Commerce équitable Est-ce bien nécessaire ?
Avalanche de lingettes
N°54 - avril 2008 - LE MAGAZINE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE - www.terra-economica.info
Je jette, tu jettes, il jette...
Climat. Qui sont les
10 raisons « Mr. Propre » des multinationales ? d’espérer
sommaire
4 BREVES 5 ZOOM
« Les ouvrières » 6-7 L’OBJET
La lingette 8-9 LE MARKETING EXPLIQUÉ À MA MERE
Quand les marques se la jouent caméléon 10-23 DOSSIER
Les « Mr Propre » du CAC 40 24-25 L’ÉCONOMIE EXPLIQUEE A MON PERE
La France n’a pas d’énergie à revendre 26-31 ENQUETE
Le commerce équitable cherche son équilibre 32 LU D’AILLEURS 34-35 ALORS L’EUROPE ?
Grosse montée de lait 36-37 ILS CHANGENT LE MONDE
En tête dans un verre d’eau 38-39 ENRICHISSEZ-VOUS
Les artistes font corps 40-41 EN DIRECT DE WWW.PLANETE-TERRA.FR 42 LE FEUILLETON
Métropole position (8e épisode)
Ont participé à ce numéro (ordre alphabétique inversé) : Toad, Frédéric Stucin, Sylvie Serprix, Charlie Pegg,Virginie Leray, Karine Le Loët, Pauline Hervé, Arnaud Gonzague, Gaw, Colcanopa (une), Julien Dupont, Cire, Cécile Cazenave, Caroline Boudet, Anne Bate, Simon Barthélémy, Louise Allavoine, Adrien Albert, AFP, Tendance Floue, M.Y.O.P, Rea, Sipa. – Directeur artistique : Denis Esnault – Responsable de l’édition : Karen Bastien – Directeur de la rédaction : David Solon – Responsable des systèmes d’information : Grégory Fabre – Directrice commerciale : Kadija Nemri – Conseiller abonnement : Baptiste Brelet – Assistantes commerciales : Véronique Frappreau et Elodie Nicou – Directeur de la publication : Walter Bouvais – Terra Economica est édité par la maison Terra Economica, SAS au capital de 137 233 euros – RCS Nantes 451 683 718 – Siège social : 42 rue la Tour d’Auvergne, 44 200 Nantes – Principaux associés : Walter Bouvais (président), Gregory Fabre, David Solon, Doxa SAS – Cofondateur : Mathieu Ollivier – Impression : Goubault imprimeur, 8 rue de Thessalie, BP 4 429, 44 244 La Chapelle-sur-Erdre cedex – Dépôt légal : à parution – Numéro ISSN : 1766-4667 – Commission paritaire : 1011 C 84334 – Numéro Cnil : 1012873 – Lisez-nous, abonnez-vous sur notre site Internet : www.terra-economica.info/abo, par courriel : abo@terra-economica.info ou en nous appelant au 02 40 47 42 66. Ce magazine est imprimé sur papier écologique (ARCTIC Matt paper en 90g/m² pour l’intérieur et 150g/m² pour la couverture) avec des encres végétales.
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brèves
Les péchés capitaux du Web chinois La métropole chinoise de Xiamen a lancé une campagne de prévention contre les arnaques sur le Web. Sont ainsi recensés les plus beaux attrape-nigauds de la Toile locale : les faux sites de e-commerce aux prix alléchants, ceux qui donnent les chiffres du loto contre rémunération, les portails de recherche d’emplois truffés d’intermédiaires véreux. Selon le China Internet Network Information Center, le pays compte aujourd’hui plus de 210 millions d’Internautes, en hausse de 53,3% en un an. Lire rend riche Aux grands maux les grands remèdes. Agustin Jimenez, le maire socialiste du village espagnol de Noblejas, enrage de voir grimper les statistiques d’absentéisme et d’échec scolaire. Il a donc décidé de payer ces enfants ! Payer ? Oui, mais à une seule condition : que ces derniers fréquentent la bibliothèque. Pour chaque heure passée à bouquiner, le premier magistrat du village sortira 1,5 euro des caisses de la commune. Le taux d’abandon précoce du système scolaire atteindrait 80 % dans cette petite ville de 4 000 habitants.
Assurances catastrophiques C’est une évidence désormais pour de nombreux scientifiques : les changements climatiques affecteront en majorité les populations des pays pauvres. Rien qu’en 2006, la planète a connu 427 catastrophes naturelles dont plus de la moitié étaient dues à ces bouleversements du climat, estime John Holmes, le secrétaire adjoint aux affaires humanitaires de l’ONU. Ces aléas ont impliqué 143 millions de personnes, la plupart originaires du Sud. C’est pourquoi l’ONU travaille aujourd’hui sur des systèmes d’assurance pour ces populations, dont les moyens ne leur permettent pas de se protéger. Et ose même quelques idées sur leur mode de financement. Il faudrait, explique John Holmes, « impliquer les grands bailleurs de fonds et ne pas attendre les catastrophes ». David Solon
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Soldes sur les baraques « Lot 132, cinq belles chambres, triple emplacement de parking et piscine dans banlieue – classe moyenne – de Los Angeles, 30 % de réduction. » Des annonces de ce type fleurissent actuellement en Californie où la crise des subprimes continue de pousser les Américains vers la banqueroute. Du coup, des agences immobilières spécialisées dans les enchères viennent liquider les biens que leurs
propriétaires ne peuvent plus rembourser. Les analystes estiment que le nombre de ménages se retrouvant dans l’incapacité de rembourser leurs crédits va très probablement continuer à croître « au moins pendant les six prochains mois ». Pas de problème, répondent en chœur les agences immobilières de vente aux enchères, qui elles, continuent de prospérer. Anne Bate
nycshooter / fotolia.com
Le nombre de brevets déposés en 2007. Ce chiffre, en progression de 4,7 % par rapport à l’année précédente, fait la part belle aux pays d’Asie du Nord-Est (25 % des demandes internationales). Mais les Etats-Unis se taillent encore la part du lion (un tiers des dépôts), selon l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle. La France figure au 5e rang, grâce notamment à Thomson et ses 416 demandes.
Sonia, série « les ouvrières, 2007-2008 » © olivia gay
zoom
Zoom sur « les ouvrières » Tout commence en 1998. Alors à l’école de photographie de Boston, Olivia Gay se rend à La Havane (Cuba). Son regard s’arrête sur les jineteras, ces très jeunes prostituées qui rêvent que le prochain client soit le fameux « touriste-Prince charmant » qui les emmènera loin de là. Depuis, elle est allée à la rencontre de modèles, de serveuses, de caissières, de religieuses. « Ce n’est pas qu’une histoire de féminisme, c’est avant tout une histoire d’engagement et de rencontres », tient-elle à préciser. Je veux montrer comment le corps est mis en scène, mis en jeu, dans le travail. » Pour se fondre dans le décor, se faire accepter dans un lieu de travail, il faut du temps. « Je viens pendant des mois. On se raconte nos vies, comme des sœurs. Petit à petit, j’entre dans leur intimité. » Depuis octobre 2007, elle se rend donc une fois par semaine à Coffret Pack, petite usine basée à L’Aigle (Orne), spécialiste des emballages pour l’industrie du luxe. « Les femmes y sont très solidaires. Certaines sont entrées là quand elles avaient 16 ans. Et puis, elles ont connu un plan social il y a deux ans... » Le travail sur « les ouvrières » devrait durer un an. www.oliviagay.com / http://invisuphoto.com
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l’objet
La lingette a transformé la vie des mères et des ménagères. Vitres, parquet, fesses de bébé… Ce produit, jetable par excellence, nettoie tout. Sauf la nature. PAR LOUISE ALLAVOINE éfiance, elle est partout. Elle sert à tout et existe sous toutes les formes. Nettoyante, dépoussiérante, démaquillante, déodorante, intime, rafraîchissante, désinfectante, détachante, assouplissante, pour appliquer la crème solaire, pour laver les vitres, les écrans, les lunettes, les fesses de bébé, et même pour débarbouiller Médor. En moins d’une décennie, le marché de la lingette, porté par de multiples innovations, a explosé. Presque inexistante dans les foyers français avant 2000, la serviette nettoyante était adoptée par qua avril 2008
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tre foyers sur dix en 2005. Pratique et hygiénique, la lingette n’a même plus besoin d’eau. Un simple coup sur la zone à lustrer et zou, à la poubelle ! Mais depuis quelque temps, la lingette d’entretien de la maison – le tiers du marché de ce produit – a moins la cote. En 2007, la moyenne est ainsi tombée à trois foyers utilisateurs sur dix. Pouvoir d’achat en berne oblige, la coûteuse serviette pèse de plus en plus lourd dans le panier de la ménagère. Les Français, pourtant consommateurs des deux tiers de la production européenne, commencent donc à se détacher de ce produit marketing par excellence. Ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle, car les arguments écologiques contre ce symbole du jetable et de l’usage unique ne manquent pas. Selon une étude de l’Observatoire de la consommation durable à Bruxelles, un foyer qui utiliserait des lingettes pour nettoyer la maison du sol au pla-
cire / www.cirebox.com
La lingette
25 %, la part des lingettes
dans les ventes de produits d’entretien de maison en 2007.
Plus de 80 % des bébés
« utilisaient » des lingettes jetables en 2003, en France.
fond et s’humecter des pieds à la tête, produirait un surplus de 58 kg de déchets par an. Lesquels filent ensuite directement à l’incinérateur, car la serviette jetable ne se recycle pas, ou très peu. « Cette étude ne correspond pas aux habitudes des consommateurs », défend Alain de Cordemoy, le président de l’Afise, l’Association française des industries de la détergence, de l’entretien et des produits d’hygiène industrielle, qui met en avant le fait qu’un ménage n’abandonne jamais serpillière et gant de toilette pour le tout-lingettes. D’ailleurs, d’après les statistiques de l’Afise, un foyer utilisateur ne bazarde en moyenne que sept lingettes par semaine. Lesquelles ne pèseraient que « 0,05 % des ordures ménagères », insiste Alain de Cordemoy. Substances chimiques et fibres synthétiques Agacée par le mauvais procès fait à la lingette, l’Afise commande donc, en 2004, l’analyse du cycle de vie de la lingette version « nettoyage du sol » et la met en compétition avec ses rivaux, le spray et les produits en flacon. L’enquête, conduite par le spécialiste Ecobilan, aboutit à des conclusions mitigées : « Aucun des produits ne peut être qualifié de meilleur pour l’environnement sur tous les indicateurs. » Chacun possède des points forts et des points faibles. La lingette
L’Europe a le goût du risque Comment des substances chimiques peuventelles être commercialisées sans avoir été testées pour tous les risques ? C’est la faute à pas de règles. Ou plutôt au fait que ces règles ne sont pas encore appliquées. Entré en vigueur le 1er juin 2007, le règlement d’enregistrement, d’évaluation et d’autorisation des substances chimiques (Reach) a créé une agence européenne des produits chimiques (Echa). Seul hic : celle-ci ne sera prête à traiter les enregistrements qu’à partir de juin 2008. En attendant, l’ancienne réglementation de 1981 dispense toujours les substances mises sur le marché avant cette date d’une évaluation exhaustive du risque. Or on ne sait pas tout de ces substances dont certaines imbibent certaines lingettes.
Pour aller plus loin
Des lingettes pour tout et pour tous ? par le Réseau Ecoconsommation : www.ecoconso. be/spip.php? article139 Lingettes jetables, une étude du Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs (Crioc) : www.crioc. be/FR/doc/dcdc/ consommation durable/document229.html L’entretien ménager sans produits ni déchets dangereux : rapport technique, une campagne du Crioc et de l’Institut bruxellois pour la gestion de l’environnement : www.observ.be/ FR/15mars2004/ 20040315dossier. pdf
35 % des lingettes pour bébés étaient achetées par des foyers sans enfants en 2007.
gaspille trois fois moins d’eau que ses concurrents, mais elle produit trois fois plus de déchets ménagers que le spray et six fois plus que les liquides. Rien n’est tout vert ni tout blanc au pays de la lingette. Mais au fait, de quoi est composée la serviette nettoyante ? Plongeons au cœur des lingettes pour bébé, Babyfresh de Pampers, par exemple. « Il ne s’agit ni de tissu ni de papier, mais de non-tissé », détaille-t-on chez Procter & Gamble, le groupe américain qui possède la marque. Késako le « non-tissé » ? « Un mélange de fibres synthétiques et naturelles non tissées. » La combinaison est subtile : la lingette doit être suffisamment résistante pour ne pas se déchirer et suffisamment douce pour respecter la peau de bébé. Quant à la lotion, « elle correspond à la composition des laits de toilette et subit la même réglementation que les produits cosmétiques ». Comprenez : les substances chimiques indiquées sur l’étiquette sont toutes autorisées par l’Europe (lire ci-contre). Le toxicologue André Cicocella dirait plutôt qu’« elles ne sont pas interdites ». Car « certaines substances mises sur le marché avant 1981 n’ont pas forcément été testées », explique le coauteur du livre Alertes santé. Experts et citoyens face aux intérêts privés. Ce qui ne veut pas dire qu’elles présentent forcément un risque pour la santé. « Le vrai scandale, conclutil, c’est que l’on ne sait pas. » —
« Les apprentis z’écolos » et la lessive
Sur Internet, découvrez le nouvel épisode de la série de dessins animés de Terra Economica qui dit tout sur la lessive (en coproduction avec Télénantes et Six Monstres) : www.planete-terra.fr (rubrique Environnement) terra economica
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le marketing expliqué à ma mère
Quand les marques se la jouent CAMELEON uel est le point commun entre un Tié Bou Dien dégusté à Dakar, un Feijoada brésilien et un bœuf bourguignon ? Réponse : un petit bouillon cube qui se mijote à toutes les sauces et se vend à près de 8 milliards d’unités dans le monde. Cette recette de marketing international réussie est signée Maggi. Charles Croué, enseignant et chercheur en marketing, la résume ainsi : « A l’heure de la globalisation, de la course à la croissance et de la pression sur les coûts imposée par les actionnaires, le marketing compense en donnant l’impression au consommateur de chaque pays que le produit a été fabriqué uniquement pour lui. » Lancé à l’heure de l’industrialisation de la vielle Europe par un minotier Suisse, Maggi a été propulsé à l’international par Nestlé, dont il fut l’une des pre avril 2008
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mières acquisitions en 1947. Sa stratégie caméléon, en forme d’immersion culturelle et gastronomique, s’oppose au modèle américain, symbolisé par le Coca-Cola, au goût unique et planétaire. Mais la standardisation de masse héritée du taylorisme n’a plus la cote. Même McDonald’s a abandonné ses steaks pour des blancs de volaille en pays musulman et proposé des menus tartiflette en France cet hiver. Car, dans l’agroalimentaire, s’adapter aux papilles locales est une condition sine qua non pour s’implanter. Au Sénégal, où Nestlé a ouvert une usine en 1973, Maggi se fond totalement dans le décor : « En donnant des noms wolofs à ses arômes pour spécialités culinaires locales, en adoptant un packaging propice à la vente à l’unité, Maggi s’est “ sénégalisé ”. La marque a aussi intégré à sa publicité les codes culturels locaux, souhaitant par exemple un “ bon N’Dogou ”
sylvie serprix
Comment un seul produit peut-il séduire des millions de consommateurs aux habitudes de vie et d’alimentation si différentes ? En faisant imaginer qu’il n’a été conçu que pour eux. Voici la recette internationale d’un marketing local. PAR VIRGINIE LERAY
45 %, c’est la part 30 %, la hausse des ventes de de marché du bouillon Maggi au Sénégal.
