L’habitat de l’urgence Mémoire de licence Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy
ROURE Sylvaine 2010-2011
SOMMAIRE
Introduction........................................................................................................................................3 1.
L’habitat de l’urgence..................................................................................................................7 1.1
Quelques définitions............................................................................................................7
Que signifie habiter ? ..................................................................................................................7 Qu’est ce que l’urgence dans l’architecture ? ..............................................................................8 1.2
L’architecture humanitaire ..................................................................................................9
Qu’est-ce que l’humanitaire ? .....................................................................................................9 Leurs rôles, actions et limites ....................................................................................................11 1.3
Les architectes de l’urgence ...............................................................................................12
Leurs objectifs ...........................................................................................................................13 Les architectes de l’urgence en chiffres .....................................................................................15 1.4
Les principaux architectes de l’urgence et premières expérimentations.............................17
Jean Prouvé...............................................................................................................................17 Shigeru Ban : vers une architecture humanitaire .......................................................................20 The paper log house ..................................................................................................................22 2.
Les différentes typologies de l’habitat d’urgence.......................................................................23 2.1
Habitat gonflable et pneumatique .....................................................................................23
2.2
L’habitat mobile ................................................................................................................31
2.3
L’habitat évolutif ...............................................................................................................37 1
2.4
L’habitat préfabriqué ......................................................................................................... 43
2.5
L’habitat éphémère ...........................................................................................................51
2.6
L’habitat construit à partir d’éléments de récupération .....................................................55
Conclusion ........................................................................................................................................61 Bibliographie ....................................................................................................................................63
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L’habitat de l’urgence
Introduction
Comprendre des usages, les interpréter et les retranscrire, en gardant à l’esprit l’échelle de la ville, son histoire, sa culture pourrait être une définition personnelle du métier d’architecte. Lorsque quelqu’un aborde le sujet de l’habitat d’urgence, il est rare qu’il lui vienne à l’esprit le rôle de l’architecte dans ce type de travail et pourtant…Les raisons pour lesquelles une action humanitaire est mise en place sont souvent dues aux conditions de vies précaires des populations, ou suite à une catastrophe naturelle laissant des milliers de sans-abris sur un territoire dévasté. Or les questions de cadre de vie ou de territoire ne sont-elles pas celles posées à l’architecte ? Ce travail de mémoire de fin de licence se développe dans un contexte découvert que très partiellement pendant ces années d’études et tout au long de mon cursus scolaire. Cependant, le thème de l’habitat d’urgence m’a tout particulièrement touché pendant ces années, suite notamment, à l’étude du travail de Shigeru Ban sur l’élaboration d’abris temporaires. Mais aussi, avec le séisme du vendredi 11 Mars qui a touché les côtes Nord-est du Japon, suivi du tsunami avec des vagues atteignant dix mètres de haut ayant déferlé sur Sendai, la ville la plus proche de l'épicentre du séisme. Outre les vingt-sept milles morts et de nombreux disparus, plus de trois cent cinquante milles personnes sont sans–abris et placées dans des abris temporaires où un manque d’hygiène, d’accès à l’eau et au chauffage favorise le développement de maladies respiratoires en particulier chez les personnes âgées, les femmes enceintes et les enfants. Seuls des solutions à moyen termes ont été trouvées et ne sont pas suffisantes pour tous. Cette actualité nous montre l’importance de l’habitat d’urgence dans architecture, répondant à des besoins vitaux de logement. Si nous sommes formés à l’école, pour l’élaboration d’un cadre de vie agréable pour tous, nous ne pouvons rester insensibles aux événements mondiaux laissant des populations dans des situations désastreuses. Je me suis donc intéressée à ces conditions de précarité me questionnant ainsi sur le rôle possible de l’architecte et les solutions qu’il pouvait apporter.
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Toutefois, si nous trouvons facilement des informations concernant la description d’une catastrophe, par une surmédiatisation avide d’images choquantes, les informations deviennent plus rares pour l’ « après catastrophe ». En effet, les victimes se retrouvent sans logement pendant les années de reconstruction ; leur survie étant parfois compromise, principalement à cause du froid. Dans les premières semaines qui suivent une catastrophe, les organismes humanitaires sont présents sur le terrain et mettent en place dans l'urgence des tentes en toile fine, pouvant servir d'abris pendant quelques mois tout au plus. Le domaine de l’humanitaire est un secteur qui regroupe tout type de corps de métiers et dans lequel l’architecte ou l’urbaniste ont un rôle important à jouer. Le concept d’assistance humanitaire, pour soulager ceux qui sont dans l’urgence, a vu le jour en Europe au XVème siècle mais ce n’est seulement que depuis une vingtaine d’années que ceux-ci ont pris conscience de leur rôle et que cela se concrétise sur le terrain. En effet, l’association des Architectes de l’urgence n’a vu le jour qu’en 2001, et ainsi de nombreux architectes, ingénieurs et planificateurs utilisent leurs expertises professionnelles afin d’apporter une aide appropriée et durable à toutes les victimes de catastrophes naturelles, technologiques ou humaines, sans distinction de nationalité, de sexe ou de religion. La conception du camp a pour motif une installation temporaire. L’enveloppe des bâtiments doit être démontable même pour les équipements structurants. Les domaines essentiels sur lesquels travaillent les Organisations Non Gouvernementales (ONG) sont ceux permettant la survie des populations : l’alimentation, l’eau, la sécurité et les soins. Ces abris sont pour la plupart inadaptés à cette phase de crise. La situation des victimes est alors critique : aucun dispositif de logement à moyen terme n'est prévu pour les sinistrés et leurs familles. Depuis quelques années, l’habitat des réfugiés commence à émerger comme problématique à prendre en compte dès la phase urgence et devient alors de plus en plus active, notamment grâce à Shigeru Ban. Dans le vocabulaire humanitaire, la phase urgence signifie la période de temps entre la catastrophe et l’accès à des conditions de vie acceptable pour les populations. L’architecture d’urgence a donc pour but de fournir des biens et des services, tel un abri digne de ce nom, aux personnes dans le dénuement le plus total. En effet, après les premiers soins, la construction d’un abri est une des premières nécessités. La phase post-urgence correspond aux retours à une vie normale.
L'habitat d'urgence n’est-il pas un devoir d'assistance à personne en danger ?
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L’habitat d’urgence est un domaine très spécifique, lié aux notions d’habitat minimal répondant à des besoins de survie, de mobilité, de modulable. La notion de temporalité et d’éphémère est aussi importante car cette solution doit être une alternative à la maison sans devenir permanente. Les abris provisoires sont d’une durée limitée par la fin de la période de crise et la transition vers le calme. Celle-ci doit donc être la plus courte possible, bien que son estimation dépende de chaque situation de crise. Mais justement, ne doit-on pas envisager ces solutions éphémères comme permanentes et durables ? En effet, dans de nombreux cas, des camps ont été englobés dans les villes, et sont devenus des quartiers interagissant dans un système urbain complexe. De plus, ces projets, d’habitat d’urgence ne doivent pas devenir une démonstration occidentale mais s’inscrire dans une logique de développement durable en prenant en compte la culture, l’histoire, les traditions, les modes de vie, les techniques et l’économie du pays. L’analyse approfondie des contextes, la mise en place d’un processus participatif, les réflexions sur les usages des matériaux et des méthodes constructives…tous ces questionnements fondamentaux concernent pourtant directement le travail de l’architecte et sont essentiels dans l’élaboration de la phase de développement. Il doit être le résultat d’un travail d’équipe effectué aux côtés des habitants et des professionnels locaux (ONG). Cependant à l’heure d’aujourd’hui, la réflexion sur l’habitat d’urgence est très réduite. Il est nécessaire d’envisager une amélioration de celui-ci ; c'est-à-dire sur la conceptualisation à moindre coût d’un abri standardisable, modulable, qui puisse être livrable sous forme de kit comme alternative à la tente sanitaire. Afin d’aborder ce sujet correctement, il convient de commencer par définir les notions du sujet même, à savoir, ce qu’est un habitat et ce qu’est une situation d’urgence en architecture. L’habitat d’urgence étant une action humanitaire, il est alors nécessaire de définir cette dernière pour ensuite aborder ses limites et ses pouvoirs. Enfin, nous analyserons les différentes solutions d’habitat possibles répondant au caractère urgent de la situation, trouvées par les architectes et designers auparavant, afin d’en tirer les points forts et les faiblesses de chacune et d’essayer de trouver un modèle d’habitat répondant à cette urgence.
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1. L’habitat de l’urgence 1.1 Quelques définitions Tout d’abord, une réflexion de base s’impose, qu’entend-t-on par habitat ? L’habitat au sens usuel du terme issu de la définition de l’académie française, est le « Milieu géographique qui réunit les conditions nécessaires à l’existence animale et végétale ». En extension du mot « habit », on reprend l’idée de se glisser à l’intérieur d’une enveloppe qui nous contient. Un habitat est un endroit, un lieu qui sert de logement à quelqu’un ou à une famille. L’habitat prend en considération la manière de vivre dans un univers. Ainsi, toute personne qui vit dans un endroit précis avec une manière particulière de vivre est dans un habitat.
Que signifie habiter ? Ce terme signifie « Vivre dans un espace qui offre les conditions nécessaires de vie et de développement ». Le terme « habiter » prend différents sens en fonction de ce que l’on veut aborder. Une approche sensorielle du terme va conduire à regarder le terme « habiter » comme une expérience sensible, on parle de la recherche d’une qualité à notre cadre de vie. L’habitat doit être un espace agréable à vivre. Cette dimension personnelle qui est liée à l’habitat induit aussi l’idée d’un habitat modulable afin d’avoir la possibilité d’une appropriation de celui-ci par l’occupant. Le sens fonctionnel, quant à lui, renverra à des notions plus « brutes » que sont l’aspect technique et économique, ici habiter renverra à la fonction de se loger. La dernière approche est plus symbolique, nos « habitats » sont témoins de nos valeurs et de nos connaissances. Ici, on est plus dans une sphère sociale où habiter signifie s’intégrer. Habiter est une fonction que tout le monde a. On habite de différentes manières selon les endroits et selon les personnalités. Mais habiter c’est essentiel.
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C’est une forme de protection tout d’abord matérielle, on se protège du froid et des chaleurs, c’est aussi une protection psychologique, on respecte notre intimité. Habiter c’est avoir sa maison ou son appartement, c’est une fierté, on s’installe, on décore et on habite, c’est aussi au sens plus vaste être touché par son amour propre. C’est s’approprier un lieu, un espace à soi. C’est aussi pouvoir se sentir « chez soi », donc « chez soimême » c’est une limite. C’est un espace qui reflète ce qu’on est et ce qu’on a. C’est un espace privatif, intime qui se définit par rapport à l’espace public. Lorsqu’on a un « habitat », on ne se pose pas la question du « chez soi », mais c’est après la rupture que l’on prend conscience de ce que l’on a perdu. L’habitat d’urgence doit répondre à des besoins vitaux, il est l’espace de transition entre la maison et la tente. Il est avant tout un « abri» pour les victimes. Un abri selon le petit Larousse est un « Lieu permettant de se protéger d'éléments extérieurs (pluie, vent…) et de dangers », il est une « habitation rudimentaire ou toute installation visant à se protéger, à se mettre à couvert de quelque chose ». L’habitat de l’urgence doit être un espace optimisé dans un minimum d’espace pour répondre à tous les besoins de l’habitant.
