TYPHA, ou comment une plante invasive change le regard porté sur les inondations à Dakar

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TYPHA ou comment une plante invasive change le regard porté sur les inondations à Dakar

Territoires Liquides sous la direction de Xavier Fouquet et encadré par Fabienne Boudon, Stephan Shankland et Jean-Louis Violeau

Notice de projet de fin d’études par Tarba Abidine ensa nantes Février 2018



kër :

- en wolof* : maison - en breton : lieu habité

typha : plante aquatique invasive typique des bords des eaux calmes, des fossés, des lacs, des marais et plus généralement dans les milieux humides. * langue parlée au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie



SOMMAIRE remerciements

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avant-propos

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introduction

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I. les niayes 15 II. le typha 33 III. djiddah thiaroye kao 45 IV. l’immersion 61 VI. kër typha 77 acronymes 88 lexique 89 bibliographie 90 table des matières 92



REMERCIEMENTS Je remercie toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de ce présent travail, plus particulièrement celles que j’ai eu l’occasion de rencontrer au Sénégal pour leurs précieuses informations et leur attention. Je tiens à exprimer ma gratitude à l’ensemble de l’équipe enseignante de l’option « Territoires Liquides » pour leur suivi et leurs conseils : Xavier Fouquet, Fabienne Boudon, Stephan Shankland et Jean Louis Violeau. Je remercie Gwenlande pour avoir mené avec moi le projet et pour s’être investi pleinement dans son développement. Un spécial merci à Marina pour le soutien et les heures passées sur les maquettes. Je tiens à remercier également la famille de Médoune et la famille d’Amadou pour leur acceuil très chaleureux et leur hospitalité. Je tiens à remercier en dernier lieu Anaëlle et Camille, pour le super voyage passé ensemble, la bonne humeur, les blagues et la complicité. Enfin, merci à Fatimata, à Aissata, à Asstou, à Pape, à Sidi, à Khadim, à Abdoullah, à Arij, à Mohamedou, à Mady, à Médoune, à Nadine, à Cheikh et encore d’autres qui ont aidé d’une manière ou d’une autre à l’aboutissement mon travail.

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Ndar Saint-Louis du Sénégal Centre de valorisation et de transformation de la ressource halieutique

Pikine Rufisque

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0k ms

Saint Louis

Sénégal Kër Typha DTK, Pikine Centre de transformation, de formation et de valorisation du typha.

Un Pier pour Rufisque Rufisque Reconquête littorale face à son érosion


AVANT-PROPOS Dans le cadre de l’option «Territoires Liquides», nous avons été amené à développer des projets qui traitent de la problématique de l’eau, avec le libre choix d’implantation dans le monde entier. La résultante de cette manière d’aborder le projet a été un panel de propositions, les unes très différentes des autres et qui nous ont fait voyager aux quatre coins du monde. Au-delà du projet, les différents exercices menés au cours du semestre ont permis de mieux comprendre l’anthropocène à l’échelle globale, la confrontation des différents territoires indiquant alors plus de similitudes que de différences. Cette liberté à la fois territoriale et programmatique m’a permis de découvrir un territoire que j’ai toujours côtoyé, mais jamais exploré : le Sénégal. Par l’intermédiaire du projet, j’ai eu l’occasion de réfléchir sur la problématique des inondations en milieu urbain. Une étape importante du projet a été le voyage au Sénégal en compagnie d’Anaëlle et de Camille, où nous avons eu l’occasion d’explorer trois territoires différents, traitant de trois problématiques de l’eau. Ainsi, l’ensemble des informations qui ont nourri le projet tout le long du semestre seront décryptées dans cette notice. 9


INTRODUCTION Située sur le littoral nord du Sénégal, la région des niayes1 est considérée comme le « poumon horticole » du pays. Parmi les espèces végétales dans cette région, le typha est la plante invasive qui cause le plus de dégâts, empêchant la culture, la pêche et ayant des conséquences néfastes sur l’environnement. Il est possible d’en trouver sur les bords des eaux calmes, dans les marais et dans les lacs. Dans la région des niayes, Djiddah Thiaroye Kao, une des communes les plus denses de Pikine, est victime d’inondations multiples depuis plus d’une dizaine d’années. De nos jours, plusieurs parties de cette ville se retrouvent sous les eaux, ce qui engendre des conséquences désastreuses sur ce territoire. La présence permanente de cette eau a favorisé le développement du typha en milieu urbain, se proliférant sur de grandes surfaces de maisons qui deviennent alors non habitables. Longtemps perçue comme nuisible, la présence proliférante du typha ne pourrait-elle pas avoir un impact positif ? Est-il donc possible de tirer parti de ce fléau, et de transformer une nuisance en une ressource naturelle ? 1 succession de dunes et de dépressions inter-dunaires au fond desquelles apparaissent des mares liées aux fluctuations de la nappe phréatique 10

Les inondations à Dakar Source : Exposition « Dakar ne dort pas, Dakar se noie »


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I. LES NIAYES A. Des dépressions dunaires singulières B. Un paysage qui évolue C. Les niayes de Pikine

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AFRIQUE La région des niayes

SÉNÉGAL

La région des niayes

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I. LES NIAYES La région des niayes s’étend sur le long du littoral Nord du Sénégal, de Dakar au Sud du Delta du fleuve Sénégal, sur une bande de 10 à 15km de large. Elle est considérée comme «le poumon horticole» du pays grâce à sa riche biodiversité.

A. Des dépressions dunaires singulières Les niayes sont des systèmes dunaires parallèles à la côte maritime. La région des niayes est caractérisée de « succession de dunes et de dépressions inter-dunaires au fond desquelles apparaissent des mares liées aux fluctuations de la nappe phréatique »1. Les niayes sont formées par des dunes vives (blanches), semi-fixées (jaunes) et fixées (rouges) reliées par des dépressions interdunaires où affleure la nappe phréatique. Toute une biodiversité se développe autour de ces zones humides : on retrouve près 419 espèces végétales (soit 20% de la flore sénégalaise) et 133 espèces d’oiseaux dont 40 dits endémiques, 25 migratrices et 51 nidifiants2. 1 Article sur la zone des Niayes publié le 2 Juin 2010 sur le site internet de l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles : http://www.isra.sn/index.php/zone-des-niayes 2 « Périphérie urbaine et risques d’inondation à Dakar (Sénégal) : le cas de Yeumbeul Nord », ESO, travaux & documents, n° 37, juin 2014

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Des jardins entretenus par les femmes à Thiès Source : Article sur la région de Thiès par Stelle Djisébénia Les Niayes de Mboro Source : Photo par Frédéric Bacuez

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Cette région est caractérisée par un climat maritime, doux et humide, ainsi que par des vents forts et constants. Étant donné qu’elle traverse plusieurs villes, on retrouve des occupations diverses : des zones de productions agricoles, d’extraction de ressources, récréatives et touristiques. Un autre aspect important des niayes est leur rôle d’assainissement des eaux usées et pluviales. En effet, durant la saison des pluies, elles permettent de stocker les eaux pluviales pour réduire les dégâts de l’inondation des parties résidentielles à proximité. Ainsi, elles deviennent des cuvettes à ciel ouvert qui dynamisent le paysage urbain par leur évolution d’une saison à une autre et sur le long terme. L’évolution de ces points d’eaux est un facteur important à la formation actuelle de toute la partie urbaine des niayes et aux zones adjacentes à celle-ci.

