Summer of Love 2016
ROAD TRIP
Tom Wolfe slalome entre les lignes blanches de Ken Kesey et des Merry Pranksters Page 60
GLOIRE À GIGER Monagraphie essentielle et biographie de l’artiste Page 82
RENCONTRE AU SOMMET
Norman Mailer sur le ring, en arbitre du combat épique entre Ali et Foreman Page 102
DE WOODSTOCK À FOREST HILLS Édition collector TASCHEN des photos de Bob Dylan par Daniel Kramer Page 46
CUBA SUR ÉCOUTE
L’enquête exceptionnelle de Lee Lockwood sur l’île et son leader révolutionnaire Page 32
L’INNOCENCE EN FUITE
La série de Sebastião Salgado sur les enfants migrants et les réfugiés Page 148
Est. 1980 Stay flexible!
Combined fuel consumption in l/100 km: 8.3–5.5; combined CO2 emissions in g/km: 193–144. Fuel consumption and CO2 emissions data as well as the efficiency classes are dependent on the choice of wheels and tires.
Audi Vorsprung durch Technik
« Une beauté classique redécouverte. » —Foto Magazin, Munich
Le ciel pour plafond L’hommage photographique de Reinhardt Wolf aux sommets de Manhattan
XXL Reinhart Wolf. New York Relié, 30 x 42 cm, 80 pages 29,99 €
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Est. 1980
Never bore, always excite! Couverture : L’artiste Richard Aldcroft, avec sa machine kaléidoscopique imaginée sous acide, « The Infinite Projector ». New York, 1967. Extrait de la nouvelle édition de The Electric Kool-Acid Test de Tom Wolfe par TASCHEN. New York, 1967 © Yale Joel/The Life Premium Collection/Getty Images
72t, 73, 75t, 77b © Dian Hanson; 72b, 74b © A.R.S. Inc.; 74t © John Emrys; 75b courtesy Heritage Auctions www.ha.com; 76 © Kishin Shinoyama; 77t © Ján Hronský; 78–79 © ALBERTINA, Vienna; 80t © Universität für angewandte Kunst Wien, Kunstsammlungen und Archiv; 80b © Norbert Miguletz; 81 © MAK—Austrian Museum of Applied Arts / 4–7 © Tuff; 9 photo by Jamie McCarthy/Getty Images for Marc Jacobs Contemporary Art; 82–95 for the works of HR Giger: Carmen Maria International, LLC.; 10–13 © 2016 Christo, New York, © 2016 for the pho- Giger (HR Giger Estate); 82–83, 84, 95 photo © Matthias Belz; 96t tographs: Wolfgang Volz, Stockholm, © 2016 for the reproductions of photo © Andy Davies; 87 photo © Roland Gretler; 96–97 Réalités– the artworks: André Grossmann, New York; 13b Photo Marco Mazza; Connaissance des Arts. image rights of Salvador Dalí reserved; 98–99 16–24 © The Bob Mizer Foundation, Inc.; 25 © 2012 The Museum at the © Fundació Gala–Salvador Dalí, Figueres, 2016; 100–102, 104t, 111b, 114 Fashion Institute of Technology; 26–30 US Farm Security © Howard Bingham; 102–103, 104b, 105, 106b, 107–110, 112–113 © Neil Administration/Office of War Information/Office of Emergency Leifer; 106t courtesy Kaplan Archive; 111t © Christie’s Images; 116-121 © Management/Resettlement Administration Black & White Photographs Yuriko Takagi; 124 © Michael Muller; 136–149 © Universitätsbibliothek (Prints and Photographs Division, Library of Congress, Washington, D. Heidelberg; 151 © Yang Liu Design; 148–161 © Sebastião Salgado/ C.); 31, 122–123, 164–165 Photo Mark Seelen; 32–45 © Lee Lockwood. Amazonas images. 162–163 © J. Paul Getty Trust. Used with permission. Courtesy the Lee Lockwood Estate, all rights reserved; 46–59 © Daniel Julius Shulman Photography Archive, Research Library at the Getty Kramer; 60–61, 65, 68–69 Lawrence Schiller © 2016 Polaris Research Institute; 166–167 © Mathieu Bitton; 168 © Carl Fischer. Communications Inc.; 62, 66t, 67 © 2016 The Estate of Ted Streshinsky; 63 reproduced with permission from the Ken Kesey Estate; 64, 66b courtesy of the Richard Synchef Archive; 70–71 © Akif Hakan Celebi; Dans la réalité, les livres sont entièrement dépourvus de smileys !
Conception : Andy Disl & Benedikt Taschen Texte : Agnès Guillemot & Arnaud Briand Rédaction : Florian Kobler Fabrication : Claudia Frey & Ute Wachendorf Directed and produced by Benedikt Taschen Printed in Germany Published by TASCHEN Hohenzollernring 53, D–50672 Köln Tel: +49-221-20 18 00, contact@taschen.com For advertising inquiries: media@taschen.com
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TAPIS ROUGE POUR TASCHEN
Les enchères de la collection TASCHEN à Cannes atteignent 2,4 millions d’euros au profit de l’amfAR
BIBLIOTHÈQUES DE STARS
Les livres TASCHEN préférés de Sly, Marty et des autres
CHRISTO LIQUIDE
The Floating Piers – le projet de quais flottants de Christo et Jeanne-Claude
DES BELLES BIEN CARROSSÉES
Publicités vintage pour les automobiles américaines
MÂLES À GOGO
Le meilleur du catalogue de Bob Mizer
BORN IN THE USA
Comment la Farm Security Administration a révélé l’Amérique aux Américains
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Le reportage de Lee Lockwood, témoin oculaire de la révolution cubaine
SOUS HAUTE SURVEILLANCE
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DE WOODSTOCK À FOREST HILLS
116 CRÉATIONS VISIONNAIRES Encyclopédie des innovations d’Issey Miyake
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Comment Daniel Kramer a immortalisé Bob Dylan au faîte de sa carrière
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SOUS ACIDE
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Le portrait hallucinogène de Ken Kesey et des Merry Pranksters par Tom Wolfe
MINOUS, MINOUS
L’histoire des photographies de pseudo lesbiennes par Dian Hanson
À LA POINTE DE L’ART
Les gravures sur bois aux heures de gloire du Jugendstil viennois
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DES ALIENS
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CECI N’EST PAS UN HOMARD
Norman Mailer fait revivre le plus célèbre combat de boxe de tous les temps
PLONGÉE EN EAUX TROUBLES
Le shooting héroïque de Michael Muller au milieu des requins
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Le SUMO de HG Giger
Le livre de cuisine illustré de Salvador Dalí
ALI BOMA YE
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RESSUSCITÉE
Un aperçu exceptionnel de la cité vésuvienne par les frères Niccolini
RETOUR VERS LE FUTUR
Hier vs. aujourd’hui : le voyage en pictogrammes de Yang Liu
À MARCHE FORCÉE
Nouvelle édition du reportage majeur de Sebastião Salgado sur les réfugiés : Exodes (et Enfants)
NAOMI EN TOURNÉE
Le modèle des top models fête son Édition collector TASCHEN
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Un pavillon de Prouvé comme écrin pour les joyaux de TASCHEN À Cap d’Antibes, la vente aux enchères de la bibliothèque TASCHEN Collector a permis de récolter 2,4 millions d’euros au profit de l'amfAR, la Fondation pour la recherche contre le SIDA.
TASCHEN x PROUVÉ = 2,4 millions d’euros pour Cinema Against AIDS !
Cap d’Antibes – Une bibliothèque TASCHEN exceptionnelle, exposée dans une station service Total vintage signée Jean Prouvé, a atteint les enchères record de 2,4 millons d'euros. Les 444 livres TASCHEN, dont 60 Éditions collector des plus convoitées, ont été spécialement réunis pour l’amfAR, à l’occasion de la 23e édition de Cinema Against AIDS. Toutes les recettes seront versées aux programmes de recherche sur le sida de l’amfAR, pour la prévention, le traitement et les soins.
Ci-dessus : Marlene Taschen, en robe Pucci, et Simon de Pury, commisseurpriseur lors de la soirée de gala. Page ci-contre, en haut à gauche : Helen Mirren découvrant le SUMO d’Annie Leibovitz. Page ci-contre, en haut à droite : Chris Tucker et Valeriane Moyersoen, de TASCHEN.
Mon livre TASCHEN préféré, c’est… Des célébrités partagent leurs coups de cœur
« Frank Sinatra Has a Cold est bien plus qu’une chronique journalistique, c’est une œuvre majeure de la littérature américaine. En seulement 15 000 mots, Gay Talese tisse un canevas immense et magnifique, un roman au centre duquel évolue un personnage complexe, mystérieux, shakespearien : Sinatra. »
« 1000 Chairs reste une référence et une source d’inspiration précieuses car les chaises, comme les vêtements, sont étroitement liés au squelette et au mouvement du corps humain. »
« GOAT et le SUMO d’Helmut Newton sont d’immenses prouesses. » « J’adore À propos du Yoga. L’architecture de la paix, le livre délicieusement karma de Michael O’Neill. Ça décoiffe. » Illustrations de Robert Nippoldt
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Los Angeles, juin 2016
Chers dévoreurs de livres, Bienvenue dans ce numéro estival du magazine TASCHEN. Bien que j’aime tous nos livres, il y en a certains dont l’histoire me touche plus personnellement. Le SUMO de HG Giger, qui est en train d’être imprimé au moment même où vous lisez ces lignes, est l’un d’entre eux. Nous avons commencé à travailler sur cet ouvrage il y a sept ans. Même si Giger, décédé accidentellement en 2014, n’a pas pu assister à l’achèvement de cet opus magnum, il était très enthousiaste à l’idée du projet et a collaboré étroitement avec nous, fixant son cadre général et décidant de nombreux aspects, y compris pour ses deux magnifiques Éditions d’art. Ce fut un plaisir et un privilège de publier l’œuvre d’Hansruedi, en remontant aux années 1980, et de compter cet artiste parmi mes amis. J’espère que vous apprécierez autant que moi sa vision artistique unique ainsi que le livre. Mais comme vous le savez, nous apportons le même souci du détail à chacun de nos livres, du plus petit au plus gros, du plus mince au plus épais, qu’il coûte 10 € ou 1 000 €. Amusez-vous bien, profitez-en et restons en contact. Merci de votre inlassable fidélité. Peace, Benedikt Taschen
Naomi Campbell et Benedikt Taschen célèbrent le lancement de NAOMI, à la soirée de Marc Jacobs au Diamond Horseshoe, à New York.
18 JUIN – 3 JUILLET, LAC D’ISEO
CHRISTO LIQUIDE
Les coulisses du projet The Floating Piers de Christo et Jeanne-Claude
« Tout invite à la déambulation. Marcher pieds nus est l’idéal pour ressentir l’ondulation et le tissu. Le projet est sexy, il donne des frissons… » —Christo
The Floating Piers (projet pour le lac d’Iseo, Italie) Dessin en deux parties, 2014.
ON A MARCHÉ SUR L’EAU Christo s’entretient avec Eliza Apperly de TASCHEN à propos de la réalisation d’un projet artistique de longue date.
Le lac d’Iseo, dans le nord de l’Italie, est moins connu que le lac de Côme, de l’autre côté de la montagne. Plus petit et plus paisible, les résidences de stars y sont plus rares. Mais cet été, cette étendue céruléenne située à 100 km de Milan et à 200 km de Venise va servir d’écrin à l’un des événements artistiques majeurs du 21e siècle. Du 18 juin au 3 juillet 2016, l’installation The Floating Piers de Christo et JeanneClaude va étirer ses 3 000 mètres de pontons enrubannés de jaune entre les villages lacustres de Peschiera et de Sulzano, et l’île abrupte de Monte Isola et sa petite sœur San Paolo. Le premier visiteur à s’élancer sur la jetée ondulante et chatoyante inaugurera ainsi non seulement un projet technologique et logistique complexe, mais aussi le fruit d’une vision créatrice tenace. « Jeanne-Claude et moi avons cosigné 22 projets, explique Christo, mais 37 autres n’ont pas abouti faute d’autorisation. Certains projets ont été recalés, mais sont restés dans nos cœurs et nos esprits. Ainsi est né The Floating Piers. » C’est en 1970 que le couple a pour la première fois proposé d’installer une surface flottante sur des eaux paisibles, à savoir une jetée gonflable dans le delta du Rio de la Plata, à Buenos Aires. Le projet n’a jamais vu le jour. Peu après l’enveloppement du Reichstag (Wrapped Reichstag), ils retentèrent leur chance avec un projet de pontons flottants dans la baie de Tokyo. L’entreprise avorta après moult atermoiements. Mais le couple n’a jamais abandonné son idée : « Jeanne-Claude et moi portions tous les deux ce projet dans notre cœur. » En 2014, cinq ans après la mort de JeanneClaude, Christo fit des repérages sur les bords du lac d’Iseo. Nichée dans un cadre exceptionnel, l’« Île montagneuse » (Monte Isola), avec ses eaux cristallines et son point culminant à 400 mètres, est l’île lacustre la plus haute d’Europe. « Elle est aussi haute qu’un gratteciel de Manhattan ! », s’émerveille Christo. C’est alors qu’il décida de ranimer le projet. Pendant ses premières étapes de développement, le projet The Floating Piers fut tenu secret. Des essais furent effectués dans des lieux discrets du nord de l’Allemagne et de la
Pour en savoir plus sur la prochaine Édition collector deThe Floating Piers : collectors@taschen.com
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côte Baltique afin de contrôler la disposition, la stabilité et l’ancrage des cubes flottants, et de valider l’épaisseur et la couleur jaune dahlia du tissu. « Sur le plan visuel et technique, il n’est pas possible de statuer sur un projet final entre les murs d’un studio. Pour toutes nos œuvres temporaires, qu’elles soient urbaines ou rurales, nous réalisons des tests grandeur nature à échelle réelle. » Le projet fut annoncé en avril 2015 et depuis, le lac d’Iseo s’est transformé en une ruche vibrionnante. Un ballet de camions assure l’acheminement des cubes flottants depuis l’usine jusqu’au QG du projet, à Montecolino. 100 000 mètres carrés de tissu jaune ont été cousus sur des bandes de PVC découpées au laser. Les tronçons de ponton ont été rivetés et munis d’inserts triangulaires en acier pour dessiner des courbes subtiles tout le long du parcours. Enfin, 190 plots d’ancrage de cinq tonnes chacun ont été installés au fond du lac – jusqu’à 270 mètres de profondeur ! Afin de rehausser les jeux de lumière, de coudu visiteur lui-même à travers l’espace. La disleur et de texture, Christo a décidé d’ajouter position du pont a été pensée pour susciter 20 % de tissu supplémentaire par rapport à la une démarche de la part du visiteur. « Les longueur totale des pontons. Il a aussi prolignes droites sont une composante essentielle grammé son œuvre pour la période de l’année du projet. Les pontons ont une forte dimenoù les jours sont les plus longs, afin de maximi- sion de sollicitation et d’exhortation. Tout ser les effets visuels changeants. « Le lac a un invite à la déambulation. Le visiteur doit partaux d’humidité constant, tandis que ses coucourir cinq kilomètres à pied – y compris sur leurs réades bandes de gissent et terre ferme – « Les perspectives chanévoluent en pour apprécier le geantes, le lac, les montagnes, projet, les perspermanence. Les lueurs pectives chanles autres visiteurs. Tout cela rouges du geantes, le lac, constitue l’œuvre finale. » —Christo les montagnes, matin font place, au fil les autres piéde la journée, à des tons or et jaune. » tons. Tout cela constitue l’œuvre finale. » Pour Christo, l’interaction entre les pontons et L’expérience sera autant tactile que visuelle. l’environnement du lac d’Iseo fait partie inté« Marcher pieds nus est l’idéal pour ressentir grante du projet. « Nos œuvres vont au-delà de l’ondulation et le tissu. Le projet est sexy, il l’art tel qu’on le voit dans les musées ou les donne des frissons… » collections privées. Nous héritons de tout ce Il est également explicitement temporaire. qui est inhérent à l’espace environnant, et l’en- À la surface de cet ancien lac glaciaire, les semble finit par s’inscrire dans l’œuvre d’art. » « quais flottants » seront accessibles 24h/24 Le projet sollicite résolument le déplacement pour une durée de 16 jours seulement. Tous les éléments utilisés pour l’installation seront ensuite recyclés. L’éphémère fait partie de En haut à gauche, ci-contre et page ci-contre : Christo sur le site de The Floating Piers, lac d’Iseo. l’ADN de la pratique artistique de Christo et En haut à droite : Christo dans son studio, affairé Jeanne-Claude. « Nous sommes saturés d’art à un dessin préparatoire pour The Floating Piers, transportable, qu’il s’agisse des foires artisNew York, novembre 2015. Ci-dessous : Christo en séance dédicace avec tiques ou des expositions itinérantes. Mais les Marlene Taschen, TASCHEN Milan, mai 2016. humains comme les choses sont uniques. » Les différentes éditions TASCHEN dédiées à The Floating Piers retracent toutes les étapes de cette prouesse aquatique éphémère, depuis la conception jusqu’à l’installation finale. Une Édition collector conçue par Christo lui-même sera publiée à l’issue du projet. Ces livres viendront compléter la vaste collection TASCHEN consacrée à Christo et Jeanne-Claude, dont The Gates, Umbrellas, Wrapped Reichstag, Wrapped Trees, sans — 13 —
oublier la monographie Christo and JeanneClaude en Édition collector. « Nous avons connu Benedikt [TASCHEN] en 1994 lors de nos dernières démarches en vue de l’autorisation de Wrapped Reichstag, rappelle Christo. Dès lors, nos relations ont été primordiales. Les livres sont intrinsèquement liés à chaque projet. Ils sont comme autant d’outils de travail, de manuels d’inspiration pour le processus créatif et technique. » Après le 4 juillet, une fois les pontons démontés, les visiteurs repartis et le ruban chatoyant replié, les différentes éditions de The Floating Piers deviendront les témoins officiels d’un événement et d’une expérience uniques. Les plans, les croquis et les photos attesteront qu’un projet jadis jugé irréalisable a pu finalement être « mis à flot » : une installation zigzaguant sur le lac d’Iseo dans un flamboiement triomphal de tissu, de lumière et de couleur. « The Floating Piers aura été et ne sera plus… Ces livres nous montrent l’idée d’origine et le projet finalisé. »
Christo and Jeanne-Claude. The Floating Piers, Lake Iseo, 2014–16 23,5 x 29 cm, 128 pages 19,99 € Retrouvez toutes nos publications consacrées à Christo et Jeanne-Claude sur taschen.com
Marketing rugissant Un recueil inédit des catalogues et publicités vintage des automobiles américaines
Automobile Design Graphics Jim Heimann, Steven Heller, Jim Donnelly Relié, 25 x 31,7 cm, 368 pages 39,99 €
En ce temps-là, accompagner les Américains dans l’un des achats les plus importants de leur existence était un processus délicat, auquel la seule publicité « classique » ne pouvait suffire. C’est ainsi que se développa l’usage d’un objet spécifiquement dédié à la célébration des vertus automobiles : le catalogue. Proposés le plus souvent en grand format, présentant parfois sous leur couverture vernie des échantillons de tissu et de peinture, les catalogues étaient exclusivement distribués dans les show rooms des concessions et les salons automobiles. C’est pourquoi les rares spécimens d’époque, authentiquement vintage, sont aujourd’hui devenus des pièces de collection très recherchées. Des marques les plus méconnues (Tucker, Ajax, Columbia) aux plus emblématiques (General Motors, Ford et Chrysler), cette histoire visuelle inédite rassemble plus de 500 reproductions de ces précieuses brochures de vente, véritables pièces de collections. Balayant huit décennies, elles révèlent les plus belles voitures, mais aussi le meilleur des illustrations et du graphisme du 20e siècle.
Pontiac 1962.
Spike Adams et Robby Robinson dans le film ĂŠpique de Bob Mizer, Gym Salesman & the Cowboy, 1963.
Vous les hommes Les plus beaux spĂŠcimens issus du Model Directory de Bob Mizer
Mille hommes à vos genoux Par Dian Hanson
Robert Henry Mizer, universellement connu sous son diminutif « Bob », prit sa première photo commerciale de culturiste en 1946. Dix ans plus tard, il avait photographié mille sujets, et ce, à une époque où il n’existait pas encore d’agence de modèles masculins, de petites annonces discrètes dans les journaux underground et encore moins de sites de ren-
contre entre hommes sur Internet. En 1957, Bob célébra cette prouesse en publiant Thousand Model Directory. Aujourd’hui objet de collection, cette brochure de 98 pages de format 21 × 13,5 cm, soit plus de mille modèles, à raison de douze par page, sous la forme de minuscules vignettes. En apparence, on peut y voir un simple catalogue commercial de col-
lections d’images de modèles masculins, mais il s’agit également d’une forme d’autocongratulation (« Un millier d’hommes se sont déshabillés pour moi ! ») doublée d’une fascinante compilation des dix premières années de l’Athletic Model Guild – une société d’abord créée comme un centre d’échange pour photographes de culturisme, mais qui devint rapidement la vitrine exclusive de Bob. On pourrait penser que photographier mille modèles en plus de dix ans n’a rien d’extraordinaire. C’est sans compter que, d’une part, Bob mit un certain temps à lancer son affaire et que, d’autre part, il passa l’année 1947 sous les verrous. En outre, le lancement en 1951 de Physique Pictorial, le premier vrai magazine gay des États-Unis, lui prit de longues semaines, si bien que la majorité de ces mille modèles furent photographiés entre 1952 et 1956, au rythme de plus d’un par jour, dans une pension exiguë tenue par sa mère où s’entassaient, outre cette dernière, son frère aîné et un dernier locataire obstiné.
