ACCADEMIA AN UN
P.D.L.
© Photographies L'Accademia, 2015-2016 © Les Editions P.D.L., 2016 Contact : Florent Allemand Chemin du Chêne, route de Saint-Victor 30700 Saint-Quentin-la-Poterie Email : p.d.l.30700@gmail.com
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Premier tirage Première édition Exemplaire N°
Vert de vessie Peintures de Valentine Gardiennet Poèmes de Florent Allemand
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Triptyque Note Support trouvé vous avez trouvé un lieu sans fond, D’où l’on peut à peine surgir. I Accrochez les tableaux au seuil de chaque paupière, Ne fermez pas les yeux et chaque mutilation Elle était là, assise sur le seuil éperdu, L’homme était là, debout à la corde pendue, Et il n’y avait qu’un peu d’écailles et qu’un peu de papier Froissé Entre notre monde et leur drame. Le charme de l’atelier disparate et perdu. Les crânes et les pinceaux quant au petit godet, Ciboire d’essence vive à vous crever les yeux, Creusé d’alchimique couleur et seule térébenthine Et seule Almanécée. 11
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II
Triptyque Support trouvé vous avez choisi un lieu sans fond, Sans profondeur aucune d’où l’on peut à peine surgir. Trois, deux, un. Trois, un, deux. Entassées, resserrées ; Pliées et liées, regroupées ; Solitaire debout.
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III Diviser le monde. Posées ainsi sans le secours de l’ombre, Sans le recours à la disparition ; Divisez leurs corps et les lieux qui les contiennent Comme des canopes de peinture, Debout vainqueur au-delà de toutes les mutilations Allongé sur la table froide de la morgue Sans linceul sur la table de dissection Pour ne pas tacher les draps. Dernièrement morte et enchevêtrée dans les ligaments de ses muscles flasques Et elle se fond et se mélange à toutes ses tripes. A ces côtés ses gardiennes folles, ses pleureuses nues. Comme une noix l’une regroupe toute sa masse vers Son ventre et l’autre constate son impuissance à Etre la cariatide et l’atlante immobile. 19
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Massives elles se meurent aussi dans un tournoiement lisse, Vous sentez les usures et les irritations des peaux Usées comme de vieux cuirs ; Vous hésitez encore à vous défaire en petites miettes : Votre massive volonté s’y oppose dans l’élasticité du recommencement ; Vous n’avez pas de nom et votre nom s’impose ; Vous n’avez pas de bouche avec des dents cassées et seulement vous avez la stabilité, Statiques et gluantes, Des fleurs séchées en automne que la pluie mouille et fait moisir. Elles voudraient dire des choses pour restaurer ce qu’elles étaient en étant jeunes, Mais toutes les choses sont vaines. Prisonnières comme nous du temps et notre matière d’être est le facteur même de notre disparition.
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Avez-vous assez dormi ? Elles ont perdu le sommeil. Vous les giflerez et vous renverserez les canopes ; Elles n’ont même pas de poussière où se traîner, Pas de main pour s’étrangler, Pas de couteaux pour s’ouvrir les veines, Elles peuvent juste continuer leur immobilité, Et elles sont condamnées à vivre et à exister. Elles ne peuvent s’enfuir Figées sur le métal froid, pleureuses d’un monde Que vous ignorez. Vous existez dans votre compartiment, Pour une mécanique que vous ne connaissez pas et que de toute façon elles ne peuvent pas comprendre. Réduites à l’ignorance et à la peinture seule Un peu de couleurs figées. Un peu de terre et d’huile sur un grand panneau Froid sans éclat Qui presque cesse de représenter. 23
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La romance d’Actéon Comment rejoindre le repos du gisant immobile dans sa robe de pierre ? Nous voudrions ne pas pendre comme une chemise maculée de transpiration. Nous voudrions échapper au sort solitaire de nos peaux. Et nous doutons d’être autre chose que des peaux Malgré les dissections qui dévoilent des mondes Que nous ferions mieux d’ignorer tant ils nous effraient Dans son fonctionnement autant que dans son disfonctionnement. Malgré les dissections nous n’avons comme certitude de nous même que cette peau Qui s’éparpille en petits lambeaux et qui est la limite imperméable entre nous et le monde Et quand elle se fait perméable avec le monde c’est que l’on meurt de multiples blessures. 29
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Le bras de cire Ce serait l’histoire… Voici ce que l’on écrit en toute simplicité, On ne décide pas des circonvolutions, On voit l’apparition à la frange du mot, un peu de bruit momentané, Les circonvolutions du trait et du pinceau. Ce serait l’histoire… Des mots qui voudraient se coaguler en roman, Un roman qui jamais ne s’écrit. On veut deviner toutes les phrases Et rien n’est encore écrit. Stable comme une ruine et un peu de velours vert Un bras empaillé de cabinet de malsaine curiosité, Membre amputé au sol dans la rue, Et si c’était la guerre. 33
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Les mots qui se réunissent pour tracer un roman sur la guerre et les rues désertes d’une ville, Les mots qui se font la guerre à eux même et qui ne peuvent pas décider du roman. Rien n’est encore écrit.
