KRAZY KAT volume 1 - 1929 à 1934

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George Herriman dans une photo non datĂŠe distribuĂŠe par International Film Service, New York.


KRAZY kat de George Her r iman

Planches du dimanche

1925-1929

Traduction : Marc Voline Maquette et lettrage : Camille Aubr y

Les RĂŞveurs


Édité par les Rêveurs en 2012 83 rue Condorcet 93 100 Montreuil www.editionslesreveurs.com Copyright Les Rêveurs 2012 pour l'édition française. KRAZY KAT TM Hearst Holdings, Inc. Excepté où c'est noté, les photos, illustrations, et documents ont été prêtés par la San Francisco Academy of Cartoon Art. Dépôt Légal à parution ISBN : 978-291-274-75-87 Second tirage imprimé en février 2013 par SIAZ Toulouse. Remerciements : Aude Charlier - Camille Aubry - Marc Voline - Le chef Max David Hernando - Paul Baresh et Kim Thompson chez Fantagraphics Books ¡ GRACIAS ! MERCI ! THANKS! GRAZIE ! A DANK ! Parmi les nombreuses personnes dont il a sollicité l’aide et testé la patience, le traducteur tient à remercier sa consœur Sionann O’Neill, pour avoir accueilli à toute heure, avec une équanimité sans faille, ses questions les plus incongrues ; Arthur Asa Berger, pour avoir extirpé de sa crypte son papier fondateur sur les origines de Herriman, alors qu’il avait d’autres chats à fouetter ; Jeet Heer, pour lui avoir aimablement communiquée ses articles et sa connaissance ; Michael P. Jensen, pour avoir généreusement partagé sa science shakespeavrienne ; Art Spiegelman, pour s’être penché avec bienveillance sur le projet, depuis ses premiers balbutiements ; et tout particulièrement Michael Tisserand, pour lui avoir fait profiter de quelques précieux scoops de sa biographie – en cours – de Herriman, et offert, depuis l’autre côté de l’Atlantique, une écoute et un soutien constants tout au long de ces longs mois à tenter de décrypter le Kat. Ce livre, comme beaucoup d’autres, passés et à venir, n’aurait évidemment pas été possible sans Bill Blackbeard (1926-2011), qui par ses efforts inlassables a sauvé du néant des pans entiers du patrimoine de la Bande Dessinée, et de sa prose acérée en a illuminé la genèse et le legs.


K RAZ Y K AT


KR & A


RAZY KAT N N É ES F O LLES par Marc Voline

A

u moment où Ignatz lance la nouvelle année d’une brique bien assurée, ce 4 janvier 1925, Krazy Kat a atteint son âge classique, et la reconnaissance de l’establishment culturel. Propulsé sous les feux de la rampe dans le ballet jazz de John Alden Carpenter, adoubé par le très trendy Vanity Fair, le Kat vient tout juste d’être sacré par le non moins hype critique Gilbert Seldes comme « l’œuvre d’art la plus amusante, fantastique et satisfaisante produite en Amérique aujourd’hui », aux côtés de Charlie Chaplin, George Gershwin et Picasso. En huit ans de pages du dimanche, le petit théâtre de Coconino s’est étoffé, rodé, et l’on aurait bien du mal à reconnaître, dans le langage fleuri des protagonistes — et le jargon élaboré du premier d’entre eux — les dialogues lapidaires de l’époque où Krazy et Ignatz étaient seuls à se donner la réplique.

questionnements philosophiques et aléas amoureux de Krazy. Les chansons, surtout. Si, en France, tout finit par elles, en Amérique, elles rythment la vie entière. On chante sans arrêt, partout, au travail, dans la rue, chez soi — refrains traditionnels comme nouveautés, dont les partitions, que le phonographe et la radio n’ont pas encore reléguées aux vieux papiers, s’arrachent par millions. Tout le monde chante et Krazy, éternel optimiste, le premier, qui entonne à tue-tête son amour pour Ignatz. There is a heppy lend, fur-fur awaaay… Le lecteur d’aujourd’hui, à qui l’on présente Krazy Kat comme la BD la plus fameuse de tous les temps, se demandera certainement comment un chat de genre indéterminé au jargon hermétique, se prenant, avec un ravissement suspect, une brique sur le beignet chaque jour que Dieu fait (et ce, pendant plus de trente ans) a pu être à ce point célébré. La réponse tient en ces deux mots : low-brow et high-brow, populaire et chic.

Dans le monde extérieur, le dernier quinquennat, avant la Grande Dépression, des Roaring Twenties — nom outre-Atlantique de nos Années folles — s’ouvre sur la prise de pouvoir de Mussolini. Il verra, pêle-mêle, la première exposition surréaliste, l’apparition de Mickey dans Plane Crazy (Krazy, lui, est depuis plus de huit ans sur les écrans ; Félix, cinq) et celle, en BD, de Tintin et Popeye ; la naissance du film sonore et de la TV, le massacre de la Saint-Valentin, la découverte de la pénicilline et de l’angel dust, la traversée de l’Atlantique par Lindbergh, la collectivisation des terres en URSS et l’ouverture du Musée d’Art Moderne de New York. Les tumultes du siècle, cependant, atteignent peu Krazy, davantage passionné, comme les Indiens, par les forces mystiques de la nature : ces éléments — vent, pluie, neige, foudre — qui rythmant le quotidien fournissent souvent l’argument du moment. Seuls quelques rares faits et débats de société, par leur ampleur, trouvent un écho dans le petit monde de Coconino. Ainsi, la prohibition, appliquée avec une rigueur outrepassant le droit par le très zélé Sergent Pupp, et la paix. La paix qui, alors que le dernier conflit est encore dans tous les esprits et que certains, comme H.G. Wells, entrevoient déjà le prochain, fait l’objet (outre les efforts assidus de Mrs. Kwakk Wakk) de multiples conférences et du premier traité international tentant de mettre la guerre hors-la-loi. Peu touchées par l’actualité, les pages dominicales de Krazy Kat sont en revanche imprégnées par l’air du temps. Chansons populaires, modes et gadgets du moment, fournissent contrepoints et récréations aux

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À l’instar de Shakespeare, qui plane sur toute son œuvre, Herriman fédère le peuple et l’élite, Broadway et Park Avenue. D’un côté, par son ancrage dans une longue tradition comique, et de l’autre par ses fulgurances novatrices, visionnaires, propres à séduire artistes, intellectuels et faiseurs d’opinion dans une époque avide d’expérimentation. Low-brow / high-brow, low-life / high-life, on ne sort pas de cette équation, dans le siècle comme dans notre Coconino de papier, dont les citoyens font assaut de généalogies aristocratiques et de relations huppées (toutes inventées), face à un Kat qui clame sans vergogne être né dans une lessiveuse, dans le grenier d’une maison hantée. Si Herriman parle à tout le monde, c’est aussi qu’outre le rire, universel, son langage est celui de la poésie. Et c’est par la poésie qu’il faut aborder Krazy Kat aujourd’hui. La poésie propre à exprimer l’indicible, éclairer les plus insondables mystères. Le premier d’entre eux étant la rencontre d’un chat… et d’une souris.

Semblable à celui de la Belle au bois dormant, ce baiser va réveiller tout le monde. Le chat, qui jusque-là quasi muet, se fait disert pour chanter sa flamme ; la souris, qui confrontée à ce nouveau challenge, doit redoubler de malice, et le public, ravi par ce développement inattendu et plein de zeste. Les frasques de nos compères sont bientôt légendaires. Ils n’ont pas six mois qu’un journal les cite en exemple de comique absurde, tandis qu’un autre offre de renommer la saint Valentin « Krazy Kat Day ». C’est le succès ! — qui décide Hearst à donner au Kat, le 28 octobre 1913, son propre strip, et trente mois plus tard sa page du dimanche.

Tout commence en juin 1910, quand paraît dans le New York Journal, vaisseau amiral de William Randolph Hearst, une nouvelle bande de George Herriman intitulée The Dingbat Family. Comme toute famille qui se respecte, les Dingbat ont un chien et un chat. Celui-ci va couler en bas de case des jours aussi mornes que ceux de la nouvelle série, qui peine à trouver ses marques. Jusqu’au 26 juillet où, suite à une inspiration de génie, la famille fait l’objet d’une double attaque : tandis que les voisins du dessus s’avèrent une redoutable nuisance, surgie du dessous, une souris lance une bille à la tête du chat qui n’en revient pas. Au fil des jours, d’autres projectiles suivront.

Mais revenons à ce baiser initial. À partir de lui, le chat réveillé, révélé à lui-même, se lance dans l’exploration de ces deux grands mystères, intimement liés : l’amour et le langage — élaborant peu à peu le discours amoureux propre à exprimer ses sentiments, et la rhétorique par laquelle, avec la force imperturbable que lui insuffle sa passion, il va imposer sa différence et faire exploser les certitudes de son entourage. Dans la construction de l’une comme de l’autre, il fait feu de tout bois, multipliant références et idiosyncrasies langagières.

Emballé par ce jeu inversé du chat et de la souris, initié par Herriman « pour combler le vide », un garçon de bureau prénommé Willie l’enjoint de poursuivre, et lui fournit des idées ! La bénédiction de l’employé confortée par celle de l’éditeur, les duettistes poursuivent leurs ébats dans un micro-strip sous celui des Dingbat. Quand un beau jour d’automne — pris par quelle lubie ? — le chat qui s’est fait rosser tout l’été dépose un baiser sur le front de la souris endormie. « J’ai rêvé qu’un ange m’embrassait », dit celle-ci en reprenant ses esprits.

La première des références est évidemment shakespearienne. Très tôt, l’amour de Krazy pour Ignatz est placé sous le signe de Roméo et Juliette, bientôt omniprésents. Mais il emprunte aussi à la tradition orientale, sous le parrainage d’Omar Khayyam, le chantre soufi de l’amour et (en cette

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période sèche) du vin. Ensuite tout y passe : chansons — déjà citées — proverbes, citations d’auteurs de toutes les époques… constituant autant d’indices pour le lecteur, et autant de strophes à l’ode amoureuse à Ignatz qu’il ne cesse d’écrire, d’étoffer, comme l’auteur d’Évolution, qui composa son poème à sa bien aimée, strophe après strophe, au fil de longues années. Et dans les multiples scénarios qu’il invente ou reconstruit pour mettre en scène sa passion, peu importent les genres, peu importent les rôles, sujets à d’infinies permutations. Ce qui demeure, c’est l’amour, qui transcendant toutes les apparences, traverse les siècles et les éons.

parle en Arizona, un soupçon d’allemand… et bien sûr de l’américain, écrit fonétikement, selon la tradition comique en vigueur. Ajoutons à cela, pour le langage fleuri dont font assaut Ignatz et le Sergent Pupp, l’influence du théâtre élizabethain et de la prose dickensienne, et nous aurons une petit idée du langage de Coconino. Mais si Herriman s’inscrit dans la tradition — des générations de bateleurs et d’écrivains, Mark Twain le dernier en date et couronnement du genre, ayant utilisé écriture phonétique et parlers vernaculaires comme ressort comique — il va beaucoup plus loin. Premier héros philosophe de la BD, ce qui sans doute séduira Schulz, l’auteur des Peanuts, et Watterson, celui de Calvin & Hobbes, Krazy en est aussi le premier linguiste. À l’inverse d’Humpty Dumpty (un des ses héros personnels) qui colle les mots les uns aux autres pour créer ces fameux mots-valises conjuguant les significations de leurs composants, Krazy les déconstruit pour créer, comme il l’entend, une nouvelle phrase riche de sens entièrement nouveaux. De la même manière, il déconstruit les assises mêmes de ses interlocuteurs, substituant à leurs préjugés pétrifiés un monde sans cesse changeant.

