spontanée, voire d’improvisation, à quelque chose de plus conventionnel avec l’aboutissement sur les derniers mois à une demande de RIC151 (Référendum d’Initiative Citoyenne). De la même façon nous pouvons nous demander si le collectif Encore Heureux en exposant ses lieux infinis à la biennale de Venise, ne leur a pas enlever tout caractère subversif. Si ces réflexions sont bonnes, elles requestionnent la position de l’architecte et de l’urbaniste. Car si ces espaces en marge sont nécessaires face aux crises contemporaines, comment nous étudiants et pratiquants, allons prévoir l’inattendu ?

L’art de l’improvisation Dans un texte intitulé L’art de L’improvisation dans Les mondes en mouvement 152, Luc Gwiazdzinski et Olivier Soubeyran remettent déjà en question cette « planification » propre à l’urbaniste. Tout comme nous, ils observent un monde en mouvement, un « monde liquide », marqué par des crises économiques, sociales, environnementales et dans lesquelles la planification semble être dépassée. Le Référendum d’Initiative Citoyenne est « un dispositif de démocratie directe qui permet à des citoyens réunissant un nombre de signatures fixé par la loi de saisir la population par référendum sans que soit nécessaire l’accord du Parlement ou du président de la République. » https://fr.wikipedia. org/wiki/R%C3%A9f%C3%A9rendum_d%27initiative_citoyenne 151

Luc Gwiazdzinski, Olivier Soubeyran. L’art de L’improvisation dans Les mondes en mouvement. Luc Gwiazdzinski; Guillaume Drevon; Olivier Klein. Chronotopies. Lecture et écriture des mondes en mouvement, Elya Editions, pp.175-181, 2017, 979-10-91336-109. ffhalshs01710516f 152

Comment y répondre alors ? Par « l’improvisation, cette figure désormais à la mode inspirée de la musique où elle est généralement définie comme ‘‘ le processus par lequel le musicien improvisateur crée ou produit une œuvre musicale spontanée, imaginaire ou ex nihilo, en se servant de sa créativité dans l’instant, de son savoir technique et théorique et parfois aussi du hasard ’’. ». N’est-ce pas là aussi ce que font les Voltés en décidant de s’installer dans le Dehors ? Les Hordiers en prenant le cosmos pour campement ? Ou la Meute en allant vivre sur des îles autonomes ? La planification a-t-elle atteint ses limites ?



Annexes Ce travail s’est appuyé sur un ensemble de documents que l’on peut classer selon trois séries. Architecture et Littérature La première série touche le thème dans lequel s’est effectuée cette recherche : l’articulation entre l’Architecture et la Littérature. Plusieurs travaux sont étudiés et mettent en exergue une multitude de façon d’aborder ce thème. Cette première série est apparue décisive car elle a donné à la fois le ton de la recherche et les pistes à suivre pour définir l’objet détude. Enfin elle a permis d’alimenter la méthode choisie et l’alimentation du mémoire tout au long de sa réalisation. Alain Damasio La deuxième série concerne toute la littérature de et sur Alain Damasio. Soit deux types de documents : ceux sur ses écrits (roman, essai, nouvelle) et ceux concenant les commentateurs de ses écrits (critique, interview). Cette série vaut donc pour l’objet d’étude : la littérature d’Alain Damasio. Elle a permis d’approfondir les questions architecturales et urbaines que soulève l’auteur et constitue encore aujourd’hui la principale source. Les marges Cette troisième série fait référence à la notion de « marge » en architecture et en urbanisme. Dans le cadre de la recherche elle constitue un appuie appréciable puisqu’elle permet de définir et d’enrichir la problématique de la recherche. La Topologie à l’état brut Enfin, en dernière partie de ce mémoire vous trouverez la restitution de la topologie à l’état brut. Vous y trouverez condensés, et classés, tous les extraits prélevés des trois romans de l’auteur.


Bibliographie Morizot B, Raviver les braises du vivant, un front commun. Domaine du possible, Acte sud, 2020, 208 p. Corboz A., Le Territoire comme palimpseste et autres essais, Les Editions de l’Imprimeur, 2001, p. 221. Le Corbusier,Vers une architecture, Les Editions G. Crès et Cie, 1923,230 p. Le Corbusier, Le Modulor : essai sur une mesure harmonique à l’échelle humaine, applicable universellement à l’architecture et à la mécanique, Architecture d’aujourd’hui, coll. « Ascoral », 1951 (1re éd. 1950), 240 p. Le Corbusier, Le Modulor II (La parole est aux usagers) : suite de « Le Modulor », Architecture d’aujourd’hui, coll. « Ascoral », 1955, 344 p. Damasio A., La Zone du Dehors, Éd. Cylibris, 1999, 656 p. Damasio A., La Horde du Contrevent, Gallimard, Folio SF, 2007, 704 p. Damasio A., Les Furtifs, La Volte, 2019, 704 p. Durand, M.-A. & Deramond S., « Les infrastructures dans la littérature française contemporaine. Vers une poétique / critique des marges », in LAMBERT-BRESSON Michèle et TÉRADE Annie, Paysages du mouvement - Architectures des villes et des territoires XVIIIe - XXIe siècles, Paris, Recherche / Ipraus, 2016. Fagnoni E., Olivier Milhaud et Magali Reghezza-Zitt, « Introduction : marges, marginalité, marginalisation », Bulletin de l’association de géographes français, 94-3 | 2017, 359-357 Guilluy C., No Society - La fin de la classe moyenne, Flammarion, 2018, 242 p. Luc G, Olivier S., L’art de L’improvisation dans Les mondes en mouvement, Luc Gwiazdzinski; Guillaume Drevon; Olivier Klein. Chronotopies. Lecture et écriture des mondes en mouvement, Elya Editions, pp.175-181, 2017, 979-10-91336-109. ffhalshs-01710516f Houellebecq M., La Carte et le Territoire, Flammarion, Paris, 2010, broché, 428 p. Laurens C., Notre-Dame des Landes, ou le métier de vivre, Loco Editions, 2018, 224 p. Leduc-Adine Jean-Pierre. Philippe Hamon, Expositions, littérature et architecture au XIXe siècle. In: Romantisme, 1990, n°67. Avatars de l’artiste. pp. 119-121. https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1990_ num_20_67_5657 Perec G., Espèces d’espaces, Galilée, 1974, 200 p. Perec G., La vie mode d’emploi, Hachette, 1978, 657 p. Proust M., À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 1999. Ricoeur P., Architecture et narrativité, Urbanisme, 1998, n°303, p. 44-51. Vasset P., Un livre blanc, Paris, Fayard, 2007, 135 p.

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Sitographie Carvalho de Oliveira E., Jorion T. 2020, « Exode Urbain », Demain on fait quoi ?, https://www.pavillon-arsenal.com/fr/et-demain-on-fait-quoi/11597exode-urbain.html Collectif Encore Heureux, « Lieux infinis » - http://encoreheureux.org/ projets/lieux-infinis/ Damasio A. 2019, « Alain Damasio: «Dans la situation actuelle, la furtivité devient un enjeu massif »», Entrevue menée avec Marie Astier, Reporterre, https://reporterre.net/Sans-renouement-avec-le-vivant-il-n-y-a-pas-de-sortie-du-technocapitalisme Damasio A. 2019, « Sans renouement avec le vivant, il n’y a pas de sortie du technocapitalisme », Entrevue menée avec Pauline Bock, Korii, https:// korii.slate.fr/et-caetera/alain-damasio-les-furtifs-interview Damasio A. 27 Avril 2020, « Coronavigation en air trouble (1/3) », Le blog d’Alain Damasio, Mediapart,   https://blogs.mediapart.fr/alain-damasio/ blog/270420/coronavigation-en-air-trouble-13 Damasio A. 29 Avril 2020, « Coronavigation en air trouble (2/3) : petite politique de la peur », Le blog d’Alain Damasio, Mediapart, https://blogs. mediapart.fr/alain-damasio/blog/290420/coronavigation-en-air-trouble-23petite-politique-de-la-peur Damasio A. 2 Mai 2020, « Coronavigation en air trouble (3/3) : pour des aujourd’huis qui bruissent », Le blog d’Alain Damasio, Mediapart, https:// blogs.mediapart.fr/alain-damasio/blog/020520/coronavigation-en-airtrouble-33-pour-des-aujourdhuis-qui-bruissent Damasio A. 2020, « Alain Damasio : « Pour le déconfinement, je rêve d’un carnaval des fous, qui renverse nos rois de pacotille », Entrevue menée avec Hervé Kempf, Reporterre, Avril.   https://reporterre.net/Alain-DamasioPour-le-deconfinement-je-reve-d-un-carnaval-des-fous-qui-renverse-nosrois-de-pacotille Damasio A. 2016, « Alain Damasio : « Le hacker est l’homme cultivé du présent et du futur »», Entrevue menée avec Anne De Malleray, Usbek & Rica, https://usbeketrica.com/article/alain-damasio-le-hacker-est-l-hommecultive-du-present-et-du-futur D’Ascia R., 2020, « Construire Moins, Penser Plus, vers une architecture de la post-croissance », Demain on fait quoi ?, https://www.pavillon-arsenal. com/fr/et-demain-on-fait-quoi/11612-construire-moins-penser-plus-versune-architecture-de-la-post-croissance.html « Demain on fait quoi », Pavillon de l’Arsenal - https://www.pavillon-arsenal.com/fr/et-demain-on-fait-quoi/ Hyppolite P. & Garrigou-Lagrange M., 2017,27 Novembre. Littérature et Architecture : des cathédrales de papier [Emission de radio]. France Culture. La compagnie des auteurs. Paris, France. Https://www.france-

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La Topologie à l’état brut

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Le Dedans Cerclon La Zone du Dehors, p. 15 ; 101 ; 102 ; 103 ; 123 ; 151 ; 180 ; 417 « [...] par comparaison, le dedans - Cerclon - cette coquette prison construite au compas, lisse et aplanie, notre bonne ville de Cerclon avec sa gravité constante, son oxygène homogénéiquement bleue qui suintait des turbines, des tours sans opacité, ses avenues sans ombres, blanche de la peur des angles morts, Cerclon, petite enclave sur astéroïde inhabitable, petit miracle technologique pour vie humaine possible [...] Du confinement urbain ? De l’incessante assignation à résidence de nos vies ? [...] ville bâtie de toutes pièces, ville de règles, de compas et de plans qui, à si bien se vouloir simple et pratique, en était devenue « ingénieuse », et non sans étrangeté. [...] Vu d’un astronef, Cerclon ressemblait, pour qui se voulait poète, à une fleur… celle aux six pétales de l’ingénieur [...] mais de la tourelle, ma vue s’attachait plutôt aux parcs qui poussaient dans les interstices des disques et aux deux grandes étendues à l’Est et à l’Ouest de la ville, où se pratiquait l’agriculture la plus intensive que le monde humain ait jamais connue. Les sept grands disques avaient été baptisés secteurs et numérotés en fonction de leur éloignement du Cube. C’est-à-dire en fonction du rayonnement radioactif qu’ils subissaient. Le Cube, les industries et l’astroport occupant au nord le secteur 6, on trouvait au nord-est le secteur 5 où j’habitais. Y vivaient une majorité d’employés, d’ouvrier mécanos, métallos et fondeurs, de fondus qui erraient dans la radzone à récupérer des bouts de tôle, de chômeurs, de voleus, d’exclus du Clastre et le peu d’employés agricoles qui permettaient à la ville de manger. Au nord-ouest, le secteur 4, collé de la même façon que le 5 à l’antirade [...] Plus au sud scintillaient les secteurs 2 et 3 dans lesquels je ne mettais jamais les pieds : la petite bourgeoise 4-lettrés y faisait ses petits. Enfin, plein sud et diamétralement opposés au Cube, se devinaient quelques palais du secteur 1, siège des riches, des retraités, des exploiteurs et des hôpitaux et quartier résidentiel, par excellence. Il bordait les deux plus beaux parcs de la ville : le Parc de la Santé et le Parc bleu, fierté touristique de Cerclon I [...] Le disque central de Cerclon avait échappé à la numérotation. Les pionniers du satellite l’appelaient cependant le 7. Les snobs le zéro. Plus souvent, les Cerclonniens disaient « le centre ». Kamio l’appelait le centre du pouvoir. Moi aussi. Parcequ’il réunissait le cercle des affaires (avec la plupart des sièges sociaux des multiplanétaire), le centre culturel, les meilleurs hôtels et les plus luxueux centres commerciaux... Parceque surtout, au centre géométriquement exact de la ville, il explosait, tel un diamant noir, le cœur du pouvoir politique : une réplique compacte du Cube, cent mètres d’arête, vingt-six étages au-dessus du sol (un par Ministre), le Terminor et son réseau câblé en dessous, quatre façades de miroirs fumés et un astroport sur le toit. Ainsi campé, le cube du gouvernement surnageait des tours du centre et y imposait une sorte de silence architectural. De tous les édifices de la ville, je regardai alentour : de tous, il était le seul qui ne fût pas transparent, le seul qui renvoyait à elle-même cette lumière dont les architectes de Cerclon avaient pourtant souhaitaient voir chaque bureau et chaque logement infiltré. [...] Que faisaient les architectes de Cerclon ? Ils raréfiaient. Ils simplifiaient. Ils agençaient des espaces, des objets et des flux (électricité, eau, air, merdes


