Pages imprimées sur Cyclus Offset 115 g, papier fabriqué en France et issu de fibres 100% recyclées. Achevé d’imprimer en juin 2014 sur les presses de l’imprimerie Promoprint, Paris.
Stéphanie Souan mémoire de fin d’études sous la direction de Cloé Pitiot
JUILLET 2014
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avant-propos introduction
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vers un modèle circulaire
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l’urgence d’une mutation
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17 18 20 21 21 22
24 24 27 28
31 31 33 34 35
> Un bien pour un mal. > Perturbation anthropogénique.
changer de cap, un panorama des modèles soutenables > L’économie Collaborative. > L’économie Sociale et Solidaire, au service de l’homme. > L’économie de la réduction, moins = plus. > L’économie de fonctionnalité, de l’usage ! > Et à grande échelle ?
la logique circulaire
> Autour du cycle, tendre vers l’idéal du zéro déchet. > Un modèle audible et crédible pour la sphère industrielle. > Les piliers de l’économie circulaire.
“business model in progress”
> Vers une loi cadre en France. > Tour d’horizon des actions en Europe. > A l’international, les figures pro-actives. > Chantiers circulaires : le cas de la Vallée du Recyclage Textile en Nord Pas de Calais.
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Constats intermédiaires
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état des lieux sur les pratiques françaises
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les valeurs du déchet
40 43
> Typologie des déchets. > La façon de traiter un déchet, une vision de la société.
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un maillage de savoir- faire
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> Savoir-faire français en prévention des déchets. > Savoir-faire français en gestion des déchets. > Le tri et la valorisation des ordures ménagères : le cas d’Isséane à Issy les Moulineaux. > Le principe de Responsabilité Elargie du Producteur.
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du consommateur à l’utilisateur
45 48 52
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> Quand l’utilisateur final devient l’utilisateur initial. > Les pratiques de consommation de l’individu.
62
> L’usager face à ses déchets.
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Constats intermédiaires
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harmoniser et anticiper
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complexifications
68 70
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> Un système à bout de souffle. > Vers une harmonisation globale.
l’apport des réflexions prospectives
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> De l’intérêt de regarder plus loin et à plusieurs.
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> Les freins à une gestion circulaire des déchets français à l’horizon 2020.
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> Le facteur humain.
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Constats intermédiaires
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conclusion
« Face au monde qui change, il vaut
mieux penser le changement que changer le pansement. » Pierre Dac et Francis Blanche, humoristes et comédiens français.
avant-propos Ce mémoire est intimement lié à mon parcours d’études et à des observations et analyses menées lors de ma dernière expérience de stage qui me semblaient importantes à communiquer. Durant ma formation de créateur industriel, je me suis orientée vers le développement de projets centrés sur les besoins utilisateurs et favorisant des modes de vie soutenables pour l’environnement. Dans une volonté de compléter et de renforcer mon approche, j’ai souhaité mener un double cursus avec l’Ecole
Centrale Paris entre 2011 et 2013 pour acquérir des connaissances et des outils dans le champ de l’innovation environnementale. Mon intérêt pour ce domaine et plus spécifiquement pour l’économie circulaire a été décuplé lors d’une mission de six mois à la Direction de l’Innovation d’Oxylane, le pôle conception de Décathlon, pour valider mon diplôme de l’Ecole
Centrale Paris. J’y ai mené une recherche à caractère scientifique sur cette thématique en collaboration avec la Direction Environnement du groupe. J’ai eu l’opportunité d’étudier avec minutie la pratique de conception environnementale dans le secteur des biens de consommation grand public. J’ai notamment pu enquêter auprès des concepteurs sur les freins et les leviers à l’intégration d’une démarche environnementale de rupture. Le modèle circulaire étant en construction, j’ai assisté et participé depuis plus d’un an à plusieurs conférences, congrès et forums dans le souhait de comprendre la réalité des pratiques et l’état de l’art actuel. Dans ce sens, j’ai ambitionné que le premier livret « Explorer » de ce mémoire soit mené comme une vulgarisation de l’économie circulaire et de ses perspectives en France. Mon mémoire de recherche mené chez Oxylane pour valider mon diplôme de l’Ecole Centrale Paris m’a permis d’étudier les défis à relever pour la
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conception durable dans une dimension industrielle à grande échelle. Ces différents enseignements ont nourri le deuxième livret « Concevoir » de ce mémoire que j’ai souhaité conclure avec ma compréhension du rôle du créateur industriel sur cette problématique. Ce mémoire s’adresse à toutes personnes curieuses de mieux cerner les enjeux de l’économie circulaire. J’ai toutefois orienté le deuxième carnet vers les acteurs de la conception et les responsables de l’environnement de groupes industriels oeuvrant dans le secteur des biens de consommation grand public. Ce secteur a en effet un grand rôle à jouer dans la construction d’une économie circulaire avec la mise en place de modes de production et de consommation plus vertueux. Cette étude a permis de solidifier et d’enrichir mes connaissances et mes expériences dans les pratiques de conception environnementale et d’innovation durable dans lesquelles je souhaite oeuvrer en tant que créateur industriel.
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introduction Plus de quarante ans après le choc pétrolier qui devait changer notre vision du
monde, nous vivons dans un système où l’économie repose toujours en majorité
sur l’utilisation de ressources naturelles finies. Aujourd’hui, le recours croissant aux
énergies fossiles, le productivisme agricole, les prélèvements excessifs sur les eaux
de surface et souterraines, la croissance exponentielle de la pêche, la déforestation
massive et l’étalement de l’habitat sont les causes des principales plaies écologiques. Nos modes de production et de consommation se sont développés
autour du modèle linéaire « extraire - produire - consommer - jeter » qui participe
à la production massive de pollutions et de déchets toxiques. Nous nous sommes
éloignés, petit à petit, de la logique de notre biosphère qui consiste à ce que chaque
matière morte se transforme de nouveau en ressource première pour l’éco-système. Mais nous vivons une époque formidable. Le futur, constitué d’un côté obscur fait
de dangers et de menaces, porte aussi une face plus étincelante, celle des solutions et des initiatives positives. C’est plus spécifiquement sur cet aspect du futur, qui
commence dès aujourd’hui, que nous allons nous atteler à étudier. Malgré les
inquiétudes face à l’avenir, nous vivons une époque exaltante où de nombreux défis sont à relever et où la suite de notre histoire d’« homo-faber» est à écrire
en repartant d’une feuille blanche. En rupture, l’économie circulaire souhaite reconnecter nos modes de vie à cette logique cyclique.
Depuis quelques années, les acteurs de ce nouveau modèle économique durable
tentent de convaincre les grandes entreprises en partie responsables des maux de la planète à intégrer ses principes. Le monde de la conception a de nombreux
défis à relever pour créer un monde soutenable pour les générations futures. Le
designer a toujours accompagné les différentes mutations de l’industrie avec une préoccupation centrale de l’usager dans sa pratique. Quel rôle devra-t-il jouer
dans une perspective d’économie circulaire ? Nous chercherons à répondre à
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cette question dans notre étude. A l’interstice entre la création industrielle et la
conception environnementale, comment peut se définir une stratégie de design pour l’économie circulaire ?
L’étude a été menée en deux temps et a donc été formalisée sous forme de deux carnets. Dans le premier carnet, nous allons interroger la notion d’économie circulaire. Tout d’abord, il s’agira de définir les différents modèles soutenables qui
ont vu le jour ces dernières années afin de mieux cadrer et cerner les ambitions de la logique circulaire. Quel est l’état des pratiques d’économie circulaire dans le monde et en Europe ? Comment se positionne le territoire français sur cette problématique ?
Seront mises en relief les avancées dans le domaine de ce modèle en construction. Dans un deuxième temps, un état des lieux des pratiques françaises dans ce champ
sera dressé afin de confronter la logique circulaire aux savoir-faire français en gestion des déchets qui se sont construits autour des principes de notre économie linéaire. Sera plus largement posée la question de notre culture du déchet et de la place de l’utilisateur dans ce système. Après cette analyse, seront questionnées les façons de construire le modèle de l’économie circulaire français. En partant des
limites de notre système de gestion des déchets actuel, comment les acteurs du territoire peuvent-ils définir un système en phase avec les attentes de la société ?
Après cette exploration sur les enjeux de l’économie circulaire sur le territoire
français, notre étude portera avec le deuxième livret « Concevoir » sur la confrontation des méthodes d’éco-conception avec les ambitions de l’économie
circulaire et la place des créateurs industriels dans la construction de ce nouveau modèle. Nous interrogerons leur rôle à l’échelle de l’entreprise afin de voir comment
ils pourraient accompagner leur mutation vers un modèle de production et de consommation plus soutenable. Nous questionnerons leurs différentes approches et leurs méthodes pour soutenir l’arrivée de ce modèle de façon viable et désirable.
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vers un modèle circulaire Qu’est-ce que l’économie circulaire ? Nous débuterons notre réflexion par un éclairage sur les ambitions de ce modèle économique vertueux pour l’environnement. Nous dresserons dans un premier temps un panorama des nouveaux modèles économiques soutenables afin de mieux cerner les enjeux de la logique circulaire. Nous analyserons sa portée en France, mais aussi plus largement en Europe et à l’international. L’objectif de ce chapitre est d’apporter toutes les clefs nécessaires pour comprendre le cadre de cette étude.
l’urgence d’une mutation Un bien pour un mal. L’économiste Thomas Malthus annonçait au début du XIXème siècle un retour de
la famine dû à la croissance de la population bien supérieure à celle des moyens
de subsistances de l’époque. Le monde industriel s’est donc doté d’outils et de techniques pour produire toujours plus et toujours plus vite pour éviter cette situation. Dès cette époque, la hausse des rendements s’est avérée être plus rapide
que la croissance de la population. Depuis maintenant plus de deux siècles se déploie
donc une croissance de la production sans précédent dans les pays industrialisés. Elle explose maintenant dans les pays en voie de développement. Malgré que ce mouvement se soit traduit par une forte élévation du niveau de vie moyen avec
une espérance de vie allongée de façon spectaculaire, il s’est également développé à crédit de notre environnement, avec des modes opératoires aujourd’hui remis en cause.
Perturbation anthropogénique. Pour Paul Josef Crutzen, chimiste et météorologue néerlandais ayant reçu le prix Nobel de chimie en 1995, nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique 1. Crutzen P. J. et al., The Anthropocene : a new epoch of geological time ? Global Change n°41, (2000, p. 17-18)
l’Anthropocène1 (âge de l’Homme). Cette période définit les prélèvements, les
modifications et les rejets humains comme éléments qui domineraient sur les
équilibres de la biosphère et le régime naturel du système terrestre. Le terme « Anthropocène » a été popularisé au début des années 2000 et il faudra attendre
2016 pour voir si cette analyse sera reconnue officiellement par le prochain Congrès international de Géologie. Mais de nombreux scientifiques s’entendent déjà pour
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définir son apparition avec la révolution industrielle, période où l’Homo faber l’a
emporté sur l’Homo sapiens, comme le chimiste Vladimir Vernadsky qui écrit en 1924 :
« L’homme a introduit une nouvelle forme d’action de la matière vivante avec la
matière brute. Ce ne sont plus seulement les éléments nécessaires à la production, à la formation de la matière vivante qui entrent ici en jeu et changent ses édifices moléculaires. Ce sont des éléments nécessaires à la technique et à la création des
formes civilisées de la vie. L’homme agit ici non comme Homo sapiens, mais comme Homo faber. » 1
1. Vernadsky V. , La géochimie, (1924, p. 342)
Un véritable débat est actuellement ouvert entre les scientifiques, géologues et
biologistes pour dater et nommer cette nouvelle ère. Alors que les partisans de Crutzen font débuter cette période en 1784 avec la date du brevet de la machine à
vapeur de James Watt, d’autres scientifiques s’entendent pour la faire débuter dès
le Paléolithique à partir de la maîtrise du feu. Les Hommes pratiquent alors le brûlis
pour leurs cultures ou pour faciliter la chasse, une technique de défrichage par le feu faisant reculer les zones forestières et appauvrissant les sols. Pour la biologiste
Felisa A. Smith2, l’Anthropocène débute il y a 14 000 ans, avec la colonisation des chasseurs-cueilleurs en Amérique du Nord. Cet évènement est analysé par certains
2. Smith F. A., Nature Geoscience 3, (2010, p. 374-375)
comme un des facteurs du dernier grand refroidissement de la planète à cause de l’extermination de grands animaux herbivores essentiels pour le réchauffement climatique naturel.
Le professeur Maurice Fontaine de l’Académie des sciences de Paris, suivi par de nombreux biologistes, fait débuter cette ère à l’avènement de la société de
consommation après la conquête spatiale des années 50 et l’a nommé Molymoscène3
(âge de la pollution). Ce terme est jugé moins narcissique et est davantage orienté sur la notion de déchets, traces de l’Homme qui seront présentes dans les prochaines
ères. Dans cette visée, des archéologues et géologues la nomment aussi l’ère du Poubellien Supérieur.
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3. De Wever P., Temps de la Terre, temps de l’Homme, (2012, p. 240)
Quoi qu’il en soit, peu importe la date ou le nom de cette ère, l’Homo faber a de grands défis à relever dans sa façon d’appréhender et de modifier son milieu naturel. Cette capacité doit aussi s’appliquer à lui-même.
Depuis plusieurs années, de nouvelles façons de produire et de consommer ont
été pensées et développées pour nous permettre de cohabiter durablement avec la biosphère qui nous permet de vivre.
> Escer M. C, Drawing Hands, lithographie, 28,2 x 33,2. (1948)
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changer de cap, un panorama des modèles soutenables En 1987, Mme Gro Harlem Brundtland, premier ministre norvégien, définit le développement durable ainsi : « C’est s’efforcer de répondre aux besoins du présent
sans compromettre la capacité de satisfaire ceux des générations futures. »1. En
1992, le Sommet de la Terre à RIO organisé par les Nations Unies officialise cette
1. Rapport Brundtland (1987, p. 37)
notion et souhaite dès lors valoriser un développement économiquement efficace, socialement équitable et soutenable pour l’environnement.