Quant au langage même de Krazy, comment est-il passé du babil primitif des premiers strips au mix babélien qui a tant marqué lecteurs et critiques ? Passionné par la langue, Herriman va gonfler le langage du Kat — jusqu’à arriver à ce jargon qui n’appartient à nul autre et dont lui-même aimait à user — de toutes celles qu’il pratique et, à en croire Gunboat Hudson, autre garçon de bureau, et futur reporter, elles sont nombreuses : « Ole boy George dessine Baron Bean et Krazy Kat. Avez-vous remarqué tout l’espagnol que George utilise dans Krazy Kat ? On pourrait croire qu’il est bidon mais ce n’est pas le cas. Honnêtement, il assure. Il parle à peu près quatorze langues — presque toutes les langues — sauf l’américain. Hoban et moi sommes les meilleurs Irlandais qu’on puisse trouver, et George essaie de s’immiscer dans la conversation, en invoquant on ne sait quelle ascendance celtique, mais ça ne prend pas. Deux, c’est assez, dans une pièce, pour représenter une nationalité. En plus, si Herriman dit à quelqu’un d’autre qu’il est irlandais, cela sera un terrible coup pour Hoban et moi. Si Herriman persiste à se prétendre irlandais, Hoban et moi deviendrons tous deux Suédois. »

Le langage cependant, ne sert pas uniquement à Krazy à chanter son amour et damer candidement le pion à ses concitoyens. Il utilise ses méandres et ses métamorphoses pour défendre grandes causes et petites gens. Farouche partisan de la parité (ainsi demande-t-il à Ignatz, qui lui vante le grand fleuve qu’est le Mississippi, s’il y a aussi un Mister Sippi, ou devant un papaya tree (papayer), où est la mamaya), il soutient le combat des suffragettes. Mais peut-être, me direz-vous, est-ce parce que leur arme emblématique est… une brique ! De la brique, justement, me ferez-vous remarquer, nous n’avons pas parlé. Pas plus que du sexe de Krazy, qui aura bientôt fait couler plus d’encre que celui des anges. Si nous ne l’avons pas fait, c’est que l’une et l’autre, tels l’arbre cachant la forêt, occultent le vrai sujet. Eh oui ! Comme le dit Krazy, ç’a commencé si simple — et fini si compliké . Revenons donc à l’essentiel :

Grâce à Michael Tisserand, en train d’œuvrer, en ce moment même, sur la première biographie de Herriman, nous savons que la langue maternelle de celui-ci, né dans une famille créole de la Nouvelle-Orléans, est certainement le français, très présent dans les strips du début. Vient ensuite, évidemment, le créole. Dans sa partie la plus apparente, le jas katien est un mélange de Yat, le dialecte américain de la Nouvelle-Orléans, et de « Brooklynese », celui de New York, plus proches qu’on ne pourrait le penser, du fait de l’immigration commune aux deux grands ports, irlandaise en particulier. Dans ce pot commun on retrouve donc des éléments d’irlandais, d’italien, de yiddish, auxquels il faut ajouter l’espagnol mexicain tel qu’il se

au début il y a un chat et une souris

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L'HOMME DERRIÈRE LE CHIEN DERRIÈRE LA SOURIS DERRIÈRE LE CHAT George Herriman, 1880-1944 par Bill Blackbeard

Il y avait en lui beaucoup de Dickens, de Lewis Carroll, de W.C. Fields, de vaudeville et de comédie populaire, et manifestement, aussi, beaucoup d’Eliot, de Joyce et d’Ubu Roi. Mais George Herriman était cent dix-huit et demi coconino pour cent… George Herriman, un homme qui aurait froncé le sourcil à la mention de ces noms, beaucoup plus présents dans notre appréciation de l’artiste aujourd’hui que dans la vision qu’il avait de lui-même – vision, semble-t-il, d’une modestie frisant l’effacement. Il aurait certainement apprécié les analogies avec Dickens, Carroll et Fields (esquissant un sourire à l’inclusion de Chaplin et Laurel & Hardy) mais renâclé un peu face aux autres. Chose étonnante pour un cartoonist aussi révéré et renommé de son temps, l’intellectualité de Herriman demeure inexplorée. Nous avons de lui des lettres pétillantes au plus médiocre des illustrés coquins des années 1920, des critiques cocasses des films de Chaplin dans des magazines de cinéma (écrites comme par Krazy), mais pas un mot signé de sa main dans les périodiques littéraires et artistiques majeurs de cette époque marquante des arts. Vanity Fair, qui l’a inscrit à son Hall of Fame et lui a fait faire une page du Kat à la manière des planches du dimanche, n’a pu tirer la moindre ligne de prose ou de vers hors-comics de son timide maître. La recherche au peigne fin de la vie du cartoonist dans Krazy Kat : The Comic Art of George Herriman (Harry N. Abrams, 1986) ne révèle pas le moindre soupçon de ses goûts littéraires ou visuels. Nous savons qu’il adorait visiter les vieux studios de Mack Sennett à Hollywood et tailler le bout de gras avec le réalisateur et les comiques, mais nous ignorons quelles galeries il fréquentait, ou quels livres peuplaient ses étagères. Nous ne connaissons même pas sa réaction à l’Armory Show (bien qu’y figure une peinture de Rudolph Dirks, le père des Katzenjammer Kids). Tout ce que nous avons, c’est Krazy Kat. Tout ce que nous avons, en bref, c’est un univers de fantaisie et de poésie, et la comédie la plus échevelée de ce côté de Charley Chase et des Marx Brothers. En fin de compte, cela nous dit tout ce que nous avons vraiment besoin de savoir sur Herriman, et le choc de la reconnaissance est le nôtre.

Couverture de la partition pour piano du ballet de John Alden Carpenter, Krazy Kat (1922) avec des illustrations originales de George Herriman.

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Tour à tour coiffeur, boulanger et tailleur, le Père de Herriman eut la bonne inspiration, en 1886, d'emmener sa famille (dont George, alors âgé de six ans) des miasmes de la Nouvelle Orléans au rêve ensoleillé de Los Angeles. Dès qu’il le pouvait, George s’esquivait de l’apprentissage correspondant à la lubie momentanée de son père pour poursuivre son chemin avec sa plume, son encrier, et ce qui allait devenir l’imagination graphique la plus radicalement originale du vingtième siècle. Tout ce qu’il faisait se vendait ! Ses pleines pages de strips sortaient tout de suite dans les plus grands journaux ; ses dessins humoristiques lui rapportaient des dollars vite et bien venus des magazines d’humour de l’époque, Judge et Life ; ses personnages captivaient d’entrée éditeurs et lecteurs. De Professor Otto et Musical Mose en 1902, il enchaîne Lariat Pete et Two Jolly Jackies en 1903, puis Major Ozone, Bud Smith, Zoo Zoo, Baron Mooch, Alexander et The Dingbat Family et cela semble sans fin. Même après être entré, à son insu, dans l’immortalité avec Krazy Kat, il multiplie les fantaisies graphiques dans Baron Bean, Stumble Inn et Us Husbands au cours des années 1910 et 1920. Et tout ce travail, dans la moindre de ses minuties, est un délice visuel et une symphonie de fantaisie subtilement à contretemps, sans rien de comparable dans la bande dessinée avant ou depuis. C’est, bien sûr, l’œuvre d’un génie. Un ancêtre d’Ignatz ? Ancien bol indien exhumé du désert d’Arizona.

Il n’y a guère plus à dire. La vie de Herriman était très calme, principalement consacrée à sa famille et à son travail. Il aimait beaucoup les excursions dans le grand désert américain si adroitement dépeint dans son œuvre, en la joyeuse compagnie de collègues cartoonists comme Rudy Dirks, Jimmy Swinnerton et Tom MacNamara. Il chérissait la vie de famille, et était très fier du grand talent de cartoonist de sa fille Bobbie. Titillé par Archie and Mehitabel, la série de livres délirants de Don Marquis, il finira par illustrer les trois dans une réédition en un volume devenue un classique et un parfait mariage des talents d’auteur et artiste. Il souffrira de quelques médiocres adaptation en dessin animé de Krazy Kat sans être autorisé à ajouter la touche de supervision qui aurait pu les rendre merveilleux. Il entretenait une large correspondance, arrosant amis comme ceux qui lui écrivaient pour la première fois d’aquarelles originales et de strips qu’il avait eu le bon sens de tirer des oubliettes du syndicate. Pour lui c’était une vie plutôt bonne, heureuse, et manifestement inspirante. Il était unique en son genre. Contemplez son œuvre, mortels, et esclaffez-vous. Quelque part, au-dessus d’un arc-en-ciel coconinien, il pourrait bien être en train de s’esclaffer avec vous. En silence et timidement, bien sûr.

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LE BOUFFON DE COUR Hearst, Herriman et la mort du nonsense par Ben Schwartz*

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n 1944, l’Amérique a un goût insatiable pour ce que l’on pourrait appeler la « comédie de la réalité ». La star numéro un au cinéma et à la radio est Bob Hope, le roi de la tchatche et des vannes d’actualité. Quand il ne brocarde pas les gros titres, il les fait, émettant souvent en direct du front pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les succès de Preston Sturges au box-office, The Miracle of Morgan’s Creek (Miracle au village) et Hail the Conquering Hero, s’attaquent aux sujets chauds du moment comme les « épouses de guerre » et le faux patriotisme. La même année Li’l Abner, d’Al Capp, parodie Frank Sinatra puis Dick Tracy dans ce qui va devenir un classique immortel, Fearless Fosdick. Guerres mondiales, culture pop et maux sociaux – tout cela est bien loin de Coconino County, endroit fantasque où la réalité n’a jamais vraiment pris pied. Mais l’humour américain a quelque peu changé depuis 1913, quand Herriman, sur l’injonction de son éditeur et fan number one, William Randolph Hearst (alias The Chief), créait Krazy Kat. C’est aujourd’hui un élément central de la légende de Herriman qu’en dépit de sa base fidèle de fans et d’intellectuels, Krazy Kat n’a pas toujours connu les faveurs du public. Des décennies durant, Hearst dut soutenir personnellement Herriman, lui offrant pages du dimanche, doubles pages et couleur malgré les appels de ses éditeurs à l’arrêt du strip. Les temps changent, et Herriman n’est pas le seul. Ses contemporains dans d’autres champs de l’humour populaire – cinéma, vaudeville et théâtre – font face aux mêmes défis culturels. Soit ils coulent, soit ils nagent avec l’époque, et comprendre le déclin populaire de Herriman revient à comprendre le sens de l’humour de toute sa génération. Pour être juste avec M. et Mme Tout-le-monde, George Herriman était un artiste exigeant. Ceux qui attendaient un simple gag se retrouvaient souvent perdus dans son imagerie dense, son goulasch dialectal et ses changements fantasques de lieu et de perspective – le tout teinté d’ironie et d’émotion. Alors, oui, ces gens allaient être perplexes et abasourdis en permanence. Mais dans les premiers temps de sa carrière, Herriman n'a pas ce genre de problèmes. Entré dans le cartoon avec un certain nombre de contributions à des magazines d’humour populaires comme Judge, en 1910, il écrit et dessine The Dingbat Family (bientôt renommée The Family Upstairs) pour William Randolph Hearst. La bande a un bon succès, et en 1913, Hearst suggère à Herriman de donner leur propre espace au drôle de chat et à la drôle de souris qu’il a ajoutés au strip. Ces personnages, bien sûr, sont Krazy Kat et Ignatz Mouse. * Critique bande dessinée de la Los Angeles Review of Books, Ben Schwartz a écrit sur les comics pour le New York Times, Bookforum, Comic Art, le Los Angeles Times et le Washington Post. Après avoir dirigé l’anthologie Best American Comics Criticism (2010), il travaille actuellement à une histoire de l’humour américain entre les deux guerres.

En tant que duo, Krazy et Ignatz ne sont pas très éloignés des fameux comiques de l’époque, Weber & Fields, rendus incroyablement populaires par leur combinaison de slapstick violent et de guerre verbale. Ils jouent tous les deux des immigrants en costume fantasque à pantalons bouffants, le «Meyer» de Fields maltraitant systématiquement le « Mike » de Weber, mais toujours avec un rassurant « J’t’aime, Mike ! ». Le mélange de briques et de cartes de la Saint Valentin de Krazy et Ignatz colle parfaitement avec le goût du public. Les Marx Brothers commencent leur carrière à cette époque, comme le Charlot de Chaplin et le W.C. Fields des Ziegfield «Follies», avec ses numéros de golf et de billard. Incarné par l’épopée comique de Mark Twain, Les Aventures d’Huckleberry Finn, qui n’a pas 35 ans, le mélange de slapstick verbal et physique est alors standard. Au cours de sa première décade, la diffusion de Krazy Kat grimpe de manière régulière et en 1916, Hearst offre à Herriman une planche du dimanche. Herriman lui-même tourne au vaudeville, et Krazy Kat est la star des premiers dessins animés de Hearst. Après la Première Guerre mondiale, Herriman se retrouve en phase avec une autre tendance, le nonsense sophistiqué de la Table Ronde de l’Algonquin. Au début des années 1920, les membres de la Table, Dorothy Parker, Robert Benchley, George Kaufman, Alexandre Woolcott, Deems Taylor et Ring Lardner (entre autres) montent même leurs propres revues – « No, Sirree! », puis « The Forty-Niners ». Dans la première, Benchley inaugure « The Treasurer’s Report », qui égratigne le conformisme à la Babbitt de l’Amérique d’après-guerre. Pour la seconde, Parker et Benchley écrivent « Néron », un sketch dans lequel le cardinal de Richelieu médite sur Dieu et le sirop d’érable, et Lardner offre « The Tridget of Greva (translated from the Squinch) » où trois hommes – Louis Barbooter (the « tridget »), Desire Corby (« a corn vitter ») et Basil Laffler (« a wham salesman ») – pêchent sur leurs barques en parlant de tout et de rien : Barbooter : Au fait, c’était quoi le nom de ta mère, avant qu’elle se marie ? Corby : Je la connaissais pas, à l’époque. Ils appellent ça « crazy humor », un humour dénué de sens commun, qui se suffit à lui-même. Dans un monde en convalescence d’une guerre mondiale brutale, cela correspond au goût de l’Amérique pour les speakeasies, le jazz et le défi face à l’appel simpliste du président Harding à un retour à la « normale ».

