Juillerat tierkreis masterarbeit

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Hochschule für Musik Basel Schrifltiche Arbeit im Fach Zeitgenössische Musik Dozent : Marcus Weiss

TIERKREIS

création d’une version pour saxophone, accordéon, harpe et percussion

Vorgelegt von Kevin Juillerat Route de Neuchâtel 39, 1008 Prilly Basel, April 2013


TIERKREIS : création d’une version pour saxophone, accordéon, harpe et percussion

Table des matières Introduction

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K. Stockhausen : Tierkreis

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Les origines

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Élaboration des douze mélodies

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Faire une version ou une autre notion de l’interprétation

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Analyse de ma version pour saxophone, accordéon, harpe et percussions Principes généraux

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1. Aquarius – Verseau

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2. Pisces – Poisson

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3. Aries – Bélier

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4. Taurus – Taureau

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5. Gemini – Gémeaux

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6. Cancer – Cancer

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7. Leo – Lion

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8. Virgo – Vierge

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9. Libra – Balance

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10. Scorpio – Scorpion

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11. Sagittarius – Sagittaire

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12. Capricorn – Capricorne

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Conclusion Remerciements

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Annexes

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Bibliographie

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Introduction Le cycle de douze mélodies sur les signes du zodiaque Tierkreis est une œuvre très particulière et marquante du compositeur allemand Karlheinz Stockhausen, né en 1922 et mort en 2007. Elle l’a d’ailleurs suivi tout au long de sa vie, de son écriture en 1974 aux dernières heures du compositeur trente-­‐trois ans plus tard. Composées tout d’abord pour boîtes à musique, ces douze miniatures, leur richesse structurelle et leur simplicité formelle offrent d’innombrables possibilités d’interprétation. Cette notion prend ici un sens très différent que dans la tradition classique puisque la pièce ne peut être jouée telle quelle mais doit être instrumentée et arrangée par ses interprètes. Étant moi-­‐même saxophoniste et compositeur, j’ai très vite eu envie de me plonger dans cette œuvre en en faisant une version : d’une part pour l’étudier en profondeur et mieux comprendre le génie de sa facture et, d’autre part, pour la confronter à ma manière d’écrire de la musique et tenter d’apprendre le plus possible de cette confrontation (à défaut de pouvoir rencontrer son compositeur). J’en ai donc fait une version pour quatre instruments – saxophone, accordéon, harpe et percussion. Cette formation née d’un concours de circonstances (entre rencontres et volonté artistique) peut sembler quelque peu étrange mais elle a l’avantage d’offrir de nombreuses possibilités de timbres, de plans sonores et de fusion instrumentale. (Cette notion est très importante pour moi et elle sera présente dans toute ma version.) Beaucoup de couples d’instruments peuvent donc ici être formés, notamment par caractéristiques : deux instruments dont le son peut être entretenu (saxophone et accordéon) et deux instruments dont le son ne peut en général pas l’être (harpe et percussion), deux voire trois instruments harmoniques (accordéon, harpe et parfois percussion – dans le cas du vibraphone) etc. Par ailleurs, le répertoire du saxophone (mais aussi de l’accordéon et de la harpe) étant de nos jours encore relativement réduit, nous sommes toujours à la recherche de musique à arranger pour le compléter. Ce type de pièce non instrumentée – un peu à la manière de l’Offrande Musicale de Johann Sebastian Bach ou des Canons d’Arnold Schoenberg – est donc une aubaine pour nous et c’est aussi une des raisons de ce travail.

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K. Stockhausen : Tierkreis

Les origines Les douze mélodies de Tierkreis sont intimement liées à la pièce de théâtre musical Musik im Bauch composée en 1974 par Karlheinz Stockhausen. Composée pour six percussionnistes et boîtes à musique, Musik im Bauch a été inspirée par une plaisanterie faite à sa fille Julika – il lui dit, alors qu’elle n’avait que deux ans et que sont ventre gargouillait, qu’elle avait de la musique dans son ventre (« Du hast ja Musik im Bauch ! »1) – et par le rêve qu’il fit de la pièce sept ans plus tard. Il composa alors pour cette pièce douze mélodies pour boîte à musique évoquant chacune l’un des douze signes du zodiaque. Leur écriture est donc indissociable des possibilités de cet instrument mécanique. Alors que seules trois des douze mélodies (choisies par les interprètes) sont utilisées dans une performance de Musik im Bauch, Stockhausen décide de faire de Tierkreis un cycle pouvant être joué par n’importe quel instrument ou formation instrumentale (voix comprises). Il les réutilisera lui-­‐même dans plusieurs de ses œuvres, comme son opéra de chambre Sirius (1975-­‐ 77), ses Fünf Sternzeichen ou ses Fünf weitere Sternzeichen pour orchestre terminées la veille de sa mort en 2007. Ces miniatures semblent avoir eu pour lui une grande importance. On peut imaginer qu’il voyait dans les signes du zodiaque une certaine universalité qu’il pensait lui-­‐même atteindre en composant ces douze pièces. C’est comme s’il créait sa propre mythologie, ses propres mythes récurant tout au long de son œuvre.