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Crânes Avez-vous réfléchi aux ruines blanchies par le désert quand le combat s’est retiré ? A ces os qui deviennent des pierres, A cette constatation de la mort, figée dans un morceau blanc qui ne cesse de se décomposer, de se réduire et de simplifier ses formes pour tomber en poussière. Avez-vous remarqué l’embarras de la mort : Elle ne peut suffire à tant de vie et en être le contrepoint et le buttoir commun. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas.
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Conclave des mortes choses d’orbites vides et le fil se délie. Conclave bruissant de bruits, mots, d’os s’entrechoquant, De papiers qui se découpent et qui s’étalent, Lutte qui se pétrifie de la ville au désert, criblée de petites gouttelettes de térébenthine sale, Le geste s’est arrêté, incomplet et rigide. Le goût des chairs bouillies réduites en terre par la brûlure.
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Triptyque. Le monde se répète, la vie n’est pas sans aller-retour, Un peu de gris et d’ocre, Terre de sienne, son ombre brûlée, Un peu de forme et de cuir flasque, La peinture toute bouillante sur la palette. Crissement, hennissement, claquement de dents, Morsure chaude et étalement de petits bouts de papier. Billet galant plié en quatre (en trois) que sème la mort à ses amants,
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Message doux désert qui sème dans ses orbites encore un peu de tourbillon et de l’agitation du pinceau. Tout se répète, vaste roman, Couronne et crâne, et ruine profanée Fanatique sans extase avec des dents retroussées comme une robe. Tout ce qu’on tente de fixer, Pourquoi faut-il toujours demander aux vers Tout ce qu’infirme, il ne peut pas donner ?
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Peau de lapin Peau de apin, Peau apin, Peau à pain, Pot à pain Où vomir tous les petits lambeaux De je ne sais quoi d’épais et de triste. La métamorphose se recommence.
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Lourde chaleur, édredons élimés, limaille de fer et habitat sans accroc, lisse comme les pans d’un piège. Masse qui peine à se soutenir, tenir debout à n’en jamais finir, Infirme, nue, n’as-tu pas honte ?
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Mes regards s’y sont usés, jusqu’à rendre invisible l’immense mur de fatigue où s’enroulent des femmes, L’effort immense de ma plume pour détruire cette couche opaque, Rendre à l’œuvre ce qu’elle est en son sein et par nature : un riche enchevêtrement de coups de pinceaux.
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Strophes Aimerai que la salle laisse toujours sa porte entrebâillée, Regrette le chiffon ou les mains ne se souhaitent pas de se maculer, Condamne la figure à être plus que ce qu’elle n’est vraiment, Plus que le prisonnier immobile, dont le temps se découpe en une non-évolution, Ton regard en fait une douloureuse mutation de sa peau en peinture et de peinture en émotion. Les cris de l’île morte et l’aile bat le flan ; Oiseaux de malheur, l’oracle veut les faire s’enfuir ; Tu lis trop bien dans les figures aux incessantes géométries ; Tu vois le sillon qui entoure la ville, tu vois le sillon qui contourne le front ; Tu vois l’usure qui entoure la taille et la muraille tout autour de ta ville ; Il a peur de la mort. 53
Déserté, la maison, déserté, le pays, Désertés, sans raison. Ruine qui s’applique à ne pas perdurer Echelle de vieux papiers qui se défait sous les pinceaux, Les images se réinventent mais les paroles restent ce qu’elles sont, un enchevêtrement de lignes Où tu ne sais plus où marcher ; Les mots s’enroulent entre tes doigts et les images ne sont que la désolation du désert que tu traverses.
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La place que tu occupes est celle que tu m’as prise. Ecoute, je te dis, pour que tu puisses entendre ce que le papier dégobille : La maison que j’habite n’a pas de toiture, n’a pas de saison, n’a pas de raison, et elle justifie à peine sa fonction. Toute porte est ouverte et ma peau est pliée, accroché contre le mur je double mon ossature avec celle de ses pierres et les canalisations qui parcourent sa masse préfigurent déjà l’abandon où je tombe.
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Mer que tu ne reçois pas, Tignasse rousse, mer de petits papiers ; Reflets tracés et oubliés froissées au marteau. Martelés et frileux. Mer que tu perçois à la verticale, Ton manteau que l’on t’a arraché ! Personne ne veut lâcher la mer qui réchauffe ses reins, Et on te l’a arraché, sans ta peau le monde te déforme, Tu partageras à présent ton manteau et tu te dénuderas, Partage au seuil de la porte de ton large manteau Taille-le à coups d’épée et tu fais bien et on te louera, Mais tu n’as pas voulu lâcher ton large manteau, ta grande mer ne se partage pas, Et la voila verticale tremblante et suspendue au pilori de ton regard.
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N’as-tu rien d’autre à faire ? Tu hésites toujours entre fermer les yeux et constater les déchéances, les blessures et les morts. Voir la laideur ou l’ignorer quand on n’a pas la force titanesque de la masquer ni le courage de la réparer et de la soigner. Les images viennent au devant des yeux, Tu bondis et t’accroches, Vibration et torsion de muscles, Mon regard porte toujours sa part de culpabilité.
