Vers une généalogie des dispositifs d'images, par E. Mittmann, J-C. Royoux

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VERS UNE GÉNÉALOGIE DES DISPOSITIFS D’IMAGES Les « Demonstrationsräume » et le paradigme de l’usine 1

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Nous appelons dispositifs d’images, une catégorie d’objets dont l’émergence dans le milieu des avantgardes européennes du début du xxe siècle, est indissociable de la reformulation de la question de l’espace, en Allemagne, à la fin du xixe siècle. Celle-ci est au centre d’un vaste panorama de recherches qui va des lois mathématiques d’Herbert Minkowsky visant un dépassement de la description euclidienne de l’espace, aux découvertes d’Albert Einstein ou de la psychologie de la perception de Wilhelm Wundt au renouvellement de la définition de l’espace architectural dans les réflexions de l’historien d’art August Schmarsow. Face aux conceptions figées de l’historicisme qui conçoit l’architecture uniquement en termes bi-dimensionnels (ce que l’on appellera le « façadisme »), Schmarsow introduit le mouvement et la dynamique comme élément essentiel du discours architectural. Pour Schmarsow, contrairement à Gottfried Semper, le sens de l’architecture ne réside pas dans sa dimension constructive, ni dans sa matérialité, mais dans l’espace configuré. Dans sa conférence inaugurale à la chaire d’histoire de l’art de l’Université de Leipzig en 1893, Schmarsow insiste sur la sensation d’espace (Raumgefühl) comme facteur essentiel de la configuration de l’espace (Raumgestalterin). Reprenant à son compte les découvertes de la psychologie de la perception qui affirme le rôle central du corps humain, de sa motricité particulière et plus généralement de son organisation psycho – physiologique dans l’appréhension de l’espace, Schmarsow insiste sur le fait que c’est le spectateur qui crée la qualité particulière de l’espace architectural au moment même où il le parcourt.

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1. El Lissitzky

Proun 17 N, 1920

Le pavillon de Mies van der Rohe à l’Exposition Internationale de Barcelone en 1929, véritable espace de circulation entre des plans sans fonction porteuse, est une transposition architecturale emblématique de cette continuité spatiale parfaitement fluide, qui, selon les mots de Philip Johnson, « accentue le sens du mouvement »2 et transforme l’architecture en un pur espace d’exposition.

Mais au début des années 1920, c’est la peinture qui est le principal laboratoire expérimental du sentiment d’espace. Pour de nombreux artistes, et tout particulièrement pour les membres du groupe De Stijl, l’espace s’entend comme un éclatement du volume. L’exemple, cité par Moholy-Nagy, du cube dont les six faces se sont désolidarisées et flottent librement dans l’espace3, se retrouve à peu de chose prêt, aussi bien dans les premières réflexions de Theo Van Doesburg, la création de l’atelier d’Erich Buchholz en 1922, celles de Vilmos Huszar et Gerrit Rietveld en 1923 ou encore la « Vue éclatée d’une boite »4 de Piet Mondrian en 1926. Elles apparaissent comme autant de cabanes éclatées ou recomposées, soit exactement le type de configuration spatiale propre aux dispositifs de multi-projections que l’on retrouvera régulièrement tout au long de l’histoire contemporaine des dispositifs d’images. La redécouverte de l’axonométrie au début des années 1920 participe pleinement de ces interactions entre peinture et architecture, en renforçant la représentation de sa dimension immersive. El Lissitsky fut l’un des tout premiers à en avoir utilisé les potentialités et à avoir encouragé sa réactualisation dans le milieu des artistes et des architectes modernistes. Pour Milka Bliznakov, « la perspective axonométrique utilisé par Lissitzky pour reproduire clairement ses formes solides, neutralise toute orientation dominante et augmente leur mouvement dynamique potentiel ». 5 1923 est une année charnière pour cette redécouverte. Elle verra la parution de la vue axonométrique du bureau de Walter Gropius à Weimar par Herbert Bayer qui fait de l’enveloppe architecturale, avec tout ce qu’elle contient, un tout en interrelation, et la série des « contraconstructies » de Van Eesteren et Van Doesburg présentées à la galerie de L’Effort moderne à Paris6 dont on sait l’influence sur Le Corbusier, quant au rapport entre couleur et architecture. En 1919, à Vitebsk, El Lissitzky, membre fondateur avec son maître, Malévitch, de l’OUNOVIS

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(« Affirmateurs – ou Militants – du nouveau »), entame sa série des Prouns 7. Elle le conduira à la conception de l’espace tridimensionnel de 1923, le Prounenraum 8 , présenté lors de la Große Berliner Kunstausstellung, qu’Yve-Alain Bois décrira comme une véritable « station d’aiguillage entre peinture et architecture ».9 Lissitzky refuse à la fois la conception théâtrale de l’espace propre au dessin perspectif et s’inscrit dans tout un ensemble de recherches picturales visant à sortir des limites du tableau pour en faire un espace à habiter, « une maison » 10, selon sa propre métaphore. Le Prounenraum peut être également rapproché de tout un ensemble de projets faisant de la polychromie l’un des éléments organisationnels du projet architectural. Dans son fameux texte critique sur la perspective, K und Pangeometrie (1925), Lissitzky s’est montré un analyste perspicace quant aux effets d’espace distendus produit par l’expérience de la couleur. « Les nouvelles découvertes optiques, dit-il, nous ont enseigné que deux surfaces d’intensité différente, même si elles sont matériellement sur le même plan, sont perçues à différentes profondeurs l’une de l’autre (…) les distances ne peuvent être mesurées que par l’intensité et la position des aires de couleur strictement définies (…) On ne peut déterminer ces distances par aucune mesure finie, tel qu’on le fait pour les objets dans l’espace planimétrique ou perspectif. Les distances sont irrationnelles ». 11 L’ambiguïté de l’espace qui naît de la relation de la peinture à l’architecture, en faisant de la couleur l’un des éléments organisationnels du projet architectural, va donner l’une de ses particularités aux réalisations du mouvement moderne. De Stijl fut incontestablement pionnier dans cette « manière de faire se volatiliser les signes de la consistance matérielle du bâti ».12 Du fait des jeux d’espaces engendrés par l’utilisation de la couleur et de la dématérialisation des limites physiques de l’architecture qui en résulte, s’ouvre alors, dans l’intervalle entre peinture et architecture, un espace de représentation inédit que nous dirons interstitiel.

Demonstrationsräume Dans le texte sur le Prounenraum de Berlin paru dans la revue G en 1923, Lissitzky utilisera un terme particulier pour nommer cet espace. « Dans cet espace donné, dira-t-il, j’essaie de mettre en évidence qu’il s’agit d’une salle d’exposition, c’està-dire pour moi, un espace de démonstration ». 13 Il ne s’agit pas de concevoir un espace statique à contempler comme par exemple le Salon pour Ida Bienert d’inspiration néo-plasticiste imaginé par Piet Mondrian quelques années plus tard. Il s’agit

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d’inventer un prototype d’espace pour la mise en mouvement de la vision. Yve-Alain Bois insiste sur le fait que l’originalité de ce dispositif réside dans son mouvement rotatif.14 L’espace PROUN inclut le spectateur dans un dispositif qui fonctionne comme un moteur ou une turbine qui met littéralement la forme et le spectateur qui la suit, en mouvement, tout en déhiérarchisant les coordonnées de l’espace. « Circulant autour du Proun, nous nous propulsons dans l’espace. Nous avons mis le Proun en mouvement et nous obtenons ainsi de nombreux axes de projection ». 15 Redécouvrant la définition de l’espace inaugurée par August Schmarsow, la notion d’espace de démonstration est indissociable à son origine de l’expérience de l’art abstrait, un art qui lui-même cherche de multiples manières à sortir des limites étroites du tableau. Elle définie un nouveau type d’espace qui n’est ni simplement de la peinture ni de la l’architecture, ou qui est simultanément de la peinture et de l’architecture, et qui ne peut s’appréhender proprement qu’en mouvement, c’est-à-dire en multipliant les points de vue sur une même réalité. On pense aux « premières esquisses du système de forces dynamico-constructif » conçues en 1922 par László Moholy-Nagy comme « outils d’expérimentation et de démonstration prévus pour prouver les rapports entre la matière, l’énergie, l’espace ».16 À travers cette conception de l’espace dont la dimension circulaire est la représentation matérielle, se lit déjà une référence implicite à la machine.17

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2. László Moholy-Nagy

Système des forces cinétiques-constructives, 1922-1928

3. El Lissitzky

Raum für konstruktive Kunst (« Espace pour l’art constructiviste »), Exposition Internationale d’art de Dresde, 1926

4-5. El Lissitzky

Abstraktes kabinett (« cabinet des Abstraits » réalisé pour la Niedersächsische Landesgalerie, Hannover, 1927)

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La notion de démonstration implique une approche logique et rationnelle des phénomènes, cohérente avec le souci des constructivistes d’un rapprochement entre l’artiste et l’ingénieur. Elle renvoie à l’idée d’exposition didactique d’une thèse appuyée sur des expériences scientifiques. 18 Elle a connu une fortune diverse dans le champ des publications des artistes et mouvements d’avant-garde dont la recension complète reste à faire. Il semble qu’Alfréd Kemény, collaborateur de la revue avantgardiste hongroise MA, l’ait utilisée dès 1919 pour désigner l’espace même de la revue comme une exposition-démonstration. En 1920, Hans Richter et Viking Eggeling utilisent le terme dans un texte intitulé « Universelle Sprache ». 19 Dans le même numéro de G de 1923 où paraît le texte de Lissitzky sur le Prounenraum, Hans Richter emploie de nouveau le préfixe démonstration pour créer le mot Demonstrationsfilm. On retrouve également le terme en 1925 dans un texte de la revue De Stijl 20 de Frederick Kiesler, l’un des pionniers des dispositifs d’exposition avec une forte dimension machinique. Mais c’est aux deux espaces de présentation muséaux de Dresde puis de Hanovre réalisés par El Lissitzky à partir de 1926 que le terme de Demonstrationraum est le plus généralement associé. Dans ces deux espaces, Raum für konstruktive Kunst (Dresde, 1926), et Abstraktes Kabinett (Hanovre, 1927-1928), différentes modalités de mise en mouvement mécanique et visuel de l’espace jouent un rôle essentiel dans la démonstration, indissociable de l’exposition de l’art abstrait. Selon les mots d’Alexandre Dorner paraphrasés par Maria Gough, ici, « l’espace architectural et pictural coïncident (…) se réitérant l’un l’autre ».21 Le Demonstrationraum ne fait pas seulement corps avec l’art qu’il sert à présenter ; il en est comme une reprise, une traduction générique qui en élargit les termes selon des modalités « machiniques » et optiques. Dans le seul texte de l’artiste

