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PISTE NOIRE
by Sopreda 2
Skieurs à Valloire
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TROP GLISSANTE ? GLISSANTE ? Pente
Si le modèle économique des années 60 a permis un essor phénoménal, une réussite fantastique, il arrive en bout de piste”, constate Guillaume Desmurs, journaliste et co-fondateur de Lama Project, un laboratoire d’idées qui entend contribuer à la transition économique de la montagne. “Mais les questions d’énergie, de renouvellement des générations, de crise climatique, de pollution, ne sont pas ou très peu traitées, parce que le modèle est encore rentable.” Pourtant, assises, états généraux du tourisme, ateliers collaboratifs… Les énergies ont l’air de se mobiliser pour réfléchir à l’avenir du territoire, dans le contexte du changement climatique et de ses impacts sur l’économie locale. “Jusqu’en 2014, il y a eu une période de déni, une partie des acteurs n’y croyaient pas”, rappelle Vincent Vlès, professeur émérite à l’université
A ski, pour pouvoir modifier sa trajectoire en fonction d’un obstacle, il faut une excellente vision de loin ou des carres bien affûtées… D’autant meilleures que la piste est raide et la vitesse élevée. Sur la pente de la transition, les stations, elles, sont-elles bien équipées ?
PAR MÉLANIE MARULLAZ
de Toulouse - Jean Jaurès, spécialisé dans l’architecture et l’urbanisme des stations touristiques. “Mais avec les preuves apportées par le GIEC, les modèles affinés, les mesures du niveau d’enneigement et la remontée de la limite pluie-neige, ça s’est estompé. Aujourd’hui, les gens admettent que le changement est en cours et que ça va être dur, mais ils pensent qu’ils ont encore 20 ans devant eux et vont au bout du cul-de-sac. La plupart des élus locaux ont l’œil fixé sur l’économie et l’électorat, ils ne voient pas encore assez la cata.”
S’ÉLOIGNER DU TERRAIN
Alors quelle piste suivre ? Diversification ? Quatre saisons ? Est-ce que ça va suffire ? “Les quatre saisons ne sont que la nouvelle appellation d’un nom barbare : la dé-saisonnalisation du tourisme”, continue Vincent Vlès. “Il y a eu beaucoup de travaux de recherches et d’étude sur le sujet depuis 40 ans et les faits sont têtus, même si on peut étaler un peu la saison, c’est une option impossible d’un point de vue économique et technique, à cause, notamment, des vacances scolaires (convergence des flux touristiques aux
Mont-Blanc depuis le versant du Chritomet à Megève
mêmes périodes). Et contrairement à ce qu’on pense, les saisons ont tendance à se concentrer.” Quant à la diversification ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes : “Quand un skieur dépense 120 ou 150€/jour, le randonneur en dépense 20… On parle de 200 000 personnes qui vivent du ski sur l’ensemble des massifs, ils ne vivront pas tous de la diversification. ” “De toute façon, il n’existe pas qu’un seul modèle, il faudrait réfléchir localement, par station ou par domaine. Que chacun ait un pôle spécialisé, financé par une collectivité de rang supérieur, état ou région - les maires ou les départements sont trop près du terrain pour prendre des décisions désagréables –, qui ne peut pas être viré par un vote. Des gens très formés, avec une expérience et de l’autorité, pour dire : « ça ne sert à rien, ça va coûter de l’argent sans pour autant avoir de l’effet ».”
NE PAS FONCIER TÊTE BAISSÉE
“Au cœur de tout ça, il y a surtout l’immobilier et la hausse du prix du foncier”, complète Guillaume Desmurs. Cette question est pourtant évacuée des discussions, rencontres ou ateliers consacrés à la transition, regrette-til. “Pour bien accueillir les touristes, il faut une vie à l’année. Et pour l’avoir, il faut créer des conditions qui attirent les habitants : de très bonnes écoles, les meilleures activités du monde, la plus belle piscine, la fibre... Mais au prix du m2, les locaux ne peuvent plus se loger. La Clusaz ou Morzine, par exemple, sont des villes qui perdent des habitants. Les gens qui achètent sont souvent des étrangers qui viennent pour les vacances et sont exigeants : ils veulent notamment la neige au pied de leur résidence. Les promoteurs posent donc leurs conditions pour construire et on installe des canons à neige, avec une réserve collinaire pour les alimenter… Mais aujourd’hui, les habitants disent : « on n’a pas besoin de ça, stop ! » Je pense que l’exemple de La Clusaz (cf article p. 56) va servir de test, de catalyseur de toutes les tensions qu’on va trouver dans les stations dans les 10 ans à venir.” Une décennie que Vincent Vlès regarde bien en face : “quand le marin voit se lever la tempête, l’optimiste dit : « ça va aller », le pessimiste : « je suis mort », le réaliste : « j’adapte mes voiles ». Je suis réaliste : il sera difficile de trouver d’autres formes de tourisme, vertueuses, aussi productrices de rentrées que le ski alpin. Par contre, c’est maintenant qu’on peut dire aux gens : vous pouvez rester et vous battre, mais quand il n’y aura plus de neige, ce sera difficile d’être perchman, de tenir un commerce ou un hébergement.” “C’est peut-être la fin d’une parenthèse dorée”, conclut Guillaume Desmurs, “mais est-ce que c’est catastrophique ?”
+ d’infos :
« Touche pas au Grisbi – Turbulences dans les stations de ski françaises » – Guillaume Desmurs – Editions Inverse – 2021 « Anticiper le changement climatique dans les stations de ski : la science, le déni, l’autorité », préface du numéro spécial de SUDOUEST EUROPEEN, « Sports d’hiver, territorialité et environnement », Hagimont S., Minovez J.M., Vlès V. (Ed), à paraître 2021.