HORS-SÉRIE
MARS
e n i z a g Ma
VOL. 1 | N° 2 4,50 $ + TAXES
ÉLARGIR L’ESPACE
Le point sur la stratégie manitobaine 2001-2050 qui mise sur l’immigration, l’intégration, l’immersion et la construction identitaire afin d’assurer la vitalité de sa collectivité francophone.
Magazine L’ÉQUIPE RÉDACTRICE EN CHEF :
JOURNALISTES :
Sophie Gaulin
Amandine Cange, Mathilde Errard,
RÉDACTEURS ASSOCIÉS :
INFOGRAPHISTE :
Bernard Bocquel
Véronique Togneri
Camille Harper et Romain Telliez
Lysiane Romain
PHOTOGRAPHE : Marta Guerrero
La Liberté est un journal hebdomadaire édité par Presse-Ouest ltée. Fondé en 1913, il est le seul hebdomadaire en français au Manitoba. Tous les mercredis, La Liberté publie son édition papier ainsi que sa version numérique. Avec ses 6 000 abonnés des versions papier et numérique, il atteint pas moins de 20 000 lecteurs répartis à travers la province et même au-delà de ses frontières. La Liberté Magazine est une série de magazines hors-série qui traite d’enjeux de société en profondeur. La Liberté Magazine sur l’élargissement de l’espace francophone au Manitoba a été rendu possible grâce à :
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Adresse de la rédaction : C.P. 190, Winnipeg (Manitoba) R2H 3B4 Téléphone : 204-237-4823 sgaulin@la-liberte.mb.ca
ISSN 0845-0455 Droits d’auteur | © 2020 La Liberté Tous les droits sont réservés Imprimé au Canada
SOMMAIRE
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MOTS OFFICIELS
270 ANS DE MIGRATION ET D’IMMIGRATION FRANCOPHONES AU MANITOBA
L’IMPULSION DES COMMUNAUTÉS FRANCOPHONES
UNE APPROCHE INÉDITE ET UN MODÈLE À SUIVRE
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ACCUEILLIR POUR MIEUX RETENIR LES NOUVEAUX VENUS
UNE LOI POUR LA FRANCOPHONIE AU-DELÀ DES PARTIS
PLUS DE SERVICES EN FRANÇAIS À WINNIPEG ●
LE POINT SUR L’IMMIGRATION AU CANADA ET AU MANITOBA
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EN QUELQUES CHIFFRES
LE MANITOBA L’APPEL DE LA TERRE ●
POUR ATTIRER LES FRANCOPHONES AU MANITOBA
LE MANITOBA, LA SCÈNE D’UNE NOUVELLE VIE
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LE RÊVE CANADIEN D’UNE VIE SIMPLE ●
L’IMPORTANCE DE L’ACCUEIL À TOUTES LES ÉTAPES
POUR SE SENTIR « COMME À LA MAISON »
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PRIORITÉ : TROUVER UN EMPLOI
CAP SUR LE RURAL
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L’IMMIGRATION UN BESOIN POUR LES EMPLOYEURS
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LES BIENFAITS D’UNE COMMUNAUTÉ ET DE LA SOLIDARITÉ…
UNE SCÈNE CULTURELLE RICHE DE SA DIVERSITÉ ●
ÉLARGIR LA FRANCOPHONIE, C’EST MULTIPLIER LES ACCENTS
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LE RÔLE ESSENTIEL DES PARENTS
L’IMMERSION UN SYSTÈME EN CROISSANCE CONSTANTE
LE CHOIX DE L’IMMERSION POUR L’AVENIR
DE FRANCOPHILE À FRANCOPHONE
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POUR FORMER LES CITOYENS DE DEMAIN
S’ADAPTER AUX NOUVEAUX ARRIVANTS
L’USB PIERRE ANGULAIRE DE L’AGRANDISSEMENT DE L’ESPACE FRANCOPHONE
CONCLUSION
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MESSAGE DE PRESSE-OUEST LTÉE
r i d n a Gr
C’EST EMBRASSER LA DIFFÉRENCE
ous voilà en plein mois dédié à la Francophonie. Mars, le temps de célébrer ce qui rassemble des millions de personnes au Canada et de par le monde. Pour nous gens d’expression française, c’est l’occasion par excellence de réfléchir sur notre façon de préserver cette langue et de faire bouillonner les cultures qui la composent, toutes les cultures.
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et gagner des alliés. La Liberté Magazine fait le point sur deux décennies de stratégie communautaire visant à agrandir l’espace francophone. Une initiative particulièrement symbolique en cette année du 150e de l’entrée du Manitoba dans la Confédération canadienne, dont la collectivité francophone a été un élément fondateur et a su rester un élément moteur.
Alors, en ce mois de la Francophonie, La Liberté Magazine ouvre le deuxième numéro de son histoire sur l’une des stratégies les plus saluées, les plus novatrices du monde canadien-français : l’ouverture revendiquée de son espace. Une stratégie volontariste qui permet, projet après projet, nouvel arrivant après nouvelle arrivante, élève d’immersion après élève d’immersion, franco-convaincu après franco-convaincue, prof après prof après directrice d’école, artiste manitobain après artiste africain après artiste européen, de contrer l’érosion de la langue et de la culture françaises au Manitoba.
N’oublions pas que derrière toute initiative politique ou communautaire, c’est l’Humain qui s’en retrouve grandi. Quand on élargit l’espace francophone, il incombe aux parents de dompter leurs peurs de voir leurs enfants s’assimiler, il revient aux nouveaux arrivants de s’intégrer, aux gens de la place d’ouvrir leur porte, aux artistes de chanter avec d’autres accents et surtout à chacun de nous d’embrasser la différence. Tout simplement parce que l’on aura compris que l’enjeu n’est ni l’assimilation, ni la dilution, mais bien au contraire un enrichissement dont on ne saurait plus se passer.
Cette vision a été adoptée par les francophones du Manitoba en 2001, sur une initiative de la Société de la francophonie manitobaine pour élargir leurs horizons, consolider leurs acquis, diversifier leur culture, ouvrir leur cœur, faire disparaître leurs peurs
Et pour reprendre les mots de l’académicien, le poète sénégalais Léopold Sédar Senghor qui a défini la notion de francophonie en 1962 : « La Francophonie, c’est l’humanisme intégral qui se tisse autour de la Terre: cette symbiose des énergies dormantes de tous les
Le président, Me Marc Marion
ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE
continents, de toutes les races qui se réveillent à leur chaleur complémentaire. » Depuis bon nombre d’années, les initiatives se multiplient à La Liberté pour parler de l’élargissement de notre espace francophone, pour cerner cette chaleur complémentaire. Que ce soit au travers nos séries Défis d’immigrer, Les Francos de la Loi 5 ou notre bande dessinée Nelson au Manitoba ou simplement avec les nombreux portraits de ceux qui, venant de tous horizons, forment notre Francophonie d’aujourd’hui. Merci à ceux et celles qui ont accepté de témoigner dans ce numéro hors série. Nous tenons aussi à remercier nos partenaires, la Société de la francophonie du Manitoba (SFM) et le Conseil de développement économique des municipalités bilingues du Manitoba (CDEM) d’avoir embarqué sans hésiter dans ce projet. Merci également à la Division scolaire franco-manitobaine, à la Division scolaire Louis-Riel et à l’Université de Saint-Boniface pour leur soutien. Enfin, merci à ceux et celles qui ont œuvré au sein de La Liberté pour offrir aux abonnés ce numéro si spécial. Une équipe qui incarne au demeurant cet élargissement de l’espace francophone, puisque la quinzaine d’employés provient de six pays différents.
Directrice et rédactrice en chef, Sophie Gaulin
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MESSAGE DE LA SOCIÉTÉ DE LA FRANCOPHONIE MANITOBAINE
A Me CHRISTIAN MONNIN
grandir l’espace francophone, c’était à la fois une nouvelle stratégie, mais c’était aussi le reflet du visage de la francophonie manitobaine qui est en constante évolution. La Société de la francophonie manitobaine et ses partenaires communautaires ont voulu mettre en place une démarche pour accueillir l’ensemble des gens d’expression française au Manitoba ainsi que nos voisins, cousins ou conjoints qui ne partagent pas la langue française, mais qui font tout de même partie de notre communauté. Le but était de construire des communautés inclusives et dynamiques.
l’appui pour les familles bilingues ou multilingues, l’immigration francophone, l’accueil des personnes pour qui le français est une langue additionnelle et la sensibilisation des anglophones.
Les orientations stratégiques de ce plan ciblaient cinq champs d’interventions : la transmission de la langue,
Merci à La Liberté qui a voulu célébrer cette francophonie multiple avec ce numéro spécial.
Le président, Christian Monnin
Le directeur général, Daniel Boucher
DANIEL BOUCHER
Aujourd’hui, cette conception inclusive de la francophonie a été adoptée un peu partout au Canada et pour les générations montantes, la francophonie a toujours été une communauté accueillante. Avec l’adoption de la Loi sur l’épanouissement de la francophonie manitobaine, la Province du Manitoba adopte elle aussi cette vision des choses.
MESSAGE DU CONSEIL DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DES MUNICIPALITÉS BILINGUES DU MANITOBA
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olidaire à l’idée d’agrandir l’espace francophone, le CDEM appuie les nouveaux arrivants par le biais de son secteur d’immigration et en offrant de nombreux services en entrepreneuriat et en employabilité.
EDMOND LABOSSIÈRE
LOUIS ALLAIN
C’est grâce à sa capacité de pouvoir s’adapter que le CDEM a fait de l’emploi non seulement une finalité, mais une approche globale pour assurer une immigration réussie.
une intégration à la hauteur des aspirations et un cheminement qui permet de forger un itinéraire personnel et professionnel. Cette convergence entre les organismes permet d’optimiser nos résultats sur le plan de l’inclusion de ceux et celles qui ont choisi le Manitoba comme terre d’accueil.
Nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires pour assurer des parcours qui favorisent
Nous tenons à remercier La Liberté Magazine pour la production de ce numéro qui présente les multiples facettes de l’immigration francophone et de l’agrandissement de l’espace francophone en général..
Le président, Edmond Labossière
Le directeur général, Louis Allain
ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE
photo : Gracieuseté Société historique de Saint-Boniface
DE MIGRATION ET D’IMMIGRATION FRANCOPHONES AU MANITOBA ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE
: UN BREF CONTEXTE HISTORIQUE
Depuis 2001, les leaders de la communauté d’expression française du Manitoba ont choisi d’entrer dans une “opération séduction” avec les francophones du reste du monde afin d’élargir leur espace et ainsi voir la langue qui leur est si précieuse continuer de vivre, de vibrer et d’évoluer. Mais si la vague d’immigrants francophones est le fruit de stratégies communautaires, c’est bien depuis presque trois siècles que les francophones s’établissent au Manitoba.
Magazine
LA FAMILLE RAGOT Gustave Ragot a fait partie de la première vague d’immigration francophone de l’extérieur du Canada. Il est arrivé de France en 1893 pour s’établir à Notre-Dame-de-Lourdes. Il y est devenu cultivateur, et y a fondé sa famille. Sur la photo, on le voit entouré de sa femme et de quelques-uns de ses 23 enfants devant leur maison.
Puis, il y a eu la vague des Québécois venus ouvrir des terres dans l’Ouest, entre 1875 et 1914 environ. « Au 19e siècle, l’Ouest était vu comme une terre promise, presque gratuite. Tout était à défricher. La migration agricole francophone, mais surtout anglaise, ukrainienne ou encore polonaise, a été massive. » Si ces deux vagues d’immigration francophone étaient en réalité plutôt des vagues de migrations depuis l’Est canadien, une troisième vague d’immigration francophone, à partir de 1890 environ, provient pour sa part de l’extérieur du Canada. Yves Frenette en parle : « Ce sont les autorités ecclésiastiques qui ont envoyé des agents d’immigration pour recruter des familles francophones en France, en Belgique et en Suisse. En 1914, les Prairies comptaient 1,6 million de personnes, dont environ 50 000 étaient francophones. (2) De ces francophones, 10 à 12 % étaient nés en France. « La langue était une raison pour aller chercher ces immigrants, mais aussi la religion, précise-t-il. On voulait avoir plus de catholiques au Manitoba, et les francophones étaient majoritairement catholiques. »
par camille harper
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ves Frenette est spécialiste des questions d’immigration francophone avant le 20e siècle à l’Université du Manitoba. (1) Il explique : « La première vague d’immigration francophone, c’était celle des voyageurs entre 1750 et 1860 environ. Ces hommes venus du Québec ont épousé des femmes autochtones dans les Prairies canadiennes. Ils sont les pères et les grands-pères du peuple métis. »
Pourquoi était-ce si important d’avoir des catholiques francophones au Manitoba? Yves Frenette : « Le premier peuplement blanc dans l’Ouest, arrivé avec l’abbé Joseph-Norbert Provencher, était francophone et catholique. Or les évêques de l’Ouest voyaient les Prairies se peupler de protestants et de catholiques anglais. À l’époque, la langue et la foi étaient très liées, donc il fallait plus de francophones pour assurer la survie de la religion catholique dans les Prairies. C’était très important pour l’Église. » Il remarque que si le facteur religieux a aujourd’hui disparu des raisons d’encourager l’immigration, celui de la langue et de l’identité francophone est toujours important.
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Par ailleurs,Yves Frenette s’amuse à constater que « la diversité chez les Canadiens francophones remonte à aussi loin que leur immigration : dès les 18e et 19e siècles, certains nouveaux arrivants francophones venaient directement du Québec, d’autres étaient passés par les États-Unis, et d’autres encore arrivaient de l’Europe ». L’immigration au Manitoba a beaucoup ralenti après la Grande Guerre.Yves Frenette explique : « Les meilleures terres dans l’Ouest étaient déjà prises, et l’économie québécoise allait mieux grâce au développement d’usines de pâte à papier, de villes ou encore de l’hydroélectricité. Les francophones de l’Est canadien préféraient donc rester au Québec. « Quant à l’immigration de France, le gouvernement français préférait envoyer ses ressortissants dans les colonies françaises, notamment l’Algérie. De plus, l’Église et l’État sont séparés en France depuis 1905 et ce dernier était très hostile à l’Église catholique. » L’immigration francophone au Manitoba n’a cependant jamais disparu. Et dans les années 1980-1990, après l’abolition de la Loi Thornton (3) et le retour du français comme langue d’enseignement dans les écoles, elle a repris de plus belle, encouragée par tous les paliers de gouvernement et les communautés. Yves Frenette : « On a fait venir des francophones pour la survie des communautés de langue française au Manitoba. Quelques nouvelles familles francophones avec des enfants peuvent faire une grande différence dans le maintien ou non d’une école française. » (1) Yves Frenette est professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada de niveau 1 sur les migrations, les transferts et les communautés francophones à l’Université de Saint-Boniface. (2) Le chiffre de 1,6 million de résidents des Prairies ne comprend pas les Autochtones qui n’étaient à cette époque pas recensés. (3) La Loi Thornton, adoptée en 1916, imposait l’anglais comme langue officielle d’enseignement au Manitoba, et abolissait de ce fait l’éduction en français dans la province. C’est seulement en 1970 que le statut du français comme langue d’enseignement a été rétabli, sous le gouvernement néo-démocrate d’Edward Schreyer. ◗
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: UN BREF CONTEXTE HISTORIQUE
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s e n o h p o c n a fr
L’IMPULSION DES COMMUNAUTÉS
photo : Archives La Liberté
GÉRALD CLÉMENT ET NANCY ALLAN En 2006, Gérald Clément, sous-ministre du Travail et de l’Immigration et Nancy Allan, ministre du Travail et de l’Immigration du Manitoba, œuvraient à augmenter l’immigration francophone dans la province.
Si l’immigration a longtemps été vue comme un atout, voire une nécessité tant pour le Canada que le Manitoba, l’immigration francophone n’était pas particulièrement ciblée par les gouvernements jusqu’en 2000. Ce sont plutôt les communautés qui en ont assuré l’impulsion.
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par camille harper
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es politiques d’immigration canadiennes n’ont plus grand secret pour Gérald Clément. Sous-ministre adjoint à l’Immigration du Manitoba de 1997 à 2007, c’est au total plus de 30 ans de carrière qu’il aura passés dans le domaine. Il se souvient que dans les années 1980-1990, le Manitoba ne cherchait pas spécialement à recruter des immigrants francophones, même si des Guides du nouvel arrivant étaient publiés dans les deux langues officielles. Quand la première entente entre le Canada et une Province, le Manitoba, a été signée en 1998 entre le gouvernement fédéral de Jean Chrétien et le gouvernement provincial de Gary Filmon, « l’objectif de Gary Filmon était d’augmenter la démographie du Manitoba par l’immigration en général. Il ne prévoyait pas de nombre spécifique de francophones ».
