Mémoire de Sylvain Primout

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LE MUSEE, SURFACE SENSIBLE : LE PARCOURS, REVELATEUR DE L’ESPACE

SYLVAIN PRIMOUT ALAIN DERVIEUX



LE MUSEE, SURFACE SENSIBLE : LE PARCOURS, REVELATEUR DE L’ESPACE

Sylvain Primout Alain Dervieux


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SOMMAIRE

Introduction.................................................................................................7 Première partie : L’homme, le mouvement : le Musée................11 Entre l’individu et l’entourage............................................13 Le corps et l’espace................................................................21 L’espace de la danse..............................................................29 Chorégraphie de l’exposition.............................................35 Interlude : Espace synthétique et monde utopique.................40 Deuxième partie : Parcours et filature...........................................42 Les études de parcours........................................................45 La MEP........................................................................................53 Le parcours................................................................................67 Filature.........................................................................................77 Conclusion...............................................................................................111 Annexes....................................................................................................115 Bibliographie..........................................................................................168

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Illustration par Anne Teresa De Keersmaeker. Plan de chorÊgraphie pour la pièce Rosas.

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INTRODUCTION

Pourquoi s’intéresser au mouvement dans les musées et quelle place tient l’homme dans un parcours muséal ? Entre spectateur et acteur de sa propre visite, que sait-on vraiment sur le rapport de l’homme au musée ? Dans ce mémoire nous allons étudier le rapport qu’entretient l’homme avec le monde qui l’entoure - et plus particulièrement l’espace muséal – à travers les différentes manières que l’on a de qualifier la relation d’un corps avec l’espace dans lequel il évolue. Nous commencerons à parler, à travers les mots de Merleau-Ponty, de phénoménologie et de perception de l’espace par l’homme ; ceci nous emmènera à faire un détour sur l’étude de la danse et les similitudes qu’il peut y avoir entre le chorégraphe et l’architecte-scénographe. Un intérêt commun des deux professions étant le déplacement du corps humain dans un espace donné, le déplacement apportant de la matière à un espace vide d’un coté et l’espace influençant le déplacement de l’homme de l’autre.

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Une approche croisée qui nous rapprochera de notre sujet : Le parcours muséal. D’un point de vue purement technique d’abord, nous verrons comment l’espace doit être modelé afin d’installer l’évolution dans le parcours tout en laissant le visiteur libre de ses choix, en tentant de comprendre ce qui anime le visiteur de musée et comment la perception psychologique du lieu influe sur la visite. Puis dans une dernière partie, nous reviendrons sur les études importantes faites sur les visiteurs de musée au cours du siècle passé, études qui nous porteront, nousmêmes, à effectuer une observation in-situ et terminer ainsi sur l’analyse du parcours et du comportement dans la Maison Européenne de la photographie. Afin d’ouvrir le sujet, il nous semble nécessaire de revenir avant toute chose sur la raison qui nous a mené dans cette recherche et le résultat final recherché - si il en est un - de ce mémoire. Je parlerais de cette expérience à la première personne car cela reste encore aujourd’hui un avis qui m’est très personnel. Lors d’une étude au pavillon des Arts Décoratifs, j’ai fait une découverte assez troublante qui selon moi méritait d’y prêter une attention toute particulière. Il y avait là, au cinquième étage du pavillon, trois salles : l’une dédiée à l’exposition temporaire sur Maarten Baas, fameux designer néerlandais ; les deux autres recevant la collection permanente de design français contemporain. On entrait alors par le milieu du petit coté de la grande salle, pratiquement sous un escalier, avec en face de nous de grandes ouvertures donnant sur le jardin des Tuileries, la

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INTRODUCTION


rue de Rivoli et plus loin, l’arc de Triomphe et la Défense. Une vue magnifique ; seulement, entre elle est moi il y avait un ensemble d’objets de design, entouré d’une barrière, ne nous laissant le choix que de le contourner par la gauche ou par la droite. Sur la gauche, une salle plongée dans le noir : l’exposition sur Maarten Baas. Sur la droite, une salle rectangulaire avec deux entrées sur le même grand coté. Une salle à la scénographie très étrange (croquis plan). Il y avait dans le mur en face de l’entrée une fenêtre donnant, plus bas, sur la statue de Jeanne d’Arc. Entre les deux portes il y avait un vide anormal pour une salle de cette taille. Pourquoi donc laisser un tel vide dans une salle déjà limitée par la taille et dont les œuvres s’entassaient, selon moi, de façon totalement inéquitable sur l’ensemble de la surface de la pièce. Me mettant en quête d’une réponse à mon interrogation, j’ai commencé à suivre les gens dès leur arrivée au cinquième étage et me suis mis à tracer le parcours des visiteurs, à représenter le marquage au sol que me racontait leur déplacement. Je me suis rendu compte de deux choses. La première était que la totalité des visiteurs n’était clairement pas là pour voir du design français contemporain. Ils ne s’étaient certainement pas égarés au cinquième étage tous seuls et la seule et unique raison pour laquelle ils étaient là était : Maarten Baas. La deuxième révélation était que les gens qui se donnaient la peine d’entrer dans cette salle - qui n’était pas un passage obligatoire – avaient tous le même parcours. Qu’ils rentrent par une porte ou l’autre, ils se dirigeaient directement vers

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la fenêtre pour regarder dehors, jetant un bref coup d’œil panoramique sur la pièce. Je tenais là la réponse à ma question. Les œuvres avaient été installées tout au long du parcours de la première porte à la fenêtre, la statue de Jeanne d’Arc en contrebas, puis de la fenêtre à la deuxième porte. Elles se trouvaient le long du parcours inévitable. Là où le visiteur, dans un élan de bonté, daignera poser son regard. Cette mise en scène résonnait tel un aveu de l’échec de l’exposition face à un appel de l’extérieur et un public inattentif. Le scénographe a perdu la foi. Il ne parle plus au visiteur. Devant la tristesse d’une telle révélation, on ne peut que se demander : comment ne pas en arriver là ?

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L’HOMME, LE MOUVEMENT : LE MUSEE

PREMIERE PARTIE

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Entre l’individu et l’entourage

L’ARCHITECTURE EST EMOTION «Certaines architectures sont muettes, d’autres parlent, d’autres, plus rares, chantent»1 Ces architectures qui chantent sont à la fois organes sensoriels et organes de communication, expressives parce

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Paul Valery, Eupalinos ou l’Architecte, 1923.

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Henri Ciriani, Ciriani, paroles d’architecte, Edition Les carnets forces vives, 1997.

qu’elles permettent et développent en l’être humain la perception et parce qu’elles suscitent des émotions. Faire chanter l’architecture n’est pas une mince affaire. Pour réussir ce tour de force, il est indispensable pour l’architecte de croire en un idéal. Un idéal humaniste, si possible, qui raconte une histoire, qui transmet cette émotion. La raison de faire de l’architecture nous dit Henri Ciriani : «L’architecture est émotion. L’émotion, c’est la raison du temple, sans l’émotion au bout du chemin, il n’y a pas de raison de faire de l’architecture. L’émotion architecturale, c’est une dilatation mentale, intellectuelle.»2 C’est afin de comprendre cette émotion et de la recréer que l’architecte doit s’intéresser à l’homme. L’homme dans toute Illustration : Loïe Fuller, Danse serpentine.

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sa complexité et dans toutes les nuances de son rapport à l’espace qui l’entoure. Sa perception et son comportement. Or, nous verrons que la structure du comportement se situe à la frontière du physiologique et du psychique3, ce 3

Maurice MerleauPonty, Structure du comportement,1942, p.3

qui signifie que le comportement ne peut être réduit ni à l’un ni à l’autre. Il réside entre l’individu et l’entourage. Avant de recentrer notre propos sur le musée, nous allons donc tenter de comprendre cette relation intime qui lie l’homme à l’espace.

LE MUSEE, INDISSOCIABLE DE L’IDEE DE MOUVEMENT Les musées sont utilisés par le public. Le Musée n’est pas simplement un espace dédié à la contemplation d’objets. Il fonctionne comme une expérience très personnelle de soimême dans un espace créé par l’être humain, proche d’un service social idiosyncratique qui pourvoit une expérience particulière. Le concept de muséologie qui s’est construit tout au long du XXème siècle, porté par les idées de nouvelle muséologie, nous conduit vers une compréhension de la muséologie qui prend l’être humain pour sujet et avec ceci, prend en considération toute la complexité de la réalité. La muséologie se qualifie elle-même comme étant une métadiscipline. Elle questionne, étudie et réfléchit l’institution muséale. Elle étudie les fonctions philosophiques, sociales

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et culturelles du musée, tout comme les attentes, les besoins et les pratiques des publics. C’est une discipline qui étudie sur elle-même et évolue en permanence. Toutes ces recherches sur l’être humain présentées de nos jours - que l’on appelle « sciences » mais qui sont encore loin d’avoir acquis une connaissance profonde sur leurs sujets - ont pour unique but d’acquérir une compréhension plus précise de l’être humain, la manière dont il vit, parle, produit et expérimente le monde. Pour cette raison, tout ce qui découle de ces sciences se doit de rester dans son contexte et son cadre d’étude précis pour obtenir le droit de ne pas être qu’une pure présentation.

LES SCIENCES DE L’IMPRECIS Traiter de muséologie est la même chose que de se plonger dans les méandres des sciences contemporaines. Etant un champ de connaissance encore aujourd’hui en construction, il n’y a pas de manière véritable de marquer ses limites. Nous préciserons qu’ici, nous nous référerons, comme nous le rappelle Tereza Scheiner4, à une épistémologie de

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Tereza Scheiner, Musée et muséologie - Définitions en cours, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 177-195

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Abraham Moles, Les sciences de l’imprécis, 1990.

l’imprécis, caractérisée par Abraham Moles5, fondée d’après les concepts flous, fluides et imprécis, mais qui cependant reste parfaitement opérationnelle au niveau de la pensée et de la création. Ces concepts ont une définition demeurant

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très vague et il ne sera pas forcément nécessaire de la préciser de peur qu’une définition trop stricte les prive de leur valeur heuristique. Les sciences de l’imprécis essayent de savoir comment l’être pense immédiatement, sans l’appui de l’oppressante force de la raison, et évidemment, elles payent cher le prix de cette liberté car elles gardent avec elle un risque d’erreur permanent. Mais, autrement, comment serait-il possible d’être absolument précis lorsque nous parlons de traiter avec l’être humain et toute sa complexité ? Si 6

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René Descartes, Les principes de la philosophie, 1644. Abraham Moles, Les sciences de l’imprécis, 1990.

l’on fait reposer comme Descartes6 toute la connaissance sur le sujet (cogito) qui pense, élabore des théories et des stratégies alors cela nous pose le problème de la subjectivité des résultats. L’être humain, selon Moles7, n’est pas un être rationnel et la raison n’est pas suffisante pour interagir avec l’ensemble des faits et actes de nos vies. Il n’existe à ce jour pas de structure capable de percevoir l’être humain sans dépasser les frontières où se rencontrent les différentes sciences. Selon la philosophie occidentale, penser rationnellement signifie se détourner des idées imprécises, abandonner cette famille de disciplines encore en sevrage de leur mère philosophie dont elles sont issues et qui sont encore aujourd’hui classifiées sous le nom de sciences humaines ou sciences sociales. Devant l’imprécision de son propre objet, la muséologie est légitimement classée parmi ces sciences en transition. Pour une science qui comprend l’être humain comme un être en mouvement, le musée est, en fait, ce que l’on en fait, et, en conséquence, il est de par lui-même un acte inachevé.

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GENESE DU MUSEE On situe la genèse du Musée en Grèce. Mouseion était le mot grec à l’origine du mot musée. Il fait référence au lieu sacré dédié aux muses, suivantes d’Apollon, protectrices des arts. Selon les études de François Mairesse8, au IVème siècle avant JC, à Crotone où l’école Pythagoricienne est née, le Musée aurait été l’espace où « se déroulait le banquet

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François Mairesse,Vers une redéfinition du musée, Paris, L’Harmattan, 2007. p. 23

quotidien des disciples du philosophe ». C’est inspiré par les pythagoriciens que Platon fonda son Académie. Le culte des muses se poursuivit également chez les péripatéticiens aux alentours de 319-316 avant notre ère. Ce qui est intéressant dans le cas qui nous intéresse ici, c’est que l’école Péripatéticienne tire son nom du grec «peripatein» qui signifie littéralement, « se promener ». La légende raconte qu’Aristote enseignait au Lycée d’Athènes en se promenant et Mairesse affirme que selon Platon, la véritable origine de l’apprentissage de la connaissance viendrait du Musée. La réunification de ces deux notions, l’apprentissage et la promenade, est le thème qui nous intéresse ici. Il s’agira de retracer l’évolution des connaissances sur les parcours,

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les comportements humains et la relation que l’homme entretient avec un espace muséal définit. En jouant entre les limites de l’imagination et de la vérité, l’illusion et la réalité, l’origine du Musée est caractérisée par une dualité. Nous portons notre attention sur le caractère déambulatoire, qui donne au Musée cette importante capacité à réagir en relation avec l’être humain, découvrant la réalité qui appartient à chacun et en même temps, nous permettant de plonger profondément à l’intérieur de nous même, au delà du temps et de l’espace. C’est bien de mouvement que nous allons parler dans ce mémoire. Car le visiteur est un sujet actif et dynamique appelé à intervenir dans la réalisation de l’œuvre scénographique.

