L'histoire de
Life racing Engine Auteur : Pierre-Yves Riom
LIFE F1
Vaines tentatives Life Racing et son trublion propriétaire, Ernesto Vita, ont incarné à la fin des années 90 le symbole d’une époque révolue. Une époque durant laquelle constructeurs fortunés et entrepreneurs indigents se côtoyaient dans les paddocks de Formule 1. Bien loin des paillettes et du star system, l’aventure de cette précaire écurie de course est une histoire d’hommes, d’argent et surtout de passion. Par Pierre-Yves Riom | Photos : John Townsend / Autosport / DR
LIFE F1
Franco Rocchi et son projet inachevé
Rocchi tandis que le transalpin venait de p résenter
Paddock Hill Bend, la confusion règne au cœur
à ses responsables un p remier prototype 3
du peloton, l’accrochage est inévitable. Christian
cylindres de 500 cm , aux performances parait-il
Danner, Piercarlo Ghinzani, Allen Berg et Jacques
concluantes. Frustré, Rocchi abandonne t ristement
Laffite se retrouvent impliqués dans cet incident
ense et captivante, l’histoire de la
ses travaux en ayant toutefois réussi son pari de
aux conséquences dramatiques. En percutant
Formule 1 est profondément marquée
prouver au petit m ilieu des motoristes reconnus, sa
le rail de sécurité de pleine face, le nez de la
n ombreux
sagacité et sa d étermination. Pour preuve, M auro
Ligier-Renault n°26 se disloque, provoquant de
ingénieurs et entrepreneurs autant fantasques
Forghieri fait appel à ses compétences en 1970
multiples fractures aux jambes et au bassin du
que passionnés. Franco Rocchi est l’un d’eux...
pour façonner le bloc Typo B12 des modèles 312 B
pilote français. Après 176 Grand Prix disputés, la
et T dont les s uccès aux mains de Niki Lauda seront
carrière de Jacques Laffite en Formule 1 s’arrête
Pour comprendre l’éphémère histoire de l’écurie
historiques en 1974 et 1975. Jusqu’au-boutiste,
net.
Life, il est nécessaire de remonter le temps.
Franco Rocchi quitte la Scuderia F errari à l’issue de
Retrouvons-nous donc en 1967 et poussons
la saison 1974 et créé son p ropre b ureau d’études.
les portes de l’atelier de la Scuderia Ferrari. À
Souffrant de troubles cardiaques, l ’ingénieur
proximité du vaste espace dédié à l’assemblage
âgé de 52 ans se retire ainsi des tumultes de la
des 330 P4 et 312 F1, le bureau d’études
compétition pour se consacrer sereinement à ses
phosphore sous la d irection d’un Mauro F orghieri
recherches sur les m oteurs à l’architecture en W.
D
par
l’enthousiasme
de
3
plus que jamais prolifique. Tandis que l’équipe du Commendatore livre bataille avec Chris Amon et
Malgré une obstination e ntière quatre années
Ludovico S carfiotti, les têtes pensantes à Maranello
durant, le projet de Franco Rocchi ne convainc
préparent l’avenir et conçoivent un moteur hors
personne et l’italien retrouve les tables à dessins
du commun : un W18 3.0L !
de Maranello e ntre 1979 et 1982. P robablement lassé, Rocchi prend finalement sa retraite et donne
En charge de ce dossier avant-gardiste, Franco
une nouvelle orientation à sa carrière en entamant
Rocchi est un ami proche et fidèle d’Enzo Ferrari
des études a rtistiques consacrées à la peinture.
et œuvre au d épartement moteur de la m aison
Fausse abdication, car le feu de la passion b rule
italienne depuis 1949. Il en est p rofondément
encore dans la poitrine du s exagénaire...
