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Office fédéral de la santé publique 3003 Berne, www.bag.admin.ch Novembre 2005/no 53
Les nombreuses facettes du quatrième pilier
Prévention et promotion de la santé
spectra
Tests de pilules et information sur les drogues de synthèse lors d’une fête techno à Zurich (Energy). Cette offre de Streetwork Zurich (en collaboration avec le service du pharmacien cantonal de Berne, voir page 4) est l’un des nombreux projets de réduction des risques menés en Suisse dans les domaines les plus variés des drogues légales et illégales.
O
n s'est rendu compte au milieu des années 80 que l'aide offerte en Suisse n'atteignait qu'un groupe restreint de personnes dépendantes, à savoir celles qui étaient prêtes à suivre une thérapie d'abstinence. La situation de l’époque se caractérisait par: • des scènes ouvertes de la drogue • la grande détresse psychique et physique des toxicodépendants • un nombre très élevé de décès dus à la consommation de drogues • un nombre élevé d'infections au VIH et à l'hépatite. Ainsi ont été créées, pour commencer dans les villes les plus tou-
chées par ces problèmes, des offres dites à bas seuil à l'attention des toxicodépendants non disposés à suivre une thérapie d'abstinence. Ces centres d'accueil comprennent, entre autres, des locaux d'injection, ou depuis peu, des locaux d'inhalation permettant aux clients de consommer leurs drogues dans de bonnes conditions d'hygiène et dans un environnement exempt de stress. La réduction des risques a pour but de réduire au maximum les risques et les dommages liés à la consommation de drogues. Il s’agit d’un concept réaliste et raisuite page 2
Fonds d’impulsion et de développement dans le domaine des dépendances
P. P.
3052 Zollikofen
Au début du mois d’avril 2005, la Centrale de coordination nationale de l’offre de thérapies résidentielles pour les problèmes de drogue (COSTE) et le Bureau suisse pour la réduction des risques liés aux drogues (BRR) ont été réunis. Les fonds d’incitation versés par ces deux organisations sont désormais regroupés au sein d’un nouveau fonds. Concrètement, le but est de promouvoir et de soutenir financièrement des innovations et des projets issus du terrain professionnel dans le domaine des thérapies et de la réduction des risques. Le savoir-faire acquis par ces projets doit pouvoir être rendu accessible à l’ensemble du corps professionnel par delà les frontières régionales. Pour être soutenus, les projets et innovations doivent comporter l’une ou l’autre des caractéristiques suivantes: • adaptations du concept, élargissement de l’offre • différenciation de l’offre existante • mise en place professionnelle et/ou consolidation d’une offre
relative à une problématique nouvelle/complémentaire de clientèle • mise en réseau professionnel de prestataires de thérapies dépassant les frontières cantonales • elaboration d’instruments et de documents en lien avec la pratique. Les lignes directrices pour un soutien financier de projets d’impulsion et de développement seront applicables au 1er janvier 2006 et publiées sur les sites Internet de la Centrale et de l’OFSP. Contact: Thomas Egli, Section drogues OFSP, 3003 Berne, tél. 031 323 80 19 thomas.egli@bag.admin.ch
Interview
Comment l’offre suisse en matière de réduction des risques pour les toxicodépendants soutient-elle la comparaison internationale? Viviane Prats, présidente du GREAT et Frank Zobel, responsable de la recherche à l’IUMSP de Lausanne, sont allés à la Conférence Latine de réduction des risques liés aux usages de drogues qui s’est tenue à Barcelone (CLAT); ils nous livrent leurs impressions. >> pages 6/7 Retour du comportement à risque Le sida ne fait plus peur. Quelles sont les conséquences de cette situation sur le comportement préventif de certains groupes de population? L’enquête nationale menée auprès des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes révèle un laisser-aller dans le comportement préventif et une lente reprise de l’augmentation des contaminations par le VIH dans ce groupe-cible depuis le nouveau millénaire. Pour la première fois, un questionnaire a été mis en ligne pour atteindre aussi les jeunes homosexuels et les hommes vivant en dehors des grands centres ou qui ont peu de contacts communautaires. >> page 8
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Réduction des risques. La réduction des risques est apparue au milieu des années 1980, pour compléter, à titre de quatrième pilier de la politique suisse en matière de drogues, les efforts fournis dans les domaines de la prévention, de la thérapie et de la répression. Elle a pour but d’aider les personnes à surmonter une période de dépendance dans leur vie en réduisant autant que faire se peut les risques pour leur corps et leur esprit. La Suisse est l’un des premiers pays au monde à avoir établi les offres de réduction des risques dans le domaine des dépendances. Cette édition de spectra présente quelques exemples actuels pour illustrer la diversité des efforts fournis pour la santé et l’intégration sociale de personnes connaissant des problèmes de dépendance.
spectra no 53 • Novembre 2005 suite de la page 1 sonnable: aider les consommateurs de drogues à traverser cette période de dépendance dans les meilleures conditions possibles. Il en va de la vie, de la santé et des perspectives d’avenir de ces personnes. Les mesures de réduction des risques comprennent,
Point fort: réduction des risques d’une part, les services de base (alimentation, hygiène, soins médicaux, logement, aide sociale) pour les personnes socialement exclues. D’autre part, il existe des offres spécialisées en réponse à des comportements et situations spécifiques présentant un problème particulier (différentes sub-
stances et formes de consommation, risque d’infection, prostitution). Les mêmes personnes sont souvent touchées par plusieurs problèmes simultanément. Le risque d’exclusion sociale s’accroît et le besoin d’agir augmente en matière de réduction des risques.
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Prévention en matière de VIH et d’hépatite Pour éviter que les toxicodépendants contractent le VIH, l'hépatite ou d'autres maladies infectieuses, la prévention doit être étendue au comportement sexuel. Dans cette optique, des institutions de réduction des risques et des cent-
par exemple…
par exemple…
Soutien aux parents toxicodépendants
Quotidien plus structuré et regain de confiance en soi
Paradiesgässli Lucerne Notre travail de rue nous a régulièrement fait rencontrer des femmes et des hommes toxicodépendants qui sont aussi des parents. Pour eux, la vie n’est que précarité et solitude, dominée par la peur permanente de se voir retirer les enfants à cause de leur toxicodépendance. Dès lors, nous avons décidé d’agir. L’idée de mettre en place cette offre pour ces enfants et leurs parents est née d’entretiens intensifs avec divers organismes. Nous avons trouvé des locaux dans la Paradiesgässli, au centre de la vieille ville de Lucerne, et avons pu démarrer notre projet en février 2000. Notre objectif était d’offrir un point de rencontre aux parents consommateurs de drogues et à leurs enfants, de leur apporter un
soutien dans les situations difficiles de la vie, d’améliorer la qualité de vie des enfants et d’apporter un conseil professionnel aux familles. Malgré deux déménagements, nous avons conservé le nom symbolique et chargé d’espoir de Paradiesgässli (ruelle du paradis). Réfectoire et table ronde Notre centre est ouvert tous les mercredis de midi à 17h00. Les repas de midi réunissent chaque fois 20 à 30 enfants et adultes autour de la table. L’aide à la cuisine est très prisée par les femmes et les hommes qui viennent. Le vendredi, le centre est ouvert de 14h00 à 17h00. Les autres jours de la semaine, nous pratiquons les heures d’ouverture normales de bureau qui sont réservées aux rendez-vous individuels pour consultations et accompagnements. Nous organisons une table ronde une fois par mois, à laquelle nous convions souvent un professionnel. Nous discutons du conflit entre la consommation de drogue des parents et leur mission de père et de mère. D’après les parents, ces entretiens portent leurs fruits. Ils retrouvent une certaine confiance en eux et sont mieux à même d’apprécier leur éventuel besoin d’aide en cas de difficulté. Les