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à évacuer, mouvement, etc.), mais pour les articuler dans un système clos où chaque relation, d’espace à objet, d’objet à flux, ou de flux à espace se trouvait commodément définie et figée. [...] Alors que la nouveauté, elle a simplement consisté à décalquer les techniques sécuritaires de la prison pour les appliquer à la société entière ! [...] Il était probable par ailleurs qu’une telle exigence venait de la ville même, qui comme toute ville était d’abord une prison, si bien qu’y circuler sans cesse conjurait l’oppression de la clôture et procurait une sensation de liberté qui la rendait insupportable. [...] le CSI, donc, s’était mis en tête d’élaborer l’architecture et le fonctionnement général de ce qui l’appelait dans son jargon « les Nouvelles Entités socio-économiques auto-régulées « [...] Ce modèle ce fut le Cerclon I. Le CSI était à l’époque persuadé [...] qu’il serait possible de gérer entièrement une ville de sept millions d’habitants avec un gigantesque ordinateur système modulaire. Tout ce qui semblait pouvoir être maîtrisé devait être pris en charge sur le Terminor : les adductions d’eau, la voirie, la distribution d’oxygène, les transports en commun, la circulation routière, le système bancaire, la publicité, l’approvisionnement en minerais et métaux, les plans de productions, les sondages... Tout. [...] » La tour La Zone du Dehors, p. 104 ; 112 « [...] J’oubliais les tours panoptiques, ces cylindres inquiétant. Mais c’était parce que dans mon esprit, elles ne s’en dissociaient pas. Elles participaient du même rapport à la lumière. [...] Elles étaient, disait-on, aussi anciennes que le projet des Cerclons. [...] Chaque secteur possédait sa tour, qui, quoique fichée en plein centre et dominant par sa taille tous les autres bâtiments, avait ceci de remarquable que personne n’en parlait jamais. Officiellement « tours du citoyen démocrate », on ne les citait jamais sous ce nom. S’il fallait les évoquer, les gens... les gens ne disaient rien, ils ne les évoquaient pas. Elles étaient ouvertes à tout le monde : hors-clastrés, anciens détenus, désencartés, gorxiques et radieux y compris sans doute parce que tout le monde pouvait y jouer le rôle qu’on attendait de lui. À chacun des trente étages, on trouvait une débauche de jeux virtuels aux thèmes assez étranges, où l’on traquait des heures durant des assassins qui se terraient dans des parkings ou des usines kafkaiennes, qui s’enfonçaient dans les débris de la radzone... Le graphisme, tout comme les sons, y était d’un réalisme troublant. Il régnait dans ces univers parallèles une atmosphère très pesante, très solitaire, une sorte de face-à-face avec un ennemi sans visage, sans forme, inassignable, qui se dérobait [...] Sais-tu, promeneur, que les tours peuvent observer n’importe qui, n’importe quand et à peu près partout ? Dans quel but et pour qui ? Peu importe. Il faut faire attention, simplement. Être sur ses gardes. Au fond, tu redoutes moins le regard de la police que celui des proches, famille ou « amis ». Si tu fermes les rideaux avant de faire l’amour, c’est en pensant à l’autre, les jumelles acérées, dans la tour. Ta probabilité d’être épié a beau être minuscule, tu prends sur toi les regards malveillants. Moi, je suis comme toi, je fabrique mes propres miradors et dans le même élan, je m’expose dessous. Qu’importe que je ne sois en fait jamais surveillé ? Je me surveille, quand même. « Au cas où... » Aujourd’hui, ces trois petits mots ont ouvert une plaie que je suis incapable de refermer. « Au cas où.. » m’a appris à jouer les deux rôles-espion et épié et je les mélange tellement en moi qu’au fond même de mon lit, j’ai pris ce pli : l’autodiscipline. La tour pourrait bien être vide, hein, vides aussi les boxes, ça n’y changerait rien ! Le pouvoir s’exerce tout seul. [...] »


Panneau solaire La Zone du Dehors, p. 110 « [...] Mais deux trouvailles d’un vice qui en disait long sur les architectes de cette ville, limitaient ces inconvénients. Les panneaux solaires qui équipaient les toits de Cerclon avaient été munis d’astucieux miroirs. En cadrant en gros plan ces miroirs, on s’apercevait qu’ils permettaient d’observer l’arrière du bâtiment précédent ou une rue cachée ou le pied de l’immeuble, bref une bonne partie de ces espaces qui échappaient à une vision directe. Par ailleurs. J’avais constaté un fait élémentaire : tout autour des tours panoptiques, les immeubles avoisinants avaient été bâtis par hauteur croissante -un peu à l’image des gradins d’un stade. Par souci esthétique naturellement... [...] » Mur droit La Zone du Dehors, p. 125 ; 126 « [...] Partout les surfaces polies, des murs droits, des angles à l’équerre, des cercles parfaits. Partout des sols lisses, des portes adéquates aux carrures. Partout des objets faits par l’homme, pour l’homme, des poignées au bout des mains, des tapis pour marcher... Taux d’oxygène constant. Humidité constante. Température constante. Constante gravité. Notre monde physique a été stabilisé, jusqu’au raffinement. Il a été adapté au plus petit dénominateur commun de nos paresses et de nos peurs, si bien adapté... qu’on ne s’adapte plus à rien, que le plus petit changement d’état nous est fatal : un courant d’air nous grippe. [...] » Mobilier urbain La Zone du Dehors, p. 257 « [...] j’ai grillé un stop avec mon glisseur, déclenchant la sirène bien connue qui signifie que l’intercepteur infrarouge logé dans le poteau a enlevé huit points à mon permis de glisser. [...] » La tour TV La Zone du Dehors, p. 310 « [...] Le bassin circulaire entourant la tour et le petit pont jeté par-dessus pour accéder à la porte centrale renforçaient cette image médiévale. [...] » Le cube gouvernemental La Zone du Dehors, p. 359 « [...] Le cube ? Savez-vous pourquoi il est le seul bâtiment non-transparent de Cerclon ? Pour qu’on ne voie pas qu’il est vide. Les politiciens n’ont plus qu’un rôle véritablement sérieux à tenir aujourd’hui : masquer qu’ils sont inutiles, que la politique est morte parce qu’elle n’est plus le lieu du pouvoir. Et ne croyez pas que ce soit un rôle facile à tenir. C’est un vrai métier, éprouvant, exigeant, que de paraître maîtriser des processus qui nous échappent presque complètement. D’aucuns s’attristent de voir les fonctions politiques accaparées par les comédiens. Nous devrions au contraire nous en réjouir : c’est une chance de pérennité pour le métier, une clause de survie. Non, le cube nous cache monsieur Capt, les vrais pouvoirs sont ailleurs. [...] » La prison La Zone du Dehors, p. 367 « [...] et la prison un lieu vide où ne pourra échouer aucune subversion, puisque les désirs seront devenus hémophiles et qu’ils couleront [...] »

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La cellule La Zone du Dehors, p. 446 « [...] La substance dont étaient faits les murs présentait cette curieuse propriété de cristalliser la lumière de sorte que ma cellule restait prise dans la pénombre : les murs n’éclairaient qu’eux-mêmes. Ils suaient une sorte de lueur d’hôpital blanchâtre et poudreuse, avec un homme nu dans la salle d’opération qui était moi. Vainement, je m’efforçai de fermer le plus complétement les yeux pour fondre au noir ce supplice lancinant où je me cognais de mur en mur à moi-même, comme une mouche de laboratoire l’aurait fait aux parois d’une cage construite avec des copies génétiques de ses ailes. [...] » Alticcio La Horde du contrevent, p. 345 ; 344 « [...] imagine une ville verticale qui ne serait faite que de tours, de tours immenses et branlantes de plus de cent mètres de haut planté au beau milieu du courant ! Imagine des beffrois de pierre et de bois, des cathédrale monotours flanquées de campanile, imagine des pharéole qui hululent la nuit et se répondent ! Imagine des Chateaux d’eau, des palais en verre juchés sur des pitons de marbres ! Imagine des cabanes perchées dans des arbres majestueux avec un colimaçon enroulé autour ! Imagine des colonnes vertigineuse pas plus larges qu’un corps avec des moines assis au sommet, les fameux stylites, qui te harangue quand tu empruntes une passerelle de corde ! Figure toi la vie des nobles qui habitent les tours, ceux de la Haute [...] au pied de ces tours rampent et ravaillent la roture : les racleurs. En bas se tient le royaume poussiéreux de tes copains les airpailleurs qui filtrent et tamise le vent. [...] En bas il y a surtout ce qui teint les nobles en l’air, ce qui permet ballon et bacarolle, faribole et vie de palais [...] Alticcio a cette particularité d’être située au débouché d’un canyon très encaissé, presque une fente, une incision dans la montagne. En amont de ce canyon, tu as une vallée très large qui se rétrécit progressivement en entonnoir. [...] » Orange Les Furtifs, p. 39 ; 41 « [...] Une ville libérée est une ville soustraite à la gestion publique et intégralement détenu et gérée par une entreprise privée. Son maire est nommé par les actionnaires, à la majorité simple des parts. [...] Je marche dans l’avenue Origami, l’un des quatre axes majeurs de la ville, fermé aux premiums et aux standards de 12 à 14 heures. [...] » Rue d’Orange Les Furtifs, p. 46 ; 47 ; 48 « [...] Une couche réelle, saturée de capteurs enfouis dans le mobilier urbain, qui répond à une couche virtuelle, toute d’ondes, que les designers ont rendu visible par des petits volumes de brume luminescente [...] sautant quatre ou cinq dalles pop-up [...] j’enfonce le pied dans une dalle sensitive [...] c’est le royaume de l’ubimmersion optimal où chaque façade, chaque porte est un écran, chaque vitre, une interface tactile [...] » Un quartier sans âme Les Furtifs, p. 67 « [...] Ces îlots végétalisés avec mares à grenouilles pour résidents gentrifiés, ces grands quais terraformés à bandes cyclables et à bancs recyclés, sans angle mort et sans bosquet, ce régime de visibilité urbaine qui se payait le luxe de l’espace, et où les couples privilèges se délaissaient sur des chemins en S pavés de planches dans le gazon ras. [...] »