convaincu « À cylindrée égale, ce type de propulseur
à
l’architecture
si
particulière
fournit bien plus de couple qu’un V12. Pour un ensemble plus compact et plus léger ! » Alertée par les rumeurs de cette agitation créatrice, la Commission Sportive Internationale (CSI) adopte rapidement une clause réglementaire visant à interdire les moteurs de plus de douze cylindres afin de contenir les coûts en Formule 1. C ette annonce, brutale, stoppe les recherches de F ranco
Un changement de règlement opportun
D
Ce drame fait réagir les instances dirigeantes. À l’image des mesures misent en place pour les Sport-Prototypes, la FIA impose une modification du règlement visant à améliorer la sécurité des pilotes de F1. Ainsi, le pédalier d’une monoplace doit d ésormais être positionné derrière l’axe des roues, pour protéger au maximum les jambes
imanche 13 juillet 1986. Circuit de
du p ilote. La principale caractéristique de cette
Brands Hatch. 26 pilotes s’élancent
mesure entraine l’augmentation de l’empattement
pour ce Grand Prix de G rande-Bretagne,
des voitures dont la structure globale se voit
neuvième épreuve du C hampionnat du Monde
nettement modifiée.
de F ormule 1. À l’approche de l’abrupt virage de L’opportunité est trop belle. Franco Rocchi, retraité
GRand prix d'allemagne 1976 La Ferrari 312 T2 et son 12 cylindres à plat, création de Franco Rocchi
mais sur le qui-vive, voit en ce bouleversement technique une ultime chance de donner vie à sa quête éternelle. L’inventif italien le sait, plus que quiconque, les moteurs en V sont plus volumineux que son prototype en W et il s’imagine déjà convaincre les écuries à la recherche d’une solution alternative. Vingt ans après ses premiers calculs, suspendus à un stade précoce, Rocchi tient enfin l’opportunité de démontrer le bien-fondé de ses innombrables études de faisabilité. Pour accomplir son rêve, il ne manque à Franco Rocchi qu’un partenaire emblématique. Et si son ami Ernesto Vita pouvait être l’homme clé de ce second souffle ?
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La rencontre de deux hommes
P
assionné par le sport automobile et pilote à ses heures perdues, Ernesto Vita est avant tout un entrepreneur éclectique. Après une
courte carrière en Formule Ford puis en Formule 3, son père, industriel reconnu de la matière plastique, lui suggère de se consacrer p leinement
à
des
o ccupations
plus
commerciales. Plurivalent, Vita butine dans divers secteurs telle
p roduction
cinématographique,
cylindre et q uatre arbres à cames en tête. Si
galvanisé
ses performances mécaniques sont standards,
par
l’interdiction
imminente
des
moteurs turbocompressés en Formule 1, F ranco
ses
mensurations
s’avèrent
particulièrement
Rocchi présente ses travaux de recherche à Ernesto
contenues avec une longueur totale de 530
Vita. La poignée de main entre les deux hommes
mm pour une masse de 140 kg, soit 180 mm et
est franches et quelques semaines plus tard née
15 kg de moins qu’un V8 Cosworth. L’objectif
Life Racing Engines, une société de conception
de la compacité est pleinement rempli, la
et de production de moteurs de course basée à
commercialisation est désormais imminente. Mais
Formigine, près de Modène. Les convictions techniques
de
Franco
la concurrence est rude...
Rocchi
s’accordent désormais avec la
Par les modifications apportées au règlement
passion sans limite d’Ernesto
de la saison 1989, le marché des motoristes
Vita pour le monde de la
s’agite. Yamaha et Lamborghini se l ancent
compétition automobile.
dans l’aventure F1, Judd propose deux V8 aux spécifications d ifférentes tandis que Honda et
d’activités, la
emblématiques... Franco Rocchi ! En juillet 1988,
la
construction de b âtiment et le commerce d’acier. Toutefois, son parcours a typique le reconduit au sein de la firme familiale et notamment sur un des sites de production situé à Maranello. Non loin de la Via Alberto Ascari, le jeune Ernesto noue alors de précieux contacts avec certains membres de la Scuderia et rencontre ainsi l’un de ses cadres
entreprise,
Renault révolutionnent la discipline en p résentant
quasi-familiale, s’active au
La
petite
deux nouveaux moteurs V10. Enfin, pour les
cours de l’hiver et présente en
équipes les plus modestes, ciblées par Life
Mars 1989 son premier m oteur.