échanges et la solidarité vécus lors de ces discussions les préparent à mieux aborder les relations avec l’école et le voisinage. Parfois, les pères ne vivent plus avec leurs enfants; ils perdent alors vite le lien avec leur développement. Ils tâtonnent et ne savent pas comment se comporter avec les enfants. Nous intervenons parfois pour régler les droits de visite et encourageons les pères à s’occuper des enfants. Nous discutons avec eux du déroulement d’un week-end de visite, en parlant même des menus et des recettes de cuisine. De l’ordre dans les finances Nous administrons les finances de 28 de nos clients. Nous examinons leurs revenus et leur endettement. Nous décidons, ensemble, des domaines dans lesquels ils peuvent se restreindre. Ces situations souvent très précaires ne laissent aucune place aux sorties en famille, ni à aucune dépense imprévue. Dettes et budget étroit sont un facteur de rechute dans la consommation de drogue. Nous écrivons des demandes d’exonération d’impôt, de transformation d’amendes en mises au travail et de soutien financier. Nous accompagnons nos clients aux tribunaux, aux différents services administratifs, chez le médecin, ou encore à des entretiens avec d’autres institutions. Nous trouvons des places de vacances pour les mamans et leurs enfants. Et nous sommes toujours à la recherche de logements abordables dans lesquels les enfants se sentiront bien. Le Fonds d’incitation à la réduction des risques de l’OFSP nous a permis de commander, lors de notre deuxième année de fonctionnement, une évaluation au Marie Meierhofer-Institut für das Kind, Zurich. Heidi Simoni écrit dans le rapport: «La poursuite du projet peut être recommandée sans réserve. Les professionnels déclarent unanimement que le centre Paradiesgässli s’est établi et imposé rapidement comme un nouvel acteur social en faveur des familles. La souplesse de l’offre permet d’approfondir les besoins des familles concernées et de trouver des solutions individuelles.» Aujourd’hui, notre équipe clé se compose de deux socio-pédagogues (une femme, un homme), d’une travailleuse sociale et d’une collaboratrice en charge de l’administration; le tout représente un emploi à 280 %. En outre, nous offrons une place de stage. Nous sommes bien intégrés dans notre quartier. Notre petite place de jeux, avec sa tour et ses bacs à sable photo), accueille chaque jour les enfants du voisinage également – ce qui était précisément notre intention. Isabel Schoenenberger Verein Kirchliche Gassenarbeit
Des emplois pour les usagers des centres d’accueil et de contact de l’aide en cas de dépendances de la Région de Bâle
La pièce principale des centres de contact et d’accueil est une cafétéria conviviale et moderne. L’objectif est d’inciter au dialogue entre les consommateurs de drogue et les collaborateurs du centre ainsi qu’entre clients. Au fil des conversations, il devient possible de dispenser quelques conseils, d’intervenir en cas de crise et de fournir des informations sur les offres complémentaires d’aide dans les domaines du sevrage, de la thérapie, de l’habitat, du travail, etc. Soucieux de leur approvisionnement quotidien en substance, les consommateurs de drogue oublient souvent que s’alimenter et boire sont des actes indispensables pour préserver un minimum de physique. C’est pourquoi on peut dire que les cafétérias contribuent à la réduction des risques. La vente des boissons et des en-cas n’est pas assurée uniquement par l’équipe de collaborateurs mais également par les usagers des centres d’accueil et de contact dans le cadre du projet «Offres de travail à bas seuil pour les centres d’accueil et de contact de Bâle». Confiance et relations Par principe, tous les usagers ont le droit d’accomplir de tels travaux, mais ceux qui n’ont pas d’activité lucrative régulière sont prioritaires. Ces emplois doivent contribuer à intégrer les consommateurs de drogue dans un processus de travail clairement structuré. Ici, ils assument une responsabilité, trouvent une reconnaissance, regagnent confiance en eux et donnent un sens à leur quotidien. Ce travail renforce la confiance et les relations entre les collaborateurs et les consommateurs de drogue. Le suivi des clients est plus régulier et permet de mieux poursuivre les objectifs psychosociaux. De nombreux consommateurs de drogue sont fiers de gagner de l’argent grâce à un travail légal et de pouvoir prouver
aux autres qu’ils sont capables de travailler malgré leur forte consommation de drogue. Le principal travail est le service au buffet (photo). Il comprend essentiellement la préparation de petits repas (petits pains, thé, soupe) et la vente d’en-cas. Le rangement et le nettoyage des tables, la tenue de la caisse et le nettoyage de la vaisselle font également partie du travail, de même que l’échange de seringues. Une période de travail dure entre deux et quatre heures. Pour certains, quatre heures sont parfois très longues. La première exigence est la ponctualité dans un état apte au travail. Une absence non excusée signifie la perte du droit au travail pour au moins deux semaines. La consommation de drogues illégales et d’alcool est interdite pendant le travail. Les personnes qui travaillent doivent avoir une tenue soignée et un comportement aimable. L’hygiène est un point essentiel. Aide au démarrage de la part du BRR Le salaire horaire est de douze francs. Le projet a pu être réalisé grâce à une aide au démarrage du Bureau Suisse pour la réduction des risques liés aux drogues (BRR). Ce projet d’emploi doit pouvoir, à l’avenir, s’autofinancer à 100% à partir des recettes des ventes, faute de quoi il sera suspendu. Cette situation aurait des effets négatifs sur toute l’infrastructure: privée de cafétéria, l’approche psychosociale en souffrirait massivement. C’est pourquoi le nombre relativement élevé de consommateurs de drogues prêts et aptes à travailler nous conforte dans nos efforts de vouloir maintenir cette offre. Horst Bühlmann Centres d’accueil et de contact de l’aide en cas de dépendances de la Région de Bâle
Point fort: réduction des risques
spectra no 53 • Novembre 2005 res d'accueil destinés en particulier aux toxicodépendants qui se prostituent, distribuent des informations concernant la consommation de drogues sous de bonnes conditions hygéniques, du matériel d'injection (également disponible en pharmacie ou dans des automates) ainsi que des préservatifs.
Travail de drogue à bas seuil Le travail de drogue à bas seuil comprend des offres de logement (hébergement de nuit, habitat accompagné et assisté), d’occupation (emplois accompagnés ou non, souvent à caractère journalier) et lieux d’accueil journaliers (centres d’ac-
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cueil et de contact, avec ou sans possibilité de consommation). Enfin, les projets de remise et d’échange de seringues, le traitement médical à bas seuil (chambre de malade pour sansabri) et le travail de rue font également partie des offres à bas seuil.
En première ligne
suite page 4 par exemple…
Aider les personnes qui ont des problèmes de dépendances à reprendre pied blauzone – un projet d’intégration de la Croix-Bleue du canton de Berne
Après un séjour en clinique spécialisée dans les dépendances, de nombreuses personnes peinent à reprendre pied dans la vie quotidienne. Souvent mal intégrées, retrouver le chemin d’un emploi est un grand défi pour elles. Il manque pour ces personnes, mais aussi pour celles, nombreuses, qui n’ont pas effectué de séjour thérapeutique résidentiel, des opportunités d’emploi à bas seuil qui tiennent compte de leurs besoins, de leurs ressources et de leurs déficits. Ce manque est à l’origine de rechutes fréquentes; il faut alors recourir à l’aide sociale, ce qui aurait pu être évité avec une intégration globale. Cette situation faisait partie du quotidien des services de la Croix-Bleue: les demandes d’emploi s’amoncelaient.
personnes sans emploi connaissant des difficultés avec l’alcool et/ou d’autres substances. L’objectif de blauzone est de mettre en place un contexte de travail afin de créer une intégration économique et sociale et, donc, de stabiliser à la fois l’environnement et le comportement dépendant. Un emploi signifie, pour ces personnes, la chance et l’opportunité de retrouver le sens des valeurs, la reconnaissance des autres, des contacts sociaux et la restructuration de leur quotidien. Elles apprennent à respecter un cadre imposé et sont accompagnées, encouragées et mises à l’épreuve. Elles peuvent alors développer de nouvelles perspectives de vie et regagnent confiance en elles, ce qui réduit les risques de rechute.