Élaboration des douze mélodies

Contrainte par la taille et la facture des boîtes à musique, chaque pièce de Tierkreis s’étend dans un registre relativement limité et aigu et ne dure qu’une trentaine de secondes. De plus, on n’y trouve aucune indication de nuance ni de timbre. Chacune d’elles est constituée d’une mélodie et d’un accompagnement plus grave, tantôt harmonique (comme dans Aquarius – Verseau), tantôt mélodique (Pisces – Poisson). Elles ont chacune un caractère très différencié – un peu à la manière de la doctrine des passions baroque (Affektenlehre) – sensé représenter chaque signe du zodiaque, mais aussi influencé par la personnalité des amis et des membres de la famille de Stockhausen du signe correspondant à qui elles sont dédicacées. Les parallèles entre les signes du zodiaque et leur signification sont d’ailleurs aisément faisables ; par exemple, le dynamisme, la fierté et le volontarisme du Lion sont sensibles dès les premières notes de la mélodie correspondante, avec son tempo allant, son premier intervalle de quarte ascendante et ses rythmes pointés :

Karlheinz Stockhausen : « Löwe – Leo », dans : Tierkreis, Kürten 1975, pp. 16

1 Stockhausen, Karlheinz : « Texte zur Musik Band 4 1970-­‐1977 », Köln 1978, pp. 248

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TIERKREIS : création d’une version pour saxophone, accordéon, harpe et percussion Plus techniquement, on peut noter que chaque mélodie a une note centrale différente (sorte de centre tonal ou de note polaire), montant chromatiquement du mib (Aquarius – Verseau) au ré (Capricorn – Capricorne). Les mélodies obéissent chacune à des lois sérielles, tant au niveau harmonique (à noter que leurs séries ne sont pas forcément dodécaphoniques et peuvent contenir plus que douze sons) que structurel ou rythmique. Les parties d’accompagnement obéissent également au même genre de règles avec, par exemple, souvent un nombre très limité de notes (six dans Aquarius – Verseau, Pisces – Poissons ou Gemini – Gémeaux ; et sept dans Leo – Lion).

Faire une version ou une autre notion de l’interprétation

Dans les notes accompagnant la partition de Tierkreis, Christel Stockhausen indique : Wenn man als Instrumentalist oder Sänger die Melodien vortragen will, gibt es verschiedene Aufführungsmöglichkeiten, diese Stücke für den Hörer interessant und in ihren Strukturen deutlich erkennbar zu gestalten. Da jede Melodie dreimal oder viermal unmittelbar nacheinander erklingen soll, eröffnen sich dem Interpreten bei den Wiederholungen vielfältige Variationsmöglichkeiten.2 3 En d’autres termes, une interprétation de Tierkreis demande au préalable un travail d’arrangement afin d’en créer une version qui mette en lumière les richesses de sa composition. Cette notion de l’interprétation est donc très particulière et s’apparente davantage à la démarche d’un musicien de jazz arrangeant un standard qu’à celle d’un musicien classique (du moins dans le répertoire allant de l’époque classique au XXe siècle) qui cherchera plus souvent à respecter scrupuleusement le texte qu’à le modifier ou à l’arranger. Cependant si l’on considère le processus d’interprétation comme « une actualisation, un déploiement des intentions « cachées » ou implicites du compositeur »4, il prend également à travers cette démarche tout son sens. Afin de créer une version, le compositeur propose plusieurs possibilités de variations : variations des nuances, de l’articulation, du registre (à quelle(s) octave(s) la mélodie est jouée) ou de l’orchestration ; modification de la mélodie par omission d’une note ou par son morcellement ; variation rythmique ou encore mise en évidence d’un intervalle. Finalement et dans tous les cas, la mélodie complète doit apparaître au moins une fois et l’une des variations doit être jouée au tempo original.