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Évolution des niayes : 1 décembre 1942 Source : Google Earth

2 décembre 2005 Source : Google Earth 22


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B. Un paysage qui évolue Les niayes ont évolué et changé selon les conditions climatiques et l’occupation humaine. L’élément le plus marquant de l’évolution de cette zone date des années 1970, juste après l’indépendance du Sénégal. À l’époque, la population dans la région dakaroise était majoritairement installée dans la ville de Dakar, donc pas dans la région des niayes. La sécheresse des années 1970 a été vécue dans l’ensemble des pays du Sahel et a changé l’état des niayes, transformant ainsi son paysage urbain. Le déficit pluviométrique s’est allié à une sur-consommation des nappes phréatiques, ce qui a entraîné un abaissement du niveau des niayes. Ceci a entraîné un déséquilibre dans ces territoires où la biodiversité y avait trouvé refuge. Une autre conséquence à la sécheresse a été l’exode rural massif vers la région dakaroise, en particulier dans les banlieues dakaroises, Pikine et Guediawaye. Ces deux villes étaient à cette période composées uniquement de niayes asséchées, et l’afflux humain n’a pas été contrôlé, ce qui a engendré une urbanisation non maîtrisée. L’absence de planification en amont a entraîné l’installation irrégulière de plusieurs ménages dans les sites dépressionnaires des niayes asséchées. Pendant la sécheresse, personne n’aurait prédit un retour des niayes, ni l’augmentation de la pluviométrie. Cependant, ceci arriva à la fin des années 80, avec un retour pluviométrique normal. Les niayes ont repris leur état d’équilibre naturel, dans des zones qui sont devenues résidentielles.

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4 mars 2009 Source : Google Earth

10 avril 2017 Source : Google Earth 24


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De plus, la flore a repris son dynamisme et des roseaux sont apparus au bord des mares. L’effet du « retour de l’eau » était dévastateur sur les populations occupant les anciennes niayes, engendrant une précarité encore plus accentuée et une perte de foncier considérable. Néanmoins, une prise de conscience du problème du retour des niayes n’a pas été immédiate. En effet, peu de projets ont été engagés par l’État et beaucoup de familles sont restées sur place, en attendant que l’eau « sèche » à nouveau. Contrairement aux attentes, les pluies sont devenues de plus en plus fortes depuis une dizaine d’années. Les conséquences ont été dévastatrices surtout dans les zones irrégulièrement occupées ou urbanisées de manière non contrôlées comme certains quartiers de Pikine. L’aménagement du territoire est devenu encore plus problématique et des risques de pollutions des eaux se sont développés autour des zones agricoles et industrielles. À cela s’ajoutent des inondations récurrentes, voire permanentes, sur toute la zone des niayes, de la région dakaroise à Saint-Louis. Auparavant perçues comme une source d’eau douce et des zones propices aux cultures maraîchères, les niayes ont changé de nature suite la grande sécheresse et à leur résurgence. En effet, de nouveaux rapports à l’eau se sont développés. Ceux-ci seront présentés dans les pages suivantes.

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Des cultures maraîchères

Dans certaines zones peu habitées lors du retour de niayes, des cultures maraîchères ont pu se développer autour des niayes. Ensuite, des habitants se sont installés près des terres cultivées. Cette mise à distance a permis une irrigation des terres plus facile et une délimitation de certaines zones inondables. 26


Le reboisement des niayes

Une des initiatives qui ont été entrepris avec le retour de l’eau est le reboisement des niayes. Cette pratique permet d’empêcher la désertification et de fixer les dunes. Elle permet également de développer de l’agriculture pour assurer un revenu constant pour les habitants de la région des niayes, surtout sur le bord de la côte maritime.

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Des maisons inondées

La période de sécheresse a eu comme conséquence l’exode rural, qui s’est traduit par la construction de plusieurs maisons sur le territoire d’anciennes niayes. Le retour de l’eau a causé l’inondation permanente d’une grande partie de ces maisons. De nos jours, on voit encore les vestiges de ces maisons inondées. 28


Des infrastructures pour contenir l’eau

Une des actions du gouvernement pour lutter contre les inondations est la construction de digues autour des points les plus bas pour contenir l’eau et permettre l’évacuation de l’eau à l’aide de canaux souterrains. Dans ces zones, des maisons à proximité des niayes ont été détruites pour permettre une mise à distance des digues. 29


La zone des niayes dans la rĂŠgion de Dakar 30


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C. Les niayes de Pikine À l’extrême Ouest du pays, la région de Dakar est la zone la plus dynamique du Sénégal et elle est composée de quatre départements : Dakar, Pikine, Guediawaye et Rufisque. Son territoire s’étend sur 0,28% du territoire national, alors que 25 % de la population sénégalaise y habite. Elle est également le foyer de 60% de la population urbaine totale. Le revers de cette polarisation est multiple, mais une des principales problématiques posées dans la région de Dakar, et plus particulièrement à Pikine, est la question de la gestion de l’eau : - L’eau souterraine : Le problème lié à l’eau souterraine affecte principalement Pikine et Guediawaye où la nappe phréatique de Thiaroye est très proche de la surface. - L’eau potable : L’utilisation intensive de la nappe phréatique de Thiaroye pour alimenter la région de Dakar a provoqué l’introduction de l’eau de mer dans l’eau de la nappe, qui n’est plus potable. - L’eau de pluie : À chaque saison des pluies, le niveau de la nappe phréatique s’élève pour inonder des zones les plus basses. - L’eau usée : Les eaux usées provenant des égouts souterrains ruissellent à travers la végétation pour aller se déverser dans la mer, ce qui a des conséquences dégradantes sur l’environnement maritime. 31


Les niayes en milieu urbain Source : UrbaSEN 32


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Suite à toutes ces facteurs, les inondations sont devenues des phénomènes omniprésents à Pikine. Le facteur déclencheur de ce phénomène est la croissance démographique de Dakar, comme l’explique le maire, « la ville, belle et bien dessinée pour 400 000 habitants, s’est retrouvée avec 2 millions d’habitants – et tous les problèmes qui vont avec »1. La première cause de cet exode rural, est la grande période de sécheresse. N’ayant plus assez d’eau pour cultiver et vivre, la population s’est déplacée vers Dakar. Les nouveaux habitants de Dakar sont arrivés en masse et se sont installés en périphérie du centre-ville, de manière non planifiée. Une des conséquences de cette urbanisation non contrôlée est la pollution excessive du milieu naturel, avec peu d’installations d’assainissement et d’infrastructures pour gérer les déchets. De ce fait, la nappe phréatique de Thiaroye permettant l’accès à l’eau potable a été excessivement polluée et les systèmes de pompage de la nappe ont été stoppés. De plus, l’urbanisation et la densification urbaine ont engendré l’imperméabilisation des sols. Ainsi, les eaux de pluies restent en surface et la nappe phréatique augmente en sous-face. Dans ce qui a évolué et qui continue à évoluer, une plante invasive s’est développée : le typha.

