TASCHEN Magazine Printemps/Été 2015 (Édition française)

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Printemps/Été 2015

LUMIÈRE SUR STARDUST

Comment David Bowie conquit l’univers

Andy instantané Les Polas Pop de Warhol

Page 140

Page 62

MODÈLE UNIQUE L’incroyable histoire de Naomi Campbell

Page 150

SECRETS BURLESQUES Plongée dans les archives de Charlie Chaplin Page 80

JAQUETTES RUGISSANTEs 35 ANS POUR L’INSTANT

TASCHEN célèbre 35 années d’art, d’anthropologie et d’érotisme Page 14

Est. 1980 Stay flexible!

© Andy Warhol Foundation

Couvertures de livres sous la République de Weimar Page 74



Bienvenue Ă Milan, Via Meravigli

Bibliothèques modulaires par Marc Newson Sol en terrazzo par Jonas Wood


design a n d technology.

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Berlin, mai 2015

Chers dévoreurs de livres, À l’âge de dix ans, je suis tombé amoureux d’un canard. Il se prénommait Donald. Tous les jours après l’école, je faisais la tournée des bouquinistes du voisinage, à la recherche de vieux albums de Mickey manquant à ma collection. Lorsque j’ai compris que ma passion pour Donald était partagée, je n’ai pas été jaloux, mais heureux comme un canard dans la mare.

1980. Les débuts en BD… Quelques années plus tard, j’ai pour le jeune Benedikt Taschen : lancé une petite affaire de vente 18 ans + 25 m2 = boutique TASCHEN par correspondance de vieux COMICS, Cologne (Allemagne). comics. Le bac en poche, j’ai ouvert une boutique à Cologne, où je proposais des comics anciens et nouveaux du monde entier. Le canard m’a porté chance et, au fond, tout ce que j’ai pu apprendre dans ma vie sur le capitalisme, je le dois à Carl Barks et à ses personnages Donald Duck et l’Oncle Picsou. Mon deuxième amour était l’art, et sachant que les bons livres d’art étaient chers, le défi consistait à les rendre modernes, abordables et accessibles à tous. C’est ainsi qu’en 1985 parut Picasso, le premier volume de notre Petite Série. Ensuite, tout s’est déroulé « pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles », et grâce à Donald et Picasso, ainsi qu’à vous, millions de fidèles et perspicaces lecteurs, nous sommes ravis de fêter cette année le 35 e anniversaire de notre odyssée dans la galaxie Gutenberg.

1986. Une affiche… avec la

frimousse de Marlène, la fille de Benedikt, clamant du haut de ses 12 mois : « Je veux un livre TASCHEN, pas un livre de poche ! » (« poche  » se dit « Taschen  » en allemand, au pluriel).

Poignée de porte du siège de TASCHEN à Cologne

Merci de votre fidélité à TASCHEN! Peace

Benedikt Taschen

benedikttaschen


Est. 1980

Stay flexible! Front cover: Grace Jones, 1984 © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc.

162

Limited; 92, 94b, 96t, 98tl, 98bl, 98bm, 99c © Pirelli UK Tyres Limited; 93, 94t, 95, 98cl © Pirelli & C. S.p.A; 96b, 99t © NK Image Limited. Exclusive licensee Pirelli UK Tyres Limited; 97, 98tr © Richard Avedon All photographs © TASCHEN GmbH unless noted otherwise: Inc. Exclusive licensee Pirelli UK Tyres Limited; 98br © Mario Testino. 14/15 © Walton Ford. Courtesy of the artist and Paul Kasmin Gallery, Exclusive licensee Pirelli UK Tyres Limited; 100–105 © Lena Herzog; New York; 16 © SSPSAE-VE e polo museale veneziano, Venice/Photo 106/107 © BIG, Bjarke Ingels Group; 108 © Fernando Guerra; 109tl © Iwan Luciano Romano, Naples; 17 © David Bailey; 18/19 © Luciano Romano, Baan; 109tr © Claudio Manzoni; 109b © Timothy Hursley; 111 © Iwan Baan; Naples; 20 © Ellen von Unwerth; 21 © J. Paul Getty Trust. Used with 112t © Leonardo Finotti; 112b © Lucerne Festival Ark Nova; 113t © Stephen permission. Julius Shulman Photography Archive, Research Library Goodenough; 113b © James Morris; 114–116, 119t © dpp images, Hamburg; at the Getty Research Institute; 22/23 © The Frank Lloyd Wright 117 © AMC/Everett Collection/action press; 118t © Rex Features/action Foundation, Scottsdale, Arizona / Photo: Ezra Stoller © Esto; 24/25 © press; 118b © HBO/Jessica Miglio/Everett Collection/action press; 119b Darren Almond; 26 © Sebastião Salgado; 27 © Ralph Morse; 28/29 © © Sony Pictures Television/Collection Christophel/action press; 120 © National Geographic Creative; 30 © Aurelio Amendola, Pistoia; 31 © HBO/Andrew Schwartz/Everett Collection/action press; 121t © HBO/ David LaChapelle; 32/33 © Alfred Wertheimer; 34 © National Gallery of Landmark Media Press and Picture/action press; 122–128 © Mario Victoria, Melbourne, Australia / Bridgeman Images; 35 © Theo Ehret; Testino; 130–136 © Kishin Shinoyama; 138/139 Photo: Dana Edelson; 36/37 © Photographer Luciano Romano, © Société Compagnie 140–147 © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc.; 148/149 Immobilière SAS et consorts STOCLET, toute reproduction est interdite; © Courtesy of Hunt Institute for Botanical Documentation, Carnegie 38/39 © David Lees/Bridgeman Art Library; 40/41 © Annie Leibovitz; Mellon University, Pittsburgh, PA; 150/151 © 2005 Peter Lindbergh; 152 50–57, 58t, 59–61 © NASA, ESA and Hubble Heritage (STScI/ESA); 58b © Ellen von Unwerth; 153 © Sebastian Faena; 154/155 © 2015 Nobuyoshi © NASA, ESA; 62–72© Mick Rock; 75r © VG Bild-Kunst Bonn 2015/ John Araki / Condé Nast Japan; 156 © Gui Paganini; 157 © 1991 Peter Heartfield (© The Heartfield Community of Heirs); 80–83, 85b, 87–88 © Lindbergh; 158 © Nick Knight / Trunk Archive; 159 © 2013 Matthew Property of The Roy Export Company Establishment. All rights reserved; Rolston Photographer, Inc., all rights reserved; 160 © Allen Jones; 161 84, 86 © Cineteca di Bologna; 85t Courtesy Heritage Auctions/HA.com; © Mert Alas and Marcus Piggott. Courtesy art partner; Inside back cover: 90/91, 99b © Peter Lindbergh. Exclusive licensee Pirelli UK Tyres © Matthias Vriens McGrath

Conception : Andy Disl et Benedikt Taschen Coordination : Florian Kobler Production : Claudia Frey et Ute Wachendorf Direction et production : Benedikt Taschen Traduction : Anne Le Bot, Alice Petillot et Arnaud Briand

Imprimé en Allemagne Publié par TASCHEN Hohenzollernring 53, D–50672 Cologne Tél. : +49-221-20 18 00, contact@taschen.com Contact publicité : media@taschen.com

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NOS LIVRES COUP DE CŒUR

Les amis et les collaborateurs de TASCHEN dévoilent leurs titres préférés

Che meraviglia!

Une boutique TASCHEN ouvre à Milan

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JUBILé jubilatoire

35 ans d’aventures TASCHEN

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Petite Collection 2.0

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Bibliotheca Universalis

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L’ŒIL DEs étoiles

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ZIGGY, IL S’APPELLE ZIGGY…

La collection de livres d’art la plus célèbre du monde – rafraîchie et mise à jour

Nouvelle collection au format compact : petit prix, pratique, choix imbattable Des images à couper le souffle prises du télescope Hubble L’extravagante carrière de David Bowie sous l’objectif de Mick Rock

50 74

QUAND WEIMAR SE TAPAIT L’AFFICHE

Les couvertures de livres audacieuses sous la République de Weimar

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SACRÉ CHARLOT !

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Calendar eye candy

Hommage à un génie du burlesque

ANIMÉES

LA LOI DES SÉRIES

De Twin Peaks à True Detective, les séries qui révolutionnent la télé 122

testosterino

Mario Testino explore les facettes du mâle

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double fantasy

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You look... maRvelous!

Portraits polaroïd d’Andy Warhol

La poignante série de portraits de John Lennon et Yoko Ono par Kishin Shinoyama

Saturday Night Live : le livre Comment les Strandbeests de Theo Jansen questionnent le sens de la vie 140 POP ART INSTANTANÉ

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QU’IL PLEUVE OU QU’IL VENTE

L’architecture adaptative du BIG Bjarke-Ingels Group à travers le monde

108 DES

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Le calendrier Pirelli fête ses cinquante ans

100 SCULPTURES

140

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RACINES EN BÉTON

Comment un matériau longtemps décrié a retrouvé ses lettres de noblesse

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CONSTRUCTIONS DE dEMAIN

148 formes

Pierre-Joseph Redouté, le « Raphaël des fleurs »

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business model

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THE TASCHEN GALLERY

169

ORGANISATEUR D’AVENTUREs

Un volume pour fêter l’anniversaire de notre série fétiche Architecture Now!

90

Florales

Naomi, le modèle des top models Notre nouvel espace d’exposition à L.A. Le nouveau guide planétaire 36 Hours

74


Mon livre TASCHEN préféré, c’est… Des célébrités partagent leurs coups de cœur Illustrations : Robert Nippoldt

« Henri Matisse. Les papiers découpés est divin ! J’ai toujours aimé Matisse – nous avons la même date d’anniversaire, le 31 décembre. J’ai toujours été inspirée par ses travaux, son sens de la couleur et son incroyable joie de vivre. Ce livre TASCHEN saisit parfaitement sa maîtrise des couleurs et des formes.  »

Diane von Fürstenberg José Mourinho « J’ai adoré ce livre –les photos ont réveillé en moi de nombreux souvenirs d’une époque récente mais révolue.  »

Dita van Teese « Il y a de nombreux ouvrages extraordinaires de pin-up chez Taschen, mais CELUI-LÀ, c’est le must. Je possède en fait plusieurs originaux des œuvres d’art qui figurent dans ce superbe livre !  »


Steve McCurry « C’est un véritable document historique. Entre les photos des coulisses du tournage et les informations sur les effets spéciaux, la musique et l’histoire, j’ai énormément appris sur ce chef-d’œuvre de la science-fiction et la personnalité aussi fascinante qu’excentrique de Kubrick.  »

Lauren Taschen « Toutes les personnes mariées ou vivant en couple devraient posséder ce livre. C’est le manuel idéal pour comprendre le sexe opposé ! Ce livre va sauver des hommes !  »

« Mon livre préféré (à part le mien) est Léonard de Vinci. Un volume au format XXL qui embrasse tout. Du pur génie sur la vie d’un génie.  »

Alejandro González Iñarritu « Citer un livre préféré chez TASCHEN, c’est aussitôt trahir bien d’autres de leurs trésors. Pour l’instant, mon favori est Pancha Tantra, consacré à Walton Ford. Explorer en profondeur la beauté de son œuvre nous amène à prendre conscience et à nous persuader de ce que nous savons déjà : les animaux ont bien plus à dire que les humains.  »

Peter Beard


Suzy Menkes « Klimt. Tout l’œuvre peint. Car chaque page des encarts – qu’on peut effleurer, avec sa peinture vibrante et sensuelle où se mêlent imagerie byzantine et mosaïques vénitiennes – donne vie à l’érotisme exotique d’un artiste exceptionnel.  »

Marlene Taschen

« J’aime la beauté mystérieuse des paysages de Fullmoon par Darren Almond. Ses photographies éveillent un sentiment d’aspiration romantique et une sensation de quiétude – des qualités rares dans notre monde trépidant.  »

Anthony Bourdain « Mon préféré est The Rolling Stones. Ils étaient et resteront à jamais légendaires. De par leur look, leur allure, leur attitude, ils sont la quintessence même de la rock star. Quant à leur musique, c’est la bande-son de ma vie. Ce sont les premiers aristocrates du rock.  »

« Peter a toujours été Peter Beard. C’est un homme unique, moderne. On n’en a pas connu de semblable depuis l’explorateur du xixe siècle Richard Burton (pas l’acteur). C’est aussi un grand créateur d’images, mi-Hemingway, mi-Finch-Hatton. Cet ouvrage relié en cuir tandis que je l’évoque restitue toute la magie de Peter dans ce très beau volume.  »

David bailey


TASCHEN Store Milan


Bibliothèques modulaires en acier poli avec incrustations de résine jaune vif et vastes présentoirs surmontés de vitrines conçus par Marc Newson

Marlene Taschen

Marc Newson et Rem Koolhaas


« Ce mobilier modulaire offre une grande flexibilité, car il permet de modifier la présentation en fonction des lancements d’ouvrages, permettant ainsi de créer des aménagements intérieurs sur mesure déclinables dans toutes les boutiques et dans tous les environnements de vente. Au plan visuel, il m’était important de conserver l’aspect et la perception d’ensemble pour bien mettre en valeur les livres tout en soulignant certains d’entre eux par un encadrement de couleur. » — Marc Newson


Rendez-vous sur taschen.com pour effectuer vos achats en ligne et pour en savoir plus sur les prochaines dédicaces et notre prochain déstockage, du 25 au 28 juin 2015

retrouvez vos boutiques TASCHEN à Amsterdam Beverly Hills Bruxelles Cologne Hambourg Hollywood Londres Miami Milan New York Paris

« Une boutique à la hauteur du niveau de fabrication des livres renommés pour leur qualité et leur valeur. En voici une qui fait honneur au nom de la rue milanaise qui l’accueille, la Via Meravigli, la rue des Merveilles. » — we-heart.com


« Les livres TASCHEN sont pour ainsi dire pensés comme des objets de collection. Il n’est pas rare qu’un ouvrage édité par TASCHEN prenne de la valeur dès sa sortie. » — Abebooks, le site de livres d’occasion préféré des internautes du monde entier


Around the world in 35 years with TASCHEN …


Walton Ford


Hieronymus Bosch


David Bailey


Comic beginnings, surreal success, and magical artists!


Le Caravage


Ellen von Unwerth


Julius Shulman


Frank Lloyd Wright


Cultural archaeology and luxury for less


Darren Almond


Some like it hot and some like it not


Sebasti達o Salgado


Norman Mailer, MoonFire


Big, bold, bright!

National Geographic


Small, smart, smashing!


Michel-Ange


David LaChapelle



Bookworm’s delight: never bore, always excite!

Alfred Wertheimer


William Blake


Theo Ehret

A passion for TASCHEN

It’s different, I like it!



Gustav Klimt



Thank you for your continuous support

L’art moderne


Annie Leibovitz


Publisher of art, anthropology, and aphrodisia since 1980


Gala intergalactique de beautés célestes et de best-sellers par TASCHEN Venez célébrer avec nous nos 35 années dans la galaxie Gutenberg


« Les livres les plus sublimes de la planète. » — Wallpaper, Londres


Petite Collection 2.0

« Un génie comme Dalí pour FF 39,90? » se demandait Señor Dalí tout étonné dans notre catalogue 1987/1988. La réponse a fusé : « Fini les livres d’art trop chers ! » Et c’est ainsi que la Petite Collection de TASCHEN a vu le jour en 1985 avec un ouvrage sur Picasso, la toute première publication des éditions TASCHEN et le début d’une successstory unique en son genre. Entretemps 200 volumes environ, traduits dans plus de vingt langues, sont parus et ont fait de la Petite Collection la série de livres d’art la plus célèbre du monde. Pour fêter les trente ans d’existence de notre série au format compact et élancé, nous avons offert à notre collection fétiche une nouvelle couverture rigide au design revisité. Rafraîchie et mise à jour, la Petite Collection 2.0 constituera votre bibliothèque privilégiée pour une initiation à l’essence de la peinture, de la sculpture, de l’architecture et du design. Mais son prix, lui, est resté aussi ridiculement abordable.