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Un café Les Furtifs, p. 68 « [...] À l’intérieur, on retrouvait au fond la même logique que sur les quais : visibilité de part en part, ni niche ni poche où s’isoler, aucune intimité pour quiconque [...] » La ville Les Furtifs, p. 276 « [...] D’abord les surfaces, qui sont une création de l’homme : les murs, les sols, les plafonds, les portes, les façades, qui pouvaient faire des écrans idéaux, des zones de projections. L’ambiant ensuite, c’est-à-dire l’impalpable comme le son, la lumière, l’air et sa circulation [...] Et enfin le tangible, à savoir les objets qu’on peut manipuler [...] Nos villes sont des prisons dont les murs et les barreaux se parlent entre eux. [...] »

La Fuite La ligne du Dehors La Zone du Dehors, p. 14 ; 25 ; 31 ; 123 « [...] Et voilà ce qu’il va falloir passer : la ligne du Dehors. > Je regarde en bas. Au pied du mur massif qui porte la route où nous nous tenons, une épave calcinée. Vingt mètres plus loin, ils sont là, ceux que Captp m’a désigné : les grands poteaux incurvés qui marque la limite ultime de la ville. Espacé tous les dix mètres, ils ressemblent à une armée de phallus au garde-à-vous. A leur base, pour matérialiser la frontière du dedans et du Dehors, un pointillé de diodes rouges qui court sur deux cents kilomètres de circonférence de Cerclon [...] L’architecture de la Ligne du Dehors, remplissait par sa légèreté même, ce rôle parfait de filtre à délinquant. [...] si tu connais un peu la Ligne, tu sais qu’il y a trois passages à peu près jouables : l’épave, l’hexaturbine du secteur 1, et la zone de derrière le cube, là où c’est tellement radioactif que l’image saute tout le temps. Mais ces zones là, ils se doutent bien qu’on va les surveiller en premier. Et surtout l’épave qui est la plus tranquille... [...] > La caméra volante nous pistait depuis notre entrée sur l’anneau périphérique. Dès la rampe, j’avais déconnecté le pilote et poussé le bobsleigh à deux cents — silence moteur, vent liquide coupant la peau avec, aux tripes, cette sensation de flécher comme un missile à travers la nuit pour aller briser, compact, les blocs rouges de la Zone du Dehors. [...] » Portique, Porte, sas, seuil La Zone du Dehors, p. 68 ; 73 ; 93 « [...] Mais en moins de cinq ans, les points de sécurité - en fait des sas, des seuils, des bornes, des portes et des portiques - avaient coupé un peu partout tout trajet un peu fluide, un peu libre, toute errance éclairée [...] Ces portiques, c’est une Hache ! Vous connectez ? Une Hache ! Et ça découpe des espaces, des libertés, des vies ! Et on va le montrer ça ! On va le rendre physique dans cette putain de cage mouvante de ville ! [...] Nous avions voulu leur rendre visible, palpable cette barrière qu’ils passaient sans même y penser, les forcer à la voir, les acculer à la sentir… qu’ils la vivent ainsi que les marginaux la vivaient : féroce, ignoble [...] » La fenêtre La Zone du Dehors, p. 342 « [...] balaya la pièce d’un regard, cherchant l’ouverture… Les fenêtres ! Il enchaîna d’un seul geste un saut [...] lui


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permettre de traverser la vitre tout en s’accrochant au rebord extérieur, pour ensuite fuir par les armatures, agripper une volante, gagner le toit [...] »

Le corps La Zone du Dehors, p. 576

« [...] Vous êtes là parce que vous sentez qu’en vous quelque chose veut sortir. Quelque chose auquel vous devez faire passage, vous le savez, donner enfin ampleur, temps et libre cours [...] » Le contre La Horde du contrevent, p. 701 « [...] À la cinquième salve, l’onde de choc fractura le fémur d’enceinte et le vent sabla cru le village [...] Sous mon casque, le son atroce du roc poncé perce, mes dents vibrent - je plie contre Pietro, des aiguilles de quartz crissent sur son masque de contre. [...] » Le contre La Horde du contrevent, p. 488 « [...] Notre différence avec les Fréoles est immense et inconciliable. Notre empire, c’est le contrevent. Personne ne connaît mieux le flux en sa fibre. Personne ne lit mieux ses faiblesses que nous. [...] On peut toujours théoriser les turbulences, stabiliser un sillage, prévoir le dessin d’une volute. Les Fréoles le font avec une minutie qui les honore. Mais les formes, aucun instrument ne suffit à les classifier. Il faut être immergé le corps entier à l’intérieur du rafalant. Pas au-dessus en navire ou en aéroglisseur. Ni abrité derrière : dedans ! Chair en prise ! [...] » Camp Bòban La Horde du contrevent, p. 213 « [...] Le fameux Camp Bòban, longtemps simple camp de base de Norska, était devenu au fil du temps un village, un village à l’architecture élégante et ronde, un petit havre dont l’ascendant immédiat fouillait au soc nos rêves enterrés de maison. Autant le dire : ce Camp était un piège profond, par sa lumière, l’eau abondante et le vent clair par une terre à l’évidence fertile, cumulait les énergies propices. Tout, du tracé fluide des chemins à la taille des fontaines, du réseau d’irrigation aux choix des éoliennes, [...] tout trahissait l’empreinte et le goût d’une élite sobre et pragmatique, dont l’ampleur des connaissances techniques expliquait la pertinence des réalisations. [...] » Camp Bòban La Horde du contrevent, p. 621 « [...] N’acceptons pas que l’on fixe, ni qui vous êtes, ni où rester. Ma couche est à l’air libre. [...] Soyez complice du crime de vivre et fuyez [...] » Aguero Les Furtifs, p. 186 « [...] Là je me suis levé et j’ai commencé à dinguer sur les braises, pareil le type, le singe, pareil. Quelque chose est sorti de moi et à commencé a danser avec mes pieds et avec mes hanches. J’ai tout ouvert [...] »


Le Creux Epave La Zone du Dehors, p. 18 « [...] Surveille quand même les écrans 126 A et B : ils couvrent le coin où il y a l’épave. Pas mal de gazé essayent de passer par là. Ils ont un peu protéger par la caisse, alors ils tentent leurs chances. [...] » Vaisseau désaffecté La Zone du Dehors, p. 70 « [...] Nous partîmes ensemble pour la réunion. Elle avait lieu dans le vaisseau désaffecté qui nous servait d’hémicycle [...] » Vaisseau désaffecté La Zone du Dehors, p. 119 « [...] Slift vivait dans la radzone depuis vingt-sept ans : depuis qu’il était né. Il habitait l’aile d’un vaisseau qui lui servait aussi de hangars pour entreposer ses glisseurs. Il habitait seul, mais il hébergait comme moi une poignée de radieux [...] » Vaisseau enterré La Zone du Dehors, p. 159 « [...] jusqu’à la radzone-Est et pédalai des trois kilomètres qui me séparaient du vaisseau enterré. [...] » Cuves vides La Zone du Dehors, p. 161 « [...] Je continuai à rouler jusqu’à apercevoir l’amas de cuves vides au milieu desquelles se cachait l’entrée du tunnel. Je m’arrêtai. J’attendis un peu. J’eux beau scruter les alentours : pas âme qui vive. [...] » Sur les cuves La Zone du Dehors, p. 168 « [...] Je redoutais que quelqu’un vous ait dénoncé, alors je me suis cachée dans la carcasse, j’ai attendu un bon bout de temps. À force de scruter le dédale, j’ai remarqué la tête d’un guetteur qui dépassait d’une cuve, puis j’ai vu qu’ils se baladaient là-haut. C’est fou, tu les verrais ! Ils courent presque à plat ventre — on dirait des chats — sur des bords de cuve pas plus larges que mes trois doigts. Ils n’ont pas peur ! Parce que les cuves, elles sont pleines d’eau croupie, il y en a qui jettent des cadavres dedans, ils m’ont expliqué, et de la ferraille ! Quand je les ai repérés, je me suis dit qu’une voltée, c’est quelqu’un qui doit être capable de déjouer les sentinelles, de se fondre dans la nuit, non ? Alors je me suis approchée des cuves tout doucement et je suis sûre, bien qu’ils disent le contraire, qu’ils n’ont rien vu, tes guetteurs. Après, je suis montée avec l’échelle sur une cuve et je me suis couchée à plat ventre dedans, tu sais, sur le pourtour intérieur. Mais là, un gars que je n’avais pas vu venir m’a bien eue. [...] » La cuve 13 La Zone du Dehors, p. 222 « [...] La cuve 13 se trouvait dans le nord-est de la radzone, perchée au bord d’un cratère d’impact au fond duquel, n’était un largage approximatif du transbordurier, elle aurait dû échouer. Le cratère était cerné de dunes de terre orangée qui faisaient de cette zone une sorte de paysage en soi, délimité par sa couleur et ses reliefs et que les locaux appelaient « le pays ». Certaines cabanes, peintes en violet, juchées au som-

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met des dunes, y abritaient quelque sentinelle fière d’un lieu où n’était à guetter que la beauté lunaire ou quelque ermite qui s’y sentait absous de la vacuité d’une ville où le regard déclinait des verrières. Slift, m’y emmenant parfois, m’éreintait dans les pentes pour aller saluer ces cerbères joviaux que l’habitude des hauteurs teintait d’une obscure noblesse. Leur voix articulait de la roche et du sable, et dans leur frottement sourd montaient des animaux mythiques, méduses s’immisçant flottantes à travers les rideaux d’ammoniac ou tigres pourpres entraperçus dans les brumes du Dehors [...] » Trou La Zone du Dehors, p. 289 « [...] Il est dans le trou de Brihx, le plus sûr des trois, qui est creusé sous le rocher, derrière un gros buisson. Il va refermer la trappe. Peu de chances qu’ils le débusquent. [...] »

Antirade La Zone du Dehors, p. 420

« [...] Notre cache se trouvait dans l’épaisseur même de l’antirade, et l’on n’y entrait et n’en sortait qu’en rampant une bonne centaine de mètres dans un boyau large comme un homme. [...] » Containers La Zone du Dehors, p. 541 « [...] Personne ne sait même que cette planque existe. T’as gaffé aux parois ? T’es dans un container. Il faisait tache au Pays, les poètes m’avaient demandé de prendre le bull pour l’enterrer. [...] ça ferait un super QG perso... [...] » Un trou La Horde du Contrevent, p. 696 ; 125 « [...] si l’on trouve chacun un trou avec une butte de spinifex devant où crocheter sa mâchoire et suffisamment de chance pour ne pas bouffer son poids en sable d’ici la fin des réjouissances ! ? [...] Ça fait deux cent cinquante trous à creuser sur les vingt-cinq kilomètres [...] » Un mur La Horde du Contrevent, p. 696 ; 688 « [...] On se couche ici devant ce mur, ventre à terre. On sort la corde et on s’attache [...] Pourquoi on reste pas devant ce mur ? [...] » Un bosquet La Horde du Contrevent, p. 695 « [...] le bosquet qui coupera le flot sans l’arrêter [...] » Bout de roche La Horde du Contrevent, p. 679 « [...] Je repère le moindre bout de roche, le moindre creux jouable. Être prêt, prêt si ça explose…à se plaquer ventre à terre. On peut se planquer là ! [...] » Abri La Horde du Contrevent, p. 620 « [...] Il faut le contrer entre les crêtes, dans les creux des slaves [...] nous remondons rapidement le vallon qui nous abritait en serpentant entre les buttes chevelues afin de tirer un profit optimal des contrevents [...] »