En 2012, ce même sommet a pointé du doigt la priorité de faire progresser
l’économie verte, visant à réconcilier la croissance économique avec la protection de l’environnement. En effet, notre environnement économique, écologique et
social est en pleine mutation. Il se restructure autour de nouvelles problématiques
stratégiques comme l’accès aux matières premières dans la durée, la préservation
des ressources et de la biodiversité, le développement de la transition énergétique, l’adaptabilité face au vieillissement de la population et à la montée de la paupérisation et des exclusions.
Ayant été mises en place sans la prise en compte du développement durable, les
stratégies d’aujourd’hui sont d’ores et déjà obsolètes face à ces questions centrales. Nous serons plus de neuf milliards d’êtres humains en 20502 et les logiques
économiques et les systèmes de production actuels seront inefficaces et, nous
l’avons vu, hostiles sur la durée. Selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), à
2. D’après une projection de l’Institut national d’études démographiques (Ined).
l’heure actuelle, 60% des nombreux services qui sont rendus aux Hommes par la nature sont en déclin.3
3. Etude Millenium Ecosystem Assessment (MEA), (2005)
17
> Schéma classique du développement durable hérité de Rio en 1992.
Face à ce constat, différents modèles économiques et des alternatives émergentes plus soutenables se développent en marge de notre système de production et de consommation majeur. L’économie circulaire que nous allons étudier et questionner dans cette étude est une brique de cet ensemble. Dans l’objectif de comprendre et de clarifier son cadre et son ambition, il semble important de dresser succinctement
un tour d’horizon des différents modèles économiques valorisés comme porteurs
d’innovations durables, comme l’a montré une récente étude du cabinet Weave Air, 1. Etude Weave Air, Innovation + Développement = Nouveaux Business Models, (2013)
de l’Institut i7 et de l’ESCP Europe.1
L’économie collaborative. En 2009, une étude du cabinet Euro RSCG a montré que 80% des consommateurs
de sept pays (Brésil, Chine, France, Royaume-Uni, Japon, Pays-Bas et Etats-Unis)
affirmaient que la société de consommation était vide de sens. De multiples modèles économiques basés sur la collaboration avec de nouveaux modes d’échange et de contribution sont apparus en parallèle ces dernières années. Ils ont été appuyés par les opportunités de la mise en réseau via internet, la crise économique, la prise
de conscience de l’impact de nos modes de vie sur l’environnement mais aussi une
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recherche de lien social. Les citoyens ont donc eu la volonté de mieux consommer (partager, échanger, troquer au travers de la consommation collaborative) jusqu’à
devenir des acteurs économiques à part entière, en devenant producteurs, vendeurs, loueurs (production collaborative). Rachel Botsman, la fondatrice du mouvement de la consommation collaborative distingue trois systèmes1 :
Les Product Service System transforment un produit en service : louer
sa voiture quand on ne l’utilise pas (buzzcar.fr), permettre à son voisin
d’utiliser sa machine à laver le linge entre deux cycles (lamachineduvoisin.fr) ou encore réaliser du covoiturage (blablacar.fr).
La redistribution de produits permet par exemple de revendre ses objets que l’on
n’utilise plus (leboncoin.fr), échanger des magazines que l’on a déjà lus entre voisins
via nos boîtes aux lettres (trocdepresse.com) ou encore donner tout ce dont nous n’avons plus besoin (freecycle.fr).
Les systèmes qui favorisent des styles de vie collaboratifs permettent par
exemple d’acheter des produits en circuits courts, c’est-à-dire directement aux producteurs (réseaux « Amap »), s’engager dans du financement participatif
pour soutenir des projets qui nous parlent (Crowdfundig) ou encore intégrer des
espaces de coworking ou des plateformes de partage de connaissance (Skillshare). L’économie collaborative est certainement le modèle qui a su parfaitement s’insérer dans notre économie actuelle, le système économique majeur ne portant pas de
freins à son développement. Le principal point d’écart se trouve sur la prédominance
de l’usage vis-à-vis de la propriété. Sur ce point, l’Agence De l’Environnement et de
Maîtrise de l’Energie (ADEME) identifie l’économie collaborative comme vecteur
d’une économie verte, à savoir une économie qui sur le long terme, utilise moins ou mieux les ressources énergétiques et les matières premières non renouvelables. En
France, les pratiques varient entre des motivations individuelles (consommateurs qui recherchent des bons plans) ou/et collectives (utilisateurs avec des préoccupations sociales, à la recherche de nouvelles expériences). Le modèle économique Social et Solidaire se tourne davantage vers des actions d’intérêt général.
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1. Botsman R. et al., What’s mine is yours : How Collaborative Consumption is changing the way we live, (2011)
L’économie Sociale et Solidaire, au service de l’homme. L’Economie Sociale et Solidaire (ESS) est un terme très répandu, mais nous ne
connaissons pas toujours ce qu’elle définit précisément. Elle souffre d’une mine de représentations et de clichés et est parfois considérée comme une
« sous-économie ». Mais en 2012, la création du poste de ministre délégué chargé de l’ESS et de la consommation représenté par Benoît Hamon, a braqué les projecteurs
sur elle en lui apportant une première loi cadre. Elle a pour ambition de réconcilier
activité économique et utilité sociale au service de l’homme, des territoires et de l’intérêt général.
Les entreprises suivant ce modèle (associations, coopératives, mutuelles et
fondations) portent de nombreuses innovations car elles cherchent à produire,
consommer et décider autrement. Allant de l’action sociale aux activités financières, elles se situent souvent dans le secteur tertiaire. Les entreprises de l’ESS s’organisent
autour de la solidarité collective et du partage du pouvoir et réinvestissent leur résultat au travers de projets au service des personnes. Avec la crise actuelle, ce
modèle prend une place grandissante au travers d’initiatives de plus en plus innovantes, en réponse à des besoins sociaux non couverts ou insatisfaits.
Les acteurs de l’ESS interviennent historiquement dans le champ du développement
durable et des activités vertes. Par exemple, le réseau ENVIE a pour mission de favoriser l’accès à l’emploi et à la formation de personnes éloignées du monde du travail au travers des métiers de collecte des équipements électriques et
électroniques usagés, de leur réparation et revente et enfin de leur recyclage dans le respect de l’environnement. Ce domaine étant particulièrement d’actualité, la région d’Ile de France vient de lancer des travaux de réflexion sur le développement
de l’économie verte par des structures issues de cette logique. Un projet de recherche-action est également en cours sur le thème « Déchets et Citoyenneté » pour interroger la valeur ajoutée des acteurs de l’ESS dans ce champ. D’autres
modèles sont cependant directement orientés sur la recherche d’une économie verte à travers la réduction des consommations, notamment dans les secteurs
fournisseurs de flux comme l’eau ou l’énergie, c’est le cas de l’économie de la réduction.
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L’économie de la réduction, moins = plus. L’objectif de l’économie de la réduction est de vendre non plus du volume mais
de la valeur. Un exemple matérialise bien ce concept, le fournisseur d’électricité renouvelable OUI Planète propose un ensemble de services coopératifs gratuits qui offrent aux clients des réductions sur l’abonnement s’ils réduisent leur consommation d’énergie. C’est une logique gagnant-gagnant entre le client et
l’entreprise car l’utilisateur paie donc moins cher son énergie et l’entreprise a à la fois une meilleure visibilité sur l’évolution des consommations de ses clients et une offre à des prix compétitifs. L’économie de la réduction renvoie notamment au concept
de négawatt créé par l’écologiste américain Amory Lovins, qui attribue de la valeur à
une puissance économisée par un changement de technique ou de comportement. Nous pouvons aussi citer l’exemple de Recology, l’opérateur de gestion des déchets à
San Francisco, qui applique la règle « Pay as you throw » (« Payez ce que vous jetez »). Plus les habitants de San Francisco réduisent leurs déchets, moins ils paieront pour leur traitement, ce qui est une logique de bons sens.
En France, le groupe Veolia contribue à faire émerger de nouveaux systèmes
contractuels proches de ce modèle. Plusieurs contrats de production et de
distribution d’eau potable signés avec des collectivités sont notamment indexés sur l’atteinte d’objectifs en développement durable. C’est le cas de la ville de Riyad en
Arabie Saoudite, qui s’est notamment engagée sur la réduction des pertes en eau. Ce passage de la vente d’un volume à de la valeur se transforme en vente d’un usage plutôt que d’un produit dans l’économie de fonctionnalité.
L’économie de fonctionnalité, de l’usage ! Certaines entreprises font le choix de ne pas vendre leurs produits mais de les louer, en restant seules propriétaires du bien. Les pionnières en la matière ont d’abord
fait ce choix pour des raisons économiques. C’est le cas reconnu du groupe Xerox,
qui a décidé dès les années 1990 de rester propriétaire de ses photocopieurs et de vendre aux entreprises des contrats de facturation à la photocopie. Les sociétés
21
avaient en effet des difficultés à accepter le prix d’achat de ce progrès technique.
Les appareils étaient aussi jetés dès le premier problème rencontré, souvent mineur, et représentaient alors une perte importante pour l’entreprise, qui ne pouvait pas récupérer les composants électriques et électroniques réutilisables et de grande
valeur. Finalement, Xerox a dû investir dans la main d’oeuvre car restant propriétaire
du bien, l’entreprise doit assurer sa maintenance et ce coût a été compensé grâce à
la récupération des précieux composants. Ce cas d’étude exemplaire démontre que
l’économie de fonctionnalité peut être un modèle durable, porteur de valeur à la
fois pour l’utilisateur qui paie pour son juste besoin et l’entreprise qui a pu investir
dans de la main d’oeuvre et réaliser des économies d’échelle. Pour l’environnement, elle permet l’allongement de la durée de vie des produits intégrés dans ce modèle et la diminution d’utilisation de ressources naturelles.
En 2008, le Grenelle de l’Environnement dont la finalité était de prendre des décisions pour le long terme en matière de développement durable, a retenu 1. Rapport final du Grenelle Environnement, Chantier n° 31, groupe d’étude Economie de Fonctionnalité, (2008)
l’économie de fonctionnalité comme une des solutions à préconiser.1 Ce modèle a
été depuis largement testé par de grands groupes industriels comme Michelin ou
Bolloré avec l’Autolib, qui vendent des kilomètres parcourus à la place de la vente de
pneus et de voitures. Mais il est aussi appréhendé comme une opportunité pour les PME. Une expérimentation en Rhônes-Alpes a été lancée en 2013 pour accompagner cinq PME dans l’intégration de ce modèle.
Et à grande échelle ? En novembre 2013, le Centre de ressources régional de l’Economie Sociale et Solidaire
organisait une conférence sur le thème « Les autres économies peuvent-elles
changer la donne ? ». A très grande échelle, ces différents nouveaux modèles
peuvent-ils toujours aussi bien fonctionner ? Sont-ils des solutions miracles à la
crise ? Certains acteurs de l’ESS, tout en étant fiers de voir leurs principes valorisés en directives et lois cadres, craignent aussi que leur liberté d’entreprendre et leur
capacité à innover se réduisent. En définitive, ces modèles ont su se développer au
côté d’un système économique linéaire dominant dont voici les différentes étapes :
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extraire des ressources - fabriquer - vendre - consommer - jeter. Ils changent
plusieurs paramètres de cette chaîne linéaire, au travers de nouveaux jeux d’acteurs ou de nouveaux types de contrats, mais sans profondément la remettre en cause.
L’économie circulaire, à laquelle nous nous intéressons dans notre étude, a pour
objectif de rompre avec cette logique. Les différents travaux menés sur cette
économie portent sur la démonstration qu’elle peut fonctionner à très grande échelle et qu’elle doit, même, se substituer au système linéaire actuel.
> Graphique de l’économie linéaire de la fondation d’Ellen Mc Arthur.
23
la logique circulaire Autour du cycle, tendre vers l’idéal du zéro déchet. L’économie circulaire propose de produire autrement, en intégrant une exigence environnementale à tous les niveaux, de la conception, en passant
par la production, jusqu’à la façon de consommer et de gérer la fin de vie
des produits. Proche du courant du biomimétisme, qui observe les processus
et propriétés à l’échelle du vivant et les applique aux activités humaines, l’économie circulaire cherche à transférer des principes qui existent depuis plusieurs milliards d’années dans la nature : la matière morte de l’un devient
un aliment pour d’autres, ce qui permet aux différents organismes de co-exister. Ce nouveau modèle tente de réconcilier l’économie avec les maximes 1. Lavoisier A., Traité élémentaire de chimie, (1789, Chapitre I, p. 107) 2. Anaxagore, Les Homoeméries et le “noüs”, (Vème siècle avant J-C, Article 17)
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »1 du chimiste Antoine
Laurent de Lavoisier et « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes
se combinent, puis se séparent de nouveau »2 du philosophe grec Anaxagore. Le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) a souligné :
« Le concept d’économie circulaire consiste à rechercher au maximum la réutilisation
des sous-produits de chaque processus de production ou de consommation pour réintégrer ces derniers et éviter leur dégradation en déchets, en les considérant
3. CESE, Les enjeux de la gestion des déchets ménagers et assimilés en France, (2008, p. 77) 4. Mc Donough W., Braungart M., Cradle to Cradle, Re-making the way we make things, (2009)
comme des ressources potentielles. »3
Le modèle reprend donc la logique du concept théorisé en 2002 de « Cradle to Cradle »4
(du berceau au berceau) par l’architecte américain William Mc Donough et le chimiste allemand Michael Braungart qui prônent un retour à la logique cyclique dans notre façon de produire. Tout comme dans la nature où la notion de déchet
n’existe pas, chaque composant de n’importe quel produit, qu’il soit biodégradable ou non, doit être pensé et conçu dans l’objectif de pouvoir être désassemblé et
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réutilisé. Tout composant ne pouvant pas retourner à la nature comme les polymères ou encore les alliages doivent être réutilisés dans un nouveau cycle industriel.