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Il apparait important d’orienter notre recherche sur le thème de la relation du corps à l’espace car bien qu’étant très vaste et déjà largement étudiée, elle constitue le point de départ de notre raisonnement. La mesure de l’Homme étant la base de l’architecture, c’est en effet en référence au corps que les caractéristiques essentielles de l’expérience spatiale qui est la nôtre se laissent comprendre. C’est en entrant par cette grande porte que nous pourrons recentrer ultérieurement notre propos sur une application précise au sein de la Maison Européenne de la Photographie. «Nous n’aurions pas pu (...) construire l’espace si nous n’avions eu un instrument pour le mesurer ; et bien cet Léonard de Vinci, L’Homme de Vitruve, 1492.

instrument auquel nous rapportons tout, celui dont nous nous servons instinctivement, c’est notre propre corps». H. Poincaré

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Le corps et l’espace

LE CORPS POUR ORIGINE «Le corps propre est dans le monde comme le cœur dans l’organisme : il maintient continuellement en vie le spectacle visible, il l’anime et le nourrit intérieurement, il forme avec lui un système. Quand je me promène dans mon appartement, les différents aspects sous lesquels il s’offre à moi ne sauraient m’apparaître comme les profils d’une même chose si je ne savais pas que chacun d’eux représente l’appartement vu d’ici ou vu de là, si je n’avais pas conscience de mon propre mouvement, et de mon corps comme identique à travers les phases de ce changement. Je peux évidemment survoler en pensée l’appartement, l’imaginer ou en dessiner le plan sur papier, mais même alors je ne saurais saisir l’unité de l’objet sans la médiation de l’expérience corporelle, car ce que j’appelle un plan n’est qu’une perspective plus ample : c’est l’appartement « vu d’en haut », et si je peux représenter en lui toutes les perspectives coutumières, c’est à condition de savoir qu’un même sujet incarné peut avoir tour à tour de différentes positions.»1

1

Maurice MerleauPonty, Phénoménologie de la perception, Editions Gallimard, 1945.

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Le corps est un élément matériel et palpable nous permettant d’identifier notre nature et de comprendre dans quel environnement nous nous situons. Il est un point de vue sur notre monde et nous permet de développer une conscience canalisant nos capacités perceptives et sensorielles.

PERCEPTION-SENSATION Lorsque l’on veut caractériser un espace d’une manière plus sensible qu’une simple description géométrique, cela implique que l’on fasse entrer dans notre démarche une approche physique et psychologique relevant du ressenti. On pourrait assimiler cela aux sensations. Il est très important de clarifier la dualité perception-sensation de manière à bien comprendre comment le corps et la conscience travaillent indépendamment lors d’une expérience spatiale. Là où la sensation peut être considérée comme un sentiment instinctif relevant de l’épreuve corporelle et mettant en jeu les sens (tels que le toucher, l’odorat, etc.) à travers une réception directe et pure des informations, la perception, elle, induit un processus par lequel la réception de l’information s’ajoute à une prise de conscience presque rationnelle. Elle introduit le contexte, la situation et certaines données telles que la connaissance.

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« Toute perception d’une chose, d’une forme ou d’une grandeur comme réelle, toute constante perceptive renvoie à la position d’un monde et d’un système de l’expérience où mon corps et les phénomènes soient rigoureusement liés. »2 2

Maurice MerleauPonty, Phénoménologie de la perception, Editions Gallimard, 1945.

propre dans l’environnement au travers de la conscience

3

Ibid.

spatiale inhérente au contrôle de l’être humain. La

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Hermann Ludwig Helmholtz, Handbook of Physiological Optics, 1851, cité dans: Paolo Amaldi, Architecture, profondeur, mouvement, inFOLIO, 2011.

Selon Merleau Ponty, le corps a conscience de sa position

spatialité du corps se définit selon lui dans une idée qui permet d’associer l’expérience perceptive du corps aux changements de positions dans un système dynamique. « La perception humaine obéit au principe de l’équilibre biologique en ce sens que les contradictions ne sont pas supprimées mais maintenues dans un état de tension et compensées simultanément. En outre, ces contradictions doivent être reconnaissables en tant que telles à travers une structure qui les englobe. »3

CHAMP PERCEPTIF C’est en 1851 que le physiologiste et physicien Hermann Von Helmholtz a démontré qu’un homme peut porter son regard sur un endroit d’un tableau différent de celui auquel il prête attention. Voici l’explication qu’il en donnait4 : « Par une sorte d’intention volontaire, même sans mouvement

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oculaire ni changement d’accommodation, il est possible de concentrer son attention sur la sensation qui provient d’une partie donnée du système nerveux périphérique » donc hors focalisation. Helmholtz distingue, dans ses recherches, le champ visuel du champ du regard. «Conformément à cette définition, je considère le champ du regard comme une surface invariablement liée à la tête, dont elle suit les mouvements, et dans laquelle on peut regarder avec un œil – et respectivement deux yeux – un point nommé point de regard ou de fixation, de telle manière qu’il se représente sur le centre de la fovea centralis.»5. 5

Hermann Ludwig Helmholtz, Handbook of Physiological Optics, 1851, cité dans : Paolo Amaldi, Architecture, profondeur, mouvement, inFOLIO, 2011.

Le champ visuel est selon lui beaucoup plus vaste et est également sphérique. Il rassemble la totalité des objets vus dans notre champ de vision. On ne peut pas les appréhender précisément contrairement à ceux se trouvant dans le champ du regard. Cette notion de différents champs perceptifs nous ouvre à différents seuils de perception. Notre corps découvre le monde à partir d’un champ sensoriel immédiat mais qui évolue dans le temps. Ce champ perceptif existe par le biais des changements qu’il enregistre. Rien ne se grave définitivement dans la conscience mais chaque moment laisse une marque qui se transforme et s’altère avec le temps.

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PERCEPTION ET COMPORTEMENT Dans son texte « A note upon the mystic writing-pad », Freud6 nous dévoile son concept de «surface-palimpseste»

6

Sigmund Freud, A note upon the mystic writing pad, 1925, cité dans : Paolo Amaldi, Architecture, profondeur, mouvement, inFOLIO, 2011.

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Manfred Lehmbruck, Psychologie : perception et comportement, in Museum, volume 26, n°3/4, Paris, 1974, pp. 190 - 203.

pour expliquer que chaque nouvelle inscription ne chasse que partiellement la précédente suivant son niveau de persistance. Cela veut dire que le comportement est déterminé par le fait que les structures de mouvement qui remplissent l’espace d’une manière latente sont découpées mentalement à la vitesse de l’éclair. Les mouvements des yeux constituent déjà une pré-programmation du mouvement effectif qui va suivre ; autrement dit, il existe un lien entre perception et réaction. C’est précisément dans un musée, où l’on s’appuie sur des réactions optiques, que perception et comportement sont presque identiques, ce qui veut dire que l’exposition et l’espace où l’on se meut doivent être conçus ensemble. Les motivations de mouvement contenues dans l’architecture doivent être activées et être perçues par le visiteur comme des orientations et des encouragements subliminaux. «Dans l’espace, une restriction perçue de manière subliminale provoque une perturbation profonde. » Selon Lehmbruck, «transposé dans la structure du musée, ce fait signifie qu’elle doit toujours proposer d’une manière évidente «une tache» appropriée, une satisfaction possible, qui devrait s’identifier avec le parcours suggéré.»7

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Il ne s’agit certainement pas là de poster l’architecte en tant que divinité omnisciente capable de manipuler l’être humain à travers la manipulation de l’espace. La question est plutôt de comprendre la manière dont l’homme s’identifie à l’espace et quelle réaction se produit en nous, paradoxalement en utilisant une méthode d’observation extérieure, nous ne sommes pas sociologues mais architectes dans notre raisonnement. Nous nous proposons à une étude de l’homme, dans un registre très simple et objectif à savoir : l’observation de ses déplacements dans un musée. Le musée offre un cas type particulièrement approprié pour l’étude de la relation entre l’environnement et la psyché, car son cadre spatial et temporel est limité.

UNION DU CORPS ET DE L’ESPACE « On voit mieux, en considérant le corps en mouvement, comment il habite l’espace (et d’ailleurs le temps) parce que le mouvement ne se contente pas de subir l’espace et le temps, il les assume activement, il les reprend dans leurs significations originelles»8. 8

Maurice MerleauPonty, Phénoménologie de la perception, Editions Gallimard, 1945.

Merleau-Ponty explique qu’au lieu d’imaginer l’espace dans lequel baignent toutes les choses ou de le concevoir abstraitement comme un caractère qui leur soit commun, nous devons le penser comme la puissance universelle de leurs connexions. Le corps se mêle ainsi à l’espace

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architectural dans un élan de mouvance. Cet échange est lié à l’idée d’une possible projection du corps dans l’architecture. De manière géométrique et mathématique ou en tant que corps de chair, le corps ressent une osmose avec l’architecture. Le lien qui les rapproche est l’espace que le corps crée par ses mouvements ou l’espace que l’architecture suscite au corps. « Le corps et l’architecture fusionnent par le biais d’échanges spatiaux »9.

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Ibid.

Merleau-Ponty nous dit que l’on peut ressaisir l’espace et sa source et ainsi passer de l’espace spatialisé à l’espace spatialisant. L’espace architectural suscite ainsi son intégration dans le corps, devenant corps mouvant. Laban, que nous allons voir dans la suite, explique quant à lui que l’espace n’est pas seulement un cadre de propagation mais il est aussi une force constituante du mouvement.

Illustration d’Oskar Schlemmer, Figure in space.

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La danse et l’architecture travaillent à partir des mêmes matériaux, ils rassemblent tous deux un processus basé sur la manipulation de l’espace qui tient compte de la présence humaine à l’intérieur de celui-ci. Les éléments qu’ils se partagent et qui sont pour chacun d’eux à la base de leur conception sont le corps et l’espace. «Le mouvement est pour ainsi dire une architecture vivante, vivante si l’on considère les déplacements autant que les changements d’agencement corporel. Cette architecture est créée par les mouvements humains et est constituée de trajets portant les traces des formes sculptées dans l’espace, et nous appelons ces formes scultées, des formes traces». Rudolf Von Laban

Oskar Schlemmer : «De la géométrie du sol, de la succession des lignes droites, des diagonales, du cercle et des courbes, surgit presque d’elle-même une stéréométrie de l’espace par la verticalité de la figure dansante en mouvement» .

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L’espace de la danse

RUDOLF VON LABAN L’Homme a une faculté particulière à visualiser par son mouvement, son espace intime ainsi que son espace environnant. « Nous ne devons pas simplement considérer le lieu comme un espace vide distinct du mouvement, ni le mouvement uniquement en tant qu’événement occasionnel, car le mouvement est un flux continu à l’intérieur du lieu même, et c’est là l’aspect fondamental de l’espace. L’espace est une caractéristique essentielle cachée du mouvement, et le mouvement est un aspect visible de l’espace ».1 1

Rudolf Von Laban fut un théoricien très important du théâtre et de la danse des années 1920-30 qui eut pour

Rudolf Von Laban, Choreutics, Annoté et édité par Lisa Ullmann, MacDonald and Evans, Londres, 1966.

point de départ dans ses recherches le corps du danseur. Il reçu une formation d’architecte et s’intéressa très vite aux relations entre le comportement humain et l’architecture dans laquelle les gens opèrent. Malheureusement, la pauvreté sensorielle du dessin d’architecture dans la représentation d’un mouvement ou d’un ressenti lui fera

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orienter ses recherches vers un domaine voisin. C’est en se rapprochant du monde de la danse, qu’il réussit à développer ses théories sur l’interaction des êtres humains avec leur environnement. La conscience de la spatialité qui nous entoure devient un sujet d’expérience possible par le biais du mouvement.

DANSE ET ECRITURE DU MOUVEMENT Laban créera une méthode de notation de la danse toute nouvelle : la « Labanotation ». C’est un système de notation basé sur les directions des mouvements possibles du corps humain afin de les hiérarchiser précisément. La notation se représente grâce à des pictogrammes simples qui permettent de reconnaître et de nommer chacune des directions. Il associera ce code à la « Kinesphère », figure à partir de laquelle il peut expliquer assez commodément la complexe organisation du mouvement humain. La kinesphère est une sphère imaginaire dont le corps humain est le centre, formée par tous les points de l’espace que peuvent atteindre les extrémités du corps, sans déplacement des pieds sur le sol. Le centre de gravité du danseur et le centre de la kinesphère se confondent et lorsque le danseur se déplace, il déplace avec lui cet icosaèdre imaginaire. Les possibilités de mouvements sont ensuite décomposées en fonction de lignes de direction qui passent toutes par le centre.

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L’idée d’une notation universelle pour écrire sur le papier ce

Rudolf Laban au centre de sa kinésphère.

que l’on veut exprimer dans l’espace est assez intéressante et pourrait être très largement profitable en architecture. « Dans la labanotation n’y aurait-il pas une manière de qualifier l’espace qui viendrait compléter, chez l’architecte les plans et les coupes qui sont des choses absolument barbares pour mesurer un espace puisqu’on ne mesure pas le temps. (…) Je pensais qu’il serait temps que la géographie urbaine ou architecturale représentée par les plans des étages pour la maison, soit complétée d’une

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«chorégraphie», c’est-à-dire d’une mesure de la qualité du volume où la labanotation aurait d’autres fonctions que celle de préparer le corps en gestualité. »2 2

Paul Virilio, Danses Tracées : Dessins et Notation des Chorégraphes, Dis Voir, 1991.

La Labanotation ressemble singulièrement à une partition de musique dans sa représentation séquencée en fonction du temps. En rupture avec la technique classique, le mouvement est constitué par le trajet entre différents points de l’espace et non plus par une succession de poses. C’est un flux continu avec ses moments de tension, de détente, de concentration ou de dilatation dans l’espace. La notation transcrit un processus, cependant, elle ne note pas la trajectoire ou le dessin précis, mais elle spécifie plutôt

Exemple de partition chorégraphique de Laban.

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les lignes de forces du corps et les dynamiques internes du mouvement.


Le problème majeur de la Labanotation vient de son coté totalement abstrait. Un dessin qui ne veut rien dire. Un langage de pictogrammes non équivoque pour celui qui ne l’a pas appris. Il ne communique par sa lecture, contrairement à un plan ou une coupe, qu’aux personnes ayant eu l’occasion de l’apprendre. Certes, une telle notation requiert un travail d’intégration des pictogrammes, du temps et de la pratique pour pouvoir communiquer – avec une sphère privilégiée - et conserver la trace d’une expérience spatiale, mais elle a le mérite de tenter de trouver un moyen de fusionner l’image réelle d’un espace avec la manière dont celui-ci est pratiqué, à travers un langage graphique universel. Cette écriture ne permet pas de représenter clairement et sensiblement l’apport d’un projet spatial sur l’être humain, mais il tente d’architecturer graphiquement une séquence de mouvements dans un cadre spatio-temporel défini.

Rudolf Laban élaborant la cinétique avec un modèle réduit de kinésphère.