entièrement consacré au sujet et focalisé essentiellement sur le Raum für die konstrutive Kunst de 1926, Lissitzky en définit précisément les enjeux.22 Pour Lissitzky, il s’agit de « créer les meilleures conditions optiques » pour la visibilité de la peinture comme le fait « l’acousticien par rapport à la salle de concert ». Pour se faire, il souligne l’importance déterminante de la couleur en tant que « support de la nouvelle peinture », et considère les quatre murs de l’espace comme un arrière-plan optique dont il s’agit de dissoudre la matérialité en tant que telle. Le dispositif lui-même configure un espace de six mètres par six mètres, soit de 36 mètres carrés. Il est formé de l’articulation d’une pluralité d’éléments. Les murs varient du noir au blanc en passant par le gris grâce au recouvrement des murs de lamelles bifaces de quatre centimètres de largeur. Un système de portiques tournants sert de support à plusieurs peintures. Un jeu de grilles ajourées et de volets coulissants ainsi qu’un tissu filtrant au plafond la lumière zénithale permettent de percevoir les objets exposés selon différentes tonalités. L’enjeu est de « constituer un standard pour les espaces dans lesquels l’art contemporain est montré au public ». Par-delà la création d’un objet d’art décoratif, explique-t-il, il s’agit « de créer un type qui attend la poursuite du développement de sa propre standardisation ». « Le résultat de ce mouvement dans l’espace est une dynamique optique », la création d’un véritable dispositif d’images qui oblige le spectateur à devenir actif en se confrontant de multiple manière avec les objets exposés. L’architecture intérieure redouble, renforce et élargit l’expérience propre au tableau. Elle veut en être à la fois le miroir et le révélateur. On retrouve toutes ces caractéristiques dans l’Abstraktes Kabinett (conçu par Lissitzky au Provinzialmuseum de Hanovre une année plus tard) qui entrait lui-même en profonde résonance avec le projet muséologique d’Alexandre Dorner, son directeur, à l’invitation duquel Lissitzky est directement redevable. Dorner était engagé depuis plusieurs années déjà dans une réflexion qui ne le quittera plus sur la réforme du musée en s’inspirant du concept de Kunstwollen de l’historien d’art Aloïs Riegl. Chaque salle de son musée était pensée comme un Stimmungsraum ou un Stilraum, rassemblant un ensemble d’œuvres dans un espace spécialement conçu à partir d’un ensemble de traits distinctifs de l’époque considérée, dont l’Abstraktes Kabinett puis le Raum der Gegenwart (1930), commandé quelque temps plus tard à László Moholy-Nagy, mais nonréalisé, à la suite du dispositif conçu par l’artiste à l’exposition-démonstration du Werkbund allemand

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au Salon des artistes décorateurs de Paris quelques mois plus tôt, devaient conclure l’itinéraire. La notion de Demonstrationraum ne peut être ainsi dissociée du débat sur le musée contemporain dans lequel Dorner fut un acteur central. Les conceptions de Dorner et le projet d’espace de MoholyNagy, jouèrent notamment un rôle essentiel dans les discussions préparatoires au Congrès de la Sarraz sur le Musée contemporain 23 en 1931 ou se retrouvèrent, László Moholy-Nagy, Herbert Bayer, Sigfried Giedion, Alexander Dorner, et l’un des grands pionniers et théoricien oublié de « l’exposition en tant que médium fonctionnel »,24 Otto Neurath. Dorner ne cessa par la suite de revenir sur le projet du Musée du futur, thème commun avec l’inventeur et théoricien viennois, qu’il concevait sous la métaphore d’une « usine de production électrique » (a powerhouse), « utlisant toutes les sources de représentation possibles, sensorielles et intellectuelles ».25 C o m m e l e m o n t r e le c h a p i t r e s u r le s Demonstrationsräume de Lissitzky dans le livre publié en allemand par sa femme en 1965, les espaces de démonstration couvrent en fait un large ensemble de dispositifs et tout particulièrement ceux conçus dans le contexte des expositions internationales, telle que la Pressa à Cologne en 1928.26 Le concept apparaît de façon décisive l’une des toutes premières fois en mai 1922, dans le manifeste rédigé par El Lissitzky, Theo Van Doesburg et Hans Richter en conclusion des travaux du premier congrès de l’internationale constructiviste. 27 Le mot d’ordre était le suivant : « 1. Arrêter les expositions. À la place : espaces de démonstration pour la totalité du travail (Gesamtarbeit) (…) III. Nous définissons l’artiste progressiste comme quelqu’un qui refuse et combat l’hégémonie du subjectif dans l’art, qui ne conçoit pas ses œuvres à travers une gratuité lyrique, mais qui, à partir d’un principe nouveau de créativité, par une organisation systématique des moyens, génère un langage universellement compréhensible. IV. Nous refusons les expositions contemporaines d’art comme dépôt, où l’on fait commerce d’objets juxtaposés, sans relation. Aujourd’hui, nous nous trouvons entre une société qui n’a pas besoin de nous et une société qui n’existe pas encore. C’est pour cela que nous voulons organiser des expositions qui sont la démonstration de ce que nous souhaitons réaliser (à travers des esquisses, des plans, des maquettes) et/ou de ce que nous avons déjà réalisé. (Conclusion) : a) L’art est au même titre que la science et la technique, une méthode d’organisation de la vie collective ».28 Lissitzky évoque des antécédents dans le milieu artistique de la période

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post-révolutionnaire sous l’impulsion notamment d’artistes comme Kazimir Malevitch.29 Dans le cadre de la réforme culturelle prolétarienne mis en place entre 1917 et 1921 par le Proletkult – une institution qui voulait installer un art prolétarien fondé sur les valeurs exclusives du prolétariat industriel 30 – et du Narkompros (le Commissariat du Peuple à l’Instruction publique), Malevitch développe en 1922 un plan en dix points pour réorganiser la politique artistique et culturelle de l’État soviétique naissant. Parmi ceux-là : « élaboration d’un plan général d’expositions itinérantes pour toute la République afin de démontrer les derniers résultats de la production artistique (expositions d’art dynamique) ». 31 Lissitzky évoque également les expositions – malheureusement apparemment peu ou pas documentées – des « Affirmateurs (ou Militants) du nouveau » (OUNOVIS) dont il faisait lui-même partie, qui utilisaient le langage artistique propre aux avant-gardes pour traiter certains des sujets clés de la construction du nouveau pays tel que la transformation du minerai de fer par les procédés industriels en rails de chemin de fer.32 Il s’agissait ainsi de démontrer à un large public l’utilisation des nouveaux procédés industriels en vue d’une édification générale. L’art dans ce sens ne devait plus être refermé sur luimême mais « unifié avec la production ».33

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6. Espace d’exposition dans un wagon de propagande bolchévique, vers 1925

Zeit (L’habitat de notre temps) en 1931. « L’habitat de notre temps n’existe pas encore. Cependant, la transformation des conditions de vie exige sa réalisation ».34 Dans un bref article paru en 1928 dans Die Form intitulé « Zum Thema Ausstellungen », il souligne l’importance cruciale des expositions « comme instrument du travail économique et culturel ». L’exposition est à ses yeux un outil privilégié pour l’édification intellectuelle de la société. « Elles doivent être la démonstration des forces les plus actives dans la société et amener à révolutionner la pensée. (…) C’est seulement quand les expositions prennent en compte le problème central de notre temps – l’intensification de la vie – qu’elles trouvent sens et justification ».35 En tant que combinaison de volumes multifonctionnels où la notion de « type » architectural est ramenée à une série d’éléments volumétriques basés sur le cube, première incarnation de cette architecture modulaire qui deviendra l’une des idées fondamentales du design moderniste bien au-delà des années 1920, les projets de lotissements, comme le système constructif que Walter Gropius imagine dans le cadre du Bauhaus-Siedlung (1920-1921), furent déjà eux-mêmes des espaces de démonstration. Mais le mouvement pour les lotissements des années 1920 fut également un véritable moteur pour l’invention d’un nouveau concept d’expositions touchant à tous les aspects de « la vie nouvelle ». C’est en tant que secrétaire général de l’Österreichischer Verbund für Siedlungs- und Kleingartenwesen (association autrichienne pour les affaires de lotissements et les jardins ouvriers) à partir de 1921 et créateur en 1923 du Museum für Siedlung und Städtebau (Musée pour le lotissement et l’aménagement urbain) de Vienne qui emploie pour la première fois un système de représentations de l’information à partir de figures types (bientôt nommées Isotype) stylisées en noir et blanc, qu’Otto Neurath met en place sa propre conception des Demonstrationsraum. Il s’adjoint pour ce faire les services de Gerd Arntz, membre du groupe des

7. Couverture du numéro de la revue Das Neue Frankfurt consacrée aux expositions, Juin 1930

8. Couverture du catalogue de la Deutsche Bauausstellung,

Berlin, 1931

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9. László Moholy-Nagy

Stand de l’exposition L’Habitat dans la Verdure, Berlin, 1928

En Allemagne, le « Neues Bauen » (la Nouvelle Construction) contribua également de façon particulièrement active à l’invention des espaces de démonstration. « La tâche centrale de l’exposition en tant que médium repose sur l’analyse des nécessités réelles de l’habitat», écrit Ludwig Mies van der Rohe à propos de l’exposition Die Wohnung unserer

10. Heinz Loew

Esquisse pour un stand d’exposition pour l’association industrielle des fabriquants de conserve, 1928

11. Xanti Schawinsky

Dispositif d’exposition de la ville de Madgebourg à l’occasion de la Deutsche Hygieneausstellung (« Exposition allemande de l’hygiène »), Dresde, 1930

12. Xanti Schawinsky

Exposition Bauten der Technik (« Constructions industrielles »), Magdebourg, 29 Janvier 1930

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artistes progressistes de la Rhénanie, proche des idées de De Stijl, du Bauhaus, et des constructivistes, qui bientôt lui présentera Lissitzky. Cette liaison entre nouveaux lotissements et exposition-démonstration se retrouve dans les mêmes années dans plusieurs villes progressistes d’Allemagne. Dans le cadre du « Neues Frankfurt », lancé par la ville et l’architecte en chef Ernst May, les nouveaux modes de vie proposés par l’habitat pour l’existence minimum étaient accompagnés de la conception d’expositions standardisées et itinérantes utilisant tous les moyens didactiques des Graphische Demonstrationsräume pour faire participer à la vie sociale et culturelle la population qui en avait été jusqu’alors exclue. L’influence de Dorner et notamment du Raum der Gegenwart devient perceptible à travers la création de « maisons d’expositions temporaires » qui rendent compte des « dernières actualités » aussi bien en architecture ou en peinture que dans le domaine de l’industrie.36 À Magdebourg, l’artiste Xanti Schawinsky, jeune diplômé du Bauhaus de Dessau, dirige à partir de l’automne 1929 la section graphique de la direction de l’architecture et de l’urbanisme et réalise toute une série d’expositions autour des questions relatives aux nouvelles formes d’habitats. À Berlin où, sous la tutelle de Bruno Taut et Martin Wagner un vaste programme de lotissement est mis en place à partir de 1925, Walter Gropius en collaboration avec László Moholy-Nagy est invité à concevoir l’exposition L’habitat dans la Verdure (AHAG-SommerfeldAusstellung, Berlin Zehlendorf) en 1928. Dans les notes de Le Corbusier sur la présentation du Pavillon de l’Esprit Nouveau à l’Exposition internationale des arts décoratifs de Paris en