Viser la stabilisation Le projet blauzone est une offre d’accompagnement destinée aux
Retour sur le marché du travail L’objectif du projet de blauzone est double: d’une part des places d’inté-
gration sociale et, d’autre part, des places d’intégration socio-économique. Une formation ciblée et un soutien efficace dans le processus de candidature préparent les bénéficiaires de ces places d’intégration à un premier contexte de travail. La motivation et le potentiel pour réussir une reprise d’emploi après avoir bénéficié d’une place chez blauzone ne manquent pas. Dès lors, on peut tout à fait considérer blauzone comme un tremplin vers le monde du travail. Malheureusement, les entreprises prêtes à embaucher ces personnes, bien préparées et motivées, sont encore peu nombreuses. Elles trouvent alors des emplois accompagnés au sein de la Croix-Bleue dans les domaines du service, de la cuisine (photo), du nettoyage, des travaux de jardinage, de la vente, des déménagements, des transports, de l’économie ménagère, de l’entretien et des réparations. En dehors du cadre de la Croix-Bleue, les emplois sont principalement offerts dans les secteurs des bureaux, du nettoyage, du travail en entrepôts, de la vente, des entreprises d’expédition et de production. En 2004, 6 entreprises ont offert des emplois représentant un taux d’occupation total de 910%, à 15 femmes et 20 hommes (moyenne d’âge 42 ans). blauzone veut maintenant développer son offre dans les régions de Bienne, de Langenthal et de Thoune. Walter Hartmann, Responsable de projet blauzone
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Un espoir malgré le vent contraire soufflant des milieux politiques Quai 9, un espace d’accueil et d’injection à Genève Suite à une motion du Grand Conseil, le Conseil d’Etat genevois a décidé, en 2001, d’ouvrir un lieu d’accueil avec espace d’injection dans le but de renforcer la prévention auprès des personnes qui consomment des drogues par voie intraveineuse. Après trois ans d’activité de Quai 9 – un projet de l’Association genevoise de réduction des risques liés aux drogues «Première ligne» – les responsables voient leur conviction, de la nécessité de ce projet de réduction des risques à bas seuil, renforcée. Jusqu’à fin 2004, Quai 9 a accueilli 1417 nouveaux clients et clientes. Depuis le début de 2004, une nouvelle tendance était observée, avec une part croissante de jeunes adultes aux besoins divers: réinsertion dans le monde du travail, logement
ou emploi. Ces nouveaux besoins ont soulevé une série de questions auxquelles il n’était pas possible de répondre en l’état, d’une part à cause des limites du projet, d’autre part en raison du manque de moyens pour développer de nouvelles offres. Fermeture par protestation Les conditions cadres légales rendent la situation des toxicomanes – et celle des professionnels des programmes d’intervention – plus difficile. Pour protester contre la répression policière renforcée, Quai 9 a fermé ses portes du 24 juin au 3 juillet derniers. Pour les responsables, une répression accrue ne fait que déplacer les problèmes, si ce n’est de les empirer. La plus forte pression policière – notamment le harcèlement constant dont font l’objet les consomma-
teurs tant par rapport à leur présence dans le quartier que par rapport au petit trafic d’acquisition pour leurs besoins personnels – ajoutée à une précarité sociale croissante, créent une tension importante pour les toxicomanes qui finit par mettre en péril la poursuite du travail de réduction des risques de Quai 9. La fermeture de protestation voulait attirer l’attention sur la concertation indispensable entre les secteurs santé, social, justice, police et usagers de drogue afin de pouvoir poursuivre le mandat dans l’intérêt de la population comme dans celui des usagers de drogues.
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Une société libre de toute addiction… un rêve aussi compréhensible qu’irréalisable… Il n’y a toutefois aucune raison de baisser les bras et de ne pas vouloir se rapprocher le plus possible de cette utopie. Jusque dans les années 80, la politique de drogues en Suisse était, elle aussi, empreinte d’une éthique axée sur l’illusion d’une société libre de toute dépendance. Mais la misère de plus en plus visible des toxicomanes, l’augmentation du nombre de décès dus à la drogue et au sida nous ont amené à prendre conscience qu’il fallait aussi aider les personnes toxicodépendantes (pas encore) capables de s’engager sur le chemin de l’abstinence. C’est alors que se sont développées les mesures dites d’aide à la survie et de réduction des risques, en d’autres termes, nous sommes passés de la politique des trois piliers à celle des quatre piliers. Ce changement de cap en matière de politique de drogues fut un grand succès: le nombre de décès dus à la drogue, les infections VIH par échange de seringues ainsi que la criminalité d’approvisionnement ont reculé pendant que la santé des toxicomanes s’améliorait. Depuis, les grandes scènes de drogue ouvertes ont disparu. Cette disparition s’est accompagnée d’un relâchement des efforts publics en faveur de ce quatrième pilier. De nombreuses offres y sont confrontées à de graves difficultés financières. La réduction des risques seraitelle victime de son succès? Ce serait fatal. Renoncer aujourd’hui à la réduction des risques signifierait mettre inconsidérément en péril ce qui a été acquis au cours de longues années d’efforts. La réduction des risques est un domaine fragile, défendu par aucun lobby. Or, il est urgent de trouver du soutien, car de nouvelles tendances de consommation entraînent leur lot de nouveaux problèmes et de nouvelles tâches. Certes, l’héroïne est passée de mode, mais la cocaïne, l’ecstasy, les amphétamines, le cannabis et, bien sûr, l’alcool, l’ont vite remplacée. La consommation simultanée de différentes drogues, légales comme illégales, est très préoccupante et pose de nouveaux défis à la réduction des risques. Si, jusque là, les efforts se concentraient sur l’aide à la survie, nous allons devoir à l’avenir nous occuper plus intensément de gestion des risques, comme par exemple ceux liés à la consommation mixte excessive. Le modèle des quatre piliers en matière de politique de drogues offre, avec son approche pragmatique ouverte, une bonne base pour répondre à ces défis. Autrement dit, nous avons un bon outil pour pratiquer une politique de drogues efficace, à nous de l’utiliser correctement.
Markus Jann Chef de la Section drogues Office fédéral de la santé publique
spectra no 53 • Novembre 2005 suite de la page 3 Alors que les grandes villes de Suisse alémanique avaient mis en place les premières offres à bas seuil dans la seconde moitié des années 80 déjà, l’arrivée des grandes scènes ouvertes au début des années 90 et la pression politique qui a suivi ont été déterminantes pour la mise en place dans les autres villes et régions de l’offre nécessaire pour répondre à la situation. C’est ainsi qu’un réseau d’offres à bas seuil s’est tissé dans toute la Suisse au cours des dix dernières années; actuellement, on compte 200 institutions touchant entre 8'000 et 10'000 personnes toxicodépendantes. Malheureusement, on constate une grande disparité entre les centres et agglomérations bien dotés dans le domaine à bas seuil et d’autres régions ou cantons qui font figure de désert en la matière. Le développement des offres n’a pas été non plus le même dans toutes les régions linguistiques. En Suisse romande, la mise en place du secteur à bas seuil est postérieure à celle de la Suisse alémanique, ce qui explique qu’il n’existe actuellement qu’un seul local d’injection en Suisse romande (à Genève), contre onze en Suisse alémanique.
Amélioration des chances de vie D’une manière générale, on peut dire que les conditions et les chances de vie des personnes qui, en Suisse, consomment des drogues illégales, se sont sensiblement améliorées au cours des dix dernières années. La misère et la détresse liées à la consommation de drogues illégales ont pu être réduites, l’état de santé psychique et mental des consommateurs est, aujourd’hui, nettement meilleur qu’au début des années 90; parallèlement, leurs chances d’intégration sociale se sont accrues. Ces changements sont principalement dus à l’abandon de la politique
Forum Est-ce vraiment «normal»? ELLE a tout juste 16 ans et fréquente régulièrement le centre d’accueil. Elle est heureuse de pouvoir enfin y venir*. Elle fait tous les efforts possibles pour s’en montrer digne. Elle a encore le regard interrogateur de l’enfant, mais les deux années de prostitution et toxicomanie ont laissé des traces: blessures, humiliations, expériences de la violence. Les statistiques semblent vouloir démontrer que le nombre des «nouveaux» jeunes consommateurs et consommatrices de drogues dures est en recul. Or, depuis 2 ans environ, c’est précisément le contraire que nous observons au centre d’accueil de Berne et dans le projet LaStrada**. Un nombre effrayant de jeunes, essentiellement des femmes, arrivent dans nos structures. On nous demande souvent des chiffres. Sont-ils dix? Douze? Davantage?
Point fort: réduction des risques répressive, restrictive et exclusivement orientée sur l’abstinence face au problème de la drogue et à l’adoption de l’approche de la réduction des risques – souvent désignée à l’époque encore comme ,aide à la survie’ – dans le répertoire de politique des drogues de la Confédération et de la plupart des cantons. Cette résolution de prêter aide et soutien «aussi» aux consommateurs de drogue pas prêts, ou pas encore prêts, à s’en sortir, et la mise à disposition d’institutions adéquates répondant à leurs besoins ont permis, à partir du début des années 90, d’atteindre des milliers de personnes fortement marginalisées et menacées de misère, des personnes difficilement ou pas du tout atteignables auparavant. Leur situation sociale et sanitaire a pu, par la suite, être considérablement améliorée. Les chiffres de l’Office fédéral de la police viennent confirmer l’évolution vers des conditions de vie meilleures: le nombre de décès dus à la drogue en Suisse est en recul de plus de 50% aujourd’hui par rapport à la première moitié des années 90. De même, la courbe du nombre de nouvelles infections au VIH par voie intraveineuse parmi les consommateurs de drogues est en forte diminution depuis huit ans; il semble que ce chiffre se soit stabilisé autour de 100 nouvelles infections par an actuellement.