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Hors d'oeuvre Les cahiers
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Cahier un
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Peintre Hors d’œuvre, hors du chef d’œuvre, hors du tableau, Et même plus hors de l’atelier, encore plus hors de la salle où les tableaux sont accrochés, La nuit qui venait est maintenant là et voici le miracle douteux Des corps qui se propulsent contre des vitres, A travers la peinture.
Figures qui se construisent au gré de la peinture, Tissages de mots qui cloquent contre la toile tendue, Il y a des visions qui effraient et qui charment, Chaque mot est une vision rendue.
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Etangs tendus d’or, noires fenêtres, femmes de sommeils ; Corps empilés, mots recousus Et chemins d’encre brune et peinture de mots gras. Odeurs des chairs qui se délient. Ouvrez les mains, tendez les bras, Ouvrez vos yeux ; Il vous faut voir et lire des destins d’huile et de coups de pinceaux. Ouvrez le livre, tirez les pages Lisez peintures Mots tout enduits, prêts pour être peints, de colle de peau de lapin.
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Les mains qui se délient sur la peau en caresses, Caresses qui font des bleus et des couleurs mêlées, Ces pinceaux en tendresse et algues sans rivales C’est la dualité même de l’artiste et de l’œuvre ; L’œuvre c’est le corps et sa trace, c’est le corps en sa place. Et le corps a fait l’œuvre Et l’image prend corps. Il y a une sorte de pitié ou d’amour de l’image, Le geste, compassion de la condition humaine, Danse et jours en mouvements, En toute peinture l’homme Se reconnaît.
Accrochez les tableaux au seuil de chaque paupière, Ne fermez pas les yeux et chaque mutilation Elle était là, assise sur le seuil éperdu. 73
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Cahier deux
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Le petit manifeste Le vers sépare les choses, La prose les rassemble, Et moi je les emmêle quand la peinture me les donne. La poésie donne mais n’explique pas, c’est à chacun de comprendre. Vous avez dit pinceaux et la peinture ne sait pas mentir, et les mots ne se trompent pas, Mais si ce n’est pas ce que vous voyez, Mais si ce n’est pas ce qui c’est passé, C’est que vous ne savez pas ou que les choses se sont passées autrement dans un autre moment.
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Le tableau suspendu, il recherche toujours le bruit que font les choses, autour de lui. Fenêtre d’Alberti et fenêtre brisée et fenêtre fermée et vision de côté, fenêtres aveugles maintenant pardonnez-nous, vous êtes la fenêtre de chair (celle qu’il faut cirer tout les matins). Les choses se sont construites selon l’ordre qu’elles désiraient, Et la nuit s’abat sur quelqu’un qui parle sans fin, Il a les pieds liés dans les ligaments poisseux que le pinceau déroule, que la palette déverse. Les feuilles tombent de ses mains, le texte est renversé. La tourbière des corps et des images oubliées, on les a ressortis de sous cette boue grasse intactes et nouvelles, Plus effrayantes encore, Plus attirantes encore comme des fleurs fossiles et volontairement fanées.
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Je vous ai donné mon secret, secret fossile, secret momie, secret enduit d’huile de lin et de colle de peau de lapin, Je te le donne dans son sarcophage imagé, le mange chair est tatoué, pyxide avec des inscriptions ; Je te le donne à disséquer, c’est à vous seuls de savoir si tu veux comprendre, lire les grumeaux de peinture sèche sur une palette Comme un oracle qui invente.
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Cahier trois
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Essais
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Possesseur d’images Essais sur le regard et la peinture
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Qu’avons-nous pétri dans la couleur La peinture est classiquement constituée par la dualité et la complémentarité du dessin et de la couleur, mais c’est avant tout matière. C’est cette problématique que nous avons voulu approfondir. L’exposition (ce texte ayant été écrit comme préface et essais d’introduction à l’exposition « Possesseur d’image » et qui est en quelque sorte le point de départ de l’entreprise présentée ici) invite le spectateur en tant qu’œil mais aussi en tant que corps face à un autre corps ; l’objet peint, un objet magique, merveilleux de couleurs et de formes à la dynamique des matières assumées. Mais la peinture est aussi un jeu, un grand jeu aux règles toujours réinventées qui gagne avec brio, triche ou éclate de rire, peinture comme éclaboussure.