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1925, le terme de démonstration revient systématiquement 37, comme ce sera le cas dans la réception qui sera faite dans la presse de l’exposition du Werkbund allemand à Paris en 1930 38 . Il faut entendre par-là qu’il s’agit à la fois d’une reproduction « rigoureuse de l’une des cellules d’un grand immeuble locatif qui sera construit à Paris à partir de fin 1925 », mais également une théorie en soi, ou plus exactement « une illustration objective des théories parues dans la revue L’Esprit Nouveau (…), une démonstration saisissante des transformations radicales qui doivent être apportées dans la conception et dans les moyens constructifs du bâtiment ».39 Au Bauhaus, ce n’est pas avant 1928-1932, quand Joost Schmidt prend la tête de l’atelier de typographie et publicité (Druck-und Reklamewerkstatt) consacré à l’Ausstellungsgestaltung que cette pratique sera explicitement prise en compte, même s’il faut souligner que dès le Manifeste de Walter Gropius en 1919, le fondateur du Bauhaus avait mis l’accent sur la nécessité de prendre en compte la question de l’exposition. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, quand des enseignants phares du Bauhaus défunt, comme le jeune artiste autrichien

Herbert Bayer, s’expatrient aux États-Unis, ce n’est pas sans distorsions majeures que cette intense activité sera transposée sous le nom d’exhibition design.40 Cette appellation américaine sera le signe d’une lente dérive du projet scientifique et didactique inhérent à la dimension démonstrative des Demonstrationsräume vers le design commercial, le « display », « l’accrochage » et avec eux plus d’un demi-siècle d’amnésie sur les caractéristiques propres d’un authentique média. Étrangement, mais c’est une autre histoire, ce sera le destin d’un autre architecte – designer et de sa femme, Charles et Ray Eames, d’avoir réactivé après-guerre, aux États-Unis, la spécificité du projet didactique de l’exposition, développé en Allemagne dans les années 1920 et peut être déjà en Russie dès la fin des années 1910. À l’aube du xxe siècle, la notion de Demonstrationsraum donne une consistance particulière à la catégorie de dispositif d’images. Au contraire des expositions qui n’assument aucun discours et ne sont que juxtapositions d’objets, les espaces de démonstration impliquent la construction d’un discours cohérent à travers une méthodologie assumée, d’où sans doute l’importance des débats muséologiques qui

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en ont été un important développement. Il faudrait poursuivre l’investigation sur les différents sens du terme « démonstration » dans les quelques langues où il est encore en usage (au moins le néerlandais et l’allemand) en relation avec les pratiques de l’exposition. Notre enquête nous permet cependant déjà de souligner qu’un espace de démonstration configure un véritable dispositif. Ces dispositifs ne peuvent être abordés de façon satisfaisante en conservant les distinctions catégorielles entre l’art, l’architecture, la photographie ou le design. Ils ne peuvent être appréhendés qu’à travers une histoire transversale des formes de représentation qui les fait se croiser par delà les matériaux et les contextes pour lesquels ils ont été conçus. Le concept de paradigme permet de mettre en correspondance des ensembles d’objets différents qui ont en commun un modèle ou une matrice privilégiée qui ne se réduit pas à une catégorie formelle ni à une thématique commune. Dans les années 1920, l’usine, c’est-à-dire les nouveaux modèles de management scientifique du travail, associés au Taylorisme et bientôt au Fordisme, nous semble avoir constituée une telle matrice, par-delà les différentes interprétations idéologiques dont elle a pu faire l’objet. Ce paradigme nous apparaît d’au-

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13. Herbert Bayer

Affiche pour la Section allemande de l’exposition de la Société des artistes décorateurs, Paris, 1930 14. Galerie des machines dans la Section suisse de l’Exposition Universelle de Paris, 1878 15. Chaîne de montage pour la voiture Chevrolet Master Eagle, 4 Door Sedan de General Motors, installée dans le cadre de l’Exposition Internationale de Chicago, The Century of progress Exhibition, 1933

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tant plus exemplaire, que non seulement il apparaît comme un héritage et une transformation de la place centrale occupée par la salle des machines dans les expositions universelles à partir de 1855, mais qu’il fait résonner toutes les relations que le concept de dispositif lui-même entretient avec l’histoire de la technique et des systèmes mécaniques. La référence à la machine, la métaphore de l’usine, en tant qu’espace de production idéalisé synonyme de progrès à travers la décomposition et la rationalisation

des processus collectifs de travail, est indissociable de l’invention des espaces de démonstration dans la société européenne de l’entre-deux-guerres. La référence à l’usine, occurrence récurrente des espaces de démonstration dans les années 1920, renforce « la forme dispositif », un dispositif étant déjà en quelque sorte une usine en miniature, une usine à produire des représentations.

Le paradigme de l’usine Comme l’écrivait le critique suisse d’architecture Sigfried Giedion, la naissance des expositions universelles est « indissociable du développement de l’industrie ». 41 La première exposition universelle de Londres en 1851 avait ainsi pour ambition de montrer « the industry of all nations ». En fait, dès 1798, avec la première exposition périodique nationale française, une relation intrinsèque s’est établie entre exposition et promotion des produits de l’industrie. D’où l’importance prise par la question de la machine qui va longtemps être au cœur de l’histoire des expositions en tant qu’objet principal d’exposition – la fameuse galerie des machines.42 Avec la fin de la Première Guerre mondiale, la rationalisation de l’organisation interne de l’usine pour plus d’efficacité et de rendement, inventé par l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor, se diffuse dans toute l’Europe.43 La division du travail, la chaîne de montage et la standardisation qu’Henry Ford fut le premier à appliquer dans ses usines de voitures à une échelle industrielle, deviennent des mots d’ordre d’avant-garde. Avec le Taylorisme, le paradigme de l’usine connaît ainsi une nouvelle actualité. Les nouvelles politiques qui émergent dans les républiques soviétiques, mais aussi dans de nombreuses villes dirigées par des sociauxdémocrates et des communistes en Allemagne et en Autriche, n’y sont pas étrangères. De différentes manières, les expositions redeviennent un terrain privilégié d’expression de ce nouvel engouement et se transforment elles-mêmes en de véritables usines de représentation. L’organisation scientifique du travail, nouvelle idéologie universelle de la société humaine, devient, selon Lénine lui-même, une « tâche, d’une ampleur historique » qu’il s’agit de « réévaluer et d’adapter aux besoins de la société socialiste ».44

• L’usine fordiste, modèle du Werkbund allemand L’usine devint le modèle des expositions modernistes allemandes au moins de trois manières différentes : en mettant en avant, à tous les niveaux de l’existence, la nécessaire rationalisation des activités de l’homme nouveau ; en faisant de la production

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en série un idéal incontournable ; et plus fondamentalement encore, en développant, grâce notamment aux moyens du graphisme et de la typographie, une méthode analytique et fonctionnelle de compréhension et d’exposition de tous les phénomènes.

• Standardisation et nouveaux modes de vie

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voyage aux États-Unis en 1928. Il s’y était déjà confronté à deux reprises avec les lotissements Törten à Dessau (1926-1928) et Dammerstock (1929) à Karlsruhe. Ce n’est cependant qu’avec le projet du Boarding-house – et donc dans le cadre d’une exposition qui en était l’exposé didactique — que le processus industriel de standardisation de la construction était envisagé simultanément à une évocation de ses conséquences globales sur la transformation des modes de vie.

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l’immeuble collectif présente la synthèse architecturale. De l’autre, le partage des fonctions dessine le modèle d’une vie collective qui pour certains révèle une inspiration « communiste »,48 tandis que la standardisation de l’habitat débarrasse l’homme nouveau du besoin de s’ancrer définitivement quelque part, l’incitant même à passer d’un habitat à un autre tout en se retrouvant partout chez lui. L’immeuble de Gropius évoque en fait les conceptions des réformateurs saint-simoniens et utopistes du xixe siècle. Mais la recherche d’un modèle de vie standardisée organisant rationnellement l’exis-

Gropius pour ce faire reprend à son compte les

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La section allemande de l’Exposition de la Société des Artistes Décorateurs de Paris en 1930 45, réalisée pour le Werkbund sous la direction artistique de Walter Gropius, consistait à montrer pour la première fois au public français, après l’armistice de 1918, le panorama d’un nouveau design conçu pour la société du futur. Le projet d’immeuble à dix étages de Walter Gropius était au cœur de toute l’exposition allemande. Cinq ans auparavant, presque au même endroit, lors de l’Exposition internationale des arts décoratifs de Paris, le Pavillon de l’Esprit Nouveau de Le Corbusier avait également été conçu comme la cellule d’un immeuble collectif. Le visiteur entrait par la salle réalisée par Gropius – qui elle-même n’était pas sans évoquer « le club des travailleurs » réalisé par Alexandre Rodtchenko dans le contexte du pavillon russe de l’exposition parisienne de 1925. Elle reconstituait en grandeur

elektrischen Bühne) (« Modulateur EspaceLumière »), était également centrée sur la question de la standardisation. 50 De longs panoramas d’images photographiques courant le long des murs rendait compte, pour l’un, des développements du design en Allemagne du Werkbund au Bauhaus, à travers la présentation de toute une théorie d’ustensiles usuels modernes, et pour l’autre, des développements de l’architecture moderne. Cette salle, comme les Demonstrationsräume de Lissitzky et les dispositifs de Frederick Kiesler six ans plus tôt, à travers un certain nombre de tableaux pliables, mobiles ou pivotants, fait la part belle à la mis en mouvement. Ce qui intéressait l’artiste, c’est, dirat-il, « la représentation du processus dynamicoproductif d’ensemble » dans lequel se reconnaît également la métaphore de l’usine. La même année Moholy-Nagy est invité par Alexander Dorner à reprendre le même projet pour réaliser la dernière salle du Provinzialmuseum d’Hanovre qui devait aboutir à la démonstration de la « fin de l’art » à travers ce que l’artiste concevait comme « un espace de représentation synthétique du présent », soit une représentation de tous les champs d’investigation du « Bauhaus en miniature ». Réalisé essentiellement à partir d’instantanés photographiques d’objets manufacturés, d’architectures standardisées et de structures d’ingénieurs, ce Raum der Gegenwart 51 (L’espace du présent) devait être l’un des premiers exemples d’espace muséal standardisé à dupliquer.52