L’Oréal en Chine en 2007 : un chiffre d’affaires de 523 millions d’euros.
au moment de la rupture du jeûne », commente Marjolaine Blanc, professeur de marketing à Dakar. Maggi sponsorise même Destins croisés, une telenovela culte, et figure au top 5 des annonceurs télé de l’agence de marketing locale Omédia. Sans oublier le hors-média : concours, festivals, podiums sur les marchés et parrainage des innombrables échoppes qui portent ses couleurs. En Côte-d’Ivoire, la marque a même soutenu les débuts du groupe de musique Magic System ! Danone a, lui aussi, très tôt investi pour diversifier ses produits : au Brésil, les laitages sont plus colorés et parfumés à la mangue. En Chine, les yaourts à boire sont élaborés sans lactase (lire aussi ci-dessous). Des partenariats peu avouables Longtemps, le degré zéro du marketing international a consisté à se mettre à portée des pays émergents – marchés au faible pouvoir d’achat mais au fort potentiel – en appauvrissant discrètement les produits, en baissant leur niveau de gamme. Ainsi, nul besoin d’exporter les modèles d’appareils photo numériques les plus performants, trop chers, en Afrique ou en Amérique du Sud, où Volkswagen a recyclé ses Coccinelles jusque dans les années 1990 ! « Mais le sous-produit ne marche plus et les entreprises doivent ruser, comme Renault avec la Logan : cette voiture à bas coût possède une identité
Danone : fin du supplice chinois Depuis 1997 et sa prise de participation de 51 % au capital de Wahaha, le leader chinois de l’eau minérale, Danone réalisait 10 % de son chiffre d’affaires global en Chine, soit 1,4 milliard d’euros. Mais, en 2005, Danone découvre que son partenaire fait profiter d’autres entreprises des réseaux de distribution et de la marque commune. Ne parvenant pas à reprendre le contrôle de Wahaha par un rachat total, la firme engage en 2006 une bataille judiciaire internationale. Des procédures mises en sommeil en décembre 2007. Coïncidence ? C’est à cette époque que le chef de l’Etat français, accompagné d’une forte délégation de chefs d’entreprises, s’est rendu en Chine pour négocier de gros contrats commerciaux.
Pour aller plus loin
Marketing international, un consommateur local dans un monde global, Charles Croué, édition De Boeck (2006), 46,50 euros. Marketing international Stratégie locale, campagne globale, Eliane Karsaklian, Editions de l’organisation (2007), 25 euros. La recette du marketing local réussi, article sur www.leweb multiculturel.fr
900 millions d’euros,
ce sont les pertes estimées de Danone en Chine en 2007.
propre, mais emprunte ses éléments à des modèles antérieurs, ce qui permet d’amortir les coûts de conception. A conditions de sécurité égales, elle n’utilise que 1 400 composants contre 4 000 en moyenne. Enfin, elle est transformable à l’envi en berline, 4x4 ou pick-up, selon les goûts », détaille Charles Croué. Désormais, lancer une marque hors de ses frontières nécessite une prospection de longue haleine, puis une infiltration du marché. Ceci entraîne parfois des partenariats peu avouables : « Aux Etats-Unis, Nestlé Waters s’est d’abord appuyé sur le réseau de distribution de Coca-Cola. Comme cette alliance aurait pu ternir son image en Europe, le groupe n’a commencé à communiquer qu’une fois que ses eaux minérales ont été positionnées sur le marché et que la joint-venture avec Coca a été dissoute », révèle Eliane Karsaklian, enseignante en marketing et chercheuse. Sociologues et ethnologues à la rescousse Du simple changement des voix off d’un clip télévisé, à la réalisation de clubs clients ou de sites Internet couleur locale, la communication à l’international emprunte toutes les voies. A Hollywood, les studios Disney se sont même spécialisés dans la réalisation de films d’animation commerciaux, mais seulement pour les pays où la mise en scène de femmes ne fait pas scandale. Au sein des cellules marketing des multinationales, des ethnologues ont rejoint les psychologues et les sociologues. Les campagnes de pub s’y élaborent dans un constant va-et-vient entre les maisons mères et leurs filiales. Pour chaque marché et chaque produit, des fact books, sorte de bibles marketing, récapitulent les chiffres clés, études d’impact et spécificités nationales. Un solide enracinement local et une connaissance fine des modes de consommation sont ainsi au cœur de la stratégie de L’Oréal. Après avoir expérimenté ses nouvelles gammes ethniques sur les minorités des Etats-Unis, elle est partie à la conquête de l’Asie. Depuis 2005, son centre de recherche « cheveux et peaux », basé à Shangai, s’appuie sur l’expérience des marques cosmétiques locales rachetées et dépense sans compter pour la formation des employés locaux. Parce que les Chinois aussi le valent bien ! —
Retrouvez « le marketing expliqué à ma mère » sur : www.terra-economica.info terra economica
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colcanopa
dossier
Les  Mr. Propre 10 avril 2008
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Les multinationales, modèles d’écologie et de social ? Les directeurs du développement durable de ces boîtes multimillionnaires en rêvent nuit et jour. Leur « révolution verte » se fait au rythme de la Bourse, des actionnaires et des clients. « Terra Economica » les a allongés sur le divan. PAR CECILE CAZENAVE PORTRAITS PHOTO, FREDERIC STUCIN (M.Y.O.P)
ission : assurer le développement durable d’une multinationale comme Total, Suez ou Lafarge, sans bien entendu entraver sa croissance. Probabilité de réussir : faible. Les directeurs du développement durable des grandes entreprises seraient-ils suicidaires pour accepter ce genre de poste ? Surtout après la volée de bois vert qu’ils ont reçue de l’Alliance pour la planète, l’année dernière. Le collectif d’ONG avait montré au grand jour que les publicités d’une dizaine de très gros groupes abusaient d’arguments environnementaux dans leurs messages. Terra Economica a voulu en savoir
re » du CAC 40 terra economica
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dossier davantage sur ces hommes et ces femmes qui pilotent les départements développement durable. Pour cela, nous avons pénétré le cœur de ces multinationales et interrogé les messieurs Propres du XXIe siècle. Le grand public peut les juger communicants, béotiens, pompiers de service, pions de la direction ou même schizophrènes. Qu’ont-ils à dire de cette image, parfois caricaturale, qui leur colle à la peau ?
Des hommes de com’ qui incarnent la langue de bois de l’entreprise ?
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Usine Sanofi-Aventis où se fabrique un medicament contre l’obésité.
président d’Alliances, association qui accompagne les entreprises vers la responsabilité sociale : « L’Oréal est une marque grand public. L’effet retour de ce procès sur son image aurait été ravageur pour elle ! » Certains devancent même cette course à la « transparence ». Le fabricant de médicaments Sanofi-Aventis a ainsi créé l’année dernière un site Internet dédié au développement durable (1). Antoni Gelonch-Villadegut, le directeur de projets développement durable, l’assure d’un accent catalan à couper au couteau : « Nous avons aujourd’hui l’obligation de rendre des comptes à une société de plus en plus exigeante. Et ne pas le faire sera pénalisant pour l’entreprise. » Du coup, interrogé sur l’augmentation des émissions de CO2 de ses visiteurs médicaux (+ 6 % entre 2005 et 2006), il répond, du tac au tac, qu’un programme de voitures hybrides a été lancé aux Etats-Unis et au Japon. A chaque point noir, une réponse verte est dégainée. « Les entreprises sont conscientes que c’est une communication à risque. Mais le cercle est désormais en-
clenché, elles sont obligées de le suivre », explique Anne-Catherine Husson- Traoré, de Novethic, site d’informations sur la responsabilité sociétale. « Le problème, c’est que les entreprises ont tendance à ne communiquer que sur les bonnes pratiques. Or, une recherche sincère sur le développement durable doit mettre en avant les tensions », objecte sœur Cécile Renouard, docteur en philosophie politique, qui a longuement enquêté, en Afrique, au cœur de multinationales Total, Michelin ou Lafarge.
Des néophytes en développement durable et des postes prétexte ? Quel est le pedigree de ces M. Propres ? Ils affichent en moyenne la cinquantaine au compteur. Viennent de la direction de sites ou de filiales à l’étranger. Sont d’anciens directeurs de recherche scientifique ou des ressources humaines. Quelques responsables de la qualité, aussi, ou directeurs de la communication. Tous possèdent un point commun : « Ce Suite page 15
wim klerkx / rea
« Un développement durable, équilibré, responsable », « respect des hommes », « préservation des ressources », « monde meilleur ». Les rapports de développement durable des entreprises cotées en Bourse et membres du CAC 40 ressemblent à un guide touristique du pays de Cocagne. Obligatoires depuis la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) de 2001, ces documents ne constituent que la photographie annuelle des indicateurs sociaux et environnementaux d’une société (lire aussi page 15). La loi NRE ne contraint en effet à aucun engagement d’amélioration. « Les rapports de développement durable, c’est bien, mais personne ne les lit. Pour qu’une entreprise joue le jeu, il faut qu’elle trouve d’autres manières de rendre compte de ce qu’elle fait, par un système d’étiquetage par exemple », tacle Elisabeth Laville, fondatrice et directrice d’Utopies, un cabinet spécialisé dans le conseil en développement durable aux entreprises. Pas évident de retrouver son Latin dans ces gros rapports. La raison est élémentaire : le développement durable est une affaire, grave, d’image. L’Oréal a vécu cette réalité en direct. Juillet 2007 : le groupe est condamné par la cour d’appel de Paris. Motif : discrimination raciale à l’embauche. La multinationale réagit aussitôt via une campagne de presse. Des pages de publicité dans lesquelles une armée de personnalités témoigne de l’ouverture à la diversité dont fait preuve L’Oréal. Rien d’étonnant pour Philippe Vasseur,
“ La difficulté, c’est de vivre les paradoxes. On sait que sans performance économique, il ne peut y avoir ni de social, ni d’environnemental. ” opérationnels un élément de plus à intégrer, sans qu’ils le perçoivent comme une contrainte non atteignable, alors qu’ils ont par ailleurs un budget à tenir. C’est un compromis à la belge ! »
CARREFOUR
assume sa schizophrénie P
our Roland Vaxelaire, le développement durable est devenu une affaire de survie. Mentale. « Aujourd’hui, nous sommes fortement schizophrènes et cette schizophrénie ne va pas pouvoir durer éternellement. Il va falloir être cohérent entre ce que l’on veut faire passer au niveau de l’entreprise et ce que l’on veut transmettre à nos propres enfants. On ne pourra pas rester dans l’inadéquation », n’hésite pas à affirmer le directeur Qualité, Responsabilité et Risques du groupe Carrefour. Après dix ans chez Nestlé suivis de huit chez Danone, l’ancien patron des activités de Carrefour en Belgique accepte, en 2003, de prendre la direction du développement durable du groupe, « à condition de coiffer aussi la direction de la qualité ». Histoire de pouvoir compter sur les 1 000 personnes de ce service : « Nous avons donné à leur fonction une dimension supplémentaire : se préoccuper du produit depuis son origine jusqu’à la manière dont il allait se détruire. » Au rang des réussites qui lui tiennent à cœur, la rétribution des fournisseurs dont les produits sont exemplaires, sur la base de critères socio-environnementaux notamment. Créés en France, il y a seize ans, ces « filières qualité » sont au nombre de 89 désormais en Amérique latine et de 41 en Asie. Une gamme « Carrefour Agir », comportant une labellisation extérieure (environnementale, sociale ou biologique), a également été lancée en 2005, obligeant parfois à créer de toutes pièces des filières de production, comme pour le café ou le quinoa. « La difficulté, c’est de vivre les paradoxes, souligne Roland Vaxelaire. On sait que sans performance économique, il ne peut pas y avoir de social ni d’environnemental. Le plus dur, c’est de donner aux directeurs
80 000 références dans un hypermarché A l’automne dernier, les murs du métro parisien se couvrent d’affiches 4x3 immanquables : « Carrefour garantit les prix les plus bas. » Un grand écart. Le rapport développement durable 2006 est limpide sur le sujet. Le groupe signale 886 produits « bio contrôlés », 367 de la « filière qualité », 232 « issus du commerce équitable » et... 9 261 produits « premier prix », le tout quand un hypermarché en France propose, en moyenne, « 80 000 références ». Mais Roland Vaxelaire y tient. « Carrefour, c’est le choix, donc à terme, nous souhaitons proposer un produit labellisé “ Agir ” dans chacune des catégories. » Celui qui confesse n’avoir jamais eu de dada dans la vie mais s’être pris de passion pour son sujet en est convaincu : « Une entreprise qui ne fera pas évoluer son modèle économique ne sera plus dans le métier dans dix ans : si les consommateurs n’en sont qu’à l’attitude, ils vont passer au comportement. » Roland Vaxelaire rêve parfois à une loi de Nouvelles régulations économiques imposée au niveau mondial. Et foi de capitaliste, le marché ferait le reste. « Nous avons lancé notre premier rapport développement durable en 2001. Du coup, en 2002, nous ne pouvions pas faire moins bien. Et quand nos concurrents ont fait leurs propres rapports, cela nous a donné l’obligation de faire encore mieux. La transparence est un formidable levier et le meilleur garant de nos progrès .»
fiche d’identité secteur : distribution. CHIFFRE D’AFFAIRES (2007) : 82,148 milliards euros. BEnEfice : 2,229 milliards euros. NOMBRE DE SALARIES : 456 000. CELLULE DEVELOPPEMENT DURABLE : 5 personnes. PAPIER (quantité utilisée pour les publications commerciales) : 267 626 tonnes. Sacs plastique (nombre distribués gratuitement en caisse) : 4,617 milliards. AUTOEVALUATION « VERTE » : 7/10.
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“ Le développement et la soutenabilité sont, d’une certaine manière, antagonistes. ” lignes directrices volontaires en matière de maîtrise des impacts environnementaux et sociaux des financements de projets. Nous ne les avons pas signés, mais nous sommes conformes à ces principes dans tous les projets que nous cofinançons avec les signataires. Leader mondial de financement de grands projets, nous sommes l’une des banques les moins critiquées par les ONG dans ce domaine.