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« Ce possesseur d’absences » Tiré du premier poème du recueil "Le Transi" de Richard Rognet, cette expression nous semble emblématiquement pouvoir s’adapter à la peinture. Qu’est ce qu’une peinture ? Une peinture c’est d’abord un objet qui se présente devant nous : une planche de bois, un bout de carton, un morceau de tissu en tension sur un châssis. Tension, en effet la tension de celui qui peint, du coup de pinceau qui doit tomber juste, de la larme de glacis qui ne doit pas couler et fendre le tableau dans une traînée bleue et découdre les chairs. Toute peinture est une chair, une chair grasse de matière, une matière colorée. Qu’avons-nous pétri dans la peinture ? Ce possesseur d’absences. C’est nous qui l’avons fait. La chair, l’objet, la chose, l’œuvre possède l’absence. C’est une matérialisation entre le spectateur et le peintre. La peinture se présente au devant du spectateur et l’artiste n’est 95
pas là. N’est plus là, à notre place, le pinceau à la main et l’esprit hésitant entre la terre d’ombre et la terre de Sienne, entre le noir de Mars et le noir de vigne, entre le blanc de plomb et le blanc mélangé, entre la brosse et le chiffon, entre le pinceau et le doigt, entre la térébenthine et l’huile de lin, entre une œuvre possible et une œuvre probable, l’artiste n’est transi ni de froid, ni d’amour, mais transi par son œuvre il en est l’action, elle est son engourdissement (engourdissement qui donne plus de contraste encore à sa vivacité, plus de force encore à la créativité). L’œuvre possède maintenant l’aspect figé. Une absence, la trace encore chaude de la vie mais déjà une vie éteinte. L’œuvre nous la présente, cette absence, comme une présence. Le « il est parti » devient un « il était là ». Tout l’artiste passe dans son œuvre. Il est là, entre l’huile et les pigments, il est la moindre trace de pinceau. Le corps du peintre se projette dans la matière colorée, le peintre se pétrit lui-même, ses peurs, ses espoirs, ses connaissances, ses désirs, ses angoisses. Peut-être est-ce pour cela que l’art est une forme qui échappe au temps. L’art ne présente pas une présence de l’artiste mais son moule en creux. Comme ces transits du Moyen-âge, représentation du 96
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corps du défunt qui contrairement au gisant qui ne le représente qu’endormi nous montre le corps sec, maigre et toute proie à la mort, à sa toute proche finitude, sans vie mais nous disant « il fut vivant ». C’est cette absence qui fait qu’on le sent encore proche. Comme le souffle rapide dans une bulle de verre qui n’est plus et qui pourtant semble encore présent à travers la matière, une matière qui fige, qui retient, qui enlace, et qui retient d’autant plus l’artiste, d’autant plus l’émotion que cette matière est fragile. Un peu d’huile et un peu de terre. Pas plus que l’Homme. Et tout autant vivante et tout autant émotive. Quant au Transi qui a inspiré Richard Rognet, c’est celui de René de Chalon sculpté par Ligier Richier, c’est un transi debout qui tend vers le ciel, au bout de son bras décharné, dans un dernier effort plein d’émotion et de tension, Son cœur, Comme chaque peintre tend ses pinceaux.
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L’Atelier du poète « La peinture est une poésie qui se voit » (Léonard de Vinci) Deux paysages d’automne factice : l’atelier de Lucian Freud avec son jardin de plantes d’intérieur, ces tas d’ordures hors des fenêtres, qui sèment sur le parquet grisâtre leurs feuilles rousses, les cataractes de chiffons blancs tachés de peinture à l’huile. Le mur couvert de fientes de pinceau. Matière qui se développe comme une écorce granuleuse. Et au centre le chevalet et le tableau. Second paysage : l’atelier de Bacon, une concrétion de peinture à faire, achevées, de rebut, tubes vides, de photos délaissées, d’images exploitées, de papiers découpés, de palettes accouchantes. Un paysage entre le champ et bataille et un chantier de construction.
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Avec le souvenir de ces ateliers mémorables, le poète entasse ses manuscrits, ses carnets, ses notes, ses visions, sur une table où il faut pousser les récipients d’huile et de térébenthine pour pouvoir appuyer sa feuille, table couverte de palettes dont on ne peut s’approcher sans se maculer les doigts et les habits de peinture à l’huile. Le poète pousse les pinceaux que les autres manient, à la recherche d’images nouvelles il cristallise les siennes, l’agencement des mots se fait plus vite face à la réciprocité des formes et des couleurs. Le poème surgit du moindre éclat, éclaboussure, de peinture jaune et se développe à partir des images qu’on lui montre, qu’il s’approprie. Pourtant, orchidée orgueilleuse, il garde son indépendance et fleurit pour lui seul dans un contentement méditatif, il digère les mécanismes et les plaisirs de la vue. Les pigments et le vocabulaire s’amalgament et s’enrichissent de leurs doubles joyaux jumeaux. 105
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Soleil cou coupé Images à morceler, à déconstruire, à inverser. Photographies : ne regarder que le négatif ; photo à solariser. Marcel Proust dans Le Temps Retrouvé, indique : « La grandeur de l'art véritable, au contraire, de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c'était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d'épaisseur et d'imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie. La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature ; cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l'artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu'ils ne cherchent pas à l'éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d'innombrables cli107
