Le "nous" de l'éducation

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Kaléidoscope

Le développement collectif dans tous ses états

Dossier : Le « nous » de l’éducation politiques publiques : Loi cadre sur l’économie sociale pratiques citoyennes : Brasser des affaires autrement territoires numériques : Profession ? Seniornaute


sommaire

kaléidoscope

vol.1 - N°1 - printemps 2013

Le développement collectif dans tous ses états

Le « nous » de l’éducation RUBRIQUES 01 Le mot de la rédaction Notre engagement

Où nous sommes allés, dans ce numéro-ci

Par Mélanie Chabot

02 Politiques publiques Loi cadre sur l’économie sociale Par Simon Saint-Onge

05 Pratiques citoyennes Brasser des affaires autrement Par Jocelyne Bernier

08 Territoires numériques Profession ? Seniornaute Par Francine Thomas

11 International Que cache le développement ? Par Amélie Nguyen

34 Sociale Fiction Quête de sens Une création du Théâtre Parminou

36 Études de K Par Maud Emmanuelle Labesse

dossier oeil critique 14 Illustration par Marie-Ève Tremblay Introduction 16 Le « nous » de l’éducation Par Mélanie Chabot

22 La communauté au service de la réussite éducative Par Marie-Hélène Verville 25 Apprendre à innover Par Véronique Chagnon

haut-parleur 17 Qu’est-ce que l’éducation ? Par Normand Baillargeon

28 D’individu à citoyen : s’éduquer pour pouvoir agir Par Véronique Chagnon

regards croisés 19 Rapport Parent : le pari réussi de l’éducation pour tous ? Par Sophie Clerc

31 Apprends-moi ce que tu sais, je te dirai qui nous sommes Par Maud Emmanuelle Labesse

et Manon Leroux

40 Toute une histoire Le programme Mincome Par Yanic Viau

43 Radar culturel


1 - le mot de la rédaction

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vol.1 - N°1 - printemps 2013

Le développement collectif dans tous ses états

Notre engagement « L’inconvénient de cet âge d’or de la communication et de l’information, c’est qu’il n’y a pas moyen de savoir ce qui se passe. » El Roto1 Il est parfois exaspérant de constater que certaines informations nous parviennent si difficilement. Je pense particulièrement à ces projets de développement, menés sur des scènes locales, par des collectivités allumées, tant d’exemples qui font la démonstration qu’on peut faire du développement autrement. Prenons le cas du projet de déménagement du Casino de Montréal dans le quartier de Pointe-Saint-Charles. En 2006, les médias ont fait grand cas de l’abandon de ce projet et, surtout, de ce que les milieux d’affaires en ont dit. Selon eux, les Québécois auraient la fâcheuse tendance à faire obstruction aux projets qui « feraient avancer » le Québec. Pourtant, l’automne dernier, la Ville de Montréal et l’arrondissement du Sud-Ouest annonçaient que là où devait s’établir le Casino, allait s’élever « un nouveau milieu de vie complet, à l’avant-garde des grandes tendances en matière de développement urbain ». Nombreux sont les Québécois qui savent que les Montréalais ont dit non à la proposition-concept du Casino. Rares sont ceux qui savent qu’un projet bien plus novateur verra bientôt le jour en lieu et place. « Les liens entre l’information et le développement des collectivités ne sont pourtant plus à démontrer », nous rappelait, encore récemment, Dominique Payette. Moteur de l’engagement citoyen, génératrice de liens sociaux et de solidarités interrégionales, « l’information est nécessaire au débat social, elle constitue le ferment même du progrès social », écrivait-elle dans nos pages. Alors que partout au Québec, des acteurs d’horizons divers – citoyens et élus compris – rivalisent d’imagination pour faire avancer leur communauté

dans le sens du bien commun, ces projets initiés là-bas, qui pourraient bien inspirer ici et maintenant, peinent à trouver leur place dans les canaux d’information. Bien sûr, certaines personnes en seront informées, Internet et les médias sociaux aidant pour qui a le temps (ou les ressources) pour s’y consacrer. Il y a 14 ans, les acteurs mobilisés autour du Forum sur le développement social se dotaient d’un outil connecté sur les différentes régions du Québec  : le bulletin Développement social. Il a évolué au fil des ans, des partenaires et des courants sociaux, pour se muer en une revue faisant la part belle aux initiatives locales et régionales. Fort de son histoire, ce bel outil a atteint l’âge de la maturité, celui nécessaire pour prendre son envol. Il peut désormais s’aventurer hors du nid, avec l’appui bienveillant de celui qui l’a porté jusqu’ici, l’Institut national de santé publique du Québec2, pour faire le saut dans l’univers des médias indépendants. Ce saut – un brin téméraire – s’effectue pas à pas, de manière concertée, avec beaucoup de passion et de volonté. Bien plus qu’un changement de nom ou qu’une simple redéfinition de forme, donc, que ce passage à Kaléidoscope, le développement collectif dans tous ses états. Mais un peu, quand même, puisqu’on ajoute au grand dossier des rubriques qui agiront, de numéro en numéro, comme le fil d’Ariane du développement collectif. Avec ses trois parutions annuelles, Kaléidoscope ne pourra évidemment rendre compte de l’actualité. La revue proposera plutôt une mise à distance critique, lente et éclairée, des enjeux cruciaux du développement collectif et de certains projets réalisés, ici et là sur le territoire, en gage d’exemples probants. Et si Kaléidoscope fait le pari de la qualité, de la réflexion et de l’indépendance critique, elle prendra aussi parti, sans complexe, pour les valeurs d’entraide et de solidarité. Oui, on s’engage : le développement collectif au Québec, on en fera tout un K ! /

1. Dessinateur, El País, Madrid, 25 novembre 2010. Cité dans Ignacio Ramonet (2011). L’explosion du journalisme. Des médias de masse à la masse des médias, Paris, Éditions Galilée, p. 9. 2. L’Institut national de santé publique du Québec a agi à titre d’éditeur délégué de la revue Développement social de 1999 à 2012. Il demeure un des partenaires majeurs de Kaléidoscope.

photo : Christian blais

par Mélanie Chabot, rédactrice en chef


politiques publiques - 2

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Loi-cadre sur l’économie sociale L’ultime reconnaissance  ? par Simon St-Onge, collaborateur

« La loi-cadre va traduire, en engagements législatifs, la reconnaissance de la contribution de l’économie sociale au développement du Québec. » Annie Béchard

« Il est un secteur souvent sous-estimé qui pourtant contribue fortement à notre prospérité et c’est l’économie sociale. Nous croyons en l’économie sociale et notre gouvernement entend donc déposer une loicadre pour la reconnaitre, la promouvoir et la développer. » Ces mots prononcés par Pauline Marois lors de son discours inaugural ont eu un écho important dans le milieu de l’économie sociale. Pour plusieurs, ce projet de loi est l’aboutissement d’une longue démarche de reconnaissance ; pour d’autres, l’initiative soulève encore son lot de questions. Quel sera l’impact concret du projet de loi ? Comment va-t-il favoriser le développement de l’économie sociale au Québec ? Quelques éléments de réponse par les acteurs du milieu. Le 19 mars dernier, le gouvernement Marois tenait sa promesse et déposait officiellement son projet de loi-cadre sur l’économie sociale. « On est très content : ça soulève l’enthousiasme dans le milieu » lance d’entrée de jeu Annie Béchard, chargée de projet au Chantier de l’économie sociale. « La loi-cadre va traduire, en engagements législatifs, la reconnaissance de la contribution de l’économie sociale au développement du Québec. » Pour le Chantier, cet engagement de l’État est particulièrement significatif : l’adoption d’une loi-cadre constituait la toute première des « Onze propositions pour l’économie sociale » que l’organisme a présentées aux différents partis politiques lors de la dernière campagne électorale. Annie Béchard y voit aussi la suite logique et les fruits du

Plan d’action pour l’entrepreneuriat collectif (2008) et du Forum international sur l’économie sociale et solidaire de 2011. L’ensemble des acteurs de l’économie sociale reconnaissait alors que l’essor du mouvement solidaire passait par un partenariat renforcé avec les pouvoirs publics. Annie Béchard et le Chantier souhaitent que la loi-cadre crée enfin les conditions nécessaires pour atteindre cet objectif : « On espère que le projet de loi va instituer un lieu permanent de co‑construction entre l’État et la société civile, qui va permettre de faire un véritable suivi du plan d’action et de consolider les initiatives d’économie sociale ». La table des partenaires, évoquée par la première ministre lors du dépôt du projet de loi semble, à première vue, répondre à ce souhait.

Divergences de vues  ? Du côté du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM), on accueille le projet de loi avec plus de circonspection que d’enthousiasme. On craint que la loi ne reconnaisse qu’une partie de la réalité du milieu. « On considère que le mouvement coopératif est le noyau dur de l’économie sociale au Québec et qu’il faut que ça soit reconnu dans le projet de loi », soutient Marie-Joëlle Brassard, directrice de la recherche et du développement du CQCM. « Le nom même du projet de loi exclut la référence à l’économie coopérative et mutualiste que nous représentons ». Marie-Joëlle Brassard admet que la loicadre constitue un important gain sociétal et un levier crucial de développement.


3 - politiques publiques

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photo : Chantier de l’économie sociale

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Elle relativise cependant son impact sur le mouvement coopératif. « On a déjà notre répondant gouvernemental, nos outils statistiques et nos lois. C’est l’économie associative qui va bénéficier le plus de cette reconnaissance. » Sur le terrain, autre son de cloche sur l’impact possible de la loi-cadre dans l’économie coopérative. Patrick Duguay, directeur général de la Coopérative de développement régional Outaouais-Laurentides (CDROL), est plutôt d’avis que la loi renforcera le partenariat naturel avec les acteurs de l’économie associative : « Dans les territoires, les coops participent déjà aux pôles régionaux d’économie sociale et sont en lien étroit avec leur CLD, lesquels appuient la loi-cadre et qui sont nos premiers partenaires, avec les communautés locales, les organismes et les élus de la région. La loi-cadre vient reconnaitre l’approche de développement qui nous unit. » De même, Patrick Duguay croit qu’un des apports les plus intéressants de la loi réside dans son approche transversale. En inscrivant le mouvement coopératif en rapport avec le MAMROT – plutôt que de le cantonner au ministère des Finances et de l’Économie, son répondant habituel –, la loi permet aux coops d’accéder à un vaste champ d’opportunités. « La loi-cadre va interpeller l’ensemble des interventions gouvernementales, peu importe le ministère. Pour nous, c’est un outil de plus pour nous assurer que les entreprises collectives soient vraiment prises en considération dans les politiques et les programmes gouvernementaux. » En ce qui a trait aux contrecoups strictement bureaucratiques de la loi, Patrick Duguay et Marie-Joëlle Brassard parlent toutefois d’une même voix, soulagés. « Des programmes gouvernementaux sont souvent mis en place sans qu’on ait pensé d’inclure les coopératives dans la liste des organismes admissibles », raconte Patrick Duguay. «  Quand les fonctionnaires regardent le projet, ils disent : " Ben voilà, vous n’êtes pas admissibles " ! La loi va nous permettre de débloquer des situations comme celle-là. » Marie-Josée Brassard renchérit. « Si la loi fait ajouter une petite case qui nous inclut dans les formulaires, en cessant de

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Chercheur au CNRS, Jean-Louis Laville a activement participé au projet de loi-cadre sur l’économie sociale et solidaire (ÉSS) qui doit voir le jour en France au printemps 2013.

nous assimiler aux OBNL, ça sera déjà beaucoup ! » lance-t-elle. « Les gens du mouvement coopératif n’auront plus à réexpliquer l’ABC de la naissance du monde chaque fois qu’ils font une demande quelque part ! »

L’assurance d’une reddition de compte Le mécanisme de reddition de compte qu’institue la loi-cadre est certainement l’un des impacts les plus appréciés des acteurs de l’économie sociale, qui gardent en mémoire les promesses déçues d’anciennes initiatives gouvernementales  : «  Dans le Plan d’action 2008, on déclarait vouloir ouvrir tous les programmes gouvernementaux aux entreprises d’économie sociale… mais il n’y a pas eu de suite. Quand il y a une loi, il y a un sérieux incitatif de plus à prendre en compte », souligne Patrick Duguay. Annie Béchard abonde dans le même sens. Elle explique qu’un plan d’action enchâssé dans la loi survit au gouvernement, permet son évaluation à long terme et la consolidation des engagements. « La loi oblige le gouvernement à rendre des

« On considère que le mouvement coopératif est le noyau dur de l’économie sociale au Québec et qu’il faut que ça soit reconnu dans le projet de loi » Marie-Joëlle Brassard


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« C’est un outil de plus pour nous assurer que les entreprises collectives soient vraiment prises en considération dans les politiques et programmes gouvernementaux. » Patrick Duguay

comptes et à poser des jalons. Le plan d’action va évoluer et devenir un document de référence où l’on reconnaitra incontestablement l’intérêt général de l’économie sociale et sa contribution au développement du Québec. » Le directeur général de la CDROL note également que la loi-cadre amènera les différents ministères à accompagner les intervenants régionaux et à soutenir les volontés régionales de développement. La nouvelle planification stratégique adoptée en Outaouais, qui fait de l’économie sociale une stratégie de développement privilégiée, a ainsi beaucoup plus de chances de réussite. Le projet de loi entraînera également un accroissement des achats publics auprès des entreprises en économie sociale par le gouvernement, les

villes et les MRC. « Pour les entreprises d’économie sociale dans le territoire, c’est une opportunité importante d’avoir de nouveaux marchés tout en continuant de répondre à leur mission sociale », estime Patrick Duguay. Même s’ils manifestent beaucoup d’espoir et de fierté, les acteurs de l’économie sociale restent lucides sur les limites et contraintes du projet de loi, comme le résume Patrick Duguay : « Ce n’est pas une panacée. C’est un geste extrêmement important de reconnaissance, d’institutionnalisation et d’ancrage à l’intérieur de la structure socio-économique du Québec, mais la loi-cadre ne fera rien si on n’assure pas un suivi actif dans le milieu. Cela dit, avec ce que l’économie sociale a prouvé depuis des années, ce n’est pas inquiétant. » /

L’exemple français Le projet de loi-cadre s’inscrit dans une mouvance mondiale

inégalités sociales et les solutions de l’ÉSS dans ce contexte

qui voit actuellement plusieurs pays concevoir et adopter un

de crise », explique Jean-Louis Laville.

cadre législatif pour favoriser l’économie sociale. La France n’y échappe pas. Chercheur au CNRS, Jean-Louis Laville a activement participé au projet qui doit voir le jour au printemps 2013.

Le chercheur fait par ailleurs remarquer que ces solutions de l’ÉSS restent encore à être soutenues financièrement. « Il existe un décalage majeur entre cette nouvelle reconnaissance de l’ÉSS et les montants budgétaires extraordinairement

L’auteur de L’économie solidaire : une perspective internationale

faibles qui lui sont attribués par rapport aux missions qu’on

était tout récemment de passage au Québec pour discuter des

lui fait porter », explique-t-il. À ce sujet, il fonde ses espoirs

enjeux entourant les lois-cadres. « Ce qui est frappant, c’est que

sur la Banque publique d’investissement, créée pour soutenir

la question de l’articulation des politiques publiques se retrouve

les initiatives en ÉSS (rôle dévolu ici à la future Banque de

partout, dans les Amériques comme en Europe et en Afrique »,

développement du Québec).

relate Jean-Louis Laville. « La terminologie diffère, mais le problème de fond est le même : comment sortir de l’architecture basée uniquement sur le marché et l’État pour en arriver à une économie diversifiée, plurielle, qui admet l’ÉSS à part entière. »

Si le projet de loi-cadre est considéré comme une belle victoire par le milieu de l’ÉSS, patience et prudence restent de mise. Il faut d’abord s’entendre sur le champ d’application de la loi : « Historiquement, il y a eu des tensions entre une économie sociale

En France, le projet de loi-cadre sur l’ÉSS marque une

plus institutionnelle et une économie solidaire plus citoyenne.

étape importante dans un long et laborieux processus de

L’idée, c’est d’arriver à agencer toutes ces composantes dans un

reconnaissance. Au final, c’est une demande de plus en plus

même ensemble. Le périmètre de l’ÉSS peut poser problème dans

affirmée de la société civile (exprimée notamment lors des

la définition de la loi : qui fait partie de l’ÉSS ? »

États généraux de l’ÉSS en 2011) et la remarquable capacité de l’ÉSS à créer des emplois qui ont poussé l’État à reconnaitre officiellement son apport à la société française.

