L’économie sociale et solidaire en France et au Québec, mêmes combats ? Entrevue croisée avec deux professionnelles de l’ESS, l’une Française et l’autre, Québécoise. La deuxième semaine de rencontres franco-québécoises en économie sociale et solidaire (ESS) a pris fin le 27 novembre dernier. L’objectif de ces rencontres ? Partager expériences et bonnes pratiques sur les thématiques de développement et de promotion de l’ESS, voire donner naissance à des partenariats transatlantiques innovants. Afin d’établir un bilan provisoire de ces rencontres, nous avons réuni deux professionnelles de l’ESS, l’une Française, l’autre Québécoise, ayant participé aux semaines franco-québécoises de l’ESS qui ont eu lieu respectivement à Paris puis au Québec. Cecile Vergier est chargée de mission économie sociale et solidaire au Conseil Régional d’Île-de-France et s’intéresse à l’action publique et à ses interactions avec les initiatives citoyennes. Lydia Tetyczka, travailleuse autonome, s’occupe d’implémenter des incubateurs et des accélérateurs en innovation sociale auprès des citoyens qui souhaitent s’engager et changer la société. Question (Q.) : Quelles étaient vos attentes concernant votre participation aux semaines franco-québécoises ? Lydia Tetyczka (L.T) : Je suis allée à Paris l’année dernière afin de chercher des parallèles par rapport à nos pratiques en ESS, ici, au Québec. J’étais curieuse de voir les différences et les points de rencontres. J’y allais aussi pour développer mon réseau et voir comment on pouvait intégrer de nouvelles façons de faire dans le champ de l’innovation sociale. Cécile Vergier (C.V): Je rejoins Lydia sur ce point. Par ailleurs, je me place dans une perspective où l’année prochaine, en France, en raison de la réforme territoriale, on va devoir redéfinir complètement les politiques régionales en faveur de l’ESS et nos manières de se concerter avec les acteurs de l’Île de France. Du coup, je venais pour voir comment cela se faisait au Québec. La province est en effet réputée pour ses pratiques de concertation et d’élaboration de politiques publiques en co-construction Q. : Que retenez-vous de ces semaines d’échanges et d’observation en termes d’enjeux entourant le déploiement de l’ESS dans vos pays respectifs ? C.V. : Je constate que nous avons beaucoup de convergences, non seulement dans la manière d’appréhender l’ESS, mais aussi en termes d’enjeux entourant son développement. Dans le cadre de nos échanges avec les pôles régionaux, mais aussi avec le Chantier de l’économie sociale, on a pu constater que les défis de l’heure, grossièrement, concernent le financement, l’accompagnement et la relève. Ces enjeux nous préoccupent aussi. Ensuite, j’ai été très étonnée de voir que la question de l’entrepreneuriat social était traitée de façon si différente entre le Québec et la France. Finalement, la France semble accueillir plus facilement l’entrepreneuriat social que le Québec. Selon moi, il y a des initiatives extrêmement intéressantes qui peuvent être réalisées en entrepreneuriat social et avec la loi en ESS, la France a été assez maligne d’inclure l’entrepreneuriat social sur la base de principes qui sont inscrits dans les statuts. Je pense que cela vaudrait la peine de pousser cela au Québec. L.T. : Le point commun, selon moi, c’est qu’aujourd’hui, n’importe quel citoyen peut porter un projet. Il y a moins d’appréhension dans le fait de prendre le véhicule de l’entrepreneuriat pour transformer la société. Lors de notre semaine à Paris, on a rencontré des gens très différents,
dans des quartiers très hétéroclites et portant des très diversifiés que ce soit en environnement, en éducation, en culture etc. Ce sont des sujets qui préoccupent l’ensemble de la population et l’innovation sociale, selon moi, permet aux citoyens de se réapproprier ces champs qui ont été jusqu’alors désinvestis. Finalement, chaque citoyen peut être acteur d’un changement social dans son milieu et cela est vrai en France comme au Québec. Q. : Quels ont été vos coups de cœur en ESS ? L.T. : Mon coup de cœur, c’est Coopaname, une coopérative ouvrière et œuvrière issue du mouvement des coopératives d’activités et d’emploi. Nous sommes dans un contexte où on nous pousse de plus en plus à créer nos propres emplois et où le salariat fait de moins en moins partie de la composante de nos vies. Le fait que cette coop’ soit créée pour permettre à des travailleurs autonomes d’avoir accès, par exemple, à une assurance santé ou encore de mutualiser des biens ou des services, j’ai trouvé cela trippant ! Le fil conducteur, c’est comment on renverse la précarité vers la solidarité en l’incarnant avec une structure qui est super démocratique, avec tous les défis que cela inclut bien évidemment. C.V : Moi, mon coup de cœur, cela a été la vitalité de l’ESS en région, au Québec. Cela a été une vraie découverte de voir ce qui se fait dans les différents territoires visités au niveau de l’ESS et cela, avec l’appui des pôles régionaux. Nous avons eu trois journées passionnantes à Lanaudière, en Mauricie et dans la Capitale-Nationale. Chaque fois, comme le disait Lydia, on voyait que les initiatives présentées partaient des communautés, pour le bénéfice des populations. Les gens étaient vraiment « drivés » par ces projets et c’était hyper inspirant ! L.T : Dans mes coups de cœur, j’ajouterai la Réserve des Arts, à Pantin, inspirée d’un projet newyorkais, qui mise sur le volet récupération et la mutualisation au service d’un une communauté artistique, c’est très intéressant! Q. : Ces deux semaines écoulées, quelles formes de collaborations entrevoyez-vous entre la France et le Québec en ESS ? L.T. : Je pense qu’il y a une piste de collaboration possible sur le plan de l’éducation : il y a de nombreux projets sur la sensibilisation des jeunes à l’ESS, mais aussi plus généralement à l’entrepreneuriat social au Québec, mais aussi en France. Ce serait intéressant de monter un projet favorisant le partage d’outils pédagogiques, de pratiques, d’expériences. Cela pourrait prendre la forme d’un cercle d’apprentissage dématérialisé avec des rencontres régulières pour échanger sur des activités, les partager, les tester etc. C.V. De mon côté, je pense, par exemple, qu’il serait intéressant d’organiser des hackathons autour d’une problématique sociale. On pourrait imaginer des hackatons francophones nous permettant de travailler autour d’un même projet. Aussi, il serait pertinent, à mon sens, de développer l’essaimage entre nos structures. En France, on a un dispositif qui s’appelle le fonds de confiance qui permet à une personne d’être salariée dans une entreprise d’ESS pendant 6 mois pour qu’elle fasse son étude de faisabilité et qu’elle bénéficie des pratiques de l’entreprise en même temps. Cela se fait entre territoires français pour l’instant, mais ce serait très intéressant de la développer entre la France et le Québec. Soyons rêveurs !
Pour suivre le parcours de la délégation française en images, en texte et en tweets, c’est sur storify que cela se passe : https://storify.com/ESS_QCFR/getting-started