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chés qui restent inutiles parce que l'intelligence ne les a pas développés ”. Notre vie, et aussi la vie des autres ; car le style pour l'écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative qu'il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s'il n'y avait pas l'art, resterait le secret éternel de chacun. Par l'art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n'est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu'il peut y avoir dans la lune. Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et, autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l'infini et, bien des siècles après qu'est éteint le foyer dont il émanait, qu'il s'appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient encore leur rayon spécial. » Ainsi c’est en développeur de cliché que se place l’artiste, mais 110
bien plus encore, son œuvre (et Proust l’avait aussi indiqué au début de A la recherche du temps perdu) l’œuvre permet au lecteur de « développer ses propres clichés », le roman est un instrument d’optique qui fait voir au lecteur ses propres images, peut-être à notre insu, peut-être volontairement, l’expérience du montage d’une exposition de peinture a multiplié le jeu des regards, regard du peintre qui crée, puis celui de l’écrivain qui voit l’œuvre en formation qui produit alors l’essais d’ouverture au catalogue (premier texte de cet essais), puis organisation des salles selon les regards du peintre et de l’auteur. Mais pour écrire le texte qui est devenu le second chapitre de cet ouvrage, il a fallu regarder et les œuvres et le premier texte ainsi que d’autres souvenirs. Enfin ce livre ce compose comme un regard sur les textes précédant écrits pour certains événements et performances et à travers la relecture de ces textes il y a le développement de la vision d’une peinture (elle-même image retranscrite par l’artiste). C’est comme un jeu de miroir sans fin, et la peinture gagne toujours, contaminant, se multipliant et faisant passer sa puissance et sa présence jusqu’au moindre mot. 111
La peinture se démultiplie et la répétition, la réécriture de l’écriture de la peinture, propose la création de mots nouveaux qui changent de sens et de sons, qui produisent encore des images nouvelles que le lecteur et le spectateur se doivent d’utiliser pour voir en eux-mêmes. C’est encore sous le signe de la métamorphose que se place notre entreprise, le paysage de l’aube devient une vision sanglante qui elle-même est une salutation amicale, le chant d’un oiseau. Comme si, finalement la création n’était là que pour nous échapper et aller, dans un jeu de miroirs et d’échos sans fins, bien plus loin que ce que nous aurions pu imaginer lors du premier coup de pinceau sur la toile blanche.
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Ai-je dormi dans ton ventre, araignée, violente araignée ? Ce dernier chapitre est en fait le premier et la cause de cet essai, ce fut tout d’un coup l’impression qu’il y a avait plus que la tentative d’écrire un poème pour traduire et donner un équivalent à l’œuvre d’art et à la création plastique. L’œuvre fait inévitablement corps face au spectateur, mais plus j’écris plus je ressens quelque chose entre l’œuvre et le poème, c’est le regard qui prend corps. Ce que j’écris, en fin de compte, c’est la dynamique du regard. Seulement, je n’ai pas encore les moyens et les méthodes pour l’étudier à grande échelle, je me contente donc dans ces pages de comprendre et de découvrir la dynamique de mon regard. Je me suis donc confronté d’abord à la présence de l’œuvre. C’est la question de la dualité entre l’absence de l’artiste et la peinture qui fait corps. Puis ce fut l’idée de l’atelier, encore hors de l’œuvre, l’artiste est présent, c’est l’atelier où la vision et les 115
mots s’entraînent à voir et à donner à voir le processus de la création. L’atelier offre un paysage qui plus qu’une simple concrétion du rebut qui entoure l’œuvre d’art il se mute quasiment en une installation toujours en évolution. Enfin, c’est le, les, regard(s) qui s’exerce(nt) sur l’image et la métamorphose(nt). Dans cette partie, je n’ai pas dit que certaines œuvres plastiques pouvaient naître comme des réinterprétations ou des réponses à tel ou tel tableau, à telles ou telles photo d’époques et d’artistes différents. Ainsi l’image de l’image obtient une profondeur vertigineuse, le poème de l’image se penche sur un gouffre, le lecteur lui-même se trouve aspiré dans cette démultiplication de la perspective, dans un flux incessant de transformations du regard et de l’objet regardé, la poésie et la peinture étant images toutes deux. Plus encore, et c’est l’enjeu de ces pages et de ce chapitre, il y a inversement des rôles, il y a les transformations du regard et de l’objet regardé et le regard qui lui-même devient l’objet que l’on regarde. Je tente de décrypter les mouvements de ma manière de regarder telle œuvre d’art comme auparavant je 116