2 Stockhausen, Christel : « Stockhausens Tierkreis », dans : Karlheinz Stockausen : Tierkreis, Kürten 1975, pp. 1 3

Si l’on veut, en tant qu’instrumentiste ou chanteur, jouer les mélodies [de Tierkreis], plusieurs possibilités s’offrent à nous afin de rendre la pièce intéressante pour l’auditeur et mettre en valeur sa structure. Chaque mélodie doit être jouée trois ou quatre fois en une suite irrégulière, ce qui offre à l’interprète de nombreuses possibilités de variations. 4 Chion, Michel : « Interprétation », dans : Larousse de la musique, éd. par Marc Vignal, Paris 1982, vol.1, pp.

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Analyse de ma version pour saxophone, accordéon, harpe et percussions

Principes généraux Afin de faire une version cohérente de Tierkreis, j’ai pris plusieurs décisions en amont du travail d’arrangement proprement dit. Au sujet de l’ordre des pièces : les douze mélodies s’enchaînent normalement dans l’ordre où elles apparaissent dans le recueil, soit l’ordre astrologique. On est libre de commencer par n’importe laquelle d’entre elles ; le choix des interprètes s’arrête traditionnellement sur leur propre signe du zodiaque. Après une première étude des pièces et en réfléchissant à la dramaturgie que je souhaitais donner à l’œuvre complète, j’ai finalement décidé de garder l’ordre original et de commencer par le premier numéro : Aquarius – Verseau. Par ailleurs, comme il y a quatre instruments, j’ai décidé de disséminer dans l’œuvre quatre variations solo (une pour chaque instrument), tout le reste étant écrit pour au moins deux instruments. Ces soli apparaissent au signe du zodiaque de chacun des musiciens pour qui l’œuvre est écrite : dans l’ordre d’apparition, solo de saxophone dans Aries – Bélier, de harpe dans Gemini – Gémeaux, de vibraphone dans Virgo – Vierge et d’accordéon dans Libra – Balance. J’ai également essayé de créer une atmosphère différente pour chacune des pièces, au plus proche de celle de la mélodie originale. J’ai obtenu ces différences par plusieurs moyens, notamment le type d’écriture et l’orchestration (deux saxophones – soprano et baryton – sont par exemple utilisés ainsi que de plusieurs instruments de percussion – principalement le vibraphone mais également une cymbale, une grosse caisse, une caisse claire ou un flexaton par exemple.) J’ai aussi cherché à créer certains liens entre la musique et le signe du zodiaque correspondant (sa représentation). Quant au nombre de variations de chaque mélodie, il s’est décidé au fur et à mesure et en accord avec la notice de Stockhausen : 5 – 4 – 4½ – 3 – 4 – 4 – 5 – 4 – 3 – 4 – 4 – 5

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1. Aquarius – Verseau Cette première pièce du cycle est une ouverture ; tout s’y construit et génère l’entier de l’œuvre. J’expose donc ici, les uns après les autres, différents axiomes musicaux que l’on retrouvera dans le cycle. Le mouvement s’ouvre sur une seule note – la note polaire de cette mélodie, soit un mib – jouée à l’unisson par tous les instruments. C’est la première variation de cette mélodie (mesures 1 à 9). Dans la deuxième variation (m. 10 à 32) apparaît le rythme (celui de l’accompagnement dans ce cas-­‐là), joué à la cymbale suspendue. Apparaissent ensuite (m. 33 à 54) la courbe de la mélodie dont je n’utilise que certaines notes – jouées par la harpe – et une première esquisse d’une technique que j’utiliserai souvent dans le cycle : l’accumulation harmonique ici effectuée par l’accordéon qui prolonge et superpose les notes de la harpe.

Exemple 1 : m. 33-­‐37

Dans la quatrième variation (m. 55 à 76), la mélodie est présentée dans son intégralité à la harpe avec son accompagnement rythmique encore une fois à la cymbale. Pendant ce temps, l’harmonie de l’accompagnement apparaît progressivement et par accumulation (harpe main droite, saxophone soprano et accordéon). C’est une fois cette harmonie de six notes complétée qu’arrive la cinquième et dernière variation (m. 77 à 97) où le thème et son accompagnement sont présentés sous leur forme complète ainsi qu’au tempo original.