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C’est ainsi que Krazy rencontre de la Génération Perdue. Les frères les faveurs de l’intelligentsia. courent toujours après les blondes, En 1922, John Alden Carpenter mais dans Animal Crackers ils monte son ballet Krazy Kat et trouvent le temps de débusquer Gilbert Seldes écrit dans Vanity Fair le faisan sous le marchand d’art l’article qui deviendra la base de son huppé et de parodier l’Étrange essai fondateur, « The Krazy Kat Interlude d’Eugene O’Neill pour le That Walks by Himself », proclaplus grand plaisir de l’honorable mant Krazy la plus grande assemblée. œuvre d’art produite en Amérique. Grâce à Hearst, devenu son Bientôt, Vanity Fair intronise plus ardent défenseur, le monde Herriman dans son Hall of Fame. fantaisiste de Herriman demeure Herriman a atteint un sommet intouché. Les rédacteurs locaux de culturel comique de succès critique l’empire font remonter des lettres et populaire que seuls Chaplin, de lecteurs se plaignant qu’ils Twain et Will Rogers ont connu n’y « comprennent tout simpleavant lui, et peu depuis. ment rien», certains demandent l’arrêt du strip, mais la réponse est En 1922, donc, Herriman s’est fait toujours la même : Continuez à le W.C. Fields et un ami, dans Never Give a Sucker an Even Break (Passez muscade), 1941. un nom. Et au sommet de son succès publier. Pourquoi ? Parce que le il rapatrie sa famille à Los Angeles. Chef aime, voilà pourquoi. L’action est symbolique d’un autre La loyauté de Hearst signifiait changement des années 1920. que Herriman pouvait continuer à Si Gilbert Seldes a correctement travailler sans se soucier des exigences du public qui régissaient identifié Herriman comme le seul la carrière de ses collègues. véritable expressioniste du comic Non qu’il les ignorât, car il avait, strip, la tendance montante est au lui aussi, un écho des lecteurs. modernisme, et celui-ci va chasser Un jour, il reçut la visite d’un les expressionnistes de la ville. fan troublé, le jeune réalisateur Le modernisme cherche une Frank Capra. Herriman avait rupture avec la période d’avantun petit coin de bungalow aux guerre. En l’occurrence, le passé studios d’Al Roach où Capra, alors signifie les excès du vieux monde. âgé d’une vingtaine d’années, Une tendance au Moins-c’est-plus travaillait comme gagman sur la s’impose, incarnée dans le design série Our Gang. Dans un moment du Bauhaus, la prose minimaliste d’interrogation transgénérationd’Hemingway, les coupes au carré nelle, Capra posa à Herriman une et l’élégance lisse des nouveaux Ci-dessus, les Marx Brothers (Harpo, Zeppo, Groucho et Chico) dans un cliché publicitaire non daté — probablement de Monkey Business (Monnaie de singe), 1931. question simple et de bon sens : gratte-ciel de l’Amérique. Le Krazy Kat était-il un garçon ou une fille ? La réponse de Herriman donne modernisme balaie la culture, et la comédie américaine ne fait pas exception. une idée de ce qu’il pensait des temps nouveaux et de l’humour de bon sens Au milieu des années 1920, l’humour ethnique et les pantalons boufqu’ils exigeaient : fants de Weber et Fields ne font plus recette. Le clochard de Chaplin «  Je reçois des dizaines de lettres qui me demandent la même se trouve lui-même éclipsé, au box-office, par l’«homme ordinaire» d’Harold chose. Je ne sais pas. J’ai joué avec cette idée autrefois, commençant à Lloyd, dont les lunettes constituent l’aspect le plus frappant du costume. penser que Krazy Kat était une fille – j’ai même dessiné des strips où Les comiques montants ne ressemblent plus à de drôles d’Italiens, elle était enceinte. Ce n’était plus le Kat ; trop obnubilée par ses petits Irlandais ou Juifs. Jack Benny, Bob Hope ou Burns & Allen jouent des problèmes – comme un feuilleton à l’eau de rose. Vous voyez ce que je veux Américains intégrés en costume classieux, parlant un bon anglais et ne dire ? J’ai alors réalisé que Krazy était un peu comme un lutin, un elfe. frappant jamais personne – encore moins avec une brique. Ces comiques Ils n’ont pas de sexe. Ainsi le Kat peut être il ou elle. Le Kat est un lutin troquent les pantalons bouffants pour ce que leur parolier, Al Boasberg, – un farfadet – libre de mettre son grain de sel dans tout. Ne croyez-vous baptise la «smart dress» comedy, ou comédie en tenue soignée. pas ? » W.C. Fields met sa nature absurde au diapason et crée un « homme « Je ne sais pas pour Krazy Kat, Mr. Herriman, lança Frank Capra, ordinaire » tout aussi hilarant pour des films comme Running Wild mais s’il y a un lutin dans les parages il est en face de moi, en train de fumer (Dans la peau du lion, 1927) et plus tard It’s a Gift (Une riche affaire, 1934). la pipe. » Des années plus tard, Capra devait retrouver cette impatience L’actrice Louise Brooks résume bien la tendance lorsqu’elle dit de Fields : dans Mr. Deeds Goes to Town (L’Extravagant Mr. Deeds, 1936). Dans la « Au théâtre, c’était un personnage de fantaisie jouant dans un monde de fameuse scène finale au tribunal, le plein de bon sens Longfellow Deeds fantaisie. Au cinéma, c’était un personnage réel jouant dans des histoires (Gary Cooper), est accusé de démence pour, entre autres, avoir rossé réelles. » quelques Chevaliers de l’Algonquin au déguisement transparent (ceux-là Et les Marx Brothers ont un coup de chance. En « découvrant » l’équipe même qui adoraient Herriman et taxaient l’œuvre de Capra de « Capraen 1925, le critique Alexander Woolcott et ses amis de l’Algonquin vont corn »). Les principales accusatrices de Deed, une paire de frêles vieilles les propulser au firmament – en particulier Harpo, qui aurait pu être dames, sont discréditées devant la cour lorsque elles reconnaissent que, créé par Herriman. Irving Berlin et George S. Kaufman écrivent bientôt oui, bien sûr, elles croient aux lutins. leurs spectacles, transformant les frères de losers de vaudeville en primitifs

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S’il ne faut pas nous étonner de l’indifférence du public envers une œuvre aussi complexe que Krazy Kat, il n’est pas inintéressant de voir pourquoi Hearst, le grand populiste, lui vouait une telle dévotion. Après tout, chaque colonne de son empire reposait sur la séduction des masses. Le monde se souvient de Hearst, aujourd’hui, comme d’un businessman impitoyable et cocardier, ou peut-être sa caricature par Orson Welles dans Citizen Kane. Mais un coup d’œil à sa vie privée fait apparaître le Kat autant comme une expression du magnat que du cartoonist. Tous deux Californiens, Hearst et Herriman quittent New York pour la Côte Ouest (dès que leur carrière le leur permet) animés du désir de se créer un univers amusant et excitant. Avec son imagination, Herriman le réalisera principalement sur le papier. Avec son argent, Hearst va le faire sortir de terre. Ils conçoivent leur maison, Herriman à Los Angeles, et Hearst son ranch délirant de San Simeon, qui va littéralement devenir le Coconino County du Chef. Tandis que les canards et les chats de Herriman arpentent improbablement le désert d’Arizona, San Simeon, défiant toutes les lois de la nature, pullule d’autruches, zèbres et girafes jaillis du zoo privé du Chef. Singes-araignées, lions et ours poursuivent et mordent les invités, au lieu, supposera-t-on, que la souris locale lance des briques. Herriman a un zoo, lui aussi, qui entretient quelque treize chats et cinq chiens dans sa maison. Le clash culturel cinétique de l’Amérique les fascine tous deux. Hearst l’utilise pour vendre des journaux à ses audiences ethniques urbaines, mais il l’affectionne également sur le plan personnel. Architecturalement, Hearst envisage son ranch comme un «bungalow helvético-nippon», et ses goûts éclectiques le portent des bains romains aux tapisseries médiévales, de l’argenterie edwardienne à la statuaire égyptienne antique. De même, dans ses bandes, Herriman infuse aux lieux navajos des voix, des thèmes et des personnages shakespeariens, yiddish, chinois et égyptiens. Mais avant tout, Hearst et Herriman aiment les gens drôles. Hearst n’a cessé de les rechercher depuis son passage, alors qu’il était étudiant, au magazine satirique Harvard Lampoon (sa première expérience à éditer des cartoons) jusqu’à ce qu’Harvard le renvoie pour ses blagues continuelles. À San Simeon, ses invités de prédilection sont les blagueurs comme Chaplin, Harpo Marx, et l’impétueuse fiancée du Chef, Marion Davis. De même, Herriman choisit de travailler dans les studios d’Al Roach ou de Mack Sennett, foyers respectifs de Laurel & Hardy et des Keystone Kops. « Krazy Kat se sent comme chez lui au milieu de tous ces crazy comics », explique-t-il. On pourrait penser que diriger un conglomérat médiatique et passer ses journées assis à un bureau à créer des cartoons félins exige des personnalités radicalement opposées, mais Hearst et Herriman étaient spirituellement soudés par la hanche. Vue à cette lumière, la défense personnelle de Krazy Kat par Hearst fait bien davantage sens au milieu de l’orientation de masse du reste de son empire.

Et W.C. Fields trouve son plus grand succès à la radio, en jouant les seconds violons auprès de la marionnette d’Edgar Bergen, Charlie McCarthy. Herriman essaie d’aller avec son temps et développe des scénarios élaborés dans ses strips quotidiens. Mais dans «Tiger Tea», où l’herbe à chat ultime est introduite à Coconino County, il montre peu l’inclination pour l’actualité de ses collègues plus « réalistes » Al Capp, Chester Gould ou Harold Gray. Et il est peu probable que Frank Capra ait jamais eu à demander à Al Capp si Daisy Mae était un garçon ou une fille. Tandis que la diffusion décline, le Chef tente à nouveau de promouvoir Herriman en lui offrant la couleur pour ses pages du dimanche. Alors que les contemporains de Herriman s’adaptent à la dure réalité de la Dépression, Hearst permet à son homme de batifoler créativement comme il l’entend et lui donne de meilleurs outils pour le faire. Mais le passage à la couleur n’attire pas les lecteurs escomptés. De plus en plus, Herriman devient un bouffon de cour pour un public d’une personne. Hearst et Herriman vont tenir jusqu’aux années 1940, période qui voit le dernier souffle de la génération de Herriman. Chaplin envoie Charlot à la retraite avec The Great Dictator (Le Dictateur, 1940) film sur un tyran terriblement réel. W.C. Fields, enfin, obtient carte blanche, et réalise ses ultimes chefs-d’œuvre absurdistes, The Bank Dick (Mines de rien, 1940), et Never Give a Sucker an Even Break (Passez muscade, 1941). Dans Passez muscade, Fields parle pour toute une génération. Jouant son propre rôle, il essaie d’expliquer son nouveau scénario nonsensique au pointilleux directeur de studio Franklin Pangborn. Le scénario de Fields le fait sauter d’un avion après une flasque de gnôle et atterrir dans une « Russie » où les autochtones portent des gauchos et des sombreros. Pangborn demande à Fields d’expliquer à quoi tout cela rime, ce dont il est évidemment incapable. Passez muscade fera un flop au box-office, et sera le dernier film avec Fields dans le premier rôle. Le problème du comédien, désormais, ce n’est plus les censeurs, mais les spectateurs pétris de bon sens. Un autre échec retentissant sera Fantasia, du fan de Herriman Walt Disney, un pur mélange de musique et de fantaisie cartoonesque – quelque chose qui n’avait pas été tenté, peut-être, depuis le ballet de Carpenter près de vingt ans auparavant – narré par le fidèle de Herriman, Deems Taylor. Quand le public eut manifesté une parfaite indifférence, Disney tourna le dos à l’art pour l’art jusqu’à la fin de ses jours Sous la protection de Hearst, Krazy Kat prospéra jusqu’à la mort de Herriman en 1944. Hearst lui rendit hommage en mettant fin au strip plutôt que de le laisser poursuivre par des imitateurs – non que le public se soit levé pour protester ! En 1944, Krazy Kat ne paraissait plus que dans 38 quotidiens. Hearst avait donné à Herriman un contrat à vie pour qu’il continue à l’amuser, et les deux hommes avaient tenu leur part du marché. Hearst lui-même disparut en 1951. Il avait commencé sa carrière avec les cartoons au Harvard Lampoon, et jusqu'au bout il conserva le dernier mot sur tout nouveau comic strip entrant dans ses journaux. Comme l’œuvre de la vie de Herriman, le rêve sans fin intitulé Krazy Kat, San Simeon demeura un work in-progress, officiellement « inachevé » au moment de la mort du Chef. L’essai de Gilbert Seldes est souvent cité. Mais les pensées de Seldes sur les comics 25 ans après méritent également d’être répétées. En 1957, il n’y trouvait plus de plaisir, même dans les œuvres de Crockett Johnson, Walt Kelly ou Al Capp. « Je me heurte à un mur, ici », écrit Seldes. « Année après année, encore et encore, j’ai tenté de suivre un comic strip – et échoué. Comme si j’étais devenu aveugle. Le plus près de la réussite où je me sois trouvé était chez Al Capp, mais quand, cédant à une pression qu’il ne pouvait identifier lui-même, il flancha et laissa Li’l Abner épouser Daisy Mae, je l’abandonnai. »