tentais de voir le regard (et le corps, la présence) de l’artiste au travers de son œuvre. Quels sont les principales dynamiques du regard face à la création plastique ? C’est d’abord un « possesseur d’image », il enregistre ce qu’il voit, le regard, agit ici comme la photographie. Seulement le regard n’est pas défaillant sur l’instant comme un photographe ratte une photo en la faisant floue, ou bien à causes des limites techniques qui rendent souvent mal les effets de matières, la taille ou les jeux subtils de couleur quand il s’agit de la peinture. Sur l’instant, notre regard s’allie avec d’autres sens pour percevoir toute l’œuvre. Il se place, il nous place, comme corps, nous mesurons donc la peinture à la taille de notre corps. Plus que ça, nos autres sens captent (et enregistrent parfois) le bruit de la salle d’exposition, le murmure des conférenciers, l’air glacé projeté par la climatisation, le plaisir d’être au sec quand l’on entend la pluie sur les vitres, l’odeur toujours étrange de musée aux sols bien lavés et tant d’autres signes minimes de notre présence. Autour de l’œuvre s’installe vraiment 117
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un environnement. Ce n’est que plus tard que nous épurons notre vision pour n’en retenir que l’image (bien que nous puissions à loisir nous replonger par la mémoire aidée de l’imagination dans cet environnement). Cette image, c’est la mémoire, ou au contraire l’oubli qui la déforme. Le tableau devient de plus en plus petit ou obtient une taille gigantesque, ses détails s’estompent et d’autres ressortent avec intensité, sa composition se brouille et l’oubli ronge et ronge chaque fois un peu plus la véritable vision que nous avons. Peu à peu, ce sont, par fines couches successives, les reproductions de l’œuvre qui viennent remplacer notre vision de l’œuvre elle-même. Ainsi j’ai remarqué qu’au moment ou je fais appel à un tableau, c’est la photographie de celui-ci provenant du catalogue qui revient. Et à chaque fois c’est la frustration d’avoir oublié l’original. Il me faut alors faire appel à l’environnement pour retrouver la vision juste, me souvenir de la température, du bruit, de l’odeur pour retrouver le tableau lui-même, comme un simple élément d’un paysage. Mais le regard n’a pas la seule fonction de capter une image 120
pour la conserver, il stimule aussi des émotions, parfois même de lourdes sensations ; de la plus grande joie au plus profond dégoût, l’œuvre est toujours là pour nous stimuler. Plus encore, le regard réfléchit et agit avec la création, il compose par son mouvement une construction de l’œuvre claire ; la composition en peinture, ce n’est peut-être que la manière de parcourir la peinture sans encombre par des chemins qu’emprunte la vue, mais aussi des rappels et des jeux d’échos qui propulse la vue d’un bord à l’autre de la toile. Le regard, c’est celui qui fait l’œuvre. Une œuvre que personne ne voit, comme un livre que personne n’a lu, ont-ils vraiment une existence solide en tant qu’œuvre ? Nous préférons nous arrêter au terme d’image plastique, une image plastique c’est une création vue, une œuvre d’art (qui très souvent se double d’une image plastique) reste une œuvre même si on ne la voit pas. Le Van Gogh qui servait à colmater un trou dans le toit d’un poulailler reste une œuvre (et même un chef d’œuvre) malgré l’absence de regardeur. Le regardeur fait l’instant de l’œuvre et non sa nature. 121
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Le regard, et c’est ici sa plus grande force, est surtout un puissant transformateur (par regard nous entendons la vue mais aussi l’intelligence et l’émotion). On s’en rend compte (comme au chapitre précédant) quand celui-ci agit avec l’acteur créatif. Mais bien plus que cela, il transforme et ainsi d’une personne à l’autre la valeur (non historique ni marchande, mais sensible) de l’œuvre diffère. Il est pour moi des œuvres qui ont un caractère de symbole ou de mythe et qui sont à peine connues, voire prisonnières du grenier. Les peintures deviennent de véritables entités dotées alors de leur vie propre. Le drame toujours en évolution des triptyques de Bacon, mais aussi la puissance d’un portrait d’inconnue au vernis jaune et à la touche violette sur l’étal d’un vide grenier ont marqué mon imagination. Le regard est plus que la vue et la mémorisation de l’image, il est la concentration de l’œuvre vue, c’est lui, finalement, le faiseur de peinture, c’est lui qui nous place dans le monde réel comme le peintre face à la toile qui fait appel à tout son corps pour peindre. Le regard replace l’ordre dans la peinture, c’est lui qui en fait un concentré puissant du réel, liqueur qui agit 124
alors pour construire notre propre musée intérieur et construire nos propres images. Ainsi il est, face à la peinture, à la fois l’appareil photographique, celui qui développe et qui retouche le cliché mais aussi celui qui le transforme. En nous l’assimilation et la proximité d’images non rassemblées dans le monde extérieur crée une image nouvelle, un alliage solide, faisant du spectateur autant que du tableau un possesseur d’images qui lui sont propre. Toiles peintes où se capture le regard et le regard y guette l’image. « Ai-je dormi dans ton ventre, Araignée, violente araignée ? »
6-7-8 août 2015
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Du dessin comme peau dans l'espace
Grands dessins au pastel sec, grands dessins comme tracés avec de la terre et du charbon, de petites poudres qui tombent sur du papier prêt à se déchirer. Dessins de courbes et de sacs gonflés, viscères et boyaux noués qui dessinent le corps solitaire et fragile. Un corps qui se noue et ne se repose pas, l’enchevêtrement de sa nature fait obstacle à sa vitalité. Le dessin est un prolongement de la sculpture, il s’inscrit dans l’espace comme une masse lourde, sculpture de terre crue et toute prête à se tasser à l’humidité, à devenir petit tas de terre au soleil. Il se place, bas-relief ténu et à la limite de la déchirure, contre le mur. Il prolonge l’espace et engourdi notre notion des distance. Par devant le mur. Il prolonge l’espace du 127