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L’intérêt d’une approche du parcours muséal par le biais de l’étude de la danse se trouve dans le fait qu’elle nous enseigne que nous prenons conscience, par le mouvement, de la spatialité qui nous entoure et nous pouvons en faire l’expérience au même titre que lorsque nous nous déplaçons dans les espaces quotidiens. Le but recherché par Laban est finalement très similaire au notre, architectes. Il s’agit de réussir à quantifier et qualifier un espace selon des critères sensibles et non pas de discuter d’architecture en termes d’unités de passage, ni en nombre de mètres carrés. Même si, malheureusement, ce détour ne nous permet pas de tirer une méthode de représentation assez équivoque pour la représentation des suivis de parcours abordés dans la suite de ce mémoire, il servira à expliciter la manière avec laquelle nous entrons dans le sujet. Nous voyons là une manière plus poétique d’appréhender la visite de musée.

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Chorégraphie de l’exposition

POETIQUE DE L’EXPOSITION Lorsque Paul Valery nous expose sa vision de la danse, nous ne pouvons nous empêcher de faire le lien avec notre sujet, la visite de musée : «C’est que la danse est un art déduit de la vie même, puisqu’elle n’est que l’action du corps humain ; mais action transposée dans un monde, dans une sorte d’espacetemps, qui n’est plus tout à fait le même que celui de la vie pratique.» 1

Ce monde, cet espace-temps que l’on a du mal à définir

Paul Valery, La philosophie de la danse, Gallimard, Paris, 1936.

avec les quelques mots qui nous ont été donnés – les mots descriptifs de la sensation nous sont parfois difficiles à cerner avec un vocabulaire d’architecte - nous apparaît en certains points similaire avec le discours que nous tient Jean Davallon : «L’exposition est un art du temps et de l’étendue. Du temps parce que de l’étendue. Comme un paysage ou une architecture, elle «présente», si l’on peut dire des

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parties cachées. Je dois m’avancer, me déplacer, m’arrêter, m’approcher, contourner, regarder, etc. Je dois développer toute une série d’activités diverses qui finiront par constituer 2

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Jean Davallon, Claquemurer pour ainsi dire tout l’univers : la mise en exposition, Paris, Centre G. Pompidou,1986, p. 250 Marshall McLuhan, (1911 - 1980) est un éducateur, un philosophe, un sociologue, un professeur de littérature anglaise et un théoricien de la communication canadien. Il est l’un des fondateurs des études contemporaines sur les médias. McLuhan classe les médias en deux grandes catégories. D’un côté, les médias «chauds», dont la définition est très grande et qui ne demandent la participation que d’un seul de nos sens. L’information reçue par ce sens étant d’entrée de jeu très riche, la participation du cerveau est faible. De l’autre côté, les médias «froids», à faible définition et qui s’adressent à plusieurs sens. Ils demandent de la part du récepteur une participation très importante pour compenser la pauvreté ou le flou de l’information.

Jean Davallon, Ibid, p.249

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un parcours, un itinéraire, un voyage : ma visite».2 Lors de sa visite/voyage, lorsque le visiteur traverse la frontière entre le monde extérieur et le monde de l’exposition, il devient acteur de sa propre exposition par son propre parcours et par l’histoire qu’il se raconte. Et de la même manière que le spectateur de ballet interprète l’histoire racontée par le chorégraphe au travers des déplacements des danseurs, le visiteur interprète l’histoire racontée par le scénographe au gré de son déplacement.

LE THEATRE DE L’EXPOSITION «Me voici donc dans l’exposition. J’ai franchi la limite qui sépare le monde extérieur de l’espace synthétique. La présence du public dans le média exposition n’est pas seulement une présence de spectateur passif. L’espace synthétique créé par le concepteur-réalisateur conduit le visiteur à participer physiquement au fonctionnement du média. Dans la terminologie de McLuhan3, nous dirions que l’exposition est un média «froid»4: le visiteur est actif, il fait partie du média.»5 Le rapport entre ces différents acteurs est, dès lors, théâtral


et nous fait penser à toutes ces possibilités de jeu de scène que peut se permettre le visiteur qui est maintenant l’acteur de son propre parcours, de sa propre visite. Il bouge, il se déplace, il découvre la scène, les points de vues, les particularités de l’histoire que lui raconte l’espace. Nous considèrerons dans le cadre de ce mémoire que le monde de l’exposition n’est pas qu’un monde, un espace synthétique intérieur, mais aussi une porte vers un monde utopique tel que le décrit Jean Davallon : «...un pur être de langage ; il est un monde imaginaire. Il n’a pas d’existence réelle ; ses contours sont flous et incertains. Il est une construction qui résulte de l’agencement de significations produites au cours des visites, il existe à travers elles. Nous l’appellerons le monde utopique. Si nous essayons de nous représenter ce que peut être ce monde utopique, il apparaît comme nébuleuse de significations, d’évocations et d’impressions. L’objet exposé se trouve à l’articulation de trois mondes : le monde réel d’où il vient, l’espace synthétique auquel il appartient et le monde utopique sur lequel il ouvre». 6 6

Jean Davallon, Ibid, p.248

Nous admettrons dans la suite de notre étude que cette mise en scène des corps et des objets, le déplacement des êtres dans un espace scénographié nous plonge dans un état de représentation de nous même. Cette ouverture d’esprit nouvelle que l’on se découvre dans le musée se rapproche de celle que l’on pourrait ressentir en montant sur scène. Le visiteur - comme le danseur - fait le don de

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son corps à l’espace qui l’entoure. Le besoin de mouvement est une pulsion élémentaire chez l’homme ; le plaisir qu’il prend à ses propres possibilités engendre un sentiment de liberté absolue. Liberté que le concepteur de l’espace se devra de ménager et d’accompagner tout au long du spectacle.

POURQUOI ETUDIER L’EXPOSITION ? L’exposition a pour vocation de présenter, réunir, des pièces que le public ne pourrait voir sinon. Elle a du sens, raconte une histoire, expose un thème ou un auteur. Qu’elle soit de nature artistique, scientifique, commerciale ou historique, elle est depuis de nombreuses années mise en scène afin d’offrir au public la meilleure compréhension et la meilleure expérience possible. L’exposition constitue, plus que d’autres supports culturels, un terrain de choix pour une approche par observation. En effet, sa dimension fondamentale n’est pas la spécificité du thème, ou la nature des supports qu’elle propose - texte, images, objets - mais l’existence d’un espace architecturé qui les lie. L’exposition est d’abord un lieu, et comme tout lieu, sa pratique met fondamentalement en jeu le corps : d’une certaine manière, l’itinéraire d’un individu dans une exposition est matérialisé, inscrit au sol. Il est son parcours sensible dans l’histoire que nous raconte l’exposition.

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Trajets, stationnements, évitements sont autant de données physiquement observables et objectives d’un parcours culturel et d’une progression perceptive. Les méthodes d’évaluation fondées sur l’observation directe des comportements en situation dérivent de l’approche ethnologique. Déployer des objets dans l’espace implique un déploiement dans le temps : celui de la visite. Notre postulat est que l’appropriation du contenu de l’exposition se concrétise dans l’appropriation de l’espace. Et qui dit appropriation de l’espace dit parcours de visiteurs. La visite d’une exposition implique un besoin de mouvement. Les visiteurs se meuvent dans un volume précis, mais qui n’est pas toujours connu d’eux à l’avance. «L’espace présenté au public doit éviter la lassitude, le découragement. En revanche, l’espace et le chemin proposé doivent privilégier les alternances et coupures rythmiques, les articulations aux points forts de l’exposition. On peut favoriser les circuits obligatoires à condition qu’ils soient le plus discret possible».7 L’observation montre bien justement qu’il est peu fréquent que le visiteur suive le fil prévu par le concepteur ; les parcours ont un sens qui n’est pas réductible à la logique

7

Manfred Lehmbruck, Psychologie : perception et comportement, in Museum, volume 26, n°3/4, Paris, 1974, pp. 190 - 203.

des géomètres. Car il n’est pas indifférent de voir un objet avant un autre, de lire tel panneau secondaire conçu pour compléter l’information principale avant celle-ci, ou même à sa place ; de parcourir à l’envers un itinéraire prévu pour être chronologique, annulant ainsi la progression prévue, ou plus exactement introduisant une progression d’un autre ordre.

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ESPACE SYNTHETIQUE ET MONDE UTOPIQUE «La visite fonctionne sur le mode de jeu : il s’agit pour le visiteur d’utiliser toutes les caractéristiques de l’espace, de «profiter» de toutes ses subtilités pour s’en sortir au mieux, c’est-à-dire pour se jouer des ruses de construction de l’espace (entendez : de l’intelligence de son organisation) et accéder au monde utopique. Il n’est qu’à voir combien les visiteurs sont frustrés et littéralement « désorientés » lorsque le concepteur ne leur permet pas, à tout le moins ne leur facilite pas suffisamment la tâche. C’est que le visiteur ne doit pas avancer comme une taupe myope comme s’il était totalement égaré dans un « vrai » labyrinthe. L’art du concepteur consiste à lui ménager des vues, à alterner des salles dont il perçoit d’un seul coup d’œil les frontières et des espaces étroits qui le contraignent à se plier aux proximités et aux contigüités, à regarder les objets l’un après l’autre. Il combine points de vue d’ensemble et juxtaposition de regards sur le particulier, sur le détail. Le visiteur est ainsi guidé, ou plutôt pris en charge. On prend soin de lui. Ainsi le concepteur donne du jeu à la visite : il fait accéder le visiteur, de temps en temps, et partiellement, à une vue plus synoptique de l’exposition, mais c’est pour aussitôt montrer qu’il y a du caché, de l’inconnu. Il donne de l’exercice au visiteur sans que ce dernier ne soit jamais perdu.

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La pulsation de la visite due au rythme qui lui est imprimé par l’espace est pour le visiteur un phénomène psychologiquement rassurant ; elle évite l’angoisse que ne manquerait pas de provoquer l’exploration d’un espace qui ressemblerait par trop à un véritable labyrinthe. Le visiteur est dispensé d’une exploration systématique : il sait qu’il pourra toujours sortir et qu’il accédera au monde utopique. D’où le plaisir qui me saisit lorsque j’entre dans une exposition. Je m’égare dans un espace inconnu dont les limites sont imprécises (je suis sûr de leur existence puisque je suis « dans » l’exposition, je ne connais cependant pas exactement leur emplacement) ; et le seul élément de continuité qui me reste est « mon » itinéraire centré sur mon propre corps en déplacement. Mais j’ai en même temps la certitude que le concepteur n’a pas construit un véritable labyrinthe ; je sais que je pourrai me repérer et sortir lorsque je le désirerai. Je peux donc voyager, dériver en toute quiétude dans cet espace étranger et riche d’une foule de choses à découvrir. Si par hasard l’espace est trop labyrinthique, je ne peux plus jouer et je me retrouve comme le voyageur dans une ville pensée par un architecte qui ne se préoccuperait pas du plaisir d’espace des habitants ; si l’espace est trop plat, linéaire et sans accidents, c’est l’ennui d’une visite interminable et la fatigue du piétinement, une visite sans pulsation comme celle de ces expositions où le concepteur n’a pas pensé – ou n’a pas voulu penser ? – à mettre de points de repos ni de temps de relâchement. » Jean Davallon

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PARCOURS ET FILATURE

Carte de l’évolution des parcours du Mississipi à travers les siècles. Réalisée par Harold N. Fisk en 1944.

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DEUXIEME PARTIE


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Maintenant que Jean Davallon nous a mis dans l’esprit du visiteur, nous pouvons entrer avec lui dans le monde de l’exposition. Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’espace d’exposition constitue un terrain d’expérience qui se prête particulièrement à une approche par l’observation. Nous pensons que la manière qu’a le visiteur de se déplacer dans l’exposition est liée intimement au mouvement que lui imprime l’espace. Par ses jeux de lumières, d’obstacles, de contrastes et d’accrochage, les déplacements de visiteurs sont gérés de manière inconsciente et l’intérêt d’une étude et de révéler les réactions du public. Il semble important, avant de présenter notre manière d’aborder l’étude, de retracer rapidement les moments qui ont marqué l’histoire des évaluations d’exposition.

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Les études de parcours

MELTON ET ROBINSON En 1924, l’American Association of Museums fait apparaître le fait que les conservateurs de musées ne sont pas qualifiés pour étudier de manière scientifique le visiteur de musée. Menées par Edward Robinson, psychologue de l’Université de Yale, une série d’enquêtes vont être entreprises dans quatre musées d’Art de tailles différentes. Ces enquêtes qui aboutiront en 1928 portent sur l’observation des visiteurs uniquement et aucun entretien ne sera réalisé. Robinson cherche à découvrir un « visiteur moyen» en paramétrant l’intérêt des visiteurs. Les paramètres sont définis très précisément : Le temps total de visite, le nombre de galeries visitées, le nombre d’œuvres regardées dans chaque galerie et le temps d’arrêt devant chaque œuvre. Est également noté l’environnement de l’œuvre pour savoir ce qui attire le plus, une œuvre, un ensemble, une disposition particulière, la lumière, etc. Les résultats1 de ces enquêtes évoquent des problèmes d’orientation et de circulation. Ainsi, le temps d’arrêt varie avec le nombre d’œuvres présentes (court quand

1

Edward Robinson, The behavior of the Museum Visitor, American Association of Museum, New Series, n°5, 1928, Washington DC, AAM, 72 pp.

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il y a beaucoup d’œuvres, et réciproquement). On note davantage d’arrêts dans les petites salles et les œuvres plus isolées attirent plus l’attention des visiteurs. L’enquête de Melton2, quant à elle, permet de déduire 2

Arthur Melton, Problems on installation in Museums of Art, American Association of Museum, New series, n°14, 1935 Washington, AAM, 1935, 269 pp.

certaines constantes, toujours observables aujourd’hui et notamment que « 82% des visiteurs tournent naturellement à droite en entrant dans une pièce ; 85% des gens longent les murs ; les objets placés à gauche de l’entrée retiennent moins l’attention que ceux exposé à droite ; les objets posés le long du trajet estimé le plus cours reçoivent le plus d’attention ; si une sortie est dans le mur de droite, 60% des gens s’en vont sans même voir la salle ».

a.

b.

c.

a.

Les visiteurs sont attirés vers le fond de la salle.

« Dès la fin des années 30, on assiste donc à cette nouvelle

b.

Les visiteurs sont attirés vers la droite

Les éléments composant une exposition (éclairage, son,

c.