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notamment été le premier président du Comité de mise en œuvre du Comité directeur de l’immigration francophone au Canada, de 2007 à 2011. « Ce comité avait pour but de réfléchir à comment concrètement augmenter l’immigration francophone, avec l’aide des Provinces et des organismes. Dès les années 2000, le Fédéral et les Provinces étaient vraiment sensibles à l’importance de l’immigration francophone. »
La cible reste à atteindre Malgré la reconnaissance par les gouvernements et la communauté de l’importance stratégique de l’immigration francophone, ni le Canada ni le Manitoba n’ont été capables d’atteindre leurs objectifs.
Louis Allain, directeur général du Conseil de développement des municipalités bilingues du Manitoba (CDEM), confirme le manque d’intérêt des instances de l’époque envers le caractère francophone de l’immigration. Par exemple, « le Manitoba a reçu dans les années 1980 un influx d’immigrants francophones du Laos. Mais ni la province ni la communauté francophone du Manitoba n’ont su saisir l’opportunité qui se présentait, et ces Laotiens francophones se sont assimilés parmi les anglophones. »
Mamadou Ka, chargé de cours au département de sciences humaines et sociales à l’Université de Saint-Boniface : « En 2002, la FCFA a fait du lobbying auprès du gouvernement fédéral et on a obtenu un quota de 4 % d’immigration francophone à l’extérieur du Québec.
Une stratégie pour l’immigration francophone
Mamadou Ka garde cependant espoir que l’immigration francophone prenne son envol. En effet, remarque-t-il, « le Fédéral commence à aller en Afrique, notamment au Sénégal, pour des missions de recrutement d’immigrants. C’est un nouveau vent qui souffle aujourd’hui ». L’Afrique subsaharienne est le plus grand bassin de francophones au monde.
C’est la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) qui a établi en l’an 2000 l’immigration francophone comme priorité pour les communautés francophones en situation minoritaire au Canada, et incité le fédéral à créer des stratégies et politiques d’attraction, de recrutement et d’établissement d’immigrants d’expression française. Le Manitoba a aussitôt embrassé cette priorité pour la décliner dans sa propre stratégie (lire les articles sur le Manitoba en pages 10 et 11). Gérald Clément, alors en poste pour l’immigration provinciale : « En tant que personne bilingue, j’ai moi-même poussé le Manitoba à inclure des critères de sélection stratégique pour la communauté francophone dans son programme d’immigration Candidats du Manitoba. « J’ai reçu un bon appui des gouvernements. C’était dans leur intérêt d’appuyer l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire car c’est dans la Loi sur les langues officielles, et l’immigration était un bon outil pour cela. » Gérald Clément a
« Cette cible de 4 % est loin d’être atteinte. Moins de 2 % de l’immigration hors Québec est francophone. Les efforts des gouvernements pour aller chercher les immigrants d’expression française ne sont pas suffisants. »
La porte-parole d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), Béatrice Fénelon, confirme que l’un des trois grands objectifs de la Stratégie d’immigration francophone annoncée le 13 mars 2019 est « d’accroître l’immigration francophone au Canada, à l’extérieur du Québec, pour atteindre une cible de 4,4 % d’ici 2023. « Pour cela, 14 communautés d’un bout à l’autre du Canada, dont la région de la Rivière-Seine au Manitoba, ont été identifiées pour recevoir un financement qui leur permettra de créer des programmes et du soutien pour offrir un bel accueil aux nouveaux arrivants d’expression française et les aider à s’intégrer dans les communautés francophones en situation minoritaire. « Cette initiative de 12,6 millions $ sur trois ans favorisera l’intégration et la rétention des nouveaux arrivants d’expression française au Canada », assure Béatrice Fénelon. ◗
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UNE APPROCHE
inédite
ET UN MODÈLE
à suivre
Pour contrer l’érosion du français, la Société de la francophonie manitobaine a adopté en 2001 une stratégie pour répondre à cette préoccupation.
par camille harper
des solutions proactives et positives pour assurer la progression de notre langue. »
aniel Boucher, directeur général de la Société de la francophonie manitobaine (SFM) aujourd’hui comme en 2001, se souvient très bien des discussions qui avaient mené à l’adoption de la Toile de fond commune 2001-2050 : Agrandissement de l’espace francophone.
Le conseil d’administration de la SFM (2) a alors pris une approche inédite dans la communauté : celle de l’ouverture plutôt que du repli sur soi. Daniel Boucher : « On a changé le discours en amenant la notion d’agrandissement de l’espace francophone. Face à une communauté changeante, on a décidé qu’il fallait s’adapter et ouvrir les portes aux nouveaux arrivants francophones et aux francophiles de l’immersion, leur donner plus d’occasions de parler français pour s’en faire des alliés.
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« C’était le temps d’un nouveau plan stratégique pour la communauté et on avait embauché le consultant Ronald Bisson. Il avait fait des recherches pour voir où en était la communauté et les chiffres qu’il avait trouvés ont révélé que le temps était venu de proposer de nouvelles approches pour adresser les défis d’une communauté en évolution. Il fallait donc mettre en œuvre des stratégies dans un contexte où, par exemple, environ 70 % des enfants dans nos écoles étaient issus de mariages exogames. (1) C’était la nouvelle réalité et nous devions trouver
ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE
« C’était un véritable changement de mentalité. Avant 2001, les francophones se parlaient et s’organisaient toujours entre eux. » Si la SFM a donné l’impulsion, le changement de cap s’est concrétisé en accord avec la communauté. Marianne Rivoalen était présidente du CA de la SFM en ce temps-là, jusqu’en 2003 : « On a réuni la communauté pour
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qu’on décide comment faire pour augmenter nos nombres. Le 29 septembre 2001, on a organisé une journée de réflexion à Saint-Norbert. » Lors de cette réunion, la Toile de fond a été présentée à la communauté. 150 personnes étaient présentes. Si certains ont émis quelques craintes, la SFM a assuré que l’objectif était de renforcer la francophonie manitobaine et non de la diluer. Daniel Boucher : « Il y a eu beaucoup de questions, mais l’atmosphère était très positive. La Toile de fond a été adoptée. Ce fut une rencontre historique. »
Une approche novatrice La communauté francophone du Manitoba a été la première de tout le Canada hors Québec à mettre sur pied une stratégie concrète qui misait sur les francophiles et francophones d’ailleurs, répondant ainsi à la priorité établie par la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) de
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DANIEL BOUCHER Le 29 septembre 2001, le directeur général de la SFM, Daniel Boucher, a présenté à la communauté une stratégie historique et novatrice pour accroître le nombre de francophones.
Le succès quasi immédiat de la Toile de fond s’est aussi vu lorsqu’Ibrahima Diallo, immigrant venu d’Afrique, a été élue en 2006 pour représenter la communauté francophone du Manitoba, et que cette élection a provoqué une ovation debout de la foule.
Ibrahima Diallo était impliqué dans l’idée d’agrandissement de l’espace francophone avant même sa conceptualisation : « Quand j’étais sur le CA de la SFM en 1988-1989, je parlais déjà d’immigration et de francophonie plurielle. Ce n’était pas une priorité à l’époque, mais j’ai semé la graine qui a donné la Toile de fond! Ça a été une décision géniale, salutaire de la communauté. Sans cela, on aurait certainement perdu des écoles, comme celle de Saint-Léon qui a fermé en 2005 faute d’effectifs. »
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Pour Daniel Boucher, « l’élection d’Ibrahima Diallo démontrait une reconnaissance des nouveaux arrivants comme atouts à part entière de la communauté. » D’ailleurs, Marianne Rivoalen termine en rappelant que « déjà en 2001, on s’était dit que le terme « franco-manitobain » allait un jour devoir changer pour être plus inclusif ». (1) Une famille exogame est composée de deux parents qui ont une langue maternelle différente. (2) En 2001, le CA de la SFM se composait de : Marianne Rivoalen (présidente), Paul Léveillé (viceprésident), Aimé Gauthier (secrétaire-trésorier), Henri Bisson (conseiller région est), Réal Déquier (conseiller région rurale ou urbaine), Guy Gagnon (région sud), Mona Lemoine (région urbaine) et Marina Caillier (région ouest). ◗
photo : Gracieuseté Société historique de Saint-Boniface
Marianne Rivoalen confirme : « C’était une approche du fait français au Manitoba vraiment novatrice, donc tout était à penser. C’était un défi. Mais c’était notre réalité. Même sur notre CA, plusieurs d’entre nous étaient mariés à des anglophones, ou avaient de bons amis nouveaux arrivants ou issus de l’immersion. C’était logique d’ouvrir notre esprit et notre cœur à ce monde-là. » Chaque organisme et secteur de la communauté a embarqué dans le projet et a revu sa propre programmation et son offre de services pour mieux refléter la Toile de fond. « Chacun chez soi a fait arriver cette stratégie d’accroissement », note Marianne Rivoalen.
Extrait du journal La Liberté 5 octobre 2001
photo : Archives La Liberté
miser sur l’immigration. Son modèle a d’ailleurs été repris un an plus tard par la FCFA comme stratégie nationale, mais aussi par le ministre responsable des Langues officielles, Stéphane Dion, dans son Plan d’action fédéral.
le président de l’amicale de la francophonie multiculturelle du manitoba, Tayeb meridji, a parlé aux personnes réunies à l’école Noël-ritchot de l’impact positif de l’accueil des immigrants sur la communauté franco-manitobaine.
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IBRAHIMA DIALLO Il a été le premier président de la SFM venu d’Afrique. Il a occupé le poste de 2006 à 2011. photo : Marta Guerrero
« Quand je suis arrivé du Sénégal en 1984, ma situation était spéciale car je rejoignais ma femme franco-manitobaine, lise, et ma fille anna Binta. J’avais donc déjà une famille franco-manitobaine qui m’avait beaucoup parlé du manitoba et des francophones en milieu minoritaire. J’étais
sensibilisé et je savais où aller. mais pour les autres francophones arrivés avant la création de l’accueil francophone, ils devaient se débrouiller seuls ou aller chercher de l’aide dans une structure anglophone déconnectée de la communauté francophone. c’était très difficile sans maîtriser l’anglais.
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POUR MIEUX RETENIR LES NOUVEAUX VENUS par camille harper
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eux ans après avoir pris la direction de l’ouverture en adoptant la Toile de fond, la communauté s’est rendue à l’évidence : les structures institutionnelles et organisationnelles n’étaient pas assez adéquates pour accueillir de façon optimale un grand nombre d’immigrants francophones. Bintou Sacko, directrice de l’Accueil francophone depuis 2005, raconte : « Au début des années 2000, le Collège universitaire de Saint-Boniface (CUSB, aujourd’hui Université de Saint-Boniface) menait des campagnes de recrutement d’étudiants à l’international et on a reçu une vague de Marocains. Ça nous a fait réaliser qu’il y avait un besoin de structure pour les accueillir. » Rolande Kirouac a été, en 2003, la première gestionnaire de l’Accueil francophone : « C’était un défi vraiment intéressant car on créait quelque chose de tout nouveau. Il fallait faire la structure, la documentation, enligner le financement, tout. « On ne pouvait pas délibérément mener des vagues de recrutement d’immigrants francophones, puis ne pas bien les accueillir et les intégrer par la suite! »
Si la tâche à accomplir était grande, Rolande Kirouac souligne le soutien de la communauté : « Il y a tout de suite eu beaucoup d’intérêt à travailler avec nous, même chez les anglophones. La communauté était très contente de voir que des services et processus étaient mis en place pour les gens qui arriveraient au Manitoba. On a aussi eu le soutien des gouvernements provincial et fédéral. »
l’élément langue, c’est extrêmement fort quand on lâche tout pour partir ailleurs. avec l’accueil francophone, mis sur pied par la SFm, les nouveaux arrivants francophones ont pu se connecter directement à la communauté dans une langue qu’ils comprenaient. c’était rassurant pour eux. et pour la
Bintou Sacko renchérit : « L’Accueil francophone a été mis sur pied suite à une consultation communautaire, donc la communauté voulait cette structure. Le seul défi, c’était de faire en sorte que ce projet atteigne ses objectifs. » L’un des premiers projets de la gestionnaire, qui a travaillé seule jusqu’en 2007, a été de créer un dépliant rassemblant tous les services éparpillés dans la communauté qui pouvaient être utiles pour les nouveaux arrivants. Elle a aussi établi un système pour aller chercher les nouveaux venus à l’aéroport et les accompagner dans leurs démarches administratives. Bintou Sacko explique : « Les programmes de l’Accueil francophone ont été établis au fur et à mesure que les nombres et les ententes augmentaient. « L’accueil et l’établissement ont été les premières priorités, puis le suivi à plus long terme. On a ensuite créé un réseau de bénévoles car c’était un projet de société donc l’implication de la communauté était essentielle. Nos programmes de logement de transition, d’aide au rétablissement des réfugiés ou encore de pré-départ sont plus récents. » Rolande Kirouac note quant à elle que « c’était tout un nouveau langage qui se développait : pour la première fois, on identifiait les nouveaux arrivants comme une clientèle spécifique à servir au sein même de notre communauté ». ◗
communauté franco-manitobaine aussi, c’était important d’avoir l’accueil, pour qu’elle ne se désintéresse pas de tous ces nouveaux arrivants et qu’elle prenne conscience de l’atout de les avoir ici. c’était essentiel que la connexion se fasse dès l’arrivée. »
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POUR LA FRANCOPHONIE AU-DELÀ DES PARTIS par camille harper
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ous avons travaillé pendant sept ans avec le gouvernement néo-démocrate pour faire aboutir cette Loi 5 afin que les francophones soient vus comme des atouts, des gens qui contribuaient à la province », explique Daniel Boucher, directeur général de la Société de la francophonie manitobaine (SFM). « Puis le gouvernement NPD de Greg Selinger a été défait et les progressistesconservateurs de Brian Pallister sont arrivés au pouvoir. Mais ils ont repris le projet de loi laissé par les néo-démocrates et ils l’ont adopté. Ils étaient tous en faveur. C’est très symbolique,
La Loi 5 sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine a été votée à l’unanimité par l’Assemblée législative du Manitoba le 30 juin 2016. Elle est le symbole du succès de la stratégie communautaire pour agrandir l’espace francophone.
car ils formaient l’Opposition quand nous avons travaillé sur ce projet de loi. Ça démontre un véritable changement de mentalité envers la francophonie manitobaine, de la part de tout le monde. » Une politique sur les services en français avait été adoptée en 1989, mais elle pouvait être remise en cause par n’importe quel gouvernement.C’est sous la présidence d’Ibrahima Diallo que la SFM a commencé à faire du lobbying auprès du gouvernement NPD pour obtenir quelque chose de plus solide : une loi. « C’était une patate trop chaude, raconte Ibrahima Diallo. La stratégie de Greg Selinger était plutôt la diplomatie des petits pas : il nous a accordé plein de services dans l’idée, plus tard, d’introduire une loi qui confirmerait ce qui existait déjà. » Pour Daniel Boucher, la Loi 5 est une reconnaissance. « Elle donne toute une légitimité à notre communauté, qui existe depuis avant la création de la province. Elle reconnaît l’importance et la nécessité des services en français, et elle rappelle que la communauté francophone doit faire partie des décisions. Cette loi ouvre la porte à un dialogue pour faire avancer les dossiers. »
Effectivement, pour la première fois, le rapport de la Province sur les services en français paru le 27 janvier 2020, sous le leadership de la ministre Rochelle Squires, comportait 11 recommandations concrètes pour améliorer la situation. Daniel Boucher s’en réjouit : « La Province va devoir rendre des comptes sur ces recommandations. La Loi 5 exige de produire un rapport tous les ans. On va progresser beaucoup plus vite. » Ibrahima Diallo note également la symbolique du mot « épanouissement » plutôt que « survie » dans l’intitulé de la Loi. Surtout, la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine a élargi la définition de « francophone », rejoignant ainsi la vision de la Toile de fond commune 2001-2050 de la SFM. C’est ainsi que désormais, la francophonie au Manitoba se définit comme la « communauté au sein de la population manitobaine regroupant les personnes de langue maternelle française et les personnes qui possèdent une affinité spéciale avec le français et s’en servent couramment dans la vie quotidienne, même s’il ne s’agit pas de leur langue maternelle ». ◗
rOchelle SQUireS eT GreG SeliNGer
photo : Archives La Liberté
ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE
La ministre provinciale conservatrice des Affaires francophones, Rochelle Squires, serre la main de l’ancien premier ministre néo-démocrate, Greg Selinger, qui avait déposé un projet de loi similaire juste avant l’entrée au pouvoir des Progressistes-Conservateurs. La Loi a été adoptée à peine deux mois après, à l’unanimité.
