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Climat et migration une équation complexe

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Fraternités

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S’il est avéré que le changement climatique fragilise les lieux de vie et de travail d’une partie de la population mondiale, le concept de migrants climatiques, lui, est encore flou. Peut-on et faut-il faire de ces déplacés une catégorie à part ?

Par Morgane Pellennec

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En 2018, le quotidien économique La Tribune titrait : « Migrations : la bombe à retardement climatique ». L’introduction de l’article ne laissait pas non plus beaucoup de place à la nuance. « Les flux de migrants plongent aujourd’hui l’Europe dans une crise profonde. Mais les politiques et les outils actuels sont encore moins adaptés aux migrations climatiques annoncées, d’une tout autre ampleur », écrivait ainsi la journaliste. Deux ans plus tard, plusieurs grands médias internationaux ont relayé une information tirée du « Registre des menaces écologiques » (Ecological Threat Register), un rapport rédigé par le think tank australien Institute for Economics & Peace. « La crise climatique pourrait déplacer 1,2 milliard de personnes au cours des trente prochaines années » pouvait-on par exemple lire dans le journal britannique The Guardian, tandis que France Info annonçait : « Les changements climatiques et les conflits risquent de déplacer plus d’un milliard de personnes dans le monde d’ici à 2050 ».

C’est indiscutable : des hommes et des femmes sont et seront affectés par le changement climatique. Des phénomènes météorologiques extrêmes – dont la fréquence et l’intensité sont modifiées par l’évolution du climat, comme le rapporte le Giec – peuvent les faire fuir dans l’urgence. Et la dégradation plus lente de l’environnement – désertification, acidification des océans, élévation du niveau de la mer,etc. – peut menacer leurs foyers ou leurs moyens de subsistance et les pousser à partir pour pouvoir survivre. Pourtant, le concept de migration climatique reste flou, puisqu’il est impossible d’établir un lien entre climat et migration. Souvent, il charrie par ailleurs l’idée fausse que ces migrations seront massives et internationales. « Nous avons en tête le modèle des îles océaniques, où l’on constate qu’avec l’élévation du niveau de la mer les habitants seront forcés de partir et de s’installer ailleurs, illustre Jacques Véron, démographe et directeur de recherche émérite à l’Institut national d’études démographiques. Il s’agirait là d’une “pure” migration climatique. Il n’y aurait pas de facteurs économiques ou politiques, les insulaires ne pourraient physiquement plus survivre. Et cet exemple est extrapolé au reste du monde. Or, les situations sont généralement bien plus complexes. » Ainsi, les migrations sont souvent multifactorielles et causes climatiques, économiques et politiques s’entremêlent. Pour beaucoup, l’économie dépend directement de l’environnement, luimême influencé par des décisions politiques. Si un agriculteur du Sahel est contraint à l’exil parce que ses terres sont devenues inutilisables à cause de la dégradation et de la sécheresse, serat-il considéré comme un migrant économique ou comme un migrant climatique ? « De nombreuses études ont pour but de mieux saisir la dimension environnementale des migrations, mais il est quasiment impossible d’extraire ce seul facteur, explique Dina Ionesco, directrice de la division Migration, Environnement et Changement climatique à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Les données et les statistiques que nous avons indiquent le nombre de personnes qui vivent dans des zones à risques. Mais il n’y a pas de lien de cause à effet, ces personnes ne vont pas automatiquement devenir des migrants. »

Des actions de prévention

La mise en place de politiques d’adaptation ou de gestion des risques peut réduire l’impact des phénomènes de dérèglement climatique sur les populations, qui seront alors moins sujettes aux déplacements forcés. Suite au tsunami de 2011, qui avait provoqué la mort de plus de 18 000 personnes, le Japon a par exemple érigé des digues de plus de dix mètres de haut pour protéger son littoral. Les Pays-Bas, menacés par la montée des eaux, se préparent depuis des années via des politiques d’aménagement et de protection des côtes. « Lorsque l’on parle de migrations environnementales, on tend à oublier qu’iln’y a pas de désastre sans responsabilité politique », rappelle Benoit Mayer, maître de conférences àl’université chinoise de Hong Kong, dont les recherches portent sur les relations entre changement climatique et mobilité humaine. Lorsque les personnes migrent effectivement, les déplacements sont majoritairement internes, c’est-à-dire qu’ils ont lieu à l’intérieur des frontières du pays.

L’OIM estime qu’il y avait 281millions de migrants internationaux – toutes causes confondues – dans le monde en 2020 mais 740 millions de migrants internes en 2009. « Les migrants internationaux ne représentent que la partie émergée de l’iceberg, rappelle Benoit Mayer. La majorité des personnes poussés à l’exil n’a pas la possibilité de prendre un billet d’avion, de voyager, de payer un trafiquant pour passer les frontières. » Qu’ils soient internes ou internationaux, les déplacés pour raisons climatiques n’entrent pas dans la catégorie des réfugiés telle que définie par la Convention de Genève de 1951, qui suppose une persécution et la traversée des frontières de son pays. L’OIM propose le terme de migrants environnementaux, qu’elle définit ainsi : « Des personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent. » Hors de toute catégorie juridique, comment protéger ces personnes forcées au départ ? Au niveau régional, certains programmes de libre circulation des personnes ou de migration de maind’œuvre circulaire – qui permettent par exemple à des Colombiens d’aller travailler en Espagne plusieurs mois puis de rentrer dans leur pays – sécurisent les migrations. Au niveau international, certains préconisent la création d’un statut juridique qui offrirait aux migrants climatiques une protection particulière. « Ceux qui ont quitté leur pays pour des raisons climatiques doivent bénéficier d’un statut international, comme les apatrides ou les réfugiés », estime par exemple la politologue Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche émérite au CNRS et spécialiste des questions de migrations.

Un statut particulier ?

D’autres se méfient des limites d’un tel concept. « Nous ne sommes pas nécessairement favorables à l’instauration d’un statut à part, qui nous paraît trop limitant. Nous sommes partisans d’une vision plus fluide et innovante de la migration », explique Dina Ionesco. Pour Benoit Mayer, une protection juridique particulière serait difficile à mettre en place et, surtout, dangereuse. « Comment définir des migrants climatiques ? Si l’on estime que toute personne quittant un pays affecté est un migrant climatique, le tiers de la population de Tuvalu qui a migré en Nouvelle-Zélande pour des raisons économiques serait considéré comme tel, ce qui serait un peu curieux ! Cela me paraît surtout dangereux parce que cela créerait un sentiment d’exception, l’idée que seuls les migrants climatiques devraient être protégés. Il me semble que la cause de la migration n’est pas pertinente pour définir le droit à la protection. »•

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