Des améliorations sensibles Ces améliorations sont confirmées par les enquêtes menées auprès des consommateurs de drogues euxmêmes. Ainsi, en 2000, 77% des clientes et clients des institutions à bas seuil en Suisse qualifiaient leur santé de «bonne»; en 1993, ils étaient 67% à donner la même réponse, en 1994 le chiffre était de 70% et en 1996 de 75%. Il faut toutefois considérer ces chiffres, réjouissants en soi, avec prudence, car l’état de santé de nombreux consommateurs de drogue et toxicodépendants est, objectivement parlant, plutôt
Qu’importe, l’essentiel est dans ce qu’ils nous disent: ils n’ont pas de perspective, ils recherchent un «soutien»… Autant d’indices qui révèlent une fois de plus que tous les jeunes ne sont pas égaux devant les choix de vie. IL vient tous les jours au centre d’accueil. Il pleure durant des heures, presque chaque jour, il est désespéré. On dirait qu’il n’est pas seulement consommateur de drogues mais aussi consommé par elles, que la cocaïne le ronge. Comme tant d’autres, il a tenté maintes fois de reprendre sa vie en main. Son corps est couvert de blessures ouvertes, résultat d’une automutilation sous l’effet de la cocaïne. Les conséquences de la fameuse vague de cocaïne sont impressionnantes pour la clientèle des offres d’aide à la survie. La consommation excessive de cette substance conduit fréquemment à des psychoses qui rendent le suivi plus difficile. Et lorsque l’aide à la survie arrive à son terme, les personnes à consommation problématique de cocaïne se trouvent souvent devant l’absence d’offres spécialisées à caractère «Time-out». ELLE a environ 50 ans, a perdu presque complètement la vue et ne pèse guère plus de 45 kg. Elle est déjà passée par toutes les offres:
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Street parade ou drogues parade? D’après les médias, la consommation de drogues a été plus importante cette année que l’année dernière à la street parade. Les équipes de secours sont intervenues 160 fois pour abus de drogues (y compris d’alcool) contre 107 l’an dernier. Le nombre d’arrestations par la police est également en croissance. Un journaliste a considéré nos 30 substances analysées (3 de plus qu’un an auparavant) à la fête qui a suivi, Energy, comme un indice d’augmentation de la consommation de drogue. On a parlé de 600'000 à 1 million de visiteurs. Partons du principe que la moitié, soit 300'000 à 500'000 personnes étaient vraiment des ravers (je qualifierais les autres de spectateurs) et que 10% d’entre elles «seulement», donc 30'000 à 50'000 ont recherché le soutien de substances psychoactives. Qu’il s’agisse de 107 ou de 200 interventions des secours, la consommation de drogue demeure proportionnellement limitée pour une masse aussi importante de gens qui font la fête. Je vous propose de vous rendre à une heure avancée de la nuit à une grande fête traditionnelle zurichoise (comme la fête du lac), à laquelle participent au moins 300'000 personnes. Parlerez-vous de tous les fêtards alcoolisés? Où sont les stands de prévention, où sont les distributions de brochures de prévention, où sont les avertissements dans les médias, où sont les rapports sur les hectolitres d’alcool qui ont été consommés? Je pose donc la question: existe-t-il encore une fête sans drogue? Oui, un anniversaire d’enfants peut-être… Quoi qu’il en soit, Streetwork Zurich a fait son travail. Nous avions installé notre stand d’information à un en-
droit stratégique. Nous avons remarqué que notre matériel d’information sur les risques et les dangers concernant les substances les plus diverses a surtout intéressé des visiteurs étrangers, essentiellement italiens et allemands. Les consommateurs suisses sont généralement assez bien informés sur la dangerosité, les risques et le safer use de ces substances psychoactives. Si je ne peux pas affirmer que cette situation a un lien direct avec l’engagement renforcé dans la prévention secondaire des drogues au cours des dernières années, je me permettrai néanmoins de considérer cette situation comme une reconnaissance positive de notre travail. La très forte utilisation de l’offre de conseil et d’analyse de Streetwork Zurich et notamment du test de pilules à la dernière fête Energy nous conforte dans cette impression. Mis à part des dosages d’ecstasy relativement élevés, parfois très élevés même, nous avons pu tester deux pilules contenant une substance encore inutilisée en Suisse à ce jour et découverte pour la première fois quelques jours avant la street parade.
aide au logement, logement accompagné, séjours en clinique, en hôpital, encore et toujours l’hôpital. Toxicomane depuis 30 ans elle a aujourd’hui besoin de soins. Les offres en matière d’aide à la survie et les thérapies de substitution permettent aujourd’hui aux toxicomanes de vivre plus longtemps. En général, ils deviennent tributaires de soins plus précocement que les nonconsommateurs, usés par des années de consommation de drogues et la vie qu’ils ont parfois vécue dans la rue. Les offres d’aide au logement ne peuvent pas offrir les soins dont ces personnes ont besoin. Faut-il, dès lors, les placer en établissements pour personnes âgées ou en établissements de soins, avec des personnes âgées qui ne connaissent les drogues que par «ouï-dire»? Les trois sujets ci-dessus ne sont qu’une illustration de nos préoccupations quotidiennes dans notre travail d’aide à la survie. Mais le manque de structures de jour pour les consommateurs atteints de maladies psychiatriques graves et le lien encore relativement mauvais avec la psychiatrie influencent de plus en plus notre travail.
dans la prévention du VIH, la garantie de l’existence, l’acceptation, la clarification de la collaboration avec la répression, etc. Ce qui manque pourtant, aujourd’hui, ce sont des offres complémentaires, subséquentes. A une époque où la réduction des dommages/l’aide à la survie se sont établies et avérées comme véritable partie intégrante de la politique des 4 piliers, elles sont également de nouveau remises en question. On ne parle que d’économies et la pression croît: nous devons élever le seuil, nous devons rendre un problème invisible, nous devons bâtir sur l’abstinence. Mais si nous abandonnons cette orientation centrée sur le client, nous risquons de déconnecter un groupe d’individus. Ceux, justement, que nous avions réussi à toucher grâce à l’innovation «aide à la survie», ceux que les autres offres ne parvenaient pas à atteindre.
L’aide professionnelle à la survie a des résultats à son actif: des succès
Donald Ganci Responsable Streetwork Zurich Streetwork Zurich est un service ambulant initié par la Ville de Zurich qui offre depuis 2001 des conseils et des tests de pilules dans les fêtes et les clubs zurichois. Les analyses sont effectuées par le Service du pharmacien cantonal de Berne. Depuis 2001, 600 substances ont fait l’objet de tests et quelques 2000 consultations ont été menées. Par ailleurs, Streetwork Zurich offre de nombreuses informations sur les substances et des conseils en ligne sur le site www.saferparty.ch.
Ines Bürge, Responsable régionale de la réduction des risques Berne, Réseau Contact, Centre d’accueil/LaStrada * les jeunes consommateurs de drogues de moins de 16 ans n’ont pas accès au Centre d’accueil de Berne ** LaStrada est un centre mobile de consultation pour les travailleuses du sexe toxicomanes
Point fort: réduction des risques
spectra no 53 • Novembre 2005 mauvais et un grand nombre d’entre eux – plusieurs milliers dans les faits – souffrent de maladies chroniques. L’hépatite, notamment, fait des ravages: 40% environ des consommateurs de drogues sont ou ont déjà été touchés par l’hépatite B, et une bonne moitié est atteinte du virus de l’hépatite C; pour les consommateurs de longue durée, la proportion dépasse même 80%.
Coût du travail Le coût total de la politique de drogues selon le modèle des quatre piliers se monte, pour la Confédération, les cantons et les communes à un milliard de francs par an. La moitié, soit 500 millions de francs, est utilisée par le pilier «Répression». Sur les 500 millions restants, la moitié, soit 250 millions reviennent au pilier «Thérapie». La part de la «Réduction des risques» est évaluée à 200 millions de francs par an, quant à la «Prévention», elle doit se contenter de 40 à 50 millions.
Scènes cachées – questions ouvertes Au début des années 90 l'objectif en Suisse était officiellement de faire disparaître les scènes ouvertes de la drogue en vue de préserver l'ordre public. Pour les professionnels du travail de la drogue, il ne faisait pas de doute que cela mènerait à la formation d'une scène cachée de la drogue. Ce qui était moins clair à l'époque, c'est si des problèmes nouveaux ap-
paraîtraient – et lesquels – et quels seraient les défis à relever. Les toxicodépendants se retrouvent aujourd’hui dans des scènes cachées, dans des locaux privés, lieux de trafic de drogue et en partie aussi, de consommation. Les rapports de police, mais aussi les descriptions rapportées par des consommateurs de drogues, font état de conditions d’hygiène parfois catastrophiques dans ces locaux. Nous n’avons toutefois aucune idée du nombre de ces locaux. Faut-il parler en centaines ou en milliers?