: UN IMPACT POLITIQUE
Magazine
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s u l P DE SERVICES EN FRANÇAIS À WINNIPEG
NICOLE YOUNG Directrice des services en français à la Ville de Winnipeg. photo : Marta Guerrero
par camille harper
A
vec l’élargissement de l’espace francophone, que ce soit par le biais de l’immigration ou des francophiles qui sont passés par l’immersion française, de plus en plus de résidents de Winnipeg demandent à être servis en français partout dans la ville. D’ailleurs, le 30 janvier 2020, la Ville de Winnipeg a franchi une étape importante dans la reconnaissance de ses citoyens et citoyennes francophones par la nécessité de leur offrir des services adéquats. Suite aux recommandations du premier rapport sur les services en français de la Ville, le conseil municipal a adopté à l’unanimité que l’accès aux services en français soit élargi à toute la ville. Il était auparavant restreint aux quartiers historiquement francophones de Saint-Boniface, Saint-Vital et Saint-Norbert.
Nicole Young : « Ce vote est un grand pas en avant. La Ville reconnaît, et même connaît mieux qu’avant ses obligations envers les francophones. « Avec l’agrandissement de l’espace francophone, il y a partout dans la ville des nouveaux arrivants francophones qui ne parlent pas ou peu l’anglais et des francophiles qui ont appris le français. Ils veulent être servis dans cette langue, par exemple pouvoir trouver des livres en français à la bibliothèque, sans devoir toujours se rendre jusqu’à Saint-Boniface. » Dans les prochains mois, Nicole Young travaillera avec chacun des services et départements de la Ville de Winnipeg pour développer des plans de livraison de services en français et s’assurer que du personnel bilingue est en place pour les offrir. ◗
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: UN IMPACT POLITIQUE
LE POINT SUR L’IMMIGRATION AU Canada ET AU
Manitoba
il existe deux formes principales d’immigration
29 % était du regroupement familial et 15 % de
vers le canada : l’immigration temporaire et
l’immigration humanitaire.
l’immigration permanente. l’immigration temporaire inclut les visiteurs, les étudiants et les travailleurs temporaires. l’immigration permanente se divise en trois grandes catégories : l’immigration économique, le
Si l’immigration économique est la plus élevée, elle répond pourtant à des critères de sélection très stricts. les intéressés et intéressées ne peuvent pas
regroupement familial et l’immigration d’ordre
immigrer au canada s’ils ne démontrent pas qu’ils
humanitaire. c’est l’immigration économique qui
ont la formation, l’expérience professionnelle, les
représente le plus grand nombre d’immigrants au
compétences linguistiques et les fonds nécessaires
canada. en 2017, 56 % de l’immigration
pour s’établir et subvenir sans aucune aide
permanente au pays était issue de cette catégorie,
extérieure à leurs besoins dès leur arrivée.
Magazine
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EN QUELQUES
chiffres par rOmaiN Telliez
E
n 1870, la population du Canada se
Au Manitoba, en 2018, les immigrants de première
composait principalement de trois groupes.
génération représentaient près de 227 500 personnes,
Environ 102 000 individus des Premières
soit 18,3 % de la population de la province.
Nations, 1 million de Français et 2,1 millions de Britanniques, pour une population totale de
3,6 millions de personnes. 150 ans plus tard, on compte plus de 200 communautés ethniques et les immigrants représentent 20 % d’une population de près de 37,6 millions de personnes. À l’instar de nombreux pays, le Canada a besoin de maintenir
son
équilibre
démographique,
Avant cela, une vague d’immigration entre 2011 et 2016 avait permis de faire passer le taux annuel moyen de croissance démographique de 0,8 % à 1,7 %. En tout, l’immigration contribue également à la croissance et aux recettes fiscales. Mille ménages de nouveaux arrivants au Canada dépensent en moyenne 16 millions $ en frais de logement,
fédéraux, provinciaux et territoriaux se réunissent
13 millions $ en transport, 8 millions $ en alimentation, et apportent 21 millions $ de rentrées
une fois par an pour discuter de la gestion du
fiscales annuellement.
Programme d’immigration.
Par ailleurs, l’immigration francophone hors-Québec
Bien que les programmes varient d’une province à
représentait en 2017 environ 4 700 personnes, soit
économique et parfois linguistique. Les ministres
l’autre, ils ont principalement deux objectifs :
2 % des résidences permanentes. Un chiffre en légère
stimuler la croissance de la population et attirer une
augmentation par rapport à 2016 qui ne comptait
main-d’œuvre qui possède des compétences
que près de 4 400 nouveaux résidents permanents
professionnelles bien précises.
francophones au Canada hors Québec. ◗
Chiffres tirés du Rapport annuel au parlement sur l’immigration de 2018.
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: L’IMMIGRATION AU CANADA ET AU MANITOBA
photo : Gracieuseté Laëtitia Chabroux
De gauche à droite : emma, caroline, Fréderic et Faustine Guichard.
a b o t i n a Le M
L’APPEL DE LA TERRE Caroline et Fréderic Guichard se définissent comme des « gens de lettres. » Ce couple de quarantenaires s’est formé à l’époque du lycée dans le sud de la France. Ils ont ensuite poursuivi leurs études dans le même établissement. Caroline sortant avec une maîtrise de Lettres et Fréderic avec une licence des métiers du livre. Pourtant, c’est au Manitoba, en région rurale qu’ils ont décidé de s’implanter.
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: L’IMMIGRATION AU MANITOBA
Magazine
Destination Canada
par rOmaiN Telliez
O
riginaire d’Aix-en-Provence, ils vivent aujourd’hui en région rurale, dans les environs de la ville de Brandon, deuxième ville par le nombre d’habitants de la province du Manitoba. La famille Guichard, Fréderic, Caroline et leurs deux filles, Emma et Faustine, est installée dans une petite ferme depuis bientôt un an. Fréderic explique : « Notre section fait 260 hectares, 180 en cultivable. Avant nous, c’était un élevage ovin, j’ai donc énormément de travail pour remettre le tout en culture. Le but c’est de faire de la céréale organique. La terre s’y prête, et les infrastructures aussi. » Leur parcours a été assez long jusqu’à leur arrivée à Brandon. Alors qu’ils visitent le salon Destination Canada en 2013, ils n’obtiendront leur résidence permanente qu’en 2016 et n’arriveront finalement que fin 2018 pour s’installer dans leur ferme. Entre temps, beaucoup de recherche mais aussi beaucoup d’attente.
S’éloigner de la tertiarisation et l’urbanisation de la France. « Au niveau du boulot, il y avait comme une chape de plomb qui s’installait, un immobilisme mortel, confie Frédéric. Je sentais que je n’étais pas vraiment fait pour la vie de bureau non plus. Et puis, on ne se reconnaissait plus dans notre région, la pression immobilière était telle qu’il était difficile d’acheter des terres. » Les Guichard voulaient simplement se rapprocher de la terre et cultiver leur jardin. Philosophe dans l’âme, Caroline illustre leur situation en nous rappelant que « choisir, c’est renoncer. » Ils étaient bien conscients qu’au-delà de la douceur de leur Provence, partir vivre au Canada c’était « quitter sa famille, ses amis, sa maison, l’assurance d’être compris et avec elle, une sorte de confort intellectuel et social. »
« On a été bien accueillis ici,
on sent qu’on est
en terre d’entraide. On se sert vraiment les coudes
Elle poursuit sa réflexion en nous disant « qu’il y a des moments charnières dans nos vies. On dit souvent qu’il n’y a qu’une vie. Je ne suis pas d’accord, on a une mort mais on a tous les jours à vivre. »
Au début hésitants, leur choix s’est finalement porté sur le Manitoba. « On avait repéré le Nouveau-Brunswick et le Le couple refuse donc le Manitoba, raconte Frédéric. - Frédéric Guichard tragique et la fatalité et n’a On a finalement choisi le pas peur de couper racine. Manitoba, certes moins Ils sentent même au bilingue mais surtout plus rural et moins cher. Ce Manitoba la possibilité de repartir de plus belle. qui a fait pencher la balance, c’est l’existence « On a été bien accueillis ici, on sent qu’on est en d’organismes qui aident la francophonie. Ces gens terre d’entraide, assure Frédéric. On se sert sont superbes! Ils répondent aux courriels rapidevraiment les coudes avec nos voisins, pas comme ment, ils sont enthousiastes et chaleureux. Ils en France. Il reste ici un peu d’éducation, prennent le temps pour toi. » d’hospitalité et de bienséance. Les gens nous C’est notamment par le biais du Conseil de jugent sur pièces, ils aiment bien voir des gens développement économique des municipalités du qui bossent et des travailleurs. » Manitoba (CDEM) et à l’Association des Fréderic ne perd donc d’ailleurs pas une minute municipalités bilingues du Manitoba (AMBM) pour préparer sa prochaine récolte. De son côté, que le couple est venu faire une visite exploratoire, Caroline a rapidement obtenu un poste de qui s’est avérée décisive. « On a parcouru 2 500 km, bibliothécaire et d’auxiliaire en littérature au sein indique Caroline. On a pu rencontrer énormément de l’ é cole où sont scolarisées leurs deux filles. ◗ de personnes, faire des échanges. Et on a même pu visiter trois écoles pour nos filles. » Leur objectif?
avec nos voisins. »
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chaque année pendant quatre jours, à paris et à Bruxelles, 800 personnes par jour intéressées à émigrer au canada, sélectionnées parmi parfois plus de 20 000 demandes, participent à Destination canada Forum mobilité et sont mises en contact avec des employeurs et des institutions canadiennes. pour les provinces canadiennes, c’est une occasion unique de se faire connaître et de mettre en avant leurs atouts. participant depuis 2005, le manitoba est notamment l’une des deux seules provinces à offrir la possibilité d’une visite exploratoire.
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notre quota de dossiers à accepter. Finalement, on a décidé qu’on ne mettrait plus de quotas. La Province déciderait du nombre selon les besoins. Le Manitoba s’est vraiment distingué comme la petite locomotive qui pouvait pousser le train, et loin. » Depuis le 1er avril 2019, plus de 260 francophones se sont installés au Manitoba par le biais de ce programme. Brigitte Léger, conseillère en immigration au CDEM précise : « Pour être admissible au programme Candidats du Manitoba, il faut avoir normalement un lien avec le Manitoba. Ça peut être d’avoir étudié ici, avoir de la famille ou des amis proches,une expérience de travail ou encore une offre d’emploi.
L’importance d’une visite exploratoire
BRIGITTE LÉGER Conseillère en immigration économique au CDEM. photo : Marta Guerrero
POUR ATTIRER
par camille harper
LES francophones L’
immigration francophone est un atout pour l’ensemble du Canada et du Manitoba. Elle permet d’assurer la survie de la communauté. D’ailleurs le Manitoba aimerait attirer 7 % par année.
AU MANITOBA
Créé par la Province du Manitoba en 1998, le programme Candidats du Manitoba a permis à la communauté francophone de faire venir plus de nouveaux arrivants d’expression française.
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Parmi les programmes pour immigrer au Canada, le programme Candidats du Manitoba, créé en 1998, a permis de faire venir des immigrants francophones dans la province du milieu. C’était la première entente du genre où une Province hors Québec prenait le leadership de son immigration. La première année, 200 dossiers ont été déposés, et ce nombre augmente d’année en année. Gérald Clément, sous-ministre adjoint à l’Immigration du Manitoba de 1997 à 2007 explique : « On avait une entente sur cinq ans avec le Fédéral, qui revoyait chaque année
: L’IMMIGRATION AU MANITOBA
« Grâce au programme Candidats du Manitoba, on peut identifier les candidats francophones qui répondent aux besoins économiques du Manitoba, et les inviter en visite exploratoire pour qu’ils puissent créer des liens avec la province et être acceptés pour immigrer », ajoute-t-elle. Commencée par le CDEM, sous la direction de Mariette Mulaire, dans les années 2000 de façon informelle pour les immigrants d’affaires, la visite exploratoire est devenue un outil incontournable pour être accepté de la Province du Manitoba comme immigrant. « Il y avait de plus en plus de demandes pour des visites exploratoires, donc la Province a mis sur pied en 2007 un système plus formel pour les accueillir. » J’évaluais les demandes, j’envoyais celles qui me semblaient prometteuses à la Province pour approbation officielle, puis les candidats venaient en visite exploratoire. » Dès 2007, sept visites sont organisées. Puis les demandes se multiplient. Brigitte Léger s’en souvient : « En mars 2017, il y avait plus de 300 demandes de visite exploratoire en attente! Il y en avait tellement qu’on a dû fermer le programme pour nous donner le temps de toutes les évaluer. Ce n’est qu’à la fin de novembre 2019, qu’on a finalement pu rouvrir le programme. »
Magazine Aujourd’hui, c’est la Province qui reçoit directement les demandes de visites exploratoires via un système informatique permettant de cibler les domaines économiques en demande au Manitoba. Une fois par mois environ, la Province sélectionne des candidats selon les besoins, puis envoie cette sélection au CDEM. Ensuite il s’occupe de vérifier les informations concernant les candidats, de rassembler les documents administratifs nécessaires, puis de faire venir les visiteurs au Manitoba. En 2019, il y a eu plus d’une centaine de visites exploratoires. » Elle confie que ce nouveau système de sélection était nécessaire : « Imaginez qu’entre la fin du mois de novembre 2019 et le début de février 2020, la Province a reçu plus de 4 000 demandes pour faire des visites exploratoires! »
Arriver avec un permis de travail Par ailleurs, le gouvernement fédéral a aussi créé le programme Mobilité Francophone, un autre outil pour agrandir l’espace francophone au Manitoba. Brigitte Léger explique : « Ce programme donne le droit aux employeurs hors Québec d’embaucher des francophones à l’étranger sans devoir prouver que personne d’autre au Canada pouvait occuper le poste qu’ils cherchent à combler. Ça permet de faire venir plus facilement des francophones dans nos villes, nos communautés. « Ils arrivent avec un permis de travail. Après six mois, comme ils ont créé un lien professionnel et personnel avec la province, ils peuvent demander une résidence
Mon mari et moi sommes venus en visite exploratoire en mars 2016 pendant dix jours. L’objectif était de calmer nos inquiétudes et de nous rassurer. Et ça s’est révélé utile, voire même essentiel! Elle nous a permis d’évaluer le cadre et le coût de la vie. Je ne serais pas venu vivre ici sans avoir pu visiter. On est resté dans Winnipeg, on essayait de se projeter. On a aussi pu visiter plusieurs écoles pour nos enfants, notamment l’école Taché. »
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permanente par le biais du programme Candidats du Manitoba. » Brigitte Léger souligne que la Province comme le Fédéral encouragent l’immigration francophone. « C’est une constante depuis que j’ai commencé à ce poste en 2007, malgré les changements de gouvernements. Ce qui a changé, c’est l’intérêt : le nombre de demandes a explosé. C’est très positif pour la communauté francophone du Manitoba. » Selon les chiffres de la province, en 2019, le Manitoba a accueilli 18 905 immigrants, dont 615 francophones. 12 545 des immigrants sont arrivés au Manitoba par le biais du programme Candidats du Manitoba. ◗
- Rym Srarfi Tabbane, arrivée d’Algérie à l’automne 2016 avec son mari et ses enfants.
photo : Marta Guerrero
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, a b o t i n a Le M LA SCÈNE D’UNE NOUVELLE VIE par rOmaiN Telliez
C’
est au cœur de sa nouvelle scène, une salle de classe de l’école Lacerte de Winnipeg, que nous rencontrons Asma Zenatti. Depuis son Maroc natal, elle attendait depuis toujours de pouvoir devenir actrice de sa propre vie. Arrivée au Canada le 31 octobre 2018, Asma y est désormais enseignante auprès d’une classe de 8e année. L’histoire d’Asma pourrait se résumer en quatre mots : Volonté – Détermination – Travail – Mérite. Et puis sourire aussi. Asma est une femme, une épouse, une mère, une enseignante, une étudiante et une comédienne. Elle qui se trouvait cantonnée à quelques petits rôles routiniers dans sa vie d’avant, est aujourd’hui plus qu’heureuse de pouvoir incarner tous les personnages qu’elle souhaite : « Je suis en train de vivre une belle expérience. J’enseigne toute la journée, puis je vais à mes répétitions de théâtre et ensuite je fais mes devoirs parfois à 11 h du soir ou plus. Le lundi soir, je suis un cours à l’université en plus de tout ça. Et je suis heureuse! » Asma a une volonté à toute épreuve. Née à Rabat, au Maroc, elle grandit ensuite à El Jadida, ville située à 90 km de Casablanca. Elle commence d’abord des études dans le domaine touristique avant de s’orienter vers une carrière dans
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: L’IMMIGRATION AU MANITOBA
Magazine
Au Maroc, je comptais les jours jusqu’aux prochaines vacances, ici, je compte les heures pour retrouver ma classe. C’est ça ma vraie personnalité, je n’attendais que ça.