Bibliotheca Universalis — Des compagnons culturels compacts pour célébrer l’univers éclectique de TASCHEN à un prix démocratique imbattable ! Depuis les débuts de nos travaux d’« archéologues de la culture » en 1980, le nom TASCHEN est synonyme d’éditions à l’esprit grand ouvert, accessibles à tous. Bibliotheca Universalis rassemble une centaine de nos titres les plus populaires de ces 35 dernières années dans un format inédit pour enrichir votre collection personnelle de livres dédiés à l’art, à l’anthropologie et à l’érotisme.


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La collection de livres d’art sa jamais publiée – édition s


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100 Maisons Contemporaines

The Grand Tour

Théorie de l’architecture

Un tour du monde des intérieurs

Alchimie & Mystique

Dalí. L’œuvr

Van Gogh. L’œuvre complet – Peinture

Encyclopaedia Anatomica

Le Livre des Bibles

Bourgery. Atlas d’anatomie humaine

Braun/Hogenberg. Villes du monde

D’Hancarvil tion des An

Des compagnons culturels l’univers éclectique de TASC imbatt L’Univers de l’ornement

Racinet. Le Costume historique

Design scandinave

domus 1950s

1000 Chairs

Design du XXe siècle

Logo Design

100 créateurs de mode contemporains

Fashion. Une histoire de la mode

100 classiq cinéma du

1000 Record Covers

Funk & Soul Covers

Jazz Covers

Norman Mailer. MoonFire

Eadweard Muybridge

Karl Blossfe


re peint

Monet

Hiroshige

Léonard de Vinci. L’œuvre graphique

L’art moderne

Tom of Finland. The Complete Kake Comics

lle. Collecntiquités

Martius. Le livre des palmiers

Seba. Le Cabinet des curiosités naturelles

The Male Nude

1000 Nudes

Erotica Universalis

Decorative Art. 50s

Decorative Art. 60s

Decorative Art. 70s

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€ 14,99 couverture rigide, 568–832 p., 14 x 19,5cm

Eric Stanton. Dominant Wives

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1000 Tattoos

Histoire de la Photographie

La Photographie du 20e siècle

Stieglitz. Camera Work

Steinweiss

Photographes A-Z

Curtis. Les Indiens d’Amérique du Nord


L’ESPACE, LE TEMPS…


à 7 500 années-lumière de la Terre,

la constellation de la Carène compte parmi les sites privilégiés pour l’observation époustouflante et sage de la naissance et de la mort des étoiles. Cette photo immortalise les impressionnants piliers de gaz et de poussière cosmiques aux extrémités desquels éclosent les bébés étoiles.

et un télescope


Un espace de rencontre entre l’art et la science

NOUS SOMMES TOUS DE LA

POUSSIèRE D’éTOILEs


Des bébés étoiles d’un bleu vif,

véritables concentrés d’énergie, dont le souffle explosif creuse une cavité au centre d’une région de formation d’étoiles évoluant à 196 000 années-lumière de la Terre.

Pour le 25 e anniversaire de la mise sur orbite de Hubble, TASCHEN réunit certains des clichés les plus époustouflants du télescope


La nébuleuse de la Tête de Cheval

est le berceau d’une formation incessante d’étoiles. L’amas dense de gaz et de poussière que renferme la nébuleuse s’effondre sur lui-même pour donner naissance aux étoiles tandis que, simultanément, ses contours extérieurs sont érodés par le violent rayonnement ultraviolet de Sigma Orionis, un système de cinq étoiles tout proche qui projette la lumière de 75 000 soleils.

Une comète vagabonde frappe la surface de Jupiter en délivrant la puissance de milliers de bombes atomiques. La découverte de quatre des cinq lunes de Pluton a lieu sous nos yeux. Voyageant à la vitesse de 29 000 km/h à une distance de 560 kilomètres de l’atmosphère terrestre, le télescope spatial Hubble lève progressivement le voile de mystère qui entoure les merveilles cachées de notre système solaire et la chorégraphie cosmique de l’Univers, des milliards d’années-lumière plus loin. L’Univers est peuplé d’un vaste amas de galaxies virtuellement innombrables et apparemment incommensurables. Mais Hubble, avec son « œil » implacable, a poussé la perception humaine jusqu’aux coins les plus reculés du cosmos et dans les profondeurs d’un passé lointain. Cet incomparable observatoire en orbite, en s’appuyant sur la découverte d’Edwin Hubble sur l’expansion de l’Univers, éclaire des pans entiers du cosmos et nous rapproche de la connaissance de nos origines, le Big Bang survenu voici 13,8 milliards d’années…


« Préparez-vous à être ébloui !

Le télescope Hubble a ouvert grandes les portes de notre Univers dans toute sa majesté et toute sa splendeur. Ce livre vous met littéralement le cosmos entre les mains. » —James Cameron

Surnommée la « Galaxie rose »,

la formation Arp 23 est en réalité l’interaction de deux galaxies. La gravité de l’une déforme l’autre en étendant ses bras. Elles finiront probablement par fusionner en une galaxie plus grande, phénomène courant dans la ronde cosmique de l’Univers.


Depuis les jeunes objets stellaires en plein développement dans la dense nébuleuse d’Orion jusqu’à l’étrange lumière fantomatique de leur mort violente, le cycle de vie de millions d’étoiles se déroule à travers notre galaxie. Il nous reste encore à découvrir, au-delà de notre planète, la vie telle que nous la connaissons sur Terre, mais nous comprenons désormais mieux les forces qui entraînent la formation de soleils lointains, leur disparition spectaculaire et leur renaissance finale dans les turbulents nuages de poussière et de gaz interstellaires.


« Des photos envoûtantes qui changent notre point de vue sur la place que nous occupons dans l’Univers. » — buzzfeed.com

Si l’on devait retenir une seule image pour définir Hubble, ce serait

le portrait de la nébuleuse de l’Aigle ou M16, plus connue sous le nom de « Piliers de la création ». Cette vaste nébuleuse est le berceau de toutes sortes d’étoiles, depuis les minuscules naines rouges jusqu’aux géantes bleues. Sur l’image de gauche, les Piliers apparaissent en lumière visible. L’image de droite est prise en infrarouge, dont la lumière pénètre une grande partie de l’amas de nuages environnant.


les couleurs du

COSMOS

Entretien avec Zoltan Levay, responsable de l’unité Imagerie du Space Telescope Science Institute Par Owen Edwards

ZL : Le Hubble et le télescope James Webb, verront probablement plus loin qu’aujourd’hui, mais nous ne pourrons pas nous rapprocher indéfiniment du Big Bang, car au début, l’Univers était opaque. Le Webb distinguera un jour le moment où les étoiles ont commencé à se former et la lumière à apparaître, mais on n’ira pas plus loin.

À la tête de l’équipe d’imagerie du Space Telescope Science Institute, Zoltan Levay transforme les données complexes collectées par Hubble en photographies et graphiques permettant aux profanes de visualiser les confins de l’Univers.

Ci-contre : Les découvertes d’Edwin Hubble ont inspiré plus d’un grand télescope. Dans les années 1940, des milliers de personnes ont assisté au transfert du miroir du télescope Hobbel des ateliers new-yorkais de Corning, spécialisés dans les verres spéciaux, vers l’observatoire de Palomar, en Californie. Ci-dessous : Il a fallu une année entière pour donner au miroir primaire de Hubble sa courbure finale. Malgré une finition de surface parfaite, un minuscule défaut, équivalent à 1/50e de pouce, fut identifié lors de la transmission des premiers clichés depuis l’espace.

Owen Edwards : À quand remonte votre intérêt pour l’astronomie ? Zoltan Levay : Oh, au moins depuis le lycée, dans les années 1970. Adolescent, j’ai même construit mon télescope. Parti­ciper au projet Hubble est donc une immense joie. OE : Aux yeux des profanes, les images de Hubble sont carrément époustouflantes. Mais pour vous qui les voyez tous les jours, la magie s’est-elle estompée ? ZL : Pas vraiment. Il y a toujours quelque chose de nouveau à voir. Si mes collègues et moi-même pouvons paraître blasés, c’est que nous voulons avoir toujours plus d’images – le « syndrome de la nouvelle galaxie » ! OE : À propos de capacités, les astronomes ont calculé que la galaxie récemment observée sur une photographie de l’amas Abell 2744 s’est formée 500 millions d’années après le Big Bang, un battement de cils à l’échelle cosmique. Verrons-nous un jour des photographies d’objets encore plus éloignés, encore plus proches du moment de la formation de l’Univers ? — 58 —

OE : Étant donné que la cinquième mission de maintenance de Hubble effectuée en 2009 était la dernière, quel est le pronostic pour la suite des opérations ? ZL : Excellent. Les batteries, gyroscopes et autres composants sont en bon état, nous devrions continuer à collecter des données pendant au moins encore cinq ans. Et d’ici là, le télescope Webb aura pris le relais. OE : Vous participiez déjà depuis plusieurs années au projet Hubble quand la cinquième mission de maintenance a été annulée, à la suite de la désintégration de la navette Columbia en février 2003. Cela condamnait l’avenir du télescope. Comment l’avez-vous vécu ? ZL : Ce fut un choc, évidemment. Tout était prêt pour le d ­ épart : les pièces de rechange


« Hubble a mis l’Univers à nos portes. » — Neil deGrasse Tyson

étaient en place et les astronautes étaient disposés à prendre le risque. Mais après la tragédie de Columbia et la perte de son équipage, cette décision était compréhensible. OE : C’est alors que le public s’est mobilisé en faveur d’une cinquième mission et que le Congrès s’en est mêlé, incitant le ­nouveau directeur de la NASA à relancer la mission. Pourquoi tant de personnes extérieures à la communauté scientifique tenaient-elles tant à un télescope spatial ? Était-ce en raison des images ? ZL : Le mérite en revient en grande partie à la sénatrice Barbara Mikulski. Mais les photographies y sont sans doute pour quelque chose. L’astronomie a toujours été une science visuelle, et la NASA est tenue de livrer au public le contenu de ses missions. La diffusion des résultats scientifiques de Hubble fut assortie de nombreuses images, qui ont fasciné les foules.

« Le fait que Hubble ait connu des déboires à ses débuts et qu’il ait fallu faire appel à des ingénieurs et des astronautes pour le réparer lui a sans doute donné une dimension plus humaine qu’un simple satellite en orbite. » De plus, le fait que Hubble ait connu des déboires à ses débuts et qu’il ait fallu faire appel à des ingénieurs et des astronautes pour le réparer lui a sans doute donné une dimension plus humaine qu’un simple satellite en orbite. C’est ce qui a rendu son histoire si passionnante. Je pense qu’elle ­aurait été moins captivante si tout, dès le départ, s’était bien passé. Pourtant, cette cinquième mission fut la dernière. Ci-dessus : Edwin Hubble, le « pionnier des étoiles lointaines », à l’observatoire du mont Palomar, près de San Diego, où il a développé ses travaux sur l’expansion de l’Univers, 1950.

OE : Parlons de l’esthétique des images. L’ajout de couleurs est-il davantage destiné au public qu’aux astronomes ? Les scientifiques n’utilisent pas directement les images en couleurs. La couleur est certes très importante en astronomie, mais les chercheur la mesurent de façon numérique à partir des données. Pour voir la forme des objets, ils prennent plutôt des photographies monochromes, car un appareil qui capture la couleur perd en résolution spatiale. Ces images sont en réalité des produits dérivés — 59 —

de la recherche scientifique. Mais les astronomes peuvent, eux aussi, être inspirés par ces photographies. OE : Donc, ce que nous voyons sur ces photographies en couleur n’est pas ce que nous verrions si nous nous approchions de l’objet à bord d’un vaisseau spatial ? ZL : En effet, ce n’est pas ce que nous verrions à l’œil nu. En réalité, nos yeux ne peuvent pas percevoir grand-chose de ce que Hubble nous montre, car la luminosité


le système solaire

0,000000042 à 4

la voie lactée

les galaxies voisines

années-lumière de la terre

années-lumière de la terre

4 à 50 000

50 000 à 5 000 000

est très faible et le télescope ne capte pas seulement la lumière visible, mais aussi les infrarouges et les ultraviolets. Néanmoins, les couleurs ne sont pas arbitraires. Elles sont ­déterminées par les données. Nous ajustons les nuances de manière à inclure un maximum d’informations, tout en les rapprochant le plus possible des couleurs naturelles.

sant plusieurs versions de l’image obtenues avec différents filtres. Nous employons les couleurs standard RVB – rouge, vert, bleu – comme dans n’importe quelle technologie couleur, les écrans d’ordinateur, par exemple.

OE : Que représentent ces couleurs, si ce n’est pas exactement ce que l’on verrait ? ZL : Les couleurs (rouge, bleu, vert) sont attribuées en fonction des longueurs d’onde. Une fois les différentes versions combinées, la photographie en couleur qui apparaît provient d’un traitement analogue à celui d’une photographie numérique normale. Puis nous effectuons des retouches pour améliorer l’image. Comme Hubble a un champ de vision assez étroit, nous assemblons parfois

OE : Pouvez-vous nous décrire le processus en deux mots ? ZL : Chaque année, des milliers d’astronomes, du monde entier, se portent candidats pour utiliser Hubble ; environ deux cents sont sélectionnés. Les observations sont p ­ rogrammées au Space Telescope Science Institute (STScI), et les commandes sont envoyées à Hubble par le centre de contrôle du Goddard Space Flight Center de la NASA. D’abord, Hubble effectue une prise de vue. Ce processus complexe revient à appuyer sur le bouton ­d’obturateur d’un appareil photo. Le temps d’exposition varie de quelques secondes à plusieurs minutes. Les données sont ­ensuite envoyées au STScI, où elles sont converties en é­ léments scientifiquement exploitables avant d’être archivées. On obtient environ 120 gigabits de données par semaine.

Ci-dessous : Perchés à 560 km au-dessus de la Terre, les astronautes Steven Smith et John Grunsfeld remplacent les gyroscopes du télescope Hubble, 27 décembre 1999.

OE : C’est là que vous intervenez, n’est-ce pas ? ZL : En effet. Les astronomes nous envoient parfois des données pour illustrer des recherches intéressantes. Sur les images en noir et blanc, nous ajustons les nuances et l’intensité pour mettre en valeur ce qui est important à voir. C’est un peu comme autrefois, lorsqu’on réglait l’exposition dans la chambre noire pour en tirer un négatif. Ensuite, nous appliquons la couleur en utili— 60 —

années-lumière de la terre


« La sobre esthétique “high tech” si courante dans les publications scientifiques astronomiques a été remplacée par le style et le ressenti d’un livre classique [et] les images sur papier glacé de galaxies et de nébuleuses sont entourées de bords noirs et mats qui protègent l’art des traces de doigts… » — Sky and Telescope le superamas de la Vierge

5 000 000 à 100 000 000

années-lumière de la terre

plusieurs images, comme une mosaïque, pour couvrir un champ plus vaste. OE : L’équipe de Hubble est-elle la première à produire ces images en couleur ? ZL : Non, nous avons une longue tradition. Bien avant Hubble, l’astronome anglo-australien David Malin a réalisé des images en couleur à l’aide de plaques de verre à l’observatoire de Sydney. Nous utilisons plus ou moins les mêmes techniques. Bien sûr, nous disposons de la puissance de Hubble, mais le matériel optique, les ordinateurs et les logiciels sont désormais si accessibles que beaucoup d’amateurs font un travail formidable. OE : Les distances qu’elles représentent sont telles – des millions ou des milliards d’années-lumière – qu’on se demande comment les astronomes parviennent à les appréhender… et a fortiori les profanes.