Il faut ensuite, et surtout, en assurer le suivi et la cohérence : « La loi n’est pas une fin en soi; c’est un début » prévient JeanLouis Laville. « Il ne faut pas se contenter d’une reconnaissance

En effet, au cours des années 2000-2010, l’ÉSS voyait son

symbolique : il faut faire en sorte que cette reconnaissance

nombre d’emplois croître de 23 %, alors que le privé ne

soit articulée à des moyens nouveaux adaptés aux spécificités

connaissait qu’une hausse de 7 % en France. « Il y a aussi une

de cette économie – ni complètement marchande, ni

nouvelle génération d’élus qui ont fait le lien entre la transition

complètement étatique, mais qui va hybrider des ressources de

écologique et l’ÉSS, entre la volonté de lutter contre les

différentes natures. »


5 - Pratiques citoyennes

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Brasser des affaires, autrement ! Dernier chapitre de l'Opération populaire d'aménagement de Pointe-Saint-Charles par Jocelyne Bernier

Le Plan Nord, l’exploitation des ressources naturelles, les grands projets hydroélectriques ou récréotouristiques qui s’annoncent créateurs d’emploi et de richesse sont-ils toujours bénéfiques pour les collectivités qui habitent le territoire ? Doit-on accepter le fait qu’une multinationale déplace un quartier entier, comme à Malartic, sans considération des nuisances pour le voisinage, sous prétexte qu’elle crée de l’emploi ? Le Nord québécois est parsemé de dégâts environnementaux laissés par des compagnies minières qui sont parties soudainement, sans égard pour les populations résidentes, lorsque l’exploitation de la ressource a cessé d’être assez profitable à leurs yeux. En milieu urbain, d’immenses terrains et leurs équipements industriels sont laissés à l’abandon par des entreprises qui délocalisent leurs activités pour accroître leurs profits. Sans parler des mégaprojets de développement éolien qui minent la cohésion sociale de plusieurs communautés! Et si on faisait fausse route et que c’étaient les projets négociés avec les communautés locales qui s’avéraient capables d’assurer une réelle prospérité économique, une prospérité juste et viable pour tous ? La situation actuelle n’est pas une fatalité. Dans plusieurs localités, des groupes sociaux, des élus et des citoyens tentent d’infléchir une approche dominée par le marché des capitaux et le profit des grandes entreprises, en proposant un modèle de développement plus profitable aux collectivités locales. Cette attitude de résistance rejoint celle des mouvements sociaux qui prennent

de l’ampleur et qui traduisent l’indignation face à la montée des inégalités, à l’épuisement des ressources et à l’érosion du tissu social. Comment assurer un développement qui n’oppose pas le bien-être collectif à la prospérité économique ? Plusieurs expériences, tant en milieu rural qu’en milieu urbain, illustrent ce défi avec, chacune, leurs enjeux et leurs conditions particulières. Quelques-unes font les manchettes nationales, d’autres sont davantage connues localement. Mais, chose certaine, toutes contribuent à nourrir un modèle de développement équitable, inclusif et durable. Parmi ces expériences, le dossier du déménagement du Casino de Montréal dans le quartier de la Pointe-Saint-Charles proposé par Loto-Québec en 2005, avec l’appui du Cirque du Soleil, de la Société du Havre et de la Chambre de commerce. Ce projet, dont le montage financier nécessitait un million de dollars de fonds publics, visait à augmenter la profitabilité du Casino, de même que son positionnement international, en créant un pôle de divertissement incluant salle de spectacle, centre de foire, hôtel de luxe, etc. Alors que certains acteurs y voyaient une occasion de stimuler le développement économique local, et que des élus locaux appuyaient le projet ou s’abstenaient prudemment, son annonce a soulevé une vive controverse dans le quartier.

Diagnostic et résistance Plutôt que de se lancer dans une logique de « Pas dans ma cour », la Table de concertation du quartier Action-Gardien a mené

Jocelyne Bernier est coordonnatrice à la Chaire Approches communautaires et inégalités de santé à l’Université de Montréal.

Et si les projets négociés avec les communautés locales étaient ceux pouvant assurer une réelle prospérité économique, une prospérité juste et viable pour tous ?


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Pratiques citoyennes - 6

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festations diverses, occupation symbolique du terrain visé. La recherche d’appuis fut menée activement, afin de s’allier à des réseaux actifs dans le développement collectif ainsi qu’à ceux opposés aux jeux de hasard, et pour gagner l’appui de la population en général, en multipliant les communiqués et conférences de presse. Tout cela allait porter des fruits : un avis de la Direction de santé publique de Montréal a confirmé l’essentiel du diagnostic posé et un rapport d’un comité interministériel a recommandé de revoir le projet de Loto-Québec et de le soumettre à la consultation publique. En mars 2006, le projet était abandonné. Les gens d’affaires ont alors accusé le milieu communautaire d’immobilisme freinant tout développement. Et pourtant !

Visite du quartier et de ses enjeux d’aménagement

Des citoyens en action

une campagne médiatique misant sur « une ville riche de ses quartiers et de ses habitants ». Pour ce faire, il fallait documenter les effets néfastes de la présence du Casino en plein centre-ville, quel que soit le quartier visé : impacts de la dépendance au jeu, spéculation foncière et hausse du coût de l’habitation, accroissement de la circulation automobile, criminalité et prostitution, etc., tout en dénonçant le fait que les prévisions de Loto-Québec en termes d’accroissement de la clientèle internationale reposaient sur des données peu crédibles. Diagnostic et argumentaire en main, il fallait mobiliser la population et montrer l’ampleur de l’opposition : affiches et banderoles dans tout le quartier, assemblées citoyennes, documents thématiques sur les enjeux, porte-à-porte pour discuter avec le voisinage, lancement d’une pétition signée par près de 80 % des résidents adultes et déposée au bureau de la députée, mani-

Les énergies se sont alors concentrées sur d’immenses terrains jouxtant le site prévu pour le Casino. Les anciens ateliers du CN, occupés par l’entreprise ferroviaire Alstom, étaient en effet à l’abandon depuis 2003. À l’époque, la Table ActionGardien a incité les pouvoirs publics à acquérir ce terrain au bénéfice de la collectivité. Mais les divers niveaux de gouvernement ont refusé d’envisager ce scénario et les terrains ont été vendus pour un dollar à un promoteur privé, le groupe Mach, avec l’obligation de les décontaminer pour les développer. Pour les citoyens du quartier, l’enjeu portait donc sur le réaménagement de cette friche industrielle, fortement convoitée – puisque située aux portes du centre-ville de Montréal – et représentant plus du quart du quartier bâti de la Pointe-Saint-Charles. Le défi était de proposer un plan d’ensemble qui puisse répondre aux besoins et aux aspirations des résidents du quartier. La Table Action-Gardien a donc organisé en 2008 une « Opération populaire d’aménagement » (OPA) sur le thème « Un quartier à imaginer ». Pendant une fin de semaine, les participants regroupés en équipes ont fait un travail de conception, plans et maquettes en mains, pour développer des propositions. Celles-ci furent tra-

photos : Archives Action-Gardien

Une vision partagée du développement


7 - Pratiques citoyennes

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duites en dessins par des bénévoles : designers, architectes, urbanistes et étudiants. Ce processus démocratique d’échange et de prospective, où toutes les idées sont bienvenues et mises en commun, a permis une forme de négociation des divers besoins de la population résidente, dans une perspective d’inclusion, d’amélioration des conditions de vie et de cohabitation des différents usages. À l’issue de la démarche, un document synthèse illustrant les propositions d’aménagement fut produit pour interpeller les pouvoirs publics et les inciter à soutenir leur mise en œuvre.

photo : Archives Action-Gardien

La démocratie au service de la collectivité En réponse aux demandes répétées présentées aux pouvoirs publics afin qu’ils assument le développement du site, la Ville de Montréal a confié à l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) le mandat d’encadrer la concertation entre différents acteurs  : l’arrondissement, le propriétaire, les développeurs et des représentants des organismes locaux. L’objectif recherché : l’élaboration collective des principes directeurs de l’aménagement du lieu. La démarche, en amont du dépôt d’un plan d’ensemble par le propriétaire et promoteur, était une procédure nouvelle pour l’OCPM. Une réelle innovation sociale rendue possible grâce à la crédibilité et à la légitimité des propositions issues des travaux de l’OPA. Lors des élections municipales de 2009, les candidats se sont engagés à appuyer plusieurs des propositions issues de la communauté. Le nouveau maire de l’arrondissement a mis en place un comité de suivi inusité, qui a été le théâtre de longues négociations. Le tout sans que ne cessent la mobilisation citoyenne: protestations contre l’utilisation non appropriée et non autorisée du site par le propriétaire, pétition contre le camionnage lourd dans les rues résidentielles, lutte pour la protection d’un parc et pour la cession d’un immense bâtiment inoccupé à la communauté, le Bâtiment 7. L’information à la population n’a pas cessé : journaux, tracts, assemblées et actions symboliques.

Le développement collectif dans tous ses états

Pendant la négociation, l’Agence métropolitaine de transport (AMT) a choisi d’exproprier une partie du site pour y installer un centre d’entretien des trains de banlieue. Accompagné d’une entente avec le Regroupement économique et social du SudOuest (RESO, la CDEC locale) pour la formation de travailleurs du quartier, le projet a été bien reçu par la population puisqu’il s’arrimait aux orientations de la collectivité.

La belle affaire… collective L’accord de développement négocié et adopté par l’exécutif de la Ville de Montréal en octobre 2012 fera du Un plan de quartier amélioré par les citoyens site un réel prolongement du quartier, avec un développement résidentiel de 825 nouveaux logements, incluant 25 % de logements coopératifs ou sans but lucratif (ce qui va au-delà de la politique d’inclusion de la Ville). De plus, on a vu l’installation d’entreprises créaLes participants ont trices d’emploi pour la population locale et été regroupés en compatibles avec la proximité du milieu résidentiel, l’éclosion d’un pôle communauéquipes et ont fait un taire et culturel avec centre social autogétravail de conception ré, ateliers d’artistes, agriculture urbaine, à l’aide de plans services de proximité, espaces verts et et de maquettes places publiques, sans oublier la préservapour développer tion des bâtiments d’intérêt patrimonial. De plus, le projet prévoit miser sur le dévelopdes propositions. pement du transport collectif et le désenclavement du site, ce qui facilitera l’accès au fleuve. Certes, des compromis ont été nécessaires. Même si on est loin du projet rêvé par les citoyens, leurs efforts constants ont permis, avec l’appui des élus locaux, d’obtenir des gains pour le quartier et d’éviter plusieurs erreurs du projet initialement porté par le propriétaire. L’accord de développement adopté reflète l’intention et l’ouverture du milieu à un développement intégré au bénéfice et dans le respect de la collectivité. /


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Profession? Seniornaute Quand les TIC transforment en réalité prometteuse le vieillissement chez soi par Francine Thomas

Francine Thomas détient un MBA en système d’information. Retraitée de la fonction publique québécoise, elle s’est jointe à l’équipe du CEFRIO au printemps 2009. Elle y est responsable des projets relatifs aux usages et à l’appropriation des TIC par les aînés québécois.

Les outils de télésanté permettent d’imaginer un avenir avec un meilleur enracinement régional et un maintien à domicile accru.

Rose Valois, une grand-maman de SainteAnne-des-Monts, est assise dans son salon, rivée à son téléviseur. Ce qui capte son attention ? Le récit, en temps réel, des découvertes de son petit-fils Nicolas, trois ans, qui vit au Vietnam avec ses parents. Voilà qui démontre bien comment l’arrivée de nouveaux outils technologiques peut contribuer à favoriser la qualité de vie à domicile des aînés, voire même à mettre à profit leurs compétences et à favoriser leur implication dans une société moderne. En effet, les outils de télésanté, des simples capteurs aux dispositifs sophistiqués de suivi médical, permettent d’imaginer un avenir avec un meilleur enracinement régional et un maintien à domicile accru. De nouveaux modèles d’apprentissage pour les aînés se développent, à l’image de l’initiative américaine SeniorNet1, qui offre des formations complètes en ligne, lors desquelles les aînés peuvent interagir entre eux et être accompagnés par des professeurs experts capables de répondre à leurs questions. Un organisme américain, YourEncore2, a créé une plateforme de collaboration sécurisée où les entreprises font appel à l’expertise de travailleurs retraités, qui assurent une prestation de travail à leur rythme et à partir de leur domicile. De son côté, le gouvernement australien3 a mis en place un espace où les aînés sont invités à raconter des événements historiques tels qu’ils les ont vécus. Autant d’exemples qui démontrent tout le potentiel que présentent les TIC pour maintenir la participation des aînés dans le monde d’aujourd’hui. Mais qu’en est-il,

exactement, de la présence des aînés dans l’univers numérique  ? Ont-ils les compétences nécessaires pour tirer profit de ces nouvelles technologies ?

Une présence sur le Web de plus en plus marquée Cette progression est lente, mais constante. L’enquête NETendances 20114, nous apprend que les trois quarts des adultes de 55 à 64 ans (76,6 %) utilisent Internet, alors que la moitié (49,2 %) des 65 ans et plus le font. Pour les 18-34 ans, ce chiffre grimpe à 94 %. Si les aînés les plus âgés ont de la difficulté à rattraper la vague technologique, les aînés les plus jeunes semblent y arriver beaucoup plus facilement. On peut présumer que les 55-64 ans ont été initiés aux TIC et à Internet dans le cadre de leurs activités professionnelles. D’ailleurs, ils possèdent souvent un équipement informatique semblable à celui des jeunes adultes. Chose certaine, une fois initiés, les aînés prennent goût aux TIC et à Internet. Au fur et à mesure que leur apprentissage avance, ils apprécient leur côté divertissant et pratique. Ils ont adopté le courriel et l’utilisent régulièrement (98 %). Ils sont à l’aise dans la recherche d’informations, font la lecture des nouvelles en ligne, certains allant jusqu’à préférer Internet aux médias traditionnels. Quant à l’utilisation des sites Web bancaires et des fonctionnalités transactionnelles, elle semble vouloir s’ancrer dans leurs habitudes: consultations (62 %) et transactions bancaires sur une base régu-


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illustration : Atelier lapin blanc

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lière (50 %), achats en ligne (53 %) sur une base occasionnelle. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que, selon les données compilées par l’enquête de Génération A5, les aînés naviguent sur Internet en moyenne 15,7 heures par semaine, et que 34 % l’utilisent plus de 20 heures par semaine. Ces chiffres sont comparables au nombre d’heures que les jeunes utilisateurs passent sur Internet par semaine.

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Le développement collectif dans tous ses états

Des facteurs favorisant l’appropriation Certains facteurs semblent expliquer la constante progression de la présence des aînés sur le Web et favoriser leur appropriation de ces nouvelles technologies. La première piste est sans contredit l’intérêt pour les jeux comme porte d’entrée vers Internet. Les aînés débutants sur Internet ont en effet un grand attrait pour la dimension ludique, alors que leur utilisation tend, par


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La promotion des TIC auprès des aînés devrait passer par des moyens d’accompagnement appropriés à leur niveau d’expérience sur Internet.

la suite, à migrer vers des applications plus complexes. Le jeu en ligne se révèle donc un moyen privilégié d’appropriation d’Internet. Par ailleurs, les aînés internautes apprécient généralement un accompagnement suivi et personnalisé assuré par des proches. Le dépannage est en effet, jugé essentiel par 46 % d’entre eux, qu’ils soient débutants ou initiés. Ce besoin d’accompagnement étant bien réel, la promotion des TIC auprès des aînés devrait passer par des moyens d’accompagnement appropriés à leur niveau d’expérience sur Internet. Tout projet de branchement à Internet ou de mise en place de services à base de TIC devrait prendre sérieusement en compte cette exigence sous peine d’échec. Enfin, même si les aînés en donnent une appréciation générale positive, très peu sont arrivés à utiliser les services Web transactionnels sans aide durant les tests réalisés par le CEFRIO. Les sites Web et les services en ligne gagneraient donc à être simplifiés et clarifiés, notamment en décomposant les tâches au maximum, en s’assurant de la compréhension de la terminologie par le public et en prenant soin de développer des services d’aide en ligne.

Éviter une fracture numérique générationnelle Dorénavant, nos téléphones véhiculent des images et nos téléviseurs nous permettent de communiquer. Les outils de la mobilité (tablettes, téléphones intelligents, etc.), les facilités grandissantes du commerce électronique et de l’achat de services en ligne, les développements récents issus des

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mondes de la téléphonie, de l’imagerie et d’Internet, peuvent sans aucun doute être mis à profit pour améliorer la qualité de vie des aînés. Internet et les TIC ne sont pas une panacée. Ils peuvent cependant contribuer à donner aux aînés les moyens de conserver leur autonomie et leur qualité de vie, et leur ouvrent de nouvelles possibilités de s’engager dans une société en évolution constante. Ils constituent des outils dans la recherche de solutions à la solitude et à l’isolement décriés dans les consultations publiques sur les conditions de vie des aînés, en permettant la mise en place de modes de communication qui leur soient mieux adaptés. Comme quoi, « vieillir chez soi » en tirant profit du numérique devient une réalité prometteuse.