- Asma Zenatti
l’enseignement. Elle fait une première année en milieu rural, dans un « douar ». Un petit village, situé au bout d’une route interminable, au milieu de nulle part, dans des conditions très difficiles, parfois « sans eau ni électricité avec un accès très compliqué à la nourriture ». C’était « l’enfer », selon ses mots, une région d’une extrême pauvreté où il faut vivre avec les insectes et les scorpions. Mais malgré ces conditions extrêmes, il y a un endroit où elle trouve du réconfort. « Ce qui m’a réconforté, c’est quand je descendais dans la salle de classe. C’est à ce moment-là que j’avais compris que l’enseignement c’était peut-être ma destinée. Je me suis vraiment trouvée dans ce métier. Face à des élèves qui ne parlaient ni arabe, ni français mais berbère. Je les aimais et je ne les oublierai jamais. »
Une bouée de sauvetage Elle travaille un peu plus d’une année dans ces conditions avant de se réorienter dans l’enseignement privé après la naissance de sa fille, Yasmine. « Ma famille est ma raison de vivre et quand ils sont devenus grands et qu’il fallait choisir leur éducation, il fallait se poser les bonnes questions. » Les bonnes questions et les bonnes décisions, pour eux, c’était d’aller au Canada, « le rêve de tout le monde ici. C’est une bouée de sauvetage pour nous, un autre monde. » Sa clé pour entrer au Canada s’appelle Brigitte Léger, conseillère en immigration économique au CDEM, « une personne en or, elle nous a guidés de A à Z. »
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Une fois l’idée en tête, Asma se plonge dans ses recherches, studieuse, travailleuse, déterminée. Sa vie qu’elle trouvait routinière devient alors une course. « Je sentais que j’avais de la force pour faire n’importe quoi. J’étais tellement motivée que je pouvais travailler jour et nuit. Comme si mes 40 années passées au Maroc n’était qu’une pause, je n’avançais pas, je touchais le même salaire, il n’y avait pas d’horizon, pas d’études, pas de rêve. » C’est dire comme l’attente fut difficile pour cette femme d’action. Entre sa visite exploratoire et l’obtention de la Résidence permanente, il a fallu deux ans mais elle arrive finalement avec son mari et ses deux enfants sur le sol canadien le 31 octobre 2018. Depuis, la course ne s’est pas ralentie, il faut trouver un logement, inscrire les enfants à l’école, puis s’inscrire elle-même à l’université pour valider des crédits pour obtenir le droit d’enseigner. Malgré ces 20 années d’enseignement au Maroc, elle doit encore faire des études pour avoir le droit d’enseigner de façon permanente ici. Mais Asma ne rechigne jamais, elle apprend encore et encore. Elle suit des cours d’administration scolaire, des cours d’histoire du français au Manitoba. Elle se sent comme en mission. Elle est d’abord auxiliaire à l’école Lacerte pour trois semaines, puis travaille au Service de perfectionnement linguistique de l’Université de Saint-Boniface, puis monitrice à French immersion teacher (FIT), où elle est monitrice auprès d’autres enseignants et retourne ensuite faire quelques remplacements à l’école Lacerte ou un poste finit par se libérer. Après un an au Manitoba, Asma a déjà accompli énormément. « Je sentais que je volais, je savais que j’avais des compétences, mais j’avais besoin qu’elles soient évaluées et améliorées. » Et elle ne veut pas s’arrêter là. « Pas une minute à perdre, je veux finir mon postbac et même faire ma maîtrise. Travailler et encore travailler, je suis là pour ça. On m’a ouvert la porte, j’ai maintenant la possibilité d’aller de l’avant, alors, je ne veux pas freiner. » Et comme si tout cela ne suffisait pas, Asma passe des auditions pour jouer un rôle au Théâtre Cercle Molière. Audition qu’elle réussit comme tout ce qu’elle entreprend. Asma est une mère, une femme, une épouse, une étudiante, une enseignante et maintenant une comédienne. Sur scène, elle joue depuis début mars dans la pièce La Liste, l’histoire d’une femme jouée par plusieurs femmes, quand dans la vie, c’est elle la femme qui joue à plusieurs femmes. ◗
photo : Marta Guerrero
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: L’IMMIGRATION AU MANITOBA
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Le rêve canadien D’UNE VIE SIMPLE par rOmaiN Telliez
A
deline et Florian n’étaient pas malheureux en France. Ce jeune couple, elle 28 et lui 30 ans, vivait à Commercy, dans le département de la Meuse. Ils vivaient proche de leur famille et avaient tous les deux un emploi. Adeline est couturière et Florian est mécanicien agricole. Ils disent tous deux « adorer leur métier. » Cependant, se sont glissés dans le quotidien, des éléments qui leur donnaient le sentiment de « tourner en rond. » Arrivés à Winnipeg depuis quelques mois, ils nous reçoivent dans leur appartement à peine aménagé. Juste l’essentiel, une table, un lit et une plante nommée Brenda. Adeline en dit alors un peu plus sur les raisons de leur départ. « J’adorais mon métier, en France, je faisais des robes de mariées sur mesure. Mais je sentais qu’on était tous les deux un peu enfermés dans nos boulots sans forcément avoir d’évolution possible. » C’est ce manque d’évolution professionnelle qui pousse Adeline et Florian à un début de réflexion sur leur avenir en France. Alors que lui avoue avoir « simplement envie de changement ». Adeline précise : « j’ai beaucoup investi de temps et d’énergie dans ce travail mais je pense que je n’aurais jamais été augmentée, j’aurais été au smic toute ma vie. »
Adeline et Florian n’étaient pas malheureux, mais ils étaient sans doute un peu las du manque de reconnaissance dans leur vie professionnelle. « Les gens sont toujours surpris de mes études, ils n’imaginent pas que pour faire de la couture, j’ai passé un BTS de modéliste. Mon métier n’a aucune valeur en France. Et puis je ne croyais plus vraiment les paroles de mon patron me disant de ne pas m’inquiéter et que tout se passerait bien. »
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: L’IMMIGRATION AU MANITOBA
Magazine
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Une fois n’est pas coutume, la couturière ne suivra pas les indications de son patron et elle décide, elle, la faiseuse de robe, de mettre les voiles. S’en suivra un long travail de patience. Ils cherchent avant tout une région où ils peuvent « facilement trouver du travail. » Adeline ajoute que c’était un élément déterminant dans leur choix final de pays. Leur choix s’arrête finalement sur le Canada avec pour impression qu’ici, « le travail manuel est mieux reconnu et en plus, ici on peut faire des heures supplémentaires, c’est moins taxé! » Ensuite, point après point, ils se lancent dans les démarches d’une demande de résidence permanente pour venir s’installer au Manitoba, y trouver un travail et éventuellement un jour, y fonder une famille. Minutieux et appliqués, ils vont d’abord au salon Destination Canada, puis font la visite exploratoire et enfin ils constituent leur dossier. Adeline et Florian arrivent au Manitoba sans emploi, mais grâce aux programmes du CDEM ils se sentent « accompagnés et bien aidés. » Ils trouvent rapidement tous les deux un stage dans leurs domaines respectifs. Pendant cinq semaines, ils suivent le programme Destination emploi qui accorde une subvention aux employeurs qui accueillent des stagiaires, dans l’objectif d’encourager leur embauche. Florian fait son stage chez Enns Brothers. L’entreprise agricole l’embauche et lui remet généreusement toute la subvention pour qu’il achète ses propres outils. La coupure et la reprise de sa vie dans un autre pays n’est pas une opération facile. « C’est un investissement en temps, en argent et en énergie, souligne Adeline. En arrivant, il y énormément de dépenses, la voiture, nos outils, l’équipement, le mobilier etc. »
photo : Marta Guerrero
FLORIAN ET ADELINE PIERSON
Adeline et Florian ont réussi à s’extraire de leurs petits soucis du quotidien en France et ils n’aspirent ici qu’à une vie simple. « Pour le moment, c’est positif, je fais de bons horaires, la ville est accessible. On a des salaires corrects et de bonnes conditions de travail. On découvre tous les jours. On apprend l’anglais, mot après mot. On ne fait pas des grands discours. On n’a juste pas envie de se sentir immigrés toute notre vie, on veut se fondre dans la masse, savoir ce qui se passe autour de nous. » Le jeune couple apprend donc à tisser de nouveaux liens. Ils se faufilent dans la vie en ayant appris de leur métier que la simplicité est la plus grande sophistication. ◗
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L’IMPORTANCE DE L’ACCUEIL À TOUTES les
étapes
WILGIS AGOSSA
BINTOU SACKO
Adjoint exécutif et responsable des communications de l’Accueil francophone du Manitoba.
Directrice Accueil francophone du Manitoba Dossier de l’immigration (SFM).
photo : Gracieuseté l’Accueil francophone
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: L’INTÉGRATION AU MANITOBA
photos : Gracieuseté l’Accueil francophone
l’accueil francophone organise bon nombre d’activités pour favoriser l’intégration des nouveaux arrivants. par exemple, sur les photos, de gauche à droite, le camp rêve, le Noël des enfants ou encore la participation au Festival du Voyageur.
par camille harper
L
es nouveaux arrivants francophones au Manitoba, qu’ils soient immigrants économiques ou réfugiés, sont un atout indéniable pour appuyer la dynamique de la langue et de la culture francophone au Manitoba, le maintien de services en français, ou encore l’économie et les entreprises francophones et bilingues. Encore faut-il qu’ils se sentent assez bien accueillis et intégrés pour vouloir rester et s’engager dans leur nouvelle communauté. Le rôle de l’Accueil francophone, c’est de tout mettre en œuvre pour rendre cet accueil agréable et faciliter cette intégration, depuis le pays d’origine jusqu’à longtemps après leurs premiers pas en sol manitobain.
Émigrer n’est pas une mince affaire. C’est quitter ses habitudes, ses repères, une partie de sa famille, et souvent aussi un emploi. Dans le but d’élargir l’espace francophone du Manitoba sur le long terme, avec des nouveaux arrivants qui vont s’impliquer dans la vie communautaire, l’Accueil francophone a développé de nombreux services pour les accueillir puis les aider à s’établir et s’intégrer. Bintou Sacko est directrice de l’Accueil francophone. « Depuis février 2019, avec notre service pré-départ, nous offrons un service aux futurs nouveaux arrivants francophones au Manitoba avant même qu’ils ne quittent leur pays. Une fois qu’ils ont été présélectionnés par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), s’ils vont dans l’Ouest, ils sont connectés avec nous.
« On est là pour répondre à leurs 1001 questions sur les diplômes, l’école ou encore le logement, ou pour les envoyer vers les organismes qui sauront y répondre. Le but, c’est qu’il y ait pour eux le moins possible d’inconnues à l’arrivée. » Un an après son lancement, le programme pré-départ est déjà un succès. « La cible fixée pour la première année était entre 75 et 125 personnes ayant recours au service. Nous en avons eu 300. » Une fois les nouveaux arrivants ou réfugiés sur le sol manitobain, les services offerts par l’Accueil francophone continuent. Wilgis Agossa, adjoint administratif et responsable des communications : « On va chercher nos clients à l’aéroport, puis on les emmène dans nos logements de transition s’ils sont libres. Ils pourront y rester deux à trois semaines. « Très vite, on organise aussi une rencontre pour évaluer les besoins spécifiques de l’individu ou de la famille et on les accompagne dans toutes leurs démarches administratives, ou même médicales pour beaucoup de réfugiés. On crée avec eux un plan d’établissement clair et personnalisé. » L’Accueil francophone offre également une série d’ateliers facultatifs sur divers aspects de la société canadienne, comme la justice, le système éducatif, l’histoire, la santé mentale, l’achat d’une maison ou encore la budgétisation. « On veut vraiment qu’ils aient toute l’information dont ils ont besoin dans n’importe quel domaine. On les aide aussi avec la recherche d’un logement permanent », indique Wilgis Agossa.
Par ailleurs, l’Accueil francophone est devenu en 2009 le premier centre d’accueil francophone du Canada à avoir un programme d’aide au rétablissement des réfugiés (PAR). Wilgis Agossa explique : « On voyait beaucoup de francophones qui venaient comme réfugiés et n’avaient aucune connaissance de l’existence de la francophonie. On a voulu les aider à découvrir la communauté et bien s’y intégrer. » Bintou Sacko ajoute : « Aujourd’hui, non seulement nous sommes le seul centre d’accueil de réfugiés francophone, mais nous sommes aussi depuis le printemps 2019 signataires d’entente. On peut donc parrainer directement des réfugiés. » Tout comme pour les immigrants économiques, l’Accueil francophone offre aux réfugiés un accompagnement personnalisé selon leurs besoins, incluant une aide pour constituer des dossiers de rapatriement familial. Pour Wilgis Agossa, « c’est très important d’apporter la meilleure aide possible aux réfugiés. Ils ont subi des traumatismes et ils ne comprennent pas toujours la culture. C’est un grand défi ». Jusqu’en 2016, l’Accueil francophone ne s’occupait que des réfugiés venant de pays francophones. Mais avec la crise syrienne en 2016, de nombreux réfugiés syriens sont arrivés au Manitoba en ne parlant ni l’anglais, ni le français. Depuis, l’Accueil francophone reçoit des réfugiés de partout. L’organisme continue cependant de ne desservir que les immigrants économiques francophones.
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: L’INTÉGRATION AU MANITOBA
28 ➤ Suite de la page 27 « Chaque famille ou individu a son propre conseiller d’intégration, qui l’aide à atteindre ses objectifs à moyen et long terme. » Des suivis sont planifiés au long de la première année, toutefois les conseillers sont à la disposition de leurs clients n’importe quand jusqu’à ce que ceux-ci deviennent citoyens. L’Accueil francophone mise aussi sur la création de liens communautaires pour aider ses clients dans leur intégration. Wilgis Agossa détaille : « On encourage nos clients à faire du bénévolat. On a aussi un programme de jumelage pour découvrir la
communauté avec quelqu’un d’ici, un pour découvrir le rural ou encore un autre pour les aînés. Ce secteur a tellement pris de l’ampleur qu’on a besoin d’au moins 300 bénévoles. « Le but est que les nouveaux arrivants et réfugiés puissent s’épanouir en communauté, du côté francophone comme anglophone. On travaille avec de nombreux partenaires pour offrir autant de connexions et d’opportunités de s’impliquer que possible. » Il insiste sur l’importance de la communauté d’accueil dans la réussite de ces programmes : « Une intégration réussie doit se faire des deux côtés. La communauté d’accueil doit
donner la main pour aider les nouveaux venus à cheminer. C’est extrêmement important pour qu’ils se sentent bien au Manitoba. » Pour Wilgis Agossa, l’une des plus grandes richesses de l’Accueil, c’est « la diversité de notre personnel. Nous représentons une quinzaine de nationalités et nous parlons une quarantaine de langues au total. Nous pouvons donc rejoindre la plupart de nos clients dans leur culture ou langue. « Quand on arrive dans un nouveau pays, sans repères, ça n’a pas de prix d’être compris dans sa langue maternelle. Ça peut faire la différence entre une immigration réussie ou non. » ◗
Nicson Yamondo
«A
rrivé le 5 avril 2019 à Winnipeg depuis de la République centrafricaine j’ai eu la chance de recevoir l’aide de l’Accueil francophone. Ils m’ont aidé, dirigé dès mon arrivée à l’aéroport. J’ai reçu beaucoup d’aide . On m’a aidé à ouvrir un compte bancaire, à différencier la monnaie et aussi à comprendre le système de diplômes canadiens, le système de bénévolat et bien d’autres choses encore. Si tu ne comprends pas cette base, c’est plus difficile de s’intégrer. Mais une fois toutes les bonnes informations en poche, c’était beaucoup plus simple. Je fais d’ailleurs du bénévolat pour l’Accueil lorsqu’ils ont besoin d’un interprète pour les gens qui viennent de Centrafrique et qui ne parlent pas le français.