• La chaîne de montage comme modèle

16. Maquette du Boarding-house de Walter Gropius à 18

réelle une sorte de club pour les habitants sous la forme d’une grande pièce commune avec mezzanine rassemblant différentes fonctions – salle de réunion, de culture physique, bar, piste de danse, bibliothèque – tandis qu’une maquette du Boardinghouse était placée à la sortie de la salle. Arrivé à la salle 3 réalisée par Marcel Breuer, le spectateur pouvait traverser, à la même échelle, un appartement témoin présentant « l’abc d’une pièce pour dame et d’une pièce pour homme », assorties d’un bureau de travail, d’une antichambre, d’une salle de bain et d’une cuisine commune. Ce n’est pas la première fois que Gropius, surnommé par Sigfried Giedion, le « Wohnford » (le Ford pour l’habitation)46 , expérimentait l’idée du logement de masse standardisé étudié lors d’un

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thèses défendues dès 1912 par le sociologue Franz Carl Müller-Lyer dans son livre Die Familie,47 décrivant les aspirations communautaires de l’homme contemporain. L’auteur y évoque le concept du Boarding-house pour désigner la société de demain organisée à travers des habitats structurés autour de toute une série de fonctions collectives, ellesmêmes strictement dissociées, parallèlement à la prise en compte des espaces intimes, également clairement distincts selon qu’il s’agit de l’espace d’un sportif, d’un intellectuel, d’un commis voyageur, d’un homme ou d’une femme que l’on suppose « émancipé(e) ». D’un côté donc l’existence même est pensée selon une division fonctionnelle des tâches et des activités à laquelle répond l’organisation rationnelle des espaces standardisés dont

l’entrée de la salle 2 (conçue par László Moholy-Nagy), Section allemande de l’exposition de la Société des artistes décorateurs, Paris, 1930

17. Plan de la salle 2 conçue par László Moholy-Nagy, Section allemande de l’exposition de la Société des artistes décorateurs, Paris, 1930

18. Salle de lecture dans le club des travailleurs (conçue par Alexandre Rodtchenko), Pavillon russe de l’Exposition Internationale des Arts décoratifs, Paris, 1925 22

19. Salle 1 (conçue par Walter Gropius) de la Section allemande de l’exposition de la Société des artistes décorateurs, Paris, 1930

tence humaine à grande échelle lui donne cependant clairement une connotation futuriste : par-delà la « machine à habiter », 49 il n’est pas trop fort de considérer que le Boarding-house fonctionne comme une véritable « usine à habiter ».

20. Walter Gropius

Lotissement Dammerstock, Karlsruhe, 1927-1928

21. Frederick Kiesler

Système Leger und Träger, 1924

22. László Moholy-Nagy

Salle 2 de la Section allemande de l’exposition de la Société des artistes décorateurs, Paris, 1930

23. László Moholy-Nagy

D’une manière plus directe et surtout plus encyclopédique, la salle de Moholy-Nagy dans la même exposition, organisée autour de sa machine intitulée Licht-Raum-Modulator (Lichtrequisit einer

Raum der Gegenwart (« Espace de notre temps »), 1930 Reconstitution réalisée en 2009 par Kai-Uwe Hemken (en collaboration avec la Fondation Bauhaus Dessau, le musée Van Abbe à Eindhoven, la Schirn-Kunsthalle de Francfort/Main et la Kunsthalle d’Erfurt)

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Dans la préface du catalogue de la Section allemande de 1930, on peut lire : « l’objet fabriqué doit symboliser la conciliation qu’il convient de plus en plus d’établir entre les exigences esthétiques de l’artiste et les exigences industrielles du fabricant ».53 « L’objectif suprême est de mettre à jour pour chaque objet et chaque fonction « un standard (…) en mesure de contenter le plus grand nombre ». 54 L’une des stratégies d’exposition les plus courantes en Allemagne pour en faire percevoir la perfection,

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Elke Mittmann, Jean-Christophe Royoux

VERS UNE GÉNÉALOGIE DES DISPOSITIFS D’IMAGES Les « Demonstrationsräume » et le paradigme de l’usine


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couleur ». 58 Autrement dit, « le Bauhaus est une réponse à la question, quelle est la formation dont un artiste a besoin pour jouer un rôle à l’âge des machines ? ». 59 Ce n’est cependant pas avant le tournant fonctionnaliste de l’école à partir de 1923, et surtout à partir de la direction de Hannes Meyer, que la méthode analytique de décomposition systématique de toutes les étapes de fabrication d’un objet, référence directe à la division scientifique du travail initiée par Taylor, trouvera au Bauhaus une application à large échelle.

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Exposés de façon clinique à l’intérieur de longues vitrines encastrées à mi-hauteur dans de hauts murs blancs, ils étaient rehaussés par de larges photographies de grands objets produits selon les mêmes méthodes de production – avion, zeppelin. Seule « la beauté utilitaire des objets était mise en avant », sans aucun commentaire.

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avant de devenir un grand classique des étalagistes et des expositions commerciales, sera ainsi de présenter l’objet manufacturé de façon totalement décontextualisée en le répétant à l’infini comme sur une chaîne de montage. La salle réalisée par Herbert Bayer pour la Section allemande de 1930, avec ses agencements d’ustensiles domestiques en acier « cromargan » et ses nombreux objets produits en série (étoffes, porcelaine, verre, jouets, bijouterie) en est un bon exemple. La présentation presque simultanée de produits standardisés en verre, porcelaine et métal par l’architecte allemand Ludwig Hilberseimer dans le cadre de la section allemande de la 4e Exposition internationale d’art industriel de Monza 55 en 1930, en est un autre.

Mais c’est le travail de l’architecte et designer allemande Lilly Reich qui est sans conteste allé le plus loin dans cette conception. À de nombreuses reprises, à partir du milieu des années 1920, Reich conçoit des dispositifs d’exposition d’objets fabriqués en série et de matériaux de construction radicalement minimalistes. Les 24 types d’objets et matériaux – marbre, bois et placage, plancher, tapis, papier peint, peinture et laque, revêtements textiles, pendules, chaises, objet de quincaillerie, plaques de verre – présentés de façon sérielle à l’intérieur de séquences distinctes et continues du Materialschau (Exposition des matériaux), sur la mezzanine encerclant le hall de l’exposition de Die Wohnung unserer Zeit, en fut l’un des sommets.56

Le panneau montrant tous les éléments d’assemblage nécessaires à la fabrication d’une chaise, réalisé dans le cadre de l’exposition itinérante 10 ans du Bauhaus (1929)60 sous la direction de l’architecte suisse Hannes Meyer, est un exemple

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parlant du fonctionnalisme scientifique en tant que méthode d’exposition. La méthode de travail prend le dessus sur la dimension esthétique et formelle. Seule compte la rigueur économique et scientifique comme sur une chaîne de montage. De même, dans le domaine de l’architecture, toute construction sera le résultat d’une analyse préalable qui met en correspondance sous forme de diagrammes, l’ensemble des paramètres incontournables du bâtiment : circulations des personnes et de l’air, exposition au soleil, etc.61 C’est toutefois dans le domaine du graphisme, notamment dans le cadre de l’atelier de typographie et de publicité, dirigé par Joost Schmidt à partir de 1928, lui-même fortement imprégné de toutes les expériences réalisées à l’école en terme de typographie, que le fonctionnalisme analytique aura le plus d’impact sur la conception d’un nouveau type d’expositions, le « graphischer Demonstrationsraum ». Le graphisme pratiqué au Bauhaus, issu de la dimension descriptive du dessin industriel, est déjà en soi un outil d’exposition sur le papier. 62 C’est l’outil didactique par excellence qui décompose les différents éléments de la construction ou du fonctionnement d’un objet, d’une machine ou d’un phénomène quelconque, comme l’usine décompose de façon rationnelle les différentes étapes de la construction d’un objet. Rapidement cette méthode d’analyse visuelle proche du dessin technique des ingénieurs sera élargie et transposée au service de la réalisation d’images didactiques tridimensionnelles. Kai-Uwe Hemken les décrit comme une « iconographie de l’information objective » 63 qui décompose le produit pour visualiser la fonction. Hemken souligne à juste titre par exemple que « les images de démonstration de l’exposition Junkers peuvent se lire comme les tableaux de bord d’une

24. Salle (conçue par Lilly Reich) dans le cadre de

l’exposition Die Wohnung (« L’habitat ») de l’entreprise Deutsche Linoleum Werke, Stuttgart, année

25. Salle (conçue par Lilly Reich) consacrée à

l’exposition de matériaux, dans le cadre de Die Wohnung unserer Zeit (« L’habitat de notre temps »), Deutsche Bauhausstellung, Berlin, 1931

26. Salle 4 (conçue par Herbert Bayer) de la Section allemande de l’exposition de la Société des artistes décorateurs, Paris, 1930 27. Exposition itinérante du Bauhaus, Kunstmuseum, Bâle, 1929

• Le modèle didactique du « graphischer Demonstrationsraum »57

28. Joost Schmidt

L’utopie du Bauhaus était pédagogique avant d’être politique. Selon son fondateur, l’objectif était de « redécouvrir la grammaire de la création pour donner aux étudiants une science objective des données optiques : proportion, illusion d’optique et

29. Joost Schmidt - Walter Gropius

Démonstration graphique d’une chaudière à eau pour l’industrie de la production électrique et du gaz, pour la société « Junkers » lors de l’exposition « Gaz et eau », Berlin, 1929

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Démonstration graphique d’une production industrielle, Non-Ferro-Metall Ausstellung (« exposition des matériaux non ferreux »), Berlin, 1934

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Elke Mittmann, Jean-Christophe Royoux

VERS UNE GÉNÉALOGIE DES DISPOSITIFS D’IMAGES Les « Demonstrationsräume » et le paradigme de l’usine


Elke Mittmann, Jean-Christophe Royoux

installation industrielle ». 64 La décomposition du produit à travers de multiples gros plans qui miment les rouages d’une machine et incite à la manipulation, est capable d’absorber et de transmettre une énorme densité d’information tout en permettant de visualiser clairement la fonction. L’exposition sur l’importance sociale des syndicats dans la construction réalisée sous la direction artistique de Walter Gropius, l’une des expositions satellites des halls principaux de la « Deutsche Bauausstellung » de Berlin en 1931, utilise quasiment les mêmes stratégies de traduction graphique de l’information, fortement influencées par les méthodes développées en Autriche par Otto Neurath.65

