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Un regard moins noir sur la crise... Par Isabelle Hennebelle, publié le 27/01/2010 à 09:39 - mis à jour le 27/01/2010 à 17:37
Des leaders d'opinion un peu plus optimistes : c'est la leçon, en exclusivité pour L'Express et L'Expansion, du 10e baromètre Edelman StrategyOne, qui mesure leur confiance dans les gouvernements, entreprises, médias et ONG. Mené auprès de quelque 5 000 leaders d'opinion dans 22 pays, le baromètre Edelman StrategyOne (1) constate, dans son édition annuelle 2010, une légère reprise de la confiance (de 3 à 4 %) accordée aux gouvernements, aux entreprises et aux organisations non gouvernementales. Les médias, en revanche, perdent 2 %. Pas d'optimisme excessif, cependant. "Ce retour de la confiance demeure fragile et reste inférieur, à 4 points près, au niveau d'avant la crise", relève Isabelle Rahé-Journet, directrice générale du cabinet de relations publiques Edelman France. D'un côté, les leaders d'opinion ont le sentiment que le pire est derrière eux, qu'ils peuvent recommencer à espérer. De l'autre, ils ont l'impression angoissante que ni les entreprises ni les gouvernements n'ont vraiment tiré les leçons de la crise financière. D'où leur crainte de voir réapparaître le fameux "business as usual", et son cortège de pratiques douteuses. Les élites expriment leur besoin d'une vision, leur envie d'adhérer au projet d'un capitalisme différent qui combinerait performance et implication sociétale et environnementale. Marqueur clef de cette tendance de fond : depuis cinq ans, et de façon croissante, les leaders d'opinion font, avant tout, confiance aux organisations non gouvernementales. Et, par extension, aux entreprises qui ont tissé des partenariats avec elles. Pour les interviewés, l'entreprise du xxie siècle n'a plus pour unique but le profit à court terme, mais développe une conscience aiguë de sa responsabilité sociétale et environnementale. "Il ne s'agit pas d'une simple lubie passagère, comme certaines cassandres persiflent parfois, mais bien de la fin de l'ultralibéralisme économique revendiqué. Milton Friedman, qui posait que la responsabilité sociétale de l'entreprise est d'accroître ses profits, est mort !" lance Antoine Harary, directeur de StrategyOne (“This isn’t just a simple, passing whim, as some pessimists mock occasionally, but rather the end of an ultra-liberal economic consensus. Milton Freidman, who postured that the social responsibility of an enterprise is to increase its profits, is dead!” – Antoine Harary Director of StrategyOne). Pour les leaders d'opinion, un dirigeant digne de ce nom communique au quotidien, et de façon égale, avec toutes les parties prenantes de l'entreprise : salariés, clients, fournisseurs, investisseurs, syndicats et actionnaires. Dans leur quête d'informations sur une entreprise, "les leaders d'opinion accordent, en 2010, un peu plus de confiance au PDG que l'an dernier, soit 9 % de plus. C'est un changement, car, avec la crise, sa crédibilité s'était vraiment effondrée", constate Isabelle Rahé-Journet. Pour autant, ils lui accordent un crédit bien moins grand qu'à l'expert académique (leur "chouchou"), l'analyste financier et/ou sectoriel - "une personne comme moi" - ou qu'aux ONG. Pour opérer les changements vers un capitalisme différent, les élites veulent pouvoir compter sur les entreprises et les gouvernements. Largement émoussée l'an dernier, la confiance des élites envers les entreprises repart, dans la plupart des 22 pays, et en particulier en Italie, aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et en Espagne. Mais, en 2010, bons résultats financiers et charisme du dirigeant ne suffisent plus pour susciter la confiance des leaders d'opinion. Pour convaincre, l'entreprise doit développer une palette plus complexe et humaine, maintenir la qualité de ses produits et/ou services, veiller à la transparence de l'information donnée à ses clients, cultiver son image afin d'apparaître comme une structure qui inspire confiance et rassure sur la façon dont elle traite ses salariés au quotidien. Dans la plupart des 22 pays, la confiance envers le gouvernement est en hausse, en moyenne, de 4 % par rapport à 2009. Explication : "La plupart des pays comptent sur leur gouvernement pour orchestrer la régulation financière", analyse Antoine Harary (“Most countries are counting on their government to orchestrate financial regulations.” – Antoine Harary). Les bonds les plus spectaculaires sont observés en Suède et aux Etats Unis. La reprise de la confiance ne bouscule pas la hiérarchie des secteurs. Depuis huit ans, les technologies et les biotechnologies se voient accorder le crédit des élites, car elles sont associées à la notion d'innovation et d'amélioration de la vie quotidienne. Les secteurs qui donnent une impression de proximité, comme l'automobile, la distribution, l'agroalimentaire et l'énergie, sont également crédibles aux yeux des interviewés. En revanche, assurances et banques font l'objet d'une défiance particulière. Les leaders d'opinion restent choqués et écoeurés par la crise financière et son cortège de mensonges. Depuis 2007, dans la plupart des pays occidentaux, la confiance à l'égard des banques est en chute libre, en particulier aux Etats-Unis (- 39 % entre 2007 et 2010), au Royaume-Uni, en Allemagne et en France (entre - 16 et - 20 %). Les médias, souvent diabolisés et associés à l'establishment, font aussi partie des mauvais élèves... à l'exception des magazines économiques et financiers.