Le modèle circulaire suit donc les principes de cette théorie, y compris celui d’utiliser des énergies renouvelables à chaque étape du processus. Il préconise aussi une
évolution des indicateurs servant à poser le prix d’un matériau et d’un produit, en
prenant en compte l’impact environnemental pour refléter le véritable coût des activités humaines. Elle recommande enfin de suivre quatre grands principes :
La compacité du cycle : capacité à réduire l’utilisation de matériaux. Le potentiel de durée du cycle : maximisation du nombre de cycles consécutifs et/ou de leur durée, par exemple, maximiser le nombre de fois et la durée où un produit sera réutilisé.
Le potentiel de l’utilisation en cascade : maximisation et diversification des usages
d’un produit. Par exemple, un tee-shirt en coton devra être passé par un circuit
d’occasion, puis sera utilisé en garnissage d’ameublement, pour être transformé en matériau d’isolation et idéalement, retournera à la biosphère s’il a été conçu pour être biodégradable.
La pureté des cycles : potentiel de récupération et de recyclage des flux de matériaux non contaminés qui favorise la longévité du matériau mais aussi sa productivité.
Le développement de ce modèle a été inscrit comme axe de travail dans la feuille de
route sur l’utilisation efficace des ressources1. L’économie circulaire répond donc à un impératif environnemental d’utilisation moindre des ressources et de réduction des déchets. Mais elle répond aussi à des impératifs économiques.
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1. Commission Européenne., Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources, (2011, p. 30)
>Représentation de l’économie circulaire, schéma adapté de la fondation d’Ellen Mc Arthur par l’institut de l’économie circulaire et Kedge Business School, (2013)
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Un modèle audible et crédible pour la sphère industrielle. Au-delà des considérations environnementales, dans un contexte où les ressources s’épuisent et sont de plus en plus convoitées, les industriels sont conscients des
risques engendrés par la logique linéaire. La hausse des prix des matières premières
et les difficultés d’approvisionnement sont de nouvelles problématiques critiques. L’économie mondiale a consommé 60 milliards de tonnes de ressources naturelles en 2007, une augmentation de 65% par rapport à 19801. Les industries consomment
notamment de plus en plus de terres rares, un ensemble de 17 éléments chimiques
aux propriétés précieuses pour la fabrication des biens électriques et électroniques comme les diodes électroluminescentes. En 2012, la consommation mondiale
1. D’après la recherche de Krausmann et al., Ecological Economics, vol. 68, (2009, p. 2696-2705) et repris par l’OCDE.
des terres rares était de 120 000 tonnes et elle pourrait doubler d’ici 2020 avec le
développement croissant des technologies vertes (voitures électriques, éoliennes...). La fondation pour l’économie circulaire lancée par la navigatrice britannique Ellen MacArthur a été créée en 2010 afin de promouvoir et communiquer sur ce modèle
mais aussi d’inciter les décideurs à agir dans ce sens. Appuyée par le cabinet de conseil McKinsey & Company, la fondation a produit différentes études démontrant
les arguments économiques d’un tel modèle. Les résultats sont très puissants. En
suivant les principes de ce modèle, une économie nette de 340 à 380 milliards de dollars américains serait possible au niveau européen uniquement en termes de
dépenses de matériaux dans un scénario de transition. Les économies réalisées réduiraient également la pression sur l’offre et stabiliseraient alors les prix.2
L’économie circulaire est aussi créatrice d’emplois et son développement pourrait
2. D’après l’étude Towards the circular economy, Vol 1 de la fondation Ellen Mc Arthur, (2013)
améliorer la compétitivité de la France et plus largement de l’Europe dans le
contexte de la mondialisation. Nous remarquons dans ce sens que depuis sa création en 2007, la filière de gestion des Déchets d’Equipements Electriques et
Electroniques (DEEE) en France a permis la création de plus de 30 sites industriels et
3 500 emplois3. Mais le modèle de l’économie circulaire ne se limite pas simplement
à la gestion efficace de la fin de vie des produits, il préconise différentes actions à mettre en place à chaque étape du cycle de vie du produit.
27
3. D’après l’étude de l’ADEME, Chiffres clés Déchets, (2012)
Les piliers de l’économie circulaire. La mise en pratique de l’économie circulaire repose sur la combinaison de différentes pratiques qui correspondent aux différentes phases de la vie d’un produit. Sept démarches ont été sélectionnées et valorisées par ce modèle.
> Les sept piliers de l’économie circulaire, graphique d’ Antoine Dagan tiré de l’étude ADEME & Vous n° 59, Osons l’économie circulaire, (2012, p. 13)
Eco-conception : L’économie circulaire se base dans un premier temps sur la conception de produits durables. Ils doivent être pensés dans un objectif de réduction des impacts environnementaux sur chaque étape de leur cycle de vie, de la génération des ressources naturelles à la gestion de fin de vie. 1. Norme ISO /TR 14062, Management environnemental Intégration des aspects environnementaux dans la conception et le développement des produits, (2002)
C’est en 2002, qu’une norme1 à destination des concepteurs expose la démarche et
propose différents principes pour prendre globalement en compte l’environnement
dans les activités de conception. La norme met aussi en valeur les atouts économiques de cette démarche. Par exemple, si l’industrie concevait des téléphones portables pouvant être facilement démontés avec une chaîne de recyclage améliorée et des
incitations aux utilisateurs pour les retourner, le coût global de leur fabrication 2. D’après l’étude Towards the circular economy, Vol 1 de la fondation Ellen Mc Arthur, (2013)
serait divisé par deux par appareil.2
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Cette démarche est valorisée comme une étape nécessaire pour le fonctionnement de l’économie circulaire pour la conception de produits recyclables prioritairement
en boucle fermée (attribuer de nouveau le même usage à un produit durant sa
seconde vie). Nous questionnerons dans le deuxième livret de l’étude l’efficacité des
méthodes d’éco-conception appliquées actuellement dans l’industrie au regard des différentes ambitions de ce modèle.
Ecologie Industrielle : C’est une pratique récente, apparue au Danemark en 1970, qui vise à limiter les impacts de l’industrie sur l’environnement à l’échelle d’un territoire. C’est un mode organisationnel entre différents industriels basé sur la
mutualisation et l’échange de déchets, matières premières, énergie, services, etc. Nous pouvons aussi parler de symbiose industrielle.
Un exemple parlant est celui d’une entreprise britannique qui produit des modules
d’air conditionné pour les véhicules et des systèmes de refroidissement des moteurs. Cette industrie génère une quantité importante de déchets toxiques, notamment
une substance dangereuse constituée de fluorure d’aluminium et de potassium. Une entreprise située sur le même territoire récupère ce déchet qui sert alors à son activité de recyclage d’aluminium. Cette collaboration permet non seulement
de réduire de 15 tonnes par an la quantité de déchets dangereux, mais aussi de diminuer de 36 000 euros les coûts de gestion de déchets.1
Economie de fonctionnalité : Cette démarche que nous avons décrite plus haut
comme la commercialisation d’un usage plutôt que d’un produit, est valorisée dans le modèle circulaire pour ses bénéfices dans l’allongement de la durée de vie
des produits. Elle développe aussi un mode de production adapté au juste besoin
des usagers et rend plus accessibles certains services qui valent chers à l’achat. Par exemple, les machines à laver le linge haut de gamme pourraient être accessibles
à la plupart des ménages via la location plutôt que la vente. Les utilisateurs
économiseraient aux alentours d’un tiers de ce qu’ils paient actuellement par cycle de lavage et le producteur bénéficierait d’un tiers de profit supplémentaire.
29
1. D’après l’association européenne pour la symbiose industrielle EUR-ISA.
Les 3 R : Réemploi, Réparation, Réutilisation : Le réemploi, la réparation et la
réutilisation participent au prolongement de la durée de vie des produits et sont
donc trois démarches valorisées par l’économie circulaire. Les termes de réemploi et de réutilisation sont souvent confondus alors qu’ils ne représentent pas les
mêmes actions. Le réemploi permet de réintroduire dans le circuit économique des produits qui ne répondent plus au besoin du premier utilisateur qui reste toujours
utilisable pour d’autres. La réutilisation permet la récupération des composants des produits qui ne peuvent plus répondre à leur usage premier pour la production d’autres objets.
Le groupe Renault a récemment développé en France une offre de pièces de réemploi pour ses services de réparation. Il a créé ces dernières années un réseau de 163 démolisseurs affiliés qui leur permet de récupérer les différentes pièces. Au
final, c’est plus de 85% de matières et composants d’un véhicule qui seront valorisés 1. Chiffres présentés lors de l’Atelier Intégration de l’économie circulaire dans une stratégie d’entreprise de l’Institut de l’économie circulaire, (2014)
en fin de vie.1
Le Recyclage : Le recyclage est une étape importante de l’économie circulaire. Son
objectif est la transformation des déchets en de nouvelles matières premières
appelées « Matières Premières Secondaires ». Deux types de recyclage existent : en boucle fermée quand ces matières premières sont ré-introduites dans la
production de produits similaires et en boucle ouverte pour la production d’autres
types de biens. En 2010, 15 millions de tonnes de matières de recyclage ont alimenté
2. Etude ADEME & Vous n° 59, Osons l’économie circulaire, (2012, p. 7)
l’industrie française en matière première.2
Pour l’économie circulaire, cette démarche doit intervenir en dernier recours, quand les solutions de réemploi et de réutilisation ne sont plus possibles. En effet, dès
2004, le Plan National de Prévention de la Production des Déchets ambitionne de 3. Ministère du Développement Durable, Plan d’actions pour la prévention de la production des déchets, (2004, p. 6)
rendre « la prévention aussi présente à l’esprit des Français que le recyclage ».3
L’économie circulaire est donc déjà en marche en Europe depuis de nombreuses années sur le terrain. Mais dans un objectif de faciliter le déploiement de chacune de ces pratiques à grande échelle dans le maximum de domaines d’activités, il est nécessaire que des avancées soient réalisées en matière législative.
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“business model in progress” L’économie circulaire est en construction. Le cadre législatif doit évoluer pour accueillir ce modèle en rupture avec la logique économique actuelle. Le philosophe Dominique Bourg, expert en développement durable, précisait en 2012 :
« Tant que la consommation ne sera pas encadrée, l’application des principes de
l’économie circulaire à grande échelle me semble impossible. Ce sont tous les
acteurs économiques qui doivent se sentir concernés, et au-delà, les institutions, associations, consommateurs et citoyens. »1
Pour la représentante de l’organisme Ecofolio en charge du recyclage du papier en
France, le cadre réglementaire est extrêmement daté. En effet, il remonte à une
1. Interview de Dominique Bourg par Adeline Raynal pour le journal internet La Provence échoplanète, (2012)
époque où les déchets étaient associés à une problématique de salubrité et non pas de ressource.2
2. Source : Institut de l’Economie Circulaire.
Vers une loi cadre en France. En France, l’Institut de l’économie circulaire présidé par François-Michel Lambert, le Vice-président de la commission développement durable de l’Assemblée Nationale, a été créé en février 2013. Les membres fondateurs de l’Institut viennent de domaines d’activités diversifiés, allant du groupe industriel La Poste en passant
par l’école Euromed Management ou le syndicat français de l’industrie cimentière. Son ambition est de fédérer et impliquer les acteurs économiques du territoire à la
démarche d’économie circulaire. Plus concrètement, il permet de mutualiser sur les
ressources et les compétences avec des experts de la question au travers d’ateliers .
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Ces derniers facilitent les synergies entre ces acteurs qui sont des clefs pour expérimenter autour du modèle. Son objectif est de présenter un projet de loi en faveur du modèle circulaire d’ici 2017, à la fin du mandat de la majorité actuelle.
Mais déjà, des premières actions vont dans le sens du modèle circulaire. En février 1. Projet de loi relatif à la consommation, (février 2014)
2014, le Sénat a adopté en seconde lecture le projet de loi relatif à la consommation.1
Cette loi avance plusieurs éléments qui jouent en faveur de l’économie circulaire. Les utilisateurs pourront jouir entièrement de leur droit à la garantie légale de deux ans sur les produits de consommation. Elle était freinée jusque là à cause
d’un mécanisme qui obligeait les consommateurs à prouver que le défaut de leur objet provenait d’un problème de fabrication à partir de six mois après la date d’achat. Cette durée va donc être rallongée à deux ans. De plus, les producteurs
devront renseigner sur l’existence et la durée de disponibilité des pièces détachées
indispensables pour la réparation d’un bien. Les distributeurs vont donc être tenus de fournir ces pièces détachées sous peine de sanction financière. Cette loi favorisera
donc la lutte contre l’obsolescence programmée des produits, une technique qui vise à réduire la durée de vie d’un produit.
Lors de la conférence « Economie circulaire, quelles stratégies pour les Etats engagés ? » organisée en mai 2013 par l’Institut, Catherine Larrieu, chef de la délégation au développement durable du Ministère du Développement durable, a décrit les
différents défis à relever en France, comme l’évolution du statut de déchet et la
promotion d’une méthode d’éco-conception ciblée pour l’économie circulaire. Elle a aussi rappelé que la France était 13ème sur les 27 pays membres de l’Union
Européenne en terme de recyclage. Il est important de développer en France une meilleure coopération entre les acteurs de chaque étape de la chaîne du recyclage et un marché de Matières Premières Secondaires de qualité.