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Entretien avec le maire de Dakar, Khalifa Sall, http://terangaweb.com

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II. TYPHA A. Une plante invasive B. Une ressource peu exploitĂŠe C. Le typha dans la construction

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Le typha sous sa forme verte Source : Association TypHAS 36


II. LE TYPHA À cause de la diversité de la flore dans ces mares, les activités de maraîchage et de pêche qui assurent le dynamisme de la région des Niayes sont freinées par l’envahissement de certaines espèces végétales, notamment le typha. Celui-ci colonise l’ensemble de cette zone. La prolifération du typha a causé d’énormes dégâts sur l’environnement, sur l’économie et sur les conditions de vie des habitants de cette région.

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A. Une plante invasive Le Typha est une « espèce tropicale, subtropicale et méditerranéenne de la famille des Typhaceae (roseaux) qui pousse en formations denses sur des sols humides ou saturés et sur les sédiments aquatiques des marécages, des prés humides, des berges, des côtes, des estuaires, des fossés et des tourbières »1. Les rives des plans d’eau permanents non cultivés sont souvent peuplées de typha. Ainsi, la construction de barrages sur le fleuve Sénégal, a entraîné la prolifération du Typha dans les plans d’eau stable.

1 PNEEB/Typha, Situation de référence de la biodiversité dans les zones de peuplement en typha, Juillet 2014

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Le typha sous sa forme sèche Source : Association TypHAS 38


La prolifération du Typha et son envahissement des plans d’eau ont plusieurs conséquences négatives : - une accessibilité difficile voire impossible pour la navigation et la pêche ; - une réduction de la disponibilité de l’oxygène dissout dans l’eau, donc un grand risque pour la faune et la flore : ceci a entraîné une forte mortalité de plusieurs espèces animales, notamment les poissons ; - le développement de maladies d’origine hydrique ; - la prolifération de moustiques et d’escargots, responsable de nombreux cas de paludisme et de bilharziose ; - le blocage des canaux d’irrigation ; - la pollution et réduction de l’eau nécessaire aux populations locales.

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Plusieurs programmes ont été mis en place pour réduire et maîtriser à long terme l’expansion du Typha, dont le programme «Projet de Gestion Intégrée des Adventices Aquatiques Proliférantes en Afrique de l’Ouest» (PGIAAPAO) initié par le Gouvernement du Sénégal. Les évaluations estiment une progression de l’ordre de 15 % par an dans cette région. De plus, une estimation de la biomasse du Typha a été faite par le PERACOD2 en 2012. D’après cette étude, la quantité de biomasse sèche est de 200.000 tonnes/an, qui pourront être disponibles à long terme s’ils sont stockés. 2 Programme pour la promotion des énergie renouvelables, de l’électrification rurale et l’approvisionnement durable en combustibles domestiques

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Du charbon de typha Source : http://www.pnd.mr/ 40


B. Une ressource peu exploitée Malgré les nombreuses conséquences négatives de la prolifération du typha, celui-ci ne fait que croître et il est donc nécessaire de trouver des solutions de réutilisation du typha qui pourront affecter trois secteurs :

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- le combustible domestique : la combustion du typha et sa transformation en briquettes de charbon de bois a déjà été entrepris à Saint-Louis et en Mauritanie. La quantité utilisée par cette pratique à Saint-Louis serait de 1000 tonnes de typha par an. - la production d’électricité : la mise en place d’une station électrique basée à Saint-Louis a été annoncée en 2009. Ce projet nécessitera 135 000 tonnes de typha lorsque la station aura atteint sa pleine capacité de production. - l’utilisation dans les bâtiments : cette piste n’est pas encore très documentée mais présente un potentiel intéressant, autant que les deux autres. Ainsi, la voie de la réutilisation du typha semble encore inexploitée à son maximum. Le domaine de la construction pourrait mieux tirer partie de cette plante, si la promotion de ses différentes utilisations est effectuée, mais également, la réalisation d’expérimentations concrètes sur le terrain. 41


Un toit de chaume en typha Source : Association TypHAS

Des panneaux de typha isolants Source : CRAterre

Parement de faรงade en typha Source : CRAterre

Des tuiles de typha Source : CRAterre

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C. Le typha dans la construction La valorisation du typha dans le domaine de la construction pourra faire passer son statut d’une plante invasive et très mal vue, à une ressource naturelle et économique. En effet, des études ont été menées en association entre le PNEEB-Typha et CRAterre, et des ateliers ont eu lieu en 2015 à Grenoble et à Diamniadio. Les documents techniques réalisés décrivent précisément les conditions de coupe, de récolte et de transformation du typha, ainsi que le recensement de tous les produits qui peuvent être faits à partir du typha tout seul ou avec l’association à un autre matériau.

II

Ainsi, d’après les documents produits lors de ces études et ateliers, les principaux produits à base de typha seul sont :

- des nattes de roseaux - une trame de roseaux comme support d’enduit - du chaume de typha - des tuiles de chaume de typha - des panneaux en laine de typha isolant

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Remplissage de mur en terre-typha Source : CRAterre

Presse manuelle Source : CRAterre 44

Plaques de terre-typha Source : CRAterre


Les produits à base de typha et de terre sont :

- des blocs isolants - des hourdis - des plaques de faux plafond - des enduits terre-typha - du torchis de typha

II

Ainsi, le typha pourra être utilisé à la fois pour les toitures, les murs, l’isolation et les finitions intérieures/extérieures. Son utilisation, en substitution des autres matériaux actuellement utilisés, permettra de diminuer le coût de construction et de promouvoir une ressource locale et accessible à tous, en milieu urbain comme en milieu péri-urbain. Les équipements pour la récolte et la fabrication de ces matériaux pourront être construits manuellement. Cependant, d’autres équipements concernant plutôt le traitement du typha, comme le broyage, doivent être soit achetés, importés ou adaptés à partir d’équipements agricoles déjà existants. Ces derniers sont par exemple les moulins à mil et les batteuses de riz, qui conviennent au broyage du typha sec. Malgré les résultats obtenus par ces études et les ateliers qui ont suivi, le typha en tant que potentiel acteur économique dans le monde de la construction n’a pas encore été assez promu au niveau des habitants sénégalais. Une approche plus sociale et située pourrait donner aux habitants les moyens de profiter de ce savoir et des techniques développées, leur permettant de tirer profit des qualités du typha.