« Quand on observe les profondeurs de l’espace, tout devient de plus en plus contre-intuitif, car nous n’avons aucune expérience ... » ZL : C’est une question d’échelle. On commence par le Système solaire, avec lequel une bonne partie du public s’est familiarisé, grâce aux somptueuses images du programme Voyager. Et puis on s’éloigne peu à peu. Les astronomes parlent d’échelle des distances, un système qui permet d’acquérir progressivement la capacité d’imaginer des distances normalement inimaginables. Une année-lumière est énorme, mais avec le parsec – que les astronomes ­privilégient – il est plus pratique de mesurer les distances,

l’Univers visible

100 000 000 à 13 800 000 000 années-lumière de la terre

c’est comme avec le mètre ou le pied. OE : Étant donné que plus on s’éloigne dans l’espace plus on remonte dans le temps, comment savoir à quoi ces galaxies très lointaines ressemblent aujourd’hui ? ZL : L’Univers semble être relativement identique en tout lieu. On peut donc supposer que des galaxies très éloignées dans l’espace et le temps ont évolué de la même façon que la Voie lactée et les galaxies voisines. OE : Si Hubble, Webb et de futurs télescopes encore plus puissants ne peuvent pas nous montrer les instants qui ont suivi le Big Bang, période que vous qualifiez d’« opa-que », est-ce à dire que la théorie du Big Bang ne pourra jamais être démontrée ? ZL : J’aimerais en finir avec le mot théorie, car l’usage qu’en font les scientifiques – astronomes ou biologistes de l’évolution – est très mal compris. Pour la plupart d’entre eux, le concept de Big Bang n’est pas sujet à débat. Les discussions portent sur les détails, et elles se poursuivront tant que nous continuerons d’en apprendre plus sur l’Univers. Par exemple, les astronomes ont longtemps pensé que l’énergie de l’Univers en expansion finirait par s’épuiser et que la force gravitationnelle entraînerait sa contraction, relançant ainsi tout le processus. Il est désormais établi que l’expansion de l’Univers s’accélère au lieu de ralentir et qu’elle se poursuivra indéfiniment en raison de l’énergie sombre. OE : Si l’idée du Big Bang, d’un néant inimaginable à partir duquel l’Univers s’est déployé, est difficile à comprendre pour le commun des mortels, la notion d’un — 61 —

Univers qui n’est pas soumis aux forces et aux cycles de la nature terrestre n’est-elle pas encore plus déroutante ? ZL : Le cycle de l’Univers est un phénomène fascinant. Quand on observe les profondeurs de l’espace et qu’on se rapproche de l’origine de toute chose, tout devient de plus en plus contre-intuitif, car nous n’avons aucune expérience qui nous aide à comprendre des échelles de temps aussi vastes et des forces aussi différentes que celles que nous rencontrons sur Terre. Nous connaissons le magnétisme et la gravité, mais des choses comme l’énergie sombre et la matière noire sont sans aucun rapport avec nos vies. Et pourtant, nous sommes issus de ces processus. Comme l’a dit Carl Sagan : « Nous sommes des poussières d’étoiles. Nous sommes l’occasion, pour le cosmos, de le connaître. » Les photographies de Hubble nous aideront toujours à expliquer notre place au sein de l’Univers.

Expanding Universe. Photographs from the Hubble Space Telescope Relié, avec pages dépliantes et imprimé sur deux types de papier différents, 260 pages € 49,99


rebel rebel Dans l’œil du cyclone « Ziggy »



« Cette image résume la GrandeBretagne du début de l’ère glam rock : même Ziggy Stardust devait se contenter d’un déjeuner British Rail ! » — Barney Hoskyns


David Bowie et Mick Ronson Dans le train Londres–Aberdeen, Écosse, 15 mai 1973.



Arrêt sur image : Ziggy Stardust

Interview de Mick Rock, photographe officiel de David Bowie dans les années 1972/1973, par Barney Hoskyns

Mick Rock – un nom que l’on aurait pu inventer. Comme Mick le dit lui-même, son nom pourrait être celui d’un personnage de BD : deux syllabes, deux onomatopées, qui résonnent comme un concentré de culture pop des années 1970. Mais Mick Rock est le nom réel de ce diplômé de Cambridge qui, au printemps 1972, a suivi l’ascension phénoménale de David Bowie dans sa brillante incarnation de Ziggy Stardust, de ce photographe dont les images ont su immortaliser le glam rock de la première moitié de cette décennie. Rock n’aurait pu se trouver à un meilleur endroit à un meilleur moment. Il était au centre de la tornade glam qui tourbillonnait autour de Bowie en 1972. Excitantes ou étranges, remarquablement sincères, les images de ce livre attestent l’accès direct et exclusif dont disposait Rock à la star devenue et restée son ami. Ce privilège et cette confiance entre le photographe et son sujet semblent relever d’une période révolue de

des grandes années de l’adolescence de la révolution du glam rock. BH : Comment vous êtes-vous rencontrés la première fois, début 1972 ? Mick Rock : Je travaillais en chambre noire dans les bureaux du magazine OZ, et il y avait là une pile de disques de promo. Felix

« Il en avait marre de tous ces ennuyeux débraillages en jeans. Il regardait vers le futur, sans se retourner. » — Mick Rock la musique rock, lorsque l’art passait avant l’argent et le business. Quel photographe n’aurait rêvé d’un modèle aussi charismatique ? Rock est suffisamment modeste pour reconnaître qu’il a eu la chance de baigner dans l’esprit même du glam. Mais ce sont aussi ses images de Bowie — sur scène, en coulisses, en studio, au repos chez lui ou en voyage — qui ont installé « Ziggy Stardust » au cœur de la vague pop des années 1970. Ici donc, Rock nous parle de ces journées enfiévrées vécues auprès de Bowie au cours Page ci-contre : Dans les coulisses de la tournée en Grande-Bretagne de l’été 1973. Ci-contre : Mick Rock sur le plateau de tournage de The Jean Genie, San Francisco, octobre 1972.

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Dennis, qui dirigeait le magazine, m’a dit : « Sers-toi ! » Il y avait là Hunky Dory que je me suis passé en boucle, en particulier le titre « Life on Mars ? ». À ce moment-là, j’écrivais de petits articles pour Rolling Stone et les illustrais de mes propres photos. J’avais étudié à Cambridge et pouvais aligner quelques mots. J’avais


Photo du clip promotionnel pour le single The Jean Genie, rĂŠalisĂŠ par Mick Rock, San Francisco, octobre 1972.


« Au début, j’étais inspiré par sa musique, puis je me suis laissé fasciner par son aura. J’étais hypnotisé par toutes les mutations et les évolutions qui se produisaient en lui. » — Mick Rock


écrit un papier sur Syd Barrett de Pink de lui. Un ou deux jours plus tard, je suis allé Floyd et un autre sur Rory Gallagher, dont l’interviewer dans sa maison de Beckenham. j’ai réalisé les trois premières pochettes BH : Qu’est ce qui te plaisait chez Bowie ? d’album. Lorsque David disait « Je suis bi », ça attirait Au début, j’étais inspiré par sa musique, puis je me suis laissé fasciner par son aura. certainement J’étais hypnotisé par toutes les mutal’attention. J’ai « Il ne pensait tions et les évolutions qui se produiparlé à Andrew saient en lui. Son personBailey – l’éditeur pas à l’argent, il nage Ziggy m’intéressait londonien de rêvait de devenir plus que sa personnalité. Rolling Stone – une star. » — Mick Rock Il ne pensait pas à et lui ai l’argent, il rêvait de devedemandé : nir une star. Nous étions vrai« Qu’est-ce qui se passe avec Bowie ? » Il a répondu : « Ouais, OK. Il a dit quelques trucs ment très jeunes. J’ai rencontré David pour la première fois il y intéressants récemment. » Au même a quarante-deux ans et le moment, un de mes amis, directeur artismonde était alors très diffétique de Club International, m’a dit qu’il voulait créer une rubrique musicale dans les rent. C’était une période ou pages qui précèdent les photos de seins et de tout le monde se laissait facilement impressionner. La fesses, quelque chose d’un peu provocateur. culture pop était un phénoDonc ce premier travail était aussi une mène complètement nouveau. commande. Anya Wilson, la chargée des relations BH : Bowie critiquait-il les photos que tu publiques de Bowie, une blonde très séduifaisais de lui ? Avait-il des exigences sante, m’a emmené assister à un concert à particulières ? Birmingham. Elle m’a accompagné en couDès le début, il a semblé apprécier mes pholisses pour me présenter à David et m’a tos. Il réagissait vraiment bien dans la laissé prendre mes toutes premières photos séance que j’ai faite chez lui à Beckenham, Ci-dessus : Avec Iggy Pop et Lou Reed, hôtel celle avec le miroir, d’où est sortie cette Dorchester, Londres, 16 juillet 1972. Ci-dessous : En tournée en Grande-Bretagne, été 1973. image devenue célèbre. Chaque prise possé-

dait une certaine magie. En les regardant, il a dit à son manager : « Mick me voit comme je me vois. » J’ai beaucoup appris, tout simplement en le regardant et en l’écoutant. BH : Bowie est-il d’abord un artiste d’avant-garde ou une pop star ? David parlait souvent de lui comme d’une

machine à photocopier, recueillant partout des impressions. Il a apporté beaucoup de choses nouvelles : le phénomène Warhol, le Velvet Underground, Jacques Brel, Kabuki, The Living Theatre, Orange mécanique. Et bien sûr aussi ce truc futuriste de l’espace, dans lequel a plongé Roxy Music. David absorbait tout tellement vite ! Il en faisait une sorte de concoction, riche et dense.

« On voulait épater le bourgeois. On avait l’impression d’être des révolutionnaires. Plus on était désapprouvés, plus on était heureux. » — Mick Rock

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à bord du paquebot de légende Queen Elizabeth 2, Southampton, Royaume-Uni, janvier 1973.


Séance photo pour l’album Pin Ups, France, juillet 1973. © all photos by Mick Rock


édition limitée à 1 972 exemplaires signés par David Bowie et le photographe Mick Rock

Édition d’art Nos 1–100

édition d’Art nos 201–1 972

Tournée d’été au Royaume-Uni, 1973 (ci-dessous, à gauche)

Édition limitée de 1 772 exemplaires tous signés par David Bowie et le photographe Mick Rock, 310 pages

Édition d’art Nos 101–200

€ 500

Écosse, mai 1973 (ci-dessous, à droite) Impression pigmentaire sur papier Platine Archival Fibre Rag, signée par le photographe Mick Rock, format 31,5 x 44 cm, cadre non fourni € 1 250 chacune

« David absorbait tout tellement vite ! Il en faisait une sorte de concoction, riche et dense. » — Mick Rock

XL

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Le Berlin de la jaquette Charles Duff, Manuel sur la pendaison. Couverture : Andreas Karl Hemberger (1931).

En Allemagne, la période entre la Première et la Seconde Guerre mondiale est réputée pour son foisonnement culturel. Avec Berlin pour épicentre, la République de Weimar est à l’avant-garde de la science, de la littérature, de la philosophie et de l’art. Au cœur de ce bouillonnement politique, intellectuel et créatif, les arts du livre connaissent un véritable âge d’or.

Metropolis. UFA Magazin, édition spéciale. Illustration : Werner Graul (1927).

Erich Kästner, Le téléphone ensorcelé. Illustration : Walter Trier (1931).


Walter Benjamin, Sens unique (1928). Couverture : Sasha Stone.

Kurt Tucholsky, L’Allemagne, l’Allemagne par-dessus tout (1929). Couverture : John Heartfield.

Ignatz Strassnoff, Moi, l’escroc Ignatz Strassnoff. Couverture : Atelier Bernhard-Rosen.

Immeubles d’habitation berlinois de ces dernières années. Couverture : Hermann Seewald (1931).


Hans Richter (éd.), G. Zeitschrift für elementare Gestaltung. No 5/6: Film (1926). Illustration : Werner Gräff.

Polyphem, Avec l’œil droit (1925). Illustration : Oskar Garvens.

Stefan Lorant, Nous autres du cinéma (1928). Illustration : Dugo (András Szenes).

Sinclair Lewis, Dodsworth (1932). Illustrateur inconnu.

Alfred Döblin, Berlin Alexanderplatz (1931). Illustration : Georg Salter.


Sacco et Vanzetti (1928). Conception : Pewas.

Henri Guilbeaux, Le Portrait authentique de Vladimir Ilitch Lénine (1923). Couverture : Georg Salter.

La vitesse à laquelle les esprits libéraux, cosmopolites et éclairés purent se faire entendre après la chute de l’Empire allemand tient du miracle. Débats autour du socialisme, de l’émancipation des femmes, de la jeunesse, du cinéma à l’architecture et à l’urbanisme, ces ouvrages reflètent la curiosité et la liberté d’esprit de l’époque. Ce que les illustrateurs étaient capables de réaliser à l’aide de ce que considérons aujourd’hui comme des techniques primitives est époustouflant. Les lettres étaient dessinées à la main avant d’être fondues dans du plomb, les collages étaient assemblés avec des ciseaux et de la colle, les lithographies étaient minutieusement intégrées dans un processus tout aussi laborieux. Le travail allemand aux États-Unis (1931). Illustration : Hanns Anker.

Max Hoelz, Lettres du bagne (1927). Couverture : Viktor Josef Kuron-Gogol.


Esquisses d’un monde meilleur Les livres de la République de Weimar laissent entrevoir le monde tel qu’il aurait pu être

« Tous ceux qui possèdent une bibliothèque tures et les digne de ce nom savent que les livres n’ont jaquettes des livres pas seulement un contenu lisible, mais éga- de la République lement leur propre atmosphère, leur de Weimar pospropre humeur, leur propre aura ; leur sèdent une vitalité typographie, leur reliure et leur couverture qui saute littéralesont leur physionomie, elles forment un ment aux yeux ? visage qui réchauffe le cœur comme le font Elles respirent, les portraits des amis au mur. » Ainsi s’exsourient, fixent sur primait en 1923 le brillant chroniqueur et nous leur regard critique culturel hongrois Béla Balázs. À grave et téméraire. l’en croire, il avait un jour été sauvé du suiElles virevoltent et cide par une édition d’un texte de jeunesse vibrionnent. Pourde Tacite à la quoi ? Sans « C’est un phénomène doute à typographie synesthésique. Un irréprochable. cause de livre doit être saisi On peut donc leur pragmatisme quotidien comsupposer qu’il biné à une haute ambition créatrice, comme un fétiche, serait devenu ou aux questions qu’un livre ancien touché comme une fou à la vue de la suscite inévitablement dans notre relique. Il doit être collection Holsimaginaire : qui l’a tenu entre ses ressenti et faire tein – fou de mains, quelle vie secrète l’a accomjoie, naturelle- l’objet du même pagné durant toutes ces années ? ment. Que dire attachement et des Le phénomène que constitue une de ce flot inécouverture de livre est difficile à mêmes attentions puisable de décrire à l’aide du vocabulaire stanqu’un beau bijou. » chefs-d’œuvre ? dard de l’histoire de l’art. C’est pourEst-ce un trésor ? Un paradis ? Une encyquoi l’histoire des arts du livre est demeuclopédie ? Un chemin semé de décourée une spécialité exotique et vertes ? Comment se fait-il que les couverconfidentielle. Depuis que la modernité

revendique « l’autonomie » de l’art, les arts du livre – typographie, reliure ou conception de couvertures et de jaquettes – sont considérés comme des disciplines secondaires, de simples arts « appliqués ». Le mythe persistant de la suprématie de la peinture a perduré une bonne partie du xxe siècle, et aujourd’hui encore, l’affiche la plus évocatrice, la couverture la plus frappante ne font pas le poids face à cet héritage. Les arts du livre sont par conséquent demeurés le domaine d’amateurs avertis, d’adorateurs discrets. Mais comment pourrait-il en être autrement ? C’est un phénomène synesthésique. Comme l’a dit Balázs, un livre doit être saisi, caressé, traité comme un fétiche, « touché comme une relique ». Il doit être ressenti et faire l’objet du même attachement et des mêmes attentions qu’un beau bijou. Un livre peut – que dis-je, doit – parfois nous accompagner dans notre lit ; un tableau, jamais. Pour ce qui est du présent ouvrage, on pourrait reprendre la formule adressée par Hermann Kafka à son fils Franz lorsqu’il lui apporta son premier livre publié : « Pose-le sur la table de nuit. » Car ce n’est pas un livre qu’on peut simplement lire et mettre de côté. Il reste posé là, constante invitation à étudier une cartographie des Ci-dessus : Franz Schulz, Eros. Poésie amoureuse classique (1925). Couverture : John Heartfield. Ci-contre : John Dos Passos, Le 42e Parallèle (1930). Couverture : Georg Salter. Page ci-contre : Erich Kästner, Émile et les Détectives (1931). Illustration : Walter Trier.