Qu’est ce que l’urgence dans l’architecture ? L’urgence retranscrit de sa terminologie latine « urgare », signifie « qui ne peut attendre ». Dans le dictionnaire du langage courant on peut lire comme définition « l’urgence est la qualité de ce qui ne peut être différé, ce qui doit être fait ou décidé sans délai ». Cette définition de l’urgence, vue à l’instant, implique nécessairement la notion de temps, car d’une part il est son support et d’autre part, en tant que support il en est un facteur d’influence. L’urgence tient dans une nécessité impérieuse d’agir sans délai, par une action appropriée pour répondre avec efficacité à une situation inattendue ou imprévue. Dans ces conditions il découle de l’action d’urgence deux particularités : une obligation de résultat immédiat puisque l’action a pour objectif de maintenir ou d’annuler la situation en cause et une annulation du facteur temps puisque l’urgence suppose que seule la réponse sans plus attendre soit efficace.
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Ainsi, on constate que dans l’urgence, la temporalité est bouleversée. En mettant un terme au rythme ordinaire, l’urgence marque le caractère exceptionnel de l’événement, de la situation où il est donc nécessaire d’agir sans délai. La notion de danger ou de risque de danger est essentielle pour comprendre les situations d’urgence. Elle est sous-jacente à toutes les demandes urgentes, mais à des degrés très variables. L’urgence renvoie à l’humain, à la menace vitale de celui-ci. Par définition, le danger est la situation ou l’état qui menace l’intégrité physique des personnes. Il y a danger ou nuisance quand un matériel, un matériau, un produit, un mode opératoire, une organisation est capable de provoquer un dommage immédiat ou différé. Quant à la notion du risque, c’est la rencontre entre l’homme et le danger. Par exemple : l’électricité est un danger. Le résultat de l’exposition à ce danger est le risque d’électrocution, le risque de brûlure, etc.… Par conséquent, la notion de risque se schématise ainsi, Exposition x Danger. Plus le danger sera présent et grand, plus le caractère urgent sera ressenti et admis. L’urgence dans l’habitat est un temps qui est difficile d’évaluer car la phase de reconstruction est un moment de durs labeurs. Outre la réflexion qu’elle nécessite pour le développement durable des projets, elle se confronte à un certain nombre d’étapes administratives surtout dans des pays comme l’Inde où tout acte quel qu’il soit doit être accompagné d’un papier officiel.
1.2 L’architecture humanitaire Qu’est-ce que l’humanitaire ? Il s’agit d’une notion très floue. Pour le petit Larousse, humanitaire signifie « qui s’attache à traiter les hommes humainement, à leur faire du bien ». En synonymes on trouve : bonté, altruisme, bienveillance. C’est ce qui vise « « sans aucune discrimination et avec des moyens pacifiques à préserver la vie dans le respect et la dignité… afin d’aider les membres d’une communauté à traverser une période de crise ou de rupture d’un équilibre antérieur ». Les organisations humanitaires ont été créées pour porter secours aux victimes des guerres ou des catastrophes naturelles. Médecins, infirmières, chauffeurs routiers partent aux quatre coins du monde pour fournir des biens et des services. Son but n’est ni plus ni moins la prévention et l’allègement de la souffrance humaine.
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Lorsque le terme « humanitaire » apparaît, pour la première fois sous la plume de Lamartine en 1835, c’est pour désigner une attitude de bienveillance envers l’humanité considérée comme un tout. Les humanitaires sont ceux qui professent une confiance dans les hommes et dans leurs capacités à s’améliorer, à construire un monde plus juste. La création de la Croix-Rouge en 1863 est l'acte fondateur de "l'humanitaire moderne" et marque le début d'une période qui s'étend de la fin du 19ème siècle jusqu'à la 1ère guerre mondiale. "L'humanitaire moderne", héritier de la charité chrétienne et de l'humanisme du siècle des lumières, naît dans l'idée que les armées doivent être retenues, que l'éclatement des violences de la guerre ne doit pas se faire de façon démesurée. Dans le sillage de la Croix Rouge se créent des associations humanitaires d'inspiration religieuse, essentiellement dans le monde anglo-saxon (Save The Children 1919). Ces associations visent avant tout à venir en aide aux victimes européennes et américaines des deux guerres mondiales et des crises économiques. Mais les plus grosses ONG voient le jour au cours de la seconde guerre mondiale : International Rescue Committee (IRC), Catholic Relief Service (CRS) Cooperative for American Remittancies Everywhere (CARE) aux USA. En 1947, l'UNICEF, agence de l'ONU pour les enfants, voit le jour. En 1951, la première véritable institution internationale humanitaire est portée sur les fonds baptismaux sous le nom de HCR (Haut Commissariat des Nations Unis pour les Réfugiés). Elle prendra un essor considérable dans les années 1980 avec l'explosion du nombre de réfugiés dans le monde. La deuxième phase de l'humanitaire moderne commence au Biafra, à la fin des années 60 dans le contexte de la décolonisation. Suite au Biafra, les "French doctors" fondent le mouvement des sans frontières et créent Médecins Sans Frontières (MSF) en 1971. Dans les années 1980, apparaît la notion de l'humanitaire "d'urgence". Mais jusqu’à maintenant l’entraide et la solidarité n’ont jamais connu une telle ampleur dans l’histoire. Les Architectes de l'urgence ont été créés en avril 2001 lors des inondations de la Somme. Un groupe d'architectes de ce département décident alors d'essayer d'apporter une aide aux populations sinistrées.
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Leurs rôles, actions et limites Le rôle des ONG dans les opérations humanitaires va bien au-delà de l’assistance, elles sont déjà bien implantées sur le terrain et peuvent fournir des renseignements sur le déroulement des crises. Ce sont bien souvent les premiers témoins et ce sont les associations religieuses, les curés de campagne, les ONG locales qui accueillent les premiers réfugiés et qui sont par conséquent les mieux à même à décrire la situation et les problèmes auxquels les réfugiés font face, pour permettre d’envoyer sur place une équipe d’urgence la plus approprié. Elles sont fort précieuses dans le domaine de la prévention et sont les mieux placées pour alerter le monde quand se profilent à l’horizon des flux de réfugiés. Les associations humanitaires se mettent à disposition des sinistrés et offrent leurs structures pour recueillir tous les dons et les produits de la solidarité, les grandes organisations nationales comme la Croix Rouge, le Secours populaire, et toutes les associations locales de sinistrés créées pour l'occasion. La question fondamentale de la sécurité est une question qui fait appel à un ensemble de connaissances générales à la fois techniques, sociales, financières, environnementales, psychologiques et politiques. Tous les intervenants, spécialistes dans leur domaine, ingénieur en structure, ingénieur hydrologue, spécialiste du mouvement des plaques, géologue, spécialistes des excavations ou des avalanches, mais aussi expert des assurances, élu politique, ingénieur du bureau de contrôle, psychologue et bien entendu la famille sinistrée, détiennent une partie de la réponse. Une fois la crise maitrisée, les ONG internationales partent et vont répondre ailleurs à une autre urgence. Les ONG locales poursuivent l’action. Elles ont des qualités que n’ont pas les ONG internationales : elles parlent la même langue que les réfugiés qu’elles assistent, connaissent leur culture, leurs traditions. L’intervention des architectes dans ce genre de crises est une chose essentielle. Mais à quel niveau doivent-ils intervenir ? Dans tous les cas les victimes doivent pouvoir s’abriter des intempéries et retrouver un minimum de confort afin de recréer les conditions les plus favorables à la reconstruction personnelle. Pour cela il faut évidemment leur fournir un abri décent ; Cependant, il y a une nette distinction à faire entre l’abri d’urgence et une maison temporaire qui peut être comprise comme une solution permanente. Un abri doit permettre de maintenir la vie. Les familles après un désastre ou des réfugiés
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dans l’urgence s’échappant d’une situation de crise ont un besoin immédiat de protection. Elles doivent avoir un accès à une ressource d’eau potable, à des installations sanitaires et à de la nourriture. Dans l’urgence, c’est un besoin immédiat et il doit être traité comme tel, la priorité étant donnée à la médicalisation et au relogement. Souvent ces abris isolent les victimes de leur communauté rassemblés en camps de réfugiés où elles dépendent uniquement de l’aide humanitaire. Les solutions mises en place par les associations humanitaires doivent être ingénieuses, acceptables, appropriées. Cependant, l’action humanitaire devient par moment un paravent commode pour l’inactivité politique. En effet, elle n’est présente que dans le but d’assouvir des intérêts géopolitiques et commerciaux de court terme, ou ne sont que de purs arguments publicitaires. Certains états et même agences d’aides servent leur propre promotion sur le dos de ceux qui souffrent, en choisissant leur actions dans l’optique de la visibilité maximale.
1.3 Les architectes de l’urgence Les architectes ont l'habitude du désarroi et sont capables de comprendre, par leur expérience et leur pratique, la fissuration des comportements sociaux ou familiaux, comme les fissures techniques ou les fissures de l'appareil politique. Le titre " être architecte autrement " n'est pas en réalité justifié; il s'agit d'être architecte comme tous les jours de notre pratique. L'architecte n'est pas unique : il n'y a pas de définition univoque de l'Architecte; son statut, son rôle, ses fonctions, ses capacités d'intervention sont multiples, et il y a de multiples manières de pratiquer ce métier. Certes l'architecte conserve son rôle historique de "bâtisseur", mais depuis plus de vingt ans, son champ d'action s'est élargi à des interventions qu'on ignorait : géographie urbaine, développement durable, sociologie urbaine, psychologie sociale, urgence. La reconnaissance du statut d'architecte dans la société sera essentiellement liée à cette multiplicité de compétences et de modes d'intervention. Les architectes de l’urgence interviennent dans tous les pays du monde. Leurs prestations sont gratuites pour les sinistrés, indépendantes à l’égard de tout pouvoir et de toute force économique, politique ou religieuse. Ils interviennent à la demande des services responsables de la sécurité des
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personnes sinistrées elles-mêmes, et de leur propre initiative quand leur conscience et leur professionnalisme en matière de sécurité l’impose.