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2. Pisces – Poisson Un autre axiome musical notable du cycle de Tierkreis est la modulation. Chaque mélodie a comme centre tonal une nouvelle note, un demi-­‐ton au-­‐dessus de la précédente. J’ai utilisé ici cette modulation comme un matériau musical en la traitant comme une hésitation entre deux notes (ici mib et mi). Cela se traduit par un trille de ces deux notes au vibraphone ainsi que de petits fragments de la mélodie originale joués au saxophone et à l’accordéon que l’on trouve soit dans la tonalité originale (avec mi comme centre), soit dans la précédente (avec mib), soit en miroir (avec comme axe de symétrie l’une de ces deux notes). Les fragments se densifient progressivement pour finalement atteindre la mélodie d’origine jouée par le vibraphone suivi, en canon et décalés d’une croche chacun, par le saxophone et l’accordéon. J’avais ici en tête l’image d’un banc de poissons d’abord statique vu de loin mais plus agité vu de près, puis se déplaçant rapidement, chacun de ses membres suivant son prédécesseur de très près. Ce processus se retrouve plusieurs fois (m. 98 à 131) jusqu’à ce que la mélodie ait été exposée dans son intégralité. Dans la deuxième variation (m. 132 à 148), la mélodie est encore une fois exposée par le vibraphone, soutenue et colorée en alternance par le saxophone et l’accordéon, comme en la faisant miroiter de différentes couleurs. Sur un autre plan, l’harmonie de l’accompagnement est suggérée par de discrets arpèges mesurés de la harpe dans une rythmique complètement indépendante des autres instruments. La troisième variation (m. 149 à 165) fait appel aux timbres étranges et pianissimi du registre extrême aigu de l’accordéon et du vibraphone joué avec le bois des baguettes. Elle nous amène sans transition à la quatrième (m. 165 à 185), cette fois jouée fortissimo et introduisant avec ses accelerandi et ses rallentandi, un autre paramètre de variation : celui du tempo.

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3. Aries – Bélier Le caractère martial de cette mélodie m’a inspiré le fugato par lequel commence le mouvement. Il s’ouvre (m. 186) par un solo de saxophone baryton (premier des quatre soli de l’œuvre) dans son registre le plus aigu et fragile, et entrecoupé de courtes cadences. Il est rapidement rejoint par la caisse claire (m. 199) reprenant le rythme du thème du Bélier alors que le saxophone l’accompagne ; même jeu avec l’accordéon rentrant à la mesure 212. Le thème est repris par les trois instruments (m. 225) entrecoupé cette fois-­‐ci par des points d’orgue et des cadences de la harpe contrastant avec la rigueur du tempo de marche du mouvement. Dans les silences achevant le thème (m. 237 à 245), la harpe tente de réexposer le thème une dernière fois mais est à chaque fois interrompue par les trois autres instruments.

Exemple 2 : m. 238-­‐240 Cette dernière partie introduit une certaine théâtralité qui fonctionne très bien avec le caractère ironique de certaines des mélodies du cycle.

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4. Taurus – Taureau Dans ce mouvement, c’est l’accompagnement qui est en premier énoncé par le vibraphone. Il est accompagné par la note centrale du mouvement (un fa#) tenue par l’accordéon (m. 246 à 256). Cette note centrale a ici un rôle particulièrement important. La mélodie y revient constamment et les autres notes ne semblent qu’en être les ornements. C’est dans cet esprit que j’ai élaboré la seconde variation (m. 257 à 266). Le fa# y est joué sans arrêt par l’accordéon et la harpe (à la main droite) comme un bourdon que les autres notes du thème ornementeraient, voire harmoniseraient. Les notes les plus graves de l’accompagnement apparaissent pendant ce temps, à la manière de sons de gong obtenus par l’alliage du saxophone baryton, de la harpe et de la grosse caisse. Énoncée au tempo original, la troisième variation (m. 267 à 277) traite quant à elle le thème et son accompagnement en Klangfarbenmelodie5 : leurs lignes sont ainsi décomposées comme les différentes couleurs d’un rayon lumineux passant à travers un prisme, et distribuées aux quatre instruments :

Exemple 3 : m. 267-­‐270 (Les notes du thème sont encadrées, les autres appartiennent à l’accompagnement)