Les visiteurs sont arrêtés par la difficulté à prendre une décision.

approche : l’observation de l’exposition via celle du visiteur. étiquettes, etc.) sont étudiés en rapport de la réaction du visiteur durant sa visite. L’exposition doit servir le message qu’elle véhicule : dorénavant, l’objet est au service du message et non l’inverse. La mise en espace prend toute son importance : on sait dès lors qu’elle permet la compréhension du message proposé. Jusqu’aux années

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80, on assiste à des essais expérimentaux. On demande par exemple aux visiteurs de retracer leur parcours dans le musée à l’aide d’un plan. Les parcours ne sont donc pas observés mais recréés par les visiteurs eux-mêmes. Ou encore on filme le parcours d’une personne, puis (lors du visionnement) on lui demande de faire une description verbale de son comportement durant la visite. »3

3

Sophie Mariani-Rousset, Espace public et publics d’expositions. Les parcours : une affaire à suivre, Eupalinos, Marseille, pp. 29-44.

4

Eliséo Véron et Martine Levasseur, L’espace, le corps, le sens : ethnographie d’une exposition : «Vacances en France», Paris, éd. Service des Etudes et de la Recherche de la BPI / Centre G. Pompidou, 1983.

VERON ET LEVASSEUR L’étude « Ethnographie de l’exposition » sortie en 1983 a été effectuée lors de l’exposition photographique « les vacances en France » par Eliséo Veron et Martine Levasseur. Après une analyse de la logique conceptuelle et une analyse sémiotique (une analyse sémiotique se différencie d’une analyse sémiologique en ce sens qu’elle étudie l’objet placé « en situation ».) de l’exposition, ils procèdent à l’observation systématique des comportements des visiteurs, grâce à l’utilisation d’un système vidéo, pendant plusieurs semaines. Ces observations conduisent à des tracés de parcours, ainsi qu’à une grille d’entretiens. C’est donc le comportement de visite qui les intéresse, dans une optique non-behaviouriste. Ils cherchent à repérer des types de visites en fonction de critères sociologiques. L’accumulation de parcours observés et enregistrés sur le plan de l’exposition leur a permis de dégager des régularités

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par le moyen d’une analyse comparative. Ils ont identifié quatre typologies de parcours différentes. Sous forme d’un bestiaire illustre de quatre espèces afin d’attribuer un sens à chaque comportement : - La fourmi, ou la visite proximale - Le papillon, ou la visite pendulaire - Le poisson, ou la visite glissante - La sauterelle, ou la visite « punctum » Pour parvenir à ce bestiaire, Véron et Levasseur se sont donnés comme repères une suite de nœuds décisionnels empruntés par le visiteur, représentant toutes les possibilités offertes au visiteur, à partir du nœud, et qu’il décide en fonction des appels de l’exposition et de son organisation. -La fourmi se situe à une distance réduite des panneaux

Dessins réalisés par Véron et Levasseur

devant lesquels elle s’arrête. Son temps de visite est long et comporte un maximum d’arrêts. Elle évite dans la mesure du possible de traverser des espaces vides et progresse le long d’un même mur. Son comportement ne change pas d’un type d’espace à un autre. Elle suit l’ordre « chronologique de l’exposition. -Le papillon effectue une visite en zigzag, avec un mouvement d’alternance gauche-

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droite-gauche-droite. Comme la fourmi, le papillon semble éviter les grandes traversées d’espaces vides. On peut remarquer également un changement de comportement entre les deux types d’espace de l’exposition.

-Le poisson se caractérise par une trajectoire entre deux eaux. Les arrêts sont rares. Il procède plutôt par ralentissements qui lui permettent de regarder de loin. Sa visite est une sorte de passage. Il n’est aucunement gêné en traversant de grands espaces vides et sa trajectoire semble animée d’un mouvement circulaire. Il est parfaitement indifférent à l’ordre chronologique de l’exposition.

-La sauterelle progresse par bonds. Ayant aperçu au loin quelque chose qui l’intéresse, elle s’y dirige sans hésitation. La visite est dynamisée par l’attirance d’éléments ponctuels. Les arrêts ne sont pas nombreux et elle traverse, insouciante, les espaces vides, indifférente également à l’ordre chronologique.

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On constate que le choix des nœuds décisionnels varie selon les stratégies de visite. Il est à noter qu’aucune stratégie ne correspond au « bon corps visiteur » (celui imaginé par les concepteurs).

La méthodologie de notre approche de la question est différente. Nous ne souhaitons pas interroger les visiteurs sur leurs impressions. Le propos de notre étude n’est pas d’obtenir une critique consciente du musée que nous avons choisi mais bien de noter scrupuleusement les déplacements et d’en déterminer la raison inconsciente. Nous savons – même si nous n’aimons pas ce mot - qu’il est possible de manipuler l’homme et d’utiliser l’espace à cette fin. Les études de marketing à ce sujet sont nombreuses et beaucoup s’appuient sur des comportements découverts initialement dans les musées. La différence réside évidemment dans la nature des stimuli qui conduisent des êtres à se déplacer les êtres. Tout comme les musées, les grandes surfaces doivent respecter certains rythmes biologiques afin de prévoir les parcours. Jean Davallon nous parlait plus haut de parcours conduisant au bien être et d’autres conduisant au découragement.

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Le visiteur/consommateur doit pouvoir, par exemple, se repérer sans trop de difficultés. Les découvertes de Melton et Robinson, sont parfaitement utilisées par les concepteurs de parcours de supermarchés. Aller vers la droite lorsqu’on entre dans le magasin, longer les murs, etc. Le placement des produits importe lui aussi et on retrouve dans le marketing une organisation spatiale ressemblant étrangement à un parcours d’exposition.

b.

a.

c.

Sans rentrer dans le débat sur le phénomène de massification du musée, nous essayons de faire, tout de même, une

a.

L’avancée est favorisée.

différence nette entre la raison d’être d’un musée et celle

b.

Le parcours est freiné.

d’un supermarché. Dans le musée, le visiteur est là pour son

c.

La progression est lente et diffuse.

plaisir et veut tout voir alors que dans une grande surface, c’est le concepteur qui cherche à obliger le consommateur à le faire. On cherche, par différents moyens de mise en scène, à ce que les gens regardent autour d’eux sans que le flux général ne soit perturbé. Le parcours est maitrisé, dans un sens tyrannique et autoritaire. Loin de la folie consumériste, nous allons nous diriger vers notre sujet d’étude ; la Maison Européenne de la Photographie qui, nous allons le voir, va nous mettre dans un état d’esprit non pas de consommation mais plutôt de découverte.

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La MEP

LA MAISON EUROPEENNE DE LA PHOTOGRAPHIE

C’est au cœur du Marais, à l’entrée de la rue de Fourcy, qu’a vu le jour, en 1996, la Maison Européenne de la Photographie. Il s’agit là du premier musée parisien entièrement dédié à la présentation de cet « art ». « Force de devenir dans l’Art en quoi elle ne se réalise jamais, tout en n’étant rien si elle ne se maintient pas dans ce devenir.»1

1

Bernard LamarcheVadel, écrivain, poète, photographe et critique d’art français. 19492000.

Dans un monde saturé d’images, la dimension artistique de la photographie perd de son sens. Ne serait-ce que par l’ambigüité du mot « photographie » désignant tout autant la technique, le médium, l’acte et l’image elle-même. Mais le sujet qui nous intéresse ici n’est pas la photographie, mais bien l’espace qui lui est alloué et la manière dont elle s’expose dans son temple parisien.

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Le projet de la Maison consiste en la transformation et l’extension d’un hôtel particulier, l’hôtel Hénault de Cantobre, du nom de son propriétaire d’origine et construit en 1706. C’est en 1990 que la Ville de Paris fait le choix d’installer dans l’ancien hôtel la Maison Européenne de la Photographie. C’est le cabinet d’architecture d’Yves Lion qui se chargera du projet. Il s’agit là d’adapter un édifice d’habitation dans le but d’exposer et de recevoir du public, ainsi que de rajouter une extension. Le projet final se décompose donc en deux bâtiments au langage différent, représentant deux époques et reliés entre eux par une articulation vitrée. L’entrée se trouve exactement à l’endroit du raccord entre les deux bâtiments, comme pour souligner le fait que l’usage de chaque partie est identique, un lieu d’exposition.

Plan du rez-de-chaussée où l’on distingue clairement l’ancien hôtel au nord, de son extension au sud.

Rue Fran çois

Cour d’Honneur

Jardin

on Mir

Rue de Fourcy

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Ci-dessus, l’entrée de la Maison.

Afin d’adapter l’hôtel à son nouvel usage de musée, Yves Lion a du modifier les espaces intérieurs pour fluidifier les circulations dans le musée. Or dans un bâtiment de ce type, l’espace intérieur est subordonné à la structure. Cette restructuration de l’espace a amené une dissociation des murs de refends d’avec l’enveloppe. Ainsi il nous dit2 : « Nous avons « entamé » en partie des éléments structurels anciens pour établir ces continuités visuelles. Quand on est dans ce bâtiment, on a le sentiment

2

Yves Lion, propos recueillis par Marianne Brausch, 1997.

d’être dans le Marais. Il y a une relation avec l’îlot de la pointe Rivoli qui est permanente. On a ce sentiment de proximité typiquement parisien. Mais les espaces d’exposition sont

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tous ouverts ; ils s’enchaînent. On passe indifféremment de la partie neuve à la partie ancienne. Nous voulions qu’il y ait non pas scission, mais une continuité spatiale entre les deux. »

Cette nouvelle partie est constituée d’un volume pur, répondant à la façade de l’ancien hôtel par sa taille, sa forme et ses matériaux. Il est totalement opaque et accueille les nouvelles parties d’exposition. Entre les deux, le volume vitré ne vient pas heurter la continuité mais offre un passage naturel de l’un à l’autre. Le volume plein a la forme en plan d’un trapèze rectangle. Cette forme résulte du choix de l’architecte de vouloir respecter d’un coté la limite de la parcelle et de l’autre s’aligner avec la façade de l’hôtel.

Plan du premier étage. En gris, les espaces d’exposition.

Escalier d’honneur

Volume de l’escalier de secours

Faille vitrée

Volume aveugle de l’extension

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Ancien hôtel

Ancien hôtel


Il y a au sud un troisième volume vitré. Il abrite l’escalier de secours et donne sur l’accès pompier, en fond de parcelle, caché derrière le jardin. Les limites de l’espace principal sont opaques et celle de l’encoche vitrée sont aujourd’hui occultées par des rideaux voire même murées. Cela est dû au fait que lors de l’ouverture de la maison, l’idée n’était que d’exposer des photos alors qu’aujourd’hui l’idée est également de les conserver, donc tarir toute source de lumière directe pouvant altérer la conservation. C’est pourquoi on retrouve des rideaux occultant devant toutes les surfaces vitrées dans les salles d’exposition. Les espaces d’expositions s’étendent de façon indifférenciée entre l’hôtel et l’extension. Le musée compte 1200m² d’espaces d’exposition sur 4 étages avec une collection constituée de plus de 20000 œuvres représentatives de la création photographique depuis les années 50 à aujourd’hui. Depuis son ouverture en 1996, la Maison Européenne de la Photographie a présenté plus de 150 expositions. Les 5 ou 6 expositions simultanées étant renouvelées tous les trois mois. Ce qui veut dire que le musée est entièrement différent tous les 3 mois et donc que toute personne peut être amenée à revisiter entièrement le musée du début à la fin, l’exposition « permanente » ayant totalement changé.

Ci-dessous, salle d’exposition avant la pose des rideaux occultants

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La séquence d’entrée dans la Maison.

UN MUSEE D’HABITUES En temps normal, la Maison Européenne de la Photographie accueille en même temps plusieurs expositions différentes, comptant pas moins de 4 étages et 7 espaces d’exposition différents, certains pouvant eux-mêmes être divisés à nouveau. Cependant le parcours général est tel que les salles se suivent et que l’ascension verticale par l’escalier d’honneur constitue une partie intégrante du parcours. Cet élément sert de pause, de point de vue et de repère extérieur, car il est le seul endroit du parcours éclairé en lumière naturelle. La Maison reçoit une moyenne de 500

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visiteurs par jour, qui sont, pour la très grande majorité, des initiés à la photographie qui viennent régulièrement visiter les nouvelles expositions. Mais il arrive aussi également qu’un touriste ou un flâneur se laisse tenter à entrer dans le jardin et même aller jusqu’à pousser la porte vitrée de la Maison. Nous verrons plus loin pourquoi la découverte d’un espace nouveau a un impact sur le parcours emprunté par le visiteur et sur la manière dont il se comporte.

A LA MAISON « Ce bâtiment s’appelle « maison » et j’ai cru comprendre que l’idée de Jean-Luc Monterosso, son directeur, était d’essayer le plus possible de rendre le lieu convivial, confortable. D’où le coté feutré, tamisé de la lumière. Dans la partie moderne, les artistes pourront exposer de manière différente, selon des systèmes de lumière plus variés. »3

3

Yves Lion, propos recueillis par Marianne Brausch, 1997.

4

Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, La maison, de la cave au grenier, Edition Quadrige, 1957, pp.23-28.

Dans le terme utilisé pour nommer ce musée déjà on trouve ce qui fait la particularité de la Maison Européenne de la Photographie. Pourquoi choisir de l’appeler « Maison » ? Le caractère fondamental de cet endroit repose justement dans le fait qu’il n’est ni un centre, ni un institut, ni une photothèque ni même un musée, finalement. Ce mot nous signifie bien que l’on parle ici d’un organisme de vie où l’essence de l’être se recueille spatialement dans la hiérarchie du privé. Bachelard nous parle de ce lieu « de la première chaleur gardée et de la première lumière protégée »4. Un

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endroit où l’on vient se reposer, se promener, s’asseoir, bref, faire une pause. Quitter le monde bruyant de la ville. Se défaire de l’abondance de gens du dehors. Choisir de traiter ses tendances agora phobique par une méthode douce et se soustraire à ce monde grouillant de touristes, le bruit de la rue de Rivoli d’un coté et le dédale de ses rues étroites. Et là, une respiration dans la jungle de bâtiments. On aperçoit la Maison alors que l’on se dirige vers la Seine. Un porche de dimension telle que l’on se demande si l’entrée est autorisée au public. Nous regardons dans la perspective la rangée de poteaux portant une galerie qui nous abrite et qui nous attire dans le jardin. Il est utilisé comme un espace tampon entre la rue et la Maison, cloisonné du bruit par un volume sur rue qui apporte de la lumière indirecte à la bibliothèque située sous le jardin. 4

Gaston Bachelard, Ibid.