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« L’Allemagne démocratique avait tout pour servir d’incubateur à une culture mondiale idéale. » années 1920. Mais pour ce qui est des arts du livre, des pans entiers de cette époque restent inexplorés. Ceux qui pensaient avoir tout vu de cet univers avaient tort. On y retrouve avec bonheur des personnages légendaires comme John Heartfield, Olaf Gulbransson, George Grosz, Frans Masereel, Lucian Bernhard, Jan Tschichold, Georg Salter et E. R. Weiß, pour n’en citer que quelques-uns. Ceux-là suffiraient à susciter l’émerveillement, tant leur production est admirable. Mais les voici rejoints pour la toute première fois par une flopée d’artistes de talent dont même les spécialistes des années 1920 ignoraient les noms. L’un des mérites inestimables de ce livre issu de recherches méticuleuses est d’avoir remis les pendules à l’heure et rendu justice à toute une génération d’artistes. Berlin, l’« usine à hommes » (Menschenwerkstatt, comme l’appelait Heinrich Mann dans les années 1920), attirait comme un aimant les talents de toute l’Europe. Aucun ordinateur ne venait alors en aide aux illustrateurs, mais aucun ordinateur n’a jamais pu imiter le style propre à chacun de ces artistes, sans parler de leur écriture. Tout était fait manuellement : les lettres étaient tracées à la main et moulées en plomb, les collages réalisés à l’aide de ciseaux et de colle, les lithographies laborieusement insérées dans un processus d’impression déjà long, les plaques à gaufrer minutieusement polies. Les résultats obtenus à l’aide de techniques aujourd’hui considérées comme primitives étaient époustouflants. Et parce que tout dépendait de l’habileté manuelle de ces artistes, il émane de leurs couvertures et de leurs jaquettes la fraîcheur caractéristique

des œuvres graphiques les plus originales. nesse, du journalisme engagé à la « quesLes arts du livre sont une fenêtre ouverte tion juive », du cinéma à l’architecture et à sur les grands mouvements de l’époque. l’urbanisme, ces ouvrages reflètent la curioExpressionnisme, réalisme, constructisité et la liberté d’esprit de l’époque. De visme, Nouvelle Objectivité, Art déco et plus, la biographie de tous ces auteurs, édiphotographie sont leurs principales teurs et illustraréférences, mais la plupart des illustra- « Les arts du livre teurs montre son teurs firent du livre un domaine à part. sont une fenêtre caractère irrévoPour jouer sur le terme allemand, cablement ouverte sur les disons que ce n’est pas un « art applirévolu. Le 30 jangrands mouvequé » (angewandte Kunst), mais un vier 1933 marqua « art apparenté » (anverwandte Kunst), ments de l’époque. un point de nonqui s’approprie les choses et les trans- Expressionnisme, retour. La pose souvent de façon ludique dans réalisme, construc- majeure partie des œuvres novatrices et inédites. Si tivisme, Nouvelle de cette culture on le qualifie fut brûlée et piéObjectivité, Art souvent d’art tinée, ses créadéco et photoconceptuel, teurs furent perc’est tout sauf graphie sont leurs sécutés ou de la peinture contraints à l’exil. principales réféen miniature. À première vue, rences, mais la Les jaquettes ces œuvres ne peuvent être plupart des illuspatiemment trateurs firent du recherchées, rasséparées des textes, des his- livre un domaine semblées et restoires qu’elles suscitées peuvent à part. » enveloppent et sembler n’être sur lesquelles elles qu’une collection de plus. En réalité, c’est attirent notre atten- un hommage à l’Allemagne perdue des tion. Ce livre est un années 1918 à 1930, une Allemagne où tout hommage à la était possible. En feuilletant l’ouvrage, richesse et à la comment ne pas être pris de tristesse et de diversité intellecnostalgie à l’idée que des débuts si promettuelles engendrées teurs furent brutalement tués dans l’œuf ? par la « culture de Weimar ». Ce terme spécifique désigne mieux que la notion générale de « culture des années vingt » l’effet stimulant, provocant et totalement indispensable de la première république allemande. Cet ouvrage prouve que l’Allemagne démocratique avait tout pour servir d’incubateur à une culture mondiale idéale : tant d’éditeurs aussi courageux qu’inspirés, tant de points de vue originaux, une telle ouverture d’esprit ! La vitesse à laquelle un esprit libéral, cosmopolite et éclairé parvint à se faire entendre – si ce n’est à s’imposer – après la chute de l’EmThe Book Cover in the Weimar Republic pire allemand semble tenir du miracle. Des Jürgen Holstein débats autour du socialisme à l’émancipaRelié, 452 pages tion féminine et aux questions liées à la jeu€ 49,99 — 79 —


Prendre le contrôle du monde

Dans Le Dictateur, Hynkel envahit l’Osterlich avec 200 chars, 50 véhicules blindés et 500 armes automatiques.


LE GLOSSATEUR Pour la toute première fois, la famille Chaplin a ouvert ses riches archives, dont sort, après trois années de fouilles, la biographie illustrée la plus complète à ce jour


Vagabond totalitaire En s’appuyant sur les documents d’archives et l’histoire orale, Paul Duncan raconte comment Charlie Chaplin a peaufiné sa parodie de Hitler

En 1931, Charlie Chaplin se rend à Berlin pour la promotion des Lumières de la ville où il se heurte à l’hostilité antisémite. Chaplin n’était pas juif, mais se refusait à démentir la rumeur, car il pensait que cela apporterait de l’eau au moulin des antisémites. 10 mars 1931 / Jewish Telegraphic Agency : Aujourd’hui, Charlie Chaplin a été victime d’une manifestation antisémite devant l’hôtel Adlon. Une foule d’hitlériens s’y est rassemblée, criant des injures contre le « comique juif ». La police a fini par la disperser. 30 janvier 1933 : Hitler devient chancelier de l’Allemagne. 22 mars 1933 : Ouverture du camp de concentration de Dachau. Heinrich Himmler, chef de la police munichoise, le présente comme « le premier camp de concentration de prisonniers politiques ». 24 mars 1933 : Hitler s’arroge les pouvoirs qui font virtuellement de lui un dictateur. Il déclare le Parti nazi seule organisation politique autorisée en Allemagne. 31 janvier 1935 / Hollywood Reporter : Les derniers films en date qu’aient interdits les nazis sont toutes les réalisations de Charlie Chaplin. Les censeurs justifient leur décision par le fait que Chaplin n’est pas « aryen ». Au printemps 1936, Chaplin et Paulette Goddard partent en croisière en ExtrêmeOrient et se marient à Canton, en Chine, au mois de mars. Au second semestre de 1936 et durant toute l’année 1937, Chaplin travaille à

la fois sur une histoire qui se déroule à Bali, une adaptation du roman intitulé Regency et sur Stowaway. À la mi-avril, Konrad Bercovici rend visite à Chaplin. Les deux hommes discutent de la guerre civile espagnole – à ce sujet, Chaplin avait écrit une nouvelle intitulée Rhythm, parue dans le magazine Script – et de la poursuite de l’invasion de la Chine par le Japon. Charlie Chaplin : Nous en sommes arrivés à la question de plus en plus préoccupante des mouvements nazis en Europe et en Amérique. Bercovici m’a dit que je devrais réaliser une comédie sur le sujet. Je lui ai répondu que M. [Alexander] Korda m’avait fait la même suggestion au début de 1937. Comme Hitler portait la même moustache que Charlot, je pouvais jouer les deux personnages. Je n’avais guère réfléchi à cette idée à l’époque. Et puis, tout d’un coup, je me suis dit : « C’est évident ! » Dans le rôle d’Hitler, je pourrais haranguer les foules en jargonnant et en racontant tout ce que je voulais. Dans celui de Charlot, je pourrais rester plus ou moins muet. Une semaine plus tard, Bercovici retourne voir Chaplin le temps d’une soirée et lui lit les notes qu’il a prises en vue d’un film sur Hitler. Notes de Bercovici : Charlot, barbier ou

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tapissier, se bagarre avec des SS et se retrouve dans un camp de concentration. Il s’en échappe vêtu d’un manteau militaire. Il est pris pour Hitler auquel il ressemble. Il s’enfuit, des gens lui courent après et disent « Heil Hitler ». Il prend la tête de leur groupe, qui devient une armée, et se dirige vers la frontière autrichienne. Entre-temps, le vrai Hitler sort incognito pour méditer seul. À la recherche de leur prisonnier, les gardiens du [camp de concentration] le découvrent, lui donnent une bonne raclée et l’arrêtent, alors qu’il proteste et clame qu’il est Hitler. Chaplin retourne à Beverly Hills et continue à travailler sur le scénario, avec l’aide de Dan James dont il a fait la connaissance à Carmel. 9 novembre 1938 : Les nazis organisent des attaques coordonnées dans toute l’Allemagne et l’Autriche, détruisent 7 500 magasins juifs et incendient 400 synagogues. Quatre-vingt-onze juifs sont assassinés et plus de 25 000 sont déportés dans des camps de concentration. Le lendemain, Chaplin dépose un scénario Ci-dessus : Jouant de leurs moustaches, très similaires, la presse présente Le Dictateur comme un duel entre Chaplin et Hitler. Ci-dessous : Le maquilleur Ed Voight recoiffe Chaplin entre deux prises.


« Et puis, tout d’un coup, je me suis dit : “C’est évident !” Dans le rôle d’Hitler, je pourrais haranguer les foules en jargonnant et en racontant tout ce que je voulais. Dans celui de Charlot, je pourrais rester plus ou moins muet. » — Charlie Chaplin

L’ombre d’une vérité

Adenoid Hynkel, le dictateur de Tomanie, en plein délire verbeux



de  32 pages : The Dictator [Le dictateur], his- Dans une version antérieure du découpage, toire d’« Un petit poisson dans un océan Hinkle envahissait l’Osterlich et déposait infesté de requins ». Après avoir causé la Mussemup. À présent, Adenoid Hinkle, le foupanique avec un énorme canon pendant la reur de Tomainie, invite Benzine Gasolini, il Première Guerre mondiale, Charlot, soldat de Digaditchi de Bactérie, dans son palais. Tomainie, dort dans un asile de nuit. La crise Tandis qu’Hinkle passe ses troupes en revue, économique touche toutes les couches de la Gasolini se vante d’avoir des blindés aéromasociété et provoque la révolution. Arrêté dans ritimes : des chars d’assaut volants et sousun restaurant casher, Charlot est envoyé dans marins. Hinkle réplique aussitôt en organiun camp de concentration. Hinkle, le nouveau sant une retransmission télévisée montrant sa dictateur de la Tomainie, prononce un disflotte de cuirassés volants. À chaque rencours radiodiffusé dans le monde entier : contre, Gasolini finit toujours par avoir le des« Adenoid Hinkle sus. La situation devient « Qu’il se mette en Schlitz Helka-selza critique pendant le bal, à Budweiser hanheiser colère ! Je m’en moque. la table du buffet. Blatz ! [sous l’effet du Cela ne peut pas être Note du scénario : Les souffle, tous les dictateurs voient dans les pire qu’aujourd’hui. » microphones s’invictuailles empilées sur la — Charlie Chaplin clinent en arrière] table une chaîne montaLieberwootz saukraut Heinz weiner schnitgneuse figurant la zone frontalière avec l’Oszel! Hauser, grauser, mauser, fauser ! terlich. Ils entament les manœuvres miliSchultz ! [il avale un petit microphone]. » taires à l’aide d’aliments en tout genre. Des saucisses plantées dans la salade de pommes Ci-contre : Croquis de J. Russell Spencer pour une scène entre Hynkel et Benzino Napaloni, de terre représentent des canons. Les qui se lance dans un jeu de surenchère dictatoriale. Napaloni fait ainsi remarquer à Hynkel que homards sont des tanks, les olives des obus. L’exercice commence paisiblement, mais se sa montre retarde de deux minutes. Ci-dessus : Affiche montrant à la fois Hynkel et la chartermine par de violents lancers de tartes à la mante Hannah, un personnage du ghetto juif. crème. Ci-dessous : Hynkel danse avec un planisphère Le 19 avril, Chaplin écrit des gags devant se sur le prélude à Lohengrin, de Richard Wagner. Wagner était le compositeur préféré de Hitler. dérouler au palais. Dans l’un d’eux, les mets

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sont présentés sous la forme de globes terrestres et de cartes de l’Europe. Garbitsch Mon foureur, le monde est à vous. Quelle part voulez-vous ? Le lendemain, Chaplin change d’idée : Hinkle s’empare d’un globe qui se trouve dans son bureau et se met à danser comme si c’était un


ballon, sur la musique de la « Danse d’Anitra » du Peer Gynt de Grieg. Les révisions successives de cette scène amènent Chaplin à écrire jusqu’à trois pages de chorégraphie détaillée et de notes techniques. Le ministère britannique des Affaires étrangères s’alarme du fait que Chaplin, sujet britannique, pourrait lui causer des problèmes dans ses relations avec l’Allemagne et l’Italie. Consulat britannique, Los Angeles / Lettre au ministère des Affaires étrangères, Londres / 17 mai 1939 : Nous avons eu un entretien personnel avec [Chaplin] et constaté qu’il se lance dans le tournage de The Dictator avec un enthousiasme fanatique. Ses sympathies en matière raciale et sociale vont aux classes et aux groupes qui souffrent le plus sous les régimes dictatoriaux. Le caractère direct de son attaque Ci-dessous : Sur cet autre croquis de J. Russell Spencer, le professeur Spittenkoff présente à Hynkel sa nouvelle invention, le dirigeable gonflable individuel. Ci-contre, en haut : Le célèbre discours sans queue ni tête fut d’abord tourné en extérieur, à Girard. Ci-contre, en bas : L’équipe de production a étudié les images d’actualité des discours de Hitler. Ce croquis de « la mise en place au Sports Palast » montre comment il était possible de montrer une foule très nombreuse en filmant des groupes de 300 figurants jusqu’à ce que le champ soit complètement rempli. Cette idée a été abandonnée, et Chaplin a placé le discours en extérieur. Ce croquis se réfère explicitement à « Hitler ».

paraît être, à ses yeux, la seule raison d’être et Dictamania [Dictamanie] (le 25 juillet), du film. M. Chaplin reconnaît très honnêteainsi que Dictator of Ptomainia [Dictateur de ment qu’il ne pourra peut-être le montrer Tomainie] (le 7 août). Chaplin réunit toutes qu’aux États-Unis et que, même ici, les repré- les scènes pour en faire un scénario complet le sentations qui en seront probablement faites 13 juillet et demande la construction d’un limiteront le domaine de distribution auquel décor de rues de ghetto qui occupera 8 000 m2 il aura accès. du terrain du studio. On effectue des essais de Dan James : Les producteurs juifs d’Holcostumes, de maquillage et de son pendant tout lywood lui ont dit : « Écoute, Charlie, tu vas le mois d’août. rendre la vie des nôtres Ted Tetrick : « Le monde a plus que Pendant les impossible là-bas. Hitler va être furieux. » Charlie leur a jamais besoin de rire. » essayages, Charlie répondu : « Qu’il se mette en ne portait jamais la — Charlie Chaplin colère ! Je m’en moque. Cela moustache. Au ne peut pas être pire qu’aujourd’hui, si ? » Ils moment des derniers essayages de l’uniforme lui [ont rétorqué] que c’était une catastrophe pour la scène de lancers de spaghetti, les gens pour les juifs, mais aussi pour la politique de la société Western Costume ont remarqué étrangère de l’Amérique. Charlie a comà quel point il ressemblait à Hitler. Charlie a mencé à prendre peur. Apprenant la situapivoté sur ses talons et déclaré : « C’est Hitler tion, Roosevelt a demandé à Harry Hopkins, qui me ressemble ! » son conseiller le plus proche, d’aller voir Le 31 août, on tourne des bouts d’essai Charlie. Hopkins lui a dit : « Écoute, Charlie, (Chaplin est à la recherche d’acteurs juifs parle président te soutient totalement. Ne crains lant yiddish pour interpréter les habitants du aucun boycott [des distributeurs]. Il veillera ghetto) et le scénario est reproduit en pluà ce que ton film sorte. Il pense que c’est très sieurs exemplaires. important et qu’il faut que tu le réalises, sans 1er septembre 1939 : L’Allemagne envahit la écouter ceux qui essayent de te décourager. » Pologne. Le scénario est déposé sous le titre de The 3 septembre 1939 : La France et la GrandeGreat Dictator [Le grand dictateur] le 23 juin, Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne, mais Chaplin le fait aussi enregistrer sous les mais ne passent pas immédiatement à l’actitres The Two Dictators [Les deux dictateurs] tion sur le plan militaire.