À l’arrivée de la Dépression, Hearst, ayant investi dans l’immobilier et non à la bourse, souffrit peu. Le Chef s’accrocha à quelques valeurs sûres, parmi lesquelles Krazy Kat et le contrat à vie de Herriman. Celui-ci aura peut-être considéré comme un présage favorable l’acquisition par Hearst, dans une de ses frénésies d’achat légendaires, d’un antique buste en granit de Sekhmet, la déesse lionne égyptienne, qu’il plaça sur l’esplanade sud de San Simeon. Car ces deux chats noirs étaient porteurs de chance, non de malheur. En même temps qu’il s’était assuré que le goût changeant du public ne dérangerait pas son artiste, Hearst s’était assuré que la faillite financière du monde occidental ne l’atteindrait pas davantage. Mais pour Herriman, l’ère de la fantaisie triomphante se réduit à présent à une flamèche. En 1933, Jack Benny et son co-auteur Harry Conn ont créé une forme d’humour radiophonique nommée « situation comedy » qui place Benny dans un intrigue différente chaque semaine. Les Marx Brothers sont passés de la loufoquerie Années Folles de Duck Soup (La Soupe au canard, 1933) à des films beaucoup plus sensibles (mais moins drôles), reposant davantage sur l’histoire comme A Day at the Races (Un jour aux courses, 1937).

Grâce à Hearst, de telles pressions non identifiables – i.e. bon sens, réalité, sujets brûlants, logique, continuité, caractérisation, histoire – n’eurent jamais une grande influence à Coconino County. Dans cet unique endroit, de telles pensées étaient… pour les lutins.

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Page dessinée spécialement par Herriman pour le numéro de janvier 1930 de Vanity Fair.

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Quand Hearst introduisit les actualités au cinéma au milieu des années 1910, il décida qu’un journal filmé devait avoir sa section BD. Il ajouta donc à sa livraison hebdomadaire de courts dessins animés, d’environ quatre minutes chacun. Cette Page de Cartoons Magazine de Mars 1916 célèbre l’arrivée de Krazy Kat et sa bande dans les cartoons series, où il rejoignait Happy Hooligan, Mutt & Jeff et autres héros des comics passés au grand écran. Les dessins de chaque côté du portrait de Herriman sont extraits du dessin animé, auquel le père de Krazy et Ignatz ne prit aucune part.


1925



Mesdames et Messieurs, les citoyens de «Coconino», désireux de célébrer en grande pompe le trépas de la «vieille année» et l’arrivée de la «nouvelle», ont requis les services de leurs deux plus talentueux plébéiens Krazy Kat incarnera «1924» – tandis qu’Ignatz Mouse ajoutera du lustre à l’allégorie de «1925». Et donc,  comme  dirait «Kay Cibi», «je vous remercie».

Le «Rocher Pendule» de Kaibito sonne la «Media Noche» et ses échos frémissent sur les falaises kramoisies de Kayenta» – et les rayons de lune dans l’étang d’Oljeto s’ondulent d’un millier de rides et les sables mouvants de Shanto dansent à son vacarme assourdissant autrement dit, «C’EST MINUIt"

Et les voici - en pleine RÉpÉTiTiON la «brique», emblème d’un départ aussi vif que soudain, passera de l’un à l’autre, de la main de «1925» à la tête décrépite de «1924» - et donc, citant à nouveau «Kayci Bi» «je vous remercie».

Sape Et jerlott n’ai nie la juridiction le pouvoir pourni arrêter ça c’est affr eux

ur quoi - la «vieille année» entame son pèlerinage vers les «ombres», du sombre, humide et glacial ossuaire des ans passés». Va-t’en, disparais dans la tombe des années mortes, ô fantôme c’est MOi qui t’y envoie

POW

Jamais «Coconino n’avait assisté à une performance si pleine d’entrain, de verve et de vigueur –jamais –

Aïaïe, Ignatz, j’suis

en retard, quelqu’un a trafiqué mon réveil excuse-moi

Bonne année, «sergent Pupp»

4 janvier 1925

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Bonne ânée, «sergent Pupp»

La pareille -


un vieux petit «bâton» de l’année dernière - modèle «1924»- et nous sommes en «1925» -

Moi, une souris habituée au seul «dernier cri»- avec une «brique» modèle «1924» ça n’va pas aller.

Fi de ce «bâton» vieux jeu - Vite, à la «bâtonnerie» pour acquérir un nouveau «modèle 1925», ainsi qu’il sied à un «flic» à la page comme moi.

À moi, une «brique  modèle  1925», avant d’entamer une nouvelle journée de lancer de brique -

Viens  par  ici - t'as  beau être un  modèle «1924»,

t'es toujours une

«brique»

Reviens voir «papa» ma  petite

Et tu peux au moins me procurer un frisson « modèle   1925».

chérie -

Un  modèle «Joie» 1930 que je l’appelle

Tout va bien, finalement.

11 janvier 1925

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Tout  en «brique» - et désert, en  plus - Oh, si je pouvais posséder un tel

édifice.

Et pourquoi ne pourriez-vous pas le posséder, Monsieur ? Vous  pouvez  l’acheter, n’est-ce L’acheter ?? pas Gosh

C’est à vendre ?

Alors, tu l’as acheté, hein ? Eh bien, vire-moi  ça  de   ce terrain  -  Y’a assez longtemps que ça traîne -

Filez-moi «deux dolls et six balles» et voyez si vous ne possédez pas cette structure.

VENDU

Enfin Me voilà délivré des griffes de «Kolin Kelly» j’ai dans cette maison un stock inépuisable de «briques» pour cabosser la caboche de ce «Kat».

Comment  ça, enlever    cette maison de ce terrain Est-ce que je n’achète pas le terrain, quand j’achète la maison, hein ? N’outrepassez pas votre autorité, sergent Pupp, je connais mes droits, moi.

Attrape-moi ce vieux «décor de film» et vire-le de ce terrain comme je te l’ai dit -

Sapristi, se peut-il que son amour se soit refroidi «P’tit  lâcheur»

rascal

18 janvier 1925

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«Deux et six» Nom d’un chien - j’parie que j’aurais pu lui en tirer «trois» aussi bien


Ma brave «maréchaussée», gardienne du bien et bien être publics - l’heure est proche où vous ne cabosserez plus la caboche du criminel d’un bâton - Non, non, non - Non vous le châtierez d’un baiser et d’une boîte de bonbons et le renverrez meilleur qu’il n’était -

Bravo, «M’sieur l’maire» !!

J’suis si ravi que l’«sergent Pupp» approuve Le maire a raison -

e Maire de «Coconino» délivre aux forces de l’ordre un discours d’«amour fraternel»accueilli avec grand enthousiasme, et force lancers de «képi & bâton»

Adieu au  crime -

El’enthousiasme t plus le maire parle, plus monte, et plus

Hourrah

pour un monde rempli d’anges -

Hourraaaaah

véhéments se font les lancers de «képi & bâton» Ce sera un bien doux triomphe -   - si j’y arrive

J’espère vraiment qu’il continue à lancer ses képi  &  bâton en l’air

andis que non loin de ce cercle extatique, une souris escalade un poteau télégraphique

J’LES AI

Les voilà

Victoire

Aussi, ma chère «maréchaussée», devez-vous inaugurer aujourd’hui cette ère d’"amour fraternel» - Traitez le pécheur avec douceur - Donnez sa chance à la «crapule» - relevez le frère tombé à terre - soyez gentil avec lui l’amour triomphera - ...

A-A-A-A-HHH OUi

25 janvier 1925

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Stupide «mouse» ! Il n’y  a  personne. Ce n’est que le son de ta voix qui rebondit vers toi - un écho simple affaire d’acoustique - vois-tu.

Pourquoi donc, «Sergent Pupp», quand je yodle,  ou hurle un yo-ho, ces  falaises me répondent ?    Y  a-t-il quelqu’un là-dedans qui s’en charge ?

es falaises de Kaibito recèlent mille échos. Et Ignatz, tout ouïe, s’en fait dresser le topo - par le "Sergent Pupp”. Jamais je n’aurais imaginé que le «son» rebondisse - n’y a-t-il  pas quelque mystère  derrière tout ça ?

J’ai fort envie, «sergent Pupp», de jeter cette «brique» contre la falaise pour voir si elle aussi rebondit, en «écho», comme un yodle ou un yo-ho.

Ce n’est pourtant que le «son» qui rebondit, idiot. L’«acoustique» est derrière  - et non quelque «mystère» issu de ton esprit émoussé.

Bon, je vais reprendre ma ronde  doucettement. Tant que ce stupide «mouse» tente  de  résoudre     les complexités de l’«acoustique» en lançant une brique sur  une falaise, je n’ai pas à me soucier du krâne klassique de Krazy dans l’immédiat N-n-non.

Voilà, je l’avoue, un désir qui  t’honore, «Mouse», et je t’engage vivement  à  tenter  l’expérience. Il est  plus sain pour ton propre

bien  être  de jeter cette «brique» sur une falaise plutôt que sur

le noble occiput de cet aimable « Krazy Kat» - de plus, j’estime que c’est un essai méritoire en «acoustique» - Ou-ais-

Ah-h - D’un flacon  ou  d’une outre, je  savais  que  viendrait bientôt un  massage  d’amour  DE  LUi - mon p’tit

«infarktusse» -

L’ascension de la «brique»

Ohoho  Cet «ÉCHO» me cause - Enfin mon expertise en «acoustique» me rend service.

Le rebond sur la falaise Le choc

La jolie manière dont cette "brique" a rebondi de cette falaise sur la "Kaboche" de ce "Kat" compense largement ma triste ignardise en "échos" et "acoustique" Ohouiiiii -

L’«Écho»Très   acoustiquement correct

1er février 1925

21

Si l’«acoustique»est encore bonne - Il  va y avoir de multiples «échos» de «coups» dès que je l’attrape Le pleutre


1929


10 fĂŠvrier 1929

226


C’est que de l’argile, «Ignatz» l’argile dont tant de  jolies choses est fait-

Ouais, mais que va-t-il advenir de tout ce surplus de pâte qui traîne, libre et inutile. Pfaa - c’est de la boue, et une sacrée

Il a été dit par des gens trrès, trrès savants, que toi et moi, et moi et toi est fait d’«argile» -

«Boue»moi j’appelle ça de la

BOUE

cochonnerie

De la poterie

de premier choix est faite en «argile», souviens-toi de ça, chairi.

Eh bien, je l’ai drôlement konvainku de ses erreurs le p’tit sceptik».

Oui, et ça me fait des jolies crêpes sur les pieds mais à quoi ça rime -

Vive la «boue» ça fait des «briques» -

Une «brique» volante «Sergent Pupp»,

voyez ?

Hum oui.

Tiens, justement demande à Mr Kelly en quoi sont faites les «briques» demande-lui

BOUE -

Et les «briques»

font les «prisons».