« En apparence, c’est un simple catalogue commercial d’images de modèles masculins, mais c’est aussi une forme d’autosatisfaction (“Un millier d’hommes se sont déshabillés pour moi !”). » J’avais d’abord pensé publier l’intégralité de ces mille premiers modèles, puis retenir la meilleure image de chaque série et la reproduire en grand format. À ses débuts, Bob travaillait avec une pellicule de 10,16 × 12,7 cm si bien que, théoriquement, chaque cliché pouvait être agrandi à la taille d’une affiche. Toutefois, en parcourant les premiers lots tirés des archives d’AMG conservées avec dévotion par Dennis Bell, je me suis vite rendu compte Ci-contre : Flyer manuscrit datant de 1949, invitant le réseau de Bob, celui des clients amateurs de photos culturistes, à commander par correspondance. Page ci-contre : Larry Cottrell et Tom Parks, extrait du film Telephone Lineman de Mizer, 1964. — 18 —
que certains de ces mâles étaient plus à leur avantage dans un tout petit format. J’ai donc élargi mon champ de recherche jusqu’en 1966, date de la parution d’un second Thousand Model Directory et dernière année où Mizer utilisait encore des cache-sexe. Avec plus de vingt ans de photos parmi lesquelles choisir, mes chances de trouver mille
« David Hockney a déclaré qu’il était venu s’installer à Los Angeles pour deux raisons : un cliché de la Case Study House no 21 signé Julius Shulman, et le Physique Pictorial de Bob Mizer. » hommes agréables à regarder augmentèrent considérablement ainsi que, disons-le, ma charge de travail, puisqu’il me fallut examiner 250 000 clichés au lieu de 100 000. Dennis et moi avons étudié chaque photo de chaque série afin de nous assurer que ce volume présenterait vraiment les mille plus beaux spécimens, du premier modèle de Bob Page ci-contre : Dennis Lavia dans la fameuse douche de Bob Mizer, une configuration qui inspirera les peintures de David Hockney (1965). Ci-dessus : Un inconnu disputant une compétition de bodybuilding à Muscle Beach, vers 1950. Ci-dessous, à gauche et au centre : Couverture et intérieur du catalogue original Thousand Model Directory, autoédité par Mizer en 1957, soit plus de 1000 photos format vignette sur 98 pages. Ci-dessous, à droite : Frank Bird et Frank Renault batifolant au bord de la piscine dans la propriété de Mizer à Los Angeles (1956).
aux nus intégraux de Brian Idol en 1966. Tout commença avec Forrester Millard, un gymnaste de 16 ans photographié par Bob, alors âgé de 24 ans, dans le salon de sa mère. Forrester était hétérosexuel, comme la plupart des modèles de Mizer, ce qui ne l’empêcha pas de poser régulièrement dans la pension victorienne près du centre de Los Angeles. Lorsque Dennis Bell l’interviewa à l’âge de 79 ans, en 2008, Forrester résuma simplement : « C’était sympa » ; si sympa qu’il consentit à quinze séances de pose en l’espace de quatorze ans. Bob avait le don de rendre les séances amusantes et, surtout, de faire en sorte que ses sujets se sentent importants. Même les mauvais garçons (pour Bob, objets d’une quête du Graal version krypto-
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nite) en deviennent émouvants avec leur air fier, héroïque et légèrement excité, élevés l’espace d’un après-midi du statut de petit caïd de quartier à celui de gladiateur. Après Forrester, Bob ne lâcha plus la photographie. Son ami et confrère David Hurles raconte qu’une journée sans modèle à se mettre sous la dent le rendait irascible, qu’il préférait photographier un sujet médiocre que pas de sujet du tout, et que son identité était façonnée par la proximité d’hommes à moitié nus. Fort heureusement, cette marotte était facile à satisfaire. Bob savait instaurer un climat de confiance, transmettre ses passions et convaincre les garçons de la plage de traverser la ville, de se déshabiller et de poser pour lui. Ces qualités
furent aussi essentielles à ses quarante-sept années de carrière que son talent de photographe et son imagination nourrie de cinéma. Comme en témoigne son journal, commencé à l’âge de 14 ans et tenu jusqu’à sa mort, sa vision précoce ne vacilla jamais. Il fut très jeune ouvertement homosexuel, ne s’affichant jamais avec une petite amie au lycée, et était déterminé à se forger un nom et à inscrire son existence dans la pérennité. Lorsqu’il fut emprisonné en 1947 après avoir été faussement accusé de rapports sexuels avec un modèle mineur, il écrivit à sa mère : « Je me sens plus fort que jamais, mais cette force, cette énergie motrice, sera soigneusement maîtrisée et orientée avec intelligence […]. Mon ambition primera. Le plaisir et les sensations physiques ne sont rien comparés à de grands accomplissements. » Une déclaration plutôt audacieuse de la part d’un fils accusé de crime sexuel, mais qui révèle sur-
tout la détermination inébranlable du jeune Bob. Cette maturité précoce l’aida indéniablement à trouver ses modèles. L’artiste John Sonsini, qui continua à vivre dans l’enceinte entourée de fils barbelés de l’AMG après la mort de Bob, découvrit un jour un portefeuille dans sa chambre d’enfant au grenier. Il contenait un morceau de papier avec un texte dactylographié : CODE DE CONDUITE : Être plus masculin en toutes circonstances Posture virile / Garder le dos droit Voix plus grave et débit plus lent. Bob comprit très tôt que, pour atteindre ses objectifs, il devait devenir un meneur d’hommes, inspirant la confiance, l’admiration et l’obéissance. Attiré par la virilité, il devait être fort et souligner sa masculinité. À 18 ans, il nota dans son journal un incident qui l’avait choqué : des locataires de sa mère s’étaient moqués des manières efféminées d’un ami homosexuel. Bob refusait d’être un objet de dérision pour les hétérosexuels, sans jamais renier son orientation sexuelle. Lorsque j’ai interviewé Ben Soresen, l’un de ses premiers modèles, pour Bob’s World, édité par TASCHEN en 2008, il me confia : « Je suis hétéro, mais poser pour Bob ne m’a jamais posé de problèmes. C’était un vrai gentleman. » Bob découvrit Ben sur Muscle Beach, à Santa Monica (Californie), où il rencontra la plupart de ses premiers modèles. À la fin des années 1940, Ben aimait s’entraîner nu sur des plages désertes avec ses amis Bob Burns, Ed Smith et Steve Gooding. Il accepta que Bob l’accompagne pour prendre des pho-
« Bob avait le don de rendre les séances amusantes et, surtout, de faire en sorte que ses sujets se sentent importants. » tos. Ils savaient tous qu’il les vendrait et à qui il les vendrait mais, comme l’observa Ben : « Il filait gratuitement des tirages aux gars et certains valaient la peine d’être montrés aux copains » – un cadeau précieux à l’époque. Ce que ne dit pas Ben, c’est que ses amis et lui avaient un grand besoin de reconnaissance à une époque où Joe Weider et Arnold Schwarzenegger n’avaient pas encore mis le
Ci-dessus : Le sculptural Charles Stroeder, légende de Muscle Beach, posant devant une ruine à L.A. (1956). Ci-contre : John Tristram et Forrester Millard, deux des modèles de Bob les plus populaires, posent devant l’enceinte de la piscine (1959). Page ci-contre : Dan Holder, Dennis Sanfacon et Jim Stafford dans une scène extraite du film Gay Caballero (1963). — 22 —
culturisme à la mode. Si les filles de la plage étaient indifférentes, Bob savait s’y prendre pour flatter leur ego. Bob a aidé des milliers, voire des millions d’hommes à accepter leur homosexualité. David Hockney a déclaré qu’il était venu s’installer à Los Angeles pour deux raisons : un cliché de la Case Study House nº 21 signé Julius Shulman, et la photo Physique Pictorial de Bob Mizer. En 1951, on trouvait plusieurs revues de culturisme dans les kiosques, notamment Strength & Health, Ironman, Your Physique et Muscle Power, mais nul magazine qui ne reposât essentiellement sur l’attrait homoérotique des hommes musclés. Les gays qui achetaient ces revues avaient toujours conscience de s’aventurer dans un territoire hétérosexuel hostile. Bob changea la donne. Lorsqu’il photographiait des culturistes stars qui posaient également pour Strength & Health, comme Vince Gironda, Monte Wolford, Edmund « Ed Fury » Holovchik, Dick DuBois ou Bob McCune, il rendait leurs regards et leur attitude plus accueillants. Là encore, c’était tout le talent de Bob qui savait comment amadouer ses sujets
hétérosexuels et les amener à flirter avec l’objectif. Il captait leurs muscles et leurs personnalités, donnant au lecteur l’impression que ces hommes posaient pour lui seul. John Sonsini, qui a peint des toiles de fond pour Bob de 1986 à sa mort, déclara que les photos de Bruce Bellas montraient la projection idéalisée de notre propre image, alors que « quand vous regardiez une photo de Bob Mizer, le regard du modèle disait : “Je suis là pour toi ; oui, toi, l’homosexuel.” » Il travailla et douta jusqu’en mars 1992,
Bob Mizer. AMG: 1000 Model Directory Dian Hanson 2 volumes reliés sous coffret avec un DVD, 22 x 27,5 cm, 1 048 pages 74,99 € — 24 —
Ci-dessus : Les taches de rousseur typiquement yankee de Ray Loop dévoilant à Bob ses rondeurs parfaites (1960).
quand, atteint de la goutte, il se traîna jusqu’à son studio pour photographier son dernier modèle. Il mourut trois semaines plus tard. Il en aura photographié environ dix mille, quatre mille avec cache-sexe et six mille intégralement nus. Il en aurait photographié dix mille autres qu’il n’aurait toujours pas eu l’impression d’en avoir fait assez pour ses « camarades » gays.
Les plus grands designers des 20 e et 21e siècles, ainsi que leurs créations les plus remarquables.
Coupe idéale
Fashion Designers A-Z La collection permanente du Museum at the Fashion Institute of Technology, Suzy Menkes, Valerie Steele Relié, 26,2 x 33,6 cm, 648 pages 49,99 €
Alexander McQueen, 2010.
Un autre pays
Face aux ravages de la Grande Dépression, la Farm Security Administration a entrepris de rendre compte des conditions de vie des fermiers pauvres et de « révéler l’Amérique aux Américains ».
Jack Delano, enfants dans le quartier des logements populaires, Brockton, Massachusetts, décembre 1940.
Jeudi noir Par Peter Walther
Le 24 octobre 1929, par une journée d’automne fraîche mais ensoleillée, le ministre des Finances britannique Winston Churchill se rend à Wall Street. Depuis quelques jours, en raison des fluctuations extrêmes des cours, la place boursière est fébrile. Ce matin-là, la séance s’ouvre dans le calme. Mais, vers 11 heures, une vague de panique déclenche une envolée des ventes. Ce jourlà, le marché dégringole à plusieurs reprises et, en deux heures seulement, la chute des cours réduit à néant plus de onze milliards de dollars. Le « jeudi noir », qui se prolonge le lendemain en Europe sous le nom de « vendredi noir », sera le point de départ d’une cascade d’événements catastrophiques qui entraîneront l’effondrement de l’économie mondiale. Commence alors une période de crise planétaire, la Grande Dépression, dont les États-Unis ne
se remettront qu’à leur entrée dans la demande d’une Europe laminée par la guerre Seconde Guerre mondiale. avait provoqué une surproduction qui, Après l’affaissement du château de cartes lorsque le Vieux Continent a commencé à se boursier, la panique s’empare de tous les sec- relever et que les ventes se sont ralenties, a teurs de l’économie : les banques ne prêtent tiré les prix vers le bas. Dans les années qui plus, des ont suivi, l’enentreprises dettement per« Au fil de ces voyages et des doivent fersonnel a photographies, j’ai appris à aimer contraint un mer, le chômage bondit agriculteur sur les États-Unis davantage que je à vingt-cinq ne les aurais jamais aimés autre- quatre à vendre pour cent, sa propriété. Du ment. » –Jack Delano les salaires jour au lendemoyens vont main, ces chuter de plus de moitié jusqu’en 1932 et, familles se sont retrouvées privées de leur pour la seule année 1933, plus de quatre mille gagne-pain. banques se déclarent en faillite. Le monde agricole n’échappe pas non plus La population rurale est touchée de plein aux catastrophes naturelles. Pour gagner en fouet. Dans les années 1920 déjà, les agriculsuperficie cultivable, on a défriché d’imteurs connaissaient des difficultés. La forte menses étendues de prairie dont l’herbe, avec — 28 —
ses racines profondes, protégeait les couches supérieures du sol contre l’érosion. Dans les années 1930, des épisodes persistants de canicule et de sécheresse appauvrissent les terres dans de vastes zones des Grandes Plaines, cette large ceinture qui traverse le continent du Canada jusqu’au Texas. Lors des tempêtes, les habitants du Dust Bowl (« bol de poussière ») sont littéralement ensevelis sous la poussière. Ils n’ont d’autre solution que d’abandonner leurs terres et de partir, souvent vers la Californie. En 1936, au plus fort de la catastrophe, plus de deux millions et demi de personnes quittent ainsi leurs foyers. L’agriculture devient la préoccupation première de la politique intérieure. La politique du New Deal (« nouvelle donne ») menée par Roosevelt tente de rallier ce mécontentement et de l’utiliser pour ses projets de réforme. Outre des mesures liées à la politique sociale et au droit du travail, ce sont surtout des programmes d’aide aux propriétaires exploitants et aux métayers dans le besoin qui sont alors mis en place. Dans ses rangs se trouvait l’économiste Rexford Tugwell qui, en 1935, va inciter Roosevelt à créer la Resettlement Administration, rebaptisée en 1937 Farm Security Administration. Cette instance est chargée d’organiser la réinstallation des fermiers originaires du Dust Bowl. Pour garder trace de ce projet est créée une section historique dont Tugwell confie la direction à son ancien assistant à Columbia University, Roy Stryker. L’ambition de Stryker est de transmettre aux générations futures un tableau de l’Amérique rurale au seuil de la modernité. La photographie lui paraît parfaitement convenir à cet objectif. Sans être lui-même photographe de métier, mais économiste, il est très tôt convaincu de la capacité de ce médium à rendre compte des phénomènes économiques. Au lieu de considérer qu’« une bonne photo
vaut mieux qu’un long discours », il estime que « la photographie n’est que l’auxiliaire, la petite sœur du discours ». Entre 1935 et 1943, plus de quarante photographes collaborent à la campagne de la FSA, mais seule une douzaine d’entre eux en forme le noyau dur. Les premiers que Stryker engage sont Arthur Rothstein, qui débute comme directeur du laboratoire, Walker Evans, Theodor Jung, Dorothea Lange, Carl
Mydans (qui cédera sa place un an plus tard à Russell Lee) et Ben Shahn. Ils seront rejoints par Jack Delano, Marion Post Wolcott, John Vachon, Gordon Parks et quelques autres. Les choix de Stryker n’ont rien de systématique : certains photographes comme Walker Evans ou Ben Shahn ont déjà travaillé pour l’administration, d’autres comme Arthur Rothstein l’ont côtoyé à Columbia, quant à Dorothea Lange, il l’a remarquée pour ses reportages sur la Californie. Indépendamment de la proximité personnelle de chacun d’entre eux avec Stryker, les photographes engagés dans ce projet loueront souvent son talent fédérateur, comme Dorothea Lange dans un entretien de 1964 : « Roy Stryker […] savait d’instinct ce qui était important. C’est un instinct. Et c’était un redoutable chien de garde pour son équipe. Si tu en faisais partie, tu étais l’un des siens et lui était un chien de garde, et un bon. » Non seulement Stryker prodigue à ses photo-
Page ci-contre : Arthur Rothstein. Salem, Illinois, février 1940. Ci-dessus : Dorothea Lange, enfants du Delta, Mississippi, juillet 1936. Ci-contre : Marion Post Wolcott. Baraques occupées jusque-là par des ouvriers et des cueilleurs migrants puis condamnées par les services de santé, Belle Glade, Floride, janvier 1941. — 29 —
graphes des leçons et des conseils de lecture, adjectifs et des adverbes ». Tandis que les mais il les envoie aussi en mission munis d’un reporters de presse s’intéressent à l’objet et à « shooting script », d’une feuille de route l’événement avec la volonté de les représenassez concrète sur ce qu’il convient de photo- ter concrètement, ceux de la FSA captent graphier. Un script de Stryker pour la couver- plutôt la saveur et le parfum des situations. ture photographique d’une petite ville prévoit « Le regard est plus large : on rapporte en par exemple de privilégier cer- « Chaque fois qu’on me demandait : “Que tains lieux et faites-vous ici avec votre appareil photo ?”, bâtiments tels je répondais : “Et bien, je photographie que théâtre, l’histoire d’aujourd’hui.” » –Russell Lee commerces, garages, salons de coiffure, mairie, prison, caserne de pomgénéral une ambiance, un accent, mais plus piers – ou encore bouches d’incendie et panfréquemment un croquis et assez souvent neaux de signalisation. D’autres consignes une histoire. » encore visent à rendre compte des distracPourtant, dès 1941, la FSA est soumise à des tions habituelles de la population par niveaux exigences de légitimité. Stryker entreprend de revenu. alors de rendre compte des activités de Les photographes envoient leurs pellicules défense, mais ne pourra s’opposer aux réducau laboratoire de la section à Washington tions budgétaires. De plus, après la reprise pour les faire développer et, en retour, par l’OWI, il n’a plus guère la possibilité d’inreçoivent les planches-contacts avec ordre de fluer sur le choix des sujets. À cette époque, il rédiger des légendes pour les photos cochées fait donc en sorte que la collection, dont font par Stryker. aussi partie les clichés de l’OWI, soit transféComparant le travail des photographes qu’il a rée à la bibliothèque du Congrès. engagés avec celui des photojournalistes, Ainsi prend fin la phase active du projet FSA. Stryker déclare que « les images de presse Au fil des décennies, ce fonds photographique sont des noms et des verbes ; les nôtres, des tombe dans l’oubli. Les générations suivantes ne gardent en mémoire que ses icônes : la Ci-dessous: Dorothea Lange. Cabane d’un Mère migrante de Dorothea Lange, la Temtravailleur migrant mexicain près d’un champ pête de sable d’Arthur Rothstein, les images de petits pois gelé, Vallée impériale, comté new-yorkaises de Walker Evans et sa vue du d’Imperial, Californie, mars 1937.
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cimetière de Bethlehem, mais aussi la série de Gordon Parks sur la vie d’Ella Watson avec le célèbre American Gothic. L’exposition de Steichen au MoMA de 1962 sera l’occasion d’une redécouverte de la collection. Depuis sont parus périodiquement des recueils d’images de la FSA, généralement axés sur un photographe, une région ou un thème particuliers. Ensemble, elles témoignent d’un pays qui, en des temps de grande détresse, a eu le courage de regarder en face ses propres faiblesses et d’en tirer la force nécessaire à un nouveau départ.
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LE VRAI FIDEL
Entre 1959 et 1969, le photojournaliste Lee Lockwood a enquêté sur Cuba et le révolutionnaire victorieux Fidel Castro avec une liberté de mouvement sans précédent, grâce à laquelle il a pu rapporter notamment une interview marathon de 7 jours avec Castro en personne qui demeure l’un des portraits les plus clairvoyants du leader cubain. Cet ouvrage comprend les photographies éloquentes de Cuba et de Castro par Lockwood.
Emil Stadelhofer, ambassadeur de Suisse à Cuba, négocie le pont aérien américano-cubain avec Castro, 1965.
L’HOMME QUI A IMMORTALISÉ FIDEL EN SON ET LUMIÈRE Un portrait unique et révélateur de Cuba et de son leader énigmatique
« Je vous reverrai bientôt et nous aurons accès à lui. C’est particulièrement vrai à notre entretien », m’avait promis Fidel Cas- Cuba, où le processus d’institutionnalisatro au mois de mai. Nous étions maintenant tion a pris du retard et où les dirigeants en août et j’attenmènent « Lorsque j’arrivai, l’île était dais toujours. leurs J’étais venu à affaires officiellement en état d’alerte. Cuba dans l’inavec une Deux semaines plus tard, les tention de rester décontracdeux mois enviÉtats-Unis se mirent subitement tion éturon et je comdiée, à bombarder le Nord-Vietnam, comme mençais à être à court de temps, s’ils république sœur de Cuba. » d’argent et surétaient tout de patience. Mon problème le plus toujours des guérilleros dans le maquis. délicat était d’avoir perdu tout contact avec Qui plus est, du fait que le régime a été perle sommet. Je n’avais aucun moyen de turbé, durant ses sept années au pouvoir, savoir quand mon entretien aurait lieu, ni par des défections et des trahisons venant même s’il allait avoir lieu un jour. de personnes placées à des postes clés et L’une des caractéristiques communes aux qu’il est lui-même fort occupé, Castro en pays dirigés par un seul homme est l’abest venu à garder de plus en plus jalousesence de canaux « officiels » pour avoir ment les canaux conduisant jusqu’à lui. — 34 —
Le seul moyen sûr de contacter Castro pendant mon séjour à Cuba consistait à passer soit par René Vallejo, son aide de camp, soit par Celia Sánchez, sa secrétaire. Ce sont deux vieux camarades de l’époque de la guérilla en lesquels il a une confiance absolue et qui sont à la fois son bras droit et son bras gauche et ses plus proches amis. Vallejo, talentueux chirurgien, est aussi le médecin personnel de Castro, tandis que Celia compte parmi ses multiples attributions celle de gouvernante de Fidel. Les tâches imposées par une concentration excessive du pouvoir sont si prenantes qu’ils sont en mouvement toute la journée pour veiller personnellement, pour le compte de Castro, à une multitude de détails qui, dans une atmosphère propice à plus de confiance, pourraient être aisément – et en grande partie – délégués à d’autres. Mais le chaos et l’insécurité sont tels au
« Puisque nous n’aimons pas Castro, nous fermons les yeux et nous nous bouchons les oreilles. Pourtant, s’il est vraiment notre ennemi, s’il est aussi dangereux pour nous qu’on nous le dit, il me semble que nous devrions nous informer autant que possible à son sujet. Et si ce n’est pas le cas, alors nous devrions le savoir. Que l’on soit d’accord ou non avec ses idées, la meilleure façon de tenter de comprendre un homme est d’écouter ce qu’il a à dire. » —Lee Lockwood sein de l’administration cubaine soumise à Vallejo, que j’avais rencontré lors de précéde perpétuels changements que la plupart dents séjours à Cuba. Avec lui, j’avais réglé des fonctionnaires, tout comme le grand les détails de mon voyage par téléphone et public, doivent passer par Celia ou Vallejo par courrier depuis New York. Avant mon pour contacter Castro, parfois même pour départ, il m’avait assuré que j’aurais un les requêtes les plus insignifiantes. Ainsi, le entretien avec Fidel Castro – pas une interresponsable de l’information du ministère view de type « presse », mais une conversades Relations étrangères, Ramiro del Río, tion plus longue et plus informelle s’étenun homme intelligent et compétent qui dant sur au moins deux ou trois jours, aurait normalement dû servir d’intermécomme je l’avais spécifiquement demandé. diaire entre moi et Castro, était totalement Peu après mon arrivée, lors d’un déjeuner incapable d’obconvivial à son tenir la domicile, Val« Qui plus est, du fait que le moindre inforavait de régime a été perturbé par des lejo mation sur nouveau défections et des trahisons l’état d’avanceconfirmé l’enment de ma thousiasme de venant de personnes placées demande d’enCastro pour à des postes clés. Castro en tretien. Malgré cette idée. ma frustration, est venu à garder de plus en « Dans il me vint souquelques jours plus jalousement les canaux dain à l’esprit à peine », avaitque des milil promis, conduisant jusqu’à lui. » liers de « vous serez Cubains étaient sans doute confrontés aux avec Fidel et vous aurez autant de temps mêmes difficultés, puisqu’il était imposque vous le voudrez ». sible d’obtenir satisfaction des échelons Depuis lors, j’avais effectué deux excurinférieurs du pouvoir et tout aussi difficile sions avec Fidel et eu une demi-douzaine de communiquer avec le Líder Máximo. d’autres occasions de lui parler. À chaque Mon contact personnel était le comandante fois, pour une raison ou une autre, il n’avait
pas pu commencer l’entretien et à chaque fois, il m’avait promis qu’il me verrait très bientôt, après quoi il pouvait s’écouler des semaines sans que rien ne se passe. J’appelais fréquemment Vallejo ; il m’assurait toujours, sur le même ton joyeux et enthousiaste : « C’est pour bientôt. Soyez prêt. » Et ensuite, à chaque fois, le silence.