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Après trois jours de répétition dans les décors du ghetto, Chaplin inaugure le tournage le 9 septembre. Le 5 décembre, on tourne la première scène où Chaplin interprète le dictateur, qui porte désormais le nom d’Hynkel de Tomainie, faisant son discours en charabia. Dan James : demandé à ce qu’on laisse tourner la caméra et il a parlé pendant plus de 200 mètres de pellicule. Il faisait 38 degrés. Il a joué sans s’arrêter et, entre deux changements de position de la caméra, il amusait les figurants en interprétant Billy dans des scènes de Sherlock Holmes, en faisant des chutes sur le derrière et des choses de ce genre. À la fin de la journée, il était vidé. Il était tout gris et pâle. Il transpirait par tous les pores de la peau, une serviette autour du cou, et s’affalait dans la limousine. Chacun de nous se disait : « Eh ben ! Je me demande s’il sera là demain matin. » Mais [le lendemain] il était bien là. Une endurance extraordinaire. 10 mai 1940 : L’Allemagne commence à envahir la Belgique, les Pays-Bas et la France. Charlie Chaplin : Le monde a plus que jamais besoin de rire. Le rire est la soupape de sécurité de notre santé mentale. À partir du 23 juin, Chaplin consacre une semaine au tournage d’autres scènes et à l’écriture du discours final. Le 28 juin, quatre prises du discours sont tournées, puis quatre

autres le 1er juillet. Chaplin achève le tournage le 9 juillet et poursuit le montage. Il termine le montage définitif le 10 octobre. Charlie Chaplin : Le Dictateur devait être projeté dans deux cinémas new-yorkais, l’Astor et le Capitol. La première séance au Capitol a eu lieu [le 15 novembre] devant un public prestigieux qui a laissé éclater sa joie et son enthousiasme. Un jeune héritier new-yor-

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kais m’a demandé d’un air détaché pourquoi j’étais tellement contre les nazis. Je lui ai répondu que c’était parce qu’ils étaient contre les gens. « Évidemment », m’a-t-il rétorqué comme s’il faisait une découverte, « vous êtes juif, non ? — On n’est pas obligé d’être juif pour être antinazi », ai-je répliqué. « Il suffit de se comporter en être humain normal et honnête. »


« Les costumiers étaient frappés de sa ressemblance avec Hitler. Charlie a pivoté sur ses talons et déclaré : “C’est Hitler qui me ressemble !” » Image publique

L’emploi du temps de Hynkel est si chargé qu’il n’a que quelques secondes pour satisfaire sa vanité.


Le génie en chapeau melon

Le premier tirage de 10 000 exemplaires inclut une précieuse bande de 12 images du film Les Lumières de la ville (1931) tirée d’une pellicule 35 mm d’origine issue des archives de Chaplin

3 années de fabrication et une exploration exhaustive des vastes archives documentaires de Chaplin : ce volume XL retrace la genèse de tous les films de l’artiste. Lettres et notes personnelles, croquis, storyboards, affiches, photos de tournage, témoignages oraux de Chaplin et de ses plus proches collaborateurs … Ce livre met en lumière l’inventivité spontanée et la planification méticuleuse qui firent de Chaplin la toute première star internationale du grand écran.

XL Les Archives de Charlie Chaplin Couverture rigide, demi-reliure, avec morceau de pellicule d’origine, 560 pages € 150 — 89 —


« Déshabillez-vous,    s’il vous plaît. pour l’Histoire… » L’évolution d’une icône – 50 ans de calendrier Pirelli

L’édition 2002 par Peter Lindbergh, photographiée aux

studios Paramount à Hollywood, expose plusieurs actrices célèbres dans un hommage à l’âge d’or de Hollywood. Modèle : James King.



« Le calendrier Pirelli, sans doute la façon la plus émoustillante d’effeuiller le temps qui passe. » — Vogue

Herb Ritts, 1994

Derek Forsyth reprend son rôle de directeur de la création sur le calendrier en 1994, après 20 ans d’absence. Il prend acte de la concurrence féroce à laquelle le calendrier fait face, et convainc Pirelli de convoquer les plus grands mannequins du moment aux Bahamas pour le shooting. Ici : Cindy Crawford.

Brian Duffy & Allen Jones, 1973

La séance a été conçue comme une reprise moderne d’une pin-up de l’ancien temps, inspirée par Alberto Vargas.


Steven Meisel, 2015

Le calendrier sur le thème du fétichisme a été façonné sous la houlette stylistique de Carine Roitfeld : « Parfois, montrer un peu de mode est encore plus sexy qu’une nudité totale. » Modèle : Raquel Zimmermann. — 93 —


« Pour moi, le calendrier Pirelli défend les femmes : elles s’assument, assument leur corps, se sentent bien dans leur peau et fortes. » — Isabeli Fontana

Herb Ritts, 1999

Ritts a tiré parti de chaque mois du calendrier pour représenter une décennie différente, de la Belle Époque à la fin du 20e siècle. Modèle : Michele Hicks

Nick Knight, 2004

Knight élabore une narration pour chaque mois à partir des fantasmes sexuels les plus intimes de femmes éminentes. Modèle : Esther de Jong

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Richard Avedon, 1995

Avedon réalise des images audacieuses et dynamiques pour représenter les quatre saisons. Modèle : Nadja Auermann

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Richard Avedon en conversation avec Christy Turlington, qui représente les mois d’octobre, novembre et décembre du calendrier 1995.

Herb Ritts immortalise une composition paradisiaque pour le calendrier 1994 avec le top-modèle Cindy Crawford sur Paradise Island, aux Bahamas.

Les modèles retenues pour le calendrier 2009 signé Peter Beard se rendirent dans le delta de l’Okavango, au Botswana, pour courageusement prendre la pose en haut des arbres ou juchées à dos d’éléphant.

Le duo-phare de la photo de mode composé de Mert Alas et Marcus Piggott photographie Karen Elson sur un hors-bord au large du Cap d’Antibes, en 2005.

Patrick Demarchelier photographie Michelle Buswell sur la plage de Rio de Janeiro pour la calendrier 2005.

Mario Testino au travail dans la région de Naples pour le calendrier 2001.


Le calendrier Pirelli exclusif, qui rassemble les clichés glamour des plus belles femmes, fut publié pour la première fois en 1964. Réservé aux clients prestigieux et à un petit cercle de privilégiés, le « Cal » est devenu au fil du temps un objet de légende. Ont posé pour lui, entre autres : Alessandra Ambrosio, Gisele Bündchen, Naomi Campbell, Laetitia Casta, Cindy Crawford, Penélope Cruz, Milla Jovovich, Heidi Klum, Angela Lindvall, Sophia Loren, et Kate Moss. À l’occasion du 50e anniversaire de ce calendrier devenu une véritable institution, TASCHEN publie une rétrospective complète des éditions du calendrier, signées par les photographes qui ont contribué à son renom : Richard Avedon, Peter Beard, Patrick Demarchelier, Nick Knight, Karl Lagerfeld, Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin, Annie Leibovitz, Peter Lindbergh, Sarah Moon, Terry Richardson, Herb Ritts, Mario Sorrenti, Bert Stern, Mario Testino, Bruce Weber, et bien d’autres.

Nick Knight au travail pour son calendrier 2004, qui présente des images futuristes inspirées des fantasmes de ses modèles.

Herb Ritts avec Chandra North, sa muse au tournant du siècle, pour le calendrier rétrospectif 1999.

Édition limitée à 1 000 exemplaires, avec reproduction complète de tous les calendriers Peter Lindbergh photographie une Kiera Chaplin très légèrement vêtue pour l’édition Hollywood de 2002.

Inclus : clichés rares et inédits des coulisses des séances photo + l’édition 1963 non publiée du calendrier + une sélection de photos censurées car jugées trop osées par les éditeurs à leur époque. Avec un avant-propos de Philippe Daverio et une interview avec les directeurs artistiques Derek Forsyth et Martyn Walsh.

Édition collector nos 1–1 000

SUMO Size

Couverture rigide, reliure en toile sous coffret acrylique gravé, deux pages dépliantes, 48 x 48 cm, 560 pages € 1 500

UT O d l So


Terence Donovan

Peter Beard

UWE OMMER

Mert Alas & Marcus Piggott

Nick Knight

HANS FEURER

Helmut Newton

peter lindbergh

STEVE McCURRY


Bruce Weber

Richard Avedon

Brian Duffy

Terry Richardson

Clive Arrowsmith

Steven Meisel

Bert Stern

XL

Karl Lagerfeld

Également disponible en édition XL Pirelli – Le Calendrier. 50 ans et plus 30 x 30 cm, 576 pages € 49,99



Une nouvelle forme de vie de plein droit ? Lena Herzog saisit les troublantes sculptures-créatures de Theo Jansen.

Espèce sculpturale


Beautés animales Par Lawrence Weschler

J’en suis venu à voir Theo Jansen comme un croisement entre Léonard de Vinci et Don Quichotte. De Vinci pour l’étendue de ses aspirations et l’inventivité protéiforme de son entreprise, la facilité du coup de crayon, l’esprit scientifique toujours prêt à aller de l’avant. Et Don Quichotte pour l’ambition démesurée et la noblesse chevaleresque du projet, car si ce n’est pas cela, rêver l’impossible, je ne sais pas ce que c’est. C’est un homme charmant et éminemment sympathique, un grand gaillard sain et pétillant à l’enthousiasme teinté d’ironie et à l’allure encore jeune malgré ses soixante-cinq passés. Quand je suis allé lui rendre visite, nous nous sommes assis sur un banc de la promenade balayée par les vents qui surplombe la plage de Scheveningen, à la pointe nord-ouest de La Haye. En contrebas, des bulldozers ratissent le sable, redonnant aux dunes une forme convenable après un déluge de tempêtes d’automne, tandis que les nuages défilent audessus de nous dans le ciel hivernal.

Jansen m’indique, un peu plus loin vers le sud, la plage où il met chaque été à l’épreuve ses créatures tubulaires en perpétuelle évolution, puis, juste au nord, le lieu où il est lui-même né en 1948, cadet d’une fratrie de onze enfants. Parmi ses premiers souvenirs, il revoit son père et ses frères et sœurs aînés partir au travail le matin, et le plaisir qu’il prend à fabriquer des lentilles avec des verres de montre et autres carreaux cassés, puis à jouer avec la réfraction de la lumière sur le plafond en se prélassant dans la baignoire. À l’école, il est bon en géométrie, mais ce qui le fascine le plus, c’est la perspective de voler et il rêve d’être un jour pilote. À l’université de Delft, où il étudie la physique, il fait preuve d’une certaine indolence et s’immerge principalement dans des activités extrascolaires du genre « hippie », comme la musique. Même ses études ne sont guère académiques : chargé d’étudier la conductivité électrique du cuivre, il se penche au lieu de cela sur les boucles de rétroaction engendrées en tapant sur des tuyaux de cuivre, illustration d’un principe

« Si ce n’est pas cela, rêver l’impossible, je ne sais pas ce que c’est. »

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Ci-dessus : Clôture, étude des pièces, Ypenburg, banlieue de Delft, Pays-Bas. Ci-dessous : Theo Jansen et Animaris Adulari Ondula. Page ci-contre : Un jeune garçon admire Animaris Plaudens Vela.

alors embryonnaire (et encore résolument suspect) appelé théorie du chaos. « Ils ne savaient pas trop quoi faire de moi, ni moi d’eux : j’étais formé pour devenir ingénieur », explique-t-il, « mais plus j’étudiais, moins je me voyais travailler comme un robot pour Philips Electronics ou un autre. » Il quitte la fac au bout de sept ans, marié mais pas diplômé, et fait toutes sortes de petits boulots, notamment celui d’assistant à la faculté de médecine de l’université de Rotterdam. Mais lorsque son premier mariage se désintègre en 1975, il décide de se consacrer pleinement à l’art. Une série de paysages peints connaît un certain succès, mais il a toujours la tête dans les nuages. En 1980, il bricole une sorte de vaste soucoupe volante remplie d’hélium émettant un son inquiétant, qu’il s’amuse avec un groupe d’amis à lancer dans le ciel de Delft par un après-midi venteux, provoquant ainsi un mouvement de panique extrêmement jouissif digne de La Guerre des mondes, tandis que la police se lance à la poursuite de l’engin. Après cet


« Une beauté spectaculaire, mécanique et philosophique convoquée par le talent d’un homme qui est à la fois artiste et artisan, dans le sens le plus large des deux termes. »


TimeWalker Urban Speed Chronograph and Hugh Jackman Crafted for New Heights The TimeWalker Urban Speed Chronograph is an ultra-high-performance lifetime companion. Inspired by the dynamism of urban life, its precise automatic chronograph movement is encased in a sophisticated 43 mm microblasted stainless steel case with a black satin-ďŹ nish ceramic bezel, worn on a highly resistant strap made of Montblanc Extreme Leather. Visit Montblanc.com


épisode (et le bref accès de notoriété qui s’ensuit), c’en est fini de sa carrière de peintre classique. L’année suivante, il met au point une machine à peindre – sorte de gigantesque imprimante à jet d’encre qui projette de la peinture sur un mur pour reproduire grandeur nature n’importe quel objet tridimensionnel placé devant elle. Quelques années plus tard lui vient sa première vision des Strandbeests, arpentant la plage pour tenter de sauver le monde. L’idée n’a pas surgi de nulle part. Cela faisait déjà plusieurs années que Jansen réfléchissait à différentes formes de vie virtuelle, depuis qu’il avait lu le best-seller du biologiste évolutionniste anglais Richard Dawkins, L’Horloger aveugle (1986). « Ce livre a eu un impact énorme sur moi. » Il décide de concocter un algorithme de la marche ; il s’intéresse depuis longtemps à la marche, c’est-à-dire au fait de trébucher

continuellement en avant en se rattrapant avant de tomber. « Par essence », explique Jansen, « marcher consiste à changer constamment de forme de façon à se déplacer vers l’avant. » Jansen s’est fixé la règle arbitraire (mais pour lui évidente et incontournable) de n’utiliser aucun autre matériau que des tubes en PVC ou en caoutchouc : pas de vilebrequin, de compteur ni de minuteur électronique, sa préférence allant à une technologie résolument analogique face à la prépondérance croissante du numérique. Il faudra des années de calibrage et de recalibrage, des générations et des générations de Strandbeests et des expériences sans fin sur la plage. Le résultat est totalement étrange, ou peut-être simplement l’inverse : astucieux comme tout. Il n’y a absolument rien de répugnant dans la façon dont la Strandbeest se déplace ; au contraire, ce qu’elle inspire est la quintessence même de l’attendrissement (ooooh !). Elle est mignonne, adorable et suscite indubitablement l’admiration et l’affection qu’elle

« En observant les Strandbeests qui avancent à grandes foulées, impossible de nous contenir : nos cœurs se mettent à battre la chamade. »

Theo Jansen ajuste un des nombreux joints liant entre eux les tuyaux en plastique des Strandbeests.