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• L’usine des producteurs : l’exemple de la PRESSA L’interprétation soviétique du taylorisme est indissociable des premières expériences du théâtre révolutionnaire. Boris Arvatov demande dès 1920 la mise en œuvre de l’organisation scientifique du travail au théâtre, qui doit aider à la projection de l’homme nouveau emblématique de la construction de la Russie soviétique. « Le théâtre est le lieu de production, l’usine de l’homme qualifié et de son mode de vie qualifié, un laboratoire expérimental où les capacités que chaque homme doit connaître, seront apprises et mises à l’épreuve ». Pour Meyerhold, « la méthode du taylorisme est à appliquer au travail de l’acteur de la même manière qu’à tout autre travail où l’on recherche la productivité maximale ».66 Le théâtre russe devient ainsi le premier laboratoire d’application des principes de la biomécanique. « Le mot taylorisé, le geste élastique taylorisé ainsi que la construction énergétique qui s’émancipe de la lourdeur qui pèse sur l’homme bourgeois, sont les solutions proposées par le théâtre ». 67 Mais c’est en fait toute l’avantgarde qui partage ces convictions. Moholy-Nagy par exemple réfléchit à un théâtre où « la participation de l’homme devient superflue. [Où] l’on peut imaginer des instruments perfectionnés qui rempliraient mieux que l’homme lui-même le rôle uniquement

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mécanique que joue ce dernier ». Lissitzky dans Sieg über die Sonne (1922) (La Victoire sur le soleil), conçoit un projet comparable. Frederick Kiesler construit en 1924 à Vienne un dispositif d’exposition pour montrer les scénographies notamment de Lissitzky, Exter, Pamprolini et Schlemmer qui fonctionne, comme une sorte de miroir mécanique des œuvres exposées 68 , selon une logique que l’on a déjà vu à propos des salles de Lissitzky de Dresde et Hanovre. En Russie soviétique, le théâtre acquiert le statut de lieu de « culture du travail », intégré au processus général d’industrialisation du pays. L’exaltation du taylorisme fut également mise en œuvre dans le cadre des recherches menées par Gastjeff dans son laboratoire d’analyse biomécanique, où il tenta de systématiser les méthodes de décomposition scientifiques de l’activité de différentes catégories de travailleurs. L’originalité du dispositif du pavillon du jeune État soviétique à la première exposition internationale sur la Presse de Cologne aménagé sous la direction d’El Lissitzky, en collaboration avec 37 autres artistes dont ses deux collègues, Sergueï Senkine et Gustav Klucis, a été comparée à une scène de théâtre sur laquelle les spectateurs deviendraient des acteurs.69 Ce n’est pas la première fois que la nouvelle Russie met en avant dans le contexte de grandes expositions, l’importance de la presse dans la construction du nouvel État soviétique. Ce fut déjà le cas

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30. Xanti Schawinsky

Introduction à l’espace de démonstration du Boarding-house, exposition Die Wohnung unserer Zeit (« L’habitat de notre temps »), Deutsche Bauausstellung, Berlin, 1931

31. Le laboratoire biomécanique de Gastjeff : le travail d’un serrurier est analysé selon la méthode tayloriste, vers 1925

32. Sergej Sen’kin devant le dispositif d’exposition de Gustav Klucis dans le cadre de la participation soviétique à l’exposition PRESSA, Cologne, 1920 33. PAS DE LEGENDE 34. El Lissitzky

Collage-esquisse pour le catalogue d’exposition du Pavillon russe à la PRESSA, Cologne, 1928 Coll. Museum Ludwig, Cologne

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à deux reprises : dans la salle de lecture conçue par Rodchenko pour le pavillon russe de Melnikoff à l’Exposition internationale des arts décoratifs de Paris en 192570 ; puis en 1927, à Moscou, une année avant la Pressa, dans une première exposition mise en scène par Lissitzky entièrement orientée vers les métiers de l’imprimerie (en russe, la « polygraphie »). Le texte de Lissitzky qui accompagne l’exposition, intitulé « l’artiste dans la production », définit les tâches nouvelles de l’artiste révolutionnaire. « La Révolution d’Octobre a ouvert la voie aux masses, et il est devenu nécessaire de transposer les expériences de l’atelier individuel et du chevalet à celles de l’usine et de la machine »,71 écrit-il. Dorénavant, la « polygraphie » devrait être la matière privilégiée de l’artiste – ouvrier capable d’adapter son expérience artistique aux processus d’organisation industrielle du travail. L’ouverture de l’exposition de 1928 coïncide avec le lancement du plan quinquennal qui avait pour objectif de transformer en cinq ans la Russie posttsariste en état socialiste.72 Le Plan insiste sur l’importance de la presse et de son industrie en tant que moyen de lutte contre l’analphabétisme mais surtout en tant que moyen pour inciter chaque ouvrier et paysan à participer au processus de transformation sociale. La presse est conçue comme un « accélérateur de la transformation politique et culturelle » de la nouvelle société, un levier essentiel d’intégration des masses aux objectifs révolutionnaires. L’exposition de Cologne donnait l’occasion au nouvel État socialiste de montrer son inventivité dans ce domaine. Elle était ainsi totalement en phase avec les objectifs essentiels du moment du nouvel état soviétique. En fait, l’aspect machinique de nombreux dispositifs de la section russe, en forme de courroies de transmission notamment, lui donne immédiatement l’aspect d’une « exposition-usine ». « Les bandes transporteuses, les tambours rotatifs et les autres objets de la section soviétique faisaient allusions aux machines et aux dispositifs machiniques de la production : les mouvements et le fond sonore des moteurs donnaient au pavillon le caractère d’une halle des machines.73 Dans une exposition qui se limite à l’accrochage, les éléments sont pour l’essentiel confinés sur les murs. Un simple coup d’œil sur le plan de la section russe de La Pressa comme d’ailleurs sur celui, deux ans plus tard, de la section soviétique de la Internationale HygieneAusstellung de Dresde, permet de comprendre que l’espace ne se limite pas à être un vide entre des volumes. Il fonctionne sur le modèle d’un organigramme de production, tel qu’on peut le voir dans

les schémas de rationalisation de la production de certaines usines américaines ou des centrales électriques de l’AEG depuis 1913. Chaque élément occupe une place définie à l’intérieur d’un parcours planifié qui semble répondre à un principe de taylorisation de l’information. Revendiquant le statut d’ingénieur, l’artiste-constructeur met avant tout l’accent sur l’organisation. L’objectif était de montrer – à travers un parcours découpé en une vingtaine de sections, traitant de 227 sujets distincts dont « l’URSS et la presse », « la situation du prolétariat en URSS », « les associations des ouvriers », « la transformation socialiste du village », « le journaliste ouvrier et paysan », « Lénine et la presse », « la presse dans les six républiques soviétiques », etc., autour de dispositifs dont beaucoup étaient en mouvement, clignotaient, demandaient à être manipulés – la dynamique du développement de la presse dans l’état post-tsariste. L’usine russe cependant se démarque de sa

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VERS UNE GÉNÉALOGIE DES DISPOSITIFS D’IMAGES Les « Demonstrationsräume » et le paradigme de l’usine

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consœur du monde occidental. Dans un pays-continent comme l’URSS où l’industrie est encore balbutiante, la référence à l’usine fonctionne comme une sorte d’idéal, une « projection », une métaphore. Elle n’a pas pour objectif premier de vanter la standardisation. Son but est plutôt de faire en sorte que, dans toute la société, chacun à une place bien identifiée, devienne un élément actif du processus d’appropriation collective des moyens de production. C’est au théâtre qu’est d’abord apparu le mot d’ordre d’une nouvelle fabrique du spectateur.74 Mais ce fut la tâche spécifique de la presse soviétique en donnant « la parole au travail lui-même » que de bâtir la nouvelle usine déprolétarisée à travers la requalification du prolétaire en producteur. « La presse soviétique (…) soumet à révision la séparation entre auteur et lecteur. Pour ce processus, la presse est l’instance qui fait le plus autorité et c’est pourquoi toute étude de l’auteur comme producteur doit être poussée jusqu’à elle ». En Russie en effet, « celui qui lit est prêt à chaque instant à devenir celui qui écrit, c’est-à-dire qui décrit ou bien qui prescrit. Comme expert – même si ce n’est pas d’une spécialité mais seulement du poste qu’il occupe – il accède


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à la qualité d’auteur. La parole est donnée au travail lui-même. Et sa représentation par le mot est une partie du savoir nécessaire à son exercice. La compétence littéraire n’est plus fondée sur la formation spécialisée mais sur la formation polytechnique et devient ainsi un bien commun ». Ce texte décrit parfaitement le rôle éminent attendu par la nouvelle presse en Russie soviétique. C’est cette même exigence de transformation des sujets en producteurs qui sera expérimentée dans ces nouvelles usines de la représentation que sont les expositions. C’est ce processus que Lissitzky veut relayer en inventant le dispositif participatif de la section soviétique pour la Pressa. « Il essaya de se séparer de la conception traditionnelle du spectateur en considérant ce dernier comme le représentant de la nouvelle conscience collective de l’époque révolutionnaire ».75 Bien au-delà de tout exercice de propagande, le Pavillon russe de la Pressa sera l’une des toutes premières occasions d’en montrer les « acquis » culturels et politiques à l’échelle internationale. Benjamin encore : « Les produits de l’auteur (…) ne doivent nullement se limiter aux possibilités d’utilisation sur le plan de la propagande ».76 « Ce qui est déterminant, c’est donc le caractère de modèle de la production, qui est apte premièrement à guider d’autres producteurs vers la production,

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« devaient se transformer d’instrument d’intimidation dans les mains de la bourgeoisie en un instrument d’auto-apprentissage pour le prolétariat dans le contexte de la lutte des classes révolutionnaire (…) Elles devaient initier à l’apprentissage intellectuel nécessaire à la connaissance technique et à la compréhension des interactions complexes à l’origine du développement de la société ».80 36

deuxièmement à mettre à leur disposition un appareil amélioré. Et cet appareil est d’autant meilleur qu’il entraîne plus de consommateurs à la production, bref qu’il est à même de faire des lecteurs ou des spectateurs des collaborateurs ».77 L’institution que rêvait encore de créer Alexander Dorner en 1947 et qui devait « ressembler à une usine électrique, à un générateur des forces nouvelles » 78 s’inscrit à bien des égards dans cette même logique, de même que, dans le contexte de l’austro-marxisme, la fabrique du savoir que cherchait à générer à Vienne le Gesellschafts und Wirtschaftsmuseum d’Otto Neurath avec les moyens de la mise en forme visuelle de données statistiques (Bildstatistik. Comme le dit une commentatrice récente, les expositions, en tant qu’espaces de discussions de cette connaissance accumulée 79,

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Les dispositifs d’images à la croisée des pratiques

1. Ce texte est une première introduction à une histoire critique des dispositifs d’images à l’époque moderne. Nos chaleureux remerciements à Antoine Baudin, chercheur à l’EPFL, qui nous a donné accès à de nombreuses sources originales issues notamment du Fonds Alberto Sartoris.