BNP-PARIBAS
décline l’utopie D
epuis la mise en place d’une direction du développement durable chez BNP-Paribas, en 2002, quels ont été les changements les plus spectaculaires de l’entreprise ? Jean Favarel : Il n’y a eu aucune rupture dans la façon dont le groupe assume sa responsabilité sociale. Mais le fait de mieux formaliser notre responsabilité environnementale était nouveau. Quand il a fallu faire le premier bilan CO2 du groupe, je ne vous cache pas qu’il a fallu dépenser des trésors d’argumentation pour montrer que ça avait du sens dans une banque. Avez-vous un objectif chiffré et daté de réduction d’émissions de gaz à effet de serre ? Nos objectifs sont qualitatifs. Depuis quelques années, notre taux de croissance annuel est trop élevé pour qu’on puisse déterminer un objectif chiffré en valeur absolue. En revanche, nous souhaitons décorréler notre taux de croissance de l’évolution des rejets de CO2 par salarié et, quand on le pourra, on réduira ce ratio. Mais la composante majeure du bilan CO2 d’une banque correspond aux transports professionnels des salariés. Et nous, nous ne savons pas faire de la croissance sur tous les continents sans que les managers continuent à bouger, même en optimisant tous nos postes de vidéoconférence. Un objectif facteur 4 à l’horizon 2050 n’a pas de sens pour nous. Dans une entreprise, on ne va pas à ce rythme-là. Menez-vous une réflexion sur vos investissements énergétiques et la responsabilité environnementale indirecte qui en découle ? Dans le financement de grands projets, la responsabilité des banques est de nature particulière. C’est la raison pour laquelle ont été rédigés les principes d’Equateur, il s’agit d’un ensemble de 14 avril 2008
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A terme, imaginez-vous que la prise en compte du développement durable puisse changer votre modèle économique ? Non ! C’est une illusion. Dans une entreprise, le principe de réalité s’impose par rapport à l’utopie. La réalité du développement durable, c’est la nécessité de faire des choix difficiles. Le développement et la soutenabilité sont, d’une certaine manière, antagonistes. Si on ne comprend pas ça, on risque de rêver longtemps. Nous restons donc dans une approche extrêmement réaliste et pragmatique du développement durable. Quelle mesure politique en ce domaine vous semble prioritaire ? Il ne faut pas rêver à des révolutions. Mais la création du marché européen des quotas d’émission de CO2 reste, pour moi, un big bang. Bien sûr, il faudra qu’il se rapproche de ses homologues nord-américains pour créer un marché mondial. L’avenir est là, nous avons donc fait le choix d’être un intervenant majeur sur ce marché. A partir du moment où la tonne de CO2 a une valeur monétaire, nous, on peut gérer et proposer à nos clients des produits pour bien gérer cette contrainte.
fiche d’identité secteur : banque. Produit net bancaire (2007) : 31,037 milliards d’euros. REsultat net (part du groupe) : 7,822 milliards d’euros. NOMBRE DE SALARIES : 162 700 collaborateurs. CELLULE DEVELOPPEMENT DURABLE : un permanent et « quelques collaborateurs ». Emissions de CO2 indirectes (2005) : 200 gigatonnes (1) Financements EnergEtiques (2005): 9,047 milliards d’euros au total dont 5,916 milliards dans le secteur pétrolier et gazier, 2,551 milliards dans la production d’électricité, 580 millions dans le secteur éolien (2). AUTOEVALUATION « VERTE » : refuse de se donner une note. (1) source : rapport des Amis de la Terre, Banques françaises, banques fossiles ?, 2007. (2) source : Les Amis de la Terre.
dossier Des pompiers de service qui ne « sortent » qu’en cas de crise ?
patrick tourneboeuf / tendance floue
Salle de jeux dans une école près de Cherbourg. Vivendi mène une réflexion sur la violence de certains jeux vidéos.
sont des hommes du sérail », insiste Jean Favarel, directeur du développement durable de BNP-Paribas. Bref, ils connaissent par cœur la maison et surtout leur produit. Car c’est la grande difficulté du secteur : il n’existe pas un seul développement durable, mais une panoplie. Chez Carrefour, on parle plutôt diminution des emballages ; chez Lafarge, ajout de cendres volantes dans la production de ciment ; chez LVMH, transport par péniche plutôt que semiremorques. D’ailleurs, lorsqu’on leur demande de citer une entreprise verte modèle, les M. Propres rechignent à regarder vers d’autres secteurs que le leur. « Chacun son business, les réponses aux enjeux sont différents », lâche Stéphane Quéré, directeur du développement durable chez Suez. « Le CAC 40 n’est pas une classe, renchérit Anne-Catherine Husson- Traoré. Les politiques sont très différentes d’un pays à l’autre. Certaines multinationales sont bonnes sur le changement climatique, d’autres sur la diversité. Très
rares sont celles qui possèdent une approche globale de la question. » Certains groupes peinent d’ailleurs à trouver leur place dans le paysage du « développement durable », qui rime trop souvent avec « changement climatique » chez les consommateurs. « Il n’y a pas que l’écologie, mais aussi des enjeux dans la diversité culturelle, le partage des connaissances et la prise en compte de l’impact des médias », défend Pascale Thumerelle, directrice du développement durable de Vivendi. Chez l’industriel du divertissement, on propose par exemple une option de contrôle parental sur World of Warcraft, le jeu en réseau aux 10 millions de fans dans le monde. Paradoxe : les cellules développement durable de ces multinationales sont microscopiques. Au minimum, un homme visible et « quelques collaborateurs ». Au mieux, une dizaine de cadres. « Notre rôle est de jouer les catalyseurs », se défend Bernard Giraud, directeur du développement durable et de la responsabilité sociale de Danone.
Les crises secouent sans conteste le cocotier. Les catastrophes de l’Erika puis d’AZF ont, par exemple, servi de détonateurs pour les premiers engagements durables de Total. « Le groupe a effectivement mis en place une vraie politique de développement durable à son échelle de pétrolier, constate l’observatrice attentive Anne-Catherine Husson-Traoré. Globalement, c’est la pression qui fait bouger les choses. Mais en France, on manque encore d’aiguillons. » Les Néerlandais ont moins froid aux yeux. Le fonds de pension hollandais PGGM s’est permis de liquider les 37 millions d’euros investis dans le capital de Petrochina, au motif que le pétrolier chinois apportait des revenus au gouvernement soudanais accusé de violations des droits de l’homme. En France, les campagnes d’ONG, comme celles des Amis de la terre sur le secteur financier ou du WWF sur le thon rouge sont restées assez confidentielles. Peu relayée par les médias, ce type de mobilisation laisse en général les entreprises de marbre. Mais en fait, le travail de M. Propre ne consiste pas tant à recoller Suite page 16
La loi NRE, kesako ? Depuis la loi sur les Nouvelles régulations économiques (NRE) de mai 2001 et son article 116, les entreprises, cotées en Bourse et de droit français, doivent préciser dans leur rapport d’activité annuel la manière dont elles prennent en compte les conséquences sociales et environnementales de leurs activités. Deux décrets parus en 2002 détaillent la liste des informations devant être fournies : effectifs, formation, hygiène, sécurité, parité, handicapés, filiales, sous-traitants, lien au territoire, émissions de gaz à effet de serre, de substances toxiques ou radioactives...
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Vignobles dans la vallée de Barossa en Australie. Pernod-Ricard est le plus gros importateur de vins du pays.
concurrents, rappelle Vincent Jacques Le Seigneur. A l’avenir, les normes vont devenir extrêmement contraignantes. Mais les “ gros ” les auront anticipées. » Reste que, dans certains domaines, le développement durable n’est pas encore considéré comme un facteur de risque. Le flou est notamment presque total sur les activités – polluantes ou pas – financées par les fonds bancaires. « Si on ne veut pas se contenter de juger une banque sur la consommation d’énergie de ses bureaux ou l’impression recto-verso des documents de travail, il faut identifier d’autres critères, réclame Jean-Pierre Bompard, secrétaire confédéral CFDT. A part le risque de faillite, il n’y a aujourd’hui aucune pression sur les banques ! »
Des hommes qui sont pieds et poings liés avec la direction ? A les écouter, les M. Propres n’ont jamais été autant pris au sérieux qu’aujourd’hui. Dans les faits, la majorité des directeurs interrogés dépendent du directeur gé-
néral, voire du pédégé. Certaines entreprises se sont même dotées de comités spécialisés au sein du conseil d’administration. L’enjeu est de taille. Les investisseurs ont en effet les yeux rivés sur une nouvelle génération d’indices boursiers « éthiques » comme l’Aspi Eurozone, le Dow Jones Sustainability Index ou le FTSE4Good. Pour y entrer, les entreprises doivent se soumettre aux enquêtes d’agences de notation extrafinancières comme la française Vigeo, la suisse SAM ou la britannique Eiris. Apparues à la fin des années 1990, celles-ci dressent les portraits-robots des multinationales à partir de critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance (émissions de CO2, parité hommes-femmes, relations avec les fournisseurs, accidents du travail, rejets de déchets…). Pour ne pas rater le coche, les entreprises ont donc dû rassembler des données chiffrées auparavant inexistantes. « Au début, nous obtenions des informations dispersées, généralement Suite page 19
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les morceaux après une crise que de tout faire pour éviter qu’elle éclate. Il doit anticiper. Imaginer le fonctionnement de sa boîte dans un monde réchauffé, limité en matières premières, surpeuplé, asséché. Et faire en sorte qu’elle aille plus vite que les autres dans un monde à la réglementation grandissante. Premier exportateur de vin australien, Pernod-Ricard suit à la loupe les effets du changement climatique dans ce pays. Lors des grandes sécheresses, il doit en effet faire parfois parcourir 300 kilomètres à l’eau pour irriguer les vignobles. Dans un souci d’optimisation, le groupe a donc choisi une irrigation au goutte-à-goutte. Cette mesure, parmi d’autres, a permis de diminuer de 9,9 % la consommation d’eau globale de l’entreprise sur un an. « En 2000, les gens ouvraient des yeux ronds quand on parlait changement climatique, se souvient Patrice Robichon, délégué au développement durable. Mais plus personne ne pose aujourd’hui la question : la non-prise en compte de ces phénomènes se traduirait immédiatement par une augmentation des risques pour l’entreprise. » Le danger peut d’ailleurs prendre des formes très diverses. Orange anticipe ainsi l’arrivée massive du porno sur les portables, eux-mêmes de plus en plus utilisés par les très jeunes. L’opérateur investit actuellement plusieurs centaines de millions d’euros pour équiper les serveurs de filtres alors qu’aucune loi ne l’y contraint encore. Pour Vincent Jacques Le Seigneur, secrétaire général de l’Institut national de l’énergie solaire (Ines) et enseignant à Science-Po, anticiper les risques est une question de survie pour les boîtes. L’histoire ne fait que se répéter. Dans les années 1990, gouvernements et opinions publiques s’inquiétaient des effets des gaz CFC sur la couche d’ozone. Paradoxe, le chimiste DuPont de Nemours, principal producteur de ces gaz, était également celui qui militait pour leur interdiction. « Logique : au moment de l’interdiction, ils avaient déjà mis au point des gaz remplaçants et ainsi éliminé tous leurs potentiels
“ On peut encore faire baisser de 25 % le coefficent de résistance des pneus dans les dix ans à venir. ”
point tous les jours une innovation comme celle de 1992 ! On peut cependant encore faire baisser de 25 % le coefficient de résistance au roulement dans les dix ans à venir. » L’entreprise investit 3,6 % de son chiffre d’affaires dans la recherche et développement, soit un peu plus de 570 millions d’euros en 2007.
fignole sa technique Q MICHELIN
uand on lui demande si la création de la Tata, la petite cylindrée indienne à 1 700 euros pièce, est une bonne nouvelle pour la planète, Jacques Toraille, directeur de la Performance et de la Responsabilité chez Michelin, hésite à s’emballer. Le fabricant de pneus estime que le parc de véhicules routiers mondial devrait doubler à l’horizon 2030, passant de 800 millions à 1,6 milliard de véhicules. Une excellente nouvelle version performance économique. Un vaste champ de caoutchouc version responsabilité environnementale. Car, si du côté des usines, les objectifs en matière de développement durable sont facilement chiffrables – 7 % d’économies d’énergie entre 2005 et 2011, et 10 % de réduction des émissions de CO2 sur la même période –, la mesure de la responsabilité indirecte du fabricant est plus floue. Michelin a calculé que la part du pneu dans la consommation de carburant, et donc des émissions de CO2 associées, est de 20 % pour une voiture et de 35 % pour un poids lourd. C’est ce petit tiers de responsabilité qui figure dans la ligne de mire de Jacques Toraille. Son arme : une gamme de pneus technologiquement très performants, offrant une résistance au roulement plus faible et donc participant à une réduction de la consommation de carburant. Lancé en 1992, le « Pneu vert » en est à sa quatrième génération : « energy saver » a été présenté l’automne dernier. En 2006, trois pneus de tourisme sur quatre vendus par le manufacturier en Europe et deux sur trois dans le monde étaient « verts ». Michelin estime que si les 220 millions de voitures du parc européen en étaient équipées, contre la moitié seulement aujourd’hui, le gain annuel serait d’environ 3 milliards de litres de carburant, soit 7,5 millions de tonnes de CO2 épargnées. Mais Jacques Toraille joue la prudence : « On ne met pas au
Ne plus vendre du pneu mais l’usage du pneu Jacques Toraille préfère regarder le phénomène avec franchise : à plus de 100 dollars le baril de pétrole, les clients sont avant tout sensibles aux avantages économiques de ces performances technologiques. Et l’entreprise s’en sert, notamment pour attirer ceux dont la facture de carburant est un sujet hautement sensible : les conducteurs de poids lourds. L’une des pistes explorées dans ce domaine est une petite révolution économique : ne pas vendre le pneu mais l’usage du pneu. En gros, Michelin équipe un véhicule avec ses gommes, s’occupe de les entretenir, de les regonfler, de les réparer, de les changer et facture ce service chaque mois au nombre de kilomètres parcourus. « C’est ce qu’on appelle une économie de fonctionnalité. Le gros avantage dans une perspective de développement durable, c’est que notre propre intérêt est aussi que le pneu dure le plus longtemps possible. Car plus le pneu va durer, plus le prix de revient au kilomètre va baisser et plus l’entreprise va gagner de l’argent. C’est un modèle dans lequel la durée de vie du produit apporte un plus au fabricant du produit », se félicite Jacques Toraille. Michelin s’enorgueillit des 300 000 poids lourds passés sous ce type de contrat et tente d’approcher les flottes de location des commerciaux d’entreprises. Son directeur du Développement durable rappelle, lui, que, selon son mode de conduite, on peut facilement gagner un litre au cent kilomètres !
fiche d’identité secteur : pneumatiques. CHIFFRE D’AFFAIRES (2007) : 16,867 milliards d’euros. BEnEfice : 774 millions d’euros. NOMBRE DE SALARIES : 120 000. CELLULE DEVELOPPEMENT DURABLE. : 5 personnes. PRODUCTION : 190 millions de pneus. EAU (consommation) : 14,9 m3 par tonne de produit fini. ENERGIE (consommation) : 17,2 GJ par tonne de produit fini. CO2 (émissions) : 1,48 tonne par tonne de produit fini. AUTOEVALUATION « VERTE » : 7 à 8/10.
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“ Le WWF nous fait progresser plus vite que si nous étions seuls. L’ONG risque peut-être sa crédibilité, mais le résultat vaut le coup. ”
dissèque son béton V LAFARGE
ous êtes directeur du Développement durable et des Affaires publiques. Pourquoi cette double casquette ? Olivier Luneau : C’est pour s’assurer que nos activités de lobby soient en ligne avec ce qu’on dit vouloir faire en matière de développement durable. Lafarge doit être probablement l’une des seules boîtes du CAC 40 à afficher ses positions publiques sur son site. On s’assure ainsi que je ne fais pas un écart absolument impossible à tenir. Tous les patrons d’unités dans le monde ont le CO2 sur leur radar !