Oui -

m’sieur -

17 février 1929

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«Argile», merlan frit ! pétrie, moulée et cuite par le meilleur briquetier de Coconino «MOi»-


Les grands esprits ont recherché la solitude Pourquoi pas moi ? -

Le tiqueur   j'étais sûr qu'il me faisait marché

N’est-ce pas une affreuse perte de votre temps précieux, «Sergent Pupp»passer une journée à me surveiller ? - Pourquoi ne pas en finir et me jeter en prison maintenant ?

Circule, «Kat, circule -

Arrière, «brique»– arrière  Je ne veux point de toi -

Tu sais que t’as de bonnes idées, toi, parfois ?

VOUS -

Nul autre, «Mouse» et à te voir l’air si innocent - je vais me planter là avec toi oui, m’sieur

Ce «Krazy Kop» ne soupçonne pas la faveur qu’il me fait - aah, me pâmer dans l’abandon, et tremper mon cœur dans la solitude -

24 février 1929

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Une bande de «poivrots»-

chantaient «Sweet Adeline - ma prison est pleine, je peux les caser dans la vôtre ?

Bien sûr, «Shérif», flanquezles avec "Ignatz Mouse», il a l’air seul et bluesy


krazy not e S 1 9 2 5 -1 9 2 9

p a r B i ll B la ck b e a r d e t M a r c Vo li n e

4 janvier 1925 — "Kay Cibi"

18 janvier, 25 janvier, 1er févier 1925 —

Cette référence apparemment cryptique était saisie au quart de tour par les lecteurs de 1925. "KCB" était le nom de plume d’un célèbre éditorialiste de chez Hearst qui composait son – assez chichiteuse – chronique quotidienne sur Allen Sundry (Monsieur Tout-le-monde) en vers comiques fragmentés d’une demi-douzaine de mots, concluant son propos d’un sempiternel « Je vous remercie ». Herriman avait précédemment pastiché la célèbre rubrique dans un strip de Krazy Kat rendant hommage à son collègue Tad Dorgan.

Ces pages sont des reprises, respectivement, des planches des 16, 9 et 23 décembre 1923.

11 janvier 1925 — Heppy Lend Le hit absolu de Krazy, chanté à tue-tête et à l’envi par notre Kat favori. « Ses accents simples sont les premiers que les voix enfantines apprennent à balbutier, et les derniers murmurés par les saints à l’heure de leur mort », dira un digne révérend de « There Is a Happy Land », écrit en 1838 sur un air hindi par le poète et professeur écossais Andrew Young (1807-1889). Dabord chantée dans ses classes, cette petite hymne, traduite dans toutes les langues, va faire le tour du monde et connaître mille avatars. Jusqu’à devenir, dans la version des Abyssinians – « Satta Massagna » (1969), titre le plus repris de toute l’histoire du reggae –, une hymne rasta !

1er février 1925 — Les « Echo Cliffs » sont des falaises qui serpentent sur une soixantaine de kilomètres, à l’ouest du Parc national du Grand Canyon, dans Coconino County, entre The Gap et Lee’s Ferry. Flanquées par la United States Highway 89, elles longent Marble Canyon dans leur partie septentrionale. L’écho est un des thèmes récurrents dans Krazy Kat. Voir la planche du 19 mai 1929.

8 février 1925 — shule ! shule ! shule agra ! Shule, asucur, agra shule, aaron Viens ! viens ! viens, ma mie – Viens doucement, viens, mon amour ! Refrain du poème lyrique, de style macaronique (avec les couplets en anglais et le refrain en irlandais) « My Mary of the Curling Hair » (Ma Marie aux Cheveux Bouclés) du romancier, poète et dramaturge irlandais Gerald Griffin (1803-1840). S’il se chante sur l’air du traditionnel « Shule, agra », (Va, mon amour !), lamentation d’une femme que son amant quitte pour embrasser la carrière des armes, il est écrit du point de vue exactement opposé. C’est ici le garçon qui appelle sa fiancée et lui chante son amour à l’approche de leurs noces prochaines.

15 février 1925 — Rock a bye … Sock a bye « Rock-a-bye Baby » est une ancienne berceuse dont la première version imprimée connue apparaît dans le recueil de comptines anglaises, Mother Goose’s Melody, or, Sonnets for the Cradle, publié par John Newbery, à Londres, vers 1765. La version la plus répandue est la suivante : Rock-a-bye baby, on the treetop, When the wind blows, the cradle will rock, There is a happy land, far, far away, Where saints in glory stand, bright, bright as day; Oh, how they sweetly sing, worthy is our Savior King, Loud let His praises ring, praise, praise for aye. Come to that happy land, come, come away; Why will you doubting stand, why still delay? Oh, we shall happy be, when from sin and sorrow free, Lord, we shall live with Thee, blest, blest for aye. Bright, in that happy land, beams every eye; Kept by a Father’s hand, love cannot die; Oh, then to glory run; be a crown and kingdom won; And, bright, above the sun, we reign for aye. C’est un heureux pays, loin, loin, très loin, Où les saints en gloire se dressent, rayonnants comme le jour ; Oh comme leur chant est suave, et noble notre Roi Sauveur, Que Ses louanges résonnent, louons-Le pour l’éternité. Viens dans cet heureux pays, viens, accours ; Pourquoi hésites-tu, pourquoi tarder encore ? Oh, nous serons heureux, quand libres du péché et de la peine, Seigneur, nous vivrons avec Toi, bénis pour l’éternité. Rayonnants dans cet heureux pays, tous les yeux étincellent ; Sous la garde paternelle, l’amour ne peut mourir ; Alors cours vers la gloire ; sois une couronne et un royaume gagné ; Et, rayonnants, au-dessus du soleil, nous règnerons pour l’éternité.

Oy, wam-pie : Accusant le kat incomplet de faire du plat à Ignatz, Krazy le traite de vampire, argot courant des années 1920 pour désigner une séductrice – cette "vamp" dont la star Theda Bara sera une des premières et plus fameuses incarnations à l’écran. Bill Cottrell : Le « Duc de Palm Street » remercié dans l’avant-dernière case, Bill Cottrell (1906-1995), est alors un jeune homme qui se fait un peu d’argent de poche en proposant des idées de gags à Herriman. Entré chez Disney comme cameraman en 1929 (il créditera plus tard les remerciements de Herriman de l’avoir aidé à décrocher ce premier job), il en deviendra le principal « réalisateur de rêves », participant à tous les longs-métrages et à la conception de Disneyland. N.B. N.B. La numérotation des lignes des pièces de Shakespeare, comme la division des actes en scènes, variant suivant les éditions, nous nous référons à la version etext du First Folio de 1623, identique sur tous les sites universitaires qui la donnent, en indiquant après le titre anglais l’acte, la scène quand il y a lieu, et la ligne. Sauf pour Périclès, absent du Folio, et Roméo et Juliette, là où le Folio donne un autre texte. La référence correspond à L’édition de la Royal Shakespeare Company (RSC) chez Macmillan. Les yeux verts de la jalousie : Emprunt au Marchand de Venise de Shakespeare (The Merchant of Venice, 3, 1456).

8 mars 1925 — réserve personnelle Les péripéties frénétiques de ce majestueux épisode apparaissent d’une limpidité totale si l’on se souvient qu’en 1925, la prohibition sévissait. Un peu plus loin, on pourra voir avec délice Joe Stork, corrompu par la pression sociale, se transformer en bootlegger, transportant des bouteilles plutôt que des bébés. Voir 27 janvier et 26 octobre 1924.

17 mai 1925 — La noche esta serena Ancienne et très tendre sérénade hispano-californienne : When the bough breaks, the cradle will fall, And down will come baby, cradle and all. Balance, bébé, en haut de l’arbre, Quand le vent soufflera, le berceau balancera Quand la branche cassera, le berceau tombera, Et patatras, bébé berceau et tout. La variante ignatzienne (avant-dernière bulle) joue sur les mots rock (balancer, bercer) et sock (frapper). Parmi les multiples théories, celle privilégiant une origine américaine l’attribue à la coutume des Indiennes de faire bercer leur bébé par le vent en suspendant le berceau à la branche d’un arbre, comme l’illustre, plus loin, la planche du 5 juillet 1925.

22 février 1925 — Caractérisé par son absence de queue, le manx, ou chat de l’île de Man, fera en janvier-février 1932, dans les strips quotidiens, l’objet d’une continuité étalée sur trois semaines. Mais dès 1929 on note la présence dans un concours félin d’un manx nommé Krazy Kat. Tout seul dans sa catégorie – taillée, si l’on ose dire, sur mesure –, il remportera un prix. (Reprise du 12 octobre 1924.)

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LA NOCHE ESTA SERENA La noche está serena, tranquilo el aquilón; Tu dulce centinela te guarda el corazón. Y en alas de los céfiros, que, vagan por doquier Volando van mis súplicas, á ti, bella mujer, Volando van mis súplicas, á ti, bella mujer. De un corazon que te ama , recibe el tierno amor; No aumentes mas la llama, piedad á un trobador. Y si te mueve a lastime mi eterno padecer, Como te amo, amame, bellisima mujer! Como te amo, amame, bellisima mujer! LA NUIT EST CALME La nuit est calme, le vent paisible ; Ta douce sentinelle te garde le cœur Et sur les ailes des zéphirs qui vaguent alentour Volent, vers toi, mes prières, belle femme, Volent, vers toi, mes prières, belle femme. D’un cœur qui t’aime, reçois le tendre amour ; N’augmente pas la flamme, pitié pour le troubadour. Et si ma souffrance éternelle t’émeut Comme je t’aime, aime-moi, sublime femme ! Comme je t’aime, aime-moi, sublime femme !


7 juin 1925 — Ne suis-je pas un "ver" ?

16 août 1925 —

6 décembre 1925 — oiseau du matin

Herriman prend au sens premier et le sujet et le verbe du vers de Shakespeare dans Henry VI, Troisième partie (Henry VI, Part Three, 2, 889), « The smallest worm will turn, being trodden on » (« Le plus frêle serpent se retournera contre qui l’écrase »), qui a donné le dicton « Even the worm will turn » signifiant que poussée dans ses retranchements, même la plus faible des créatures se rebiffera. Mais ici, notre vermisseau se contente de se retourner sur lui-même.

Que vient faire cet arbre empoté au milieu de la harangue du Sergent Pupp sur la noblesse de la brique ? Un coup d’œil aux pages suivantes révèlera d’autres vignettes centrales apparemment tout aussi incongrues, et ce presque jusqu’à la fin de ce volume. Le responsable n’est évidemment pas Herriman, mais nul autre que son principal mentor et champion parmi les journalistes nationaux, W. R. Hearst, soucieux de faire savourer à une plus vaste audience la superbe sorcellerie secrétée chaque semaine par le ballet de briques herrimanien. Hearst n’est que trop tristement conscient de l’aversion ressentie par le grand public des quotidiens. Et en 1925, il pense avoir trouvé une possible solution : frapper son énorme lectorat entre les deux yeux – zip, pow ! – en offrant à la brique un espace panoramique dans la première double page de l’édition dominicale de son quotidien vedette, le New York Evening Journal. Pour obtenir l’impact désiré par W.R.H., seules huit cases, très agrandies par rapport à celles du strip au format tabloïd, étaient nécessaires : quatre au bas de chaque page. L’effet était grandiose. Mais les autres quotidiens de Hearst, chacun avec son directeur, ne voulurent pas de cette apothéose cartoonistique dans leurs pages, amplement satisfaits de la version tabloïd qu’ils publiaient jusque-là. Le remontage au format tabloïd des huit grandes cases à présent dessinées par Herriman, cependant, laissait au centre un grand trou qu’Herriman, avec une félicité caractéristique, combla d’une vignette sans rapport [à première vue] avec la fantasque sarabande coconinienne alentour. À l’encontre du but recherché, le nouveau formatage permettra également aux éditeurs désireux de limiter davantage encore l’espace de la bande en la remontant sur une demi-page.

Variation herrimanienne sur « Early bird gets the worm » (L’oiseau du matin attrape le ver), version anglaise de notre dicton « L’avenir appartient à celui qui se lève tôt ».

28 juin 1925 — Kallalilli [calla lily] Il s’agit de la calla (Zantedeschia æthiopica), une plante tubéreuse de la famille des Araceæ originaire d'Afrique du Sud et devenue envahissante aux USA. Également appelée lys calla, lys arum, arum d’Éthiopie, c’est l’arum blanc des fleuristes. Extrêmement toxique du fait de sa haute teneur en acide oxalique, son contact peut causer irritations et lésions des yeux, de la peau et des muqueuses.

5 juillet 1925 — voir 15 février 1925.