L’économie circulaire était le thème d’une des cinq tables rondes de la Conférence
Environnementale de septembre 2013 qui a pour objectif l’écriture d’une feuille de route sur la politique environnementale du pays. Le ministre du développement
durable l’avait d’ailleurs annoncé comme une priorité de la conférence. De nombreux thèmes devaient être abordés, comme un programme de recherche et de
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développement pour la conception pour ce modèle, des incitations à l’utilisation de
matières recyclées, l’interdiction de la mise en décharge ou encore l’écriture d’une loi cadre. Mais aucune déclinaison concrète n’a été formalisée. Face à cette difficulté
d’accompagner au niveau législatif les modèles en rupture en France, d’autres pays ont déjà bien avancé sur la question depuis déjà plusieurs années.
Tour d’horizon des actions en Europe. La conférence introduite précédemment sur les stratégies des Etats engagés dans
une économie circulaire a permis de révéler différentes démarches qui reflètent le positionnement des pays sur la question. Les Britanniques et les Néerlandais ont
misé sur la gestion optimisée des déchets avec des engagements d’industriels pour
mettre en place un marché de matières premières secondaires issues du recyclage.
Alors que la mise en décharge représente 34% des déchets municipaux en France, elle représente moins de 3% aux Pays-Bas en 2010.1 Il y a d’ailleurs maintenant une surcapacité en incinérateurs sur le territoire qui les oblige à importer des déchets du Royaume-Uni.
Les Pays-Bas ont lancé en 2012 une étude visant à chiffrer le gain économique du modèle circulaire appliqué sur leur territoire. Le rapport a dévoilé un gain de sept
milliards d’euros en Produit Intérieur Brut avec une conversion vers l’économie de fonctionnalité, la consommation collaborative et les circuits circulaires des matières
premières. L’Etat porte six axes de travail dont l’un est l’évolution du système de
côte des matériaux recyclés pour leur attribuer une valeur financière égale aux matériaux neufs, afin de les valoriser.
Les Belges et les Suisses ont inscrit en 2010 des ambitions de diminution de la consommation de ressources naturelles et la diminution de la dépendance vis-à-vis
d’elles. Le canton de Genève mise particulièrement sur l’écologie industrielle avec leur Agenda 21, un plan d’action adopté par 173 pays lors du Sommet de la Terre en
1992 visant à décrire les champs où le développement durable doit s’appliquer aux politiques de collectivités territoriales. En 2010, une loi a été votée pour mettre en
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1. Tous les chiffres de ce passage ont été relevés lors de la conférence Economie circulaire, quelles stratégies pour les Etats engagés ? de l’Institut de l’Economie Circulaire, (31 mai 2013)
synergie différentes activités économiques d’un territoire. Le canton a également
lancé un programme visant à dynamiser l’économie locale durable et l’organisme
Fondetec pour le développement des emplois finance l’économie de proximité et
sociale et solidaire.
Dès 1996, l’Allemagne lance des premières lois aujourd’hui favorables à l’économie circulaire. Le règlement TaSI de 2003 a rendu obligatoire le pré-traitement des
déchets avant l’enfouissement. Selon l’Agence européenne de l’environnement, cela a permis d’augmenter le recyclage des déchets municipaux à 62%. Le pays
suit plusieurs principes, notamment celui de recycler le plus vite possible et le plus proche possible du lieu de génération du déchet. Il vient de voter une loi cadre pour le modèle circulaire en février 2012.
A l’international, les figures pro-actives. Aux Etats-Unis, la ville de San Francisco se positionne en leader dans la gestion des
déchets avec une législation stricte en vue de réduire la quantité de déchets. Elle a établi un partenariat avec l’organisme de gestion de déchets Recology qui impulse
des programmes innovants et a développé une véritable philosophie du recyclage et du compostage. Dès 1989, une loi a été instaurée visant la réduction de 25% de déchets jusqu’en 1995 et de 50% en 2000.
En 2002, la ville s’est fixée un objectif de zéro déchet pour 2020. En 2009, le recyclage
et le compostage ont été rendus obligatoires pour tous les ménages et les entreprises, sous peine d’amendes. Dans l’ensemble de l’Etat, la consigne pour recyclage a été
instaurée. Plus de vingt centres de tris ont été ouverts dans la ville pour permettre aux citoyens de ramener leurs déchets d’emballages en échange d’argent. A la fin
de 2013, cela rapportait 1,7 $ pour le plastique transparent, 1,76 $ pour l’Aluminium 1. Chiffres tirés du documentaire La vie sans déchet de l’émission Complément d’enquête (France 2, 19.09.2013)
et 0,30 $ pour le plastique rigide.1 Depuis 2012, les commerces ont l’obligation de
fournir à leurs clients des emballages biodégradables en compost ou recyclables.
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La Commission du Développement Durable (CDD) de 2010 a salué la ville de San
Francisco pour avoir mis en place un système exemplaire d’économie circulaire. Ce cas démontre l’importance des réglementations en matière environnementale et la puissance du proverbe « quand on veut, on peut ».
Dans le berceau de la production mondiale, en Chine, l’économie circulaire est
devenue une priorité depuis plusieurs années avec à son actif trois lois qui la
valorisent. Plusieurs objectifs sont visés, comme l’expérimentation d’une stratégie
de protection des ressources naturelles, la transformation des déchets en matière
première et le développement de politiques territoriales pour le développement des écosystèmes. Une circulaire parue en septembre 2013 vient d’étendre un ensemble
d’initiatives locales développées depuis 2009 en une expérimentation à l’échelle du pays sur cent villes ou districts pilotes avec des projets travaillant sur des cycles de production, de consommation et d’échanges.
En France, les régions n’ont pas attendu des lois cadres pour débuter des initiatives locales circulaires. De grands projets sont à l’étude.
Chantiers circulaires : le cas de la Vallée du Recyclage Textile en Nord-Pas-de-Calais. Plusieurs chantiers qui valorisent l’économie circulaire à échelle locale sont en train
d’être menés en France. En Aquitaine par exemple, un des objectifs du plan d’actions
régional consiste à identifier le potentiel aquitain sur ce modèle. Des projets autour de la filière bois sont actuellement à l’étude. En Nord-Pas-de-Calais, La Vallée du Recyclage Textile est un projet de grande ampleur. Quatre pôles d’excellence se sont
regroupés afin de créer des activités dans le recyclage textile dont le premier objectif est la création d’emplois pérennes. Beaucoup espèrent que cette initiative relancera
l’emploi dans la région textile historique. Mais la Vallée répond aussi à des objectifs
environnementaux. Le volume de Textile d’habillement, Linge et Chaussures mis sur le marché annuellement en France s’élève à 600 000 tonnes et seuls 25% sont
35
1. Tous les chiffres de cette partie ont été relevés lors de la conférence inaugurale de la Vallée du Recyclage Textile, ( mai 2013)
collectés en vue du réemploi et du recyclage.1 Pour un objectif d’atteindre 50% de volume collecté en 2019, la Vallée du Recyclage Textile a notamment pour mission
de développer de nouveaux marchés pour les produits fabriqués à partir de cette
matière recyclée et de soutenir l’innovation dans ce champ aux niveaux de la conception, des processus, des usages et de la commercialisation.
Un premier projet d’écologie industrielle est né de cette initiative avec la collaboration de sept acteurs qui se sont associés pour retisser de nouveaux produits avec leurs déchets de chutes de production (Coton, Polyester, Polyamide, Viscose et
Acrylique). La filière textile est en effet confrontée à des pertes de matières tout au long de la chaîne de production de l’ordre de 15% à 20% sur l’ensemble des étapes
de transformation. Des écoles d’ingénieurs du territoire et le Centre Européen des
Textiles Innovants (CETI) installé à Tourcoing soutiennent ce projet au travers d’un
consortium.
> Process du laboratoire du CETI. Source : CETI.
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Je comprends mieux les différents enjeux qui se cachent derrière l’économie circulaire, avec des ambitions à la fois environnementales et sociales, mais aussi une visée économique forte. Elle répond à une nécessité de muter vers un modèle en rupture avec la logique linéaire « extraire-produireconsommer-jeter » en combinant différentes démarches sur tout le cycle de vie du produit. Le modèle est en construction, j’ai pu noter que des conférences, tables rondes et expérimentations voyaient le jour chaque semaine depuis le début de ma réflexion sur ce sujet en 2013. Plusieurs initiatives en France tentent d’installer un cadre favorable pour ce nouveau modèle avec un travail législatif en cours et des premières expérimentations à l’échelle régionale.
Mais finalement, comment notre pays gère-t-il
concrètement la fin de vie de nos produits ? Et quelle est véritablement notre culture du déchet ? Autant de questions fondamentales à se poser afin de confronter la logique du modèle circulaire aux pratiques françaises.
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état des lieux sur les pratiques françaises Après ce tour d’horizon de l’économie circulaire, nous allons nous atteler à comprendre la réalité des pratiques françaises développées dans le domaine de la gestion de fin de vie de nos objets, qui reste le noyau central de la rupture avec la logique économique linéaire. Entre culture française du déchet, savoir-faire en la matière et politiques territoriales, nous analyserons les différents enjeux qui sont soulevés dans la confrontation du système actuel avec les ambitions de l’économie circulaire.
les valeurs du déchet Typologies de déchets. La notion de déchet n’existe pas en soi. Son sens diffère selon tous les acteurs amenés à traiter avec elle. Au long du XIXème siècle, le déchet était à la fois appréhendé comme une menace, un trouble à la santé publique en ville et comme une ressource
respectée par les paysans qui utilisaient un mélange de déchets ménagers, crottins et cendres comme engrais. Aujourd’hui, le code de l’environnement français définit
un déchet comme « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien
meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se 1. Code de l’environnement, Article R541-8.
défaire »1, sans lui associer de véritable valeur.
Les déchets sont définis en fonction de leur nature, à savoir dangereux, non
dangereux ou inertes. Les dangereux contiennent en quantité variable des éléments toxiques avec des risques pour la santé humaine et l’environnement. 15
propriétés de dangers ont été détaillées selon leurs natures organiques (solvants, hydrocarbure...), minérales (acides..) ou gazeuses. En 2008, la production de déchets dangereux monte à 10,9 millions de tonnes. Il est assez étonnant de constater que les secteurs de la collecte et du traitement des déchets et de la dépollution produisent presque un tiers de ces déchets.
Les déchets inertes ne se décomposent pas, ne brûlent pas et ne produisent aucune
réaction chimique ou physique avec l’environnement. Ils ne sont pas biodégradables et ne se décomposent pas au contact d’autres matières. En Europe, ils sont
directement identifiés aux déchets minéraux issus du secteur de la construction et des travaux publics (pierres, briques, tuiles, carrelages...). Les déchets inertes
s’élevaient en 2008 à 234 millions de tonnes et les non dangereux à près de 90 2. Tous les chiffres de cette partie ont été tirés du Lexique à l’usage des acteurs de la gestion des déchets, (2012)
millions de tonnes.2
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Les déchets sont aussi classés selon leur origine. Les déchets municipaux sont
gérés par les collectivités. Ils représentent tous les déchets ménagers et les déchets
issus d’activités économiques collectés par le service public (ordures ménagères
résiduelles en mélange dans la poubelle verte parisienne, déchets recyclables dans la poubelle jaune parisienne, les déchets d’artisans, déchets occasionnels comme
les encombrants et les déchets verts, ...). Ils regroupent également les déchets issus de l’assainissement des voiries.
L’artiste du déchet Arman a affirmé « Chacun de nous est ce qu’il jette.
Si tu évites de regarder ta poubelle en face, si tu te bouches le nez, c’est peut-être parce que tu ne veux pas te voir, que tu ne peux pas te sentir. »1
Dans ce sens, afin de mieux connaître les pratiques de consommation des français, deux campagnes nationales ont été commandées en 1993 et 2007 par le Ministère
1. Bertolini G., Montre moi tes déchets, l’art de faire parler les restes, (2011, p. 10)
du Développement Durable pour caractériser la composition des ordures ménagères
au niveau national.2 Cette composition n’a pas fondamentalement changé depuis
1993 et le tri est entré petit à petit dans les habitudes des Français. Mais des progrès sont encore à réaliser en prévention et en respect des règles de tri, notamment sur
2. ADEME, Campagne Nationale de Caractérisation des Ordures Ménagères, (1993 et 2007)
le verre.
> Composition des ordures ménagères au niveau national en 2007, données de l’ADEME.
41
> Composition des poubelles à bac jaune, graphique tiré du rapport annuel sur la gestion des déchets à Paris, (2012)
> Composition des poubelles à bac vert, graphique tiré du rapport annuel sur la gestion des déchets à Paris, (2012)
42
Concernant les déchets des activités économiques qui n’ont pas été assimilés
à des ordures ménagères, ils sont collectés par des organismes affiliés selon la typologie de produits dont ils sont issus, mais nous détaillerons ce système dans
la seconde partie de ce chapitre, consacrée à la gestion des déchets en France. Au-delà de la façon de les classifier, les valeurs que nous attachons au déchet et à la façon de les traiter correspondent à une philosophie de consommation et à une vision plus globale de la société.
La façon de traiter un déchet, une vision de la société. Les déchets reflètent bien notre activité de production et de consommation. Dans ce sens, la pratique de la rudologie s’attache à définir un système en l’analysant
depuis ses rejets en aval vers son centre d’organisation en amont. Pour Christophe Maria, le directeur de la communication de l’agence métropolitaine des déchets
ménagers Syctom, le moyen de traiter les déchets et donc les valeurs que l’on
associe à la notion de déchet, correspondent à une vision de la société à une période
donnée.1 Pour cette raison, les centres de traitement ont une durée de vie de moins de 50 ans. En plus de l’évolution rapide des technologies, la mutation des valeurs
sur lesquelles repose l’organisation d’une société rend obsolète sa façon de gérer les déchets. Un exemple est celui de la disparition de la consigne sur les emballages
1. Propos relevé lors de la visite du centre de déchet d’Issy-les-Moulineaux organisée par l’ENSCI-Les Ateliers en janvier 2014.
en verre en France dans les années 1960, qui permettaient à l’époque le réemploi
des bouteilles pour une vingtaine d’utilisations supplémentaires avant la refonte. A cette période d’avènement de la société de consommation, l’emballage à usage unique était considéré alors comme un progrès. Les acteurs qui permettaient le
fonctionnement du système de consigne comme les centres de nettoyages ont dû
fermer au profit de nouveaux organismes qui s’occupent aujourd’hui de traiter les déchets à la place des distributeurs qui leur délèguent cette tâche.2
En 2009, l’ADEME a développé le programme de recherche «Déchets et Société »
pour développer une communauté de chercheurs en sciences humaines et sociales
dans le domaine de la gestion du déchet. Trois aspects ressortent dans la recherche,
43
2. Source : Centre National d’Information Indépendante sur les Déchets (CNIID)
à savoir le lien entretenu entre l’individu et l’ordure, celui entre les individus
dans le système d’échange des déchets et enfin la relation entre l’individu et les institutions. Nous analyserons plus loin les premiers résultats du programme qui dessinent notre rapport au déchet dans notre société.