Lafarge a annoncé des objectifs de réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par tonne de ciment d’ici à 2010. Où en êtes-vous ? On va y arriver ! Nous en sommes à 16 %, soit encore 4 points à gagner en trois ans. Mais les pays émergents dans lesquels nous sommes implantés sont dans une croissance extrêmement rapide. Dans ces régions, on ne peut pas avoir d’engagement en matière absolue. D’abord parce qu’on continue à faire des acquisitions et à construire des usines, mais aussi parce que la demande est forte. Les vingt usines achetées en Chine sont en mauvais état et je peux vous dire que ça pèse sur nos performances environnementales ! Nous allons les moderniser, mais en attendant, on est transparents : on intègre leur impact environnemental. Depuis 2000, vous avez signé un partenariat avec l’ONG WWF. Peu d’entreprises acceptent de travailler sur leur terrain avec des experts extérieurs. Mais le fait de rémunérer l’organisation peut semer le doute sur la validité de son expertise... C’est un partenariat de travail. Face à nos ingénieurs, le WWF aligne une série d’experts, très bons. Ils nous aident à progresser 18 avril 2008
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dans les domaines définis dans l’accord cadre : CO2, réhabilitation de carrière, biodiversité. Les discussions sont animées, et ce type de relation est risqué. Mais nous considérons que le WWF nous fait progresser plus vite que si nous restions seuls. Et plus vite que nos concurents. En matière de CO2, nous avons été les premiers de notre industrie à prendre un engagement volontaire de réduction. Aujourd’hui, 17 autres grands cimentiers mondiaux se sont engagés dans la même voie, avec une date de départ, un pourcentage de réduction et une date d’arrivée. Le WWF risque peut-être sa crédibilité, mais le résultat vaut le coup. En Bretagne, un collectif d’associations s’oppose à votre projet d’extraction de sable au large du Morbihan. Comment réagissezvous à ce conflit ? Le contexte est important. En Bretagne, il n’y a plus que six ans de réserves de sable exploitable sur terre. Or, c’est la région dans laquelle le niveau de consommation des matériaux pour les constructions est aujourd’hui le plus élevé. Si on fait venir du sable d’autres régions françaises, cela pourrait représenter 1 000 camions par jour, soit un désastre environnemental. Nous avons donc demandé un permis exclusif de recherche, valable jusqu’en 2009, afin de mener des études et de déposer, éventuellement, une demande de concession pour extraire des granulats marins. Pour l’instant, nous avons pris 50 kilos de sable pour en analyser les propriétés et des experts évaluent les conséquences de ce projet sur l’environnement. Bruno Lafont, le pédégé, a assuré que si ce projet représentait un quelconque risque pour l’environnement, il l’arrêterait.
fiche d’identité
secteur : ciment, granulats, béton. CHIFFRE D’AFFAIRES (2007) : 17,614 milliards d’euros. BEnEfice : 2,156 milliards d’euros. IMPLANTATION : 70 pays. NOMBRE DE SALARIES : 71 000. CELLULE DEVELOPPEMENT DURABLE. : 8 personnes. CO2 (EMISSIONS) : 93,5 millions de tonnes. EAU : 355 litres par tonne de ciment, pour 143 millions de tonnes produites. Investissements (environnement et sécurité) : 148 millions d’euros. AUTOEVALUATION « VERTE » : 5/10.
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maisonneuve / sipa
Manifestation contre l’extraction de sable marin par Lafarge dans la baie d’Etel, à Erdeven, en mars 2007.
sur les bonnes pratiques. On était loin d’une remontée systématique et structurée. Aujourd’hui, ces outils internes existent de plus de plus ! », remarque Nicole Notat, ancienne syndicaliste et fondatrice de Vigeo. Le leader européen de la notation extrafinancière a ausculté cette année 650 multinationales. Au début des années 2000, toutes n’y étaient pas préparées. Stéphane Quéré, du département du développement durable de Suez, a même été débauché de son poste de directeur général de Paris Première pour s’attaquer aux indicateurs. « Il ne s’agit pas d’une action philanthropique, mais de management ! », affirme-t-il. Mais là encore, les indicateurs manquent parfois de précision. Direction Vivendi. Secteur du divertissement. Pascale Thumerelle s’avoue incapable de donner
le nombre d’heures de programmes consacrées au développement durable : « J’ai par genre, mais pas par contenu. Ça reste très difficile à mesurer. » Dans d’autres groupes, on agite la carotte salariale. Cette année, chez Danone, plus d’un tiers des bonus des comités de direction sont ainsi liés à des objectifs durables. « Cela signifie que, derrière, on met en place des outils de mesure de cette dimension et donc on avance ! », justifie Bernard Giraud. Dans l’attirail du leader mondial de l’agroalimentaire, figure Danone Way, une charte de management permettant à chaque filiale de s’autoévaluer sur des critères environnementaux ou sociaux. Mais si les M. Propres ont l’oreille de leur pédégé, c’est surtout parce que leurs actions se traduisent chaque jour en éco-
nomies d’énergie, et donc en économies tout court. Vallourec, leader mondial du tube sans soudure, qui brasse des tonnes de litres d’eau pour fabriquer son acier, a diminué sa consommation de 35 % par tonne en cinq ans. Comment ? En recyclant notamment l’eau utilisée lors de certaines étapes de la fabrication. Chez Orange, qui développe ses activités de transmission à haut débit, on parie sur la ventilation des centraux des serveurs informatiques. « Ce nouveau système fonctionne à partir de la fraîcheur nocturne de l’air extérieur et de l’inertie thermique du bâtiment. Il ne coûte pratiquement rien, mais permet de réduire d’un facteur six à sept la consommation d’énergie par rapport à une climatisation classique », détaille Gentiane Weil, au siège parisien du Suite page 20 groupe. terra economica
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dossier In fine, tous de grands schizophrènes ?
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Une plateforme pétrolière Total, au large des côtes angolaises, en 2003.
tir 100 nouveaux produits par an, mais pas de changer les manières de faire de 100 000 personnes en un coup de baguette magique. Pour convertir Accor, et ses 170 000 salariés, Hélène Roques a lancé une journée annuelle du développement durable. Le rendez-vous n’a, selon elle, rien d’un gadget pour un groupe présent dans plus de 100 pays et où 99 % du personnel est local. « On ne peut pas Pour aller plus loin
Le site d’informations Novethic : www.novethic.fr Le cabinet de conseil Utopies : www.utopies.com Alliances : www.alliances-asso.org L’agence de notations Vigeo : www.vigeo.com/csr-rating-agency Un monde possible : les acteurs privés face à l’injustice, sœur Cécile Renouard, éd. du Seuil, coll. L’histoire immédiate, 2008.
parler de la prévention contre le sida de la même manière à New York, à Dubaï, à Bamako ou à Shanghai, insiste-t-elle. Il y a des barrières culturelles considérables qui nous poussent à adapter notre calendrier de mise en route. » De la patience, c’est ce que Sylvie Benard, directrice environnement de LVMH, met en avant : « Entre le moment où l’on dit qu’il faut que la situation change, le moment où les gens l’ont intégré et sa mise en route, il faut deux à cinq ans : c’est humain .» Le groupe de luxe, qui regroupe plus de 60 marques et plus de 70 000 salariés, sort 900 produits cosmétiques nouveaux par an, et, pour l’instant, pas un seul « bio ». Depuis son bureau de Boulogne, au siège, Sylvie Benard, ingénieur agronome de formation et convertie de la première heure, voit pourtant ses efforts faire tache d’huile. Pour acheminer ses sacs par bateau « 85 fois moins émetteur de gaz à effet de serre que l’avion » vers ses 500 magasins dans le monde, la marque Suite page 23
martin bureau / afp
Décembre 2007. Le groupe ArcelorMittal n’hésite pas à faire du chantage auprès de la région wallonne, en Belgique. La multinationale ne relancera son usine de Seraing et ne prolongera la vie de deux autres unités au-delà de 2009 qu’en échange de quotas de CO2 gratuits. Tant pis si le numéro un mondial de la sidérurgie vient d’annoncer un bénéfice net de 10,36 milliards de dollars pour 2007. Derrière lui, ouvriers et opinion publique s’asseoient sur l’effet de serre. « Le poids du chômage est tel que tout le monde fait corps pour que le haut-fourneau redémarre ! Penser développement durable, c’est un bouleversement et ça ne se passera pas dans la béatitude. Si on ne veut pas avoir le couteau sous la gorge, il faut anticiper sur la technologie, sur la mutation professionnelle, sur la formation », s’enflamme Jean-Pierre Bompard, secrétaire confédéral CFDT en charge des questions d’environnement. Car pas de miracle : sans rentabilité immédiate, pas de marge de manœuvre. Et quand cette rentabilité chancelle, c’est le développement durable qui trinque. Mais là aussi les choses bougent. Il y a quelques mois, le cabinet d’audit PriceWaterhouseCoopers publiait une étude sur l’importance, en France, des politiques de responsabilité sociale de l’entreprise, réalisée auprès de quarante administrateurs. « 73 % estimaient que l’absence d’une telle politique faisait courir un risque au cours de Bourse. Même la rentabilité immédiate prend donc désormais en compte la responsabilité sociale et environnementale ! » remarque, optimiste, Philippe Vasseur, d’Alliances. La schizophrénie devient moins « douloureuse » à mesure que le développement durable pénètre la culture d’entreprise. Pour Philippe Vasseur, « il est évident que la loi ne suffit pas. L’entreprise doit s’investir au-delà. Regardez la réglementation sur les handicapés : les entreprises préfèrent payer l’amende plutôt que de les embaucher. » Une multinationale est capable de sor-
“ Le groupe est avant tout un groupe d’hydrocarbures et il va le rester pendant un certain nombre d’années. ” métier de pétrolier pour celui d’énergéticien. « Le groupe est avant tout un groupe d’hydrocarbures et il va le rester pendant un certain nombre d’années, le temps que les énergies renouvelables trouvent leur rythme de croissance et acquièrent des tailles significatives » , assène-t-il.
raffole de son pétrole D TOTAL
e son propre aveu, il y a une expression que Jean-Michel Gires aime bien : « les douze travaux d’Hercule ». De son propre aveu toujours, le tout est de savoir s’il en est au deuxième ou au troisième. La tâche est certes de taille pour le directeur du Développement durable de Total débauché, en 2002, de son poste de directeur des activités au Venezuela, par un Thierry Desmarest qui cherchait quelqu’un de « suffisamment légitime au sein du groupe pour attaquer des sujets pas simples qui allaient franchement nous interpeller et être débattus visà-vis de l’extérieur, quelqu’un qui n’ait pas froid aux yeux non plus », se rappelle Jean-Michel Gires. A la tête d’une direction de 21 personnes pour 95 000 salariés, ce qui en fait l’un des plus grosses du CAC 40, l’homme estime avoir, en cinq ans, surtout « appris à mieux formuler les réponses de Total face aux défis du développement durable ». Trois ans après la catastrophe de l’Erika et un an à peine après l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, le goudron collait en effet aux semelles du pétrolier. Soucieux de reverdir son image, le groupe avait alors lancé une campagne de publicité intitulée « Pour vous, notre énergie est inépuisable », montrant notamment des éoliennes, et épinglée par le regroupement d’ONG Alliance pour la planète. En 2006, Total aurait investi près de 25 millions d’euros dans le monde pour afficher ce nouveau positionnement. Un chiffre à comparer avec ses investissements dans les énergies renouvelables, estimés par l’ONG les Amis de la terre à quelques dizaines de millions d’euros. « On va bientôt s’approcher de quelque chose à trois chiffres significatifs, répond prudemment Jean-Michel Gires. C’est encore assez modeste, mais ça se développe extrêmement rapidement.» Pas question pour autant pour le directeur Développement durable, plus réaliste que les campagnes publicitaires, de faire passer son
Ruée vers les « extra-lourds » Le 13 février, le groupe annonçait un bénéfice 2007 de plus de 12 milliards d’euros et une croissance de sa production d’hydrocarbures de 1,5 %. Christophe de Margerie, directeur général, le souligne dans l’ouverture du rapport développement durable 2006 : la consommation de combustibles fossiles devrait, selon les experts, être dans vingt-cinq ans de 20 % à 50 % supérieure à celle d’aujourd’hui. Et, à l’heure où le pétrole conventionnel disponible devient perle rare, l’entreprise investit donc dans des exploitations plus difficiles, fortement critiquées par les ONG, comme les sables bitumineux de l’Athabasca au Canada. Des hydrocarbures appelés « extra-lourds », « dont l’extraction produit trois fois plus d’émission de gaz à effet de serre que l’exploitation d’un pétrole de bonne qualité », selon l’ONG Les Amis de la Terre. Jean-Michel Gires, responsable jusqu’à son arrivée à ce poste, d’un projet similaire, Sincor, au Venezuela, connaît bien ce genre de bitume : « L’état de l’art sur les technologies qu’on est amené à utiliser dans cette première phase n’est pas aussi catastrophique que ce qu’on évoque. Le pétrole étant plus visqueux, il faut dépenser plus d’énergie pour le sortir du sol et le transformer. Mais nous menons un gros travail de recherche pour trouver des procédés plus performants au niveau environnemental. Cependant, rien n’est gratuit, l’ empreinte environnementale de ce type de production n’est pas nulle. »
fiche d’identité secteur : raffinage, distribution, chimie de base, exploitation d’hydrocarbures. CHIFFRE D’AFFAIRES (2007) : 158,7 milliards d’euros. BEnEfice : 12,2 milliards d’euros. IMPLANTATION :130 pays. NOMBRE DE SALARIES : 95 000. CELLULE DEVELOPPEMENT DURABLE : 21 personnes. GAZ A EFFET DE SERRE (émissions) : 57,8 millions tonnes equivalent CO2/an. Rejets d’hydrocarbures :1 476 tonnes par an. Déversements accidentels d’hydrocarbure : 1 640 m3. AUTOEVALUATION « VERTE » : refuse de s’attribuer une note.
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“ En 2007, les économies représentaient 130 millions de dollars pour l’électricité et 25 millions pour l’eau. ”
STMICROELECTRONICS
déguste ses économies
Quand avez-vous commencé à mettre en place une politique de développement durable dans l’entreprise ? Georges Auguste : Nous avons commencé le travail dès 1994 en rédigeant notre Décalogue sous l’impulsion du président de l’époque qui y croyait beaucoup. Et, ce fut presque plus facile que prévu. Au départ, il y avait surtout une optique écologique mais la rentabilité des actions a été immédiatement perceptible. En douze ans, nous avons diminué notre consommation d’énergie par unité produite de 47 % et diminué nos émissions de CO2 de 61 %. Quelles sont les grandes réussites de votre programme ? La créativité de nos employés ! Les économies d’énergie sont l’un des grands enjeux dans notre industrie. Un exemple : des échangeurs thermiques qui sont essentiels pour abaisser la température de l’eau utilisée dans les circuits de refroidissement des équipements. Avec le temps, des dépôts dans les tuyaux diminuent leur efficacité. Dans notre unité de Singapour, nous avons eu l’idée d’introduire de petites balles en caoutchouc, à peine plus grosses que le diamètre des tuyaux, qui les raclent en permanence. Ça ne coûte presque rien, mais génère des économies de 500 000 à 1 million de dollars par an. Ces investissements sont en général rentabilisés en deux ou trois ans maximum ! Que représente la part du développement durable dans vos investissements? En moyenne, 1 % à 2 % de nos investissements globaux sont destinés à des équipements pour l’environnement, ce qui 22 avril 2008
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représente 10 à 50 millions de dollars, selon les années. Nous mesurons les coûts relatifs à l’environnement et les économies réalisées. Chaque année, on fait la balance. Côté coûts, c’est environ 30 millions de dollars en déplacements, en personnel, en frais d’audit... En 2007, les économies représentaient 130 millions de dollars pour l’électricité, 25 millions pour l’eau, 80 millions pour les produits chimiques, donc un total de plus de 235 millions de dollars économisés pour l’entreprise ! Dans quels domaines, estimez-vous ne pas avoir avancé assez vite ? Sur les équipements eux-mêmes. Jusqu’à présent, les équipementiers étaient focalisés sur la performance technique. Mais au cours de réunions à l’échelle mondiale, nous avons insisté pour qu’ils essayent d’optimiser les consommations énergétiques de leurs machines. Et ils nous ont écoutés tout simplement parce nos concurrents sont sur la même position que nous. Ils doivent donc désormais tenir compte des demandes d’une industrie globale ! Avez-vous une réflexion sur l’impact de votre activité propre ? Il y a dix ans, ce n’était pas le cas. Mais depuis trois ans, nous mettons l’accent sur des produits conçus pour réduire la consommation d’énergie des applications finales. Par exemple, STMicroelectronics a récemment introduit les premiers circuits de commande de diodes haute luminosité dotés de fonctions d’économie d’énergie automatique. Dans les applications d’éclairage, de signalisation et de transport, ce produit assure des économies de 80 % par rapport à ce qui existe. Développer des circuits qui contribuent à réduire la consommation d’énergie dans le monde, ça crée des marchés et c’est bénéfique à l’image de l’entreprise. Donc, c’est bon pour tout le monde.
fiche d’identité secteur : semi-conducteurs. CHIFFRE D’AFFAIRES (2007) : 6, 766 milliards d’euros. BEnEfice : 455 millions d’euros. NOMBRE DE SALARIES : 50 000. CELLULE DEVELOPPEMENT DURABLE. : 8 personnes. ELECTRICITE (consommation) : 2 469 GWh en 2006. EAU : 22,215 millions de m3. PRODUITS CHIMIQUES (consommation) : 21,378 millions tonnes. AUTOEVALUATION « VERTE » : 8 ou 9/10.
dossier hôtelier, dont le métier est de dire oui à tout le monde », explique-t-elle. Aujourd’hui, 6 000 employés, dans près de 40 pays, ont été formés, en partenariat avec l’ONG internationale Ecpat. « C’est la politique des petits cailloux qui a fonctionné », insiste Hélène Roques. Mais les voyants ne sont pas toujours au vert. Alors que les 500 hôtels Etap et Formule 1 ne proposent plus que du thé ou du café issus du commerce équitable, la généralisation aux 4 000 établissements du groupe reste inenvisageable pour l’instant, « faute de filières », justifie l’entreprise. « En Grèce, nos hôtels voulaient mettre en place une offre équitable pour les Jeux olympiques. Nous n’avons jamais réussi à les faire livrer ! Les produits issus du commerce équitable ne sont pas disponibles partout. »
Magasin Vuitton sur les Champs-Elysées. La marque de luxe a créé une plateforme logistique HQE en banlieue parisienne.