Racing Engines, Ford-Cosworth capitalise sur un
Ce bloc, le Rocchi F35 tel qu’il est
rapport prix-performances-fiabilité imbattable.
baptisé, est un inédit 12 cylindres en W 3.5L à
Bien que les écuries Coloni, Eurobrun et March
60°. Il développe, au banc d’essais, 650 chevaux
semblent un temps intéressées par le Rocchi F35,
à un régime maximal de 12 500 tours/minutes.
aucune structure ne signera finalement de bon
Alimentée par l’injection directe, la création de
de commande à la jeune société italienne. Pour
Franco Rocchi est dotée de cinq soupapes par
Ernesto Vita, c’est la douche froide !
grand prix de grande bretagne 1990 Avec seulement cinq tours de piste couverts avant l’explosion du W12, Bruno Giacomelli réalise un temps 3 secondes plus rapide que Mika Salo... p oleman de la manche de F3 !
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Trop de sueur, de patience et d’argent ont été consommés pour en rester là. Toujours autant motivés, Ernesto Vita et F ranco Rocchi n’abdiquent
Eco-Emballage
de Lamberto Leoni se brulera les a iles de cette manière, deux saisons s eulement après sa c réation. Basée sur un châssis de March 88B (F3000), la
P
lus qu’une autre époque, le début des
First L189 i ncarne symboliquement l’abysse
années 90 est une p ériode faste pour les
technologique et financier séparant les équipes
accessits à la catégorie reine du sport
phares à certaines initiatives artisanales parfois
automobile. Avec des grilles de départ étendues
caractérisées de dangereuses. A bandonnée en
constructeur à produire châssis et m oteur, Life
à 30 monoplaces, la tentation de rejoindre les
cours d’assemblage par son concepteur, débauché
Racing Engines aspire à aligner en course une auto
paddocks de F1 est trop grande pour des écuries
par Guy Ligier, cette monoplace révèle de graves
de leur fabrication entrainée par le W12 F35. Là où
aux budgets p arfois d érisoires. Ainsi, il est c ourant
défauts touchant les attaches de suspension,
la raison devrait inciter les deux amis à développer
de voir muter en écurie de Formule 1 des structures
la colonne de direction et le châssis dont les
et fiabiliser leur moteur pour convaincre des
de F3000 à l’expérience très limitée. L’équipe First
matériaux composites ont été mal travaillés.
pas et ambitionnent un projet d’une envergure inconsidérée pour une structure aussi petite. À l’image de la prestigieuse Scuderia Ferrari, seul
potentiels acquéreurs, la p assion les e ntraine dans un challenge autant présomptueux qu’irrationnel. Ainsi, malgré une d étermination inépuisable, Ernesto Vita se retrouve face à la réalité. Life Racing Engines ne possède ni les m oyens ni les compétences pour concevoir et p roduire une monoplace de Formule 1. L’envie est bel et bien là et à m oindre frais, l’astucieux entrepreneur italien achète donc l’étude de d éveloppement d’une voiture fraichement ajournée du crash test d ’homologation de la FIA : la FIRST L189.
Formula 1 INdoor trophy 1988 Gabriele Tarquini étrenne la FIRST L189 au Motor Show de Bologne
LIFE F1
LIFE L190 W12 Malgré ce constat alarmant, la monoplace
-ment la m onoplace désormais nommée Life
F3000 au Japon, ils m’ont proposé un contrat de
est présentée à la presse et une demande
L190. Avec une émotion certaine, Franco R occhi
titulaire pour deux ans. P lusieurs membres de
d’engagement est envoyée à Bernie Ecclestone.
assiste à la mise en place de son moteur W12 3.5L
l’écurie sont des anciens de chez Ferrari, je pense
sur le châssis carbone avant que l’écurie prenne
que l’équipe a un futur prometteur. » Le discours
Après un déverminage médiatique aux mains
la direction du circuit de Vallelunga, le 21 février
est teinté d’un optimisme naïf, bien que tous les
de Gabriele Tarquini, le 7 décembre 1988 lors du
1990, pour les premiers essais. Ernesto Vita, de
espoirs soit e ncore permis tant la motivation des
Formula One Indoor Trophy de Bologne, la First
nature constamment serein, est toutefois tendu
troupes est palpable.