Leurs objectifs Le but des architectes de l’urgence est d’apporter un soutien adapté à chaque étape de la situation de crise de l’évaluation des dommages à la première assistance d’urgence; de garantir le respect de la dignité humaine et conserver le patrimoine architectural, culturel et historique mondial; d’utiliser un support financier de façon professionnelle afin de mettre en place des reconstructions de qualité et des programmes de formation. Leurs interventions consistent plus particulièrement dans -
L’urgence :
Comprendre rapidement le phénomène de la catastrophe et ses conséquences sur la population
à évaluer sur le terrain les risques immédiats encourus par les populations, la nature et l’ampleur des travaux de première urgence nécessaires à assurer la sécurité des personnes (besoins des populations et des bâtiments) à définir les conditions techniques et architecturales de mise en sécurité des immeubles et des lieux publics à procurer de l’aide, des conseils et une assistance technique aux personnes sinistrées afin de leur permettre de réintégrer leur logement au plus tôt, dans de bonnes conditions de sécurité et leur permettre un rapide retour à une situation normale. Apporter un soutien à la gestion des nombreuses populations réfugiées grâce à la mise en place d’abris temporaires permettant aux personnes sinistrées de vivre dignement, la réparation des infrastructures et les moyens d’une logistique efficace.
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La prévention des risques : Analyser les facteurs pertinents environnementaux, urbains, technologiques et architecturaux tout en reconstruisant des habitations plus résistantes. A apporter des solutions novatrices en termes d’aménagement de territoire, de réglementation, d’urbanisme et de construction contribuant à la sécurité des populations.
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La reconstruction Aider à la reconstruction d’habitats pérennes et décents et à restaurer les infrastructures économiques et éducatives de base Reloger les personnes réfugiées.
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Transfert de connaissances : Utiliser les savoir-faire, et matériaux traditionnels et locaux tout en les améliorant pour qu’ils résistent en cas de nouvelle catastrophe. Ceux-ci doivent être mis en œuvre par les acteurs locaux (maçons, etc.…) afin de favoriser la création d’emploi.
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L’accueil des réfugiés dans les camps : A définir les conditions sanitaires et de sécurité des populations accueillies. Etablir des plans d’aménagement des terrains d’accueil Concevoir des camps de réfugiés également respectueux de l'environnement et du bien-être de chacun pris individuellement. A coordonner les travaux d’équipement, d’adduction, d’implantation de l’hébergement provisoire.
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La formation : Sensibiliser au concept de risque Assister les populations dans le concept d'auto-construction Créer des ateliers relais et des lieux d'échange, de partage et de formation aux nouvelles technologies pour les professionnels.
Les architectes de l’urgence en chiffres Depuis 2001, au total , les architectes de l'urgence ont organisé 28 actions dans 24 pays différents : Afghanistan, Algérie, Allemagne, Bengladesh, Canada, France, Grenade, Haïti, Indonésie, Iran, Liban, Madagascar, île Maurice, Maroc, Pakistan, Pérou, République Tchèque, Roumanie, Sri Lanka, les Iles Salomon, Tchad, Thaïlande, Timor Leste et Turquie. 1 200 architectes ont été mobilisés sur terrain; 39 626 diagnostics et expertises de constructions ont été effectués pour la mise en sécurité des personnes; 8 515 constructions ont été effectuées dont 8392 logements, 26 réhabilitations et constructions d'infrastructures scolaires et 93 outils économiques. Depuis 2001, dans les missions aux quatre coins du monde, les architectes de l'urgence se sont attachés à aider les populations démunies dans une optique de soutien adapté aux besoins des populations locales. Depuis 2001, les architectes de l'urgence ont participé à : L'évaluation des infrastructures, mise en sécurité, diagnostic : 9 198 maisons évaluées; La construction de maisons : 6 093 maisons ont été reconstruites;
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La construction d'écoles : 26 écoles, maternelles ou crèches; Abris provisoires : 120 tentes ont été distribuées et 2 230 abris en dur ont été construits; Infrastructures nécessaires à l'économie locale : 1 shopping Complex, 1 Community Center, 2 routes, 1 briqueterie, 38 Fish Wadies, 1 infrastructure portuaire, etc.; Infrastructures hydrauliques : 500 réservoirs d'eau distribués, des bassins de rétention et 2 châteaux d'eau construits; Moyens de transport : 49 bateaux construits ou réhabilités.
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1.4 Les principaux architectes de l’urgence et premières expérimentations Jean Prouvé Le premier prototype d’habitat d’urgence a été imaginé lors de l’exposition itinérante de Jean Prouvé « Petites machines d’architecture » en 1944. Jean Prouvé (1901-1984) est l'un des pionniers de la production innovante du mobilier et de l'architecture du XX° siècle. Fils d'un fondateur de l'Ecole de Nancy et filleul d'Emile Gallé, il est imprégné de la philosophie créatrice de ce groupe artistique, dont la volonté principale est d'allier l'art à l'industrie pour le mettre à la portée de tous. Il explora toutes les ressources techniques du métal et passa rapidement du travail du fer forgé à des applications constructives de la tôle pliée : menuiseries métalliques, premières pièces de mobilier, éléments d'architecture ou bâtiments démontables sont produits en petites séries dès les années trente. Considérant "qu'il n'y a pas de différence entre la construction d'un meuble et d'une maison", Jean Prouvé développe une "pensée constructive" basée sur une logique de fabrication et de fonctionnalité qui génère une esthétique épurée de tout artifice. Cet esprit d'avant-garde doublé de préoccupations humanistes conserve aujourd'hui toute son actualité : on redécouvre sans cesse les qualités novatrices de chaque épisode de l'œuvre de Jean Prouvé, des premiers équipements pour la cité universitaire de Nancy en 1932 à ceux créés pour celle d'Antony en 1954 en passant par les meubles créés pour l'Afrique, ou encore les écoles démontables de l'après-guerre jusqu'aux "petites machines d'architecture" conçues dans les années soixante. « Il faut des maisons usinées (...). Pourquoi usinées ? Parce qu’il ne s’agit plus seulement de fabriquer un ou plusieurs petits éléments d’une maison destinée à être assemblée, mais que tous les éléments correspondent à ceux d’une machine qu’on monte entièrement mécaniquement, sans qu’il soit nécessaire de fabriquer quoi que ce soit sur le chantier. » Jean Prouvé « Il faut des maisons usinées », extrait de la conférence prononcée à Nancy le 6 février 1946. Éditions Messene, Collection « Art Nouveau Architecture » Ce premier prototype d’habitat d’urgence était une maison en carton construite dans un jardin à l’occasion de cette exposition. Jean Prouvé construit le pavillon 6x6 en 1944 comme
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Un abri pour sinistrés – 1945, Jean Prouvé
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solution d’urgence dans le contexte particulier de le Reconstruction provisoire. Il sera fabriqué alors en plus de 800 exemplaires. Le pavillon, composé de modules de moins de trois mètres, destiné aux sinistrés Lorrains, devait être monté en une journée par trois ou quatre personnes. Son principe d’élaboration, basé sur la légèreté et la mobilité, est dissociable de ces impératifs de rapidité et de simplicité de montage / démontage. Il se compose d’une couverture surmontant un portique axial et central, d’un plancher sur vide sanitaire et de panneaux de façades structurants. La toiture était structurée d’un double voligeage en planches de sapin recouvert d’une étanchéité en carton bitumeux. De même en 1950, Jean Prouvé expose la question de la paroi légère à laquelle il répond par la mise en place d’un nouveau standard de panneau de façade, pour la construction de l’immeuble parisien de la Fédération nationale du Bâtiment. La recherche de Jean Prouvé est expérimentale dans ce principe de construction pour une économie de moyens. Ses expérimentations se déclineront pendant près de quarante ans dans des modes d’habiter souvent extrêmes tels que : des abris de campagne d’armée, des caravanes (Caravane dépliable étudiée avec Jeanneret), abris pour des sinistrés, maisons de vacances, habitat tropical. En 1956, pour remédier à la crise du logement et à l’absence d’équipements publics, l’abbé Pierre lance un cri d’alarme : « Au secours ! Aidez-nous immédiatement à les loger. » L’abbé Pierre invite les Français à financer la construction d’une maison dite « des jours meilleurs », montée sur le quai de la Seine e 1957. Réalisée par l’ingénieur Jean Prouvé à partir de formes modulaires et légères, préfabriquées et standardisées, la maison servira de prototype à la construction en série d’un habitat pour loger les plus pauvres. Sous le signe de la simplicité, de l’économie et de la rapidité, la maison est construite en quatre temps : une plate-forme en ciment, un bloc ménager au centre, des panneaux de façade en bois bakélisé et des cloisons, le toit. La conception du plan intégrant un bloc technique (chauffage, sanitaire) au centre du volume habitable ne recevra pas l’homologation du ministère et la commercialisation sera impossible. Ces exemples de la mobilité, de rapidité et d’urgence impliquent une recherche de légèreté structurelle.
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Shigeru Ban : vers une architecture humanitaire Plus actuellement, les œuvres de Shigeru Ban traitent majoritairement du secours aux situations d’urgence et la recherche de solutions architecturales innovantes. Elles présentent chacune l’implication de l’architecte dans des contextes humains, économiques, géographiques délicats, loin de la commande conventionnelle. Comme Prouvé il y a un demi siècle, Ban s’engage comme architecte face au défi de l’habitat d’urgence et au minimalisme spatial et technique qu’il implique. L’architecte réuni lui-même les fonds pour financer ses projets. Il contrôle le collectage des matériaux recyclables donnés par les entreprises et organise les chantiers de construction : avec l’aide des réfugiés, des étudiants en architectures, des bénévoles, ils montent rapidement les abris grâce à la simplicité des notices, modifiant parfois les détails pour mieux se les approprier. Humaniste, fonctionnelle, ingénieuse, économie de moyens (containers, tubes de carton, textiles, casiers de bouteilles de bière), de matière et recherche de nouvelles utilisations des matériaux existants donne à l’architecture de Ban une extrême légèreté, un confort immédiat avec le souci constant de répondre aux besoins essentiels d’habiter. Il redéfinit nos façons d’explorer l’environnement ou les modes d’habiter. Maison sans mur, façades escamotables, espaces flexibles, chambres à coucher mobiles..., Ban ouvre l'espace et crée des agencements modulables. Il décline des espaces en plein air, abrités ou complètement clos et tisse des relations intimes entre intérieur et extérieur, entre paysage et habitat, entre espace public et privé. Il expérimente sans de cesse de nouvelles enveloppes pour habiter, des musées, des écoles comme des abris d'urgence, solutions d'hébergement contextuelles et pragmatiques pour les victimes de catastrophes naturelles.