Malgré la profonde proximité des recherches qui traversent pendant les années 1920 les courants modernistes de l’art, de l’architecture et du design et même de la muséologie, voire de l’histoire de l’art, on a cru jusqu’à présent pouvoir cantonner la prise en compte des dispositifs d’exposition dans le contexte unique d’une histoire de la photographie.81 Si Olivier Lugon par exemple, reconnaît volontiers 35. Entrée du pavillon russe, exposition PRESSA, Cologne, 1928 36. Organigramme pour le fonctionnement d’une usine électrique de l’AEG, 1913 37. El Lissitzky

Plan de la Section russe de l’exposition Internationale Hygieneausstellung, Dresde, 1930

38. Xanti Schawinsky

Brochure Olivetti M 40, 1934

39. Otto Neurath,

Couverture de la revue Bildstatistik, 1932-1933

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2. « enhanced the sense of mouvement within an interior and, implicitly, acknowledged inhabitants or viewers moving within and through a structure », Philipp Johnson, Mies van der Rohe, Moma, 1947, cité in M. A. Staniszewski, The Power of Display, A History of Exhibition Installations at the Museum of Modern Art, The MIT Press, 1998, p. 37. 3. in Alain Findeli, Le Bauhaus de Chicago, l’œuvre pédagogique de László Moholy-Nagy, éd. du Septentrion, Paris, 1995, p.363. 4. Titre du Salon pour Ida Bienert, Dresde, 1926, Kupferstich-Kabinett. Reconstitué en janv-fév 1973 à la Galerie Denise Renée. Reconstitution numérique, service audiovisuel, Centre Pompidou, 2010.

le caractère central des débats sur le dépassement de la peinture dans l’émergence de ce nouvel espace de représentation et « l’extraordinaire synthèse des moyens plastiques » permis par ce nouveau médium, c’est pour mieux immédiatement souligner l’impossibilité d’en prendre véritablement en compte la spécificité par-delà l’usage de la photographie ou du photomontage. L’écueil majeur de cette approche réside dans le fait d’enfermer l’exposition conçue comme dispositif à l’intérieur du cadre étroit d’une histoire politique de la photographie. Son histoire serait ainsi indissociable du militantisme soviétique réceptionné par le Bauhaus de Dessau, puis se serait rapidement abîmée dans les exercices de propagande des régimes totalitaires italien et allemand, pour finalement devenir, un peu plus tard, dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale puis de la Guerre froide, un emblème de

5. Milka Bliznakov, « The Rationalist Movement in Soviet Architecture in the 1920’s » in 20 Century Studies, Russian Formalism, J.E. Bowlt Eds. Brighton, Dolphin Press, 1993, pp. 150-151. Pour une étude approfondie, voir Yve-Alain Bois, « De -∞ à 0 à + ∞ : L’axonométrie ou le paradigme mathématique de Lissitzky », in El Lissitzky, 1890-1941 : Architecte, Peintre, Photographe, Typographe, MAMVP, 1991. 6. Les « contra-constructies » sont publiées pour la 1ère fois dans De Stijl, n°6-7, 1924. 7. L’étymologie du mot Proun, inventée par l’artiste, varie beaucoup d’une interprétation à l’autre ; il semble cependant venir d’OUNOVIS, « Affirmateurs (ou Militants) du nouveau ». 8. Le Prounenraum fut reconstruit par Jean Leering en 1965 pour l’exposition El Lissitzky au Stedelijk Van Abbemuseum d’Eindhoven et figure depuis dans les collections du musée. 9. Y-A. Bois, op.cit., p. 37.

10. Il existe à notre connaissance 3 textes de Lissitzky sur les Prouns, publiés d’abord en allemand. Celui où apparaît la comparaison avec la maison fut publié dans le catalogue El Lissitzky de la Galerie Gmurzynska à Cologne en 1976, sous le titre « Prounen, (berwindung der Kunst) » (Les Prouns. Vers la défaite de l’Art) : « Tout en continuant de peindre sur toile avec des pinceaux, nous avons constaté que nous sommes maintenant en train de construire et que l’image est en train d’exploser. Nous avons vu que la surface du tableau a cessé d’être une image. Elle est devenue une construction, et, comme une maison, tu dois la parcourir, la regarder du dessus, l’étudier depuis le sous-sol » (notre traduction). Ce texte est présenté comme la transcription d’une conférence tenue à l’Inkhouk (Institut de la Culture artistique de Moscou, fondé en 1920), le 23 oct. 1924. Il semble en fait que ce soit la date d’une 2ème conférence tenue sur le même sujet. Un an plus tard en effet, en 1977, le texte est repris dans Sophie Lissitzky-Küppers,

l’expansionnisme américain sous couvert d’humanisme compassionnel.82 Imagine-t-on critique aussi définitive pour les productions cinématographiques d’un Griffith ou d’un Eisenstein ? Il est vrai que, à partir des années 1930 surtout, le projet didactique et participatif des espaces de démonstration va être rapidement entaché par son instrumentalisation idéologique, et bientôt détourné et largement vidé de son sens propre, par sa réduction au design et à la publicité. Il n’empêche que ces mésusages ont donné lieu à de très nombreuses inventions dont la singularité ne saurait être ignorée au prétexte des contextes contestables au bénéfice desquels elles ont été imaginées et conçues. Ces différents usages ne font au contraire que souligner combien les Demonstrationsräume, en tant que dispositifs de présentation des images qui fabriquent eux-mêmes de nouveaux types d’images, constituent la première étape d’une généalogie moderne d’une forme de représentation autonome. En avançant la notion de dispositifs d’images, il s’agit de replacer cette forme singulière de représentation à l’intérieur d’un corpus général d’objets qui dessine un espace interstitiel jusque-là insuffisamment perçu entre les pratiques et même largement refoulé par l’histoire contemporaine des formes de représentation. Cet espace auquel donne forme l’histoire des dispositifs d’images, irrigue en profondeur le champ artistique contemporain et se retrouve également dans certaines des propositions les plus radicales des courants anarchitecturaux83 qui se sont développés à partir de la dissolution des Congrès internationaux de l’architecture moderne.

Jen Lissitzky, El Lissitzky. Proun und Wolkenbügel. Schriften, Briefe, Dokumente, VEB Verlag der Kunst, Dresden, 1977, sous le titre « Proun ». Il est traduit du russe en allemand par Lissitzky-Küppers ; il est mentionné cette fois avec 2 autres dates et références. Dans le sommaire, il apparaît bien comme une conférence tenue à l’Inkhouk, mais cette fois le 23 sept. 1921, ce qui en ferait la 1ère sur le sujet. À la fin du texte apparaît cependant la mention : « El Lissitzky, OUNOVIS, 1920-1921 ». Récemment Selim Khan-Magomedov dans Lazar’ Lisickij, Moskva, 2011, propose une version commentée de ce texte d’après l’original du dactylogramme russe. Selon ce commentateur, le 2ème texte publié en 1922 dans De Stijl, puis en hongrois dans MA (année 8, 1922) serait en fait le condensé du manuscrit de cette 1ère conférence. (Tous nos remerciements à Antoine Baudin pour cette dernière référence). Ce 2ème texte, intitulé « Proun » avec la mention finale « Moscou, 1920 », est paru la 1ère fois dans De Stijl,

Vol. 5, n°6, juin 1922. Il est réédité in S. Lissitzky-Küppers, El Lissitzky. Maler, Architekt, Typograf, Fotograf, Verlag der Kunst, Dresden, 1992 (1ère version en 1965, trad. française in Gérard Conio, Le Constructivisme Russe, Lausanne, L’Âge d’homme, 1987, t. 1, pp. 327-329). Enfin, Lissitzky consacrera dans le 1er n° de Gestaltung (juil. 1923) un dernier texte : «Prounenraum. Große Berliner Kunstausstellung », à l’occasion de la création de son premier espace tridimensionnel. Il est également réedité in S. Lissitzky-Küppers, op.cit. 11. El Lissitzky « K. und Pangeometrie » (1925), in S. Lissitzky-Küppers (1992), op.cit. pp. 353-358, cité dans Y-A. Bois, op.cit. p. 36. Sur la couleur, voir aussi El Lissitzky « Prounen (berwindung der Kunst) », Galerie Gmurzynska op.cit. pp. 68-69. 12. Bruno Reichlin « Le Corbusier vs De Stijl », in De Stijl et l’architecture en France, éd. Mardaga, 1985, p. 103. 13. El Lissitzky, « Prounenraum » (1923), in S. LissitzkyKüppers, op.cit., p. 365. En

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Elke Mittmann, Jean-Christophe Royoux

VERS UNE GÉNÉALOGIE DES DISPOSITIFS D’IMAGES Les « Demonstrationsräume » et le paradigme de l’usine


Elke Mittmann, Jean-Christophe Royoux

VERS UNE GÉNÉALOGIE DES DISPOSITIFS D’IMAGES Les « Demonstrationsräume » et le paradigme de l’usine

14. Y-A. Bois, « Exposition : Esthétique de la distraction, espace de démonstration », in Les Cahiers du MNAM, n°29, Automne 1989, p. 75. 15. « Nous voyons que la surface du Proun cesse d’être un tableau et se transforme en une structure autour de laquelle nous tournons, que nous regardons de tous les côtés à la fois, d’en haut, d’en bas. Le résultat, c’est que l’axe unique du tableau, qui se situait à l’angle droit par rapport à l’horizon, a été détruit. Circulant autour du Proun, nous nous propulsons dans l’espace. Nous avons mis le Proun en mouvement et nous obtenons ainsi de nombreux axes de projection », El Lissitzky, « Prounen », in S. Lissitzky-Küppers, op.cit., p. 348. 16. Alfréd Kemény et László Moholy-Nagy, « Système de forces dynamico-constructif », Der Sturm, déc. 1922, in László Moholy-Nagy, Musées de Marseille, RMN, 1991, p. 395.