2 août 1925 — Le lecteur aura peut-être remarqué, dans la première case, au mur de la petite maison, le patronyme de Sid Wilson, et dans l’avant-dernière, au-dessus de nos coconiniens usagers, ceux de J.P. O’Farrel, D.C. Lowrey et Colville (La Osa, Red Lake, The Gap et Kayenta étant des noms de lieux). Sid Wilson était un cowboy et aventurier texan qui, après avoir quitté le Wild West Show de Buffalo Bill alla chercher fortune à Lee’s Ferry, un site sur le fleuve Colorado, dans le Comté de Coconino, à 15 km au sud de la frontière entre l’Utah et l’Arizona, jadis connu pour sa communauté mormone et ses prospecteurs, aujourd’hui considéré comme le début officiel du Parc national du Grand Canyon. J.P. O’Farrel était un marchand de Tuba City, la plus grande communauté de la Nation Navajo, dans le Désert Peint, non loin du Red Lake. David Crockett Lowrey – "Buck" pour ses associés – était un marchand du Gap. Il ouvrira ensuite un comptoir à Lee’s Ferry. Clyde Colville était un bon ami de Herriman, et un partenaire des Wetherhill, le couple de pionniers, négociants et ethnographes chez qui Herriman demeurait lors de ses séjours en Arizona. Il était également le directeur des postes de la région de Kayenta. Herriman envoyait régulièrement des films pour qu’ils soient projetés au sanatorium de Kayenta, et Colville était la cheville ouvrière de l’opération. La Osa est une des dernières grandes haciendas encore préservées, grâce à Louisa Wetherill qui, en 1921, alors qu’elle cherche une tribu perdue de Navajos, découvre ce site historique et le transforme en une demeure d’hôtes devenue légendaire.

9 août 1925 — "seldésien" Herriman parle ici d’un distingué « patron des arts » nommé Gilbert Seldes, le premier à célébrer les merveilles de la bande de Coconino, en 1924, dans son best-seller The Seven Lively Arts, première œuvre d’envergure à oser suggérer que le comic strip pourrait bien être une nouvelle forme d’art (Chut ! La notion fait encore scandale !).

20 décembre 1925 — Sir "Walter Raleigh" Le nom de cet aristocrate anglais (1554-1618) – poète, soldat, espion et explorateur, introducteur du tabac à la cour et inlassable chercheur de l’Eldorado – est entré dans la mémoire populaire comme un symbole d’esprit chevaleresque et galant. D’après la légende, il aurait jeté son somptueux manteau sur une flaque boueuse pour éviter que la reine Élisabeth Ire (dont il fut un soupirant et favori) ne se souillât les pieds.

10 janvier 1926 — houx haie tu voir 27 septembre 1925.

17 janvier 1926 — Herriman adorait passer ses heures de loisir, loin de Higgins et Strathmore [encre de Chine et papier], aux studios Keystone, à côté de chez lui, où ses camarades du slapstick batifolaient chaque semaine dans deux nouveaux two-reelers [films de deux bobines, ou 20-24 minutes], pour ses grandes joie et édification. L’atmosphère ainsi capturée ressort un peu dans cet épisode très cinématographique, au plus grand délice de tous, sauf d’Ignatz qui aurait mieux fait de déguiser sa "brique" en tarte à la crème Keystone dont ni pluie ni kop n’auraient pu empêcher, sur ce plateau, la collision avec la cabeza de Krazy.

31 janv., 25 avril 1926; 10 nov. 1929 — chink Cette offensive épithète, désignant un Chinois et, par extension, toute personne d’originaire extrême-orientale, est bien connue des lecteurs de l’album de Tintin, Le Lotus bleu (1934), où Gibbons, le riche et antipathique industriel américain, en fait un usage immodéré. Elle est inséparable, à l’époque, de la phobie hystérique du péril jaune – cette invasion annoncée de l’Occident par des hordes d’envahisseurs asiatiques – entretenue entre autres par la presse Hearst.

14 février 1926 — Prends ça !!!

20 septembre 1925 — Kokonino Malgré la propension de Herriman à substituer, tout au long de son œuvre katienne, des « k » sonores aux « c » réglementaires, il laissa généralement intouché le nom du lieu, un bien réel Coconino County, en Arizona. Cet usage est une des rares exceptions (voir également le 14 octobre 1928).

27 septembre 1925 — Houe haie tu, "Ignatz" ? Cette interrogation plaintive qui, sous divers atours, ne cesse de revenir dans la bouche de Krazy (voir 10 janvier et 5 décembre 1926) renvoie au célèbre vers de Juliette, « O Romeo, Romeo, wherefore art thou Romeo? » (Romeo and Juliet, 2, 827) et aux générations de collégiens à qui il a fallu – et faut encore – rabacher que wherefore ne voulait pas dire où, mais pourquoi. « Pourquoi es-tu Romeo ? » demande en effet Juliette au jeune homme. « Renie ton père et refuse ton nom ». Dans la planche du 10 janvier 1926, au « Où es tu, "Ignatz" ? », Krazy ajoutera d’ailleurs « Et pourquoi ? ».

4 octobre 1925 — veau de lune (mooncalf) Animal difforme, monstre. Épithète dont Shakespeare taxe Caliban, le serviteur de Prospero, dans La Tempête (The Tempest, 2, 1149, 1154, 1180 ; 3, 1371-1372) pays de lait et de miel Mots décrivant dans la Bible le pays de Canaan, au moment où Israël le découvre. Nombres 13:27 ; Deutéronome 6:3, 11:8-9.

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Après le « Wherefore are you ? » sempiternel de Krazy (qui dans son esprit veut dire « Où es-tu ? » (voir 27 septembre 1925), le « Have at you ! » d’Ignatz – que l’on peut traduire par « Prends ça ! », « Voilà pour toi ! », « En garde ! » – est la deuxième locution shakespearienne la plus fréquente dans Krazy Kat. Cette exclamation, indiquant que l’on est sur le point de frapper la personne à qui elle est adressée (généralement avec une épée ou une arme de poing), est présente chez Shakespeare dans une dizaine de pièces, dont Hamlet (5, 3776) lorsque, au dernier acte, Laertes lance une attaque sournoise contre Hamlet, et Roméo et Juliette. Dans cette dernière, référence absolue pour Krazy Kat, elle est proférée au début, par Tybalt au moment où il se rue sur Benvolio (1, 70), à la fin, par Roméo, quand provoqué par Pâris il l’invite à se battre (5, 2923), et, entre les deux, au sens figuré, par le second musicien qui défie Peter des traits de son esprit acéré (4, 2701).

28 mars 1926 — votre "vaisseau" arrive Locution. « When ship comes in », ou « quand le vaisseau [de quelqu’un] arrivera » signifie « quand [cette personne] deviendra riche et couronnée de succès ». Hosteen : Terme navajo de respect, pour les hommes, signifiant « honoré ».

16 mai 1926 — Aiguilles Hurlantes Les « Thunder Needles », une des formations géologiques spectaculaires de Monument Valley.

23 mai 1926 — "Ajax" Ajax fils d’Oïlée, héros de la guerre de Troie ; si intrépide, dit le poète, que les Dieux, avec leurs foudres et leurs tempêtes, ne purent dompter son audace. Son bateau englouti, hissé sur un rocher, il les bravait encore. Kiva : Pièce ronde, profondément enterrée, où les Indiens Pueblos tiennent cérémonies religieuses et conseils sacrés.


11 juillet 1926 — Depuis son apparition vers 1200, la fable des souris attachant un grelot à la queue du chat – connue dans le monde anglo-saxon sous le nom de Belling the Cat et immortalisée, chez nous, par La Fontaine et son Conseil tenu par les rats – a connu un succès constant, au point de devenir proverbiale. Voir aussi 11 novembre 1928.

18 juillet 1926 — Sweet as the roses in sunshine Remix ignatzien de « Baby, Baby » (paroles de Hugh Morton, musique de Gustave Adolph Kerker), une chanson de l’opérette The Lady Slavey, jouée au Casino Theatre, à New York, en 1896. En voici le premier couplet : Lovers are silly young things, you know. And I am as silly as any; I've worn two engagement rings, you know, But two, you'll agree, are not many. My heart was once put in a whirl, you know, I think, by a fellow named Willie; He called me his dear baby girl, you know. And I liked it, although it was silly. For there's something in the term of baby, baby. That is the name I love; It's sweet as the perfume of roses. It's soft as the coo of a dove. My sweetheart may call me his darling. His queen, or his sugar plum, maybe; But 'tween you and me, I'd rather that he Should call me his dear little baby. Les amants sont des p’tit’s choses stupides, voyez. Et moi comme n’importe qui ; J’ai porté deux bagues de fiançailles, voyez, Mais deux, c’est peu, vous en conviendrez. Mon cœur a été tout r’tourné, un’ fois, Par un gars nommé Willie, je crois ; Il m’appelait son petit bébé, voyez. Et j’aimais ça, tout idiot que ce soit. Car il y a quelque chose dans ce mot, bébé, bébé C’est le nom qui me plaît ; Suave comme le parfum des roses, Doux comme le roucoulement d’une colombe. Mon p’tit ami peut m’app’ler sa chérie, Sa reine ou son nounours en sucre, pas vrai ? Mais entre vous et moi, j’préfèr’rais Qu’il m’appell’ son petit bébé.

25 juillet 1926 — guerdon Récompense. Herriman aime employer des mots archaïques, souvent d’origine française – comme celui-ci, d’une graphie identique dans les deux langues.

17 octobre 1926 — terre heureuse voir 11 janvier 1925.

31 octobre 1926 — les "kats" attirent la "foudre" Sans fondement aucun, une croyance tenace du sud des États-Unis veut que les animaux, les chats en particulier, attirent la foudre. Les relations de la gent féline avec l’électricité ne datent pas d’hier. Le mathématicien grec Thalès de Millet (~625 env.-env. ~547) fut un des premiers à observer le phénomène d’électrisation obtenu en frottant un morceau d’ambre jaune (en grec, elektron). Et il y a peu, on définissait encore, en cours de science, l’électricité négative comme celle produite en frottant un tube de verre poli avec une peau de chat.

21 novembre 1926 — Sultan, Harem Le thème du sultan (et de son harem !) n’est pas neuf pour Herriman, qui l’a déjà traité quinze ans auparavant, presque jour pour jour, à l’époque où Krazy et Ignatz s’ébattaient encore sous les pieds des Dingbat. Mais – une fois n’est pas coutume – peut-être a-t-il été inspiré, ici, par l’actualité. 1926 en effet a été riche en sultaneries (en l’occurrence celles de Moulay Youssef, Sultan du Maroc, alors sous protectorat français), dûment rapportées par la presse. Le 16 mai, pour la première fois depuis la construction du palais de Moulay Abdallah quatre siècles auparavant dans les faubourgs de Fès, les femmes du harem du Sultan, accompagnées par les eunuques de la maison royale, sont sorties faire un tour dans l’ancienne cour d’honneur adjacente, où se tenait la foire de Fès. Les lieux avaient été auparavant vidés de tous les ouvriers et visiteurs de sexe masculin, mais la seule nouvelle donnait à rêver. Le 12 juillet, le Sultan du Maroc, précédé de 100 pachas et caïds, arrive en France. Des fastes élyséens à ceux de la riviéra, les journaux des deux côtés de l’Atlantique se font largement l’écho de cette visite officielle sans précédent. Seule ombre au tableau, déplorée par tous : l’absence des jolies femmes du Sultan, laissées à la maison. Le 25 octobre, c’est Marrakech qui réunit plus de vizirs et de belles houris que tous les contes des Mille et une nuits pour célébrer le mariage de l’héritier du Sultan et de ses frères.

5 décembre 1926 — Cherche et tu trouveras Mathieu 7:7 Demandez, et l'on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira. Houe haie tu don : voir 27 septembre 1925.

12 décembre 1926 — ah-h-h – le "hâle" La mode du bronzage, lancée par inadvertance par Coco Chanel après avoir pris un coup de soleil sur la Côte d’Azur, est encore toute neuve. Et l’on assiste à cet étonnant spectacle : tandis que les femmes blanches cultivent avec ardeur ce hâle hier encore fui comme la peste (ainsi qu’en témoignent des strips plus anciens de Krazy Kat), les femmes noires se ruent dans les black beauty parlors – qui feront de Madame C. J. Walker la première milliardaire noire – pour se faire éclaircir la peau à grands renforts de pommades blanchissantes. Du pain sur l’eau !! : Ecclésiastes 11:1 Jette ton pain sur la face des eaux car tu le retrouveras après bien des jours (version John Nelson Darby, 1872). Autrement dit, un bienfait n’est jamais perdu. Herriman semble avoir une affection particulière pour cette parabole, qu’il a déjà

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utilisée plusieurs fois. Dans le strip du 13 septembre 1919, à Ignatz qui lui demande ce qu’il fait planté là à fixer la rivière, Krazy répond : « Je viens de jeter une miche de pain à l’eau, et quand elle reviendra au centuple, j’ouvrirai une boulangerie ». Un an plus tard, le 28 septembre 1920, Krazy a jeté, cette fois, un penny, et attend de voir revenir un dollar.