Le déchet semble aujourd’hui redevenir une opportunité. A une époque où, nous
l’avons vu, sa valorisation en de nouvelles matières première est encouragée pour tendre vers une économie circulaire, certains matériaux sont sortis du statut de
déchet afin de faciliter leur recyclage, comme le cas de l’aluminium, du fer et des métaux ferreux en 2011, le verre en décembre 2012 et le cuivre en août 2013. Des
réflexions sont en cours pour la sortie de statut de déchet du compost et des papiers et cartons. En effet, à ce jour, les matières putrescibles pouvant servir de compost
sont considérées comme des ordures, ce qui rend difficile administrativement
leur valorisation en matière potentielle. La sortie de statut de déchet est donc un
mécanisme fort pour faciliter l’arrivée du modèle circulaire. Quelle logique autour de la gestion du déchet est appliquée aujourd’hui en France ?
44
un maillage de savoir- faire En France, les politiques de gestion des déchets ont répondu à différents objectifs
selon les problématiques de chaque époque. Aujourd’hui, diminution de la
salubrité publique et des impacts environnementaux du traitement, valorisation du recyclage et de la prévention sont les enjeux qui coexistent. La dernière directive
cadre, adoptée en 2008 par le Conseil des ministres européens de l’environnement, donne la priorité à la politique de réduction des déchets à la source et au recyclage.1
Prévenir la production de déchets, préparer les déchets en vue de leur réemploi, développer le recyclage et la valorisation, les éliminer de manière sûre, en respectant l’environnement sont maintenant des impératifs en France.
Savoir-faire français en prévention des déchets. Prévenir plutôt que guérir : la prévention des déchets consiste à réduire leur
quantité (prévention quantitative) et leur nocivité (prévention qualitative) en intervenant à la fois sur leurs modes de production et de consommation. La
France développe des expérimentations en la matière. La campagne nationale
« Réduisons vite nos déchets, ça déborde !» lancée en 2009 allait dans ce sens. Une
expérimentation de l’affichage des informations environnementales des produits de consommation a été mise en place entre 2010 et 2013 avec 168 entreprises de multiples domaines d’activités. L’objectif était de développer des référentiels pour chaque catégorie de produit pour permettre de donner le choix aux utilisateurs
d’effectuer un acte d’achat plus raisonné. Séduite par l’expérimentation, l’Union Européenne a souhaité lancer fin 2013 une expérimentation sur plusieurs pays. Nous pouvons aussi citer une opération menée avec 50 entreprises témoins entre 2011 et
45
1. Union Européenne, Directive n° 2008/98/CE du 19/11/08 relative aux déchets, (2008)
2012 de divers secteurs qui ont été accompagnées par un bureau d’étude autour
de la valorisation et de la prévention de leurs déchets. Cette expérimentation a permis aux entreprises d’économiser 1,5 millions d’euros par an. 80 % de l’économie totale découlent du recyclage ou de la réduction à la source des achats en matière 1. D’après la feuille de route stratégique de l’ADEME pour la collecte, le tri, le recyclage et la valorisation des déchets (2011)
première.1 Enfin, une plateforme internet a été développée en 2011 pour proposer
aux acteurs en charge de la gestion mais aussi de la prévention des déchets un espace d’échange et de mutualisation des bonnes pratiques.
Dynamiser le réemploi : le secteur du réemploi est rattaché à la prévention des
déchets et non pas à la gestion des déchets puisqu’un objet qui sera réemployé ne sera pas passé par le statut de déchet. En 2012, 98% des français ont déclaré
2. D’après l’étude de l’ADEME Les Français et le réemploi des produits usagés, (2012)
avoir déjà pratiqué cette démarche.2 La crise économique mais aussi la volonté de
changer les modes de consommation sont à l’origine de cette tendance. Dans les
analyses, le secteur du réemploi est souvent associé à celui de la réutilisation, qui consiste à redonner un statut de composant de produit à un déchet et qui fait donc partie des savoir-faire français en gestion des déchets.
Les structures de l’Economie Sociale et Solidaire sont très à l’oeuvre dans ce secteur
et certaines en sont des spécialistes comme celles orientées sur la seconde main (le marché de l’occasion). Ces activités ont un certain poids économique. Les évaluations montrent en 2012 un Chiffre d’Affaire de 1 250 millions d’euros dans ce secteur, dont
22% détenus par les acteurs de l’ESS et 78% pour le secteur de l’occasion. Le réemploi 3. D’après l’étude de l’ADEME Réemploi, réparation et réutilisation, (2012)
et la réutilisation auraient permis d’éviter 825 000 tonnes de déchets.3
Réparer toujours plus : la réparation fait à la fois partie du secteur de prévention et de gestion des déchets. Elle permet à la fois d’éviter à un produit de devenir
un déchet et de redonner un statut de composant de produit à un déchet au travers de sa réutilisation. Le secteur de la réparation est très fragmenté en France. Il existe différents secteurs qui correspondent à chaque type de produit
au sein desquels de multiples acteurs sont amenés à intervenir. Il n’existe pas de fédération professionnelle sur ce champ d’activité, ce qui rend difficile son étude
et la coordination d’actions. Certains secteurs sont mieux représentés que d’autres, comme l’automobile avec son Conseil national des professions de l’automobile.
La réparation peut être effectuée par différents acteurs, comme les fabricants dans
46
le cas des appareils électriques et électroniques, les distributeurs qui peuvent
prendre en charge certaines activités de ce type, les acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire qui ont une expertise historique dans ce secteur avec des accords avec
certains organismes pour être approvisionnés en objets à réparer et enfin des réparateurs indépendants.
> Circuits du réemploi et de la réutilisation, schéma extrait du Lexique à l’usage des acteurs de la gestion des déchets, (2012). La zone haute “PRODUITS” correspond à la prévention des déchets et la zone basse “DÉCHETS” correspond à la gestion des déchets.
Le secteur compte 70 600 entreprises en 2011.1 En 2009, tous les secteurs de
la réparation ont augmenté alors que celui de l’électronique a baissé. Afin de mieux accompagner et encadrer l’activité de réparation sur le territoire, l’ADEME
préconise de davantage sensibiliser les utilisateurs au recours à la réparation, de les informer sur une offre qualifiée et de soutenir l’auto-réparation. Plusieurs actions
sont à développer et des éclairages seront à apporter sur les différents systèmes
de garanties. Le secteur des pièces détachées d’occasion devra être rendu plus accessible et les métiers de la réparation devront être revalorisés auprès des plus jeunes.
47
1. D’après les données de 2011 du répertoire des entreprises et des établissements (REE) SIRENE provenant du dispositif INSEE.
> Schéma simplifié du fonctionnement des structures de l’ESS, extrait de l’Actualisation du panorama de la deuxième vie des produits en France de l’ADEME, (2012)
Savoir-faire français en gestion des déchets. Soigner les déchets : le Code de l’Environnement définit la préparation des déchets
en vue de leur réutilisation comme toute opération de contrôle, nettoyage ou
réparation de déchets de produits en vue de leur valorisation en de nouveaux 1. Code de l’environnement, Article R541-1-1.
objets.1 Les produits ou/et les composants qui sont devenus des rebuts sont préparés
pour être réutilisés sans autre opération de pré-traitement. C’est l’étape qui se situe après la prévention, qui évite au produit de devenir un déchet, mais avant le
recyclage, qui valorise les déchets en de nouvelles matières premières. En France,
ce sont majoritairement les entreprises de l’ESS qui maitrisent cette opération, comme dans les domaines du réemploi et de la réparation.
Faire progresser le recyclage : l’activité du recyclage est composée de multiples
traitements, dits chimiques quand ils utilisent une réaction chimique pour, par
exemple, séparer certains composants, mécaniques pour la transformation des
déchets via une machine (broyage) et organiques pour des procédés de compostage
48
ou fermentation. Le tri automatique assisté de capteurs est la technique majoritaire
en France. Le tri optique permet de séparer les déchets en fonction de leur spectre, et d’autres technologies sont en cours de développement pour permettre d’analyser
la nature d’un matériau et sa composition ou la structure moléculaire d’un produit. Ces procédés participent à produire des Matières Premières de Recyclage (MPR) de
qualité. Dans ce secteur industriel qui connait une forte croissance mondiale, les industriels français proposent à ce jour des solutions innovantes et de notoriété internationale.
Valoriser les déchets en ressources
:
La France a une forte politique de
développement de stratégies industrielles de valorisation des déchets qui compte à
ce jour un ensemble de 18 filières. Les Ministères du Développement Durable et de l’Industrie animent un groupe de travail sur ce sujet avec les industriels concernés
et les filières des éco-industries (industries des technologies vertes). Les orientations retenues consistent à favoriser la mise en place de procédés technologiques
permettant d’extraire et de préparer des nouvelles matières premières issues de
déchets et de développer des nouveaux modèles d’organisations pour faciliter le
transfert de ces nouvelles matières vers des industries de transformation ou de produits finis. En 2011, plus de 44 millions de tonnes de matières premières de
recyclage ont été produites en France, une progression de plus de 7% par rapport à l’année précédente.1
Plusieurs types de procédés de valorisation des déchets sont pratiqués sur le
territoire français. L’incinération avec valorisation énergétique est le premier mode
1. D’après le bilan de la production de matières premières recyclées, Supplément d’Environnement Magazine n° 1709, (2012)
de traitement des ordures ménagères, avec 130 installations en 2011 pouvant traiter une plus grande quantité que dans le passé.2 La combustion des déchets produit
à la fois de l’énergie et des matériaux réutilisables, en évitant l’enfouissement des déchets, une décharge conçue pour le stockage de déchets ultimes, que l’on ne peut plus traiter par aucun moyen. En 2010, 30% des déchets municipaux ont été incinérés, ce qui la classe au 7ème rang européen.
La méthanisation qui consiste à traiter des déchets de matières organiques
est moins développée en France par rapport à d’autres pays européens. Sur une
49
2. Tous les chiffres de ce passage proviennent de l’ADEME .
cinquantaine d’installations, dix sont en fonctionnement pour le traitement des déchets ménagers, le reste traitant principalement des déchets d’origine agricole. Il
y est produit du biogaz et du digestat, un résidu qui a pour vocation à être épandu ou composté et séché comme matière fertilisante. Beaucoup de difficultés freinent le traitement des déchets par méthanisation en France, à cause d’approvisionnement
inférieur aux prévisions, des soucis techniques liés au caractère non hétérogène des matières traitées et des nuisances odorantes.
Le procédé de compostage connait en revanche une croissance importante. Plus de 800 installations sont en fonctionnement en France. Il consiste en un traitement
biologique en milieu oxygéné des déchets organiques fermentescibles. En grande quantité, le procédé dégage une très forte chaleur, pouvant s’élever à 60 degrés. La qualité du compost qui en résulte est déterminante pour lui assurer des débouchés
et pour la pérennité de l’activité. Depuis 2010, les gros producteurs de biodéchets ont l’obligation de les trier et de les valoriser. La restauration alimentaire et les industries agro-alimentaires sont les premières visées.
La collecte sélective des biodéchets n’étant pas assurée sur le territoire, le tri-compostage est une technique ancienne en France qui vise à fabriquer un compost sans avoir séparé les biodéchets des autres déchets, le tri s’effectuant
avant ou après le compostage. La technique a été modernisée au travers d’usines appelées « TMB » (à Traitement Mécano-Biologique). Malheureusement la qualité
du compost qui en résulte est médiocre, avec des traces de particules d’autres matériaux, ce qui empêche son utilisation.
Stocker pour éliminer : le stockage est l’opération ultime de l’élimination des
déchets. Il concerne les déchets qui n’ont pas pu être valorisés par le réemploi, la
réutilisation ou le recyclage au travers des procédés techniques et économiques de l’époque en cours. Elle est inévitable pour une fraction ultime des rebuts. Le nombre de décharges est en diminution continue avec des réglementations plus poussées qui rendent obsolètes certaines installations et la fermeture des sites qui étaient
exploités sans autorisation préfectorale. L’élimination des déchets concerne aussi
les traitements par incinération qui n’ont pas produit de revalorisation énergétique.
50
> Schéma simplifié d’une usine d’incinération, extrait du rapport annuel de la gestion des déchets à Paris, (2012)
51
Le tri et la valorisation des ordures ménagères : le cas d’Isséane à Issy les Moulineaux. L’agence métropolitaine des déchets ménagers Syctom a une mission de service public autour de l’écologie urbaine, c’est-à-dire sur l’ensemble des problématiques environnementales présentes en milieu urbain ou péri-urbain. Elle s’occupe de
traiter et de valoriser les déchets ménagers de la moitié des franciliens à savoir 10% de la population nationale.
Leur centre de tri des collectes sélectives et de valorisation énergétique des déchets
Isséane, ouvert en 2007 à Issy les Moulineaux, accueille les déchets ménagers de
plus d’un million d’habitants des 25 communes alentours.