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17. Pour M. Bliznakov, op.cit., les Prouns utilisent certains codes couleur adaptés à différents paradigmes technologiques sans pour autant produire de simples représentations de machines. 18. Meyers Großes Konversationslexikon, 6e édition, Leipzig, Vienne, 1902-1908 et Knaurs Konversationslexikon, Berlin, 1932, p. 267. 19. En 1920, Eggeling et Richter écrivent le pamphlet (disparu à ce jour) Universelle Sprache, publié à Forst in der Lausitz. Leur traduction anglaise est : « Demonstration of the Universal Language ». Ce texte manifeste vise la formulation d’un langage à vocation universelle à partir de la composition d’une sorte de partition de formes géométriques « pures » : http:// www.dada-companion.com/richter/ universal.php 20. Friedrick Kiesler, « Ausstellungssystem Leger und Träger », in De Stijl, vi, n°10/11, 1924/25, pp. 433-438. 21. Maria Gough, Constructivism Disoriented: El Lissitzky’s Dresden and Hannover Demonstrationsräume, in N. Perloff, B. Reed, Situating El Lissitzky. Vitebsk, Berlin, Moscow, Getty Research Institute, Los Angeles, 2003, p. 109. 22. « Demonstrationsraum », manuscript dactylographié de Lissitzky rédigé en allemand conservé au Musée de l’État de la Basse-Saxe de Hanovre, non daté mais dont la rédaction est de 1927 ou 1928. Publié la 1ère fois en 1962, réedité in S. Lissitzky-Küppers (1992), pp. 366-367. 23. Pour la documentation la plus complète sur le sujet à ce jour, voir Antoine Baudin, Hélène de Mandrot et la Maison des Artistes de La Sarraz, éd. Payot, Lausanne, 1998, pp. 89-108. 24. Hadwig Kräutler, Otto Neurath. Museum and Exhibition Work: Spaces (Designed) for Communication, Francfort/Main 2008, p. 219.

25. Joan Ockman « The Road Not Taken. Alexander Dorner’s Way Beyond Art » in R. E. Somol, Autonomy and Ideology: Positioning an Avant-Garde in America, New York, 1997, p. 116 : « Un musée entièrement “flexible” dont les galeries devraient n’avoir aucune “architecture”, autrement dit, “aucun mur fixe”, (…) “aucune permanence statique” ». En fait, le véritable modèle muséal à inventer selon Dorner présuppose, plus radicalement encore, « une totale flexibilité interne, un tissu d’éléments dématérialisés en interaction, si fins et si légers, qu’il se définit moins comme une forme permanente refermée sur ellemême, que comme une action, un processus…», Ibid. p. 117. Bref, le nouveau musée de Dorner anticipe largement sur ce que permettra bientôt l’ordinateur – espace des interrelations démultipliées, espace ouvert, indéfiniment extensible et flexible qui est en même temps une machine à produire de l’information. À la même époque, dans Les Voix du silence (1951), André Malraux développe son concept de musée sans mur. 26. La section soviétique de la Pressa, Cologne, 1928 ; la « Internationale HygieneAusstellung », de Dresde, 1930 ; la « Internationale Pelzfachausstellung », IPA, Leipzig, 1930. Mais également par exemple, le projet de théâtre pour Vsevolod Meyerhold en 1926, etc. 27. Issue de la scission de l’« Internationale des artistes progressistes » réunie quelques mois plus tôt à Düsseldorf. 28. T. Van Doesburg, El Lissitzky, Hans Richter, « Schöpferische Forderungen von “De Stijl” », in B. Finkeldey, Konstruktivistische Schöpferische Arbeitsgemeinschaft 1922-1927. Utopien für eine europäische Kultur, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Cantz’sche Druckerei, Stuttgart, 1992, p. 304. Originellement publié dans « Erklärung der internationalen Fraktion der Konstruktivisten », De Stijl, n°4, avril 1922, p. 64 (notre trad.). 29. El Lissitzky, « Neue Russische Kunst » (tapuscrit d’une conférence, 1922) in S. Lissitzky-Küppers, op.cit., p. 341. 30. R. Lorenz, Proletarische Kulturreform in Sowjetrussland, 1917-1921, Stuttgart, 1969, p. 62. 31. El Lissitzky, op.cit., p. 341. 32. El Lissitzky, « Ausstellungen in Rußland » in El Lissitzky. Proun und Wolkembügel. Schriften. Briefe. Dokumente, S. Lissitzky-Küppers, Jen Lissitzky, op.cit., p. 40. 33. Ibid. Dès 1924, « une chronique de la revue Lef nous apprend que Nicolas Taraboukine, secrétaire de l’Inkhouk [auteur par ailleurs du fameux livre, Le Dernier tableau, trad. franç. Ed. Champ libre, Paris, 1972] a créé à l’enseigne du Proletkult un cercle pour « l’organisation scientifique du travail de l’artiste productiviste » ; voir Antoine Baudin, « Zamiatine, la peinture et quelques vicissitudes du modèle tayloriste dans les avantgardes » in Autour de Zamiatine,

Léonid Zeller (ed.), l’Âge d’homme, Lausanne, 1989, p. 105 et note 8.

and Museums », in Curator Magazine, iv/3, 1961.

Man », in Design History, 2011/ 24 (1), pp. 37-58.

34. Mies van der Rohe cité dans Wilhelm Lotz, « Die Halle II auf der Bauausstellung », in Die Form, 1931, p. 241.

41. Voir chap. « The Great Exhibitions » in S. Giedion, Time, Space and Architecture. The Growth of a New Tradition, Charles Eliot Norton Lectures for 1938-1939, Cambridge, 1941, pp. 243-277.

48. G. de Pawlowski, La France, 30 mai 1930 : « Le Werkbund (…) entend soumettre définitivement les artistes aux directives des ingénieurs et des techniciens. Il espère réaliser ainsi une sorte de communisme artistique permettant la fabrication des objets ménagers en grandes séries pour les mettre à la portée de tous les citoyens (…) Dans Le Journal du 24 mai 1930, le même évoque « la conception communiste allemande ».

35. Mies van der Rohe, in Die Form, t. 3, n°4, avril 1928, p. 121 (notre trad.). 36. J. Gantner, « Ausstellungen, Exhibitions, Expositions », in Das Neue Frankfurt, n°6, Juin 1930, pp. 141-148. 37. Lettre à Mr Freyssinet du 6 mars 1925 : « Après des misères sans nombre, j’ai pu enfin mettre sur pied le Pavillon de l’Esprit Nouveau qui est énorme (400 m2) et qui sera une démonstration que j’espère vivante de tout le programme d’industrialisation du chantier et en plus d’urbanisation depuis le logement des villes jusqu’au plan des grandes villes ». « Le Pavillon s’annonce comme une grande démonstration d’urbanisme (…) accompagné de la publication aux éditions Crès de 4 livres importants, traitant des questions d’art décoratif, d’architecture, d’urbanisme », in Le Corbusier, L’Almanach d’architecture moderne, Paris, 1926. 38. « Les Allemands font des expositions démonstratives (…) Leurs stands sont selon l’esprit du laboratoire », in Art & Décoration, juil. 1930, pp. 14-15. « Ceci démontre une fois encore, qu’une exposition destinée à montrer des objets ne peut être aussi convaincante qu’une exposition qui cherche à apporter la solution concrète à un problème », in « Exposition du Deutscher Werkbund à Paris », in Die Form, t. 5, n°11/12, 7 juin 1930 p. 290. Pour la revue de presse, voir M. Noell, « Zwischen Krankenhaus und Mönchszelle : Le Nouveau Visage de l’Allemagne. Die Werkbund-Ausstellung 1930 im Spiegel der französischen Tagespresse », in T. Gaethgens, M. Noell, I. Ewig, Le Bauhaus et la France, Passages, Paris, 2002, pp. 313-346. 39. Communiqué de presse paru dans L’Esprit Nouveau, Fondation Le Corbusier Archives, sig : A2.14.19.3 40. « La scénographie (design) d’exposition est devenue une nouvelle discipline, un sommet de tous les médias, des pouvoirs de la communication, de leurs efforts collectifs et de leurs effets. Combinés, les moyens de communication visuelle fabriquent une remarquable complexité : le langage, imprimé ou sonore, l’image en tant que symbole, peinture ou photographie, les éléments plastiques, les matériaux et les surfaces, la couleur, la lumière et le mouvement (de l’exposition aussi bien que du visiteur), les films, les diagrammes, et les graphiques. La mise en application complète de tous les moyens plastiques et psychologiques fait de la scénographie d’exposition (plus que de tout autre média), un nouveau et intense langage », Herbert Bayer, « Aspects of Design of Exhibitions

42. L’exposition fut pour tout le xixe siècle, le « lieu de culte de la religion moderne fondée sur la science animée par la technique et tournée vers le progrès. De 1855 à 1900, le saint des saints de ce culte sera la Galerie des machines et ses turbines vrombissantes » (légende de Pascal Ory dans l’exposition Paris et ses expositions universelles, architectures 18551937, Conciergerie, Paris 2009). À deux reprises au moins, l’architecte et designer allemande Lilly Reich, principale collaboratrice de Mies van der Rohe depuis 1926 pour les expositions, concevra des « expositions-usine », sous la forme de véritables galeries des machines. Pour l’exposition Von der Faser zum Gewebe à Francfort en 1926, voir Matilda MacQuaid, Lilly Reich. Designer and Architect, MoMA, New York, 1996 p. 15 ; et pour la Section allemande (avec Mies van der Rohe) de l’exposition universelle de Barcelone, voir Jeschke Hauff & Auvermann, Auktion 50: Mies van der Rohe in Berlin, Berlin, 2007, p. 57. 43. C. S. Maier « Entre le taylorisme et la technocratie : idéologies et conceptions de la productivité industrielle dans l’Europe des années 1920 » (1970), in « Le Soldat du travail. Guerre, fascisme et taylorisme », Recherches n°3233, L. Murard et P. Zylberman Eds., 1978. 44. « Le taylorisme, système dernier cri du capitalisme, est comme tous les progrès du capitalisme un combiné de la subtile brutalité de l’exploitation bourgeoise et d’un grand nombre de très grandes réussites scientifiques dans l’étude des mouvements mécaniques dans le travail, l’élimination des gestes inutiles ou maladroits, l’élaboration de bonnes méthodes de travail, l’introduction du meilleur système d’enregistrement et de contrôle, etc. », Lénine « The Immediate Tasks of the Soviet Governement », in Izvestia, 28 avril 1918, traduit in Lenin, « Selected Works », Vol. ii, Foreign Languages Pub. House, Moscow, 1947, p. 327. 45. L’exposition s’est déroulée du 14 mai au 13 juillet 1930 au Grand Palais à Paris. 46. Julia Gill, Individualisierung als Standard. Über das Unbehagen an der Fertighausarchitektur, transcript Verlag, Oktober 2010, p. 114. 47. Voir F. C. Müller-Lyer, Die Familie, Lehmanns Verlag, Munich, 1912. W. Gropius « Die soziologischen Grundlagen der Minimalwohnung (Für die städtische Industriebevölkerung) », in CIAM, 2, Internationale Kongresse für neues Bauen (éd), Kraus Reprint, Nendeln, 1979, p. 13. Tanja Poppelreuther, « Social Individualism. Walter Gropius and his Appropriation of Franz Müller-Lyer’s Idea of a New