«La maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix.»4

Le jardin en pierres sèches de la Maison.

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LA QUIETUDE IDEALE Le jardin de la Maison Européenne de la Photographie n’est pas n’importe quel jardin. C’est un jardin japonais et plus précisément un jardin Niwa. Il a été réalisé par Keiichi Tahara, considéré comme l’un des plus grands photographes d’architecture au monde.

« Tous les chemins qu’emprunte la pensée sont une longue et perpétuelle intuition et recherche de spiritualité. Selon les cultures, la place de l’Homme ou celle de la Nature est fondatrice. Parfois, l’Homme est le maître et la mesure de toutes choses et la Nature porte l’empreinte de sa volonté ou de son interprétation. À travers la lumière et les variations chromatiques des heures, des jours et des saisons, le jardin devient instrument de contemplation, d’empathie avec l’absolu et d’approche du « ma »5. La lumière ainsi retenue

5

Le silence du ma est le résultat d’une concentration parfaite, la cristallisation d’un pouvoir d’intériorisation en tant qu’être.

6

Keiichi Tahara, à propos du jardin Niwa.

et déployée dans ce lieu ouvert donne vie à l’espace : elle accomplit l’alchimie de la matière et lui donne son âme. Ici le souffle du vent, là le passage de l’ombre ou le fléchissement de la feuille composent les signes d’une présence spirituelle. La fragilité, l’éphémère et le silence suggèrent le mystère infini au-delà du regard et cherchent à renouer le dialogue de l’âme et de la nature. Loin des perspectives géométriques et des effets paysagers, c’est ici la composition des éléments qui dit le mystère sans expliciter le message. »6

61


Le Niwa est le lieu privilégié pour tendre vers un état de quiétude idéale, pour se libérer des passions et accéder ainsi à la contemplation. Passage obligé pour entrer dans ce lieu non-sacré qu’est la Maison et acquérir cet état d’esprit. D’un effet similaire à celui d’un sas de décompression, il permet la mise en condition du visiteur. C’est à ce moment précis que notre sujet passe la frontière entre le monde extérieur et le monde de l’exposition dont nous parlait plus haut J. Davallon7. Le visiteur s’apprête à rentrer dans 7

Voir p.35-40.

l’édifice et bientôt il sera livré à lui-même. Aux aléas de sa visite dont il ne connait encore ni le sens, ni l’étendue.

LA MAISON EUROPEENNE DE LA PHOTOGRAPHIE COMME TERRAIN D’ETUDES Nous venons de voir trois raisons pour lesquelles la Maison est un terrain d’étude parfait pour une observation de parcours de visiteurs. Vient s’ajouter à ce que l’on a vu une dernière raison, la plus importante : elle réside au niveau de la disposition des espaces d’exposition.

« Il n’y a pas de consécration d’un espace particulier. Il y a toute une série d’espaces utilitaires. Mais l’espace important, c’est l’espace d’exposition. C’est pour ça que les grandes pièces ont été rénovées dans l’idée d’obtenir le plus de surface d’exposition possible.

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Ce bâtiment est à détourner : chaque exposition, chaque travail de photographe seront une nouvelle scénographie. Tout effet pourra être détourné en permanence, repeint, interprété. Je pense que les utilisateurs seront suffisamment sensibles au lieu pour ne pas le malmener, mais il faut que tout le monde puisse l’investir.»8

8

Yves Lion, propos recueillis par Marianne Brausch, 1997.

Sa configuration en parcours ascendant sur plusieurs étages lui confère la caractéristique particulière de superposer des espaces aux plans quasiment similaires mais dont certains attributs peuvent différer. Ces différences sont facilement observables et permettent une étude par comparaisons et rapprochements. On note par exemple des différences de hauteur sous plafond, des parois en plus ou en moins, des dispositifs d’éclairages différents, des couleurs et ambiances différentes ; le tout donnant une perception différente de chaque espace. L’étude a été effectuée lors de l’exposition « Genesis » de Sebastião Salgado qui se déroula du 25 septembre 2013 au 5 janvier 2014. Il s’agit de la grande exposition de Salgado, un hommage photographique sans précédent à notre planète. Elle est découpée en cinq chapitres géographiques («Aux confins du Sud », « Sanctuaires naturels », « Afrique », « Terres du Nord », « Amazonie et Pantanal ») dans lesquels sont réparties 245 photographies.

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« Genesis est la quête du monde des origines, celui qui a évolué pendant des millénaires avant d’être confronté au rythme de la vie actuelle, avant d’oublier ce qui fait de nous des êtres humains. Cette exposition nous présente des paysages, des animaux et des peuples qui ont su échapper au monde contemporain. Elle met à l’honneur ces régions vastes et lointaines où, intacte et silencieuse, la nature règne encore dans toute sa majesté. »9 9

Lélia Wanick Salgado à propos de «Genesis».

Cinq chapitres qui sont répartis en cinq salles d’exposition différentes. Trois dans l’extension et deux dans l’ancien hôtel. Nous allons tout de suite voir comment se constitue le parcours de visite que nous étudierons dans le général ainsi que dans le détail. Photographies de l’exposition «Genesis» par Sebastião Salgado.

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R+2

R+1

RDJ RDC

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Le parcours

ENTREE ET PRINCIPE Bien que chaque salle d’exposition soit nettement délimitée et distincte des autres, la notion d’un parcours tout au long de la visite des 3 étages est bien présente. Celui-ci s’enroule sur lui-même, ayant la caractéristique d’utiliser le principe de retour du visiteur sur ses pas sans qu’il ait l’impression de voir deux fois la même chose. Un procédé intelligent mais surtout nécessaire dans un endroit si restreint. Il y a pour chaque salle un seul accès, pourtant, malgré l’étroitesse de l’aile du bâtiment, un parcours d’arrivée et un parcours de sortie limitent le croisement des flux entrants et sortants. C’est à travers un jeu habile de points de vue et d’alternances de rythmes qu’Yves Lion parvient à emmener le visiteur tout au long de la visite. L’effet suggestif de l’articulation de l’espace sert à guider le visiteur sans qu’il le remarque. Il réussit à faire en sorte que le visiteur puisse se déplacer dans toutes les pièces, bien qu’elles soient à différents étages et en cul-de-sac, sans jamais avoir l’impression de rebrousser chemin.

Axonométrie éclatée faisant figurer le parcours en totalité.

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C’est à travers un principe de retournement, de pliage du parcours qu’Yves Lion parvient à jouer avec le trajet des visiteurs et à faire se croiser ceux qui entrent et ceux qui sortent sans encombre dans un espace minimum. Ce jeu commence dès la séquence d’entrée où le visiteur, après être rentré au milieu de la façade, directement dans le joint creux de l’articulation, doit se diriger vers l’accueil se trouvant à l’extrémité sud du bâtiment. Il prend son billet en tournant le dos à l’entrée ainsi qu’au début du parcours. Enfin, il doit se retourner pour voir apparaître la prochaine étape pendant laquelle il va longer le même mur qui l’avait auparavant fait se tourner vers l’accueil en entrant dans la maison. Passée cette paroi, il prendra ensuite à droite pour monter l’escalier en pleine lumière, écarté légèrement de la façade de l’hôtel.

PREMIER CHOIX Séquence d’entrée dans la première salle.

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En haut, il tombera sur le premier nœud décisionnel de son parcours : une paroi frontale, éclairée car, affichant le


nom et/ou une photographie d’un artiste exposé. Il devra se retourner une nouvelle fois pour se retrouver face à une demi-douzaine de marches le menant à la première salle d’exposition. Nous nous demandons ce qui fait que le visiteur se retourne à cet endroit. Il s’avère que le mur est placé de telle façon qu’il crée une profondeur, indiquant que l’action de le dépasser ouvre comme le ferait un escalier ou une porte - sur une nouvelle partie d’exposition. Ceci implique que le visiteur revienne plus tard, au risque d’oublier, si il ne rentre pas maintenant dans cette salle. On ne veut rien laisser derrière.

Ce premier choix est très important et l’expérience démontrera qu’il détermine la manière dont se passera la suite de la visite. Car ici, le visiteur qui hésite est toujours

Paroi frontale

Plan montrant la première salle ainsi que les vues de la séquence en croquis.

un primo-visiteur. C’est-à-dire qu’il vient dans ce musée pour la toute première fois. Il ne connait pas l’espace dans lequel il évolue et n’a aucune idée de la durée de la visite ni de l’étendue du parcours. Le fait est que, le comportement du primo visiteur est complètement différent de celui de l’habitué. Il cherche, il est curieux, il se retourne pour regarder autour de lui et effectue un parcours bien plus vaste et complexe que celui de l’habitué. Il faut préciser

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qu’il n’y a aucun plan de la Maison distribué à l’entrée. L’expérience de suivi montrera que la curiosité pousse la plus grande majorité des gens à dépasser ce mur afin de vérifier ce qui les attend derrière ; c’est-à-dire la librairie, et plus loin, l’escalier montant aux étages. Impossible donc d’avoir une idée de l’étendue de l’exposition. Cela trouble le visiteur. Il s’en remet alors à la signalétique. Il n’y en a, en général, pas à cet endroit car la MEP accueille rarement une unique exposition comme ici et cette petite salle est réservée d’habitude à la découverte d’un jeune photographe. Lors de l’exposition de Salgado, la signalétique annonçait cette salle comme «suite de l’exposition», ce qui ne signifie absolument rien puisque l’ordre dans lequel on découvre les cinq parties différentes de l’exposition n’apporte rien de plus à l’expérience de la visite. Cela eut pour effet de répartir la population de cette salle en deux catégories : Les habitués en tout début de parcours et les primo-visiteurs en fin de parcours. Cette salle possède un plan en trapèze rectangle similaire aux deux autres salles au-dessus d’elle. Nous entrerons dans ces salles plus tard.

PRIMO-VISITEURS ET HABITUES Cette distinction reviendra souvent par la suite car elle constitue une donnée importante lorsque l’on étudie

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précisément le parcours. Les schémas types que l’on découvre sont intimement liés à cette condition. Faire travailler la conscience demande énormément d’énergie au corps humain et notre inconscient ne nous fait parvenir les informations que si elles s’avèrent être réellement nécessaires.1 Par exemple, lorsque l’on découvre une ville pour la première fois, tout s’avère être plus fatigant car notre cerveau inconscient informe notre conscience de chaque

1

Reportage diffusé sur Arte, Le cerveau et ses automatismes, Le pouvoir de l’inconscient, 2012.

nouvelle donnée perçue par nos sens. Un sens de circulation différent demande une attention plus particulière. Une signalétique inconnue, une architecture nouvelle, une langue différente ; toutes ces données inhabituelles captent l’attention du voyageur et il lui est nécessaire de pouvoir les traiter consciemment, ne serait-ce que pour ne pas se faire renverser en traversant une rue. Se balader dans un espace connu demande nettement moins d’efforts car l’inconscient fera automatiquement abstraction des données inutiles. La raison pour laquelle une visite peut s’avérer parfois fatigante ne dépend pas toujours de la longueur dans le temps que prend le parcours mais bien souvent de la quantité d’informations nouvelles à l’attention du visiteur. L’architecture du lieu en est une importante. Un visiteur connaissant le musée dans lequel il évolue a tendance à se fatiguer beaucoup moins qu’un primo visiteur qui, lui, doit faire fonctionner simultanément son cerveau dans le but de se repérer dans l’espace. Ce traitement de données contribue également à la fatigue physique du visiteur. Les personnes qui utilisent les bancs

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pour se reposer à la Maison sont essentiellement des étrangers et/ou moi-même qui y ai certainement fait les plus longues visites. Nous remarquerons plus loin, grâce à l’observation, que cette différence d’appréciation entre le primo visiteur et l’habitué modifie visuellement le parcours tracé par ces visiteurs ainsi que leurs comportements et leurs regards.

CIRCULATION DES FLUX Yves Lion propose dans la configuration de ses salles, un parcours rapide. Il sait que l’affichage de la photographie se fait quasiment toujours sur les murs et non pas au milieu de la pièce. Seuls sont exposés ainsi les catalogues d’exposition ou autres livres en relation avec le thème traité. Le positionnement d’un élément clé dans l’exposition détermine le rapport et l’approche que le public aura de l’espace en général. Il est fascinant d’étudier la façon qu’a l’architecte de créer des axes, de favoriser des perspectives en proposant des parois et des ouvertures et ce faisant de favoriser également la circulation du public à travers tout espace intermédiaire, jusqu’aux parties les plus éloignées. Dans ce musée étroit et à sens unique, le problème rencontré par Yves Lion était de réussir à proposer un parcours fluide, qui permette aux visiteurs de suivre un fil d’Ariane invisible. Un fil qui pourrait rapidement s’emmêler et produire une

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piètre expérience muséale. De part le fait qu’il ne fasse que s’enrouler sur lui-même depuis la séquence d’entrée jusqu’à la redescente des 3 étages et la sortie, ce parcours demande une maîtrise de l’espace irréprochable. Si l’on s’attarde quelques secondes sur le plan de la Maison, on se rend compte rapidement que l’entrée du musée est également sa sortie. Lehmbruck nous dit qu’il existe deux schémas de visite possibles présentant une différence importante d’un point de vue psychologique : « 1. Le schéma de visite circulaire ramène à l’entrée et pose les problèmes suivants : le but proposé est identique au point de départ, il est possible d’évaluer approximativement à tout instant l’effort nécessaire pour effectuer le parcours et une « crise du retour » peut se déclencher. 2. Le schéma de visite linéaire présente les avantages ci-après : l’entrée et la sortie ne se confondent pas, l’effort à fournir n’est pas connu et le but peut être inconsciemment considéré comme un « progrès » véritable. Il convient aussi de souligner que, pour des raisons d’économie psychologique, il ne faudrait jamais refaire le même chemin».2 2

Ce qui nous frappe dans le parcours de la Maison Européenne de la Photographie, c’est qu’il n’est pas classifiable dans

Manfred Lehmbruck, Psychologie : perception et comportement, in Museum, volume 26, n°3/4, Paris, 1974, pp. 190 - 203.

l’une ou l’autre catégorie mais bien dans un mélange des deux. Le parcours nous ramène à l’entrée et le visiteur

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en est conscient depuis le début de la visite. Cependant il s’agit bien d’un schéma de visite linéaire et il n’est pas possible d’évaluer le temps que va prendre la visite, ni le nombre de salles. De plus, l’ascension par un seul et même escalier constitue symboliquement un progrès véritable, à chaque fois que tout un plancher a été visité. La descente s’apparente, quant à elle, aux paliers de décompression en vue de ressortir du monde de la Maison. Le principe de retournement énoncé se retrouve dans toutes les phases du parcours, c’est-à-dire que tout élément de maçonnerie de l’extension est placé dans le but de faciliter le retournement. On remarque sur le schéma ci-dessous la complexité du développé du parcours et la caractéristique qu’il a de se répandre pour finalement toujours revenir au même élément central : l’escalier d’honneur. Ce dernier vient rythmer le parcours, donnant la pulsation à la visite. Il est une coupure dans l’étalement de la visite et l’organe vital de l’ensemble du bâtiment. Un espace de Compression et étalement du parcours de la MEP.