Le coût de fabrication du centre s’est élevé à 600 millions d’euros avec une démarche pionnière de Haute Qualité Environnementale (HQE). Mais par comparaison, un
nouveau centre de traitement de déchets actuellement en construction à Ivry qui bénéficiera des dernières technologies de pointe coûtera aux alentours d’un milliard d’euros. Malgré ces coûts, il est important de préciser que plus de 30 000 emplois ont été créés en 15 ans dans le secteur du tri et du traitement des déchets.
La capacité de tri du centre a été réduite de 15% par rapport au précédent, car la politique actuelle est à la prévention et à la réduction des déchets à la source. Son
crédo est de mieux traiter moins de rejets. Une tonne de déchets traités coûtant 100
euros par habitant, cette politique est à la fois environnementale et économique. Etant donné ce coût, il y a une solidarité entre les territoires pour ne pas s’échanger
les déchets et donc ne pas faire payer aux autres nos propres rejets. Le défi à relever est d’éviter le plus possible la mise en décharge et l’enfouissement des déchets, qui
équivaut encore à 1 million de tonnes par an en Seine et Marne et que chaque nature
de déchet puisse trouver sa voie de récupération. Un enjeu est donc d’installer les centres de tri et de traitement le plus proche du lieu de production du déchet et de
travailler sur l’acceptabilité du centre proche de chez soi. Malgré qu’il ait été enterré aux deux-tiers de son volume global, le centre Isséane construit près des sièges
sociaux d’entreprises comme Microsoft, EDF, Yves Rocher et Bouygues Telecom, a mis
du temps à se faire accepter.
52
> Implantation cartographique des incinérateurs et de leurs bassins versants sur Paris et ses communes limitrophes, schéma extrait du rapport annuel de la gestion des déchets à Paris, (2012)
Isséane est donc multifilières, avec le regroupement d’un centre d’incinération et
de tri. Concernant l’incinération, la fosse de récupération des déchets ménagers
en mélange (la poubelle verte parisienne) a une capacité de stockage de 3000 tonnes. Le centre ne s’occupe pas de la récupération des encombrants, qui partent
en déchèterie. De nouvelles filières s’occuperont alors de séparer les composants
en vue de les acheminer sur les systèmes de gestion de fin de vie adéquat. Toutes les heures, 30 tonnes de déchets partent donc en incinération. Le grapin servant à
récupérer les détritus, qui pèse par ailleurs huit tonnes, a une prise de cinq tonnes, l’équivalent d’un camion à benne.
La fosse à détritus est pressurisée, le centre de tri ne sent donc pas mauvais car l’air
qui contient les odeurs est aspiré directement sous le four pour créer la combustion. Presque les deux tiers du volume du centre sert à traiter les fumées qui y sont issues. Les poussières et la suie provoquées par le procédé d’incinération sont récupérées par électrostatique sur les murs et sont ensuite retraitées.
53
>Résidus produits lors de l’incinération de 470 000 tonnes de déchets incinérés à Isséane.
Le premier objectif de l’incinération est la réduction du volume des déchets ; la
revalorisation des déchets en énergie est à ce jour un deuxième objectif. Grâce à des technologies de pointe, pour une tonne de déchets traités, le centre produit
entre trois et quatre tonnes de vapeur. Cette vapeur fait l’oeuvre d’une valorisation
énergétique en étant injectée dans le réseau de chauffage urbain, avec un rendement de 80% pour une norme fixant un seuil à 60%. 100 000 logements et
établissements publics sont donc chauffés par cette valorisation énergétique des
déchets du centre Isséane. Il est doté d’un analyseur en temps réel de la teneur en
Composés Organiques Volatils (COV) évacués dans l’air pour respecter les seuils
autorisés. Ce sont l’intensité et la qualité de la matière qui génèrent de la pollution, plus ou moins toxique.
Concernant le tri des déchets recyclables (la poubelle jaune parisienne), le centre comptabilise autour de 30% d’erreurs de tris en amont. Les indésirables non
recyclables sont donc retirés pour partir dans un premier temps en incinération. Le
procédé de tri débute par la séparation des types de produits selon leur poids et leur taille via une machine. Il est intéressant de noter que les petits volumes comme un ticket de caisse ou un post-it ne sont pas des éléments recyclés car ils ne sont pas
captés par les machines. Deux lignes de tri effectué par les opérateurs sont ensuite
organisés, l’une pour les flux plats (papiers) et l’autre pour les flux creux (conserves, etc.) afin de retirer les derniers indésirables qui n’ont pas été captés en amont ou mal triés par les machines.
54
> Flux des déchets plats à la sortie de l’opération de tri manuel, centre Isséane d’Issy les Moulineaux.
> Déchets plats compactés et prêts à être envoyés pour valorisation, centre Isséane d’Issy les Moulineaux.
55
Enfin, les flux à recycler partent dans d’autres centres spécifiques. Le centre Isséane étant situé au bord de la Seine à Issy les Moulineaux, les papiers sont compactés et
envoyés en péniche à un centre de traitement situé dans les environs. Un soin est
apporté à utiliser des transports les plus propres possibles pour la logistique entre les différents centres de traitements.
Après ce tour d’horizon des déchets municipaux collectés dans nos poubelles, portons une attention à tous ceux collectés de façon séparée, des encombrants à la pile.
Le principe de Responsabilité Elargie du Producteur. La collecte sélective (le fait de collecter de façon séparée) a débuté à l’initiative des industriels avec les produits verriers suite au premier choc pétrolier de 1974. Elle a été suivie par la collecte des papiers dans les années 80. Ce sont des motivations avant tout économiques qui ont donc guidé le tri des déchets. A la fin des années 80, les collectivités territoriales françaises qui étaient responsables de la gestion des
déchets ménagers se sont retrouvées face à une forte augmentation des quantités
de déchets et donc des coûts de gestion à devoir répercuter sur les administrés. Le gouvernement français a donc dû à l’époque réévaluer la logique de la politique de
gestion des déchets. Transférer la gestion financière aux fabricants ou importateurs
du déchet à traiter a donc semblé nécessaire, en application au principe du
«pollueur-payeur». Ce principe adopté par l’OCDE en 1972, consiste à faire prendre
en compte par chaque metteur sur le marché de produits les externalités négatives
de leur activité. La notion de Responsabilité Elargie du Producteur (REP) a été posée au niveau européen en 1975 :
« Conformément au principe du pollueur-payeur, le coût de l’élimination des déchets doit être supporté par le détenteur qui remet des déchets à un ramasseur ou à une
entreprise, les détenteurs antérieurs ou le producteur du produit générateur de
1. Union Européenne, Directive 75/442/CEE relatif au principe de Responsabilité Elargie du Producteur, (1975)
déchets ».1
56
Les fabricants nationaux, les distributeurs pour les produits de leurs propres
marques mais aussi les importateurs ont donc l’obligation de fournir ou de
contribuer à la gestion des déchets issus de leurs produits. Plusieurs pratiques leur sont possibles, soit par la mise en place individuelle de collecte et de traitement de
leurs déchets ou mutualisée en faisant appel à un prestataire ou encore de façon collective en adhérant et participant à un éco-organisme dont ils leurs délèguent
cette obligation. Dans la grande majorité des cas, c’est cette dernière solution qui est choisie par les metteurs sur le marché qui n’assument alors qu’en partie les coûts de la gestion de leurs déchets vis-à-vis des deux autres.
L’éco-organisme est donc une structure privée, la plupart du temps agréée par les pouvoirs publics pour une durée maximum de six ans. Leur fonctionnement
repose sur des partenariats entre les différents acteurs du cycle de vie du produit à traiter. Les producteurs versent une contribution financière (Eco-contribution) aux
éco-organismes dont ils assurent la gouvernance. Elle participe à financer toute ou
une partie de la gestion des produits usagés (collecte, tri, transport, dépollution, recyclage, valorisation...). Cette Eco-contribution permet de décharger au maximum
les collectivités territoriales des coûts de gestion des déchets en transférant le financement du contribuable au consommateur, car elle est internalisée dans le prix de vente du produit neuf.
Certaines filières REP ont été imposées par une directive européenne comme celles concernant les piles, les automobiles ou les équipements électriques et
électroniques ménagers. D’autres sont arrivées en réponse à une réglementation, c’est le cas de la première REP créée en 1992 concernant l’emballage (Eco-Emballage).
Des réglementations nationales ont imposé certaines filières comme celles pour
les pneumatiques, les textiles, linges de maison et chaussures ou encore, depuis 2011, celle concernant l’ameublement (Eco-Mobilier). Ce dernier éco-organisme a été
lancé par des professionnels de l’ameublement afin de répondre aux obligations de recyclage. Chaque année, environ 1,7 millions de tonnes de produits mobiliers
arrivent en fin de vie.1 Eco-Mobilier collecte donc depuis 2011 les mobiliers
déposés en déchèterie, ou directement chez les distributeurs ou sur des collectes complémentaires organisées sur des sites fréquentés ou encore lors d’évènements
57
1. Source EcoMobilier.
rassembleurs. Leur objectif est de réutiliser et recycler au moins 45% des meubles usagés et des déchets d’ameublement à la fin 2015.
> Fin de vie du mobilier en France en 2011 (données d’Eco-Mobilier).
La filière REP repose donc sur la collaboration de différents acteurs et surtout sur la participation et le bon geste du producteur du rejet, l’utilisateur du bien devenu déchet. Quel est véritablement le statut de cet acteur dans la chaîne du système ?
Quels liens existent-ils entre un individu et ses déchets ? Quelles sont ses attitudes, et quels sont les facteurs qui motivent ses pratiques ? Existe t-il une influence entre
la politique territoriale de gestion de déchets et les comportements des individus
face au déchet ? Autant de questions qui montrent l’importance d’une meilleure connaissance de l’utilisateur pour développer l’économie circulaire. Mais ce n’est
pourtant que depuis 2009 que ces mécanismes sont étudiés en France au travers
du programme « Déchets et Société » lancé par l’ADEME. Les premiers résultats du programme seront développés et commentés dans la prochaine partie.
58
du consommateur à l’utilisateur Quand l’utilisateur final devient l’utilisateur initial. Nous venons de brosser le portrait du fonctionnement global du système
permettant d’organiser la gestion de fin de vie de nos produits. Son premier objectif est bien de pouvoir assurer le retour des produits et des matières devenus
des déchets aux acteurs de la gestion de fin de vie. Concernant les déchets des activités économiques, constitués de rejets de production et d’une grande quantité de retours d’emballages, le processus est complexe avec un nombre important
d’intermédiaires et de gros volumes à devoir entreposer. Pour les déchets ménagers,
un ensemble d’actions sont à prendre en compte : le traitement des retours, l’évaluation des objets à traiter (les remettre à neuf ou en état), la gestion des
stocks, puis le recyclage ou l’acheminement des déchets ultimes vers le lieu de stockage final. Le système intègre à la fois la récupération des déchets ménagers ultimes à incinérer mais aussi de tous les retours de produits défectueux, non
conformes ou qui ne correspondent plus aux besoins des détenteurs (retours sous garantie ou commerciaux, fin de vie, campagnes de rappels...). Dans le cas de ces
retours de produits aux producteurs, l’utilisateur final de l’industrie des biens de consommation devient alors l’utilisateur initial de ce système : c’est la logistique
inverse.
Prenons l’exemple des déchets électroniques. Depuis 2006, la loi de reprise « Un pour Un » oblige les distributeurs à reprendre un produit électronique
pour l’achat d’un nouveau, ils deviennent alors un point de collecte possible
pour le consommateur. Dans le cas où un usager souhaite se débarasser d’un
appareil électronique sans l’achat d’un nouveau, il est possible de les déposer sans obligation d’achat lorsqu’il s’agit de petits équipements (mise en place
59
récente et progressive de bornes de collecte en libre-service « Un pour Zéro »). Ces déchets électroniques sont ensuite collectés et valorisés par les éco-organismes agréés. A Paris, il est également possible de déposer son appareil dans la poubelle à couvercle jaune de tri des plastiques, papiers et cartons. Mais cela pose des étapes
logistiques supplémentaires en aval et il vaut mieux alors privilégier les bacs de
collecte chez les distributeurs. Enfin, si l’appareil est encore utilisable ou bien réparable, il est envisageable de le déposer dans une structure d’ESS de type Emmaüs
ou Envie ou encore des recycleries. Beaucoup de choix s’offrent donc à nous, et face
au doute, une des premières réactions des usagers est de stocker l’appareil chez eux lorsqu’il est peu encombrant, dans un tiroir ou une boîte souvent réservés à cela.
> Diverses possibilités pour donner une seconde vie à un produit. Source : Réemploi, Réutilisation, Réparation de l’ADEME.
La multiplicité des points de collectes et des conditions de collectes est le signe d’un
manque d’une conception de système centrée sur l’utilisateur, qui est pourtant le premier acteur de la chaîne. Le tri reposant sur le principe de la collecte sélective
(celui qui jette le déchet le trie lui-même), le producteur de déchet est donc un maillon essentiel à la performance du système de gestion des déchets. Poubelles
vertes et poubelles jaunes à Paris, colonnes à verre, bacs de dépôt pour les piles,
bacs de dépôt pour les ampoules, bacs de dépôt pour les petits objets électroniques, enlèvement des encombrants pour certaines typologies de produits... Cela pose
60
la question de la nature de la collaboration entre chaque acteur de la chaîne et la place qu’ils accordent au producteur du déchet ménager.