L189 échoue sans grande surprise au crash test
lorsque ses partenaires techniques et fi nanciers
d’homologation de la FIA. Accablé par l’ampleur
découvrent la monoplace teintée rouge sang
De son coté, Franco Scapini n’est présent qu’en
des modifications demandées par les c ommissaires
miraculeusement assemblée la veille. Capot
observateur. Malgré une expérience très limitée
techniques, Lamberto Leoni abandonne le projet
moteur non-monté et faisceau é lectrique visible,
à ce niveau, l’italien est désigné pilote de
pour retourner en Formule 3000. En proie à des
les débuts sont hésitants et m ettent en e xergue la
développement et devrait être à pied d’œuvre
sérieuses difficultés financières, First Racing
masse de travail restant à fournir pour être prêt à
au volant du second châssis, prévu pour le mois
trouve un accord avec Life Racing Engines pour
Phoenix.
d’avril. À l’issue de ce court shakedown, Gary
vendre son châssis dans les plus brefs délais.
Brabham s’enthousiasme quant à l’orientation
Nous sommes en Avril 1989 et à défaut de vendre
Deux pilotes se rendent dans la province de Rome
technologique choisie par Franco Rocchi «
leur moteur W12, Ernesto Vita et Franco Rocchi
pour cette prise de contact : Gary Brabham et
Evidemment, il y a encore beaucoup de travail à
viennent d’acquérir un châssis de Formule 1. Le
Franco Scapini. Pour l’Australien, cette nomination
réaliser et je ne vais pas avoir b eaucoup de temps
rêve devient alors réalité. Une dure réalité.
de titulaire est une surprise. Certes, le cadet de la
au volant de la voiture avant P hoenix. Mais le
Objectif : Arizona
fratrie Brabham a déjà piloté une Formule 1 mais
moteur semble finalement être fantastique. Pour
ses expériences se sont limitées à de rares séances
le moment, nous ne dépassons pas les 11 000 tr/
A
d’essais privées pour Benetton et March l’année
min mais à bas r égime, il tire comme un train dès
u cours de l’année 1989, les m écaniciens
précédente « L’équipe s’est montrée intéressée
4000 tr/min ! Cela devrait être une bonne chose
et ingénieurs de Life Racing Engines
par mon expérience en tant que pilote d’essais
pour cette première course sur un circuit urbain. »
travaillent d’arrache-pied pour mettre
pour Benetton et par le fait que je suis titulaire
en conformité leur monoplace. Avec de faibles
d’une super-licence. J’ai été invité à visiter l’usine
Trois semaines plus tard, le discours du néophyte
moyens budgétaires et humains, le miracle a
et j’espérai signer un contrat de pilote d’essai.
changera radicalement…
néanmoins lieu lorsque la FIA valide technique-
Alors que je pensais poursuivre ma carrière en
g
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Cruelles désillusions
Malgré leurs mines blêmes, dues à une nuit
-ble : le chronomètre. Roberto Moreno, Éric
entière de travail, l’ingénieur Maurizio Ferrari, le
Bernard, Olivier Grouillard, Aguri Suzuki, G abriele
chef m écanicien Olivier Piazzi et leurs camarades
Tarquini, Yannick Dalmas, Claudio Langes, Bertrand
arborent des sourires communicatifs. Élevés sous
Gachot et Gary Brabham s’élancent ainsi sur le
perfusion des exploits de la grande Scuderia, ces
ruban bosselé qui leur est offert, encore enduit
la
jeunes hommes sont avant tout passionnés de
d’une poussière aveuglante et piégeuse.