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The paper Log house, Shigeru Ban, 1995
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The paper log house Ses premières expériences avec le carton tubulaire datent de 1986, lorsqu’il a mis en scène une exposition temporaire consacrée au mobilier d’Aalto pour une galerie de Tokyo. Un budget serré lui interdisait de réaliser des colonnes en bois auxquelles il avait pensé pour diriger les parcours tout en évoquant les forêts de Finlande. Il les a substitué du carton. C’est sur le terrain de l’habitat d’urgence, que l’architecte Shigeru Ban s’est engagé. En juin 1995, six mois après le tremblement de terre de Kobe un grand nombre de personnes étaient toujours obligées de vivre sous des toiles de tente miteuses regroupées en camp tout proche de leurs anciennes maisons en ruines. Dès que Shigeru Ban vit les conditions dans lesquelles vivaient ces personnes il a mis au point des abris temporaires en adaptant les techniques qu’il avait préalablement utilisées : la construction de bâtiment reposant sur des structures de carton. La Paper Log house est d’une surface de 16m² par unité, taille standard pour un abri pour l’UNHCR. Cette maison temporaire faite de tubes en carton peut être facilement fabriquée à très bon marché. En effet, ces tubes conçus à l’aide de papiers recyclés ont l’avantage d’être très peu coûteux, légers et très résistants. Ils constituent donc un matériau idéal. Il est à la fois, écologique, économique, simple et rapide à mettre en œuvre, qui plus est par une main d’œuvre peu qualifiée. Des caisses de bières remplies de sacs de sable servent de fondations et assurent une étanchéité au sol. Les murs sont réalisés en tubes de carton d’un diamètre de 100 millimètres et d’une épaisseur de 4 millimètres. Du silicone waterproof est disposé entre les tubes de cartons des murs, retenus par une bande adhésive. On peut également remplir les tubes de cartons de papier journaux, offrant ainsi une excellente isolation durant les mois d’hiver. Le toit n’est qu’une bâche en plastique disposée comme une tente dont le pignon peut s’ouvrir pour la ventilation. Le cout du matériau pour cette maison de 16 m² est approximativement de 25000 yens ce qui correspond à 200 euros. Avec l’aide d’un groupe de soutien pour la communauté Vietnamienne de Kobe, vingt et une maisons furent construites par les volontaires japonais et vietnamiens. La Paper log house offre de nombreux avantages en tant qu’habitat temporaire pour les victimes de désastres. Le premier est son faible cout et le second est qu’elle peut être facilement assemblée dans un temps très court, désassemblée puis recyclée même par des personnes n’ayant aucune expérience en technique de construction.
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2. Les différentes typologies de l’habitat d’urgence Face à la fragilité accrue d’une tranche toujours plus importante de la population vis-à-vis de la question du logement (face aussi à une certaine « normalisation » des situations d’exclusion), des collectifs d’architectes et de designers se penchent aujourd’hui sur la conception d’habitats alternatifs : Des unités de vie d’urgence qui doivent pouvoir se monter et se déployer rapidement à travers l’espace de la ville pour parer aux situations les plus critiques. Plusieurs types d’habitats sont ainsi expérimentés : l’habitat gonflable et pneumatique, mobile et évolutif, préfabriqué, éphémère ou construit à partir d’éléments de récupération.
2.1 Habitat gonflable et pneumatique
L’art cinétique, apparu à la fin des années 1950, expérimente la notion de mouvement dans l’œuvre d’art. Il est principalement représenté en sculptures où des artistes comme Jesus Rafael Soto, Pol Bury, Agam, le groupe GRAV, ont recours à des éléments mobiles. La sculpture et la peinture sont les médias privilégiés du cinétisme. Mais qu’en est-il de l’architecture ? Comment la rendre mobile, mouvante, animée ? Le gonflable va présenter une réponse possible et simple à réaliser. Bien que l’architecture gonflable ne fût pas destinée à l’architecture de l’urgence, beaucoup d’architectes et designers ont essayé de l’adapter afin de répondre à ces besoins vitaux que nécessite l’habitat d’urgence. Frei Otto et Buckminster Fuller sont les pionniers de la réflexion autour des structures gonflables, dès les années 1950. Ron Herron, membre du groupe, crée « Air hab » en 1967, évocation d’un nomadisme fin de siècle, par le biais d’une voiture contenant une maison gonflable et regroupées ces habitations forment le « Moment Village ». David Greene, membre d’Archigram, crée un « appartement de coquille », dont le plancher se gonfle et fait apparaître meubles et cloisons. Les Australiens Poll & Smith esquissent des immeubles gonflables. Jean-Paul Jungmann, du groupe français Aerolande, fondé en 1966, conçoit l’habitation pneumatique « Dyodon », structure externe et interne entièrement gonflable. En 1968, Bernard Quentin crée ses « structures moléculaires ». C’est à la même époque que Quasar travaille à la création de maisons individuelles gonflables, en parallèle à une ligne complète de mobilier. Les Canadiens d’Interdesign proposent une ville gonflable à bâtir en six mois, pour 100 000 habitants, avec des édifices de 17 étages !
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Enfin Hans-Walter Müller, architecte spécialiste du gonflable, est l’auteur de nombreux projets : l’église gonflable de 200 places pour 39 kilos à Montigny-Lès-Cormeilles en 1969, l’atelier de Dubuffet en 1971, et les 35 abris pour sans-domicile qu’il distribue une nuit de février 1975. En 2002, Hans- Waller Müller réalisa, pour le Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière, des modules gonflables itinérants dont le but était d’agrandir les espaces du centre pour accueillir des ateliers pédagogiques et diffuser ses actions sur l’ensemble du territoire. Hans-Waller Müller est ingénieur et architecte de l’école polytechnique de Darmstadt en Allemagne et il est un artiste cinétique. Depuis les années 1970, il construit des gonflables qui se transforment en ateliers pour Jean Dubuffet, en décors pour Maurice Béjart, ou encore pour les opéras de Paris, Munich et Vienne, en église itinérante ou stands publicitaires. Les trois modules gonflables réalisés en 2002, sont le résultat de l’idée de créer un nouveau type d’équipement à la fois œuvre architecturale et outil pédagogique mobile destiné à être transporté, installé et pratiqué comme espace ludique de découverte et comme espace de rencontres, en rapport avec la notion de « pavillon de jardin ». La conception d’une architecture d’air légère, nomade, sa capacité d’usage à vocation principalement pédagogique, son installation aisée et ludique sur une plateforme aménagée pour être elle-même fonctionnelle et écologique, sont les bases de ce projet.
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Hans-Waller M端ller, Les trois modules gonflables, 2002 : gris, rouge, jaune
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Enfin en 1967, pour le sujet de diplôme au Conservatoire national des arts et métiers à Paris, Jean-Louis Lotiron et Pernette Perriand choisissent de travailler sur les thèmes de la mobilité, des loisirs, de l’architecture gonflable et de l’industrialisation des constructions. Perriand et Lotiron s’inspirent des pliages japonais et imaginent le plancher de la future maison mobile à partir de la « géométrie du pliage ». Il crée un prototype conversible, nomade et gonflable. Leur réflexion se finalise sur une habitation transformable, avec en son centre un noyau fixe (sanitaires, cuisine). Caractérisée par sa mobilité sur roue, la « Caravane fleur » s’accroche directement à une voiture. Les créateurs ont prévu qu’elle puisse se déplacer aussi par hélicoptère. Le montage rapide s’effectue en moins d’une demi-heure. La structure est gonflable par compresseur, lequel est relié à la batterie de la voiture qui le transporte. L’enveloppe pneumatique pliable est formée de douze coques gonflables, fabriquée avec un tissu de Nylon enduit de PVC imperméable. Une double paroi permet une grande isolation thermique.
La Caravane fleur, Jean-Louis Lotiron et Pernette Perriand
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Les recherches et les avancées techniques n'ont cessé depuis de repousser les limites de l'utilisation toujours plus grande des structures gonflables ; mais le gonflable conserve aussi ses caractéristiques d'origine, à savoir son faible encombrement, son poids, son coût, sa facilité et sa rapidité de mise en place, ses différentes possibilités d'usage (sur l'eau, sous l'eau, sur terre, dans l'air, dans l'espace), son transport réduit, le nomadisme ludique... La structure gonflable peut transformer toutes les techniques classiques de fabrication et de construction à son avantage, en augmentant celles-ci avec ses spécificités propres (l'eau, l'air, les différents gaz, gels, mousses, fluides...), suivant le type d'enveloppe d'une part et ce qu'elle contient d'autre part, et en jouant sur le dosage plus ou moins complet de sa capacité de remplissage. Dans notre siècle, une architecture gonflable, dégonflable, éphémère, représente une nouvelle façon de concevoir et de construire qui n’a rien de commun avec toutes les constructions du passé. L’architecture elle-même est ici remise en question. Une architecture translucide, une architecture transparente, une continuité de l’expérience à l’intérieur, une architecture de bandes soudées, une architecture intégrale d’ombre et de lumière. Ces gonflables transforment notre relation au bâti en transgressant non seulement la loi de la gravité, mais la loi humaine qui instaure la sédentarité, l’ordre et la propriété. L’architecture des gonflables est régressive, elle retourne aux fondamentaux de l’habitat éphémère et nomade, comme les yourtes mongoles, les igloos esquimaux, les tentes touareg… Mais elle est en même temps progressive, puisqu’elle détourne et contourne les techniques de dessins et de construction propre à l‘architecture. Ces expériences d’habitat gonflable peuvent être transposés aux abris de sans domiciles fixes ou de réfugiés. En effet, en 1998, inspirée des modèles de tentes polaires capables de résister à de très faibles températures, l’unité de vie précaire paraSITE pensée par Michael Rakowitz peut se brancher facilement à l’endroit d’un système d’évacuation de chaleur. Les villes, notamment aux Etats-Unis, regorgent de ces ouvertures qui crachent presque 24 heures sur 24, le trop plein d’air chaud produit par les blocs d’habitations et de bureaux. C’est un projet intéressant d'habitat nomade qui profite d'une énergie gaspillée, afin d'en faire le matériau principal de ce même habitat. Il prend forme en quelques secondes pour abriter son propriétaire. A noter le côté kit de l'habitat qui dégonflé n'occupe que l'espace d'un grand sac plastique pour un poids minime. Fabriqué sur un budget de 5,00 $ à partir de sacs à ordures (sacs Ziploc) semi-translucides et étanches associés par un système de "côtes". L’abri a été conçu pour se rapprocher de la terre, plus comme un sac de couchage ou une sorte de prolongement du corps. Peu coûteux et aisément transportable une fois dégonflé, ce dispositif a été fabriqué en série et distribué aux plus démunis dans les rues de Cambridge.
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ParaSITE, Michael Rakowitz, 1998
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De même, en 1998 Alex Thallemer créa la mini-tente « Cocoon ». cet homme pluridisciplinaire, ingénieur, diplômé de sciences, de communication, de commerces et de psychologie, enseigne à l’Université des sciences appliquées en nouvelles technologies à Munich. Cette tente ultra légère et gonflable fut le fruit d’une collaboration avec Gregor Schilling. Dessinée pour être utilisée dans ses activités de loisirs, elle peut servir d’abri d’urgence, de sauvetage sur des lieux de catastrophes. Ses dimensions étonnent : 200x120x 120 mm (pour le transport) et 2300x 800x 900 mm une fois gonflée, et d’un poids brut d’environ 1,3 kg. La tente peut être gonflée à l’aide d’une pompe à air standard, ou d’une cartouche de gaz. L’enveloppe extérieure est fabriquée avec une toile multicouche, gardant la chaleur du corps à l’intérieur de la tente, tandis qu’elle repousse les basses températures qui viennent de l’extérieur. Un matelas gonflé, en guise de tapis de sol, permet d’isoler la tente des basses températures du sol. « Cocoon » a été conçue extrêmement compacte pour assurer un volume de transport minimum et une mobilité maximale. Et il possède des avantages économiques et écologiques performants car sa fabrication s’effectue en un seul cycle, avec un faible volume de chutes de matériaux de base. En cas d’accroc ou de déchirure, un rouleau adhésif standard suffit pour les réparations. De simples chevilles de sécurité empêchent la tente de s’envoler en cours de montage.