Les pratiques de consommation de l’individu. Plusieurs projets de l’ADEME rattachés au programme de recherche « Déchets et
Société » tentent d’analyser le consommateur en tant qu’usager du système et donc
en acteur à part entière.1 Par exemple, le projet GreCod (Groupe de recherche sur la
Consommation Durable) s’est donné pour objectif d’étudier les comportements de
consommation durables afin de caractériser les différents profils de consommation selon leur appartenance socio-économique, leurs critères d’achat, leurs références
1. ADEME, Quand les sciences Humaines et Sociales explorent les déchets..., retour du séminaire des 17 et 18 décembre 2012.
et leurs modes de consommation. Nous pouvons également citer le projet REFIOM (Rôle de l’Ecologie Familiale dans la réduction des Impacts liés aux Ordures Ménagères) qui observe l’influence d’un territoire et de sa politique locale de
déchet sur les comportements des ménages. Les premiers résultats de cet axe de
travail1 montrent que les pratiques de consommation diffèrent selon les régions françaises et que les pratiques de l’entourage de l’usager l’influencent fortement
dans ses habitudes de consommation. Deux modèles de consommation durable
ont été identifiés, la version faible correspondant aux profils souhaitant avoir des pratiques plus durables sans pour autant changer leur modèle de consommation et
la version forte pour les profils dont les comportements nécessitent d’être soutenus et accompagnés par un changement des normes sociales.
Ces résultats sont à compléter par d’autres études et enquêtes de l’ADEME qui dispose de données régulières sur les pratiques et les opinions des français sur
les questions environnementales qui influencent leurs pratiques. Les résultats montrent que les démarches de tri des déchets, d’éteindre les veilles des appareils
électriques et d’acheter des légumes saisonniers sont les plus pratiquées.2 De plus,
les jeunes (lycéens et étudiants) sont les moins enclins à pratiquer des éco-gestes en
2. ADEME, Représentations sociales de l’effet de serre, (2013)
comparaison aux personnes âgées, malgré que ce public soit le plus sensibilisé aux enjeux environnementaux.3
3. IPSOS, Observatoire des modes de vie et de consommation des français, (2010)
61
Au
niveau
des
très
fortement
nouvelles
pratiques
de
consommation,
les
actes
d’achats et de vente de produits d’occasion sur internet augmentent 1. IPSOS, Les français et les pratiques collaboratives, (2013)
collaborative
ont
depuis été
2009. Les
classées
nouvelles
selon
la
formes
nature
de
de
leurs
consommation
motivations.1
Par exemple, participer à des achats groupés ou vendre ses objets à d’autres particuliers résultent davantage de motivations individuelles à la recherche de
bons plans alors que faire du covoiturage ou adhérer à une AMAP sont davantage
de l’ordre d’un engagement fort et d’une préoccupation sur l’évolution de la société. Connaitre les pratiques des individus mais surtout comprendre les motivations
qui les soutiennent peuvent participer à élaborer des systèmes en phase avec les
aspirations de la société. Essayons alors de comprendre davantage les liens qui se tissent entre l’usager et ses déchets.
L’usager face à ses déchets. Le programme « Déchets et Société » de l’ADEME que nous avons introduit
précédemment a notamment l’objectif de mieux comprendre les habitudes et les pratiques de l’utilisateur avec son déchet afin de prévoir certains comportements
et de les confronter à la logique de notre gestion de la collecte et de tri des déchets. Marianne Bloquel, ingénieur à l’ADEME, explique :
« La recherche nous permet d’aller investiguer des territoires inédits ; les chercheurs
rentrent dans les foyers, dans les cuisines, les débarras, au cœur des motivations ; ils
dépassent les freins existants pour explorer ce qui est à la source de comportements
2. ADEME, Quand les sciences Humaines et Sociales explorent les déchets..., (2012, p. 4)
de gaspillage alimentaire, de don ou de stockage et déstockage des objets. »2
L’enquête européenne « NORD SUD DECHETS » est le projet visant à capitaliser
sur la façon de percevoir l’univers des déchets et leur prévention des habitants d’Amsterdam, Paris et Madrid. Il a été conclu que les attitudes à l’égard du déchet
ne sont pas fondamentalement différentes d’un pays à l’autre. Le sexe, l’âge, et les facteurs de personnalité ne sont pas non plus déterminants pour elles. Ce sont davantage des questions de satisfaction et d’insatisfaction existentielles qui sont
62
à l’origine des comportements relatifs aux déchets. La plupart des entretiens sur les trois pays ont montré que l’univers du déchet était perçu comme un monde désagréable. Transformer le mécontentement en plaisir a été révélé comme une piste importante à travailler. Les machines de récupération des déchets de produits consignés qui rendent des bons d’achats ou de la monnaie en échange qui sont
installées dans certains pays, ou la pratique de redonner de la valeur a un déchet par une démarche de créativité vont dans ce sens.
«RECHANGE» est un des onze travaux engagés dans l’analyse de la pratique du
réemploi par l’ADEME. Il vise à identifier les potentiels freins à la circulation des
déchets dans notre société. Par exemple, dans le cadre du réemploi, il a pu être démontré que les usagers préféraient donner par eux même plutôt que de passer par un tiers. Une première résistance identifiée est celle de la norme sociale qui
est aujourd’hui transgressée par les citoyens urbains qui déposent de plus en plus
des objets de valeur et encore utilisables sur le trottoir. Il est devenu « un espace
anonyme de circulation de l’objet »1 selon Valérie Guillard qui coordonne le projet. Il a été identifié que la résistance au don est moindre, avec une relation à l’autre
sans engagement dans la durée, qui permet au donneur d’avoir une certaine reconnaissance à un moment donné. Cependant, il existe une forte réticence au don caritatif, les donneurs étant méfiants sur le devenir de leur objet. Pour ces
mêmes raisons, les donneurs sont sceptiques à l’égard des grandes enseignes qui
collectent des objets usagés en échange de bons d’achats ou de dons caritatifs. Plus globalement, la « positivation » du déchet permet d’une certaine façon la revalorisation des personnes qui traitent avec ce même déchet.
Selon la direction du programme, la valorisation des résultats de ces différentes recherches devra se réaliser au coeur d’un processus de dialogue. Ils apportent
des éléments visant à optimiser le système de gestion de fin de vie des produits
et à l’adapter aux aspirations de la société actuelle pour tendre vers une logique circulaire. Ils pourraient avoir des répercussions impactant chaque acteur du déchet.
63
1. ADEME, Quand les sciences Humaines et Sociales explorent les déchets..., (2012, p. 5 )
Je remarque donc que la France n’est pas si en retard que ce que je pensais. Face aux enjeux de l’économie circulaire, elle a lancé depuis plusieurs années des initiatives pour se rapprocher de cette logique en rupture avec un modèle linéaire sur lequel son système de gestion de fin de vie des produits s’était construit. Le travail en cours sur le statut de déchet, des savoir-faire qui s’orientent vers la prévention et la valorisation, de l’innovation et de la recherche sur des nouvelles technologies de pointe dans le tri et le recyclage... autant de signes qui montrent une pratique française en mutation. Je m’aperçois aussi que cette mutation se fait à l’échelle du terrain, encadrée par des politiques territoriales, mais que le cadre législatif, qui a la force de rendre obligatoire certaines pratiques, tarde à la soutenir. Visiter le centre de tri Isséane a été une révélation. L’ efficacité du système de gestion des déchets repose sur le geste de tri du détenteur du déchet. J’ai été stupéfaite de voir la quantité incroyable de papiers, cartons, linges, et autres produits qui auraient pu être recyclés ou réemployés qui attendaient de se faire brûler, sans que nous ne puissions rien faire. Il était trop tard. A qui la faute ? Le « consommateur » devrait davantage être considéré comme un véritable acteur de la chaîne, avec ses propres enjeux et contraintes. Je suis persuadée que comprendre la place qu’occupe cet utilisateur dans la chaîne est primordiale. Connaitre ses pratiques et comprendre ses motivations doivent participer à élaborer un système en phase avec les aspirations de la société, qui doit elle-même tendre vers une logique circulaire à la fois dans son rapport à la consommation et à la production. L’arrivée naissante des sciences humaines et sociales dans ce champ est un bon point de départ, l’enjeu est maintenant de voir comment les premiers résultats dans ce champ vont pouvoir influencer chaque étape du système. Le système de gestion de fin de vie de nos produits est très complexe, avec différents enjeux et acteurs sur chaque étape de la longue chaîne
64
et l’économie circulaire a besoin d’une approche globale et transversale avec la collaboration de tous les acteurs sur chaque étape du cycle de vie. Comment construire le modèle circulaire français de façon collective ?
65
harmoniser et anticiper
Nous allons poursuivre notre étude sur les enjeux qui sont soulevés par la mise en place d’une économie circulaire sur un territoire où les jeux d’acteurs sont multiples et complexes. Notre analyse portera notamment sur les travaux collaboratifs et prospectifs, qui sont déployés afin d’identifier les leviers pour installer une logique circulaire dans les différents champs d’activités autour du déchet.
complexifications Un système à bout de souffle. Nous avons vu que les filières à Responsabilité Elargie du Producteur reposent sur des actions menées par différents acteurs sur toute la chaîne du cycle de vie des produits.
Les détenteurs des déchets initiaux, qu’ils soient ménagers ou professionnels, doivent les déposer dans des espaces ou organismes spécifiques.
Les distributeurs ont l’obligation d’informer les consommateurs des conditions de gestion de fin de vie du produit et peuvent afficher le montant de l’Eco-contribution
sur des étiquettes et reprendre les produits usagés sans obligation d’achat ou lors d’un achat d’un produit neuf équivalent.
Les collectivités territoriales participent à la collecte séparée et au regroupement des rebuts issus des ménages.
Les producteurs quant à eux financent des éco-organismes ou des prestataires afin de déléguer leur responsabilité dans la gestion des déchets issus de leurs produits.
Les prestataires assurent leur gestion totale ou partielle (collecte, transports, préparation à la réutilisation, valorisation et élimination).
Enfin, les pouvoirs publics définissent le cadre réglementaire (objectifs, agréments...), assurent la mise en oeuvre efficace du dispositif et contrôlent la conformité des actions des éco-organismes aux agréments sous peine de sanctions. 1. D’après l’ADEME, Les filières à responsabilité élargie du producteur, Panorama 2011, (2012)
50% des filières REP ont vu le jour ces cinq dernières années.1 Leur développement
progressif a conduit aujourd’hui à la création de plus d’une dizaine d’éco-organismes. Les cahiers des charges des agréments sont propres à chaque filière, chacune ayant
ses propres objectifs et systèmes de communication et marquage d’emballages
et des produits. Plus globalement, les collectivités territoriales ont développé des
68
systèmes de consignes, tris, collectes et signalétiques diverses. Les systèmes de
collectes sélectives ont été mis en place à l’origine pour des raisons économiques. Mais leur diversité est devenue un frein à la fois par rapport aux nombreux centres de coûts qui ont été instaurés mais aussi car cela perturbe l’efficacité du système
global. Le service public de gestion des déchets est payé par le citoyen. En 2010, la dépense pour la gestion des déchets est évaluée à 13,1 milliards d’euros, dont 7,8 milliards essentiellement dépensés pour la gestion des déchets municipaux.
> Financements du service public de gestion des déchets en France, données de l’ADEME.
Les éco-organismes contribuent à payer la totalité ou en partie la gestion de leurs produits usagés associés. Actuellement, le service public ne prend pas en compte le volume généré. Un citoyen qui produit peu d’ordures paie autant qu’un citoyen qui en produit une grande quantité. Mais une tarification incitative est actuellement
en cours de généralisation pour encourager les ménages à réduire leur production de résiduts, sous le modèle de San Francisco « payez ce que vous jetez ».
Il devient fondamental de simplifier l’organisation du système et de l’optimiser
en vue d’une perspective circulaire rentable. Les flux dans la prévention des déchets (réemplois, réutilisations, réparations) vont devoir être organisés au
même titre que les flux de leur gestion, et ces deux systèmes devront se compléter harmonieusement.
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Vers une harmonisation globale. Depuis 2007, des engagements du Grenelle Environnement ciblent l’harmonisation 1. Engagement 255 du Grenelle de l’Environnement, (2007) et article 199 de la Loi Grenelle 2, (2010)
des filières de gestion des déchets et une loi est passée dans ce sens en 2010.1 Un
groupe de travail rassemblant les représentants de tous les acteurs concernés a été
mis en place par l’ADEME. Plusieurs actions sont en préparation depuis 2010 dans une vaste concertation : mettre en place un marquage commun sur les produits et les
emballages à collecter, harmoniser la liste des produits à trier, ajuster les modalités de collecte des emballages et des papiers ou encore concilier les informations sur
le geste de tri et la signalétique des collectes sélectives sur tout le territoire. Ces
actions ont pour principaux objectifs de donner une force, une lisibilité améliorée et une cohérence à l’action nationale sur ce sujet.
Depuis l’automne 2012, un travail sur une boîte à outils commune à toutes les filières
est en cours de développement. Nous pouvons remarquer que ce plan d’actions ne
prend pas en compte des consignes d’harmonisation sur les moyens de prévenir les déchets (réemploi, réparation, réutilisation). Pourtant, en novembre 2013, le 2. Ministère du Développement Durable, Plan National de Prévention des Déchets pour 2014-2020, (2013)
Plan National de Prévention des Déchets2 a recensé plus de 50 actions à mettre en
place ou à intensifier auprès des différents acteurs à ce sujet. Certaines d’entre elles nécessitent une harmonisation des différentes filières de collecte pour inciter à la
prévention. Développer un mode de collecte qui préserve les objets en vue de la réutilisation, mettre en place lorsque cela est pertinent un système de consigne
sur les emballages en vue d’un réemploi et attribuer de nouvelles missions aux éco-organismes en faveur du réemploi et de la réutilisation supposent une forte concertation entre les métiers de la gestion aval du déchet et ceux de la prévention amont.
Un travail sera à mener pour harmoniser les deux secteurs de la prévention et de la
gestion des déchets pour soutenir une économie circulaire en France. Des travaux prospectifs ont été menés dans plusieurs pays par des équipes pluridisciplinaires
pour anticiper des scénarios de gestion des rebuts en accord avec les futures aspirations de la société. En France, quelles anticipations ont été formalisées ?