1. www.seniornet.org 2. www.yourencore.com 3. www.seniors.gov.au/internet/seniors/ publishing.nsf/content/community 4. Cinq générations d’internautes : profil d’utilisation des TIC en 2011, www.cefrio. qc.ca/publications/numerique-generation/ netendances-2011-generations 5. Le projet Génération A a été réalisé en 2010 avec l’aide financière accordée par le programme « Appui au passage à la société de l’information » du Sous-secrétariat aux ressources informationnelles et du bureau du dirigeant principal de l’information du Secrétariat du Conseil du trésor. Ce projet a été rendu possible grâce à la participation de la Régie des rentes du Québec, de Revenu Québec, de la Société de l’assurance automobile du Québec, de Services Québec, ainsi que de Bell Canada et de Systèmes Cisco Canada Ltée. www. cefrio.qc.ca/publications/numerique-generation/ aines-branches-plus-en-plus-competents-tic

illustration : Atelier lapin blanc

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Que cache le développement ? Ou pourquoi le déconstruire par Amélie Nguyen

occidentaux de l’Histoire et de la possibilité d’agir à partir de leur propre ancrage culturel pour « progresser ». En effet, les pays qui ne possédaient pas le même type de développement que les colonisateurs ont été qualifiés de sauvages, d’arriérés, puis de sous-développés; ce qui impliquait déjà, au premier contact, que la culture occidentale soit supérieure à celle de la population locale. C’est ainsi que l’interprétation voulant que la modernité soit occidentale confine la majeure partie du monde au purgatoire du sous-développement, un monde parallèle où il est impossible, pour les Burkinabés, Vietnamiens, Péruviens ou Autochtones, d’arriver à être « développés », puisqu’ils ne deviendront jamais réellement Occidentaux. Le rattrapage est ainsi impossible pour l’Autre, qui est constamment confronté à son altérité dès qu’il tente de rejoindre le monde développé. Sous des dehors statistiques et techniques, le développement, avec ses sous-catégories de «  sous-

Analyste à l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), Amélie Nguyen est actuellement coopérante volontaire au Vietnam pour Oxfam.

Questionner le « développement » c’est s’ouvrir à repenser ses manières de faire et ses croyances.

illustration : atelier lapin blanc

Le terme « développement » est souvent présenté comme neutre, technique. Il fait en particulier référence à « l’avancement » économique d’un pays, à sa capacité de favoriser la croissance économique. En fait, ce terme est teinté d’une idée de progrès qui devient nocive lorsqu’elle sous-tend que l’objectif universel devrait être l’atteinte d’un mode de vie et d’un fonctionnement social similaire à celui de l’Occident. De même, si l’avancement d’un pays signifie calquer le modèle capitaliste qui nous a menés aux récentes crises économiques, sociales et environnementales, cela restreint la capacité créative de l’humanité et limite la portée de fonctionnements alternatifs porteurs pour l’avenir. Questionner le « développement » c’est s’ouvrir à repenser ses manières de faire et ses croyances. Le problème du développement – terme qui tire sa connotation d’une hiérarchisation des cultures datant de la confrontation coloniale – c’est qu’il exclut les pays non


Le développement collectif dans tous ses états

Au Canada, l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale est de cinq milliards de dollars, alors que le montant alloué à la Défense sera de 24,5 milliards de dollars en moyenne par année, et ce jusqu’en 2017-2018.

développé » et « en développement », est un concept qui fige une interprétation d’un monde statique, où on catégorise afin d’exclure et d’exploiter, et ce, de manière durable1. Pourtant, il existe des pistes pour favoriser une remise en question de ce « développement » inatteignable parce qu’il serait fonction du « sous-développement » de certains.

La culture comme levier Pour que la solidarité internationale fonctionne, il faut tout d’abord voir la culture comme un vecteur de changement plutôt que comme un obstacle. Ce sont les gens eux-mêmes, dans leurs particularités et leur ancrage historique local, qui peuvent changer leur société. De toute façon, on ne peut pas transposer un modèle de développement d’un endroit à un autre parce qu’il est lui-même culturellement et historiquement teinté. Cela est aussi une manière de préserver le rôle d’acteurs des populations dans la rencontre solidaire, plutôt que celui de bénéficiaires passifs d’un «  développement  » prédéterminé et imposé. À plus petite échelle, la remise en question constante des pratiques et des interprétations est donc fondamen-

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tale pour réussir à s’appuyer solidairement, sans paternalisme ou « assistancialisme ». Voir la culture comme une force tend aussi à limiter le repli identitaire aux traditions ; par exemple, il existe un repli identitaire qui engendre de plus en plus de confrontations entre l’Occident et l’Islam2 – non, ce n’est pas une erreur, les choses sont souvent présentées ainsi : région contre religion. Ce n’est qu’à travers un lien de confiance bâti au fil du temps, d’égal à égal et grâce à une compréhension commune des défis locaux que la solidarité peut émerger et espérer remettre en question les pratiques désuètes.

Une approche basée sur les droits L’avantage de se baser sur les droits de la personne est que cela légitime les revendications des populations, incluant le droit d’être respecté par leur gouvernement. Formellement, tous les êtres humains ont des droits. Dans une certaine mesure, cela peut aussi être un moyen de valoriser les luttes au niveau international, en articulant celles-ci dans un langage qui cadre avec celui des organisations internationales. Par contre, pour y arriver, il faut aussi reconnaître que tous les droits sont interreliés et indivisibles. Les droits civils et politiques, comme la liberté d’expression et d’association, sont aussi importants que les droits économiques et sociaux, comme le droit à l’alimentation et à l’éducation, et les uns ne peuvent être réalisés sans que les autres ne soient respectés. Ce respect a des implications sur le travail à l’étranger, où il est important d’intégrer à des projets plus techniques, comme la construction d’une école ou d’un puits, une dimension de sensibilisation politique et citoyenne des populations touchées afin qu’elles puissent, à l’avenir, revendiquer elles-mêmes le respect de leurs droits.

La démocratie citoyenne

Projet accompagnement Québec-Guatemala

Seules les populations peuvent mettre en place un changement social durable dans leur communauté. Le fait d’ouvrir l’espace public tout en n’excluant pas l’État de la relation solidaire peut ainsi contribuer à redyna-

photo : James Rodriguez

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miser la relation entre la société civile locale et le gouvernement. Il faut donc appuyer d’abord les initiatives locales instiguées par les populations visées. Il en va de même au Québec. Avec ce que représente monétairement la coopération internationale par rapport au reste des flux financiers dans le monde, et pour que les projets à l’étranger fonctionnent, il est impératif de questionner les politiques des États les plus influents du monde. Par exemple, au Canada, l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale est de cinq milliards de dollars, alors que le montant alloué à la Défense sera de 24,5 milliards de dollars en moyenne par année et ce jusqu’en 20172018. Sans une volonté politique des États les plus influents de remettre en question les causes structurelles du mal développe-

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ment, la coopération et la solidarité internationale ne réussiront pas à soutenir un changement durable des conditions de vie à l’étranger. Ici comme ailleurs, ce sont les populations qui changent les politiques gouvernementales. Il s’agit de prendre conscience que notre rôle sur le changement social à l’étranger est aussi influencé par les changements que nous imprimons aux orientations de nos propres gouvernements. /

1. Voir à ce sujet : Dipesh Chakrabarty, Provincializing Europe: Postcolonial Thought and Historical Difference, Princeton University Press, 2007. 2. Amin Maalouf, Les identités meurtrières, Grasset, 1998.


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dossier

Le « nous » de l’éducation Illustration de Marie-Eve Tremblay


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Le « nous » de l’éducation par Mélanie Chabot, rédactrice en chef

NOUS,

« Le miracle n’arrivera pas d’en haut, mais d’en bas », a lancé René Beauregard, maire de Saint-Joachim-de-Shefford, aux participants d’un événement organisé ce printemps par Solidarité rurale du Québec1. Comme plusieurs des acteurs présents, cet initiateur de petites révolutions locales mise en effet sur son monde, principale richesse de son coin de pays. Car l’expérience lui a enseigné qu’il n’y a pas de recette au développement de nos territoires, si ce n’est la participation active des citoyens qui les occupent. Paul Prévost, professeur à la Faculté d’administration de l’Université de Sherbrooke, n’aurait pu trouver meilleure image pour démontrer que le développement local est, en lui-même, un processus d’apprentissage, voire d’éducation des adultes. « Pour se développer, il faut savoir construire et reconstruire continuellement ses capacités de changement. Il faut apprendre à apprendre. Il faut être patient. » Le développement de nos collectivités exigerait donc que chacun puisse acquérir les compétences nécessaires pour ensuite agir comme citoyen, pour pouvoir porter ou influencer le changement. Tiens, je lisais justement qu’il s’agit du défi actuel de l’État-providence. Qu’il nous faut passer de politiques sociales réparatrices à une stratégie préventive, en voyant certaines dépenses sociales comme des investissements qui accompagnent et soutiennent la transition vers l’économie du savoir. Pour survivre, l’État-providence aurait besoin de devenir participatif. Et pour qu’il devienne participatif, le développement d’une compétence active des citoyens serait nécessaire2.

vous, ils, elles

Or, chez nous, 49 % des personnes âgées de 16 à 65 ans éprouvent des problèmes de lecture et d’écriture. De ce nombre, 16 % sont analphabètes complets, 33 % analphabètes fonctionnels. Et, détrompez-vous, les jeunes de 16 à 25 ans sont bien représentés dans ce taux, avec 36 % d’analphabétisme. Avec un taux de décrochage qui oscille entre 20 et 30 % au Québec depuis 20 ans, peut-on vraiment s’étonner de ces chiffres ? C’est dans le contexte du débat social de la dernière année, qui a remis à l’avant-scène la question de l’éducation et de son accessibilité, que Kaléidoscope a voulu scruter, à sa manière, l’importance des liens entre l’éducation et le développement durable de nos communautés. Le présent dossier aborde l’éducation dans sa globalité, en amont et en aval, de l’école. Car l’éducation ne se limite pas aux murs des institutions d’enseignement, pas plus d’ailleurs qu’elle ne s’arrête à 65 ans. Si l’éducation est l’affaire de tous, comme on le répète, elle doit aussi (re)devenir un droit pour tous. En 1992, le groupe de travail présidé par Camil Bouchard lançait un cri du cœur en intitulant son rapport Un Québec fou de ses enfants. Et si, pour y arriver, le Québec devait devenir fou de tout son monde ? /

Le développement de nos collectivités exigerait que chacun puisse acquérir les compétences nécessaires pour ensuite agir comme citoyen, pour pouvoir porter ou influencer le changement.

1. Prospective et autres outils pour imaginer l’avenir.19 e Conférence nationale de solidarité rurale du Québec, Château Bromont, mars 2013. 2. Gøsta Esping-Anderson avec Bruno Palier (2008). Trois leçons sur l’État-providence, Paris, Seuil.

illustration : atelier lapin blanc

je, tu, il, elle,


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Qu'est-ce que l'éducation ? Une incontournable question préalable par Normand Baillargeon *

Qu’est-ce donc que l’éducation ? Vous m’accorderez sans doute qu’après un moment de réflexion on se rend compte qu’il n’est pas si facile que cela de le dire. C’est à cette simple question, qui n’est que trop rarement soulevée, que je souhaite m’attarder ici. Elle me paraît aussi importante qu’incontournable, même si nous faisons typiquement de grands efforts pour l’éluder.

Une question esquivée Considérez par exemple le récent « Printemps érable  ». Entre autres choses sans doute, mais indéniablement, ce mouvement a voulu soulever des questions relativement à la nature de l’éducation que nous devrions collectivement promouvoir; il a aussi soulevé de vives inquiétudes quant à certaines des orientations, particulièrement mercantiles, de l’enseignement supérieur au Québec. Or il est notable que bon nombre, sinon la plupart de ces questions aient été esquivées par le Sommet de l’enseignement supérieur, qui s’est concentré sur des problématiques instrumentales (comme les droits de scolarité et les moyens de favoriser l’accessibilité) et donc sur la question des moyens, bien plus que sur celle des finalités. Ce n’est pourtant qu’à l’aulne d’une définition claire de ce qu’on tient pour être l’éducation qu’on pourra déterminer ce qu’on est en droit d’en attendre, tant pour les individus que pour la collectivité, que l’on pourra préciser ce qui fait problème et les moyens d’y remédier. C’est ainsi que le fort taux de décrochage qui a cours chez nous, la reproduction des inégalités par le système scolaire ou la marchandisation de l’éducation sont diversement jugés selon la conception que l’on se fait de

l’éducation. Et c’est encore ainsi que les moyens à mettre en œuvre dans chaque cas seront, eux aussi, nettement différents.

Un modèle libéral de l’éducation Pour aider à y voir plus clair, une première distinction très utile doit être faite entre les concepts d’éducation et de scolarisation. L’école (la scolarisation) est en effet un moyen, pour une société, de diffuser, et, pour des individus, d’acquérir, de l’éducation. Mais ce moyen est contingent : on peut être éduqué sans être allé à l’école et sans aucun doute aussi, hélas, être allé à l’école sans être éduqué. De plus, l’école, si elle ambitionne d’accomplir la fonction d’éduquer ceux et celles qui la fréquentent, remplit aussi d’autres fonctions, comme les socialiser et les qualifier. Quelle est donc que cette éducation que l’école peut dispenser en même temps que la qualification et la socialisation, mais qui en est distincte et que l’on peut acquérir sans aller à l’école ? Une très longue et très ancienne tradition de pensée, qui remonte à Platon et qui traverse ensuite toute notre culture jusqu’à aujourd’hui, soutient, à mon avis avec raison, que l’éducation consiste en l’acquisition de savoirs d’un certain genre, fondamentaux et théoriques, qui sont indispensables pour construire l’autonomie d’une personne et pour en faire un membre réflexif et critique d’une communauté politique, ces savoirs ayant sur ceux et celles qui les possèdent un effet émancipateur. De quoi, exactement, libèrent-ils ? De l’ignorance, des préjugés et des conventions, de l’enfermement dans l’ici et le maintenant. Et c’est justement pour cette raison qu’on

L’éducation consiste en l’acquisition de savoirs (…) qui sont indispensables pour construire l’autonomie d’une personne et pour en faire un membre réflexif et critique d’une communauté politique.


Le développement collectif dans tous ses états

appelle « libérale » cette conception de l’éducation – en un sens singulier de ce terme, on l’aura compris. Cette conception de l’éducation ne nie évidemment pas que l’école puisse – ou même doive – être un lieu où les enfants, en plus d’être éduqués, sont en outre socialisés et qualifiés. Mais elle insiste pour soigneusement distinguer la scolarisation de l’éducation et pour dire que ce pour quoi les écoles sont faites, c’est d’abord pour éduquer au sens où ce mot a été défini de longue date. Cette définition qui a traversé le temps entraîne de nombreuses et importantes implications ; elle permet à la fois d’identifier des composantes de ce qu’elle perçoit comme la crise actuelle de l’éducation et d’esquisser des moyens de lui faire face. Je me permettrai pour finir cinq remarques à ce propos.

La crise de l’éducation à la lumière de cette définition La première est que l’éducation, telle que je l’ai défendue ici, est en ce moment menacée par diverses formes de réductionnisme économique et de mercantilisme qui, s’ils deviennent l’étalon de la valeur éducative, risquent de ne plus accorder de valeur à plusieurs des composantes d’une éducation libérale. La perte encourue pourrait être considérable. La deuxième est que ce nouveau paradigme, confusionnel, qui tend aujourd’hui à s’étendre, risque de nous inciter, individuellement et collectivement, à valoriser sous le nom d’éducation ce qui s’en distingue pourtant clairement, notamment la scolarisation, la qualification et la réussite économique. C’est encore là un piège dans lequel il faut à tout prix éviter de tomber.

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La troisième est qu’il est devenu primordial de défendre l’éducation comme quelque chose d’intrinsèquement plutôt que d’instrumentalement valable; il faut la valoriser en tant que telle par tous les moyens, le premier d’entre eux étant sans doute d’inviter à ne pas la confondre avec ce qu’elle n’est pas. La quatrième est de rappeler qu’une éducation peut être acquise de diverses manières, tant formelles qu’informelles, et que l’école n’a pas le monopole de la transmission de savoirs présentant un potentiel émancipateur. D’importantes conséquences pratiques que chacun pourra développer découlent de ce principe. La cinquième, enfin, est qu’on peut légitimement espérer que des personnes formées par ce type d’éducation aient acquis les savoirs, les habiletés et les vertus leur permettant de mener une vie associative dans laquelle, partageant des intérêts communs, ils échangent, débattent et prennent des décisions animés par le souci du bien commun : en un mot, qu’ils se comportent en citoyens d’une société démocratique. /

* Professeur en sciences de l'éducation à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), Normand Baillargeon est essayiste, sceptique, militant libertaire, chroniqueur et collaborateur de différentes revues alternatives.

illautration : Atelier lapin blanc

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Rapport Parent : le pari réussi de l’éducation pour tous ?

photo : lucie bataille

par Sophie Clerc, équipe de rédaction

Il y a 50 ans paraissait le Rapport Parent, point d’ancrage des grandes réformes du système d’enseignement québécois. Afin de souligner cet anniversaire et, surtout, de confronter quelques-uns de ses grands énoncés aux enjeux actuels en matière d’éducation, Kaléidoscope a réuni l’un de ses commissaires, le sociologue Guy Rocher, et une des figures de proue de la grève étudiante québécoise de 2012, Martine Desjardins, alors qu'elle était présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ). C’est avec une joie non feinte qu’ils se sont prêtés à l’exercice de « relecture » de ce document de référence.