Louis Vuitton a, par exemple, réorganisé toute sa logistique.
hamilton / rea
Des hommes qui resteront toujours à la marge dans l’entreprise ? Les M. Propres ne sont pas des révolutionnaires. « Le business reste prioritaire, nous ne sommes pas une ONG. Notre objectif, c’est aussi d’être performant pour pouvoir continuer à embaucher tous les ans », insiste Laurent Claquin, directeur du développement durable du groupe de luxe Pinault Printemps Redoute. En clair, production de masse ne rime pas forcément avec développement durable. Chez Pernod-Ricard par exemple, pas question de faire du bio dans les vignobles. « Les rendements s’effondreraient, s’exclame Patrice Robichon. Impossible de faire du zéro traitement. En revanche, nous nous dirigeons vers une agriculture raisonnée à haute valeur environnementale. » Insuffisant ! Pour Elisabeth Laville, du cabinet Utopies, le salut ne peut venir que d’un changement d’échelle. L’ensei-
gne britannique Marks & Spencer a ainsi montré la voie. En 2007, elle s’est lancée dans un vaste plan de transformation de son offre : affichage d’un symbole « avion » pour les aliments importés par voie aérienne, généralisation de la vente de café et coton bio, d’œufs non issus d’élevages industriels, y compris dans les pâtes… Si Elisabeth Laville salue certaines sociétés comme Danone ou Lafarge, le pas décisif n’a, selon elle, pas encore été franchi au sein du CAC 40. « Fondamentalement, les multinationales n’ont rien changé à leur offre ! Or ce sont elles qui jouent un rôle dans l’évolution du marché. Sans une démarche proactive de quelques groupes, il ne se passera pas grand-chose. » Quand Hélène Roques a pris la direction du développement durable chez Accor, en 2002, la politique de lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants était naissante. « Les opérationnels qui ont mené ce combat en Thaïlande dès les années 2000 étaient courageux, car ce n’est pas naturel de refuser des clients pour un
Une certitude au final. Le superman ou la wonderwoman du développement durable n’existe pas. Pour autant, les entreprises avancent au rythme de leur force de conviction. Sur le terrain, sœur Cécile Renouard l’a plus d’une fois constaté : « Ces enjeux passent par la conviction personnelle, contre la rhétorique creuse. Dans ces grands groupes, les personnalités de directeurs de sites comptent beaucoup. Certains possèdent une véritable éthique de la responsabilité et peuvent avoir un effet sur les manières de faire. » Lorsqu’on demande aux M. Propres ce que leur fonction a changé dans leur vie personnelle, beaucoup sourient. Eux, dont la mission consiste à convaincre des mastodontes industriels et des réseaux de plusieurs centaines de milliers de personnes, avouent leurs faiblesses et leurs progrès, modestes, de consommateurs et de parents. Davantage de vélo, de tri sélectif, de vigilance à éteindre l’ordinateur le soir, de ras-lebol du gâchis. Bref, des hommes et des femmes. Comme les autres. — (1) http://developpementdurable.sanofi-aventis.com
Nestlé, Monsanto, Ford... Découvrez-les sous un autre jour dans « les dessous des multinationales » sur : www.terra-economica.info terra economica
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l’économie expliquée à mon père
La France n’a pas d’ENERGIE à revendre L’Hexagone est accro à l’atome. Mais le nucléaire, qui représente la moitié de la production énergétique nationale, ne nous a pas rendus indépendants du pétrole et des vendeurs d’uranium. PAR SIMON BARTHELEMY
n France, on n’a pas de pétrole, mais une idée fixe : dépasser la barre symbolique de 50 % d’indépendance énergétique. C’est-à-dire couvrir plus de la moitié de nos besoins en énergie. L’électrochoc (pétrolier) date de 1973. A l’époque, la hausse des prix du baril décrétée par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) sonne le glas des Trente Glorieuses. Après l’indépendance de l’Algérie et de ses réserves d’hydrocarbures, et en pleine guerre froide, les dés sont jetés. Des réacteurs électronucléaires doivent épauler les barrages hydroélectriques, ainsi que les 24 avril 2008
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1 – Un résultat qui fait débat Ce fameux taux, créé en 1973, se fonde sur une « mystification », voire un « coup de bluff » selon les sceptiques. En fait, il prend en compte la production d’énergie, et non la consommation finale. « La seule – pourtant – qui ait réellement un sens en termes d’usage », pointe Yannick Jadot, de Greenpeace. « Un tel calcul ferait passer l’indépendance énergétique de la France à 29 % de ses besoins », et non à 50 %. En effet, on range dans le bilan de la production la chaleur dégagée dans les réacteurs et non les kilowattheures électriques réellement produits. Or les deux
toad / www.politicommedia.fr
gisements de gaz et de charbon moribonds. Dans la série « rayonnement de la France », l’indépendance énergétique correspondait alors au volet civil de l’arme atomique. Trente-cinq ans plus tard, alors que le prix du pétrole bat tous les records et que la guerre est devenue économique, l’argument revient en force : l’électricité nucléaire, c’est de la bombe. Lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy assurait que le futur réacteur EPR, de troisième génération, serait « la garantie de l’indépendance énergétique de notre pays ». De la Libye à la Chine, le président français est désormais le meilleur VRP de son fabricant Areva, dont l’Etat est l’actionnaire majoritaire. « Grâce notamment au progra mme électronucléaire », le baril de brut est presque « has been », s’emballe La Tribune, le 19 novembre 2007. Pour le journal financier, « la quantité de pétrole nécessaire à la croissance ne cesse de diminuer grâce au développement des activités de service, aux économies d’énergie et aux énergies nouvelles. Le taux d’indépendance énergétique de la France est ainsi passé de 23 % en 1973 à 50 % » aujourd’hui. Cocorico ? Bof. Voici trois raisons de ne pas se réjouir trop tôt :
54,5 %, la dépendance énergétique de la France, selon l’office Eurostat.
45,2 milliards d’euros, la facture énergétique de la France en 2007.
tiers de cette chaleur sont perdus lors de la conversion en énergie électrique, reconnaît l’Observatoire de l’énergie (1). De 43 % de l’énergie produite en 2006, le nucléaire ne représente plus que 21 % de l’énergie consommée. Un coup fumant. Le service des statistiques de l’Union européenne, Eurostat, qui fonde ses calculs sur la consommation, accorde donc un taux d’indépendance de 45,5 % à la France, dans la moyenne européenne, et non de 50 %. 2 – L’uranium plombe les comptes Mais il existe des calculs encore plus sévères. Les rabat-joie soulignent que, depuis la fermeture de sa dernière mine d’uranium en 2001, la France importe la totalité de ce minerai indispensable aux réacteurs nucléaires. « Si l’on prend en compte l’hydroélectricité et les énergies renouvelables, le taux d’indépendance énergétique du pays tombe de fait à 6,5 % environ », estime Yves Lenoir, de l’Ecole des mines de Paris. Richard Lavergne, secrétaire général de l’Observatoire de l’énergie, relativise : « Nous n’importons que 8 000 tonnes d’uranium, contre 140 MTEP (millions de tonnes d’équivalent pétrole) de pétrole, gaz et charbon. Mais il faut bien sûr s’assurer que nous ne dépendons pas d’un seul fournisseur. » Areva fait ainsi ses emplettes en Australie, au Canada ou bien au Niger. Dans ce dernier pays, le géant français a dû accroître son prix
Retour vers le futur
Pour aller plus loin
La Direction générale de l’énergie et des matières premières : www.industrie. gouv.fr/energie/ sommaire.htm L’association negaWatt : www.negawatt.org La revue EcoRev’ (n°10 et 20) : http://ecorev.org So watt ?, l’énergie : une affaire de citoyens, Benjamin Dessus et Hélène Gassin (éditions de l’Aube, 2005).
Pour être moins dépendante, la France mise sur deux idées dans le vent (contraire) de l’histoire. Premièrement, la renaissance de Superphénix. Cher et souvent en panne, le surgénérateur – enterré par la gauche en 1998 – fonctionne avec du combustible retraité : il pourrait prolonger la durée des gisements de deux mille cinq cent ans, contre quelques décennies actuellement. Deuxièmement, l’envolée des agrocarburants qui devraient passer de 3,5 % des ventes de carburant en 2007 à 10 % en 2015. Selon un sondage Ipsos réalisée en février, 83 % des Français pensent « que le bioéthanol permet à la France de réduire sa dépendance vis-à-vis du pétrole ». A peu près autant s’indignent de l’augmentation des prix alimentaires. Or c’est en partie la production de céréales pour le bioéthanol qui fait flamber les cours.
92 millions de tonnes de pétrole consommées par la France en 2006 (contre 82 en 1985).
d’achat de moitié, pour damer le pion à ses concurrents chinois. Comme le nombre de réacteurs dans le monde grimpe en flèche, les appétits s’aiguisent pour le « yellow cake » (l’uranium). Son prix a été multiplié par dix en quatre ans (135 dollars la livre). Selon EDF, il représenterait aujourd’hui 7 % des frais de ses centrales. 3 – Les transports détonent Troisième problème : à moins d’un démarrage à la Schumacher de la voiture électrique (14 immatriculations de voitures particulières en 2006), et bien que Bolloré ou Renault se soient lancés dans la course, nous ne sommes pas près de faire le plein au nucléaire. Or la demande liée aux transports a accéléré notre pétrodépendance : plus de la moitié du pétrole utilisé. Comme on ne trouve toujours pas l’ombre d’un derrick en France, 92 millions de tonnes de pétrole ont été importées en 2006, soit 10 MTEP de plus qu’en 1985. Avec la flambée des cours, la France a dépensé 45,2 milliards d’euros en 2007 pour importer des ressources énergétiques, y compris de gaz naturel, dont la consommation a été multipliée par trois depuis 1973. Sans ces achats, le bilan du commerce extérieur du pays ne serait pas dans le rouge. Nucléaire ou pas, l’indépendance énergétique est donc toute relative. Selon Yves Marignac, président de WISE-Paris (World Information Service on Energy), la raison est simple. Au lieu de veiller à notre consommation globale, la France a préféré produire davantage avec la fée électricité (nucléaire). A l’arrivée, notre consommation d’énergie par habitant – 4,2 tonnes équivalent pétrole par an – est supérieure à la moyenne européenne (3,6). Bruxelles veut inverser la tendance, alarmée par sa dépendance énergétique, qui pourrait atteindre 80 %, et par sa position de faiblesse envers des pays fournisseurs comme la Russie. L’Union mise notamment sur les énergies renouvelables. Pas besoin en effet d’importer du soleil ou du vent qui, c’est bien connu, ne s’arrêtent pas aux frontières. — (1) Service des statistiques du ministère de l’Energie.
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légende : une phrase courte mais précise.
Le directeur des cafés Malongo (à dr.), en Haïti en 2003.