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III. DJIDDAH THIAROYE KAO A. Un territoire marqué par les inondations B. Des projets à multiples acteurs 47


Djiddah Thiaroye Kao, vue du ciel Source : UrbaSEN





Les niayes Ă Djiddah Thiaroye Kao Source : photo personnelle 52


III. DJIDDAH THIAROYE KAO Pour comprendre les conséquences immédiates des inondations de la région des niayes, une étude de cas est nécessaire. Djiddah Thiaroye Kao est une des communes les plus peuplées de l’ensemble du Sénégal et elle fait parties des zones inondées de la région dakaroise qui ont été envahi par le typha.

A. Un territoire marqué par les inondations

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La commune de Djiddah Thiaroye Kao (DTK) a une densité supérieure à 50 000 hbts/km2. 60 quartiers sur les 66 qui constituent la commune font partie du terrain dit « irrégulier » de Pikine. Les deux zones régulière et irrégulière sont très différentes : - La zone régulière a été aménagée au début de la formation de Pikine pour accueillir des populations déplacées de Dakar lors d’opérations dites de « déguerpissement ». Les habitants de cette région ont eu le droit à des permis d’occupation, ce qui faisait d’eux des propriétaires légaux. Le tissu urbain était bien tracé, bien relié à Dakar et le sol n’est pas inondable dans cette zone ; - La zone irrégulière s’est formée suite à une occupation non planifiée due à l’exode rural et au coût trop élevé des habitats à Dakar. Les populations venues d’ailleurs ont acheté ces terres de manière 53


Une maison inondĂŠe et abandonĂŠe Source : photo personnelle 54


informelle. Ceci a entraîné une insécurité foncière, étant donné qu’ils ne sont pas enregistrés comme propriétaires et peuvent se faire contester les terres à tout moment. Dans la partie irrégulière, les maisons sont immergées pendant des temps plus ou moins longs et présentent trois cas distincts : - la maison est inondée pendant une courte période : une grande partie des habitants décident souvent de rester à l’étage supérieur, ne se voyant pas partir ailleurs et n’en ayant pas toujours les moyens. - la maison est inondée durant toute la saison de pluie (de Juin à Octobre) : les solutions sont les mêmes que le cas précédent, avec des conditions plus extrêmes pour ceux qui restent dans leurs maisons. - la maison est inondée de manière permanente : deux solutions s’offrent à eux. Soit ils quittent leurs logements de manière permanente, soit ils remblaient le niveau inférieur, pour ensuite construire et s’installer dans un niveau supérieur.

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Dans ces zones, la montée du niveau de l’eau a eu des conséquences qui vont au-delà de la perte de l’habitat : la destruction des infrastructures, l’augmentation des risques de noyade, l’augmentation du nombre de cas de paludisme, une grande perte financière et la réduction des possibilités de transport. De nombreux projets impliquant multiples acteurs ont été menés pour pallier aux problèmes engendrés par les inondations. 55


Remplissage de mur en terre-typha Source : CRAterre

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Plaques de terre-typha Source : CRAterre


B. Des projets à multiples acteurs Face aux problèmes récurrents d’inondations dans les zones périurbaines de Dakar, l’État a mis en place en 2000 les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et a créé un « ministère de l’hydraulique et de l’assainissement ». Deux principaux programmes ont été entrepris par le gouvernement : - Le Plan Jaxaay : suite aux inondations très importantes de 2005, le gouvernement du Sénégal a mis en place le plan Jaxaay (« aigle » en wolof), en mettant en lien le Ministère de la construction, celui de l’habitat et celui de l’hydraulique. Les actions entreprises consistaient à reloger les habitants des zones inondées dans la périphérie de Dakar, dans d’autres quartiers que Djiddah Thiaroye Kao. Ce déplacement de populations a permis l’évacuation de certaines zones et leur transformation en bassins de rétention et d’infiltration. Cependant, comme ces bassins étaient situés là où le niveau du sol est très proche de la nappe phréatique, leur capacité de rétention était très réduite. Des pompages de ces bassins avant et pendant l’hivernage ont permis d’évacuer l’eau vers la mer, mais n’ont pas suffi pour empêcher les inondations qui ont eu lieu en 2009. - le PROGEP (le Programme de gestion des eaux pluviales) : en Novembre 2012, le gouvernement sénégalais a mis en place ce plan avec l’appui de la Banque mondiale pour réduire les risques d’inondations dans les zones périurbaines de Dakar. Ce programme a permis de mettre en place des infrastructures primaires de drainage pluvial de Pikine. Un

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réseau de drainage gravitaire a été établi en connectant les bassins de rétention du plan Jaxaay avec la mer, entraînant alors l’évacuation des eaux pluviales des zones basses. Les bassins ont été sécurisés et reliés entre eux pour permettre de garder un niveau maximal de la nappe phréatique. Les projets mis en place par le gouvernement dans le cadre des OMD, encourageaient les ONG à trouver des solutions aux problématiques d’inondation et d’assainissement, à travers des financements nationaux et internationaux. Deux principaux projets ont été initiés : - « Live with water » : il avait pour objectif l’aménagement des bassins et l’assainissement d’un quartier de Pikine. Seule la première phase du projet a été réalisée, faute de financements insuffisants. Dans le cadre du projet, une rue a été complètement pavée et en dessous de ce pavement, deux égouts ont été creusé pour séparer les eaux pluviales et les eaux usées des toilettes, les entraînant vers un réacteur qui est vidé 1 à 2 fois par mois. - UrbaDTK 1 et 2 : ces deux versions d’un même projet ont été entreprises par des habitants de la commune de Djiddah Thiaroye Kao pour trouver des solutions aux inondations avec pour seul appui leur propre financement et celui de la coopération internationale. L’ONG urbaMonde et l’ONG sénégalaise urbaSen ont coopéré pour réaliser d’abord le projet UrbaDTK1 qui consistait à faire une étude pour trouver des solutions aux inondations. Le projet UrbaDTK2 a été lancé en collaboration avec la Fédération Sénégalaise des Habitants en assurant des micro-crédits

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Remblayage par les habitants du quartier Source :

Pompage par les habitants Source : 60

Drainage ÂŤ fait main Âť Source :


à très faible taux d’intérêt et en accompagnant la reconstruction de concessions détériorées par les inondations. Parallèlement aux projets menés par le gouvernement et les associations, les habitants ont entrepris des initiatives pour avoir des solutions plus rapides et plus efficaces. Au niveau communautaire, plusieurs projets traitant de la problématique de l’inondation ont été recensés : - les tontines : il s’agit de groupements de femmes qui se réunissent et cotisent à chaque fin de mois pour répondre à des besoins spécifiques comme la reconstruction de concessions ou le soutien d’activités génératrices de revenus. - les GIE : les Groupements d’Intérêt Économique comprennent des hommes et des femmes qui se rassemblent autour d’un objectif commun. Certains GIE se sont formés pour améliorer l’environnement d’un même quartier, notamment autour de la question des inondations. - le CADDTK : un des objectifs du Collectif des Associations pour le Développement de Djiddah Thiaroye Kao est d’agir sur la gestion des inondations. - des petits projets sans autorisation officielle : le drainage « fait main » par les populations, le pompage vers les bassins et le remblayage. Ainsi, on peut en conclure que les habitants arrivent à s’organiser et à prendre en charge eux-même les problèmes qu’ils rencontrent Cependant, ces actions sont les plus dures à recenser. Un voyage sur le terrain a été donc nécessaire pour comprendre de près la dynamique de la commune.

