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STÉPHANE TOURREAU
Souffler n’est pas jouer
JE SUIS UN PEU BATOPHOBE, VOIRE CARRÉMENT APEIROPHOBE. CE QUI NE SIGNIFIE EN AUCUN CAS QUE JE REFUSERAIS TAPAS ET ROSÉ SUR UN VOILIER, MAIS QUE DEVANT LES GRANDES PROFONDEURS OU L’INFINI, J’AI LE SOUFFLE COUPÉ. BREF, JE NE SUIS PAS FAITE POUR L’APNÉE. STÉPHANE TOURREAU, LUI, SI.
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PAR MÉLANIE MARULLAZ
Stéphane Tourreau
On se souvient tous de la première fois qu’on a mis la tête sous l’eau, avec masque et tuba. Les respirations saccadées, le bruit de son propre souffle amplifié par le tuyau, les onomatopées paniquées à la vue d’un bébé maquereau “UN ÉOME OION!!! UN ÉOME OION!!!”, l’eau qui s’infiltre par les côtés quand on commence enfin à rigoler et la buée… Pour Stéphane Tourreau, ce fut l’ouverture sur un univers magique. Il avait une dizaine d’années et la découverte des fonds corses allait lui changer la vie. “Je me suis aperçu qu’on était bien sous l’eau, qu’on avait une sensation de liberté, surtout par rapport au système scolaire dans lequel je me sentais très cloisonné. Avec cette visibilité incroyable, ces eaux cristallines et ces poissons de tous les côtés, c’était un mélange de stupéfaction et d’envie d’aller plus loin en profondeur. Quelque chose de très grisant et frustrant à la fois. Addictif tout de suite.” Par tous les moyens, le Thononais essaie donc de prolonger ces sensations. A l’adolescence, il commence à pratiquer l’apnée dans le Léman.
TIRER L’APNÉE DE SON TOURREAU
A l’époque, pas de structures pour l’accompagner, en dehors de clubs de plongée. Mais Stéphane ne manque pas d’air, il apprend sur le tas. “Tout ce qu’il ne fallait pas faire, je l’ai fait : on force, on se blesse, puis on s’assagit, on apprend, on se renseigne… Finalement, c’est la meilleure des écoles : tu n’appliques pas une théorie, mais d’après tes erreurs, tu sais précisément ce qui marche ou pas.” Seul, il se forme également au statut de sportif indépendant, à la communication, à l’environnement, au métier de conférencier… Quand les clubs commencent à faire appel à lui pour développer l’activité, il descend quand même jusqu’à Villefranche-sur-Mer, pour rencontrer Guillaume Nery, double-champion du monde en poids constant - descente à la seule force musculaire avec palmes, sans lest, ni gueuse - . Auprès de lui, ses mains ne se palment pas comme celles de Patrick Duffy dans l’Homme de l’Atlantide, il ne lui pousse pas non plus des branchies, mais le Haut-Savoyard acquiert les bases afin de pouvoir, à son tour, les enseigner. En 2011, il s’installe à Annecy et rencontre Loïc Gourzeh, préparateur mental qui l’aide à aller encore plus loin, l’accompagne vers le haut niveau et les grands fonds. “La compétition, c’était une catastrophe au début, notamment en ce qui concerne la gestion du stress. Aujourd’hui, c’est un outil, un bon moyen de voir où j’en suis avec mes émotions, au moment le plus stressant possible. Si là tu gères, c’est que tu as fait un gros travail sur toi.” Développement personnel, méditation, pleine conscience… Ses efforts paient : en 2016, à Kas en Turquie, il devient vice-champion du monde en poids constant.
TRANSFERTS DE FONDS
“En grande profondeur, on a la sensation d’être autonome avec son corps, d’aller explorer des choses que peu de gens ont pu découvrir.” Ce sont surtout ses propres limites que Stéphane explore, quand il se prive d’air frais pendant plus de 7 minutes, sans bouger. Car en se laissant entraîner à 113 mètres de profondeur - son record, atteint en 2019 -, Stéphane Tourreau ne satisfait pas uniquement sa curiosité pour les abysses, c’est en lui-même qu’il plonge. “L’apnée est un guide, qui m’a permis de m’accepter, de prendre confiance en moi au fil des années. En lac surtout, on a moins de visibilité, le fait que ce soit plus sombre pousse à être plus attentif à ses sensations internes, à rentrer dans l’obscurité à l’intérieur de soi, pour trouver la lumière ensuite. Et quand on arrive en mer, les sensations sont décuplées, on n’a qu’une envie, c’est de plonger !”
Sa passion le mène en effet plutôt à nager dans les eaux chaudes, Méditerranée, Golfe du Mexique, Dominique, Bahamas… “Mais ma terre natale reste la plus forte, je suis toujours hyper content d’y revenir. Pour moi, notre région est liée à la notion de verticalité, avec la montagne et le lac. C’est le meilleur lieu au monde pour s’entraîner. Tout est à portée de main.” Pour atteindre 45 mètres, Stéphane plonge à côté de chez lui, à Chavoire, ou aux Marquisats s’il veut aller plus profond. “Il n’y a pas de courant, pas besoin de bateau pour aller au large… De temps en temps, je vais me faire une plongée sur le France, c’est toujours un grand moment, et c’est ce qu’on va faire avec un ami champion du monde en piscine, Guillaume Bourdila. J’adore aussi faire du ski de fond, rouler sur les cols, être en montagne connecté avec la nature et savourer les paysages. Tout ça est totalement com plémentaire à mon sport”.
EAU LES CŒURS
Car pour l’athlète de 33 ans, l’environnement et la construction d’un équilibre émotionnel sont presque aussi importants que l’entraînement, mais bien plus longs à constituer. “Je n’en étais pas encore là il y a 1 ou 2 ans, mais j’ai atteint un nouveau cap. J’ai lâché prise, lâché la peur, et tout est arrivé. Plus on est dans l’équilibre intérieur, plus on trouve un équilibre naturel. Et mon équilibre, c’est l’unité, je pense que tout, dans l’univers, est relié, interconnecté, que si je suis dans l’apnée, si je m’amuse autant, ce n’est pas un hasard, ce n’est pas pour rien, c’est que je devais y être, je dois vivre ça.”
+ d’infos : stephane-tourreau.com
UN ENDROIT POUR… … en prendre plein la vue ?
Au Col de La Forclaz ou au Mont Veyrier
… buller ?
Partout au bord du lac d’Annecy !
… se dépenser ?
Sous le lac évidemment ou autour dans les cols en vélo ;)
… faire la fête ?
Là où il y a un beau truc à fêter, qu’importe l’endroit.
… manger ?
Les Trésoms évidemment !
Ton endroit doudou, celui où tu vas pour te ressourcer ?
Dans une rivière d’Angon entre les arbres…