5 Mélodie de timbre : procédé notamment très utilisé par les compositeurs de la seconde école de Vienne.

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5. Gemini – Gémeaux

Dans la première variation (m. 278 à 290), j’ai entrecoupé le thème de plusieurs points d’orgue et travaillé sur tout un jeu de résonnances complexes : j’ai utilisé la différence de temps de résonnance de la harpe (plutôt court) et du vibraphone (plus long, surtout avec le moteur enclenché), ce à quoi s’ajoute de fausses résonnances de l’accordéon reprenant doucement les mêmes notes que les deux autres instruments. L’image des Gémeaux, double, m’a inspiré la deuxième variation (m. 291 à 305). Celle-­‐ci consiste en un canon entre deux couples d’instruments : saxophone et harpe suivis par accordéon et vibraphone. Les entrées de ce canon se rapprochent progressivement pour finalement se rejoindre (m. 304 et 305). S’ensuit alors un solo de harpe (m. 306 à 311) à l’allure de cadence basé sur le matériau musical de l’accompagnement. Le tempo y ralentit progressivement pour atteindre la moitié de sa valeur à la quatrième variation (m. 312 à 319). Nous retrouvons ici le procédé d’accumulation déjà présent dans les pièces précédentes. C’est l’accordéon qui reprend, entremêlé au saxophone baryton, les notes du thème alors que celles de l’accompagnement se retrouvent à la harpe dans son registre le plus grave, soutenue par la grosse-­‐caisse.

6. Cancer – Cancer Cette sixième mélodie du cycle est particulièrement intéressante car le thème et son accompagnement sont identiques, l’un était le presque parfait rétrograde de l’autre (canon à l’écrevisse – en anglais : crab canon). J’ai donc décidé d’utiliser ici cette caractéristique. Ainsi, dans la première variation (m. 320 à 333) ce n’est que la deuxième moitié du thème qui est exposée à l’accordéon, d’abord en rétrograde puis à l’endroit, avec un point d’orgue à son axe de symétrie. Notons que l’accordéon est ici accompagné par un son continu (roulement) de maracas. Grâce à ses deux soufflets, l’accordéon est l’un des seuls instruments pouvant jouer simultanément et aisément deux mélodies dans le même registre. J’ai donc utilisé cette caractéristique dans la deuxième variation (m. 334 à 347) où le thème et son rétrograde sont cette fois-­‐ci énoncés simultanément à la même octave (contrairement à la version originale dans laquelle ils sont séparés de deux octaves). Il est alors encore difficile de saisir l’entier du thème à cause de cette proximité qui brouille les pistes. Il faut attendre la troisième variation (m. 348 à 361) pour que la harpe, doublant à l’octave supérieure la mélodie, et le saxophone baryton, doublant son accompagnement à l’octave inférieure, clarifient la situation. Parallèlement à tout cela et durant ces trois variations, les quelques notes harmoniques s’ajoutant au thème monodique dans sa version complète prennent de plus en plus d’importance : d’abord simplement jouées brièvement à l’accordéon, elles sont doublées et prolongées par des harmoniques de harpe, puis jouées sostenuto à l’accordéon à nouveau, pour former un contrepoint au thème principal. Symétrie de la première, la quatrième et dernière variation (m. 362 à 375) expose cette fois-­‐ci le rythme de première moitié du thème puis de son rétrograde à l’une des maracas, accompagnée par une note tenue de l’accordéon.

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7. Leo – Lion La septième pièce, correspondant au signe du Lion – celui de Karlheinz Stockhausen, est la seule ne faisant intervenir à son commencement que des bruits à hauteur non déterminée : ainsi après un rugissement de Lion’s roar, se mélangent différents sons de grosse caisse, de saxophone joué sans bec, de valve d’accordéon et de harpe étouffée. Cette masse sonore uniquement rythmique progresse lentement durant quatre variations (m. 376 à 429). Les notes de la mélodie y apparaissent progressivement : d’abord celles de l’accompagnement (m. 403) puis celles du thème sans sa note polaire (un la). Cette dernière arrive enfin triomphant à la mesure 430, répartie sur cinq octaves. Est alors enfin exposé le thème dans son intégralité à la harpe ponctué par une grande cadence parfaite étirée sur toute la variation.