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compression permettant de guider le visiteur entre deux phases de visite.


Pour nous faire rebrousser chemin, Yves Lion doit nous faire passer deux fois au même endroit car le passage de l’articulation entre l’extension et l’ancien hôtel n’est large que de seulement deux mètres, voire moins. Il ne crée cependant pas d’espaces de convergence plus denses mais seulement des points de passage. Le traitement de points focaux au fond d’un axe peut apporter différentes relations avec l’ensemble. Si le scénographe décidait de ne pas attirer l’attention sur un point focal en laissant par exemple un mur sombre, alors la hiérarchie de l’espace serait perdue, invitant le spectateur dans un parcours plus lent explorant chaque sous-espace en particulier, mais troublant le bon déroulement de la visite générale. L’invitation vers un point focal met en jeu la curiosité du visiteur qui pourrait ou non y être réceptif. En utilisant de façon consciente le point focal, certains usages peuvent changer le même contexte muséal d’ennuyant à dynamique, de courte visite à expérience très lente voire même arriver à un apport complètement nouveau. Nous verrons qu’il existe à la MEP, plusieurs solutions viables selon les étages. La configuration, telle qu’elle est, tient du parcours en séquences simples qui conduit le spectateur du début à la fin de l’exposition à travers la totalité des photos exposées. Le parcours est à première vue totalement libre en regardant le plan mais l’accrochage, les lumières et les points focaux nous montrent à l’instar du premier mur, une deuxième approche de l’exposition possible.

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Nous arrivons donc finalement à la prochaine étape de notre analyse : le suivi de visiteurs, directement dans l’exposition. La notation laborieuse et sans relâche du parcours sensible et précis du déplacement des corps selon des raisons qui ne demandent qu’à être révélées. Il est vrai que bien souvent les réponses à la problématique que nous proposons résident dans les limbes de notre cerveau, un endroit inconnu et impénétrable pour des êtres extérieurs, mais qui parfois peut se laisser aller à nous transmettre des indices pour aider à sa compréhension. Des milles façons de procéder nous avons choisi celle-ci : l’observation. Nous épargnerons les détails du décorticage des données afin de dévoiler plus simplement les résultats de ces analyses sous une forme compréhensible. Aussi, nous nous efforcerons de ne traiter que des informations qui s’avèreraient utiles à notre apprentissage architectural.

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Filature

METHODOLOGIE Outils : Un plan, un crayon, un chronomètre. La méthode appliquée lors des relevés de parcours fut toujours basée sur le même principe. Il s’agissait de marquer sur le papier - des plans dessinés et imprimés au préalable le trajet effectué par les visiteurs de la Maison Européenne de la Photographie. Les relevés ont eu lieu en s’étalant sur plusieurs semaines car en fonction de l’affluence, certaines journées n’étaient exploitables que très peu de temps après l’ouverture de la Maison chaque matin. La MEP reçoit rarement autant de monde que lors de cette exposition de Salgado. Muni au début d’un carton à dessin, la méthode de filature n’était pas assez discrète et les parcours étaient biaisés par le fait que les gens se sentaient observés et parfois même s’aventuraient à regarder par-dessus mon épaule. Cette série n’a pas pu être exploitée. De nouveau en piste avec un format plus réduit, la filature a pu continuer. Suivant les possibilités, les visiteurs étaient suivis, soit sur l’ensemble du parcours, soit seulement dans une salle ou deux.

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Les visiteurs sont choisis selon un seul critère : qu’ils ne soient pas accompagnés. Sont notés les déplacements exacts, les lieux d’arrêt et les temps d’arrêt ainsi que les regards lorsqu’ils ne sont pas orientés vers les photographies ; c’est-à-dire les moments où le visiteur s’oriente dans l’espace. Le facteur temps est présent de manière latente dans toutes les considérations de l’espace et ne peut être séparé du concept de parcours, c’est pourquoi il apparaissait indispensable de noter le temps d’arrêt des visiteurs. La différenciation entre les primo-visiteurs et les habitués n’est venue qu’après une première analyse des résultats. Il n’y a pas de préférence de genre ou d’âge dans le choix des visiteurs ; même si l’information est recueillie, elle n’influence en rien l’étude des résultats. Les suivis ont été réalisés à la suite de l’étude de points précis du parcours de l’exposition de Salgado. Les endroits clés du parcours qui ont été analysés précédemment feront l’objet d’une approche plus particulière afin de comprendre les mécanismes des systèmes d’exposition et la volonté a été également de travailler le suivi de visiteurs en comparant les différents espaces entre eux. Le but de cette étude était dans l’idéal de découvrir un algorithme permettant de résoudre les problèmes de fluidité de l’espace en fonction d’un type de visiteur de musée. Dégager un moyen de canaliser les flux et de trouver un schéma reproductible en fonction du type d’espace.

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Dans l’hypothèse ou cette expérience ne permettrait pas d’établir ce schéma prévu, les résultats seraient censés montrer que l’espace et la lumière ont une influence visible et prévisible - donc reproductible - sur le comportement des êtres humains dans l’espace architecturé. Les plans sur lesquels nous allons nous appuyer dans l’analyse qui suit sont également présentés à une plus grande échelle dans les annexes accompagnés d’une sélection de suivis.

Lorsque l’on observe les suivis, la raison pour laquelle nous avons choisi d’étudier les résultats par comparaison devient évidente. Nous nous doutons bien qu’une personne livrée à elle-même dans une grande salle vide ne commencera pas son parcours en longeant les murs, comme elle peut le faire dans une exposition de photographie. Seulement, il serait difficile de mettre en œuvre une expérience, où l’on pourrait inviter des gens à rentrer dans une salle, entièrement vidée afin d’observer leurs mouvements sans qu’ils soient influencés par le simple fait de faire partie d’une expérience. C’est pourquoi, la méthode utilisée ici pour comprendre l’influence de l’espace passe par l’étude simultanée de plusieurs plans différents. Ainsi, les informations révélées par les parcours reflètent, dans des salles à l’accrochage ressemblant, l’influence d’une architecture différente.

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LES SALLES DE L’EXTENSION

LES TRACES Dans les trois salles, les déplacements se font, en premier lieu, en fonction des photographies, mais sans préférence particulière pour l’une ou l’autre. Les arrêts se répartissent équitablement

devant

l’ensemble

des

cimaises.

La

répartition des mouvements et du nombre d’arrêts en fonction des photographies est totalement équitable. Il n’y a aucune oeuvre qui semble délaissée par les visiteurs. C’est en regardant le temps passé que l’on découvrira une différence non négligeable au niveau de l’intérêt pour les photographies en fonction de l’espace. On remarque ici que la première salle se distingue des deux autres : les parcours n’investissent pas le centre de l’espace. En effet, il n’y a pas de traversée d’un coté à l’autre de la pièce dans le sens transversal (c’est-à-dire de haut en bas sur les plans joints) comme on peut apercevoir dans les salles de R+1 et R+2. Le parcours reste pour la grande majorité le long des murs du trapèze rectangle. Les quelques exceptions étant des personnes qui rentraient pour la deuxième fois ou bien des personnes qui se sont révélées être accompagnées au milieu de l’enquête et dont le parcours aura été modifié par un élément extérieur.

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RDJ

R+1

R+2

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En outre, on remarque que, si les parcours commencent toujours à droite pour les deux premières salles, il n’en est pas de même pour la salle du R+2 qui elle, fait entrer les visiteurs à pourcentage égal soit à gauche, soit à droite. On voit sur les photographies en page de droite, plusieurs raisons qui sont la cause de cette différence de parcours notable. Dans les deux premières salles, la paroi fuyante qui nous fait rentrer dans l’extension (à gauche sur les photos) se poursuit plus loin dans l’espace. Celle-ci nous oriente donc naturellement vers la paroi de droite, qui fuit encore plus fortement vers une arrivée de lumière naturelle. Pour la dernière, l’ouverture sur l’espace de la salle se fait en sortant d’un «goulot d’étranglement» et le mouvement du visiteur, bien qu’étant canalisé en direction de la droite par la paroi fuyante, est appelé en même temps par le volume de la partie gauche de la salle. Nous sommes maintenant persuadés que si la forme de trapèze rectangle avait été revue en simple rectangle, cette paroi, alors devenue parallèle à l’autre, aurait eu un effet beaucoup plus réduit. C’est ce qui crée cette dichotomie dans les parcours observés. Pour la question du déplacement transversal, la réponse apparaît plutôt du coté de l’éclairage ainsi que de la hauteur sous plafond. L’éclairage de la première salle n’intéresse que les cimaises. Il y a dans cette pièce un fort contraste, doublé d’un appel de lumière au bout de la paroi fuyante de droite. Une fois happé par le mouvement qui nous fait suivre les cimaises, il est très difficile de s’en détacher car le regard est entré sous l’emprise des photographies, en net contraste avec les parois. Le centre de la pièce, dans

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RDJ

R+1

R+2

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l’ombre, devient un endroit inutilisé et le traverser demande un effort important. Il s’opère une pression de l’espace vers les cotés de la pièce qui induit un mouvement de rotation autour du centre en longeant les murs.

Pression ressentie causée par un éclairage essentiellement en périphérie.

Dans la deuxième salle, l’éclairage général est plus diffus. Le contraste est moins prononcé et l’atmosphère semble plus homogène. Il y a au centre de la pièce un livre ouvert dans une vitrine au niveau du sol, éclairée ponctuellement. Les relevés montrent qu’il se crée un mouvement supplémentaire par rapport à la salle précédente. Les traversées dans le sens transversal sont nettement plus fréquentes. On remarque que l’éclairage plus diffus distrait le visiteur et ses yeux ont tendance à regarder la salle dans son ensemble. Il peut tourner le dos à la cimaise et changer de direction brutalement dans son parcours. Il est aidé dans sa démarche par l’élément central en lumière, qui l’appelle, non pas à tourner, mais à effectuer un mouvement de balancier entre les deux cotés de la salle.

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RDJ

R+1

R+2

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Dans la troisième salle, la configuration prend la forme d’un mélange des deux précédentes. Le parcours est à la fois subordonné à la paroi fuyante en simple hauteur qui attire vers la droite, et à la double hauteur qui invite le visiteur comme le ferait une inclination du sol. C’est en s’intéressant à la carte faisant figurer le temps passé à chaque arrêt que l’on se rend compte d’un autre effet de la double hauteur. Chaque rond rouge représente un arrêt, et plus il est long, plus son diamètre sera important. Les temps d’arrêts vont de 2 à 30 secondes mais sont en moyenne à 8 secondes par photographie.

LE TEMPS D’ARRET Si dans les deux premières salles les temps d’arrêts sont constants devant l’ensemble des photographies, il se forme un déséquilibre évident dans la troisième salle. Les œuvres dans la double hauteur retiennent en moyenne le visiteur deux fois plus longtemps que dans la deuxième partie de la salle et ailleurs dans les autres pièces. Il pourrait y avoir plusieurs raisons à cela. Premièrement, nous pouvons penser que l’espace est plus agréable et que les gens aiment à y rester plus longtemps. Il pourrait y avoir aussi un thème dans ces photographies qui demanderait aux visiteurs de regarder plus précisément, mais il n’en est rien.

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Notre hypothèse est que le passage d’une simple à une double hauteur ralentit le mouvement général de déplacement. C’est-à-dire que, ce ne sont pas les arrêts seuls qui sont plus long, mais la marche également. Le temps s’allonge et le pas est plus lent. Ce phénomène marche autant dans le sens inverse. Il ne s’agit pas de la double hauteur en elle-même, mais bien d’une différence de hauteur ou de largeur de l’espace au cours du déplacement entre deux points donnés.

EFFET VENTURI Si nous considérions une foule en mouvement, pouvant s’apparenter à un fluide, des lois de dynamiques précises pourraient s’appliquer. En se référant à l’effet Venturi, qui nous dit que pour un débit de fluide constant, si le diamètre diminue, alors la vitesse augmente nécessairement, nous pensons que cet effet et sa réciproque sont valables sur le déplacement humain. Accélération

L’effet Venturi : Si la section d’un tube dans lequel circule de l’air diminue, l’air doit accélérer pour garder le même débit.

Non seulement le déplacement de foules compactes, mais

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aussi celui de l’être seul qui passe d’un espace compressé à un volume plus ample. C’est l’effet que nous mettons en lumière ici, grâce à l’élaboration d’une cartographie du temps. La réciproque veut également que la première salle accélère le mouvement de rotation par sa séquence d’entrée. Lorsque que nous rentrons dans la salle nous montons un escalier, or la sous-face, filant au dessus, reste la même et l’espace semble donc plus restreint. Le mouvement est accéléré à l’entrée de la salle et se ralentit par le fait que l’espace se répand en largeur. Ce jeu permet ainsi de favoriser le retournement du parcours et d’éviter de bloquer l’entrée de la première salle de l’exposition. La connaissance de l’effet d’un tel procédé ajoute un outil à notre capacité à concevoir de l’espace. Nous pouvons envisager un usage similaire à celui de la rampe dans certain cas pour faire accélérer ou ralentir le pas, favoriser la contemplation ou Schémas types de parcours dans les trois salles.

bien gérer des flux de manière plus savante.

Un parcours totalement directif, influençant fortement les déplacements du visiteur.

Un parcours neutre et libre, mettant le visiteur dans un état d’errance calculée.

Un parcours avec une double approche possible. Installant une double direction, deux espaces distincts et deux ambiances différentes avec une influence sur la vitesse du parcours.