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A. La rencontre avec la Fédération Sénégalaise des Habitants B. La rencontre avec UrbaSEN C. La rencontre avec PNEEB/Typha

IV. IMMERSION 63


Des maisons abandonnĂŠes Ă Djiddah Thiaroye Kao Source : photo personnelle 64


IV. IMMERSION Pour poursuivre notre projet et nous imprégner des sujets de notre étude, un voyage au Sénégal s’imposait. Cette partie traite de l’immersion qui a été faite en accompagnement de Camille et Anaëlle. Nous nous sommes organisées pour passer deux jours dans chaque destination, afin d’effectuer l’ensemble du parcours ensemble. Cette partie se basera sur un récit de voyage qui relate le séjour passé à Dakar.

A. La rencontre avec la FSH Après une journée de ballade hasardeuse dans le centre-ville qui nous a permis de nous imprégner de la vie citadine à Dakar, nous étions prêtes à entamer notre étude de terrain à Djiddah Thiaroye Kao. Un appel la veille a permis de prendre rendez-vous avec la Présidente de la Fédération Sénégalaise des Habitants. Cette rencontre permettrait de se mettre en contact direct avec la population et faire face aux problématiques présentées et aux solutions déjà employées par les populations.

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En empruntant l’autoroute, nous avons quitté la maison de la famille qui nous accueillait à HLM Grand Yoff pour se diriger vers Djiddah Thiaroye Kao. Le parcours en voiture nous a permis de voir les changements du paysage au fur et à mesure qu’on quittait Dakar pour rentrer dans le territoire de Pikine. La première chose qui nous saute aux yeux est la densité du flux qui vient de Pikine vers Dakar, qui indique qu’en effet une grande partie des habitants de Pikine travaillent à Dakar et y vont chaque matin. Dans ce flux, on distingue un grand nombre de taxis, de bus et de camions qui assurent principalement le transport des zones périurbaines vers la capitale. Très vite, à notre gauche, une végétation dense est venue remplacée le paysage des immeubles en béton. Nous faisions le tour de la Grande Niaye, passant près de la Technopole et apercevant de temps à autres le grand plan d’eau entouré d’arbres et de roseaux, qui sont en grande partie du typha. Celui-ci augmentait en quantité et en longueur au fur et à mesure qu’on avançait. On ne voyait plus que les plantes de typha et on devinait à peine l’immense lac dans lequel elles ont grandi.

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Quelques minutes plus tard, nous voilà entrées dans Djiddah Thiaroye Kao. Nous nous retrouvons alors dans des rues étroites, pavées entre un bus et une charrette transportant des dizaines de pastèques. De part et d’autre des trottoirs, les piétons traversent à leur guise, en l’absence des feux rouges et des passages piétons. Des commerçants ont attelés leurs marchandises à même le sol pendant que d’autres se sont rassemblés devant leurs boutiques, sous l’ombre d’arbres. Les couleurs diverses des fruits et des tissus rythmaient les rues, au fur et à mesure où on avançait.


Notre parcours en voiture a pris fin près d’un bassin vide qui était formé par le dénivelé d’une rue principale non goudronnée. On nous dit plus tard que ce dénivelé permettait de transformer la rue en bassin de rétention en saison de pluies, pour empêcher que les maisons adjacentes soient inondées. Aissata Talla, la présidente de la FSH, nous accueillit chaleureusement et nous guida vers une maison où nous rencontrâmes les deux autres femmes qui nous ont ensuite accompagné le long de la journée : Fatimata Bousso et Asstou Mbeng, toutes les deux membres du bureau de la FSH. Après avoir échangé brièvement sur le rôle que la FSH a dans la recherche de solutions face aux inondations, elles nous ont proposé de visiter quelques maisons qui ont été rénovées. Une fois dehors, nous nous sommes retrouvées face à une zone de typha qui est venu se loger dans les ruines des maisons abandonnées. Aissata se plaignit de l’envahissement du typha qui, d’après des rumeurs qui circulaient dans le quartier, cacherait des serpents et des bestioles dangereuses. « Plusieurs enfants se sont noyés dans cette zone ! ». Asstou, de son côté, fut étonnée de savoir que le typha pouvait être coupé manuellement et même être ré-utilisé dans le domaine de la construction. « Ah nous, si on nous apprend les techniques, on est même prêtes à former des gens pour s’en débarrasser ! ». Après cette courte discussion, nous nous sommes dirigées vers une des maisons rénovées, accompagnées sur notre chemin par des enfants de bas âge qui éclataient de rire et couraient autour de nous en nous pointant du doigt : « TOUBAB ! TOUBAB ! TOUBAB !1 ». 1 Toubab : mot utilisé en Afrique de l’Ouest pour désigner toute personne à peau blanche

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La suite de la matinée fut occupée par les visites des maisons. Toutes les visites se sont passées sans difficultés, la familiarité entre les femmes de FSH et la famille visitée nous permettant d’éviter les présentations longues. La plupart des habitants avaient surélevé leurs seuils d’entrée, pour ensuite surélever les chambres les unes après les autres, et finissent avec la cour centrale. L’ancien niveau du toit était souvent visible sur les murs rénovés, témoin de la catastrophe qui a pousser les habitants à remblayer devant chez eux et à « enterrer » en partie leurs maisons pour pouvoir garder leurs terres. « Celui qui a été le plus frappé par les inondations, il surélève beaucoup plus que nécessaire ! », disait Asstou quand on passait à côté de seuils plus élevés que d’autres. Notre parcours est rythmé par les bêlements de moutons et les conversations vives et joyeuses avec les passants et les commerçants qui attelaient leurs marchandises devant leurs maisons. Ici, la vie se passait à l’extérieur de la maison, la rue devenant un prolongement de l’intérieur. Du linge était suspendu ici et là et nous devions passer entre les pagnes de milles et une couleurs, en évitant les flaques et des morceaux de parpaing qui jonchaient les ruelles. De temps en temps, on passait devant une maison abandonnée, où l’eau et le typha côtoyaient les murs à moitié détruits et les déchets de toutes sortes. À chaque fois qu’on croisait des passants, le même dialogue se mettait en place. « Salamou aleykoum » « w’aleykoum salam » « nanga def? » « mangi fi rek » « ça va bien? » « ça va lhamdoulilah » « djeureudjeuf ! » « bonne journée ! »1. 68