8. Virgo – Vierge Autre occurrence d’accumulation, c’est cette fois au vibraphone solo que les notes du thème sont groupées par phrase et exposées. Le rythme de la mélodie disparaît donc dans cette première variation (m. 444 à 452) pour ne laisser voir que son harmonie presque modale et sa silhouette. Le vibraphone continue alors ses tremolos, cette fois-­‐ci sur les notes de l’accompagnement. Pendant ce temps le thème est exposé sous sa forme originale à la harpe dans l’extrême aigu et, fragmenté, au saxophone et à l’accordéon se partageant ses notes à la manière d’une nouvelle Klangfarbenmelodie (m. 453 à 462). S’ensuit alors une simple troisième variation (m. 463 à 472) puis une quatrième (m. 473 à 490) ou l’idée de fragmentation est reprise : le thème et son accompagnement sont cette fois séparés et joué l’un après l’autre pour chaque mesure :

Exemple 4 : m. 473-­‐476 (m. 473 : première mesure du thème ; m. 474 : première mesure de l’accompagnement ; m. 475 : deuxième mesure du thème ; m. 476 : deuxième mesure de l’accompagnement)

J’ai emprunté ce procédé à Stockhausen qui l’utilise de la même manière dans ses Fünf Sternzeichen für Orchester.

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9. Libra – Balance Inspiré par l’image de la balance, symétrique et équilibrée, j’ai décidé de faire trois variations de cette mélodie. Leur axe de symétrie, la deuxième variation (m. 500 à 506) est un solo d’accordéon (le dernier des quatre soli du cycle). Il reprend tel quel l’accompagnement composé par Stockhausen que j’ai décomposé en deux parties, spatialisées par les deux soufflets de l’instrument.

Exemple 5 : m. 500-­‐502

Je n’ai ensuite utilisé que la première partie de cet accompagnement (portée du haut) dans la première variation (m. 491 à 499) et que sa seconde partie (portée du bas) dans la troisième variation (m. 507 à 520). Si l’on regarde le thème de ce mouvement, on peut voir que chaque mesure contient deux si (note centrale du thème) : le premier est toujours suivi (excepté dans la troisième mesure) par une seconde note polaire plus aiguë (souvent la plus aiguë de la mesure), et le second par une troisième note polaire, la plus grave de la mesure :

Karlheinz Stockhausen : « Waage – Libra », dans : Tierkreis, Kürten 1975, pp. 21 (les notes polaires en question sont encadrées)

J’ai donc décidé d’utiliser cette caractéristique et de la mettre en avant de trois manières différentes : -­‐ tout d’abord par l’orchestration : dans la première variation, toutes les notes du thèmes sont jouées au saxophone soprano à l’exception des deux notes polaires supplémentaires de chaque mesure qui sont jouées au vibraphone. -­‐ mélodiquement ensuite : dans la troisième variation, le thème est joué par la harpe doublée par le flexaton, réduisant son dessin à deux simples glissandi entre les trois notes polaires de chaque mesure. -­‐ et finalement harmonique : toujours dans la troisième variation, entre chaque mesure s’insert un court accord en forme de résonnance joué par l’accordéon et constitué de ces trois notes.

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10. Scorpio – Scorpion Le thème volontaire et extravagant du Scorpion est tout d’abord exposé par un puissant unisson du saxophone, de l’accordéon et de la harpe (première variation, m. 521 à 536). Dans la seconde variation, (m. 537 à 555) j’ai utilisé l’élément du glissando si caractéristique de ce thème et l’ai étiré à chaque fois qu’il apparaissait. L’accompagnement du thème commence également à s’y dévoiler : ses notes les plus grave sont jouées par la harpe et le vibraphone à l’unisson, quant aux autres, elles poignent à l’accordéon dans un frémissement durant les pauses du thème. La deuxième variation n’ayant aucun silence alors que le thème en est truffé, j’ai décidé que la troisième variation (m. 556 à 573) serait muette. Les musiciens ne font ici que semblant de jouer le thème sans qu’aucun son ne soit émis. On peut observer que l’accompagnement et constitué des douze notes du chromatisme organisées en trois clusters de quatre notes chacun. Dans la quatrième variation (m. 574 à 591), alors que le saxophone reprend le thème sous une forme extravagante et désarticulée, j’ai distribué chacune de ces zones harmoniques à l’un des trois autres instruments.