Forêt linéaire, haie de buis La Horde du Contrevent, p. 618 « [...] Une plaine montante s’étalait à perte de vue, vert tendre avec des reflets métalliques. À gauche une forêt linéaire épaisse de trois arbres donné le cap. A droite lui répondait une haie de buis, trouée par endroits. Contrer proche de la haies parraissait le meilleur endroit. [...] » Passage La Horde du Contrevent, p. 510 « [...] Derrière quelle colline, par quelle forêt, en escaladant quelle montagne, etc. Il est aidé dans ce travail par l’éclaireur qui court devant pour chercher les meilleurs passages, nous éviter les endroits où le vent est trop fort. [...] » Carapace La Horde du Contrevent, p. 320 « [...] Nous avons passé la nuit entière en bas, dans la Carapace, leur auberge enterrée, à faire la fête [...] » Igloo La Horde du Contrevent, p. 171 « [...] Creusez-vous un igloo et attendez que la tempête passe [...] » Le Cube blanc Les Furtifs, p. 10 ; 11 ; 12 ; 13 ; 15 ; 22 « [...] La salle est presque toujours vide de présence humaine. Donc idéale pour se cacher. Les furtifs se moquent des capteurs, tu le sais bien. [...] Je lève les yeux vers le plafond : il est insituable, il pourrait être à deux mètres ou à dix, le blanc me l’avance et me le recule, l’absorbe doucement, me l’efface… Des six parois du cube, la lumière luit d’une façon si uniforme qu’elle pourrait aussi bien sortir de six écrans plats. À peine, si je distingue les angles droits des murs, si j’arrive à fermer, à former du regard la perspective. [...] Approprietoi l’espace, prends corps dedans. [...] Je suis dans une cage blanche. Sans meuble, sans l’ombre d’un objet. Ni table, ni chaise. Pas la moindre applique fixée au mur. Rien qui puisse laisser au furtif la moindre chance de se cacher, d’utiliser ses capacités mimétiques ou de faire fructifier sa prodigieuse faculté de métamorphose en composant son corps avec son environnement. C’est vide. Vide à tanguer. [...] L’angle mort est leur lieu de vie. [...] Et que dans ce desert-ci du cube nu, où nul objet n’était à assimiler [...] Pour la première fois depuis le début de l’épreuve, je prends la mesure intime de l’espace alentour, de la hauteur qui s’étend au-dessus de moi, de la profondeur de la salle. Du volume. [...] » Petit immeuble Les Furtifs, p. 52 « [...] se mettent à foncer sur Lorca, lequel a pris ses jambes à son cou et file vers le premier bâtiment qui pourrait l’abriter, lui éviter un tir de phaser […] je le vois zigzaguer […] et il s’engouffre da capo dans un petit immeuble de cinq étages dont plusieurs vitres sont occultées de planches. Moitié squat, moitié logement social ? [...] » Climatiseur Les Furtifs, p. 54 « [...] Il y a une cache. Cache toi. Toi. [...] il y avait à deux mètres cinquante de haut un gros bloc de climatisation blanc, dont la totalité du moteur avait été retiré. [...] »

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Gaine d’air Les Furtifs, p. 57 « [...] le fait qu’un homme puisse se loger dans la gaine d’air d’un immeuble aussi ancien [...] » Le C3 Les Furtifs, p. 89 « [...] Je souhaite pointer deux choses. D’abord qu’il m’a fallu deux ans pour obtenir cette autorisation d’accès au Centre Culturel Capitale, le C3. Ce centre a été privatisé par Civin, vous le savez sans doute, puis rapidement fermé en 1038 au motif qu’il n’était pas rentable. La décision avait choqué les bobos, vous pouvez l’imaginer. En réaction, le C3 a tout de suite été squatté pendant bien six mois, par un collectif d’artistes qui voulait le protéger d’une réaffectation en fùnzone. Assez vicieusement, Civin a laissé le squat s’installer puis il l’a noyauté avec doigté. Ils se sont appuyés sur deux artistes dont ils ont mécéné les œuvres par la suite, en remerciement. Civin a fait courir le bruit qu’un gang de brocanteurs pillait et dégradait le bâtiment, de manière à le faire évacuer par leur milice avec la caution de la Gouvernance. Puis ils l’ont muré, électrifié et droné pour empêcher toute nouvelle intrusion [...] Le bâtiment en devient inutilisable pour six cents ans environ…[...] » Le Cosmondo Les Furtifs, p. 96 ; 126 ; 637 « [...] C’était une sorte de maison-monde de six mètres de haut et de bien quinze de large où l’on pouvait entrer, ramper, se glisser et se cacher, se perdre même tant les cheminements étaient sinoques et contre-intuitifs sur un aussi petit volume. Je me souviens du bond intérieur de Tishka quand elle avait vu cette maison la première fois : elle avait hésité quelques secondes devant la porte de guingois puis elle avait commencé à grimper à la fenêtre du premier en fourrant ses petons dans des trous, à courir dedans, à m’appeler, à hura parcequ’il y avait des araignées jaunes à l’intérieur et des serpents mauves qui pendaient, des monstres en peluche qui gambadaient, des bruits, rien de vraiment flippant, juste du thrill, des bots qui se mettaient en marche, de la surprise sans cesse et des pièces qu’on pouvait ouvrir et fermer, agrandir en poussant une paroi ou en soulevant un plafond (ou bien réduire à un simple couloir, à une chatière). Le C3, les rares fois où j’y repensais, c’était d’abord cette œuvre joyeuse, cette folie partagée - Il Cosmondo. Des mondes enveloppés dans un monde, qui devenait notre maison à nous, l’espace de quelques heures. [...] » Philharmonie Les Furtifs, p. 99 « [...] Ici c’est alcôve et balcons courbes, niches à mioches, fauteuils de feutre partout, murs pliés : de la planque à gogo ! [...] » Troisième etage du Cosmondo Les Furtifs, p. 132 « [...] Cheminée, hublot, fenêtre, trappes, fentes [...] » Caverne Les Furtifs, p. 320 « [...] C’est une bibliothèque tactile, sans doute antédiluvienne. Ici, les sculptures sont des livres - ouverts oui, offerts à la main qui seule lit, puisque les phalanges ont des yeux. C’est un carnet de notes prises à même le calcaire tendre des parois, un dazibao joyeux griffonné à coups de griffe, de serre


ou d’ongle, à coups de patte par une nuée de furtifs, afin de se parler, afin de se taire, pour mieux savoir partir et mourir s’il le faut, quand il le faudra. Saskia me l’a appris en me racontant leur intrusion dans le centre culturel : les entres. Ces masses brutes ouvragées à l’extrême, cette dentelle d’ailles d’alvéoles et de tunnels dans chaque amas de bois, ce labyrinthe en trois dimensions où l’on peut se terrer, traverser et ressortir, qui hante aussi bien la roche que les grumes, ce sont.. des entres! Nous sommes chez les furtifs. Nous sommes chez eux, ça ne fait plus aucun doute. Et cette caverne, ils l’habitent et ils l’ont habitée depuis des millénaires ils n’ont jamais cessé d’y être. Tous les murs sont à lire, Sahar, intègre le. [...] » Les relief d’une rue Les Furtifs, p. 379 « [...] ce qui me manque le plus de Tishka reste la façon absolument inée dont elle s’emparait des relief de la rue : d’un muret, d’un plot, d’un banc, d’une pente, enlaçait la ville pour l’enchanter de ses jeux [...] des bornes pour interdire à quiconque de stationner ; je vois des zébras où personne ne saute de blanche bande en bande blanche [...] » Cités des Métaboles Les Furtifs, p. 384 ; 384 « [...] A travers ses yeux d’enfant, ce jour-là, j’avais redécouvert autrement le bourgeonnement des containers rivetés aux façades, tels des légos clipsés. Le toit rehaussé en tour de Babel qui prend chaque année un étage - d’ailleurs offert aux plus récents migrants. J’avais trouvé génial le bassin aux loutres et aux ragondins, creusé à la façon d’une douve et alimenté à l’eau de pluie, qui amenait la vie animale au contact du plus minéral des bâtis. Nous avions baguenaudé tout autour de la barre autrefois hideuse, au milieu de cette floraison d’habitats textiles et gonflables, de ce minutieux travail des architectes et des « faiseurs d’espaces » pour aménager des lieux de respiration polyvalents tout en restant repliables très vite. La base de ce que la Traverse appellerait plus tard le trevico/trevipar : le très-vite-construit, très vite-parti. Tentes, chapiteaux et bulles devenaient tantôt atelier du Libre, tantôt hacklab, tantôt école, salle de jeux, lieux d’AG, recyclerie, cantine ou dortoirs et cette explosion de formes et de couleurs avait fasciné Tishka. « Je veux habiter là » [...] des huttes en terre posées sur des buttes qui faisaient la nique à la brique des « folies » du collectif Reprends-toi. Mais admettons : c’était un espace puissant sinon, assumé comme un hapax, dont la moindre poubelle avait son charme, la moindre passerelle était une œuvre, la moindre palette ramenée d’un entrepôt ressortait des ateliers en claustra, en plancher, en estrade, en banc public ! Tout chez les Métaboles avait été conçu pour évoluer et muter. L’ensemble sonnait pluriel et baroque, métamorphique et instable. S’ajoutait à cela que la prolifération des volumes et des recoins, des décharges et des matériaux stockés, en faisait un temple possible pour les furtifs - un site en tout cas où on les imaginait parfaitement s’épanouir dans cette foultitude de caches involontaires laissées, en creux, par les habitants. [...] » Ancienne batterie heute de Mèdes Les Furtifs, p. 536 « [...] On a fini par choisir l’ancienne batterie haute des Mèdes, sur la crête du Galéasson. Réseau souterain de Bunkers, postes camouflés, fuite possible dans un maquis [...] » Creux d’une colline Les Furtifs, p. 567 « [...] le site a été débusqué par Arshavin, dans le creux d’une colline couverte de chênes verts, près d’Orange. [...] »

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Choses usées Les Furtifs, p. 610 « [...] Tout ce qui rouille, se fend, s’effrite, pourrit, une vitre pétée, des tessons de bouteille, des déchets qui devrait pas être là. [...] Leur facon d’habiter s’aménage un environnement propice qui n’est peut-être pas celui que vous aimeriez conserver. Il faut l’accepter. Ça s’appelle cohabiter. [...] » Containers Les Furtifs, p. 612 « [...] quelque part dans la friche des Métaboles, au milieu du labyrinthe des containers et des palettes, Tishka et ses copains font des cabrioles [...] » Egout Les Furtifs, p. 661 « [...] Une myriade de furtifs couraient sur les toits en parrallèle, par la ligne intestine des égouts, se faufilaient sous les fourgon et les taxiles, dans le chaos des barricades [...] »