Vent contraire dans la réduction des risques Ces modifications intervenues dans le groupe cible induisent la nécessité de repenser les offres de manière critique et de les adapter aux défis d’aujourd’hui. Mais la réduction des risques doit aussi faire face à des changements dans le contexte professionnel et politique – en termes de pression omniprésente aux économies – et présenter un nouveau discours pour défendre sa légitimité. Il faut repenser les objectifs initiaux de la réduction des risques et s’orienter vers une individualisation des objectifs de l’aide en matière de dépendances. Contact: Thomas Egli, Section drogues, OFSP 3003 Berne, tél. 031 323 80 19 thomas.egli@bag.admin.ch
par exemple…
Lieu de rencontre et d’occupation Point de rencontre Azzurro, Berne Azzurro est un point de rencontre sans alcool qui s’engage dans le secteur du suivi et de l’intégration en faveur de personnes touchées par des problèmes d’alcool et/ou d’autres dépendances. Les collaborateurs en emplois protégés servent des boissons et repas peu coûteux aux clients, dans des locaux conviviaux et un agréable jardin. Les clients y trouvent une atmosphère détendue offrant des possibilités de rencontres, d’entretiens personnels, un repas chaud et des offres de loisirs (jeux, bricolage créatif, etc.). Les aptitudes individuelles et l’initiative personnelle sont vivement encouragées. L’accompagnement individuel des personnes connaissant des problèmes d’alcool et d’autres dépendances crée le cadre nécessaire à leur réinsertion sociale et professionnelle. La chance de pouvoir exercer diverses activités permet aux collaborateurs de (re)découvrir leurs ressources personnelles et de retrouver confiance en eux. La structure de jour les aide à assumer cette responsabilité et à organiser eux-mêmes leur quotidien. Structure de jour et offres de loisirs Un repas chaud et peu coûteux est offert plusieurs fois par semaine aux clients d’Azzurro. Les offres de loisirs incitent les clients à organiser leur vie et à développer de nouvelles perspectives. L’équipe d’Azzurro
contribue à trouver des solutions rapides et simples pour les collaborateurs en les mettant en relation avec les interlocuteurs et services ad hoc. Des entretiens réguliers sur place garantissent un suivi intense des personnes.
Depuis 2004, les clients et les collaborateurs peuvent profiter du nouveau programme d’occupation KLumet. Ils ont l’occasion de gagner un repas grâce à un travail simple (assembler des petits fagots d’allumage), de se créer une structure de jour et de s’intégrer socialement (photo). La nouvelle offre répond au grand besoin de travaux simples exécutables pendant une journée. Le fonctionnement du point de rencontre est assuré par les responsables ainsi que par les collaborateurs volontaires qui ont une occupation professionnelle, ou se trouvent en formation sociale. Sylvia Kuhn Co-responsable du point de rencontre Azzurro
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Débouté Campagne Sécurité routière. Le tribunal a rejeté la plainte de l’Interprofession Suisse du Vin contre le Bureau suisse de prévention des accidents (bpa) et l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Le Conseil fédéral a aussi pris position: «L’objectif de la campagne étant d’améliorer la sécurité routière, la campagne n’en est que plus pertinente.»
L
e président du Tribunal d’arrondissement VIII de Berne-Laupen a rejeté, mi juin dernier, la demande de mesures provisionnelles de l’Interprofession Suisse du Vin contre le bpa et l’OFSP. La décision se base sur le fait que «la campagne d’affichage n’a pas pour but de faire diminuer la consommation d’alcool en soi. Elle vise uniquement à dissuader les conducteurs de véhicules à moteur de consommer plus d’une certaine quantité avant de prendre le volant et, a fortiori, pendant la conduite. La campagne poursuit donc un objectif de prévention des accidents de la route.» Dans la mesure où elle relève de l’intérêt public, la sécurité routière peut justifier un recul des ventes dans la branche du vin. La campagne n’est d’ailleurs pas seule en cause; l’introduction du nouveau taux limite d’alcool au 1er janvier 2005 a probablement eu une incidence majeure sur les pertes enregistrées. L’Interprofession Suisse du Vin demandait l’arrêt de la campagne, arguant du fait que la règle du verre unique était fausse (preuve à l’appui) et que, donc, la campagne était mensongère.
Conseil fédéral: «appropriée» Interpellé par le Conseiller national UDC André Bugnon, qui critiquait le caractère tendancieux du message «Un verre, un seul», le Conseil fédéral a également pris position: «Simple et compréhensible, le message véhiculé par le slogan "un verre, un seul" s'adresse tout particulièrement aux conducteurs ayant choisi de ne pas suivre à la lettre le précepte "boire ou conduire". La campagne veut éviter que, parce qu'ils veulent par exemple accompagner un bon repas d'un bon vin, ils s'approchent dangereusement de la limite autorisée, voire la dépassent». Le Conseil fédéral a donc estimé la campagne indispensable pour la sécurité routière. De même, il
a qualifié la règle du verre unique d’ «appropriée».
Effet sensible Dans les faits, l’introduction du 0,5 pour mille et la campagne du bpa et de l’OFSP semblent déjà avoir eu des retombées positives. Les chiffres de l’Office fédéral de la statistique ont montré que le nombre d’accidents mortels dus à l’alcool a diminué de 37%. Pratiquement toutes les polices cantonales ont recensé un recul important du nombre d’accidents et de blessés sur leurs routes. Par ailleurs, divers sondages récents ont montré que près de 90% des automobilistes connaissent le nouveau taux limite entré en vigueur le 1er janvier 2005 ainsi que la règle du verre unique. En comparaison, en 2003, seuls 57% des personnes interrogées connaissaient le taux limite alors fixé à 0,8 pour mille. Contact: Markus Allemann Responsable Section campagnes, OFSP 3003 Berne, tél. 031 323 87 27 markus.allemann@bag.admin.ch
Nouvelles de QuaThéDA Le nouveau Référentiel modulaire QuaThéDA sort de presse en janvier 2006. Il est placé conjointement sur le site www.quathéda/f/2003-2008/ sous Produits. Huit modules spécifiques ont été différenciés, qui tiennent compte de la diversité des prestations offertes dans le domaine des dépendances. Le premier est, par exemple, dédié aux thérapies résidentielles et le numéro huit l'est au travail social hors murs. Il sera accompagné d'un guide d'application qui sera publié à l'occasion du lancement des formations de responsables qualité en mai 2006. Le Référentiel modulaire sera directement envoyé aux institutions qui ont participé à son élaboration, ainsi qu'aux instances cantonales. Il peut être obtenu gratuitement en le commandant auprès de silvia.steiner@bag.admin.ch
Point fort: réduction des risques
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Effets positifs Centres d’accueil avec local de consommation. La Suisse joue un rôle de pionnier en matière de création de structures offrant aux toxicodépendants la possibilité de consommer des substances. Les expériences sont tout à fait positives. Pas d’effets négatifs Office fédéral de la santé pu-
L’
blique (OFSP) a mandaté l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive à Lausanne (IUMSP) pour réaliser une brève expertise sur le rôle et l’utilité des structures avec local de consommation (SLC) dans la réduction des problèmes liés à la drogue en Suisse. Ce travail s’appuie sur les meilleures connaissances disponibles à ce jour, soit les résultats des travaux de recherche et d’évaluation qui ont été menés en Suisse et à l’étranger.
Des objectifs atteints en grande partie L’expertise démontre que les structures offrant des possibilités de consommation atteignent en grande partie les objectifs qui leur ont été fixés et que les critiques qui leur sont adressées ne sont guère confirmées. Ainsi, les SLC contribuent à: • la réduction des overdoses fatales; • la réduction des comportements à risque en matière de transmission des maladies infectieuses, particulièrement le VIH/sida, dans la population des consommateurs de drogue. Les SLC participent largement, en Suisse, à la politique de remise et d’échange de seringues, mesure qui a trouvé une reconnaissance internationale entretemps. (Les SLC ont probablement contribué à enrayer l’épidémie de VIH/sida, en revanche il n’est pas possible d’affirmer qu’elles ont une véritable action en ce qui concerne l’hépatite); • l’établissement et au maintien d’un contact entre cette population et le réseau social et sanitaire, dans lequel les structures à bas seuil, par les soins et l’aide sociale qu’elles offrent, constituent souvent le premier point d’accès. Ces prestations sont particulièrement recherchées et appréciées des usagers les plus marginalisés socialement. Dans cette optique, elles contribuent sans ambiguïté au maintien de la santé et des liens sociaux de ces personnes; • la réduction des problèmes d’ordre public, en particulier en réduisant les scènes ouvertes, en diminuant la consommation dans les lieux publics, en récupérant les seringues usagées et en réduisant l’impact des problèmes de drogue sur l’espace domiciliaires (immeubles).