Formule 1 est trop populaire aux yeux de
Formule 1 et vivent, malgré la rudesse des e fforts,
son grand argentier. Avec 35 monoplaces
un rêve éveillé. Vingt mois après sa création,
inscrites par 19 écuries au Championnat du
l’officine italienne est désormais seule face à son
À
l’orée
d’une
nouvelle
décennie,
Monde 1990, Bernie Ecclestone compte faire le ménage et pour cela son
destin. Nous sommes le vendredi 9 mars 1990, Les premiers rayons de soleil
règlement ne fait pas de cadeau.
percent l’horizon pour réchauffer
À l’issue d’une séance couperet,
les corps alanguis, c’est l’heure...
disputée le vendredi de 10 h 00 à 11 h 30, les quatre voitures les plus rapides accèdent à la séance de qualification où seules les vingt-six plus rapides des trente obtiennent leur place sur la grille de départ.
Dans les stands désuets du circuit de Phoenix, l’ambiance est étrange. Tandis que les « patrons » du paddock
En quatre petits tours agonisants, l’australien
dégustent sereinement leur café crème,
établi un temps 36 secondes plus lent que celui de
installés dans leurs confortables motorhomes,
Robert Moreno (1er pré-qualifié) et découvre, sans
les préposés à la pré-qualification sont au cœur de
ménagement, le faible niveau de performance de
Dans ce contexte lourd, pressurisé par des mois
la tourmente. Ils sont neuf m ercenaires, harnachés
sa monture. Pour Ernesto Vita et toute son équipe,
de labeur acharné, les membres de l’écurie Life
dans leur baquet, d éterminés, fixant intensément
le week-end américain n’aura duré qu’une poignée
posent les pieds sur le sol américain le cœur
ce feu vert faisant face au museau de leur modeste
de minutes.
gros. Si la maigre délégation ne se compose que
monoplace. Tels de valeureux chevaliers en quête
de six personnes, dont le chauffeur, l’ambiance
de l’objet divin, ces apprentis disposent de 90
frémissante du box n°39 respire la passion.
minutes pour lutter face à un ennemi incorrupti-
...
Gary Brabham s’élance depuis la pitlane du circuit de Phœnix pour les premiers tours de roues, en compétition, de la Life L190 à moteur W12.
grand prix dES ETATS-UNIS 1990
LIFE F1
Désabusé, l’australien ne cache pas son désarroi
Nous
lui
avons
demandé
de
faire
des
de la L190, il se met en quête d’un pilote « Super
à l’issue de cette courte expérience dans
changements qui permettraient à l’équipe
Licencié » pour succéder à Gary Brabham. Des
l’Arizona « Je savais que nous n’avions aucune
d’atteindre un niveau de professionnalisme
contacts sont alors noués avec Bernd S chneider,
chance de figurer sur la grille de départ. J’ai
compatible avec la F1. Gary a fait tout ce qu’il
pigiste pour Arrows à Interlagos, mais face
d’abord effectué quatre tours pour reconnaitre
pouvait pour aider l’équipe, apprenant même
à l’ampleur du chantier l’allemand préfère
le tracé, puis je me suis lancé dans un tour
l’italien et s’installant directement à proximité
poursuivre sa carrière en Groupe C.
rapide. J’ai alors mis le pied dedans et presque
de l’atelier de Formigine. Je dois dire que nous
immédiatement, le moteur a cassé ! »
regrettons de rompre nos liens avec Life Racing
C’est alors qu’Ernesto Vita, probablement résonné
mais nous devons faire face à l’absence totale
par l’adversité, prend une des rares décisions
Gary
de communication au sein de l’équipe. Nous
rationnelles de l’histoire de son é curie. En p atron
Brabham prend la direction de la Floride pour
avons demandé certaines garanties en matière
responsable, Vita fait une o ffre de contrat à un
retrouver son frère Geoff, expérimenté pilote
de sécurité, d’installations et de personnels et
pilote italien, expérimenté et p erformant. Bruno
officiel Nissan en IMSA. L’objectif de ce séjour
nos demandes n’ont pas été reconnues. Nous
Giacomelli, 38 ans, 69 départs en Grand Prix,
est alors affirmé : se ressourcer pour retrouver
considérons cela comme une violation du
devient ainsi le nouveau fer de lance de Life Racing
une motivation intacte auprès de ses proches.
