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AJD CREATIONS
by Sopreda 2
HOMME des bois
Entre ses mains, une petite porte carrée, des petits tabourets et tout un tas d’objets, une autre desdatée, au feutre bleu, de 1994. C’est la tinée… La magie opère en effet, car c’est là, dans cet atelier toute première qui sent la sciure et la résine, qu’il tombe qu’il a réalisée, elle littéralement amoureux du bois : “ce qui vient de Bretagne CHÊNE, HÊTRE, NOYER, m’a fasciné dans cette matière, c’est tout et le suit par- ACAJOU… RACÉ, MASSIF OU ce qu’on pouvait en faire…” Il commence tout. “C’est le souvenir à la fois de la personne avec qui PRÉCIEUX, JÉRÔME DAYOT, par une petite porte carrée. je l’ai faite, et de l’attention qu’il m’a ÉBÉNISTE À EXCENEVEX, L’ESSENCE DU DEVOIR donnée, de la transmission du geste et EN CONNAÎT TOUTES LES Ebéniste ? A ses oreilles d’ado, il y a de son savoir-faire.” Jérôme n’a que 13 ans à l’époque et il vit dans les Côtes NERVURES, EN RESPECTE dans ce mot quelque chose de religieux. Et la formation qu’il entame auprès des d’Armor, près de Lamballe. Enfant LES MOINDRES NŒUDS OU Compagnons du Devoir, à Rennes, a d’agriculteurs, ce ne sont pas les ani- LIGNES, ET POUR FABRIQUER effectivement quelque chose du sacermaux qui le passionnent, mais le matériel et la technique, depuis tout petit : SES MEUBLES AÉRIENS, doce. “C’était dur. A 14 ans, je bossais en atelier 39h par semaine, avec 2h de cours à 4 ans, il conduisait le tracteur fami- FAIT VŒU DE TOUT BOIS. du soir en plus, et j’étais le plus jeune, lial, y arrimait une remorque à 6, l’em- la caisse à outils était aussi lourde que menait sur les routes à 10. Il aime donc PAR MÉLANIE MARULLAZ moi ! Mais il fallait se donner les moyens. les engins, et pour les manipuler, il faut Et même si j’ai une certaine dextérité à être entrepreneur agricole. Son sillon est tout tracé. Mais sa l’origine, c’est vraiment au travers du travail que je me suis mère le laisse un jour entre les mains d’un oncle menuisier. fait.” Son engagement paie : 3 ans plus tard, il décroche la
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Peut-être a-t-elle entrevu, chez ce garçon qui fabrique déjà médaille d’argent du meilleur apprenti de France.
Il continue ensuite, auprès de ses différents patrons, à repousser les limites du faisable : mobilier, agencement de luxe, horlogerie, bijouterie, escalier en marqueterie… “Tout était permis et possible !” Même de lancer sa propre entreprise, ce qu’il fait à Angers en 2009. Et pendant ces premières années, la quête de la perfection technique reste sa priorité. Sa croix. De 3h du matin à 21h, 7 jours sur 7. Sans regarder en arrière. Jusqu’au moment où, il y a 5 ans, il entend les premiers mots de sa fille : “Papa boulot”. Il prend alors sa famille sous le bras, direction la Haute-Savoie et les
bords du Léman, pour tout changer. Ou presque… “Je veux être performant, donc je me donnerai toujours à 100 voire à 200%”, reconnaît-il.
CONTRÔLE TECHNIQUE
“Ce qui continue à me passionner, c’est le travail de la matière et le défi. Pour moi, l’ébéniste est un créateur : il a créé le meuble, en a écrit l’histoire, puis l’a recopié à la perfection. Aujourd’hui, les jeunes veulent être des créateurs libres, mais on ne peut pas l’être si on n’a pas un sens aigu de
la technique”. C’est pourtant un jeune, un de ses apprentis sorti de l’Ecole Boulle, Fabien Masnada, qui ébranle un jour ses convictions. “Il m’a dit, vos meubles, c’est bien mais… ils sont moches. Et m’a appris la collaboration entre designer et ébéniste : tout ce que nous avons imaginé ensemble était le fruit d’un échange”. Avec l’expertise de Jérôme et sa connaissance des essences, lignes droites et coups de crayon donnent naissance à un mobilier guidé par deux principes : le beau et la légèreté. Un bureau dont le plateau et les pieds sont de la même épaisseur; un buffet avec un impressionnant porte-à-faux, un décalé de hauteurs et un fil de bois parfait qui court d’une porte à l’autre; une table dont les pattes ont été découpées comme si l’on avait entaillé la peau d’une orange… Et aujourd’hui, “quand un designer fait un croquis qui ne tient pas debout, ce n’est pas grave, je ne le frustre pas, j’essaie de comprendre, de mettre mon métier à profit pour l’accompagner et soutenir son design. Parce que j’adore créer des meubles qui intriguent, mettre sans cesse ma technique à l’épreuve – on y revient ! – mais ma quête, c’est qu’on l’oublie, cette technique. Car les belles choses ne tiennent à rien, à ce qu’on ne voit pas forcément.”