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MARTHE DUVAL

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QUOI MA GUEULE ?

QUOI MA GUEULE ?

/ MARTHE DUVAL / Grandes

Quand les vieux ont de beaux restes, Marthe Duval les fait basculer du côté haut-de-gamme du prêt-à-porter. Il s’agit de tissus, évidemment, que cette jeune créatrice lyonnaise, rêveuse et décalée, ré-emploie, révèle, sublime… Parce que la récup’, c’est son truc.

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© Gwen Lavila

Marthe Duval, la créatrice.

© DR

“C hiner, c’est ma passion, après la créa, les plantes et les chèvres.” Sur sa page Instagram, Marthe Duval pose le décor : fraîcheur, humour et seconde main. Derrière ses grandes lunettes écaillées et ses boucles noires, cette vivifiante trentenaire promène son large sourire, ses patrons et ses envies de mode durable Passage Thiaffait, à Lyon, au sein du Village des Créateurs. Depuis quelques mois, celle qui a su fédérer, autour de son univers « punk et minimaliste », une belle communauté d’internautes, y rencontre des gens en vrai. “Ici, il y a juste assez de passage pour moi. Parce que je ne suis pas une commerciale, je suis bien derrière mes machines, dans ma bulle, mais l’atelier est ouvert sur l’extérieur et on me voit travailler, ça me tenait à cœur.”

LA FRIPE, C’EST CHIC

Valoriser ce travail, faire comprendre que derrière chaque vêtement, il y a des heures de confection, de couture et de peinture, c’est l’un des deux fils qui sous-tendent les créations « conscientes » de Marthe. L’autre, c’est la récupération. Un parti-pris familial. “Mes parents m’ont toujours traînée dans des boutiques de seconde main ou chez Emmaüs. Quand j’étais petite, je détestais ça, mais ça m’a aidée à développer certaines valeurs. Au lycée, j’étais une des seules à porter des fringues d’occasion et j’adorais me démarquer.

© Nina Linnemann Aujourd’hui, quand je ne vais pas chiner, je suis en manque. J’attends le week-end avec impatience pour aller fouiller dans les bacs de tissus des bric-à-brac !” Car c’est comme ça que tout a commencé, il y a 8 ans. Marthe vient alors de terminer une licence de traduction littéraire en anglais et espagnol, mais ne sait pas trop quoi en faire. Elle s’accorde donc une pause et trouve un job alimentaire. Elle en profite surtout pour acheter une machine à coudre – sur un vide-grenier, est-il nécessaire de le préciser ? –, afin de customiser ou sublimer les perles dénichées dans les friperies qu’elle écume pendant son temps libre. Une jolie photo, un post, et hop, la pièce est en ligne, la boutique vintage de Marthe aussi. Et elle y prend tellement de plaisir qu’elle décide de domestiquer officiellement la canette – la bobine, pas le volatile –. À 23 ans, n’ayant plus accès aux cursus classiques, elle enchaîne donc trois formations pro en un an : couture générale, sur-mesure féminin et modélisme. Le tout sous l’aile et l’aiguille bienveillante d’une ancienne première d’atelier de chez Lanvin et Gauthier.

VIVRE DANS L’INSTA(NT)

À la sortie, elle tente une première aventure prêt-à-porter, avec une amie : “on était parmi les premières à se positionner sur la mode éthique et on a vu l’engouement que ça générait”, puis retravaille en free-lance pour d’autres créatrices. Au pied du mur, quand l’une d’entre elles lui propose de reprendre sa boutique, elle refuse, mais pour une bonne

raison : c’est le moment de créer sa propre marque. On est en 2019 et « Marthe Duval » voit le jour. Pas étonnant qu’elle ait choisi le thème du lever du soleil, « Hinodé » en japonais, pour illustrer ce nouveau départ. Un virage négocié dans une soie aux coupes très amples et aux nuances indigo, sous l’œil complice de ses followers. “J’ai choisi de jouer la transparence, de tout montrer et d’inviter ma communauté Insta à participer au choix des couleurs ou de certains motifs. Je ne suis QUE la couturière”, sourit-elle. Cohérente jusqu’au bout du dé à coudre, elle transformera même les chutes de cette première collection en lingerie.

FLEURS ET FOLLOWERS

Ses matières, Marthe continue à les récupérer dans des stocks inutilisés par de grandes maisons de couture. Pour « The Pool », la nouvelle série de créations qu’elle essaimera jusqu’au mois de juillet, et que lui a inspiré la toile « Portrait of an artist » de David Hockney, elle est donc partie de 48m de denim blanc fabriqué au Japon, éclaboussé de bleu outremer et de jaune dune – « shiborisé » serait plus précis, pour cette technique de teinture nippone proche du tie and dye –. Pour en accompagner la sortie, elle s’est offert, comme à chaque fois, un bouquet de fleurs. Cette fois-ci, c’était du mimosa. À la croisée des générations, Marthe revendique donc à la fois son amour pour l’artisanat et son utilisation experte des réseaux sociaux, mais refuse la « start-up nation ». “Je rêve d’avoir un petit atelier de production et d’embaucher, mais je n’ai jamais eu l’intention de devenir une multinationale, je veux rester une entreprise mini, locale et humaine.” Et garder un brin de candeur, de naïveté, ce sentiment de liberté qui lui a fait peindre, de ses mains finement tatouées, des nuages blancs sur du crêpe de chine bleu clair, comme un ciel dégagé, histoire de continuer à rêver sans forcément lever le nez…

+ d’infos : martheduval.com

© Gwen Lavila

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