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semble réclamer à cor et à cri. En regardant déambuler les Strandbeests, on ne peut s’empêcher d’avoir le cœur gonflé. Mais cela nous apprend-il quelque chose sur nous, ou sur elles ? « Oh ! » répond Jansen sans une seconde d’hésitation, « sur elles, bien sûr : elles sont totalement vivantes. »

Lena Herzog. Strandbeest. The Dream Machines of Theo Jansen Relié, 3 pages dépliantes, 328 pages € 39,99


En prise avec le climat

Voyage dans l’architecture adaptative de BJARKE INGELS

D’un extrême à l’autre

L’architecture est l’art et la science consistant à scénographier notre existence. L’art se résume à la conception et à la construction du monde dans lequel nous aspirons à vivre. Nos villes et nos bâtiments ne sont pas prédéfinis, ils sont le résultat d’une longue évolution, le fruit des efforts de nos ancêtres et d’humains qui partagent la même planète. Et s’ils ont des défauts, il nous appartient de poursuivre l’effort, de remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier et de façonner le monde que nous voulons pour nous-mêmes et pour nos enfants. Ce livre s’articule autour de la question du climat, à l’image d’une odyssée à travers le monde, du lieu le plus chaud de la Terre, le désert d’Arabie, jusqu’à l’un des plus froids, la toundra finlandaise. Tout au long de notre périple d’un extrême à l’autre, nous découvrons que plus le climat devient rude, plus son impact sur l’architecture est puissant. Sur le sable brûlant ou sur la banquise glaciale, l’architecture relève sans cesse le même défi : modérer les extrêmes climatiques. Plus le climat s’adoucit, moins les projets sont dictés par les données climatiques des lieux et plus les forces de la culture, du projet lui-même, du bâti, du patrimoine, de la densité, de la structure etc., prennent le dessus.


Puisque New York a besoin d’une barrière anti-inondations de 16 km de long pour se protéger contre un second ouragan Sandy, pourquoi ne pas faire de celle-ci une aire de loisirs? THE DRY LINE est un exemple de ce que nous appelons l’infrastructure sociale, c’est-à-dire des aménagements publics nécessaires, conçus de telle manière qu’il en résulte des effets positifs sur la vie urbaine. Nous n’avons pas vu cette infrastructure comme un mur entre la ville et l’eau, mais plutôt comme une sorte de collier de perles sociales et écologiques qui opèrent aussi comme une protection anti-inondation. THE DRY LINE ne va pas seulement rendre la promenade du front de mer plus sûre mais plus accueillante pour les habitants.

Également disponible :

10e édition BIG. HOT TO COLD Couverture souple avec jaquette, 712 pages ÉDITION ANGLAISE UNIQUEMENT € 39,99

BIG. YES IS MORE Couverture souple avec jaquette, 400 pages € 19,99


Hauteurs du béton

Les projets les plus excitants dans la tendance du béton contemporain

LA CASA SE FAIT CUBIQUE

Un cube en béton presque monolithique surplombe le vaste espace de vie de cette résidence privée à Sao Paulo, conçue par le Studio MK27. Des écrans de métal perforé coulissent autour de ce périmètre de façon à révéler ou dissimuler le jardin et la piscine.


RÉFLEXIONS PRISMATIQUES

Le complexe administratif de Lucio Morini + GGMPU se dresse en bordure du quartier historique de Cordoba, en Argentine, et du Rio Primero. Le bâtiment A est un structure prismatique à facettes en béton basée sur une forme cubique.

GÉOMÉTRIE À MONTERREY

Cette maison familiale signée Tatiana Bilbao est posée sur un terrain en pente d’un hectare en banlieue de Monterrey, avec une vue panoramique sur la ville. Elle est organisée comme un assemblement de pentagones irréguliers et interconnectés pour une distinction claire entre espace public et espace privé, et une orientation écoénergétique.

EN APESANTEUR

Peu de bâtiments récents ont l’impact emblématique du Marina Bay Sands de Moshe Safdie, à Singapour. L’élément courbé posé sur les trois tours disjointes qui le soutiennent et qu’il relie entre elles, illustre toutes les possibilités du béton dans la construction.

Autrefois synonyme d’atroces ponts autoroutiers ou de murs décrépis et délaissés, le béton contemporain est audacieux et séduisant.

100 Contemporary Concrete Buildings Philip Jodidio. Deux volumes reliés sous coffret, 730 pages € 39,99


EACH AND EVERY TASCHEN BOOK PLANTS A SEED! Chaque année, nous compensons nos émissions de CO2 avec l’Instituto Terra, un programme de reforestation de l’État du Minas Gerais, au Brésil, fondé par Lélia et Sebastião Salgado. Pour plus d’informations sur ce partenariat environnemental, rendez-vous sur : www.taschen.com/zerocarbon

Inspiration : illimitée. Empreinte carbone : nulle.


BÂTIMENTS PORTEURS

Une édition anniversaire d’Architecture Now! rassemble les projets les plus excitants de par le monde

L’ÉCOLE FLOTTANTE DE MAKOKO

a été construite pour la communauté traditionnelle de Makoko, dans le lagon de la plus grande ville du Nigéria, Lagos. Ce projet pilote a suivi une approche novatrice pour répondre aux besoins sociaux et matériels de la population en tenant compte de l’impact du réchauffement climatique et d’une urbanisation galopante. La structure en A à trois étages, bon marché, a été conçue pour accueillir une centaine d’élèves d’élémentaire et abrite une zone de jeu de 93m2, des salles de classe, un système de récupération des eaux de pluie et des toilettes à compostage.


MUSÉE D’ART DE RIO

ARK NOVA


CATHÉDRALE DE CHRISTCHURCH

STATION DE RECHERCHE ANTARCTIQUE

Ci-contre, en haut : trois bâtiments de styles architecturaux différents ont été réunis pour accueillir le nouveau Musée d’art de Rio, conçu par Bernardes+Jacobsen : le Palacete Dom Joao, un poste de police et l’ancienne gare routière centrale. Les architectes ont créé une « place suspendue » sur le toit du poste de police et profité de la hauteur sous plafond du Palais pour héberger les zones d’exposition. Ci-contre, en bas : cette salle de concert gonflable signée Anish Kapoor et Arata Isozaki est située près des zones les plus endommagées par le séisme et le tsunami qui ont frappé Tohoku en 2011. Une toile de fibre polyester enduite de PVC a été utilisée pour façonner la structure extérieure et intérieure, les planchers sont composés de cèdre de récupération et un container usagé de 12,2 mètres a été recyclé en sas d’air. Un ballon réfléchissant acoustique rempli d’hélium et positionné librement en suspension sert à garantir une acoustique optimale dans la salle de 18 mètres de haut. Ci-dessus : le 22 février 2011, un séisme a tué 185 personnes à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, et détruit ou gravement endommagé 80 % des bâtiments du centre-ville, dont la cathédrale. Travaillant bénévolement, comme il l’a fait pour d’autres projets humanitaires après sinistres, Shigeru Ban a créé la Cathédrale anglicane provisoire (Cardboard Cathedral) en utilisant bois, tubes de papier, plaques de polycarbonate et de verre céramique décoratif. À gauche : la station Halley VI est le centre de recherche scientifique le plus méridional du programme British Antarctic Survey, érigé sur une plaque de glace de 150 mètres d’épaisseur qui avance vers la mer à la vitesse de 400 mètres par an. La structure au cadre en acier conçue par l’architecte londonien Hugh Broughton est plaquée de plastique fibrorenforcé, peint et pré-vernissé fortement isolé pour résister à des conditions climatiques extrêmes, des intenses chutes de neige aux températures atteignant -56 °C, en passant par des vents à plus de 160 km/h.

Architecture Now! 2015 Edition Philip Jodidio Couverture rigide, avec index à onglets, 496 pages ÉDITION ANGLAISE UNIQUEMENT € 29,99


ORGIE DE SÉRIES Les pionniers et triomphes de l’expansion télévisuelle


De puissantes réactions : couvre-chefs insolites et mixtures deviennent leur lot quotidien. Malheureusement, dans Breaking Bad, l’acide sulfurique est employé à des fins sordides.


Bienvenue dans la famille Jürgen Müller/Steffen Haubner

Un monstre sans nom a volé sa couleur au monde. L’air semble électrique, comme avant une violente tempête. Une eau couleur de plomb s’écoule d’un tuyau et des sirènes retentissent au loin. Un carillon rappelle les jours heureux où la famille se retrouvait autour de la piscine désormais abandonnée. Ce qui était jadis familier s’est inversé, comme un complot des objets contre la tyrannie de leurs propriétaires.

Un escargot rampe sur un mur de pierre gris. Ses tentacules cherchent à s’orienter dans les vibrations du silence. Un animal en peluche émerge des profondeurs du bassin. C’est un ours d’un rose criard qui n’a plus qu’un œil ; le second est irrésistiblement entraîné vers le filtre, puis disparaît dans le tourbillon. La séquence d’ouverture de la deuxième saison de Breaking Bad (2008–2013) ne

montre ni personnages ni action qui ait un sens quelconque. Au contraire, elle présente des images mystérieuses. Quelle catastrophe s’est produite ici ? Quel malheur se prépare ? L’explication de cette scène ne nous sera donnée qu’au dernier épisode ; cette astuce fait de pratiquement toute la saison un unique flashback, ou un générique de début de plusieurs heures, comme la monstrueuse ouverture des saisons à venir. Son auteur, Vince Gilligan, peut compter sur un public qui a appris à accepter de telles exigences. Les séries vivent des attentes de leurs spectateurs. C’est la mise à l’épreuve (ou non) de ces attentes qui fait la différence entre les productions ordinaires et les séries exceptionnelles. L’attachement à des motifs narratifs reconnus et à la mise en jeu d’éléments reconnaissables fut longtemps une garantie de succès. Aujourd’hui, des virtuoses de la

« Si les téléspectateurs attendent une chose, c’est bien l’imprévisible. » télévision tels que Gilligan sont parvenus à gagner un public qui n’exige rien de moins que de voir, d’un épisode à l’autre, d’une saison à l’autre, ses pressentiments et ses prédictions balayés par le tourbillon des événements. Si les téléspectateurs attendent une chose, c’est bien l’imprévisible. Jadis, la mise en scène de ce type d’images, à la fois allégoriques et artistiques, était le privilège des longs métrages ambitieux. Aujourd’hui, les séries télévisées ne se contentent plus d’utiliser les prises de vues comme instruments d’une action linéaire, mais mettent en avant leur nature énigmatique. Cette façon d’aborder le langage visuel est remarquable, parce qu’elle délègue le monopole de l’interprétation à la communauté des fans. En cela, elle rappelle le parolier d’un groupe de rock qui craindrait plus que tout qu’on lui reproche d’ennuyer son public avec des messages À gauche : Cadavre exquis et icône de l’histoire de la télévision : Sheryl Lee dans le rôle de Laura Palmer dans Twin Peaks. — 116 —


Triste sosie d’une Grace Kelly de banlieue : dans Mad Men, il n’y a que Betty

(January Jones) pour supporter son mari Don Draper (Jon Hamm).


À gauche : Un regard aguicheur : dans Mon oncle Charlie, Missi (Miley Cyrus) met Walden (Ashton Kutcher) dans une situation difficile : elle est la fille d’un vieil ami – et par ailleurs très séduisante. Ci-dessous : L’aventure dans un supermarché : George (Ted Danson) et Jonathan (Jason Schwartzman) en mission contre la montre dans Bored to Death. Ci-contre, en haut : Vingt-six saisons : Les Simpson est une série familiale dans les deux sens du terme. Ci-contre, en bas : L’homme le plus puissant de House of Cards : tous les rênes politiques convergent entre les mains de Frank Underwood (Kevin Spacey).

maladroits. Les séries modernes comme Breaking Bad ou Lost, les disparus (2004– 2010) se présentent comme de véritables labyrinthes de références, poussant à la formation d’analogies et de théories du complot. Leur objectif est d’être aussi insaisissables que la vie elle-même. Breaking Bad est parvenu à représenter la moralité de la vraie vie comme une zone grise plutôt que comme un impératif

éthique. À mesure qu’il découvre les personnages principaux de la série, qu’il s’y attache, qu’il comprend leurs motivations, le spectateur se rapproche inexorablement du Mal. À ses yeux, leurs actes ne sont pas condamnables. Il perçoit au contraire leur vision du monde et les décisions qu’elle entraîne. Il comprend alors que la morale n’est pas affaire de catégories absolues dans la vie que nous menons, mais la pratique

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d’évaluations permanentes. En tant que spectateurs, nous sommes incités à adopter la vision interne des protagonistes, sans pour autant nous identifier à eux. Comme dans de nombreuses séries actuelles, le spectateur ambitieux se voit suggérer des degrés de compréhension complexes, sousentendus, uniquement décelables après plusieurs visionnages de chaque épisode. Il se voit aussi imposer des mystères qui ne seront élucidés. La série imite la vie : tout n’est jamais vraiment dit ni compris. Aborder des problématiques si complexes à la télévision fait partie des ingrédients caractéristiques du phénomène des nouvelles séries dites « de qualité ». Les conditions techniques, médiatiques et politiques qui ont favorisé ce développement initié par des chaînes comme HBO et AMC, qui a donné naissance à des dizaines de « séries télévisées de haute qualité » ou, pour


reprendre un terme cinématographique, de (1974–1983) présentent « séries d’auteurs », ont depuis été largedes familles unies, qui ment analysées et débattues. S’il existe un défendent leurs dénominateur commun à ces analyses, c’est membres contre un que les programmes de fiction télévisés monde extérieur perçu actuels n’ont plus grand-chose à voir avec comme hostile. La strucles séries du passé, au contenu souvent uni- ture narrative aussi dimensionnel. Cette rupture avec le fade recoupe l’idée d’une divertissement télévisuel du passé n’a pas communauté sociale attendu les nouvelles technologies telles intacte. Les menaces que le DVD et Internet pour intervenir. Elle extérieures sont se dessinait déjà dans les années 1980 avec contrées par la force de des séries comme Capitaine Furillo (1981– caractère et la cohésion 1987) et Hôpital St Elsewhere (1982–1988), familiale. Chaque specqui s’ouvrirent à la critique sociale. tateur trouve parmi les Une observation assidue de ce développeprotagonistes un ment à long terme révèle par ailleurs une membre de la famille continuité surprenante du thème de la auquel s’identifier. famille. L’expression « série familiale » Toutefois, les producteurs d’aujourd’hui évoque immédiatement une forme particu- n’ont plus à leur disposition un public lière de homogène série : l’in« Aujourd’hui, les séries télévisées ne et prévitrigue est Au se contentent plus d’utiliser les prises sible. conçue contraire, de vues comme instruments d’une pour que ils ont toute la action linéaire, mais mettent en avant affaire à un famille – public c’est-à-dire leur nature énigmatique. » complètetoutes les ment hétéclasses d’âge – puissent s’y retrouver et s’in- rogène qui appréhende les contenus à des téresser aux thèmes traités. Des séries niveaux de réflexion très variés. C’est justecomme La Petite Maison dans la prairie ment en jouant de cette hétérogénéité dans

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leur traitement des thèmes abordés que les créateurs des nouvelles séries accèdent au succès. Chaque spectateur dispose toujours d’un personnage auquel s’identifier, mais sous une forme bien plus extrême que ce n’était le cas dans les anciennes séries. La famille nucléaire, autrefois au centre de la série, a laissé la place à une galerie de personnages recombinés en permanence, dans laquelle le public et la société ellemême contemplent leur reflet. Voilà où réside la force intégrative des nouvelles séries. Autrement dit : la famille est toujours là, mais on la vit aujourd’hui sous des formes bien plus variées, elles-mêmes sou-


Dure époque : dans Mildred Pierce, l’héroïne éponyme (Kate Winslet) se concentre sur l’ouverture d’un nouveau restaurant après l’enterrement de sa plus jeune fille.