L’expertise souligne que les données n’indiquent pas d’effets délétères spécifiques des structures avec local de consommation. En effet, le nombre de consommateurs et la fréquence de consommation sont tous deux en baisse. De même, ni l’entrée ni le maintien d’un traitement ne sont mis en péril. La majorité des usagers des SLC sont en traitement (tendance à la hausse) et le sujet est abordé dans le cadre des structures. Enfin, les usagers eux-mêmes indiquent que les SLC n’ont pas d’effet majeur sur leur traitement. Toutes ces observations sont relatives au niveau de la santé publique et ne signifient pas que l’effet des SLC ne peut pas être délétère pour certains individus. Toutefois, sur la base des connaissances existantes, il apparaît que le bilan global des effets des SLC sur les problèmes liés à la drogue est positif.
Expériences avec les locaux d’inhalation Les structures avec local d’inhalation constituent une nouveauté en Suisse. Elles ont été conçues pour répondre à un changement dans les modes de consommation chez les anciens et chez les nouveaux consommateurs d’héroïne et de cocaïne. A ce titre, elles ont pour objectif de rejoindre ces populations et de leur offrir des prestations à bas seuil comme pour les injecteurs. En outre, elles pourraient servir à favoriser des modes de consommation présentant des risques un peu plus faibles. Mais les résultats, s’agissant des SLC avec local d’inhalation, ne sont pas encore convaincants. Si ces structures parviennent effectivement à rejoindre une population d’inhalateurs, il reste qu’il n’a pas été possible de confirmer ou d’infirmer qu’elles peuvent aussi atteindre les objectifs qu’elles se sont fixés (point de contact du réseau social et sanitaire, réduction des problèmes d’ordre public, passage à des formes de consommation à plus faible risque). Il est donc nécessaire d’entreprendre de nouvelles recherches permettant de tirer des conclusions plus claires.
Contact: Thomas Egli, Section drogues, OFSP 3003 Berne, tél. 031 323 80 19 thomas.egli@bag.admin.ch
Remise de matériel d’injection par les pharmacies
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«Il faut préserver la ré
La réduction des risques. Un entretien avec la sociologue Viviane Prats, decine sociale et préventive à Lausanne, sur la réduction des risques en Suisse e nouveaux défis posés par une pression de plus en plus forte aux économies. Spectra: Pouvez-vous définir la «réduction des risques» aussi brièvement que possible. Frank Zobel: Il s’agit de l’ensemble des mesures sanitaires et sociales permettant de diminuer ou de supprimer des risques et des conséquences néfastes liés à la consommation de drogues chez ceux qui ne peuvent, ou ne veulent, pas cesser leur consommation. Peut-on appliquer votre définition à d’autres secteurs, comme celui des médicaments, de l’alcool, du cannabis? Zobel: Absolument, la définition peut s’appliquer à toutes les substances psychoactives. François van der Linde, président de la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues, voudrait, dans le rapport «psychoaktiv.ch», élargir la notion de réduction des risques aux effets négatifs qu’ont les problèmes de drogues sur la société… Zobel: Je ne vois pas très bien ce qu'apporte l'extension du concept au niveau sociétal et je crains que, dans ces conditions, tout le monde puisse prétendre faire de la réduction des risques et que l'on mette tout et n'importe quoi sous cette rubrique. Le travail de la police pourrait ainsi typiquement se présenter comme de la réduction des risques au niveau sociétal. Or, ce qui importe avant tout c'est de protéger les individus qui, en raison de leur consommation de drogue mais aussi des conditions sociales de cette consommation (marché noir, absence de surveillance des produits, répression de la consommation, etc.), sont en danger. Comment jugez-vous l’offre suisse en matière de réduction des risques en comparaison des offres internationales? Zobel: L’offre suisse est large, diversifiée et établie depuis longtemps. Elle
Frank Zobel
est aussi innovante: plusieurs mesures ont été développées dans notre pays, comme les salles d’injection ou la distribution de seringues dans les prisons. L'offre de réduction des risques proposée en Suisse est parmi les plus complètes au niveau européen et pratiquement aucun autre pays ne dispose des moyens dont nous disposons ici. Nous avons aussi acquis un savoir énorme, grâce aux évaluations des mesures et aux travaux de recherche menés auprès des consommateurs de drogues. Un savoir que d’autres pays n’ont souvent pas encore. Mais, de nombreux pays avancent très vite en la matière, alors que nous enregistrons une certaine stagnation des connaissances en Suisse. Prats: En tant que participants aux trois conférences CLAT, nous avons eu l’impression d’être accueillis comme des pionniers apportant une grande expérience et de nombreux projets innovants. Pourtant, lors de la dernière conférence, j’ai été très heureuse de constater le développement de nombreux programme de réductions des risques dans différents pays.
Impressum «spectra – Prévention et promotion de la santé» est un bulletin d’information de l’Office fédéral de la santé publique qui paraît six fois par an en français, en allemand et en anglais. Il publie également des opinions qui ne coïncident pas avec la position officielle de l’office.
Mandaté par l’Office fédéral de la santé publique, l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive à Lausanne a mené une enquête nationale (similaire à celles de 1995 et de 1997) auprès des pharmacies suisses. L’objet de l’étude était de chiffrer correctement le nombre de seringues remises par les pharmacies, ainsi que d’analyser la situation en matière de remise par les pharmacies en Suisse de matériel d’injection et de méthadone dans le cadre de traitements de substitution.
Editeur: Office fédéral de la santé publique 3003 Berne Tél. 031 323 54 59 Fax 031 324 90 33 www.bag.admin.ch
L’enquête a été menée entre mars et mai 2005 avec le concours de la Société suisse des pharmaciens; le taux de réponse a été de 75%. Les données sont en cours d’évaluation, les résultats sont attendus pour la fin de l’année.
Réalisation: Pressebüro Christoph Hoigné, Allmendstr. 24, 3014 Berne hoigne@datacomm.ch
No 53, Novembre 2005 Responsable de la commission de rédaction: Markus Allemann, markus.allemann@bag. admin.ch Textes: Collaborateurs de l’OFSP, Christoph Hoigné et d’autres auteurs Traduction: Marie-Françoise Dörig-Moiroud Photos: Christoph Hoigné et autres Graphisme: Lebrecht typ-o-grafik 3147 Aekenmatt
Impression: Büetiger AG 4562 Biberist Tirage: 7000 ex. allemands, 4000 ex. français, 1500 ex. anglais Il est possible de commander des numéros séparés et des abonnements gratuits à: Office fédéral de la santé publique, Section campagnes 3003 Berne Tél. 031 323 87 79 Fax 031 324 90 33 kampagnen@bag.admin.ch Le prochain numéro paraîtra en décembre 05.
Point fort: réduction des risques
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duction des risques!»
présidente du GREAT (Groupement Romand d'Etudes sur l’Alcoolisme et les Toxicomanies) et Frank Zobel, chercheur à l’Institut universitaire de méet en Europe, sur les expériences issues de la 3e Conférence Latine de réduction des risques liés aux usages de drogues qui s’est tenue à Barcelone et sur les Ainsi la France, longtemps considérée comme très frileuse en la matière, a mis sur pied de nombreux projets intéressants. Il est très possible que les approches innovantes de la Suisse, les échanges internationaux et la diffusion dans les médias aient participé à cette évolution; nous ne pouvons que nous en réjouir. Une conférence comme la CLAT permet de partager ce genre d’expériences et de mettre en place, ailleurs, des offres comparables. Zobel: Les autres pays sont désormais regroupés dans des institutions et forums européens servant, précisément, à cet échange d’expériences. La Suisse n’est souvent pas membre de ces organismes et ne parle donc parfois qu'avec elle-même. …certainement un obstacle majeur pour la recherche. Zobel: C’est surtout frustrant, car toute une série de méthodes, de définitions, de réflexions sur l’approche du problème sont développées au niveau européen. Ne pas pouvoir participer à ces processus signifie que nous devons faire notre travail dans notre coin, au lieu d’échanger avec les autres.