À la mi-juillet, Vallejo ne répondait même plus au téléphone quand je l’appelais (par embarras de ne pouvoir me donner une réponse claire et nette, comme je l’appris par la suite). Il n’était pas difficile de trouver des raisons à l’apparente réticence de Castro à me parler. Il y avait des circonstances atténuantes. Une semaine avant mon arrivée, les États- Unis avaient envoyé des troupes en République dominicaine, à cent cinquante kilomètres des côtes cubaines. Cette « agression yankee » Page ci-contre : « Une conversation avec Castro est une expérience extraordinaire, mais aussi extrêmement déroutante tant qu’on n’y est pas habitué. » Ci-dessus : « Lors d’une partie récente dans la province d’Oriente, Fidel lance la balle à Raúl, qui attrapera deux frappes. L’équipe de Fidel perdra, quoique ce dernier ait réclamé et obtenu deux prolongations pour essayer de revenir au score. » Ci-contre : Lockwood sur le terrain de baseball avec Castro, 1964. — 35 —
réveilla les souvenirs de la baie des Cochons et suscita l’inquiétude et l’amertume des Cubains. Lorsque j’arrivai, l’île était officiellement en état d’alerte. Deux semaines plus tard, les États-Unis se mirent subitement à bombarder le NordVietnam, république sœur de Cuba, pour laquelle Castro et la plupart des Cubains éprouvent une solidarité militante qui prend une tournure étonnamment personnelle compte tenu de la distance qui sépare les deux pays. Dès lors, la diabolisation des États-Unis par les dirigeants et la presse de
« Quand enfin, Castro consacra une partie de son discours à une tirade contre les “comptes rendus mensongers et cyniques” des correspondants permanents des agences AP et UPI, les traitant de “laquais de la presse yankee”, j’abandonnai tout espoir. » Cuba, déjà particulièrement intense, devint encore plus virulente. Quand enfin, par un après-midi torride, lors des cérémonies du 26 Juillet à Santa Clara, Castro consacra une partie de son discours à une tirade contre les « comptes rendus mensongers et cyniques » des correspondants permanents des agences AP et UPI, les traitant de « laquais de la presse yankee », j’abandonnai tout espoir. Dans une telle atmosphère, Castro ne serait
guère d’humeur à entamer un long entretien avec un journaliste américain. Dès mon retour à La Havane, j’entrepris de régler mes affaires et réservai un siège pour le lundi suivant à bord du vol hebdomadaire reliant Cuba aux Bermudes. Le vendredi avant la date prévue pour mon départ, je me rendis au cinéma. En sortant, je rejoignis quelques amis à El Carmelo, un restaurant chic en plein air dont les glaces, autrefois réputées, ont miraculeusement survécu à la révolution. Vers minuit, je repris à pied le chemin de l’Hotel Nacional, situé à environ un kilomètre et demi. La nuit était chaude et étouffante. En descendant la 21e Rue, je m’arrêtai un moment pour éponger la sueur de mon visage et me rendis soudain compte que deux grands yeux me regardaient attentivement dans l’obscurité. C’était un soldat noir, à la peau très foncée, que je reconnus comme étant
l’un des gardes du corps de Castro. Il était posté au coin de la rue, avec un pistolet automatique dans le dos. De l’autre côté de la rue se trouvait l’Hôtel Capri. Dans l’allée
« Des gardes du corps se prélassaient contre les voitures et à l’entrée de l’hôtel en fumant, en riant et en reluquant les filles qui passaient. Leur présence était la preuve que Castro se trouvait quelque part dans l’hôtel. » de l’hôtel, je vis la flotte de vieilles Oldsmobile de Fidel qui luisait à la lueur des néons. D’autres gardes du corps se prélassaient contre les voitures et à l’entrée de l’hôtel en fumant, en riant et en reluquant les filles qui passaient. Leur présence était la preuve que Castro se trouvait quelque part dans l’hôtel et leur attitude détendue indiquait qu’il n’était pas près d’en ressortir de sitôt. Mon propre hôtel n’était qu’à deux pâtés de maisons de là. Je décidai d’effectuer une dernière tentative pour obtenir Page ci-contre : Castro faisant de la culture physique à l’île des Pins, 1965. Ci-contre : Sur la plage de Varadero près de La Havane, 1964. En haut : « En mai 1966, je suis retourné à Cuba et j’ai passé trois jours avec Castro dans une retraite des montagnes de l’Oriente, où il a lu avec attention l’intégralité du manuscrit. Il y a apporté un certain nombre de corrections, pour la plupart de légères reformulations destinées à en améliorer la clarté ou de petites rectifications factuelles. Enfin, il s’est déclaré satisfait du résultat. »
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« Vous pouvez séjourner chez moi, mais vous ne serez qu’un invité parmi d’autres et vous devrez vivre comme tout le monde. Vous pourrez venir à la pêche ou à la chasse avec nous, prendre des photos si vous le souhaitez. Mais je ne veux ressentir aucune pression. » —Fidel Castro
Castro avec Celia Sánchez, sa secrétaire, sous la véranda à l’île des Pins, 1965.
un entretien. Je regagnai ma chambre et écrivit rapidement une lettre à l’intention de Castro. Je lui rappelai ses nombreuses promesses d’interview et la longue attente à laquelle j’avais été soumis. J’alléguai qu’il allait laisser échapper une occasion unique de communiquer directement avec le public américain, démarche dont les avantages à long terme devaient largement com-
« J’ajoutai qu’il avait la réputation d’être un homme de parole et émis l’espoir qu’il tînt sa promesse envers moi. » penser la rancœur qu’il pouvait actuellement éprouver à l’égard de la politique étrangère des États-Unis. J’ajoutai qu’il avait la réputation d’être un homme de parole et émis l’espoir qu’il tînt sa promesse envers moi. À mon retour à l’Hôtel Capri, les gardes du corps étaient toujours là. J’entamai la conversation avec l’un d’eux, qui m’informa Ci-contre : Discussion avec des travailleurs, 1965. En haut : « ¡Ay!, Fidel, comme tu as grossi ! » lance une femme à Castro, 1965. En bas : « Nous soutenons Fidel », 26 juillet, place de la Révolution, La Havane, 1959.
que Fidel rencontrait une délégation commerciale venue d’Espagne qui séjournait dans cet hôtel. Plus d’une heure s’écoula. Enfin, peu après 2 heures du matin, il y eut une agitation soudaine, les gardes écrasèrent leur cigarette et regagnèrent leur poste, et Castro poussa énergiquement la porte vitrée du hall de l’hôtel, précédé et suivi par d’autres gardes en vert qui sui-
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vaient comme des particules la trajectoire menant aux automobiles. À deux pas derrière lui se trouvait Vallejo. Je l’appelai et lui tendis la lettre. « Très bien, dit-il, je vais tout de suite la lire à Fidel dans la voiture ! » Il se précipita pour rattraper le véhicule de Castro qui s’éloignait déjà vers la sortie et bondit par la portière arrière restée ouverte.
Le lendemain matin à 8 heures, je fus bissant et s’arrêta devant moi dans un crisréveillé par un coup de téléphone de Valsement de pneus. Toujours aussi revêche, lejo, qui semblait tout excité. « Fidel a Gonzales, le commandant adjoint des beaucoup aimé votre lettre ! Ne bougez gardes du corps, me fit signe sans un mot de pas ! Une voiture va venir vous chercher à m’asseoir à l’arrière. En jonglant avec mes partir de midi ! » Deux semaines et six appareils photo, mon magnétophone et ajournemon sac à « D’un côté, la culasse d’une ments plus dos, je m’instard, je me tallai entre mitraillette me labourait les côtes ; trouvais deux soldats de l’autre, un volumineux pistolet à la mine sous le portique de sévère qui s’enfonçait dans mes reins. La l’Hotel ne prêtèrent voiture se dirigea à toute vitesse aucune Nacional avec mon attention vers Nuevo Vedado. » matériel un aux efforts dimanche à 13 heures précises lorsqu’une que je fis pour me glisser dans cet espace Oldsmobile chargée de gardes franchit étroit. D’un côté, la culasse d’une mitraildélicatement le ralentisseur à l’entrée de lette me labourait les côtes ; de l’autre, un l’hôtel, parcourut la longue allée en vromvolumineux pistolet s’enfonçait dans mes reins. J’avais les genoux sous le menton, coincés par l’épaisse sangle de cuir tendue à l’arrière du siège avant, qui était bourrée de mitraillettes, de pistolets, de chargeurs, de grenades et d’une grande quantité de munitions. La voiture descendit en trombe jusqu’au Malecón, la route pittoresque qui borde le port de La Havane et se dirigea à toute vitesse vers la maison de Vallejo, à Nuevo Vedado. Le silence qui régnait dans le véhicule n’était rompu que par les instructions grommelées par Gonzales au chauffeur : « ¡Doble aqui… A la izquierda… No, por allí, por allí! » Au bout d’une quinzaine de minutes, la voiture tourna dans une rue isolée et s’arrêta dans l’allée située sous la maison de Vallejo, une villa moderne à deux niveaux. L’allée était déjà remplie d’Oldsmobile garées de manière à pouvoir en ressortir rapidement. Les gardes ouvrirent brutalement les portières, sautèrent du véhicule comme des parachutistes et se dirigèrent vers la maison. « Dois-je venir avec vous ? » demandai-je à Gonzales. « Restez ici, ne bougez pas ! » me cria-t-il par-dessus son épaule. Quelques instants plus tard, la porte de la maison voisine de celle de Vallejo s’ouvrit et Castro sortit sous la véranda avec un long cigare fauve dans une main et un briquet en or dans l’autre. Il huma l’air et contempla le ciel changeant. Alors qu’il s’apprêtait à allumer son cigare, un gros chien gris anthracite sortit de la maison Ci-contre : Jeune Suédoise à la célébration du 10e anniversaire de la révolution cubaine, 8 janvier 1969. En haut : La population se rassemble dans les rues de La Havane, brandissant fièrement ses drapeaux, alors que les forces rebelles marchent sur la ville le 2 janvier 1959. Page ci-contre : Santiago de Cuba, le 26 juillet 1964. — 42 —
« Ce fut une période fabuleuse. Pendant un temps, même les plus pessimistes mirent en sourdine leur cynisme si caractéristique du 20e siècle et virent en Fidel Castro l’incarnation d’un héros légendaire entouré d’une aura de magie, un Parsifal barbu ayant miraculeusement libéré un peuple en détresse. »
dressé ! Je l’ai eu petit et je l’ai élevé moimême. Je crois qu’il fera un bon chien de garde, non ? Au pied, Guardián ! » ordonnat-il d’un ton sec. Le chien n’y prêta aucune attention. « Au pied ! Au pied ! » Mais Guardián ne fit que redoubler d’efforts pour ten-
« Quelques instants plus tard, Castro sortit sous la véranda avec un long cigare fauve dans une main et un briquet en or dans l’autre. Il huma l’air et contempla le ciel changeant. »
comme une flèche et se précipita contre ses mollets avec tant de force que Castro fut projeté en arrière, lâcha le briquet et faillit tomber de tout son long. Le chien, un jeune berger allemand, fit le tour de la pelouse en batifolant, puis revint vers Castro en haletant et en agitant la queue. Une fois remis de sa surprise, Fidel rit et lui tapota les flancs en lui parlant d’un ton affectueux. Je sortis de la voiture. Castro me vit, ramassa son briquet et descendit les
marches. Tandis que nous nous serrions la main, nous fûmes bousculés par le chien, qui se dressa sur ses pattes arrière et posa ses pattes de devant sur les épaules du jefe en gémissant d’excitation. L’animal entreprit de danser le menuet avec Castro, qui trébucha en riant et le repoussa tandis qu’il essayait de lui lécher la barbe. « Il s’appelle Guardián », s’exclama Fidel avec fierté en esquivant un nouvel assaut de la bête. « Il n’est pas encore très bien
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ter de l’embrasser. « Venez », finit par me dire Castro en abandonnant la partie. « Je ne dois pas rester dehors ici. C’est trop exposé. Allons dans la voiture. » En haut : Des habitants de Santiago de Cuba font visiter la ville à des délégués vietnamiens venus participer à la conférence de l’OLAS (Organisation latino-américaine de solidarité), 1967. En bas : Scène de rue à La Havane, 1959. Page ci-contre : Art urbain, Santiago de Cuba, 1969. L’image du révolutionnaire Che Guevara a continué de résonner auprès des Cubains, y compris des années après son départ de Cuba et son assassinat.
Nous montâmes – tous les trois – à l’arrière rée pour parler, aussi tard que vous le soude l’auto de Fidel. Le chien occupait la moi- haiterez, et nous aurons peut-être un peu tié du siège et s’agitait nerveusement, oblide temps demain matin s’il reste des quesgeant le Premier ministre à se blottir tions. Nous avons un avion prêt à vous contre moi. Nos cuisses et nos épaules ramener à La Havane demain pour que étaient si étroivous puissiez tement serrées « Je doute que quiconque était avoir votre vol. » que nous ne Je le remerciai présent à Cuba à l’époque pouvions nous en ajoutant : oublie jamais l’atmosphère tourner et « Mais je ne crois d’exaltation et d’espoir qui étions obligés vraiment pas de nous parler qu’une nuit sufimprégna l’île pendant les en regardant fira. Je pense premiers jours qui suivirent droit devant qu’il nous faudra la prise de pouvoir par les nous. deux ou trois forces révolutionnaires. » « Je voudrais jours. Alors, si m’excuser », vous restez déclara Castro d’un ton solennel. « Je suis quelque temps sur l’île des Pins et si ma vraiment désolé de tout le retard accumulé présence ne vous dérange pas, je pourrais avant notre rencontre. Nous avons eu de repousser mon départ d’une semaine, nombreux problèmes. Ces derniers temps, maintenant que nous avons enfin pu nous j’ai dû rencontrer tant de délégations rencontrer, et nous pourrions discuter venues pour le 26 Juillet… Et puis il y a eu chaque fois que vous en aurez le temps. » la situation internationale… Votre lettre Castro fit la moue et fronça les sourcils. était excellente, vraiment excellente. J’ai « Très bien. Mais vous devez comprendre repensé à vous, au genre de personne que que j’y vais principalement pour me vous êtes, et j’ai décidé d’avoir cet entretien, détendre. Je veux aller à la chasse et à la non pour moi-même, mais pour vous, parce pêche. J’ai également une grosse pile de que vous essayez de faire un travail honlivres à lire. Mais je n’ai aucune objection si, nête… Nous allons donc nous rendre sur quand j’ai une heure avant le petit déjeuner, l’île des Pins, où j’espère pouvoir prendre ou parfois le soir… Cependant, vous devez un peu de repos. Nous aurons toute la soiconclure un pacte avec moi. Vous pouvez — 45 —
séjourner chez moi, mais vous ne serez qu’un invité parmi d’autres et vous devrez vivre comme tout le monde. Vous pourrez venir à la pêche ou à la chasse avec nous, prendre des photos si vous le souhaitez. Mais je ne veux ressentir aucune pression… Quand je vous regarde, je ne dois pas sentir une pression et me dire, “Mince, il attend son entretien”. Êtes-vous d’accord ? » « Bien sûr, répondis-je. En réalité, je préfère que ce soit comme ça. »
Lee Lockwood. Le Cuba de Castro. Un journaliste américain raconte de l’intérieur. 1959–1969 Relié, 25,5 x 34 cm, 368 pages 49,99 €
De Woodstock à Forest Hills
Cette année-là, Bob Dylan réalisa deux de ses plus grands albums, se convertit à l’électrique et bouleversa à jamais la musique et son industrie. Plus proche de l’artiste qu’aucun autre photographe, l’objectif de Daniel Kramer a tout saisi.
« Il est en mouvement perpétuel, toujours fascinant, inspirant et merveilleusement exaspérant. Il demeure éternellement ce jeune homme qui ne pouvait rester en place pour un portrait, l’homme qui ne fait pas ce qu’on attend de lui, mais ce qui lui semble juste pour lui. » Café O’Henry, Greenwich Village, New York, avril 1965.
Le big bang de Bob Par Daniel Kramer
Quand le photographe Daniel Kramer rencontre Bob Dylan pour la première fois, le jeune chanteur de 23 ans est encore un illustre inconnu. Durant leur première entrevue à Woodstock, Dylan apparaît nerveux et mal à l’aise devant l’objectif. Mais tout change au cours de l’année. Entre les interprétations du chanteur aux côtés de Joan Baez et sa célèbre conversion aux sonorités électriques, Kramer assiste à la métamorphose d’un gamin décontracté dans les allées de Woodstock en poète phare d’une génération. De 1964 à 1965, Kramer suit de près Bob Dylan en tournée, sur scène et dans les coulisses, lui permettant ainsi de rapporter l’une des collections d’images les plus fascinantes jamais prises d’un artiste.
Tout a commencé en février 1964 lorsque je suis tombé par hasard sur un jeune artiste invité à chanter dans l’émission télévisée de variétés The Steve Allen Show. C’est là que j’ai vu Bob Dylan pour la première fois et c’est ainsi que débute notre histoire. Il était seul sous les projecteurs avec sa guitare. Sa voix et l’énergie de sa musique ont immédiatement capté mon attention. Puis j’ai écouté ses paroles. Sa chanson parlait de la justice corrompue : une serveuse d’âge mûr avait été tuée gratuitement par un client riche et influent lors d’une soirée arrosée dans le bar d’un hôtel de Baltimore. « The Lonesome Death of Hattie Carroll » s’inspire de ce fait divers et se termine par la description du verdict scandaleux : six mois de prison seulement pour le meurtrier ! C’était de la poésie, aussi belle que tout ce que j’avais lu
jusqu’alors, et je trouvais qu’il avait beaucoup de cran pour aborder ce thème dans une émission grand public très suivie. Il s’interrompait de chanter de temps en temps pour jouer de l’harmonica qu’il portait autour du cou. J’étais entièrement absorbé, même si sa voix seule aurait suffi à capter mon attention. Elle possédait un timbre que j’avais toujours aimé. Elle me rappelait une voix des montagnes, usée par le temps, burinée et anguleuse, comme rouillée à force d’être restée sous la pluie. Je lui trouvais de l’authenticité. J’ignorais alors que M. Dylan était un chanteur aux multiples voix. Après cette émission, sa prestation continua de me poursuivre. J’étais fasciné par la manière dont il était parvenu à faire passer son message avec des outils simples et basiques. En outre, son propos sur la corruption de la justice était très courageux. Je sentis là un grand talent et j’eus envie de le fixer sur la pellicule. Je cherchai le nom de l’agence qui s’occupait de Bob Dylan et l’appelai. Naturellement, on me répondit que M. Dylan n’était pas disponible. Je ne me décourageai pas et continuai d’appeler. Chaque fois, c’était non. Un jour, au bout de plusieurs mois de tentatives, je passai un coup de fil en dehors des heures de bureau. Coup de chance, Albert Grossman, l’agent de Bob Dylan, décrocha. À ce stade, il connaissait déjà la raison de mon appel. Je la lui rappelai néanmoins, précisant que je n’avais besoin que d’une heure pour réaliser le portrait de son client, et le convainquis que j’étais un photographe professionnel, sérieux, raisonnable et reconnu. Je tombai des nues lorsqu’il accepta presque sur-lechamp. « D’accord, venez à Woodstock mardi prochain. Vous aurez une heure. Appelez ma secrétaire pour les détails. » L’affaire était dans le sac ! Le jour J, je parcourus les deux Ci-contre : « Au cours de l’année où je le photographiai, sa musique et son aspect changèrent radicalement. » Paul Sargent Men’s Store, Greenwich Village, avril 1965. Page ci-contre : « À cette époque, mon travail était surtout axé sur la création de portraits avec un décor et un éclairage particuliers qui me permettaient de raconter une histoire. Je contrôlais la situation. Cette fois, avec Dylan, j’étais convié à un jeu du chat et de la souris. » Dans le studio de Daniel Kramer, New York, janvier 1965.
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« Il était clair que c’était un homme qui imposait ses propres conditions et refusait d’être manipulé. Il savait ce qu’il voulait et comment l’obtenir. »
« Je voulais montrer que Bob Dylan, avant d’être un chanteur folk, était un prince de la musique. »
heures de route jusqu’à Woodstock, dans l’État de New York. Juste à la sortie de la ville, un chemin sans nom qui quitte la route principale nous mena à la vaste demeure d’Albert Grossman cachée derrière les arbres. Un panneau cloué sur un tronc avertissait le visiteur : « SI VOUS N’AVEZ PAS TÉLÉPHONÉ AVANT, VOUS ÊTES EN INFRACTION ! » Dylan passait beaucoup de temps ici quand il n’était pas en ville ou en tournée. Plus qu’un refuge, la propriété était un havre de paix. Il y avait une piscine derrière la maison et deux bâtiments plus petits faisant office de garage et de chambre d’amis. C’était un beau matin calme d’août. À mon arrivée, Dylan était absent. J’attendis au bord de la piscine, puis une moto surgit dans l’allée en vrombissant avant de disparaître Page ci-contre : « Dylan est constamment en mouvement, toujours à la recherche de nouvelles idées. Quand il en trouve, il les tord dans tous les sens pour leur donner une forme qui n’appartient qu’à lui-même. » La maison d’Albert Grossman, Woodstock, New York, 27 août 1964. En haut : « Dylan voulait que les images reflètent ses vraies occupations et non ce que nous aurions convenu pour l’occasion. » Café Espresso Bernard, Woodstock, New York, 27 août 1964. Ci-dessous : « Le jour J, je parcourus les deux heures de route jusqu’à Woodstock, à la demeure d’Albert Grossman. Je le trouvai assis dans la cuisine en train de lire un journal. Il le feuilletait en faisant comme si je n’existais pas. » Woodstock, New York, 27 août 1964.
dans le garage. Quelques instants plus tard, je vis venir vers moi un jeune homme mince et dégingandé, affublé d’un jean, de bottes et d’une chemise de travail froissée. Des boucles de cheveux débordaient de son casque. Son teint pâle et son corps frêle le faisaient paraître plus jeune que ses vingttrois ans. Je fus surpris par la douceur de sa poignée de main. (ll paraissait plus costaud sur scène.) Je compris plus tard que c’était sa manière d’être poli et de ne pas trop se dévoiler dès la première rencontre. Je lui expli-
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quai que je voulais faire son portrait et que cela ne lui prendrait pas beaucoup de temps. Il m’invita à prendre les photos que je voulais et s’éclipsa dans la maison. Quand je le rejoignis quelques minutes plus tard, je le trouvai assis dans la cuisine en train de lire un journal. Il le feuilletait en faisant comme si je n’existais pas. Le ton était donné. Apparemment, il ne comptait rien faire. Ce n’était pas qu’il refusait de coopérer. À sa manière, il m’aidait. Il m’autorisait à rester en sa présence, à le photographier et à choisir
Hills, mais, pour autant que je sache, en janvier 1965 dans le studio A de Columbia Records à New York alors qu’il enregistrait Bringing It All Back Home. Une face du disque était acoustique, l’autre à la guitare électrique avec un groupe. Le disque apparut dans les bacs le 22 mars 1965 et, à la fin de juillet de cette même année, avec la sortie de Like a Rolling Stone, six minutes de poésie austère et lyrique perdues au beau milieu de chansons d’amour de trois minutes. Dylan changea la manière dont les singles pouvaient passer et passeraient à la radio. Avec Bob, tout devenait plus grand. Au début, je n’imaginais pas que mes photos incluraient d’autres artistes : Joan Baez, Allen Ginsberg, Peter Yarrow, Odetta, Johnny Cash, Les Crane, Albert et Sally Grossman ; ni qu’après le désormais légendaire concert de Forest Hills, je cacherais Bob sous une couverture dans un break Ford bleu pour le protéger des fans en folie tandis que son road manager Victor Maymudes avancerait la voiture centimètre par centimètre à travers la foule. Il y eut en tout trente séances de photo, à commencer par celle de Woodstock. J’ai assisté à de nombreux concerts de Dylan et réécouté un grand nombre de ses chansons, et je peux affirmer
mes propres images tant qu’elles avaient un rapport avec l’événement en train de se dérouler. Quelques heures plus tard, en rentrant à New York, je réfléchis à ces moments passés avec Bob Dylan. Ils révélaient une partie essentielle de sa personnalité. Il était clair que c’était un homme qui imposait ses propres conditions et refusait d’être manipulé. Il savait ce qu’il voulait et comment l’obtenir. Plus tard, j’ai retrouvé ce trait de caractère quand il enregistrait ou se produisait sur scène. Quand j’ai commencé à travailler avec Bob Dylan, je ne pensais pas que notre relation durerait aussi longtemps. J’ignorais que je le photographierais longuement pendant plus d’un an, que j’aurais l’occasion de documenter de nombreux aspects de sa vie profes-
sionnelle, que je réaliserais trois importantes couvertures d’album et bien plus encore. Au cours de l’année où je le photographiai, sa musique et son aspect changèrent radicalement. L’artiste seul sur scène avec sa guitare et son harmonica devint le leader d’un groupe, nécessitant des camions entiers d’équipement (comme pour son concert désormais célèbre à Forest Hills en 1965). Il passa également à la guitare électrique, non pas au Newport Folk Festival ni à Forrest
Ci-dessus : « La pochette de Bringing It All Back Home est sans doute la photo de Bob Dylan qui m’a valu le plus de questionnements. Après avoir assisté aux séances d’enregistrement, je savais que je devais donc documenter ce changement de cap tout en présentant le nouveau Bob Dylan. » La maison d’Albert Grossman, Woodstock, janvier 1965. Ci-contre : « Le voyage, les désagréments, l’attente, le temps et l’énergie dépensés étaient tendus vers un seul objectif : le concert. Cela créait une atmosphère d’urgence, donnant l’impression qu’il aurait à peine assez de temps pour dire tout ce qu’il avait à dire. » En route vers un concert à Town Hall, Philadelphia, Pennsylvania, 10 octobre 1964. — 52 —
Page ci-contre : « Dylan travaillait sur un livre qui s’intitulerait Tarantula et voulait une photo pour la couverture. L’idée de les photographier devant le vieil abri derrière la maison lui plut. En un rien de temps, nous nous amusâmes à sortir des vieilleries de la maison et à les placer devant l’abri. La photo a connu son succès même si elle n’a pas fait la couverture de Tarantula. » Woodstock, 14 mars 1965. Pages suivantes : « D’emblée, il fut clair que les séances d’enregistrement déboucheraient sur quelque chose de magique. Lors de l’avantdernière session, Dylan enregistra Tambourine Man, It’s Alright, Ma et Gates of Eden à la suite sans écouter le play-back. » Columbia Records, Studio A, New York, 13 au 15 janvier 1965.
qu’il savait leur insuffler à chaque fois une nouvelle vie. J’avais parfois l’impression de voir et d’entendre un tout nouveau Bob Dylan. Je voyais également un tout nouveau moi, car je devais me réinventer, passant de photographe de studio à photographe capable de photographier n’importe quoi n’importe où, d’ajuster constamment ses réglages et de changer ses pellicules dans des salles de concert obscures. À l’époque, l’automatisation était rare et je travaillais essentiellement avec des objectifs de 35 mm. Pas d’autofocus, pas de rembobinage automatique et, surtout, pas d’exposition automatique. Autre petit détail : je dus apprendre à photographier quand la musique ou la voix de Dylan couvraient le bruit du déclencheur et non quand il y avait une pause ou qu’il reprenait son souffle. Dans une salle silencieuse ou un studio d’enregistrement conçu pour amplifier et porter tous les sons, mon déclencheur résonnait comme un coup de marteau. J’eus la chance de photographier Bob Dylan durant cette année phare où il sortit deux de ses plus grands albums et transforma la musique et l’industrie du disque. Il passa ainsi du statut de jeune homme déterminé à celui d’artiste émérite.