C’est une relation presque familiale qui se noue entre les employés de l’Accueil et ceux qui reçoivent de l’aide. Ça aide à s’intégrer. Je me suis intégré très rapidement, je me sens comme un Canadien. En plus des informations de la vie courante, j’ai reçu beaucoup d’informations sur les programmes auxquels on peut avoir accès. C’est d’ailleurs grâce à eux que j’ai pu intégré le MITT pour suivre des cours d’anglais. Par la suite, j’aimerais poursuivre mes études pour devenir ingénieur en informatique. » photo : Marta Guerrero
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: L’INTÉGRATION AU MANITOBA
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sentir
POUR SE
« COMME À LA MAISON » par camille harper
C’
est alors qu’ils étaient réfugiés à Kinshasa, en République démocratique du Congo, que Constance Ngouissani Nsouadi, son mari et ses cinq enfants âgés de six à 16 ans ont appris qu’ils étaient attendus au Canada. La mère de famille se souvient : « On ne savait pas où au Canada. Ce n’est que le jour même de notre voyage qu’on a su que ce serait Winnipeg. On ne savait même pas où c’était! »
Après deux escales en France et à Ottawa, la famille de sept arrive enfin à Winnipeg. « Boris Ntambwe de l’Accueil francophone était à l’aéroport pour nous accueillir, puis il nous a emmenés dans un logement de transition. Il nous avait laissé un peu d’argent, et surtout, il avait rempli le frigo. Je m’étais demandée avant comment on arriverait à recommencer ailleurs sans rien, mais on avait déjà tout : meubles, nourriture…
Réfugiée du Congo Brazzaville, Constance Ngouissani Nsouadi est arrivée au Manitoba en septembre 2012 avec son mari et ses cinq enfants. L’appui de l’Accueil francophone et de membres de la communauté lui ont permis de se sentir très vite pleinement intégrée dans la francophonie manitobaine.
« Le lendemain, un samedi, Christophe Mbélé (le coordonnateur Accueil et Établissement de l’Accueil francophone) m’a même emmenée là où on trouvait de la nourriture d’Afrique. Il y avait du manioc! C’était important pour moi de retrouver ce que je connaissais. »
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Le lundi suivant, c’est à l’Accueil francophone que le couple a été conduit pour une session d’orientation. Par la suite, Constance Ngouissani Nsouadi Nsouadi a souvent fréquenté l’organisme pour des ateliers ou des conseils. « Ça m’a permis de diminuer mon stress et de mieux affronter le Canada, et le Manitoba, de mieux les comprendre. » Dès le lendemain de son arrivée, Constance Ngouissani Nsouadi Nsouadi avait par ailleurs déjà à l’esprit de trouver du travail. « C’était un samedi et il n’y avait personne dans les rues. Nous, on était habitués à l’ambiance le samedi. Au Congo Brazzaville, c’est la fête. C’est le marché. Il y a beaucoup de mouvement. Alors je me suis dit : Il faut vite que je trouve du travail pour ne pas m’ennuyer! » Là encore, l’Accueil francophone a su être à la hauteur : « L’Accueil avait constaté que beaucoup de femmes réfugiées restaient à la maison sans rien faire, alors en 2013, il a rassemblé un groupe de femmes, dont moi, pour suivre un cours de santé et sécurité. J’ai obtenu des bonnes notes et j’ai pu continuer à l’Université de Saint-Boniface en jeune enfance. J’ai été diplômée en 2016. « Je ne pensais même pas à la petite enfance comme métier, mais l’Accueil francophone m’a poussée et soutenue. Ils ont fait un bon choix pour moi. »
photo : Marta Guerrero
CONSTANCE NGOUISSANI NSOUADI
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Constance Ngouissani Nsouadi travaille aujourd’hui à temps plein à la garderie Les Enfants Précieux à Saint-Boniface. De plus, grâce à son entregent elle est devenue bénévole à la paroisse du Précieux-Sang et membre de la Chorale des Intrépides. Elle a aussi été bénévole au Festival du Voyageur pendant trois ans, ainsi que dans d’autres garderies. « L’Accueil francophone est très vite devenu comme la maison de mes parents. S’il y avait quoi que ce soit, ils étaient là. Encore aujourd’hui, si j’ai une question ou un problème, ils sont toujours là pour m’accueillir et trouver une solution. » ◗
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PRIORITÉ : TROUVER UN
emploi JOEL LEMOINE
SALIMATA SORO
Directeur de l’appui aux entreprises au Conseil de développement économique des municipalités bilingues du Manitoba.
photo : Marta Guerrero
Directrice de l’employabilité et de l’immigration au Conseil de développement économique des municipalités bilingues du Manitoba.
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photos : Gracieuseté CDEM
le salon Espace emploi organisé par le cDem depuis 2018 permet aux employeurs manitobains de rencontrer leurs potentiels futurs employés. Une opportunité à ne pas manquer pour les nouveaux arrivants qui cherchent un emploi. par camille harper
e trouver un emploi est souvent l’une des priorités des nouveaux arrivants. Pour cela, le Conseil de développement économique des municipalités bilingues du Manitoba (CDEM) a toute une gamme d’appui à disposition, que ce soit pour chercher un emploi ou se lancer en affaires.
S
Joel Lemoine, directeur de l’appui aux entreprises au CDEM, estime que « cette capacité d’accompagner les clients jusqu’à l’emploi est primordiale. On s’assure que tous nos clients de Destination emploi et Emploi pour tous aient une expérience en milieu de travail ».
Afin de subvenir à leurs besoins, la majorité des nouveaux arrivants veulent chercher du travail très vite après leur arrivée, voire même avant. Ils sont nombreux à avoir poussé les portes du CDEM pour se faire accompagner dans de telles démarches.
Il ajoute que ce pont est tout aussi bénéfique aux employeurs. « Ça enlève chez les employeurs une certaine crainte qu’une personne d’une différente culture puisse ne pas être à la hauteur. Ils savent qu’ils ont suivi toute une formation chez nous, et ils voient qu’on les accompagne. C’est un gage de confiance. »
Salimata Soro est la directrice de l’employabilité et de l’immigration du CDEM : « Le service d’employabilité du CDEM offre notamment des formations, un service de placement à l’emploi, et organise des foires d’emploi. « On est là à chaque étape du parcours, selon les besoins des personnes. On peut les aider à rédiger leur curriculum vitae (CV) ou leur lettre de motivation, on peut travailler avec eux les techniques de recherche d’emploi ou encore d’entrevue, et on peut les renseigner sur le milieu de travail canadien. Au total, on offre 14 ateliers différents. « On fait tout un suivi, jusque dans le milieu de travail, car nos programmes incluent tous des stages rémunérés. On rend visite à nos clients en stage et leurs employeurs chaque semaine jusqu’à 12 semaines. » En 2019, sur 80 candidats aux foires d’emploi - que le CDEM organise depuis trois ans, deux fois par an en personne, ainsi qu’une fois de manière virtuelle à l’échelle nationale - 65 ont trouvé un emploi. De plus, sur 60 clients du programme Emploi pour tous, pour les 30 ans et plus, 48 ont désormais un emploi. Et sur 60 clients à Destination emploi, un programme qui s’adresse aux 15 à 30 ans, 54 ont aujourd’hui un emploi. Ces programmes sont ouverts à tous, cependant la plupart des clients sont de nouveaux arrivants. Quant au taux de clients en stage rémunéré qui se font embaucher ensuite, il est de 94 %.
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Salimata Soro confie d’ailleurs que « maintenant, certains employeurs nous appellent directement quand ils ont besoin de recruter, pour savoir si on a des clients qui pourraient être intéressés! Les mentalités ont bien changé ». Joel Lemoine partage les chiffres : « Chaque année, le CDEM appuie la mise sur pied d’environ 70 entreprises. Il y a une quinzaine d’années, ils étaient trois ou quatre nouveaux arrivants à acheter ou créer des entreprises. Aujourd’hui, environ 30 % de notre clientèle qui se lance en affaires, ce sont de nouveaux arrivants, soit 20 à 25 des 70 entreprises que nous appuyons chaque année. « On est là pour les entrepreneurs. Et c’est rassurant pour eux. Je peux les accompagner dans leurs démarches, répondre à leurs questions, les orienter. Chaque année, je m’occupe d’une centaine de dossiers de nouveaux arrivants. Tous n’aboutiront pas mais ils savent qu’on est là. » « On offre aussi une formation Business Start de trois jours en français, deux à trois fois pas an, qui permet de tout savoir sur les différents types d’entreprises au Canada, les plans d’affaires, et tout ce qui est nécessaire pour démarrer une entreprise. Ou encore des ateliers sur le système des taxes au Canada et la gestion du temps. » ◗
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Suite de la page 33 ➤ Joel Lemoine constate également que l’immigration entrepreneuriale est de plus en plus une réponse à la succession des entreprises francophones locales. « La relève familiale est en baisse, ce qui donne des opportunités pour les nouveaux arrivants qui souhaitent se lancer en affaires. » Il précise que depuis 2018 environ, le programme d’immigration Candidats du Manitoba a un volet entrepreneurial : Affaires
(Business Stream) ou Agriculture (Agricultural Stream). « Les gens qui veulent immigrer sous ce volet viennent souvent dans le but de racheter une entreprise ici. » Par ailleurs, en partenariat avec l’Accueil francophone, le CDEM a aussi un programme de pré-départ pour les futurs immigrants francophones. Salimata Soro : « On offre des ateliers en ligne. On s’assure avant même qu’ils arrivent qu’ils connaissent et comprennent le marché
du travail canadien, qu’ils aient un curriculum vitae en anglais et en français à jour, et on crée les premiers contacts en vue d’un emploi. » Parmi les ateliers, celui sur l’intégration dans le milieu du travail est particulièrement bénéfique selon la directrice des ressources humaines : « Ça permet de mieux comprendre comment les Canadiens conçoivent la diversité culturelle, et ce à quoi s’attendre en milieu de travail. Beaucoup de nouveaux arrivants qui n’étaient pas préparés perdent leur premier emploi à cause de différences culturelles. » ◗
Adèle Kapinga
«J
e suis arrivée de République démocratique du Congo avec mon mari et mes enfants le 26 juin 2019. Une de nos préoccupations principales a été de trouver un emploi. Mon mari, Valéry Kambo, était demandeur principal et avait déjà eu l’opportunité d’avoir des contacts de pré-départ avec un agent du CDEM. Et, deux semaines après notre arrivée, nous avons été nous présenter là-bas, où un conseiller en employabilité nous a demandé d’envoyer nos CV afin de nous aider à les mettre au format canadien.
Nous avons énormément apprécié l’implication des conseillers, qui nous envoyaient des offres d’emploi susceptibles de nous convenir. Ils m’ont même aidée en me donnant une liste de questions qu’on peut retrouver en entrevue et en simulant une entrevue afin de me préparer correctement. J’ai pu aussi participer à la foire à l’emploi, Espace emploi, et rencontrer une dizaine d’employeurs potentiels. La recherche d’emploi dans un nouveau pays n’est pas simple, et il faut être patient. Mais grâce à l’aide que j’ai reçue, j’ai finalement obtenu un emploi à l’USB en janvier comme assistante administrative. » photo : Marta Guerrero
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SABRINA BETTOUM photo : Marta Guerrero
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UN BESOIN POUR LES EMPLOYEURS D’après le recensement de 2016, le nombre de personnes nées au Canada qui quittent le marché du travail dépasse le nombre de celles nées au Canada qui entrent sur le marché du travail. Par ailleurs, à Winnipeg, en 2016, 22 % des travailleurs étaient âgés de plus de 55 ans. (1) par rOmaiN Telliez
L
es immigrants représentaient en 2016 plus de 26 % de la main d’œuvre de la capitale manitobaine. (1) Dans certains secteurs, comme le secteur manufacturier ou celui des transports, ils représentent même 46 % et 36 % de l’ensemble des travailleurs et jusqu’à près de la moitié des travailleurs des soins infirmiers. Aujourd’hui, force est de constater que, non seulement, l’économie a besoin des immigrants, mais elle en est devenue dépendante. La ville de Winnipeg, entre autres, fait face à un grand défi démographique. Taux de natalité bas, émigration des travailleurs vers d’autres provinces et vieillissement de la population font que l’immigration se présente, non plus comme un choix, mais comme une nécessité.
C’est d’autant plus le cas pour l’immigration francophone. En effet, 40 % des francophones de la ville ont plus de 55 ans, comparativement à 27 % de la population totale. Et bien que Winnipeg soit la ville qui attire le plus de francophones hors du Québec, ce ne sont que 1 130 personnes dont le français est la langue maternelle qui sont venues s’installer au Manitoba entre 2016 et 2018. (1)
L’entreprise Parenty Reitmeier est la parfaite illustration de cette nécessité. Cette entreprise qui fait de la traduction dans plus de 100 langues connaît un besoin important en main d’œuvre francophone. Sur ses 45 employés, 12 sont francophones. « Nous travaillons énormément en français, c’est la langue la plus demandée pour notre entreprise, » assure Jean-Pierre Parenty, son président. Si les chefs d’entreprises du Manitoba ont des difficultés à recruter de manière générale, dans le cas de l’entreprise Parenty Reitmeier la difficulté est double. « On a toujours des difficultés à recruter, mais ce n’est pas que nous, c’est dans toutes les business. Cependant, dans notre cas, c’est encore plus difficile parce qu’il est quasi-impossible de trouver assez de francophones locaux formés en traduction. » Par le passé, Parenty Reitmeier devait aller recruter ses candidats jusqu’en Europe avec le salon Destination Canada. Aujourd’hui, grâce à l’immigration francophone et aux programmes du CDEM comme Espace emploi qui réunit des employeurs locaux et des chercheurs d'emploi, l’entreprise a plus de facilités à trouver des candidats. Sabrina Bettoum fait partie de ces nouveaux immigrants qui fluidifient l’économie du Manitoba. « Je rendais simplement visite à
ma sœur, qui s’était installée au Manitoba. Je vivais alors en Algérie. Je suis tombée sur une offre d’emploi de Parenty Reitmeier, et j’ai décidé de postuler. J’ai passé l’entretien pendant mon séjour et on m’a fait une promesse d’embauche qui a été notre porte d’entrée vers le Canada. Je suis ensuite rentrée en Algérie pour faire ma demande de VISA et me marier. J’avais peur de perdre cette opportunité avec la durée de la démarche, mais Parenty Reitmeier a été compréhensif, ils ont l’habitude de ce genre de choses. Ils ont été patients. » « Je n’étais pas malheureuse dans mon pays, je cherchais juste de l’évolution professionnelle que je ne pouvais pas avoir en Algérie. Et je voyais ma sœur évoluer ici au Canada. Elle semblait avoir la belle vie. » Pour l’entreprise Parenty Reitmeier comme pour beaucoup d’entreprises au Manitoba. L’immigration est devenue un élément essentiel dans leur développement. « Sans les nouveaux arrivants ce serait très difficile! Et puis, pas uniquement en français, l’immigration est très importante dans toutes les langues », conclut Jean-Pierre Parenty. (1) Immigration, réfugiés et Citoyenneté Canada Série de profils économiques : Winnipeg, 2019. ◗
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CAP SUR
l a r u le r
Si l’immigration francophone au Manitoba est dans une dynamique positive depuis la Toile de fond commune 2001-2050 : Agrandir l’espace francophone au Manitoba, elle est restée très concentrée sur Winnipeg. Aujourd’hui, le rural souhaite bénéficier de cet apport de francophones.
photo : Gracieuseté l’Acceuil francophone
Depuis 2016, l’accueil francophone organise des tournées dans les régions rurales (À la découverte du rural) pour les nouveaux arrivants.
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: L’IMMIGRATION AU RURAL
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par camille harper
L
es communautés rurales du Manitoba n’ont pas connu une expérience de l’immigration francophone aussi positive que la région urbaine. Certaines régions ont essayé d’attirer des nouveaux arrivants, mais les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes. Salwa Meddri, coordonnatrice du Réseau en immigration francophone (RIF) Manitoba : « Il y a eu par exemple une grosse campagne de recrutement de nouveaux arrivants francophones du côté de Notre-Dame-deLourdes en 2012-2013. Malheureusement, ces familles ont dû faire face à beaucoup de défis, par exemple au niveau du renouvellement de leurs permis de travail. Si certains ont pu s’établir avec succès dans la région, la plupart ont finalement préféré revenir à Winnipeg ou même quitter le Manitoba. »
« Il y a un gros travail de sensibilisation à faire. Beaucoup de nouveaux arrivants ne savent pas qu’il existe des services et ressources en français au rural, et les communautés rurales n’ont pas l’habitude de l’accueil de familles nouvelles arrivantes. » Salimata Soro, directrice des ressources humaines au CDEM, confirme : « Il y a une méconnaissance du monde rural chez les nouveaux arrivants, et les communautés rurales sont souvent moins ouvertes. Les familles se connaissent depuis toujours, elles ont grandi ensemble. Il est plus difficile de s’y intégrer. »
non seulement on fait croître notre communauté, mais on apporte aussi de nouvelles idées, une ouverture d’esprit. une richesse. »
Coordonnatrice du Réseau en immigration francophone Manitoba.