Le Contour Sur les cuves La Zone du Dehors, p. 168 « [...] Je redoutais que quelqu’un vous ait dénoncé, alors je me suis cachée dans la carcasse, j’ai attendu un bon bout de temps. À force de scruter le dédale, j’ai remarqué la tête d’un guetteur qui dépassait d’une cuve, puis j’ai vu qu’ils se baladaient là-haut. C’est fou, tu les verrais ! Ils courent presque à plat ventre — on dirait des chats — sur des bords de cuve pas plus larges que mes trois doigts. Ils n’ont pas peur ! Parce que les cuves, elles sont pleines d’eau croupie, il y en a qui jettent des cadavres dedans, ils m’ont expliqué, et de la ferraille ! Quand je les ai repérés, je me suis dit qu’une voltée, c’est quelqu’un qui doit être capable de déjouer les sentinelles, de se fondre dans la nuit, non ? Alors je me suis approchée des cuves tout doucement et je suis sûre, bien qu’ils disent le contraire, qu’ils n’ont rien vu, tes guetteurs. Après, je suis montée avec l’échelle sur une cuve et je me suis couchée à plat ventre dedans, tu sais, sur le pourtour intérieur. Mais là, un gars que je n’avais pas vu venir m’a bien eue. [...] » Clameurs dans la ville La Zone du Dehors, p. 243 « [...] Cerclon, sous les affiches et dans les murs troués, elles parlent du haut des poteaux, chuchotent sous les trottoirs, crient aussi, au passage de certains glisseurs... La ville parle ! Elle parle par sept mille bouches disséminées, éparse, partout parle, la ville, et ce n’est jamais la même voix. Les rues bruissent de murmures autrefois tus et marcher, devient une mélodie que le marcheur compose par son trajet unique, et que la ville lui restitue aussitôt, écho des pas que le hasard trace. [...] » Clameurs dans la ville La Zone du Dehors, p. 310 ; 313 « [...] Kohtp est reparti dans le local. Slift commence à escalader le pylône de la tour. Il est parti du pont, à droite de la porte, et monte en diagonale, pour s’éloigner de trois heures de la porte, comme prévu. Il magnétise le pied gauche, ma-


gnétise le pied droit à hauteur du genou gauche, puis jette la main gauche très haut, puis la main droite et démagnétise chaque appui au fur et à mesure, mais si vite et en dépit de toutes les lois de l’escalade qu’il ne tient le plus souvent que sur deux appuis, toujours en mouvement, à enchaîner, en déséquilibre, ne fixant rien, semblant glisser verticalement sans effort, malgré les cordes, la barre dans son dos, malgré le poids, la tension et le vide... [...] » Les toits La Zone du Dehors, p. 310 « [...] et les soixante guetteurs de la Volte cachés sur les toits, derrière les turbines et le long des avenues débouchant sur la place [...] » Le toit La Zone du Dehors, p. 373 « [...] J’avais le ciel pour toit et les toits pour sol [...] » La tour rouge Les Furtifs, p. 43 « [...] Ils ont fait front avec les plus pauvres. Ceux qui résistaient à l’expropriation. Orange a commencé par détruire des cités et des tours, pour « redynamiser le centre urbain », expulsant les habitants et en les relogeant hors de la ville, dans les hôtels-péniches que vous connaissez, sur le Rhône. Toutefois, une tour a tenu bon. On l’a vite rebaptisée ; la TourRouge/à cause des fumigènes qui brûlaient toutes les nuits, sur le toit, pour flouerjes drones. [...] Après un mois, les habitants de la tour ont commencé à crever de faim, ils étaient heureusement ravitaillés par les caves par les toits, des drones pirates les livraient sur les balcons [...] » La cave du petit immeuble Les Furtifs, p. 57 « [...] j’ai attendu qu’ils terminent leur check de la cave [...] » Tour et façade du Brightlife Les Furtifs, p. 220 ; 221 ; 223 ; 231 « [...] Un bouffeur de toit, un type vénèr qui vient squatter une barre design de vingt étages flambant neuf, prévendue à des pendejos [...] Balcons ! Passez par les balcons ! [...] Le toit du complexe BrightLife était une merveille de parc paysagé. Il s’étirait en arc sur la longueur d’un terrain de foot. De nuit, des globes d’or à allure de lanterne éclairaient de place en place des potagers en permaculture et des îlots de graminées, un verger d’arbres matures et des pelouses ovales ouvrant des plages moelleuses où s’allonger [...] L’idée ça a toujours été que les villes sont trop conçues… trop vécues du sol. C’est la voiture qui a crée nos villes. Le trottoir même est une invention de la voiture, les feux, les rond-points, les avenues ! On voulait trouver d’autres chemins, des trajets à nous qui ne décalquent pas les rues... des obliques, des traçantes... Et on s’est dit que l’espace existait, il existait là-haut.... il existait sur les toits, que notre bitume il serait bleu. [...] le truc était de trouver la voie, d’ouvrir un parcours [...] Puis on a commencé à occuper les toits : dans les cités, dans les barres longues. [...] On amenait de la terre pour faire pousser des tomates. [...] les cubes sur façade c’est vous aussi ? Oui mais c’est plutôt l’Inter. Les maisons sac à dos… les cocons suspendus par câble, les abris calés entre deux immeubles, c’est plutôt eux ça. [...] L’inclure (le toit) dans un anarchipel avec d’autres toits, d’autres tours, des grues relais, des minarets, des flèches d’église. Tracer en ligne brisée par hauteur décroissantes des

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tyroliennes [...] Mais si tu droppes en façade de deux trois étages, que tu t’abrites dans le creux des balcons, quitte à travser des apparts en faisant coucou au passage pour ressortir ailleurs. [...] Tu niques n’importe qui, machine ou mec, si t’exploites l’épaisseur des bâtiments [...] » Habitats rapides Les Furtifs, p. 222 « [...] Ils construisent des habitats rapides… surtout en zone premium et privilège. Partout où ça s’insère naturellement, où ça peut permettre que des gens se mélangent. Ca peut être en bordure de square, sur une friche, sur les terrains pas encore vendus d’une zone pavillonnaire... Ca peut être accroché sous un pont, sur les berges... derrière un entrepôt ou même en pleine rue, sans que ça gêne. [...] Souvent ce sont des cabanes avec du matériel local, pris autour. Bois de palette, briques, bouts de béton, terre, déchets... [...] L’objectif est que ça se monte en une seule nuit et que ce soit habitable au matin. [...] » Mouvances Les Furtifs, p. 383 « [...] Peut-être que c’est grâce à Tishka, au fond, que nous nous sommes toujours sentis, Sahar et moi, en affinité avec des mouvances comme l’Inter, la Traverse ou la Celeste Parce qu’ils et elles sentent et voient la ville comme une enfant pourrait la voir. Pour eux, un toit n’est pas la couverture d’un bâtiment qu’il sert à étanchéiser et point barre : c’est un îlot de possibles au-dessus d’une mer gris muraille. C’est un sol neuf pour construire une autre ville, non par-dessus mais par-devers elle, afin que d’autres circulations, obliques à nos avenues, s’esquissent. Pour que des jardins poussent, des ruches s’installent, du soleil fasse énergie, qu’on y récupère la pluie pour la permaculture, le vent qui fait sonner les singing ringing trees qu’adore Sahar. Pour reprendre langue avec les oiseaux aussi, en leur offrant de quoi nicher. L’ Inter, c’est plutôt la ville intersticiée dans la ville, un état d’esprit, vouloir habiter les espaces glissants, brumeux, nerveux ou piquants d’une urbanité qui les conjure, accrocher aux façades des maisons sac à dos, suspendre aux ponts des cahutes autonomes, monter des quartiers flottants sur le fleuve avec des palettes et loger des vieilles rames de tram entre deux immeubles pour en faire des cantines. Squatter aussi là où le business délaisse des milliers de mètres carrés de bureaux vides. [...] » Cités des Métaboles Les Furtifs, p. 384 ; 385 « [...] A travers ses yeux d’enfant, ce jour-là, j’avais redécouvert autrement le bourgeonnement des containers rivetés aux façades, tels des légos clipsés. Le toit rehaussé en tour de Babel qui prend chaque année un étage - d’ailleurs offert aux plus récents migrants. J’avais trouvé génial le bassin aux loutres et aux ragondins, creusé à la façon d’une douve et alimenté à l’eau de pluie, qui amenait la vie animale au contact du plus minéral des bâtis. Nous avions baguenaudé tout autour de la barre autrefois hideuse, au milieu de cette floraison d’habitats textiles et gonflables, de ce minutieux travail des architectes et des « faiseurs d’espaces » pour aménager des lieux de respiration polyvalents tout en restant repliables très vite. La base de ce que la Traverse appellerait plus tard le trevico/trevipar : le très-vite-construit, très vite-parti. Tentes, chapiteaux et bulles devenaient tantôt atelier du Libre, tantôt hacklab, tantôt école, salle de jeux, lieux d’AG, recyclerie, cantine ou dortoirs et cette explosion de formes et de couleurs avait fasciné Tishka. « Je veux habiter là » [...] des huttes en terre posées sur des buttes qui faisaient la nique à la brique des


« folies » du collectif Reprends-toi. Mais admettons : c’était un espace puissant sinon, assumé comme un hapax, dont la moindre poubelle avait son charme, la moindre passerelle était une œuvre, la moindre palette ramenée d’un entrepôt ressortait des ateliers en claustra, en plancher, en estrade, en banc public ! Tout chez les Métaboles avait été conçu pour évoluer et muter. L’ensemble sonnait pluriel et baroque, métamorphique et instable. S’ajoutait à cela que la prolifération des volumes et des recoins, des décharges et des matériaux stockés, en faisait un temple possible pour les furtifs - un site en tout cas où on les imaginait parfaitement s’épanouir dans cette foultitude de caches involontaires laissées, en creux, par les habitants. [...] » Toits d’Europe Les Furtifs, p. 650 « [...] Depuis, la Celeste se consacre à ouvrir des toits partagés à travers l’Europe, de ville en ville, pour en faire un archipel de passage et de brassage. [...] »

Le Vide Friche industrielle La Zone du Dehors, p. 70 « [...] Je guidai Boule dans la friche industrielle de la radzone [...] » Le cube radioactif La Zone du Dehors, p. 85 « [...] Le Cube était décidément le seul édifice qui dans cette ville donnait une idée de la grandeur. Il surplombait Cerclon au point qu’il n’était pas un lieu d’où l’on ne se sente écrasé par sa masse de métal plombé - écrasé et élevé à la fois. [...] Le cube servait de dépotoir illimité aux trois Cerclons ainsi qu’aux stations orbitales de Saturne, récupérant depuis un demi-siècle, tout ce dont nos sociétés n’avaient plus que faire. Un monument au Mort pour les ordures [...] » Radzone La Zone du Dehors, p. 116 ; 123 ; 124 « [...] je n’eus bientôt à ma gauche que les tours du secteur 4 et, à droite, la vaste étendue anarchique de la radzone. Je me demandais toujours ce que devaient penser, au moment de l’approche aérienne, les voyageurs qui faisaient pour la première fois escale sur Cerclon I. Entre le gigantisme du Cube, l’implacable géométrie de l’astroport et, de part et d’autre de ce grand cercle froid, la radzone, il n’y avait rien qui pût suggérer la possibilité d’une vie organique. Pourtant ! La radzone, zone quoique radioactive et que rien ne protégeait du Cube, vivait. C’était même l’un des rares lieux de cette ville où l’on éprouvait encore ce que vivre signifiait. La première fois bien sûr, on n’y voyait qu’une étendue désolée d’où n’émergeaient ni arbres ni constructions, hormis quelques cabanes de tôle, çà et là, surmontées de girouettes et d’étendards bariolés qui claquaient sous les bourrasques du vent cosmique. On se refusait à admettre les détritus. On les voyait pourtant, on ne voyait même que cela : des déchets métalliques partout, épars, qui poussaient à même le sable, par touffes de tôles. L’envie vous prenait de semer quelques billes de plomb et d’attendre des averses de limaille, pour s’assurer que ne pousserait pas du sol une roue, puis deux, puis quatre, puis six, puis des essieux, des longerons, un bas de caisse et au bout du compte un camion-citerne, tant la zone