Ci-contre : « Joan apportait de la crédibilité à Bob, car elle était la reine. » Newark Airport, New Jersey, 11 novembre 1964. Page ci-contre : « J’ai assisté à de nombreux concerts de Dylan et réécouté un grand nombre de ses chansons, et je peux affirmer qu’il savait leur insuffler à chaque fois une nouvelle vie. » Philharmonic Hall, Lincoln Center, New York City, 31 octobre 1964.
Édition limitée à un total de 1 965 exemplaires numérotés, signés par Daniel Kramer
« Délicieux… avec son impression typographique vintage… » —vanityfair.com XXL
ÉDITION D’ART Tirage gélatino-argentique noir et blanc sur papier archive à base de fibres, 30 x 40 cm NOS 1 À 100: Bob Dylan with Dark Glasses, NYC (page ci-contre) NOS 101 À 200: Columbia Records, Studio A (pages 54–55). 1 250 € chacun
ÉDITION COLLECTOR
NOS 201 À 1 965. 500 €
Relié sous coffret de luxe et imprimé sur deux types de papier, ouvertures de chapitre imprimées par procédé typographique avec photographies encartées, trois pages dépliantes, 31,2 x 44 cm, 288 pages — 57 —
Sous Sous les flashs du studio de Lawrence Schiller sur Sunset Boulevard, le photographe shoote le « joyeux luron » Paul Foster (au centre), ses compagnons et les membres de Grateful Dead pour le reportage publié en une de Life le 25 mars 1966.
Le récit culte du voyage de
Tom Wolfe
acide
dans les vapeurs de la contreculture psychédélique des années 1960, publié en impression typographique en relief avec des documents d’époque et des photographies de Lawrence Schiller et Ted Streshinsky
In full freaking day-glo Le grand trip de Tom Wolfe jusqu’à San Francisco, dans le bus des Merry Pranksters
Bonne idée, Cool Breeze. Cool Breeze, c’est le gamin avec une barbe de trois ou quatre jours assis près de moi sur le métal étampé qui tapisse l’arrière découvert d’une camionnette. Laquelle n’arrête pas de cahoter. De plonger et de remonter et de se balancer comme un bateau sur ses ressorts pourris. Derrière la camionnette, la ville de San Francisco dégringole la colline ; toutes les chicanes de ces fenêtres sur la baie, à n’en plus finir, ces taudis avec vue, cahotent et déferlent le long de la colline. L’un après l’autre, les panneaux publicitaires s’allument sur eux, ornés de verres de Martini au néon, symboles des bars de la ville – des milliers de verres de Martini magenta-néon plongeant et déferlant de la colline et, en dessous, des centaines, des milliers de gens manœuvrant
pour voir ce phénomène, ce camion cinglé dans lequel nous sommes; leur blanc visages surgissent des revers de leur veste comme de la guimauve – ils déferlent et cahotent le long de la colline – et Dieu sait qu’ils en ont pour leur argent. C’est pourquoi ça me semble drôle lorsque la voix de Cool Breeze, fort sérieusement, couvre le rugissement de l’engin : – Je n’sais pas quand Kesey sortira, je n’sais pas si j’pourrai venir à l’Entrepôt. – Pourquoi pas ? – Ben, c’est qu’les flics vont s’ramener comme à la foire, et j’suis sous caution, alors j’sais pas. Bon, t’as de l’idée, Cool Breeze. Réveille pas les cognes. Fais le mort – comme à l’instant. Cool Breeze, pour l’instant, a tellement peur de la police qu’il s’est redressé pour bien faire admirer par des milliers de citoyens déjà assez ébahis son espèce de chapeau de gnome, couvert de plumes et
de couleurs fluorescentes, digne de la ForêtNoire des Sept Nains. Kesey va sortir de prison ! Et le camion roule et tangue dans ses feux d’argent rouge et sa gloire d’apocalypse, et je doute sérieusement, Cool Breeze, qu’il y ait aujourd’hui un seul flic, dans tout San Francisco, qui ne sache que cet incroyable véhicule transporte une patrouille de guérilleros du redoutable LSD. Les flics connaissent la musique, maintenant, tout, jusqu’aux tenues, les tresses de cheveux à la JésusChrist, les perles indiennes, les serretête indiens, les grains d’orge, les clochettes de temple, les amulettes, les mandalas, les yeux magiques, les vestes fluorescentes, les cornes de licorne, les chemises en hommage à Errol Flynn – mais ils ne connaissent pas encore les chaussures. Les pires sont d’un noir luisant, avec des lacets. La hiérarchie part de là, quoique pratique-
« Les flics connaissent la musique, maintenant, tout, jusqu’aux tenues, les tresses de cheveux à la Jésus-Christ, les perles indiennes, les serre-tête indiens, les grains d’orge, les clochettes de temple… »
Ci-dessus : Tom Wolfe avec Jerry Garcia et Rock Scully, manager de Grateful Dead, à l’angle de Haight et Ashbury. San Francisco, 1966. Photo de Ted Streshinsky. Ci-contre : Ted Streshinsky fait équipe avec Tom Wolfe pour raconter l’histoire de Ken Kesey et des Merry Pranksters, parue dans l’édition de 1967 du magazine New York Herald Tribune et qui a inspiré The Electric Kool-Aid Acid Test. Page ci-contre : Extrait du journal tenu par Ken Kesey pendant sa détention, 1967.
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ment toutes les chaussures noires fassent vieux jeu, et remonte jusqu’aux bottes qu’affectionnent les camés, des bottes légères, fantaisie, des bottes anglaises du genre à la mode, tout ce qu’ils peuvent dénicher, mais ça ne vaut pas des trucs dans le genre des bottes mexicaines, cousues main, avec des pointes à triple épaisseur, Caliente Dude. Alors vous voyez d’ici les chaussures à la FBI – noires, luisantes, lacées – quand le FBI a fini par épingler Kesey... Il y a une autre fille à l’arrière du camion, une
petite noiraude avec d’épais cheveux noirs. On l’appelle Black Maria. Elle a l’air mexicaine, mais elle me dit dans le plus pur et doux accent californien : – Quand est-ce qu’est ton anniversaire ? – Le 2 mars. – Poissons, dit-elle. Et puis : – Je ne t’aurais jamais pris pour un Poisson. – Pourquoi ? – Tu as l’air trop ... solide pour un Poisson. Mais je sais que c’est flegmatique qu’elle veut dire. Je commence à me sentir assez flegma-
« C’était fantastique… un festival d’amour et d’allégresse. »
tique. Et je te le dis, Marie la Noire, à New York, j’ai même la réputation d’une espèce de dur. Mais un blazer de soie bleue et une grosse cravate avec des clowns et ... une ... paire de chaussures noires, basses, je ne sais pas pourquoi, ça ne les inspire pas beaucoup, les camés de San Francisco. Dans l’intervalle, miraculeusement, les trois jeunes avocats de Kesey, Pat Hallinan, Brian Rohan et Paul Robeson, allaient obtenir la liberté sous caution de leur client. Ils avaient assuré les juges de San Mateo et de San Francisco que M. Kesey avait un projet empreint du plus pur civisme. Il était rentré de son exil dans le but exprès d’organiser une vaste réunion de camés et de hippies sur les gradins du Winterland Arena, à San Francisco, pour adjurer La Jeunesse de cesser de prendre un LSD qui était dangereux et pouvait leur mettre la cervelle en écumoire, etc. Ce serait une véritable cérémonie « de fin d’études de l’acide ». Il leur fallait « dépasser l’acide ». En même temps, six amis intimes de Kesey, dans la région de Palo Alto, avaient offert en gage leurs maisons contre les 35 000 dollars de caution que réclamait la cour du Comté de San Mateo. Je suppose que la cour s’était dit qu’elle le tenait de toute façon. Si Kesey prenait la fuite, il jouerait un si sale tour à ses amis, en leur faisant perdre leurs propriétés, qu’il en serait complètement discrédité, comme apôtre de la drogue ou de quoi que ce soit. Dans le cas contraire, il serait obligé de prononcer son discours à La Jeunesse – et ça pouvait être utile. Kesey, de toute façon, allait sortir. Ce scénario, cependant, n’était pas très bien vu à Haight-Ashbury. Je m’aperçus vite que la came était déjà si populaire, à San Francisco, que le retour de Kesey et son histoire de « dépasser l’acide » provoqueraient chez les camés leur première grande crise politique. Tous les yeux étaient tournés vers Kesey et son groupe, les Merry Pranksters. Des milliers de gosses débarquaient à San Francisco Ci-contre : prospectus pour l’Acid Test, vers 1966. Ci-dessus : Carte de membre de l’Acid Test de Ken Kesey, vers 1965. Page ci-contre : Premier photojournaliste américain à immortaliser la scène « acide » de l’intérieur, Lawrence Schiller a commencé par un premier contact à Berkeley, en Californie, puis s’est constitué un large vivier de jeunes modèles accessibles, qui l’ont autorisé à relater leurs expériences avec le LSD dans l’intimité de leur domicile. Hollywood, 1966.
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mêlé un moment à la foule. Ils ne faisaient plus qu’un, même Kesey – et le voici soudain entre les mains du FBI et autres superflics, Kesey, le nom le, plus prestigieux pour ceux de La Vie, qui leur annonce qu’il est temps de « dépasser l’acide ». Qu’est-ce que ça veut dire, merde, il est vendu, ou quoi ? C’était le début du mouvement – Arrêtez Kesey – et jusque dans le monde hip. Nous remontons vers l’Entrepôt dans ce camion cinglé et … je commence à comprendre que les Lois et les Stewart et les Marie la Noire ne sont que l’aile modérée des Merry Pranksters, celle qui réfléchit. L’Entrepôt est dans Harriet Street, entre Howard Street et Folsom Street. Comme la plupart des rues de San Francisco, Harriet Street est tout en bâtiments de bois, avec des baies vitrées peintes en blanc. Mais nous sommes dans le quartier louche de la ville et, en dépit de la peinture, on dirait que des dizaines de poivrots se sont traînés là, dans les coins sombres, et y sont morts, ont viré au noir, ont gonflé et ont explosé, en faisant gicler des torrents d’escarbilles qui se sont collées sur toutes les planches, tous les panneaux, dans toutes les fissures, tous les picots, toutes les écailles de peinture. Je parviens à distinguer un autobus scolaire ... dont les milliers d’enluminures, grandes et petites, rutilent d’oranges, de vert, de magenta, de lavande, de bleu de chlore, de tous les pastels fluorescents imaginables ; un mélange de Fernand Léger et de Dr Strange, qui jurent et se chassent comme si quelqu’un avait donné à un Jérôme Bosch cinquante seaux de DayGlo et un vieil autobus scolaire International Harvester 1939 en lui disant d’y aller. Au sol, près de l’autobus, une bannière de quatre mètres cinquante de long sur laquelle on peut lire ACID TEST GRADUATION. pour y mener une vie à base de LSD et de trucs psychédéliques. Truc était le grand mot, à Haight-Ashbury. Ça pouvait être n’importe quel truc : les ismes, les façons de vivre, les habitudes, les penchants, les causes qu’on défend, les organes sexuels ; Truc et dingue ; dingue s’appliquait aux styles et aux obsesCi-dessus : « Further », le bus multicolore des Merry Prankster resplendit devant l’entrepôt de Harriet Street après avoir été complètement repeint avant l’« Acid Test Graduation ». San Francisco, 1966. Photo de Ted Streshinsky. Ci-contre : Première édition du livre de Tom Wolfe, The Electric Kool-Aid Acid Test, paru en 1968, avec en couverture une œuvre de Milton Glaser. Page ci-contre : L’« Acid Test Graduation », pendant la nuit d’Halloween 1966, s’est tenue dans l’entrepôt et QG des Merry Prankster sur Harriet Street, dans le quartier marginal Skid Row de San Francisco. Tous les yeux sont rivés sur Ken Kesey, dont le dos est éclairé par un projecteur, alors qu’il accomplit sa plus grande extravagance : réussir le test de l’acide. Photo de Ted Streshinsky.
sions, comme dans « Stewart Brand est dingue des Indiens », ou « le zodiaque – elle en est dingue » ; ou, plus simplement, aux camés en tenue. Le mot n’était nullement négatif. Deux semaines plus tôt, les camés avaient eu leur premier grand « be-in » au Golden Gate Park, au pied de la colline qui montait vers HaightAshbury, pour célébrer ironiquement le jour où le LSD était devenu illégal en Californie. Toutes les tribus, tous les groupements communautaires étaient rassemblés. Tous les dingues vinrent jouer leur numéro, leur truc. Un camé nommé Michael Bowen ouvrit le bal. Et ils s’y mirent, par milliers, en grande tenue, à agiter des clochettes, à chanter des hymnes, à danser avec extase, à se défoncer d’une façon ou d’une autre, et, dans un geste satirique qui leur était cher, à offrir des fleurs aux flics, pour enterrer les cognes sous de tendres et juteux pétales d’amour. Et Kesey lui-même, qui était encore en fuite, s’y était aventuré et s’était — 66 —
© 1975 Éditions du Seuil, traduction par Daniel Mauroc.
Un consommateur suit son ombre juste avant de tomber. The Hollywood Acid Test, 25 fĂŠvrier 1966. Photo de Lawrence Schiller.
The Electric Kool-Aid Acid Test Édition en impression typographique en relief limité à un total de 1 968 exemplaires numérotés, signés par Tom Wolfe.
– Relié sous coffret en carton gaufré, reliure en tissu sérigraphié – Texte imprimé en relief sur papier naturel non couché avec des encres fluorescentes – Reproductions en fac-similé de pages du manuscrit de Tom Wolfe et d’autres documents d’époque – Photographies de Lawrence Schiller et Ted Streshinsky pour la plupart – Format 24 x 34 cm, 360 p. – Édition anglaise uniquement
ÉDITION D’ART
Comprenant un tirage numéroté signé par Lawrence Schiller, 22,9 x 33 cm NOS 1 À 100
Tirage gélatino-argentique noir et blanc ‘Me and My Shadow,’ 1966 (page ci-contre) NOS 101 À 200
Tirage C-print ‘Hollywood Acid Test,’ 1966 (ci-contre, à droite) 1 000 € chacun
ÉDITION COLLECTOR NOS 201 À 1 968 300 €
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Ce livre de TASCHEN s’inscrit dans une série d’ouvrages réunissant des œuvres majeures de non-fiction, accompagnées de photographies de l’âge d’or du photojournalisme. Parmi les autres titres de la série, citons Franck Sinatra Has A Cold de Gay Talese, déjà paru, The Right Stuff de Tom Wolfe et The Fire Next Time de James Baldwin (à paraître).
Like a Bad Girls Should de Akif Hakan Celebi.
LES HOMMES AIMENT LES FEMMES QUI AIMENT LES FEMMES Dian Hanson présente 125 ans de photographie fantasmée de fausses lesbiennes
J’AI EMBRASSÉ UNE FILLE (ET IL A AIMÉ ÇA) Par Dian Hanson
À New York, en 1980, toutes les femmes étaient ment admise, bien que tacite, que cela rendait bisexuelles. Tous les clubs érotiques admetles hommes complètement dingues. taient les femmes gratuitement, ou pour un Il faut imaginer ça dans les années 1970, prix symbolique – contrairement aux clients quand les féministes défendaient le droit à mâles –, afin de faciliter les parties à trois entre l’orgasme et les féministes bi considéraient toutes ces femmes potentiellement bisexuelles les relations entre filles comme une revenet les couples échangistes. C’était si moderne, dication fraternelle. Pour les filles hétéros tellement cool, même si la porte de ces mêmes des années 1970, l’expérience bisexuelle clubs restait fermée aux hommes bisexuels. représentait le pouvoir et l’aventure, un Il arrivait toutefois que ce vernis lustré de pied de nez à l’homme et à ceux qui désapsophistication sexuelle se craquelle. Je me sou- prouvaient. Sauf que nombre d’hommes ne viens des désapprouvaient pas tant hoquets de sur- « Pour les filles hétéros des que ça de telles expériprise provoqués mentations, en particuannées 1970, l’expérience par le refus de lier si cela supposait que bisexuelle représentait le la star du porno leur petite amie ramène pouvoir et l’aventure, un Seka d’avoir un une copine hétéro à la rapport sexuel pied de nez à l’homme et à maison pour une séance avec une autre rapprochement vagiceux qui désapprouvaient. » de femme au Planal poussé. D’autres to’s Retreat. hommes, souvent plus Nous étions restées bouche bée, et secrètement âgés et fermement investis dans l’asservisravies qu’une personnalité de sa stature sement de la femme au puissant phallus, sexuelle ose dire tout haut ce que beaucoup trouvaient cette rébellion bi plus alarmante. d’entre nous pensaient tout bas. Parce qu’au Ainsi Norman Mailer fut si révolté par fond, la plupart d’entre nous ne fricotaient avec l’opus de Kate Millett, Sexual Politics [La d’autres femmes que pour la raison universelle- Politique du mâle], publié en 1969, qu’il
écrivit The Prisoner of Sex [Prisonnier du sexe] en guise d’objection. En 1971 j’avais 19 ans, j’étais une jeune mariée naïve dont l’époux trouvait toute cette histoire de lesbiennes si captivante qu’il me fit masculiniser ma coupe de cheveux et ma garde-robe dans l’espoir d’une aventure bisexuelle. Je n’étais pas la seule dans ce cas. Autour de moi, des quantités de femmes ont été poussées et incitées à se tourner vers la chatte, d’abord par le féminisme, puis par leurs maris et petits amis, l’industrie émergente du porno, et même la communauté scientifique, qui se mit à considérer la bisexualité comme l’état naturel de la femme. Et puis à l’époque, il n’était question que de « naturel ». Même si nous ne ressentions pas toutes en embrassant une femme le même frisson qu’en embrassant un homme, nous ne trouvions pas non plus ce contact répugnant comme les hommes rejetaient en apparence toute intimité avec un autre homme. Les filles ne nous déclenchaient pas de haut-le-cœur, et puisqu’une femme sur trois ne parvenait à atteindre l’orgasme avec personne – un bien Ci-dessus : Magazine Lesbiana, 1968, entre attrait bi et bondage. Ci-contre : Modèles anonymes, vers 1960. Page ci-contre : Bettie Page chevauchant fièrement son adversaire vaincue dans un combat de lutte pour Irving Klaw, vers 1955.