contrat. » Ces mots, durs, sont ceux du m anager
Engine. Rétrospectivement, les balbutiements
Malheureusement, la situation déjà tendue avec
de Gary Brabham, Don MacPherson le 15 avril
du projet auraient dû être a rticulés autour d’un
l’équipe Life se détériore sensiblement lorsque
1990 et scellent définitivement la rupture entre
homme au caractère et à la détermination de
son manager l’informe des rumeurs indiquant
le pilote titulaire de l’équipe et son employeur.
Giacomelli. En recrutant Gary Brabham, Ernesto
Союз Советских Социалистических Р е с п у б л и к
Vita a trop usurpé la marge de progression de sa
Dans
l’intermède
américano-brésilien,
la capitulation pure et simple de son écurie au Championnat du Monde. Dans ces conditions, peu propices au travail fructueux, Gary B rabham pénètre le paddock du circuit d ’Interlagos avec
voiture, pensant miser sur l’avenir avec un pilote débutant. Sans remettre en cause la motivation de l’australien, il aurait été préférable de confier la voiture à un pilote capable, par son vécu,
une appréhension certaine. Persuadé du départ d’Ernesto Vita et de ses
d’encaisser les échecs tout
hommes
l’Italie,
en créant une dynamique
reprend
positive dans les moments
le
vers
néophyte
miraculeusement
les plus difficiles.
des
couleurs lorsqu’il découvre sa monoplace, esseulée,
Les
défaillances
dans un des vastes box du
ressources
circuit pauliste.
sont
désormais
réglées,
mais
l’équipe
manque
humaines
douloureusement
Si la voiture frappée du n°39
en
de
est bien là, les conditions
budget. Autant pour le
de travail sont précaires.
fonctionnement quotidien
Pas de réceptif, quelques
de sa structure que pour
chaises
plastiques,
l’étude de la future voiture,
deux tréteaux, un système
Ernesto Vita doit convaincre
informatique anachronique,
des partenaires capables
en
les membres de Life Racing semblent évoluer de façon empirique dans un monde parallèle qui les dépasse totalement. Avec peu d’espoir, Gary Brabham s’installe à bord de la L190 pour une seconde tentative de pré-qualification, face aux mêmes prétendants qu’à Phoenix. Si le bilan était désastreux aux Etats-Unis, la « performance » d’Interlagos e ntraine l’équipe dans une dimension plus démoralisante encore. Pour cause, la Life W12 n’aura progressé sur le tarmac brésilien que 450 mètres... moteur cassé ! « Comme vous le savez, nous avons formulé quelques modestes demandes à Ernesto Vita, mais il a simplement refusé de nous entendre.