K : Quel est pour vous, s’il fallait n’en citer qu’un, le principal héritage du Rapport Parent ? Martine Desjardins (M.D.) : Je dirais la démocratisation du savoir pour les francophones. On le constate dans les régions éloignées des grands centres : l’étendue du réseau collégial et universitaire est assez unique au Québec ! C’est incontestablement une démocratisation du savoir qu’il faut encore défendre ! Guy Rocher (G.R.) : Tout à fait. Au fondement du rapport, il y avait l’idée de l’accessibilité à une époque où le système d’enseignement n’était accessible qu’à une minorité de Québécois. Cette accessibilité était d’ailleurs fondée sur la gratuité.


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versités pour avoir une université de qualité, à 75 %, ils refusaient, jugeant que l’université ne leur appartenait pas ! Trouvons des façons pour que les collectivités se réapproprient leur université.

K : Comment rendre effectif ce droit ? G.R. : Ce droit doit être défendu collectivement. Pour ce faire, il faut placer l’avenir de l’éducation dans une conscientisation plus aigüe de la population, à savoir que l’éducation est une priorité nationale et qu’elle doit le demeurer. M.D. : Tout à fait. J’ajouterai que si on veut assurer un droit à l’éducation pour tous et revenir à une vision collective de ce droit, il faut qu’on parle d’éducation comme d’un bien commun et qu’on la traite comme tel. On doit aussi réimpliquer la collectivité au sein de nos universités. Durant le conflit étudiant, quand on demandait aux gens s’ils étaient prêts à investir davantage dans les uni-

K : La Commission a fait de l’éducation permanente un de ses chevaux de bataille. Aujourd’hui, qu’en est-il de la valorisation de l’éducation tout au long de la vie ? M.D. : Il y a un manque évident de valorisation de la formation tout au long de la vie, notamment dans une majorité de professions. L’exemple majeur est en éducation : vous allez enseigner toute votre vie et vous adapter à des changements sociaux, mais vous n’avez plus besoin de formation continue une fois diplômé ! On valorise le fait d'entrer sur le marché du travail et de payer

photos : lucie bataille

K : Dans son rapport, la Commission reconnaît qu’il existe un droit à l’éducation. Entre l’idéal d’une éducation accessible à tous, énoncé dans le rapport, et sa mise en œuvre dans les décennies suivantes, que constatez-vous ? G.R. : Il est évident que c’est de moins en moins un droit. D’abord, nous avons mis de côté, après le Rapport Parent, la véritable polyvalence au secondaire, à savoir l’idée qu’il y ait des ateliers pour permettre aux gars et aux filles qui ne sont pas faits pour le pupitre, mais qui sont faits pour des travaux pratiques et manuels, de trouver leur place. Deuxièmement, le privé a créé une nouvelle hiérarchie par la sélection qu'il fait et, inversement, par la sélection qu'il a entraînée à l’intérieur du public. On est revenu à un système élitiste, à deux vitesses, aux dépens de ceux qui n’ont pas le privilège d’y accéder. Troisièmement, la hausse des droits de scolarité fait aujourd’hui de l’accès à l’éducation un privilège. M.D. : En effet. C’est un droit qui est davantage envisagé en termes de bénéfices individuels. Alors que le Rapport Parent prônait une vision collective du droit à l’éducation, aujourd’hui, c’est une vision individuelle de l’éducation et du parcours scolaire qui prévaut.

K : Dans son rapport, la Commission proposait une conception nouvelle de l’éducation, « une éducation humaniste », tout en énonçant que le système d’enseignement joue un rôle important dans la formation du citoyen. Qu’est-il advenu de cette vision de l’éducation ? G.R. : Pour mieux comprendre la vision promue par le rapport, je préciserais que nous avions trois objectifs derrière celui de l’accessibilité. Le premier était de répondre à un Québec qui se modernisait et qui nécessitait une main-d’œuvre beaucoup plus instruite. Il fallait un système d’enseignement apte à faire ce travail. Deuxièmement, le système d’enseignement devait servir au développement et à l’épanouissement de chaque personne, un épanouissement complet : intellectuel, social et personnel. Le troisième objectif était de former des citoyens éclairés. Nous nous étions battus dans une guerre terrible pour la démocratie, mais nous constations que nos institutions n’étaient pas démocratiques, en particulier nos institutions de santé, nos institutions juridiques et nos institutions scolaires. La démocratie est devenue un objectif, d’où la nécessité d’un système d’enseignement qui allait préparer des citoyens à une vie sociale active. M.D. : Pourtant, on a l’impression qu’on donne actuellement à nos universités comme seule mission, de préparer des professionnels pour le marché du travail. Le développement du citoyen, ce n’est pas juste lui permettre d’être assis en classe, c’est aussi de pouvoir brasser les choses, de s’impliquer dans son milieu. Or, ce n’est pas valorisé à l’université. Prenons les associations étudiantes, c’est une implication citoyenne et souvent bénévole qui n’est pas reconnue. On l’a vu au printemps dernier, il y a toute une génération qui s’est politisée à travers les associations étudiantes. Plutôt que de reconnaître cette implication et, surtout, de valoriser tous les apprentissages pouvant en découler, on a plutôt choisi de pénaliser ceux qui se sont impliqués.


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ses taxes, mais pas de contribuer à la société en continuant sa formation. Nous aurions intérêt à le faire, car il y a là des retombées sociales, économiques et culturelles importantes. G.R. : Dans le rapport, cette idée de formation continue était très importante. Nous étions, après la guerre, au début d’une ère de développement scientifique et technique et les élèves allaient devoir se recycler plusieurs fois dans leur vie. Il y a un autre aspect qu’on a peu explicité dans le rapport, à savoir que l’éducation des adultes corrigeait aussi les déficits d’instruction dans la population. Nous étions une province sous-scolarisée : ce qui voulait dire, par exemple, que les commissions scolaires devaient faire de l’éducation des adultes pour permettre à plus de citoyens de lire, de compter et de signer leur nom. Aujourd’hui, il y a encore près de 50 % de la population qui est analphabète fonctionnelle ! L’éducation des adultes n’est donc pas seulement pour ceux qui continuent à s’instruire, mais aussi pour ceux qui ont échoué dans leurs études antérieures pour toutes sortes de raisons, individuelles ou collectives. K : En conclusion, que souhaitez-vous ajouter ? G.R. : Le Rapport Parent a été écrit dans une période privilégiée : le Québec était en ébullition. Nous avions pris conscience des exigences de la société dans laquelle nous nous engagions. Nous avons été tellement alimentés par l’opinion publique et par les différentes associations ! C’est ce qui fait que ce rapport est encore vivant. J’ajouterais enfin qu’il faut considérer l’éducation dans son ensemble. Ce n’est pas tout de revoir l’université, il faut revoir l’ensemble de notre système d’enseignement, en tout cas le réévaluer et le réorienter, peut-être avec les intentions que la population avait à l’époque du Rapport Parent. Placer à nouveau l’éducation au cœur d’un projet de société. M.D. : Je suis tout à fait d’accord. Dans le cadre de mon mandat à la FEUQ, j'ai eu l'occasion de visiter de nombreuses universités en région et elles sont très inspirantes quant à la place donnée à l’éducation au sein de la communauté. Prenons le cas de l’Université du Québec à Rimouski, très en lien avec son milieu, et qui a un pôle d’excellence en biologie marine. Chicoutimi aussi est un cas intéressant : on a créé une entente avec l’Université de Sherbrooke pour avoir des médecins qui sont formés dans la région, parce qu’on se rendait compte que nos médecins au Saguenay quittaient la région et ne revenaient plus. Quand la collectivité et l’université sont en lien, on aboutit à des projets novateurs. C’est la même chose pour les cégeps en région. Ils ont eu un très grand rôle dans le développement économique,

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politique et culturel des régions, et sont ancrés dans leur communauté. À Matane, ne pensez surtout pas les priver de leur cégep ! Il appartient à la communauté, le maire assiste aux conférences qui y sont données et les gens en sont fiers. Ce sont de beaux exemples dont il faudrait s’inspirer, justement pour placer de nouveau l’éducation au cœur d’un projet de société, ce projet rêvé par les Québécois et qui a fait chanter les casseroles au printemps dernier. /

Brève histoire du Rapport Parent C’est en avril 1961 que le gouvernement du premier ministre Jean Lesage nomme la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, connue sous le nom de Commission Parent. Elle fait état de la situation de l’éducation au Québec. Son rapport, publié en trois tomes et réparti en cinq volumes, entre 1963 et 1964, n’émet pas moins de 576 recommandations pour réformer en profondeur le système d’éducation québécois. Pour en savoir plus : « L’Éducation pour tous – Une anthologie du Rapport Parent », Les Presses de l’Université de Montréal, 2002, Claude Corbo.

Quelques-unes de ses grandes recommandations Parmi les 576 recommandations du Rapport Parent mentionnons, outre l’accessibilité et la valorisation d'une éducation humaniste : • la constitution d’un ministère de l’Éducation ; • la création du Conseil supérieur de l’éducation ; • l’établissement d’un niveau d’études, d’une durée de deux ans après la 11e année, qui soit nettement distinct à la fois du cours secondaire et de l’enseignement supérieur ; • la mise en place de la gratuité scolaire à long terme pour le réseau universitaire ; • la reconnaissance de l’entière liberté des filles quant au choix d’un métier ou d’une occupation professionnelle ; • le respect de la diversité des opinions religieuses des parents et des élèves.


dossier - Le « nous » de l’éducation - 22

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La communauté au service de la réussite éducative Le décrochage est un problème de société que ne peuvent résoudre, seules, les écoles. par Marie-Hélène Verville, collaboratrice

milles, l’école et la communauté. « Je suis une personne de confiance, pas menaçante pour les familles. Souvent, lorsque des parents se sentent démunis, ils demandent à voir l’ICS avant d’aller vers la Direction de l’école, s’ils connaissent notre existence. » Comme les autres intervenants d’Un milieu ouvert sur ses écoles (MOÉ), elle a deux patrons qui travaillent de concert : l’école qui lui est assignée et la Table de concertation jeunesse Bordeaux-Cartierville (TCJBC). Tous les acteurs du milieu sont partenaires : les organismes communautaires, les institutions d’enseignement, l’arrondissement, les services de santé, les policiers. « Dans les années 1990, l’immigration change de visage dans le quartier. On observe un certain cloisonnement des communautés culturelles, impression qu’a confirmée une étude de la TCJBC. De là est né Un milieu ouvert sur ses écoles », explique son coordonnateur, Louis‑Philippe Sarrazin. Depuis 2001, chaque école primaire ou secondaire publique de ce secteur a son ICS, et celui-ci a le mandat de favoriser l’intégration sociale des nouveaux arrivants et l’engagement parental, deux clés de la réussite scolaire. « Ce projet est un des premiers de cette envergure à Montréal. C’est un projet modèle, évalué par des chercheurs qui ont démontré son effet levier », explique Benoît Landry, agent de développement aux relations avec la communauté à la Commission scolaire de Montréal.

L’affaire de tous

Initiation aux plaisirs d’hiver pour des familles nouvellement arrivées au Québec

Depuis quinze ans, l’idée que la réussite scolaire est l’affaire de tous fait son chemin, l’initiative de Bordeaux-Cartierville en est un exemple patent. Pas étonnant que la mobilisation soit au cœur du vaste programme du ministère de l’Éducation, du Loisir et du

photo : Jacques Pasquet

Lundi soir, 17 heures. Au Centre communautaire Ahuntsic, un groupe de parents et d’élèves mangent ensemble, parlent et rient fort. Avec eux, madame Francine, intervenante à l’école François-de-Laval. Elle est une figure de proue dans ce quartier multiethnique, et tout le monde la salue. Plus tard, enfants et adultes suivront chacun de leur côté, un atelier sur les habiletés familiales. Ils se réuniront pendant quatorze séances, grâce à un programme novateur offert par l’organisme Repère et le Centre DollardCormier. « Mon rôle a été d’identifier et de recruter les familles, ce que j’ai fait avec l’accord des directions d’écoles et de la psychoéducatrice. Je soupe avec les participants le premier soir, mais je n’assiste pas aux ateliers, qui sont confidentiels. » Francine Caron est probablement une des toutes premières intervenantes communautaires scolaires (ICS) au Québec. Depuis douze ans, elle fait le lien entre les fa-


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Sport (MELS), pour favoriser ce qu’il faut désormais appeler la persévérance scolaire. « L’école, j’y tiens », un programme lancé en 2009, a une cible ambitieuse : 80 % de taux de diplomation, d’ici 2020, pour les élèves de moins de vingt ans. Les chiffres les plus récents montrent que 73,4 % d’entre eux y parviennent. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, les jeunes font figure d’élèves modèles : seuls 12,4 % d’entre eux ont décroché en 2009-2010 ; ailleurs au Québec en 2010-2011, c’est 20,1 % des jeunes qui ont fait de même, selon le MELS. Aux origines de cette réussite, un couple de chercheurs issus de la santé publique, Michel Perron et Suzanne Veillette et, surtout, une communauté qui s’est laissée convaincre, dès 1995, de faire de la lutte au décrochage scolaire une priorité. « L’abandon scolaire n’est pas que l’affaire de l’école. C’est le problème de toute la société qui doit, collectivement, s’y attaquer », rappelle Michel Perron. « Nous avions analysé le parcours scolaire d’une cohorte de 4 405 jeunes de la région, en partant de la première année du secondaire jusqu’à la fin du parcours scolaire. Nous avions identifié un lien entre l’endroit où ils habitent et l’abandon scolaire », se rappelle le chercheur Perron, professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi et titulaire de la chaire de recherche VISAJ qui s’intéresse aux conditions de vie, à la santé et aux aspirations des jeunes. La mise en lumière du décrochage, à l’époque, a remis en question une croyance populaire : notre système public d’éducation offre une chance égale à tous. Nous avons pris conscience que les facteurs socioéconomiques ont un impact important sur la persévérance scolaire. Suivant cette logique, le décrochage est devenu un problème social, que les acteurs de l’éducation ne peuvent porter sur leurs seules épaules. Et si, collectivement, nous en assumions la responsabilité ? Ainsi est né le Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire (CRÉPAS) du Saguenay-LacSaint-Jean, dont le fameux slogan « Chaque jeune a besoin d’encouragement chaque jour » a fait le tour de la planète Québec. Devant les succès réalisés au Saguenay-Lac-Saint-Jean, l’idée a été reprise partout dans la province, dès le début 2000. En 2009, des organisations similaires de concertation régionale ont vu le jour là où elles n’existaient pas encore. Et cela, grâce au soutien de Réunir-Réussir, un OBNL créé par la Fondation Lucie et André Chagnon et au Secrétariat

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à la Jeunesse du Québec. L’initiative fut dotée d’un fonds d’investissement de 50 millions de dollars pour favoriser la réussite éducative des jeunes de 0 à 20 ans.

Concertation régionale et recette du succès La prévention du décrochage scolaire est un travail de longue haleine, explique Michel Perron, un travail qui nécessite d’importants efforts de communication, de mobilisation et de concertation. Finie l’action en vase clos! Les chambres de commerce, les commissions scolaires, les parents, les cégeps, les jeunes : tous devront être consultés, entendus, mobilisés. Même les employeurs des jeunes devront être mis à contribution. « Lorsqu’on donne deux ans de plus aux élèves pour obtenir leur diplôme d’études secondaires, on augmente de beaucoup la performance québécoise. La réalité est que 50 % des élèves travaillent dès le secondaire. Dans notre société, les jeunes sont appelés à être des acteurs économiques très tôt », rappelle Michel Perron. Pour sensibiliser et mobiliser les employeurs, le CRÉPAS, comme d’autres réseaux du genre, a mis sur pied une certification pour les entreprises qui tiennent compte de l’horaire de leurs employés étudiants. Mais pour réunir tout le monde, « il faut partager un diagnostic et une vision commune. Et il faut se donner des moyens pour cela, comme les tables de concertation, mais aussi des mécanismes pour mesurer le bilan des actions », explique le chercheur. Cela ne va pas toujours de soi. « La concertation doit répondre à un besoin réel, à une plus-value des mandats respectifs de chacun des acteurs », explique Emma Savard, la responsable de la concertation régionale une Communauté ouverte et solidaire pour un monde outillé, scolarisé et en santé (COSMOSS) du Bas-Saint-Laurent. « La confiance et le respect entre les différents membres d’une concertation sont une clé de la réussite. Et pour cela, il faut se donner du temps. » Le défi est encore plus complexe lorsque le nombre de joueurs élevé, comme c’est le cas dans la métropole. « À cause de la complexité des enjeux, la pauvreté ou l’accueil des nouveaux arrivants par exemple, il y a à Montréal une multiplicité d’acteurs. C’est à la fois une richesse et un défi », affirme la directrice générale du Réseau réussite Montréal, Andrée Mayer-Périard.