Ci-dessus : Voir les choses : dans True Detective, les enquêteurs de la criminelle « Rust » Cohle (Matthew McConaughey) et Martin Hart (Woody Harrelson) mettront près de vingt ans à éclaircir le meurtre rituel de la prostituée Dora Lange.

mises à une métamorphose permanente. De nombreuses séries, anciennes comme récentes, tirent leur potentiel dramaturgique du dilemme entre les intérêts de la famille et le contexte social. Il s’agit toujours – et les séries dites nouvelles sont très classiques en la matière – de luttes externes

et de conflits internes dans une communauté de type familial. Les questions existentielles demeurent identiques : qui assume la responsabilité ? Qui se sent en adéquation avec qui, et pourquoi ? Qu’estce qui garantit la cohésion sociale ? Comment faire face aux menaces venues de l’extérieur ? Quels sont les objectifs de la communauté ? Qu’est-ce que « chez soi » ? La série télévisée est le média idéal pour visualiser une structure sociale chancelante car, à l’inverse de l’individualisme et

« Les téléspectateurs nous encouragent à leur donner ce qu’il faut. Et ils vont en parler, s’en soûler, prendre le bus avec, aller avec chez le coiffeur, tweeter, bloguer, poster sur facebook, ouvrir des pages de fans, s’y investir avec une passion et une intimité dont un film de cinéma ne pourrait que rêver. » — Kevin Spacey — 121 —

de la perspective subjective du cinéma, la série renvoie toujours à un avant et à un après infinis. La force fédératrice de la famille, du collectif, repose sur le fait que l’individu n’est jamais autre chose qu’une manifestation temporaire d’une lignée ininterrompue d’ancêtres et de descendants. Le contenu correspond donc parfaitement à la forme, puisque chaque épisode est toujours le statu quo d’une collection potentiellement infinie de scènes, qui pourrait ne jamais prendre fin.

L’univers des séries TV. Le meilleur des 25 dernières années Jürgen Müller Couverture rigide, 744 pages € 49.99



Greg Rogove & Devendra Banhart, Los Angeles, 2008.

La galerie d’hommes de Mario Testino

Salut beau gosse !


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Page ci-contre, en haut : Dennis Hopper and Sean Penn, Los Angeles, 2007. Page ci-contre, en bas : Fernando Fernandes, Rio de Janeiro, 2008. Ci-contre : Sean Combs, alias « Diddy », Los Angeles, 2007.

« La façon dont les hommes sont perçus par le monde de la photographie et de la mode, de même que le regard que jettent les hommes sur leur propre image, ont changé au cours des dernières années. Il existe un intérêt nouveau pour ce sujet : l’image de l’homme, le style masculin individuel, le regard porté sur le visage et le corps du mâle. » — Mario Testino

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D’après nature Entretien avec Mario Testino, par Patrick Kinmonth

PK : Ce livre foisonne d’hommes qui ont fait preuve d’un certain courage pour affirmer leur identité, ce qui a exigé une certaine redéfinition de la masculinité dans la sphère publique. David Bowie, Mick Jagger, Andy Warhol et même David Beckham, par exemple. MT : David Bowie a été une figure fondamentale pour moi à l’adolescence. Au Pérou, c’était difficile d’exprimer une personnalité non conformiste dans une société très conformiste. La manière dont Bowie proposait ces nouvelles idées incroyables sur la masculinité m’a beaucoup marqué. J’ai compris qu’il fallait prendre le risque d’être soi-même, peu importe si les autres trouvent ça menaçant ou énervant. Je pense que la manière dont David Beckham appréhende son apparence et son corps, avec ses vêtements originaux et ses tatouages, a eu un énorme impact sur les choix vestimentaires des hommes, sur leur identité et l’image qu’ils veulent donner d’eux-mêmes.

« J’ai compris qu’il fallait prendre le risque d’être soi-même. » PK : Bien que souvent chargées en érotisme, les photos me semblent éviter la vulgarité. J’ai l’impression que vous cultivez une sorte de distance intéressante par rapport à ça sur les photos. MT : Bien sûr que le sexe m’intéresse ! Mais je pense qu’il ne doit être qu’un des nombreux aspects d’une photo. J’aime la sensualité et un certain mystère dans la sexualité. Les images porno hard ne m’intéressent pas en tant que telles… Elles existent dans un seul but, qui n’a rien à voir avec celui de mon travail. Je suis bien plus attiré par la création d’une image qui suggère de nombreuses possibilités érotiques. Je crois que ça permet à une photo de durer. Au final je pense qu’il est plus intéressant d’exciter la curiosité que d’exciter sexuellement. Ci-contre : Julian Schnabel, New York, 2001. Page ci-contre : Sir Elton John, Paris, The Sunday Telegraph, 1997. — 126 —


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PK : Ce qui expliquerait que vous jouiez avec les genres dans vos photos d’hommes ? MT : On pourrait considérer l’ensemble de ce livre comme une sorte de dialogue avec mon appareil photo sur la curiosité et la

fection dans la réalisation des images. Cela ne demande pas uniquement du courage, mais aussi énormément de travail. PK : Il y a une autre démarche dans la sélection que vous avez opérée pour

impact similaire. Et dans un livre, elles commencent une nouvelle vie. PK : Je sais, pour avoir travaillé avec vous, que même si ces photos paraissent spontanées, chaque détail a été minutieusement réfléchi. MT : Chaque détail sert l’histoire que raconte la photo. On peut toujours changer le projet de départ, et je le fais souvent spontanément. Mais chaque photo est déterminée par l’apparence de la personne au moment du déclenchement. D’un côté, on pourrait vouloir que tout souligne l’idée que le modèle est très soigné. Alors tous les détails de la composition devraient le suggérer. D’un autre côté, je pourrais vouloir créer une impression de désordre, comme si on voyait quelqu’un seul dans sa chambre, comme s’il n’y avait personne d’autre. C’est donc pour cette raison que je mets au point la mise en scène et que j’organise tout avant et pendant la séance… je suis comme un scanner quand je travaille, je m’assure que

« On pourrait considérer l’ensemble de ce livre comme une sorte de dialogue avec mon appareil photo sur la curiosité et la liberté. » tous les éléments sont sur la photo, même si ça donne l’impression que le décor était déjà tel qu’il apparaît sur le cliché final.

liberté. Il y a de nombreuses sortes d’images. Il me semble que nous devrions tous être prêts à libérer notre imagination du carcan de l’ordinaire et du quotidien. C’est pourquoi Araki figure ici comme sujet d’un portrait et comme source d’inspiration. À l’instar de Mapplethorpe ou Newton, il a eu le courage d’explorer les thèmes qui font clairement partie de l’imaginaire humain. On peut le rejeter ou l’accepter, mais on doit reconnaître la qualité et la perCi-dessus : Josh Hartnett, New York, VMAN, 2005.

le recueil : des photos privées inédites ont le même statut que des images devenues très célèbres, par exemple les portraits de David Gandy à Capri. MT : Le critère décisif pour le choix des photos est leur qualité intrinsèque. Il est assez intéressant que les images que j’ai créées pour une marque avec toute une équipe de collaborateurs et d’assistants puissent côtoyer celles d’un ami que j’ai prises avec un petit appareil seul à la maison. Mais tant que chaque image fait le poids, à sa façon, ça va. Une image privée et une image de commande peuvent avoir un — 128 —

PK : Vous avez donc créé une sorte de réalité augmentée. Il y a des choix visuels très forts. La couleur, la composition, l’attitude, le style, tout est déterminant. Et un jeu sur le goût aussi… un jeu avec les notions de convention et de goût. MT : Je pense que dans la mode, la beauté a besoin de mordant, et ce côté espiègle à la limite du mauvais goût est très stimulant et offre une possibilité parmi bien d’autres. Beaucoup d’attentes et d’idées conventionnelles se construisent dans nos esprits au fil des ans. Cela s’étend à ce qui relève ou non du « bon goût » ou du « viril ». Nous ne devrions pas être définis par ces normes. Ce qui ne veut pas dire que je n’admire pas la tradition et l’histoire. Je les aime toutes les deux. J’adore quand le nouveau est mélangé à l’ancien, l’underground mélangé à l’élégant, superposant la culture élitiste et la culture populaire. Ça fait partie des plaisirs de la vie. J’essaie de réunir tous ces ingrédients avec une part égale de sensualité.


Tirage limité à 1 000 exem­ plaires numérotés et signés par Mario Testino édition Collector

Mario Testino. SIR Couverture rigide, reliure suisse, toile japonaise, sous coffret métallique, 456 pages € 500

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« Je pense qu’il est plus intéressant d’exciter la curiosité que d’exciter sexuellement. » — Mario Testino

Découvrez le commentaire de Testino en personne sur sa collection de portraits 100 % masculins : www.taschen.com/sir

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Partenaires dans la vie et l’art


« Depuis mes débuts comme photo­graphe dans les années 1960, j’ai toujours idolâtré les photos de New York et je me suis inspiré des grands photographes de cette ville, comme Irving Penn et Richard Avedon. C’était très excitant d’être là, de voir la ville comme ils l’avaient vue. »


LA BALLADE DE KISHIN ET YOKO Jesse Dylan en conversation avec Yoko Ono et Kishin Shinoyama

Kishin Shinoyama est un des plus éminents photographes japonais. Décoré en 1966 du prestigieux prix nippon de « Jeune photographe le plus prometteur » à 26 ans, Shinoyama a depuis publié un nombre impressionnant d’albums et de — Kishin Shinoyama monographies, la plupart présentant ses photos signature de femmes et d’hommes nus. Lyriques et sensuelles, les images provocantes de Shinoyama sont plébiscitées par la critique mais attaquées pour leur indécence, faisant de lui un des artistes à la fois les plus encensés et les plus controversés du Japon. Bien qu’une grande partie de ses photos représentent des célébrités et des pop stars, Shinoyama se montre remarquablement à l’aise avec ses sujets. Son œuvre immortalise des moments rares et intimes avec des personnalités très médiatisées où, à travers son objectif, les sujets révèlent souvent une ouverture et une vulnérabilité inattendues. Sa capacité à dévoiler l’intimité, même en photographiant des célébrités habituées au crépitement des flashs, donne à ses images un côté photo de famille, comme autant de moments intimes saisis sans mise en scène ni gêne. C’est peut-être dans sa sublime série de photos de Yoko Ono et John Lennon, réalisée à la demande de Yoko pour la pochette du disque et la promotion de Double Fantasy, célèbre album du couple sorti en 1980, que cette sincérité s’exprime de la manière la plus poignante. Aujourd’hui, plus de trente ans après, ces images (dont un grand nombre n’ont

encore jamais été publiées) rayonnent toujours d’une fraîcheur et d’une honnêteté remarquables. Shinoyama a réussi à saisir ce couple emblématique à un moment crucial de sa longue relation, dans une période de catharsis créative et de renaissance personnelle. Le réalisateur Jesse Dylan revient sur cette série de photos désormais culte avec Kishin Shinoyama et Yoko Ono.

« J’ai pu les saisir en tant que famille, dans leur salon, chaleureux et naturels. »

« Ils travaillaient continuellement, en se reposant à tour de rôle au studio. John m’a dit que les chansons de son prochain album étaient prêtes et qu’il ne tarderait pas à sortir Double Fantasy. »

JD : M. Shinoyama, Miss Ono, comment vous êtes-vous rencontrés ?

KS : C’était il y a quarante ans, en 1974. J’étais venu à New York pour photographier Yoko au Dakota Building pour le magazine japonais Asahi Graph. C’était la première fois que je la rencontrais. Elle a adoré la photo que j’ai prise et ne m’a pas oublié. YO : Je vous ai recommandé, M. Shinoyama, en tant qu’artiste photographe, n’est-ce pas ? — 132 —

KS : Tout à fait. Ils cherchaient un photographe japonais pour la pochette de l’album Double Fantasy, et j’ai reçu une proposition par téléphone. JD : Parlez-nous du livre que vous publiez avec Yoko tant d’années après avoir pris ces photos. KS : La séance photo n’a duré que deux jours et a dû prendre sept ou huit heures en tout et pour tout. J’ai pris environ 800 photos. Trente ans plus tard, Yoko s’est dit : « Pourquoi ne pas les publier sous forme d’album photo ? » Le public en a déjà vu quelques-unes, mais c’est la première fois qu’on en découvre autant. Quand je les ai vues, toutes réunies dans la maquette,

même moi j’ai pensé, « Waouh, quelle expression ! C’est merveilleux ! » YO : Laissez-moi vous raconter une histoire amusante. Quand j’ai fêté mes 80 ans, je me suis dit que vous n’alliez pas tarder à venir, alors j’ai refusé d’être photographiée par d’autres photographes et je vous ai attendu ! JD : Quand vous prenez une photo, y a-t-il un moment où vous vous dites : « c’est la



bonne » ? Ou est-ce que chaque moment est important pour vous ? KS : En fait, j’utilise toujours la même méthode, quelle que soit la situation. Je passe du temps avec les gens, nos rapports

Je photographie tout ce que je vois, rien ne m’échappe. À l’époque, je n’aurais jamais imaginé que John allait mourir si vite. Cela rend ces photos d’autant plus précieuses.

se développent petit à petit et je suis alors en mesure de prendre quelques bonnes photos.

JD : Quelle a été votre première impression de John ? KS : John était une immense star. Le monde entier connaît John Lennon des Beatles. Il était totalement concentré sur sa musique. J’étais très nerveux à l’idée de le rencontrer, mais il s’est montré très gentil… et même tendre. C’était vraiment quelqu’un d’adorable.

