POUR PRESERVER LA QUALITE DE VIE AU TRAVAIL, FAIRE UN TRAVAIL DE QUALITEla
qualité de vie au de qualité Marie PEZE
Docteur en Psychologie, psychanalyste Ancien Expert judiciaire Responsable du Réseau de consultations Souffrance et Travail www.souffrance-et-travail.com Responsable du CES de psychopathologie du travail (CNAM)
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Le travail, un pacificateur individuel et social irremplaçable
Si le travail peut faire souffrir, c’est d’abord parce qu’il est porteur de nombreuses promesses: travail d’élaboration mentale, outil de la pensée Sublimation des pulsions partielles Promesse d’émancipation sociale, d’être utile au monde et aux autres, de l’apprentissage du vivre ensemble Promesse d’accomplissement de soi par la reconnaissance de ses savoir-faire, la construction identitaire qui en découle grâce au regard des usagers, des collègues,de la hiérarchie..
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PREMIER QUIPROQUO: L’INVISIBILITE DU TRAVAIL REEL ▸Le travail prescrit est donné par la fiche de poste, le bureau des méthodes, les procédures… ▸Le travail REEL est ce qui se présente au travailleur qui exécute la tâche. C’est la façon dont il y fait face en puisant dans ses ressources personnelles et/ou collectives. ▸Le travail réel, c’est ce que les femmes et les hommes rajoutent à la tâche prescrite pour que le travail se fasse ▸LA RECONNAISSANCE DU TRAVAIL REEL: une attente forte du salarié, peu utilisée par les managers, pourtant au cœur de la qualité de vie au travail. 3
Le nouvel environnement jurisprudentiel L 4121 ou article 11 Le chef d’entreprise prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs + évaluer les risques (art. L 4121-1 + L 4121-3 CT) en termes de résultats et plus seulement de moyens. –
–Eviter
les risques ; - Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; - Combattre les risques à la source; - Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ; - Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ; - Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux; - Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu’il est défini à l’article L. 1152-1 ; - Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; - Donner les instructions appropriées aux travailleurs »
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Portéé é dé l'obligation dé l'émployéur consacréé é par la jurisprudence: ▸Pour les maladies professionnelles (C. cass., Soc. 28 février 2002) ▸Pour les accidents du travail (C. cass., Soc. 11 avril 2002) Le manquement à cette obligation constitue une faute inexcusable. Sur quels critères ? ▸Le Chef d’entreprise doit avoir conscience du danger (appréciation in abstracto de ce qu'aurait dû connaître un professionnel avisé) – ▸il suffit que la faute commise soit une cause nécessaire du dommage, et non une cause déterminante 5
QVT La notion de qualité de vie au travail ( Qualité of work life ), forgée par Irving Bluestone dans les années 60, ouvre la voie de la libération des énergies de l’individu au service de la performance organisationnelle et du fonctionnement global de la société. C’est à l’issue de la conférence internationale sur la qualité de vie au travail, tenue en septembre 1972 dans l’état de New York, qu’un nouveau champ théorique est constitué. Un an plus tard, le Conseil International de Qualité de Vie au Travail reçoit le mandat de promouvoir la recherche et l’échange des connaissances dans le domaine de la santé mentale au travail et de la qualité de vie au travail. 6
QVT • La qualité de vie au travail désigne et regroupe sous un même intitulé les actions qui permettent de concilier amélioration des conditions de travail pour les salariés et performance globale de l’entreprise. • Nous verrons que la qualité de vie au travail dépend surtout de la du travail.
qualité 7
DES RPS à la QVT • En médecine du travail, on étudie les risques (physiques, chimiques, sonores..) auxquels femmes et hommes sont confrontés au travail. Apparus dès 1998 au congrès mondial de l’OMS, l’expression s‘est développée dans tous les domaines
• les risques psychosociaux
sont définis comme les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental. • Définition du Rapport du Collège d’expertise conduit par Michel GOLLAC sur le suivi des risques psychosociaux au travail, faisant suite à la demande du Ministre du travail, de l’emploi et de la santé Xavier Bertrand en 2007 8
Les formes les plus courantes que prennent les organisations du travail dans les entreprises et établissements aujourd’hui • Charge de travail plus importante que le poste théorique • Procédures – communication – qualité • Individualisation – d’évaluation, reporting
fixations
d’objectifs,
entretiens
• Management – gestionnaires de performances, • Confrontation directe des salariés, des agents, avec la demande des clients, des usagers, • Informatisation (délais raccourcis, reporting démultipliés, surcharge de demandes par mails, notation client, géolocalisation, suivi instantané des objectifs,…) • Réorganisations permanentes (diversification de l’activité, puis recentrage sur le cœur de métier, sauvegarde de la compétitivité, etc.) 9
Les formes les plus courantes que prennent les organisations du travail dans les entreprises et établissements aujourd’hui LES CONSEQUENCES •charge de travail, difficile à absorber, pression temporelle, complexité, travail en mode dégradé •exigences émotionnelles et notamment le contact avec le public, •manque d’autonomie et de marges de manœuvres, •manque de soutien social et de coopération de la part de la hiérarchie et des collègues de travail, •difficultés de conciliation entre la vie familiale et professionnelle, •manque de reconnaissance et sentiment d’inutilité du travail effectué, perte du sens du travail que l’on effectue, •conflits de valeur entre les exigences de travail et les valeurs personnelles qui peut se révéler néfaste pour la santé mentale (conflit éthique) •insécurité consécutive aux changements intervenus dans l’organisation •Autant de facteurs à l’origine des tensions interpersonnelles dans les services, de l’augmentation de la tension au travail et parfois l’isolement des salariés (mise à l’écart de celui qui est en souffrance aussi par rapport à l’image qu’il renvoie au collectif de travail de ce qui pourrait leur arriver), le harcèlement moral éventuel, 10
La grammaire financière rend le travail réel invisible • L’entreprise, privée ou publique, évalue l’activité réelle à partir des outils de la grammaire financière: chiffres, algorythmes, contrôle de gestion, reporting… • le travail humain, avec sa sensorialité, ses muscles, ses efforts cognitifs, son endurance, son honneur, sa conscience professionnelle, son intelligence du corps, disparaît au profit du quantitatif: rythme, temps, cadence, flux, tendus si possible, plus de stock de voiture ni de patient, 0 délai, ambulatoire à tout prix, 0 mouvement inutile, 0 surproduction… 11
L’organisation du travail : un déterminant majeur des risques psychosociaux confirmé par les enquêtes épidémiologiques SUMER 2010, Dares, DGT
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L'hyperactivité, rouage essentiel du productivisme • Celui qui s’en sort dans les organisations actuelles du travail n’est ni le plus fort, ni le plus intelligent,
mais
le plus rapide. •
L’augmentation de la cadence des taches à accomplir est présente partout, dans tous les secteurs professionnels, à des niveaux d’intensification qui pulvérisent toutes les limites neurophysiologiques et biomécaniques.