19 décembre 1926 — Prends ça voir 14 février 1926.

16 janvier 1927 — Ce traité sur la transmigration des appendices à Coconino County constitue probablement la planche la plus déjantée de Krazy Kat jamais imprimée. On soupçonne une récente appendicectomie dans le ménage Herriman (avec les Ow ! et les Oy ! ici dépeints) d’être à son origine. (Et, mazette ! que n’apprend-on pas sur les machinations en coulisses dans l’officine de Joe Stork…)

30 janvier 1927 — … veuve dans un kottage… Numéro 2, après « The Happy Land » du hit-parade krazykatien, « The Widow in a Cottage by the Sea » est une ballade populaire écrite par Charles A. White, publiée à Boston en 1868. The Widow in the Cottage by the Sea. Just one year ago today, love, I became your happy bride, Changed a mansion for a cottage, To dwell by the river side; You told me I'd be happy, But no happiness I see, For to-night I am a widow In the cottage by the sea. Chorus. Alone, all alone by the seaside he left me. And no other's bride I'll be. For in bridal flowers he decked me In the cottage by the sea. From my cottage by the seaside I can see my mansion home; I can see those hills and valleys, Where with pleasure I have roamed;


The last time that I met him, Oh, how happy then were we, But to-night I am a widow In the cottage by the sea.-Chorus. Oh, my poor and aged father, How In sorrow he would wail; And my poor and aged mother, How in tears her eyes would swell; And my poor and only brother, Oh, how he would weep for me, If he only knew his sister Was a widow by the sea.-Chorus. La Veuve dans le Cottage au bord de la Mer Il y a tout juste un an, mon amour, Je suis devenue ton heureuse épouse, Échangeant ma demeure contre une chaumière, Pour vivre au bord de la rivière ; Tu m’as dit que je serais heureuse, Mais de bonheur je ne vois guère, Car ce soir je suis une veuve Dans le cottage au bord de la mer. [ Refrain] Seule, toute seule en bord de mer il m’a laissée. Et de nul autre je ne serai l’épouse. Car de fleurs de noces il m’a couverte Dans le cottage au bord de la mer. De mon cottage en bord de mer Je peux voir mon ancienne demeure ; Je vois les monts et les vaux Que j’arpentais dans la joie ; La dernière fois que je l’ai vu, Oh, que nous étions heureux alors, Mais ce soir je suis une veuve Dans le cottage au bord de la mer. [Refrain] Oh mon pauvre vieux père, Comme il gémirait de douleur ; Et ma pauvre vieille mère, Comme les larmes gonfleraient ses yeux ; Et mon pauvre et unique frère, Oh, comme il pleurerait pour moi, S’il savait seulement que sa sœur Est une veuve au bord de la mer. [Refrain]

L’Insigne du courage : Premier (1895) et plus fameux roman de Stephen Crane (1871-1900), sur un jeune soldat de l’armée de l’Union qui, pendant la Guerre de Sécession, fuit le champ de bataille, il va asseoir la réputation du jeune écrivain. En tant que correspondant, il couvrira pour le New York Journal de Hearst la guerre gréco-turque de 1897 et la guerre hispano-américaine de 1898.

13 mars 1927 — "Katnip" Herbe aux chats – Les lecteurs fréquentant matous et minettes connaîtront déjà les effets euphorisants et excitants sur nos félins domestiques de l’herbe aux chats, terme recouvrant plusieurs espèces de plantes du genre Nepeta, de la famille des Lamiaceæ. L’intoxication (joyeuse) est un thème récurrent dans Krazy Kat, bien au-delà de cette période de prohibition. Le 15 mai 1936 – l’alcool coule alors de nouveau à flots depuis près de trente mois –, pour aider Mr. Meeyowl, ex-millionnaire et roi du catnip, à se refaire, Krazy Kat part pour une quête digne de celle du Graal à la recherche du katnip ultime : le Tiger Tea, ou Thé du Tigre. Si certains commentateurs ont pu distinguer dans le simple Katnip, outre celle, temporaire, de l’alcool, une parabole de la marijuana, que voir, à ses puissants effets, dans ce Tiger Tea dont nous espérons vous offrir un jour la saga ?! Kit Kat Ket Rats : Face à une telle perfection nous avons préféré laisser la vignette centrale en v.o. « Rats » est une exclamation de frustration et de mécontentement.

20 mars 1927 — opossumé En cas de danger, l’opossum d’Amérique du Nord est connu pour « faire le mort », illusion parfaite par une odeur pestilentielle. Il s’agit d’un comportement réflexe non maîtrisé par l’animal, qui entre réellement en catalepsie. D’où la question de Krazy.

1er mai 1927 — Quand t’étais un têtard et moi un poisson… je t’aimais déjà, clame, à la fin du premier couplet, le célèbre poème du reporter sportif et correspondant de guerre Langdon Smith (1858-1908) intitulé Evolution, mais le plus souvent nommé d’après son vers initial.

Deh, vieni alla finestra, o mio tesoro, deh, vieni a consolar il pianto mio. Se neghi a me di dar qualche ristoro, davanti agli occhi tuoi morir vogl'io. Tu ch'hai la bocca dolce più che il miele, tu che il zucchero porti in mezzo al core, non esser, gioia mia, con me crudele, lasciati almen veder, mio bell'amore! Allez, viens à la fenêtre, ô mon trésor allez, viens consoler mes pleurs. Si tu refuses de me donner réconfort, devant tes yeux mourir je veux. Toi qui as la bouche plus douce que le miel, toi qui portes le sucre au milieu du cœur, ne sois pas, ma joie, cruelle avec moi, laisse-toi au moins voir, mon bel amour ! Oh mon amour… toujours : ajouté par Ignatz pour faire bonne mesure, est un clin d’œil à Roméo et Juliette où Shakespeare se moque des sonnets pétrarquiens à l’eau de rose par la voix de Mercutio, qui clame à Roméo : « Dis seulement deux vers et je serai satisfait / Crie juste "hélas !", fais rimer "amour" et "toujours" ; » (Romeo and Juliet, RSC, 2.1, 11-12).

6 juin 1927 — Cette page a été réimprimée comme la deuxième planche du dimanche en couleur le 8 juin 1935. Aucun autre Sunday noir et blanc n’a connu ce traitement. L’épisode en rappelle un autre, du 6 avril 1919. C’était alors Krazy qui collait la brique au plancher pour faire une farce à Ignatz.

27 juin 1927 — sycomore – Sic ! Un aliso n’est pas un sycamore (nom générique, en Amérique du Nord, du platane), mais un aulne (en anglais, alder). Cependant, l’emploi de ce mot, évoquant irrésistiblement la maladie d’amour (sick amor), rappelle celui qu’en a fait, pour la même raison, Shakespeare au début de Roméo et Juliette (1, 123), lorsque Benvolio narre à Lady Montague comment il a trouvé Roméo se morfondant dans un bosquet de sycomores.

4 septembre 1927 — Mariposa, mariposa de lindas coloras Version katienne de la chanson de Manuel Fernández Palomero (paroles) et José padilla (musique) Princesita, enregistrée dès 1922 par le ténor Tito Schipa sur RCA Victor, sous la direction de Josef Pasternack. Un nouvel enregistrement est sorti en 1926.

When you were a tadpole and I was a fish In the Paleozoic time, And side by side on the ebbing tide We sprawled through the ooze and slime, Or skittered with many a caudal flip Through the depths of the Cambrian fen, My heart was rife with the joy of life, For I loved you even then.

Princesita, Princesita la de ojos azules y labios de grana Mariposa, mariposa de lindos colores, florecilla de alegres mañanas Mira, al que a tus plantas suspira Quiere, al que adorandote muere Besa, mi encantadora Princesa Cual, con tus ojos azules, tus labios de grana, tus lindos colores, cautivan el alma! Mírame, quiéreme, bésame, bésame.

Quand t’étais un têtard et moi un poisson Au Paléozoïque Et côte à côte, à marée basse Nous nous prélassions dans la vase et la boue Ou nous agitions à grands coups de nageoire Dans les marais du Cambrien, Mon cœur débordait de joie de vivre, Car je t’aimais déjà alors.

6 février, 20 novembre, 4 décembre, 11 décembre 1927 et 24 juin 1928 — Si l’absence de ces dates vous a alarmés, ne vous torturez pas davantage ! Les planches publiées ces jours-là étaient des reprises de celles (respectivement) des 6 juillet, 17 août, 10 août, 25 mai et 20 juillet 1924.

27 février 1927 — chien rouge Apparenté au loup et au lycaon, le dhole (cuon alpinus), également appelé chien sauvage d’Asie ou chien rouge, haut d’une cinquantaine de centimètres au garrot, ressemble à un gros renard au pelage rouge-brun.

Le choix de ce poème n’est pas innocent. Il inscrit l’amour de Krazy et Ignatz dans l’éternité. Dans un strip de 1926, Krazy demande à Ignatz : « Si je vivais un million d’années, aimerais-tu aussi vivre un million d’années ? » « Tout dépend de "Kolin Kelly" », répond Ignatz, « Sera-t-il en activité aussi longtemps ? » Et Krazy de se mettre à chanter !

15 mai 1927 — Viens à ta fenêtre Ignatz chante ici le premier vers de la sérénade du Don Giovanni de Mozart. Dans la première scène de l’acte 2, Don Giovanni et son valet Leporello ont échangé leurs vêtements. Et pendant que le valet, sous les atours de son maître, occupe Elvire, Don Giovanni en Leporello sérénade sa servante :

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En tus ojos hay sol de esperanza En tu cuerpo el olor de claveles En tu risa yo sentí mi alegría Y en tu boca el dulzor de las mieles Mi princesa, yo te quiero, quiéreme porque me muero. Princesita, Princesita la de ojos azules y labios de grana Mariposa, mariposa de lindos colores, florecilla de alegres mananas


Petite princesse, Petite princesse aux yeux d’azur [ et aux lèvres grenat Papillon, papillon aux jolies couleurs, petite fleur [ des lendemains heureux Regarde, celui qui à tes pieds soupire Aime, celui qui, t’adorant, se meurt embrasse, ma Princesse enchantée Celui, dont tes yeux d’azur, tes lèvres grenat, tes belles couleurs captivent l’âme !

9 octobre 1927 — ceinture L’électricité, toute neuve, n’a encore rien perdu de sa magie, et les charlatans se bousculent pour proposer aux gogos des ceintures censées soigner tous les maux, et réveiller la libido. Mais quand le courant ne passe pas, quel meilleur fournisseur qu’un chat ? (voir 31 octobre 1926)

1er Avril 1928 — "Bhum–Bhay–Rhum"

Regarde-moi, aime-moi, embrasse-moi, embrasse-moi. Dans tes yeux tu as le soleil de l’espoir Dans ton corps l’odeur des œillets Dans ton sourire j’ai senti ma joie Et dans ta bouche la douceur du miel

Bombay Rum (Rhum de Bombay). Rhum mélangé avec du jus de mangue, d’ananas et d’orange.

22 avril 1928 — 23 octobre 1927 — AZOI

Ma princesse, je t’aime, aime-moi car je me meurs

Mot yiddish signifiant « comme ça », « exactement ».

Petite princesse, Petite princesse aux yeux d’azur [ et aux lèvres grenat Papillon, papillon aux jolies couleurs, petite fleur [ des lendemains heureux

30 octobre 1927 — regarder un roi

11 septembre 1927 — La paix est au centre des débats à la 24e conférence de l’Union Interparlementaire qui se tient à Paris, au Palais du Luxembourg, en août 1927, et à la réunion de la Ligue des Nations à Genève en septembre. Voir 30 décembre 1928. Oh, fi, fi : Citation shakespearienne. Expression de dégoût de Hamlet face aux usages du monde et au comportement de sa mère (Hamlet, 1.2, 319).