Thallemer, Cocoon, 1998
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Enfin, les cocons multicolores sous pression que sont les « Urban Nomad Shelters » d’Electoland (Cameron Mc Nall (américain né en 1956) et Damon Seeley (américain né en 1976)) en 2004, semblent suivre cette idée. Aux couleurs vives et aux formes biomorphiques viennent contredire le stéréotype de vagabondage en carton-boîte. Il a été conçu comme un acte humanitaire et social et comme une provocation. L’idée est de distribuer des milliers de ces structures gonflables pour favoriser un dialogue entre l’invisibilité et la marginalisation des sans – abri. Il est une protection facilement transportable, peu coûteuse contre le froid, la pluie. Cependant, ces modules ne semblent pas aussi aboutis que ceux de Michael Rakowitz. Si quelques prototypes ont été réalisés (et certains photographiés sur une plage californienne déserte), la plupart des clichés diffusés dans la presse ne sont que des images de synthèse auxquelles nous avons du mal à croire. Pas sûr que les SDF, même américains, aient envie de faire l’objet d’une vaste opération de « rebranding » à base de couleurs fluo et de considérations « fashion ».
les « Urban Nomad Shelters », Electoland, 2004
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Après avoir étudié tous ces exemples, il me semble que l’habitat gonflable est une solution qui peut être employée dans l’immédiat de la catastrophe ; cependant elle ne tient pas compte du temps. En effet, ce type de « logement » ne me semble pas durable et ne peut être employé que temporairement hors la situation de crise après une catastrophe ou pour un sans-abri quel qu’il soit peut durer plusieurs mois voir une année ou plus. De plus, ce type d’hébergement est destiné à accueillir une seule personne mais souvent se sont des familles entières qui se trouvent sans domiciles. Enfin, ce type d’habitat d’urgence ne peut être employé partout et est en fait adaptable que dans certains cas.
2.2 L’habitat mobile
Nous associons à la plupart des bâtiments qui nous environnent des caractéristiques de stabilité et de pérennité. Pourtant, les architectes ont pensé et construit de nombreux projets d’architectures mobiles, temporaires, évolutives. A travers ces projets, c’est la vie des bâtiments mais aussi la manière dont ses usagers les habitent qui importent. Et au delà des bâtiments, on peut aussi penser la ville comme une immense architecture en constante mobilité, par la transformation de son urbanisme, les déambulations de ses habitants, etc. La dimension du temps devient primordiale dans cette gestion de l’espace à vivre. Par définition, la mobilité est le « Caractère de ce qui peut se mouvoir ou être mû, changer de place, de position », mais aussi le « Caractère de ce qui change rapidement d’aspect ou d’expression. » Tendance à l’instabilité d’habitat et aux déplacements par nécessité de se procurer des moyens de subsistance. Le nomadisme est un mode de vie et un mode de peuplement. La quête de nourriture motive les déplacements d’hommes. Le nomadisme est souvent associé à une organisation sociale de type tribal. Il est possible de mener une vie sociale, religieuse, psychologique, politique, culturelle, individuelle et collective sans se sédentariser. L’habitat mobile véhicule l’idée du bricolage, du « non fini et à finir soi-même. Comme dans les maisons actuelles, où la plupart des gens préfèrent terminer eux-mêmes les travaux de second œuvre, par économie autant que pour apporter une touche personnelle finale… personnaliser ses lieux. L’habitat est comme un meuble compactant toutes les fonctions habituelles des habitations dans
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un minimum d’espace. La position du corps est primordiale dans ces habitats. En effet, on doit pouvoir faire tous nos mouvements et poursuivre nos habitudes dans un habitat réduit pour pouvoir aller à la découverte. Tout est dépliable pour s’adapter partout et en tout lieu. Le modèle est adapté pour une ou plusieurs personnes. Toutes les parties sont détachables. L'essence du nomadisme a consisté à optimiser le transport du matériel servant à l'habitat. Qu'il soit chasseur mais surtout pasteur, l'homme comme l'animal migrateur a su se servir des saisons pour s'adapter à des cycles annuels de migrations. L'invention de la roue, et l'aide des attelages ont modifié la donne, et ont permis la réalisation de tous les rêves de voyages. Cependant l'habitat mobile viendra aussi tardivement, pour des raisons liées aux difficultés des terrains, à la technique, et en conséquence son développement sera tributaire de la maitrise de la voirie. L'habitat mobile le plus connu est sans contexte la roulotte des Romanichels ou autre Tziganes, le peuple Rom "comme on l'appelle maintenant" ayant démarré une diaspora il y a mille ans depuis le nord de l'inde et sa périphérie. Dans le but de fuir les conflits et les invasions Musulmanes en Inde à cette époque, ils cherchèrent à se vassaliser auprès de peuples associés aux Mongols. Ainsi au contact de nomades, de caravaniers, de marchands comme les kazakhs, les Turkmènes, ils développèrent un moyen de se déplacer parmi les sédentaires pour qui ils ne furent et ne sont pas toujours les bienvenus. Ivre du soleil du sud de la France, Vincent Van Gogh ira jusqu'aux Sainte Marie de la mer en Aout 1888. Il reviendra avec des dessins de barques, de cabanes Camarguaises et des roulottes d'un campement de bohémiens pour réaliser une petite série de tableaux sur ce séjour. En Europe de l'Ouest, les Irlandais ont leurs "Traveler’s" indigènes ou Pavees qui, à l'origine, sont des marchands nomades. Ils voyageaient avec des roulottes également tirées par des chevaux puissants: les "Tinker", du mot "tin", bref rétameur. On remonte la trace des Travellers bien au delà du moyen âge. La caravane apparaît comme un moyen idéal pour se mettre au vert à moindre frais. Apparues dans les années 1940, elles seront construites en série dans les années 1960 pour répondre à la demande. La caravane supportée par deux roues, tout en kit, meubles intégrés, banquettes se transformant en couchettes, habitat minimum pour jours heureux. Un habitat minimum, économique, fiable, dans lequel on peut tout faire et ne rien faire. Dans la caravane, l’extension est dehors. Mobile, indépendant et transformable. Sans lieu, intemporel, l’habitat se balade au rythme des saisons. Il suit la voiture accroché à elle. Dès la Seconde Guerre Mondiale, l’habitat provisoire démontable et surtout mobile est vu
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comme une solution d’urgence face à la pénurie de logements. En effet, en 1940, les mesures de relogement en France sont à prendre d’urgence, voire même immédiatement. Les questions du budget, d’infrastructure et d’urgence imposées au Service des constructions provisoires (crée cette année là), mènent certains architectes à se poser les questions essentielles sur la notion du provisoire et du permanent. De nombreux prototypes sont réalisés telles que des baraques en bois démontables, d’autres évoluent vers des habitats mobiles. Ce sont des « compartiments couchettes » pour une ou deux personnes, composées de plusieurs pièces assemblées qui seront ensuite juxtaposées. Quelques accessoires les adaptent au climat. Il existe des éléments spéciaux pour les servies et les pièces d’hygiène. Pendant la même période, des millions d’humains récupérèrent les trains, les tramways, les camions, les voitures, les roulottes au bord des routes pour s’improviser des logements. Incomparable auxiliaire dans la grande migration, puisqu’elle permettait de se loger, tout en se déplaçant, la roulotte fut l’un des modes d’habitation les plus répandu jusqu’en 1943. Transformable en maison, dès qu’on lui ôtait ses roues pour la monter sur cales. Depuis de nombreuses recherches ont été réalisées en termes d’habitat mobile pour résoudre le problème du logement d’urgence pour les sans-abris et les réfugiés. En effet, « the homeless Vehicule » de Krzysztof Wodiczko fit son apparition en 1983. Krystof Wodiczko est un professeur d’arts visuels au MIT (Massachusetts Institude of technology). Et est un artiste réputé pour ses grandes diapositives et des projections vidéo sur les façades d'architecture et de monuments. Proposition engagée, ce mobile-multifonction pour piétons sans-abri a brièvement été expérimenté en milieu urbain, à New York. L'idée est de fabriquer industriellement un véhicule sur le modèle des caddies de supermarché bricolés par les gens qui doivent vivre dans la rue. C’est une proposition, une stratégie de survie pour les nomades urbains, les exclus du système. Le « véhiculeabri » sert de cave (pour les bouteilles) et de grenier pour garder ses quelques affaires, de se laver, mais peut aussi être utilisé comme abri en cas de nécessité, d’urgence. Le projet rend aux sans –abris leurs statuts d’hommes, ils cessent d’être considérés comme des objets. Le véhicule s’articule autour de leur existence et leur donne un moyen d’expression. Les nomades urbains l’utilisent comme une stratégie de survie.
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« the homeless Vehicule », Krzysztof Wodiczko
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Depuis, d’autres exemplaires du véhicule ont été réalisés tels que « Homeless Utility Vehicule » de Stephen Mills en 2008. « Les sans-abri véhicule utilitaire » est conçu pour fournir des unités mobiles d'abris temporaires aux populations touchées par des catastrophes naturelles et politiques du monde entier. Le HUV offre une protection contre les intempéries tout en offrant la mobilité à un coût extrêmement faible par unité et le coût infiniment plus efficace que de construire des abris temporaires standard.
« Homeless Utility Vehicule », Stephen Mills, 2008
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Le système « Room-Room » du collectif Encore heureux et G-Studio a été créé en 2009. Largement inspiré des homeless vehicules new yorkais, Room Room est selon son concepteur un abri urbain acceptable. Room-Room est ainsi conçu pour s’inscrire temporairement dans l’espace du flux urbain, mais aussi ponctuellement sur des espaces de stationnement. Véritable coquille d’escargot, Room Room s’envisage d’abord comme une unité de repos sécurisée au sein de laquelle il est possible de vivre en complément de facilités et de services sociaux proposés dans l’espace métropolitain.
Système “Room-Room”, G-Studio & le collectif Encore Heureux, 2009
Malheureusement, ces « mobile-home » sont peut développés et ont été réalisés davantage pour les grands musées internationaux, friands de ce genre d’objet-manifeste, que pour les principaux intéressés que sont les SDF.
