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JEUNES & BONS

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GRAPPE DE NEWS

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Sortir de TAIRE

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Novembre 2018. Quartier de Mcleod Ganj à Dharamshala, nord de l'Inde. Naomi est attablée au Snow Lion devant un thé. Une jeune femme entre, s’assied en face d’elle et dans une sourire lumineux lui lance : « who are you ? ». 3 heures plus tard, Naomi sait que Robin vient de donner un sens à sa vie !

PAR FRÉDÉRIC CHARPENTIER

© Kranti

Sur le Chemin de Compostelle Naomi Jahan

18 juin 2019, la voilà caméra au poing à Saint-Jean-Pied-DePort avec, devant elle, 35 jours de marche - et quelque 800 km - jusqu’à Saint-Jacques-deCompostelle, pour mettre en images le parcours de 20 jeunes femmes indiennes, les Krantikaris, filles de prostituées du Quartier Rouge de Mumbaï. Les jeunes femmes viennent de jouer, à Genève et Paris, une pièce de théâtre sur leur parcours, et ont décidé de profiter du déplacement pour entreprendre le fameux pèlerinage. Pour Naomi, ce court-métrage - « Our

Robin Chaurasiya

Les Krantikaris sur scène

© Kranti

odyssey is red » -, sera le premier d’une série avec, pour fil conducteur, « Des violences contre les femmes à la guérison par l’art. » Elle sourit : “Mais c’est surtout un moyen de parler égalité. On crée des projets artistiques pour sensibiliser, ouvrir la conversation, et on se concentre sur des histoires inspirantes, pleines d’espoir.”

MAGIQUE HASARD

Mais revenons à cet automne 2018, où tout a commencé. Naomi, 23 ans, fraîchement diplômée en Droit International, a des fourmis dans les jambes : “en fait, j’adore être ailleurs !”. Là voilà donc, sac

au dos, quittant Allonzier-la-Caille pour une ONG en Inde protègeant les droits des Tibétains ! Ado, c’était déjà son truc de valoriser les différences. Stop aux stéréotypes ! Un petit caractère « chiche, je le fais ? » forgé face à l’autorité d’un père aimant, mais exigeant et des valeurs humaines métissées d’Asie transmises par sa mère vietnamienne. Et voilà que cette rencontre improbable avec la jeune et bouillonnante Robin va donner une nouvelle dimension à son périple.

RETOUR À LA CASTE DÉPART

Robin a co-fondé l’ONG Kranti à seulement 24 ans ! Virée de l’armée américaine pour cause d’orientation sexuelle, avec le feu en elle et le besoin de créer quelque chose de beau, elle avait noté qu’à Mumbaï (ancienne Bombay), les ONG aident certes les prostituées du Quartier Rouge, mais ne leur donnent pas la possibilité de vivre à l’égal des autres femmes. En Inde, bien que les lois soient progressistes, le système archaïque des castes existe toujours ; pas d’échappatoire au système, sauf par l’éducation. Naomi constate : “Là-bas, les femmes n’ont pas accès à l’éducation

Les filles de travailleuses du sexe sont souvent refusées par les écoles et autres institutions qui considèrent qu'elles finiront comme prostituées et donc n'ont nullement besoin d'éducation.

de façon égalitaire. Les filles de travailleuses du sexe sont souvent refusées par les écoles qui considèrent qu'elles finiront comme prostituées et donc n'ont nullement besoin d'éducation. Et si tu es intouchable ou musulmane, comme ces filles de prostituées, tu n’as

© Kranti

©Vibhor Yadav. © Sébastien Farcis

Shweta Katti

Sur le Chemin de Compostelle

droit qu’aux emplois de forçats dans les mines ou comme domestique, ce qui fait que les plus marginalisées, pauvres ou transgenres, n’ont souvent pas d’autres choix que de basculer dans la prostitution pour survivre.”

NAISSANCE OU RENAISSANCE

L’ONG Kranti récupèrent donc ces filles à partir de 10 ans, puis s’en occupe, leur offre les outils pour se découvrir une passion, un avenir. Elles deviennent alors souvent des actrices de changement social. Ainsi, Shweta, passionnée de percussions, va maintenant dans les quartiers difficiles où la musique devient un moyen de communiquer avec les enfants. Et Naomi de raconter : “Il y a aussi Tanyia, violée par son beau-père pendant 5 ans, elle est devenue hôtesse de l’air et partage son amour de la Zumba en allant apprendre aux gamins

© Hers is Ours © Hers is Ours

comment se libérer par la danse. Ou encore Tara recueillie à l’âge de 16 ans, une intelligence vive, c’est la première fille des quartiers rouges à être acceptée, avec une bourse scolaire à l’étranger, à Washington ! Inespéré…” La Maison des Kranti accueille de 10 à 20 jeunes filles de tous âges. Ici, tout le monde s’occupe de tout le monde. “Elle essaie de les remettre dans le système scolaire, mais en interne, l’ONG a créé la Kranti school qui leur permet d’apprendre différemment, avec pour socle la méditation, la compréhension du monde et la bienveillance.” Elles en sortent enfin gorgées d’amour, épanouies et autonomes.

QUEL MESSAGE !

Et voilà ces « Krantikaris » (les « Révolutionnaires ») sur « Le Chemin ». 25 km par jour. C’est beaucoup pour ces filles non entraînées. La pluie, la chaleur, les ampoules, le corps qui proteste - l’une des filles a la tuberculose et suit un traitement douloureux, mais avance à son rythme -, le manque de moyens, mais aussi les joies de la marche et du collectif, la débrouille pour manger et dormir avec du théâtre, du chant et de la danse improvisés dans les villes traversées, une aide sollicitée avec le sourire. “Elles donnent beaucoup !” Et elles touchent

en plein cœur. La solidarité est partout. Et l’aventure est belle. “On marchait avec les sacs de lentilles et de riz, de quoi se faire des plats basiques, et un jour, on rencontre un jeune homme en difficulté, sans argent pour payer son lit. Elles se sont débrouillées pour lui payer ! Elles qui galèrent… « Si tu as besoin, nous on a ce qu’il faut maintenant », elles ont ensuite marché avec lui plusieurs jours. Il a été transformé, c’était extraordinaire !” Naomi filme de l’image, des émotions et de la parole. Mais aussi le sac trop lourd qu’on allège, les charges émotionnelles déposées qui nous encombrent : de quoi a-t-on vraiment besoin dans la vie ? L’expérience a changé Naomi : “je pensais être une fille avec de la tchatche, parfaite pour devenir avocate dans les ONG, sensibiliser, aller au devant des gens, expliquer, et puis au final, j’ai découvert la liberté et la joie d’être dans l’observation, en osmose. J’ai beaucoup appris d’elles. Leur histoire m’a touchée,

© Hers is Ours

ce sont des femmes fortes qui ne se présentent jamais comme des victimes, elles veulent juste dénoncer les discriminations de couleurs, de milieux, de genres, et redonner espoir. C’est le combat de leur vie, leur histoire, c’est aussi un peu la nôtre et ce premier film en est juste un témoignage. D’où le nom de notre collectif : Hers is ours !”

+ d’infos : kranti-india.org startsomegood.com/hers-is-ours

© Hers is Ours

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