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paraissait propice à une prolifération industrielle jusqu’ici inconnue. Par mesure de prudence, les substances explosives ou toxiques, ainsi que les vaisseaux de trop grande taille, n’étaient pas déversées dans le Cube. Alors ils échouaient ici, dans la radzone... pour certains pareils à d’immenses tankers couchés sur le flanc, pour d’autres à des concentrés de radiations qu’il fallait isoler de toute influence. À tous, on finissait à la longue par s’attacher. J’avais pour la radzone une affection semblable au Dehors et pas seulement parce qu’y habitait la fraction enragée de la Volte. Si le Dehors ouvrait pour moi sur l’Autre que Cerclon, sur quelque chose qui n’avait plus rien à faire avec la civilisation, la radzone incarnait l’Autre de Cerclon : l’autre face d’une médaille industrielle efficace et lisse : face du rebut, du rugueux et de l’improductif- ce Satan, cette terreur secrète de l’économisme triomphant. Les gestionnaires cherchaient à se rassurer en se disant qu’après tout, à sa façon, la radzone produisait aussi : elle produisait du déchet... N’empêche. Cette Zone, avec ses vaisseaux échoués de nulle plage, ses petits lacs nocifs à l’eau pourpre et son herbe têtue, avec ses détritus sacrés, intouchables, si profondément des détritus qu’ils ne daignaient ni être traités, ni compactés, ni même pour beaucoup vendus, et qui se contentaient de se dresser, droits comme des phares, n’ayant aucune nécessité d’être là où ils étaient mais y étant cependant, à compliquer l’espace, à le joncher dans une anarchie exaltée, les agaçait prodigieusement. Ils ne savaient qu’en faire. Les détritus s’empilaient. II fallait les éparpiller pour les isoler, ils.. ils n’arrivaient pas à gérer ce merdier. Et ils n’y arrivaient jamais parcequ’ils produisaient trop et trop vite – et que plus il produisaient, plus la radzone proliférait de tôles, de cuves et de vaisseaux. [...] Dans la radzone, les gens vivaient à ciel ouvert. Le générateur aléatoire de climats, avec ses peureuses pondérations pluie/soleil — qui faisaient l’objet d’un vote annuel —, ses gels rares, sa chaleur printanière et sa neige de Noël, n’avait plus, dans ces terres excentrées, réellement cours. Les pluies tombaient quand elles le voulaient, trop ou trop rarement, le brouillard montait du Dehors, l’ox hoquetait des turbines, pompée par les secteurs aérivores (le 1 et le centre surtout) et le tout se mêlait au vent cosmique qui soulevait les toits de tôle : c’était là leur climatisation. Il existait bien des chemins qui reliaient des cabanes à d’autres cabanes, à des cuves, à des vaisseaux, mais jamais longtemps, jamais qu’on pût en faire une habitude : parce que les cabanes se déplaçaient ; d’une cuve, il ne restait le lendemain rien qui méritât le chemin tracé ; parce qu’un nouveau vaisseau venait d’être largué et qu’on sillonnait des quatre coins de la zone pour le rejoindre. Il avait plu, le chemin s’était noyé. Il séchait : on le reprenait. Il pleuvait à nouveau, il neigeait, il gelait par-dessus... Les situations ne cessaient de changer, les objets de bouger et la neige de fondre. C’était ni plus ni moins la vie. [...] il n’y avait qu’une friche industrielle toxique et rouillée. Je faisais l’éloge d’un rapport roboratif au monde physique. Un cadre baroque comme la radzone, instable par nature, c’était un monde avec lequel notre organisme ne pouvait se composer que pour s’affermir, pour développer ses forces vitales et pour créer. [...] » Terrain vague La Zone du Dehors, p. 131 « [...] Là-bas au bout du terrain vague, la petite éolienne continuait à tourner dans le vide et à parler du futur... mais là où je l’avais posé, il n’y avait personne, vraiment personne... à des kilomètres alentour... Et ça me fait sourire... [...] » Rue secrète La Zone du Dehors, p. 243 « [...] Souvent je me prends à rêver qu’il existe dans Cerclon un trajet, une trajectoire secrète et époustouflante qui fait rendre de chaque clameur, une fois et une seule, son cri. [...] »


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Espace public La Zone du Dehors, p. 587 « [...] Un monde lié et tissé, direct, sans média, sans publicité, mais avec des espaces publics, des agoras partout où l’on pourra. [...] » La Place Hakim-bey Les Furtifs, p. 38 « [...] entre deux arbres décharnés, au milieu de cette place Hakim-Bèy bétonnée de part en part. Le smog noie les cités qui cernent le site, trop hautes rapportées à l’étroitesse de la place, laquelle en paraît surplombée et comme punie. Avec mes trois camarades (maths, santé et médias) nous avons découpé la place comme une tarte, en quatre parts. Au printemps, le public tourne d’heure en heure et suit au fil de la matinée les quatre cours. L’été, les gens s’assoient ou s’allongent, activent leur bague pour filmer ou transcripter le cours avec une application de reconnaissance vocale. [...] » Habitats rapides Les Furtifs, p. 222 « [...] Ils construisent des habitats rapides… surtout en zone premium et privilège. Partout où ça s’insère naturellement, où ça peut permettre que des gens se mélangent. Ca peut être en bordure de square, sur une friche, sur les terrains pas encore vendus d’une zone pavillonnaire... Ca peut être accroché sous un pont, sur les berges... derrière un entrepôt ou même en pleine rue, sans que ça gêne. [...] Souvent ce sont des cabanes avec du matériel local, pris autour. Bois de palette, briques, bouts de béton, terre, déchets... [...] L’objectif est que ça se monte en une seule nuit et que ce soit habitable au matin. [...] » Squat, îlot libres, friches Les Furtifs, p. 563 « [...] Il veut éliminer les quats, les friches, les îlots libres, c’est ça ? Nettoyer tous les recoins anars ? [...] Il veut surtout faire passer des lois cadres sur l’habitat qui rendront tous les logements panoptiques [...] » ZAG Les Furtifs, p. 621 « [...] Puis au-delà avec plus d’attention et d’intentions encore : les liens avec le dehors, le pas de chez-nous, l’outre-soi. Avec l’étranger d’où qu’il vienne. [...] »

L’Île Javeaux-Doux Les Furtifs, p. 176 ; 178 ; 180 « [...] Le Javeau-Doux était cette ile de sable et de limon terraformée par l’Inter qui en avait doublé la surface. Comme souvent, I’Inter avait su se faufiler entre les deux barbelés d’un no man’s land juridique sur le droit de propriété - ici le droit des fleuves - pour créer des îlots dans le delta du Rhône, et les mettre à disposition des Alters, des sans-bagues, des sans-toits ou des migrants. Très vite, I ‘idée, plutôt géniale, avait été reprise et multiplié sur tous les fleuves de France et elle essaimait maintenant en Europe. Entre Arles et Port-Saint-Louis, on comptait désormais une dizaine d’iles qui constituaient l’archipel des Javeaux. [...] Pour acter une rupture, j’avais


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posé une expérimentation d’un mois ou toute personne dérogeant aux règles était illico exilée. Les premières décisions s’étaient prises au consensus et à l’unanimité, chose impensable auparavant ! E Interdépendance délibérée des tâches, où l’on se rend sans cesse service, en réciprocité, favorisant l’entraide : les amendes dosées en cas de manquement ; le principe des corvées communes pour l’irrigation ou pour la reconstruction sempiternelle des digues que le fleuve arasait ; les cérémonies croisées où tour à tour tel foyer ou tel clan recevait puis donnait, débouchant sur des fêtes purgeant les tensions : tout ça, était directement issu de Bali. S’y ajoutait la beauté spirituelle des offrandes, dans leur gratuité si contraire à nos capitalismes, et dont l’impact fut incroyable ! Ces offrandes posaient chaque matin et chaque soir une forme de stase poétique, de grâce, avec leurs barcarolles de roseaux glissant vers la mer, chargées d’un peu de fruits, de quelques fleurs, saupoudrées de grains de riz, que les enfants adoraient construire et regarder dériver sur le fleuve. Si l’offrande n’avait aucune utilité matérielle, pour le reste, elle bouleversait tout : dans l’esprit, dans l’ouverture à un ailleurs où les Balinais infusaient ce plaisir de réjouir les dieux tout en apaisant leurs démons - et où nous, Européens, retrouvions un rapport perdu au dehors [...] et où nous, Européens, retrouvions un rapport perdu au dehors [...] En deux-deux, j’ai bouffé mes préjugés à la cuiller. D’abord la rizière en terrasse. Trop chouette, rose et verte sous le soleil qui dévisse. Le système d’irrigation, canal et pente, subtil à souhait, total naturel avec prise de l’eau en amont du fleuve. Ensuite les serres rondes en verre, comme une ville pour les fruits, une ville pour les légumes. Entre ? Des rubans de sorgho, de la céréale, une ribambelle de trucs que j’ai pas retenus, des vergers encore. Juste à l’œil, tu piges que ça rigole plus. Que l’agriculture ici, ils savent. IIs maitrisent. Tellement bien intriqué, tellement mosaïque, ça se marie et ça s’emboîte dans la beauté. Permaculture, OK. Ensuite, la jeune fille, Suling, trognonne et métisse, tout en longueur et souplesse, nous a montré où ils crèchent. Un mix de cabanes bois/roseau, de baraques en argile et de pavillons <à la balinaise> éparpillés dans les creux et les bosses de l’ile. Plus un hameau collectif, positionné façon soleil au centre du Javeau, avec marché rouge, café, boulange, boucherie > les mecs font aussi de l’élevage sur une surface minus. Taureaux noirs et vaches blanches, que des petits modeles ! Du bovin bonsai ! En mode biohack quoi. Depuis deux ans, ils tournent en autonomie alimentaire, Ils « exportent > même vers la ville. Ça marche tellement bien que ça attire plein de gringos qui te flairent le paradis à portée de pagaie. Ils y viennent squatter le fleuve tout près. Ou ils se greffent carrément sur l’ile avec leurs péniches. On les accepte. A condition qu’ils Sniffent les règles. Les Balinais acceptent de tout ici, c’est pas des vénèrs! [...] » Île de Porquerolles Les Furtifs, p. 496 « [...] On trouve là une sorte de concentré des mouvements d’occupation et de récupération de terres qui ont germé ici et là ces dernières années. En réponse bien sûr à la privatisation croissante des territoires. On se souvient tous de l’assaut du Brightlife ! lci sur place, les pionniers, si l’on peut dire, ont été sans surprise Volterre, rendu célèbre par leur catchline « La propriété, c’est le vol ». Ils se sont installés près de la plage de Notre-Dame. Mais ils ont été suivis et soutenus par un solide contingent, semble-t-il, des activistes d’UniTerre et de Salut-Terre. Eux se sont répartis dans les vignes du domaine. Il y aurait aussi des groupuscules moins connus comme Underland ou Reclaim Islands et même une poignée de terraristes très radicalisés, issus du groupe auto-dissous Reprendre... [...] »