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2.3 L’habitat évolutif L’idée d’un habitat qui soit facilement adaptable dans la vie des humains qu’il héberge est relativement ancienne. André Leroi-Gourhan situe l’avènement de la demeure ainsi, entre fixité et la mobilité. La quête des origines de l’habitat, du point de vue anthropologique est un habitat évolutif, il est considéré comme l’habitat fondamental. Un habitat périssable, éphémère, constamment refait à neuf. L’habitat évolutif fut retrouvé au début du XIXème siècle avec l’ère de l’industrialisation puis de la préfabrication. D’après Giedon, les Américains étaient évolutifs d’emblée, leurs maisons se laissent compléter, modifier, étendre, voire restreindre. En Europe quelques expériences au début du siècle, avec l’arrivée de l’acier, du béton et les réalisations d’Auguste Perret. Plus que l’utilisation du béton d’A. Perret, c’est le traitement de flexibilité du plan qui influence les jeunes générations de son époque. Après la deuxième guerre mondiale, l’habitat évolutif sera expérimenté. Les architectes Tage et Olsson construisent un immeuble expérimental composé d’éléments statiques (salles d’eau et cuisine), les placards et les cloisons sont amovibles. Dès 1945, le Corbusier met en place les cloisons coulissantes, pour avoir plus d’espace dit-il. L’évolution de la technique, la simplification dans la fabrication une nouvelle philosophie apparaît, construire plus vite, plus simple pour le plus grand nombre et la maison doit se faire souple et évolutive. L’idée de la maison évolutive est ainsi en relation avec l’idée de temps. Que se soit la technique, les différentes méthodes de fabrication ou encore des propositions spatiales différentes, il s’agit de permettre à l’habitant de créer son logement ou sa maison. Quelques travaux d’architectes continuent d’exploiter l’idée d’une maison évolutive, qui est souvent prise comme solution d’urgence, à la suite de guerres, de séismes, de précarités ou de brusques surconcentrations urbaines non maitrisées. Les travaux de Shigeru Ban sont dans cette ligne ; il propose un habitat périssable et éphémère pour des situations d’urgence. La démarche d’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal se fonde sur une préoccupation constante vis-à-vis de la qualité d’usage et sur la certitude qu’il faut inventer de nouveaux espaces d’habitation, plus ouverts et plus spacieux. Pour réaliser ces objectifs d'espaces et de confort, et
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produire ses architectures généreuses offrant la plus grande capacité d'usage et d'appropriation, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal sont attentifs au contexte, à l'économie générale du projet et l'optimisation des systèmes constructifs L’Universal World House est un habitat "de papier" d'une superficie de 36 m2 pensé et breveté par Gerd Niemoeller, un inventeur suisse. La maisonnette peut être utilisée presque partout : légère, facile à assembler, respectueuse de l'environnement, antisismique et peu coûteuse. En effet, la maison modulaire est proposée par l’entreprise suisse "The Wall" au prix de 4 000 euros. Ce prix comprend la plomberie, une chambre aménageable - jusqu'à 8 couchages -, une véranda, une douche et un toilette. D'un poids total de 800 kg, la maison ne pèse plus que la moitié sans le bloc de base. Les différentes parois et cloisons sont composées de celluloses imprégnées de résine, de cartons recyclés et de journaux. Ainsi, selon son concepteur, avec la chaleur et la pression, le papier deviendrait extrêmement résistant et stable. L'intérieur des panneaux préfabriqués ressemble à un nid d'abeille, où l'air va remplir le vide de chaque unité. Cette technique utilisée dans certains avions et bateaux amène à obtenir des murs bien isolés. L'objectif premier est de créer "un habitat intelligent d'urgence" permettant d'offrir un logement aux personnes déplacées et aux populations urbaines pauvres. Car selon son inventeur, "le nombre de migrants et de réfugiés vivants dans des logements improvisés, va croître avec le changement climatique, et nous voulons offrir une alternative." Plus de 2000 maisons ont déjà été commandées par une société nigériane. Par ailleurs, le Zimbabwe et l'Amérique du Sud sont également intéressés par le procédé.
La maison de papier, Gerd Niemoeller
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Dans la même lignée, il a été remis le grand prix d'architecture 2010 de l'Académie des Beaux-arts à Marine Miroux, pour son module destiné aux réfugiés. Les candidats du concours ont ainsi proposé des projets d'habitations destinées à répondre aux urgences, tels que des séismes, des inondations ou des conflits armés. Le prix a été remis le 8 décembre à Marine Miroux, pour son projet Better, cheaper helping. Soit un projet généreux, tel un Lego modulaire, démontable, transportable, très bien étudié techniquement, mais aussi économiquement et humainement. Il peut se plugger partout, en ville ou à la campagne, à condition d'être alimenté en fluides. Il se contracte ou se dilate au gré du nombre de réfugiés qu'il accueille.
Better, cheaper helping, Marine Miroux, 2010
Ces deux types de logement peuvent ainsi être appropriés par les occupants et se présentent comme une solution durable à une situation de crise. Les seuls questions qui se posent sont : Qui achètera ces habitations d’urgence sachant que les réfugiés non généralement plus d’argent ? (les associations) ? Comment celles-ci seront acheminées jusqu’au lieu d’hébergement ? Et comment ce type de logement peut être installé rapidement sur les lieux sachant qu’il doit être relié aux réseaux ?
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Le prototype ME-01 est un logement préfabriqué conçu par le designer Christian Sánchez Castro afin d’héberger une petite famille dans une situation d’urgence. L’ensemble du mobilier est livré dans l’habitation et est modulaire de telle façon que la chambre peut se transformer en living, etc. Le prototype est alimenté par des panneaux solaires et des collecteurs d’eau de pluie pourvoient la petite maison d’urgence en eau ce qui la rend totalement autonome. Cependant dans cet exemple encore le coût de ces habitation reste très élevé et inabordable par les sans-abris ou par les associations qui se voient reloger des milliers de personnes.
Le prototype ME-01, Christian Sánchez Castro
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Arlette Calvo conçu quant à elle le «Small Shelter» qui est une installation temporaire pendant la crise qui aide à sauver les victimes. Composé de quatre modules unis au centre pour former un espace commun d’interaction sociale, le logement est en toile, recouverte d’un isolant thermique et réalisé par une structure en acier galvanisé. Les modules, le cas échéant, peuvent également être placés séparément, chacune offrant l’espace suffisant pour deux personnes.
Small Shelter, Arlette Calvo
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Habita9 permet de répondre à la demande d'habitat d'urgence; conçu par les entreprises SEAT et Solid Wood Life. C’est un concept de construction modulaire permettant de réaliser dans l'urgence ou dans l'esprit du développement durable des habitations sécuritaires. Habita9 est composé de cellules livrées en pièces ou kit et réalisées sur place par la main d'œuvre locale. Ces cellules de 9m² sont adossées ou empilées, et permettent de réaliser des constructions sures et pérennes. Habita9 est totalement modulable, permet aussi après l'urgence d'utilisé l'ensemble pour réaliser des habitats longues durées Ce prototype répond à l'attente d'une vraie maison, avec une facilité de transport, de construction, qui demande peu d'énergie, et est complètement démontable et permet de construire d'autres éléments par la suite ou être transformer pour répondre à d'autres besoins.
Habita9, SEAT & Solid Wood Life
Ces deux derniers exemples, mettent en avant l’idée que l’habitat d’urgence peut durer dans le temps, évoluer et être enfin l’habitat futur des relogés. L’habitat d’urgence ne serait alors plus que temporaire mais qui pourrait devenir durable. En effet, l’ensemble de la maison s’organise sur un concept d’évolutivité et de modularité de l’espace, de la façade et du volume dans son ensemble. Et cela en fonction de la personnalité, du statut social, de la taille de la famille ou du budget du propriétaire. Grâce à des structures simples, il est possible de développer des usages et une esthétique différente, en s’adaptant aux désirs et aux moyens de chacun.
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2.4 L’habitat préfabriqué Le container est un caisson métallique, conçu pour le transport de marchandises. Ses dimensions ont été normalisées au niveau international. Les containers ISO de transport maritime sont des modules idéals pour l'habitat. Ils sont par définition, modulaires, autoportants, résistants. Toute une gamme de véhicules lui permet de se positionner sur n’importe quel point de la terre, dans des délais les plus courts. En général, ces containers ISO servent de structure au bâtiment, à laquelle on rajoutera les revêtements, isolation, menuiseries, ...etc. C'est économique, rapide, durable et écologique. Habiter dans un container (ou plusieurs) peut, dans certains cas, s'avérer une bien économique manière d'être propriétaire surtout si l'on contourne les inconvénients esthétiques ou techniques de ces boîtes métalliques recyclées. L'habitat mobile et modulable n'est pas une nouveauté. Le discours sur le nomadisme non plus. Ces deux notions furent même fort présentes au cours des années 20 en France. A cette époque, le constructeur automobile Gabriel Voisin publiait des "réclames" proposant des maisons transportables, livrées par camions, prêtes à être habitées trois jours après la commande. Mais en Europe ce type de maison n'a jamais connu un grand succès, contrairement aux Etats-Unis où certains villages étaient, et sont encore, uniquement constitués de mobile homes, plus ou moins sédentarisés. Et ainsi, de nombreux architectes ont employés la technique du « ready- made » afin de répondre aux demandes en logements des populations. Et donc, de nombreux essais ont été réalisés pour acclimater le caisson à l'homme. Ainsi en 1953, Yona Friedman étudie, à Haïfa en Israël, les possibilités de détournement des objets et des produits industriels. A partir de pipelines abîmés, destinés à irriguer des zones arides, il étudie leur conversion en habitat circulaire, sans fondation, et avec l’avantage incomparable d’être superposables. En 1958, Yona Friedman et Jean-Pierre Pecquet s’associent pour concevoir, à la demande d’une société française, des habitats temporaires destinés au Sahara. Les prototypes sont construits sur la base de tuyaux en tôle ondulée, destinés aux silos à grains, puis isolés pour répondre aux contraintes du climat saharien, et livrés entièrement meublés. Le prix de la production se révèle très bas. C’est au Japon qu'apparaîtront les premières réalisations d'habitat modulable, sous l'impulsion des Métabolistes. Un groupe d'architectes qui prônait une vision évolutive des immeubles autour d'une structure fixe (avec toutes les servitudes techniques : eau, électricité, communication...) à laquelle venaient se coller des "capsules" d'habitat pouvant être changées au gré des besoins. La première mise en œuvre de cette vision fut l'installation du pavillon Kara dans le cadre de
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l'Exposition universelle d'Osaka (1969-70), suivie en 1972 de la construction à Tokyo, dans le quartier de Gina, de la tour-capsule Nakagin conçue par Kisho Kurokawa. Haute de 13 étages, et équipée de 144 capsules, cette tour fut construite en moins d'un mois au rythme de cinq à huit capsules fixes chaque jour. En 1994, Wes Jones inventa la maison-container à San Francisco. Durant ses études, dans les années 80, Wes Jones explora les voies d’une « architecture –machine » (tentative d’articulation entre le corps et son univers technologique). Et ainsi par la suite il développa le concept de la « maison-container ». Il reprend ainsi des modules véhiculaires et notamment les containers qui se présentent à la fois comme unité programmatique, architecturale et structurelle. Faire un logement revient à aménager ou à assembler plusieurs containers entre eux. Ceux-ci sont ainsi la base d’une architecture à moindre coût. Cette architecture est sans localité, sans inscription, légère et transportable.
la maison-container, San Francisco, West Jones
Après avoir été le support de nombreux projets architecturaux, les containers font aujourd'hui un retour en force dans les réflexions sur la ville et l'habitat.