1

Formule de salutations locales en arabe et wolof


Une fois arrivées au niveau des trois bassins aménagés dans le cadre du plan Jaxaay, les femmes nous racontèrent l’histoire de ce projet et de son évolution. « Avant il n’y avait pas de murs, il y avait beaucoup d’enfants qui étaient morts ». « Nous avons perdu 11 enfants ». « Il y a beaucoup de typha, on ne voit plus rien, tout le monde met ses déchets là ». « Il y a beaucoup de sol humide, c’est pourquoi il y a beaucoup de typha ». « Pendant les saisons de pluies, des habitants dont les maisons ont été inondées s’installent dans des écoles. À la rentrée, ils sont obligés de quitter mais attendent des aides de l’État. Ça oblige parfois l’école à rester fermée pendant un moment ». « C’est pourquoi on surélève et on fait des rénovations, pour leur éviter de quitter les maisons ». Au milieu de notre parcours, la présidente nous mis en contact avec le coordinateur d’UrbaSen qui nous donna rendez-vous dans la journée en début d’après-midi. Une pause pastèques entre deux visites et une longue pause déjeuner chez une famille du quartier nous a permis de nous mettre à l’ombre et de partager un moment avec les femmes de FSH. Notre parcours s’est clôturé autour d’un thiéboudiène2 accompagné de trois verres d’attaya3, mêlés aux longues conversations sur nos familles et nos vies à la fois en France, en Mauritanie et au Sénégal.

2 Thiéboudiène : repas traditionnel qu’on retrouve au Sénégal, en Mauritanie et en Gambie, et qui est constitué de riz au poisson 3 Attaya : thé vert à la menthe qu’on retrouve au Sénégal et en Mauritanie

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Une des bénéficiaires du projet UrbaDTK2 Source : UrbaSEN 70


B. La rencontre avec UrbaSEN Après avoir quitté Djiddah Thiaroye Kao à bord d’un taxi, nous nous sommes dirigées au bureau d’UrbaSEN, accompagnées d’Aissata Talla. Nouvelle étape du parcours, nouvelle ville, nouveau paysage. À Guediawaye, dans la cité du Golfe, nous furent la connaissance alors de Papa Ameth Keita, connu sous le nom Pape, le coordinateur d’UrbaSEN, l’ONG qui est en partenariat avec FSH dans le projet de rénovation des maisons. UrbaSEN a contribué à la mise en place de la Fédération Sénégalaise des Habitants et à l’accomplissement de ses projets. Depuis 2007, les membres de cette ONG travaillent dans la banlieue de Dakar sur les problématiques de la restructuration urbaine, la régularisation foncière, la lutte contre les inondations, la reconstruction de l’habitat en milieu défavorisé et l’organisation des groupements d’habitants. Actuellement, le projet phare de l’ONG est la lutte contre les inondations à DTK, bien qu’elle intervienne dans 2 autres villes : Thiès et Louga. Les deux projets UrbaDTK1 et UrbaDTK2 se sont appuyés sur un fort lien avec les habitants de Djiddah Thiaroye Kao, à travers l’organisation de réunions de tous les membres du quartier et à des prises de décisions et des stratégies communes. C’est sur cette base que les projets de rénovation des maisons ont pu avoir lieu.

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Des échanges avec des techniciens d’UrbaSEN ont permis de dégager les étapes suivies par tout habitant de Djiddah Thiaroye Kao victime des inondations : 1. L’habitant doit d’abord adhérer à un groupement de FSH des cotisations mensuelles. 2. Il présente alors son projet au bureau du FSH qui contactent UrbaSEN pour recevoir la visite de techniciens à l’occasion d’un état de lieu de la concession concernée. 3. Il fait un devis incluant la participation d’un artisan qui doit obligatoirement habiter à Djiddah Thiaroye Kao. Les techniciens d’UrbaSEN vérifie le devis et peuvent faire un contre-devis s’ils considèrent que le devis doit être modifié. 4. UrbaSEN finance le projet en donnant un crédit à faible taux d’intérêt à l’habitant (5% dont 4% reviennent au groupement et 1% revient à UrbaSEN pour les tirages et les petites dépenses). Chaque mois, le nombre de projets total varie mais le maximum est de 12 à 14 projets par mois. Des visites de chantiers sont organisées chaque mardi à Djiddah Thiaroye Kao, à Wakhinane Nimzatt et à Guinaw Rail. Des ateliers pour former les artisans sont organisés sur certains chantiers, pour s’assurer que les techniques de construction sont maitrisées. Les échanges avec UrbaSEN nous ont permis d’avoir un aspect plus technique des rénovations, pour mieux comprendre la différence entre le rôle de la FSH et leur rôle. Tout comme les membres de FSH, ceux 72


d’UrbaSEN n’étaient pas non plus au courant du potentiel du typha, et de la piste encore peu explorée de son utilisation comme materiau de construction. Ils étaient cependant très intéressés par ce projet et, tout comme les membres de FSH, voulaient connaître les méthodes de traitement et de transformation du typha. Pour apporter des réponses à leurs questions et aux nôtres en ce qui concerne le typha, une dernière étape restait encore : la rencontre avec PNEEB/Typha le jour qui a suivi.

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Atelier Typha à CRAterre Source : CRAterre 74


C. La rencontre avec PNEEB/Typha La rencontre avec le coordinateur national de PNEEB/Typha s’est faite dans l’immeuble Kebe, à Dakar Ponty, un quartier du centre-ville de Dakar. Nous voilà de retour dans la capitale, loin des niayes des banlieues, entre des immeubles et des grandes avenues bondées de voitures. Le contact de PNEEB/Typha a été trouvé dans un dossier qui concernait un atelier mené en partenariat avec CRAterre à Grenoble en 2015. Les ateliers « Terre-fibres » avaient pour objectif de mettre en oeuvre différents types de matériaux de construction développés à partir du typha, en le combinant avec d’autres matériaux. Nous avons donc contacté la structure de PNEEB/Typha afin de savoir quelle a été la suite de ces ateliers, et quel avenir le typha pourrait avoir dans le domaine de la construction. Ernest Dione, notre interlocuteur, nous accueillit avec un sourire chaleureux et entreprit la présentation de PNEEB/Typha. Il s’agit de la combinaison de deux programmes :

IV

- le Programme National de réduction des émissions de gaz à effet de serre à travers l’Efficacité Energétique dans le secteur du Bâtiment au Sénégal ; - le Projet de Production de matériaux d’isolations thermique à base de Typha. 75


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La partie du programme qui concerne le typha avait pour objectifs, entre autres, de certifier les nouveaux matériaux issus des combinaisons terre-typha et ciment-typha, de concevoir un prototype qui permettra de produire des matériaux de construction de ces combinaisons, et enfin de mener des démonstrations sur l’utilisation de ces matériaux de construction. La création de PNEEB/Typha a eu lieu en 2013, et le partenariat avec CRAterre a commencé en 2014 avec des études sur le projet de l’utilisation du typha dans la construction au Sénégal. Suite à l’atelier qui s’est tenu à Grenoble, un autre atelier s’est fait la même année à Diamniadio, une nouvelle ville qui est située près de Rufisque. L’atelier a duré 21 jours dans le Centre sectoriel de formation professionnelle aux métiers du bâtiment et des travaux publics (CSFP-BTP). Après cet atelier, le projet de refaire des ateliers similaires dans ce centre a été évoqué mais pas encore réalisé. Les tests qu’ils ont pu faire durant cet atelier permettaient de voir les vraies potentialités de l’utilisation du typha dans un bâtiment au Sénégal.