L’équitable cherche son équilibre Quarante ans après ses débuts, le commerce équitable ne pèse que 0,01 % du commerce mondial. Rétribuer plus justement les producteurs, une mission impossible à l’échelle mondiale ? PAR KARINE LE LOËT
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C
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ertains y lisaient déjà l’avenir du commerce mondial, la recette miracle pour une mondialisation à visage humain, le moyen d’éradiquer la pauvreté et son cortège de malheurs. Son heure, pourtant, tarde à venir. Certes, plus de quarante ans après ses premiers balbutiements, le commerce équitable progresse… à vitesse fulgurante. Selon l’organisation FLO (Fairtrade Labelling Organizations) qui regroupe vingt organisations dans le monde comme Max Havelaar, les échanges équitables ont pesé 1,6 milliard d’euros en 2006. Soit 42 % de plus qu’en 2005. Aux Etats-Unis, marché de l’équitable le plus important au monde, les consomm’acteurs américains ont dépensé près de 500 millions d’euros en 2006 (+ 45 % en un an). Et chez nos voisins d’outre-Manche, 409,5 millions d’euros (+ 49 %). Mieux, quittant les rivages confortables de l’agroalimentaire, le mouvement a récemment débarqué dans les rayons du textile (Ideo, Tudo Bom...), de la chaussure (Veja) ou des produits cosmétiques. Malgré cette croissance en flèche, son poids est encore microscopique. Car l’équitable grignote aujourd’hui seulement 0,01 % des échanges mondiaux. Mais pourquoi se cantonne-t-il encore au bac à sable des affaires mondiales ? Passage en revue des points noirs du commerce équitable. 1- Des rapports compliqués avec le secteur de la grande distribution Au QG d’Artisans du monde, on refuse que les produits de la marque aillent « s’encanailler » aux rayons des supermarchés. La raison ? Pression sur les petits producteurs, salaire minimum pour les employés, la grande distribution est souvent taclée pour son manque d’équité. Or celle-ci fait petit à petit sa place sur ce nouveau segment. Au cœur d’un gâteau évalué à 160 millions d’euros dans l’Hexagone en 2006, la grande distribution s’est réservé une part alléchante de 88 millions. En tête : Leclerc qui, la même année, affichait un chiffre d’affaires de 19,2 millions d’euros au rayon des étiquettes équitables. Ailleurs, on souligne que pour remplir les chariots de supermarché, il faut, en amont, cultiver à foison. Résultat : des petits producteurs délaisseraient parfois la culture de céréales, pourtant en tête de leur menu quotidien, pour réserver leurs champs à la quinoa, très demandée sur les marchés du Nord. Enfin, soucieux de satisfaire la soudaine fringale de leurs clients, ces mêmes supermarchés pourraient bien
Les produits stars dans le monde
1/ Bananes : 137 763 tonnes 2/ Café : 52 077 tonnes 3/ Cacao : 10 952 tonnes 4/ Sucre : 7 161 tonnes 5/ Thé : 3 887 tonnes 6/ Miel : 1 553 tonnes 7/ Coton : 1,6 million de produits fabriqués 8/ Fleurs : 171 millions de tiges * Source Fairtrade Labelling Organizations (2006)
faire monter la pression sur les organismes chargés de la certification des produits (lire aussi page 28). « En Angleterre et en Suisse, sous la pression de grandes chaînes de supermarché, on a vu Max Havelaar apposer le label “ commerce équitable ” sur des bouteilles de vin ou des fleurs coupées », accuse Tristan Lecomte, d’Alter Eco qui représente aujourd’hui 150 produits venant de 53 coopératives. « Faux », rétorque Fairtrade Foundation (FTF), la branche britannique de Max Havelaar. Mais Barbara Crowther, directrice de la communication à FTF, avoue néanmoins que « l’équilibre entre l’exigence de certification et la protection des petits producteurs n’est pas toujours facile à trouver ». Faudrait-il alors fuir comme la peste les rayons des supermarchés ? Peut-être. Sauf qu’en fermant au nez des petits producteurs les portes d’un lieu où s’écoulent 90 % des produits de grande consommation, on les prive d’un revenu de taille. Alors chez Max Havelaar, on a tranché : « Le commerce équitable n’est pas là pour faire le procès de la grande distribution. Ce procès doit se faire ailleurs, du côté des syndicats ou de l’Organisation internationale du travail. Notre label garantit ce qu’il garantit. Pas la vertu de ce qui l’environne. » Pour Artisans du monde, il existe des chemins de traverse. Comme celui qui mène à ses 160 boutiques présentes en France. Ce réseau s’affranchit certes de la grande distribution mais s’appuie sur les épaules de 5 000 bénévoles. Peut-on donc garder les deux pieds bien ancrés, l’un dans le commerce, l’autre dans l’équitable ? « Nous travaillons avec les syndicats, les ouvriers, les collectivités territoriales, pour trouver de nouveaux modes de distribution », évoque, sans plus de détails, Michel Besson, de Minga, une association chargée d’aider les entreprises à se faire plus équitables. « Qui sait, dans trente ans, le modèle de la grande distribution aura peut-être disparu ? » 2- Un impact sur la pauvreté, au Sud, qui n’est pas automatique Prenons un petit producteur en coopérative. Grâce au prix minimum assuré par Max Havelaar pour chacun de ses kilos de coton ou de riz, ce producteur multiplie par deux, voire trois, son revenu mensuel. En bref, s’il amassait, aux temps du commerce classique, 1 dollar par mois au fond de sa poche, il est « riche » aujourd’hui de 2 ou 3 dollars. Un chiffre encore dérisoire. Pis, souligne Christian Jacquiau dans son ouvrage Les Coulisses du commerce équitable. Mensonges et vérités sur un terra economica
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pauvres parmi les pauvres. « Ceux qui ont accès aux réseaux équitables sont déjà regroupés en coopératives, ils ont des contacts avec des ONG », explique Aurélie Carimentrand du Centre d’économie et d’éthique pour l’environnement et le développement, et coauteure du livre Le Commerce équitable. Au banc des oubliés de l’équitable, les employés des champs. Attelés aux labeurs les plus pénibles, victimes des pesticides, ils sont aussi privés des bienfaits du prix minimum et de la prime de développement réservés aux propriétaires. 3- Un commerce qui se cantonne trop souvent aux échanges Sud-Nord Si le commerce équitable consiste à aider les plus pauvres à grignoter une part de la richesse mondiale, il s’ancre, sans surprise, là où la misère
Le label officiel en rade
Aujourd’hui, n’importe qui peut s’autoproclamer roi de l’équitable. Pourtant, même Max Havelaar, hégémonique en France, n’arbore pas la couronne d’un label officiel. Craignant des dérives potentielles, certaines organisations ont donc appelé les pouvoirs publics à mettre les pieds dans le plat. En 2003, l’Etat français a réuni autour d’une table les acteurs du secteur. Les idées ont fusé, les motifs de mésentente aussi. Trois ans après le début de ces discussions, le gouvernement a fini par imposer la signature d’un simple fascicule. Baptisé savamment Accord Afnor AC X50-340, il pose trois principes au commerce équitable : l’équilibre de la relation commerciale entre les partenaires ou cocontractants ; l’accompagnement des producteurs engagés dans l’équitable ; et l’information et la sensibilisation du public. Ce document n’est pas destiné à des fins de certification, mais pourra « servir de base à l’élaboration d’une norme », souligne le site du ministère de l’Ecologie.
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petit business qui monte, ce nouveau « pactole » ne tombe pas directement dans la bourse du producteur. Car le tarif pris en compte est le prix FOB (free on board) fixé au moment du chargement de la marchandise pour l’export. Ainsi si, sur le quai du port, Max Havelaar dépose dans la main de son producteur 1,25 dollar pour chaque livre d’arabica, celui-là devra ensuite défalquer les frais de douane, le salaire du routier chargé d’acheminer son café jusqu’au bateau ou les frais de fonctionnement de sa coopérative. Reste la prime de développement octroyée par Max Havelaar pour redorer la vie des communautés. Fixée entre 10 % et 12 % du prix du produit, celle-ci est à son tour amputée « des charges de labellisation et du coût des contrôles », souligne encore Christian Jacquiau. Vrai sans doute. Du propre aveu de l’organisme, la certification peut coûter entre 500 et 4 000 euros, directement prélevés sur les caisses de la coopérative, donc dans les poches des producteurs. Mais, pour ne pas peser trop lourd sur les épaules d’organisations encore fragiles, Max Havelaar a créé un fonds de certification pouvant couvrir jusqu’à 75 % de la facture. Pas de miracle donc, mais quelques belles réussites. Au Mali, la prime de développement a permis à plusieurs coopératives de coton de la région de Kita d’acheter des charrettes, de creuser des puits, d’ériger une maternité. Et si la vie des producteurs ne prend pas soudain les couleurs du paradis, souligne Tristan Lecomte, « l’impact sur la dynamique de la communauté et les mentalités est important. Avant, ces gens ne voyaient pas le bout du tunnel, ils étaient résignés à se laisser imposer un prix par des intermédiaires. Ils sont maintenant plus dignes ». Reste un défi de taille : atteindre les
En Haïti, séparation de la cerise et du grain de café.
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pèse le plus lourd : au Sud. Sa cible ? Un milliard de petits exploitants qui n’empochent que 20 à 500 euros par an. Et l’équitable pointe sans surprise vers les porte-monnaie des plus aisés, ceux des habitants du Nord. Cet échange à sens unique oblige les produits à parcourir des milliers de kilomètres aux dépens de la nature, s’indignent les défenseurs de l’environnement. Mais peut-on vraiment revoir le sens des flèches sur la carte ? Oui, affirme l’association Minga. Première étape :
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4- Polémique sur des prix de vente élevés Devant un rayon de supermarché, on hésite : fautil vraiment payer 3 euros son paquet de café pour changer le monde ? Les quelques centimes supplémentaires sur l’étiquette de mon arabica sont bien là pour une raison. Il s’agit, affirment les acteurs du commerce équitable, d’assurer un avenir meilleur aux petits producteurs en amont de la chaîne. Admettons. Comme des millions de consomma-
pascal guyot / afp
Mise en boite du café Malongo sur le site industriel de Carros aux portes de Nice, en 2002.
épaissir le flux à la source. Et ne pas limiter le rôle du Sud au travail des champs. Ce défi a été relevé par la petite PME Andines. Aux pages de son catalogue, le café El Futuro, un produit torréfié directement dans son pays de production, la Colombie. Ainsi, le pays retient 33 % du prix de vente public. Deuxième étape : dégoter des acheteurs potentiels sous le soleil des pays en développement, car, trêve de caricature, il n’y a pas que des pauvres au Sud et des riches au Nord. Alter Eco a ainsi lancé sa marque dans les supermarchés Marjane du Maroc. De son côté, Artisans du monde offre son soutien à la Fondation Solidarité Chili. Cette coopérative d’artisans a ouvert les portes de toutes les écoles du pays pour des cours d’éducation sexuelle, grâce à ses poupées éducatives. Au Nord, l’équitable fait aussi petit à petit son trou à travers des opérations, comme « cabas bio » soutenue par Artisans du monde. Le but : encourager des consommateurs à recevoir, chaque semaine, des produits bio issus des petites productions alentour. Ailleurs, fleurissent les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), qui tissent un lien de proximité entre consommateurs et agriculteurs de la région.
Pour aller plus loin
Le FLO (Fair trade Organizations) : www.fairtrade.net Max Havelaar : www.maxhavelaar france.org L’association Minga : www.minga.net teurs, nous voilà prêt à débrider notre porte-monnaie. Comme presque trois quarts de nos compatriotes, si l’on en croit une étude TNS-Sofres, parue en 2006, qui montre que 65 % des Français sont prêts à payer leur thé ou leur café 10 % plus cher pour agir sur le tableau de l’équitable. Mais renversons les données du problème. « Pourquoi le consommateur devrait-il endosser seul le prix de l’effort ?, s’interroge Christian Jacquiau. En fait, le problème est mal posé au départ. Le pouvoir d’achat n’est pas expansif. Même pour ceux qui veulent agir pour l’économie solidaire ou peuvent se permettre de payer plus, il y a forcément une limite. » La solution serait donc ailleurs. Prenons un paquet de café équitable de 250 grammes à 2,50 euros. Plutôt que de faire grimper le prix final de 50 centimes en augmentant la part versée au producteur de 20 à 70 centimes, il suffirait, pour garder le prix d’origine, de comprimer un peu les 2,30 euros réservés à la transformation, au trans-
Artisans du monde : www.artisans dumonde.org Alter Eco : www.altereco.com Les Coulisses du commerce équitable, Christian Jacquiau, éd. Mille et une Nuits (2006). Le Commerce équitable, Jérome Ballet et Aurélie Carimentrand, éd. Ellipses Marketing (2007).
port, aux distributeurs. Comment ? En réduisant les marges de ces différents acteurs. Une idée réalisable, affirme Barbara Crowther de Fairtrade Foundation en Grande-Bretagne. Lorsqu’elles ont troqué, dans leurs rayons, leurs bananes ou leur sucre traditionnels pour des produits équitables, les grandes chaînes britanniques de supermarché Marks & Spencer et Sainsbury’s n’ont pas fait varier d’un iota leurs étiquettes. « Elles ont estimé que ce qu’elles perdaient en marge se retrouvaient dans des investissements à long terme. La prime de développement versée aux producteurs équitables permet de construire des routes, de meilleurs moyens de production, d’assurer une meilleure qualité de produit. Ces améliorations sont aussi bénéfiques pour les grandes surfaces », souligne Barbara Crowther. —
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lu d’ailleurs
“ NotchUp ”
Empocher 300 dollars pour se faire courtiser par les plus grandes entreprises, c’est ce que propose le site Internet NotchUp, décrit comme « une sorte d’eBay du marché du travail » par le site canadien Cyberpresse. Plus de 100 000 CV y sont en ligne, et 10 000 entreprises y sont inscrites. Celles-ci n’ont qu’à faire leur shopping dans le catalogue des aspirants salariés, avant de les contacter pour des entretiens payants. Chômeur, passe ton chemin : le site s’adresse « à ceux qui sont heureux dans leur emploi actuel, compétents dans ce qu’ils font et pas à la recherche d’un emploi ». Ici, on recherche le gratin. Avant l’inscription, un formulaire permet même à l’internaute de calculer le prix qu’il pourra demander pour un entretien. A titre d’exemple, il en coûtera 200 dollars pour rencontrer une journaliste de Terra Economica. A défaut de révolutionner le marché de l’emploi, NotchUp pourra toujours regonfler l’ego des salariés. Caroline Boudet
gros mot
http://technaute.cyberpresse.ca
www.abc.net.au/news
Surpopulation dans les mines En République démocratique du Congo, il y a embouteillage dans les veines des mines. La fièvre des prix des matières premières amplifie un mouvement d’exode rural, débuté il y a quelques années. Les agriculteurs fuient les champs pour se
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JO avec chauffeur C
e devaient être les Jeux les plus propres jamais organisés. A Londres, les responsables des JO 2012 sont verts de rage. Le Comité international olympique (CIO) exige « plus de 3 000 voitures avec chauffeurs pour les déplacements des dignitaires », révèle The Times. Impossible de contester cette exigence : elle figure dans le contrat signé par la capitale britannique.Voilà qui fait tache quand Londres misait tout sur un nouveau système
lancer dans l’exploitation artisanale des minerais. Selon un habitant interrogé par l’agence de presse IPS, vendre une tonne d’hétérogénite – un mélange de cuivre et de cobalt – peut rapporter 1 000 dollars en seulement quinze jours. A titre de comparaison, la culture du maïs
de transports en commun. Les 10 500 athlètes et 8 millions de spectateurs attendus se déplaceront, eux, avec des navettes ou à la force des mollets. Faute de mieux, les organisateurs soulignent que les voitures VIP auront « un niveau d’émission de CO2 inférieur à la moyenne des véhicules les plus propres actuels ». Raté pour la médaille d’or du « zéro voiture », même si l’important était de participer. C.B. www.timesonline.co.uk
offrirait moins de 700 dollars par an à un agriculteur local. Conséquence pour la République démocratique du Congo : le pays voit ses surfaces agricoles cultivées fondre à vue d’œil et les risques de crise alimentaire augmenter. C.P. http://ipsinternational.org
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Cimetière/crémation : un combat de longue haleine D’un côté la crémation, de l’autre l’enterrement. Quelle est la méthode la plus verte des deux ? Le cimetière de Centennial Park, situé à Adélaïde (Australie), a répondu à la question. Prises le jour J, les deux cérémonies ne pèsent pas le même poids sur la balance à CO2. Une crémation affole le radar d’émissions de gaz à effet de serre : 160 kg contre seulement 39 kg pour une inhumation. Mais le cimetière a voulu en savoir davantage. En prenant en compte la durée de la concession – cinquante ans à Adélaïde –, le rapport s’inverse. Car, sur un demi-siècle, une tombe traditionnelle – surveillance, arrosage, entretien – émettrait 10 % de CO2 de plus que la crémation. Ne perdant pas le Nord, les autorités du cimetière ont lancé une campagne de publicité proposant aux futurs clients d’assumer le coût des émissions... Charlie Pegg
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alors l’Europe ?