25 septembre 1927 — "Kittin Ket" Le rejeton de Mr. Meeyowl, le riche roi du Katnip, est loin d’être un nouveau venu. Sa spécialité est de se perdre, et ses mésaventures ont déjà alimenté plusieurs continuités dans les strips quotidiens. Cette planche est l’épilogue d’une série de douze strips consécutifs parus entre le 5 et le 17 septembre. Lors d’un épisode précédent, réfugié chez Krazy (qu’il aurait bien vu, après avoir hésité à l’appeler papa ou maman, épouser son milliardaire de père), il s’était amouraché d’un petit cousin d’Ignatz, un souriceau noir prénommé Marmaduke, qui s’était mis à lui lancer des briques, reproduisant ainsi, dans des couleurs inversées, la relation de Krazy et Ignatz.

2 octobre 1927 — Tout seu-eul… J’suis si tout seul Krazy entonne ici la ballade autobiographique d’Irving Berlin « All Alone » (1924), qui, chantée à la radio par le ténor John MacCormack va devenir un succès immortel, repris par les plus grands, de Frank Sinatra à Thelenious Monk, d’Ella Fizgerald à Shirley Bassey. En voici le refrain : All alone I’m so all alone There is no one else but you All alone by the telephone And I wonder when you’ll call again

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, si le 18e amendement prohibait la fabrication, le transport et la vente de l’alcool, sa consommation n’était pas interdite. Le "Sergent Pupp" se livre donc ici à un inique abus de pouvoir.

Du proverbe A cat may look at a king (« Un chat peut regarder un roi ») signifiant que même un soi-disant inférieur a quelques prérogatives face à un soi-disant supérieur. D’origine inconnue, on le trouve imprimé pour la première fois en 1562 dans les Proverbs And Epigrams de John Heywood (1497-c. 1580), personnage haut en couleur – poète, écrivain et dramaturge anglais, grand-père du poète John Donne – qui malgré sa religion catholique et son franc parler servira quatre souverains dont le redoutable Henry VIII avant de s’exiler en Belgique.

27 novembre 1927 —

27 mai 1928 — loir ou souris de porte ?

Des pages hors-format comme celle-ci apparaissent occasionnellement dans les épisodes de Krazy Kat distribués par le syndicate au cours des années 1927 et 1928. La plupart de ces pages (peut-être même toutes) étaient des reprints d’années précédentes (voir ci-dessus et ci-dessous) ; il se peut que leur publication ait correspondu à des délais manqués ou des épisodes de maladie (en particulier la séquence de cinq planches consécutives dont celle-ci est la deuxième). En tout cas, toutes semblent avoir disparu des jeux d’épreuves diffusés à l’époque. Quoi qu’il en soit, quelques planches par ailleurs intraçables comme celle-ci (et celle du 12 août 1928, voir ci-dessous) peuvent représenter des planches déjà dessinées par Herriman et mises de côté au moment de la mise en place trop soudaine, peut-être, de la nouvelle formule du New York Journal (voir plus haut). Les microfilms du Journal pour les dates concernées montrent que les planches hors-format ont été imprimées sur une seule page au lieu des deux pages habituelles. Un mystère.

Le petit animal que nous nommons loir dans cette page et souris de porte dans la suivante est bien un loir. En anglais, son sommeil légendaire l’a fait nommer dormouse. Mais de dor à door (porte), il n’y a qu’un « o », et la tentation était grande de réinventer son histoire. Si nous avons conservé « loir » dans un premier temps, c’est en hommage à celui d’Alice, ce dormouse qui avec le lièvre de Mars fait partie des convives d’Un thé chez les fous, et auquel Herriman a forcément pensé. La « souris de porte » fait son apparition le 21 janvier 1922 dans un épisode – en couleur ! – mémorable pour avoir été reproduit et commenté avec force dithyrambe, en 1924, par Gilbert Seldes dans The Seven Lively Arts, ouvrage pionnier dans l’exégèse laudatrice du bon kat. Cette page est une reprise de celle du 13 mai 1923, qui la mettait en scène pour la deuxième fois, laissant à penser qu’Herriman l’a volontairement republiée comme un moment « klassique », ce qui l’a ensuite inspiré.

18 décembre 1927 — Katnip

Interprétant à sa manière l’expression Poor as a church mouse (« pauvre comme une souris d’église ») désignant un personne vraiment démunie, Krazy fait trimballer au malheureux rongeur tout le saint édifice, bien plus lourd, on en conviendra, qu’une simple porte !

Ainsi que le reflète cet épisode, les États-Unis étaient encore pris dans les abysses de la prohibition (voir 13 mars 1927).

25 décembre 1927 — Les « Pattes d’éléphant » sont un monument naturel de l’Arizona, comme la plupart des formations dépeintes dans la planche du 16 septembre 1928.

8 janvier 1928 — Cuatro milpas Très ancienne chanson mexicaine sur la perte et l’amour. Heppy lend Voir 11 janvier 1925.

29 janvier 1928 — Ai Chinita que si

I’m all alone ev’ry evening All alone, feeling blue Wond’ring where you are and how you are And if you are all alone too

Paroles de La Paloma. Très marquée par les rythmes cubains, cette chanson, composée et écrite par le compositeur espagnol Sebastián Iradier vers 1863, va devenir un des premiers hits planétaires.

Tout seul Je suis si seul Il n’y a nulle autre que toi Tout seul près du téléphone Et je me demande quand tu rappelleras

19 février 1928 —

Je suis tout seul tous les soirs Tout seul, bluesy À me demander où tu es, comment tu vas Et si tu es seule toi aussi

Vin d’abeilles (bees’ wine) boisson fermentée maison, très populaire jusque dans les années 50. Faite d’ordinaire dans un bocal de verre conservé près de la fenêtre de la cuisine, la culture – un mélange de levure et de bactéries – était baignée dans une mixture d’eau, de mélasse et de sucre roux. Liquide et sucre étaient renouvelés chaque semaine. La culture se multipliant, comme la mère du vinaigre, les gens en refilaient des morceaux à leurs amis pour qu’ils puissent faire leur propre « vin d’abeilles ».

Tous les artistes cités au cours de la visite de cette exposition sont des kartoonists habilement déguisés. Dans l’ordre d’apparition, à partir de la deuxième case : Rudy Dirks, créateur des Katzenjammer Kids ; Gus Mager, père de Hawk shaw the Detective ; Jimmy Swinnerton, géniteur de Little Jimmie et des Canyon Kiddies ; Tad Dorgan, le plus grand dessinateur sportif des années 1910, et Dan Smith, à qui l’on ne doit aucun strip mais qui était un illustrateur de renom à l’époque. Tous des potes d’El Herriman.

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3 juin 1928 — ET CETTE AUT’ P’TITE "SOURIS"…

12 août 1928 — Encore un énigmatique strip « hors-format ». Herriman a-t-il, l’espace d’une semaine, ignoré sa contrainte ? A-t-il, comme suggéré, plus haut, repêché une ancienne planche inédite ? Ou bien est-ce un reprint dont vos humbles éditeurs n’ont pu retrouver la trace ?

28 octobre 1928 — La planche de ce jour était une « repasse » de celle du 25 avril 1926. Peut-être le syndicate, considérant, face à la difficulté de publier ou remonter une planche hors-format, que le jeu n’en valait pas la chandelle, avait-il décidé, pour ses reprints, de piocher dans un passé plus immédiat.

22 juillet 1928 — Les plans les mieux conçus des souris et des hommes souvent vont à vau-l’eau Vers, devenu proverbial, du poème de Robert Burns (17591796) To a Mouse, on Turning Her Up in Her Nest with the Plough (À une souris, en la retournant dans son nid avec la charrue). Il a inspiré à John Steinbeck le titre de son roman Des souris et de hommes.

2 septembre 1928 — Cuatro milpas voir 8 janvier 1928.


16 septembre 1928 — Si les mitaines, dans la réalité, n’applaudissent pas, tous les « monuments » naturels décrits ici existent bel et bien. Après avoir constitué le décor quotidien de Krazy Kat, ils constitueront celui des westerns de John Ford.

23 septembre 1928 — lunettes bleues Look through blue glasses (« regarder à travers des lunettes bleues ») : regarder les choses de manière biaisée, avec parti pris ou préjugé.

30 septembre 192 — folie de la danse Ces mots évoquent les diatribes de ceux – jusqu’à un juge de la Cour suprême ! – qui vilipendient la folie du jazz, de la danse et de la consommation de boissons illicites qui va avec.

11 novembre 1928 — voir 11 juillet 1926.

18 novembre 1928 — Prêtez l’oreille Shakespeare, Pericles, RSC, 5.1, 87.

25 novembre 1928 — colibri, arbre à miel Pour conserver toutes les implications du nom dans l’histoire, nous avons traduit ainsi honey suckle – le chèvrefeuille – qui doit certainement son appellation, outre la forme pratique de ses fleurs (suckle = téter) pour papillons, abeilles et colibris, à son nectar et son parfum particulièrement doux (honey = miel). Parmi les nombreuses vertus de cet arbuste, ses feuilles et ses fleurs, en infusion, bue ou appliquée en compresse, sont un excellent détoxifiant et adoucissant pour les yeux. Espérons qu’Ignatz y a pensé, après avoir humé la « Kallalilli » (voir 28 juin 1925).

30 décembre 1928 — À cette époque, dans une orgie pacificatrice, les grandes puissances de la planète sabordent une partie de leur flotte de guerre. Signé à Paris le 28 août par 63 pays, le pacte Kellog-Briand, du nom des présidents américain et français, condamne le recours à la guerre. Voir 11 septembre 1927. Le Scott terrier que l’on aperçoit ici comme dans d’autres pages est un des animaux familiers de tout premier plan de Herriman, il appartient à une paire qui vécut presque aussi longtemps que lui.

14 avril 1929 —

8 septembre 1929 — Poor lamoor de Michel

Apparemment, le pote hollywoodien de Herriman, E. C. Segar, le créateur de Popeye (apparu dans le Thimble Theater le 17 janvier) avait rendu une petite visite à Coconino County. Son stogie emblématique ne saurait mentir.

Transcription phonétique de « Pour l’amour de Michel », traduction de l’expression populaire « For the love of Mike », dérivée du juron adouci « For the love of Michael », en usage chez les soldats, dont saint Michel est le patron. Gracias Mary Burke Un petit mot de remerciement de Herriman, probablement pour l’idée utilisée ici.

3 novembre 1929 — souris blanche souris noire 21 avril 1929 — Ce soir je suis une veuve voir 30 janvier 1927.

19 mai 1929 — écho

10 novembre 1929 — A MIO AMIGO "BLAKE WAGNER"

voir 1er février 1925.

Encore un remerciement.

23 juin 1929 — bronzage

8 décembre 1929 —

voir 12 décembre 1926.

Encore du Keystone ! Lorsqu’il n’était pas à sa planche à dessin, Herriman passait le plus clair de son temps aux Studios Keystone de Mack Sennett, à Hollywood.

3 mars 1929 —

28 juillet 1929 — Noble Gaus

Herriman s’est manifestement souvenu – avec délectation – du film Cops, de Buster Keaton (1922), dans cette folle reprise de quelques uns de ses concepts clés.

Influent critique littéraire, professeur de langue et de littérature – françaises en particulier – à l’université de Princeton (dont il sera également le doyen) Christian Gauss, (1878-1951) était une figure importante de l’époque. Herriman a pu le connaître via Edmund Wilson, qui fut son élève.

10 mars 1929 — Un net hommage au slapstick tarte-à-la-crème de Keaton et consorts.

31 mars 1929 — arbre à miel Voir 25 novembre 1928.

7 avril 1929 — Cette page a été la première de Krazy Kat a être intégralement reproduite dans un grand magazine américain. Elle parut dans le numéro de juin 1929 du Golden Book Magazine, une revue de nouvelles publiée de 1925 à 1939, où le nom de Herriman côtoie ceux de Robert Benchley (Le Supplice des week-ends) et James Oliver Curwood.

L’inversion des couleurs, ou , plus rarement, leur changement, revient sans cesse dans Krazy Kat. Voir 10 novembre 1929, 23 septembre 1928.

11 août 1929 — Retour au libre format avec cette planche dominikale du Kat, curieusement suivie par trois autres sur le modèle à huit cases.

25 août & 1er septembre 1929 Ces deux planches ont de toute évidence été dessinées dans l’ordre inverse des dates indiquées par le syndicate. La chronologie herrimanienne a été rétablie, au détriment de celle du calendrier, mais pour le plus grand bénéfice de la continuité.

29 décembre 1929 — rat troqueur Le rat à queue touffue (Neotoma cinerea), qui peuple les déserts et les montagnes du sud-ouest des États-Unis, a été surnommé « trade rat » (rat troqueur) pour sa curieuse habitude : s’il rencontre sur son chemin un objet qui le tente alors qu’il porte déjà quelque chose, il échangera son fardeau contre sa nouvelle trouvaille.





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