L'intervenant communautaire scolaire a le mandat de favoriser l’intégration sociale des nouveaux arrivants et l’engagement parental, deux clés de la réussite scolaire.


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lement, cette commission scolaire a un trou de 47,5 millions de dollars dans son budget. Et le Réseau réussite Montréal ? Après tout, cet organisme a une double mission  : coordonner l’action de la métropole en prévention du décrochage scolaire et soutenir la mise en œuvre de projets communautaires dans les quartiers défavorisés de Montréal. Or, Bordeaux-Cartierville et Côte-des-Neiges ne font pas partie des neuf quartiers ciblés par leur plan. «  Nous n’avons pas encore fait le tour des quartiers qui devraient être ciblés ni de l’ensemble des besoins. Nous travaillons à augmenter nos moyens  », Francine Caron, intervenante communautaire scolaire, en compagnie de trois membres d'une même famille explique Andrée Mayerau pique-nique du début d’année scolaire Périard, du Réseau réussite Montréal, aussi signataire de la pétition de la Coalition Se donner les moyens de la réussite priorité éducation. « Nous avons décidé de ne pas juste sauPrésentement, la Fédération des comités de parents du poudrer l’argent un peu partout. Notre souhait, c’est que Québec (FCPQ) fait circuler une pétition pour l’éducation notre démarche soit structurante pour les milieux. Lorsque publique. Commissions scolaires, syndicats, philanthropes, nous nous engageons, les sommes annoncées sont conséplus de quarante joueurs de toutes sortes y ont adhéré. quentes et couvrent plusieurs années. Nous croyons ferme« On est en train de créer un système d’éducation à deux ment à ce type d’engagement. » vitesses au Québec », affirme Gaston Rioux, président bé« Le discours est que l’école est l’affaire de tous. névole de la FCPQ qui a lancé la nouvelle Coalition priorité Seulement, beaucoup d’organismes qui ont développé une éducation. « La cible ministérielle est de 80 % en 2020, pourexpertise depuis longtemps ne font pas partie de la discustant on coupe dans les services aux élèves et on augmente sion », critique l’analyste pour le Regroupement des orgales frais des parents. On met la hache dans les programmes nismes communautaires québécois de lutte au décrochage, de persévérance scolaire ou dans ceux visant les difficultés Michel Plamondon. « C’est bien beau de financer la concerd’intégration. » tation régionale en persévérance scolaire. Mais si, en même Le premier budget de l’actuel gouvernement prévoit temps, on constate que l’enveloppe du MELS allouée aux couper 200 millions de dollars dans l’enveloppe des comorganismes de lutte au décrochage n’a pas vraiment augmissions scolaires. Ce montant s’ajoute aux 317 millions menté depuis 2008, on peut se poser des questions. La récurrents disparus depuis trois ans, héritage du précédent mobilisation doit renforcer le travail sur le terrain. Et c’est ce gouvernement, selon les chiffres compilés par la FCPQ. travail-là qu’il faut d’abord financer. » Du côté de Bordeaux-Cartierville, la Table de concertation L’artiste Boucar Diouf, porte-parole de la Coalition priorité jeunesse cherche à sauver le projet Un milieu ouvert sur ses éducation, rappelle que « l’investissement le plus payant écoles. Le programme risque de perdre 40 % de son finanpour une société, qu’elle soit développée ou pas, c’est dans cement cet été. C’est la troisième fois en quatre ans qu’on l’éducation. Et ça commence par la base. » Il y a près de vingt parle de mettre des intervenants à la porte. Dans Côte-desans, c’est le pari qu’a pris la communauté du Saguenay-LacNeiges, une initiative inspirée de cette expérience cherche Saint-Jean. À regarder les diplômés des dernières années, il également à survivre. Dans les deux cas, la CSDM a annony a sans doute là des leçons à tirer. / cé la fin de sa participation financière. Pour cette année seu-

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Apprendre à innover Pour confirmer leur pertinence dans un système économique qui tend à les malmener, les régions du Québec doivent devenir « apprenantes »

photo : CIMIC

par Véronique Chagnon, collaboratrice

Sainte-Claire a sa rue et son parc au nom d’Eugène Prévost, fondateur de Prévost Car. C’est dire l’importance de l’usine dans cette municipalité de 3 300 âmes. Les travailleurs de l’usine située dans la MRC de Bellechasse, en ChaudièreAppalaches, ont désormais entre les mains des modèles d’autocars d’une autre génération. « On a récemment donné une formation aux employés spécialisés en mécanique pour qu’ils aient des notions supplémentaires en électricité, vu l’intégration accélérée de nouvelles composantes dans les autobus », confirme Stéphane Quirion, directeur du Centre intégré de mécanique industrielle de la Chaudière (CIMIC), mis sur pied en 1994 pour « soutenir les entreprises dans le virage technologique ». Dans une économie mondiale qui mise sur l’innovation, les géographes ont annoncé la mort des régions. Les travailleurs, pensaient-ils, seront contraints de chercher ailleurs la formation adéquate. « Aujourd’hui, on ne peut plus donner au début de la vie d’un individu tout le bagage qu’il lui faudra pour mener toute sa carrière », résume Paul Bélanger, professeur à l’UQAM et président du Conseil international pour l’éducation des adultes. Mais les grandes métropoles n’ont plus l’apanage de l’innovation. Pour répondre à la nécessaire adaptation induite par une société qui fait du travailleur un éternel apprenti, des communautés s’organisent. Les régions en périphérie des grandes métropoles mondiales ne seront pas laissées pour compte si elles deviennent des « communautés apprenantes ». Cette notion conçue à la fin du 20e siècle par des chercheurs, et reprise par l’OCDE sous-tend que les forces vives d’une société (entreprises, organismes, villes...) se muent en microcosmes qui valorisent et favorisent l’apprentissage. Et qui plus est, s’assurent de voir dispenser les formations nécessaires. Pour que le savoir profite à tous, les divers éléments doivent en plus être liés entre eux, physiquement et stratégiquement, de telle sorte que les besoins des uns fassent émerger les solutions des autres. « Il y a des entreprises innovantes partout au Québec », confirme Richard Shearmur, chercheur en géographie de l’in-

novation à l’INRS, « mais les entreprises en région doivent déployer des efforts plus importants pour échanger, accéder à l’information disponible. »

Arrimer le savoir et le travail En Chaudière-Appalaches, les entreprises d’usinage et de métallurgie cherchent goulument soudeurs et autres mécaniciens spécialisés. Or, ce sont principalement des PME et des PPE qui composent la structure économique de la région, et il leur est souvent difficile d’investir en formation. C’est là qu’intervient le CIMIC. Le Centre réunit sous son toit les formations des secteurs professionnel, collégial et universitaire qui gravitent autour de la mécanique industrielle. Devenu la plaque tournante où se rencontrent élèves, personnel enseignant et gens d’affaires, le CIMIC assure l’arrimage entre les besoins des entreprises de la Chaudière en formation et les futurs travailleurs. D’après les données de l’organisme, 70 % des emplois du secteur trouvent au CIMIC les formations adéquates.


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En tout, environ un millier d'élèves gravitent chaque année autour du Centre intégré de mécanique industrielle de la Chaudière.

Le maître-mot pour mieux contribuer au développement de la région ? Flexibilité. « On est ouverts aux ententes avec les employeurs pour que l’élève puisse travailler trois ou quatre jours par semaine, et on réaménage son horaire en conséquence. On offre aussi l’alternance travail/étude, pour que l’entreprise ait accès à la main-d’œuvre le plus rapidement possible, tout en permettant à l’élève de terminer son cours », explique Stéphane Quirion, directeur du CIMIC. La communauté apprenante requiert des entreprises, écoles, organisations, qu’elles soient elles aussi en mode apprentissage. Le CIMIC profite ainsi de ses liens privilégiés avec le marché pour ajuster sa formation, et ses installations, à la demande qui évolue constamment. « On prépare un agrandissement de 10 000 pieds carrés pour permettre aux élèves de pratiquer le soudage en structure et métaux sur des installations à la fine pointe technologique. Ce sont des investissements de près de quatre millions de dollars, mais c’est avec de semblables appareils que les élèves devront performer sur le marché du travail », illustre Stéphane Quirion.

secteurs porteurs identifiés (santé, agriculture, microélectronique...) après analyse de la structure d’emploi sur le territoire, il faut voir les programmes qu’on n’offre pas et ceux qu’on devrait offrir. Il faut bonifier les programmes offerts et qui connaissent des difficultés de recrutement », explique le consultant et ex-directeur des services éducatifs aux adultes de la Commission scolaire de la Vallée-des-Tisserands. En septembre 2013, une cohorte de 24 élèves débutera une formation d’assistance à la personne en établissement de santé au Centre de formation professionnelle de la Pointe-duLac, à Salaberry-de-Valleyfield. Avec une innovation importante: le CSSS s’est associé à la commission scolaire pour accueillir les étudiants dans ses murs et les embaucher pour les périodes où la demande en personnel se fait pressante. Au bout des neuf mois du DEP, ils intégreront l’équipe pour de bon. « Le fait d’avoir un poste assuré en fin de formation, ça motive les gens. Et le partenariat nous permet de créer un lien d’emploi solide avec les étudiants pour qu’ils restent chez nous par la suite  », ajoute France Goulet. Déjà, la liste de candidats s’allonge et la sélection commencera bientôt, de concert avec le CSSS impliqué dans les entretiens d’embauche. « Pour moi, le modèle de partenariat entre les CSSS [avant le Suroît, l’expérience a été réalisée dans divers CSSS de la région de Québec], c’est le meilleur exemple de ce qu’on peut faire quand on se permet d’être créatif dans l’offre de formation, au lieu de répéter les mêmes modèles qui mènent aux mêmes résultats, souvent décevants », affirme Michel Laurendeau.

La créativité contre la pénurie Parfois, avant même d’innover, il faut aussi s’assurer de trouver le carburant nécessaire pour fonctionner. « Il y a de moins en moins de diplômés dans les cohortes annuelles de préposés aux bénéficiaires, et on est plusieurs CSSS en compétition dans la région pour les embaucher », explique France Goulet, conseillère cadre aux soins infirmiers au CSSS du Suroît. Mais le CSSS est en voie de trouver une solution à son problème. Jusqu’en 2017, Michel Laurendeau coordonnera la mise en œuvre du plan d’aménagement de la Table d’éducation interordres de la Montérégie. « Dans chacun des huit

L’apprentissage partout, tout le temps Tout en bas de la pyramide des communautés apprenantes, il y a l’individu, l’« apprenant », comme disent les chercheurs.

photo : CIMIC

La communauté apprenante requiert des entreprises, écoles, organisations, qu’elles soient elles aussi en mode apprentissage.


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photo : CSSS du Suroît

Il est au cœur de toute l’organisation. Et sa communauté peut l’aider à intégrer l’apprentissage comme un mode de vie. « Pour arriver à former de véritables communautés apprenantes, il faut recentrer l’apprentissage sur la personne et reconsidérer l’école comme une petite partie des possibilités d’apprendre », résume Paul Bélanger. Par exemple, si le travailleur est au travail, pourquoi la formation se donnerait-elle à l’école seulement ? C’est ainsi que l’Institut de coopération pour l’éducation des adultes (ICEA) a entrepris en 2012 une tournée dans 15 chambres de commerce à travers le Québec pour former les entreprises à... former. « La formation continue, c’est bien beau dans les grandes entreprises qui ont un bureau des Ressources humaines pour s’en charger, mais l’économie québécoise est constituée surtout de PME. Pour elles, la formation est souvent vue davantage comme un problème qu’une occasion », explique Ronald Cameron, directeur général de l’ICEA. La tournée a permis de présenter des ateliers offerts aux entreprises pour mieux organiser des formations à l’interne. Au menu : comment animer un atelier, comment insérer la formation dans la routine de l’entreprise, etc. L’ICEA a ainsi rejoint 170 personnes du milieu des affaires. « Le plus difficile c’est de maintenir la dynamique une fois qu’ils retournent dans leur boîte », croit Ronald Cameron. En effet, la moitié seulement des entreprises ayant assisté aux

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ateliers et qui ont répondu au sondage de l’ICEA, avait utilisé les outils de formation plus d’un an. Ronald Cameron évite cependant de les blâmer. « On sait ce que c’est, on le vit nous-mêmes à l’interne; on a parfois du mal à appliquer ce qu’on prêche ! » Contraintes monétaires, temporelles, structurelles : « On doit composer avec les mêmes contradictions que les entreprises du Québec », admet Ronald Cameron. « Les bénéfices de la formation continue ne sont pas immédiats. Alors le réflexe est souvent de sabrer dans la formation quand il y a des problèmes pressants à régler. » L’ICEA propose tant bien que mal une courte formation toutes les deux ou trois semaines à ses employés. Même si les régions du Québec cheminent lentement vers les préceptes des communautés apprenantes, la route est encore longue. L’économie mondiale évolue à une telle vitesse que les communautés sont perpétuellement à la remorque plutôt qu’en locomotive ! « Le monde entier est en retard sur les changements économiques », signale Paul Bélanger. « Au Québec, il existe bien des entités apprenantes, mais le problème est le suivant : ici, l’apprentissage tout au long de la vie se termine à la retraite. On néglige l’impact que peut avoir l’apprentissage sans lien avec un emploi sur la productivité… et le travail, justement. » /

Olivier Chabot est préposé aux bénéficiaires au Centre d'hébergement Docteur-Aimé-Leduc du CSSS du Suroît. Dès l'automne, lui et ses collègues auront à travailler avec de nouveaux venus qui suivront leur formation entre le Centre et les bancs d'école.


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D’individu à citoyen : s’éduquer pour pouvoir agir Parce que tout ne s’apprend pas dans les livres, les organismes d’éducation populaire bâtissent des ponts entre l’école et celle de la vie par Véronique Chagnon, collaboratrice

En 27 ans à la barre de formations au Centre Saint-Pierre de Montréal, Claude Champagne a toujours un atelier chouchou : la prise de parole en public. « Je l’offre encore avec autant de passion », lance-t-il, enthousiaste. Il vient de terminer quelques semaines plus tôt des séances de formation auprès de personnes handicapées venues d’horizons divers. « Je donne le même atelier à plusieurs groupes différents : personnes âgées, syndicats, etc. Chaque fois, j’adapte la formation aux besoins particuliers du public. Cette fois-ci, il s’agissait d’outiller les participants pour qu’ils puissent plaider pour l’accessibilité universelle, notamment dans les conseils d’arrondissement de la Ville de Montréal. » Ce que Claude Champagne et des centaines d’autres formateurs du Québec font, porte le sceau de l’éducation populaire : une éducation offerte en dehors du cadre scolaire et qui s’inscrit dans un mouvement visant à outiller les citoyens pour qu’ils prennent part au développement de leur communauté. « On part du vécu des gens auxquels on s’adresse. À partir de leurs propres exemples de vie, on peut faire des liens avec des enjeux plus larges », résume Caroline Toupin, coordonnatrice des dossiers politiques au Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MEPACQ). Mais, pressée par une société qui exige performance et efficacité, l’éducation populaire tente de redéfinir sa place au sein du mouvement éducatif au Québec. « Les pouvoirs publics ont décidé que leur principal champ en éducation des adultes serait la formation de base et la formation en

entreprise. Ça jette de l’ombre sur tous les autres champs de l’éducation », croit Daniel Baril, chargé des politiques à l’Institut de coopération pour l’éducation des adultes (ICEA). En effet, les groupes qui n’œuvrent pas directement en lien avec le marché du travail peinent à pérenniser leur financement. Selon un recensement effectué en 2002, les organismes d’éducation populaire — qui ne figurent spécifiquement dans aucun des mandats des différents ministères québécois — recevaient 3,6 % du total des sommes disponibles pour les organismes communautaires, alors que les organismes qui relevaient du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale en obtenaient 29 %, et ceux rattachés au ministère de la Santé et des Services sociaux, 50 %. Pourtant, de par ses méthodes et ses champs d’action, l’éducation populaire pourrait bien donner aux Québécois des clés pour devenir – ou redevenir – des citoyens, des membres de la cité, qui participent activement à la vie et à l’organisation de leur communauté. Alors que la société d’aujourd’hui a de multiples exigences, cette notion de citoyenneté est malmenée par le cynisme et la complexification du monde dans lequel nous vivons.