Viviane Prats
Prats: La Suisse fait un peu tache. C’est vraiment regrettable! Nous ne pouvons pas continuer à nous satisfaire de ce rôle de spectateur. Certes, notre expérience jouit d’une reconnaissance internationale, mais nous sommes isolés dans de nombreux domaines. Quelles sont les différences entre la Suisse alémanique et la Suisse romande? Zobel: Il y en a deux grandes: d’abord, la réduction des risques est, en Suisse romande, apparue cinq à dix ans plus tard qu'en Suisse alémanique. Ce décalage est dû à des idéologies et des réflexions politiques différentes, mais aussi à l’absence de scènes ouvertes de drogue dans les villes de Suisse romande. Ainsi, l’urgence à traiter le problème de la drogue n’était-elle pas aussi manifeste qu’en Suisse alémanique. La seconde différence réside dans la variété de l’offre. Si l’on trouve à Genève toute la gamme des offres de
réduction des risques, les autres cantons romands offrent, en gros, une combinaison de remise de seringues et de programmes de traitement à la méthadone à plus ou moins haut seuil. Il n’y a pas de traitement avec prescription d’héroïne ni de locaux de consommation. Cela est particulièrement apparent à Lausanne, qui est la seule grande ville de Suisse à ne disposer ni de l'un ni de l'autre. Toutefois, on a parfois l’impression, en Suisse alémanique, que la Suisse romande est un désert en la matière, mais les apparences sont trompeuses. Par exemple, l’offre du canton de Vaud dans le domaine de la distribution de seringues ou du traitement avec prescription de méthadone est très importante. Enfin, le canton de Genève peut désormais être considéré comme un canton modèle en matière de développement d'une offre complète de prise en charge et de réduction des risques pour les consommateurs de drogue. Quelles sont les lacunes dans l’offre, et où? Zobel: Il est plus difficile de parler de lacune aujourd’hui qu’il y a quelques années. La problématique dans son ensemble a changé. Nous nous appuyons sur dix à quinze ans d’expériences avec la prescription de méthadone/d'héroïne et la réduction des risques, le nombre d'héroïnomanes dépendants diminue, la population des nouveaux consommateurs de drogues présente de nouveaux profils de consommation. Il n’est donc pas facile de formuler ce qui manque et où. Dans les faits, la principale lacune est sans doute au niveau du processus de réflexion sur les besoins des prochaines années. Prats: Nous avons la chance de disposer d’un Institut de recherche dans ce domaine. L’observation des tendances, de la nature des changements dans les comportements et la pratique, permet d’aiguiller les réflexions sur la bonne adaptation de l’offre à la fois dans les domaines des soins, de la réductions des risques et de la prévention. Où est, selon vous, le besoin d’agir au niveau de la Confédération, des cantons et des villes? Zobel: La réduction des risques a toujours été une préoccupation des villes. Elles ont lancé des projets, avec le soutien des cantons, en tant que décideurs et celui de la Confédération. Mais la réduction des risques a un fort besoin de légitimation et de justification de son utilité. Seule la Confédération, à travers l’Office fédéral de la santé publique, peut assumer ce rôle. Le rôle de la Confédération consiste donc à assurer la documentation, la recherche et la légitimation de la réduction des risques. Ce qui manque actuellement c'est cette attitude claire de défense de la réduction des risques qui pourtant souffre de fortes coupes budgétaires et d’un besoin permanent de légitimation.
La fusion de COSTE et du BRR est aussi l’expression des mesures d’économie. Zobel: Le BRR a fait de bonnes choses, mais le travail était parfois insuffisant au niveau de la légitimation et de la promotion de la réduction des risques. Que peut apporter la nouvelle Centrale suisse de coordination des addictions ? Attendons de voir, mais il est particulièrement important qu'elle s'occupe de ce rôle d'advocacy du domaine. Prats: Il n’y a pas que des organisations officielles et financées par la Confédération. Il existe aussi d’autres plates-formes, comme le GREAT en Suisse romande, ou le Fachverband Sucht en Suisse alémanique, qui rassemblent les professionnel-l-e-s du champ des addictions et évidemment les acteurs de la réduction des risques. Des synergies très intéressantes peuvent être dégagées. Bien sûr, ce genre d’initiatives doit être financièrement supporté par la Confédération, car le financement est, malheureusement, souvent l’élément décisif. Revenons brièvement à la CLAT – la Conférence Latine de réduction des risques liés aux usages de drogues, dont la troisième édition a eu lieu à Barcelone en été dernier. Quel a été le rôle de la présence suisse? Prats: La Suisse y a présenté une série de projets autour des expériences faites avec les espaces de consommation, notamment à Genève, où l’offre de Première ligne – Quai 9 – a pu être citée en exemple. De même, l’implication des usagers de drogues dans la réduction des risques a été abordée – à l’instar du projet PIF à Lausanne («Pour une injection futée – clever injizieren») où les consommateurs de drogues ont créé euxmêmes un flyer de prévention dans le domaine de l’injection. Ont été également présenté plusieurs projets de recherche et d’intervention dans le domaine des drogues de synthèse consommées dans le milieu techno. La question du genre a également fait l’objet de débats, dans le cadre des activités de Première ligne à Genève, qui a présenté une action de prévention auprès des femmes fréquentant le local de consommation, et enfin, une présentation d’un programme d’accompagnement destiné aux parents toxicodépendants. Bref, une vaste palette de projets. Zobel: L’image de la Suisse auprès des professionnels européens est empreinte des innovations que nous avions apportées – les premiers locaux de consommation sont restés dans toutes les mémoires – et de la réflexion sur ces interventions. Nous sommes également connus pour soumettre nos activités à des processus d’évaluation et de recherche dont les résultats conduisent ensuite à de nouvelles décisions et mesures qui peuvent être rationnellement justifiées. Ce processus d’apprentissage – qui s’est malheureusement un peu perdu – est loué à l’étranger. Le fait que l’on puisse, en Suisse, réunir tous les acteurs autour d’une table pour
développer des solutions respectueuses, pragmatiques et intelligentes, suscite l’admiration dans des pays où les efforts sont entravés par des querelles entre professionnels ou par des blocages politiques. Parmi les projets présentés à la CLAT, quels sont ceux qui vous ont le plus impressionnés? Zobel: En ce qui me concerne, les projets européens qui réunissent des professionnels pour mettre en place, ensemble, des mesures, des systèmes de réflexion et d’assurance qualité. J’ai noté cette tendance particulièrement dans le domaine de la prévention et du test de pilules dans le milieu techno. Prats: Il y a aussi des projets dans des domaines qui, chez nous, sont plutôt en arrière-plan, comme le travail avec les minorités ethniques ou avec les femmes qui se prostituent. Ou encore, des projets sur des problèmes que nous ne connaissons pas encore massivement, comme la consommation de crack. En France, on a ainsi acquis une grande expérience. Qui sait, peut-être en aurons-nous besoin un jour ? En France, en Espagne encore, le retard est rattrapé à grands pas. On observe des approches globales très intéressantes, ancrées dans la communauté, comme des projets de quartier ou de ville. Les solutions mises en œuvre sont souvent pleines de créativité. Alors qu’en Suisse on se plaint sans cesse de la pénurie de moyens, j’ai pu observer, à la CLAT, comment d’autres pays mettent sur pied des mouvements et des projets créatifs avant même d’avoir étudié et réglé le financement dans les moindres détails. C’est très intéressant pour nous d’être confrontés à ce type d’exemples. Zobel: Le travail de pionnier qui est fourni est souvent très impressionnant. Un exemple: au Portugal, des professionnels vont avec leur minibus distribuer des seringues et soigner les consommateurs de drogue dans les quartiers difficiles, et fournissent un travail remarquable avec des moyens financiers dérisoires, et ce en étant régulièrement importunés par la police qui réfute l'utilité de telles interventions. Quels seront les défis et les enjeux à l’avenir? Zobel: La réduction des risques est née en Suisse d’une situation d’urgence – avec des scènes de drogues ouvertes, des décès quotidiens, etc. Aujourd’hui, cette urgence visible a disparu – mais l’idée de la réduction des risques ne doit pas disparaître avec elle. Les offres de réduction des risques doivent être maintenues, car il existe une population d’usagers de drogues légales et illégales qui reste hors de portée de la prévention et des seules thérapies. D'ailleurs, l'un des enjeux pour l'avenir est sans doute l'extension du concept au-delà de la consommation d'héroïne et de cocaïne, mais de l'utiliser aussi pour les autres substances psychoactives.
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Une enquête qui révèle un besoin de prévention Gay Survey 04. L’enquête nationale menée auprès des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes révèle un laisser-aller dans le comportement préventif et une lente reprise de l’augmentation des contaminations par le VIH dans ce groupe cible depuis le nouveau millénaire.