Exemple 6 : notes personnelles

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11. Sagittarius – Sagittaire Dans la première variation, (m. 592 à 599) ce n’est encore une fois que la courbe du thème et son rythme que j’ai utilisés, stylisés par des glissandi du rototom. Ils sont accompagnés par la harpe égrainant quelques notes de l’accompagnement. Plusieurs ritenuti et points d’orgue soulignent également la structure du thème que l’on peut découper en cinq parties : pour commencer, trois descentes (1, 2 et 3) quasi chromatiques de durée croissante (cinq, six puis sept temps) – on peut remarquer qu’elles partent toujours du réb central pour arriver finalement une octave plus bas ; s’ensuit une montée du même style (4) nous propulsant en dix temps jusqu’au ré un demi-­‐ton au-­‐dessus de la note centrale du thème ; et pour finir, sept temps que l’on pourrait qualifier d’ornementation du ré (5).

Karlheinz Stockhausen : « Schütze – Sagittarius», dans : Tierkreis, Kürten 1975, pp. 23

Dans la deuxième variation, (m. 600 à 607), le thème est énoncé dans sa forme originale par l’accordéon. Certaines de ses notes sont orchestrées par la harpe (tous les réb dans les quatre premières parties, puis les ré dans la cinquième) et le saxophone (jouant toujours la note la plus basse de chaque descente et créant ainsi une nouvelle ligne mélodique descendante, il se fixe sur le réb puis le ré dans les deux dernières). Parallèlement est dévoilé le rythme de l’accompagnement joué par la caisse claire. Le ré central dans la cinquième partie du thème sonne pour moi comme une nouvelle note polaire créant une certaine tension tonale avec le réb principal, un peu à la manière d’une dominante. J’ai donc décidé de reprendre cet élément et de l’amplifier sur une variation complète (m. 608 à 615). Dans cette troisième variation, tout est donc transposé d’un demi-­‐ton afin de faire du ré la note centrale de l’entier du thème. Il est tenu par l’accordéon et scandé par la harpe reprenant en boucle le motif rythmique des deux premiers temps du thème. L’accompagnement est quant à lui exposé intégralement – mais un demi-­‐ton plus haut – par l’accordéon doublé par la caisse claire et le saxophone. Cette partie se résout finalement sur un réb qui marque le début de la dernière variation (m. 616 à 630). Celle-­‐ci commence par un canon des trois instruments en « diminution harmonique ». Si l’on observe la partie de saxophone par exemple, on peut voir que les trois première parties du thème sont exposées deux fois : dans la seconde, (à partir de la mesure 620) tout est normal

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TIERKREIS : création d’une version pour saxophone, accordéon, harpe et percussion mais dans la première, chaque intervalle est réduit de moitié, ce qui réduit le demi-­‐ton à un quart de ton. De cette manière, nous n’avons plus trois descentes, mais six conservant cette particularité de descendre à chaque fois plus bas :

Exemple 7 : notes personnelles

Au terme de ce court canon, la suite du thème et de son accompagnement est exposée en tutti.

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12. Capricorn – Capricorne Le dernier mouvement du cycle s’enchaîne sans transition au précédent. Il commence comme le premier pas un unisson des quatre instruments – mais dans un registre beaucoup plus tendu – duquel émerge quelques notes du thème (m. 631 à 639). S’ensuit une très simple deuxième variation (m. 640 à 652) où les instruments sont agencés par couple : saxophone et harpe pour le thème ; accordéon et vibraphone pour son accompagnement. La suite du mouvement (et fin de l’œuvre) fait office de réexposition en faisant allusion à chacun des onze mouvements précédents. Dans la troisième variation, (m. 653 à 677) c’est sous forme d’inserts que réapparaissent les têtes de thème du Poisson, des Gémeaux, du Verseau, du Scorpion ainsi que celui du Sagittaire. J’ai utilisé leur note centrale quand elle apparaissait dans le thème du Capricorne comme point de départ de ces collages.