L’éducation populaire, c’est l’éducation hors du cadre scolaire, qui s’inscrit dans un mouvement qui veut donner des outils aux citoyens afin qu’ils puissent impulser des changements sociaux.

Une société complexe, et pour tout le monde « Pour l’ensemble de la population, il y a aujourd’hui une pression pour en savoir plus, pour être performant comme citoyen, productif. Il faut gérer son impact sur l’environnement, ses finances, sa santé; pour la partie de la population


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photo : Coopérative Molotov pour Entre deux âges

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En assemblée, une formatrice de Bâtir son quartier, Diane Barbeau, explique à l'un des locataires de l'OBNL d'habitation Entre deux âges comment fonctionnent les logements.

qui est peu scolarisée, ou la personne pour laquelle le réseau d’éducation formel ne répond pas à ses besoins, la pression est quand même là », explique Daniel Baril. Des ateliers sur la nutrition aux formations sur les outils de communication, en passant par la mise sur pied et la gestion d’une coopérative d’habitation, l’éducation populaire œuvre souvent dans des créneaux où le réseau scolaire est absent. Et, bien que les services des organismes d’éducation populaire soient ouverts à tous, ils tentent justement de rejoindre

ceux qui évoluent en marge du système d’éducation formel. Quand Bâtir son quartier met sur pied un groupe pour prendre en charge son propre projet de coopérative d’habitation, les membres proviennent de diverses sphères de la société. « On a des gens scolarisé ou non, voire alphabétisés ou non, parfois des gens qui n’ont jamais travaillé de leur vie : les groupes sont toujours mixtes, et ils doivent apprendre non seulement à travailler, mais aussi à vivre ensemble », explique Charleine Coulombe, coordonnatrice à la formation.


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pour outiller les Québécois, nouvellement arrivés dans la modernité, pour leur permettre de faire face aux changements socioéconomiques qui s’opéraient sans qu’ils en comprennent tout à fait les tenants et aboutissants. « La formation sur la prise de parole en public, je la donnais il y a presque 30 ans pour outiller les personnes assistées sociales qui devaient se défendre contre des hausses de loyer abusives  », se souvient Claude Champagne. « Outiller les citoyens pour les intégrer, donc, mais aussi pour qu’ils demeurent critiques du monde dans lequel ils vivent. Car la " transformation sociale " est l’un des fondements du mouvement. Or, pour divers intervenants du milieu, bien qu’elle soit nécessaire, cette dimension revendicatrice pourrait influencer le financement que les orDes méthodes citoyennes ganisations d’éducation populaire reçoivent — ou non — L’éducation populaire mise sur des méthodes qui favorisent des ministères. Peut-être qu’il la prise de parole et le travail coly en a qui se disent : " pourquoi lectif. Au-delà de l’acquisition de je financerais ceux qui vont me connaissances liées à leurs becontester éventuellement ? " », soins, les participants font l’apavance Claude Champagne. prentissage de la démocratie, Danielle Morneau, directrice un projet à la fois. « On réfléchit de l’Association coopérative constamment à des méthodes d’économie familiale (ACEF) pédagogiques qui vont solliciter Amiante-Beauce-Etchemin, davantage l’intelligence collecmembre du réseau québécois tive à se mettre en marche à l’inqui a pour mission d’outiller les térieur même des formations », familles en difficulté financière, confirme Claude Champagne. insiste sur le besoin de conserLes méthodes pédagogiques Daniel Baril ver une distance critique avec employées sont des méthodes l’État et le consensus social. souples, qui évoluent avec l’air « Les banques font de l’éducadu temps  : visioconférences, tion financière aujourd’hui ! Ce sont plutôt les ACEF qui communautés de pratique, codéveloppement, etc. devraient se positionner comme les plus compétentes Chez Bâtir son quartier, c’est dans les assemblées génépour le faire ! », lance-t-elle. Avec ses participants en diffirales que se forge l’apprentissage du savoir-être, et où la culté financière, l’organisme provoque une « démarche de chimie de la microsociété reconstituée opère. « Chaque réuréflexion sur l’utilité du crédit, en lien avec la société de nion est un laboratoire d’apprentissage où la formation évoconsommation », un volet que les institutions financières lue en même temps que le développement du projet. On en n’ont pas tout à fait intérêt à explorer avec leurs clients. profite pendant l’accompagnement pour que chacun circule Pour le mouvement, si la marge compte autant de cidans les postes à pourvoir. Et les uns critiquent les autres de toyens qui n’arrivent pas à fonctionner de façon autonome façon constructive pour leur rôle dans la réunion », explique parmi leurs pairs, c’est forcément que quelque chose Charleine Coulombe. cloche. Et donc que les choses doivent changer. « On est Alors que le système d’éducation veut donner des connaisperçu comme des chialeux, mais, au Québec, il n’y a ausances générales à des individus qu’il espère ensuite voir cune mesure progressiste qui ne soit pas venue des revenfaire leur chemin dans notre société et dans le monde du dications des groupes sociaux », conclut Caroline Toupin, travail, l’éducation populaire part de besoins très particuliers du MEPACQ. / pour remonter la chaîne et donner au citoyen les moyens de comprendre les grands enjeux de la société dont il fait partie. Pour ce faire, ils disposent de plusieurs mois, pendant lesquels l’entreprise d’économie sociale les guide dans leur apprentissage. Depuis la recherche du nom de la coopérative jusqu’à la gestion des premières assemblées, les formateurs de Bâtir son quartier tentent de bâtir des groupes de locataires avertis. « Il y a d’abord tout un volet d’empowerment, lié à l’apprentissage des codes légaux qui régissent les coopératives d’habitation, par exemple. On a un gros travail à faire au départ pour les amener à comprendre dans quel contexte réglementaire leur projet d’habitation s’inscrit, et quelles sont les règles qu’ils souhaitent adopter pour leur coopérative. Il faut qu’ils se l’approprient », explique Charleine Coulombe.

« Pour l’ensemble de la population, il y a aujourd’hui une pression pour en savoir plus, pour être performant comme citoyen, productif »

Nécessaire autonomie Ayant une longue tradition au Québec, le mouvement d’éducation populaire s’est organisé au Québec dans les années ‘60. Les groupes populaires ont alors voulu s’organiser


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Apprends-moi ce que tu sais, je te dirai qui nous sommes Levée du rideau sur les modèles d’apprentissage par les pairs en milieu informel. Pratiques aussi répandues que méconnues. par Maud Emmanuelle Labesse, équipe de rédaction

« L’apprentissage informel est peut-être le butin caché révélé par les moyens technologiques », selon Yves Otis, cofondateur du Percolab. Cette entreprise accompagne les organisations dans leurs projets d’innovation en intégrant apprentissage, processus collaboratifs et technologies. Depuis une décennie, les modèles d’apprentissage par les pairs sont parmi les pratiques informelles qui rayonnent le plus. Forums de discussion, communautés de pratique, cercles d’autoformation, mentorat, les formules sont nombreuses tant en ligne qu’en présentiel. Nouvelle pratique ? Pas nécessairement, mais indéniablement plus populaire. Qu’importe si le partage a donné naissance à une mise à jour professionnelle ou à un objet inusité, le parcours pour y parvenir paraît, à tout le moins, aussi précieux pour l’individu et la communauté que sa visée.

tissage par les pairs est d’abord due au manque de temps, selon Yves Otis : « Les gens qui ont un besoin d’apprentissage n’ont plus la patience d’attendre les calendriers académiques. L’évolution rapide des connaissances et la lenteur des grandes organisations à intégrer ces dernières sont d’autres éléments qui les poussent vers des modes alternatifs. Plus encore, les gens veulent plusieurs avis pour pouvoir fonctionner immédiatement. Ils ne se contentent plus de la seule vision d’un expert  ». De fait, l’apprentissage par les pairs Yves Otis décuple les sources de savoir en mettant en commun les éléments de l’environnement de chacun des pairs. « Le principal levier d’apprentissage informel réside dans la création d’occasions d’apprendre, et avoir " appris à apprendre ", c’est savoir tout ce qui est à disposition », croit Yves Otis. Christine Renaud est la fondatrice d’E180, un site de jumelage qui permet à ses 2000 usagers d’apprendre lors d’une rencontre en personne. Associée à du micromentorat, la formule s’apparente au coaching. Selon elle, l’apprentissage par les pairs présente l’attrait de proposer un enseignement adapté au désir d’apprentissage : « Il faut se tourner vers sa communauté si on souhaite apprendre à voyager en Inde quand on est une femme. Il n’y aura jamais de cours au centre communautaire sur ce sujet ! Le cadre informel permet de vraiment prendre le temps de discuter pour cerner le besoin et choisir les notions à transmettre selon le projet de l’apprenant ».

« La popularité croissante de l’apprentissage par les pairs est due au manque de temps »

Apprentissage informel « Transfert non structuré des apprentissages réalisés dans l’action »1

Apprentissage par les pairs « Un style d’apprentissage interactif qui implique activement les apprenants dans le processus de l’apprentissage »2

En pleine montée

La valeur de l’expérience

Qu’ils le voient d’un bon œil ou non, le changement des sources de formation questionne l’ensemble des acteurs du monde de l’éducation. La popularité croissante de l’appren-

Les modèles d’apprentissage par les pairs ont évidemment leurs limites. Pour Christine Renaud, ce sont celles des connaissances mêmes des pairs : « On ne sait pas ce


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dossier - Le « nous » de l’éducation - 32

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Les animateurs d'échoFab aident des visiteurs dans le cadre d'un atelier d'initiation à la fabrication numérique

de communiquer et de partager. Le souci de s’adapter aux autres et d’avoir un discours qui leur soit compréhensible, c’est aussi apprendre à prendre soin de nous-mêmes pour prendre soin des autres et faire partie d’une communauté. »

Un projet personnel ou un projet de société égalitaire ? En raison de leur caractère individualisé, il demeure beaucoup d’ambivalence quant à la contribution sociale des modèles d’apprentissage par les pairs. On peine à évaluer les retombées de ces pratiques du fait qu’elles se déploient dans la sphère informelle. Certains les soupçonnent d’être inaccessibles à certaines populations, notamment parce que plusieurs utilisent le numérique pour répondre aux besoins d’apprentissage. Monique Chartrand, directrice générale de Communautique, en a long à dire sur le sujet. L’organisme vient de lancer l’échoFab, le tout premier atelier de fabrication numérique du Québec. Dans ses mots, c’est le « garage du 21e siècle », car il met à la disposition une panoplie de ressources libres en vue de démocratiser la production d’objets. Lorsque l’organisme a vu le jour, il y a plus de 10 ans, il visait à favoriser l’accès aux technologies des populations marginalisées grâce à un ré-

photo : Stephanie perron

qu’on ne sait pas qu’on ne sait pas », plaisante-t-elle. « Pour intégrer des savoirs et surtout les transmettre, il faut tabler sur des acquis réels pour avoir une démarche rigoureuse. Ce n’est pas donné à tous. » Sylvain Mallette, vice président de la Fédération autonome de l’enseignement, expose une vision nuancée de ces modèles : « dans le cas d’adultes en perfectionnement, ils arrivent avec un bagage de connaissances et d’expériences. Ils peuvent anticiper le savoir, et le recevoir adéquatement sans être guidés par un expert. Le professeur demeure cependant indispensable comme spécialiste de l’évaluation du stade d’apprentissage atteint par l’élève. Si on reconnaît la même valeur à des apprentissages évalués par des pairs qu’à ceux évalués par des experts, il en va de l’utilité même du système d’éducation. Une seule méthode ne peut suffire », signale Sylvain Mallette. Quand Yves Otis réfléchit à la question, il ne nie pas l’importance des diplômes et de la reconnaissance des connaissances qu’ils incarnent. Mais il note que les employeurs cherchent d’abord à apprécier les compétences des candidats, et le font principalement en se référant à leurs pairs (anciens collègues et employeurs). Cela dit, il estime que ce sont les compétences développées en cours de processus qui en sont l’apport principal : « Les pairs cultivent l’habileté


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seau de 85 centres d’accès communautaires Internet (CACI). Au fil de ses travaux, Communautique a constaté que la fracture numérique touche tout le monde, et que les citoyens doivent participer au développement de la technologie pour en prendre contrôle. D’où l’idée d’ouvrir des espaces publics pour accueillir les projets où tous doivent travailler ouvertement, en collaboration, dans une démarche d’apprentissage par les pairs. « Notre projet de société est en amont de toutes nos actions », souligne Monique Chartrand. « On souhaite que les gens soient plus autonomes face aux technologies et à la société de consommation. On appelle une société inclusive et durable. C’est pourquoi toutes nos initiatives impliquent les citoyens dans l’amélioration de leur milieu de vie via l’autoformation et la collaboration entre pairs. En ce sens, ce qui nous importe n’est pas tant les innovations qui ressortiront de notre espace de cocréation, mais plutôt la démarche qui amène les gens et les organisations à travailler en culture ouverte pour se libérer du marché. La technologie qui inclut, ça existe. » Communautique compte d’ailleurs étendre le projet d’échoFab à tous ses CACI à travers le Québec. Au cœur de l’apprentissage par les pairs se niche donc cette notion de culture ouverte où l’éducation représente un bien commun que tous peuvent s’approprier. Certains rétorquent qu’il n’y a rien de citoyen lorsque deux individus échangent des conseils sur la boulangerie ou le yoga chaud. « Attention ! »,  répond Christine Renaud d’E180. « Donner un outil aux personnes pour qu’elles s’entre-éduquent, c’est de l’éducation populaire. On démocratise l’accès à l’éducation en valorisant les compétences des Christine gens. » Pour cette enseignante de formation, la contribution collective est nette : « Elle participe à l’émergence d’une société où les individus s’approprient le développement de leur potentiel à travers leur communauté. La collaboration y dévoile la richesse présente. Cela redéfinit leur façon d’entrer en relation avec le monde et ils deviendront probablement plus sensibles aux enjeux collectifs. »

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Une réunion de travail au sein d'échoFab rassemble des utilisateurs et le coordonnateur de l'atelier, Marc-Olivier Ducharme

valoriser l’apprentissage tout au long de la vie, et le reconnaître là où il existe. Et c’est beaucoup dans nos échanges avec les autres », remarque Yves Otis. Pour que l’apprentissage soit valorisé dans sa globalité, le milieu de l’éducation formel doit créer des liens avec les milieux informels. Pour Monique Chartrand, cette reconnaissance passe par la création d’espaces : « L’espace public se privatise et il n’y a plus d’espace pour des projets d’apprentissage innovateurs. Tout est normé avec une fonction et des livrables prédéfinis. La créativité partagée a peu de place, et c’est pourtant ce qui permettra à nos communautés de s’émanciper par des projets d’apprentissage ». Après tout, c’est le potentiel des citoyens que la culture d’apprentissage reconnaît en accordant Renaud un rôle à ces communautés de pairs. Originales, éphémères, individualistes, peut-être. Néanmoins, elles nourrissent une confiance bénéfique pour les communautés, celle de croire en ses moyens d’apprendre. Celle de croire que les autres ont encore quelque chose à nous apprendre. /

photo : Emiliano Bazan Montañez

« Au cœur de l’apprentissage par les pairs se niche donc cette notion de culture ouverte où l’éducation représente un bien commun que tous peuvent s’approprier. »

Espaces et culture Peut-être que l’apprentissage par les pairs est une nouvelle forme d’éducation populaire. Quoi qu’il en soit, il ne pourra favoriser de transformation sociale tant que cet apprentissage ne sera pas valorisé. Comme le dit un proverbe africain, ça prend tout un village pour élever un enfant, il faut toute une communauté pour qu’une personne apprenne à apprendre et puisse entraîner sa société au meilleur d’elle-même. « Il faut

1. Roussel, Jean-François (2013). L’apprentissage informel : une nouvelle donne, de nouveaux défis. Effectif, volume 13 (numéro 3). Consulté le 6 février 2013, à http://www.portailrh.org/effectif/

fiche.aspx ?p=408955 2. Zenaidi, Gamra (2010). Apprendre par les pairs : quand l’apprenant devient partenaire. Thot Cursus. Consulté le 6 février 2013, à http://cursus.edu/dossiers-articles/articles/4146/

apprendre-par-les-pairs-quand-apprenant/


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Quête de sens Une création du Théâtre Parminou Lulu et Baloune sont deux itinérants. Dans un monde désespérant, ils se lancent résolument dans une quête du sens de la vie. Tournant le dos aux prophètes de malheur, aux adeptes du statu quo économique, aux pessimistes, ils s’aventurent avec détermination à la recherche de valeurs dont ce monde a un urgent besoin : la démocratie, l’équité, la justice. Aux principes guerriers, à la compétition, à la loi du plus fort, ils opposent les alliances basées sur la collaboration, le partage. Une invitation à découvrir le véritable sens de la coopération.

Pionnier et chef de file du théâtre d’intervention au Québec, le Théâtre Parminou est depuis près de 40 ans au cœur des questionnements, des débats et des mouvements les plus importants de la société contemporaine.