Elle ajoute que la question de l’emploi est un autre obstacle à la ruralisation, de même que celle du réseau. « Il n’y a pas autant d’emplois au rural qu’à l’urbain, or la plupart des nouveaux arrivants veulent que les deux conjoints aient un emploi. Ça les retient en ville.
« Avec l’immigration,
C’est une chance pour nous,
SALWA MEDDRI
« De même, pour beaucoup, c’est rassurant de retrouver des pairs à l’arrivée. Mais ces réseaux sont en ville. Par exemple, il y a plusieurs associations communautaires africaines à Winnipeg, mais pas au rural. » Pour remédier la situation et réussir l’accueil, les communautés peuvent compter sur l’appui du RIF, de l’Accueil francophone et du CDEM, dont le mandat est provincial, mais aussi sur ceux du Réseau communautaire, des Centres de services bilingues, des Corporations et Sociétés de développement communautaires, ou encore des Municipalités rurales.
En outre, quelques programmes de - armand poirier sensibilisation au rural ont récemment vu le jour. À l’Accueil francophone, chaque mois depuis La régionalisation de l’immigration fait partie 2016-2017, entre 30 et 60 nouveaux arrivants du mandat du RIF Manitoba. « Jusqu’à partent à la découverte du rural. Wilgis maintenant, on avait surtout travaillé à Agossa, adjoint exécutif et responsable des consolider la coopération et les partenariats à communications de l’Accueil francophone : Winnipeg, car c’est là que la majorité des immigrants sont. Maintenant, on commence Suite en page 40 ➤ à travailler avec le rural. »
ARMAND POIRIER Conseiller municipal de la Municipalité rurale de Taché.
JUSTIN JOHNSON Directeur général de l’Association des municipalités bilingues du Manitoba.
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Suite de la page 39 ➤ « On a lancé le programme À la découverte du rural car on s’était rendu compte que certains de nos clients, qui étaient pourtant au Manitoba depuis cinq à dix ans, n’avaient jamais été plus loin que Lorette. Certains même n’étaient pas sortis de Winnipeg. Ils ne savaient rien du rural. Ils ignoraient les services en français qu’on peut y trouver. » Le programme a déjà porté ses fruits : Wilgis Agossa assure que « quelques clients ont déménagé au rural après, grâce aux connexions qu’ils avaient faites lors du programme ». De même, au niveau du RIF Manitoba, le programme Communautés francophones accueillantes est en train d’être mis sur pied. Salwa Meddri explique : « Le programme a été lancé au niveau national en juin 2018. En 2019, au Manitoba, on a identifié la région de la rivière Seine, incluant la Ville de Sainte-Anne, la Municipalité rurale de La Broquerie et celle de Taché, comme communautés francophones cibles. Cette région avait en effet manifesté un intérêt à recevoir des nouveaux arrivants. » L’objectif de Communautés francophones accueillantes est de développer des plans communautaires régionaux et des partenariats tout en tenant compte des particularités locales, afin de préparer les communautés à bien accueillir de potentiels nouveaux arrivants, et les nouveaux arrivants à leur nouvelle vie au rural. « On travaille à augmenter le côté Friendly du Manitoba en rendant les communautés encore plus accueillantes, remarque la coordonnatrice du RIF Manitoba. On va accompagner et outiller les communautés pour que tout le monde y vive dans la meilleure harmonie possible. « Pour cela, on va notamment mettre en place des activités culturelles, sportives, communautaires ou même de recherche d’emploi pour favoriser l’échange entre communautés accueillie et accueillante, et encourager l’implication des nouveaux
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arrivants dans la vie communautaire rurale. » L’initiative Communautés francophones accueillantes commencera le 1er avril 2020 pour une durée de trois ans. Armand Poirier, conseiller municipal de la Municipalité rurale de Taché, explique l’importance de l’immigration francophone pour sa communauté : « Avec l’immigration, non seulement on fait croître notre communauté, mais on apporte aussi de nouvelles idées, une ouverture d’esprit. C’est une chance pour nous, une richesse. »
minoritaire, mais aussi renforcer les économies locales. Les Municipalités rurales reconnaissent de plus en plus la valeur ajoutée du français, et donc l’intérêt de le garder. » Il dévoile d’ailleurs que l’AMBM a obtenu une promesse de financement d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) pour développer un Plan stratégique municipal pour le recrutement, la rétention et la réussite des Municipalités bilingues en matière d’immigration pour les Municipalités rurales.
« L’immigration est essentielle aujourd’hui pour assurer la pérennité et la vitalité de nos communautés francophones en milieu minoritaire, mais aussi renforcer les économies locales. Les Municipalités rurales reconnaissent de plus en plus la valeur ajoutée du français, et donc l’intérêt de le garder. » - Justin Johnson La route est encore longue, mais il reste confiant : « On commence d’en bas. On n’est pas équipés pour recevoir des nouveaux arrivants, mais on y travaille. On va notamment créer du logement abordable. Il ne suffit pas de pouvoir accueillir une famille, il faut pouvoir en recevoir plusieurs pour qu’elles aient envie de rester chez nous. » Le directeur général de l’Association des municipalités bilingues du Manitoba (AMBM), Justin Johnson, renchérit : « L’immigration est essentielle aujourd’hui pour assurer la pérennité et la vitalité de nos communautés francophones en milieu
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« On veut aller une étape plus loin en mettant sur pied une stratégie commune pour attirer l’immigration francophone. » La stratégie devrait être développée d’ici 2023. Salwa Meddri termine : « Si on réussit à avoir plus de monde à l’extérieur de Winnipeg, ce sera très positif pour la francophonie et l’agrandissement de l’espace francophone à l’échelle de la province. On va travailler tous ensemble vers ce but, capitaliser sur l’expertise de chacun. On est tous une pièce du casse-tête. » ◗
s t i a f n Les bie
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Virginie mazoyer et ses enfants capucine et Gabin, devant la pierre de l’École régionale de Notre-Dame-de-lourdes.
photo : Gracieuseté Virginie Mazoyer
D’UNE COMMUNAUTÉ ET DE LA SOLIDARITÉ…
par camille harper
S
Virginie Mazoyer décrit sa communauté d’accueil : « J’ai trouvé une famille à Notre-Dame-deLourdes, un soutien hors pair. Ça a fait toute la différence dans les moments difficiles.
En effet, son diplôme français d’enseignante n’étant pas reconnu au Manitoba, le couple a préféré garder un emploi en France pour assurer les finances familiales.
« De mes voisins à mes collègues de travail, tout le monde m’a vraiment bien accueillie. Quand c’était l’hiver et que mon mari venait nous rendre visite, par exemple, quelqu’un de la communauté offrait de faire la route jusqu’à Winnipeg pour aller le chercher à l’aéroport, juste pour que je ne sois pas seule sur les routes enneigées ou que je sois obligée de prendre un jour de congé. Sans ce soutien formidable, je ne sais pas si je serais restée au Manitoba! » ◗
i le tissu social très serré au rural peut parfois présenter un obstacle à l’intégration pour certains nouveaux arrivants, ce n’est pas le cas de la Française Virginie Mazoyer, qui s’est installée en décembre 2016 à Notre-Dame-de-Lourdes avec les deux cadets de ses sept enfants tandis que son mari, Stéphane Mazoyer restait en France pour travailler.
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UNE SCÈNE CULTURELLE RICHE DE SA diversi t é par maThilDe errarD, camille harper eT rOmaiN Telliez
A
vec l’élargissement de l’espace francophone au Manitoba et l’arrivée de nouveaux arrivants francophones des quatre coins du monde, la scène culturelle francophone du Manitoba s’est diversifiée pour le plus grand plaisir du public.
Ginette Lavack, directrice générale du Centre culturel francomanitobain (CCFM) : « On voit dans la communauté de plus en plus de projets très intéressants qui incorporent les nouveaux arrivants, comme par exemple les Allogènes ou le Marathon de création au Théâtre Cercle Molière. « De même, chez nous dans la Galerie du CCFM, nous commençons à accueillir des œuvres d’artistes d’ailleurs. Au printemps 2020, nous aurons l’exposition d’un jeune homme du Congo, Xavier Mutshipayi. Ses origines et son héritage se ressentent
Kelly Bado,
«A
dans son style d’art. Nous avons aussi reçu un humoriste africain au Rire Zone en février 2020, Papa Gizz. » Le CCFM a également ouvert ses portes au groupe de danse africaine Umucyo. « Umucyo répète dans nos locaux et pour la Saint-Jean-Baptiste 2019, ils ont fait une performance. C’est important et positif pour la communauté de s’ouvrir aux différentes cultures qui la composent. Plus on les inclut, plus les nouveaux arrivants se reconnaîtront dans notre communauté et s’intégreront. C’est bénéfique pour tous. » D’ailleurs, selon les observations de Ginette Lavack, le public semble apprécier cette diversité : « Le public demande de la nouveauté, des nouvelles perspectives, des nouvelles approches. » ◗
auteure-compositrice et interprète. elle est originaire de la côte-d’ivoire, et est arrivée au manitoba en 2007. elle a participé à l’émission La Voix Canada et à fait briller le manitoba par son immense talent.
ujourd’hui, je pense qu’avec mes chansons, je contribue à l’enrichissement culturel au Manitoba.
C’est parfois difficile de s’établir ici. Les musiques du monde sont plus populaires dans les grandes villes, où il y a un public, un marché. Ça demande des compromis, de faire l’effort d’aller vers l’Autre pour comprendre ta culture d’accueil. J’ai commencé à écrire au Manitoba, alors ma musique est un métissage entre le Manitoba et l’Afrique. Ici, je peux faire ma musique, être moi-même, sans nier ma culture d’origine et apporter ma valeur ajoutée. »
ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE
: L’IMMIGRATION ET LA DIVERSITÉ
photo : Marta Guerrero
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Daouda Dembélé,
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comédien et metteur en scène amateur. il est actif dans le milieu du théâtre manitobain depuis son arrivée, en 1993.
«L
orsque je suis arrivé en août 1993, il y avait peu de nouveaux arrivants. Alors, il fallait que je m’intègre, c’était une nécessité. Ma passion pour le théâtre a été la meilleure manière de rentrer dans la communauté francophone. Cet art est une des seules places où j’ai pu faire passer mes idées et faire comprendre, parfois avec une touche d’humour, le racisme, mais aussi la culture, les traditions et la société d’où je viens. Par exemple, j’ai abordé la polygamie qui est encore un sujet tabou dans Le polygame, présenté au Chiens de soleil en 1997. Je remarque une plus grande ouverture dans le monde culturel. J’ai participé à la conception de la pièce Allogène au Théâtre Cercle Molière en 2018, avec sa soixantaine de comédiens aux différents accents francophones. Le théâtre m’a permis de me créer une place dans la communauté et aujourd’hui, je me sens francophone du Manitoba. »
photo : Marta Guerrero
artiste visuel et musicien. il est Franco-manitobain, Gérald descendant du peuple métis. Sa créativité , e Laroch se nourrit de tout ce qu’elle trouve autour de lui.
«Q
uand je donne des ateliers dans les écoles, au final c’est moi qui apprends le plus! Je propose des choses aux jeunes nouveaux arrivants et j’observe leur façon spontanée de se lancer. Les enfants des pays africains ou ceux de Haïti, utilisent inconsciemment une palette de couleurs beaucoup plus chaudes. Par exemple, lorsque je leur demande de peindre un arbre, j’adore les voir se lancer dans des silhouettes vraiment différentes avec des motifs que je n’avais jamais vus auparavant. Moi, j’observe tout cela, ça entre en moi et je le ressors ensuite à ma façon. C’est ça l’art. »
ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE
photo : Marta Guerrero
: L’IMMIGRATION ET LA DIVERSITÉ
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ÉLARGIR LA FRANCOPHONIE, C’EST MULTIPLIER LES
s t n e c c a
Élargir l’espace francophone, c’est aussi multiplier les accents et les façons de parler français. Une richesse qui peut devenir un danger quand cela donne le sentiment que sa langue n’est pas d’assez bonne qualité pour tenir une conversation. Pour la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) comme pour la SFM, la sécurité linguistique est un enjeu clé à adresser sans attendre. Une stratégie nationale élaborée par la FJCF va être dévoilée en mars 2020. par camille harper
N
e pas oser parler en français par peur d’être jugé(e) sur de possibles erreurs de langue. Répondre en anglais car cela semble plus facile. Converser en groupe en anglais, même s’il n’y a qu’une seule personne anglophone. Toutes ces expériences sont très communes en milieu minoritaire francophone.
ressortait de nos membres. On vivait tous les mêmes défis de sécurité linguistique, mais on n’était pas capables de vraiment mettre le doigt dessus et d’identifier quoi faire pour améliorer la situation. En 2014, on a décidé qu’il fallait agir. »
Roxane Dupuis, directrice générale du Conseil jeunesse provincial : « En milieu minoritaire, ce sentiment d’infériorité face à l’autre interlocuteur, cette perception que notre français n’est pas assez bon, on connaît tous cela à un moment ou un autre. Ça peut même arriver entre Franco-Manitobains. « Alors, plutôt que de parler français et d’être encore corrigés ou de chercher ses mots, on préfère parler anglais. On a l’impression que c’est plus facile. L’insécurité linguistique, ou sécurité linguistique pour prendre une approche plus positive et proactive du problème, c’est ça. » Ce problème ne se limite pas au Manitoba, c’est pourquoi la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) a décidé lors de son assemblée générale de 2014 de chercher des solutions. Sue Duguay, présidente de la FJCF : « Depuis de nombreuses années, ce message
ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE
La sécurité linguistique touchant tous les âges et milieux socio-professionnels, la FJCF a invité dans sa réflexion plusieurs organismes communautaires et nationaux. En outre, deux consultations nationales en ligne ont été menées en 2018, auprès de la jeunesse et des membres des communautés de tous âges. La sécurité linguistique était aussi le thème du forum de la FJCF en mai 2019. Ces consultations et forum ont mené à l’élaboration d’une Stratégie nationale pour la sécurité linguistique, dévoilée en mars 2020. Pour la présidente de la FJCF, c’est le point de départ : « Tous les Canadiens et Canadiennes, quel que soit leur âge et leur situation, vont pouvoir s’approprier la Stratégie et l’adapter à leur réalité. La Stratégie nationale a pour but de sensibiliser et d’inciter à la prise d’action en tant qu’individu ou groupe.
photo : Gracieuseté Sue Duguay
SUE DUGUAY Présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française.
« Trop de francophones en situation minoritaire, partout au pays, vivent une insécurité linguistique imposée par leurs pairs. Alors ils s’excluent de la langue. L’impact sur les communautés est très négatif. On peut perdre des locuteurs français à cause de cela. On devrait plutôt augmenter nos nombres pour augmenter notre influence. » ◗
: L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE
Sean Foster issu d’une famille anglophone, Sean Foster a appris le français à l’école aurèle-lemoine de Saint-laurent, et en écoutant des vidéos d’acteurs français. « l’accent parisien me plaisait beaucoup, il me paraissait plus distingué, plus intelligent. « puis j’ai réalisé qu’il n’y a pas un accent meilleur qu’un autre ou supérieur. Tous ces accents différents contribuent à la diversité linguistique. » photo : Archives La Liberté
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: L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE
HUGO HUANG-LESAGE ET AMY HUANG « Grâce aux ressources de la FPFM, je me sens vraiment comme faisant partie de la communauté francophone. C’est essentiel pour les familles exogames comme la mienne. » photo : Marta Guerrero
LE RÔLE ESSENTIEL DES parents ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE
Quand la SFM a adopté sa Toile de fond commune 20012050 : Agrandir l’espace francophone au Manitoba, près de 70 % des jeunes de la communauté franco-manitobaine étaient issus de couples exogames, et moins de 16 % d’entre eux s’exprimaient en français. Dans la transmission d’une langue, les parents ont un rôle clé à jouer. Comment la communauté les a-t-elle aidés?
: L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE
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par camille harper
a Fédération des parents de la francophonie manitobaine (FPFM) est l’organisme porteparole et d’appui aux parents de jeunes enfants de la communauté francophone du Manitoba.
L
Brigitte L’Heureux l’affirme, « l’exogamie, c’est la réalité des familles de notre communauté francophone du Manitoba aujourd’hui, et c’était déjà le cas en 2001.
La directrice générale de la FPFM, Brigitte L’Heureux, revient sur l’importance du rôle des parents : « Du point de vue de la FPFM, on observe que les deux parents, peu importe leur langue, contribuent à l’épanouissement de leur enfant, y compris langagier. Plus les familles se sentent incluses dans la francophonie et les enfants sont exposés au français, plus les enfants auront de chances de parler cette langue et d’être prêts pour la maternelle en français.