Karlheinz Stockhausen : « Steinbock – Capricorn», dans : Tierkreis, Kürten 1975, pp. 25 (les trois premières notes de départ des collages sont encadrées)

Pour ces inserts, j’ai choisi d’utiliser une des variations les plus reconnaissables des thèmes en question : -­‐ Pisces – Poisson : première variation -­‐ Gemini – Gémeaux : première variation -­‐ Aquarius – Verseau : cinquième variation -­‐ Scorpio – Scorpion : première variation -­‐ Sagitarius – Sagittaire : quatrième variation Le six signes restants font également leur apparition dans les deux dernières variations (m. 678 à 708) mais d’une manière différente et moins flagrante : j’ai ici combiné certaines caractéristiques de l’une de leurs variations (orchestration ou structure notamment) avec la mélodie du Capricorne scindée en trois parties (une par mesure dans l’édition originale) : Quatrième variation : -­‐ première partie : troisième variation de Libra – Balance -­‐ deuxième partie : première variation de Cancer – Cancer -­‐ troisième partie : quatrième variation de Virgo – Vierge Cinquième variation : -­‐ première partie : deuxième variation de Aries – Bélier -­‐ deuxième partie : deuxième variation de Taurus – Taureau -­‐ troisième partie : deuxième variation de Leo – Lion La pièce s’achève dans les souffles éthérés du thème du Lion, signe du zodiaque de Stockhausen.

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TIERKREIS : création d’une version pour saxophone, accordéon, harpe et percussion

Conclusion Tierkreis est une œuvre très particulière dans le catalogue de Karlheinz Stockhausen, tant par son format (douze mélodies d’une trentaine de secondes ne pouvant être jouées telles quelles mais devant être arrangées par leur interprète) que par son importance pour le compositeur qu’elle a suivi tout au long de sa vie. Dans son texte « Stockhausen au-­‐delà… », le compositeur Philippe Manoury écrit : […] il [Stockhausen] veut constituer, à lui seul, une tradition musicale à part entière. Stockhausen prétendait élaborer une œuvre totale dans laquelle sons, couleurs, chiffres, signes du zodiaque, gestes, configurations stellaires, saisons, jours, heures, minutes, et même plus récemment, odeurs, étaient organisées selon des procédures très formalisées afin de participer du grand TOUT.6 Cet aspect mégalomane et mystique du compositeur allemand se discerne très clairement dans cette œuvre qui se base sur la tradition ancestrale de l’astrologie (au même titre qu’il le fera plus tard avec les jours de la semaine notamment dans son cycle d’opéras Licht). Ces douze courtes mélodies sont ainsi des sortes de leitmotivs liés aux signes du zodiaque et symboles d’universalité, desquels naîtrons de nombreuses œuvres de son catalogue. En me plongeant dans Tierkreis, j’ai pu découvrir l’étendue de son incroyable richesse : la force de sa rigueur formelle mais aussi la diversité et la fraîcheur de son langage. Dans ma version de l’œuvre, j’ai toujours tâché de respecter les règles imposées par son compositeur tout en essayant d’en faire une version personnelle mais le matériau est si particulier et cohérant que je me suis souvent senti guidé par celui-­‐ci. Malgré l’impressionnante quantité de travail et l’implication que demande l’élaboration d’une version, la colossale personnalité créatrice de Stockhausen reste extrêmement présente et cette musique demeure sans conteste la sienne. Et c’est peut-­‐être aussi là que réside le génie de l’œuvre qui, malgré les infinies possibilités de variations que son matériau permet, conserve toujours toute son essence et la marque indélébile de son auteur.

6 Manoury, Philippe : « Stockhausen au delà… », San Diego 2007. Consulté le 13.04.2013. Accès :

http://brahms.ircam.fr/documents/document/20045/

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TIERKREIS : création d’une version pour saxophone, accordéon, harpe et percussion

Remerciements Je souhaite tout particulièrement remercier mes professeurs Marcus Weiss et Mike Svoboda qui m’on soutenu et conseillé tout au long de ce travail. Je remercie également Estelle Costanzo (harpe), Olivia Steimel (accordéon) et Julien Mégroz (percussion) pour qui cette version a été écrite et qui m’ont inspiré et renseigné sur leur instrument tout au long du processus d’écriture.

Annexes Partition de ma version de Tierkreis pour saxophone, accordéon, harpe et percussion

Bibliographie Manoury, Philippe : « Stockhausen au delà… », San Diego 2007. Consulté le 13.04.2013. Accès : http://brahms.ircam.fr/documents/document/20045/ Stockhausen, Karlheinz (1975) Tierkreis. Kürten : Stockhausen-­‐Verlag. Stockhausen, Karlheinz (1978) Texte zur Musik Band 4 1970-­1977. Köln : Dumont Bucherlag. Vignal, Marc (éd.) (1982) Larousse de la musique. Paris : Librairie Larousse. Tous les exemples musicaux dont la source n’est pas indiquée proviennent de ma version de Tierkreis (cf. annexes).

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