Quatre analyses, en exclusivité: "La confiance se regagnera sur le terrain, via des actions concrètes" S. Ferrero/Reuters
Stéphane Richard, directeur général délégué de France Télécom "Pour redonner confiance en France Télécom, après la crise qu'elle a traversée, nous avons libéré la parole en écoutant 40 000 de nos salariés, lors de 2 500 réunions. Nous avons aussi reconnu les erreurs du passé et la responsabilité de l'équipe dirigeante. Depuis trois mois, nous menons une grande négociation sociale sur le stress, les conditions de travail, la mobilité et l'équilibre vie personnelle et vieprofessionnelle. Nous espérons parvenir à un accord dans les prochaines semaines."
"Le recentrage vers l'Asie-Pacifique déstabilise les Occidentaux" Ch. Platiau/AFP - dr
Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l'innovation politique et professeur des universités à Sciences po. "La globalisation a fait voler en éclats le règne de l'Occident "maître du monde" au profit de l'AsiePacifique. Ce recentrage géopolitique et économique constitue un cadre perturbant et quasi inédit pour les Européens. Il faut remonter à plus de deux mille cinq cents ans, au-delà de l'Antiquité grecque, pour trouver une puissance régnante non occidentale. De plus, nos populations européennes sont vieillissantes." "Les Français font plus confiance à leur maire qu'aux institutions nationales" Ch. Platiau/Reuters - dr Marielle de Sarnez, vice-présidente du Modem et députée européenne "La confiance entre les Français et leurs gouvernants ne se porte pas si bien. J'ai même le sentiment inverse : depuis des décennies, les Français sont confrontés aux promesses jamais tenues. De fait, la défiance s'installe. Seuls les élus locaux échappent à ce mouvement de fond, grâce à leur proximité avec la population. Pour retrouver la confiance, les gouvernants doivent dire la vérité sur les sujets lourds tels que la dette, privilégier l'intérêt général et le long terme."
"Reconquérir la crédibilité perdue est un long processus" Ch. Platiau/Reuters - dr
Jacques Raynaud, président de l'ARC (Association pour la recherche sur le cancer) "Pour toute institution, regagner la confiance perdue est un long processus. Depuis une quinzaine d'années, l'ARC a révisé son système de gouvernance : durée limitée des mandats des administrateurs, expertise des dossiers avant financement, séparation des pouvoirs entre les engagements de dépenses relevant du président et leur paiement relevant du trésorier, mise en concurrence des fournisseurs... En 2005, la Cour des comptes a rendu son rapport, dans lequel elle qualifiait l'ARC d' "exemplaire". Résultat : nous avons aujourd'hui 230 000 donateurs, soit 10 000 de plus qu'il y a deux ans."
(1) Méthodologie : pour sa 10e édition, le baromètre Edelman StrategyOne mesure les perceptions de 4 875 leaders d'opinion dans 22 pays. L'enquête a été menée auprès de 4 875 personnes âgées de 25 à 64 ans, d'un niveau d'études minimum de trois ans après le bac ou son équivalent, dotés de revenus élevés (situés dans le premier quartile), consommateurs des médias et intéressés par la chose publique et la vie des entreprises.