« Il faut embrasser cette réalité plutôt que l’ignorer. Si on n’inclut pas le conjoint ou le partenaire anglophone chez nous, on court le risque que toute la famille aille ailleurs, là où tout le monde se sent inclus. Souvent, c’est dans la communauté anglophone ». L’organisme porteparole des parents francophones a également développé sa communication. Brigitte L’Heureux : « Nous avons bilinguisé notre publicité pour que les parents anglophones puissent aussi comprendre le contenu de notre programmation. Cependant, nos programmes sont toujours donnés en français. »
« Alors il est important que dans les couples exogames, photo : Marta Guerrero le parent se sente BRIGITTE L’HEUREUX appuyé et outillé pour Par ailleurs, un nouencourager la francoDirectrice générale de la Fédération des parents veau poste d’appui à la phonie de son de la francophonie manitobaine. francisation et aux enfant. Il faut lui familles plurilingues montrer que c’est vient d’ ê tre affiché en janvier 2020. « On a vu qu’il faisable pour lui, avec des outils et des appuis, de y avait un manque d’outils et de cohésion dans nos contribuer à la transmission du français à ses services. La personne embauchée développera enfants. Beaucoup de parents anglophones notamment des outils pour les familles, mais aussi cherchent des espaces francophones pour leurs les éducateurs et éducatrices et les garderies enfants qui les respectent comme parent familiales. anglophone. » Pour cela, la FPFM a développé en 2013 des fiches informatives à destination des familles exogames : Grandir en français - De la naissance à 24 mois, Grandir en français - De 2 à 5 ans, Identité francophone - L’identité, c’est vivre une culture et la célébrer et Couples mixtes – Quand un seul des parents parle le français, ainsi que des vidéos au sujet des avantages de parler français à son jeune enfant au Manitoba. (1)
« On voit de nombreux défis de francisation dans les garderies francophones aujourd’hui. C’est important de faire l’état des lieux de ce qui existe déjà et des besoins, et de réfléchir à comment faire pour les combler. Il y a toujours plus à faire pour agrandir l’espace francophone. » (1) Ces fiches et vidéos sont disponibles à l’adresse http://www.lafpm.com/nos-services/outils-pour-parents/ ◗
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: L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE
Un système pionnier
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n o i s r e m m L’i
au cours des années, le système scolaire d’immersion au manitoba s’est agrandi, structuré et légitimisé.
UN SYTÈME EN CROISSANCE CONSTANTE
La première école d’immersion a ouvert ses portes au Manitoba en 1973, dans le sillon de la loi fédérale sur les langues officielles, entrée en vigueur en 1969. Depuis, le système d’immersion s’est organisé, structuré dans les divisions scolaires, et surtout n’a cessé de croître pour aujourd’hui représenter 13 % de l’ensemble des élèves du réseau scolaire public de la province.
1995 a marqué une autre étape cruciale dans l’histoire de l’immersion manitobaine : son programme a été officiellement reconnu. christian michalik : « c’était la volonté d’une partie de la société qui a mené à une concrétisation politique. et ça a apporté une légitimité à l’immersion, des ressources pédagogiques et un marché pour les maisons d’édition également. »
CHRISTIAN MICHALIK Directeur général de la Division scolaire Louis-Riel
photo : Gracieuseté Division scolaire Louis Riel
par maThilDe errarD
A
u Manitoba, c’est à l’école SacréCœur, qui faisait alors partie de la Division scolaire Winnipeg n°1, que le système scolaire d’immersion française a vu le jour en 1973, sous l’administration des Sœurs des SaintsNoms de Jésus et de Marie.
Christian Michalik, directeur général de la Division scolaire Louis-Riel (DSLR), rappelle que l’immersion a fait ses premiers pas dans le contexte de la Loi sur les langues officielles. Entrée en vigueur le 7 septembre 1969, elle institue le français et l’anglais comme langues officielles du Canada.
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Si la première école élémentaire date de 1973, la première école secondaire à offrir un programme d’immersion au manitoba, le collège Béliveau, a vu le jour en 1982. c’était d’ailleurs le premier du genre en amérique du Nord.
« Même si l’immersion a dû faire face à des oppositions, une prise de conscience s’est opérée dans beaucoup de familles anglophones qui souhaitaient que leurs enfants parlent les deux langues officielles du pays », indique-t-il. L’immersion a connu une croissance chaque année depuis ses débuts. Un an après son implantation au Manitoba, 0,4 % des élèves de la province étaient inscrits en immersion. Près de 25 ans plus tard, en 2001-2002, ce chiffre grimpait à un peu plus de 8 %. En 2016-2017, avec quelque 24 400 élèves, la proportion d’élèves en immersion française au Manitoba atteignait les 13 %. ◗
: L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE
l’immersion s’est alors petit à petit structurée au sein des différentes divisions scolaires, dont la Division scolaire louis-riel, qui a vu le jour en 2002. À l’image du système global d’immersion française, le nombre d’inscriptions à la DSlr est en hausse constante. Sur les 40 écoles qui la composent, 13 sont des écoles d’immersion et accueillent pas moins de 5 200 élèves, soit 33,5 % de son total d’élèves. « et si la tendance se maintient, nous prévoyons atteindre 40 % d’élèves en immersion dans la prochaine décennie », indique christian michalik.
LE CHOIX DE L’IMMERSION POUR l ’avenir
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Emploi, ouverture, lien avec leur famille aux multiples langues : Kristin et Johann Baetsen, anglophones, n’ont pas hésité à inscrire leurs enfants, Raina et Vaughn en immersion, à l’École Provencher.
par maThilDe errarD
I
l est près de 16 heures, un mardi pendant la période du Festival du Voyageur et Raina, huit ans et Vaughn, six ans, viennent de rentrer de l’école. Le petit dernier, en 1re année, est fier de montrer sa dernière création, épinglée sur sa chemise. « C’est une tuque rouge du Festival du Voyageur! » Par le passé, ses parents aussi ont été élèves en immersion à Winnipeg. Pour eux, c’était naturel de les inscrire dans ce même système. Kristin Baetsen se souvient : « Ma sœur n’a pas été en immersion, ça n’existait pas à l’époque. Mais moi, j’ai eu cette chance et aujourd’hui, j’ai des connaissances sur l’histoire et la culture francophones. » Johann, le père de famille, ajoute que l’immersion a été également un choix pour
l’avenir de leurs enfants. « Le français apporte plus d’opportunités d’emplois. Et puis, qu’ils sachent parler et comprendre l’histoire de la deuxième langue officielle du Canada est important. » Sa femme poursuit : « On habite dans le quartier francophone de Winnipeg, alors on s’est dit, pourquoi nos enfants n’apprendraient pas le français? » Un autre facteur a également joué dans la décision des deux parents : leur lien familial avec le français. Johann Baesten comprend un peu le français et peut parler quelques mots et dans sa famille, le français a toujours été plus ou moins parlé. « Mes grands-parents parlaient six langues, dont le français. Ma mère est également francophone et vit à Saint-Boniface. Nous avons une histoire avec cette langue, alors, inscrire nos enfants en immersion est un moyen de poursuivre notre contribution à la communauté francophone. »
Pour le moment, leurs enfants apprennent les bases de la langue, notamment en associant images et mots. D’ailleurs, Vaughn ramène en courant un livre en français sur des animaux et lit les quelques phrases avec sa sœur. Raina, en troisième année, raconte : « Apprendre le français, ça change la vie. On peut chanter, lire, écrire et parler en français. C’est amusant! » Johann ne cache pas qu’il n’a jamais autant parlé français depuis que ses enfants sont en immersion. Il entraîne d’ailleurs une équipe de soccer en français au complexe sportif de Notre-Dame. Kristin Baetsen tient à préciser que l’apprentissage des enfants se poursuit en dehors de l’école. Leurs enfants suivent des cours de natation en français et Raina participe à une chorale, Les petits intrépides. ◗
photo : Marta Guerrero
pour le couple Baetsen, il était important d’inscrire leurs enfants en immersion. Sur la photo de gauche à droite : Johann, Vaughn, Kristin et raina Baetsen.
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DE FRANCOPHILE e n o h p À franco PATRICK GAGNÉ Professeur de sciences humaines et d’informatique pour les classes de 9e et de 10e années au Collège Béliveau
En plus de l’apprentissage de la langue française, l’un des objectifs du programme d’immersion de la DSLR est de favoriser l’intégration de ses élèves dans la communauté francophone, et de leur donner tous les outils et toute la confiance nécessaires pour qu’ils continuent à parler français après la 12e année et se sentent pleinement francophones.
photo : Marta Guerrero
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: L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE
D’élève à professeur par maThilDe errarD
L
a notion d’identité des élèves est au cœur de l’apprentissage du français au sein des écoles de la DSLR. Christian Michalik, son directeur général, explique : « Avec les équipes pédagogiques, nous travaillons à conscientiser les jeunes sur leur identité et leur bilinguisme pour qu’ils puissent continuer à pratiquer en dehors de la salle de classe et après leur graduation, et qu’ils se considèrent pleinement comme francophones. » Si la notion d’identité francophone comporte l’aspect langagier, il se base aussi sur la culture, le sentiment d’appartenance et l’inclusion. « Les élèves en immersion peuvent acquérir et nourrir une identité francophone tout au long de leur parcours scolaire, qu’ils soient très ou peu familiers avec la culture francophone. Il est essentiel d’inclure tous ces profils dans notre enseignement. » Depuis près de 50 ans, l’immersion oblige à repenser l’identité francophone manitobaine. La Loi 5 sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine, adoptée par la Province en 2016, a d’ailleurs élargi la définition même de francophone.
« Si des efforts sont encore nécessaires pour élargir la définition sociale de la francophonie, les élèves issus de l’immersion en font bien partie et ont un rôle clé à jouer dans son épanouissement », assure Christian Michalik. En effet, ceux qu’on appelait il y a peu les francophiles, sont aujourd’hui de vrais francophones du Manitoba. Patrick Gagné, 29 ans, fait partie des anciens élèves de la DSLR qui continuent à pratiquer le français. Après des études en histoiregéographie puis en éducation à l’Université de Saint-Boniface, il est depuis six ans, professeur de sciences humaines et d’informatique pour la 9e et la 10e années au Collège Béliveau. « Mon but est de donner toutes les occasions possibles aux élèves de pratiquer leur français hors du cadre académique et dans des situations authentiques. « On cherche à toujours améliorer leurs compétences orales également. Alors par exemple, pendant la période des élections l’an dernier, on a organisé des débats en classe où chacun pouvait poser des questions et exprimer ses idées en français. » ◗
« Je suis né dans une famille exogame : ma mère, hélène Jeanson est francophone. mon père, michael Gagné, est anglophone et son père vient du Québec. pour eux, c’était important que moi et mon frère matthieu gardions cette connexion avec la langue d’une partie de ma famille et d’augmenter les opportunités en terme de carrière. D’ailleurs, mon frère et ma belle-sœur sont aussi enseignants en immersion, tout comme ma femme rae-ann Trudeau! il y a six ans, j’ai débuté ma carrière au collège Béliveau, où j’ai passé une partie de ma scolarité. aujourd’hui, en tant qu’enseignant, j’ai l’impression que je peux redonner quelque chose, être un modèle. en classe, nous essayons autant que possible d’immerger les élèves dans des cas concrets, en dehors de la classe, comme le sport ou le théâtre. michel roy, un de mes collègues, a d’ailleurs monté une comédie musicale bilingue. pour le moment, je suis au début de ma carrière. J’entraîne une équipe de basketball où nous parlons en français autant que possible et je compte davantage m’engager dans des initiatives avec les élèves. c’est important que les élèves gagnent en confiance dans des situations authentiques. lorsque j’étais élève, l’immersion m’a offert toutes les occasions d’utiliser cette langue. ensuite, mon défi a été de continuer à trouver des occasions de pratiquer après la 12e. Suivre mes études d’histoire, géographie, puis en éducation à l’Université de Saint-Boniface a été un bon moyen. et puis, dernièrement, j’ai participé au Festival du Voyageur en tant que bénévole. » PATRICK GAGNÉ, enseignant au Collège Béliveau pour les 9e et 10e années en sciences humaines et en informatique
Thriving Learners ∞ Flourishing Communities Des apprenants épanouis ∞ Des communautés florissantes Gegwe-gikenjigewaad ∞ Mamino-ayaang Eyaang
900, chemin St. Mary's | Winnipeg | Manitoba | R2M 3R3 | Tél. : 204-257-7827 | lrsd.net
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: L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE
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POUR FORMER LES CITOYENS DE demain
La Division scolaire franco-manitobaine (DSFM) a pour objectif de former des citoyens du 21e siècle. Pour ce faire, elle table sur trois piliers : la réussite scolaire et éducative, la communauté et la construction identitaire.
par maThilDe errarD
A
lain Laberge, directeur général de la DSFM pose les bases dès le départ : « Notre mandat est plus large que celui des écoles anglophones. En plus de la réussite scolaire, nous avons aussi la mission de transmettre une culture et de nourrir une identité francophone chez nos élèves. »
Ce mandat a été pensé dès les débuts de la DSFM, qui a été créée en 1994 à la suite de l’adoption en juillet 1993 du projet de loi 34 visant à modifier la Loi sur les écoles publiques. Et pour rester en phase avec son mandat, la DSFM élabore environ tous les cinq ans un plan stratégique qui reprend des axes basés sur leurs objectifs.
Réussite scolaire et éducative
La DSFM a entamé une réflexion pour revoir la définition de la réussite scolaire : « Nous voulons mettre l'emphase sur l'élève, adapter notre enseignement afin de s'assurer que chaque élève progresse, peu importe son profil. Et ce, dès les premières années, pour que l’élève parte sur de bonnes bases », indique Alain Laberge.
L’éducation en langue française offre une expérience unique. Pensez-y! 1263, chemin Dawson Lorette (Manitoba) R5K 0S1 • Téléphone : 204 878-9399 • DSFM.MB.ca • dsfm@dsfm.mb.ca • @DSFMecole
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: L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE
La DSFM en quelques dates René Déquier, directeur général adjoint aux Services éducatifs, abonde dans ce sens. « La zone cérébrale qui contrôle les langues est en pleine croissance entre zéro et cinq ans. Et c’est aussi à cet âge que l’enfant commence à développer ses émotions et des liens avec les adultes. « Le lien entre l’enfant et le français peut par exemple naître dans les Centres de la petite enfance et de la famille (CPEF) qui sont organisés dans les écoles de la DSFM depuis 2004. De là l'importance de miser sur la petite enfance avec une offre active de services dont les prématernelles à temps plein qui sont dans cinq de nos écoles. »
Communauté et construction identitaire Alain Laberge résume que l’un des objectifs de la division est que les enfants « vivent la langue ». En plus des CPEF, la division peut en effet compter sur une trentaine de partenaires communautaires, dont le rôle est de complémenter le curriculum scolaire. Ces partenariats permettent aussi aux élèves de vivre des expériences pertinentes en français hors le la salle de classe. Former les citoyens du 21e siècle passe aussi par des moments comme les camps de leadership JMCA ( Jeunes manitobains des communautés associées), « où les élèves peuvent prendre conscience que d’autres jeunes comme eux parlent français », explique René Déquier. Les camps JMCA comptent de plus en plus de jeunes depuis dix ans : en 2009-2010, 20 élèves y participaient. Ils étaient environ 240 en 2018-2019. Certains jeunes de la DSFM participent aussi à des conseils municipaux de leurs régions, un moyen de « donner une voix aux élèves et ainsi démontrer leur fierté d'être francophone, estime Daniel Préteau, directeur adjoint aux Services aux élèves. C’est aussi un moyen de former une future génération de leaders qui pourront prendre leur place dans la francophonie ».
La DSFM a dû amorcer une nouvelle approche de la construction identitaire il y a une dizaine d’années pour mieux accueillir une nouvelle clientèle, incluant les nouveaux arrivants et les familles exogames.
Une population croissante Le nombre d’élèves de la DSFM croît d’année en année, environ 2 % par an depuis 2001 et elle doit répondre à une grande demande. La division estime que 5 993 élèves de la maternelle à la 12e année feront leur rentrée en septembre 2020. Il y avait 5 779 élèves inscrits à la DSFM en décembre 2019. Si la hausse du nombre d’élèves permet une diversité enrichissante, elle apporte aussi son lot de défis, tels que la nécessité de recruter de nouveaux enseignants ou encore la limite de l’espace disponible.