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triste constat qui perdura au fil des décennies – beaucoup pensèrent que l’absence de nausées était suffisante. Et puis cela rendait les hommes tellement heureux ! Si heureux, et si excités, qu’ils pouvaient être manipulés à l’envi, poussés à faire quasiment n’importe quoi pour juste avoir le droit de regarder. Un pouvoir qui appelle fatalement des abus. Les années 1970 marquèrent aussi la transition entre sexploitation et porno, et le moment où les acteurs pornos devinrent des
porno-stars. Les femmes libérées comprirent rivalisaient de variété et d’originalité. Dans ce qu’il y avait de l’argent à tirer des tendances contexte débridé de débauche nocturne banavoyeuristes masculines, et que le moyen le lisée, on comprend mieux pourquoi les gens plus facile d’en obtenir était encore les scènes furent si choqués que Seka (vous vous souveentre filles, un ingrédient de base de tous les nez de Seka ?) refuse un simple cunnilingus films pornos des années 1970, de Gorge promutuel. C’était comme dire qu’on ne prenait fonde à Debbie Does Dallas. Certaines pas de poppers, ou « non merci, pas de actrices n’allèrent jamais plus loin, et bâtirent cocaïne pour moi ! ». En 1973, ce refus aurait leurs carrières et leur succès sur les taquineété considéré comme une gifle donnée à la ries lesbiennes. sororité, mais en 1980, à y repenser, c’était en « Carrière » était le mot d’ordre au début des fait un camouflet au patriarcat. années 1980, quand l’amusement des Car voilà ce qui arriva très vite aux expériannées 1970 se changea en gros sous. Les mentations lesbiennes décomplexées : les salaires grimpèrent dans le porno, tout hommes prirent les choses en main. Ils ne comme les budgets, et les actrices se virent pouvaient pas s’en empêcher ; les femmes leur imposer des normes physiques nouvelles, fournissaient enfin le fantasme ultime, et souvent aidées par la chirurgie. Les fêtes comment auraient-ils pu leur faire assez échangistes de confiance pour New York City « Autour de moi, des quantités de s’assurer qu’elles laissèrent la ne dérailleraient femmes ont été poussées à se place à des pas ? Les encoutourner vers la chatte, d’abord clubs dédiés à ragements se 50 dollars l’enpar le féminisme, puis par leurs muèrent en prestrée. Des clubs sion, et l’apprémaris et petits amis, l’industrie SM appaciation en attente. émergente du porno. » rurent aussi, Le porno joueur avec donjons et amateur devint équipés à la dernière mode et droits d’entrée conventionnel et professionnel. Les fémidodus. Le sexe était alors devenu si facile à nistes mirent fin à leurs séances de masturbatrouver, à défaut d’être gratuit, que les boîtes tion collective et commencèrent à protester
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Tout ceci demeura une discipline amateur jusqu’en 1997, quand l’entrepreneur Joe Francis acheta des vidéos montrant des filles en train d’exhiber leurs seins pendant les spring breaks. C’est ainsi que naquit Girls Gone Wild, qui inaugura un retour joyeux à l’exhibitionnisme sexuel attisé par la surconsommation d’alcool. Ce qui nous amène à
« En 2011, des chercheurs de la Boise State University déclarèrent que les femmes étaient bisexuelles par nature. » 2010, l’aube d’une décennie sympa pour les fricoteuses. Imaginez plutôt : en 2011, des chercheurs de la Boise State University – Boise dans l’Idaho, un des douze États américains qui interdise encore la sodomie – déclarèrent, comme dans les années 1970, que les femmes étaient bisexuelles par nature. Quelque 60 % des 484 sujets de l’étude affirmaient en effet être attirées sexuellement par les femmes comme par les hommes, et 45 % avaient déjà embrassé une autre fille. La professeur en psychologie Elizabeth Morgan expliquait alors : « Les femmes sont encouragées à établir des liens contre l’industrie porno, et aux alentours derdale, en Floride. Le printemps qui suivit de 1984, le sida fit son entrée macabre. Les la sortie du film, plus de 50 000 gamins jeunes hommes mourraient, les clubs éroconvergèrent vers Lauderdale ; en 1980, ils tiques fermèrent, les échangistes rentrèrent étaient 200 000. Puis vinrent les années dans le New Jersey, l’amputé au moignon bai- rabat-joie : au milieu des années 1980, la ville seur remballa son lubrifiant et les filles éleva l’âge légal pour boire de l’alcool, limita recommencèrent à embrasser des garçons. la quantité de fêtards et les hordes juvéniles La fin des années 1980 a été franchement se dispersèrent, direction South Padre pourrie, mais toutes les mauvaises choses ont Island au Texas, Panama City en Floride et une fin. Cancún, La mode des au « Les spring breakers constituèrent « trêves de Mexique. leurs propres rituels et traditions printemps », Dans ces ésotériques : shots de Jell-O, les spring refuges breaks tels que sécurisés, tatouage sur les reins, exhibition nous les collective de nichons, et parfois, au les spring connaissons, breakers début des années 1990, compétioù des étuconstitions de lesbiennes. » diants envatuèrent hissent une leurs station balnéaire pour boire, vomir, coucher propres rituels et traditions ésotériques : au hasard des rencontres, se faire faire des shots de Jell-O, ping-pong-bière et équilibre tatouages ridicules et s’évanouir en public, sur fût, tatouage sur les reins, concours de fut lancée en 1960, avec le film Where The tee-shirts mouillés et de bikinis, exhibition Boys Are [Ces Folles Filles d’Eve], sur un collective de nichons, et parfois, au début groupe d’étudiantes en vacances à Fort Laudes années 1990, compétitions de lesbiennes. Le jeu suivit une évolution natuPage ci-contre, en haut: Becky et Iris, par John relle : deux filles en quête d’attention s’emEmrys. brassaient, deux autres faisaient monter les Page ci-contre, en bas : Violet Blue et Barby enchères en se caressant les seins, deux Dary, par Ed Fox, années 1990. Ci-dessus : Anonyme, années 1970. autres simulaient un coït, et l’escalade se Ci-contre : Affiche du film House of Women, poursuivait tant que les garçons hurlaient 1962. Les femmes en prison passent toujours leur approbation. pour des bisexuelles. — 75 —
émotionnels, ce qui peut mener au développement de sentiments romantiques. » C’est apparemment ce qui arriva à un nombre croissant de célébrités. Au cours des dix der-
nières années, Christina Aguilera, Azealia Banks, Drew Barrymore, Cara Delevingne, Cameron Diaz, Fergie, Megan Fox, Lady Gaga, Amber Heard, Angelina Jolie, Miranda Kerr, Kesha, Bai Ling, Lindsay Lohan, Madonna, Demi Moore, Anna Paquin, Michelle Rodriguez, Amber Rose, Evan Rachel Wood et même Snooki et JWoww de l’émission Bienvenue à Jersey Shore ont fièrement annoncé leur bisexualité. L’industrie de la télévision a riposté avec une cohorte de prétextes à l’expression bisexuelle. La série The L Word, entre 2004 et 2009, racontait les aventures d’un groupe de copines exceptionnellement séduisantes, qui inspirèrent The Real L Word: Los Angeles en 2010, à propos d’un groupe tout aussi exceptionnel de vraies lesbiennes. La même année apparut la série canadienne Lost Girl [Baiser fatal], sur une adolescente succube bisexuelle programmée pour assouvir la soif humaine de luxure. Pour ne pas être en reste, la chaîne anglaise Channel 4 lança Bi-Curious Me en 2013, une émission de téléréalité sur trois jolies jeunes femmes parties à la découverte de l’homosexualité. Les séries à succès actuellement diffusées aux États-Unis The Good Wife, House of Lies et Orange Is The New Black suivent toutes les aventures d’héroïnes bisexuelles fortes, belles et ambitieuses, qui s’inspirent toutes plus ou moins de la pionnière de la bisexualité en prime time, Olivia Wilde, qui Page ci-contre : Extrait du livre The Sixties de Kishin Shinoyama. Ci-dessus : Hotter Beach by Night de Ján Hronský. Ci-dessous : Les éditeurs de TASCHEN sont reconnus pour le sérieux de leurs recherches. Dian Hanson, à droite, prend des notes à chaud au Plato’s Retreat West, avant-poste du Plato’s Retreat de New York ayant brièvement fonctionné à Los Angeles en 1980. Championne de lutte féminine, catégorie poids lourds.
débuta adolescente, et déjà bisexuelle, dans pulation orchestrée par les médias, les The O.C. [Newport Beach] en 2004, pour femmes adoptent aujourd’hui le paradigme ensuite endosser le rôle sulfureux et trouble bisexuel avec le même zèle que dans les de Numéro Treize dans la série dramatique années 1970 sans la politique, avec l’experDr House. Elle n’y tise des années 1980 « Les femmes adoptent fait peut-être pas sans les clubs échanun médecin très gistes, avec l’abandon aujourd’hui le paradigme crédible, mais quel des années 1990, sans bisexuel avec le même zèle homme a pu la gueule de bois. Il que dans les années 1970 remettre en quessans la politique, avec l’exper- suffit aux hommes de tion son talent taper « bisexuelle tise des années 1980 sans dans les scènes sexy » dans son les clubs échangistes, avec d’amour ? moteur de recherche l’abandon des années 1990, Oui, la télé a mijoté pour trouver de quoi sans la gueule de bois. » quelques très épancher ses fansavoureuses intetasmes de plan à trois. ractions entre filles. Les femmes bisexuelles Plan à trois qui, bien entendu, reste majorisont sempiternellement représentées tairement hors de portée, mais gardez minces, belles, intelligentes et indépendantes espoir : on ne sait pas jusqu’où toute cette – au fond des modèles idéaux pour les jeunes histoire peut nous mener, avec les encourafilles impressionnables. Grâce à la fine mani- gements des mass media.
Lesbians for Men Dian Hanson Relié, 21,2 x 30 cm, 288 pages 39,99 € — 77 —
XL Art pour tous. La gravure sur bois en couleur à Vienne vers 1900 Tobias G. Natter, Max Hollein, Klaus Albrecht Schröder Relié, 24,6 x 37,2 cm, 416 pages 49,99 €
Gravures épiques
La révolution viennoise de la gravure sur bois en couleur
Carl Anton Reichel Nu de femme, 1909, Vienne, Albertina.
« Dans un mouvement vers l’“art pour tous”, la gravure sur bois en couleur a provoqué une discussion animée sur l’accessibilité de l’art audelà des élites, ce qui a mené à une démocratisation et une popularisation du marché de l’art, et à la légitimation sociale d’un art qui englobe tous les domaines de la vie. » —Max Hollein/Klaus Albrecht Schröder
LA REDÉCOUVERTE DE LA GRAVURE SUR BOIS
Tobias G. Natter évoque la rencontre de l’artisanat et du modernisme à Vienne à l’orée du 20e siècle.
Par rapport aux autres mouvements apparus au tournant du 20e siècle, le Jugendstil ou Art nouveau viennois arriva en retard à la table du modernisme. L’Art nouveau et le Stile Floreale étaient arrivés de France et d’Italie avec leurs ornements fleuris bien avant que la capitale de l’Autriche impériale ne soit traversée par un souffle nouveau, celui portant une réforme artistique. C’est
raréfaction du langage iconographique et xylographies ornaient le catalogue, dont l’accentuation de l’expression rendirent sept tirées en noir et blanc et neuf en noir et possible un nouveau mode de représentaorange. Les contemporains parlèrent de tion répondant parfaitement à la sensibilité façon très ambiguë de « bois gravés grosmoderniste. siers », mais cet effet Au quartier général de « grossier » était pré« C’est là, au milieu la Sécession viencisément ce qui intédes majestueuses noise, l’association ressait les acquit la réputation de Sécessionnistes. La coupoles de la plaque tournante de dureté inhabituelle monarchie danubienne, du bois produisait un l’essor autant stylistique qu’artistique de nouvel art des lignes. que l’Art nouveau a la xylographie. De mars à mai 1904, atteint son zénith. » Plusieurs expositions une nouvelle exposisuccessives mirent en tion consacra une lumière ces œuvres graphiques, comme lors salle entière à la xylographie viennoise de la Cinquième exposition (fin 1899– contemporaine. début 1900), où la xylographie fut présenTout aussi importante, la revue de l’associatée comme l’« expression immédiate et tion sécessionniste, Ver Sacrum unique d’une intention artistique ». (« Printemps sacré ») parut de 1898 à 1903 La sixième exposition de la Sécession fut en six volumes. Durant cette période, entièrement dédiée à l’art japonais, valoriVer Sacrum publia pas moins de 261 gravures sant son esthétique simplifiée et réduite et sur bois, la plupart polychromes. Dans un sa capacité à combiner réalité de la nature article intitulé « Weshalb wir eine Zeitschrift et formes issues d’un langage abstrait. Seize herausgeben »(« Pourquoi nous publions
pourtant là, au milieu des majestueuses coupoles de la monarchie danubienne, que l’Art nouveau a atteint son sommet. Marquées par la constitution du groupe de la Sécession viennoise et son mot d’ordre : « À chaque âge son art, à chaque art sa liberté », les années 1900–1910 représentent un âge d’or pour l’innovation artistique et sa grandeur. Les artistes de la Sécession développèrent une nouvelle sensibilité pour la beauté de la ligne – y compris pour la puissance d’expression de la calligraphie, une science certaine du raffinement, l’émancipation de l’ornemental et, de façon inédite, la richesse des possibilités offertes par la gravure sur bois polychrome. La gravure sur bois (ou xylographie), l’un des plus anciens procédés d’impression de l’humanité, avait atteint le summum de la subtilité avec Lucas Cranach et Albrecht Dürer, mais était ensuite retombée dans l’oubli pendant près de 400 ans, jusqu’à ce que Paul Gauguin, Edvard Munch et surtout les expressionnistes allemands ne commencent à redécouvrir la technique. La résistance du matériau, la — 80 —
une revue »), les sécessionnistes expliquaient être intégrés – au moins en théorie – dans un mouvement de « Kunst-für-alle », d’« art pour tous ». Ils entendaient s’adresser à chacun, « sans distinction d’état ni de fortune » : « Nous ne connaissons aucune différence entre “art majeur” et “art mineur”, entre art pour les riches et art pour les pauvres. L’art est une ressource commune à tous. » La xylographie polychrome permit à l’association de concilier art moderne, justification sociale et accessibilité à tous. L’objectif commun des sécessionnistes fut pourtant remis en cause par une rupture radicale survenue en 1905, lorsque, après des différends persistants, Klimt et ses amis mirent fin à leur affiliation, perdant non seulement les fruits de leurs efforts de structuration, mais également les infrastructures indispensables à leurs propres
expositions. Il fallut attendre trois ans pour que le groupe de Klimt retrouvât la possibilité d’exposer collectivement, dans le contexte de la Wiener Kunstschau. Vers 1910, le fascinant répertoire de motifs, d’animaux, d’études de personnages, de grotesques fantastiques et de joyaux typographiques s’épuisa, jusqu’à ne plus proposer que des variations sans vigueur de ce qui avait déjà été fait auparavant. Malgré sa brièveté, cet âge d’or de la gravure sur bois a relevé son principal défi : la création d’un art en deux dimensions de qualité durable. Grâce à un équilibre entre des éléments
Page ci-contre, en haut : Nora Exner, Chiot, 1902, université des Arts appliqués, Vienne ; collection et archives. Page ci-contre : Ludwig Heinrich Jungnickel, Grillon à la cigarette, 1910, collection particulière. Ci-dessus : Franz von Zülow, Tapisserie pour chambre d’enfant II, vers 1908, MAK (musée des Arts appliqués), Vienne. Ci-contre Ditha Moser, Calendrier de l’année 1910 (Samedi), MAK (musée des Arts appliqués), Vienne. — 81 —
contrastés de plein et de vide, de lignes et d’à-plats, de rondeur et d’angles, de premier et de dernier plan, de simplification et de raffinement, la gravure en couleur a su ellemême se constituer en un mouvement vers un Art pour tous, et en est l’un des héritages les plus intenses et surprenants de l’esthétique moderne. La gravure sur bois en couleur à Vienne vers 1900 Du 7 juillet au 3 octobre 2016 Schirn Kunsthalle, Francfort-sur-le-Main Du 19 octobre 2016 au 22 janvier 2017 Albertina, Vienne
The Spell II, 1974 (dĂŠtail), acrylique et encre de Chine sur papier sur bois, 240 x 420 cm.
Mythologies du futur
Peurs, fantasmes et crĂŠations biomĂŠcaniques de HR Giger
UN ŒIL SUR LES BIOMÉCANIQUES Par Andreas J. Hirsch
Au printemps 1978, l’artiste suisse HR Giger, alors tout juste âgé de trente-huit ans, note dans son journal intime : « 18 mai 78. La préparation du film va bon train. La construction du vaisseau spatial (intérieur) est presque terminée. C’est beau. On a fait de petites maquettes du paysage et de l’entrée du vaisseau. Les gens qui ont construit ça ne connaissent absolument rien à mon architecture. Je leur ai dit de se procurer
des os et, avec de la pâte à modeler, de faire une maquette … » À ce moment-là, HR Giger est un peintre à succès dont les visions sinistres de style biomécanique, style qu’il a fortement marqué, sont largement répandues : sous forme de posters, genre apparu à la fin des années 1960, dans son livre grand format Necronomicon, qu’il a lui-même conçu, et sur des
pochettes de disques, par exemple l’album Brain Salad Surgery du groupe Emerson, Lake & Palmer, paru en 1973. Mais le projet sur lequel il travaille maintenant va faire de ce personnage culte une célébrité mondiale, un lauréat des Oscars. Le réalisateur Ridley Scott a confié à Giger la conception du monstre de son film Alien2. L’artiste concrétise désormais lui-même dans les studios de cinéma de Shepperton, près de Londres, les ébauches qu’il a faites pour le monde de l’Alien. Un tableau contenu dans le livre Necronomicon a convaincu Scott au premier coup d’œil d’engager Giger pour la conception de sa créature extraterrestre : Necronom IV constitue une des œuvres clés de l’univers de Giger. On y voit le buste de profil d’une créature ne présentant que des traits vaguement humanoïdes. Le crâne est extrêmement allongé, le visage presque entièrement réduit à des rangées de dents découvertes et à des yeux
« Giger concrétise désormais lui-même les ébauches qu’il a faites pour le monde de l’Alien. » immenses évoquant ceux d’un insecte. Des tuyaux surgissent du cou, le dos est couvert d’appendices en forme de tubes et de queues d’aspect reptilien. Le sexe masculin est prolongé à l’extrême et recourbé vers le haut jusqu’au-dessus de la tête. Il se termine en un renflement transparent dans lequel on distingue une créature squelettique reposant là comme un petit saint dans son cercueil de verre. Seuls les bras puissants restent proches de la forme humaine, même si des câbles et des éléments mécaniques apparaissent sous leur peau translucide et que leur matière évoque davantage la veinure de bois de sculptures médiévales que Ci-contre, à gauche : Phallelujah, 1968–1969, huile sur bois, 100 x 74 cm. Page ci-contre : Machine pondeuse, 1967, encre de Chine sur Transcop sur papier sur bois, 170 x 110 cm. — 84 —
des tissus corporels. Les doigts, dans leur élégance gracile, forment un contraste abrupt avec l’aspect impitoyable qui se dégage du visage du personnage. Du fait des nombreuses traces qu’elle a ainsi laissées dans les domaines les plus variés (peinture et cinéma, pochettes de disques et culture du tatouage, science-fiction et fantasy), l’œuvre de Giger constitue une « pierre de Rosette » sur laquelle sont combinées plusieurs « langues » attendant d’être décryptées. Son œuvre apparaît aujourd’hui comme un code qui n’a toujours pas été entièrement déchiffré. D’un point de vue historico-artistique, on voit ici un artiste qui, certes inspiré par le surréalisme et le symbolisme, mais avec un haut degré d’indépendance et finalement difficilement classable, a déjà apporté une contribution incomparable à l’art fantastique du 20e siècle avec son œuvre antérieure à Alien. Ses idées biomécaniques connaissent actuellement dans les arts médiatiques et le bio-art un développement autonome plus idéologique qu’esthétique et marqué par une démarche conceptuelle. L’interprétation de l’œuvre de Giger des points de vue de la mythologie et de la psychologie, en revanche,
se penche d’une part sur le rôle des peurs individuelles et collectives, et d’autre part sur sa démarche, qui ne se contente pas de reproduire de manière narrative, mais peut aussi être comprise, de manière moderne, comme constitutive de mythes.
La naissance de la biomécanique Certains récits remontant à l’enfance de HR (Hansruedi) Giger, né en 1940 dans la petite ville de Coire, dans le canton des Grisons, esquissent déjà les futurs thèmes de sa vie : il construisit un train fantôme dans la maison familiale, dans laquelle se trouvait également la pharmacie paternelle. Cette
« L’œuvre de Giger constitue une “ pierre de Rosette ” du fait des nombreuses traces qu’elle a ainsi laissées dans les domaines les plus variés, attendant d’être décryptée. » attraction était principalement destinée aux jeunes filles, auxquelles le petit Hansruedi s’intéressa très tôt. Pendant que les autres allaient à l’église, il se rendait le dimanche matin dans la cave du musée Rhétique pour rendre visite à la momie d’une princesse égyptienne exposée là et passer auprès d’elle des moments pleins d’un mélange de peur et de fascination. Écolier, Giger faisait des dessins aux thèmes macabres, et il s’aménaCi-dessus : Le bar Giger du musée HG Giger, Château St-Germain, Gruyères, 2003. Ci-contre à gauche : Alpha I (Zwei Frauen), 1967, encre de Chine sur Transcop sur papier sur bois, 110 x 105 cm. Page ci-contre : HG Giger dans le couloir de Passagen-Tempel (entrée), 1975. Pages suivantes : Hommage à Böcklin, 1977, acrylique sur papier sur bois, 100 x 140 cm. — 86 —
« Depuis que j’ai choisi de continuer dans l’art, ce fut comme de prendre du LSD, sans retour possible. Je me sens comme un funambule et plus rien ne distingue le travail du loisir. J’ai soudain réalisé que créer de l’art est une activité vitale pour m’éviter de devenir fou. » —HR Giger, 1987
« L’art de Giger puise essentiellement dans notre psyché et touche nos instincts et nos peurs primaires les plus enfouies. Son art est à ranger dans une catégorie à part. Preuve en est l’intensité de son œuvre et de son imagination, que je ne peux comparer qu’à celles d’un Jérôme Bosch ou d’un Francis Bacon de par leur pouvoir de provocation et de déstabilisation. » —Ridley Scott
devenue abstraite, pure géométrie, plus aucun paysage ne pourrait évoquer pour nous un environnement familier. HR Giger développe ici ce qu’il appellera plus tard son « style biomécanique » : la fusion de composants biologiques et mécaniques, d’humain et de machine, à un niveau factuel et métaphorique. Cette préfiguration visionnaire des futurs phénomènes de la cyberculture, et notamment de la figure du cyborgue, dépasse largement les représentations de compensation technologique des déficits humains. Ici s’ébauche une nouvelle forme d’existence, non pas présentée comme une utopie, mais dotée des traits d’une dystopie. Parallèlement, cependant, Giger a décrit le scénario de la biomécanique comme une « fusion harmonieuse de la technologie et de la mécanique avec la créature ». Cet état manifestement apaisé et équilibré renvoie à un concept caché de la beauté qui n’appartient nullement aux esthétiques souvent prémodernes de l’art fantastique, mais fait bel et bien partie d’une modernité mécaniste et ayant fait l’expérience de la guerre. Giger a souvent précisé qu’il serait erroné de ne voir que l’horreur dans ses tableaux, car ils comportent tout autant cette élégance qui a toujours été importante pour lui.
gea dans la maison de ses parents ce qu’il appela sa Chambre noire – premier lieu destiné à son art personnel et à celui d’autres, aux performances et à la musique, dans la seconde moitié des années 1950. Au début des années 1960, Giger publiait ses dessins au lavis dans des magazines suisses underground tels que Clou et Fallbeil. En 1962, il intégra l’École d’arts et métiers de Zurich ; c’est à cette époque qu’il peignit notamment, en plus d’une série de tableaux tachistes, les toiles Schächte (Puits, depuis 1964). Les premières œuvres de Giger abordaient très directement les peurs collectives de leur époque. En 1962, à la suite de la crise de Cuba provoquée par le déploiement d’armes atomiques soviétiques, le monde venait d’échapper de justesse à une guerre nucléaire, et même en Suisse, pays neutre qui travaillait à son propre programme d’armement nucléaire, le caractère concret d’une apocalypse atomique était omniprésent. Ces événements marquèrent le tournant d’une époque dans la conscience publique, sans doute uniquement comparable depuis au 11 septembre. Giger créa dans de nombreuses œuvres le scénario post- apocalyptique des suites d’une guerre nucléaire. D’autres thèmes très discutés à l’époque, comme la surpopulation de la Terre et, d’une manière générale, l’avance-
ment de la mécanisation et de l’automatisation de nombreux secteurs de la vie, trouvèrent également leur place dans son travail. L’œuvre Atomkinder (Enfants atomiques, 1967-1968) montre trois créatures post-humaines dans un paysage stylisé artificiel, réalisées avec la technique que Giger privilégiait à cette époque, le dépôt d’encre de Chine sur papier-calque à la plume, mais aussi au pulvérisateur. Toute la moitié supérieure de l’image est occupée par un « soleil » atomique devant lequel se découpent, debout, deux créatures unijambistes. Giger met au centre de l’image une conséquence à long terme de la radiation nucléaire, intervenant au niveau génétique, la mutation. Les deux silhouettes ne peuvent qu’ensemble tenir sur deux longues jambes achevées par des pieds ayant muté et pris la forme de griffes. Elles n’ont plus de bras, mais portent des masques qui, tout comme les tuyaux qui en sortent, sont devenus parties intégrantes de leurs corps. Le grand soleil, certainement atomique, affiche de nombreuses protubérances qui rayonnent dans toutes les directions. Même si leur équilibre commun précaire est habité d’une certaine dynamique, l’image dégage toutefois un calme sobre. Aucune trace de panique ni de désespoir post-nucléaire. Les enfants atomiques semblent avoir dépassé de tels états depuis bien longtemps. La surface de la Terre, s’il s’agit bien d’elle, est — 90 —
Ci-contre : Alienmonster I (Giger’s Alien), 1979, acrylique sur papier sur bois, 140 x 140 cm. Ci-dessous : Page extraite de Alien Diaries, Shepperton, 1978. Page ci-contre : Atomkinder, 1967–1968, encre de Chine sur Transcop sur papier sur bois, 170 x 108 cm.