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Pour faire face à la pénurie de logements, les dirigeants d’universités ou des promoteurs ont cherché de nouveaux concepts de résidences étudiantes. Ainsi, le constructeur hollandais Tempohousing qui a développé ce concept d’habitat container et lancé des programmes de construction de cités container. La plus connue est celle d’Amsterdam réalisée en 2002.Des containers sont empilés sur cinq étages et forment des petits immeubles. Pour l’isolation du bruit, une couche d’air sépare chaque étage. Chaque caisson, d’une dimension de 2,50 sur 12 mètres, est entièrement isolé avec un système de ventilation et dispose d’une baie double vitrage donnant sur un petit balcon. Cette boîte métallique est en réalité un studio avec une salle de bain et toilettes, un coin cuisine.
Résidence Etudiante, Amsterdam, 2002
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De même, le cabinet américain Jones Partners Architecture, a conçu ainsi son système de "Pro/Con package Home" fondé sur des containers sponsorisés pouvant être commandés selon les besoins des ménages.
De son côté, l'agence américaine LOT/EK Architecture revisitait le mythe du container tout équipé pouvant se brancher sur des structures fixes avec son « Mobile Dwelling Unitle ».
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En France, c'est l'artiste plasticien Alain Bublex qui s'est emparé des concepts d'"Instant City" et de "Plug-in City" pour porter un nouveau regard sur la ville et ses changements. Une réflexion née, entre autres, de l'observation des chantiers à travers desquels il entrevoit, avec leurs assemblages de bungalows, une application réelle, bien que timide, du projet de ville modulaire imaginée par Archigram il y a quarante ans.
Plug-in-city, Corée , 2004
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Les containers sont à l’étude pour répondre à une situation d’urgence. En cas de catastrophe naturelle, ils pourraient devenir des logements de secours. Même s’ils ne sont pas l’idéal sur le plan thermique, la mise en place d'un toit végétal sur le conteneur permet un plus grand confort thermique. Les conteneurs sont bien entendu très résistants aux séismes. Un agencement intelligent permettrait de créer des espaces abrités ainsi que de l’ombre, ce qui peut être intéressant dans les pays chauds. De plus, chaque container pourrait être envoyé avec à son bord un kit constitué de produits de première nécessité (matelas, couvertures, kit santé, kits hygiène, bidons remplis d’eau douce,…). Ils pourraient être une solution au ravitaillement et au relogement rapide bien que temporaire. Très peu de prototypes d’habitats d’urgence n’ont vu le jour aujourd’hui malgré les nombreux avantages qu’offre le module du container qui existe dans le monde entier. Cependant, le projet SEED de l'Université de Clemson a vu le jour afin de construire des maisons à base de containers qui sont très nombreux dans cette région après le séisme en Haïti.
Projet SEED de l’Université de Clemson, Haïti
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De même, quelques écoles en containers ont été construites en Haïti et en Jamaïque. Un prototype d’habitat d’urgence a été crée en Australie.
Construction d'école en containers, Jamaïque
Prototype d'habitat d'urgence, Australie
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Enfin, l’entreprise japonaise Daiwa Lease propose l’EDV-01, un container habitable très facilement déployable et offrant des services utiles et suffisants aux victimes de catastrophes. Tout son programme est dans le nom car EDV signifie Emergency (Urgence) Disaster (Désastre) Vehicle (Véhicule). De la taille d’un container classique, l’EDV-01 est transportable en hélicoptère, train, bateau ou par transport terrestre. Une fois mis en place, la structure se déploie sur deux niveaux offrant ainsi une surface habitable suffisante pour deux personnes. L’EDV-01 est autonome en énergie grâce à des panneaux photovoltaïques couplés à des piles à hydrogène. Un système capable de récupérer l’eau présente dans l’air permet de fournir vingt litres d’eau par jour qui iront se stocker dans un réservoir de 800 litres. Côté équipement, rien ne manque : cuisine, douche, WC et même connexion satellite pour les communications.
EDV-01, Daïwa Lease
Prônant l’idée du réemploie et du recyclage, l’habitat d’urgence fait à partir de container semble être une idée à développer.
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2.5 L’habitat éphémère
Par définition, quelque chose d’éphémère est quelque chose qui dure peu de temps, de très courte durée, momentané. Ainsi, l’habitat d’urgence éphémère serait un abri provisoire pour très peu de temps voir un jour. En effet, aujourd’hui, le mode de vie nomade est parfois choisi par idéal, par attrait du voyage, mais aussi subit. Nombre de personnes dans le monde sont obligées de quitter leur lieu d’habitat, leur village, leur pays ou continent pour cause de guerre, de famine, de persécution politique, de difficultés économiques, de catastrophe environnementale, etc.…Ces réfugiés connaissant la pauvreté sont souvent ballottés contre leur gré de ville en pays sans retrouver de terre d’attache. L’habitat des ces populations est d’une extrême précarité et c’est un des défis du XXIème siècle que de loger décemment tout le monde. De nombreux architectes ont déjà réfléchi sur l’habitat d’urgence et notamment sur l’idée d’habitat d’éphémère mais cette idée est relativement récente et peu développée du fait qu’elle ne dure pas dans le temps. Cet habitat serait ainsi, un abri adapté aux milieux naturels, respectueux de l’environnement, montable et démontable simplement, recyclable, peu coûteux, ne modifiant pas durablement le lieu dans lequel il se trouve et protégeant le réfugié pour un temps très court.
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Ainsi, Marie Kervella, en collaboration avec Baptiste Duport-perron, architecte, réalisa en 2009 un projet d’habitat d’urgence éphémère. Le but de celui-ci était de concevoir une structure d’habitation minimaliste, facilement montable et démontable. Elle est entièrement faîte de tasseaux (de quatre sections régulières différentes) et assemblés par le biais de collier de serrage réversible. Elle se compose de deux parois principales, d’un lit, et d’une table centrale. Tous les éléments étant mobiles, afin de s’adapter à nos rythmes quotidiens. Ce projet est ainsi un « habitat-mobilier » que le sans-abri peut installer pour se reposer et reprendre lorsqu’il s’en va.
Habitat éphémère, Marie Kervella
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De même, conçue par Gérard Moline et produite par Droog Design, la Nest House est un abri suspendu dans les arbres. Un projet qui s’inscrit de manière légère et éphémère dans son contexte. A la fois habitat de fortune, ermitage, point d’observation pour ornithologue amateur et cabane, la Nest House propose un point de vue inhabituel et privilégié sur la nature, plongeant l’utilisateur au cœur de la faune et la flore environnantes. Comme un oiseau, l’habitant de la Nest House établit son logis dans les arbres, en hauteur, exploitant un espace jusqu’alors inexploré. La Nest House se compose d’une structure métallique ajourée et légère suspendue par quelques cordages. Dans les interstices de ces cordes tendues, l’utilisateur vient glisser branchages et feuillages. Il recycle ainsi les matériaux à sa disposition pour compléter une structure existante et confectionner les parois de l’abri et son couchage. A la manière des oiseaux qui construisent leur nid.
la Nest House, Gérard Moline et Droog Design
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Je trouve que cette idée d’éphémère pour l’architecture de l’urgence est une idée intéressante car ces prototypes réduisent l’espace au sol, nécessitent peu de moyens, ils sont facilement constructible, et utilisent des matériaux renouvelables. Cependant, je pense que cette idée ne doit pas être le moteur de tout le programme mais en concerné qu’une partie (le mobilier par exemple). En effet, ces deux exemples ne sont pas réellement des « habitats » car ils ne tiennent pas compte du nombre de membres dans la famille, ni du confort, ni de la sécurité. De plus, l’urgence durant un certain temps, et les sans-abris ne sont pas forcément des gens qui se déplacent tous les jours, ces deux types de logements ne sont pas adaptés pour les accueillir plus d’un jour. Un projet me semble cependant plus abouti. C’est celui de L-AST, association constituée de jeunes architectes, paysagistes et urbanistes marseillais, qui proposent une expérience urbaine participative à travers la réalisation de logements éphémères en ville. L-AST propose ici l’installation en ville de plusieurs groupes d’habitat minimal destinés à accueillir les visiteurs en 2013. Ce seront de petits modules à habiter révélateurs d’une autre façon de vivre la ville. Traversés, habités, vécus et expérimentés par les visiteurs ces petits édifices seront conçus par les étudiants de l’ENSA-Marseille, offrant une expérience architecturale et urbaine. Une fois démontés, les réactions suscitées pendant et après l’expérience seront minutieusement récoltées afin de faire naître une discussion publique sur la ville.
Vue du projet d’habitat éphémère à Marseille, L-AST
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2.6 L’habitat construit à partir d’éléments de récupération
Depuis toujours les sans- abris se sont construits des logements de fortune avec des matériaux récupérés donc cette idée de créer un habitat d’urgence à partir d’éléments de récupération n’est pas nouvelle. Ils tentent de s’aménager un abri qui peut être durable sur un terrain, avec des matelas, et protection contre la pluie, un hameau de cahutes branlantes, des coins cartonnés, c’est plus qu’un bivouac mais moins qu’un foyer. De plus, cette idée véhicule une idée d’écologie, de renouvelable. Le logement n’est pas obligé d’être déplacé mais peut être reconstruit ailleurs en laissant le lieu tel qu’il était avant. Et depuis quelques années, le recyclage est devenu un sujet très prisé dans tous les domaines. Dans le domaine de la construction « nouvelle » de nombreuses choses ont été mis es en place et en particulier pour les habitats d’urgence. Cependant, construire avec des matériaux de récupération dépend de l’endroit où l’on se trouve car il est indispensable de réutiliser les objets que l’on trouve sur place plutôt que d’en faire parvenir. Shigeru Ban avec ces «paper log houses» est un de ceux qui emploient cette technique. Comme nous l’avons vu précédemment, l’objectif primordial de Shigeru Ban est bien de construire avec ce qu’il trouve sur place tout en ayant un souci de durabilité dans le temps.