49. Théorisée par W. Gropius lors d’une conf. donnée à l’occasion du 2ème CIAM de 1929 à Francfortsur-le-Main. Un manuscrit non publié intitulé « Wohnmaschinen » (Les machines à habiter) existait depuis 1922. Il fut en partie repris en introduction du catalogue de l’exposition du Bauhaus de 1923, Internationale Architektur, publié en 1925. 50. À propos de la salle 3 de la Section Allemande, voir le commentaire de László MoholyNagy, in Catalogue d’exposition du Werkbund Section allemande, Société des artistes décorateurs, Paris, 1930 : « Ce siècle a inondé l’homme d’inventions nouvelles (…) la machine a pris le dessus et s’installa partout, réclamant de nous une nouvelle orientation spirituelle ; le mot d’ordre devint : clarté, concision, précision. Cette évolution s’est accomplie en un demi-siècle (…). Tous poursuivaient un seul et même but : établir des relations organiques entre les esprits créateurs et l’industrie (…) Ce qu’il importe désormais de mettre au premier plan, ce n’est pas l’œuvre isolée, ce n’est pas le chef d’œuvre individué, c’est la création d’un type de valeur générale, c’est le progrès vers la standardisation (…) dans le but de produire utilement pour la communauté (…) des modèles allant de l’ustensile d’usage courant jusqu’à la maison d’habitation complète ». 51. L’Espace du Présent a été reconstruit en 2009 par J. Gebert et Kai-Uwe Hemken en collaboration avec la Kunsthalle de Erfurt, la Schirn Kunsthalle de Francfort-am-Main et le Stedelijk Van Abbemuseum de Eindhoven, à l’occasion du 90e anniversaire de la fondation du Bauhaus. 52. Veit Loers, « L’Espace du Présent de Moholy-Nagy et l’utopie d’une lumière dynamique constructive », in László MoholyNagy, op.cit., pp. 69-84. 53. Deutscher Werkbung, « Section allemande. Exposition de la Société des Artistes Décorateurs », préface du catalogue, Grand Palais, 14 mai13 juil. 1930, Verlag Hermann Recckendorf, g.m.b.h, Berlin. 54. Walter Gropius, ibid, page 1. 55. « Unter der Lupe. Die Deutsche Abteilung auf der Monza-Ausstellung 1930 », in Die Form, 1930, p. 155. Voir aussi Giocomo Polin, « La Triennale di Milano 1923-1947. Allestimento, astrazione, contestualizzazione », in Rassegna, t. iv, 10 juin, 1982 (trad. angl. p. 34).

56. Die Wohnung unerer Zeit (L’habitat de notre temps), réalisée sous la direction de Mies van der Rohe à l’intérieur de la Deutsche Bauausstellung de Berlin en 1931. 57. L’expresssion d’après Rainer Wick serait de Kurt Kranz, élève du Bauhaus Dessau. Malheureusement, la source n’a pas pu être confirmée. Voir Hajo Düchting, Seemanns BauhausLexikon, Henschel, Leipzig 2009, p. 20. 58. W. Gropius, « Ma conception de l’idée de Bauhaus » (1956), in Bauhaus 1919-1969, Wulf Herzogenrath, MNAM, RMN, Paris, 1969 p. 16. 59. « What is the Bauhaus? », in H. Bayer, W. Gropius, Bauhaus 1919-1928, MoMA, New York, 1938. Comme le rappelle Wallis Miller, le bâtiment du Bauhaus de Dessau (« le site de méthodes de production de masse qui standardisaient le monde matériel et transformaient le design en recherche ») a souvent été luimême décrit comme une usine ; voir « Architecture, Building and the Bauhaus », in K. JamesChakraborty, Bauhaus Culture. From Weimar to the Cold War, University of Minnesota Press, Minnesota 2006, p. 86-87. 60. Voir Hannes Meyer. 18891954. Architekt. Urbanist. Lehrer, Bauhaus-Archiv Berlin, Edition Ernst & Sohn, Berlin 1989. pp. 157 et 247. Voir aussi Kai-Uwe Hemken, « Guillotine der Dichter oder Ausstellungsdesign am Bauhaus », in Ute Brüning, Das A und O des Bauhauses - Bauhaus-Werbung: Schriftbilder, Drucksachen, Ausstellungsdesign, Bauhaus Archiv - Edition Leipzig, 1996, p. 249. 61. Wallis Miller, « Architecture, Building and the Bauhaus », op.cit., p. 83. Ce type d’approche empirique du bâtiment recoupe également la méthodologie scientifique développée par Otto Neurath. 62. Ce fut notamment le cas des travaux de Xanti Schawinsky pour Olivetti. S. Giedon, à propos du travail graphique de Bayer, précisera : « Il est moins intéressé par des travaux sur une page unique que par la réalisation de brochures cohérentes avec des diagrammes (…) C’est vraiment une sorte d’exposition sous la forme d’un livre », in S. Giedion, « Herbert Bayer und die Werbung in Amerika / and advertising in the U.S.A. », Graphis, vol. 1, n°11/12, 1945, pp. 168-180. 63. K-U. Hemken, op.cit., p. 231. 64. Il s’agit du stand d’exposition Gas und Wasser (Gaz et eau) réalisé par Joost Schmidt, Xanti Schawinsky et Johan Niegemann à Berlin en 1929 pour l’entreprise Junkers & Co. K-U. Hemken, op.cit, p. 230. 65. Neurath et Carnap, deux des fondateurs du Cercle de Vienne seront invités à plusieurs reprises au Bauhaus de Dessau en 1929. 66. Voir Rosemarie Tietze, Wsewolod Meyerhold. Theaterarbeit 1917-1930, Hanser, Carl GmbH + Co., Munich, 1974, p. 74. Voir aussi le choix de textes de B. Arvatov,

Kunst und Produktion, München, 1972. 67. Voir Lef, n°1, 1923, p. 32, cité par Karla Hielscher, « Was Meyerhold machte », in Theater heute, n°10, 1977, pp. 16 et Christina Lodder, Russian Constructivism, Londres 1985, p. 170. 68. F. Kiesler, « Ausstellungssystem Leger und Träger », op.cit. La reconstruction du dispositif a été réalisée par le Whitney Museum, curator Lisa Philips, (18 janv-16 avril 1989). 69. Jan Tschichold : « La salle devenait une sorte de scène sur laquelle le visiteur semblait être un des acteurs », in « Display That Has Dynamic Force: Exhibition Rooms Designed by El Lissitzky », Commercial Art, 10, n°1, 1931. Lissitsky décrit lui-même le Demonstrationsraum de Dresde en 1926 dans des termes qui se rapportent au théâtre : « La pièce doit être une vitrine, une scène sur laquelle les tableaux apparaissent, comme les acteurs d’un drame ou d’une comédie » in Y-A. Bois, op.cit., p. 75. 70. L’art décoratif en U.R.S.S. Moscou-Paris, 1925, Édition du Comité de la section de l’U.R.S.S. à l’Exposition internationale des arts décoratifs, Paris, 1925. Sur le pavillon, voir aussi F. Starr, K. Melnikov : Le pavillon soviétique, Paris 1925, L’Équerre, Paris 1981. 71. Publié in El Lissitzky. Proun und Wolkenbügel. Schriften, Briefe, Dokumente, S. Lissitzky-Küppers, Jen Lissitzky eds., op.cit., p. 113. 72. G. Grinko, Der Fünfjahresplan der UdSSR . Eine Darstellung seiner Probleme, Verlag für Literatur und Politik, Vienne, Berlin, 1930, pp. 255-258. 73. K-U. Hemken, El Lissitzkys Raumgestaltungen in Deutschland, Projekte, Konzepte und Wechselwirkungen der Raumästhetik der Avant-Garde, Thèse de Doctorat, Oldenbourg, 1992, p. 120. 74. Pour les citations suivantes, voir W. Benjamin « L’auteur comme producteur » (1934), in Essais sur Bertolt Brecht, Petite collection Maspero, Paris 1978, p. 113. 75. A. C. Birnholz, « El Lissitzky and the Spectator: From Passivity to Participation », in The AvantGarde in Russia, 1910-1930, New Perspectives, Los Angeles County Museum of Art, 1980, pp. 98-101. 76. W. Benjamin, op.cit, p. 122. 77. Ibid, p. 123. 78. Alexander Dorner, Die Überwindung der Kunst (version allemande de : The Way Beyond Art [1947], op.cit.), Fackelträger-Verl. Schmidt-Küster, Hanovre, 1959, p. 181. 79. Hadwig Kräutler, op.cit, p. 188. 80. Ibid, p. 229. 81. Benjamin Buchloh et plus tard Olivier Lugon ont largement contribué à une lecture des dispositifs d’exposition sous l’angle d’une histoire de la photographie. B. Buchloh, dans le texte le plus souvent cité, envisage l’invention des dispositifs d’expositions à

l’intérieur de la brève histoire du photomontage. Voir B. Buchloh, « Faktura et factographie » (1983), trad.franç. in Essais historiques i, Villeurbanne, 1992. Olivier Lugon, « La photographie mise en espace. Les expositions didactiques en Allemagne (1920-1930) », in Études photographiques, n°5, nov. 1998 p. 100-102. 82. « À quel moment la dimension factographique se transformat-elle en pure adulation d’un pouvoir totalitaire ? », s’interroge Buchloh, op.cit, p. 116. Réponse : c’est la construction de formes de « réception collective » qui fait passer, sans autre transition, « du constructivisme au totalitarisme... », p. 106. Un certain summum dans la présentation de ce récit est atteint dans Public Photographic Spaces: Exhibition of Propaganda. From Pressa to The Family of Man 1928-1955, Macba, Actar, Barcelone 2009. Le point de départ en est toujours le texte de Buchloh, republié pour l’occasion en introduction. 83. Ce projet anarchitectural ou contre-architectural est caractéristique du discours de Van Doesburg dans les années 1920 qui visait à « dénaturaliser l’espace architectural ». Il apparaît comme une première version de ce que l’on appellera beaucoup plus tard « l’architecture radicale » qui prendra par exemple la forme d’enveloppes de projections dématérialisées, voir notamment le groupe d’architectes viennois Haus-Rucker-Co.

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russe, « demonstratsionnoe prostranstvo ».


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