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Les résultats des ateliers menés montrent toutes les potentialités de la transformation de typha qui pourra être valorisé, et réutilisé pour des constructions plus économiques, plus écologiques et plus performantes au niveau thermique.

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V. KËR TYPHA

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VII. KËR TYPHA Djiddah Thiaroye Kao représente au final un territoire qui, à cause de la non-compréhension de sa nature, a été mal habité. En s’installant dans le creux des niayes asséchées, les nouveaux arrivés n’avaient pas conscience que l’eau reviendrait pour reprendre son lieu initial après de longues périodes de sécheresse. Le retour de l’eau a longtemps été renié. Chaque saison de pluies était synonyme de catastrophe et l’on enterrait les flaques d’eau après avoir longtemps attendu qu’elles sèchent, mais en vain. Le pompage ne marchait pas. Le remblaiement non plus. On a essayé de cloisonner l’eau dans des bassins, mais à défaut de déborder, ceux-ci noyaient nos enfants. Dans le mirage créé par le typha, on ne distingue plus de profondeur et, jour après jour, on ne peut plus cultiver, ni pêcher. Le typha, à l’image de l’eau, inondait et ravageait nos maisons, l’une après l’autre, elles disparaissaient sous ce roseau. Notre impuissance face à l’eau nous a remis à l’évidence. L’eau restera. Et le typha. 81

V


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À défaut de devoir vivre avec ces contraintes, ne peut-on donc pas en tirer partie? Et si on imaginait un lieu où le typha, au lieu d’être considéré comme une menace, deviendrait une ressource naturelle ? Un lieu où on célébrerait chaque inondation, mais aussi chaque nouvelle pousse de typha. Rythmé par les saisons, ce lieu changera d’aspect, s’adaptant à la quantité du typha récolté. Le typha et l’eau ne seront plus enterrés comme ils l’ont été pendant une très longue période. Au contraire, il sera présent partout. Sur les murs, sur les toits, sur les parois. À l’intérieur comme à l’extérieur, le typha continuera son invasion, mais cette fois-ci sous des formes différentes. Il sera présent dans les briques, dans les tuiles, dans les portes. Partout.

Espace de transformation du typha Source : Projet personnel

Les ateliers menés par PNEEB/Typha en collaboration avec CRAterre ont montré que le typha a un fort potentiel dans le monde de la construction. Cependant, cette plante renvoie encore une image péjorative par son caractère invasif et nuisible. Il serait intéressant de concevoir un lieu où le typha serait représenté de manière positive, en mettant en avant toutes les techniques nouvelles liées à cette plante. Au lieu de chercher des solutions pour l’exterminer, la réutilisation du typha pourra être plus effective et génératrice d’emplois et donc de revenus. Dans un quartier comme Djiddah Thiaroye Kao, qui est considéré comme pauvre, la contrainte du typha deviendrait un ressource pérenne pour l’ensemble de ses habitants. Ce lieu profitera alors du caractère invasif de la plante pour le remettre en valeur dans les techniques constructives, mais aussi dans son langage architectural.

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V


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Une maison pour les associations, des ateliers de transformation pour les artisans, des salles de formation pour les jeunes, une place ombrée pour tous les habitants. Un lieu versatile où l’ensemble de la communauté pourra se retrouver et suivre le parcours du typha. Le lieu conçu, foyer des techniques du typha, serait ouvert à tous les habitants du quartier, recréant un espace public dans une commune où le nombre d’équipements publics est insuffisant pour pallier à la densité de l’habitat. Pour toucher au plus près les habitants, l’accent sera mis sur les associations déjà présentes en leur offrant un lieu central où se réunir. De plus, l’étude préalable menée sur Djiddah Thiaroye Kao nous a montré l’importance des associations et de leurs actions dans la recherche de solutions aux dégâts causés par les inondations. En effet, les groupements d’habitants portent des projets faits par et pour les habitants, et arrivent ainsi à appliquer des solutions plus efficaces que celles proposées par le gouvernement. Ainsi, les associations apparaissent comme une porte d’entrée pour introduire l’ensemble des connaissances recueillies jusqu’à présent sur le typha. La dynamique déjà présente actuellement entre UrbaSEN et la FSH pourrait être un bon tremplin pour promouvoir l’utilisation du typha dans la construction en milieu urbain. Leur expertise, en matière de construction et de rénovation dans ces zones, alliée à leur familiarité, par rapport aux familles victimes des inondations à Djiddah Thiaroye Kao, faciliteront l’intégration des techniques constructives liées au typha dans le domaine de la construction. 85

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Un carrefour entre des ruelles qui mènent vers quatre anciennes niayes, sources de typha. Un accès rapide et non coûteux en charrette. La renaissance d’une place inexistante, condamnée par un mur. Le décloisonnement d’une muraille qui laissera les habitants de quartier s’installer dans ce foyer. Ce lieu recroquevillé sur lui-même laissera place à un lieu public, dynamique, traversé de toutes parts, ouvert sur les maisons des habitants, et faisant signal dans un paysage dont la monotonie des ruelles irrégulières efface l’identité complexe. Situé stratégiquement entre quatre anciennes niayes, le projet s’installera sur une place de nos jours occupée par un transformateur électrique entouré de bâtiments annexes et d’un mur qui bloque tout l’espace de la place. La stratégie de l’implantation prend en compte la destruction du mur pour venir installer un centre au coeur de la place, créant des allées publiques pour laisser libre cours au flux. Le désenclavement de ce mur permettra aux activités du projet de se développer à la rencontre directe des habitants, l’accompagnant dans ses passages, dans cet espace où le typha est le sujet principal. La position centrale du lieu fera signal, dans une place où auparavant, un mur faisait obstacle et cachait une grande partie du territoire qui restait inaccessible.

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V


Submergé une saison sur deux, le territoire inondé ne sera pas fui. Il sera au contraire accepté tel qu’il est. Au lieu d’essayer de changer ce phénomène naturel, on essayera pour une fois de changer nos habitudes et nos parcours pour s’y adapter. On ne fuira plus. L’eau n’est pas faite pour être domptée, le typha non plus. Serait-il trop ambitieux d’imaginer un lieu qui accueillera le typha à bras ouverts pour en devenir la maison, le kër* ? Le Kër Typha.

kër : *

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- en wolof : maison - en breton : lieu habité

Un bâtiment qui s’adapte aux inondations Source : Projet personnel


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ACRONYMES CADDTK

Collectif des associations pour le développement de DTK

DTK

Djiddah Thiaroye Kao

GIE

Groupement d’intérêts économiques

OMD

Objectifs du millénaire pour le développement

PROGEP

Programme de gestion des eaux pluviales

FSH

Fédération Sénégalaise des Habitants

CSFP-BTP

Centre sectoriel de formation professionnelle aux métiers du bâtiment et des travaux publics

PNEEB-Typha

Combinaison de deux programmes : - le Programme National de réduction des émissions de gaz à effet de serre à travers l’Efficacité Energétique dans le secteur du Bâtiment au Sénégal ; - le Projet de Production de matériaux d’isolations thermique à base de Typha.