Passages En plus de la libération sexuelle et de la guerre du Vietnam, les années 1960 amenèrent aussi l’érosion de l’euphorie de la croissance des années d’après-guerre. Le choc provoqué par le caractère limité des ressources à la suite de la crise pétrolière de 1973 et le rapport révolutionnaire de Dennis
« Les premières œuvres de Giger abordaient très directement les peurs collectives de leur époque. »
le même titre, il travailla entre octobre 1974 et mai 1975 à quatre tableaux de grand format constituant ensemble un espace dans lequel on pouvait entrer, le Passagen-Tempel (Temple des passages). On pénètre dans ce temple et on en sort par une ouverture pratiquée dans le premier tableau, ouverture dont la forme est inspirée de celle d’un sarcophage égyptien. Ce premier tableau, que l’on ne voit toutefois qu’en sortant du Temple, reprend le motif du train : un wagon ayant la forme d’un sarcophage traverse un paysage biomécanique qui symbolise le Devenir et la Disparition. Le tableau de gauche, intitulé Leben (Vie),
Meadow « Halte à la croissance ? » allaient bientôt suivre. Une autre des peurs collectives de cette époque était le spectre de la surpopulation, et c’est là qu’un autre fil conducteur thématique de l’œuvre de Giger prit sa source. C’est particulièrement évident sur deux tableaux intitulés Gebärmaschine (Machine pondeuse). La version la plus connue de ce thème, réalisée sous la forme d’un plan de coupe de dessin technique, date de 1967 et présente un engin de mort (plus exactement un pistolet du type Walther P3812) comme instrument de naissance. Les bébés, qui attendent tranquillement dans la chambre et le chargeur de l’arme leur expédition dans un monde hostile, sont déjà équipés de casques, de lunettes de protection et d’armes en vue de ce qui les attend. Le tableau donne à voir très en détail quatre de ces êtres recroquevillés sous forme de balles. Ils ne présentent aucune individualité, leur résignation au destin se double ici aussi de leur caractère sériel. Les éboueurs de la ville de Cologne offrirent inopinément à Giger en 1971 la base de la recherche picturale de sa seconde série de Passage (1971-1973), qui sera encore plus conséquente. L’ouverture située à l’arrière des camions de ramassage d’ordures, à laquelle les bennes étaient accrochées pour se vider ensuite à l’intérieur du véhicule, rappela à Giger le giron féminin, justement dans l’évocation toujours répétée de l’« acte mécanico-érotique », telle une grammaire du complexe que forment le traumatisme de la naissance, l’attirance magique et la peur provoquées par la sexualité féminine. Ces tableaux composés de manière strictement sérielle naquirent d’une photo de cet objet trouvé que l’artiste avait spontanément prise ; il varia ensuite à de multiples reprises ses couleurs et la conception de ses superficies. Le thème des Passagen n’allait plus quitter Giger : après les deux vastes cycles portant — 91 —
donne à voir une scène érotico-biomécanique en présence irréfutable de la violence, scène dont des enfants maladifs émergent par une fermeture Éclair en train de s’ouvrir avant de s’entasser pour former un gigantesque phallus. La projection dans un monde hostile et cruel qui s’annonçait avec la Machine pondeuse trouve ici une suite détaillée. À droite, le tableau Tod (Mort) revient au motif principal de la précédente série des Passagen – l’ouverture du camion d’ordures. Cependant, il n’y a pas ici d’association au giron féminin : l’ouverture représente le chemin menant hors du monde, ainsi que les fours des camps de
concentration. Elle est flanquée de voleurs de cadavres dont les silhouettes évoquent les cyprès ornant souvent les cimetières italiens, comme on en voit aussi dans le tableau d’Arnold Böcklin L’Île des morts (1880-1886). Le tableau central du temple de Giger, en face de l’entrée, représente Weg des Magiers (Voie du magicien ) : sept marches montent vers un trône baigné de lumière entouré de vierges biomécaniques. Dans une sorte de synthèse des tableaux se correspondant de la vie et de la mort, le parachèvementde l’humain est ici symbolisé par son élévation au rang de dieu. Récits magiques Les textes d’auteurs tels qu’Edgar Allan Poe, H. P. Lovecraft, Gustav Meyrink et Alfred Kubin intéressaient et fascinaient
HR Giger depuis son plus jeune âge. Giger nota à ce propos : « Mes tableaux furent ainsi inconsciemment influencés par ces textes magiques et composés dans un état quasi onirique. » L’Américain H. P. Lovecraft, dont le Necronomicon fournit l’inspiration et le titre de la série de 1976 déjà évoquée à plusieurs reprises, Necronom, a des effets diversifiés sur l’œuvre de HR Giger. Le Necronomicon de Lovecraft est une histoire fictive écrite par le poète musulman Abdul Alhazred après dix ans passés dans la solitude du désert de Rub el-Khali, dans le Sud de l’Arabie. L’effet produit par Lovecraft sur Giger ne concerne pas seulement la narration, le potentiel imaginatif des histoires, mais aussi la force des mots et la magie des noms, des noms dont la simple prononcia-
tion est parfois interdite, au motif qu’elle pourrait faire apparaître des calamités. La créature du Necronom en est un exemple. Une partie de ce qui fascinait tellement Giger dans la sonorité des noms touche aussi le spectateur de ses œuvres nées de
« L’effet produit par Lovecraft sur Giger ne concerne pas seulement la narration, le potentiel imaginatif des histoires, mais aussi la force des mots et la magie des noms » cette inspiration sémantico-littéraire. Le lecteur HR Giger s’intéressa aussi aux œuvres de la littérature hermétique, étudia les ouvrages de l’occultiste britannique Aleister Crowley et de l’auteur français Éliphas Lévi, un des précurseurs de l’occultisme au 19e siècle. Les symboles de magie noire prirent de plus en plus de place dans l’œuvre de Giger à partir des années 1970, de même que le personnage de Baphomet, visible par exemple dans le cycle The Spell (La Malédiction, 1973-1977), où Baphomet, au centre, représente l’Antéchrist. Baphomet est une créature imaginaire datant du 19e siècle, personnage hybride et androgyne fait d’un homme et d’une chèvre, cornu, au front orné d’un pentagramme. Les textes que lit Giger et les tableaux qu’il peint traitent finalement d’un savoir secret censément réservé aux initiés. De même que les œuvres de Giger, l’obscurité des textes hermétiques et des décors occultes représente depuis la Renaissance un mode de pensée opposé aux Lumières et au rationalisme de la modernité. Mais Giger n’était pas un alchimiste. Quand des symboles alchimiques apparaissent dans ses œuvres, c’est pour ouvrir leurs espaces de signification aux niveaux symbolique et philosophique auxquels l’alchimie, en tant que programme de développement de l’Homme, peut être comprise comme prototype de la psychologie des profondeurs. L’art de Giger se réfère au bout du compte à ces représentations et à ces images suprapersonnelles et y puise sa puissance mythique et sa capacité à interpeller les gens. Ci-contre : Passage XXIV, 1972, acrylique sur carton sur bois, 100 x 70 cm. Page ci-contre : A. CROWLEY (THE BEAST 666), 1975, acrylique sur papier, 200 x 140 cm.
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Édition limitée à un total de 1 200 exemplaires numérotés et authentifiés par la succession HR Giger ÉDITION D’ART Nos 1 À 100
Inclus : « Untitled (relief), 1964 » (moulage en polyester prêt à suspendre de l’original , ci-contre, 50 x 50 cm) et « Gebärmaschine (Second state), 1965 » (page ci-contre), impression en héliogravure sur papier de qualité archive, 60 x 43,5 cm 2 500 €
ÉDITION D’ART Nos 101 À 200 Inclus : « Untitled (relief), 1964 » (ci-contre), 50 x 50 cm 1 750 €
ÉDITION COLLECTOR Nos 201 À 1 200 750 €
« Ce livre fut certainement l’un des plus grands bonheurs de Hansruedi à la fin de sa vie. » —Carmen Giger Scheifele
SUMO SIZE
Notre histoire avec HR Giger remonte au milieu des années 1980. Nous avons publié trois de ses livres et l’idée d’un opus magnum au format SUMO est née il y a 10 ans. Ce fut un long processus, marqué sans cesse par de nouvelles corrections et de nouvelles prises de vue de ses œuvres d’art conservées dans de nombreuses collections du monde entier. Hansruedi, décédé brutalement en 2015, n’aura malheureusement pas pu assister à l’impression et au façonnage du livre.
HR Giger Relié sous coffret de luxe, pages dépliantes, 36,7 x 50 cm, 400 pages Découvrez l’univers de Giger en visitant le musée HR Giger au château médiéval St-Germain de Gruyères, en Suisse. Pour en savoir plus, consultez hrgigermuseum.com — 95 —
DÎNER DE GALA Le livre de recettes surréaliste de Salvador Dalí
Salvador Dalí devant la table dressée, par Réalités – Connaissance des Arts. © Salvador Dalí. Fundació Gala-Salvador Dalí, Figueres (2016). Droits photographiques de Salvador Dalí réservés. Fundació GalaSalvador Dalí, Figueres (2016).
« La mâchoire est notre meilleur outil pour atteindre la connaissance philosophique. » —Salvador Dalí
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À la table du surréalisme Sexe et homards, collage et cannibalisme, rencontre d’un cygne et d’une brosse à dents sur un fond de tarte. Les opulents dîners mondains lancés par Salvador Dalí (1904-1989) et son épouse et muse, Gala (1894-1982), ont nourri bien des légendes. Heureusement pour nous, Dalí a publié un livre de recettes en 1973, Les Dîners de Gala, qui révèle bien des ingrédients sensuels, fantaisistes et exotiques qui firent la renommée de ces festivités. Cette réédition rassemble en 12 chapitres l’intégralité des 136 recettes, spécialement illustrées par Dalí et organisées par types de plats, y compris les aphrodisiaques. Illustrations et recettes sont accompagnées des extravagantes pensées de Dalí sur des sujets tels que les conversations à table: « La mâchoire est notre meilleur outil pour atteindre la connaissance philosophique. » Toutes ces recettes raffinées peuvent être réalisées à la maison, bien que certaines demanderont des talents plus assurés et un garde-manger bien fourni. Il s’agit là d’une cuisine ancienne école faite de plats concoctés par de grands chefs français, maîtres de restaurants étoilés à Paris, tels que Lasserre, La Tour d’Argent, Maxim’s et Le Train Bleu. Mais le bon goût, de même que le plaisir voluptueux, ne se démode jamais. En rendant ce livre accessible à un large public, TASCHEN offre à la cuisine d’aujourd’hui une œuvre d’art, un livre de cuisine pratique et une aventure riche en sensations.
« Les dîners de Gala ont été voués aux plaisirs du goût... Si vous êtes un disciple de ces peseurs de calories qui transforment les joies d’un repas en punition, refermez ce livre, il est trop vivant, trop agressif et bien trop impertinent pour vous. » —Salvador Dalí Dalí. Les Diners de Gala Relié, 21,2 x 30,2 cm, 320 pages 49,99 € — 99 —
“I’d like to be remembered as a black man who won the heavyweight title and who was humorous and who treated everyone right. As a man who never looked down on those who looked up on him and who helped as many of his people as he could – financially and also in their fight for freedom, justice, and equality.”
In loving memory Photo 1963 by Howard L. Bingham
Le duel épique entre Ali et Foreman, raconté par Norman Mailer et photographié par Neil Leifer et Howard Bingham Des enfants du village donnent un peu d’humanité à toutes les intrigues qui se nouent autour du combat opposant Foreman et Ali. Au premier plan, ces jeunes garçons mêlent gestes de kung fu chinois et mouvements de boxe classiques. Derrière eux, sur les panneaux, le président Mobutu s’affiche au sommet de la pyramide formée par les champions, superposés sur la carte du Zaïre. Photo de Neil Leifer.
Le combat des chefs
Ali boma yé Norman Mailer évoque le combat du siècle de Muhammad Ali
Cinq jours avant le combat, un jeudi, Ali allait tenir un séminaire bien dans son style. « Cette rencontre, ça ne va pas seulement être le plus formidable événement de l’histoire mondiale. Elle va constituer une surprise comme on n’en a jamais vu et à ceux qui ignorent l’art de la boxe elle va faire l’effet d’un miracle incroyable. Le public de la boxe est un ramassis d’idiots et d’illettrés en matière de connaissance de cet art. Et ça, pourquoi ? Parce que vous, vous qui êtes là pour écrire sur la boxe,
vous ignorez ce que vous essayez de décrire. C’est vous, les journalistes, qui êtes les vrais idiots et les vrais illettrés. Je vais maintenant prouver... comme ça, vous aurez quelque chose de nouveau à mettre dans vos papiers ... je vais maintenant prouver pourquoi il est impossible que je sois battu par George Foreman et comment, de cette façon, je vais créer la plus grande surprise dans l’histoire de la boxe, une “surprise” qui a été en réalité fabriquée par vous, dans votre ignorance et votre idiotie. C’est votre faute », a-t-il déclamé comme s’il énonçait un verdict absolu, « si les amateurs de boxe en savent si peu sur cet art et qu’en conséquence ils croient que George Foreman est le meilleur et que moi, je suis fini. Je suis donc forcé de vous démontrer à quel point vous vous trompez, et ce par des preuves scientifiques. Angelo ? » Il s’était tourné vers Angelo Dundee. « Donne-moi ces papiers, s’il te plaît. » Et il s’est mis à lire la liste des boxeurs qu’il avait affrontés jusque-là. « Maintenant, qu’Angelo donne la liste des matchs de Foreman. » À chaque nom cité, Ali faisait la grimace et lançait un commentaire acerbe. « Don Waldheim. – Un rien du tout. – Cookie Wallace. – Rien du tout. – Vernon Clay ». Là, Ali a hésité. « Vernon Clay ... Lui, il pourrait être bon. » La presse s’est esclaffée, et Ali de provoquer à nouveau l’hilarité quand il a remarqué à propos de Gary Wiler, dit « le Vagabond » : « Il vagabonde pas, il traîne. » Puis il y a eu encore une série de boxeurs qualifiés de « riens du Ci-dessus : Mailer et Ali durant l’un de leurs nombreux et longs séjours à la villa des boxeurs à N’Sele, 1974. Photo de Howard Bingham. Ci-contre : Le charismatique et controversé Don King, dont la personnalité débordante fut au centre du duel. Le journaliste sportif Hugh McIlvanney le décrit ainsi : « Bagues en diamant et anneaux d’or, col et manches bordés de velours, cheveux ébouriffés, paillettes et sequins… son allure faisait écho aux hyperboles ronflantes de ses interminables monologues. » Photo de Neil Leifer. Page ci-contre : Muhammad Ali lance un regard d’acier à George Foreman pendant les annonces, lors de son second combat avec Jerry Quarry. 27 juin 1972, Las Vegas. Photo de Neil Leifer. — 104 —
« Ce combat ne va pas simplement être le plus grand événement de la boxe, il va aussi rester comme le plus grand événement de l’histoire du monde. » —Muhammad Ali
tout » et Ali a constaté d’un air navré: « Si je rencontrais des nuls pareils, vous m’obligeriez à abandonner la carrière, vous autres I » Soudain, Bundini a crié : « La semaine prochaine, on sera à nouveau Champion! – La ferme », a répliqué Ali en lui donnant une tape sur la tête, « c’est “mon” show ! [. . .] » «Bon, maintenant je vous dis, vous autres de la presse, je vous dis que vous êtes impressionnés par Foreman parce qu’il vous fait l’effet d’un gros Noir qui tape tellement fort sur son sac. Mais sur le ring, il se défile ! Je vais vous confier une chose: il ne peut pas se battre. Et je vais prouver ça le soir du combat. Vous allez me voir cogner du gauche et revenir avec un crochet du droit foudroyant. Vous
allez avoir le choc de votre vie. Pourquoi ? Ses propos étaient traduits simultanément Parce que vous êtes encore bluffés par Forepar un interprète zaïrois. L’assistance a éclaté man, là. Mais je vais vous confier un secret : en applaudissements et en rires, puis Ali les a les gens de couleur effraient plus les Blancs entraînés dans un chant collectif, « Ah booma que les Noirs. Moi je n’ai pas peur de Foreman yé, Ali booma yé ! », un refrain qui signifiait et c’est ça que vous allez découvrir ! » « Tue-le, Ali ! », le cri de guerre par excellence. Le lendemain, cependant, Ali a modifié l’emEt Ali dirigeait son peuple pendant l’hymne, ploi du temps habisolennel, déco« Mobutu était partout. Il était l’équi- chant des directs tuel : il n’y a pas eu de valent de Josef Staline en Afrique. conférence de presse. droit devant lui, un On voyait son image en permaÀ la place, c’est une chef de choeur nence ... La plupart des dictateurs représentation théâdevant une chorale sont incroyablement laids ou sans trale qui a été offerte de boy-scouts, relief. Mobutu incarnait l’archétype, sur le ring. péremptoire, fier le modèle du sadique le plus fermé, de ses petits, grave Il faut dire que le simple fait qu’Ali boxe le genre de type que vous ne croià l’exception du sez pas dans un bar sans penser ce jour-là était un sourire que sem“Oh mon Dieu !” » —Norman Mailer événement en soi : au blait lui arracher la cours des dix derniers mise en scène. jours, il n’avait travaillé que trois fois avec des Tout le monde était ravi, il n’y avait rien de sparrings, ce qui était fort peu. Certes, Ali s’en- menaçant là-dedans, ce n’était pas les vocifétraînait depuis si longtemps que ses parterations de cannibales se repaissant de chair naires vieillissaient avec lui. En réalité, il n’en mais plutôt une foule de lycéens encourarestait qu’un, Roy Williams, le boxeur massif geant leur équipe sur le stade, un hommage mais délicat qui au lac des Chevreuils avait aux bonnes dispositions d’Ali. Ce matin-là, donné l’impression qu’il trouvait sacrilège de il avait l’air d’un gamin de dix-huit ans et frapper son employeur. Et là, Bundini l’a présenté à un public de plusieurs centaines d’Afri- En haut : The Ring, 14 juillet 1974. Ci-dessous : Muhammad Ali, entouré de Don cains : « Mesdames et messieurs, voici Roy King et de son manager Herbert Muhammad, est Williams, champion poids lourds de Pennsylreçu par Mobutu Sese Seko, le président du Zaïre affublé de son traditionnel chapeau en léovanie. Il est plus grand que George Foreman, pard. Le despote a débloqué les 10 millions de et plus lourd, son bras est plus long, et il cogne dollars de dépenses totales nécessaires, conplus fort, et il est plus intelligent que George scient que le combat ferait entrer le Zaïre sur la Foreman ! » Bundini, le roi de l’hyperbole. scène internationale sportive. Photo de Neil Leifer.
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Illustration du culte de la personnalité autour du président Mobutu. Nommé « Président à vie », le titre complet qu’il s’est lui-même attribué peut se traduire ainsi : « Guerrier tout-puissant qui par sa résistance et sa fermeté va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter. » Photo de Neil Leifer.
Ali se prépare à s’entraîner dans la salle du congrès du complexe présidentiel de Mobutu, à l’extérieur de Kinshasa, lieu où il boxe en alternance avec Foreman. Ils se voient fréquemment puisque leurs plannings se croisent et que chacun des deux camps s’efforce d’espionnier l’adversaire au plus près. Howard Bingham (ci-dessous) accompagne habituellement Ali. Photo de Neil Leifer.