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Les corsaires et leurs îles Les Furtifs, p. 509 « [...] leur passion pour les îles et le moindre caillou émergé, les villages flottants en pleine mer, les cargos pirates et les cités-ferries, qu’ils rêvent comme des immeubles vagabonds, indépendants de tous territoires puisque la mer sera leur terre [...] » Archipel Les Furtifs, p. 685 « [...] Une île bien sur c’est pas grand-chose. I Une Zag de trois cents personnes, on peut en rigoler. Mais deux îles, quatre îles, dix îles ça commence à faire un archipel ! Et plusieurs archipels reliés et complices ça peut faire un pays comme la Grèce. [...] » Cabanes et pontons La Horde du Contrevent, p. 465 « [...] les rares traces attribuables à des créatures humaines (les cabanes palafittes et les pontons pourris, les cages bousillées remplies d’algues, les bajoyers qui etayaient les digues) [...]j’usqu à trouver un îlot vaseux mal fixé par des roseaux bruissants. Le sol n’offrait que des appuis spongieux [...] » Les hordiers La Horde du Contrevent, p. 412 « [...] ces camarades de vagues, ma seule île, épousant l’eau de gré, souvent de force, la bouche salée et le nez bouché, ma seule île mobile, ces vingt-deux corps en mouvement, la Horde, nous. [...] » Plate-forme La Horde du Contrevent, p. 411 ; 388 « [...] On va essayer de planter la plate-forme et de la couler dans le fond ! Deux personnes par poteau ! Arval tu creuses à la base des poteaux pour qu’ils ripent pas Erg va fixer les poutres transversales ! Les autres vous lui passez les poutres, vous tenez les poteaux droits et vous contrez la dérive ! [...] Cette idée de plateforme [...] nous sauva de l’épuisement en zone centrale. Elle fut notre havre de repos chaque soir. Notre île démontable et nomade. [...] » Les voltés La Zone du Dehors, p. 62 ; 157 ; 383 « [...] Un tel groupe, lié comme nous l’avions été, pire que lié : compact [...] Les bornes et les normes, c’est le contraire des voltes. [...] Imaginez, Président, une horde de voltés avec des étendards campés au milieu du fleuve… Le courant les frappe de plein fouet. Ils ne bronchent pas : ils résistent. Alors c’est l’eau qui s’érode, qui commence à s’égratiner [...] »

Le Dehors La zone du Dehors La Zone du Dehors, p. 15 ;24 ; 33 ; 38 ; 169 « [...] avec son fouillis de cratères, sa terre rouge et ses rochers rares, je ne connaissais aucun paysage, même en crevassant ma mémoire, traquant ceux que de mon adolescence sur Terre aurait pu graver, qui en égalait l’éclat brut et rugueux [...] le


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Dehors était simplement la vérité de cet astéroïde : 99% de sa surface. Le monde tel qu’il avait été, incohérent, âpre et vital, un sol à ridiculiser un siècle de topologie, une couleur de sang vieux, troublée de brume, de lèvre sombre, de vin lourd, avec cette mobilité du vent dans la poussière et cette apesanteur anarchique, qui vous montait parfois l’estomac à la gorge et qui vous faisait le pas leste. Regarder le Dehors, rien de plus reposant, de plus éloigné de la contemplation tant l’atmosphère y était instable, le sol agité, les pierres en mouvement, la couleur incertaine. Pourtant j’y puisais à chaque fois une sorte de paix, de joie active qui me poussait à y aller, quel que fût le danger, à y revenir et à y emmener ceux que j’aimais [...] le Dehors juridiquement n’existe pas [...] le Dehors c’était chez moi… (Non ! Pas « Mon jardin » ! Le jardin, ce carré nostalgique, gazonné à la terrienne, pour bourges du secteur 2, avec ses martiens télétondeurs, c’était précisement la conception de l’Espace que je haïssait par-dessus tout : espace à soi acheté volé, qui mimait la liberté sur dix mètres par dix en la tuant.) La noblesse du Dehors venait de sa démesure même. Qui pouvait dire « Mon Dehors » ? Le dehors ne pouvait appartenir à quiconque, et le gouvernement lui-même n’avait jamais songé à se l’approprier. Trop immense, trop changeant, trop violent : ingérable. Une vraie sauvagerie de rocs, d’éclat d’aérolithes et de cratères brisés, à coup de météores, avec des dalles saignées au sable sec, des collines brutes striées aux râteau des vent cosmiques et, face au ciel, les crêtes déchiquetées d’ammoniac et de gel. Espace perdu... le Dehors était irrécupérable : à cause des ouragans cosmiques, à cause des pluies de météore incessantes, à cause des vapeurs de nox... à cause de tout. Les sondes de cartographies que le gouvernement y lançait régulièrement, ne revenaient généralement pas, soit que le Nox les bouffât aux trois-quarts, que les trombes de vent les projetassent au sol, soit qu’on ne savait pas trop... Celles qui revenaient donnaient de toute façon des cartes inutilisables. La définition la plus claire que les pouvoirs avaient finalement donné au Dehors tenait en un mot : Zone. Et ce mot était le grand sac qui enveloppait tout, qui ne cherchait surtout pas à décomposer cette complexité mouvante de formes et de forces qui, au reste, faisait peur. La zone du Dehors, c’était simplement ce qui n’était pas Cerclon : un non-Cerclon si l’on voulait. Un non-lieu... Un non-lieu pour tous les délinquants, les tueurs, et les fous furieux. [...] L’immensité du Dehors, de cette face cachée qu’à cause du massif on ne pouvait pas voir Cerclon, s’offrait enfin à nous. Le vrai Dehors, c’était, le pur. [...] Je viens le chercher en moi, ici, parcequ’il est d’abord en nous, avant d’être cette sauvagerie qui nous donne le goût d’être et de nous battre ! Le Dehors c’est l’intime vent, court, vif, qui flue au fond de nos tripes. Il circule en nous [...] Quelquefois, au loin, surgissaient de grands sacs plastiques aux mouvements de fantôme qui nous dépassaient sans effort et sans bruit. Le ciel s’était éclairci. Au-dessus de nous, les nuages de méthane s’ouvraient par trouées comme des plaques élargies de rouille. Les filets d’ammoniac, rebondissant sur la chape d’oxygène de la ville, s’étaient rabattus sur le Dehors, où ils dériveraient lentement, flottant d’abord au-dessus du Nakkarst puis continuant leur voyage au-delà, longtemps, jusqu’aux agrégats de glace, dans ce monde crevassé de cratères fixes et froids qui, en quatre milliards d’années, n’avaient jamais vu le soleil. [...] » Intériorité La Zone du Dehors, p. 18 « [...] L’intériorité est un piège. L’individu ? Une camisole. Soyez toujours pour vous-même votre dehors, le dehors de toute chose [...] »


Dehors politique La Zone du Dehors, p. 79 ; 80 « [...] - Notre but [...] consiste à construire, en dehors des pouvoirs, à côté, et surtout pas contre eux, une communauté d’individus responsables, avec des valeurs [...] notre but n’était pas de détruire mais de construire, pas de critiquer mais de proposer autre chose. [...] » Le cube radioactif La Zone du Dehors, p. 85 ; 501 ; 505 ; 507 ; 525 ; 526 ; 543 ; 550 « [...] Le Cube était décidément le seul édifice qui dans cette ville donnait une idée de la grandeur. Il surplombait Cerclon au point qu’il n’était pas un lieu d’où l’on ne se sente écrasé par sa masse de métal plombé - écrasé et élevé à la fois. [...] Le cube servait de dépotoir illimité aux trois Cerclons ainsi qu’aux stations orbitales de Saturne, récupérant depuis un demi-siècle, tout ce dont nos sociétés n’avaient plus que faire. Un monument au Mort pour les ordures [...] la Zhext, la Zone d’Hostilité EXTrème comme ils l’appellent dans le jargon. Il y a à côté de moi M. Dfq, ingénieur général du Cube [...]— Volontiers. Très schématiquement, la Zhext se présente comme un empilement compact de déchets métalliques On y trouve également des éléments minéraux — pierre, roche, béton — des rebuts chimiques et plastiques, du bois et, bien— entendu, des déchets nucléaires. Bien que nous le nettoyions sans cesse par des infiltrations d’acide, le Cube n’a rien de la masse tranquille que vous voyez de l’extérieur. Il est soumis en permanence à des champs magnétiques extrêmement violents qui déplacent des couches de déchets, compriment des zones, en dilatent d’autres ou créent ce que nous appelons des clives, c’est-à-dire de grandes failles internes. C’est le premier problème. Le second concerne évidemment les radiations. L’intensité des compressions en vient parfois jusqu’à fracturer le socle de plomb des fûts radioactifs. Certaines zones, notamment vers la base du Cube, deviennent ainsi particulièrement riches en radioéléments. Nous les surveillons. Enfin se posent de graves problèmes d’échauffement. La température de la Zhext [...] Le Cube vit. Il vit. Quand vous entrez en lui, vous sentez qu’il le sent. Il est vivant. On ne sait pas ce qui se passe au centre... [...] une sorte de nécropole pour déchets industriels, un vaste cimetière pour les rebuts infâmes irrecyclables, ce qu’on appelle la matière noire. [...] Enfin, parmi les théories mystiques ou intellectuelles les plus courantes, la Zhext serait la réincarnation de la planète Terre. [...] Un groupe d’analystes est lui convaincu qu’elle est l’inconscient collectif de Cerclon, le Surmoi incarné dans la matière... [...] on peut éteindre le soleil avec un interrupteur. Tous les climats, tous les espaces possibles et vécus de Cerclon y sont. Mais pliés. Pliés. Chaque zone renferme sa propre structure de dépli qu’il faut trouver, puis actionner, et vivre pour passer à la zone suivante. Qui ne déplie sera courbé par l’effroyable densité du lieu. Sphérisé. Il faut déplier, devenir avec le dépli et passer avant que la zone ne se compacte à nouveau. [...] Le Cube est l’exacte envers de Cerclon [...]Son autoportrait fractal. Chaque nuit alors que la ville se lave, efface les marques du temps et refait lisse son visage, le Cube en chacun de ses déchets prend un pli, il capture le temps et apprivoise l’animal... tandis qu’à l’extérieur la fausse jeunesse qui se prutéfie étale à l’encan ses surfaces de vitres et sa peau laquée. Le miroir avale l’image. [...] Ce que Cerclon fait, elle l’oublie aussitôt - donc le refait et le répète. Mais le Cube, lui, qui contient tout, ne stocke que la différence entre deux objets, c’est-à-dire son usage, son usure, ce qu’il a retenu de vie [...] radioactif comme je suis, il n’y a plus d’image possible de moi ! Plus d’identification qui puisse mordre sur le cadre de mes pommettes ! Je suis devenu un pur bruit vidéo qui passe… [...] je me sens libre [...] revenir de l’envers du monde [...] »