1994 : la DSFm voit le jour, puis la commission scolaire franco-manitobaine (cSFm) quelques mois plus tard. la cour suprême du canada a affirmé que l’article 23 de la Charte canadienne des droits et des libertés garantit aux francophones du manitoba un degré maximum de gestion de leurs écoles françaises. le projet de loi 34, qui prévoit la création d’une division scolaire de langue française, est adopté le 27 juillet 1993. le premier directeur général était raymond Bisson et le premier président de la cSFm, louis Tétrault.
Plusieurs projets d’agrandissement ont été menés au cours des dernières années : agrandissement de 2 500 mètres carrés à l’école Taché en 2015, un nouveau gymnase et une salle polyvalente à Saint-Georges en 2013 ou encore un autre agrandissement prévu pour l’automne 2020 à l’école NoëlRitchot. Bernard Lesage, président de la Commission scolaire franco-manitobaine depuis 2004, rappelle que l’immobilisation a été et reste toujours un enjeu majeur pour la communauté francophone.
Dès la rentrée scolaire
« La croissance de nos effectifs chaque année rime forcément avec des agrandissements physiques. Aujourd’hui, il y a encore trop de régions où des parents n’ont pas le choix d’une éducation en français. »
un centre d’apprentissage
Au 30 septembre 2019, la DSFM comptait 23 écoles, dont sept en milieu urbain et 16 en milieu rural. ◗
en septembre 1994, la DSFm a pour mandat de gérer les écoles et les programmes français. Son réseau s’est petit à petit développé au fil des années, avec 20 écoles en 1994 et plus de 4 000 premiers élèves. aujourd’hui, la division compte 23 écoles, et franco-manitobain pour adultes. la Voie du Nord, à Thompson est la dernière école à avoir ouvert ses portes. en décembre 2019, près de 5 800 élèves étaient inscrits à la DSFm, la seule division scolaire francophone au manitoba.
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r e t p a d S’a
AUX NOUVEAUX ARRIVANTS
photo : Marta Guerrero
MIREILLE KAZADI Directrice de l'École Taché.
par maThilDe errarD
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epuis le début des années 2000, la DSFM a progressivement observé une augmentation des nouveaux arrivants parmi ses élèves. Petit à petit, les équipes se sont adaptées, et ce dès les premiers pas des élèves nouveaux arrivants. « Lors de l’inscription, on établit le profil de tous les élèves, explique Daniel Préteau, directeur adjoint aux Services aux élèves de la DSFM. Et pour les nouveaux arrivants, nous leur posons aussi des questions sur leur école et leur vie dans leur pays d’origine. » En 2018 et 2019, plusieurs formations professionnelles ont été organisées pour comprendre les réalités des nouveaux arrivants. « La formation a aussi permis de comprendre l’importance de nos choix de mots et d’expressions. Nous n’avons pas tous les mêmes références culturelles. » Mireille Kazadi, directrice de l’école Taché, qui accueille des élèves issus de diverses cultures, précise que « chaque cas est particulier et que ces formations offrent les bases nécessaires ». L’adaptation et l’inclusion culturelle passent
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par exemple par le choix des livres. « Nous voulons nous assurer que les livres utilisés dans nos classes et dans nos bibliothèques représentent bien tous nos élèves, pour qu’ils puissent s’y reconnaître et trouver leurs places. » Depuis 2004, la DSFM a également créé un poste d’agent culturel à temps plein. Et depuis environ trois ans, il y a également une personne à mi-temps. Les agents voyagent d’école en école. Ils sont chargés notamment de discuter et répondre aux questions des enseignants et du personnel. Ils sont surtout présents en ville, où il y a un plus gros besoin de soutien et de conseils.
Des enseignants comme référents Pour Mireille Kazadi, elle-même arrivée de la République démocratique du Congo, « c’est important d’avoir de la diversité à tous les niveaux pour répondre aux besoins des nouveaux arrivants et que les équipes scolaires ressemblent aussi à la francophonie de la DSFM d’aujourd’hui.
« Dans le corridor de notre école, c’est une francophonie colorée! Asie, Europe, Afrique, il y a de plus en plus de personnes de toutes les cultures et de différentes religions qui travaillent dans un respect mutuel. Lorsque je suis arrivée il y a 25 ans, il y avait peu de nouveaux arrivants. Ensuite, beaucoup de chemin a été parcouru avec des sessions professionnelles et des personnes comme moi qui ont étudié à l’Université de Saint-Boniface en éducation. « Une personne qui a connu les mêmes réalités que les élèves est une vraie force, notamment pour nouer des relations avec les familles. Elles viennent de systèmes scolaires différents où parfois, le parent est moins impliqué. Alors, il est important qu’elles comprennent les attentes du système canadien et de leur expliquer comment elles peuvent s’impliquer dans la scolarité de leur enfant. Au final, c’est l’élève qui sera gagnant. » ◗
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Virginia Valdivia Rodriguez, 36 ans, est arrivée du Pérou à Winnipeg avec son mari et leurs deux garçons en juin 2018. par maThilDe errarD
« Lorsque nous sommes arrivés au Manitoba, nos enfants parlaient espagnol et n’avaient que quelques bases en français. La DSFM a accepté de les accompagner et de mon côté, je pouvais les appuyer en français. Pedro Pablo, 13 ans, est en 8e année au Collège LouisRiel et Leonardo, neuf ans, est en 4e année à l’École Taché. La DSFM leur a donné tous les outils nécessaires. J’ai pu rencontrer un conseiller pour discuter du plan pour Pedro Pablo au Collège. Au début, ça été difficile pour Pedro Pablo de s’intégrer dans sa classe puisque pendant sa première année, il a suivi une remise à niveau en français dans un autre groupe, avec des enfants de différents âges. Il avait donc peu d’opportunités de participer à des travaux de groupes avec sa classe. Il a tout de même pu suivre les cours de maths grâce à des auxiliaires. La DSFM a même trouvé une auxiliaire originaire du Honduras pour quelques mois. Aujourd’hui, ça se passe mieux, il a beaucoup progressé et a complètement intégré sa classe depuis la rentrée de septembre 2019. Il sait aussi que si besoin, le conseiller est toujours disponible pour répondre à ses questions. » ◗
photo : Marta Guerrero
leonardo reategui, pedro pablo Valdivia et Virginia Valdivia rodriguez.
Nathalie, originaire de France et Mark Roche, anglophone, forment un couple exogame. Ils ont décidé d’inscrire leurs filles à la DSFM. par maThilDe errarD
« Pour moi, c’était évident que mes filles vivraient en français, lance Nathalie Roche. À la naissance de Chloé, Mark a commencé à apprendre le français. Il est même devenu professeur dans une école d’immersion à double voie. Je suis très admirative! Aujourd’hui, on parle tous en français au quotidien. On ne diabolise pas l’anglais pour autant. Les grands-parents paternels et quelques amis sont anglophones. Chloé est bilingue et Léa nous comprend et commence à prononcer quelques mots. Ça restait important pour moi de s’assurer que le français ne soit pas juste pratiqué dans l’unité familiale. Dans une école anglaise ou d’immersion, Chloé aurait davantage parlé en anglais et j’imagine qu’elle aurait peut-être été réticente à discuter en français à la maison. photo : Mathilde Errard
Nathalie et son mari, mark roche et leurs filles, léa, trois ans et chloé, six ans.
Et puis, je me serais sentie seule pour leur apprendre le français. Là, c’est plus simple. Je sais que plus tard, Léa et Chloé auront le choix de faire leurs études en français ou en anglais. » ◗
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PIERRE ANGULAIRE DE L’AGRANDISSEMENT DE L’ESPACE FRANCOPHONE
Microcosme de la francophonie manitobaine, l’Université de Saint-Boniface (USB) accueille en ses murs tous les visages de la francophonie. « C’est important de leur donner l’opportunité de créer des liens et l’intérêt d’être et de travailler ensemble. Ici, c’est la meilleure chance de le faire », ajoute Peter Dorrington.
par camille harper
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Ce continuum, l’USB travaille sans relâche à le renforcer pour que le français soit la réponse logique pour tous les francophones. « On a une collaboration de plus en plus étroite avec la DSFM. Depuis deux ans, nous travaillons aussi pour développer un continuum en français langue seconde avec les divisions scolaires qui ont des programmes d’immersion. » À l’autre bout du continuum,l’USB a également lancé en 2019 un projet de 6,15 millions $ pour la construction d’un centre d’apprentissage et de service de garde sur son campus.
Par ailleurs, l’USB a acquis en 2011 une crédibilité supplémentaire comme pilier de la communauté quand l’établissement est devenu une université, confirmée par la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine de 2016. Sophie Bouffard, rectrice : « L’USB est la seule université de langue française de l’Ouest canadien. Il y a un statut, un poids, une légitimité qui viennent avec ça. « Aujourd’hui, on négocie d’égal à égal avec l’Université du Manitoba et on est responsable de conceptualiser nos programmes. C’est d’ici
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photo : Dan Harper
eter Dorrington, vice-recteur à l’enseignement et à la recherche, affirme que « pour agrandir l’espace francophone, l’éducation est depuis toujours la pierre angulaire. Il faut un continuum éducatif en français de la petite enfance au postsecondaire ».
que viennent bon nombre de chefs de file francophones, et ce dans tous les domaines. On a un rôle d’avant-garde à jouer pour prévoir les besoins. »
Microcosme de la communauté Peter Dorrington le souligne, « l’USB est l’un des seuls espaces où tous les éléments de la francophonie se côtoient en nombres importants chaque jour : étudiants francomanitobains, franco-métis et anglophones, résidents permanents et étudiants internationaux, on a là toutes les composantes d’une grande francophonie. » En effet, la population étudiante de l’USB se répartit comme suit : 33 % de finissants de la DSFM, 36 % de finissants de l’immersion, 9 % de résidents permanents et 21 % d’étudiants internationaux. De plus, de ce groupe, 11 % des étudiants sont d’origine métisse ou autochtone.
Et, depuis plusieurs années, plus de la moitié des étudiants internationaux diplômés de l’USB dépose une demande de résidence permanente au Manitoba. Selon la province, la catégorie des travailleurs qualifiés au Manitoba — dont les étudiants détenant un permis d'étude font partie — démontre actuellement un taux de rétention de plus de 85 %. Diplômée de l’immersion, Jordyn White est en 3e année du baccalauréat en arts. « Grâce à mon expérience à l’USB, je me sens plus intégrée à la communauté francophone car j’ai été invitée à participer à des évènements en français, j’ai des amis francophones, et j’ai des opportunités de pratiquer mon français. Je me suis fait beaucoup d’amis à l’USB qui m’ont acceptée avec mon français comme il est. » Pour sa part, Cabrel Brémault, en 1re année au programme d’administration des affaires, est natif de La Broquerie et diplômé de la DSFM. Il apprécie la diversité francophone à l’USB : « La plupart des étudiants de ma classe sont de provenance internationale et on s’entend très bien. J’ai créé des amitiés solides. Ça renforce ma fierté francophone. Ces liens, je suis certain que je les garderai après l’USB. »
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L’impact sur les espaces L’afflux d’étudiants de tous les volets de la francophonie se voit dans l’évolution des espaces à l’USB depuis les années 2000. Christian Perron, directeur du recrutement et des services aux étudiantes et étudiants, en fait la liste : « En 2002, nous avons créé le Centre étudiant Étienne-Gaboury, pour que les étudiants aient un lieu pour se rencontrer et se détendre, mais c’est aussi une place de rassemblement pour la communauté.De même,notre salle de spectacle Martial-Caron est devenue un véritable espace culturel pour la communauté francophone. « L’USB a aussi fait l’achat de résidences étudiantes en 2005 pour loger ses étudiants internationaux. Et en 2008, on a créé le Bureau international pour mieux les accueillir, les encadrer. » Par ailleurs, la présence d’équipes sportives dynamiques, les Rouges, contribue à l’agrandissement de l’espace francophone car « pouvoir pratiquer son sport en français, c’est un élément clé dans le choix de l’USB ».
L’impact sur les programmes Les programmes se sont également multipliés depuis 2000. Christine Mahé-Napastiuk, registraire, précise que « cette évolution s’est faite en grande partie en fonction de la demande du marché local et de la communauté ». Ce marché et cette communauté reflètent bien l’agrandissement de l’espace francophone. Par exemple, avec l’arrivée de nombreux nouveaux
photo : Marta Guerrero
les étudiants de l’USB représentent bien toute la francophonie manitobaine. Sur la photo, de gauche à droite : cabrel Brémault, Vicky Tshibasu, alex Gagon, Nikita Dornez et Jordyn White.
arrivants francophones ne parlant pas ou peu l’anglais, ainsi que le vieillissement de la population, le besoin de services de santé en français est devenu de plus en plus criant. En 2011, l’USB a donc construit le Pavillon Marcel-A.-Desautels qui abrite les programmes de sciences infirmières et des sciences de la santé, où les étudiantes et les étudiants peuvent obtenir une formation rigoureuse de qualité en sciences infirmières, en aide en soins de santé ou encore en travail social. Cette même année, elle accueillit sa première cohorte au baccalauréat en sciences infirmières et, en 2012, sa première cohorte au diplôme en sciences infirmières auxiliaires. Peter Dorrington : « Ces diplômés font une différence très concrète sur le terrain. Permettre aux francophones de se faire soigner en français, c’est un enjeu capital. » L’USB offre aussi depuis 2013 le diplôme en éducation de la jeune enfance – volet milieu de
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travail, pour assurer la formation de personnel compétent dans les garderies francophones. Christine Mahé-Napastiuk explique : « Ce programme permet aux personnes qui travaillent en garderie d’obtenir leur niveau II tout en occupant un poste à temps plein dans un service de garde.Il vient répondre à un besoin important de personnel francophone formé dans ce domaine au Manitoba et contribue au continuum de l’éducation en français dès la petite enfance. » De même, notons la création du programme de gestion du tourisme en 2000 pour appuyer l’industrie touristique au Manitoba francophone, ou encore l’ajout en 2011 de la majeure en études internationales dans le cadre du baccalauréat ès arts, qui donne une plus grande ouverture sur le monde et qui attire plusieurs étudiants internationaux. ◗
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L’ESPACE par camille harper
S
i la stratégie d’élargissement de l’espace francophone a démarré en 2001, c’est réellement aujourd’hui qu’on peut saisir au Manitoba l’impact d’une telle vision. Quelque 19 ans plus tard, et à l’aube du 150e anniversaire de la Province, les visages de la francophonie, de l’économie et de la scène culturelle manitobaines se sont bel et bien diversifiés. Les leaders de la communauté ont misé sur la pleine continuité de l’identité francophone, le rapprochement des familles mixtes et des personnes bilingues, l’immigration et l’accueil des nouveaux arrivants sans oublier la sensibilisation des anglophones. Le pari qu’ils ont pris pour contrer l’érosion linguistique et rêver d’une francophonie plus vibrante, plus vivante et plus variée est en voie de réalisation. La valeur ajoutée de la francophonie est assez établie. Comme vous avez pu le lire, c’est à l’unanimité qu’ont été votées la Loi 5 sur l’Appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine ainsi que la toute nouvelle politique municipale de la Ville de Winnipeg pour élargir les services en français. Toutefois, il faut rester vigilant. Comme le rappelle l’ancien président de la SFM, Ibrahima Diallo, « tout cela est quand même très fragile. La preuve, c’est la perte du Bureau de l’éducation française en 2018 ».
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: EN CONCLUSION
Il y a encore du chemin à faire. Selon le directeur général de la SFM, Daniel Boucher : « Je connais encore trop de gens en immersion qui disent qu’ils n’ont pas assez d’occasions de pratiquer leur français. Notre langue doit être bien plus que quelque chose qu’on apprend à l’école. On le doit à ceux qui font l’effort de devenir francophones ou qui font le choix de quitter leur pays pour vivre au Manitoba. Il faut leur faire encore une meilleure place parmi nous. » Ibrahima Diallo ajoute : « Le drame de l’immigrant, c’est la question des diplômes. Il est urgent de s’attaquer à ce volet ». Louis Allain, le directeur général du CDEM partage son avis : « Trouvons des formules plus conviviales pour accélérer la reconnaissance des diplômes de nos nouveaux arrivants! » Daniel Boucher de conclure : « Les cinq orientations de la Toile de fond sont toujours pertinentes aujourd’hui et on va continuer. « Toute la communauté est appelée à poser des gestes pour faire avancer la francophonie, la langue et la culture françaises. Tout le monde a un rôle à jouer pour s’assurer d’être plus inclusif, plus ouvert, sans pour autant se perdre. Ça va se faire dans les actions quotidiennes de chaque groupe, chaque organisme. Il n’y a pas de formule magique. » ◗
BE SMART
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