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> Représentation du vocabulaire utilisé dans les slogans sur les gestes de tri selon sur tout le territoire français, extrait de l’analyse de l’information et de la signalétique pour la collecte sélective des produits en fin de vie de l’ADEME, (2010)
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l’apport des réflexions prospectives De l’intérêt de regarder plus loin et à plusieurs. Plusieurs pays mènent des phases de « réflexion prospective » sur les thématiques
jugées importantes pour leur développement. Cette phase permet aux multiples acteurs de projeter leur territoire et d’évaluer certaines pistes possibles selon le
futur envisagé. La méthode la plus utilisée à ce jour des « scénarios » consiste en
un exercice dont l’objectif est d’imaginer le fonctionnement du territoire selon plusieurs scénarios d’anticipations qui ne reposent pas sur les mêmes codes et
logiques. Cela permet de raconter différents chemins envisageables pour conduire le territoire à ces visions futuristes possibles. Ces exercices s’appuient sur des entretiens d’experts qui sont parfois complétés par des ateliers participatifs
réunissant des acteurs économiques (producteurs et fabricants, opérateurs des déchets), des maîtres d’ouvrages de collectivités locales, des personnes politiques et institutionnelles au niveau des ministères ou d’agences spécifiques et enfin d’observateurs et analystes (universités et instituts).
En France, plusieurs réflexions de ce type ont été menées sur les filières de gestion de fin de vie des produits. Ces exercices ont pour vocation de donner des pistes pour les nouvelles politiques publiques, les filières de traitement des déchets et les secteurs
industriels des matières recyclées. Ils ont l’intérêt de décrire des futurs au travers de scénarios tendanciels (qui découlent de phénomènes déjà d’actualité) ou en
rupture et il parait intéressant de les décrire en regard de la logique de l’économie circulaire. Les données politiques, économiques, démographiques, sociétales et
technologiques sont prises en compte pour définir les options possibles pour l’avenir de la gestion des déchets en France.
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Deux types d’approches sont développés : les approches qualitatives ont pour objectif de trouver les leviers qui susciteraient des changements et les quantitatives s’orientent davantage sur un objectif de modéliser la quantité de déchets produits selon les scénarios développés.
En décembre 2011, un état des lieux sur les travaux prospectifs sur la gestion des
déchets1 a été mené pour l’ADEME dans l’objectif d’épauler sa réflexion et ses choix
sur les orientations à pousser. 18 études ont été sélectionnées et analysées dont
1. ADEME, Panorama des travaux prospectifs sur les déchets, (2011)
six menées en France (trois à l’échelle nationale et trois à une échelle territoriale). La majorité d’entre elles se projette à 10 ou 25 ans en regard des actions à mener selon l’évolution de la quantité des déchets. Au delà de 25 ans, les études sont
plus rares car les facteurs sociaux et économiques changent rapidement et les
groupes de travail ne trouvent souvent pas utile ou efficace de se projeter si loin. Mais certaines anticipent des scénarios jusqu’à 40 ans en avant, afin d’imaginer le dimensionnement des installations de traitement de déchets, qui, comme nous l’avons vu, ont une durée de vie aux alentours de 50 ans.
Nous analyserons deux de ces études en regard des perspectives de l’économie
circulaire. La première étude que nous allons explorer (France MEDDAT 2020) commanditée par le Ministère du Développement Durable a pour finalité d’imaginer les futures politiques publiques en gestion de déchets au niveau
national, européen et mondial. La deuxième étude que nous allons parcourir
(ADEME 2016) commanditée par l’ADEME, a davantage une finalité de Recherche, Développement et Innovation.
Les freins à une gestion circulaire des déchets français à l’horizon 2020. L’étude MEDDAT 2020 a été publiée en 20082 et s’est orientée sur les déchets municipaux et ceux des activités économiques de moins de dix salariés. Cet exercice s’est déroulé de façon collective avec les principaux acteurs du domaine comprenant
des industriels, des collectivités, des opérateurs ainsi que des associations de
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2. Ministère du Développement Durable (MEEDDAT), Analyse prospective de la gestion des déchets en France à l’horizon 2020, (2008)
consommateurs et de défense de l’environnement avec six réunions programmées. Chacun s’est dans un premier temps entendu sur la définition du système de gestion de déchets. En partant des données de 2005, un système a donc été modélisé afin de créer une base commune.
Un premier scénario global tendanciel pour 2020 a été développé comme système
de référence pour acceuillir des micro-scénarios élémentaires qui prennent appui
sur des éléments structurants de différentes natures (interdiction de la mise en décharge, transfert des responsabilités organisationnelles et financières du
système aux producteurs, renforcement du recyclage et renforcement extrême
de la prévention). Ces scénarios ont été mis en synergie et trois alternatives pour le futur ont été pensées. L’Alternative A mise sur la complémentarité des actions
de prévention et de recyclage, l’Alternative B complète la première avec une
réglementation très restrictive de la mise en décharge et enfin l’Alternative C décrit une réforme en profondeur de l’organisation de la gestion du système en déléguant
entièrement les charges financières et opérationnelles des déchets aux producteurs industriels des biens.
Concernant la première alternative qui se positionne fortement dans une logique
circulaire, il s’agit d’associer à une démarche offensive de prévention une forte
politique de recyclage des déchets considérés alors comme des ressources et des
futurs produits potentiels. Cela induit la réduction des filières de dernier recours comme l’incinération ou la décharge. La Responsabilité Elargie des Producteurs serait étendue à tout type de produit manufacturé.
Plusieurs limites ont été définies par le groupe de travail dans ce scénario idéal. La
tendance actuelle du marché à produire des biens de consommation de courte durée de vie et à très faibles coûts concurrencerait la consommation de produits recyclés
et réutilisés. Un autre frein serait l’opérationnalisation du recyclage de tous les équipements qui conduirait à la multiplication des fractions triées. Cela amènerait
à développer de nouvelles installations et des questions se posent alors sur leur
position sur le maillage territorial et leur vocation par filière de produits. Enfin, à ce jour, la valorisation matière de certains déchets comme quelques polymères n’est
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pas rentable, que ce soit sur un plan économique ou environnemental.
Concernant l’Alternative C qui vise à renforcer la Responsabilité Elargie du
Producteur, le système de gestion est appréhendé dans la dimension globale du cycle de vie de chaque produit. Les metteurs sur le marché de biens de consommation
assument alors la responsabilité financière et organisationnelle de la gestion des déchets issus de leurs produits. Cette situation se positionne en totale rupture par
rapport au système actuel français basé principalement sur le service public. Elle va dans le sens du développement de l’économie de fonctionnalité où le producteur
reste propriétaire du bien mis en vente et doit donc en gérer la maintenance et le parc de déchets.
Là aussi, des limites ont été définies. La création des filières REP étant dépendante d’une rentabilité économique, se pose dès lors la question des produits et matériaux
qui seraient donc moins rentables voire non rentables pour les entreprises. Au niveau organisationnel, les petites entreprises auraient des difficultés à gérer une organisation de ce type. Du point de vue environnemental, cette approche privilégie
le contrôle et la gestion de la fin de vie du produit avec le risque d’un oubli des
impacts environnementaux générés aux différentes phases du cycle de vie des produits plus en amont.
Cette étude a soulevé différentes limites qui peuvent aujourd’hui freiner l’arrivée
d’une économie circulaire en France. Ces résultats sont donc précieux afin de travailler sur ces points critiques.
Le facteur humain. L’étude prospective menée par l’ADEME1 pour étudier la gestion des déchets à
l’horizon 2016 a été formulée en 2001 et se concentrait sur tous les types de déchets
et plus particulièrement sur certains gisements comme l’électronique, l’automobile, les déchets organiques et de la santé. Elle s’est déroulée sur trois étapes avec
l’identification des enjeux clés liés à l’univers des déchets, l’imagination de futurs possibles pour leur gestion et enfin la détermination des enjeux pour la Recherche et le Développement (R&D).
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1. ADEME, Prospective Recherche sur les Déchets - Quel avenir pour la gestion des déchets à 15 ans : implications sur les enjeux de R&D ?, (2001)
Une approche participative a été privilégiée pour sa mise en place afin de créer une
vision concertée des enjeux sur le long terme. Neuf facteurs clés ont donc été définis, notamment autour de l’exigence en santé publique, de la perception des déchets, du
comportement du citoyen avec l’environnement, de la responsabilisation croissante des producteurs ou encore de la philosophie de l’action publique. Plusieurs enjeux
pour la recherche ont été soulevés comme la généralisation de la prévention, l’amélioration de la connaissance des déchets, le développement des pratiques
de recyclage ou encore le besoin en information et en communication. Ils ont été combinés à des macro-scénarios tendanciels dans la société européenne.
Trois scénarios ont finalement été élaborés avec plusieurs groupes de travail. Le
premier « Vers le triomphe des marchés » attribue essentiellement une valeur
économique au déchet et une prise en compte de l’environnement au travers de la rentabilité des actions.
« Vers une société de dynamique locale » est le deuxième scénario qui se base sur
une multiplication d’initiatives locales et un fossé creusé entre les aspirations politiques et la réalité économique. Dans cette projection, tous les choix s’effectuent par rapport à leur impact sur la santé humaine.
Enfin, un dernier scénario « vers une responsabilité partagée » porte sur la recherche
de consensus et sur une large coopération. L’écologie industrielle et l’approche système sont alors des principes fondamentaux.
Des actions en terme de logique circulaire ont été projetées, comme l’augmentation
des quantités de déchets valorisés, la totalité des produits mis sur le marché issus
d’une démarche d’éco-conception et une évolution des comportements d’achats grâce à une démarche préventive. Avec ces objectifs, trois types d’enjeux pour la
R&D ont été formulés : l’optimisation des process existants, l’amélioration des
connaissances sur les impacts et enfin la nécessité de faire appel aux sciences humaines et sociales. Ce dernier point a été noté comme fondamental car il représente un axe de travail en réponse à la plus grande quantité de freins.
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Les défis de la R&D portent notamment sur une précision des mécanismes sociologiques des comportements de consommation et des innovations en matière de politique de communication. Cette étude soulève donc une nouvelle fois la place
importante que le système doit accorder au facteur humain dans une logique
d’économie circulaire, en complémentarité des besoins de recherches en nouvelles technologies et nouveaux procédés.
Les deux exercices prospectifs analysés ont montré leur efficacité, au travers d’anticipations qui s’avèrent être vérifiées. Le modèle circulaire est donc en marche depuis plusieurs années avec des scénarios prospectifs qui l’étudient sans la nommer. Je relève cependant que le secteur de la prévention du déchet (acteurs du réemploi, de la réutilisation, de la réparation, de l’économie de fonctionnalité et de l’éco-conception) a été très peu convié aux études de l’époque et qu’un travail serait à mener afin de développer des études prospectives plus ambitieuses sur la logique circulaire en France avec ces différents acteurs. Il serait donc important de considérer le déchet dans une approche plus globale en reconsidérant tout le cycle de vie d’un produit et ses différents flux. La stratégie « Europe 2020 »1 de coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne souhaite favoriser une utilisation rationnelle des ressources. Elle appelle à de nouvelles investigations prospectives, considérant non plus seulement la fin de vie des produits mais une approche plus globale des liens entre la production industrielle
1. Commission Européenne, Une Europe efficace dans l’utilisation des ressources – initiative phare relevant de la stratégie Europe 2020, (2011)
et la consommation des ressources. En novembre 2013, la feuille de route stratégique de l’ADEME sur les villes durables performantes2 s’est basée sur un exercice prospectif de grande ampleur. Un fort enjeu de valorisation des potentiels locaux pour l’attractivité des territoires a été relevé, ainsi que la valorisation des boucles de cycles internes (énergie, déchets, eau)
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2. Feuille de route stratégique de l’ADEME, Défis et perspectives pour des villes durables, (2013)
pour réinstaller un équilibre entre l’écosystème urbain et les autres. Un des scénarios prospectifs sur la ville de demain s’est basé sur l’autonomie territoriale et dans ce cadre, les recherches porteront notamment sur la gestion des flux (déchets, eaux...) en accord avec la maille urbaine et la construction de zones autonomes en énergie et en matière de flux. Cette étude ouvre des perspectives de reconnecter la gestion du déchet aux spécificités d’un territoire et notamment à sa façon de produire et de consommer. Elle considère de cette façon l’économie circulaire comme un axe de travail pour une gestion durable de la ville.
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conclusion Cet état des lieux nous a permis de cerner les multiples enjeux de l’économie
circulaire ainsi que ses ambitions qui relient l’environnement avec une visée économique et la création de modes de vie soutenables en accord avec les besoins
des usagers. Nous avons vu que la gestion actuelle de la fin de vie de nos produits s’est basée sur une approche linéaire de notre économie en considérant l’utilisateur comme un producteur de déchet en aval. Mais dans une perspective d’économie
circulaire, il est davantage à percevoir comme un acteur à part entière essentiel de la chaîne, qui est à la base des différents choix menés sur le cycle de vie d’un produit
à son interstice avec le statut du déchet. Réemploi, réutilisation, réparation, troc... De nombreux déchets auraient pu rester dans le cycle de consommation si notre
système de gestion de fin de vie prenait davantage en compte ces perspectives de prévention.
Les études en cours pour une meilleure connaissance des comportements des
consommateurs et de notre culture du déchet montrent l’importance qui devra être
accordée aux sciences humaines dans la construction d’une économie circulaire. Elle nécessite en effet la collaboration de multiples domaines afin de prendre en
compte les contraintes de chaque acteur de la chaîne du cycle de vie des produits pour formaliser des nouveaux systèmes viables et désirables.
A l’échelle de l’entreprise, quelles collaborations vont devoir être nécessaires ? Au travers du deuxième carnet, l’étude sera poursuivie en se concentrant sur le
domaine de la conception. Comment les concepteurs peuvent-ils être des alliés nécessaires dans la définition du modèle circulaire français ? Et quel rôle doivent jouer les créateurs industriels sur ce sujet ?
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