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mur vers nous, fermant notre vue, s’interposant contre notre regard, pour obstruer la vue, bien au devant du mur. Cette fermeture de l’espace, j’ai pu la constater quand, de mailles en maille serrées, la peinture cicatrise son ventre contre la fenêtre. Elle ferme la vue. Posée en équilibre dans une étrange installation, la vitre qui se peint d’abord offre sa transparence mais bientôt reprend sa condition de sable, sable où se couche de molles figures au grain épais, qui par leur surgissement indécent voudraient nous forcer à fermer les yeux. Au début, la construction nous offre l’espace, la peinture achevée n’est là, au contraire et comme le dessin, pour présenter l’opacité qu’on ne peut transpercer de la peau. C’est l’espace encombré, rendu inaccessible. Les dessins, comme les peaux de tous les jours, le parchemin des vieux manuscrits et le cuir, qui va en se racornissant de plus en plus, des chaussures, est offert à l’aléatoire extérieur. La pluie et l’outrage des passants. Le soleil et l’ombre du platane, le graffiti, le tatouage de l’ennui dans la salle d’étude des lycéens. Il se présente, hors de la sécurisante salle d’exposition et 129
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hors de tout cadre et de toute protection (carton à dessin y comprit). Le dessin est directement fixé à l’ignorance du mur. Le mur : protection quand il est perçu de l’intérieur, isolement et porte close quand le regard s’y heurte du dehors. Le mur n’est ici que la présence de l’espace auquel on n’atteint pas : étant dedans le monde nous est soustrait, étant dehors on constate derrière une terra icognita. Terre inconnue que celle des pigments, terre iconique et homme d’argile ; les pigments couvrent le papier et le dessin (pourtant si semblable à une carte) nous empêche de voir par son surgissement tout un espace que l’on voudrait saisir. Le dessin est comme la toile sur le châssis, mais la toile a une action plus visible encore, celle d’obstruer une fenêtre de bois. Nous ne reviendrons pas sur le tableau comme fenêtre. Le dessin nous présente le tombeau transportable de nos corps. La réalité de son effritement à venir, sa dense matière qu’il nous faut transporter en voyage et qu’on voudrait abandonner comme une mue, suspendue au mur comme à un por131
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temanteau. Nous voyons cette peau vide comme un habit, un drapé sans corps dessous, un corps qu’un autre a abandonné et nous, nous en restons prisonniers. Nous même, dessin/dessein fixé inéluctablement à notre mur jusqu’à ce que l’on vienne nous détacher.
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La figure et son fond Dédicace en souvenir : « Début d’année un peu pluvieux ; la question s’était dressée comme la perspective renversée d’un miroir. Les tableaux accrochés, les tableaux arrêtés, Immobiles visages, Sont toujours à refaire, Avec des mots. » Une femme nue qui s’allonge géante sur une forêt. Un homme mort, entre quelques lourds coups de pinceaux blancs et sur la toile nue, tendue, cicatrice, raccrocs et déchirures. Un cadavre vert et puis chair grise sur un fond d’or. Deux morceaux de nymphes grasses à la chair lourde et rose sur un fond de moire noire et verte. 135
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Puis viendrons des peintures sur verres et des femmes en lambeaux sur des panneaux d’alu. Dans tous les cas les corps tranchent nettement sur un fond qui révèle une profonde distance entre la figure et le fond mais aussi l’impossible alliage entre le fond sur lequel la figure est posée (disposée) et le milieu dans lequel elle se trouve. De cette opposition résulte une profonde solitude de la figure dans la peinture, un sentiment de solitude perçu par le spectateur. Une profonde solitude des corps, corps qui n’ont ni lieux ni vie, immobiles dans le temps et l’espace. La première peinture, joue sur les échelles et sur l’ambivalence de la représentation : la femme est–elle une géante ou bien la forêt un simple motif de tissus ? A travers le poème que j’y ai consacré, je réunissais ce paysage primaire de désolation avec et ce corps vieux en décomposition par les mythes de la géante et de la mère universelle (« Eve en son automne »). Le choix de l’artiste -arbitraire et réfléchit- interprété ou non se base essentiellement ici sur un jeu d’écho de couleurs et de formes et nous laisse perplexe quand à la réalité propre du motif, seule la peinture alors est réelle. 138
La toile suivante laisse sous le corps gris et mutilé en chute la toile et les coups de pinceaux bruts. Le monde de douleur révèle la tactilité de la grosse toile enduite de colle de peau de lapin et comme le corps elle porte des cicatrices et des blessures dans ses accrocs et ses trous, mais c’est une douleur qu’on à pris soin d’apaiser et la toile n’en est pas pour autant trouée, elle porte des marques mais est cicatrisée et réparée, à nouveau unie et dans toute son intégrité. Ce n’est pas la spatialité profonde des toiles de Fontana, bien que la notre ai une forme richement dynamique car le châssis tordu fait jaillir au devant du mur deux des angles de la toile, la peinture semble être revenue à l’ordre, à la figuration, sans pour autant vouloir faire illusion de réalité, elle est objet et non fenêtre de fiction. La fiction, c’est seulement la poésie qui la sur-imprime aux toiles. Quelques coups de pinceaux blancs cernent la figure (écho aux aquarelles de Schiele) et isolent ainsi la peau de peinture, la peau humaine, de celle de la toile. Dans ces marques blanches que je décrivais comme des « draps d’hôpitaux », on peut voir aussi comme une peau elle-même, la peau étant en effet cet élément qui sépare l’intérieur de l’extérieur, la figure de son 139