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Il n’y a pas de changement de hauteur de la sous-face à l’étage R+1 et donc le déplacement se fait toujours à la même vitesse à cet endroit. C’est le lieu le plus neutre de l’exposition. Il n’est absolument pas directif et ne favorise aucun déplacement plus qu’un autre. Nous nous retrouvons donc avec trois typologies de parcours profondément différentes pour trois salles qui à première vue semblent très similaires et ce uniquement avec des variations de lumière et de hauteur. Il est important de souligner que le caractère de chacun de ces parcours semblent pouvoir être permutable entre les différents espaces. Il serait intéressant d’appliquer l’éclairage de la première salle, directif, contrasté et ponctuel, dans les deux autres afin d’étudier le déplacement des visiteurs à l’intérieur. Nous sommes assurés que le déplacement serait identique dans chaque salle. Nous allons passer maintenant à l’analyse du travail sur le point focal dans l’espace intermédiaire faisant le lien entre l’’escalier et l’articulation en R+1 et R+2.

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LES SALLES DE L’ARTICULATION

LE POINT FOCAL La hiérarchie est un élément fondamental de la mise en place et apparaît plus comme une décision du conservateur que du scénographe. L’espace global peut être structuré de manière à privilégier certaines salles ou installations clés par rapport à d’autres à travers une directe accessibilité ou une ample visibilité. Le positionnement d’un élément clé dans l’exposition détermine le rapport et l’approche que le public aura à l’espace en général. La décision d’implanter un élément au bout d’un axe, par exemple, favorise la perspective et en conséquence la circulation du public à travers tout espace intermédiaire, jusqu’aux parties les plus éloignées. Par contre, la circulation du public peut être déterminée par le positionnement d’un objet clé au milieu d’un centre de convergence, où, plusieurs connections à d’autres salles ou espaces seront possibles. Dans ce cas, l’espace de convergence est là où le public est le plus dense. Le traitement d’un point focal au fond d’un axe peut apporter des relations différentes avec le tout. Au contraire de l’exemple précédent, où le positionnement

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d’un élément clé dans la perspective éloignée produit un afflux du public dans cette direction, la solution opposée serait de ne pas attirer l’attention à ce point focal en y présentant un mur blanc, par exemple. Alors, la perception des salles en séquence se fait en ordre non hiérarchisé. Le visiteur est invité à explorer chaque espace en particulier, dans un parcours plus lent et une réduction du rythme de perception.

Photographie en entrant dans l’articulation du R+1 et R+2.

R+1

R+2

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A la MEP, on peut remarquer la différence entre ces deux systèmes aisément entre le premier étage et le deuxième étage de l’articulation entre les deux bâtiments. On observe deux traitements différents d’une perspective et donc deux utilisations différentes par les visiteurs. On remarque au premier étage une lumière diffuse ne privilégiant aucune œuvre ou profondeur. Lorsque l’on rentre dans la première partie de la salle, on trouve une paroi frontale laissant apparaître une perspective sur un couloir, le tout baigné dans la même lumière sans aucune différenciation. Sur la droites une série de photographies, dans le couloir, la même chose sur les deux murs et une photographie en fond de perspective qui n’est absolument pas mise en valeur. On remarque que dépasser la paroi frontale demande un effort supplémentaire aux visiteurs. Nombreux sont ceux qui préfèrent se défiler et contourner par la petite ouverture située sur le coté droit de la paroi. Au deuxième étage, l’écart est notable. On ressent une différenciation nette de l’espace par lequel on entre – c’està-dire devant la paroi - d’avec l’espace que l’on aperçoit au-delà. Les murs sont plus sombres et les photographies ressortent plus du fait du contraste plus fort. Il est possible de les discerner de plus loin et elles attirent vivement le regard. Cette perspective sombre, alliée à une photographie éclairée, crée un point focal fort et entraîne le visiteur dans un mouvement vers l’avant de façon à dépasser plus facilement cette paroi sur son chemin. L’expérience montre que la manière de parcourir l’espace est ainsi visiblement modifiée.

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R+1

R+2

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Cette différence permet de tirer le meilleur parti de chaque configuration vis-à-vis du croisement des visiteurs entrants et sortants. Les visiteurs sortants ont, par définition, un pas plus rapide que ceux rentrant et ces deux configurations fonctionnent dans le but de libérer l’espace. Faire accélérer le visiteur entrant au niveau de la zone de croisement et le faire ralentir dans les espaces à sens unique où le stationnement ne viendra pas troubler l’équilibre général. Ce schéma montre l’intelligence de la conception de ces salles. Les deux flux de visiteurs se croisent un minimum de fois et dans des sens et directions différentes.

Schéma de principe montrant le dispositif de circulation des flux.

En rouge : les flux rapides, flux sortant ou changement d’état. En bleu : les flux lents, zones exposant des photographies, état de visite.

La zone de couleur représente la partie où l’espace imprime un mouvement rapide au visiteur.

On remarque que les flux se croisent toujours lorqu’ils sont rapides. Il n’y a pas de flux rapide circulant à travers un espace destiné à la lenteur de l’exposition. C’est ce qui permet de garder un rythme de visite sans encombres, même dans une exposition surpeuplée.

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Seulement, une erreur de scénographie viendra entâcher la fluidité de l’espace du deuxième étage. Comme on peut le remarquer sur plusieurs suivis, il s’agit d’une photographie placée juste au bout du mur, et qui vient faire stationner les visiteurs entrants dans le passage. Un choix que nous ne pouvons expliquer sinon par le fait que l’exposition, déjà très dense, ne permettait pas d’autre solution.

Parcours montrant l’arrêt au milieu du passage causé par une photographie mal placée.

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LES SALLES DE L’ANCIEN HOTEL Ces deux salles sont très semblables dans leur architecture et dans leur accrochage. Les différences se trouvent au niveau de la couleur des murs qui sont un peu plus chaudes au R+2 et dans la présence de bancs en R+1. La hauteur sous plafond est la même et comme on peut le voir sur la droite, les plans sont identiques.

USAGE DES BANCS En R+1, nous entrons, selon les indications données par la signalétique, dans la première salle du parcours de l’exposition. Il est cependant bien curieux d’y trouver des bancs. Les visiteurs serait-il déjà fatigués à l’entrée dans la première salle ? Nous écartons directement la possibilité du placement de bancs afin de mettre en valeur une photographie particulière, ces bancs ne sont clairement pas placés pour observer. Ces bancs sont en effet présents pour une tout autre raison. Le premier sert à canaliser le flux d’arrivants dans une direction précise - ici, droit devant - afin de réguler les entrées de visiteurs qui arrivent en même temps. C’est justement parce qu’il s’agit de la première salle que ce banc prend toute son importance. Le flux de visiteur en début de visite est très dense, beaucoup plus dense qu’à l’entrée des salles suivantes. Il s’éparpillera avec le temps de la visite, chaque visiteur marchant à son rythme.

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R+1

R+2

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Seulement, c’est paradoxalement l’effet inverse qui va se produire ici. Le banc offre une double direction car il laisse un choix avec deux possibilités égales. De plus, il s’adresse à des gens qui ne connaissent pas la suite du parcours et qui entrent pour la première fois dans cette partie de l’ancien hôtel. Il est la cause d’un arrêt, léger, mais perceptible étant donné qu’il figure sur nos dessins, et vient se placer juste avant la première photographie. Il apparaît que le visiteur, lorsqu’il s’arrête ici, regarde l’ensemble de la pièce d’un coup d’œil circulaire. Il scrute l’espace pour mieux le comprendre et savoir ce qui l’attend.

PERCEPTION

DE

L’ESPACE

:

L’IMPORTANCE

DE

L’ORIENTATION Dans une exposition, l’espace architectural doit s’effacer devant l’objet présenté. Pour ce faire, l’espace doit être perceptible rapidement par le visiteur et ainsi rester au second plan dans son esprit car si l’inconscient n’est pas capable de percevoir l’espace de lui-même, il viendra prendre le dessus sur la volonté du visiteur de se laisser porter par le fil de l’exposition. L’expérience vécue de l’espace tridimensionnel résulte d’un gradient de perception qui peut être appréhendé plus facilement et avec moins de fatigue dans un environnement clairement structuré. C’est pourquoi le visiteur doit être capable de se repérer facilement et de percevoir les limites

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-entrées et sorties- de l’espace dans lequel il pénètre. L’espace circulaire, par exemple, s’ancre mal dans la perception. Aussi longtemps que l’espace n’est pas perceptible aisément, le visiteur continuera à chercher, ne serait-ce qu’inconsciemment. L’inquiétude qui en résulte chez le visiteur rend le contact plus difficile avec le média exposé. On retrouve l’application de ce principe dans le comportement

des

primo-visiteurs

de

la

Maison

Européenne de la Photographie. De nombreux suivis montrent que les primo-visiteurs perçoivent mal le développement de ces parties du musée. La paroi fuyante en biais, que l’on aperçoit dès l’entrée, peut laisser suggérer que le parcours s’étend beaucoup plus loin que le parcours fini que l’on connait en plan. La perception de l’espace réel est difficile et les gens se déplacent pour vérifier jusqu’où s’étend la pièce suivante, pour ensuite revenir dans la pièce où ils étaient pour continuer tranquillement.

Différence de la capacité de perception de deux espaces a priori ressemblants

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Dans un espace lisible, la constance de la perception complète mentalement les parties de l’espace qui se recouvrent et ne sont pas objectivement perceptibles, les réunissant au sein d’une conscience de l’espace clairement structurée. Ce n’est vraisemblablement pas le cas dans cette salle au vu de notre étude.

ATTRACTION DU CENTRE Au niveau R+2, les tracés sont plus répandus sur l’ensemble de la pièce. On note que l’absence de bancs invite le public à investir le centre de la pièce. Il est même un phénomène étrange du coté droit du R+2. Les parcours semblent subir une force d’attraction du centre de l’espace qui fait dévier des trajets qui devraient être droits, longeant les fenêtres (occultées). Là où, en R+1, le banc empêchait de se rabattre vers le centre et appelait à être contourné, créant ainsi un mouvement de rotation autour de lui-même, le vide, lui, exerce une attraction qui modifie visuellement le trajet pour directement aiguiller les visiteurs dans le sens inverse. Schéma montrant l’influence du banc en comparaison avec celle de la même pièce, vide.

Sans la présence des bancs qui viennent structurer l’espace, le mouvement général devient plus flou et les trajets sont plus aléatoires.

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SUR L’ATTENTION PORTEE AUX ŒUVRES L’influence des dispositifs d’accrochage est aussi une donnée qui joue un rôle primordial dans le mouvement des visiteurs. Si la composition de l’espace influence le visiteur, la disposition des photographies peut révéler certains comportements récurrents.

LA DIALECTIQUE DE LA DIFFERENCE L’introduction d’une discontinuité dans un ensemble d’œuvres crée souvent un courant d’attention particulier que l’on peut attribuer à l’accrochage. On s’aperçoit par exemple qu’une différenciation des formats créant une discontinuité – un grand tableau au milieu de petits, ou l’inverse – a un aspect plus attractif pour les visiteurs. Ils passent plus de temps devant l’œuvre et peuvent même être attirés de plus loin. On remarque également qu’un portrait exposé parmi des paysages ou un paysage exposé parmi des portraits provoque la même attirance. Le même principe se retrouve pour les œuvres esseulées voire même cachées. L’observation fait apparaître que cette attitude n’est généralement pas liée à la notoriété ou à la qualité des œuvres concernées. Aucune comparaison possible donc avec le fait que la Joconde, seule sur son mur dans la salle des Etats, attire autant de monde.

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Il n’est pas toujours nécessaire de mettre en vedette une photographie pour attirer vers elle les visiteurs. Paradoxalement, l’effet inverse se produit bien souvent. Les photographies que l’on ne distingue qu’en partie, mais dont on devine l’existence, incitent à s’approcher. Lorsque l’on rentre dans une pièce, les photographies qui se trouvent dans notre dos sont souvent les plus regardées et occasionnent même parfois des bifurcations dans des parcours linéaires. Jean-François Barbier Bouvet va même jusqu’à dire : «qu’il est dans la démarche culturelle la plus légitime de s’accompagner d’un fort sentiment de frustration anticipée à l’idée d’avoir pu manquer quelque chose d’important. Au Louvre, dans des salles où tout est apparent, ce si fréquent coup d’œil circulaire qui permet de se rassurer en constatant rapidement qu’il n‘y a là rien qu’on ne puisse négliger sans dommage ; tandis que dans les salles où un objet en masque manifestement un autre, ou bien un dispositif de présentation (certain types de vitrines horizontales) ne le rend pas visible de loin, cette démarche de vérification qui est parfois ensuite à l’origine d’une attention prolongée».1

1

Jean-François Barbier Bouvet, Jours, parcours, détours : espaces des pratiques et pratique de l’espace au musée du Louvre, Ministère de la culture, 1980.

LES FINS ET LES DEBUTS DE SERIES Lorsque l’on se réfère au temps passé devant les œuvres, on se rend compte qu’il y a bien souvent des pics d’attention pour les œuvres situées en début et en fin de série. Ces

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œuvres sont généralement placées à des intersections et des endroits plus restreints tel que les coins de salles ou encore le passage entre deux salles du coté de l’ancien hôtel. Il y a un coté rassurant dans ces endroits qu’il est nécessaire d’amener en lumière. Ils constituent un passage d’un moment de l’exposition à un autre et jalonnent le parcours tels des accomplissements successifs rythmant la visite. L’impression d’avancer, de changer d’endroit, d’aller vers un nouvelle partie de l’exposition demande le temps de se préparer au cas où l’on ne pourrait pas revenir sur ses pas. Il pourrait sembler anecdotique de prendre en compte de telles choses mais il n’est rien à négliger si nous décidons d’être exhaustifs sur les raisons initiales des mouvements observés.

Nous

considérons

qu’aucun

phénomène

récurrent observé n’est dû au hasard. Même si nous ne savons pas qu’en faire aujourd’hui, l’étude de cette partie de la psychologie humaine trouvera peut être son application dans quelque autre domaine ou à quelque autre moment de notre apprentissage et notre création architecturale.