T
el un roman de gare dont Gérard de Villiers aurait apprécié l’intrigue, les sept semaines suivantes marqueront l’histoire de l’écurie
Life a utant que celle de la Formule 1. Quelques jours seulement après l’échec brésilien, Ernesto Vita doit faire face à l’abdication de son pilote et de son designer en chef, aux menaces de Goodyear ainsi qu’aux fulminations de Bernie Ecclestone, vice-président de la FIA. La situation est critique... Prenant
ces
diverses
problématiques
à
bras-le-corps, Ernesto Vita puise à travers sa passion des ressources inépuisables pour tenter de sauver son entreprise. S’il reste impuissant devant la démission de Gianni Marelli, concepteur
d’injecter des fonds très rapidement. Sous pression des invectives de Bernie Ecclestone, les cadres dirigeants de Life Racing franchisent alors le rideau de fer. En pleine révolution de velours, symbole de la fin de la guerre froide, Ernesto Vita entend profiter du changement de cap opéré par les états membres de l’URSS. Désormais partisans d’une économie libérale, ces pays s’ouvrent timidement aux partenariats techniques et financiers avec des sociétés de l’ouest. Dans ce contexte géopolitique sensible, Life Racing Engine conclut un marché avec le consortium soviétique Pilowski I.C pour la fourniture de matériaux spécifiques tels le titane
De la éc
LIFE F1
grand prix dU CANADA 1990
epuis Imola, Bruno Giacomelli a pris le relai de Gary Brabham pour tenter de pré-qualifier Life L190. Sur le circuit Gilles Villeneuve de Montréal, la 5ème tentative de la saison sera un chec à plus de 21 secondes de Roberto Moreno, le plus rapide dans cet exercice. et la fibre de carbone. Sans maitrise particulière
déclin de Life-Pic papillonnera de Saint-Marin à
son épouse Francesca Papa et Daniele Battaglino
dans ce domaine, la petite société transalpine
Jerez. La perestroïka n’aura vraisemblablement
l’actionnaire majoritaire y laisseront des plumes
manque de savoir-faire pour réaliser les pièces de
pas été autant permissive que prévue et
! À bout de souffle tant psychologique que
l’actuelle L190 et de la future L191. S ous-traitant
l’obscur Mihail Pilowski ne signera jamais le
financier, ils ne pourront financer les deux
de l’industrie aérospatiale et responsable de
précieux chèque promis tandis qu’il ne fournira
derniers déplacements à Suzuka et Adélaïde
la maintenance des sous-marins nucléaires
aucune pièces spécifiques si couteuses à
et abdiqueront avant même la fin de la saison.
soviétiques, Mihail Pilowski devient officiellement
l’officine transalpine. Tout au long de ces douze
L’amende de 400 000 Dollars, infligée par Bernie
le principal partenaire d’Ernesto Vita et promet
tentatives de pré-qualification infructueuses, bon
Ecclestone pour ne pas être allé aux antipodes,
d’injecter 20 Millions de Dollars dans le capital
nombre d’observateurs dédaigneux cracheront
anéantira l’idée même d’envisager une Life L191.
de l’écurie désormais appelée Life-Pic. Ainsi pour
inlassablement leurs venins sur cette troupe de
célébrer ce mariage d’intérêt, la monoplace de
passionnés plus courageuse que menaçante.
L’histoire prend ainsi fin le 28 septembre 1990 à
Bruno Giacomelli à la teinte très « soviétique
Certes, les ambitions folles de cette petite
11 h 30, sous l’écrasante chaleur andalouse venue
» sera frappée de la faucille et du marteau à
équipe artisanale ne s’accordaient guère avec
plomber les stands du circuit de Jerez
compter du Grand Prix de Monaco.
les orientations élitistes prises par le circus de la Formule 1, mais nous ne pouvons pas r eprocher
Si l’on s’en réfère aux partenariats conclus ainsi
à de véritables forças de la mécanique d’être
qu’aux recrutements opérés avant le troisième
capable de terminer l’assemblage d’un moteur la
rendez-vous de la saison, à Imola, l’équipe
nuit précédant des essais libres. Malgré l’abandon
Life Racing se trouve dans de biens meilleurs
du moteur W12, l’œuvre iconoclaste de Franco
dispositions qu’auparavant : Bruno Giacomelli
Rocchi, remplacé par un conventionnel V8 Judd
est un pilote d’expérience à la motivation intacte
à partir d’Estoril, les prestations des rouges ne
et les carences de compétences techniques sont
s’amplifieront pas d’un iota.
pansées par un « solide » investissement de Pilowski I.C...
Bruno Giacomelli s’est battu, passionnément, pour
À bout de souffle...
espérer décrocher une place en qualification mais
M
en vain. Sa monoplace, trop peu au point et f ragile à l’extrême, ne lui permis de hausser le rythme
algré la hargne d’Ernesto Vita, couplée
que trop rarement et lorsque l’opportunité se
à son envie incommensurable de voir
présentait, les 360 ch du W12 pâlirent de honte
performer son entreprise, l’immuable
face à la cavalerie de la c oncurrence. Ernesto Vita,
© 2013 Pierre-Yves Riom