Extrait LULU, trouvant que ç’a effectivement du sens - Ben oui Baloune. Astheure on sait tout c’qui s’passe dans le monde aussitôt que ça s’passe. Le monde entier est en train de devenir notre communauté. On a su en même temps que ça se produisait ce qui s’est passé à Fukushima. BALOUNE - On a entendu parler du carré rouge tout partout dans le monde. LULU - On est connecté. On l’sait pis on a conscience que tout ça, ça s’passe dans notre communauté. On est touché. BALOUNE - Pis on sait aussi que le hamburger qu’on mange y provoque la déforestation en Amazonie. LULU - Tu sais ça toi ? BALOUNE - Yo ! Pis j’sais aussi que dans des écoles on enseigne aux élèves comment travailler avec des énergies intelligentes. LULU - Pis le vent pis le soleil y en a partout.

Chaque édifice peut avoir des capteurs solaires, être relié à des petites éoliennes. C’est de l’énergie distribuée dans tous les coins de la planète… BALOUNE - … Inépuisable ! LULU - Pas juste dans quelques pays comme avec le pétrole. Personne a le droit de vendre ce qui est à personne, parce que c’qui est à personne est à tout le monde. BALOUNE - Chus pas sûr de bien comprendre Lulu. C’est clair que le vent, l’eau, le soleil, le noyau terrestre, personne est propriétaire de ça LULU - Mais les éoliennes, les capteurs solaires, les sondes géothermiques, les barrages ? BALOUNE - Ah… y a ça, c’est sûr. LULU - Ben ça aussi ça devrait être considéré comme du bien commun, pas la propriété de quelques-uns. La rivière ne nous appartient pas, nous appartenons à la rivière : sagesse amérindienne. Le vent nous pousse dans ce sens-là. J’pense qu’on peut profiter du bon vent Baloune. Mais j’ai juste un problème.


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BALOUNE - Ah bon… C’est quoi l’problème ? C’est comme rien, j’dois avoir lu la solution queuck part. LULU - Comment on fait pour savoir si le vent est bon ? BALOUNE, cherchant dans sa tête une citation idoine - Attends, j’vas trouver queck chose… Après un court instant de grattage de tête. - Y m’vient rien. Elle lui donne une claque derrière la tête. - « Il n’y a de vents favorables que pour qui connaît son port ». Sénèque LULU - J’ai vraiment de la misère à voir comment ça s’passe dans ta tête. BALOUNE, se donnant lui-même la claque derrière la tête - Autisme : (psychiatrie) Repli pathologique sur soi qui… LULU - Laisse faire, c’est pas dans le sujet. Y faut choisir notre cap. Même si on est obligé de louvoyer par vents contraires pour arriver à bon port. Elle prend une longue-vue télescopique et regarde au loin. BALOUNE - Qu’est-ce c’est ça ?

photo : Théâtre Parminou

LULU - Une lulunette pour voir plus loin. BALOUNE, ton poétique - Plus loin dans l’espace pis plus tard dans le temps. LULU - Poète mon Baloune ! Es-tu en crise ?

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BALOUNE - Oui, mais pas pour longtemps… j’espère. Constatant son changement d’attitude par rapport au début. - Lulu ! Chus pus désespoiré ! LULU - Qui c’est qui t’a redonné l’espoir ? BALOUNE - … Moi. Lulunette sur l’oreille. - Qu’est-ce qu’on entend ? LULU, mettant la lulunette sur son oreille - C’est les millénaires. Des jeunes de 30 ans qui réseautent, qui facebookent comme des malades, qui t’chattent, qui googlent, qui surfent, qui twittent, qui casserolent… C’est pas les hirondelles qui font le printemps, c’est les jeunes : Tous les printemps ! Arabes comme Érables ! BALOUNE - Vois-tu plus loin ? LULU - Village global. Tout le monde est un voisin. Logiciel libre, le savoir pour tous, la coopération, la vraie coopération. BALOUNE - Pis ici pas de désastre naturel. La nature, l’eau, les humains, tout est en place. LULU, parlant de l’endroit où ils se trouvent - Le port ici c’est un port d’attache pour la qualité de vie. BALOUNE - On peut rêver ! LULU - Mais restons réveillés pour que nos rêves puissent prendre leur envol !


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Études de K Une école au cœur de sa communauté

aspects techniques au quotidien, aidé par un employé de l’école. Si tout avait été dans les seules mains de la commission scolaire, ça aurait été trop lourd », ajoute-t-il.

Tous les premiers mercredis du mois, les lumières de l’école primaire St. Willibrord restent allumées en soirée. Au programme : atelier sur la résolution de conflits, séance d’information sur les droits des locataires, clinique de diabète, lecture de poésie par les élèves, souper spaghetti, halte-garderie et moult kiosques d’information tenus par les organismes du secteur. Même la mairesse s’y présente pour échanger avec ses concitoyens. Bienvenue aux mercredis communautaires !

L’école St. Willibrord est le cœur d’un quartier de 15 000 résidents qui se distingue par sa grande mixité sociale (langue, revenus, origine ethnoculturelle). « Rejoindre l’ensemble de la population est un défi ici, à cause de cette diversité précisément. Mais aussi parce que les gens travaillent à l’extérieur, et que leur sentiment d’appartenance est faible. L’idée a germé à la Table de concertation jeunesse de Châteauguay où on discutait de cette difficulté. Parallèlement, l’école pensait lancer son projet académique sur la communauté. En 2008, les astres se sont alignés et nous avons démarré », se souvient Bertrand Loiselle.

par Maud Emmanuelle Labesse, équipe de rédaction

Depuis, l’école ouvre ses portes un soir par mois. Jusqu’à 25 organismes publics et communautaires régionaux tiennent des kiosques où défilent de 120 à 300 personnes qui ne sont pas forcément des parents de l’école. Des ateliers et des prestations se succèdent au gymnase, la cafétéria bourdonne et on peut entendre les échanges animés de groupes citoyens depuis les espaces qu’on met à leur disposition. « Les objectifs étaient de développer des services de proximité, la vie de quartier et l’entraide dans le milieu. Les gens semblent tisser des liens avec la communauté, mais entre eux aussi », remarque Bertrand Loiselle.

Née d’échanges informels, l’initiative des mercredis communautaires de l’école St. Willibrord à Châteauguay contente tous ceux qui y sont engagés. À preuve : citoyens, intervenants ou même la direction de l’école, tous reviennent le mois suivant, souvent, en plus grand nombre. « C’est un travail de longue haleine. Il faut renouveler nos efforts. Tout se fait sur une base volontaire : le projet ne coûte que les spaghettis et l’impression de feuillets promotionnels… La réussite en est d’autant plus éclatante », reconnaît Bertrand Loiselle, organisateur communautaire au CLSC Châteauguay. « Je m’occupe des

Et ça fonctionne! Malgré la plage horaire peu conventionnelle, les organismes reviennent. C’est une occasion de répondre à leur mission, de se côtoyer et de faire des offres d’activités conjointes. Bien que l’initiative ne fasse pas partie du projet académique de l’école, elle contribue à une meilleure connaissance des ressources communautaires qui, à leur tour, peuvent l’aider à mener à bien ce projet. En outre, l’école apprécie que ses élèves puissent avoir l’occasion de s’impliquer dans l’organisation. Qui plus est, d’autres écoles environnantes emboîtent le pas : les mercredis communautaires seront bientôt ambulants! Visiblement, cette manière innovatrice d’offrir des services aux citoyens favorise leur participation et leur attachement à leur communauté. C’est toute cette convivialité et cette simplicité que le réseau Villes et villages en santé a voulu souligner en lui décernant un prix d’excellence en 2012. /

photo : Bertrand Loiselle

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Ajuster l’offre à la demande : le bénévolat chez les jeunes par Manon Leroux, collaboratrice

photo : Centre d'action bénévole Bellechasse-Lévis-Lotbinière

Nul ne sera surpris d’apprendre que les personnes âgées cumulent annuellement le plus grand nombre d’heures de bénévolat au Québec. Mais sait-on que la génération qui compte le plus grand nombre de bénévoles, c’est celle des jeunes (14-18 ans) ? Pourtant, jusqu’à tout récemment, aucun outil, aucune plateforme numérique ne s’adressait spécifiquement à eux, ni ne centralisait l’information leur permettant de s’engager le moment venu. Ce besoin, le Centre d’action bénévole BellechasseLévis-Lotbinière (CABBLL) est venu le combler dans la région de Chaudière-Appalaches. Depuis une dizaine d’années, le CABBLL recevait des appels de jeunes désireux de faire du bénévolat, ou encore d’intervenants ou de professeurs à la recherche d’une activité bénévole collective pour leur groupe de jeunes. Des étudiants au programme d’études internationales (avec un volet bénévolat obligatoire), se tournaient aussi vers le Centre. Mais les données colligées ne lui permettaient pas de cibler des actions adaptées à cette clientèle ; trop souvent, on les dirigeait vers des activités classiques : soupe populaire, comptoir vestimentaire… Des activités qui ne conviennent pas à tous les tempéraments. Une première expérience amère ou désagréable risque de couper pour longtemps l’envie de s’y adonner. C’est exactement ce que veut éviter Geneviève Audet-Perron, chargée de projet de la Zone jeunesse du site web du CABBLL, inaugurée en décembre 2012. « On veut aider les jeunes à choisir un bénévolat plus près de leurs vrais intérêts », affirme-t-elle. Offrir des outils ciblés pour les jeunes était un rêve que le Centre caressait. Lorsque le Forum jeunesse régional Chaudière-Appalaches lui a proposé de créer une Action jeunesse structurante, l’équipe du Centre s’est activée ! Elle a rencontré des représentants des trois groupes impliqués : les jeunes, les responsables de jeunes et les organismes susceptibles d’employer de jeunes bénévoles. Chez ces derniers, des expériences peu concluantes avaient parfois laissé un goût amer. On a analysé le pourquoi de l’échec et imaginé des pistes de solution : mieux encadrer le jeune, élargir l’éventail des tâches proposées, etc. Et on a consulté les adolescents. La discussion a permis de défaire des impressions tenaces (« le bénévolat, c’est quelque chose qui fait plaisir à quelqu’un d’autre, mais de pénible pour soi » !) et de cibler les meilleurs incitatifs (« si quelqu’un me proposait de faire du bénévolat, ça me tenterait; mais personne n’est venu me chercher »).

Un groupe de jeunes bénévoles

Un impératif s’est imposé : redéfinir le bénévolat, en y incluant des secteurs comme les loisirs, le sport, et tant d’autres fort éloignés du classique secours aux plus démunis. Du coup, on a aussi (re)découvert les motivations et bénéfices du bénévolat : l’implication citoyenne, bien sûr, mais aussi la découverte de soi, la bonification du curriculum vitae, la création d’un nouveau réseau, et qui sait, peut-être même une orientation professionnelle. Les consultations ont révélé au CABBLL que le meilleur outil pour faciliter le bénévolat jeunesse était un portail Internet. La Zone jeunesse de son site accueille donc maintenant les divers acteurs du bénévolat jeunesse. Une démarche de sensibilisation auprès des organismes déjà liés au Centre a permis une réflexion sur l’encadrement et les tâches à proposer aux jeunes citoyens. La table est maintenant mise pour de nombreuses rencontres fructueuses et une entrée encore plus massive des jeunes de Chaudière-Appalaches dans l’action bénévole. /

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Des fleurs pour La Crue des mots

aussi, englobant désormais les MRC voisines, Matapédia et Matane.

Nombre d’organismes culturels naissent ou grandissent grâce à la passion d’un ou de quelques individus. Pour assurer leur pérennité, le relais doit être passé et une forme viable d’organisation doit se mettre en place. Ce passage périlleux, s’il se fait mal, peut mener à la disparition de l’organisme. Au Carrefour de la littérature, des arts et de la culture (CLAC), basé à Mont-Joli dans le Bas-Saint-Laurent, c’est avec un succès éclatant qu’on a négocié le tournant.

En dix ans, le flambeau aura été repris des mains des enseignantes avec succès. Désormais il est porté par une équipe permanente et la reconnaissance du milieu et des autorités provinciales va toujours croissant. L’obtention en 2008 de subventions au fonctionnement du Conseil des arts et lettres (CALQ), a été une grande victoire et a facilité la recherche de financement. En 2012, les prix pleuvent, tant au niveau régional que provincial : le CLAC obtient, notamment, le grand Prix de la ruralité de l’Assemblée nationale du Québec.

par Manon Leroux, collaboratrice

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La MRC de la Mitis, qui s’étend de Sainte-Luce à Métissur-Mer jusqu’à la frontière du NouveauBrunswick, héberge une population dispersée sur plus de 2 000 km2. Dans ce territoire où la forêt demeure encore le plus gros employeur, le taux élevé de décrochage scolaire est un indice des difficultés que vit la région.

Il faut attendre 2002 pour que le projet commence à obtenir des subventions – irrégulières – permettant l’embauche d’une première personne. Au même moment, le projet s’incorpore pour devenir le Carrefour de la littérature, des arts et de la culture (CLAC). Le festival La Crue des mots, semaine pendant laquelle des écrivains visitent les écoles de 43 villages, demeure le pilier de son intervention. Puis, ses activités se diversifient. Au public scolaire s’ajoute le grand public, grâce notamment aux Thés littéraires (littérature, musique dans les Jardins de Métis), mais aussi à un concours littéraire, aux veillées de contes et aux soirées Vins et fromages, qui permettent de gagner de nouveaux adeptes. L'équipe du CLAC, composée de Cylia Themens, Julie Boivin Le champ d’action géographique s’étend et Camille Crédeville

photo : CLAC

Dans les années 1970, des enseignantes passionnées constatent le fossé entre le bagage culturel des jeunes urbains et celui des Mitissiens du même âge. Elles décident de miser sur le livre et la littérature pour pallier cet écart. Partant de la conviction qu’aimer lire contribue à former des citoyens avertis, à garder les enfants à l’école et à éveiller leur conscience, elles invitent des écrivains à venir rencontrer les élèves. Fortes de leurs premiers succès, elles fondent le Salon de la littérature de Mont-Joli.


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Le slameur Pat Jalbert accompagné au piano par le musicien Berthier Francoeur

photo : CLAC

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À quoi tient le succès du CLAC  qui organise quelque 300 activités annuelles, rejoignant 8000 participants avec seulement deux employés ? Tout d’abord, à quelques caractéristiques clés : passion, créativité, souplesse, polyvalence. Ensuite, à un judicieux calcul coût/bénéfice, à la motivation et à la fiabilité des partenaires. Autre beau filon : « Souffler sur les braises, aider les projets embryonnaires existants à voir le jour », dit la directrice Julie Boivin, « plutôt que de chercher à imposer des produits clé en main ». Si les impacts du CLAC ne sont pas encore scientifiquement mesurés – sur la littératie ou le décrochage scolaire

notamment – ses organisatrices en prennent le pouls au quotidien : courriels enthousiastes, croissance du public aux activités, élus gagnés à la cause, agrandissement des collections jeunesse des bibliothèques et des librairies locales. Certains des défis auxquels le CLAC est confronté risquent d’être surmontés, comme la précarité du financement. D’autres sont là pour rester, comme la distance et les coûts qui y sont associés. Le rêve de Julie Boivin ? Favoriser des sorties culturelles en famille, qui seraient amorcées par… les enfants ! /


toute une histoire - 40

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Le programme Mincome Un revenu de citoyenneté au Manitoba (1975-1979) par Yanic Viau

Professeur d’histoire au Cégep du Vieux Montréal, Yanic Viau a aussi été, pendant près d’une décennie, conseiller au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS), où il s’est notamment consacré à la gestion de projets-pilotes d’insertion socioprofessionnelle des jeunes.

Contrairement à une idée répandue, la notion de revenu minimum garanti n’est pas nouvelle : divers modèles ont été imaginés dès la fin de la Seconde Guerre mondiale par des économistes, principalement américains.