LES COINS ET RECOINS Les photographies permettant de s’isoler contre la sécurité d’un mur font l’objet d’une attraction toute particulière. La possibilité de venir se blottir dans un coin, de pouvoir être seul au monde face à une photographie dans une

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exposition, qui peut fréquemment être surpeuplée, est non-négligeable. On retrouve cette configuration dans la galerie de l’ancien hôtel, là où les angles sont aigus et la relation avec la photographie est privilégiée. Bachelard, bien avant nous, rendait compte de la conséquence du coin du point de vue psychologique : «Voici le point de départ de nos réflexions : tout coin dans une maison, toute encoignure dans une chambre, tout espace réduit où l’on aime à se blottir, à se ramasser sur soi-même est, pour l’imagination une solitude, c’est-à-dire le germe d’une chambre, le germe d’une maison».2 2

La symbolique d’un espace tel que celui-ci transparaît encore aujourd’hui dans notre expérience.

Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, Edition Quadrige, 1957, p.130.

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LE PHENOMENE DE CHANGEMENT DE MUR AVANT L’ANGLE Lorsque l’éclairage n’intéresse que les murs, il est un schéma que l’on retrouve aussi chez certaines personnes en arrivant là où se rejoignent deux cimaises. En effet, le contraste entre l’ambiance générale sombre de la salle et les photographies en lumière de la première salle du rezde-jardin est particulier. Lorsque le visiteur est face au mur, bien souvent il ne lève pas les yeux des photos qu’il a devant lui. Il marche sur le côté, le mouvement des yeux alternant entre les photos et les cartels. Mais quand il arrive au coin de la salle, sa vision périphérique est attirée par la lumière provenant de la fenêtre du fond de la salle. Il regarde et voit la première photographie sur le mur de gauche ainsi que la photographie qui prend le reflet de la fenêtre. Son choix se porte généralement sur la première. Il reviendra ensuite s’il lui semble avoir oublié de tout voir. Ce schéma est typique de cet endroit précis. Dans la salle du dessus, les changements de directions sont plus fréquents car l’ambiance plus lumineuse et moins contrastée appelle les visiteurs à ne pas suivre les cimaises et à se retourner plus fréquemment. On joue ici avec la concentration du visiteur.

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L’IMPORTANCE DE LA SIGNALETIQUE Le

public

est

subordonné

à

l’information

écrite

considérablement plus qu’à son intuition. Il a tendance à se fier aveuglément à la signalétique, que ce soit pour se renseigner sur la prochaine étape de la visite, ou pour être sur d’avoir bien compris ce qu’il venait de voir. Il passe même plus des deux tiers de son temps à lire les cartels descriptifs et les textes affichés aux murs. Si, sur les suivis de parcours, l’on note que les arrêts se font majoritairement du coté droit des photographies, ce n’est pas par imprécision. C’est essentiellement parce que les cartels se trouvent justement de ce côté. Un visiteur arrivant du coté droit s’arrêtera avant d’être au centre de la photographie et adoptera une posture de trois quarts par rapport à cette dernière. Le visiteur arrivant de la gauche, lui, viendra se placer en face du centre de la photographie. Sur un arrêt moyen de dix secondes, le regard se portera environ quatre secondes sur la photographie et le reste du temps sera dédié à la lecture des informations telles que le lieu, la date, ou encore le nom de l’animal photographié, afin de vérifier, par exemple, que le jaguar qui sortait à la lisière de la jungle n’était pas en fait un léopard.

ECLAIRAGE, RYTHME ET PSYCHOLOGIE Un éclairage diffus réduit l’attention, tandis qu’un éclairage

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dirigé localement augmente la force d’attraction. Les ambiances évoluent en répondant à un rythme. La dernière salle est la plus directive car le visiteur fatigué se lassera vite si il ne suit pas un chemin précis. Dans l’ordre de la visite, on rentre dans une première salle très éclairée, mais le flux est canalisé par les bancs pour accélérer le mouvement et éviter les embouteillages, ensuite on fait une pause à la lumière du jour pour retourner dans une salle très éclairée, puis on repasse à la lumière du jour et l’on monte vers une salle à l’ambiance chaude et contrastée. On en ressort attiré de nouveau par la lumière naturelle pour arriver dans une autre salle mixte possédant une entrée lumineuse laissant apparaître une salle plus sombre derrière et enfin descendre dans une salle alliant d’un coté, l’éclairage et la hauteur sous plafond, et de l’autre, un plafond bas et un éclairage vers les murs. On est arrivé au bout de la visite, il faut maintenant revenir au point de départ où la dernière salle nous attend. Après être ressorti à la lumière et avoir descendu l’escalier, jusqu’au rez-de-jardin, on entre dans cette salle très sombre et contrastée où l’éclairage n’intéresse que les murs. Tout ce parcours n’est pas fait au hasard. On sait que le spectateur en fin de parcours est moins attentif et on lui offre la possibilité de s’en remettre inconsciemment au scénographe qui le guide pour faire le tour de cette dernière salle et finalement arriver au bout de cette longue exposition. « L’orientation est un instinct élémentaire de l’homme, qui s’approprie peu à peu l’environnement grâce à un système

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de repères. Par sa nature même, le musée est plus tourné vers le principe de l’échelonnement (décomposition du parcours selon la direction, l’éloignement et le temps) que vers celui de la compression. » La prise de possession doit suivre la curiosité et la conquête de l’exposition selon une gradation psychologique qui

3

Manfred Lehmbruck, Psychologie : perception et comportement, in Museum, volume 26, n°3/4, Paris, 1974, pp. 190 - 203.

soit en harmonie avec la stratégie de l’espace. Le rythme biologique demande à ce que l’exposition soit fractionnée aussi bien du point de vue quantitatif que qualitatif. Cela signifie un dosage des pauses et des possibilités de lectures de différentes phases du parcours. Un changement continuel peut engendrer des stéréotypes lassants et l’architecture n’a pas uniquement pour rôle d’offrir des formes d’espace et de lumière différentes. Elle doit aussi régler leurs enchaînements par plusieurs moyens comme des articulations et des points forts. Nous avons vu dans notre expérience que c’est exactement ce qu’a réalisé ici Yves Lion en séparant son musée en deux parties distinctes, alternées à chaque fois par ce retour à l’état de pause et de re-contact avec l’extérieur lorsque l’on passe au niveau de l’escalier d’honneur. La Maison Européenne de la photographie est un musée très savant et nous avons vu que la manière dont se développe le parcours en témoigne. En partant d’une forme difficile et étriquée, Yves Lion parvient à fabriquer une machine à visiter, battant la pulsation de la visite en se servant d’un escalier «cœur» et de dispositifs visuels servant à «pomper» le flux de visiteurs jusqu’au bout des plus petites artères du corps de la Maison.

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Conclusion

FIN DE PARCOURS L’un des principaux résultats de cette recherche consiste, pour nous, à avoir réussi à relier directement un phénomène de dynamique de déplacement en fonction d’une typologie d’espace et de lumière. Il est bien des conclusions de cette étude qui ne s’avèreront pas être applicables dans un cadre différent, mais la continuation de ce travail sera le lieu d’un élargissement du domaine étudié. Il serait d’ailleurs fort instructif d’aller effectuer la même expérience à la galerie du Temps du Louvre-Lens. Une expérience de scénographie à l’extrême opposé de celle que nous avons vécue ici jusqu’aux parties les plus intimes de son parcours. Nous pensons malheureusement que la recherche sur la manière dont sont pratiqués des espaces savants s’éloigne souvent trop du vrai sujet architectural (pour se rapprocher d’un sujet sociologique ou éthnographique). L’architecte, par l’expérience, doit se rendre capable de créer ses propres outils et l’apprentissage par l’observation est une des nombreuses clés à sa disposition. Même si la place laissée à l’interprétation peut déranger l’exactitude des résultats, la cartographie des déplacements telle que nous

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l’avons effectuée peut permettre à chacun de comprendre l’espace d’une manière différente et plus personnelle que ne le ferait un plan ou une coupe. Elle est un moyen de signifier l’utilisation de chaque espace d’une manière sensible et véritable et pourrait s’utiliser à d’autres fins que la simple représentation. Que ce soit dans un musée, dans une bibliothèque ou dans la rue, le dessin des mouvements humains a surtout la valeur de pouvoir quantifier et qualifier un espace afin de l’améliorer. De mieux le comprendre, pour pouvoir le reproduire de façon plus savante, en apprenant des conséquences de nos dessins d’architectes. Le parcours, dans sa multiplicité et sa complexité, reste encore après notre étude un sujet qui interroge. La Maison Européenne de la Photographie a répondu à certaines de nos questions, mais la complexité de l’être humain en a également fait apparaître le double. L’étude de la psychologie de l’architecture et des phénomènes semble aujourd’hui pour nous être un besoin et un motif de conception et chaque projet qui né dans le travail de l’architecte sera un pas de plus vers un entendement plus général. Une étude telle que celle-ci a le mérite de vérifier les qualités d’un espace, à travers les possibilités de déplacement qu’il peut susciter. Nous avons vu que la lumière, les opacités et le volume sont autant de facteurs qui influent sur le mouvement humain, et de là, il n’y a qu’un pas pour comprendre le véritable effet psychologique de notre création architecturale. Le parcours muséal n’est finalement qu’un chemin parmi d’autre pour aspirer à une compréhension plus profonde de la signification de

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l’architecture dans notre monde. Tout comme la visite de la MEP, notre parcours à travers le sujet suit le schéma de visite circulaire car le point d’entrée et de sortie se confondent. Nous ressortons avec les mêmes questionnements qu’au début, mais nous avons le sentiment d’avoir effectué un progrès véritable. Cette visite nous aura permis de percevoir le fonctionnement de l’exposition ainsi que d’en apprendre considérablement sur le visiteur de musée, sa compréhension et sa relation à l’espace architectural. Il convient également de souligner que, pour des raisons d’économie psychologique, il ne faudrait jamais refaire le même chemin, c’est pourquoi la recherche de ce mémoire doit ouvrir vers de nouvelles expériences sur la relation infinie qu’entretiendra toujours l’être humain avec l’espace qui l’entoure, qu’il soit architecturé ou non.

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ANNEXES

Sélection de suivis ayant été utiles à l’écriture de ce mémoire :

_Salle R+1 de l’ancien hôtel..............................................................116 _Salle R+2 de l’ancien hôtel..............................................................126 _Salle RDJ de l’extension.....................................................................134 _Salle R+1 de l’extension....................................................................144 _Salle R+1 de l’articulation.................................................................150 _Salle R+2 de l’extension et de l’articulation..............................158

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Salle R+1 de l’ancien Hotel

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Salle R+2 de l’ancien Hotel

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Salle RDJ de l’extension

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Salle R+1 de l’extension

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Salle R+1 de l’articulation

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Salle R+2 de l’extension et articulation

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BIBLIOGRAPHIE

Livres :

_Maurice Merleau-Ponty, Structure du comportement, Gallimard, 1942. _Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945. _Paul Valery, Eupalinos ou l’Architecte, Gallimard, 1923. _Paul Valery, La philosophie de la danse, Gallimard, Paris, 1936. _Henri Ciriani, Ciriani, paroles d’architecte, Les carnets forces vives, 1997. _Tereza Scheiner, Musée et muséologie - Définitions en cours, Paris, L’Harmattan, 2007. _Abraham Moles, Les sciences de l’imprécis, 1990. _François Mairesse,Vers une redéfinition du musée, Paris, L’Harmattan, 2007. _René Descartes, Les principes de la philosophie, Vrin, 1644. _Hermann Ludwig Helmholtz, Handbook of Physiological Optics, 1851, cité dans : Paolo Amaldi, Architecture, profondeur, mouvement, inFOLIO, 2011. _Sigmund Freud, A note upon the mystic writing pad, 1925, cité dans : Paolo Amaldi, Architecture, profondeur, mouvement, inFOLIO, 2011. _Rudolf Von Laban, Choreutics, Annoté et édité par Lisa Ullmann, MacDonald and Evans, Londres, 1966. _Paul Virilio, Danses Tracées : Dessins et Notation des Chorégraphes, Dis Voir, 1991. _Jean Davallon, Claquemurer pour ainsi dire tout l’univers : la mise en exposition, Paris, Centre G. Pompidou,1986. _Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, La maison, de la cave au grenier, Edition Quadrige, 1957. _Eliséo Véron et Martine Levasseur, L’espace, le corps, le sens : ethnographie d’une exposition : «Vacances en France», Paris, éd. Service des Etudes et de la Recherche de la BPI / Centre G. Pompidou, 1983. _ Jean-François Barbier Bouvet, Jours, parcours, détours : espaces des pratiques et pratique de l’espace au musée du Louvre, Ministère de la culture, 1980.

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Revues :

_Edward Robinson, The behavior of the Museum Visitor, American Association of Museum, New Series, n°5, 1928, Washington DC, AAM. _Arthur Melton, Problems on installation in Museums of Art, American Associa tion of Museum, New series, n°14, 1935 Washington, AAM, 1935. _Manfred Lehmbruck, Psychologie : perception et comportement, in Museum, volume 26, n°3/4, Paris, 1974. Articles : _Sophie Mariani-Rousset, Espace public et publics d’expositions. Les parcours : une affaire à suivre, Eupalinos, Marseille. _Yves Lion, propos recueillis par Marianne Brausch, 1997. _Keiichi Tahara, à propos du jardin Niwa. Videos : _Reportage diffusé sur Arte, Le cerveau et ses automatismes, Le pouvoir de l’inconscient, 2012.

Ouvrages ayant servis d’intermédiaires vers d’autres

_Etude d’Andrew Oriani, Etudiant en physique au MIT sur les parcours inconscient. _James Gleick, La théorie du chaos, vers une nouvelle science. 1989 _L’architecture au corps, recueil. Editions Ousia, 1997. _G. Kühlewind : Conscience de l’esprit _G. Deleuze : Logique de la sensation _M. Coverley : Psycho-Géographie, Poétique de l’exploration urbaine

Tous les plans, dessins à la main et photographies qui ne sont pas identifiés sont personnels. Les deux photographies prises à l’ouverture de la Maison Européenne de la Photographie sont d’auteur inconnu, probablement commanditées par Yves Lion. Les suivis de parcours ont tous été réalisés sur place, par mes soins.

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REMERCIEMENTS Le directeur du mémoire : M. Alain Dervieux Les enseignants du séminaire Art, Flux et Architecture : Jean-Paul Midant, Dominique Hernandez et Philippe Villien Ma famille, pour leur aide, Ilan, Laura, Ly, Matthieu et Ombeline, pour leur soutien.

Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville - 2014



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