Grosse montée de LAIT
Bruxelles ouvre les robinets lactés pour répondre à la forte demande chinoise et européenne. De quoi déboussoler des éleveurs français, bridés par des années de quotas. PAR JULIEN DUPONT
34 avril 2008
terra economica
Le dimanche soir, la traite plutôt que le film Les éleveurs cravachent donc pour améliorer leur productivité. A La Pérauderie, Patrice Julienne a ainsi sacrifié le traditionnel film en famille. « On fait une traite supplémentaire le dimanche soir. On distribue une alimentation plus riche et on garde les vieilles vaches. Mais si le prix du lait n’avait pas monté, il n’aurait pas été rentable de produire davantage. » En décembre 2007, pour faire du camembert ou du yaourt, la laiterie voisine lui achetait 1 000 li-
adrien albert
D
es mers de lait, des déserts de poudre, des montagnes de beurre, le tout jeté dans le caniveau. Longtemps, l’Europe a produit trop de lait. Mais c’est du passé. La collecte en France – environ 20 % de la production européenne – touche désormais son plus bas niveau depuis quinze ans. Et les quotas, fixés aux éleveurs depuis 1984, ne sont plus atteints. Patrice Julienne n’en revient pas. « Au printemps, on nous a dit qu’on pourrait faire 3 % de plus, puis 8 %, 10 %, et finalement 15 %. » Une révolution. Le Sarthois a toujours freiné son élan pour respecter son quota laitier. Aujourd’hui, on lui demande au contraire de produire plus de lait, et vite. En Europe, Bruxelles recommande désormais d’ouvrir en grand les robinets lactés. « Les Chinois veulent davantage de lait et de viande, l’Australie est victime de la sécheresse, la demande européenne augmente et les stocks sont nuls », détaille Jean-Claude Guesdon, économiste à l’Institut français de l’élevage. Sur un marché en pleine croissance, Bruxelles veut donc gonfler les
quotas de 2 % par an jusque 2013, date de leur fin programmée. Mais la salle de traite n’est pas une usine, les vaches ne peuvent pas faire les 3X8 et leurs propriétaires se raréfient. La France perd ainsi chaque année 5 000 éleveurs bovins, certains encouragés par Bruxelles qui subventionne les cessations d’activité, d’autres attirés par l’explosion du cours du blé. « Il n’y a pas photo, les céréales, c’est plus rentable et moins contraignant », consent Patrice Julienne. Avec sa femme Catherine, il élève 55 primholsteins, les vaches noir et blanc que l’on croise dans le grand Ouest. Les éleveurs français étaient 450 000 en 1984. Il ne sont plus que 95 000 à résister aux sirènes des céréales, et pas seulement pour savourer leur bol de lait maison au petit-déjeuner. « Il faut être un peu fou car c’est contraignant : été comme hiver, même le dimanche. Mais travailler avec les bêtes est beaucoup plus intéressant que rester assis, les fesses sur son tracteur. » La Pérauderie, sa ferme des Alpes mancelles, profite de la hausse du cours du lait (20 % en un an). Mais « la chute peut être terrible car les charges ont aussi augmenté ». En effet, la flambée du pétrole a fait monter le prix des engrais, de l’essence et des médicaments destinés au troupeau. Celle des céréales a fait s’envoler le prix du fourrage.
tres payés 274 euros. Un an plus tard, il brandit une facture de 332 euros. Une bouffée d’air pour des exploitations laitières encore marquées par les conséquences de la crise de la vache folle. A long terme, trouver davantage de bétail constituera la réponse la plus simple pour accroître cette production. Au moins en apparence. Négociante en bestiaux près d’Alençon, Lydia Bussy, connaît les pâturages de l’Orne comme son jardin. « Entre octobre et janvier, il y a eu une grosse pénurie de vaches laitières. Là, ça se calme : j’ai des bêtes à vendre et personne n’en veut », souffle la jeune femme. Les éleveurs ont multiplié les inséminations et le nombre de vaches devrait monter assez rapidement, sans toutefois pouvoir retrouver le niveau d’antan. En France, il ne reste actuellement que 4 millions de ruminants, contre 7 millions en 1984. Du trop-plein au pas-assez Cette année, dans l’Hexagone, il manquerait à l’appel environ 250 millions de briques de lait. Ce volume – une pacotille – ne représente que 1 % des quotas fixés par Bruxelles à la France. Ce n’est pas un problème en soi pour les producteurs, mais une situation paradoxale au vu du potentiel de production du pays. Bruxelles a déjà identifié les coupables : les Etats eux-mêmes et leur usage trop rigide de la réglementation. A Fresnay-sur-Sarthe, on se rappelle qu’en mars 2007, des producteurs sarthois ont payé des pénalités pour avoir dépassé
Pour aller plus loin
La filière laitière : www.maison-dulait.com L’Institut de l’élevage : www.inst-elevage. asso.fr Le rapport « Perspectives de marché dans le secteur du lait et des produits laitiers » : http://eur-lex. europa.eu/ LexUriServ/ LexUriServ.do?uri =COM:2007:0800: FIN:FR:PDF La législation européenne : http://europa. eu/scadplus/leg/fr/ lvb/l11091.htm
leurs quotas. Cette simple évocation fait frémir Patrice Julienne. « On l’a fait une fois. Jeter 1500 litres de lait pour éviter de payer… On était vraiment écœurés. » Le passage du trop-plein au pas-assez serait moins un problème européen que français, selon l’expert JeanClaude Guesdon. Il suffit de se pencher sur l’exemple hallucinant du Cher : avec ses grandes surfaces planes idéales pour les céréales, ce département est devenu un désert laitier et il n’arrive plus à remplir le quota qui lui a été alloué. A quelques centaines de kilomètres au nord, c’est tout l’inverse. Les éleveurs d’Ille-et-Vilaine pourraient produire beaucoup plus de lait qu’ils n’en ont le droit. Mais la gestion française des quotas établit un volume à respecter pour chaque exploitation. Pas question de s’arranger entre voisins. Dans les fermes françaises, les chiens aboient quand les contrôleurs laitiers passent. —
Une vie de vache
Marguerite est une vache laitière. Elle est née neuf mois après le passage de l’inséminateur. Dans la seringue de l’homme en blanc, une paillette de sperme de taureau génétiquement sélectionné. Valeur de la saillie artificielle : 44 euros. L’éleveur a dû ensuite attendre dix-huit mois, le temps que jeunesse se fasse, avant d’inséminer Marguerite pour la première fois. Marguerite donnera naissance à son premier veau vers trois ans, et produira alors ses premiers litres de lait. Elle passera à la traite midi et soir pendant 300 jours, et sera ensuite tarie pendant deux mois, avant de vêler à nouveau. Vers cinq ans, Marguerite aura mis bas trois ou quatre veaux et sera « réformée », c’est-à-dire vendue à l’abattoir. Entre 800 et 1 000 euros..
Retrouvez « le marketing expliqué à ma mère » sur : www.terra-economica.info terra economica
avril 2008 35
ils changent le monde
Pour limiter ses émissions de CO2, l’entreprise britannique a fait le choix radical de refuser les exportations.
En tête dans un verre d’eau
L’ENTREPRISE. Bouteille en maïs, usine neutre en carbone, refus des exportations, puits en Inde et au Mali... Belu Water vend davantage que de l’eau. PAR KARINE LE LOËT
L
’histoire de Belu Water commence en GrandeBretagne en 2004. Alors que le marché fonctionne sur le principe « consommation éclair et émissions de CO2 monstres », la petite compagnie anglaise entend réconcilier bouteille d’eau et environnement. Tandis que ses consœurs crachent du dioxyde de carbone, elle imagine, elle, une chaîne de production neutre en carbone. Et s’attèle à réduire les émissions de ses camions. Mieux, l’entreprise limite ses déplacements aux contours d’un mouchoir de poche. Là où la très en vogue eau de Fidji parcourt des millions de kilomètres pour rejoindre les rayons d’un supermarché londonien, Belu Water puise son eau à la frontière de l’Angleterre et du pays de Galles. Fait rare, elle se refuse à exporter vers ses voisins. « Un sacrifice important », souligne Reed Paget, directeur de Belu, alors que les demandes étrangères se multiplient. Du coup, l’entreprise affiche un bilan poids plume face à ses concurrents : 11 salariés et 500 000 bouteilles vendues chaque mois. Au Royaume-Uni, rien que le transport de 3 milliards de bouteilles d’eau produit 33 200 tonnes de CO2 par an, autant que la consommation d’énergie de 6 000 foyers. Belu 36 avril 2008
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45 tonnes de déchets dans la Tamise En mai 2006, la bouteille en maïs et entièrement compostable – exception faite du bouchon – a vu le jour chez Belu Water. Une fois vide, elle est rachetée par l’entreprise qui la transforme en objet design. Et si la bouteille en maïs révolutionnaire est jetée comme une vulgaire consœur de plastique dans le conteneur à recycler, elle pourra entrer dans la composition d’un autre produit. Petit hic : seulement 5 % du plastique est recyclé au Royaume-Uni, faute de gestes citoyens ou de centres de tri adaptés. Résultat : la bouteille de Belu risque, dans 95 % des cas, de finir sa courte vie dans une décharge. Mais là, sa composition en maïs révèle son intérêt. En effet, en douze semaines, la bouteille d’eau redevient poussière, promet Belu. Cependant les cadres de la société ont autre chose dans leur caboche que des rayonnages de bouteilles transparentes. Ils se mêlent aussi du combat pour une eau plus propre. A Londres, la compagnie a mis en place une machine capable d’aspirer les déchets de la Tamise et ainsi d’avaler chaque année 45 tonnes de sacs en plastique, bouteilles, chaussures. A chaque bouteille achetée, la compagnie offre, par ailleurs, un mois d’eau potable à un habitant d’Inde ou du Mali. Là, avec l’aide de l’ONG Water Aid, l’entreprise finance la construction de puits ou de pompes à main. « Nous travaillons toujours avec des organisations qui, présentes dans le pays, connaissent bien le problème. ça nous évite d’envoyer des employés de notre compagnie sur place et d’émettre à nouveau du CO2 », souligne Reed Paget. Belu investit 100 % de ses profits dans ces projets (1). Cette pratique a été rendue possible grâce à la bienveillance de son panel d’actionnaires constitué uniquement d’organisations impliquées dans la lutte pour une eau plus propre. A l’heure où le changement climatique se fait ressentir de façon prégnante, ne vaudrait-il pas mieux bannir la bouteille d’eau en plastique de nos vies ? « Nous encourageons les gens à consommer d’abord de l’eau du robinet, souligne Reed Paget. Mais il restera toujours des lieux, des moments où un consommateur aura besoin d’emporter une bouteille. Autant que celle-là respecte le mieux possible l’environnement. » — www.belu.org (1) La société a réalisé un chiffre d’affaires de 2,6 millions d’euros en 2007.
belu water
Water compense aussi ses derniers mètres cubes de carbone émis, en investissant dans des fermes éoliennes.
Une drôle de pointure LA FEMME
A
Des maisons entre ciel et terre L’ASSOCIATION. En Afrique subsaharienne, où sévit la pénurie de bois, des maçons français développent la voûte nubienne. Une technique de construction économique.
DR
A
frique subsaharienne, Burkina Faso. Ici, pendant des millénaires, le bois n’a jamais manqué. Pour construire le toit de leur habitation, les populations n’avaient qu’à se baisser. Les temps ont changé. Le désert avance et la déforestation est devenue alarmante. « C’est ce qui m’a frappé lors de mes premiers voyages », raconte Thomas Granier. L’homme est maçon de formation. A 47 ans, il a mis son métier entre parenthèses, « envoûté par la passion ». Ce gaillard, originaire de l’Hérault, a mis aussi le ciment de côté. Face au manque de bois, les populations se tournent vers l’achat de tôles – chères et de qualité déplorable – pour fabriquer leurs toits. L’association de Thomas Granier propose une autre solution : la voûte nubienne. La terre y est utilisée comme principal matériau et cette technique permet de réaliser un toit sans recours à un coffrage. Résultat : des économies qui peuvent dépasser 25 % sur le montage d’un toit. « C’est la dimension économique qui m’a poussé dans ce projet », explique Thomas Granier.
Economique, mais pas vraiment commerciale. L’homme ne vend pas ses toits de terre sèche voûtés, mais transmet un savoir-faire avec un objectif permanent, « mettre en phase une offre et une demande ». Grâce à des relais sur place, le projet a pu étendre sa toile du Burkina Faso au Sénégal en passant par le Mali. « Chaque fois, il faut former des maçons, transmettre et sensibiliser les habitants à cette nouvelle offre. » Le projet associatif a déjà décroché l’appui financier de gros acteurs, comme Véolia ou le groupe Pinault Printemps Redoute, mais il cherche de nouveaux soutiens pour gagner d’autres pays, comme la Côte-d’Ivoire ou la Guinée. Depuis sa création, l’association a participé à la construction de 500 voûtes nubiennes en Afrique subsaharienne. — DAVID SOLON
nnabel Gérenthon le sait. L’objet de son projet, baptisé Moyi Ekolo, est une gageure. Fabriquer en France des chaussures éthiques positionnées haut de gamme et réussir à les exporter. La jeune femme est native de Romans-surIsère dans la Drôme, terre historique de confection de chaussures depuis plus d’un siècle. La styliste n’est pas néophyte dans ce métier. Après avoir débuté chez Robert Clergerie puis Charles Jourdan, Annabel Gérenthon est licenciée, victime de la sinistrose du secteur. Pas découragée, elle décide de se lancer avec Julien Adda, son compagnon. En novembre 2006, elle décroche Ekilibre, le prix du concours national du commerce équitable et du commerce solidaire. « Dans la foulée, j’ai participé à différents salons avec mes produits », raconte la créatrice. Son concept secoue le milieu. « Une chaussure conçue avec des matériaux nobles de la région, notamment du cuir, respectueux de l’environnement, et fabriquée par des artisans du cru » : pas vraiment banal. Annabel Gérenthon nuance toutefois. Pour elle, une chaussure 100 % bio n’est pas envisageable à court terme. « Les colles notamment posent problème », regrette-t-elle. En attendant, elle décline ses idées et évoque un partenariat avec des femmes en Afrique ou le soutien des salariés restés sur le carreau avec la crise du secteur. — D. S. www.moyiekolo.fr
Retrouvez tous les acteurs qui « changent le monde » sur www.terra-economica.info (rubrique Ils changent le monde)
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avril 2008 37
enrichissez-vous
Pour aller plus loin
La pépinière Trempolino : www.trempo.com Le Syndicat national des arts vivants : www.synavi.free.fr
En ces temps de disette budgétaire, le monde culturel redécouvre les vertus des coopératives et des pépinières.
L
es artistes ne bataillent pas que sur les planches de théâtre, les scènes de salles de concert ou les plateaux de cinéma. Captiver un public est une chose. Séduire une banque, une fondation, une entreprise ou une collectivité locale pour obtenir des financements en est une autre. Fin février, ils étaient plusieurs milliers à manifester dans toute la France à l’appel d’une vingtaine d’organisations syndicales. Autour du slogan « Diversité artistique et culturelle en danger », ils dénonçaient une baisse globale de leur budget : entre 4 % et 6 % de gel de crédits pour les compagnies (1). « Face aux nouvelles règles de l’intermittence mises en place en 2003 et aux restrictions budgétaires, les artistes et leurs administrateurs ont dû chercher des solutions inventives pour préserver la création culturelle », analyse Emmanuel Wallon, professeur de sociologie politique à Paris XNanterre (2). Ces solutions inventives ressemblent plutôt à un retour aux sources. Celui de l’époque des coopératives. « Puissant dans le domaine agricole comme dans la santé, le mutualisme intéresse désormais le monde du spectacle vivant. Un signe que l’individualisme affiché durant les vingt dernières années 38 avril 2008
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Recherche de fonds et buzz sur le Net Plus fort que les coopératives, les pépinières artistiques se multiplient. « Le secteur culturel se professionnalise. Les artistes doivent désormais savoir monter un dossier, rechercher des fonds publics et privés, savoir communiquer, maîtriser le buzz sur Internet… », raconte Vincent Prioux, responsable de Trempolino, plateforme spécialisée dans les musiques actuelles en Pays de la Loire. Ces pépinières sont un paradis pour artistes : elles offrent à la fois un fonds de garantie pour obtenir des prêts, des tarifs préférentiels pour les achats, des espaces de travail, des actions de formation, des accompagnements. Trempolino accueille actuellement 16 structures représentant un chiffre d’affaires de 1,8 million d’euros et 25 emplois directs. « Nous sommes dans une micro-économie qui s’en sort grâce à l’échange de compétences. De l’économie sociale et solidaire en résumé. » — KAREN BASTIEN (1) Le budget 2008 du ministère de la Culture s’élève à 2,928 milliards d’euros, une enveloppe « gelée pour cinq ans », car la culture doit « participer à la réduction de la dette publique » comme les autres ministères, a justifié François Fillon, le Premier ministre. (2) www.irma.asso.fr/La-mutualisation-en-question
Zapping Premier de la classe Le téléphone portable comme outil de création, un élève sans papiers au tribunal administratif, le jeu du foulard, la solidarité avec les Juifs à partir de 1942, la démarche Agenda 21 dans les lycées... Tous azimuts, Curiosphere.tv porte bien son nom. France 5 veut faire de cette web TV, la plateforme éducative en ligne de demain. Les formats sont multiples : extraits de documentaires, magazines artistiques, captation de spectacles vivants et animations. Et les 650 vidéos, actuellement disponibles sur le site, peuvent servir aussi dans les écoles. Un bonheur de cyberprofesseur. www.curiosphere.tv
Conversation du troisième type Geraldo demande pourquoi il a perdu son boulot ; Sinesipho, malade du sida, pourquoi elle doit mourir ; Ibrahim, agriculteur, à qui il va vendre ses poulets. Madmundo, nouvelle web télé, part du quotidien d’un(e) habitant(e) du monde pour trouver ceux qui ont une part de décision ou de responsabilité dans le problème soulevé. Son originalité : les mettre en relation, d’où des dialogues étonnants et instructifs avec Lula, le président brésilien, Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies, ou Gordon Brown, l’actuel Premier ministre anglais. www.madmundo.tv
trempolino
Les artistes font corps
L’association Opale (Organisation pour projets alternatifs d’entreprises) : www.cultureproximite.org
commence à atteindre ses limites », poursuit Emmanuel Wallon.