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Alors que d’autres recyclent les containers, l’agence d’architecture argentine A77 réutilise de vieilles caisses de bois pour donner forme à des prototypes de logements modulables, légers et éphémères. C’est une démarche Low-Tech, durable et originale qui flirte avec l’art et le design. Membres du studio d’architecture A77, les argentins Gustavo Dieguez et Lucas Gilardi sont à l’origine d’un projet intitulé « Plug and Live System », poursuivant ainsi leur démarche environnementale sous l’angle du recyclage. Ce projet débute en 2005, lorsqu’ils découvrent, jetées aux ordures, un lot de caisses en bois ayant servi au transport de pièces automobiles. A cet instant, Gustavo Dieguez et Lucas Gilardi entament leur réflexion. A partir de ces caisses, ils conçoivent une série de onze modules aux fonctions dédiées permettant de construire des logements éphémères et d’expérimenter d’autres manières d’habiter. Mais plus qu’un simple projet de recyclage, le duo d’architectes nous propose une réelle réflexion sur l’habitat, modeste, éphémère et transitoire, suggérant de nouvelles manières d’habiter.
Plug and Live System, agence A77, Gustavo Dieguez et Lucas Gilardi
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Suzan Wines et Azin Valy aux Etats –Unis et Jean-Pierre Le Bail en France utilisent des palettes comme base de leurs constructions respectives. Les murs sont faits de planches de palettes de manutention. L’isolation est faite avec de l’ouate de cellulose, un produit 100 % écologique. Le toit est à deux pentes ou à une pente, semi-ouvert ou fermé. Cette technique de construction a de nombreux avantages, en effet, ces maisons sont faciles à fabriquer, capables d’abriter une petite famille. Toute l’ossature, les éléments de liaisons, le bardage vertical et horizontal est uniquement à base de palettes de récupérations.
Abri de palettes, Jean-Pierre Le Bail
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Nader Khalili, architecte d’origine iranienne, a lui instauré, en 1996, un système d’écodômes. L'Eco-Dôme est une petite maison d'environ 40 mètres carrés d'espace intérieur. Il se compose d'une grande coupole centrale, entouré par quatre niches plus petites, dans un motif de feuilles de trèfle. Ces éco-dômes sont des abris construits à partir de la terre disponible sur place, creusée manuellement ainsi qu’avec des sacs de sable et de barbelés obtenus localement. Ainsi, ces abris ne coûtent presque rien. Ils forment une sorte d’igloo constitué de sacs de terre entassés les uns sur les autres. Le temps de réalisation de ces éco-dômes est de quatre semaines en moyenne de mise en œuvre pour une équipe de trois à cinq personnes sans qualification particulière. Chaque éco-dôme est alimenté en énergie propre et bénéficie d'une climatisation naturelle, grâce à des ouvertures judicieusement placées. Ces constructions ont des avantages, ce sont des techniques de construction résistantes, rapides, durables. Elles permettent une réduction de l’utilisation de bois, ciment, briques, et d’acier. De plus, l’épaisseur des parois de terre assure une meilleure isolation. Enfin, en matière de sécurité, ils résistent au feu, aux inondations, tremblements de terre et aux ouragans.
Eco-Dôme, Nader Khalili, 1996
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En Thaïlande, l’organisation humanitaire TYIN Tegnestue a construit six maisons de bambou à proximité de la frontière birmane pour venir en aide aux orphelins Thaïlandais. Dans le village de Noh Bo, cette organisation humanitaire spécialisée dans les actions architecturales a ainsi réalisé six huttes durables en bambous tressés provenant de la région. Elles ont une forme simple et élégante s’inspirant des formes vernaculaires et des savoir-faire locaux. Elles sont appelées « huttes papillons en raison de la forme ailée de leur toiture. Celle-ci permet d’ailleurs de favoriser la ventilation naturelle tout en abritant des eaux de pluie et en facilitant leur collecte. Pour éviter le pourrissement dû à l’humidité, chaque cabane est enfin posée au dessus du sol, sur des fondations coulées dans des pneus de récupération.
Maison en bambou, TYIN Tegnestue, Noh Bo, Thaïlande
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Pour finir sur les techniques utilisées pour construire les habitats d’urgence en prenant en compte le recyclage, le collectif «Studio 21bis» a posé dans Paris des cabanes en carton, fabriquées à partir de matériaux de récupération. Un SDF s’en est approprié une dès le premier soir en l’aménageant et en lui donnant son propre cachet. Ce dernier exemple montre bien qu’avec rien, on peut faire de grandes choses. Romain Demongeot et Laurent Lacotte trouvent écho à leurs réflexions environnementales, culturelles et existentielles dans le carton, leur matériau de prédilection. À partir de celui-ci, ils font apparaître, dans l’espace urbain, des dispositifs éphémères et insolites, questionnant notre rapport à l’habitat, aux sphères publiques et privées. Leurs cabanes en carton, par exemple, à la fois fragiles et porteuses d’une critique acide sur les thèmes du logement et de l’exclusion, ont surgi dans les villes européennes et participent à la définition d’une « architecture de l’urgence ».
Prototypes d’habitat d’urgence en carton, Studio 21bis, Romain Demongeot et Laurent Lacotte
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Conclusion Comme nous l’avons étudié précédemment, nombreux sont les architectes qui se sont intéressés à l’habitat d’urgence. Qu’il soit gonflable, mobile, évolutif, préfabriqué, éphémère, ou construit à partir d’éléments de récupération, chaque solution présente chacune de nombreux avantages et montrent le potentiel réel sur ce thème. Cependant, comme nous l’avons remarqué certaines solutions sont plus des « coups de pub » ou ne sont pas envisageables à long termes. L’habitat d’urgence, se voudra en fait mélanger plusieurs thèmes : mobile, évolutif, préfabriqué ou construit à partir d’éléments de récupération. L’habitat d’urgence devient alors un habitat écologique et durable, accessible à tous. Parce que l’habitat temporaire est une réponse rapide et innovante à l’état d’urgence sur le logement, ne pourrions nous pas élargir l’idée à tous les logements car cette réflexion sur le logement ne pourrait-elle pas être un outil d’avenir ? En effet, le recours à l’habitat temporaire permet de loger vite, de façon transitoire et modulable (logement montable et démontable facilement) partout y compris sur des terrains légalement inconstructibles. Les habitats d’urgence sont bien souvent des micros architectures, une architecture minimale qui, avec le minimum de chose et d’espace, offre le maximum aux habitants. Ce sont des micros architectures destinées à répondre à une demande d’habitat de courte durée. L’époque vit une mutation d’échelle maximum – échanges et interactions géopolitiques, économiques, technologiques et culturel mondialisé- qu’il est nécessaire de considérer l’échelle minimum. La plus petite échelle est, par essence, aussi discrète que son opposé est spectaculaire. Ce qui explique certainement sa relégation aux franges de l’architecture. Trop sauvage et pas assez noble (cabane de jardin, hutte de chasseur), trop fonctionnelle et pas assez architectonique (caravanes, mobile-home), les éléments de la petite échelle sont renvoyés hors du champ de la discipline, les qualifiants de design ou même de bricolages amateurs. L'objectif serait de prouver que la petite échelle peut se décliner en architecture à travers de multiples projets et objets rivalisant d'inventivité et de poésie, qui représentent une alternative radicale face à la standardisation du quotidien. Démontable, transportable, éco-responsable... en 2011, la micro architecture n’a rien d’un gadget. La cabane ou la micro-maison est incontestablement dans l'esprit du temps, elle s'intègre à
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merveille dans cet engouement vers un retour à la nature, un besoin de se ressourcer, de se renaturer. La cabane est davantage une aventure mentale, un lieu psychique qu'une construction architecturale. Elle est le reflet des rêves d'un individu. Elle est par conséquent personnelle, originale, unique. Alors que la maison est une inscription dans le temps et dans l'espace, la cabane relève d'un état transitoire, d'un équilibre instable et précaire, son destin est lié au caractère éphémère du temps. Elle est aussi passage obligé vers un univers onirique, retraite indispensable pour y déposer ses secrets les plus intimes, isolement et immersion dans la nature car elle nous permet de replonger dans un état archaïque de bonheur et de bien-être. Dans cette perspective, les micros architectures pourraient être une manière de répondre à la propension qu’a le monde industriel à s’adresser à des micros segments de la population. Cependant si l’acte architectural doit s’accompagner de stricts cahiers des charges d’ordres juridiques, techniques, financiers et sécuritaires, en revanche l’acte lié aux micros architectures peut être un véritable territoire d’expériences, de recherches et de créations, quitte à ce que cela prenne des allures de manifeste. De toute façon, la micro architecture qu’elle prenne la forme d’un meuble ou d’une cellule préfabriquée montre bien son rôle de seconde peau permettant de mener une activité autre. Son occupant s’extrait du monde et développe ainsi son propre univers. Le concept de micro architecture est source de plaisir et d’aboutissement de tous les fantasmes. Et les projets générés sont souvent personnels et généreux. Malgré tout, ils portent souvent en eux la volonté de montrer une haute technologie. Mais les artistes comme l’américain Alla Vexler, adepte d’un certain « Low-Tech » et dont l’œuvre se situe aux confins de la sculpture, de l’architecture et du mobilier, ne s’y trompe pas, dénonçant cette accumulation des fonctions comme étant une vision machiniste envahissante où la technique prendrait le pas sur tout le reste. Prenant ainsi les airs de navettes spatiales futuristes n’ayant plus rien à voir avec l’idée enfantine de cabane. Les micros architectures résident également dans le mouvement, celui de la maison en ellemême, et celui de ses habitants. En poussant cette notion de mobilité à l’extrême, les mobiles-homes, les conteneurs ou les caravanes semblent s’en être échappés. En tout cas, les micros architectures suggèrent de nouveaux usages, de nouvelles façons d’appréhender leurs fonctions. Ces structures originales constituent l’une des forces de proposition les plus intéressantes pour une réflexion sur les modes de vie à venir. Ces micros architectures pourraient ainsi prendre la place des pavillons actuels et être accessibles à un plus grand nombre tout en occupant le moins d’espace possible. Le logement à tous, et rapidement peut être l’avenir…
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Bibliographie Livres : -
Archigram. Ouvrage publié à l’occasion de l’exposition « archigram », sous la direction d'Alain Guiheux. éd du Centre Georges Pompidou 1994. Architecture / Industrie, Jean Prouvé, Klient entreprise Idée Mobile Architektur, Ludwig, Matthias, Ed. Deutsche Verlags-Anstatt, 1998 More Mobile Portable Architecture for today, ed. Princeton Architectural Press 2008 Design Like You Give a Damn, Architectural Responses to Humanitarian Crises, Ed. By Architecture for Humanity, 2006 House in Motion, Kronenburg Robert, The genesis, history and development of the portable buildings, Ed. Wiley- Academy Maisons mobiles, Collection Anarchitecture, Véronique Willemin, Ed. Alternatives, 2004 Autour de l'urgence, modules d'habitation, Publications de l'Université de Saint-Etienne Shigeru ban, E. Ambasz, S. Ban, Ed. Laurence King, 2001 Mini Maousse, carnet du concours de microarchitecture, 2005-2006, Ed Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris 2006 Portable Architecture and Unpredictable surroundings, Pilar Echavarria M., Structure
Revues: -
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