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fond, l’homme de son milieux, une zone de frontière, une limite du corps. Sur cette toile, renforçant la vision macabre d’une clarté ou d’un linceul déchiré, cette blancheur propose la séparation entre une figure morte et une toile vive. Le second cadavre masculin que la peinture a fait naître a eu une évolution très riche, en effet il est passé d’un fond noir caravagesque (on dit caravagesque mais les deux peintures et manières de peindre n’ont presque rien de commun) au fond d’or d’un retable avec toutefois une troué noire, un nuage orageux, un « soleil noir » dont les rayons (coulures) saisissent le cadavre encore chaud. Mais tout encore est a remettre en doute, dont la fonction symbolique de cette peinture, la coulure n’est qu’un procédé aléatoire et son parcours ne repose pas sur la volonté de l’artiste de figurer telle ou telle chose, c’est ici le piège de l’image, la matière fait sens mais une fois que nous portons un regard dénué de symboles sur l’œuvre elle perd sa signification (que nous n’avions véritablement fait qu’imaginer et rajouter sur l’œuvre), il ne reste plus qu’un 142
corps abandonné sans sépulture et le grand reflet de l’histoire de l’art dans le fond d’or, mais rien pour les relier si ce n’est les multiples cadavres qui parsèment les galeries des musées les plus classiques. On regarde une image sans histoire, sans narration, on regarde des coups de pinceaux qui représentent quelque chose. Ou bien c’est la peinture qui regarde. Le fond noir (qui précédemment a fini par disparaître) se retrouve et se prolonge dans la toile peinte ensuite, un noir très travaillé qui porte de nombreux reflets : verts et bruns, une brillance de plumage ou de pétrole (avec la même odeur de puanteur qui l’accompagne, mais ceci est une fantaisie de l’auteur). Là encore les figures ne se fondent pas dans cette forêt sombre, au contraire elles s’en détachent nettement, mais celles-ci renforcent le caractère intime de grotte de source ou d’étang nocturne. C’est aussi la vue directe et sans ménagement de ces fesses qui guident notre invention dans une trouble intimité, toutefois nous ne sommes pas, comme le profil que l’on distingue dans le décor, en position de voyeur (car il y en a déjà un, la place est déjà prise et nous devons donc jouer 143
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un autre rôle), nous sommes seulement une présence au rituel de l’immersion dans la masse noire et poisseuse. Seulement une présence au devant de la toile qui se couvre et s’enfonce jour après jours sous de multiples couches de peinture. Triptyque : six nus de corps vieillis et fatigués sur des panneaux de métal gris, brillants et froids. Les figurent se détachent rugueuses au devant de cette surface. Ici encore, il y a un grand écart entre les chairs chaudes et molles de figures et la dureté, le froid du fond. La peinture à l’huile et le support (qui ici comme pour la seconde peinture il s’associe au fond), se rencontrent dans leur brillance. Le regard a des prises et des repères matériels mais est perdu, il doit alors s’inventer une iconographie fictive pour comprendre (tenter de) les images qui se dressent devant lui. L’aboutissement de cette exploration des jeux entre la figure et le fond, ce furent (et je ne m’en suis rendu compte que plus tard) les peintures sur vitres. Ici le fond et le support sont à la fois nettement distincts et toutefois intimement liés : peindre sur verre –support qui par sa transparence donne pour fond le 146
paysage qui se trouve derrière, par delà la peinture. Un fond mouvant et en action (comme la peinture l’est elle-même, lors des performances de peinture sur fenêtres) propice aux jeux et aux mises en scènes mais un fond aussi qui à la fois met à mal et conforte les descriptions et les poèmes précédemment écrits car c’est un fond du tout est possible, fenêtre d’Alberti prise au pied de la lettre, un encrage de la figure non dans le peinture et dans son espace figé mais plutôt une inclusion de la figure peinte dans l’espace réel.
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Table des citations p. 95 « Ce possesseur d’absences » Richard Rognet, Le Transi, Belfond, 1985. p. 101 « La peinture est une poésie qui se voit » Léonard de Vinci, Traité de la peinture, Berger Levraut, 1986. p. 107 «La grandeur de l’art véritable…rayon spécial » Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, Le Temps retrouvé, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Tome IV, 1989. p. 107 « Soleil Cou Coupé » Guillaume Apollinaire, Alcools, « Zone », Poèsie/Gallimard N°10, 1966. p. 125 « Ai-je dormi dans ton ventre,/Araignée, violente araignée » Richard Rognet... 151
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Table des textes
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Vert de vessie Triptyque I II III La romance d’Actéon Le bras de cire Crânes Strophes
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Hors d'Œuvre Les cahiers
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Cahier un Peintre Cahier deux Le petit manifeste Cahier trois Essais
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Possesseur d’images Qu’avons-nous pétri dans la couleur "Ce possesseur d'absences" L'Atelier du poète Soleil cou coupé Ai-je dormi dans ton ventre Du dessin comme peau dans l'espace La figure et son fond
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93 95 101 107 115 127 135
Des mĂŞmes auteurs
PEAU de LAPIN. Editions P.D.L., 2015.
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158 © Les Editions P.D.L., 2016