D
ans le cadre de l’évaluation du programme national VIH/sida 04 – 08 de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), une enquête est menée régulièrement auprès de la population homosexuelle masculine sur ses divers comportements sexuels et préventifs. Sur la base de ces résultats, l’OFSP définit donc de nouvelles mesures dans l’ensemble des projets HSH (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) et tend ainsi à renforcer la sensibilisation de la population HSH quant à l’application des règles du «safer sex». Sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique, l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive de Lausanne a mené cette enquête qui fait partie du dispositif suisse de surveillance du VIH. Réalisée en 2004 – pour la septième fois depuis 1987 – cette enquête a pour objectif de suivre l’évolution des attitudes et des comportements préventifs face au VIH/ sida dans ce segment de population. En collaboration avec l’Aide Suisse contre le Sida, le système de prévention primaire ORW (Out Reach Worker) est, par exemple, repensé et réorganisé à l’échelle nationale afin d’optimiser la prise de conscience de cette population en matière de comportements à risques. L’utilisation du support Internet est également renforcé et permet ainsi d’atteindre une
population vaste, variée et parfois difficile à toucher.
Questionnaire et Internet L’enquête consiste en un questionnaire auto-administré, dont la diffusion repose essentiellement sur trois canaux: la presse et les associations homosexuelles, ainsi que les saunas fréquentés par des HSH. Avec ce mode de recrutement, les jeunes et les hommes résidant à l’écart des centres urbains sont vraisemblablement sous-représentés. Compte tenu de l’importance croissante d’Internet comme espace de rencontres et de socialisation, lors de l’édition de 2004, le questionnaire pouvait également être rempli en ligne. Des bannières, placées sur sept sites suisses très fréquentés par des HSH, invitaient les visiteurs à participer à l’enquête. 1158 hommes ont rempli le questionnaire papier, contre 918 en l’an 2000. L’échantillon online est, quant à lui, constitué de 1101 répondants.
Risques lors de contacts occasionnels Le désengagement progressif dans le comportement préventif qui s’est dessiné en Suisse (et dans les pays voisins) à partir du milieu des années 90 se poursuit. Il s’accompagne d’une augmentation de l’exposition potentielle aux risques:
Sortez couverts! 20 ans de lutte Une exposition sur la lutte contre le sida en Suisse. L’exposition temporaire au Musée de la Bärengasse à Zurich est une rétrospective critique de l’évolution de l’attitude envers le sida – des scénarios de l’horreur du début à la dédramatisation de la maladie aujourd’hui.
C
’est au début des années 80 que le grand public entend pour la première fois parler du sida. Cataloguée d’abord comme «maladie d’homosexuels», la contamination par le virus devient vite un sujet de débat affranchi des clivages de groupes à risques. C’est donc à cette époque que la Confédération a démarré les campagnes de prévention en collaboration avec Aide Suisse contre le Sida (ASS), créée en 1985, afin d’enrayer la propagation de la maladie. L’idée de lancer une campagne nationale était venue de Zurich. L’idée de monter cette exposition a été aussi suggérée par le 20e anniversaire de l’antenne zurichoise de l’Aide Suisse contre le Sida.
De la lutte contre l’épidémie à la prévention L’exposition itinérante, conçue en étroite collaboration entre l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et le Musée national suisse, passe en revue les différentes phases de l’évolution de l’attitude générale à l’égard du sida: le combat contre la discrimination, la promotion de la prévention, l’aggravation du problème de la scène ouverte de la drogue, la normalisation de la maladie grâce aux nouvelles thérapies, jusqu’à la dédramatisation et aux problèmes actuels qui en sont découlés. Les campagnes de prévention, qui ont fait l’objet de débats publics passionnés dans notre pays et suscité l’intérêt international,
• une augmentation du nombre de partenaires; • une augmentation de la pratique de la pénétration anale avec les partenaires stables et occasionnels; • une diminution sensible de l’utilisation systématique de préservatifs lors de la pénétration anale dans le contexte de relations occasionnelles. D’après les réponses, l’augmentation des pratiques sexuelles recèle un risque potentiel accru en matière de transmission du VIH. Néanmoins, la proportion globale de répondants ayant été exposés au risque, après avoir légèrement augmenté entre 1994 (9%) et 2000 (14%), est restée stable en 2004 (13%). Les données récoltées sur Internet suggèrent que la prise de risque, telle qu’elle est évaluée à partir de l’échantillon ‘papier’, est probablement sous-estimée. Indépendamment de l’âge, on observe un niveau général d’exposition au risque sensiblement plus élevé parmi les répondants Internet (17%). Ce constat n’est pas surprenant, dans la mesure où les canaux de diffusion du questionnaire imprimé atteignent le segment de la population HSH sans doute le mieux informé et le plus motivé en ce qui concerne la prévention du VIH/sida. L’utilisation d’Internet permet d’atteindre une population de HSH moins
proche des milieux communautaires et moins touchée par la prévention de VIH. En outre, la mise en ligne du questionnaire a permis de récolter des données sur les comportements de jeunes de moins de 20 ans. On a pu ainsi constater que, dans le contexte de relations occasionnelles, les jeunes HSH font une utilisation beaucoup moins systématique du préservatif que leurs aînés. En d’autres termes, l’adoption de comportements préventifs nécessite un apprentissage qu’il convient d’encourager. Les résultats de cette enquête plaident en faveur du maintien d’une action forte au niveau de la prévention primaire, en vue notamment d’enrayer la progression et la possible généralisation des comportements à risque au sein de la population HSH. Les auteurs de l’enquête - Hugues Balthasar, André Jeannin et Françoise Dubois-Arber – soulignent la nécessité de porter un accent particulier sur la prévention du VIH/sida dans le contexte de relations homosexuelles auprès des adolescents et jeunes adultes, de manière à ce qu’ils débutent leur vie sexuelle en connaissance des risques et des moyens de les prévenir. Contact: Roger Staub Responsable Section sida, OFSP 3003 Berne, tél. 031 323 87 29 roger.staub@bag.admin.ch
Plus de 30 millions d’enfants n’ont pas accès au vaccin «Attention, virus!» Une exposition de l’Office fédéral de la santé publique et de l’UNICEF Suisse aborde le thème de la vaccination en Suisse et dans le monde. Elle est illustrée par des œuvres de Sebastião Salgado, photographe pour Magnum et ambassadeur de l’UNICEF, rassemblées sous le titre «The End of Polio».
E
n Suisse comme dans le reste du monde, la vaccination est un volet essentiel de la prévention des maladies transmissibles et constitue un progrès fondamental de la médecine. L’importance de la vaccination et ses enjeux majeurs pour la santé publique sont le thème central de l’exposition commune présentée par l’UNICEF Suisse et l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Cette manifestation sera ponctuée de divers débats et conférences.
constituent le fil conducteur à travers cette exposition mise en scène avec beaucoup de fantaisie.
Sources La rétrospective sur les 20 ans de lutte contre le sida en Suisse, conçue comme exposition itinérante, a utilisé un abondant matériel provenant des archives en voie de constitution de l’Office fédéral de la santé publique; il s’agit d’un choix représentatif issu d’un fonds de près de 13 000 objets, films et documents audio, articles de journaux ou de littérature professionnelle, ainsi que matériel d’information et de campagne sur la prévention du VIH comme des affiches, des diapositives, des objets à emporter, des brochures, des t-shirts, des supports sonores, etc. www.ohne-dings-kein-bums.ch
Chaque année, 30 millions d’enfants dans le monde n’ont pas accès aux vaccins et deux millions d’entre eux meurent de maladies qui seraient évitables par la vaccination. D’autres maladies, telles le paludisme, les diarrhées, le sida font des millions de victimes, mais elles ne peuvent pas encore être combattues par des vaccins. Pour éviter ces décès, la Communauté internationale s’est fixé comme «but de développement pour le millenium» de réduire de deux tiers la mortalité des enfants de moins de cinq ans. La lutte contre les maladies est un objectif qui nous concerne tous, car nous sommes tous impliqués et nous pouvons tous y contribuer. En faisant vacciner nos enfants pour les protéger, nous évitons la transmission de ces maladies à d’autres personnes. Le projet com-
mun «Parrainage vaccinations» lancé par l’UNICEF Suisse, des pédiatres et l’OFSP soutient les campagnes de vaccinations des enfants les plus déshérités dans le monde; ici aussi, le soutien de la Suisse est nécessaire. L’exposition au Käfigturm de Berne – un forum politique de la Confédération, dure jusqu’au 25 février 2006. www.kaefigturm.admin.ch