jusqu’à ce qu’il comprenne plus rien et là, la torture va commencer. Guerre ! Guerre ! » Tout en hurlant, il s’est précipité en avant avec des swings censés proclamer qu’il était un modèle de détermination mais soudain il s’est relâché et il a fait signe à Williams de venir le frapper dans les cordes. [ . . . ] 29 octobre 1974 : Il était seul sur le ring, le Challenger prêt pour le Champion, le Prince attendant le Prétendant, mais contrairement aux autres boxeurs, pendant ces longues minutes avant que le tenant du titre ne daigne apparaître, il semblait prendre un plaisir royal à occuper l’espace laissé à sa seule convenance. Sans peur visible, il n’avait pas l’air loin du bonheur, comme si la discipline de ces deux mille nuits à dormir sans son titre depuis qu’il lui avait été retiré – mais non qu’il l’eût perdu au combat, expérience au moins aussi frustrante pour un boxeur que celle d’avoir écrit L’Adieu aux armes et de ne pas arriver à lui trouver un éditeur ... – avait constitué sept bientôt il a été prêt à se mettre au travail avec Roy Williams. Non pas qu’ils aient réellement combattu, ensuite. Après des semaines et des mois d’entraînement commun, un boxeur et son sparring finissent par devenir un vieux couple. Ils font l’amour à la pépère. Ce qui est compréhensible chez un ménage avec plusieurs décennies derrière lui mais qui ne manque pas de danger pour un pugiliste professionnel: il perd l’habitude de prendre des risques sur le ring. Ce jour-là, donc, Ali était très loin de la boxe, se contentant de serrer au corps Williams pendant un round entier. Tandis qu’en contrebas Big Black frappait ses congas sur un rythme maussade, en un grondement lancinant, Ali se coltinait Williams à travers le ring. « Le George, je vais le coincer et je vais le balader », a-t-il proclamé d’une voix déformée par son protège-dents. « Oui, je vais le balader ! » De temps à autre, il se laissait tomber dans les cordes et autorisait Williams à le cribler de coups, puis se redressait pour lutter encore un peu. « On va le ba-la-der ! » À la fin du round, Ali s’est tourné d’un côté de la salle pour crier à la cantonade: « Hé, Archie Moore, l’espion numéro un ! Dis bien à George que je pète le feu ! Je vais le cogner Ci-dessus : Contre l’inévitable ennui des semaines passées à N’Sele et Kinshasa, les journalistes et les photographes notent leurs pronostiques d’avant-match. Page ci-contre : L’événement tant attendu, le 29 octobre 1974. « À l’instant, ces mots gagnèrent la file depuis l’extérieur du stade. “Ali est sur le ring, Ali est sur le ring” Solennellement, Bundini tendit à Ali le peignoir blanc africain que le boxeur avait choisi. » Photo de Neil Leifer. Ci-contre : Ali encaissa un nombre important de coups dans les cordes. Son camp, ne sachant rien de sa tactique, fut pris de panique et le poussa à bouger sur le ring. Il craignait le pire : Ali vaincu pour la première fois par K.-O. Photo de Howard Bingham. — 111 —
années d’une mise à l’épreuve biblique dont il était ressorti avec l’essentiel de son honneur, de son talent et de son désir de grandeur encore intact, et dont la lumière l’envahissait maintenant. Son corps luisait comme les flancs d’un pur-sang, il paraissait prêt à affronter le plus fort, le plus brutal des poids lourds que le monde de la boxe ait eu depuis des années, peut-être le pire de ces titans, et tandis que le Prince attendait sans attendre, seul sur le ring, plongé dans ses pensées, quelles qu’elles aient pu être, et dans sa communion intime avec Allah, quel que soit l’effet que cela puisse produire, tandis qu’il se tenait là, qu’il esquissait ses pas et qu’il boxait le vide, le Garde du Petit Sceau princier, Angelo Dundee, Italien de Miami, allait de poteau en poteau, sans hâte, et là, à la vue de tous, desserrait tout aussi méthodiquement les tendeurs à l’extrémité de chacune des quatre cordes, et cela avec une clé et une tige de fer qu’il avait dû glisser auparavant dans sa mallette à Nselé,
taillé en hercule qui, pour reprendre l’expression d’Archie, « ne connaît pas sa force, littéralement ». Sur le velours rouge se détachaient deux lettres en tissu blanc: « GF ». Initiales ou «Great Fighter», Grand Boxeur ? Zack Clayton, un arbitre noir très respecté dans la profession, s’était armé de patience. George n’a eu que le temps de rejoindre son corner, de remuer un peu des jambes, de se réunir une dernière fois en groupe chuchotant avec ses trois conseillers, de passer ses semelles dans la résine, puis les boxeurs se sont rencontrés au milieu du ring pour entendre le rappel du règlement. Pour chacun, c’était le moment de se soutirer mutuellement une mesure de peur. Liston avait ainsi glacé tous ses opposants jusqu’à ce qu’il rencontre Ali, encore Cassius Clay à l’époque, qui avait soutenu son regard du haut de ses vingt-deux ans et de la hardiesse que lui donnait sa certitude d’avoir un grand avenir. Et Foreman en avait fait de même transporter avec lui dans l’autobus et emporter du vestiaire jusqu’ici. Et lorsque les cordes ont eu la tension qu’il recherchait, assez lâches pour que son poulain puisse bien se laisser aller en arrière dessus, il a quitté le ring pour revenir à son corner, sans que personne n’ait fait particulièrement attention à son manège. Foreman était toujours dans son vestiaire. Plimpton devait par la suite apprendre un détail de la bouche de son vieil ami Archie Moore : « Juste avant de partir au combat, Foreman et ses conseillers techniques – Dick Sadler, Sandy Saddler et Archie – ont joint leurs mains en une sorte de rituel qu’ils pratiquent à chaque rencontre depuis qu’il a remporté le titre en Jamaïque », allait écrire Plimpton dans son compte rendu. « Et ils étaient à nouveau dans cette attitude, au Zaïre, quand Archie Moore, qui se tenait la tête baissée, a eu soudain l’idée qu’il devrait prier pour le salut de Muhammad Ali. Selon ses propres termes, “ j’ai prié, et très sincèrement, pour que George ne tue pas Ali. Je sentais vraiment que c’était une possibilité”. » Il n’était pas le seul. Foreman est finalement apparu sur le ring. Il portait un short en velours rouge à bandes latérales blanches et à ceinture bleue – les trois couleurs du drapeau américain – et des chaussures blanches. Il avait l’air grave, presque impressionné, comme un garçon Ci-dessus et ci-contre : Ali regardant Foreman avec dédain. Il commença sur la défensive, les pieds ne décollant pas du sol pour maximiser l’impact de ses coups. Le tournant décisif du match arriva au 5e round, quand Ali étourdit Foreman par une avalanche de coups de poing dévastateurs au moment où la cloche retentit. Page ci-contre : Sept ans après s’être vu retiré son titre, Ali, alors âgé de 32 ans, est de nouveau champion. Une page de l’histoire de la boxe s’écrit au moment où Foreman est envoyé au tapis sans pouvoir se relever. Tous les photos de Neil Leifer. — 112 —
avec Frazier, puis avec Norton : un regard lourd comme la mort, aussi oppressant que le bruit d’une porte de caveau qui se referme. À ce moment, comme tout le monde devait ensuite l’apprendre, Ali a déclaré à Foreman : « Tu as entendu parler de moi quand tu étais encore tout petit. Tu as suivi mes pas depuis que tu étais gosse. Maintenant tu dois me rencontrer, moi, ton maître ! » Ces mots, la presse ne pouvait les entendre, sur le coup, mais les lèvres d’Ali remuaient, sa tête se trouvait à trente centimètres de celle de Foreman, ses yeux étaient braqués dans ceux de son adversaire. Foreman a tiqué, il a paru surpris, comme s’il avait été un peu plus impressionné qu’il ne s’y attendait, puis il a frappé son gant contre celui d’Ali dans un geste qui voulait dire: « Bon, c’est ton round, là. Maintenant on commence. » Traduction : Bernard Cohen. © 1975/2016 Norman Mailer. All rights reserved. © Denoël, 2000, pour la traduction française.
Dans le vestiaire avant le combat. Ali avait une attitude détendue, contrastant nettement avec l’ambiance lugubre autour de lui. « On va danser ! » lança Ali à son équipe et aux écrivains George Plimpton et Norman Mailer. Photo de Howard Bingham.
Édition limitée à un total de 1 974 exemplaires numérotés et signés par Howard L. Bingham and Neil Leifer ÉDITION D’ART 30 x 40 cm
Nos
1 À 125
« Ali in dressing room », tirage gélatinoargentique sur papier archive, signé par Howard L. Bingham (page ci-contre).
Nos 126 À 250
« The knockout/bird’s eye view », tirage pigmentaire sur papier Museo Portfolio Rag, signé par Neil Leifer (page 113).
1 500 € chacun
ÉDITION COLLECTOR Nos 251 À 1 974
Le 30 octobre 1974, à Kinshasa, au Zaïre, pour ainsi dire le cœur de l’Afrique, deux boxeurs afro-américains touchent chacun 5 millions de dollars pour s’affronter dans un match épique. D’un côté, Mohamed Ali, le vieillissant et néanmoins irrésistible boxeur qui a juré de reconquérir le titre de champion qu’il a perdu. De l’autre, George Foreman, aussi taciturne qu’Ali est volubile, qui garde en permanence les mains dans les poches « comme un chasseur glisse son fusil dans son étui de velours ». Et dans le rôle de l’observateur, Norman Mailer, dont la faculté à saisir les feintes et stratagèmes de cette bataille de titans – et à percevoir son symbolisme plus profond – a fait de son livre, Le Combat du siècle, publié en 1975, un chef-d’œuvre de la littérature du sport. Que ce soit dans l’analyse des mouvements des boxeurs, dans celle de leur caractère ou dans le fait de considérer la manière dont chacun revendique l’âme des Africains et des Américains, Mailer
énergie, d’une sagacité et d’une audace inégalées – sans aucun doute l’un des
« Un portrait sensible d’un extraordinaire athlète et un drame pugiliste aussi excitant que la réalité qu’il raconte. » —The New York Times seuls assez intrépides pour accompagner Ali lors d’une course nocturne dans le bush. Dans Le Combat du siècle, il redonne à notre conception ternie de l’héroïsme un éclat étincelant et se pose luimême en champion dans sa catégorie.
Autres ouvrages de Norman Mailer disponibles chez TASCHEN : MoonFire. La prodigieuse aventure d’Apollo 11, Marilyn Monroe (avec des photographies de Bert Stern), JFK. Superman débarque au supermarché. – Édition anglaise uniquement
500 €
Norman Mailer: The Fight Howard L. Bingham et Neil Leifer Volume relié sous coffret de luxe, 36,5 x 44 cm, 300 pages
XXL
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Moonlight. Robe et manteau conçus d’une seule pièce de tissu aléatoirement plissée. Créés en 1989 pour la collection printemps/ été 1990.
« Dans mon travail quotidien, j’essaie de créer des choses complètement nouvelles et différentes qui, en retour, façonnent de nouvelles réalités. En un mot, la pierre d’angle de mon travail est : faire réfléchir, faire des choses et faire la réalité. » —Issey Miyake
Poétique du plissé La monographie de référence sur Issey Miyake
« Je crois que la création de vêtements est un moyen qui non seulement éveille ceux qui les portent mais permet aussi d’améliorer la société dans laquelle ils vivent. » —Issey Miyake
« Le catalogue ultime des créations d’Issey Miyake. »
—The Guardian, Londres
1990
1971
En 1983, Issey Miyake affirmait au New Yorker qu’il aspirait à « aller de l’avant, briser le moule ». Avec ses lignes bouleversant les frontières de la mode, non seulement il en cassa bel et bien les codes, mais il refonda aussi l’art du vêtement dans son ensemble. Cette Édition collector limitée, initiée et dirigée par Midori Kitamura, retrace avec précision l’histoire des créations d’Issey Miyake. À travers les vêtements fondés sur le concept A Piece of Cloth, la ligne Body Series des années 1980, la collection Miyake Pleats et d’autres créations pratiques, conçues pour être portées au quotidien, comme les pièces de la série Pleats Please, Kitamura raconte plus de quarante ans de collaboration avec Miyake dans cet ouvrage encyclopédique de référence dévoilant ses innovations techniques et matérielles.
Page ci-contre : Bamboo Pleats. Chemise à capuche et jupe, chemise et pantalon, plissés avec des éléments imitant le bambou. 100 % polyester. Créés en 1989 pour la collection automne/hiver 1989. En haut : Handkerchief Dress. Création de 1970, collection printemps/été 1971. Photo de Kishin Shinoyama, modèle : Yasuko Yamayoshi Ci-dessus : Exposition Issey Miyake Pleats Please. Body Pleats. Collection automne/ hiver 1990. Photo de Fujitsuka Mitsumasa
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La monographie témoigne non seulement de sa constante exploration du rapport entre le vêtement et le corps, mais aussi de l’unique mélange de tradition, de futurisme et de fonctionnalité du créateur. Cette monographie est revêtue de l’ « ikan » de Miyake, son propre sceau traditionnel qui vaut signature et qui, au Japon, sert habituellement pour tous les documents officiels.
©Ikko Tanaka 1998/licensed by DNPartcom
Des photographies de Yuriko Takagi, contemporain de Miyake, dont celles prises lors d’une séance époustouflante en Islande, saisissent les vêtements dans leur originalité au quotidien. Parallèlement, un texte ambitieux de Kazuko Koike, figure culturelle majeure, offre à la fois une chronologie détaillée du travail de Miyake et un portrait personnel inédit, jetant un regard sur l’ambition et les inspirations qui ont inspiré ses créations visionnaires.
1998 « De superbes photographies signées Yuriko Takagi des créations révolutionnaires de Miyake, dont sa robe foulard et ses plissés en origami, prises dans des paysages naturels sublimes. »
1970
—T : The New York Times Style Magazine
Ci-dessus : Affiche Issey Miyake Making Things. Collection automne/hiver 1998. Photo d’Irving Penn, maquette et typographie d’Ikko Tanaka. Ci-contre : Constructible Clothes. Combinaison en jersey stretch et cape ronde divisée en quatre parties, maintenue par des boutons ronds. Créées et présentées en 1970. Photo de Kishin Shinoyama, modèle : Yuri Hodaka. Page ci-contre : Starbust. Tunique en flanelle à capuche, aléatoirement pressée à chaud au contact d’une feuille couleur or. Les gants sont aussi pressés à chaud avec des petits carrés de feuille couleur or. 100 % coton. Créée en 1998 pour la collection automne/ hiver 1998. Créés en 1999 pour la collection automne/hiver 1999. — 120 —
Édition limitée à 1 000 exemplaires accompagnés d’un sac Issey Miyake.
Édition collector de 1 000 exemplaires numérotés, estampillés de l’ « inkan » d’Issey Miyake, son sceau traditionnel, l’équivalent japonais de la signature. Présenté dans un sac aux formes plissées de la collection 132.5 ISSEY MIYAKE, conçu en exclusivité pour cette édition limitée. Conception et direction éditoriale de Midori Kitamura. Texte de Kazuko Koike. Photos de Yuriko Takagi. 750 €
XL Aussi disponible en édition courante : Relié, 512 pages 49,99 €
Œil pour œil, dents pour dents Équipé d’une rampe lumineuse de sept flashs de 1 200 watts et mû par une irrésistible passion pour le prédateur des océans, le photographe des stars Michael Muller plonge au plus profond des océans du monde entier pour en rapporter des portraits dignes des studios d’Hollywood.
Grands requins blancs, île de Guadalupe, octobre 2009. « Dès que j’ai vu, enfant, le film Les Dents de la mer, quelque chose est né en moi et est devenu une obsession au fil des ans. En grandissant, le fait de surfer les vagues au nord de la Californie, spot célèbre pour sa population de grands requins blancs, a nourri non seulement ma peur mais aussi une curiosité enfantine pour cet animal. » Une sélection de tirages est proposée à la vente dans le cadre de l’exposition Sharks à la galerie TASCHEN. Plus d’informations sur taschen.com/gallery.
« Muller s’est donné pour mission d’aider à la préservation de ces habitants si redoutés et si méconnus des océans. »
—CBS News, New York
Requin océanique, île de Cat, mars 2014. Un requin qui nage peut sembler assez paisible, guère menaçant, mais dès qu’il ouvre sa puissante mâchoire, le Dr. Jekyll se transforme en Mr. Hyde. C’est un animal complètement différent. Ce requin océanique qui venait de dévorer un de nos appâts, semble venu du fond des âges ; on m’a même dit qu’il ressemblait à un requin-lutin.
Explorations sous-marines Philippe Cousteau fils a rejoint Michael Muller pour photographier l’une des espèces la plus crainte et pourtant la plus menacée au monde
Lorsque je me suis retrouvé nez à nez avec un grand requin blanc, quelque chose m’a frappé chez lui : ce n’était ni sa mâchoire béante, ni ses centaines de dents parfaitement alignées ou sa taille impressionnante (5 mètres). Non, ce qui m’a marqué plus que toute autre chose, c’étaient ses yeux. De loin, les yeux d’un grand requin blanc ressemblent à deux trous noirs, inexpressifs et impitoyables. Comme un cauchemar échappé d’un studio hollywoodien. Cependant, il y a loin du cliché du requin sanguinaire à la réalité. Quand on a la chance d’observer un requin de près, ce que l’on voit est différent. Il y a une profondeur inattendue dans ces yeux, à la cornée cerclée d’une fine ligne bleue, qui me fixaient à travers les barreaux de ma cage. À ce moment, je n’ai vu aucune trace de la violence ou de la voracité si souvent associées aux requins, parce que l’on nous fait croire qu’ils ne ressentent
aucune autre émotion. Dans ce regard, j’ai aperçu de la curiosité. J’ai pu vivre cette expérience palpitante, grâce à Michael Muller. En septembre 2012, j’ai finalement accepté sa énième invitation à aller observer les grands requins blancs de Guadalupe, une petite île entourée de falaises escarpées, située à 20 heures de bateau de la côte ouest du Mexique. Je me laissai convaincre sans trop de peine, car il s’agit de l’un des rares endroits où les grands requins blancs reviennent immanquablement chaque année. Notre expédition a duré cinq jours ; je ne me rappelle pas un seul instant où Michael n’ait pas été en train de prendre des photos dans l’eau ou de bricoler son équipement sur le pont. Son enthousiasme et sa passion étaient hautement contagieux. J’ai surtout été frappé par le fait que Michael, qui mène une brillante carrière à Hollywood, consacre
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tellement de temps et d’argent à la protection des requins. J’ai grandi entouré de photographes sousmarins et je connais beaucoup de sommités du domaine. Pour cette raison, je savais que les photographies de Michael étaient difféCi-dessous : Grand requin blanc, île Guadalupe, octobre 2007. « En photographie, tout est une question de lumière. Vu les problèmes posés par l’électricité, l’enjeu de notre sujet, la profondeur à laquelle nous devions descendre, sans compter les risques inhérents à la plongée, il est dur de saisir comment nous avons traversé les multiples dangers que notre mission comportait. » Page ci-contre : Grand requin blanc, île Guadalupe, octobre 2009. « C’était seulement mon second plongeon parmi les grands blancs, mais déjà ma rampe lumineuse changeait tout, en me permettant de réaliser les portraits que j’aurais fait si j’avais pu amener l’un de ces requins directement dans mon studio. »
« Michael a emprunté les techniques qu’il a développées à Hollywood pour les appliquer à la photographie animalière, et cela donne une perspective toute neuve à l’ensemble. » —Philippe Cousteau fils
Un banc de requins-marteaux halicornes, Îles Galápagos, octobre 2008. « J’ai toujours considérés les requins-marteaux comme l’une des espèces les plus drôles à voir. Ils sont très craintifs ; quelques bulles échappées d’une bouteille d’oxygène suffisent à les faire fuir. Les requins-marteaux halicornes se déplacent généralement en bancs. »
« Le seul objectif de Michael est de rendre hommage aux requins en saisissant la poésie de leur mouvements et leur majesté unique, d’une manière qui suscite fascination et émerveillement. » —Philippe Cousteau fils
rentes. Pour photographier la nature, il a recours aux techniques d’Hollywood, qu’il maîtrise à la perfection. Cela apporte une perspective totalement nouvelle. La plupart des photographes naturalistes travaillent pour des magazines et des livres qui traitent de la vie sauvage. Leurs photos sont magnifiques mais visent avant tout à montrer l’animal dans son environnement naturel, pour illustrer une caractéristique biologique ou un comportement. Les photos de Michael, néanmoins, m’évoquent la phrase préférée de mon grand-père : « On ne protège que ce qu’on aime. »
Michael, lui, organise des séances entières avec plusieurs flashs de 1 200 watts, des câbles, des assistants caméra et des éclairages déportés. Plus risqué encore, il finance seul l’intégralité du projet. Dire qu’il fait ça par amour serait un euphémisme. Toutefois, il ne cherche pas qu’à obtenir de belles images ; son but est de révéler à quel point les requins sont menacés. Son histoire vous émouvra et vous permettra d’entrer dans un monde unique, un monde de puissance brute et d’aventure authentique. Lorsque vous vous émerveillerez devant les photographies de ce livre, prenez un instant pour imaginer un futur sans requins, un Lui-même m’a énormément inspiré. Ses monde dépourvu de ces magnifiques créarécits et ses aventures sont de véritables tures qui parcourent les océans et de l’action légendes. Alors que le grand public se soubénéfique de ces nettoyeurs des mers, privé vient de lui comme des récits et des « 100 millions des requins sont mas- images qui fascined’un explorateur, sacrés chaque année pour leurs d’un réalisateur et ront les générations ailerons, qui finissent en soupe. d’un homme à futures comme elles Michael sait qu’il ne nous reste pas ont fasciné la nôtre. l’avant-garde de la protection de la pla- beaucoup de temps. » Observer les requins avec les yeux de nète, pour moi c’est Michael vous captivera autant que moi. un conteur. À l’instar de mon grand-père et J’espère de tout mon cœur que ce livre remde tant d’autres, Michael se sert de son art pour narrer un récit qui lui tient particulière- plira sa mission : vous faire porter un noument à cœur. Il risque littéralement sa vie veau regard sur ces créatures et vous donner pour eux. Quand ils travaillent sous l’eau, la envie de lutter à nos côtés pour qu’elles ne plupart des photographes utilisent un ou disparaissent jamais des océans. deux flashs de 400 watts au maximum. – Philippe Cousteau fils
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Ci-dessus : Michael Muller, septembre 2009. Photo de William Bradford. Page ci-contre : Requins-citron, Tiger Beach, novembre 2014. « On me demandait souvent : “Avez-vous déjà eu chaud ?” Je répondais toujours non, jusqu’à cette plongée où après avoir jeté un morceau de poisson, je photographiais le carnage. Au bout de quelques secondes, j’ai senti quelque chose heurter ma tête. Sans réfléchir, j’ai reculé et simplement donné un coup sur ce que c’était. Un requin-citron avait foncé sur moi, la gueule ouverte, mais c’était son nez qui m’avait frappé en premier, et mon coup l’avait fait fuir. » Ci-dessous : Grand requin blanc, île Guadalupe, août 2012. « Le comportementaliste spécialiste des requins Brocq Maxey utilise ses compétences pour interagir avec un spécimen fougueux, de près de 5 m de long. »
Visitez l’exposition organisée à la galerie TASCHEN à Hollywood jusqu’à fin juin, ou allez sur taschen.com pour consulter les tirages disponibles et découvrir la visite virtuelle de l’exposition ! TASCHEN Gallery, 8070 Beverly Blvd, Los Angeles, CA 90048
« Je ne pouvais pas amener un requin en studio. J’ai donc dû déplacer le studio chez les requins. » —Michael Muller XXL
Édition collector limitée à 1200 exemplaires insérés dans un coffre-cage en métal et signés par Michael Muller ÉDITION D’ART
Tirage en impression platine sur papier archive, 53,5 x 68 cm
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Page ci-contre : Grand requin-marteau, île Bimini, Bahamas, février 2015. « N’importe qui a déjà plongé avec des requins-marteaux sait à quel point ils sont peureux. Ils évitent tout ce qui est humain, y compris la moindre bulle d’air qui sort de la bouteille d’un plongeur. Depuis ma première rencontre avec les requins-marteaux aux îles Galápagos en 2008, je suis obsédé par l’idée de les photographier. J’ai fini par avoir cette chance presque 7 ans plus tard, à un endroit précis où ils se rassemblaient pendant quelques semaine en dehors de l’année. » — 135 —
Sauvée des cendres Un inventaire minutieux de la ville qui fut figée dans son sommeil pendant plus de 1 600 ans
Cette vue montre, en bas, la portion sud de la Via di Mercurio, en direction du sud, avec l’arc dit de Caligula à son extrémité. La zone supérieure de la peinture est toutefois orientée au nord, vers le Vésuve.