Emballé, c’est pesé Les boîtes en carton et autres pots de yaourts ont trouvé leur chevalier blanc. Le designer et photographe Fabrice Peltier dénonce dans Ecodesign, chemins vertueux notre focalisation sur les emballages ménagers. Un « bouc émissaire » qui nous évite de se pencher sur l’essentiel, le cycle de vie des produits : de l’extraction des matières premières aux composants en passant par le transport. Fabrice Peltier rappelle que « sur les 4,8 millions de tonnes d’emballages ménagers produites chaque année dans l’Hexagone, 2,9 millions sont recyclées et le reste est en grande partie transformé en énergie par incinération ».
Inventaire à la précaire
« Ecodesign, chemins vertueux », Fabrice Peltier et Henri Saporta, éditions Pyramyd (2007), 14,90 euros.
La faim des temps Avez-vous l’estomac bien accroché ? Si oui, vous êtes paré alors pour surfer sur le site de l’ONG Food and Water Watch. Rien de ce que nous mangeons ou buvons n’échappe aux experts de cette organisation basée à Washington. Irradiation, problème d’irrigation, labels alimentaires... Seul bémol : les enquêtes et cartes infographiques restent très axés sur la situation américaine. www.foodandwaterwatch.org
Un sale boulot Mike Rowe en a essayé plus de cent. Des boulots sales, polluants, exténuants.... Dans Dirty Jobs, l’émission diffusée sur la chaîne américaine Discovery Channel, le quadragénaire a travaillé comme inséminateur de chevaux, pêcheur de crabes en Alaska, ramasseur d’animaux morts sur l’autoroute, nettoyeur de camions-poubelle, démolisseur d’immeubles. Son objectif : faire découvrir – avec humour – des métiers méconnus ou traînant une sale réputation. http://dsc.discovery.com/fansites/dirtyjobs/dirtyjobs.html
DR
L’Afrique en ligne droite Appareil photo en main, Cédric Kalonji, jeune journaliste, parcourt les rues de Kinshasa. Réparations des nids-de-poule, tractations avec la police pour éviter une amende, vol de câbles électriques : ces évènements qui rythment le quotidien de la République démocratique du Congo font le sel de son blog. Ce journal en ligne – au ton acide et drôle – montre toute l’ingéniosité des Congolais pour (sur)vivre. www.congoblog.net
Elsa Fayner – ET POURTANT, JE ME SUIS LEVÉE TÔT, UNE IMMERSION DANS LE QUOTDIEN DES TRAVAILLEURS PRÉCAIRES. Panama, 176 pp., 15 euros.
U
ne énième enquête sur les travailleurs pauvres ? Non, bien mieux : un récit à la première personne. La journaliste Elsa Fayner a en effet décidé de passer incognito de l’autre côté, durant trois mois. D’enfiler le casque de la télévendeuse de callcenter, le tablier de cantinière d’Ikea et les bas de soubrette dans un hôtel 4 étoiles. Trois métiers qui recrutent du personnel peu diplômé et peu payé – ce qui ne veut pas dire non qualifié. Car l’auteure se rend vite compte que « le travail dit “ non qualifié ” nécessite lui aussi des compétences en termes d’organisation, de sociabilité, de rapidité d’exécution, de gestion des contraintes… » Il faut savoir improviser et faire preuve d’une résistance physique et morale à toute épreuve. La moindre boulette est synonyme de renvoi, le recours aux syndicats relève de l’heroic fantasy. Des trois expériences décrites,
c’est surtout le passage au centre d’appels Safig qui interpelle. L’inhumanité de certains call-centers n’a probablement jamais été aussi justement dépeinte. Notamment, le « lavage de cerveau » subi par les salariés, contraints de s’exprimer et de respirer comme des robots. « Là, ce n’est plus le geste de l’ouvrier mais la pensée de l’ouvrier qui est rationalisée, taylorisée pour mieux vendre. » Ne parler qu’au présent, ne jamais dire « de rien » pour privilégier le « je vous en prie », ne jamais employer plus de trois fois le patronyme du client, sinon il « est censé s’énerver ». C’est bien simple, l’opérateur de centre d’appels n’existe tellement plus en tant que personne qu’il s’appelle forcément « Julien Bonneau » quand c’est un garçon et « Nathalie Martin » quand c’est une fille. Interdiction d’aller aux toilettes et même d’être en pilotage automatique… L’énergie mentale est tendue vers un objectif : refourguer un produit à des inconnus qui n’ont rien demandé. Mais la journaliste a l’honnêteté de ne pas tout noircir. Chez Ikea, les anciens écoutent et aident les petits nouveaux et, si les emplois du temps restent assez imprévisibles, les salariés croisés par l’auteure ont plutôt le sentiment d’appartenir à une sympathique famille. Une expérience qui montre que travail précaire ne rime pas forcément avec enfer sur Terre. — ARNAUD GONZAGUE
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mois année 39
en direct de www.planete-terra.fr
Sur Planète Terra, on refait le monde... version développement durable. Pour devenir Planète reporter, une simple inscription en ligne suffit. Et chaque mois, retrouvez les meilleures contributions dans ces pages.
Hubert Reeves : “Se tourner vers l’inépuisable soleil” Grenelle de l’environnement, sommet de Bali sur le réchauffement climatique… L’astrophysicien Hubert Reeves réagit à l’actualité. Quatre mois se sont écoulés depuis le lancement du Grenelle de l’environnement. Le souffle n’est-il pas déjà retombé ? Deux décisions majeures sont intervenues depuis : la clause de sauvegarde du maïs OGM et l’interdiction de la mine d’or en Guyane. Le Grenelle restera comme un modèle pour les autres pays, car on a mis autour de la table des personnes aux intérêts divergents. Les négociations pour l’après-Kyoto, en décembre à Bali, n’ont pas abouti à des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Faut-il s’en inquiéter ? Bali a été un semi-échec, mais on en retiendra la prise de conscience internationale. La question environnementale est désormais reconnue par les décideurs. Il y a des signes positifs. Regardez du côté de la Chine : se sont rendant compte que leur économie était menacée, le gouvernement commence à réagir. Vous vous dites défavorable au nucléaire, mais soutenez qu’il ne faut pas l’abandonner à court terme. Pourquoi ? Parce que les technologies des énergies renouvelables ne sont pas suffisantes pour le moment. Le nucléaire est plus propre que le pétrole, il ne réchauffe pas l’atmosphère. Seulement, il n’est pas une source d’énergie fiable et pérenne. Il ne fait pas du tout bon ménage avec le terrorisme par exemple. Il faut voir à très très long terme et se tourner vers des énergies « inépuisables » comme le soleil. Et puis, il faut diminuer nos dépenses énergétiques : faire mieux avec moins. 40 avril 2008
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Dégazage en rivières Huiles de vidange dans les fossés, fuites de citernes vétustes ou de stationsservice, accidents de la route... Ces actes de malveillance ou de négligence passent souvent inaperçus. L’association Robin des Bois, exaspérée par ce manque d’intérêt, réclame une égalité de traitement entre le dégazage en mer et le dégazage en rivières : « Faute de transmission, de centralisation et d’interprétation des informations, les pollutions accidentelles des eaux douces sont courantes et oubliées. » Selon le ministère de l’Environnement, « ce sont souvent des pollutions très ponctuelles contre lesquelles il est difficile d’agir ». Mariés avec la Terre Inspiré du concept anglo-saxon « green wedding », le mariage vert et chic apparaît dans l’Hexagone. Aux Etats-Unis, les premières célébrations vertes ont été organisées dès 2000. Aujourd’hui, le mariage écolo a ses propres salons, outreAtlantique. En France, l’entreprise Besoin d’ailes a préparé trois mariages tout-écolo en 2007, quatre sont prévus en 2008 et quatre déjà pour 2009. Le principe de l’union chic et verte ? « Un minimum d’impact sur l’environnement et un soutien au commerce local, bio et équitable », détaille Eva Mazzarino de Besoin d’ailes. Cheers. Congélateur végétal L’archipel norvégien de Spitzberg, située à 1 120 km du pôle Nord, abrite désormais un bunker-congélateur pour semences. Objectif : assurer la survie de 4,5 millions d’espèces végétales. Le projet soulève pourtant la polémique au vu de la liste de ses investisseurs : la fondation Bill Gates, les géants de l’agrochimie Monsanto et Syngenta et la fondation privée Rockefeller. Une polémique a émergé autour de la mainmise sur le vivant de quelques sociétés privées. Ce « Jardin d’Eden gelé » est désormais placé sous la vigilance de la Norvège.
Durable n’est pas coton Le développement durable n’est pas à mettre à toutes les sauces. C’est la leçon dispensée par l’Advertising Standards Authority (ASA), l’agence américaine chargée de la régulation de la publicité. Celle-ci a banni du paysage américain une publicité vantant les mérites d’un coton « doux, sensuel, et durable ». Or, selon trois plaintes entendues par l’ASA, l’appellation « durable » ne peut s’appliquer au coton, car sa culture a largement recours aux pesticides et reste très gourmande en eau. L’entreprise Cotton Council International, aux manettes de la marque incriminée Cotton USA, a bien tenté de se défendre en soulignant que les pesticides sont aujourd’hui moins toxiques et demeurent moins longtemps dans l’atmosphère. Qu’importe, a rétorqué l’ASA qui ne s’est pas laissé convaincre par des données scientifiques encore trop contradictoires. Elle a purement et simplement renvoyé cette publicité aux oubliettes. Karine Le Loët
“Le changement climatique va exacerber la pression migratoire sur l’Europe” JAVIER SOLANA, diplomate en chef de l’Union européenne, et BENITA FERRERO-WALDNER, commissaire européenne aux Relations extérieures, dans leur rapport sur le changement climatique paru en mars.
www.asa.org.uk
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avril 2008 41
feuilleton
Fred a tout perdu. Tout son crédit de droits à polluer. Le jeune et brillant architecte découvre ce qu’est une vie sans quota de CO2. Pour s’en sortir, il doit réaliser un gros coup lors du 25e Concours international de la ville durable. Bienvenue en 2078. (Episode 8) Des pixels. Fred avait rêvé de pixels toute la nuit. Les heures passées devant les écrans d’ordinateur et de télévidéophone commençaient à faire effet. – « C’est avec les pixels que je vais gagner le concours, lance-t-il à son ami Marc, qui venait de le rejoindre au Caniculaire, le dernier bar à la mode, qui surfacturait 5 euros ses places à l’ombre. – Depuis ton divorce, tu es devenu complètement dingue. Après avoir voyagé en avion comme un fou et bousillé tout ton crédit CO2, qu’as-tu encore inventé ? – Eh bien, j’ai passé des jours et des jours à lire comment les matières et les technologies du secteur du bâtiment avaient 42 avril 2008
terra economica
évolué ces cinquante dernières années, et j’ai compris pourquoi ça ne marchait pas. – Une illumination, tu m’auras décidément tout fait ! – Non, c’est très sérieux, écoute. Au début des années 2000, il y a eu une véritable inflation des labels, des normes d’écoconstruction. Chaque pays développait le sien : Leadership in Energy and Environmental Design (LEED) aux Etats-Unis, Building Research Establishment’s Environmental Assessment Method (BEEAM) en Grande-Bretagne, Haute Qualité environnementale (HQE) en France… avec des préoccupations purement énergétiques. Cette chasse aux émissions de CO2 n’avait
(à suivre) Karen Bastien, en collaboration avec l’association d’architectes « Et alors ? » (www.etalors.eu)
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collection BCA / rue des archives
Métropole position
aucun sens. On oubliait alors qu’une même maison, estampillée HQE, ne se “ comporterait ” pas de la même façon si elle était construite dans le nord ou dans le sud de la France. C’est de ce constat que m’est venue l’idée des pixels. – Excuse-moi, mais je ne fais pas du tout le lien. – Il faut repenser l’habitat dans son environnement. Une maison n’est pas un ovni que l’on pose sur un terrain. C’est un bâtiment qui réagira différemment s’il est entouré d’autres maisons, si un fleuve ou une forêt est à proximité, si des voies de circulation l’enserrent, si une zone industrielle ou un aéroport l’avoisine… – Et les pixels là-dedans ?, sinquiète Marc tout en commandant cinq minutes de brumisateur express. – Eh bien, j’ai imaginé un découpage de la ville en carrés de 10 kilomètres de côté qui deviennent ma nouvelle unité de travail. Je recueille ensuite un maximum d’informations sur ces portions de territoire, mes fameux pixels : perméabilité des sols, présence d’eau, de végétation, zones d’ensoleillement… Une synthèse de la réalité climatique et environnementale, en quelque sorte. – ça cogite dur pour ce concours international, dis-moi ! Tellement dur que, même moi, le fabuleux informaticien qui cohabite avec des pixels tous les jours, je ne vois pas ce que tu vas faire de ceux-là. – Toujours aussi impatient et immodeste. Tu n’as vraiment pas changé depuis nos années étudiantes ! »
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Les experts-comptables, principaux accompagnateurs des entreprises, ont développé leurs compétences en matière de développement durable. Ils ont ainsi élargi le champ de leurs interventions. Dans l’intérêt des entreprises. Depuis l’année 2000, l’Ordre des experts-comptables décerne son trophée récompensant la qualité des informations environnementales et sociales des entreprises publiées dans leur rapport annuel. En avril 2007, ce mouvement s’est accéléré avec la création du club Développement Durable du CSOEC an de confronter les points de vue des entreprises, des universitaires et des consultants. Quatre groupes de travail sont actuellement en activité. Tita A. Zeïtoun
Expert-comptable et commissaire aux comptes Présidente de la Commission Environnement Présidente du Club Développement durable Contact : Emilie Damloup Courriel : edamloup@cs.experts-comptables.org Tél : 01 44 15 60 82