• Le travail aussi est pulvérisé, morcelé, dégradé
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•
les contraintes horaires qui étaient marquées dans certains secteurs agricoles en 2003, touchent un nombre encore plus important de salariés en 2010, notamment au sein des coopératives agricoles mais aussi du secteur culture-élevage. Il s’agit des horaires atypiques les plus courants (travail en équipes, travail de nuit et travail de fin de semaine) la proportion de salariés bénéficiant de 48 heures consécutives de repos est moins élevée dans ces mêmes secteurs.
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La pression temporelle au travail (imposition du rythme de travail, obligation de se dépêcher, travail en urgence)
• contraintes de rythme de type industriel pour • assurer la régularité de la production • ainsi qu’à des contraintes marchandes de rythme. • Les contrôles informatisés ou exercés par l’encadrement • retentissent particulièrement sur leur cadence de travail 15
• 68 % et 55 % des salariés déclarant devoir fréquemment interrompre une tâche pour en faire une autre non prévue. • seulement 51 % disent avoir tous les moyens nécessaires pour effectuer correctement leur travail.
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Un lien fort avec les caractéristiques de l’organisation du travail
Ne pas pouvoir faire correctement son travail
Autonomie, marges d'initiative Rythme de travail
Caractéristiques du temps de travail 22% Source : Dares-DGT-DGAFP, enquête Sumer 2010.
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% salariés
Les athlètes de la quantité • Les effets de l’hyperactivité sur la santé sont connues : épuisement physique et psychique, troubles du sommeil, de l’éveil, de l’attention, de la concentration, de la mémoire. Troubles cardio-vasculaires, hypertension ou hypotension artérielle, accidents ischémiques transitoires, troubles du rythme, accidents du travail, et conduite addictive. • Du côté de l’étymologie, la sentence du Gaffiot est impitoyable. Addictus : esclave pour dette. • Les effets de l’hyperactivité sur le travail sont connus:
Travail en mode dégradé et conflits de valeurs 18
Les pathologies liées au travail: surcharge et isolement Les décompensations psychiques: stress, anxiété, désengagement du travail, troubles cognitifs (mémoire, logique, concentration), État de stress aigu, Syndrome d’épuisement professionnel ou burn-out, stress post-traumatique, suicide, conflits éthiques, addictions... Les décompensations violentes: violence contre les usagers, entre collègues, contre l’outil de travail (sabotage), contre l’encadrement (séquestrations), radicalisation des modes managériaux Les décompensations somatiques: troubles musculosquelettiques, infarctus du myocarde et AVC (Karoshi), yoyo pondéral, syndrome métabolique.. 19
L’envahissement : l’organisation scientifique du travail a déjà fait naître de puissantes contraintes physiologiques de temps et de rythme de travail. Les NTIC vont parachever l’effacement entre la vie privée et la sphère du travail, la première étant désormais colonisée par la seconde ; L'augmentation de la cadence des tâches à accomplir et leur densification pulvérisent tous les seuils neurophysiologiques et psychologiques supportables. ce « corps machine » que veut l'organisation du travail, n'existe pas.
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Travailler à une telle vitesse a comme effet essentiel voulu d'empêcher de penser. Quand vous travaillez ainsi, vous ne pouvez plus faire un pas de côté pour réfléchir à votre travail. Les gens qui viennent nous voir en consultation nous disent « je n'en peux plus ». Ils décrivent un mécanisme qu'ils n'arrivent plus à arrêter et qui gagne leur vie personnelle. Ils mettent la pression sur leurs enfants, leur conjoint, qui doivent suivre leur rythme effréné, passent l'aspirateur au petit matin car ils sont réveillés et n'arrivent pas à partir travailler sans faire le ménage, dorment tout habillés, etc. en d'autres termes, ils n'arrivent plus à appuyer sur le bouton of. Les personnes pensent à se suicider pour pouvoir se reposer, et non parce qu'elles ne veulent plus vivre. 21
Ce travail aliénant est un travail dans lequel je ne peux plus engager mon intelligence, je ne fais que revenir du travail, appauvri intellectuellement, appauvri affectivement parce que ce travail m’interdit de me déployer moi-même, d’aller à l’épreuve de moi-même. L’aliénation du travail, c’est quand le travail se retourne contre l’Homme, quand les organisations du travail se retournent contre la culture, contre la perspective d’honorer la vie ensemble sous la forme de la civilisation, résultat du travail des femmes et des hommes.
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