« Rome est simplement un grand musée ; Pompéi est une antiquité vivante. »
L’art dans les cités vésuviennes Par Sebastian Schütze et Valentin Kockel
Dans la lettre adressée à son ami, l’historiographe romain Tacite, Pline le Jeune décrivait la formidable éruption du Vésuve, en 79 apr. J.-C., comme « un désastre qui a ravagé la plus belle contrée du monde ». En même temps, il sentait que cette « catastrophe mémorable » allait assurer une gloire immortelle aux villes touchées et à leurs habitants. Historiquement, les villes du Vésuve ne renaîtront de leurs cendres qu’avec la redécouverte d’Herculanum et Pompéi, et le début des fouilles en 1738 pour Herculanum, 1748 pour Pompéi. Au fil de leur exploration, l’horizon qu’elles
ces restrictions d’accès et des difficultés rencontrées par des personnalités aussi célèbres que Johann Joachim Winckelmann ou Goethe pour pouvoir visiter les fouilles et étudier les pièces. Ce n’est qu’au 19e siècle que celles-ci devinrent peu à peu accessibles à un plus large public. Les splendides volumes des Case e di Monumenti di Pompei (« Maisons et
« Pour les frères Niccolini, ce sont ces qualités “d’antiquité vivante” qui font de la modeste Pompéi une sérieuse rivale d’Athènes et de Rome. La ville exhumée est un espace social préservé, un irremplaçable témoignage de la civilisation antique. » ouvraient à l’interprétation et à la connaissance n’a cessé de s’ouvrir. Les premières fouilles sur le site, ordonnées par Charles VII, roi de Naples et de Sicile, visaient à enrichir le musée royal et à rester le privilège de l’élite de la cour. De nombreux récits de voyages témoignent de
Page ci-contre : Mosaïque provenant de Lucera (1786), avec une tête de Méduse comme motif central. La mosaïque fut réutilisée au sol d’une salle des vases du Museo Borbonico. Ci-contre : Tête de Perse ; détail de la Mosaïque d’Alexandre, maison du Faune. Double page suivante : Casa della Parete nera (Casa dei Bronzi, VII 4, 59), mur sud de l’exèdre ; zone haute d’une peinture murale du iiie style montrant Zeus assis, vers 20–30 apr. J.-C. — 139 —
monuments de Pompéi ») édités par Fausto et Felice Niccolini peuvent s’entendre comme le résultat de cette évolution. Des descriptions détaillées de plus de quatre cents lithographies en couleurs donnent au lecteur une impression globale de Pompéi : pas seulement à l’appui de védutes et de plans de la ville, de vues et de plans au sol des édifices publics et des
« Emma Hart, la future Lady Hamilton, enchante un public cosmopolite avec ses célèbres “attitudes”, ressuscitant des statues antiques et des peintures murales pompéiennes. »
maisons privées, de planches détaillées présentant les œuvres d’art et les objets utilitaires trouvés sur place, mais aussi par des représentations « animées » de la vie dans les tavernes, les ateliers, les magasins, sur les places publiques, dans les temples, les théâtres et les thermes. Pour les frères Niccolini, ce sont ces qualités d’« antiquité vivante » qui font de la modeste Pompéi une sérieuse rivale d’Athènes et de Rome. La ville exhumée est un espace social préservé, un irremplaçable témoignage de la civilisation antique. On y trouve des décorations intérieures antiques dans une mesure et une diversité tout à fait inédites, qui plus est dans un excellent état de conservation, révélant des couleurs remarquablement éclatantes et lumineuses. À côté de Rome, les villes du Vésuve deviennent alors l’étape la plus importante de tout voyage de formation culturelle, et le style dit pompéien, étrusque ou « à la grecque » conquiert toute l’Europe. Les résidences princières, les maisons de campagne de la noblesse, et bientôt les demeures de la bourgeoisie, se voient alors dotées d’un cabinet ou d’une salle d’inspiration pompéienne et sont décorées de meubles, d’objets et de porcelaines dans ce style. Les modèles utilisés sont les pièces antiques trouvées dans les villes du Vésuve, mais aussi leurs interprétations et recréations néoclassiques. Parmi les projets les plus influents au plan stylistique, on citera les décors de Robert Adam à Osterley Park ou de Karl Friedrich Schinkel au château de Berlin, et en Italie, les palais Altieri à Rome, Milzetti à Faenza, Baciocchi à Bologne, la villa Doria d’Angri et le palais royal de Capodimonte à Naples. En 1839, Louis Ier de Bavière charge son architecte
de cour Friedrich von Gärtner d’édifier une réplique de la Casa dei Dioscuri, récemment déblayée dans les années 1828–1829. Dès 1842, la construction du Pompejanum put débuter sur les hauteurs du Main, dans un paysage de vignobles et de jardins méditerranéens. Concernant le décor intérieur, Johann Martin von Wagner, premier conseiller artistique du roi, choisit à Naples des modèles adéquats qui furent ensuite copiés par des peintres de renom. En tant qu’œuvre d’art totale, l’édifice ouvert dès le début au public devait communiquer une impression authentique de l’habitat antique. Presque entièrement détruit pendant la Seconde Guerre mondiale, le Pompejanum sera ensuite restauré ; aujourd’hui toutefois, l’extraordinaire qualité du décor intérieur originel se perçoit surtout dans les dessins de projet réalisés par Gärtner. Une ambition similaire caractérise la Maison Pompéienne construite entre 1854 et 1857 pour le prince Jérôme Napoléon, mais vendue dès 1866 et entièrement démolie. Ici aussi, l’architecture et les décorations murales, tout comme le mobilier et les objets d’ameublement, furent réalisés d’après des modèles pompéiens mais c’est surtout la connotation politique qu’on retiendra de la Maison Pompéienne, conçue comme un contre-projet utopique à la modernité et comme une expression programmatique de la restauration sous Napoléon III (1808–1873). L’architecture et les décorations pompéiennes vont
conserver toute leur actualité jusqu’aux premières décennies du 20e siècle. La villa de J. Paul Getty à Los Angeles, achevée en 1974, fut conçue par Stephen Garret sur le modèle de la Villa dei Papiri, à Herculanum et abrite aujourd’hui la collection d’antiquités du Getty Museum. À côté de l’accumulation des faits archéologiques, la réception a surtout été déterminée par l’idée de disposer d’une impression « authentique » de la vie quotidienne antique qui passe par la reconstitution « vivante » de l’Antiquité, mais aussi son assimilation et son interaction avec la modernité. Au Palazzo Sessa, résidence napolitaine de Sir William Hamilton, Emma Hart, la future Lady Hamilton, enchante un public cosmopolite avec ses célèbres « attitudes », ressuscitant des statues antiques et des peintures murales pompéiennes. De plus en plus souvent, les vues de Pompéi ne sont plus seulement animées de dessinateurs, d’archéologues et de voyageurs, mais peuplées de protagonistes antiques imaginaires. Dans la seconde moitié du 19e siècle, ce type de reconstitution de l’Antiquité et ce besoin d’actualisation se développe jusqu’à former une tradition spécifique de la représentation. Ingres visite Naples et les villes du Vésuve en 1813–1814 pendant ses années d’études. Les peintures murales pompéiennes resteront inscrites presque génétiquement dans son art, et ce jusqu’à son Portrait de Madame Moitessier peint en 1856, dont le modèle pose dans l’attitude de la figure allégorique d’Arcadie, telle qu’on peut la voir dans la peinture murale Hercule et Télèphe, de la basilique d’Herculanum. Chez Jean-Léon Gérôme et Théodore Chassériau, Pompéi va plutôt fournir le cadre des fantasmes érotiques du 19e siècle. Ainsi, l’Intérieur grec de Gérôme représente l’atrium d’une maison pompéienne orné de la réplique archéologiquement exacte d’un trépied en bronze à décor de satyres trouvé dans la villa de Julia Felix, servant à légitimer une scène de lupanar peuplée de figures féminines nues. L’œuvre fut exposée au Salon de 1850–1851 et immédiatement achetée par Jérôme Napoléon, futur commanditaire de la Maison Pompéienne. Dans les années
« Le style dit pompéien, étrusque ou “à la grecque” conquiert toute l’Europe. »
Ci-contre : Maquette de Pompéi ; détail avec le quartier des théâtres, vue prise du sud. Page ci-contre : L’atrium de la Casa del Poeta tragico (reconstitution, VI 8, 3 et 5) ; la disposition du toit, les peintures de la partie haute des murs et la coursive en bois d’un étage supérieur ne sont pas attestées archéologiquement. — 142 —
« Pompéi a fourni le cadre des fantasmes érotiques du 19e siècle. »
1920–1930, après une évolution vers l’abstraction, à la faveur des expériences traumatiques de la Première Guerre mondiale, l’art moderne entre dans une phase d’autoréflexion classiciste. « Ritorno all’ordine », retour à l’ordre, tel est alors le mot d’ordre, et la recherche de nouvelles mythologies et de la « grande » forme dirige à nouveau le regard vers l’Antiquité. La Flûte de Pan, peinte par Pablo Picasso en 1923, incarne la synthèse de ce courant arcadien. À peu près à la même
époque, Giorgio de Chirico imagine des univers inspirés aussi bien du perspectivisme de Friedrich Nietzsche que des peintures murales vésuviennes. Ainsi, Pline le
« Les villes du Vésuve n’ont pas seulement été des “antiquités vivantes” uniques au monde, elles ont perduré dans toutes les appropriations et les réinterprétations de la culture visuelle occidentale. »
Page ci-contre : Vue depuis la pièce (17) vers le premier péristyle (18) ; l’image montrant Ganymède et l’aigle de Zeus à côté de la fenêtre fut déposée par la suite. Ci-dessous : Assortiment d’objets décoratifs et utilitaires en marbre, en bronze et en terre cuite.
Jeune avait raison. Des résidences néoclassiques raffinées aux peintures métaphysiques du xxe siècle, architectes et artistes n’ont cessé tourner leur regard vers Pompéi et Herculanum pour y puiser l’inspiration. Une fois exhumées, les villes du Vésuve n’ont pas seulement été des « antiquités vivantes » uniques au monde, elles ont perduré et perdurent encore dans toutes les appropriations et les réinterprétations de la culture visuelle occidentale.
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XL
Fausto & Felice Niccolini. Maisons et monuments de Pompéi Valentin Kockel, Sebastian Schütze Relié, 28,2 x 39,5 cm, 652 pages 150 €
50 journalists 30 countries 25 years’ expertise 5 sister editions
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Un voyage en pictogrammes entre présent et passé
Yang Liu confronte nos modes de vie d’autrefois avec ceux d’aujourd’hui.
Racines
Mobilité
La technologie et l’homme
La technologie et l’homme
« Ce livre laisse entrevoir l’avenir d’une génération qui utilise de plus en plus les émoticônes, ces pictogrammes qui en disent plus long que les mots. »
Également disponible par Yang Liu
—Show Daily, New Delhi
Yang Liu. Hier / aujourd’hui, mode d’emploi Relié, 13 x 13 cm, 160 pages 12 € — 147 —
Kaboul a été vidée de sa population. Chacune des factions armées ayant conquis une partie de la ville a provoqué un exode. Finalement, il reste aujourd’hui peu d’endroits où l’on puisse vivre. Lorsque les Russes abandonnèrent l’Afghanistan, à la fin des années 1980, Kaboul était encore à peu près intacte. Mais les nombreuses batailles qui se sont déroulées au cours de la guerre civile sporadique qu’a connue le pays ont laissé la capitale en ruine. Cette photographie montre ce qu’il reste de l’avenue Jade Maiwan, artère autrefois prestigieuse de la ville. Kaboul, Afghanistan, 1996.
Sur les routes de l’exode
Nouvelle édition du reportage universel mais toujours aussi actuel de Sebastião Salgado sur les réfugiés et les migrants en fuite : Exodes et Enfants.
« Cette période d’horreur, je l’ai photographiée avec tout mon cœur. Je pensais que tout le monde devait savoir. C’est notre monde, nous devons l’assumer. » — Sebastião
Salgado
Ci-dessus : Une petite embarcation, appelée patera, transportant vingt-sept clandestins marocains, vient d’être repérée à quelques kilomètres de la côte espagnole par le détecteur à infrarouge d’un hélicoptère. Ces hommes sont arrêtés quelques minutes plus tard par une patrouille douanière. En réalité, ils ont eu de la chance, car le moteur de leur bateau était tombé en panne et ils étaient en train de dériver vers l’Atlantique. Détroit de Gibraltar, 1997. Ci-contre : L’hôpital du camp de Katale est dirigé par une équipe de médecins et d’infirmières dépendant de la branche néerlandaise de Médecins Sans frontières, avec le concours de l’équipe médicale de l’armée néerlandaise. Il s’agit là de l’un des plus grands hôpitaux de la région de Goma, qui assure presque à lui seul le suivi médical de 250 000 réfugiés. Les conditions de travail y sont particulièrement dures, car le camp est très éloigné du centre d’approvisionnement humanitaire de Goma (situé à 47 km de là) et construit, de surcroît, sur un terrain de lave volcanique. Il est quasi impossible d’enterrer les corps dans le sol, ce qui oblige à les placer dans les crevasses formées par la lave. Selon la direction du vent, l’odeur qui se répand dans cet hôpital surpeuplé peut devenir insupportable. Zaïre, 1994. Page ci-contre : Une distribution de nourriture à Kaboul, sous l’égide d’Action contre la faim, organisation humanitaire française. Dès les jours qui ont suivi la prise de la ville par les talibans, on a interdit aux femmes de montrer leur visage ou d’avoir quelque activité que ce soit hors du foyer. On les a cependant autorisées à participer aux collectes de nourriture et de médicaments dans les centres de distribution. Kaboul, Afghanistan, 1996.
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L’arrivée de près de 350 000 personnes au camp de réfugiés de Benako, en quatre jours seulement, se déroula dans des conditions déplorables. La plupart des réfugiés venaient les mains quasi vides. Il fallut attendre plusieurs jours avant que l’ONU et les organisations humanitaires puissent y créer un semblant d’ordre. Comme le montrent ces photographies, il pleuvait presque chaque nuit. Les réfugiés étaient obligés de se fabriquer des abris de fortune à l’aide de morceaux de couvertures, bien insuffisants pour les protéger des pluies violentes qui s’abattaient sur la région. Cela explique pourquoi de nombreux réfugiés arrivés sur place en bonne santé sont rapidement tombés malades. La pénurie en eau potable et une mauvaise hygiène générale ont favorisé la propagation de maladies infectieuses. Tanzanie, 1994.
« Au cours de mes différents reportages, j’avais été témoin de tant de tragédies que je me croyais aguerri. Mais je ne m’attendais pas à rencontrer une telle violence, autant de haine et de brutalité. »
« À chaque situation de crise, les principales victimes sont les enfants. Physiquement fragiles, ils sont souvent les premiers à succomber à la faim, à la maladie et à la déshydratation. Impuissants devant les rouages du monde et ses défaillances, ils ne peuvent comprendre l’origine du danger, les raisons pour lesquelles certains leur veulent du mal ou les causes de leur fuite, parfois si brutale, et pourquoi ils doivent laisser derrière eux leur école, leurs amis et leur foyer. »
« Cet ouvrage a paru pour la première fois voici presque une génération, mais malgré toutes ces années le monde qu’il dépeint a peu changé puisque la pauvreté, les catastrophes naturelles, la violence et la guerre contraignent encore chaque année des millions de personnes à partir de chez elles. »
Page ci-contre : Les sans-terre prennent possession de la plantation Giacometti, État de Paraná, Brésil, 1996. Ci-dessus : Des habitations de paysans sans terre, à Rosa do Prado, Itamaraju. État de Bahia, Brésil, 1996. Ci-contre : Enfant déplacé de Mopeia, qui a perdu sa famille. Province de Zambèze, Mozambique, 1994. — 155 —
« Les photographies de Salgado réclament des actes, mais surtout un changement des mentalités. » —
Ci-dessus : Un centre pour les orphelins provenant des tribus du sud du Bihar. État du Bihar, Inde, 1997. Page ci-contre : Des habitations de paysans sans terre, à Rio Bonito do Iguaçu. État de Paraná, Brésil, 1996. — 156 —
Instinct de survie
Sebastião Salgado évoque les phénomènes qui, à l’échelle du monde, continuent de pousser les gens hors de leur pays.
Cet ouvrage a paru pour la première fois voici presque une génération, mais malgré toutes ces années le monde qu’il dépeint a peu changé puisque la pauvreté, les catastrophes naturelles, la violence et la guerre contraignent encore chaque année des millions de personnes à partir de chez elles. Pour certaines, la route s’arrête dans des camps de réfugiés, qui atteignent vite la taille de petites villes ; d’autres risquent leurs économies, quand ce n’est pas leur vie, dans l’espoir chimérique de fouler une mythique Terre promise. Les migrants et les réfugiés d’aujourd’hui sont sans doute le produit de crises récentes, mais le désespoir et les lueurs d’espérance visibles sur leur visage ne sont guère différents de ceux dont témoigne ce livre. Il est toutefois une région du monde où le changement s’est opéré à une vitesse impressionnante et avec des conséquences imprévisibles. Dans les années 1990, la Chine et l’Inde connaissaient déjà un exode rural massif vers les villes ; de leur côté, les ÉtatsUnis jouaient depuis longtemps un rôle d’aimant pour les Mexicains et autres LatinoAméricains. L’Europe, elle, n’était en rien préparée à absorber l’énorme vague de migrants et de réfugiés du Moyen-Orient qui a déferlé sur son territoire en 2015. Du jour au lendemain, les tragédies humaines qui jusque-là touchaient des pays lointains et sur lesquelles les Européens pouvaient tranquillement fermer les yeux se déroulaient sous leurs fenêtres et dans les eaux qui baignaient leurs rivages. Comme toujours, les catalyseurs à l’origine des brusques mouvements de populations sont à rechercher loin des villes et des pays où les migrants échouent en quête de réconfort. En l’occurrence, ce furent les invasions de l’Afghanistan et de l’Irak sous commandement américain qui provoquèrent
dans une douzaine de pays la toute première radicalisation des populations musulmanes. À cet épisode succéda le bien mal nommé Printemps arabe, qui fit naître de faux espoirs dans des pays depuis longtemps soumis à des dictatures. Et lorsque ces révolutions échouèrent partout sauf en Tunisie, de nombreux musulmans virent en l’Europe une terre de salut. L’immigration en tant que telle n’était pas une découverte pour l’Europe. Mais la guerre en Syrie déclencha une crise des réfugiés d’une ampleur totalement inédite, les civils faisant fatalement les frais d’une lutte de pouvoir multiforme entre des rebelles soutenus par l’Occident, des séparatistes kurdes, le groupe État islamique et la dictature assiégée d’Assad. Au début, le problème sembla en grande partie « maîtrisé » car des millions de Syriens en fuite trouvaient refuge dans des camps en Jordanie, au Liban et en Turquie. Mais lorsque leurs conditions d’accueil se dégradèrent, l’idée de repartir gagna du terrain. De sorte qu’à partir du printemps 2015 le flot de réfugiés en route pour l’Europe se transforma en raz-de-marée et que l’on vit chaque jour des familles entreprendre par bateaux entiers la traversée de la Turquie vers les îles grecques – et les noyades se multiplier quand la mer agitée faisait chavirer les canots surchargés. Pendant des mois, les Européens furent confrontés au triste spectacle de centaines de milliers de migrants errant à travers champs, bloqués des journées entières aux frontières et implorant de l’aide. Mais tandis que l’Allemagne et la Suède étaient les seules à laisser entrer près d’un million d’entre eux, le reste de l’Europe leur tourna le dos dans la crainte d’une réaction xénophobe de groupements d’extrême droite qui, même en Allemagne, commençaient déjà à les harceler.
« Le centre de l’attention planétaire s’est déplacé, mais le phénomène demeure. »
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Et, pour corser le tout, l’Union européenne se montra tout aussi incapable de convaincre ses membres de se partager le fardeau de l’accueil des Syriens que de créer un dispositif cohérent pour distinguer les véritables réfugiés des migrants économiques. Tout cela pour dire qu’aujourd’hui l’Europe est de moins en moins disposée à recevoir ceux qui fuient les guerres et l’oppression. Les autres pays développés ne se montrent pas plus hospitaliers. Les Mexicains entrant aux États-Unis sont bien moins nombreux que par le passé, mais ils ont été remplacés par des Guatémaltèques, des Salvadoriens et des Honduriens qui cherchent à échapper chez eux à des conflits inter-gangs alimentés par le trafic de stupéfiants. Les Américains ont découvert avec stupeur que des enfants honduriens traversaient le Mexique en grand nombre et par leurs propres moyens pour tenter de pénétrer aux États-Unis. Mais Washington n’a su qu’inciter le Mexique à renforcer ses frontières avec l’Amérique centrale, ce qui lui a permis de repousser ses contrôles douaniers de trois mille kilomètres vers le sud. Depuis la parution de ce livre, le centre de l’attention planétaire s’est peut-être déplacé, mais le phénomène demeure. On oublie souvent que la plupart des individus émigrent parce qu’ils ne peuvent faire autrement. Partir pour une ville lointaine ou un pays étranger comporte de gros risques : dénuement, solitude, voire hostilité des populations. Mais tant que la pauvreté rurale persistera, que les dictatures continueront de réprimer et que les guerres civiles feront rage, l’instinct de survie ne cessera de chasser les êtres de chez eux en quête de sécurité et d’une vie meilleure. C’est leur histoire que ce livre raconte. Paris, mars 2016 Page ci-contre : Des familles kurdes déplacées, vivant dans l’enceinte de l’ancienne prison de Fort Nizarke, à Dohuk. Kurdistan irakien, 1997.
La migration soudaine en direction des grandes villes a eu notamment pour conséquence la désintégration des familles. La lutte pour la survie exerce une telle pression dans cet environnement où domine le chacun pour soi que la cellule familiale vole souvent en éclats. Pour nombre de jeunes gens, la
mendicité, la prostitution et la petite délinquance deviennent la norme. Tandis que les préadolescents quittent le foyer familial, des parents désespérés abandonnent leurs enfants en bas âge ou les confient à des institutions gouvernementales, telles que la FEBEM (Fondation pour l’aide à l’enfance). — 160 —
Les bébés abandonnés que montre cette photo jouent sur le toit du centre de la FEBEM, situé à Pacaembu, São Paulo. Le centre abrite environ 430 enfants ; 35 % d’entre eux ont été trouvés abandonnés dans la rue ; les autres ont été amenés par des parents qui ne parvenaient plus à s’en occuper. Brésil, 1996.
Sebastião Salgado. Exodes Sebastião Salgado, Lélia Wanick Salgado Relié, avec livret, 24,8 x 33 cm , 432 pages 49,99 €
En plus de six ans et 35 pays, Sebastião Salgado déroule le récit des migrations humaines. Sur la route, dans les camps de réfugiés et les bidonvilles surpeuplés, le photographe maintes fois primé immortalise les déplacements humains, depuis les populations hutues de la jungle rwandaise, jusqu’aux bidonvilles de São Paulo surpeuplés et aux premières embarcations chargées de réfugiés du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne tentant d’atteindre l’Europe par la Méditerranée. Témoignant de l’ampleur de la crise migratoire et des moments marquants qui jalonnent les histoires individuelles des exilés, Exodes est avant tout un appel à l’action au-delà de la compassion.
Sebastião Salgado. Enfants Sebastião Salgado, Lélia Wanick Salgado Relié, 24,8 x 33 cm , 124 pages 39,99 €
« Peu de photographes vivants suscitent autant d’admiration que Sebastião Salgado. Ses images en noir et blanc font plus que témoigner de la condition humaine : elles montrent la grâce propre à l’être humain, souvent dans les situations les plus extrêmes. » —American Photo, New York — 161 —
Ce livre est dédié à tous les enfants qui, en regardant ces photographies, seront amenés à réfléchir aux existences cachées derrière ces visages. Il montre quatre-vingt-dix enfants, photographiés en différents points du globe, un certain jour de leur vie. Ils semblent beaux, heureux, fiers, tristes ou songeurs. Pendant un bref instant, ils ont été capables de dire « j’existe ».
Chefs-d’œuvre modernistes perdus et retrouvés Des photographies rarissimes de Julius Shulman
Architecte anonyme, Allen Residence, 29 Palms, Californie, 1950.
« Si les bâtiments étaient des gens, ceux des photographies de Julius Shulman auraient le classicisme, l’élégance, la distinction impalpable de Grace Kelly. » —ARTnews, New York
Julius Shulman. Modernism Rediscovered Relié, 3 volumes sous coffret, 24,9 x 31,6 cm, 1 008 pages Édition originale 300 €
Nouvelle édition seulement 99,99 €
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TASCHEN Gallery, 8070 Beverly Blvd, Los Angeles, CA 90048.
Effervescence à la Chemosphere Lancement du livre de Naomi Campbell à Hollywood
Soirée à la Chemosphere, Hollywood Hills. Page ci-contre, de haut en bas, de gauche à droite : Naomi Campbell et Demi Moore, Quincy Jones et Sean « P.Diddy » Combs, Naomi Campbell au côté de Lenny Kravitz et Dave Chapelle.
TASCHEN’s 60s Lee Lockwood Fidel Castro Dan Kramer Bob Dylan Neil Leifer, Howard Bingham, Marvin Newman, Carl Fischer Muhammad Ali Larry Schiller LSD
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Photo by Carl Fischer
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