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L’horizon La Zone du Dehors, p. 202 « [...] Tu ne vas pas jusqu’au bout de tes idées. Tu marches vers l’horizon alors que tu devrais vivre à l’horizon - et l’horizon ce n’est pas le ciel, c’est la terre parcourue. C’est le désert quand tu le traverses de bout en bout. Agis ta pensée ! Fais-là courir au sol ! [...] » Les grands espaces La Zone du Dehors, p. 275 « [...] Ils ont connu la Terre, les grands espaces... [...] Ils ont connu les arbres en bois, des vrais lacs, l’air pur, le vrai, ce que c’est qu’un horizon et les voilà au milieu des turbines et des tours de verre avec vue sur la plus belle décharge du cosmos ! [...] » Anarkhia La Zone du Dehors, p. 542 ; 560 ; 585 ; 586 ; 589 ; 590 « [...] Tu te rappelles ce qu’on voulait faire sur Pluton ? Tous les plans de la cité, l’organisation, les réseaux ? - Anarkhia ? […] - On va le faire ici. Dans le Dehors. [...] C’est un projet de communauté que nous avons élaboré pour Anarkhia. […] Au pays évidemment. Il parlera d’une dune. Et nous, on le relayera des autres dunes. La foule sera au milieu. Il faut se préparer pour la polyphonie. [...] — Je vous propose que tous ensemble, nous construisions une nouvelle cité qui ne doive plus rien à Cerclon, une cité qui poussera dans le Dehors vierge ! — Et plus qu’une cité, des vinages ! — Et plus qu’une société, des communautés libres, unies, entre elles, avec leur propre économie, leurs propres lois, leurs propres écoles ! — JE VOUS PROPOSE DE PARTICIPER À LA FONDATION D’ANARKHIA I, PREMIÈRE POLYCITÉ VOLUTIONNAIRE DU COSMOS HABITÉ ! [...] Anarkhia I ne ressembla que d’une manière lointaine aux images que nos longues années de combats avaient fini par en former — mais la réalité dépassa en richesse et en âpreté ces visions finalement pauvrettes de villages unis par la douceur et l’amitié... Tout autour de Cerclon, à des distances parfois audacieuses, le premier mois vit essaimer une multitude de chantiers fiers, splendidement isolés au bord d’un cratère, au pied des dunes voire au beau milieu de la plaine ! Mais la puissance des rafales de Nox eut tôt fait de favoriser des regroupements sans lesquels le simple fait de respirer fût devenu impossible. La soif d’espace le céda donc aux exigences de la survie et l’entraide, inhabituelle chez quelques-uns, devint, sous l’empire de la nécessité et du désir, la règle joyeuse de tous. Une première structuration de l’espace en découla : le rayon de soleil. Bâties le long des adductions d’oxygène qui partaient de Cerclon et se prolongeaient le plus loin possible, les premières cités ressemblèrent à des villes de western. Puis, à mesure que la guerre de l’air remporta ses premières batailles, les rayons disposés autour de Cerclon (et comme émanant de son soleil paternel), se ramifièrent plus subtilement. L’espace se diversifia et la géométrie perdit de son emprise pour une anarchie de forme plus en accord avec celle des communautés qu’elle abritait. [...] » Premier village La Zone du Dehors, p. 588 « [...] Je ne sais pas combien de personnes ont participé cette nuit-là à la construction des toutes premières cabanes dans la zone du Dehors. Peut-être cinquante mille ; alimentés en air par tin pipe-line artisanal qui fuyait, en rupture totale de masques à ox, mais poussés par une fièvre héroïque, les pionniers du premier village du Dehors, bâti de brique et de sable à un kilomètre de Cerclon, méritent de figurer dans l’épopée


de ce qu’on appellera bientôt les Hornautes, comme des précurseurs fous. Vingt-quatre héros moururent asphyxiés cette nuit-là pour que sorte de terre la première preuve tangible d’une volution qui allait faire des petits dans tout le système solaire : trois petits hameaux de plein vent, aux toits rouges, qui ressemblaient à un village de Schtroumpfs. [...] » Magnitorgorsk La Zone du Dehors, p. 591 « [...] Commençons par Magnitogorsk. Magnitogorsk, référence mythique des métallos, était des cinq « grandes » cités, sur un plan strictement architectural, la plus impressionnante. Construite sur le modèle d’une forteresse en hexagone, avec deux cuves empilées à chacun des six angles pour servir de châteaux d’eau, elle était « protégée » par une enceinte d’échafaudage (la tôle s’arrachait au vent) qui servait surtout de promenade. Au pied de l’enceinte couraient des douves à oxygène qui ne fuyaient pas (une rareté !) et qu’enjambaient, sur chacune des arêtes, six ponts-levis. Magnitogorsk s’enorgueillissait de l’unique « immeuble » de tout le dehors : un transporteur gris de quinze mètres de haut sur cent de long, percé d’ouvertures au chalumeau, qui servait de rempart au vent cosmique. Derrière s’éparpillaient des maisons brutes, de facture très personnelle, et dont le seul point commun était que tout ce qui n’était pas métallique en avait été expulsé. Une esthétique d’industrie lourde se dégageait de tout ça, mais comme sublimée par le velours rouge du sable espaçant le bâti. Les structures d’acier y ressortaient telles des bagues d’argent massif sur un écrin.[...] » Gomorrhe La Zone du Dehors, p. 591 ; 592 « [...] Non loin de Magnitogorsk, au milieu de la plaine, se trouvait la cible favorite des médias. Gomorrhe, puisqu’il s’agit d’elle, avait été construite à base de cuves retournées et assainies. À l’intérieur, la générosité des mécènes anonymes avait permis d’aménager des salles marquetées de bois rares et tendues de somptueuses draperies de soie, avec au sol, parsemés, des couches et des lits « enrichis » pour le plair de tous. Certaines cuves ouvraient sur de savants labyrinthes de marbre rose où la chair s’y courbant tranchait sur la dureté minérale. [...] » Horville La Zone du Dehors, p. 593 « [...] À l’opposé, Horville s’imposa très vite comme la cité majeure du Dehors, à la fois par sa situation enviable et par la diversité des âges et des origines sociales de ceux qui s’y implantèrent. D’abord cantonnée sur le pourtour du Bol ébréché, la ville s’éleva très vite sur le flanc des collines jusqu’aux pierriers qui précédaient le Chaos, antichambre du Dehors sauvage. Renonçant à tout plan d’urbanisme, malgré les cris des architectes voltes, nous laissâmes les foyers s’installer où et comme ils le désiraient. Le résultat ? Insolite. Ça commençait anthracite près du cratère avec des sortes d’igloos taillés dans la roche légère et poreuse qui tapissait le volcan. Puis on trouvait de la brique rouge et des toits de tôle avec des murs droits et des angles nets. Plus haut, de petits palais ingénieux utilisaient la pierre ocre et des joints de sable pour se fondre dans le paysage. Encore plus haut, éblouissants sous le soleil, des tronçons de fusée et des containers polis calés sur des blocs. Enfin, campées dans le pierrier et dominant le tout, d’authentiques maisons de montagne en pierre apparente qui semblaient issues d’une recomposition magique de celles qui gisaient à leur pied ! [...] »

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Villages La Zone du Dehors, p. 596 « [...] Putain, on avait réussi à construire en trois mois plus de soixante mille maisons ! À inventer de toutes pièves des modèles de société dont personne avant nous n’aurait même imaginé la grandeur ! [...] » Virevolte La Zone du Dehors, p. 598 ; 599 « [...] Inaccessible en véhicule, la construction de Virevolte se fit avec les pierres et les rochers récupérés dans le gigantesque éboulis derrière nous. […] Des nouvelles possibilités de vie. Virevolte était pour la philosophie une sorte de jardin d’Epicure [...] Ce qui comptait : NOVER. Faire ce qu’on ne savait pas faire. Toujours se tenir à la pointe de l’extrême de son savoir, là où tout nouveau pas, droit vers le gouffre, créait le sol qui le soutiendrait [...] » Désert La Horde du Contrevent, p. 696 ; 649 « [...] Le désert les gars ! Et certainement aucun village [...] Le point n’est qu’un relais, un passage entre deux déserts, entre deux velds, entre deux mondes [...] » Campement La Horde du Contrevent, p. 626 ; 621 ; 550 ; 211 « [...] Le cosmos est mon campement [...] Nous nous tenions, comme toujours en fer-à-cheval autour du feu central, face à lui. [...] N’acceptons pas que l’on fixe, ni qui vous êtes, ni où rester. Ma couche est à l’air libre. [...] Soyez complice du crime de vivre et fuyez [...] Ils plantent des pieux aux sols et ils suspendent des bouts de chiffons ! [...] mais en fait ils savent rien qu’en se dressant et en fermant les yeux [...] Nomades tels que nous l’étions, dans chaque cité ou hameau, dans une grotte sèche aussi bien qu’une doline, sous abri ou à la belle, nous nous sentions partout chez nous et partout étrangers, n’ayant eu de la notion de foyer, depuis l’enfance, qu’une conception abstraite et distanciée [...] » Villages en bonne forme La Horde du Contrevent, p. 653 « [...] ces villages ouverts à vau-vent désormais, ces forteresse en vrac, dérisoires, comme vieillis dans la nuit, avec leurs pierres bradées sur un tapis de sable, autant de bijoux épars à ramasser. […] ce monde horizontalisé, devant ce champ de bataille sans riposte ni ennemi, où rien n’avait été vaincu mais tout lavé à grande eau de bourrasques, tout renouvelés et redonné à nos pas, à notre simple trace. [...] » La flaque La Horde du Contrevent, p. 500 ; 498 ; 466 ; 463 ; 419 « [...] c’est une zone inondée mais non recouverte, faiblement noyée si vous voulez. Trois jour de beau laisse apparaitre de grandes îles, mais rien de continu, rien qui s’étende, des bouts d’archipel ça et là un peu partout. [...] C’est un désert, un désert de terre et d’eau ! [...] Il nous avait convoyé en zone centrale pour nous montrer le lac immense vierge de tout îlesur une distance inhumaine de nage [...] grand désert de flotte [...] Zone centrale du lac [...] » La cratère La Horde du Contrevent, p. 143 « [...] Ma première sensation fut d’être avalé par l’espace. Le crique glaciaire de Brakauer m’avait impressionné par l’am-


plitude de son arc de cercle et a hauteur de ses parois, par la masse de vide surtout que l’œil pouvait englober depuis le sommet [...] » La limite du monde La Horde du Contrevent, p. 85 « [...] Krafka n’était la proue d’aucun navire, la terre continuait[...] » Le RECIF Les Furtifs, p. 27 « [...] Arshavin a déplacé le café, réorienté les caillebotis, fait bouger les places et les bancs, décalé les arbres et allongé un peu le lac en abaissant les bondes. Il a fait couvrir quelques verrières, en a découvert d’autres, incline les rampes d’accès, condamné des portes et des porches et réaffecté sans doute un ou deux dortoirs en sites de chasse, laissant exprès une signalétique contradictoire. C’est toujours le Récif (Recherches, Études, Chasse et Investigations Furrives), c’est toujours là que se forme l’’elïte des cîiasseurs, e est toujours la même vocation pédagogique et militaire bien que ce ne soit jamais, d’une semaine sur l’autre, la même architecture, jamais la même implantation du bâti et des places, jamais les mêmes cheminements, la même répartition programmatique, jamais la même distribution entre espace intime et public, volume clos et entr’ouvert, entre chaleur et fraîcheur, pénombre et lumière, porosité des coursives et barrières physiques. Ainsi l’a voulu Feliks Arshavin. [...] » Envers Les Furtifs, p. 236 « [...] Je comprends que ce monde rêve d’un envers ! De quelque chose qui lui échapperait enfin, irrémédiablement, qui serait comme son anti-matière [...] » Forêt Les Furtifs, p. 506 « [...] En franchissant le seuil de la forêt, vous le devinez, on perd sa société mais on s’ouvre un dehors [...] la forêt n’est pas simplement un refuge, une cachette pratique pour les sans-bagues et les fliqués. C’est un monde d’intensité. Extrêmement tissé et prenant. Les premières semaines, tu ressens une solitude assez écrasante, tu souffres du manque de soleil puis ça devient vite l’inverse : trop plein de signes, de traces de présences, de relations avec la lumière, l’humus, les plantes, la pluie... [...] Des espaces de fuites possibles vers la mer au cas où. Des falaises, des sentes, des chaos rocheux, des restes de bâti [...] La forêt constitue l’espace privilégié de cette disparition, à l’évidence. L’objectif est de dissimuler la communauté sous le couvert végétal. Ce qui impliquait pour eux une topographie neuve, faite de collines, de ravins, de végétation touffue, de marais, de mangroves... L’exact inverse de l’espace panoptique et quadrillé de la plantation. Comme elle est pour nous l’exact inverse de la visibilité féroce de la ville. [...] »

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