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LEXIQUE Typha

plante aquatique invasive typique des bords des eaux calmes, des fossés, des lacs, des marais et plus généralement dans les milieux humides.

Niayes

succession de dunes et de dépressions inter-dunaires au fond desquelles apparaissent des mares liées aux fluctuations de la nappe phréatique

Kër

« maison » en wolof

Wolof

langue parlée au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie

Thiéboudiène

repas traditionnel qu’on retrouve au Sénégal, en Mauritanie et en Gambie, et qui est constitué de riz au poisson

Attaya

thé vert à la menthe qu’on retrouve au Sénégal et en Mauritanie

Toubab

mot utilisé en Afrique de l’Ouest pour désigner toute personne à peau blanche

Salamou aleykoum / w’aleykoum salam / nanga def? / mangi fi rek / lhamdoulilah / djeureudjeuf

formules de salutations en arabe et wolof

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BIBLIOGRAPHIE Rapports et ouvrages : - ABDELMOULA Pierre-Adil, État de l’assainissement dans la commune de Djiddah Thiaroye Kao, Dakar, Sénégal, 21 avril 2016

- Enda Graf Sahel, Pikine aujourd’hui et demain Diagnostic participatif de la ville de Pikine (Dakar, Sénégal), Mai 2009

- ANGER Romain et JOFFROY Thierry, CRAterre, État de l’art : Utilisations traditionnelles et contemporaines de roseaux et de fibres végétales dans la construction, Décembre 2014

- ETOKA Salima, A City in the Making: An Analysis of the Built Environment, Lived Experiences and Perceptions of Pikine, Senegal, 2015

- BURCKHARDT Tobias & GOMIS Hélène, Aménagement urbain à Djiddah Thiaroye Kao (Sénégal) : Développement participatif de systèmes d’assainissement en zone irrégulière, Juin 2016 - DIONGUE Momar, Périphérie urbaine et risques d’inondation à Dakar (Sénégal) : le cas de Yeumbeul Nord, Juin 2014 - Dr. DIOP Bécaye Sidy, Stratégie d’assainissement des eaux pluviales, des eaux udées et des déchets solides : Accompagnement d’une planification participative de la CA de Djiddah Thiaroye Kao (Pikine), Juillet 2013

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- KEITA Pape Ameith (urbaSen), Restructuration et réfularisation foncière de Djiddah Thiaroye Kao : Synthèse de la planification participative, Février 2012 - LAURENT François, Programme d’Investissement Prioritaire (PIP), Accompagnement d’une planification participative de la CA de Djiddah Thiaroye Kao (Pikine), Janvier 2015 - LAURENT François, Plan d’Urbanisme de détails (PUD), Accompagnement d’une planification participative de la CA de Djiddah Thiaroye Kao (Pikine), Janvier 2015 - PNEEB/Typha, Situation de référence de la biodiversité dans les zones de peuplement en typha, Juillet 2014


- PNEEB/Typha, Capitalisation des résultats de recherches et expériences sur le typha, Juillet 2014

- SALEM Gérard, La santé dans la ville, Géographie d’un petit espace dense : Pikine, 1998

- PNEEB/Typha, Recueil bibliographique des ouvrages et travaux sur le typha, Juillet 2014

- SÉNÉ Abdourahmane Mbade, « Développement durable et impacts des politiques publiques de gestion de la vallee du fleuve Sénégal : Du régional au local », VertigO [En ligne], Décembre 2009

- Programme des Nations Unies pour le Développement, Document de projet : Transfert de Technologie : Production de Matériaux d’Isolation thermique à base de Typha au Sénégal, 2012 - RAKOTOMALA Lalaina, CRAterre, Bilan Atelier Typha terre-fibres, Mai 2015 - RAKOTOMALA Lalaina et MISSE Arnaud, CRAterre, Rapport Technique : Identification du contexte sénégalais, Décembre 2014

- SY Jacques Habib, DIALLO Mamadou Aliou et KANE Papa Samba, Le domaine public maritime de Dakar : élites, pouvoir et impunité, entre 2010 et 2014 (date non précisée) - VON GUNTEN Diane (UrbaMonde), Programme de Mitigation des Inondations de Thiaroye, Dossier gestion intégrée, Février 2012

- SALEM Gérard, LEGROS Fabrice, LEFEBVRE-ZANTE Evelyne, NDIAYE Gora, BOUGANALI Hilaire, NDIAYE Pape, BADJI Assane, TRAPE Jean-François, Espace urbain et risque anophélien à Pikine (Sénégal), 1994

93


TABLE DES MATIÈRES 5

Remerciements Avant-propos

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7

8

8

I. Les niayes 15

15

II. le typha 33

33

III. djiddah thiaroye kao 45

45

IV. l’immersion 61

61

VI. kër typha 77

77

Introduction

A. Des dépressions dunaires B. Un paysage qui évolue C. Des dépressions dunaires A. Une plante invasive B. Une ressource peu exploitée C. Le typha dans la construction A. Un territoire marqué par les inondations B. Des projets à multiples acteurs A. La rencontre avec FSH B. La rencontre avec UrbaSEN C. La rencontre avec PNEEB/Typha 94

5

17 21 29

35 39 41 51 55 63 68 73


Acronymes

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Lexique

89

Bibliographie

90

Table des matières

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95


DJEUREUDJEUF*

* « merci » en wolof



« Ku yàgg ci teen, baag fekk la fa. » « Qui attend longtemps au puits, finira par y trouver un seau à puiser. »

- proverbe wolof

« Djiddah Thiaroye Kao représente au final un territoire qui, à cause de la non-compréhension de sa nature, a été mal habité. En s’installant dans le creux des niayes asséchées, les nouveaux arrivés n’avaient pas conscience que l’eau reviendrait pour reprendre son lieu initial après de longues périodes de sécheresse. Le retour de l’eau a longtemps été renié. Chaque saison de pluies était synonyme de catastrophe et l’on enterrait les flaques d’eau après avoir longtemps attendu qu’elles sèchent, mais en vain. Le pompage ne marchait pas. Le remblaiement non plus. On a essayé de cloisonner l’eau dans des bassins, mais à défaut de déborder, ceux-ci noyaient nos enfants. Dans le mirage créé par le typha, on ne distingue plus de profondeur et, jour après jour, on ne peut plus cultiver, ni pêcher. Le typha, à l’image de l’eau, inondait et ravageait nos maisons, les unes après les autres, elles disparaissaient sous cette nature verte. Notre impuissance face à l’eau nous a remis à l’évidence. L’eau restera. Et le typha. »


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