La notion de revenu de citoyenneté est souvent perçue comme une idée récente ou étrangère au Québec et au Canada. Pourtant, un tel revenu a existé au Manitoba dans les années 1970. Retour sur le projet Mincome. Mesure rationnelle de lutte à la pauvreté pour les uns, gouffre financier ou incitation pour les travailleurs à faible revenu à demeurer à la maison pour les autres, la notion de revenu minimum garanti (RMG), parfois appelée allocation universelle ou revenu de citoyenneté, désigne une prestation financière de l’État à laquelle sont admissibles tous les citoyens. À la différence de l’aide sociale « conventionnelle », cette prestation est versée de façon inconditionnelle, c’est-à-dire sans contrôle des revenus ni contrepartie. Surtout, celle-ci est cumulable avec d’autres revenus comme le salaire. Contrairement à une idée répandue, la notion de RMG n’est pas nouvelle : divers modèles ont été imaginés dès la fin de la Seconde Guerre mondiale par des économistes, principalement américains. Ces modèles diffèrent essentiellement en fonction de leur objectif principal. Certains visent une redistribution plus équitable de la richesse et une réduction de la pauvreté, d’autres visent plutôt à inciter à travailler davantage, et d’autres encore surtout à réduire les dépenses publiques en prestations et frais de gestion. C’est en raison de cette diversité d’objectifs que le concept de RMG trouve des adeptes tant à gauche qu’à droite de l’échiquier politique. À partir des années 1990, plusieurs organisations de la société civile dans les

pays industrialisés commencent à participer activement à la réflexion sur le RMG. Leur préoccupation porte sur la redistribution de la richesse et la lutte à la pauvreté, alors que la croissance économique ne se traduit plus par la création massive d’emplois. Au Québec, cette réflexion date d’une quinzaine d’années et fut menée essentiellement au sein des mouvements communautaire et syndical, avec l’appui de chercheurs universitaires. Dès 1999, Michel Chartrand et Michel Bernard publient le Manifeste pour un revenu de citoyenneté, dans lequel ils proposent d’atteindre l’objectif de « pauvreté zéro » par un programme public garantissant à tous un revenu correspondant au seuil de pauvreté. Une proposition similaire est formulée à la même époque par le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, créé en 1998. Devenu depuis le Collectif pour un Québec sans pauvreté, ce dernier réclame en 2012 « que les protections publiques soient haussées et ajustées annuellement pour assurer à toute personne un revenu au moins égal à la mesure du panier de consommation (MPC), soit 15 478 $ par an (2011), afin de préserver sa santé et sa dignité », sans toutefois mentionner de mécanisme de prestation précis pour y parvenir. Le parti Québec solidaire, bien que cette mesure n’ait pas figuré dans sa plate-forme électorale de 2012, a déjà proposé de mettre en place un revenu minimum garanti « afin de s’assurer que toute personne adulte dispose d’un minimum de 1000 $ par mois pour vivre ».


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Le modèle de l’impôt négatif L’un des modèles de RMG est celui dit de l’impôt négatif. En vertu d’un programme d’impôt négatif, l’État verse à ses citoyens une allocation financière sans condition, qu’ils aient ou non un emploi. La décision de verser cette allocation ne dépend pas du fait qu’un individu soit jugé admissible à recevoir de l’aide selon des critères déterminés, comme le veut un programme d’aide sociale traditionnel (p. ex. : être sans emploi, être jugé inapte au travail). La décision repose plutôt sur la fiscalité, puisque le montant versé dépend fondamentalement du revenu indiqué dans la déclaration d’impôt. Ainsi, selon le modèle d’impôt négatif, un individu sans aucun revenu reçoit automatiquement une allocation de base dont le montant correspond à un seuil de pauvreté (ajusté à la taille de la famille). L’allocation est versée dans sa totalité aussi longtemps que le revenu familial demeure inférieur au seuil fixé. À mesure que le revenu d’un individu augmente, le montant de l’allocation diminue. Toutefois, chaque dollar de revenu supplémentaire gagné, par exemple en salaire, n’entraine pas une diminution de l’allocation d’un montant égal. L’allocation est amputée dans une proportion moindre, selon un taux de prélèvement qui augmente progressivement jusqu’à zéro en fonction du revenu gagné, selon le même principe que le taux d’imposition, qui varie selon le revenu d’un individu.

Un revenu minimum garanti incite-t-il à la paresse ? Une des objections souvent formulées à l’endroit du RMG est que le versement d’allocations sans condition, même sous la forme progressive d’un impôt négatif, inciterait ses bénéficiaires à ne pas se chercher du travail ou encore à réduire les heures travaillées. L’impôt négatif aurait-il donc l’inconvénient « d’encourager la paresse » ? Pour tenter de répondre à cette question, le gouvernement fédéral et le gouvernement manitobain ont expérimenté, entre 1975 et 1979, un impôt négatif appelé Manitoba Basic Annual Income Experiment,

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communément désigné par son acronyme Mincome. Le projet Mincome visait justement à vérifier jusqu’à quel point les personnes qui reçoivent des allocations d’impôt négatif avaient tendance à moins travailler. Il s’agissait également de vérifier certains impacts sociaux tels que la « stabilité des familles » (signe des valeurs dominantes à l’époque !), tout en mesurant les économies de frais de gestion en les comparant aux nombreuses prestations sociales existantes (aide sociale, allocations familiales, etc.). Pendant trois ans, un peu plus d’un millier de personnes aptes au travail ont pris part à l’expérimentation à Winnipeg, à Dauphin et dans quelques petites communautés rurales.

Les résultats de l’expérience manitobaine Mincome Les allocations versées dans le cadre de Mincome ont-elles entrainé une réduction des heures travaillées ? La réponse brève est : oui, mais dans une très faible mesure. En effet, selon les chercheurs Derek Hum et Greg Simpson, au bout des trois ans d’expérimentation, la moyenne d’heures travaillées était inférieure de 1,6 % chez les hommes par rapport à la situation initiale, de 3 % chez les femmes mariées et de 5,3 % chez les femmes monoparentales. On a toutefois constaté une diminution comparable dans le « groupe contrôle », c’est-à-dire chez les participants qui ne recevaient pas de prestations d’impôt négatif. Pour ces chercheurs, la crainte que les allocations financières réduisent l’incitation au travail était donc « en grande partie non fondée ». On a également constaté des différences entre les participants masculins et féminins. Dans les familles comptant des enfants en bas âge, les conjoints masculins avaient tendance à travailler davantage que leur conjointe, qui gagnait en général un revenu inférieur et qui, elle, avait tendance à réduire ses heures de travail. Les adolescents de familles à faible revenu, libérés de la pression d’accéder rapidement au marché du travail pour aider leur famille, avaient par ailleurs tendance à poursuivre leurs études secondaires en plus grand nombre. Et bien

C’est en raison de cette diversité d’objectifs que le concept de revenu minimum garanti trouve des adeptes tant à gauche qu’à droite de l’échiquier politique.


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vol.1 - N°1 - printemps 2013

14 mai 2009. Environ 1 300 personnes forment l’emblème du Collectif pour un Québec sans pauvreté lors du dépôt d’une pétition à l’Assemblée

qu’un des impacts attendus du programme ait été le renforcement de la « stabilité familiale », les femmes mariées bénéficiant de Mincome et travaillant à temps plein ont eu davantage tendance à se séparer (7 %) que les travailleuses à temps partiel (1 %), profitant sans doute de leur nouvelle autonomie financière. Enfin, la chercheure manitobaine Evelyn Forget a constaté une chute de fréquentation des hôpitaux de 8,5 % chez les femmes bénéficiant de Mincome et notamment une diminution de la fréquentation des salles d’urgence en raison de violences domestiques.

À partir des années 1980, la lutte à la pauvreté passait au deuxième plan. Il fallait plutôt favoriser l'incitation au travail par la mise en place de mesures actives.

Un Mincome québécois est-il possible ? Alors que le programme Mincome devait se prolonger pendant plusieurs années, le gouvernement fédéral a subitement décidé, en 1978, de mettre un terme à l’expérimentation. L’inflation massive liée aux difficultés économiques de la fin des années 1970 avait entrainé une hausse imprévue du nombre de prestataires. À la crainte des coûts exorbitants d’un programme d’impôt négatif à grande échelle, s’ajoutait un changement de priorité des gouvernements des pays industrialisés en matière de politique sociale. À partir des années 1980, la lutte à la pauvreté passait au deuxième plan. Il fallait plutôt favoriser l’incitation au travail par la mise en place de mesures actives, c’est-à-dire des incitations financières et réglementaires à se chercher du travail. Le programme Mincome perdit tout intérêt de la part des dirigeants politiques et le gouverne-

ment fédéral refusa même de financer la réalisation d’un bilan de l’expérimentation. Il a fallu attendre 1991 avant qu’une première étude soit produite. Et bien que certains chercheurs se soient penchés sur Mincome depuis lors, plusieurs leçons restent sans doute à en tirer. Par exemple, il n’existe aucun bilan des économies en frais administratifs obtenues grâce au remplacement par Mincome de nombreux programmes de soutien du revenu. Il s’agit pourtant là d’un enjeu crucial pour assurer la légitimité d’un impôt négatif au sein de la population. Difficile, donc, d’anticiper avec précision les impacts d’un éventuel impôt négatif au Québec à partir des conclusions disponibles sur Mincome. Chose certaine, l’expérience manitobaine a été interrompue par une absence de volonté politique plutôt que par une démonstration de l’inefficacité du programme en matière d’incitation au travail. La réflexion sur le revenu minimum garanti aurait donc tout intérêt à se poursuivre en s’appuyant non seulement sur le cas manitobain, mais également sur les recherches et les débats en profondeur menés depuis une vingtaine d’années dans certains pays industrialisés comme les Pays-Bas ou l’Irlande. L’analyse des rares programmes de revenu de citoyenneté existants, comme le Permanent Fund Dividend, (programme de prestations mis sur pied en 1982 par l’État de l’Alaska afin d’assurer une redistribution de la rente pétrolière), mériterait également d’être prise en compte. /

photo : Collectif pour un Québec sans pauvreté

nationale.


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Radar culturel Parce que la culture est au cœur du développement collectif, des suggestions diverses glanées ici et là Au-delà du préjugé. Trajectoires de vie, pauvreté et santé

Une collection d’histoires poignantes, présentées sous forme de vignettes théâtrales mettant en scène des personnes sans logement ou « mal-logées », prises dans le cycle de l’aide sociale. Ces récits sont inspirés d’entrevues réalisées dans le cadre d’une recherche sur l’influence des conditions de vie des gens sans emploi, sur la perte d’un logement et l’arrivée éventuelle dans la rue. Des résultats de recherche qu’on dévore.

La médiation culturelle : créer ensemble La médiation culturelle vise l’appropriation de la culture par les citoyens en favorisant l’échange entre citoyens et artistes. Approche de plus en plus utilisée au Québec, le Canal Savoir y consacre une série télévisuelle de quatre épisodes. Elle présente des initiatives novatrices à travers le Québec axées sur quatre thèmes : l’éducation et la citoyenneté, la santé, le travail, le changement durable. À regarder en ligne selon votre horaire : www.canalsavoir.tv/emission/10276

Le Forum international d’architecture vernaculaire Du 11 au 15 juin 2013, s’enchaîneront à Gaspé des communications et des circuits architecturaux qui témoigneront des impacts des métissages socioculturels et religieux sur les paysages et le patrimoine bâti populaire gaspésiens. Une activité particulièrement intéressante complète le programme : une journée d’étude pour instaurer un dialogue entre participants, propriétaires et décideurs locaux, représentants gouvernementaux, organismes culturels, offices de tourisme, intervenants et

citoyens. L’objectif ? Élaborer des stratégies de conservation et de mise en valeur appropriées pour la région. Inscription requise.

Le Centre de mise en valeur des Opérations Dignité (COD) À la fin des années 1960, le gouvernement veut fermer 96 communautés de l’Est-du-Québec, et déplacer près de 65 000 personnes. En découle une mobilisation populaire dont les enseignements se révèlent d’une richesse saisissante pour le Québec contemporain. Le COD c'est un centre d’interprétation, un centre d’archives et de recherche sur la ruralité ainsi qu'un centre d’interventions en milieu populaire. De quoi plaire, instruire et divertir ! Il niche à la Maison de la culture Jean-MarcGendron à Saint-Esprit, près de Rimouski. Formez un groupe de six personnes et prenez rendez-vous pour une visite !

L’accessibilité universelle au détour du Quartier Latin Goûtez au plaisir d'une ballade printanière en compagnie des artistes de la coopérative Audiotopie. Ils proposent un parcours audioguidé d’une demi-heure dans le Quartier Latin conçu autant pour les Montréalais que pour les visiteurs. À travers les histoires de vie de neuf femmes handicapées, vivez l’expérience de l’inaccessibilité, tant au plan architectural que social. La voix mélodieuse de Pascale Bussières vous guidera à travers les dédales de l’espace urbain. Changez de regard au gré d’une promenade ensoleillée ! Il n’y a qu’à télécharger gratuitement la piste audio « Berri-UQAM accessibilité universelle », offerte sur le site Web d’Audiotopie… www.audiotopie.com

Christopher McAll, Jiad Awad, Jean‑Yves Desgagnés, Jean Gagné, Collectif. Presses de l’Université du Québec, 2012.


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Conseil d’administration Sylvie Bellerose, Solidarité rurale du Québec Élie Belley-Pelletier, Table de concertation des forums jeunesse régionaux du Québec Mélanie Chabot, Kaléidoscope Ariane Émond, journaliste indépendante Geneviève Giasson, Communagir Georges Letarte, consultant en développement collectif Denis McKinnon, Table nationale des Corporations de développement communautaire (TNCDC) Louis Poirier, Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) Comité d’orientation éditoriale Mélanie Chabot Sophie Clerc Maud Emmanuelle Labesse Dominique Payette Yvon Poirier Directrice générale et rédactrice en chef Mélanie Chabot Ont collaboré à ce numéro Geneviève Audet-Perron, Normand Baillargeon, Daniel Baril, Annie Béchard, Paul Bélanger, Jocelyne Bernier, Julie Boivin, Marie-Joëlle Brassard, Ronald Cameron, Michèle Cardinal, Francine Caron, Véronique Chagnon, Claude Champagne, Monique Chartrand, Charleine Coulombe, Martine Desjardins, Hélène Desperrier, Hervé Dignard, Patrick Duguay, Mélanie Fortier, France Goulet, Benoît Landry, Michel Laurendeau, Jean-Louis Laville, Manon Leroux, Bertrand Loiselle,

Sylvain Mallette, Andrée Mayer-Périard, Danielle Morneau, Amélie Nguyen, Yves Otis, Michel Perron, Michel Plamondon, Stéphane Quirion, Solange Racine, Christine Renaud, Marie-Anne Ridson, Gaston Rioux, MarieClaude Roberge, Guy Rocher, Louis-Philippe Sarrazin, Emma Savard, Richard Shearmur, Simon St-Onge, Francine Thomas, Caroline Toupin, Karine Triollet, Suzanne Veillette, Marie-Hélène Verville, Yanic Viau Photos et illustrations Charles Briand Marie-Ève Tremblay Atelier lapin blanc Design Atelier lapin blanc, Annick Desormeaux et Anne-Laure Jean, directrices artistiques

photo : Atelier lapin blanc

Révision linguistique Ariane Émond Paul Montminy Soutien technique Madalina Burtan Muriel Jadin Imprimeur JB Deschamps Dépôt légal : Bibliothèque nationale du Québec, Bibliothèque nationale du Canada ISSN 1929-6878 (Imprimé) ISSN 1929-6886 (En ligne)

Kaléidoscope 190, boulevard Crémazie Est, Montréal (Québec) H2P 1E2 514 864-1600 / info@mediaK.ca www.mediaK.ca

Partenaires Kaléidoscope c’est le fruit de la collaboration des acteurs du développement collectif au Québec. Parce que le développement collectif c’est eux, Kaléidoscope ne peut exister sans cette étroite complicité. Pour cette raison, nous souhaitons les remercier. Nous souhaitons également remercier les Agences de la santé et des services sociaux (ASSS), les Conférences régionales des élus (CRÉ) du Québec, le Réseau des Corporations de développement économique communautaire (CDEC) qui assurent la distribution régionale des parutions de Kaléidoscope. Enfin, Kaléidoscope c’est aussi un ensemble de partenaires qui soutiennent la revue et ses activités. Nous souhaitons également les remercier de leur appui : La Fondation Lucie et André Chagnon / La Table de coordination nationale en santé publique / L’Institut national de santé publique du Québec / Le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire / Le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale / Le ministère de la Santé et des Services sociaux

Politique éditoriale Destiné aux publics spécialisés et aux citoyens qui ont un intérêt pour le développement collectif, Kaléidoscope s’est donné pour mission de les informer tout en soutenant l’innovation, en s’assurant d’être ce lieu où les différents acteurs peuvent partager et enrichir leurs expériences et leur réflexion. Kaléidoscope s’inspire du Guide de déontologie des journalistes du Québec et du Conseil de presse du Québec pour prendre ses décisions en matière d’éthique et de déontologie. Les textes publiés sont sous la responsabilité de leur signataire et n’engagent aucunement les partenaires de la revue. Les textes publiés dans la revue peuvent être reproduits, à condition d’en citer la source.



« Au cœur du développement collectif, il y a la question du bien commun : comment y contribuer et comment le partager. » Stéphane, organisateur communautaire

« Le développement collectif, c’est le développement décidé à plusieurs et dans l’intérêt de la collectivité. » Gilles, élu municipal

« Le développement collectif, c’est aussi un développement à notre image : inclusif, équitable, participatif et durable. » Mireille, chercheure

Adressé à :

Adresse de L’expéditeur : Kaléidoscope

190, boul. Crémazie Est Montréal (Québec) Canada H2P 1E2 11,95 $


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