« Je pense que ces photos ont été prises au sommet de leur bonheur. Je suis très content d’avoir été là pour les prendre. Ce n’est pas une question de technique. Simplement, j’ai eu l’immense chance d’être témoin de la meilleure période de leur vie. »

JD : Étiez-vous plus nerveux que d’habitude pendant cette séance photo ? KS : En fait, je n’ai été nerveux qu’au début. Ensuite, j’ai travaillé comme à mon habi-

— Kishin Shinoyama

JD : Je sais que vous avez publié un grand nombre d’ouvrages. Pensez-vous que la publication d’un album photo soit une manière de mettre un terme à ce moment ? KS : On pourrait dire ça. Je pense que la photographie devrait capter un moment à la fin de chaque seconde, pour ainsi dire. À peine un instant a-t-il commencé qu’il est déjà terminé et appartient au passé, vous voyez ? La photo est un des outils dont nous disposons pour enregistrer un moment donné. Peu importe le type de travail, je n’ai jamais changé d’approche. John et Yoko en train d’enregistrer à la Hit Factory et (à droite) avec leur fils Sean. C’est la première fois que l’un et l’autre se retrouvent en studio depuis la naissance de Sean. — 134 —

tude. J’ai essayé d’enregistrer chaque moment de ce que je voyais. JD : En regardant ces photos, j’ai vraiment l’impression que John et Yoko se sentent à l’aise avec vous. Comment avez-vous réussi à vous rapprocher d’eux à ce point en si peu de temps ? KS : John et Yoko exprimaient leur créativité en travaillant ensemble sur l’enregistrement de cet album après avoir mis la musique de côté pendant très longtemps. Ils élevaient leur fils, ils s’aimaient et ils menaient une vie très heureuse. Je pense que ces photos ont été prises au sommet de leur bonheur. Je suis très content d’avoir été là pour les prendre. Ce n’est pas une question de technique. Simplement, j’ai eu l’immense chance d’être témoin de la meilleure période de leur vie. YO : Vous savez, le monde entier va découvrir ces photos. Et comme tout le monde adore John, tout le monde va adorer le livre. En revoyant ces images pour la première fois depuis 30 ans, vous portez sans doute sur elles un regard plus objectif que lorsque vous les avez prises. Quel effet vous font ces photos aujourd’hui ? KS : Je suis émerveillé. Je sens vraiment mon avidité, mon appétit dans ces images. Je vois aussi qu’en tant que photographe, j’ai essayé d’investir toute mon énergie pour saisir ces moments au vol. Il ne se passait pas grand-chose dans le studio d’enregistrement : Sean est arrivé, Yoko s’est allongée, John chantait, etc. Les photos révèlent ce que je ressentais. Elles montrent que je n’avais pas envie de gaspiller une seule seconde du temps qui m’était accordé. Je dirais que je m’en suis bien sorti… C’est un excellent travail.


« À l’époque, je n’aurais jamais imaginé que John allait mourir si vite. Cela rend ces photos d’autant plus précieuses. »


« John essayait de se libérer des sensations liées à la célébrité – le passé – pour devenir un nouveau lui-même. » — Kishin Shinoyama


Limité à un total de 1980 exemplaires signés par Yoko Ono et le photographe Kishin Shinoyama

Édition d’art Nos. 1–125 Yoko Ono et John Lennon, 1980

Édition d’art Nos. 126–250

Yoko Ono et John Lennon, 1980 Impression pigmentaire sur papier PhotoRag de Hahnemühle, signée par le photographe Kishin Shinoyama, 30 x 40 cm (taille du tirage), cadre non fourni

Édition Collector Nos. 251–1 980

Édition limitée à 1 730 exemplaires, tous signés par Yoko Ono et Kishin Shinoyama, 174 pages € 500

€ 1 250 chacune

XL

« Pour moi, l’approche idéale était de me placer au plus près d’eux. Je voulais vraiment capter leur façon de travailler ensemble, créer un document visuel qui rende compte de leur relation à travers cette séance d’enregistrement. » — Kishin Shinoyama

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« T’inquiète pas pour les danseurs, Bibi… Ces gars-là sont des pros. » Paul Rudd dans la parodie du clip de Beyoncé « Single Ladies », 2008. Avec Justin Timberlake, Bobby Moynihan, Andy Samberg et Beyoncé.

Plus de 2 300 images tirées des archives de SNL Interview exclusive de Lorne Michaels Préparation jour par jour et guide complet des saisons

Saturday Night Live Alison Castle (Éd.) Relié avec rubans marque-pages, 500 pages ÉDITION ANGLAISE UNIQUEMENT € 39.99


Live from New York,

it’s Saturday Night! TOUTE L’HISTOIRE DE SATURDAY NIGHT LIVE DEPUIS 1975, SUR LE PLATEAU ET EN COULISSES

« Si vous êtes fan, ou si vous avez un faible pour les rouages de la télévision. Le type même du “beau livre” élevé au rang d’art, une collection de souvenirs et d’anecdotes en tous genres, de photos prises sur le plateau, durant les préparatifs, durant le tournage des spots publicitaires, durant l’émission… Une fois ouvert, vous ne le lâcherez plus. » — The Chicago Tribune

« 500 pages pour découvrir les secrets d’une des émissions les plus drôles et les plus audacieuses de l’histoire de la télévision. » — Vanityfair.com


Instant Andy Avant Instagram il y avait Warhol

Andy Warhol a été un chroniqueur inlassable de la vie et des rencontres qu’elle offre. Transportant un appareil photo Polaroïd à peu près partout où il allait de la fin des années 1960 à sa mort en 1987, il a rassemblé une immense collection d’instantanés montrant ses amis, ses amants, ses mécènes, des célébrités, des inconnus, des gens de la scène, de la mode et lui-même. Conçu en collaboration avec la Andy Warhol Foundation, le présent ouvrage rassemble des centaines de

ces instantanés, dont la plupart n’ont jamais été vus. Des portraits de célébrités comme Mick Jagger, Alfred Hitchcock, Jack Nicholson, Yves Saint Laurent, Pelé, Debbie Harry côtoient des photos de son entourage et de sa vie mondaine, des paysages et des natures mortes – des poupées Cabbage Patch aux boîtes de soupe emblématiques. Souvent bruts et sans apprêt, les Polaroïds de Warhol nous éclairent sur son époque comme Instagram capte la nôtre. Réalisée par le photographe de cour inofficiel de la haute société et des petites gens de New York, cette collection de photos est un document indispensable qui retrace la vie, l’univers et la vision de Warhol. Andy Warhol. Polaroids Reuel Golden (Éd.) Couverture rigide, 560 pages € 74,99

XL

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« Rien de plus rapide que les polaroïds pour obtenir un autographe. » — Andy Warhol


« Les portraits nous disent qui était bienvenu dans le club de Warhol, un endroit tout de suite privé, snob et hostile aux ringards de la classe moyenne, mais ouvert à nombre de marginaux. » — Richard Woodward — 142 —

Ci-dessus en partant d’en haut à gauche, dans le sens des aiguilles d’une montre : Robert Mapplethorpe 1983, Salvador Dali 1972, Andy Warhol 1986, Man Ray 1973. Ci-contre : David Hockney en 1973.




« Le lien que Warhol a établi dans son art entre la photographie et la célébrité est devenu une conviction fondamentale d’une génération qui mesure le succès à l’aune des tubes de YouTube. » — Richard Woodward

Ci-contre : Liza Minnelli. Ci-dessus en partant d’en haut à gauche, dans le sens des aiguilles d’une montre : Jack Nicholson 1972, Anjelica Huston 1972, Sylvester Stallone 1979, Arnold Schwarzenegger 1977, Mohamed Ali 1977, Nico 1972. — 145 —


Ci-dessus en partant d’en haut à gauche, dans le sens des aiguilles d’une montre : Karl Lagerfeld 1972, Valentino 1972, Yves Saint Laurent, 1972, Château Lafite, Bordeaux 1972, Lee Radziwill, Montauk, New York, 1972, Helmut Berger, 1973. Ci-contre : Jane Forth et Max Delys, Paris 1970.

Andy Warhol Artworks and Quotes © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. — 146 —


« Si tout le monde n’est pas une beauté, alors personne ne l’est. » — Andy Warhol


Le pouvoir des fleurs

Nature morte avec fleurs (dĂŠtail), 1839


Le « Raphaël des fleurs »

Découverte botanique et magnificence d’autrefois dans l’œuvre de Pierre-Joseph Redouté Redouté a été très demandé durant toute sa carrière. Illustrateur officiel à la cour de la reine Marie-Antoinette (dont la légende veut qu'elle l'aurait convoqué à minuit pour qu'il lui peigne un cactus), puis favori de Joséphine Bonaparte, l'artiste a porté les fleurs dans les plus hauts lieux et compensé le soulèvement chaotique de la Révolution française par la délicatesse de pétales parfaitement rendus. Cette réimpression rassemble 144 exemples de fleurs, branchages et fruits dessinés par Redouté. D'abord publiées entre 1827 et 1833, ces illustrations précises mais empreintes de tendresse, aussi délicieuses qu'informatives, immortalisent certains des spécimens végétaux les plus délicats au monde et évoquent la beauté des jardins et des serres du Paris d'autrefois.

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Pierre-Joseph Redouté Choix des plus belles fleurs Couverture rigide, reliure en tissu, avec ruban marque-page, 336 pages € 99,99


La Beauté au rang d’Art

L’ascension fulgurante de Naomi Campbell vers la gloire, parmi les légendes de la photographie et les plus grands créateurs de mode

Peter Lindbergh

« J’adore prendre en photo des femmes qui ont de la personnalité, du caractère et du style. Voilà ce qu’est la vraie beauté selon moi. Naomi en est une. » Cliché de 2005 pour GQ, Italie.



Ellen von Unwerth

« La première fois que j’ai vu Naomi, j’ai été impressionnée non seulement par sa beauté et son élégance, mais aussi par sa détermination à conquérir le monde. » Cliché pour Vogue, Italie, avril 1990.

« J’ai vu Naomi pour la première fois alors qu’elle défilait, toute jeune, pour Rifat Ozbek. J’ai été fasciné par la réelle grâce et l’élégance de cette magnifique créature. Bien des années ont passé, et j’admire toujours sa beauté et le professionna­ lisme avec lequel elle a mené sa carrière. Elle est à l’évidence un des mannequins les plus influents du monde. À mes yeux, elle sera toujours la fille la plus délicieuse doté du corps le plus parfait. » — Manolo Blahnik

Sebastian Faena

Cliché pour V Magazine, Espagne, automne 2011. — 152 —


« Ce qui me frappe dans la beauté de Naomi, c’est qu’elle est le seul mannequin qui nous fait contempler “l’art de la beauté” : séductrice, puissante, métaphysique, élégante et incomparable. Une couverture avec Naomi est éternelle. » — Stefano Pilati


Nobuyoshi Araki

ClichĂŠ pour Vogue, Japon, septembre 2014.




Gui Paganini

Cliché pour Vogue, Brésil, 2006.

Peter Lindbergh

Cindy, Tatjana, Helena, Linda, Claudia, Naomi, Karen et Stephanie à Brooklyn, New York, E.U., 1991. Cliché pour Vogue, E.U., septembre 1991.

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Nick Knight

« Je l’ai filmée, photographiée et sculptée, et dans chacun de ces médiums son incroyable beauté et sa force m’ont permis de créer des images importantes, modernes, puissantes, et pertinentes à l’époque où nous vivons. » Cliché pour i-D, automne 2010.

Matthew Rolston

Cliché pour Vogue, Espagne, mars 1995. — 158 —



Dans une œuvre d’art multiple d’Allen Jones, légende du Pop Art …


Une édition limitée, signée par Naomi Campbell

Pour connaître les détails et le prix, veuillez consulter taschen.com


PLEINS FEUX

Des légendes du rock aux pionniers du fétichisme, la nouvelle galerie TASCHEN célèbre les artistes qui ont défini et défié toute une génération

TASCHEN Gallery, 8070 Beverly Blvd, Los Angeles


Pour qu’un de nos grands livres voie le jour, il faut parfois des années. À l’instar d’un grand documentaire, le projet occupe souvent plus d’une dizaine de personnes. En effet, sa préparation nécessite de passer en revue toutes les archives connues ou moins connues qui existent sur le sujet. Sans tomber dans la grandiloquence, disons qu’il est rare d’effectuer des recherches aussi approfondies, même pour des expositions dans des musées. C’est pourquoi la galerie TASCHEN offre désormais une vitrine à ce colossal travail préparatoire. De la culture avec un grand C à la contre-culture, nos expositions seront l’écho de nos publications. La galerie a été inaugurée en décembre avec l’expo photo IT’S JUST A SHOT AWAY: THE ROLLING STONES IN PHOTOGRAPHS, suivie de l’exposition d’art fétichiste BIZARRE LIFE – THE ART OF ELMER BATTERS & ERIC STANTON. La plupart des œuvres exposées à la galerie TASCHEN seront mises en vente sur place et sur www.taschen.com/gallery

« Bizarre Life étudie le chemin parcouru par notre société en termes de liberté artistique, et à en juger par les nombreuses imitations dont elles font l’objet, ces œuvres devraient continuer à inspirer les artistes pendant de nombreuses années. »­ — Hunger TV, London


Bizarre Life – The Art of Elmer Batters & Eric Stanton avril – juin 2015

Eric Stanton, A Lesson In Eros, 1964. Illustration dont le personnage central s’inspire d’Ursula Andress, sex-symbol des années 1960.


Benedikt Taschen et Dian Hanson devant le porte-chapeau, la table et la chaise d’Allen Jones. Elmer Batters. Yolanda & Sylvia, vers 1980.


It’s Just A Shot Away:

The Rolling Stones In Photographs décembre 2014 – mars 2015 Tirages en vente sur www.taschen.com/gallery

Jack Nicholson et David Bailey.

Justin Murdock et Steven Tyler.

Udo Kier et Arnold Schwarzenegger.

Charlotte Taschen et Bene Taschen, fondateur de la galerie Hardhitta.


David LaChapelle, Pamela Anderson, David Bailey et Amber Rose aux côtés de Benedikt Taschen.

Plus de 10 000 visiteurs, parmi lesquels des grands noms du monde de l’art, de la mode et de la musique, ont visité l’exposition inaugurale de la galerie, composée de près d’une centaine de photos des Stones signées d’artistes aussi renommés que David Bailey, Peter Beard, Gered Mankowitz, Ethan Russell et Anton Corbijn.


A high-octane mechanical tribute to the automobile spirit

L.U.C Engine One Tourbillon. High-end mechanical watchmaking and the best of motor sports meet and mingle in a handsome and powerful timepiece. This limited-edition model celebrating Chopard’s 150th anniversary vividly embodies the spirit of automobiles, a world with which the brand has enjoyed strong ties over several decades. It is driven by a hand-wound tourbillon movement machined – and signed – like an engine block and mounted on shock-absorbing silent-blocks. Beating at 28,800 vibrations per hour and endowed with a 60-hour power reserve, this mechanical L.U.C Calibre 1TRM was designed, developed and produced by Chopard Manufacture and its impressive precision is chronometer-certified by the Swiss Official Chronometer Testing Institute. Other subtle nods to classic motor racing include the gleaming titanium “bodywork” of the case, curving lugs shaped like aerodynamic car wings, as well as four reinforced inserts on the strap reminiscent of historical car seats.

L.U.C Engine One Tourbillon: available in a limited numbered series of 150 in titanium, in honour of Chopard’s 150th anniversary, ref. 168526-3001.


Appel à tous les globe-trotteurs

3 volumes de la série à succès du New York Times “36 Hours” consacrée au voyage, sur 365 destinations dans le monde

« Un beau livre et un parfait assistant pour vos escapades en urgence. Magnifiquement organisé. » — The Independent, Londres

Plus de 65 € de contenu numérique gratuit

Organisé par ordre alphabétique, ce coffret de 3 volumes réunit le meilleur de la chronique “36 Hours” avec un total de 365 destinations dans le monde. Une carte bonus fournit un accès illimité et instantané aux éditions numériques de chaque destination.

The New York Times. 36 Hours. World 3 volumes à couverture souple et reliure tissu, avec rubans marque-page, index à onglets et cartes bonus, 1800 pages ÉDITION ANGLAISE UNIQUEMENT € 99,99


« En dehors du chien, le livre est le meilleur ami de l’homme. En dedans, il fait trop noir pour y lire. » — Groucho Marx

« TASCHEN est un miracle de bon goût dans l’édition …  Ils maintiennent avec une constance unique une qualité incroyable dans le fond et la forme, et offrent un témoignage incontournable du passé comme du présent … » — Matt Weiner, créateur de Mad Men

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